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Full text of "George Sand, sa vie et ses uvres, 1804-1876"

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WLADIMIR  KARENINE 


GEORGE  SAND 


SA  VIE  ET  SES  ƒUVRES 


*  *  ‱  * 
1848-1876 


PARIS 

LIBRAIRIE     PLON 
LES  PETITS-FILS  DE  PLON  ET  NOURRIT 

IMPRIMEURS-ÉDITEURS  —  8,  RUE  GARANCIÈRE,  6e 

192fi 

2"  Ă©dition 


GEORGE  SAND 

SA  VIE   ET    SES   OEUVRES 


‱  *  ‱  ‱ 
1848-1876 


DU     MÊME     AUTEUR 
À     LA    MÊME     LIBRAIRIE 

George    Sand.    Sa   vie  et  ses  Ɠuvres. 
Tome     I.  —  1804-1833. 

Tome    II.  —  1833-1838. 
Tome  III.  —  1838-1818. 


Ce  volume  a  été  déposé  à  la  BibliothÚque  Nationale  en  1926. 


GEORGE    SAND,     l'Ai;    CHARLES    MARCHAL 
N'  H  \\  l  .    NO> EMBRB    1S01  ) 


WLADIMIR  KARENINE 


GEORGE  SAND 


SA  VIE  ET  SES  ƒUVRES 


*  *  *  * 
1848-1876 


PARIS 

LIBRAIRIE     PLON 
LES  PETITS-FILS  'DE  PLON  ET  NOURRIT 

IMPRIMEURS-ÉDITEURS  —  8,  RUE  GARANCIÈRE,  6e 


Univers/]^» 

BIBLIOTHECA 


«2  4/5L 


Droits  de  reproduction  et  de  traduction 

cfi-Tp!  nmip   tnns  navfi. 


réservés  pour  tous  pays 


AVANT-PROPOS 


Ce  dernier  volume  de  notre  travail  —  terminĂ©  avant  la  guerre 
—  n'aurait  jamais  vu  le  jour  si  trois  bonnes  fĂ©es,  ou  trois  bons 
parrains  n'avaient  présidé  à  sa  naissance  et  ne  l'avaient  protégé 
contre  toutes  les  intempéries  et  toutes  les  puissances  néfastes. 
C'est  d'abord  notre  cher  Ă©diteur,  M.  J.  Bourdel  (de  la  Maison  Plon- 
Nourrit),  qui,  ne  sachant  pas  mĂȘme  si  l'auteur  Ă©tait  encore  de 
ce  monde  dans  sa  lointaine  patrie,  avait  soigneusement  gardé 
depuis  1914  manuscrit  et  chapitres  déjà  mis  en  composition. 
C'est  ensuite  notre  vieil  et  fidĂšle  ami  M.  Henri  Amie  qui  nous  a 
fraternellement  aidé  à  relire  et  à  corriger  la  copie  et  les  épreuves. 
C'est  enfin  M.  Marcel  Bouteron  dont  l'affectueux  concours  a 
remplacé  pour  nous  celui  de  nos  chers  amis  défunts  le  vicomte  de 
SpƓlberch  de  Lovenjoul  et  M.  Georges  Vicaire.  Que  tous  ces 
amis  de  notre  livre  trouvent  ici  l'expression  de  notre  gratitude 
la  plus  profonde  et  la  mieux  sentie. 

W.  K. 


GEORGE   SAND 

SA  VIE  ET  SES  ƒUVRES 


CHAPITRE  VIII 

LA    RÉVOLUTION   DE    1848  (1) 

La  veille.  Mazzini.  —  Enchantements  de  la  premiùre  heure.  —  Lettres  au 
Peuple,  Bulletins  de  la  RĂ©publique,  Paroles  de  Biaise  Bonnin  et  la  Cause 
du  Peuple.  —  Le  15  mai.  —  Ledru-Rollin,  la  Commission  d'enquĂȘte, 
Jules  Favre  et  Etienne  Arago.  —  ThĂ©ophile  ThorĂ©  et  la  Vraie  RĂ©publique. 
—  Louis  Blanc  et  Barbes,  —  Herzen  et  Bakounine.  —  Le  Diable  aux 
champs. 

Nous  avons  prouvé  dans  le  chapitre  vu  de  notre  volume  III 
combien  il  était  inexact  que  George  Sand  ne  se  fût  mise  à  peindre 
la  douce  vie  champĂȘtre  qu'aprĂšs  sa  fuite  de  Paris,  Ă   la  suite  des 
sanglantes  journées  de  Juin  ;  il  est  tout  aussi  faux  de  prétendre 
qu'elle  se  soit,  tout  à  coup,  immiscée  dans  les  affaires  politiques 
en  1848,  et  s'en  soit  aussi  subitement  détachée  et  éloignée. 

Quelques  lignes  suffiront  pour  expliquer  les  causes  qui  pous- 
sĂšrent George  Sand  Ă   consacrer  son  temps,  son  travail  et  son 
talent  au  service  de  la  République  nouvellement  née  et  pour 
expliquer  non  pas  tant  son  horreur  devant  les  événements  san- 
glants de  1848  et  1849,  envisagés  par  elle,  comme  de  malheureux 
accidents  advenus  à  la  révolution,  que  sa  désillusion  de  la  révolu- 
tion mĂȘme. 

(1)  No;  s  prions  avant  tout  nos  lecteurs,  en  Usant  ce  chapitre,  de  se 
rappeler  les  mots  de  Renan  que  nous  avons  mis  comme  Ă©pigraphe  Ă   notre 
travail  :  Le  devoir  de  la  critique  ne  saurait  ĂȘtre  de  regretter  que  les  hommes 
ne  fussent  autres  qu'ils  ne  furent,  mais  d'expliquer  ce  qu'ils  furent.  Nous  nous 
permettrons  d'y  ajouter  :  le  devoir  du  lecteur  Ă©quitable  ne  saurait  ĂȘtre  d'attri- 
buer au  critique  toutes  les  opinions  de  l'auteur  qu'il  explique  et  qu'il  tĂąche  de 
rendre  fidĂšlement. 


a  GEORGE   SAND 

George  Sand  fut  toujours  un  socialiste  et  non  pas  un  poli- 
tique—  nous  le  rĂ©pĂ©tons  (1).  —  Nous  avons  dit  dans  le  chapitre  iv 
du  volume  III  que  tous  les  Ă©crits  politiques  et  sociaux  de  George 
Sand,  à  partir  de  1841,  tous  ses  articles  dans  la  Revue  indé- 
pendante, dans  la  RĂ©forme  et  VEclaireur  de  VIndre,  Ă©taient 
remplis  des  mĂȘmes  idĂ©es,  des  mĂȘmes  croyances  et  des  mĂȘmes 
opinions  qui  parurent  une  nouveauté  inattendue,  lorsqu'elles 
se  firent  jour  dans  les  Bulletins  de  la  RĂ©publique,  dans  les  Paroles 
de  Biaise  Bonnin  aux  Ions  citoyens,  dans  les  Lettres  au  Peuple 
et  enfin  dans  les  articles  parus,  soit  dans  son  propre  journal,  la 
Cause  du  Peuple,  soit  dans  la  Vraie  République,  de  Théophile  Thoré. 

Nous  avons  noté  que  le  comité  de  la  Réforme,  en  invitant 
Mme  Sand  en  1844,  par  l'intermédiaire  de  Louis  Blanc,  à  devenir 
collaboratrice  du  journal,  l'avait  attirée  justement  par  la  décla- 
ration que  «  la  politique  »  n'était  pour  eux  que  le  levier  qui  les 
aiderait  à  soulever  la  «  cause  du  peuple  »,  la  défense  des  masses 
obscures  et  opprimĂ©es,  voire  cette  mĂȘme  «  Ɠuvre  sociale  »  que 
George  Sand  devait  considérer  comme  sienne.  A  présent,  en 
1848,  presque  tout  ce  comité  de  la  Réforme  (qui,  selon  l'auteur 
de  Y  Histoire  de  1848,  «  avait  été  fondée  dans  le  dessein  formel  de 
renverser  la  dynastie  d'Orléans  (2)  »),  était  au  pouvoir  :  Ledru- 
Rollin  était  ministre  de  l'intérieur,  François  Arago,  ministre  de 
la  marine,  Carnot,  de  l'instruction  publique,  Etienne  Arago, 
directeur  des  postes,  Flocon  et  Louis  Blanc,  secrĂ©taires  d'État, 
en  mĂȘme  temps  ce  dernier,  en  sa  qualitĂ©  de  chef  du  parti  socia- 
liste et  de  reprĂ©sentant  des  intĂ©rĂȘts  des  travailleurs,  fut  Ă©lu  prĂ©- 
sident de  la  commission  pour  V organisation  du  travail,  et  quoique 
le  ministÚre  du  progrÚs,  sur  la  création  duquel  il  insistait,  ne  fût 
pas  institué  par  le  gouvernement  provisoire,  il  n'en  était  pas 
moins  presque  un  ministre  par  l'indépendance  et  la  significa- 
tion de  son  rĂŽle.  Le  rĂȘve  Ă©bauchĂ©  en  1844  devait  Ă   prĂ©sent  ĂȘtre 
mis  en  Ɠuvre  par  les  mĂȘmes  collaborateurs  de  la  RĂ©forme. 

George  Sand,  dans  tous  ses  articles  et  dans  toutes  ses  lettres 

(1)  V.  George  Sand,  sa  vie  et  ses  Ɠuvres,  t.  Ier,  chap.  m,  p.  106-169, 

(2)  V.  Daniel  Stern,  Histoire  de  la  révolution  de  1848,  t.  Ier,  Introduction, 

p.  LXVI. 


GEORGE   SAND  3 

aux  journaux  en  1848,  dĂ©clare  sans  ambages  ĂȘtre  un  «  socia- 
liste »,  et  dit  à  tout  propos  :  «  nous  autres  socialistes  »,  «  nous 
qui  sommes  socialistes  (1)  »,  etc.  Et  lorsqu'on  commença  à 
qualifier  tous  les  socialistes  de  «  communistes  »,  elle  prit  ouverte- 
ment le  parti  de  ces  derniers,  si  décriés  qu'ils  fussent,  et  se  déclara 
non  moins  ouvertement  «  communiste  ».  Elle  se  mit  à  expli- 
quer ce  que  c'est  que  le  «  vrai  communisme  »,  différent  de  celui 
que  peignaient  les  bourgeois  effrayés,  et  à  prouver  le  caractÚre 
social  et  sociable  du  premier  et  le  caractĂšre  anarchique  et  anti- 
social du  second  (2). 

La  reconstitution  sociale  de  la  société,  voici  le  but  de  toutes 
les  aspirations  et  de  toutes  les  pensées  de  George  Sand.  Elle- 
mĂȘme  le  rĂ©suma  d'une  maniĂšre  absolument  prĂ©cise  dans  l'un  de 
ses  articles  de  1848,  dont  nous  parlerons  tout  Ă   l'heure,  en 
écrivant  :  «  le  socialisme  est  le  but,  la  république  est  le  moyen,  telle 
est  la  devise  des  esprits  les  plus  avancĂ©s  et  en  mĂȘme  temps  les 
plus  sages.  La  réforme  sociale,  tel  est  donc  l'exercice  du  devoir 
du  citoyen  »  (3)... 

Et  elle  redit  la  mĂȘme  chose,  presque  textuellement,  lorsqu'elle 
écrivit,  vingt  et  un  ans  plus  tard,  le  6  août  1869,  à  Henry  Harrisse  : 

«  Pourtant,  si  vous  dites  vrai,  si  c'est  une  Révolution  sociale,  ça 
m'intéressera  quand  j'en  serai  sûre.  Il  me  semble,  au  reste,  que  c'est 
la  seule  possible;  tout  mouvement  purement  politique  me  semble 
tourner  dans  un  cercle  vicieux,  insoluble  »  (4). 

George  Sand  espĂ©rait  que  la  RĂ©publique  mettrait  en  Ɠuvre 
la  réforme  sociale,  ou  plutÎt  accomplirait  une  révolution  so- 

(1)  Nous  sommes  trÚs  heureux  de  noter  que  par  rapport  au  «  socialisme  » 
et  au  «  communisme  »  de  George  Sand,  nous  sommes  du  mĂȘme  avis  que 
MM.  Marius-Ary  Leblond,  émis  dans  leurs  si  intéressants  articles,  George 
Sand  et  la  démocratie  {Revue  de  Paris,  juillet  1904)  et  Notes  sur  George  Sand 
socialiste  (Revue  socialiste,  juillet  et  août  1904.) 

(2)  Voir  plus  loin  l'analyse  des  articles  de  George  Sand  :  Lettre  aux  riches 
(Revue  politique  de  la  semaine)  et  la  Préface  au  livre  de  M.  Borie,  Travailleurs 
et  Propriétaires. 

(3)  Le  Socialisme,  quatre  articles  parus  en  avril  1848  dans  le  journal  de 
George  Sand,  la  Cause  du  peuple,  et  rĂ©imprimĂ©s  dans  ses  ƒuvres  complĂštes 
dans  le  volume  des  Questions  politiques  et  sociales.  (V.  p.  276.) 

(4)  Souvenirs  et  Idées,  p.  171, 


4  GEORGE   SAND 

ciale,  qu'elle  constituerait  non  pas  en  paroles,  mais  en  fait  l'Ă©ga- 
lité  et  la  fraternité,  que  le  peuple,  devenu  libre,  saurait  créer 
lui-mĂȘme  son  propre  bonheur  et  le  bonheur  gĂ©nĂ©ral. 

Au  lieu  de  tout  cela,  elle  vit  la  lutte  des  classes  et  de  petits 
groupes  politiques  les  uns  contre  les  autres,  elle  vit  la  «  poli- 
tique »  engloutir  le  «  socialisme  ».  Elle  dut  se  convaincre  que  non 
seulement  la  rĂ©volution  sociale,  mais  mĂȘme  certaines  rĂ©formes 
sociales,  ne  pourraient  ĂȘtre  acquises  que  par  les  efforts  de  toute 
une  génération,  lorsque  les  esprits  et  les  ùmes  auraient  changé, 
et  non  pas  la  seule  forme  de  gouvernement  ;  lorsque  les  masses 
seraient  moins  aveugles  et  sauraient  mieux  distinguer  leurs 
ennemis  de  leurs  vrais  amis  ;  lorsque  les  meneurs  politiques 
seraient  moins  occupés  de  leurs  querelles  personnelles  et  de  leurs 
intĂ©rĂȘts  de  partis,  et  plus  adonnĂ©s  Ă   la  cause  du  peuple. 

George  Sand  ne  se  sauva  pas  devant  les  horreurs  de  la  guerre 
civile,  comme  on  le  dit  généralement  (phrase  plus  emphatique 
qu'exacte),  mais  elle  se  détacha  des  hommes  politiques  et  de  leur 
activité,  parce  que  les  uns  n'avaient  pas  justifié  ses  espérances 
et  que  l'autre  ne  correspondait  pas  Ă   ses  aspirations  et  Ă   ses 
croyances  intimes. 

Quant  Ă   ces  croyances  mĂȘmes,  elle  ne  les  perdit  pas  et  garda 
sa  foi  dans  le  socialisme  et  dans  la  RĂ©publique. 

Xon  seulement  elle  ne  renia  pas  ce  qu'elle  avait  Ă©crit,  dans 
ses  articles  politiques  de  1848,  mais  elle  continua  en  1849  et 
1850  à  dire  carrément  ses  opinions,  alors  que  la  réaction 
triomphante  fit  taire  tant  d'autres  voix.  H  suffit,  pour  s'en 
convaincre,  de  relire  ce  qu'elle  dit  de  ses  opinions  politiques  et 
de  ses  amis  politiques  dans  la  préface  au  livre  de  Victor  Borie 
ou  encore  dans  YHistoire  de  ma  vie,  parus  entre  1850-1855, 
c'est-à-dire  au  plus  fort  de  la  réaction 

AprÚs  avoir  expliqué  ce  qui  fit  accourir  George  Sand  à  Paris, 
en  février  de  1848,  nous  allons  montrer  ce  qui  l'en  fit  partir 
désillusionnée,  non  du  fait,  mais  des  faiseurs. 

M.  Hippolyte  Monin,  dans  un  long  et  trÚs  intéressant  article, 
paru  dans  la  Révolution  française  de  1899-1900,  a  narré,  avec 
beaucoup  de  précision  et  de  détails,  la  part  qu'avait  prise  George 


GEORGE  SAND  5 

Sand  aux  événements  de  1848.  Il  étudia  et  compara  ses  écrits 
politiques  tels  qu'ils  parurent  dans  les  périodiques  de  l'époque 
et  tels  qu'ils  sont  rĂ©imprimĂ©s  dans  ses  ƒuvres  complĂštes.  Il 
retrouva  un  article  qui  n'y  fut  pas  réimprimé  (1).  Enfin  il  essaya 
de  donner  des  preuves  Ă   l'appui  de  sa  supposition  que  c'est  George 
Sand  encore  qui  fut  l'auteur  d'un  pamphlet  politique  de  1848 
fort  oublié  et  signé  du  nom  d'un  révolutionnaire  peu  connu  de 
nos  jours.  Les  opinions  personnelles  et  les  remarques  critiques 
de  M.  Monin  rendent  son  article  digne  de  la  plus  grande  atten- 
tion :  il  est  du  plus  haut  intĂ©rĂȘt. 
Mais,  comme  M.  Monin  le  remarque  fort  judicieusement  : 
«  H  a  plu  à  George  Sand,  dans  YHistoire  de  ma  vie,  de  jeter 
un  voile  sur  cette  période,  alors  trop  récente,  de  son  existence. 
Certes,  elle  ne  l'a  pas  désavouée  ;  mais,  étourdie  comme  tant 
d'autres  par  le  dénouement,  elle  a  enfoui  dans  de  vagues  déve- 
loppements, et  parfois  idéalisé,  donc  dénaturé  des  souvenirs 
qui  lui  pesaient.  La  Correspondance  de  1848  et  mĂȘme  des  annĂ©es 
suivantes  est  plus  explicite  :  mais  que  de  lacunes,  et  surtout 
que  d'obscurités  !  Les  opuscules  ou  articles  les  plus  caractéris- 
tiques, reproduits  sans  commentaires,  sans  indication  de  source, 
souvent  mĂȘme  sans  date,  dans  les  ƒuvres  complĂštes  (2),  ne  sont 
pas  non  plus  exempts  de  coupures  judicieuses  au  sens  de  l'Ă©di- 
teur, mais  non  au  point  de  vue  de  l'histoire.  Personne  enfin 
ne  s'est  donné  la  peine  de  déterminer  ce  qui,  dans  les  Bulletins 
de  la  RĂ©publique,  appartient  Ă   George  Sand.  Aussi  les  biographes 
ont-ils  imité,  sur  la  crise  de  février,  son  silence  prudent  :  ils  ne 
l'ont  pas  tous  fait  par  discrĂ©tion.»  —  (M. Monin  note  Ă   ce  propos 

(1)  Nous  devons  remarquer  toutefois  que  cet  article  avait  déjà  été  signalé 
par  notre  ami,  le  bibliophile  Isaac  (le  vicomte  de  Spoelberch)  dans  Y  appen- 
dice manuscrit  à  son  Essai  bibliographique  sur  les  ƒuvres  de  George  Sand, 
que  nous  avons  cité  avec  reconnaissance  à  la  page  345  de  notre  premier  vo- 
lume. 

(2)  M.  Monin  cite  en  note  Ă   ces  mots  le  volume  des  Souvenirs  de  1848, 
mais  nous  pouvons  encore  renforcer  sa  désapprobation,  en  ajoutant  que, 
sans  aucune  raison  logique,  on  avait  séparé  une  partie  de  ces  articles  pour 
les  insérer  dans  le  volume  des  Questions  politiques  et  sociales,  et  un  autre 
article  encore,  arbitrairement  retiré  de  l'ordre  chronologique  de  la  série, 
dans  le  volume  des  Questions  d'art,  quoique  tous  ces  articles  proviennent  des 
mĂȘmes  numĂ©ros  du  journal  de  George  Sand,  la  Cause  du  Peuple, 


6  GEORGE   SAND 

les  Ă©crits  Ă©quivoques  d'EugĂšne  de  Mirecourt  dont  nous  avons 
maintes  fois  cité  les  lignes  indignes  sous  tous  les  rapports.) 

Et  M.  Monin  remarque  que  le  plus  sûr  est  encore  de  baser 
sa  narration  sur  les  lettres  de  George  Sand  imprimées  dans  la 
Correspondance  et  sur  ses  articles,  pour  lui  donner  la  parole  Ă  
elle-mĂȘme.  Toutes  ses  remarques  sont  parfaitement  justes,  sa 
méthode  est  celle  d'un  véritable  historien,  et  nous  devons  dire 
que  tout  ce  qu'il  a  été  possible  de  faire  d'aprÚs  les  documents 
imprimés,  M.  Monin  l'a  fait.  Mais  comme  il  ne  pouvait  pas 
consulter  la  correspondance  inédite  de  George  Sand,  ainsi  que 
d'autres  documents  non  publiés,  des  journaux  intimes,  etc., 
tout  en  rendant  pleine  justice  à  cette  étude  sérieuse  et  con- 
sciencieuse et  en  la  suivant  parfois  de  prĂšs,  nous  arrivons  Ă   des 
conclusions  trÚs  différentes  ;  à  propos  d'autres  faits,  nous  serons 
en  état  de  répondre  aux  questions  qu'il  pose,  nous  raconterons 
des  choses  tout  à  fait  ignorées  jusqu'à  présent  et  enfin  nous 
fixerons  quelques  dates  précises. 

Ayant  ainsi  tracé  briÚvement  la  ligne  générale  des  événe- 
ments de  1848  d'une  part,  et  les  exigences  morales  de  George 
Sand  envers  la  révolution  et  la  République,  de  l'autre,  nous 
allons  maintenant  raconter  quel  fut  son  rÎle  dans  les  événe- 
ments de  1848  et  analyser  ses  Ă©crits  politiques. 

Pour  cela,  revenons  un  peu  en  arriĂšre. 

DÚs  son  séjour  à  Paris  au  carnaval  de  1847,  lorsque  Mme  Dude- 
vant  et  sa  fille  y  étaient  occupées  du  trousseau  de  Solange,  en 
vue  de  son  mariage  projeté,  puis  rompu  avec  Fernand  de 
Préaulx,  George  Sand  fit  la  connaissance  de  Giuseppe  Mazzini. 
Ils  se  virent  assez  souvent  et  il  promit  mĂȘme  devenir  Ă   Nohant. 
En  ce  mĂȘme  printemps,  Mazzini,  revenu  Ă   Londres,  Ă©crivit  un 
petit  article  sur  George  Sand  pour  servir  de  préface  à  la  traduc- 
tion anglaise  de  la  Mare  au  Diable  et  de  quelques  autres  Ɠuvres 
de  la  grande  romanciĂšre,  entreprise  par  des  amies  de  Mazzini, 
Mmes  Ashurst  et  Hays  (1).  Mazzini  envoya  son  article  Ă   George 
Sand  ainsi  que  celui  d'une  certaine  miss  Jewsbury,  paru  dans 

(1)  L'orthographe  de  ce  nom  nous  paraĂźt  douteuse,  nous  Usons  ailleurs 
dans  les  lettres  de  George  Sand  miss  Haivkes, 


GEORGE   SAND  7 

le  Peuple' s  Journal.  Le  grand  patriote  italien  y  parlait  de  George 
Sand  avec  une  vive  sympathie  et  une  chaude  amitié,  l'appelait 
sa  sƓur  et  son  amie,  et  cela  la  toucha,  comme  elle  le  lui  avoua, 
plus  que  toutes  les  louanges  venant  d'hommes  Ă©minents.  Elle  crut 
deviner  en  Mazzini  une  «  ùme  parente  »  de  la  sienne  par  son  entiÚre 
sincérité,  et  lorsqu'elle  lui  répondit  le  22  mai  1847,  au  lendemain 
du  mariage  de  Solange  avec  Clésinger,  elle  lui  donnait  dans  sa 
lettre  ces  mĂȘmes  titres  d'ami  et  de  frĂšre,  lui  racontait  toutes 
ses  affaires  de  famille,  comme  au  plus  grand  ami  de  la  maison  (l)t 
et  lui  rappelait  sa  promesse  de  venir  la  voir  Ă   la  campagne,  oĂč, 
selon  son  dire,  elle  Ă©tait  plus  elle-mĂȘme  qu'Ă   Paris,  oĂč  elle  Ă©tait 
toujours  malade  au  moral  et  au  physique. 

En  réponse  à  cette  lettre,  Mazzini  renouvela  sa  promesse, 
puis  envoya  Ă   Mme  Sand,  au  nom  de  ses  traductrices,  leur  tra- 
vail, ainsi  qu'une  brochure  de  sa  façon,  comme  en  témoigne 
une  autre  lettre  de  George  Sand  à  Mazzini,  imprimée  dans  le 
volume  II  de  sa  Correspondance  et  datée  du  28  juillet  1847. 
Elle  lui  dit,  entre  autres  : 

Cette  annĂ©e  1847,  la  plus  agitĂ©e  et  la  plus  douloureuse  peut-ĂȘtre 
de  ma  vie  sous  bien  des  rapports,  m'apportera-t-elle  au  moins  la  con- 
solation de  vous  voir  et  de  vous  connaĂźtre?  Je  n'ose  y  croire,  tant  le 
guignon  m'a  poursuivie  ;  et  pourtant  vous  le  promettez,  et  nous 
approchons  du  terme  assigné... 

Elle  lui  ajoute  que  le  chemin  de  fer  arrivera  bientĂŽt  Ă   ChĂą- 
teauroux,  ce  qui  rendra  le  trajet  de  Paris  Ă   Nohant  rapide  et 
facile.  Puis  elle  continue  : 

Que  votre  lettre  est  bonne  et  votre  cƓur  tendre  et  vrai  !  Je  suis 
certaine  que  vous  me  ferez  un  grand  bien  et  que  vous  remonterez  mon 
courage,  qui  a  subi,  depuis  quelque  temps,  bien  des  atteintes  dans  des 
faits  personnels... 

(Viennent  des  plaintes  trÚs  claires  pour  nous,  quoique  voilées 
et  vagues,  sur  tout  ce  qu'elle  eut  Ă   supporter  de  la  part  de  So- 
lange, de  Clésinger  et  de  Chopin,  sur  la  corruption  et  l'impu- 

(1)  Nous  avons  déjà  cité  cette  lettre  dans  le  tome  II  de  notre  ouvrage 
(chap.  xi),  et  dans  le  chapitre  vi  du  volume  IIL 


8  GEORGE   SAND 

dence  d*un  cÎté,  sur  la  folie  et  la  faiblesse  de  l'autre,  qu'elle 
explique  du  reste  comme  le  reflet  sur  la  «  vie  personnelle  de  la 
corruption  et  de  la  folie  de  1* époque  ».) 

Venez  rue  donner  la  main  un  instant,  vous,  éprouvé  par  tous  les 
genres  de  martyre.  Quand  mĂȘme  vous  ne  me  diriez  rien  que  je  ne  sache, 
il  me  semble  que  je  serais  fortifiée  et  sanctifiée  par  cette  antique  for- 
mule qui  consacre  l'amitié  entre  les  hommes. 

J'ai  reçu  une  de  vos  brochures,  mais  non  la  lettre  à  Carlo-Alberto, 
à  moins  que  vous  ne  l'ayez  envoyée  aprÚs  coup  et  qu'elle  ne  soit  à 
Par?.  Les  traductions  me  sont  venues  aussi.  Remerciez  pour  moi... 

Mazzini  donna  suite  Ă   sa  promesse  et  en  l'automne  de  1847, 
il  séjourna  quelque  temps  à  Xohant.  Au  moment  de  partir,  il 
oublia  dans  sa  chambre  mie  bague  qui  lui  avait  été  donnée  par 
sa  mĂšre. 

Les  trois  lettres  de  George  Sand  Ă   Mazzini  qui  sont  impri- 
mées dans  le  volume  III  de  la  Correspondance  aux  dates  de 
«  novembre  1850  ».  «  24  décembre  1850  »  et  «  22  janvier  1851  », 
sont  en  rĂ©alitĂ©  d'avant  la  rĂ©volution  et  doivent  ĂȘtre  datĂ©es  de 
novembre  1847.  du  24  décembre  1847  et  du  22  janvier  1848.  Elles 
se  rattachent  justement  à  cet  épisode  du  court  séjour  de  Maz- 
zini à  iXohant.  Quoiqu'elles  soient  imprimées,  nous  citerons  ces 
trois  lettres  d'abord  pour  que  le  lecteur  puisse  se  convaincre  lui- 
mĂȘme  que  leur  ton  gĂ©nĂ©ral,  l'absence  des  nouvelles  politiques 
qui  faisaient  les  frais  de  toutes  les  lettres  ultérieures  de  George 
Sand  à  Mazzini  entre  1848-1853,  ainsi  que  les  détails  person- 
nels, prouvent  que  ces  lettres  se  rapportent  Ă   l'hiver  de  1847- 
1848.  Puis,  elles  nous  renseignent  d'une  maniÚre  trÚs  précise 
sur  le  caractÚre  quelque  peu  mystique  de  l'amitié  et  des 
causeries  de  George  Sand  et  de  Mazzini.  Enfin,  ces  lettres  pei- 
gnent Ă   merveille  l'Ă©tat  d'Ăąme  de  George  Sand  Ă   la  veille  des 
événements  et  rappellent  singuliÚrement,  comme  on  le  voit 
déjà  par  les  vagues  allusions  de  la  lettre  du  28  juillet,  les  pages 
du  Pkcinino  que  nous  avons  citées  (1).  Elles  sont  comme  le 
prologue  de  tout  ce  que  Mme  Sand  Ă©crivit  et  fit  en  1848. 

(1)  Voir  vol,  III, 


GEORGE   SAND 


Nohant,  novembre  (1847), 
Mon  ami, 

Je  suis  bien  paresseuse  pour  répondre  à  toutes  ces  formules  qui 
s'adressent  au  nom  plus  qu'Ă   l'Ăąme,  et  j'y  rĂ©ponds  si  bĂȘtement,  que  je 
ferais  mieux  de  me  taire.  Mais  vous  l'avez  voulu  et,  comme  je  donnerais 
mon  sang  pour  vous,  je  ne  me  fais  pas  un  mérite  de  répandre  un  peu 
d'encre.  Cela  me  fait  penser  que  vous  ne  m'avez  jamais  demandé 
d'Ă©crire  Ă   Mme  Ashurst,  et  que,  celle-lĂ ,  vous  la  nommez  toujours 
votre  amie.  Elle  doit  donc  ĂȘtre  meilleure  que  toutes  les  autres,  et, 
en  ce  cas,  parlez-lui  de  moi  et  dites-lui  pour  moi  tout  ce  que  je  ne 
sais  pas  Ă©crire.  Vous  le  lui  direz  mieux  et  elle  le  comprendra.  Ce 
que  vous  estimez,  ce  que  vous  aimez,  je  l'aime  et  je  l'estime  aussi. 
Quant  Ă   l'honorable  John  Minter  Morgan,  je  lui  fais  un  grand  salut  ; 
mais  en  parcourant  son  ouvrage,  je  suis  tombée  sur  un  éloge  si  naïf 
de  M.  Guizot  et  du  Kwg  of  ihe  French,  que  je  n'ai  pu  m' empĂȘcher 
de  rire. 

C'est  assez  vous  parler  des  autres.  Permettez-moi  de  vous  parler 
de  vous  et  de  vous  dire  tout  bonnement  ce  que  j'en  pense,  à  présent 
que  je  vous  ai  vu.  C'est  que  vous  ĂȘtes  aussi  bon  que  vous  ĂȘtes  grand, 
et  que  je  vous  aime  pour  toujours.  Mon  cƓur  est  brisĂ©,  mais  les  mor- 
ceaux en  sont  encore  bons,  et,  si  je  dois  succomber  physiquement  Ă  
mes  peines,  avant  de  vous  retrouver,  du  moins  j'emporterai  dans  ma 
nouvelle  existence,  aprĂšs  celle-ci,  une  force  qui  me  sera  venue  de  vous. 
Je  suis  fermement  convaincue  que  rien  de  tout  cela  ne  se  perd,  et  qu'Ă  
l'heure  de  mon  agonie,  votre  esprit  visitera  le  mien,  comme  il  l'avait 
déjà  fait  plusieurs  fois  avant  que  nous  eussions  échangé  aucun  rap- 
port extérieur. 

Tout  ce  que  vous  m'avez  dit  sur  les  vivants  et  sur  les  morts  est 
bien  vrai,  et  c'est  ma  foi  que  vous  me  résumiez.  A  présent  que  vous 
ĂȘtes  parti,  quoique  nous  ne  nous  soyons  guĂšre  quittĂ©s  pendant  ces 
deux  jours,  je  trouve  que  nous  ne  nous  sommes  pas  assez  parlé! 
Moi  surtout,  je  me  rappelle  tout  ce  que  j'aurais  voulu  vous  de- 
mander et  vous  dire.  Mais  j'ai  été  un  peu  paralysée  par  un  sentiment 
de  respect  que  vous  m'inspiriez  avant  tout.  Croyez  pourtant  que 
ce  respect  n'exclut  pas  la  tendresse  et  que,  excepté  votre  mÚre, 
personne  n'aura  désormais  des  élans  plus  fervents  envers  vous  et 
pour  vous. 

J'espĂšre  que  vous  me  donnerez  des  nouvelles  de  Paris,  si  vous  en 
avez  le  temps.  Je  suis  en  dehors  des  conditions  de  l'activité,  je  ne  puis 
rien  pour  vous  que  vous  aimer;  mais  Dieu  Ă©coute  ces  priĂšres-lĂ   et 
elles  ne  sont  pas  sans  fruit. 


,0  GEORGE   SAND 

Adieu,  mon  frĂšre.  Quand  vous  souffrez,  pensez  Ă   moi  et  appelez 
mon  Ăąme  auprĂšs  de  la  vĂŽtre.  Elle  ira. 
Ma  famille  d'enfants  et  d'amis  vous  envoie  ses  vƓux  sincùres. 

George. 

Nohant,  24  décembre  1847, 
Mon  ami, 

Je  crois  que  je  vais  vous  faire  plaisir  en  vous  disant  qu'on  a  retrouvé, 
dans  un  coin  de  la  chambre  que  vous  avez  habitée  ici,  une  bague  qui 
doit  vous  appartenir  et  vous  ĂȘtre  chĂšre.  Si  j'en  juge  par  la  devise  : 
Ti  conforti  amor  makmo,  ce  doit  ĂȘtre  un  don  de  votre  mĂšre,  et  vous 
croyez  sans  doute  l'avoir  perdue.  Je  l'ai  serrée  précieusement,  et 
quand  vous  m'indiquerez  une  occasion  sûre,  je  vous  l'enverrai.  Faut-il, 
en  attendant,  la  faire  remettre  Ă   M.  Accursi? 

J'ai  reçu  votre  lettre  au  pape  (1),  elle  est  fort  belle.  Mais  votre  voix 
sera-t-elle  écoutée?  N'importe,  aprÚs  tout  !  D'autres  que  le  pape  liront 
cette  lettre  et  ranimeront  leur  zĂšle  et  leur  patriotisme  pour  entraĂźner 
ou  combattre  le  zÚle  ou  la  tiédeur  des  princes.  Les  bonnes  pensées 
sont  déjà  de  bonnes  actions,  et  vous  n'avez  que  de  ces  pensées-là. 

Je  suis  vivement  touchée  de  tout  ce  que  vous  me  dites  de  bon  et 
d'affectueux  de  la  part  de  vos  amis.  Kemerciez-les  pour  moi  de  leur 
affectueuse  hospitalité.  J'y  répondrais  avec  empressement  si  j'étais 
libre.  Mais  avant  de  l'ĂȘtre,  il  faut  que  je  passe  toute  une  annĂ©e  dans 
les  chaßnes.  J'ai  conclu  un  marché,  un  véritable  marché  pour  travailler 
un  an  entier  et  recevoir  une  somme  (2).  Je  jouissais  depuis  quelques 
années  d'une  sorte  d'indépendance  ;  mais,  l'ùge  d'établir  les  enfants 
Ă©tant  venu  (3),  et  moi  n'ayant  jamais  su  Ă©pargner  en  refusant  d'assister 
autant  de  gens  qu'il  m'était  possible,  je  me  suis  vue  dans  la  nécessité 
de  penser  sérieusement  au  prix  matériel  du  travail  de  l'art.  Comme, 
au  reste,  ce  travail  dont  je  vous  ai  parlé  me  plaßt,  et  était  depuis  long- 
temps un  besoin  moral  pour  moi  (4),  j'aurais  mauvaise  grĂące  Ă   me 

(1)  V.  plus  loin. 

(2)  Il  s'agissait  de  son  traité  avec  M.  de  Girardin,  directeur  de  la  Presse. 
Selon  ce  traité,  George  Sand  devait  livrer  le  manuscrit  de  ses  Mémoires  en 
l'espace  d'une  année,  et  M.  de  Girardin  devait  la  rembourser  dans  la  somme 
de  11  000  francs.  (Cf.  avec  ce  que  George  Sand  dit  Ă   Poney  dans  sa  lettre 
du  14  décembre  1847,  que  nous  avons  citée  dans  le  chapitre  vi  et  avec  une 
lettre  inédite  à  son  fils  du  10  avril  que  nous  citons  plus  loin.) 

(3)  Le  sort  de  ses  «  deux  filles  »,  Solange  et  Augustine  Brault,  ne  pouvait 
plus  inquiéter  Mme  Sand  en  1850,  l'une  étant  mariée  depuis  1847,  el  l'autre 
depuis  1848.  H  est  Ă©vident  que  ce  fut  Ă©crit  avant,  en  1847. 

(4)  Nous  montrerons  dans  l'un  des  chapitres  suivants  comment  les  Ă©preuves 
de  1847  provoquÚrent  chez  Mme  Sand  ce  «  besoin  moral  »  de  récapituler 


GEORGE   SAND  il 

plaindre,  tandis  que  des  millions  d'hommes  accomplissent  des  travaux 
rebutants  et  antipathiques  pour  une  rétribution  insuffisante  à  leurs 
premiers  besoins.  Je  regarde  mĂȘme  ce  que  je  fais,  au  point  de  vue  de 
l'argent,  comme  un  devoir  que  je  continue  Ă   remplir  pour  soulager 
des  gens  plus  pauvres  que  moi,  puisque  jusqu'Ă   ce  jour,  je  leur  ai  tout 
donné,  sans  penser  à  ma  propre  famille  ;  et,  pour  cela,  je  suis  blùmée 
par  les  esprits  positifs.  Je  vais  donc  réparer  mes  fautes,  qui  n'étaient 
pourtant  pas  grandes,  à  mon  sens,  puisque  j'avais  réussi  à  donner 
cent  cinquante  mille  francs  Ă   ma  fille.  Et  il  me  semblait  qu'avec  cela 
on  pouvait  vivre  (1). 

Tout  cela  n'est  rien,  mon  pauvre  ami  ;  c'est  pour  vous  dire  seule- 
ment que  je  ne  bougerai  pas  de  ma  campagne  que  je  n'aie  accompli  ma 
tĂąche  et  satisfait  Ă   toutes  les  exigences  justes  ou  injustes. 

Je  me  porte  bien  maintenant,  et,  si  je  suis  triste,  du  moins  je  suis 
calme.  J'ai  appris  Ă   ĂȘtre  gaie  Ă   la  surface  ;  ce  qui,  en  France,  est  comme 
une  question  de  savoir-vivre.  Quelle  Ă©trange  Ă©poque  que  celle  oĂč  tout 
est  sur  le  point  de  se  dissoudre  de  fond  en  comble,  et  oĂč  c'est  ĂȘtre 
blessant  et  cruel  de  s'en  apercevoir  (2)  ! 

Parlez-moi  de  temps  en  temps,  mon  ami.  Votre  voix  me  soutiendra, 
et  la  vibration  en  est  restĂ©e  dans  mon  cƓur  bien  pure  et  bien  conso- 
lante (3).  Vous,  vous  n'avez  pas  besoin  qu'on  vous  recommande  le 
courage  et  la  patience,  vous  en  avez  pour  nous  tous.  Vous  avez  besoin 
d'ĂȘtre  aimĂ©,  parce  que  c'est  un  besoin  des  Ăąmes  complĂštes,  et  comme 
un  instinct  de  justice  religieuse  qui  leur  fait  demander  aux  autres 
l'Ă©change  de  ce  qu'elles  donnent.  Comptez  que,  pour  ma  part,  je  suis 
portée  autant  par  la  sympathie  que  par  le  devoir  à  vous  aimer  comme 
un  frĂšre. 

A  vous, 

G.  S... 

George  Sand  traduisit  la  Lettre  de  Mazzini  au  Pape,  et  au  com- 
mencement de  janvier,  l'ayant  munie  de  commentaires  et  de 

toute  sa  vie,  d'analyser  le  passé.  C'est  ainsi  que  naquit  l'idée  de  VHistoire 
de  ma  vie. 

(1)  Il  est  encore  une  fois  Ă©vident  que  ces  lignes  sont  Ă©crites  en  1847,  lorsque 
la  dot  de  Solange  et  ses  prétentions  ridicules  à  «  ne  pouvoir  vivre  »  avec 
150  000  francs  furent  un  fait  de  fraĂźche  date,  ce  qui  serait  tout  autre  chose 
en  1850,  lorsqu'il  ne  restait  de  cette  dot  presque  rien  déjà  et  que  Solange 
elle-mĂȘme  Ă©tait  sur  le  point  de  se  sĂ©parer  de  son  mari. 

(2)  C'est  encore  lĂ   une  remarque  qui  se  rapporte  Ă   l'Ă©poque  d'Ă©bullition 
générale  précédant  la  catastrophe  de  1848. 

(3)  Encore  une  allusion  à  son  état  d'ùme  déprimé,  à  ce  grand  décourage- 
ment qui  l'envahit  en  1847,  à  la  suite  de  sa  rupture  récente  avec  Chopin  et 
Solange. 


12  GEORGE   SAND 

notes,  elle  l'expédia  à  Louis  Blanc,  en  le  priant  de  l'insérer  dans 
le  SiÚcle.  Toutefois,  le  rédacteur  de  ce  journal,  dont  la  couleur 
<  était,  selon  Louis  Blanc,  celle  de  M.  Odilon  Barrot  »,  refusa  d'in- 
sérer l'article  de  Mazzini,  tout  en  répondant  de  la  maniÚre  la 
plus  aimable,  «  qu'il  n'était  pas  de  journal  pour  lequel  un  peu  de 
prose  de  George  Sand  ne  fût  une  bonne  fortune  »,  mais  trouvant 
que  «  dans  le  moment  actuel  il  n'était  pas  utile  de  critiquer 
trop  vivement  la  conduite  du  pape  (1)  ». 

C'est  de  ces  pourparlers  Ă   propos  de  l'impression  de  la  Lettre 
au  Pape  que  George  Sand  parle  dans  sa  lettre  Ă   Mazzini  du  22  jan- 
vier 1848,  écrite  surtout  pour  le  remercier  de  son  désir  de  lui 
voir  garder,  en  souvenir  de  lui,  la  bague  qu'elle  avait  retrouvée. 

Nohant,  22  janvier  1848. 

Oui,  mon  ami,  je  la  reçois  avec  reconnaissance  et  avec  bonheur 
cette  chĂšre  bague  dont  je  n'ai  pas  besoin  pour  penser  Ă   vous  tous  les 
jours  de  ma  vie,  mais  qui  sera  pour  moi  une  relique  sacrée  dont  mon 
fils  héritera.  H  en  est  digne  ;  car  il  a  la  religion  des  souvenirs  comme 
vous. 

En  disant  que  j'ai  pensé  à  vous  tous  les  jours  de  ma  vie,  ce  ne  sera 
pas  une  formule  vaine.  Je  mentirais  si  je  disais  que  je  pense  tous  les 
jours  à  tous  mes  amis.  Mais  comme  les  chrétiens  ont  certains  bien- 
heureux de  préférence  auxquels  ils  s'adressent  chaque  soir  dans  leurs 
priÚres,  je  puis  dire  que  j'ai  certaines  affections  sérieuses  sur  cette  terre 
et  ailleurs,  dont  la  commémoration  se  fait  naturellement  dans  mon  ùme 
chaque  fois  qu'elle  s'Ă©lĂšve  vers  Dieu,  dans  la  douleur  et  dans  la  foi. 
Oui,  je  vois  bien  qu'il  faut  que  vous  alliez  en  Italie  (2),  tĂŽt  ou  tard. 
Je  sais  bien  que  vous  lui  devez  votre  vie  ou  votre  mort.  C'est  notre 

(1)  Expressions  d'une  lettre  inédite  de  Louis  Blanc  à  George  Sand. 

Nous  avons  retrouvé  dans  les  papiers  de  George  Sand  des  lettres  inédites 
et  iort  intéressantes  de  Louis  Blanc  se  rapportant  à  ses  démarches  pour 
placer  l'article  de  George  Sand.  Elles  sont  datées  des  5  et  22  janvier  1848. 
Louis  Blanc  joignit  Ă   cette  derniĂšre  lettre  celle  qu'Emmanuel  Arago  lui  avait 
adressĂ©e  Ă   la  mĂȘme  date,  et  la  lettre  de  M.  Chambolles,  rĂ©dacteur  du  SiĂšcle, 
datée  du  16  janvier. 

(2)  Ces  mots  encore  ne  pouvaient  ĂȘtre  Ă©crits  nullement  en  1851,  comme 
le  prétend  la  date  dans  la  Correspondance,  lorsque  Mazzini  était  déjà  revenu 
à  Londres  aprÚs  la  défaite  de  la  révolution  en  Italie,  mais  bien  alors  qu'il 
était  encore  à  Londres.  On  sait  que  Mazzini  avait  quitté  cette  ville  et  se  rendit 
tn  Italie  en  février  1848  pour  n'en  revenir  qu'en  1850. 


GEORGE   SAND  i3 

lot  Ă   tous  de  vivre  ou  de  mourir  pour  nos  principes.  Pour  vous,  l'Ă©ven- 
tualité est  plus  prochaine  en  apparence  que  pour  nous.  Ce  n'est  pas 
moi  qui  vous  dirai  de  craindre  la  souffrance,  de  reculer  devant  les 
périls  et  d'éviter  la  mort.  Je  vous  le  dirais  d'ailleurs  sans  vous  ébranler. 
La  douleur  et  l'effroi  qui  me  serrent  le  cƓur  Ă   cette  idĂ©e,  je  ne  dois 
mĂȘme  pas  vous  en  parler  ;  mais  vous  seriez  mon  propre  fils,  que  je 
ne  vous  détournerais  pas  de  votre  devoir.  Que  nos  amis  soient  parmi 
nous  ou  dans  une  meilleure  vie,  nous  les  sentons  toujours  en  nous 
et  nous  les  aimons  de  mĂȘme  ;  nous  nous  sommes  dit  cela  l'un  Ă   l'autre 
et  nous  le  pensons  bien  profondément.  Pourtant  cette  idée  de  sépa- 
ration ici-bas  rĂ©pugne  Ă   la  nature,  et  le  cƓur  saigne  malgrĂ©  lui.  Que 
Dieu  nous  donne  la  force  de  croire  assez  pour  que  cette  douleur  ne 
soit  pas  le  désespoir!...  Mais  enfin,  fût-elle  le  désespoir,  acceptons 
tout.  L'Ăąme  a  des  agonies  et  doit  subir  ses  tortures,  comme  le  corps. 

H  faut  que  je  vous  dise  maintenant  que,  depuis  trois  semaines, 
je  suis  fort  tourmentée  et  indignée  à  cause  de  vous.  Imaginez-vous 
que  j'ai  traduit  en  français  votre  lettre  au  pape,  et  que  je  l'ai  accom- 
pagnĂ©e de  rĂ©flexions  qui,  loin  d'ĂȘtre  violentes  et  subversives,  sont, 
au  contraire,  chrétiennes  et  vraies.  J'ai  envoyé  tout  cela  à  Paris, 
pour  que  mes  amis  le  fissent  publier  dans  un  journal.  Je  croyais  que 
la  Réforme,  qui  est  dans  nos  idées  plus  que  les  autres,  l'aurait  accepté 
sans  objection  ;  mais  la  RĂ©forme  n'a  qu'un  petit  nombre  de  lecteurs, 
et  je  tenais  à  ce  que  votre  lettre  eût  un  répertoire  de  retentissement 
en  France,  surtout  dans  un  moment  oĂč  notre  AssemblĂ©e  vient  de  dis- 
cuter si  pauvrement  la  question  italienne  (1),  et  oĂč  le  jĂ©suite  Monta- 
lembert  et  autres  cerveaux  despotiques  et  Ă©troits  vous  ont  personnelle- 
ment lancé  leur  anathÚme  méprisable  (2). 

Je  tenais  beaucoup  à  montrer  que  ces  beaux  chrétiens  étaient  des 
hérétiques  et  vous  un  chrétien  beaucoup  plus  sincÚre  et  plus  ortho- 
doxe. Eh  bien,  le  SiÚcle  a  gardé  mon  manuscrit  quinze  jours  et  a  fini 

(1)  Lors  de  la  discussion  de  l'adresse  au  roi  en  janvier  1848,  la  Chambre 
des  députés  a  voté  pour  approuver  la  conduite  du  cabinet  par  rapport  aux 
affaires  d'Italie  et  de  Suisse,  conduite  trÚs  désapprouvée  par  l'opinion 
publique. 

(2)  Allusion  au  célÚbre  discours  prononcé  par  Montalembert  le  15  janvier 
1848  à  la  Chambre  des  pairs.  Il  est  trÚs  intéressant  de  confronter  ces  lignes 
et  celles  de  la  lettre  précédente  sur  la  «  décomposition  générale  »  avec  celles  que 
TourguĂ©niew  adressait  presque  Ă   la  mĂȘme  date,  le  17  janvier  1848,  Ă   Mme  Viar- 
dot  :  «  Paris  a  été  mis  en  émoi  pendant  quelques  jours  par  le  discours  fana- 
tique et  contre-révolutiannaire  de  M.  de  Montalembert;  la  vieille  pairie  a 
applaudi  avec  rage  aux  invectives  que  l'orateur  adressait  Ă   la  Convention. 
Encore  un  symptĂŽme  —  et  des  plus  graves  —  de  l'Ă©tat  des  esprits.  Le  monde 
est  en  travail  d'enfantement...  Il  y  a  beaucoup  de  gens  intéressés  à  le  faire 
avorter.  Nous  verrons...  »  (V.  la  Revue  hebdomadaire  du  1er  octobre  1898, 
n°  44,  p.  37-39.) 


i4  GEORGE   SAND 

t 

par  le  rendre  en  disant  qu'il  manquait  de  place  pour  le  publier  ;  ce 
qui  n'est  qu'un  prétexte  pour  éviter  de  se  compromettre  dans  l'esprit 
des  bourgeois  voltairiens.  On  a  porté  votre  lettre  et  mes  réflexions  au 
Constitutionnel,  qui  a  promis  de  les  insérer,  mais  qui  les  tient  depuis 
plusieurs  jours  sans  en  rien  faire.  De  sorte  que  j'ignore  si,  comme  le 
SiĂšcle,  il  ne  se  ravisera  pas.  J'ai  Ă©crit  hier  pour  leur  dire  que,  s'ils  Ă©taient 
effrayés  de  mes  idées,  je  les  autoriserais  à  les  supprimer  entiÚrement, 
pourvu  quĂŻls  publiassent  ma  traduction  de  votre  lettre.  Nous  verrons 
s'ils  amont  un  peu  de  cƓur  et  de  courage  ;  mais  je  suis  honteuse  pour 
la  presse  française  non  seulement  que  vous  n'y  ayez  pas  un  défenseur 
spontané,  mais  encore  qu'on  ait  tant  de  peine  à  laisser  entendre  une 
voix  qui  s'Ă©lĂšve  dans  le  dĂ©sert  pour  dire  que  vous  n'ĂȘtes  ni'un  jacobin 
ni  un  impie.  Au  reste,  notre  ami  Borie,  que  vous  avez  vu  chez  moi,  a 
pris  plusieurs  fragments  de  cette  traduction  et  a  fait  de  son  cÎté  un 
bon  article  qu'il  a  envoyĂ©  au  Journal  du  Loiret,  en  mĂȘme  temps  que 
j'envoyais  le  mien  avec  la  traduction  complÚte  à  Paris.  Il  a  mieux  réussi 
que  moi.  Cet  article  a  été  publié,  il  y  a  quelques  jours  (1),  et  j'attends, 
pour  vous  l'envoyer,  que  j'y  puisse  joindre  le  mien. 

J'ai  vu  aujourd'hui  Leroux,  Ă   qui  j'ai  remis  un  exemplaire  de  votre 
texte  italien,  et  qui  va  s'en  occuper  sérieusement  dans  la  Revue  so- 
ciale (2).  H  ne  sera  pas  autant  que  moi  de  votre  avis.  H  rendra  justice 
à  la  pureté  et  à  l'élévation  de  vos  idées  et  de  vos  sentiments  ;  mais  il 
est  possédé  aujourd'hui  d'une  rage  de  pacification,  d'une  horreur  pour 
la  guerre,  qui  va  jusqu'Ă   l'excĂšs  et  que  je  ne  saurais  partager. 

Blùmer  la  guerre  dans  la  théorie  de  l'idéal,  c'est  tout  simple  ;  mais 
il  oublie  que  l'idĂ©al  est  une  conquĂȘte  et  qu'au  point  oĂč  en  est  l'huma- 
nitĂ©, toute  conquĂȘte  demande  notre  sang  (3). 

Il  vous  envoie  probablement  ses  travaux  quotidiens.  Le  voilĂ   qui 


(1)  L'article  de  Borie  sur  la  Lettre  au  Pape  parut  le  samedi  15  janvier 
1848,  dans  le  Supplément  du  Journal  du  Loiret.  Comme  nous  le  savons  déjà, 
Victor  Borie  avait  été  l'hÎte  de  Nohant  de  l'automne  de  1846  à  février 
1848.  B  passa  1848  à  Paris  et  à  Orléans.  En  1849,  pour  un  article  paru  dans 
ce  mĂȘme  Journal  du  Loiret,  il  fut  condamnĂ©  Ă   la  prison,  se  sauva  Ă  
l'étranger  et  vécut  en  Belgique  et  à  Londres.  Dans  la  lettre  du  25  dé- 
cembre 1850,  imprimĂ©e  dans  ce  mĂȘme  tome  III  de  la  Correspondance, 
George  Sand  écrit  à  Poney  :  «  Borie  est  en  Angleterre.  Mais  nous  n'avons 
pas  de  ses  nouvelles  depuis  assez  longtemps...  »  Et  deux  pages  plus  loin  on 
a  pourtant  imprimĂ©  cette  lettre  prĂ©tendue  du  22  janvier  1861  oĂč  se 
trouvent  les  mots  auxquels  nous  ajoutons  cette  note. 

(2)  La  Revue  sociale  cessa  de  paraĂźtre  dĂšs  1848.  En  1861  elle  n'existait 
plus. 

(3)  Depuis  les  sanglantes  journées  de  Juin,  George  Sand  n'avait  plus 
jamais  pensĂ©  ni  Ă©crit  rien  de  pareil  Ce  fut  Ă©crit  Ă   un  moment  oĂč  les  flots  de 
sang  versés  pour  la  liberté  ne  se  voyaient  encore  qu'en  imagination  et  parais- 
saient alors  quelque  chose  de  «  beau  »,  hélas  ! 


GEORGE   SAND  15 

croit  tenir  la  science  religieuse,  politique  et  sociale,  et  qui  s'annonce 
avec  beaucoup  d'audace  coinnie  possédant  un  dogme,  une  organisation, 
un  principe  de  subsistance;  c'est  beaucoup  dire  !  Cette  admirable  cer- 
velle a  touché,  je  le  crains,  la  limite  que  l'humanité  peut  atteindre. 
Entre  le  génie  et  V aberration,  il  n'y  a  souvent  que  Vépaisseur  d'un  che- 
veu (1).  Pour  moi,  aprÚs  un  examen  bien  sérieux,  bien  consciencieux, 
avec  un  grand  respect,  une  grande  admiration,  et  une  sympathie 
presque  complÚte  pour  tous  ses  travaux,  j'avoue  que  je  suis  forcée  de 
m'arrĂȘter,  et  que  je  ne  puis  le  suivre  dans  l'exposĂ©  de  son  systĂšme. 
Je  ne  crois  pas  d'ailleurs  aux  systĂšmes  d'application  a  priori.  Il  faut 
le  concours  de  l'humanité  et  l'inspiration  de  l'action  générale  (2). 

Enfin,  Usez  et  dites-moi  si  j'ai  tort  et  si  vous  me  croyez  dans  le  vrai. 
Je  tiens  beaucoup  Ă   votre  jugement.  J'en  ai  mĂȘme  besoin  pour  sonder 
encore  le  mien  propre.  Je  vous  demande  donc  de  donner  deux  ou  trois 
heures  Ă   cette  lecture  et  d'en  consacrer  encore  une  ou  deux  s'il  le  faut 
à  résumer  pour  moi  votre  opinion.  Ne  craignez  pas  de  me  faire  payer 
un  gros  port  de  lettre.  Je  n'ai  pas  encore  discuté  avec  Leroux,  j'étais 
tout  occupée  de  l'écouter  et  de  le  faire  expliquer.  Et  puis  il  était  au- 
jourd'hui dans  une  sorte  d'ivresse  métaphysique,  et  il  n'eût  rien 
entendu. 

Adieu,  mon  ami  ;  permettez-moi  d'affranchir  ce  paquet,  que  je  vais 
grossir  de  ma  réponse  à  miss  Hays.  Je  ne  me  souciais  pas  de  répondre, 
je  l'avoue.  Une  personne  qui  avait  débuté  par  des  altérations  ne  me 
paraissait  pas  trÚs  bien  venue  à  me  demander  une  consécration  de  la 
fidélité  de  sa  traduction.  Et  puis,  il  me  semblait  que  mistress  Ashurst, 
votre  amie,  ayant  traduit  aussi  quelque  chose,  je  ne  devais  pas  créer 
Ă   une  autre  un  monopole.  Je  conclus  de  votre  lettre  que  mistress 
Ashurst  a  renoncé  à  ce  travail  et  je  fais  ce  que  vous  me  dites.  Mais 
je  vous  envoie  une  lettre  à  miss  Hays,  pour  que,  réflexion  faite, 
vous  en  agissiez  comme  vous  trouverez  bon. 

Adieu  encore,  mon  ami  et  mon  frĂšre.  BĂ©nissez-moi,  j'en  vaudrai 
mieux. 

George. 

L'affaire  de  la  Lettre  au  Pape  traĂźna  donc  en  longueur,  et 
c'est  aprÚs  de  nombreuses  délibérations  et  démarches  que,  grùce 


(1)  C'est  nous  qui  soulignons  cette  pensée  que  George  Sand  émit  ainsi 
bien  avant  Lombroso  et  presque  simultanément  avec  Herzen  (dans  ses 
MĂ©moires  du  docteur  Krowpow),  VoilĂ   le  cas  de  dire  :  les  grands  esprits  se 
rencontrent  I 

(2)  Encore  quelque  chose  que  George  Sand  n'a  pu  Ă©crire  qu'Ă   un 
moment  oĂč  la  foi  Ă   «  l'action  gĂ©nĂ©rale  »  vivait  encore  en  son  Ăąme  avant  que 
l'épreuve  néfaste  ne  la  détruisßt. 


i6  GEORGE   SAN  D 

à  l'aide  d'Emmanuel  Arago,  elle  fut  enfin  acceptée  par  Véron 
et  insérée  dans  le  Constitutionnel,  à  la  date  du  7  février  1848. 

George  Sand  s'empressa  de  l'annoncer  Ă   Mazzini.  La  lettre 
est  inédite. 

FĂ©vrier  1848. 

Enfin,  mon  ami,  j'ai  la  satisfaction  d'avoir  pu  publier  votre  lettre 
en  France,  et  je  prie  M.  Accursi  de  vous  envoyer  le  journal  et  l'article 
de  mon  ami  Borie,  paru  longtemps  avant  le  mien  :  j'ai  déjà  reçu, 
avant  mĂȘme  que  votre  lettre  soit  publiĂ©e  par  le  Constitutionnel,  des 
remerciements  de  plusieurs  personnes  de  Paris,  pour  leur  avoir  fait 
lire  ce  noble  écrit  qui  a  toutes  leurs  sympathies  et  toute  leur  adhésion. 

C'est  moi  qui  ai  à  vous  remercier  pour  cette  belle  préface  que  vous 
avez  faite  aux  Lettres  d'un  voyageur.  Votre  cƓur  vous  inspire  et,  je 
vous  le  répÚte,  ennuyée  comme  je  le  suis  des  éloges  autant  que  des 
critiques  des  faiseurs  de  jugements,  je  n'ai  de  plaisir  et  d'encouragement 
vrai  que  quand  c'est  vous  qui  me  jugez  et  me  consolez. 

Que  dites-vous  des  événements  de  Naples  et  de  Sicile?  C'est  un  grand 
pas  de  fait,  peut-ĂȘtre,  mais  c'est  le  rĂ©gime  constitutionnel  Ă   la  place 
du  despotique,  et  en  France,  nous  avons  l'expérience  du  juste  milieu. 
Nous  savons  que  les  hommes  s'y  corrompent  davantage,  et  qu'il  vaut 
mieux  souffrir  en  commun  que  d'ĂȘtre  Ă   l'aise  chacun  chez  soi  (1).  Si 
le  peuple  fatigué  d'un  grand  effort  se  repose  comme  nous  pendant 
vingt  ans,  nos  idées  seront  bien  loin  !  Et  puis  les  Débats  donnent  la 
main  à  cette  révolution,  ce  n'est  pas  bon  signe. 

Adieu,  cher  et  noble  ami.  A  vous  de  toute  mon  Ăąme. 

George. 

George  Sand  passa  donc  les  mois  de  décembre  1847  et  de  jan- 
vier 1848  Ă   Nohant,  travaillant  Ă   Y  Histoire  de  ma  vie,  Ă   l'Ă©di- 
tion de  Rabelais  «  expurgée  de  ses  obscénités  »,  et  enfin  à  cette 
traduction  de  la  Lettre  au  Pape. 


(1)  Intéressant  à  confronter  avec  ce  que  nous  avons  dit  dans  le  vol.  III 
Ă   propos  de  Piccinino  et  avec  les  citations  de  ce  roman  que  nous  y  donnons. 
A  confronter  aussi  avec  le  passage  soi-disant  de  la  lettre  du  18  février  à 
Maurice  Sand.  imprimée  à  la  page  3  du  tome  III  de  la  Correspondance,  et 
qui  est,  en  réalité,  du  7  février  1848  :  «  Au  reste,  l'Italie  est  sens  dessus  dessous... 
Seulement,  tout  ce  qu'ils  y  gagneront,  c'est  de  passer  du  gouvernement  des- 
potique au  gouvernement  constitutionnel,  de  la  brutalité  à  la  corruption  »,  etc. 


GEORGE   SAND  \7 

Elle  était  en  outre  préoccupée  et  fort  inquiÚte  de  ses  affaires 
pécuniaires. 

H  lui  fallait  venir  à  bout  des  difficultés  que  lui  avaient  créés 
Solange  et  son  mari,  se  mettre  en  mesure  de  satisfaire  leurs 
créanciers,  sauver  de  la  vente  l'hÎtel  de  Narbonne  ;  puis,  pour- 
voir au  cautionnement  de  Bertholdi  et  pour  cela  endosser  de 
nouvelles  dettes  et  une  nouvelle  responsabilité  vis-à-vis  des 
amis  qui  trouvĂšrent  de  l'argent  pour  elle  (1),  escompter  des  lettres 
de  change,  en  payer  d'autres,  et  tout  cela  au  milieu  de  la  crise 
financiÚre  générale.  Et  pour  comble  d'ennuis,  la  Société  des 
Gens  de  lettres  intenta  et  gagna  contre  George  Sand  un  procĂšs 
Ă   propos  de  l'Ă©dition  de  la  Mare  au  Diable.  C'est  Chaix  d'Est- 
Ange  qui  plaida  pour  Mme  Sand,  dans  la  seconde  moitié  de  ce 
procĂšs  qui  dura  plus  de  deux  ans,  jusqu'au  20  juillet  1849  et  ne 
donna  à  George  Sand  que  des  ennuis.  Ce  procÚs  lui  coûta  beau- 
coup d'argent,  et  il  y  eut  mĂȘme  un  moment  oĂč  elle  fut  menacĂ©e 
de  la  vente  de  tout  son  mobilier  de  Paris  et  de  Nohant.  C'est 
pour  cela  qu'une  grande  partie  de  ses  lettres  inédites  de  1848 
sont,  à  cÎté  des  questions  politiques,  remplies  de  questions 
financiĂšres. 

Ce  sont  encore  ces  questions  qui  la  préoccupaient  surtout 
dans  les  deux  premiÚres  décades  de  février,  lorsqu'elle  s'ennuyait 
seule  Ă   Nohant,  tandis  que  Maurice  prolongeait,  plus  qu'elle 
n'avait  compté,  son  séjour  à  Paris  au  milieu  des  réjouissances 
du  carnaval.  Et  dans  ses  lettres  George  Sand  lui  parle  sur- 
tout de  son  procÚs  avec  la  Société  et  d'autres  questions  non 
moins  fastidieuses  ;  elle  ne  fait  allusion  aux  événements  déjà 
trÚs  avancés,  et  aux  hommes  politiques  que  trÚs  légÚrement,  ce 
qui  prouve  qu'elle  ne  se  rendait  nul  compte  de  la  gravité  de 
l'heure. 

Et  là-dessus  éclatÚrent  les  journées  de  Février. 

Dans  l'une  des  pages  non  brûlées  de  son  Journal  de  1848  (2)  (en 


(1)  Charles  Duvernet,  sa  femme  et  Gabriel  Planet  lui  Ă©taient  venus  en 
aide  en  cette  affaire. 

(2)  Nous  devons  à  l'amitié  de  notre  inoubliable  amie,  Mme  Lina  Sand, 
d'avoir  pu  copier  sur  l'autographe  le  Journal  de  1848  et  le  Journal  du  coup 


i8  GEORGE   SAND 

prévision  d'une  descente  domiciliaire,  George  Sand  le  brûla  en 
grande  partie,  aprĂšs  le  15  mai,  avec  un  tas  d'autres  papiers  et 
lettres),  nous  lisons  les  lignes  que  voici  sur  l'engouement  uni- 
versel pour  les  questions  politiques  et  sociales,  observé  à  Paris 
en  avril  1848  : 

Partout  on  parle  et  on  s'occupe  des  affaires  publiques  toute  la  jour- 
née. Nous  nous  plaignions  de  l'indifférence  générale  il  y  a  trois  mois, 
c'est  un  grand  pas  de  fait.  Les  ouvriers  nous  répondaient  alors  :  «  La 
politique  n'est  pas  faite  pour  nous.  Que  nous  importe  un  changement 
de  ministĂšre,  cela  nous  donnera-t-il  du  travail?  Toutes  vos  discus- 
sions ne  nous  regardent  pas  (1)  !...  » 

Ces  paroles,  George  Sand  aurait  pu  les  Ă©crire  en  son  nom, 
parce  que,  autant  elle  rĂȘvait,  Ă   l'instar  de  tous  ses  coreligion- 
naires poétiques,  à  l'avÚnement  de  la  souveraineté  du  peuple, 
autant  la  date  de  cet  avÚnement  lui  restait  vaguement  voilée. 
Les  journées  de  Février  furent  une  surprise  absolue  pour  elle  (2). 
Le  sens  du  mouvement  populaire  et  des  agitations  qui  suivirent 
de  prÚs  la  prohibition  du  célÚbre  banquet  du  XIIe  arrondisse- 
ment parisien,  n'Ă©tait  pas  plus  clair  pour  elle  que  pour  les  tra- 
vailleurs dont  elle  parle  dans  les  lignes  précitées.  Dans  sa 
lettre  à  son  fils,  du  18  février,  qui  commence  par  la  demande  de 
lui  envoyer  tout  de  suite  les  Ă©tats  de  service  de  son  pĂšre, 
le  colonel  Dupin,  dont  elle  avait  besoin  pour  son  Histoire,  et 
qui  raconte  plus  loin  et  avec  maints  détails  une  histoire  plus 
intime  d'un  vol  arrivé  à  Nohant  (3),  George  Sand  parle  ainsi 
des  événements  parisiens  (ces  mots  viennent  immédiatement 
aprÚs  le  passage  omis  dans  la  Correspondance  :  «  Voilà  le  résumé 
de  ce  procÚs  à  huis-clos  et  le  tribunal  secret  a  prononcé  qu'il 


d'État  de  1851.  Dans  le  volume  des  Souvenirs  et  IdĂ©es  paru  en  1904,  l'un  et 
l'autre  sont  imprimés  avec  des  lacunes,  des  changements  et  des  mots  tron- 
qués. 

(1)  Souvenirs  et  Idées,  p.  17. 

(2)  M.  Monin  dit,  à  ce  propos  en  toute  justesse,  que  «  George  Sand  prédisait 
plus  qu'elle  ne  prévoyait  »,  comme  du  reste  cela  arriva  à  la  plupart  des 
politiques  de  profession,  en  1848,  conservateurs  et  radicaux. 

(3)  Nous  avons  déjà  dit  en  note,  à  la  page  589  du  vol.  III,  comment  les 
sept  lettres  de  février  1848  étaient  «  arrangées  »  dans  le  tome  III  de  la  Cor- 
respondance. 


GEORGE   SAND  19 

ne  fallait  pas  déshonorer  la  coupable,  vu  qu'elle  est  assez  punie 
en  perdant  sa  place  »)  : 

Borie  est  sens  dessus  dessous  à  l'idée  qu'on  va  faire  une  révolution 
dans  Paris.  Mais  il  n'y  voit  pas  de  prétexte  raisonnable  dans  l'affaire 
des  Banquets.  C'est  une  intrigue  entre  ministres  qui  tombent  et  mi- 
nistres qui  veulent  monter.  Si  l'on  fait  du  bruit  autour  de  leur  table, 
il  n'en  résultera  que  des  horions,  des  assassinats  commis  par  les  mou- 
chards sur  des  badauds  inoffensifs  et  je  ne  crois  pas  que  le  peuple  prenne 
parti  pour  la  querelle  de  M.  Thiers  contre  M.  Guizot.  Thiers  vaut  mieux, 
à  coup  sûr,  mais  il  ne  donnera  pas  plus  de  pain  aux  pauvres  que  les 
autres.  Ainsi,  je  t'engage  Ă   ne  pas  aller  flĂąner  par  lĂ ,  car  on  peut  y 
ĂȘtre  Ă©charpĂ©  sans  profit  pour  la  bonne  cause.  S'il  fallait  que  tu  te 
sacrifies  pour  la  Patrie,  je  ne  t'arrĂȘterais  pas,  tu  le  sais.  Mais  se  faire 
assommer  pour  Odilon  Barrot  et  compagnie,  ce  serait  trop  bĂȘte. 
Écris-moi  ce  que  tu  auras  vu  de  loin,  et  ne  te  fourre  pas  dans  la  bagarre 
si  bagarre  il  y  a,  ce  que  je  ne  crois  pourtant  pas  (1). 

Donc,  au  premier  moment,  Mme  Sand  fut  surtout  inquiĂšte 
pour  son  fils,  effrayée  à  l'idée  de  le  voir  «  fourré  dans  quelque 
bagarre  ».  C'est  pour  cela  qu'elle  lui  écrivit  de  revenir  au  plus 
vite  Ă   Nohant. 

Mais,  ne  le  voyant  pas  revenir,  elle  alla  elle-mĂȘme  le  chercher 
Ă   Paris. 

Alors  ce  que  George  Sand  vit,  ou  plutĂŽt  ce  qu'elle  crut  voir 
Ă   Paris,  la  transporta  d'un  tel  enthousiasme,  qu'elle  se  crut 
obligée  de  rester  dans  la  fournaise  et  de  vouer  toutes  ses  forces 
au  triomphe  définitif  de  la  République. 

Elle  imagina  que  l'heure  de  la  liberté  était  arrivée,  que  le 
peuple  Ă©tait  prĂȘt,  que  tout  le  peuple  s'Ă©tait  levĂ©  en  toute  cons- 
cience, qu'il  comprenait  ses  droits  politiques,  ses  devoirs  sociaux 
et  deviendrait  maßtre  de  ses  destinées  ;  que  la  révolution  ac- 
complie serait  la  base  inébranlable  sur  laquelle  s'élÚverait  rapi- 


(1)  Les  lignes  qui,  dans  la  Correspondance,  suivent  celles-ci,  se  rapportant 
à  Bakounine  et  aux  événements  d'Italie,  appartiennent  à  la  lettre  inédite 
du  7  février.  Nous  les  donnerons  plus  loin  lorsque  nous  parlerons  des  rela- 
tions entre  George  Sand  et  le  célÚbre  anarchiste.  Dans  la  lettre  autographe 
du  18  février  nous  lisons,  immédiatement  aprÚs  les  mots  «  pourtant  pas  », 
l'annonce  d'une  lettre  reçue  de  Mme  Marliani  et  quelques  mots  sur  sa  curio- 
sitĂ© excessive.  Nous  les  avons  citĂ©s  dans  le  chapitre  vi  du  volume  IIIÉ 


20  GEORGE   SAND 

dément  l'édifice  grandiose  des  droits  et  des  libertés  du  peuple, 
et,  qu'aprĂšs  cela,  le  renouveau  social  marcherait  aussi  d'un 
pas  franc  et  alerte.  Telles  furent  les  premiĂšres  impressions  de 
George  Sand.  Durant  les  premiers  jours  de  la  révolution  ses 
lettres  sont  remplies  d'exclamations,  d'espérances  et  de  des- 
criptions enthousiastes.  Ses  articles  datant  de  cette  lune  de 
miel  de  la  RĂ©publique  sont  Ă©galement  pleins  de  foi  coura- 
geuse, mĂȘme  de  tĂ©mĂ©raire  confiance  :  tout  Ă©tait  fait,  Ă   de  petites 
exceptions  prÚs,  tout  le  peuple  était  pour  les  meneurs  de  la  révo- 
lution. H  est  fort  aisé  aux  personnes  se  trouvant  au  milieu  des 
délibérations  des  leaders  de  partis,  de  tomber  dans  cette  erreur. 

A  ce  moment,  le  présent  et  l'avenir  apparaissent  à  George 
Sand  sous  les  couleurs  les  plus  roses  ;  elle  en  parle  en  des 
termes  d'ode  triomphale,  sous  l'impression  de  la  proclamation 
de  la  République  qui  eut  lieu  le  27  février. 

Voici  ce  qu'elle  écrit  à  Aille  Augustine  Brault,  laissée  à  la 
Chùtre  sous  la  garde  de  Mme  Eugénie  Duvernet  : 

...  J'ai  vu  tout  le  monde.  Louis  Blanc,  en  son  palais  du  Luxembourg, 
me  demandait  ce  soir  de  tes  nouvelles  ;  il  persiste  Ă   t' appeler  Mlle  Graf- 
femĂŻed.  J'ai  vu  passer  le  cortĂšge  ce  matin  de  la  fenĂȘtre  de  Guizot, 
tout  en  causant  avec  Lamartine.  H  Ă©tait  beau,  simple  et  touchant 
(le  cortÚge),  quatre  cent  mille  personnes  pressées  depuis  la  Madeleine 
jusqu'Ă   la  colonne  de  Juillet;  pas  un  gendarme,  pas  un  sergent  de 
ville,  et  cependant  tant  d'ordre,  de  décence,  de  recueillement  et  de 
politesse  mutuelle  qu'il  n'y  a  pas  eu  un  pied  foulé,  pas  un  chapeau 
cabossé.  C'était  admirable.  Le  peuple  de  Paris  est  le  premier  peuple 
du  monde! 

Elle  Ă©crit  Ă   la  mĂȘme  le  5  mars  (1)  : 

...  J'ai  vu  Mazzini,  Combes,  mes  connaissances  de  GenĂšve.  Toute 
la  terre  est  Ă   Paris,  et  pendant  ce  temps-lĂ ,  il  y  a  des  belles  dames 
qui  s'enfuient  sous  des  déguisements  et  qui  se  croient  aux  jours  de 
la  Terreur,  lorsque  personne  ne  pense  Ă   elles... 

...  J'aurais  bien  des  choses  Ă   te  raconter.  Tout  va  ici  aussi  bien  que 
possible.  Le  gouvernement  est  bon  et  honnĂȘte,  le  peuple  excellent. 
La  bourgeoisie  a  peur  et  fait  semblant  d'ĂȘtre  enchantĂ©e.  L'Europe 

(1)  Nous  avons  cité  une  partie  de  cette  lettre  dans  le  chapitre  vi.  Elle 
est  également  inédite. 


GEORGE   SAND  ai 

n'a  point  envie  de  nous  attaquer,  et  de  ce  cÎté-là,  nous  sommes  bien 
forts.  Je  vois  tous  les  jours  nos  gouvernants.  Us  ont  bien  de  V embarras, 
comme  on  dit  chez  nous  ;  mais  la  plupart  ont  envie  de  bien  faire... 

Vive  la  RĂ©publique  !  —  Ă©crit-elle  Ă   Poney,  le  9  mars.  —  Quel  rĂȘve, 
quel  enthousiasme  et  en  mĂȘme  temps  quelle  tenue,  quel  ordre  Ă   Paris  ! 

J'en  arrive,  j'y  ai  couru,  j'ai  vu  s'ouvrir  des  derniĂšres  barricades 
bous  mes  pieds.  J'ai  vu  le  peuple  grand,  sublime,  naïf,  généreux,  le 
peuple  français  rĂ©uni  au  cƓur  de  la  France,  au  cƓur  du  monde  ;  le 
plus  admirable  peuple  de  l'univers  !  J'ai  passé  bien  des  nuits  sans  dor- 
mir, bien  des  jours  sans  m' asseoir.  On  est  fou,  on  est  ivre,  on  est  heu- 
reux de  s'ĂȘtre  endormi  dans  la  fange  et  de  se  rĂ©veiller  dans  les  cieux. 
Que  tout  ce  qui  vous  entoure  ait  courage  et  confiance  ! 

La  République  est  conquise,  elle  est  assurée  ;  nous  y  périrons  tous 
plutÎt  que  de  la  lùcher.  Le  gouvernement  est  composé  d'hommes 
excellents  pour  la  plupart,  tous  un  peu  incomplets  et  insuffisants  Ă  
une  tĂąche  qui  demanderait  le  gĂ©nie  de  NapolĂ©on  ou  le  cƓur  de  JĂ©sus. 
Mais  la  réunion  de  tous  ces  hommes  qui  ont  de  l'ùme  ou  du  talent, 
ou  de  la  volonté,  suffit  à  la  situation.  Us  veulent  le  bien,  ils  le  cherchent, 
ils  l'essayent.  Es  sont  dominés  sincÚrement  par  un  principe  supérieur 
à  la  capacité  individuelle  de  chacun,  la  volonté  de  tous,  le  droit  du 
peuple.  Le  peuple  de  Paris  est  si  bon,  si  indulgent,  si  confiant  dans  sa 
cause  et  si  fort,  qu'il  aide  lui-mĂȘme  son  gouvernement. 

La  durée  d'une  telle  disposition  serait  l'idéal  sociaL  II  faut  l'en- 
courager. 

...  Tous  mes  maux  physiques,  toutes  mes  douleurs  personnelles 
sont  oubliés.  Je  vis,  je  suis  forte,  je  suis  active,  je  n'ai  plus  que  vingt 
ans. 

...  Allons,  j'espĂšre  que  nous  nous  retrouverons  tous  Ă   Paris,  pleins 
de  vie  et  d'action,  prĂȘts  Ă   mourir  sur  les  barricades  si  la  RĂ©publique 
succombe.  Mais  non  !  la  RĂ©publique  vivra  ;  son  temps  est  venu.  C'est 
à  vous,  hommes  du  peuple,  à  la  défendre  jusqu'au  dernier  soupir  (1). 

Trois  jours  plus  tĂŽt,  le  6  mars,  elle  Ă©crit  Ă   son  vieil  ami  Girerd 
qui  venait  d'ĂȘtre  nommĂ©,  grĂące  Ă   elle  (quoiqu'elle  le  nie),  com- 
missaire du  gouvernement  provisoire,  et  le  ton  de  sa  lettre 
dĂ©note  le  mĂȘme  optimisme  dĂ©bordant  : 

...  Tout  va  bien.  Les  chagrins  personnels  disparaissent  quand  la  vie 
publique  nous  appelle  et  nous  absorbe.  La  RĂ©publique  est  la  meilleure 

(1)  Correspondance,  t.  III,  p.  9-12. 


aa  GEORGE   SAND 

des  familles,  le  peuple  est  le  meilleur  des  amis.  H  ne  faut  pas  songer 
Ă   autre  chose. 

...  Le  peuple  a  prouvé  qu'il  était  plus  beau,  plus  grand,  plus  pur 
que  tous  les  riches  et  les  savants  de  ce  monde  (1). 

Le  mĂȘme  ton  enthousiaste  rĂšgne  dans  ses  premiers  articles  de 
1848. 

La  révolution  est  accomplie  :  la  République  est  conquise...  (c'est 
ainsi  que  commence  sa  Lettre  Ă   la  classe  moyenne).  La  RĂ©publique 
est  la  plus  belle  et  la  meilleure  forme  des  sociétés  modernes... 

Les  républiques  du  passé  ont  été  des  ébauches  incomplÚtes.  Elles 
ont  péri  parce  qu'elles  avaient  des  esclaves. 

La  RĂ©publique  que  nous  inaugurons  n'aura  que  des  hommes  libres, 
égaux  en  droits...  Avec  le  régime  que  nous  venons  de  détruire  par 
l'aide  de  Dieu  et  la  volonté  de  la  Providence,  le  riche  était  aussi 
malheureux  que  le  pauvre.  Ces  deux  classes  se  sentaient  dangereuses, 
hostiles  l'une  Ă   l'autrt.  Le  pauvre  craignait  la  trahison  et  la  tyrannie 
du  riche  ;  le  riche  craignait  la  colĂšre  et  la  vengeance  du  pauvre... 

Cet  Ă©tat  de  choses  contre  nature  doit  cesser  prochainement,  et  il 
cessera  nécessairement  aussitÎt  que  des  lois  sages  et  grandes  assure- 
ront l'existence  et  le  travail  à  tous  les  Français... 

Selon  son  idée  les  classes  riches  doivent  prendre  l'initiative  ; 
la  classe  moyenne  s'est  dignement  conduite,  en  prenant  cou- 
rageusement le  parti  du  peuple;  elle  possĂšde  la  science;  le 
peuple  a  la  force  et  ce  n'est  que  grĂące  Ă   cette  union  de  la 
science  et  de  la  force  qu'ils  ont  vaincu.  H  faut  maintenir 
cette  union,  car  autrement,  la  cause  de  la  liberté  sera  perdue. 
H  faut  donc  se  tendre  la  main  et  avoir  confiance  de  part  et 
d'autre. 

Le  peuple,  continue  Mme  Sand,  investi  d'une  puissance  dont  il  n'a 
jamais  fait  usage  et  dont  il  ne  comprendra  la  portée  que  dans  quelques 
jours,  est  disposé  à  accorder  toute  sa  confiance  à  la  bourgeoisie.  La  bour- 
geoisie n'en  abusera  pas.  Elle  ne  se  laissera  point  Ă©garer  par  de  perfides 
conseils,  par  des  alarmes  vaines,  par  de  faux  bruits,  par  des  calomnies 
contre  le  peuple.  Le  peuple  sera  juste,  calme,  sage  et  bon,  tant  que  la 
classe  moyenne  lui  en  donnera  l'exemple.  S'il  Ă©tait  trahi,  si  on  faisait 
servir  le  premier  exercice  de  ses  droits  politiques  Ă   le  tromper  ;  si,  par 

(1)  Correspondance,  t.  TTT,  p.  6-8. 


GEORGE   SAND  23 

d'indignes  manƓuvres  et  de  coupables  influences,  on  lui  faisait  Ă©lire 
des  représentants  qui  abandonneraient  sa  cause,  l'union  serait  détruite. 
Le  peuple  irritĂ©  violerait  peut-ĂȘtre  le  sanctuaire  de  la  reprĂ©sentation 
nationale,  et  nous  verrions  recommencer  les  luttes  d'un  passé  que 
peuple  et  bourgeoisie  condamnent  et  repoussent  Ă   l'heure  qu'il  est- 
Cette  Lettre  Ă   la  classe  moyenne  se  termine  par  l'expression  de 
l'assurance  que  tous  ces  conseils  sont  de  trop,  la  bourgeoisie 
comprenant  parfaitement  que  la  renaissance  du  pays  est  la 
question  qui  se  dresse  devant  la  future  Assemblée,  ne  voudra 
pas  en  faire  l'arĂšne  de  la  lutte  entre  les  classes. 

La  premiĂšre  Lettre  au  peuple,  quoique  Ă©crite  Ă   Paris,  mais 
datée  du  7  mars,  donc  du  jour  de  la  rentrée  de  George  Sand 
Ă   Nohant,  exprime  la  mĂȘme  pensĂ©e  et  les  mĂȘmes  sentiments  : 
d'une  part  l'enthousiasme  devant  la  générosité,  la  grandeur  du 
peuple  et  le  sentiment  d'une  entiÚre  solidarité  avec  lui  ;  de 
l'autre,  le  désir  de  maintenir  avant  tout  la  bonne  entente 
entre  les  deux  classes  :  la  bourgeoisie  intellectuelle  et  le  peuple. 
Ce  peuple  est  grand,  il  est  héroïque,  il  est  bon,  il  est  généreux, 
c'est  la  voix  de  Dieu  et  le  bras  de  la  Providence...  On  a  eu  tort 
de  le  redouter,  quoique  vraiment  les  fautes  commises  contre 
lui  auraient  pu  faire  craindre  sa  juste  vengeance.  Mais  il  «  a 
prouvé  une  fois  de  plus  au  monde,  et  d'une  maniÚre  plus  écla- 
tante qu'en  aucun  des  jours  consacrés  par  l'histoire,  qu'il  était 
la  race  magnanime  par  excellence  ». 

Doux  comme  la  force  !  0  peuple,  que  tu  es  fort,  puisque  tu  es  si 
bon  !  Tu  es  le  meilleur  des  amis,  et  ceux  qui  ont  eu  le  bonheur  de  te 
préférer  à  toute  affection  privée,  de  mettre  en  toi  leur  confiance,  de  te 
sacrifier,  quand  il  l'a  fallu,  leurs  plus  intimes  affections,  leurs  plus  chers 
intĂ©rĂȘts,  exposer  leur  amour-propre  Ă   d'amĂšres  railleries,  ceux  qui 
ont  prié  pour  toi  et  souffert  avec  toi,  ceux-là  sont  bien  récompensés, 
aujourd'hui  qu'ils  peuvent  ĂȘtre  fiers  de  toi,  et  voir  ta  vertu  proclamĂ©e 
enfin  Ă   la  face  du  ciel... 

Et  la  lettre  se  termine  par  l'exclamation  : 
A  toi,  ĂŽ  peuple  !  aujourd'hui  comme  hier  ! 

Mais  outre  ces  sentiments  d'admiration  et  d'adoration  pour 
le  peuple,  cette  Lettre  exprime  encore,  comme  celle  Ă   la  classe 


»4 


GEORGE   SAND 


moyenne,  la  conviction  de  la  nécessité  de  Vunion  entre  les  deux 
classes  qui  accomplirent  la  révolution.  C'est  le  peuple,  qui  a  le 
droit  et  la  force,  la  bourgeoisie  a  la  science  sociale.  Isolés,  ni 
l'un  ni  l'autre  ne  peuvent  atteindre  à  la  lumiÚre  et  à  la  liberté. 
L'imion  est  le  gage  du  succÚs.  «  L'homme  isolé  n'est  rien  »... 
L'isolement  social  est  la  source  de  toutes  les  erreurs. 

Aussi  l'auteur  espÚre-t-il  que  «  l'union  fraternelle  détruira 
toutes  les  fausses  distinctions  et  rayera  le  mot  mĂȘme  de  classes 
du  livre  de  l'humanité  nouvelle...  » 

Nous  vivions  comme  une  flotte  naufragĂ©e  que  la  tempĂȘte  a  dispersĂ©e 
sur  des  récifs,  et  dont  les  passagers  meurent  séparés  par  des  abßmes,  en 
se  tendant  les  bras,  sans  pouvoir  se  porter  secours  les  uns  aux  autres. 
Oui,  le  sort  de  l'humanitĂ©,  divisĂ©e  de  droits  et  d'intĂ©rĂȘts,  est  aussi 
horrible  que  cela,  c'est  la  prison  cellulaire,  oĂč  l'on  devient  stupide 
et  insensé. 

Une  vie  nouvelle  commence  ;  nous  allons  nous  connaĂźtre,  nous  allons 
nous  aimer,  nous  allons  chercher  ensemble  et  trouver  la  vérité  sociale  ; 
elle  est  au  concours... 

La  vérité  sociale  n'est  pas  formulée.  Tu  voudrais  en  vain  l'arracher 
de  la  poitrine  des  mandataires  que  tu  as  Ă©lus  dans  un  jour  de  victoire. 
Us  la  veulent  à  coup  sûr,  puisque  tu  as  cru  en  eux,  et  tu  ne  te  trompes 
jamais  dans  tes  grandes  heures  de  libre  inspiration. 

Mais  ils  sont  hommes,  et  leur  science  ne  peut  déroger  à  la  loi  de  l'hu- 
manité. 

La  loi  de  l'humanité  est  que  la  vérité  ne  se  trouve  pas  dans  l'isole- 
ment et  qu'il  y  faut  le  concours  de  tous. 

L'isolement  Ă©tait  le  rĂ©gime  de  sĂ©paration  des  intĂ©rĂȘts  et  des  droits. 

Ce  régime  tombe  à  jamais  devant  ce  mot  sacré  de  République  ! 

La  Seconde  lettre  au  peuple  (1),  datée  du  19  mars,  diffÚre  déjà 
beaucoup  de  la  premiÚre  comme  ton  général  et  quoiqu'elle  se 
termine  aussi  par  l'exclamation  «  A  toi,  Î  peuple,  aujourd'hui 
comme  demain  !  »,  cette  assurance  mĂȘme  que  «  demain  »  encore 
l'auteur  ne  renierait  pas  son  entier  dévouement,  semble  révéler 
qu'  «  aujourd'hui  »  ce  peuple  n'était  plus  aussi  maßtre  de  la  posi- 
tion qu'il  l'Ă©tait  hier.  Dans  le  texte  mĂȘme  de  la  lettre  l'auteur 

(1)  Les  deux  Lettres  au  peuple  portent  les  sous-titres  :  Hier  et  Aujour- 
d'hui —  Aujourd'hui  Demain  et  parurent  en  brochures  avec  indication 
qu'elles  se  vendaient  «  au  profit  des  ouvriers  sans  travail  ». 


GEORGE   SAND  25 

fait  réellement  des  excuses  au  peuple  d'avoir  commis  l'erreur  de 
trop  avoir  espéré  en  un  subit  amour  pour  lui  de  la  part  d'autres 
classes  et  d'avoir  cru  au  retour  sincĂšre  et  complet  de  ses  ennemis. 

Eh  bien  !  quelques  jours  se  sont  Ă©coulĂ©s  et  mon  rĂȘve  n'est  pas  encore 
réalisé.  J'ai  vu  la  méfiance  et  l'affreux  scepticisme,  funeste  héritage 
des  mƓurs  monarchiques,  s'insinuer  dans  le  cƓur  des  riches  et  y 
Ă©touffer  l'Ă©tincelle  prĂȘte  Ă   se  ranimer  ;  j'ai  vu  l'ambition  et  la  fraude 
prendre  le  masque  de  V adhésion,  la  peur  s'emparer  d'une  foule  d'ùmes 
Ă©goĂŻstes,  les  amers  ressentiments  se  produire  par  de  lĂąches  insinua- 
tions ;  ceux-ci  cacher  et  paralyser  leurs  richesses,  ceux-lĂ   calomnier 
les  intentions  du  peuple,  faute  de  pouvoir  condamner  ses  actes  ;  j'ai 
vu  le  mal  enfin,  moi  qui  n'avais  vu  que  le  bien,  parce  que  j'avais  tenu 
mes  regards  attachés  sur  toi  ;  j'ai  vu  des  choses  que  je  ne  pouvais 
pas  prévoir,  parce  que,  aujourd'hui  encore,  je  ne  peux  pas  les  com- 
prendre... 

Toute  cette  Lettre  apparaßt  comme  une  consolation  adressée 
au  peuple  encore  obligé  d'attendre  et  de  patienter,  elle  n'est  plus 
l'hymne  de  fĂ©licitĂ©  mĂȘlĂ©e  d'une  espĂšce  de  crainte  sacrĂ©e  qui 
résonne  dans  la  PremiÚre  lettre. 

Cette  différence  de  ton  des  deux  Lettres  devient  parfaite- 
ment compréhensible,  si  l'on  se  rappelle  que  le  17  mars  eut  lieu 
la  démonstration  réactionnaire  de  la  garde  nationale  qui,  il  est 
vrai,  fut  noyée  dans  une  grandiose  manifestation  populaire, 
mais  qui  montra  néanmoins  que  non  seulement  il  n'existait 
aucune  solidarité  entre  le  peuple  et  la  bourgeoisie,  mais  encore 
qu'il  s'accumulait  sinon  parmi  les  couches  intellectuelles,  du 
moins  parmi  la  classe  moyenne  dans  le  vrai  sens  du  mot,  des 
sentiments  d'animosité  rentrée  et  de  haine  sourde,  et  qu'il  ne 
suffisait  pas  de  prononcer  «  le  mot  sacré  de  République  »  pour  que 
toutes  les  classes  se  missent  Ă   s'aimer  et  que  des  intĂ©rĂȘts  con- 
traires et  hostiles  devinssent  Ă©galement  chers  Ă   tous. 

Mais  outre  cette  marche  générale  des  événements,  il  y  eut 
encore  des  faits  privés  qui  inaugurÚrent  vers  la  mi-mars  une 
nouvelle  phase  dans  les  relations  de  George  Sand  avec  la  jeune 
République.  Les  enchantements  poétiques  firent  place  à  un 
jugement  plus  clairvoyant  de  la  politique  courante  d'autant 
plus   que   George  Sand  prit  désormais  une  part  active  dans 


26  GEORGE   SAND 

la  lutte  pour  la  stabilité  de  cette  République.  Le  fait  est 
qu'Ă   la  fin  de  la  premiĂšre  semaine  de  mars  (1),  George  Sand  alla 
passer  quelques  jours  en  Berry,  afin  darranger  ses  affaires 
pécuniaires  ;  les  événements  publics,  ayant  privé  d'honoraires 
la  romanciÚre,  exigeaient  encore  un  travail  littéraire  gratis  de 
la  part  de  l'Ă©crivain  politique;  puis  pour  installer  Ă   Nouant 
Maurice  nommé  maire,  certainement  encore  grùce  aux  rela- 
tions de  Mme  Sand  avec  le  gouvernement  provisoire  et  quoi- 
qu'il n'eût  pas  encore  ses  vingt-cinq  ans  révolus;  enfin  pour 
revoir  Augustine. 

Mais  surtout,  avant  de  dĂ©cider  ce  qu'elle-mĂȘme  aurait  Ă  
entreprendre  en  faveur  de  la  RĂ©publique,  elle  voulait  se  rendre 
compte  de  ce  qui  se  faisait  Ă   la  campagne.  Elle  voulait  con- 
sulter le  baromĂštre  politique  de  la  province,  qui,  mĂȘme  de  loin, 
ne  lui  paraissait  pas  ĂȘtre  au  beau  fixe. 

...  La  République  est  sauvée  à  Paris  ;  il  s'agit  de  la  sauver  en  pro- 
vince, oĂč  sa  cause  n'est  pas  gagnĂ©e,  —  Ă©crit-elle  Ă   Girerd  la  veille  de 
son  départ  à  Paris. 

...  Je  serai  demain  soir,  7  mars,  Ă   Nohant  pour  une  huitaine  de  jours  ; 
aprĂšs  quoi  je  reviendrai  probablement  ici  pour  m'y  consacrer  entiĂšre- 
ment aux  nouveaux  devoirs  que  la  situation  nous  crée. 

Quelques  jours  plus  tÎt,  George  Sand  s'était  procurée  un 
laissez-passer  de  la  part  du  gouvernement  provisoire,  que  nous 
avons  retrouvé  dans  ses  papiers  et  qui  est  libellé  ainsi  : 

o  Veuillez  laisser  circuler  librement  et  donner  accĂšs  auprĂšs  de 
tous  les  membres  du  gouvernement  provisoire  Ă   la  citoyenne 
George  Sand.  » 

Le  2  mars  1848. 

Ledru-Rollin. 

Le  timbre  apposé  porte  : 

République  française 
Gouvernement  provisoire. 


(1)  Elle  écrit  à  Augustine  Brault  (lettre  inédite  du  5  mars)  et  à  Girerd 
(lettre  imprimée  du  6  mars)  qu'elle  sera  à  Nohant  mardi,  le  7. 


GEORGE  SAND  27 

Mme  Sand  resta  Ă   Nohant  du  7  au  20-21  mars  et  sa  belle 
assurance  et  son  optimisme  y  furent  singuliÚrement  ébranlés. 

Ce  séjour  à  la  campagne  la  persuada  que  la  province  en  géné- 
ral, et  la  ville  de  La  ChĂątre  ainsi  que  les  bourgs  de  Nohant  et 
de  Vie  en  particulier,  étaient  trÚs  arriérés  et  d'une  humeur  fort 
peu  républicaine.  Mme  Sand  ne  s'effraya  pas  d'abord,  elle  crut 
qu'il  ne  fallait  que  réchauffer,  animer,  révolutionner  un  brin 
cette  province,  qu'agir  par  des  mesures  tant  soit  peu  artifi- 
cielles, alors  elle  se  mettrait  vite  au  niveau  du  magnifique 
peuple  de  Paris  et  tout  marcherait  Ă   souhait. 

Avant  mĂȘme  d'avoir  pris  connaissance  sur  place  de  l'humeur 
des  provinciaux,  George  Sand  avait,  dĂšs  les  premiers  jours  de 
la  République,  commencé  à  «  agir  ».  Elle  avait  recommandé 
au  gouvernement  provisoire  des  agents  sûrs  de  la  République 
et  fait  un  peu  Ă©loigner  les  personnes  suspectes  ou  qui  ne 
s'étaient  ralliées  qu'au  dernier  moment.  C'est  dans  ce  sens 
qu'elle  écrivait  le  6  mars  dans  la  lettre  à  Girerd  déjà  citée  en 
partie  : 

...  Ce  n'est  pas  moi  qui  ai  fait  faire  ta  nomination  :  mais  c'est  moi 
qui  l'ai  confirmée  ;  car  le  ministre  m'a  rendue  en  quelque  sorte  respon- 
sable de  la  conduite  de  mes  amis,  et  il  m'a  donné  plein  pouvoir  pour 
les  encourager,  les  stimuler  et  les  rassurer  contre  toute  intrigue  de  la 
part  de  leurs  ennemis,  contre  toute  faiblesse  de  la  part  du  gouver- 
nement. Agis  donc  avec  vigueur,  mon  cher  frĂšre.  Dans  une  situation 
comme  celle  oĂč  nous  sommes,  il  ne  faut  pas  seulement  du  dĂ©vouement 
et  de  la  loyauté,  il  faut  du  fanatisme  au  besoin.  Il  faut  s'élever  au- 
dessus  de  soi-mĂȘme,  abjurer  toute  faiblesse,  briser  ses  propres  affec- 
tions si  elles  contrarient  la  marche  d'un  pouvoir  Ă©lu  par  le  peuple 
et  réellement,  fonciÚrement  révolutionnaire.  Ne  t'apitoie  pas  sur  le 
sort  de  Michel  (1)  :  Michel  est  riche,  il  est  ce  qu'il  a  souhaité,  ce  qu'il 
a  choisi  d'ĂȘtre.  H  nous  a  trahis,  abandonnĂ©s,  dans  les  mauvais  jours. 
A  présent,  son  orgueil,  son  esprit  de  domination  se  réveillent.  H  faudra 
qu'il  donne  à  la  République  des  gages  certains  de  son  dévouement 
s'il  veut  qu'elle  lui  donne  sa  confiance.  La  députation  est  un  honneur 
qu'il  peut  briguer  et  que  son  talent  lui  assure  peut-ĂȘtre.  C'est  lĂ   qu'il 
montrera  ce  qu'il  est,  ce  qu'il  pense  aujourd'hui.  Il  le  montrera  Ă   la 

(1)  Michel  de  Bourges.  V.  les  chapitres  x  et  xi  du  tome  II  de  cet  ouvrage. 


2S  GEORGE   SAND 

nation  entiÚre.  Les  nations  sont  généreuses  et  pardonnent  à  ceux 
qui  reviennent  de  leurs  erreurs. 

Quant  au  devoir  d'un  gouvernement  provisoire,  il  consiste  Ă   choisir 
des  hommes  sûrs  pour  lancer  l'élection  dans  une  voie  républicaine  et 
sincÚre.  Que  l'amitié  fasse  donc  silence,  et  n'influence  pas  imprudem- 
ment l'opinion  en  faveur  d'un  homme  qui  est  assez  fort  pour  se  relever 
lui-mĂȘme,  si  son  cƓur  est  pur  et  sa  volontĂ©  droite. 

Je  ne  saurais  trop  te  recommander  de  ne  pas  hésiter  à  balayer  tout 
ce  qui  a  l'esprit  bourgeois.  Plus  tard,  la  nation,  maĂźtresse  de  sa  marche, 
usera  d'indulgence,  si  elle  le  juge  Ă   propos,  et  elle  fera  bien  si  elle  prouve 
sa  force  par  la  douceur.  Mais,  aujourd'hui,  si  elle  songe  Ă   ses  amis, 
plus  qu'à  son  devoir,  elle  est  perdue,  et  les  hommes  employés  par  elle 
à  son  début  auront  commis  un  parricide. 

Tu  vois,  mon  ami,  que  je  ne  saurais  transiger  avec  la  logique.  Fais 
comme  moi.  Si  Michel  et  bien  d'autres  déserteurs  que  je  connais 
avaient  besoin  de  ma  vie,  je  la  leur  donnerais  volontiers,  mais  ma 
conscience,  point.  Michel  a  abandonné  la  démocratie,  en  haine  de  la 
démagogie.  Or  il  n'y  a  plus  de  démagogie.  Le  peuple  a  prouvé  qu'il 
Ă©tait  plus  beau,  plus  grand,  plus  pur  que  tous  les  riches  et  les  savants 
de  ce  monde.  Le  calomnier  la  veille  pour  le  flatter  le  lendemain  m'ins- 
pire peu  de  confiance,  et  j'estimerais  encore  mieux  Michel  s'il  pro- 
testait aujourd'hui  contre  la  République.  Je  dirais  qu'il  s'est  trompé, 
qu'il  se  trompe,  mais  qu'il  est  de  bonne  foi. 

Peut-ĂȘtre  croit-il,  dĂ©sormais,  travailler  pour  une  RĂ©publique  aris- 
tocratique oĂč  le  droit  des  pauvres  sera  refoulĂ©  et  mĂ©connu.  S'il  agit 
ainsi,  il  brisera  l'alliance  qui  s'est  cimentée  d'une  maniÚre  sublime, 
sur  les  barricades,  entre  le  riche  et  le  pauvre.  H  perdra  la  RĂ©publique 
et  la  livrera  aux  intrigants  ;  et  le  peuple,  qui  sent  sa  force,  ne  les  sup- 
portera plus.  Le  peuple  tombera  dans  des  excĂšs  condamnables  si  on 
le  trahit;  la  société  sera  livrée  à  une  épouvantable  anarchie,  et  ces 
riches  qui  auront  détruit  le  pacte  sacré  deviendront  pauvres  à  leur 
tour  dans  des  convulsions  sociales  oĂč  tout  succombera. 

Ils  seront  punis  par  oĂč  ils  auront  pĂ©chĂ©  ;  mais  il  sera  trop  tard  pour 
se  repentir.  Michel  ne  connaĂźt  pas  et  n'a  jamais  connu  le  peuple  ; 
que  ne  le  voit-il  aujourd'hui!  H  jugerait  sa  force  et  respecterait  sa 
vertu. 

Courage,  volonté,  persévérance  à  toute  épreuve... 

Nous  avons  transcrit  cette  lettre  presque  en  entier,  quoiqu'elle 
soit  imprimée.  Elle  est  trop  significative.  Elle  renferme  en  germe 
les  éléments  des  cinq  premiers  articles  politiques  de  George 
Sand  de  cette  année,  et  nous  dévoile  les  causes  qui  la  firent 


GEORGE   SAND  29 

descendre  en  personne  dans  l'arĂšne  politique.  Bien  plus,  cer- 
taines locutions  et  certains  mots,  par  exemple  sur  les  amis  de  la 
veille  d'une  révolution  et  ceux  du  lendemain,  devinrent  des  mots 
courants  et  des  mots  transportés  dans  les  circulaires  ministé- 
rielles, ils  jouĂšrent  un  grand  rĂŽle  dans  le  flux  et  reflux  du 
mouvement  social. 

Le  9  mars,  Mme  Sand  Ă©crit  encore  Ă   Poney. 

...  D'un  bout  de  la  France  Ă   l'autre,  il  faut  que  chacun  aide  la  RĂ©pu- 
blique et  la  sauve  de  ses  ennemis.  Le  dĂ©sir,  le  principe,  le  vƓu  fervent 
des  membres  du  gouvernement  provisoire  est  qu'on  envoie  Ă   l'Assem- 
blée nationale  des  hommes  qui  représentent  le  peuple  et  dont  plu- 
sieurs, le  plus  possible,  sortent  de  son  sein. 

Ainsi,  mon  ami,  vos  amis  doivent  y  songer  et  tourner  les  yeux  sur 
vous  pour  la  députation.  Je  suis  bien  fùchée  de  ne  pas  connaßtre  les 
gens  influents  de  notre  opinion  dans  votre  ville.  Je  les  supplierais  de 
vous  choisir  et  je  vous  commanderais,  au  nom  de  mon  amitié  mater- 
nelle, d'accepter  sans  hésiter.  Voyez  :  faites  agir;  il  ne  suffit  pas  de 
laisser  agir.  Il  n'est  plus  question  de  vanité  ni  d'ambition  comme  on 
l'entendait  naguùre.  H  faut  que  chacun  fasse  la  manƓuvre  du  navire 
et  donne  tout  son  temps,  tout  son  cƓur,  toute  son  intelligence,  toute 
sa  vertu  Ă   la  RĂ©publique... 

Je  repars  pour  Paris  dans  quelques  jours  probalement,  pour  faire 
soit  un  journal,  soit  autre  chose.  Je  choisirai  le  meilleur  instrument 
possible  pour  accompagner  ma  chanson.  J'ai  le  cƓur  plein  et  la  tĂȘte  en 
feu. 

...  Je  suis  revenue  ici  aider  mes  amis,  dans  la  mesure  de  mes  forces, 
à  révolutionner  le  Berry,  qui  est  bien  engourdi.  Maurice  s'occupe  de 
révolutionner  la  commune.  Chacun  fait  ce  qu'il  peut... 

Borie  sera  probablement  député  pour  la  CorrÚze. 

En  attendant,  il  m'aidera  Ă   organiser  mon  journal... 

Le  16  mars,  elle  Ă©crit  encore  au  mĂȘme  Poney  (la  lettre  est 
inédite)  : 

Nohant,  16  mars. 

Je  vous  envoie  une  Lettre  au  peuple,  qui  a  paru  Ă   Paris.  Si  vous 
croyez  qu'elle  soit  utile  Ă   Toulon,  je  vous  autorise  Ă   la  reproduire, 
ainsi  que  tout  ce  que  je  vous  enverrai.  Cette  brochure  est  trop  longue 
pour  un  journal.  Vous  pourriez  la  faire  réimprimer  sur  papier  commun 
et  la  répandre.  Les  frais  sont  peu  de  chose  ;  vous  trouveriez  quelques 


3o  GEORGE   SAND 

amis  du  peuple  qui  les  feraient.  Reste  Ă   savoir  si  cette  lettre,  qui  n'est 
pas  trop  avancée  pour  la  population  intelligente  et  instruite  des  fau- 
bourgs de  Paris,  ne  serait  pas  inintelligible  ailleurs.  Vous  verrez.  J'en 
ai  fait  une  autre  pour  les  paysans  de  la  langue  cToĂ»,  qui  est  sous  presse. 
Adieu,  Ă©crivez-moi. 

La  premiĂšre  des  deux  Lettres  dont  parle  Mme  Sand  est  la 
PremiÚre  lettre  au  peuple,  datée  du  7  mars,  et  parue  à  Paris  dans 
la  huitaine  suivante,  comme  on  peut  le  conclure  de  ce  que  le 
Bulletin  de  la  République,  n°  3,  du  17  mars,  la  cite  comme  «  pu- 
bliée (1)  ».  Quant  à  la  lettre,  écrite  en  langue  d'oil,  c'est-à-dire 
en  berrichon,  c'est  VHistoire  de  France  racontée  au  peuple  et 
Ă©crite  sous  la  dictĂ©e  de  Biaise  Bonnin,  vrai  chef-d'Ɠuvre,  par  son 
style  populaire  soutenu  et  par  le  rĂ©cit  extrĂȘmement  clair,  et  Ă  
la  portée  de  chacun,  des  faits  historiques,  exposés  au  point  de 
vue  socialiste  et  républicain  s'entend.  Cette  histoire  est  aussi 
signée  à  la  maniÚre  des  campagnards  :  Sur  la  paroisse  de  Nohant- 
Vic,  le  quinziÚme  du  mois  de  mars  de  Vannée  1848.  Elle  parut 
sous  forme  de  brochure  ce  mĂȘme  15  mars,  Ă   La  ChĂątre  (2). 

Une  semaine  plus  tĂŽt,  le  8  mars,  parut,  dans  les  colonnes  du 
Journal  du  Loiret,  la  Lettre  à  la  classe  moyenne,  analysée  plus 
haut  ;  elle  fut  aussi  immédiatement  réimprimée  en  brochure, 
et  le  12  mars,  parut  Ă   La  ChĂątre,  en  brochure  Ă©galement,  la  Lettre 
aux  riches, 

Cette  Lettre  aux  riches  précise  la  position  bravement  prise 
par  George  Sand,  dĂšs  les  premiers  jours  de  la  seconde  RĂ©pu- 
blique, au  milieu  des  partis  politiques. Soutenir  l'union  entre  les 

(1)  Voir  la  collection  complĂšte  des  Bulletins  de  la  RĂ©publique,  p.  19.  Il  parut 
en  avril  une  seconde  Ă©dition  de  cette  Lettre  au  peuple,  sernble-t-il,  parce  que, 
dans  la  Bibliographie  de  la  France,  nous  la  trouvons  enregistrée  à  la  date 
du  1er  avril.  De  plus,  les  deux  lettres  furent  réimprimées  dans  le  journal  de 
George  Sand,  la  Cause  du  peuple,  comme  on  verra  plus  loin. 

(2)  Dans  la  Correspondance  de  George  Sand  (t.  III,  p.  14),  il  est  dit  que 
le  Biaise  Bonnin  promis  par  George  Sand  Ă   son  fils  en  guise  de  thĂšme  pour 
ses  causeries  futures  avec  les  paysans  de  sa  commune,  c'était  «  la  Lettre  d'un 
paysan  de  la  Vallée  Noire,  écrite  sous  la  dictée  de  Biaise  Bonnin  »,  erreur  que 
M.  Monin  répÚte  aprÚs  les  éditeurs  de  la  Correspondance.  C'est  de  l'His- 
toire de  France  écrite  sous  la  dictée  de  Biaise  Bonnin,  que  Mme  Sand  parle  à 
son  fils  dans  sa  letre  du  24  mars,  tandis  que  la  Lettre  d'un  paysan  de  la  Vallée 
Noire  parut  dĂšs  1843,  et  les  Paroles  de  Biaise  Bonnin,  dont  nous  parlons  plus 
loin,  ne  furent  écrites  qu'à  la  fin  d'avril  de  cette  année  1848. 


GEORGE   SAND  31 

intellectuels  qui  avaient  applaudi  à  la  révolution,  et  le  peuple 
qui  l'avait  faite;  réconcilier  et  tranquilliser  la  bourgeoisie 
alarmée  ;  chasser  «  le  fantÎme  rouge  »,  objet  permanent  de  sa 
terreur  —  voilĂ   les  idĂ©es  de  cette  lettre.  Mais  la  profession 
de  foi  de  George  Sand  devait  certes  effrayer  beaucoup  de  lec- 
teurs de  ses  brochures  et  affermir  cette  réputation  de  commu- 
niste dangereuse  que  Daniel  Stem  tĂącha  de  souligner  dans  son 
Histoire  de  1848,  et  que  M.  Monin  trouve  imméritée.  La  comtesse 
d'Agoult  ne  prend  George  Sand  Ă   partie  que  par  un  sentiment 
d'inimitié  et  de  parti  pris  un  peu  trop  féminin,  lorsqu'elle  la 
rend  responsable  de  tous  les  Ă©crits,  circulaires  et  bulletins  com- 
munistes fatals  Ă   la  RĂ©publique.  Nous  aurons  mainte  occasion, 
au  cours  de  notre  narration,  de  signaler  combien  ces  réquisitoires 
de  Daniel  Stem,  par  rapport  à  des  faits,  sont  hasardés  et  mal 
fondés.  Mais  quant  aux  idées  de  George  Sand,  il  est  évident  qu'en 
1848  elles  Ă©taient  bien  proches  de  celles  des  communistes  et  que 
sur  ce  point-là  Daniel  Stern  est  plus  prÚs  de  la  vérité  que 
M.  Monin,  qui  nie  catégoriquement  le  communisme  de  Mme  Sand. 

La  grande  crainte,  ou  le  grand  prétexte  de  l'aristocratie,  à  l'heure 
qu'il  est,  —  c'est  ainsi  que  George  Sand  commence  sa  Lettre  aux  riches, 
—  c'est  l'idĂ©e  communiste.  S'il  y  avait  moyen  de  rire  dans  un  temps  si 
sérieux,  cette  frayeur  aurait  de  quoi  nous  divertir.  Sous  ce  mot  de 
communisme,  on  sous-entend  le  peuple,  ses  besoins,  ses  aspirations.  Ne 
confondons  point  :  le  peuple,  c'est  le  peuple;  le  communisme,  c'est 
l'avenir  calomnié  et  incompris  du  peuple. 

La  ruse  est  ici  fort  inutile  ;  c'est  le  peuple  qui  vous  gĂȘne  et  voua 
inquiÚte  ;  c'est  la  République  dont  vous  craignez  le  développement  ; 
c'est  le  droit  de  tous  que  vous  ne  supportez  pas  sans  malaise  et  sans 
dépit... 

...  Vous  voilà  donc  épouvantés  d'un  fantÎme  créé  par  une  panique 
dont  tout  Français  devrait  rougir,  car  la  France  est  vaillante,  héroï- 
que... 

Ce  fantĂŽme,  que  vous  n'osez  mĂȘme  pas  regarder  en  face,  il  vous 
plaßt  de  l'appeler  communisme.  Vous  voilà  terrifiés  par  une  idée,  parce 
qu'il  existe  des  sectes  qui  croient  à  cette  idée,  parce  que  c'est  une 
croyance  qui  doit  un  jour  se  répandre  et  modifier  peu  à  peu  l'édifice 
social.  En  supposant  que  son  triomphe  soit  prochain,  savez-vous  que, 
si  vous  lui  montrez  tant  de  couardise  ou  d'aversion,  si  vous  mettez 
vos  mains  devant  vos  yeux  pour  ne  pas  le  voir,  de  mĂȘme  que  si,  vous 


32  GEORGE   SAND 

armant  de  résolution,  vous  provoquez  contre  lui  des  haines  aveugles, 
vous  allez  lui  donner  une  importance,  un  ensemble,  une  lumiĂšre  qu'il 
ne  se  flatte  pas  encore  de  possĂ©der?  Vous  ĂȘtes  toujours  les  hommes 
d'hier,  vous  croyez  toujours  que  c'est  par  la  lutte  hostile  et  amĂšre 
que  vous  pouvez  sauver  votre  opinion.  Vous  ĂȘtes  dans  une  erreur 
inconcevable.  Vous  ne  voyez  donc  pas  que  l'égalité  à  laquelle  vous 
avez  droit  comme  le  peuple  ne  s'établira  que  par  la  liberté? 

J'invoquerais  aussi  la  fraternité,  si  je  pouvais  croire  qu'il  existùt 
parmi  vous  un  cƓur  assez  dessĂ©chĂ©  pour  que  ce  mot  ne  portĂąt  pas 
lui-mĂȘme  toute  sa  dĂ©finition,  la  santĂ©  de  l'Ăąme. 

J'augure  mieux  de  vos  sentiments,  mais  je  crains  pour  vos  idées, 
je  ne  les  trouve  ni  logiques  ni  rassurantes.  Si  vous  ne  les  transformez 
pas,  elles  amĂšneront  l'anarchie  ;  non  pas  une  anarchie  sanglante  :  si 
elle  Ă©clatait  sur  quelques  points,  le  peuple,  tout  le  premier,  ce  peuple 
généreux  et  ami  de  l'ordre,  que  vous  ne  connaissez  pas  encore,  vous 
sauverait  des  fureurs  du  peuple  ;  mais  une  anarchie  morale  qui  para- 
lysera les  travaux  de  la  nouvelle  Constitution  et,  par  conséquent, 
la  vie  morale  et  matérielle  de  la  France. 

Vous  avez  vu  cette  vertu,  cette  grandeur  du  peuple  ;  et,  comme  il 
vous  est  impossible  de  les  mer,  vous  motivez  votre  répugnance  à 
proclamer  son  droit,  sur  la  crainte  qu'il  ne  soit  communiste.  HĂ©las  1 
non,  le  peuple  n'est  pas  communiste,  et  cependant  la  France  est  appelée 
Ă   VĂȘtre  avant  un  siĂšcle.  Le  communisme  dans  le  peuple,  c'est  l'infini- 
ment  petite  minorité  ;  or  vous  savez  que,  si  les  majorités  ont  la  vérité 
du  présent,  les  minorités  ont  celles  de  l'avenir.  C'est  pourquoi  il  faut 
témoigner  aux  minorités  de  l'estime,  du  respect  et  leur  donner  de  la 
liberté.  Si  on  leur  en  refuse,  elles  deviennent  hostiles,  elles  peuvent 
devenir  dangereuses,  on  est  réduit  à  les  contenir  par  la  force,  elles 
subissent  le  martyre  ou  exercent  des  vengeances.  Le  martyre  tue 
moralement  ceux  qui  l'infligent,  comme  la  vengeance  tue  physique- 
ment ceux  qui  la  subissent.  Laissez  donc  vivre  en  paix  le  communisme  « 
Mais  il  existe  quelque  part,  dit-on,  des  communistes  immédiats  qui 
veulent,  par  le  fer  et  le  feu,  dĂ©truire  la  propriĂ©tĂ©  et  la  famille.  OĂč 
sont-ils?  Je  n'en  ai  jamais  vu  un  seul,  moi  qui  suis  communiste  (1). 

(1)  C'est  nous  qui  soulignons.Xous  avons  retrouvé  dans  les  papiers  de 
George  Sand  une  lettre  d'Henri  Martin  écrite  pour  accuser  réception  de 
cette  brochure  de  George  Sand,  comme  un  peu  ultérieurement  U  l'avait 
déjà  fait  pour  la  Lettre  à  la  classe  moyenne.  Henri  Martin  écrit  donc,  à  la 
date  du  18  mars  : 

«  Je  reçois  à  l'instant  votre  second  envoi  :  je  vous  avoue  qu'il  y  a  des 
choses  qui  m'inquiĂštent  quant  Ă   l'effet  politique,  des  choses  qui  demande- 
raient un  grand  dĂ©veloppement  pour  ĂȘtre  comprises  et  qui  surtout,  dans 
un  Ă©crit  si  concis  et  si  rapide,  me  semblent  bien  hasardeuses.  Le  temps  me 
manque  pour  en  causer  avec  vous  ;    mais  pourquoi   prendre  ainsi   le  mot 


GEORGE   SAND  33 

H  y  en  a  donc  bien  peu,  ou  leurs  théories  sont  bien  inconciliables  avec 
celles  de  la  majorité  communiste.  S'il  existe  une  poignée  de  pauvres 
fanatiques  qui  ne  se  rattachent  ni  au  plan  inachevé,  et  essentiellement 
pacifique  de  Pierre  Leroux,  ni  Ă   l'utopie  romanesque  et  non  moins 
pacifique  de  M.  Cabet,  n'existe-t-il  pas  aussi  parmi  vous  des  fana- 
tiques de  la  richesse,  des  monarchistes  exaltés  qui  auraient  applaudi 
à  un  massacre  général  du  peuple  le  24  février?... 

Tranquillisez-vous  donc!  Le  communisme  ne  nous  menace  point. 
H  vient  de  donner  des  preuves  signalées  de  sa  soumission  légale  à 
l'ordre  établi,  en  proclamant  son  adhésion  à  la  jeune  République.  Il 
a  beaucoup  d'organes  différents,  car  c'est  à  l'état  d'aspiration  qu'il  a 
le  plus  d'adeptes  ;  il  en  a  jusque  parmi  les  riches  ;  il  en  a  chez  toutes 
les  nations  et  à  tous  les  étages  de  la  science  et  de  la  hiérarchie  sociale  ; 
il  y  en  a  qui  ne  sont  point  enrégimentés  sous  une  banniÚre  d'organisa- 
tion, qui  ne  font  partie  d'aucune  secte  (1),  parce  qu'ils  n'en  trouvent  pas 
la  formule  satisfaisante,  et  qu'ils  aiment  mieux  conserver  dans  leur 
ùme  un  idéal  pur,  que  de  l'exposer  à  des  essais  infructueux  ;  ceux-là 
aussi  ont  une  foi  inébranlable,  et,  s'ils  avaient  encore  cent  ans  à  vivre, 
sous  un  Louis-Philippe,  ils  mourraient  avec  la  mĂȘme  conviction  ; 
car  le  communisme,  c'est  le  vrai  christianisme,  et  une  religion  de  frater- 
nité ne  menace  ni  la  bourse,  ni  la  vie  de  personne. 

Eh  bien,  de  tous  les  organes  de  la  foi  communiste,  pouvez-vous  en 
citer  un  seul  qui  ait  protesté  contre  les  lois  qui  régissent  la  propriété 
légitime  et  la  sainteté  de  la  famille? 

Qu'ont-ils  donc  fait  pour  vous  épouvanter?  Rien,  en  vérité,  et  vous 
ĂȘtes  troublĂ©s  par  un  cauchemar  ! 

Quant  au  peuple,  vous  le  calomniez  en  disant  qu'il  penche  vers  le 
communisme  immédiat.  Le  peuple,  plus  sage  et  plus  brave  que  vous, 
ne  s'alarmerait  pas  de  quelques  démonstrations  coupables,  il  les  répri- 
merait, et,  loin  de  perdre  sa  foi  dans  l'avenir,  il  tirerait  de  ces  excĂšs 
une  patience  plus  belle  et  une  justice  plus  ferme...  » 

Ces  Lettres  et  brochures  ne  furent  publiées  que  grùce  au  secours 
actif  que  Charles  Duvernet  et  Victor  Borie  prĂȘtĂšrent  Ă   George 
Sand;  le  premier  dirigeait  le  groupe  républicain  de  la  Chùtre, 
et  tous  les  deux  Ă©taient  alors  des  compagnons  d'armes  et  les 

qui  effraie?  Et  ce  mot  d'ailleurs  est-il,  sera-t-il  le  mot  de  l'avenir?  D  n'em- 
brasse qu'un  cÎté  du  problÚme,  l'unité,  mais  il  laisse  entiÚrement  dans  l'ou- 
bli l'autre  l'individualité,  la  liberté.  Se  dire  communiste,  c'est  bien  grave. 
Je  regrette  b  aucoup  que  vous  ayez  pris  cette  détermination  1  Quelle  arme 
aux  adversaires  !...  » 

(1)  Ces    encore  nous  qui  soulignons. 


34  GEORGE   SAXD 

aides  politiques  les  plus  actifs,  les  plus  fervents  de  Mme  Sand. 
Us  portÚrent  immédiatement  la  peine  encourue  pour  une  opi- 
nion aussi  répréhensible  au  point  de  vue  des  bons  bourgeois 
provinciaux.  A  la  Chùtre  tous  les  réactionnaires  et  ceux  qu'on 
nommait  les  modérés,  c'est-à-dire  tous  ceux  qui  étaient  immo- 
dérément horripilés  par  les  événements,  commencÚrent  à  remuer 
et  à  agir  :  à  préparer  le  terrain  pour  faire  élire  à  l'Assemblée 
nationale  des  députés  désirables,  c'est-à-dire  les  moins  dange- 
reux, et  aussi  à  faire  répandre  des  calomnies  sur  le  compte  des 
progressistes  et  Ă   exciter  tout  doucement  la  population  contre 
eux. 

« ...  Braver  des  criailleries  n'est  rien  du  tout,  pas  plus  pour  un  homme, 
je  pense,  que  pour  une  femme  »,  écrit  Mme  Sand  le  14  mars,  à  la 
Chùtre  (1)  à  Charles  Duvemet,  auquel  les  réactionnaires  promet- 
taient de  faire  entendre  un  charivari,  ainsi  qu'à  Victor  Borie.  «  Mais 
je  trouve  que,  pour  le  moment,  il  n'y  a  rien  Ă   faire,  parce  que  le 
peuple  est  mis  hors  de  cause  Ă   la  ChĂątre,  que  le  club  devient  une 
question  de  personnes,  et  qu'on  ne  pourrait  prendre  le  parti  du 
principe  sans  avoir  L'air,  d'agir  pour  des  noms  propres.  Bonsoir,  mon 
ami,  courage  quand  mĂȘme  !  la  BĂ©pubhque  n'est  pas  perdue,  parce 
que  la  ChĂątre  n'en  veut  pas  ! 

Mme  Sand  concluait  donc  que  ses  amis  ne  devaient  pas 
prendre  la  dĂ©fense  de  Leur  parti,  ne  pas  se  mĂȘler  des  tripotages 
de  cette  aimable  petite  ville  et  la  laisser  faire. 

Mais  cette  prétendue  indifférence  pour  les  petites  intrigues 
locales  ne  signifiait  aucunement  que  George  Sand  avait  con- 
senti à  voir  marcher  les  choses  au  gré  des  conservateurs  de  la 
ChĂątre  ou  de  toute  autre  ville  de  la  France.  Bien  au  con- 
traire !  Elle  décida  d'agir  sur  l'esprit  des  masses  et  des 
Ă©lecteurs. 

A  cette  fin  elle  se  mit  primo  Ă   faire,  de  toutes  ses  forces  et  le 
plus  réellement  du  monde,  par  Maurice,  par  Charles  Poney  et 
par  une  foule  d'autres  adeptes,  de  la  propagande  des  idées  poli- 
tiques et  sociales  les  plus  avancées  et  à  préparer  les  élections, 

(1)  Cette  lettre  est  datĂ©e  de  ■  Paris  »  dans  la  Correspondance.  Mais  le  14  mars 
elle  Ă©tait  encore  Ă   Xohant  ;  c'est  donc  le  14  mars,  NoJiant  ou  le  24  mars. 
Paris,  qu'il  faut  lire. 


GEORGE   SAN'D  35 

en  agissant  en  faveur  des  députés  les  plus  radicaux...  en  éloi- 
gnant les  douteux.  Puis,  elle  décida  de  mettre  son  travail  lit- 
téraire et  son  talent  au  service  du  mouvement  politique,  en 
publiant  et  en  Ă©ditant  des  brochures  diverses  et  son  propre  jour- 
nal exclusivement  politique.  Elle  décida,  de  plus,  de  prendre  une 
part  active  aux  faits  et  gestes  du  gouvernement  provisoire  ; 
c'est  donc  en  trois  directions  qu'elle  se  mit  d'emblée  à  travailler. 
Pour  atteindre  le  premier  but  proposé,  elle  écrivit  de  Nohant, 
en  dehors  des  lettres  Ă   Poney  et  Ă   d'autres  amis,  une  lettre  au 
ministre  de  l'Instruction  publique  sur  la  nécessité  d'envoyer  en 
province  d'énergiques  et  sûrs  agents  qui  secoureraient  l'inerte  et 
obscure  populace,  contrecarreraient  les  éléments  réactionnaires 
et  aideraient  à  faire  élire  des  députés  désirables. 

...  C'est  moi  qui  ai  eu  cette  idée  d'envoyer  des  ouvriers  faire  de 
la  propagande  dans  les  dĂ©partements,  —  inscrit  George  Sand  sur  une 
feuille  de  son  Journal  Ă   la  date  du  31  mars,  en  racontant  une  entre- 
vue entre  Ledru-Kollin  et  des  ouvriers  qu'elle  lui  avait  présentés. 
Gilland  et  Leneveux  Ă   la  tĂȘte.  —  Je  me  suis  d'abord  adressĂ©e  au 
ministĂšre  de  l'Instruction  publique,  dans  les  attributions  duquel  serait 
naturellement  rentrée  cette  fonction  d'instituteur  des  masses.  Ma 
lettre  écrite  de  Nohant  (1)  a  été  communiquée  au  gouvernement  pro- 
visoire, qui  l'acceptait  d'abord.  Mais  Camot  ne  s'en  est  plus  occupé. 
Ni  lui,  ni  J.  Reynaud,  ni  Charton,  ne  connaissent  les  bons  ouvriers  de 
Paris.  AprÚs  plusieurs  jours  de  prédication  de  ma  part,  l'idée  a  enfin 
pĂ©nĂ©trĂ©  la  «  volumineuse  »  de  ce  bon  Ledru-Rollin.  Il  s'est  mis  Ă   l'Ɠuvre 
avec  son  entrain  et  son  Ă©tourderie  habituels  ;  il  a  cent  mille  francs  Ă  
consacrer  Ă   cette  Ɠuvre.  Bien  entamĂ©e,  elle  amĂšnera,  j'en  suis  sĂ»re, 
d'excellents  résultats.  Mais  que  de  fautes  il  va  faire  !  et  s'il  envoie, 
comme  il  est  fort  à  craindre,  d'aprÚs  les  premiers  choix,  de  médiocres 
sujets,  des  parleurs,  des  braillards,  des  hommes  violents,  manquant  de 
tact  et  d'intelligence,  il  donnera  une  trĂšs  fĂącheuse  opinion  des  ouvriers 
de  Paris  et  le  mal  sera  plus  grand  qu'avant  cette  démarche.  Il  paraßt 
sentir  la  vérité  de  cette  observation  ;  mais,  dans  Faction,  les  bonnes 
intentions  souvent  s'Ă©vanouissent  !... 

La  veille  de  quitter  Nohant,  George  Sand  y  organisa,  le  di- 
manche 19  mars,  une  petite  fĂȘte  patriotique  :  celle  de  la  procla- 

(1)  Mme  Sand  répÚte  ainsi  ce  qu'elle  dit,  à  propos  de  ces  commissaires, 
dans  la  lettre  à  son  fils  datée  du  25  mars,  écrite  à  sa  rentrée  à  Paris. 


36  GEORGE   SAND 

mation  de  la  RĂ©publique  Ă   Nohant-Vie,  et  le  lendemain  de  sa  ren- 
trée à  Paris  elle  la  décrivit  dans  une  lettre  pleine  de  verve  au 
Rédacteur  de  la  Réforme,  lettre  non  signée,  parue  dans  ce 
journal  le  23  mars.  En  reproduisant  dans  son  article  la  des- 
cription de  cette  petite  fĂȘte  naĂŻve,  mais  fort  ingĂ©nieusement 
mise  en  scĂšne,  M.  Monin  dit  que  la  fĂȘte  mĂȘme  n'aurait  pas  eu 
lieu  le  19,  comme  on  aurait  pu  le  croire  d'aprĂšs  la  date  du 
numéro  de  la  Réforme,  mais  bien  «  dimanche  le  12  mars  », 
parce  que  George  Sand  l'aurait  décrite  le  samedi  18  mars,  «  en 
déjeunant  chez  Pinson».  En  avançant  cela,  M.  Monin  devait  bien 
involontairement  se  fier  aux  dates  des  lettres  imprimées  dans 
le  volume  III  de  la  Correspondance  de  George  Sand  :  «  Paris. 
14  mars  »  en  tĂȘte  de  la  lettre  Ă   Duvernet,  et  «  Paris,  18  mars  »  en 
tĂȘte  de  celle  Ă   Maurice  Sand.  Mais  ces  dĂ©signations  sont  tout 
aussi  fausses  que  les  dates  mises  au  bas  des  Lettres  au 
Peuple  :  «  Paris,  7  mars  »  et  «  Paris,  19  mars  ».  La  lettre  à 
Duvernet,  comme  nous  venons  de  le  dire,  fut  Ă©crite  de  Nohant, 
ainsi  que  la  Seconde  Lettre  au  Peuple,  et  la  lettre  Ă   Maurice, 
de  Paris,  mais  aprÚs  le  19  mars,  comme  on  peut  aisément 
le  von  par  la  lettre  inédite  que  voici,  adressée  à  Mme  Viardot  : 

Nohant,  17  mars  1848. 

Ma  fille  chérie,  dans  quelques  jours  je  vous  serrerai  dans  mes  bras. 
Oui,  je  suis  heureuse,  malgré  mes  cruels  embarras  de  finances  qui 
allaient  finir  et  qui  renaissent  sous  le  coup  de  cette  crise,  malgré  les 
montagnes  de  difficultés  misérables  auxquelles  on  se  heurte  en  pro- 
vince, malgré  les  dangers  que  nous  suscitent  les  poltrons.  Si  je  ne  re- 
tournais Ă   Paris,  oĂč  le  contact  de  ce  pauvre  peuple  si  grand  et  si  bon 
m"Ă©lectrise  et  me  ranime,  je  perdrais  ici,  non  la  foi,  mais  l'enthousiasme. 
Ah  !  nous  serons  rĂ©publicains  quand  mĂȘme,  fallĂ»t-il  y  pĂ©rir  de  fatigue, 
de  misĂšre,  ou  dans  un  combat.  C'est  la  pensĂ©e,  le  rĂȘve  de  toute  ma  vie 
qui  se  réalise,  et  je  savais  bien  qu'elle  ferait  tressaillir  votre  généreux 
cƓur. 

Mes  chagrins  personnels,  qui  étaient  arrivés  au  dernier  degré  d'amer- 
tume, sont  comme  oubliés  ou  suspendus... 

Mais  ne  parlons  pas  de  nous-mĂȘmes,  chacun  a  son  ver  rongeur  et 
doit  se  laisser  ronger  sans  y  songer,  car  il  va  de  grands  devoirs  qui 
réclament  tout  notre  temps,  toutes  nos  forces,  toute  notre  ùme.  Vous 


GEORGE   SAND  37 

allez  bientĂŽt  nous  ramener,  j'espĂšre,  les  consolations  de  l'art,  remĂšde 
divin  et  force  bienfaisante.  Vous  me  direz  tout  ce  que  vous  allez  faire, 
car  je  compte  sur  vous  pour  faire  dans  l'art  la  révolution  que  le  peuple 
vient  de  faire  dans  la  politique.  A  bientĂŽt  donc,  ma  Paulita,  je  vous 
chéris  et  vous  embrasse  mille  fois. 

Maurice  est  aux  prises  avec  ses  fonctions  de  maire  délégué  du  gou- 
vernement. La  commune  de  Nohant  ne  lui  offre  qu'amitié  et  con- 
fiance. Mais  il  faut  que,  dans  son  petit  coin,  il  travaille  Ă   Ă©clairer  l'es- 
prit de  900  administrés  et  de  200  électeurs  qui  disent  tous  :  Vive  la 
république,  à  bas  l'impÎt!  et  qui  ne  veulent  pas  entendre  à  autre  chose. 
Dimanche  nous  faisons  une  cĂ©rĂ©monie  champĂȘtre,  garde  nationale 
en  sabots,  cornemuse  en  tĂȘte,  et  lundi  ou  mardi,  je  pars. 

A  vous,  chĂšre  fille,  toujours,  toujours.  Maurice  et  Augustine  baisent 
vos  belles  mains  et  vous  aiment  avec  vénération. 

George. 

Donc  la  fĂȘte  eut  effectivement  lieu  le  dimanche  19  mars. 
Lundi,  le  20  mars,  Mme  Sand  partit  pour  Paris,  et  mardi,  le 
21,  elle  Ă©crivit  chez  Pinson  la  lettre  qui  parut  le  surlendemain, 
le  23  mars,  dans  la  RĂ©forme,  ainsi  que  la  lettre  Ă   Maurice  qui 
est  imprimée  dans  la  Correspondance  à  la  fausse  date  de  13  mars, 
Nous  allons  citer  des  extraits  de  toutes  ces  lettres,  ainsi  que 
la  description  de  la  FĂȘte.  Quoique  chacun  puisse  la  lire  dans 
l'excellent  article  de  M.  Monin,  nous  devons  quand  mĂȘme  la 
réimprimer  encore  une  fois  ici,  parce  qu'elle  contient  des  lignes 
qu'il  nous  faut  absolument  noter  et  confronter  avec  d'autres 
Ă©crits  de  George  Sand  ;  nous  tenons  aussi  Ă   mettre  au  point 
certaines  allusions  qu'elle  contient. 

«  La  commune  de  Nohant- Vie  (Indre)  a  proclamé  la  République 
dimanche  dernier  (19  mars)  dans  une  cĂ©rĂ©monie  champĂȘtre  Ă   la  fois 
simple  et  touchante.  Les  habitants  de  cette  commune,  tous  agri- 
culteurs, ont  demandé  au  curé  de  leur  chef-lieu  paroissial  un  service 
funĂšbre  particulier  dans  leur  petite  Ă©glise,  trop  petite  surtout  ce  jour- 
là,  pour  contenir  l'affluence  des  fidÚles.  Ce  temple  rustique,  à  défaut 
d'ornements  somptueux,  était  paré  de  feuillages,  de  branches  de 
cyprĂšs,  de  mousse  et  de  blanches  primevĂšres.  Le  catafalque  en  l'hon- 
neur des  martyrs  de  la  République  était  couronné  d'une  splendide 
guirlande  de  pĂąles  violettes,  et  les  Ă©tendards  tricolores  qui  l'ombra- 
geaient avaient  pour  hampes  des  tiges  de  lauriers  fraßchement  coupées 
et  garnies  de  leurs  feuilles.  La  garde  nationale  s'était  organisée  et 


3S  GEORGE   SAN'D 

rassemblée  spontanément  sur  la  simple  invitation  du  nouveau  maire, 
M.  Maurice  Sand.  DÚs  le  matin,  tous  ces  braves  gens  étaient  arrivés 
du  fond  de  leurs  terres,  montés  sur  leurs  petits  chevaux,  enveloppés  de 
leurs  manteaux  bleus,  le  bout  du  fusil  passant  sur  le  flanc  du  cheval. 
On  eût  dit  d'une  petite  Vendée.  Ces  hommes  ont  le  sang-froid  et  la 
bravoure  des  partisans.  Mais  aujourd'hui  il  n'y  a  plus  de  partis  con- 
traires Ă   la  grande  unitĂ©  nationale  ;  une  mĂȘme  pensĂ©e  rassemble  tous 
les  habitants  du  sol  ;  et  si  l'accoutrement  pittoresque  de  nos  gens  de 
campagne  rappelle  les  apprĂȘts  mystĂ©rieux  de  la  guerre  civile,  leur 
physionomie  enjouée,  l'esprit  de  fraternité  qui  s'éveille  à  leur  approche. 
les  cris  de  :  Vive  la  RĂ©publique!  qui  les  saluent  sur  leur  passage,  et  le 
concours  de  toutes  les  sympathies  Ă   un  triomphe  dont  la  France  entiĂšre 
veut  ĂȘtre  solidaire,  annoncent  qu'Ă   la  poĂ©sie  des  temps  passĂ©s  ils 
savent  joindre  la  vive  notion  du  présent  et  de  l'avenir.  Soixante-dix 
paysans,  armés  de  fusils  de  chasse,  se  trouvÚrent  ainsi  réunis  à  deux 
cents  non  armés,  qui  demandaient  avec  enthousiasme  des  armes  à  la 
BĂ©publique  (1).  Les  femmes  et  les  enfants  portant  des  banniĂšres,  les 
vieillards,  les  voisins  des  campagnes  environnantes  formĂšrent  bientĂŽt 
un  nombreux  cortÚge,  qui  assista  religieusement  à  l'office  et  à  la  béné- 
diction des  drapeaux.  La  garde  nationale  armée  s'était  exercée  seu- 
lement une  heure  avant  la  messe,  et  pourtant  elle  y  rendit  les  honneurs 
militaires  avec  l'ensemble  et  la  bonne  tenue  de  soldats  éprouvés.  Elle 
était  commandée  fraternellement  par  des  officiers  improvisés,  jeune? 
gens  rĂ©cemment  sortis  du  service  et  revĂȘtus  de  leurs  uniformes  des 
différents  corps.  Un  soldat  de  marine  revenu  de  la  Martinique,  un 
artilleur  revenu  d'Alger,  un  lancier  qui  avait  parcouru  la  France,  un 
fantassin  qui  avait  tenu  garnison  Ă   Paris,  de  jeunes  et  de  vieux  mili- 
taires, tels  sont  les  éléments  qui  se  retrouvent  dans  les  campagnes 
r-ous  les  nouvelles  banniĂšres  de  la  garde  civique,  et  qui  aiment  ci  confier 
leurs  drapeaux  à  de  vieux  héros  de  l' Empire  ou  de  la  République. 
Le  porte-drapeau  de  Xohant-Vic  Ă©tait  un  grenadier  de  la  vieille  garde, 
tout  couvert  de  blessures,  revĂȘtu  de  la  grande  tenue  de  l'Empire,  et 
fier  de  pouvoir  raconter  Ă   ses  jeunes  et  vaillants  camarades  les  jours 
de  Leipzig  et  la  glorieuse  campagne  de  1814. 

Un  objet  d'art  tiré  du  cabinet  d'un  amateur  obligeant  (2),  jouait 
son  rÎle  dans  la  rustique  solennité.  C'était  une  petite  couleuvrine  du 
seiziÚme  siÚcle,  toute  fleurdelisée,  et  qui  n'en  célébrait  pas  moins  d'une 

(1)  Comme  on  le  verra  tout  à  l'heure  par  sa  lettre  inédite  du  25  mars, 
George  Sand  prit  sur  elle  de  faire  des  démarches  pour  faire  distribuer  des 
armes  aux  campagnards  de  Xohant-Vic. 

(2)  M.  Monin  dit  qua  cet  amateur  fut  le  grand-pĂšre  paternel  de  M.  Alfred 
Aulard,  grand  ami  de  George  Sand  et  de  sa  famille  et  plus  tard  maire  de 
Xohant,  Nous  parlons  de  lui  dans  le  chapitre  ix 


GEORGE   SAND  39 

voix  bruyante  et  généreuse  le  triomphe  du  peuple.  Montée  sur  son 
petit  affĂ»t,  elle  fut  joyeusement  traĂźnĂ©e  par  de  beaux  enfants  en  tĂȘte 
du  cortÚge.  Le  curé  et  le  maire  conduisirent  ce  cortÚge  nombreux  au 
hameau  de  Vie,  annexe  de  Nohant,  oĂč  le  drapeau  tricolore  fut  plantĂ©, 
au  bruit  du  canon  et  de  la  mousqueterie,  au  son  du  tambour  et  de  la 
cornemuse,  instrument  guerrier  d'un  nouveau  genre  en  France,  et 
qui  ne  messied  pas  plus  aux  gardes  civiques  de  nos  campagnes  qu'aux 
bandes  de  montagnards  Ă©cossais.  Tout  le  monde  Ă©tait  dans  l'ivresse. 
Parmi  les  vivats  patriotiques,  il  y  en  a  un  qui  paraĂźtra  bizarre,  si  on 
le  rapproche  de  ce  qui  venait  de  se  passer  Ă   Paris.  Le  grenadier  de  la 
vieille  garde (1),  faisant  allusion  à  sa  coiffure  criblée  de  balles  ennemies, 
provoqua  le  cri  de  :  Vivent  les  bonnets  à  poil!  Et  chacun  de  lui  répondre 
cordialement  :  Vivent  les  bonnets  Ă   poil  de  la  vieille,  garde!  VoilĂ   les 
honneurs  que  nul  ne  refusera  jamais  à  la  véritable  bravoure.  Quant  à 
la  gloriole  des  oursons  parisiens,  nos  bons  paysans,  qui  ne  savent 
pas  le  fait,  eussent  eu  grand'peine  Ă   le  comprendre  (2). 

En  se  sĂ©parant,  ces  braves  gens  exprimĂšrent  un  vƓu  qui  mĂ©rite- 
rait bien  d'ĂȘtre  encouragĂ©  :  «  Pourquoi,  disaient-ils,  nous  a-t-on  laissĂ© 
prendre  le  pli  de  regarder  comme  rivaux  et  presque  comme  ennemis 
les  habitants  des  communes  environnantes?  N'est-ce  pas  le  moment 
d'oublier  toutes  les  fĂącheuses  divisions  d'amour-propre  (3)?  Vienne 

(1)  Ce  vieux  brave  s'appelait  Jacques  Saulat  et  on  peut  voir  par  la  fin 
inédite  de  la  lettre  du  17  avril,  imprimée  dans  la  Correspondance,  que  George 
Sand  étendit  sa  protection  sur  lui  aussi  et  s'empressa  de  le  faire  récompenser 
par  le  gouvernement  provisoire. 

(2)  Allusion  aux  événements  du  17  mars  à  Paris  :  la  manifestation  des 
■  bonnets  Ă   poil  »  et  la  contre-manifestation  du  prolĂ©tariat. 

(3)  Il  est  trÚs  intéressant  de  confronter  ce  passage  avec  les  lettres  inédites 
de  George  Sand  à  son  fils,  datées  du  2Î  mars  et  du  20  avril,  dans  lesquelles 
elle  sermonne  vertement  le  nouveau  maire  de  Nouant- Vie  de  vouloir  i  scinder  « 
les  deux  communes.  On  lira  dans  le  texte  la  premiĂšre  de  ces  deux  lettres. 
Voici  le  passage  de  la  seconde  qui  s'y  rapporte  : 

«  Tu  as  tort  de  t'obstiner  à  vouloir  sci  ider  ta  commune,  nous  ne  l'obtien- 
drions pas,  et  les  raisons  qu'on  nous  donnerait  seraient  justes.  C'est  que 
l'association  diminue  de  moitié  les  dépenses  et  qu'en  outre,  les  bons  citoyens 
doivent  tendre  à  détruire  l'esprit  de  localité  au  lieu  de  l'augmenter.  S'U  y 
a  difficulté  pour  un  maire  à  administrer  deux  communes,  le  zÚle  doit  aug- 
menter et  ne  pas  songer  à  faire  disparaßtre  la  difficulté.  Tu  n'es  pas  dans  les 
bo7is  principes  à  cet  égard,  tu  te  laisses  impressionner  par  les  préjugés  et  les 
petites  passions  de  tes  administrés.  Il  faut  te  montrer  ferme,  juste  et  dévoué 
à  tous.  Sois  sûr  que  tu  concilieras  tout  si  tu  t'en  domies  la  peine,  et  si  ton 
cƓur  vient  un  peu  en  aide  à  tes  actes  par  de  bonnes  paroles.  Je  crois  que  tu 
as  bien  fait  d'ĂȘtre  ferme  pour  ton  conseil  municipal.  Il  faut  que  Fleury  ratifie 
bien  vite  ce  que  tu  as  fait,  et  s'U  y  mettait  de  la  négligence,  il  faudrait  ne  pas 
t'endormir,  enfourcher  ta  blanche  ou  la  patache  et  aller  chercher  à  la  préfec- 
ture la  sanction  de  ta  conduite,  autrement  tu  trouverais  chez  les  mécontents 
une  résistance  fùcheuse.  On  est  tranquille  comme  Baptiste  ici,  malgré  la 


40  GEORGE    SAND 

vite  le  soleil  du  printemps,  et  si  la  RĂ©publique  veut  nous  donner  des 
fusils  et  le  mot  d'ordre,  nous  inviterons  les  autres  communes  Ă   un  grand 
rendez-vous,  dans  quelque  bel  endroit,  oĂč  nous  viendrons  tous  fra- 
terniser avec  elles  sous  les  grands  arbres.  » 

C'était  une  belle  et  bonne  pensée.  Oui,  qu'on  nous  seconde,  qu'on 
rĂ©ponde  Ă   notre  appel  amical,  disaient-ils,  et,  dans  de  belles  fĂȘtes 
champĂȘtres,  nous  sentirons  grandir  en  nous  le  sentiment  rĂ©publicain, 
nous  oublierons  l'augmentation  de  l'impĂŽt  qui,  en  ce  moment,  chagrine 
un  peu  les  pauvres,  et  nous  nous  aiderons  les  uns  les  autres  Ă   com- 
prendre la  nécessité  des  sacrifices  patriotiques. 

Cela  est  bien  nécessaire,  en  effet.  Les  bourgeois,  en  général,  décla- 
ment piteusement  devant  les  paysans,  Ă   propos  de  ces  sacrifices.  Au 
heu  de  les  encourager  et  de  leur  donner  joyeusement  le  bon  exemple,  ils 
travaillent,  par  leur  tristesse  et  leurs  murmures,  Ă   maintenir  le  rĂšgne  de 
l'Ă©goĂŻsme.  Le  peuple  comprendrait  pourtant  les  grandes  choses,  au  fond 
des  campagnes  comme  sur  le  pavé  brûlant  des  villes,  si  de  bons  citoyens 
s'efforçaient  de  l'initier  Ă   la  connaissance  de  ses  vĂ©ritables  intĂ©rĂȘts.  » 

Revenue  à  Paris  et  ayant  passé  la  nuit  dans  une  chambre 
meublée,  parce  que  le  concierge  de  son  fils  était  allé  à  son 
club,  Mme  Sand  alla  déjeuner  chez  Pinson  et  c'est  là  qu'elle  écrivit 
et  l'article  pour  la  RĂ©forme  et  la  lettre  Ă   son  fils,  oĂč  elle  lui  disait 
entre  autres  : 

...  J'irai  ce  soir  loger  chez  toi  (1),  en  attendant  que  je  m'installe  un 

gnmd'peur  de  ces  derniers  jours.  Les  mesures  un  peu  révolutionnaires  que 
vient  de  prendre  le  gouvernement  provisoire  vont  te  venir  en  aide.  Il  faudra 
te  hùter  d'en  donner  la  premiÚre  nouvelle  à  tes  administrés  et  leur  faire  com- 
prendre que  si  on  n'a  pas  eu  plus  tÎt  ces  heureuses  améliorations,  c'est  qu'il 
y  a  à  Paris,  comme  à  Nohant,  des  Étùve,  des  Biaud,  des  Blanchard,  etc.,  qui 
ne  veulent  pas  qu'on  adoucisse  le  sort  du  peuple  et  qui  créent  mille  embarras 
à  la  République.  Accuse-moi  réception  des  deux  mille  francs.  Bonsoir,  mm 
enfant,  attache-toi  Ă   montrer  une  sollicitude  Ă©gale  Ă   tes  deux  communes  et 
en  prouvant  que  tu  n'as  pas  de  préférences,  tu  auras  la  confiance  à  Vie 
comme  à  Xohant.  » 

Dans  la  lettre  du  21  avril  imprimée  dans  la  Correspondance,  en  peut  lire 
les  lignes  suivantes  : 

«  Xe  t'inquiÚte  pas.  Tu  ne  m'as  pas  dit  quelles  raisons  tu  avais  eues  pour 
casser  ton  conseil,  mais  il  aurait  fallu  commencer  par  lĂ .  Quoi  qu'il  en  soit, 
je  te  réponds  que  tu  n'auras  pas  le  dessous,  j'ai  parlé  de  cela  à  Ledru- 
Rollin,  qui  m'a  dit  que  probablement  tu  n'avais  pas  agi  par  caprice,  que 
sans  doute  il  y  avait  nĂ©cessitĂ©,  et  que  tu  devais  ĂȘtre  appuyĂ©  et  soutenu.  Je 
viens  d'Ă©crire  Ă   Fleury  un  peu  ferme  lĂ -dessus  ;  ne  te  laisse  pas  Ă©mouvoir  par 
ks  récriminations  et  les  menaces... 

On  voit  que  Mme  Sand  menait  Ă   la  baguette  le  maire  de  Xohant-Vic  et 
gouvernait  fort  Ă©nergiquement  sa  commune. 

(1)  Rue  de  Condé,  8. 


GEORGE   SAND  41 

peu  mieux,  s'il  y  a  lieu.  Mais  je  ne  veux  pas  encore  louer  pour  un  mois 
avant  de  savoir  si  je  pourrai  faire  quelque  chose  ici.  Je  vais  aller  voir 
Pauline.  Je  viens  de  faire,  en  dĂ©jeunant,  le  rĂ©cit  de  la  fĂȘte  de  Nohant 
pour  la  Réforme.  Borie  en  a  fait  un  en  déjeunant  à  Chùteauroux. 
pour  le  journal  de  Fleury.  Tu  les  recevras  l'un  et  l'autre  et  tu  feras 
bien  de  les  lire  dimanche,  Ă   haute  et  intelligible  voix,  Ă   tes  gardes 
nationaux.  Ça  les  flattera.  Tu  dĂ©velopperas  ces  articles  par  des  con- 
versations dans  les  groupes.  Tu  feras  sentir  la  nécessité  de  l'impÎt 
pour  ce  moment  de  crise.  Tu  diras  que  nous  sommes  trĂšs  contents 
d'en  payer  la  plus  grosse  part  et  que  ce  n'est  pas  acheter  trop  cher 
les  bienfaits  de  l'avenir.  VoilĂ   ton  thĂšme,  que  tu  traduiras  en  berrichon... 
Travaille  Ă   prĂȘcher,  Ă   rĂ©publicaniser  nos  bons  paroissiens.  Nous  ne 
manquons  pas  de  vin  cette  année,  tu  peux  fane  rafraßchir  ta  garde 
nationale  armée,  modérément,  dans  la  cuisine,  et,  là,  pendant  une 
heure,  tu  peux  causer  avec  eux  et  les  Ă©clairer  beaucoup.  Je  t'enverrai 
du  Biaise  Bonnin  (1),  qui  te  servira  de  thĂšme.  Seulement,  mets  de  l'ordre 
maintenant  dans  ces  réunions,  et,  s'il  le  faut,  forme  une  espÚce  de 
club,  d'oĂč  seront  exclus  les  flĂąneurs  et  les  buveurs  inutiles,  les  enfants 
et  les  femmes,  qui  ne  songent  qu'Ă   crier  et  Ă   danser.  Pour  le  moment, 
c'est  tout  ce  qu'on  peut  faire.  » 

Ayant  ainsi  mis  en  bon  train  (le  croyant  du  moins)  la  pro- 
pagande dans  sa  localité,  par  la  voix  de  son  fils,  par  celle  des 
commissaires  envoyés  de  Paris  et  enfin  par  les  brochures  édi- 
tées à  la  Chùtre  et  à  Orléans,  George  Sand  ne  tarda  pas,  à  Paris, 
Ă   agir  sur  un  plus  vaste  auditoire  :  elle  fonda  son  propre 
journal  hebdomadaire  et  promit  définitivement  son  aide  au 
gouvernement  provisoire  pour  la  rédaction  des  Bulletins  de  la 
RĂ©publique. 

Ces  Bulletins,  le  gouvernement  décida  de  les  faire  afficher 
périodiquement  à  Paris  et  dans  les  grandes  villes  ainsi  que  dans 
les  communes  rurales,  afin  de  «  donner  non  seulement  une  aide 
matérielle,  mais  mieux  encore  un  aliment  spirituel  »  à  ces  habi- 
tants des  campagnes  et  ouvriers  des  cités  industrielles  pour 
lesquels  commençait  une  vie  nouvelle,  «  avec  sa  morale,  ses 
lois  et  ses  obligations  »,  auxquels  n'arrivaient  jusqu'à  ce  jour 
«  ni  enseignement,  ni  conseils,  ni  sympathies,  ni  leçons  et  pour 
lesquels  la  presse  mĂȘme...  Ă©tait  muette  »  ;  Ă   prĂ©sent  le  gourer* 

(1)  V.  plus  haut  la  note  Ă   la  p.  30. 


42  GEORGE  SAND 

nenient  voulait  entrer  en  relations  directes  avec  ce  peuple,  parce 
que  «  le  plus  solide  lien  entre  un  gouvernement  et  le  peuple  était 
un  perpétuel  échange  d'idées  et  de  sentiments  »,  car  si  «  la  royauté 
qui  dédaignait  le  peuple  n'avait  pas  besoin  de  lui  parler,  la  Ré- 
publique... doit  lui  parler  sans  cesse  pour  l'Ă©clairer,  car  l'Ă©clairer 
c'est  le  rendre  meilleur  et  le  rendre  meilleur,  c'est  le  rendre 
plus  heureux  (1)...  » 

Dans  deux  Bulletins  dĂ©jĂ ,  rĂ©digĂ©s  par  Ledru-Rollin  lui-mĂȘme 
et  par  Jules  Favre,  sous-secrĂ©taire  d'État,  avaient  paru  des 
extraits  des  écrits  de  George  Sand  :  dans  le  numéro  3,  une  page 
de  sa  PremiÚre  Lettre  au  peuple,  et  dans  le  numéro  4,  un  passage 
de  sa  Lettre  aux  riches.  Mais  le  15  mars,  lorsque  Mme  Sand  Ă©tait 
encore  à  Nohant,  il  fut  décidé  en  un  conseil  du  gouvernement 
provisoire  de  mettre  ordre  dans  la  publication  des  Bulletins, 
et  à  cette  fin  «  le  ministre  de  l'Intérieur  fut  autorisé  à  s'entendre 
avec  Mme  George  Sand  pour  fournil-  des  articles  au  Bulletin  de 
la  République  (2)  ».  «  H  fut  encore  décidé  qu'à  partir  du  numéro  3, 
le  Bulletin  ne  paraßtrait  désormais  que  sur  le  bon  à  tirer  d'un 
des  membres  du  gouvernement  provisoire  »  et  on  établit  une 
liste  des  douze  signataires  responsables  dans  l'ordre  suivant  : 
Crémieux,  Garnier-PagÚs,  Lamartine,  Marie,  Louis  Blanc,  Arago, 
Albert,  Jules  Favre,  Flocon,  Ledru-Rollin,  Bethmont,  Carnot  ; 
il  ne  fut  toutefois  pas  stipulĂ©  que  le  mĂȘme  roulement  repren- 
drait avec  le  numéro  14  et  ce  point,  on  le  verra,  a  quelque 
importance  »  (3).  Jules  Favre  affirma  plus  tard  que  ce  fut  par 
l'entremise  d'Etienne  Arago  que  le  gouvernement  provisoire 
invita  George  Sand  à  prendre  part  à  la  rédaction  du  Bulletin. 
D'autres  prĂ©tendirent  que  Mme  Sand  avait  elle-mĂȘme  offert  ses 
services.  Nous  avons  tout  lieu  de  croire  que  ce  fut,  comme  en 
1844,  au  nom  du  comité  de  la  Réforme,  se  trouvant  à  présent  à 


(1)  Expressions  du  Bulletin  n°  1. 

(2)  Cette  phrase  empruntĂ©e  au  rapport  de  la  commission  d'enquĂȘte  sur 
l'affaire  du  15  mai  (t.  II,  p.  30),  fait,  comme  on  le  sait,  par  Jules  Favr  \  est 
citée  par  Daniel  Stern  (Histoire  de  la  Révolution  de  1848,  t.  II,  p.  292)  et 
par  M.  Monin. 

(3)  M.  Monin,  George  Sand  et  la  révolution  de  1848.  (La  Révolution  fran- 
çaise, 14  décembre  1899,  p.  544-545.) 


GEORGE  SAND  43 

la  tĂȘte  du  gouvernement,  au  nom  de  Ledru-Rollin  et  du  sien 
propre  que  Louis  Blanc  s'adressa  Ă   Mme  Sand  (avec  laquelle 
il  avait  beaucoup  correspondu,  en  l'hiver  de  1847-48). 

Mais  M.  Monin  remarque  en  toute  justesse  que  quel  que  fût 
l'intermédiaire  entre  George  Sand  et  le  gouvernement  provi- 
soire, l'important  est  que  ce  fut  «  tout  le  gouvernement  provi- 
soire, modérés,  radicaux  et  socialistes,  qui  a  officiellement 
accepté  sa  collaboration». 

Or,  la  calomnie  ne  manqua  pas  de  trouver  lĂ   encore  sa  pĂąture  ; 
Jules  Eavre  prétendit,  plus  tard,  que  George  Sand  fut  payée 
par  le  gouvernement  provisoire.  Et  lorsque  dans  les  cercles 
réactionnaires  se  propagÚrent  sciemment  des  fables  sur  le 
luxe  effréné,  «  les  repas  de  Lucullus  »  et  le  train  magnifique 
des  membres  du  gouvernement  provisoire,  ces  fables  s'Ă©ten- 
dirent Ă   George  Sand  :  beaucoup  crurent  que  se  trouvant  au 
faĂźte  du  pouvoir,  elle  puisait  Ă   pleines  mains  l'or  et  les  hon- 
neurs, et  que  sa  vie  à  Paris  ne  fut  qu'une  série  ininterrompue 
de  triomphes.  Son  cousin  René  de  Villeneuve  le  crut  aussi,  et 
elle  l'en  dissuada  par  les  lignes  suivantes,  empreintes  d'une 
souriante  bonhomie  : 

Ces  récits  sont  romans  d'un  bout  à  l'autre.  Mes  triomphes  à  Paris 
ont  consisté  à  vivre  dans  une  mansarde  de  cent  écus  par  an,  à  dßner 
pour  trente  sous,  Ă   payer  mes  dettes  et  Ă   travailler  gratis  pour 
la  RĂ©publique.  VoilĂ   les  honneurs,  les  profits  et  les  grandeurs  que 
j'ai  brigués  jusqu'à  ce  jour.  Aimez-moi,  je  le  mérite  toujours  et  je  vous 
aime  toujours...  (1). 

Elle  Ă©crit  encore  Ă   Poney  sur  le  mĂȘme  sujet  : 

Pour  mon  compte,  je  vous  assure  que,  physiquement  mĂȘme,  je  ne 
m'aperçois  pas  que  la  pauvreté  soit  un  malheur.  H  est  vrai  que  ma 
pauvreté  est  relative  et  que  ce  n'est  pas  la  misÚre.  Mais  enfin,  j'ai 
changé  un  appartement  de  trois  mille  francs  pour  un  appartement  de 
trois  cents,  et  la  mĂȘme  diminution  s'est  opĂ©rĂ©e  dans  tous  les  dĂ©tails 
de  mon  existence  matérielle.  Or,  je  ne  comprends  pas  que  cela  soit 

(1)  La  correspondance  inédite  de  George  Sand  avec  René  de  Villeneuve 
et  sa  famille,  comprenant  89  lettres,  existe  ;  quelques  lettres  seulemeut  ont 
paru  dans  le  Figaro,  16  janvier  1881. 


44  GEORGE   SAND 

une  souffrance,  et  je  pense  maintenant  que  le  luxe  est  un  besoin  de 
la  vanité  plus  qu'un  appétit  véritable  de  la  mollesse... 

Les  amis  de  George  Sand  ne  purent  toutefois  pas  accepter 
aussi  bénignement  ces  calomnies  et  lorsque  Jules  Favre  crut 
possible  de  proclamer  hautement  dans  son  rapport  Ă   la  Commis- 
sion cV EnquĂȘte  que  Mme  Sand  avait  reçu  de  l'argent  du  gou- 
vernement provisoire  et  des  ministres,  l'un  des  membres  de  ce 
gouvernement,  un  Vieil  ami  de  Mme  Sand,  Etienne  Arago, 
en  fut  indigné  et  crut  devoir  réfuter  sérieusement  ce  mensonge. 
Xous  avons  retrouvé  dans  les  papiers  de  George  Sand  deux 
lettres  de  ce  vieux  républicain  accompagnées  de  deux  versions 
d'une  réfutation  adressée  par  lui  à  la  rédaction  du  Corsaire.  Il 
nous  semble  suffisant  d'en  donner  une  seule. 

Cabinet  du  directeur  général  des  postes. 

1848,  Paris. 
Ma  chĂšre  amie, 

Cette  lettre  vous  va-t-elle?  J'allais  l'envoyer  à  la  rédaction  du  Cor- 
saire, lorsque  Gouin  m'a  apporté  le  petit  mot  qu'il  vous  adresse  en 
réponse  à  une  demande  que  vous  lui  avez  faite.  Si  ma  lettre  vous  va, 
dites-le-moi,  et  le  Corsaire  l'insérera  de  gré  ou  de  force  : 

«  Monsieur  le  rédacteur,  dans  un  de  vos  numéros  du  mois  dernier, 
vous  demandiez  à  connaßtre  la  somme  que  Mme  Sand  aurait  reçue 
du  gouvernement  provisoire  pour  la  rédaction  de  ses  bulletins.  C'est 
Ă   moi  peut-ĂȘtre  qu'il  appartient  de  rĂ©pondre  Ă   cette  question  puisque 
dans  une  de  ses  insinuations  inexactes  M.  Jules  Favre  a  prétendu 
devant  messieurs  de  l'enquĂȘte  que  c'Ă©tait  moi  qui  avais  conseil!'.-  Ă  
M.  Ledru-RolHn  d'employer  la  plume  de  Mme  Sand.  Je  puis  donc  vous 
dire,  monsieur  le  rédacteur,  que  je  mets  au  défi  le  plus  grand  fureteur 
de  trouver  dans  les  comptes  du  gouvernement  provisoire  et  du  minis- 
tÚre de  l'intérieur  autre  chose  que  la  preuve  du  désintéressement  com- 
plet de  l'illustre  écrivain  si  injustement  soupçonné.  Agréez,  etc.. 

Etienne  Arago. 

Cela  vous  va-t-il?  Si  oui,  la  lettre  part,  si  non,  je  la  déchire.  Ecrivez- 
moi  donc  bien  vite.  J'ai  vu  ces  jours  passés  MM.  Planet  et  Fleury, 
nous  avons  parlé  de  vous  :  c'était  toujours  cela  ;  mais  quand  nous  rever- 
rons-nous?  On  m'a  parlé  d'une  charmante  préface  que  vous  écrivez 


GEORGE   SAND  45 

en  tĂȘte  d'un  nouveau  chef-d'Ɠuvre,  cette  prĂ©face  aurait  pour  titre 
Comme  quoi  je  suis  revenue  Ă   mes  moutons  (1).  Heureuse  au  moins,  vous 
qui  ne  les  tondez  pas,  de  vivre  avec  ces  douces  bĂȘtes.  Nous  autres,  nous 
vivons  au  milieu  des  loups  de  l'état  de  siÚge.  Qui  l'eût  dit? 

J'ai  reçu  bien  des  nouvelles  d'Emmanuel,  à  qui  j'avais  écrit  en  lui 
envoyant  les  articles  de  son  ami  Vevey.  Le  bel  indifférent  consent  à 
se  dĂ©fendre  contre  une  pĂ©tition  qui  va  ĂȘtre  lue  Ă   la  tribune  et  qui  arrive 
de  Lyon  (2).  C'est  son  pĂšre  sans  doute  qui  lira  la  justification.  L'accu- 
sation tombera,  puisqu'on  accuse  le  proconsul  d'avoir  mis  dans  sa 
poche  cinq  cent  nulle  francs.  L'ambassadeur  pourrait  faire  bonne  mine 
à  Berlin  avec  cette  somme,  mais  il  se  contente  de  dépenser  du  talent  (3). 
Bastide  m'a  dit  hier  que  ses  dĂ©pĂȘches  Ă©taient  excellentes. 

Écrivez-moi,  vous  qui  n'ĂȘtes  pas  occupĂ©e  comme  je  le  suis. 

Mille  amitiés  profondes. 

Etienne  Arago. 

Le  contenu  de  ces  deux  lettres  non  seulement  réfute  brillam- 
ment les  calomnies  répandues  par  Jules  Favre  et  par  d'au- 
tres pĂȘcheurs  en  eau  trouble,  sur  le  prĂ©tendu  argent  reçu  par 
Mme  Sand,  mais  nous  laisse  conclure  que  la  célÚbre  femme 
paraĂźt  avoir  voulu  sacrifier  quelques  mille  francs  pour  cette 
Ă©dition  des  Bulletins  et  nous  montre  encore  combien  M.  Mo- 
nin  avait  raison  de  dire  :  «  Elle  ne  demanda  ni  ne  reçut  d'argent 
pour  sa  peine  :  elle  devait  ĂȘtre  abondamment  payĂ©e  en  outrages.  » 

Nous  avons  anticipé  sur  les  faits  et  devons  revenir  au 
moment  oĂč  George  Sand  ne  faisait  que  commencer  Ă   aider  le 
gouvernement  provisoire  de  sa  plume  et  s'apprĂȘtait  gaie- 
ment à  agir  dans  les  trois  directions  désignées,  qui  toutes  devaient 
aboutir  à  un  seul  but  :  la  gloire  et  la  durée  de  la  République. 
Elle  écrit  à  son  fils  le  23  mars  :  (La  lettre  est  datée  du  24  dans 
la  Correspondance.) 

Me  voilĂ   dĂ©jĂ   occupĂ©e  comme  un  homme  d'État.  J'ai  fait  deux  cir- 
culaires gouvernementales  aujourd'hui,  une  pour  le  ministĂšre  de  l'Ins- 

(1)  Ces  mots  se  rapportent,  il  est  évident,  à  la  préface  de  la  Petite  Fadette, 
qui  avait  commencé  à  paraßtre  le  1er  décembre  1848  dans  le  Crédit.  V. 
notre  vol.  III,  p.  638. 

(2)  A  ce  moment  de  réaction  croissante,  il  y  eut  des  déclarations  et 
des  poursuites  contre  tous  les  acteurs  des  premiers  mois  de  la  RĂ©publique, 
entre  autres  contre  Emmanuel  Arago,  envoyé  en  mars  à  Lyon,  en  qualité 
de  commissaire  du  gouvernement  provisoire. 

(3)  Emmanuel  Arago  Ă©tait  alors  ambassadeur  Ă   Berlin. 


46  GEORGE   SAND 

truction  publique  et  une  pour  le  ministÚre  de  lïntérieur.  Ce  qui  m'amuse 
c'est  que  tout  cela  s'adresse  aux  maires,  et  que  tu  vas  recevoir  par  la 
voie  officielle  les  instructions  de  ta  mĂšre. 

Ah  !  ah  !  monsieur  le  maire,  vous  allez  marcher  droit,  et  pour  com- 
mencer, vous  lirez  chaque  dimanche  un  des  Bulletins  de  la  RĂ©publique 
à  votre  garde  nationale  réunie.  Quand  vous  l'aurez  lu,  vous  l'expli- 
querez, et,  quand  ce  sera  fait,  vous  afficherez  ledit  Bulletin  Ă   la  porte 
de  l'Ă©glise.  Les  facteurs  ont  l'ordre  de  faire  leur  rapport  contre  ceux 
des  maires  qui  y  manqueront.  2se  néglige  pas  tout  cela,  et,  en  lisant 
ces  Bulletins  avec  attention,  tes  devoirs  de  maire  et  de  citoyen  te 
seront  clairement  tracĂ©s.  Il  faudra  faire  de  mĂȘme  pour  les  circulaires 
du  ministre  de  l'Instruction  publique.  Je  ne  sais  auquel  entendre. 
On  m'appelle  Ă   droite,  Ă   gauche.  Je  ne  demande  pas  mieux. 

Pendant  ce  temps,  on  imprime  mes  deux  Lettres  au  peuple.  Je  vais 
faire  une  revue  avec  Viardot,  un  prologue  pour  Lockroy.  J'ai  persuadé 
Ă   Ledru-Rollin  de  demander  une  Marseillaise  Ă   Pauline.  Au  reste, 
Rachel  chante  la  vraie  Marseillaise  tous  les  soirs  aux  Français  d'une 
maniĂšre  admirable,  Ă   ce  qu'on  dit  J'irai  l'entendre  demain. 

Mon  éditeur  commence  à  me  payer.  Il  s'est  déjà  exécuté  de  trois 
mille  francs  et  promet  le  reste  pour  la  semaine  prochaine  ;  nous  nous 
en  tirerons  donc,  j'espĂšre.  Tu  entends  bien  que  je  n'ai  pas  dĂ»  demander 
un  sou  au  gouvernement.  Seulement,  si  je  me  trouvais  dans  la  débine, 
je  demanderais  un  prĂȘt,  et  je  ne  serais  pas  exposĂ©e  Ă   une  catastrophe. 
Tu  entends  bien  aussi  que  ma  rédaction  dans  les  actes  officiels  du  gou- 
vernement ne  doit  pas  ĂȘtre  criĂ©e  sur  les  toits.  Je  ne  signe  pas.  Tu  dois 
avoir  reçu  les  six  premiers  numéros  du  Bulletin  de  la  République, 
le  septiĂšme  sera  de  moi.  Je  te  garderai  la  collection  :  ainsi  affiche  le 
tiens,  et  ficJie-toi  de  les  voir  détruits  par  la  pluie. 

Tu  verras  dans  la  RĂ©forme  d'aujourd'hui  (1)  mon  compte  rendu 
de  la  fĂȘte  de  Gobant- Vie  et  ton  nom  figurera  au  milieu.  Tout  va  aussi 
bien  ici  que  ça  va  mal  chez  nous.  J'ai  prévenu  Ledru-Rollin  de  ce  qui 
se  passait  à  la  Chùtre.  H  va  y  envoyer  un  représentant  spécial.  Garde 
ça  pour  toi  encore.  J'ai  fait  connaissance  avec  Jean  Reynaud,  avec 
Barbes,  avec  M.  Boudin,  prétendant  à  la  dépuration  de  l'Indre; 
celui-ci  m'a  paru  un  républicain  assez  crùne,  et  il  est  en  effet  ami 
intime  de  Ledru-Rollin.  Il  nous  faudra  peut-ĂȘtre  l'appuyer.  Je  crois 
que  les  élections  seront  retardées.  fl  ne  faut  pas  le  dire  et  il  ne  faut  pas 
négliger  l'instruction  de  tes  administrés.  Tu  as  ton  bout  de  devoir 
h  remplir,  chacun  doit  s'y  mettre,  mĂȘme  Lambert,  qui  doit  prĂȘcher 
la  RĂ©publique  sur  tous  les  tons  aux  habitants  de  Ponant. 

(1)  Le  compte  rendu  de  la  fĂȘte  du  19  mars  parut  dans  la  RĂ©forme,  comme 
nous  l'avons  dit,  le  23  mars,  ce  qui  prouve  que  la  lettre  est  bif-n  du  23  mars. 


GEORGE   SAND  47 

Je  suis  toujours  dans  ta  cambuse,  et  j'y  resterai  peut-ĂȘtre.  C'est 
une  Ă©conomie,  et  le  gouvernement  provisoire  vient  m'y  trouver  tout 
de  mĂȘme. 

Le  gouvernement  et  le  peuple  s'attendent  à  de  mauvais  députés, 
et  ils  sont  d'accord  pour  les  ficher  par  les  fenĂȘtres.  Tu  viendras,  nous 
irons,  et  nous  rirons.  On  est  aussi  crĂąne  ici  qu'on  est  lĂąche  chez  non?. 
On  joue  le  tout  pour  le  tout  ;  mais  la  partie  est  belle... 

(Nous  omettons  les  lignes  qui  suivent  et  qui  se  rapportent  Ă  
Borie,  surnommé  «  le  Potu  »  ;  natif  du  Limousin,  il  était  un  objet 
constant  de  moqueries  de  la  part  de  Mme  Sand  et  de  son  fils 
sur  son  accent  limougis  et  son  flegme  d'Auvergnat.) 

...  Ne  manque  pas  de  dire  Ă   ta  garde  nationale  qu'il  n'est  question 
que  d'elle  à  Paris.  Ça  la  flattera  un  peu... 

La  fin  de  cette  lettre,  imprimée  dans  la  Correspondance,  y 
est  arbitrairement  ajoutée  et  appartient  en  réalité  à  la  lettre 
inédite  du  25  mars.  Quant  à  celle  du  23  mars,  nous  l'avons  citée 
presque  en  entier,  quoiqu'elle  soit  publiée  dans  la  Correspon- 
dance, pour-  la  raison  qu'on  y  voit  se  suivre  et  s'entrelacer, 
presque  sans  aucune  transition,  toute  une  série  de  nuances 
d'humeurs,  de  faits  et  d'idĂ©es  d'ordres  trĂšs  divers  et  tous  extrĂȘ- 
mement importants  pour  le  biographe.  D"abord,  le  ton  de  la 
lettre  est  gai,  alerte,  moqueur,  on  y  sent  la  confiance  dans  sa 
cause  et  dans  le  triomphe  de  la  RĂ©publique.  Puis,  nous  y 
voyons  narrée  la  part  la  plus  directe  que  prenait  l'auteur  aux 
agissements  du  gouvernement,  aussi  bien  que  ses  propres  pro- 
jets littéraires  et  autres.  On  y  voit  encore  échapper  à  la  plume 
de  l'amie  de  Ledru-Rollin  des  indications  fort  intéressantes  con- 
cernant messieurs  les  républicains  :  ils  devaient  à  Paris  ainsi 
qu'en  province  avoir  recours  Ă   de  petites  ruses  ;  taire  cela, 
chauffer  artificiellement  ceci,  et  en  particulier  on  voit  comment 
George  Sand  conseillait  Ă   son  fils  de  recourir  mĂȘme  Ă   de  petits 
trucs  aussi  peu...  sages  que  d'assurer  sa  garde  nationale,  «  qu'il 
n'était  question  que  d'elle  à  Paris.  »  Et  enfin  nous  y  voyons 
annoncer  la  décision  prise  dÚs  lors,  probablement  pendant  l'une 
de  ces  séances  privées  du  gouvernement  provisoire  dans  la 
«  cambuse  »  de  la  rue  de  Condé,  d'ajourner  les  élections,  dont 


4S  GEORGE   SAND 

les  radicaux  et  les  républicains  «  purs  »  appréhendaient  les 
résultats  ;  or,  cet  ajournement  fut,  comme  on  le  sait,  une  erreur 
fatale  et  fit  grand  tort  Ă   la  deuxiĂšme  RĂ©publique.  Comme  suite 
à  cette  premiÚre  décision,  il  en  surgit  une  seconde  :  dans  le 
cas  de  l'insuccÚs  de  ces  élections  ajournées,  déclarer  nulle  l'As- 
semblée nationale  pouvant  se  trouver  réactionnaire  ou  modérée, 
la  dissoudre  et  obtenir  par  force  une  majorité  désirable.  C'est 
une  chose  qu'il  faut  noter,  surtout  en  vue  des  accusations  ulté- 
rieures portées  contre  George  Sand  d'avoir  pris  part  à  la  cons- 
piration, accusations  qui  se  trouvent  ainsi  avoir  sinon  une 
raison  réelle,  au  moins  une  raison  morale,  puisque  nous  voyons 
Mme  Sand,  déjà  vers  la  fin  de  mars,  applaudir  à  ce  qu'on  «  fiche 
par  la  fenĂȘtre  les  mauvais  dĂ©putĂ©s  ».  Le  fameux  Bulletin  n°  16, 
n'est  qu'une  conséquence  directe  de  ce  fait  moral. 

Et  voici  maintenant  la  lettre  inédite,  du  25  mars,  mentionnée 
plus  haut  : 

Mon  enfant, 

J'ai  reçu  tes  lettres.  Le  temps  me  manque  pour  t'écrire  longuement 
et  souvent  comme  je  le  voudrais.  J'ai  fait  une  circulaire  pour  l'Instruc- 
tion publique.  Elle  n'a  pas  encore  paru,  ils  n'en  finissent  pas.  Ce  mi- 
nistÚre est  le  palais  du  sommeil.  Tai  fait  le.  numéro  1  et  S  du  «  Bulletin 
de  la  République  ».  Ceux-là  marchent  bien.  J'ai  demandé  grùce  pour 
le  numéro  9  (1),  parce  que  le  temps  me  manque. 

J'ai  fait  un  prologue  pour  l'ouverture  gratis  du  Théùtre  français 
(vieux  style  :  lisez  Théùtre  de  la  République),  au  populaire  de  Paris 
et  de  la  banlieue.  Ce  sera  une  représentation  superbe.  Le  gouver- 
nement provisoire  y  sera,  Rachel,  Samson,  Ligier,  Beauvallet, 
Mlle  Brohan  jouent  mon  prologue,  et  les  comparses  mĂȘme  y  seront 
reprĂ©sentĂ©s  par  de  premiers  sujets.  H  y  aura  des  chƓurs,  Pauline 
fait  une  Marseillaise  nouvelle,  dont  Dupont  a  fait  les  paroles  :  c'est 
moi  qui  mĂšne  tout  cela.  Pauline  chantera  sa  composition  en  tĂȘte  des 
chƓurs  du  Conservatoire.  Rachel  chantera  la  vraie  Marseillaise  qu'elle 
chante  tous  les  soirs  avec  une  voix  de  bois  (sans  calembour),  mais  avec 
un  accent,  un  geste,  une  tĂȘte  vraiment  admirables. 

Si  tu  veux  venir  passer  trois  jours  pour  voir  cela  et  le  Salon,  tu  vien- 

(1)  C'est  nous  qui  soulignons,  et  nous  prions  le  lecteur  de  noter  ces  indi- 
cations des  numéros  des  Bulletins,  elles  nous  seront  de  toute  utilité  tout  à 
l'heure. 


GEORGE   SAND  49 

dra?.  Je  t'Ă©crirai  le  jour  de  la  piĂšce,  et  m'assurerai  d'abord  si  tu  pourras 
entrer  par  le  théùtre,  car,  ce  jour-là,  il  n'y  aura  point  d'entrées  de  fa- 
veur, comme  tu  penses.  Dupuy  m'a  payé.  Je  t'envoie  cinq  cents  francs. 
J*ai  vu  hier  M.  Marc  Dufraisse,  qui  part  pour  l'Indre  ce  matin 
comme  commissaire  général.  H  va  aider  Fleury  à  se  débarrasser  d'un 
faux  commissaire  nommé  Vaillant  qui  révolutionne  Chùteauroux  tout 
de  travers.  Il  y  a  beaucoup  de  ces  gens-lĂ   qui  courent  Paris  et  les 
départements,  et  qui  sont  des  échappés  du  bagne;  si  tu  en  vois,  il 
faut  leur  demander  la  preuve  de  leur  mandat  et  les  faire  arrĂȘter  s'ils 
font  du  mal.  Quant  Ă   M.  Marc  Dufraisse,  il  est  excellent,  il  ira  te  voir. 
Je  lui  ai  dit  que  la  maison  et  toi  Ă©taient  Ă   sa  disposition.  Tu  l'ins- 
truiras de  tout  ce  que  tu  sais  de  la  ville  et  de  la  campagne,  tu  le  mettras 
en  rapport  avec  Touchet  et  les  bous  de  la  ChĂątre.  Vois  Touche t  d'avance 
pour  l'en  prévenir.  Dis  à  Touchet  cependant  de  ne  pas  le  voir  trop 
ni  d'une  maniÚre  trop  évidente  pour  ne  pas  faire  naßtre  l'idée  d'uns 
prévention  exclusive  de  la  part  de  ce  commissaire  pour  notre  opinion. 
H  va  remuer  la  ChĂątre,  contenir  les  veaux  de  Delaveau  (1),  casser 
tout  ce  qui  ne  marchera  pas.  Fais-lui  casser  ton  conseil  municipal, 
si  celui-ci  ne  veut  pas  te  seconder  franchement.  Ce  M.  Dufraisse  est 
un  homme  grave,  fin,  Ă©nergique  et  doux  de  formes.  Tu  en  seras  content. 
De  plus,  je  vais  envoyer  Gilland  et  un  de  ses  amis  nommé  Lambert,  qui 
est  comme  lui  excellent  (2).  Ceux-lĂ   auront  aussi  une  mission  pour 
révolutionner  et  catéchiser  les  paysans  et  les  ouvriers.  Reçois-les, 
aide-les,  mets-les  en  rapport  avec  le  curé,  Touchet,  etc.. 

Cette  lettre,  ainsi  que  la  page  du  Journal  intime  de  Mme  Sand, 
citée  plus  haut,  prouve  combien  était  injuste  la  boutade  de 
Ledru-Rollin  qui  disait  ironiquement  plus  tard  que  «  Mme  Sand 
avait  fait  l'importante  auprÚs  du  berceau  menacé  de  la  jeune  Répu- 
blique ».  H  est  évident  que  brouillé  ou  refroidi  à  l'égard  de  son 
ex-amie,  Ledru-Rollin  oublia  trop  vite  que  Mme  Sand  n'avait 
pas  fait  l'importante,  mais  qu'elle  avait  effectivement  joué  un 
rĂŽle  important  sous  son  propre  ministĂšre  et  pris  une  part  active 
aux  mesures  qui  en  Ă©manĂšrent.  Dans  cette  mĂȘme  lettre,  Mme  Sand 
signale  Ă   son  fils  la  direction  qu'il  doit  faire  suivre  aux  affaires 

(1)  Charles  Delaveau  Ă©tait  alors  maire  de  la  ChĂątre  et  le  chef  du  parti 
des  modérés  réactionnaires.  BientÎt  il  prit  ouvertement  parti  contre  George 
Sand.  La  lettre  que  Mme  Sand  lui  adressa  Ă   cette  occasion  est  trĂšs  curieuse 
sous  tous  les  rapports.  On  peut  la  lire  dans  le  tome  III  de  la  Correspon- 
dance. 

(2)  C'est  nous  qui  soulignons. 


5Ă»  GEORGE   SAKD 

<;!.:‱  sa  localitĂ©  :  dĂŻneuĂŻquer  lĂŻdĂ©e  de  la  solidaritĂ©  de  toutes  les 
communes,  si  importante  pour  faire  prospérer  la  souveraineté 
du  peuple  et  si  facile  Ă   compromettre  par  les  jalousies  de  clo- 
cher. Elle  y  revient  souvent  encore,  tant  dans  ses  lettres  Ă   son 
fils  que  dans  ses  Ă©crits  politiques.  Cette  fois,  elle  lui  Ă©crit  Ă   ce 
propos  : 

Je  n'approuve  pas  ton  idée  de  séparer  Vie  de  Notant  Cette  rivalité 
est  à  détruire  et  non  à  encourager.  Ces  petites  communes  isolées  ne 
pourront  rien,  elles  ne  pourront  pas  l'une  sans  l'autre  faire  les  dé- 
penses nécessaires  à  leur  bonne  gestion  :  c'est  comme  un  ménage  qui 
dépense  double  en  se  divisant  eu  deux  individus.  Etant  maire  à  Gobant, 
tu  reprends  la  part  d'autorité  que  NÎhant  avait  perdue,  c'est  à  toi 
de  maintenir  l'égalité  des  pouvoirs  des  deux  communes  en  prenant 
tes  conseillers  Ă©galement  dans  l'une  et  dans  l'autre,  et  en  tenant  ferme, 
sans  préférence  et  sans  faiblesse. 

Je  ferai  l'impossible  pour  vos  fusils.  C'est  bien  difficile,  Snbervie 
n'étant  plus  là  (1),  j'agirai  par  Ledru-Roilin,  qui  est  tout  à  nous» 
e'est-Ă -dire  tout  au  peuple. 

Embrasse  Titine  pour  moi,  impossible  de  lui  Ă©crire,  mais  dis-lui 
qu'elle  m'Ă©crive  de  temps  en  temps  et  que  je  l'embrasse,  et  que  je 
pense  Ă   elle.  Dis-lui  tout  ce  que  je  fais,  sans  lui  parler  des  commissaires 
et  missionnaires  que  je  fais  envoyer.  Cela  est  pour  toi  seul...  Borie  t'a 
acheté  pour  quarante  sous  quatre  bretelles  de  fusil.  Il  ne  part  pas 
encore,  les  Ă©lections  Ă©tant  retardĂ©es.  Ma  Revue  est  toute  prĂȘte, 
seulement,  je  n'ai  pas  encore  le  temps  de  la  commencer.  VoilĂ  
tout,  je  crois.  Je  t'embrasse  mille  fois,  prends  courage,  nous  allons 
ferme  !... 

Jusqu'à  cette  ligne,  toute  la  lettre  est  inédite,  la  fin  est  impri- 
mée clans  la  Correspondance,  en  qualité  de  fin  de  la  lettre  du 
23  mars  et  se  rapporte  aux  dangers  encourus  par  Emmanuel 
Arago  Ă   Lyon.  Elle  se  termine  par  des  paroles  toujours  enthou- 
siastes encore  : 

Nous  l'aurons,  va,  la  République  !  en  dépit  de  tout.  Le  peuple  est 
debout  et  diablement  beau,  ici  ! 


(1)  Le  général  Subervi*1  avait  été  nommé  ministre  de  la  Guerre  le  24  février, 
mais  bientĂŽt  la  commission  de  la  DĂ©fense  se  mit  Ă   agir  Ă   son  insu,  on  se  mit 
à  l'accuser  d'inertie  et  de  lenteur,  et  bien  vite  on  nomma  à  sa  place  le  général 
EugĂšne  Cavai&nac. 


GEORGE   SAND  51 

Tous  les  projets  dont  Mine  Sand  parle  dans  cette  lettre, 
elle  les  réalisa  effectivement. 

En  se  basant  sur  une  lettre  de  Mme  Sand  Ă   Girerd,  dans 
laquelle  elle  dit  qu'entre  le  22  mars  et  le  15  avril,  elle  avait  Ă©crit 
en  outre  du  Bulletin  n°  16  encore  cinq  ou  six  bulletins, 
M.  Mania  croit  qu'  «  examinés  ou  non,  amendés  ou  non,  par  le 
ministre  ou  par  son  secrétaire,  à  la  plume  de  George  Sand, 
appartiennent  les  nos  7,  9,  10,  12,  15  et  16  et  qu'il  faut  Ă©li- 
miner, en  tout,  du  n°  7  au  n°  16  inclusivement,  trois  ou  quatre 
bulletins...  Le  n°  8,  trÚs  mal  écrit  et  rempli  de  fautes  typogra- 
phiques (on  connaĂźt  Ă   cet  Ă©gard  la  scrupuleuse  minutie  de 
George  Sand)  ;  le  n°  11,  extrĂȘmement  court,  sur  la  suppression 
des  droits  d'exercice  ;  le  n°  13,  circulaire  administrative,  adressée 
aux  commissaires  ;  et  le  n°  14,  qui  reproduit  un  article  de  polé- 
mique financiÚre  de  la  Réforme...  »  Mais  nous  avons  vu  par  la 
lettre  de  Mme  Sand  Ă   son  fils  que  c'est  elle,  justement,  qui  Ă©crivit 
le  n°  8  ;  que  pour  le  n°  9  elle  avait  par  contre  «  demandé  grùce  ». 
D'autre  part,  quoique  le  n°  13,  daté  du  8  avril,  soit  une  circu- 
laire du  gouvernement  provisoire  adressée  aux  commissaires  et 
leur  enjoignant  à  travailler  l'élection  de  vrais  républicains  et 
de  contrecarrer  celle  des  adeptes  du  régime  déchu,  ou  des 
tiĂšdes,  nous  y  voyons  beaucoup  de  passages  qui  ne  sont  que 
des  variations  tant  soit  peu  développées  des  lignes  de  George 
Sand,  adressées  à  Girerd  sur  Michel  de  Bourges,  sur  les  amis  de 
la  veille  de  la  RĂ©publique  et  ceux  du  lendemain.  Quant  Ă   son 
contenu,  ce  bulletin  se  rattache  Ă©troitement  aux  Bulletins  n M  8 
et  10  et  présente,  avec  ce  dernier,  comme  le  programme  abrégé 
des  quatre  articles  de  George  Sand,  intitulés  Socialisme  et 
imprimés  dans  sa  Cause  du  Peuple*  En  ce  qui  regarde  le  n°  12 
(sur  la  défense  de  la  femme  et  la  cessation  du  trafic  des  malheu- 
reuses filles  du  peuple),  que,  grĂące  Ă   son  thĂšme  mĂȘme,  Fauteur 
de  la  Préface  à  la  collection  des  Bulletins  de  la  République  (1), 


(1)  La  collection  originale  des  vingt-cinq  Bulletins  de  la  Ré-publique  pré- 
sente an  rassemblement  d'affiches  et  de  placards  de  formats  et  de  caractĂšres 
divers,  imprimés  dans  quatre  typographies  différentes.  Dans  la  seconde 
moitié  de  1848,  un  «  haut  fonctionnaire  en  activité  »  réimprima  les  Bulletins 


52  GEORGE  SAND 

ainsi  que  M.  Monin  attribuent  Ă   Mme  Sand,  il  nous  semble  par 
contre  qu'il  n'est  pas  entiĂšrement  dĂ»  Ă   sa  plume,  que  des 
locutions,  des  tours  de  phrase  et  leur  rythme  mĂȘme,  ne  nous 
produisent  pas  l'effet  d'ĂȘtre  sortis  des  «  griffes  »  —  ex  ungue  — 
de  George  Sand.  En  tout  cas,  ce  Bulletin  ne  doit  pas  avoir 
été  écrit  par  elle  seule. 

Nous  croyons  donc  que  Mme  Sand  Ă©crivit  les  ncs  7,  8, 
10,  12  (?),  13,  15,  16,  et  certains  passages  des  n0*3  19  et 
20  (?). 

Dans  sa  premiÚre  lettre  à  son  fils,  à  sa  rentrée  à  Paris,  Mme  Sand 
conseillait  Ă   Maurice,  comme  nous  venons  de  le  voir,  de  faire 
comprendre  aux  paysans  «  la  nécessité  d'un  nouvel  impÎt  », 
et  le  premier  Bulletin  écrit  par  elle  (le  n°  7),  a  également  pour 
but  de  justifier  aux  yeux  du  peuple  le  malencontreux  impĂŽt 
de  45  centimes  dĂ©crĂ©tĂ©  par  ce  mĂȘme  gouvernement  provisoire  qui 
venait  si  imprudemment  de  déclarer,  dans  son  Bulletin  n°  2, 
qu'il  considérait  comme  l'un  de  ses  premiers  devoirs  de  «  réduire 
les  impÎts,  ou  du  moins  de  les  répartir  avec  plus  d'équité  », 
George  Sand  tente  d'expliquer  au  peuple  que  cette  nouvelle 
charge  est  causĂ©e  par  le  dĂ©sordre  financier  oĂč  se  trouvait  la 
France  aprÚs  dix-huit  années  d'absence  de  contrÎle  sous  le  ré- 
gime précédent.  Mais  le  nouveau  régime  ne  donne  pas  seulement 
de  nouveaux  droits,  il  impose  encore  de  nouveaux  devoirs.  L'au- 
teur du  Bulletin  parle  donc  aux  habitants  des  campagnes  presque 


en  un  minuscule  in-8°  recouvert  de  papier  jaune,  et  les  fit  précéder  d'une 
Préface.  Nous  avons  eu  la  chance  d'acquérir  ce  curieux  et  rarissime  petit 
livre  dont  le  titre  exact  est  :  Bulletins  de  la  République  émanés  du  ministÚre  de 
V Intérieur  du  13  mars  au  6  mai  1848.  Collection  complÚte  avec  une  Préface, 
par  un  haut  fonctionnaire  en  activité.  Prix  :  3  francs  50  centimes.  Paris.  Au 
bureau  central,  6,  rue  de  Bussy.  1848. 

M.  Monin,  qui  doit  avoir  aussi  eu  en  mains  ce  livret,  dit  avec  raison  que, 
malgré  le  mot  de  «  complÚte  »,  cette  collection  ne  l'est  point,  mais  que  la 
Préface  en  est  curieuse.  Remarquons  de  notre  cÎté  que  le  «  haut  fonction- 
naire »  avait  indubitablement  profité  d'une  part  des  indications  faites  par 
la  comtesse  d'Agoult,  trĂšs  au  courant  de  l'histoire  intime  et  de  tous  les  faits 
et  gestes  du  gouvernement  provisoire  ;  d'autre  part,  il  avait  dû  posséder 
des  données  assez  précises  sur  les  actes  de  George  Sand,  en  général,  et  en  par- 
ticulier sur  la  part  qu'elle  eut  dans  l'envoi  des  commissaires  et  dans  les  ins- 
tructions qu'ils  reçurent  de  «  républicaniser,  agiter  et  démocratiser  la  pro- 
vince ». 


GEORGE   SAND  5i 

dans  les  mĂȘmes  termes  qu'employait  Fra  Angelo  dans  le  Pic- 
cinino,  pour  caractériser  le  régime  bourgeois  : 

...  Habitants  des  campagnes,  connaissez  vos  vĂ©ritables  intĂ©rĂȘts,  et 
repoussez  les  fatales  suggestions  de  l'Ă©goĂŻsme  et  de  la  peur.  Habituez- 
vous  à  comprendre  la  vérité  sociale.  La  vérité  sociale  est  que  lorsque 
chacun  pense  exclusivement  Ă   son  propre  intĂ©rĂȘt,  sans  tenir  compte 
de  celui  de  tous,  il  marche  Ă   sa  ruine.  Le  gouvernement  qui  vient  de 
s'Ă©crouler  sans  retour  prĂȘchait  la  doctrine  du  chacun  pour  soi.  Vous 
avez  vu  oĂč  il  nous  a  conduits,  et  les  maux  dont  vous  sourirez  aujour- 
d'hui sont  encore  son  ouvrage... 

Quant  au  Bulletin  n°  8,  c'est  en  mĂȘme  temps  un  exposĂ© 
un  peu  Ă©tendu  d'une  phrase  de  la  Lettre  Ă   la  classe  moyenne,  et 
une  périphrase  de  Y  Histoire  de  France  écrite  sous  la  dictée  de 
Biaise  Bonnin. 

«  Pour  que  les  élections  satisfassent  le  peuple,  il  est  de  toute 
nécessité  que  le  peuple  soit  personnellement  représenté...  par 
deux  citoyens  au  moins  par  département,  choisis  dans  le  sein 
mĂȘme  du  peuple  :  un  ouvrier  des  villes  et  un  paysan  r>  —  avait 
dit  George  Sand  dans  sa  Lettre  Ă   la  classe  moyenne. 

Et  Biaise  Bonnin,  ce  prétendu  auteur  de  la  Lettre  en  langue 
d'oil  (autrement  dite  Histoire  de  France  racontée  au  peuple), 
dit  fort  spirituellement  que  lorsqu'il  avait  lu  «  sur  les  jour- 
naux que  le  monde  de  Paris  avaient  tous  fait  la  paix,  les  riches 
comme  les  malheureux...  »  et  qu'on  avait  aussi  «  mis  sur  les 
journaux  que  le  seul  moyen  de  s'accorder  c'Ă©tait  de  se  mettre 
en  République,  ça  l'avait  fait  se  souvenir 

...  du  temps  que  j'Ă©tais  jeune  et  quasiment  un  enfant  tout  au 
juste  en  Ă©tat  de  mener  mes  bĂȘtes  aux  champs.  Et  dans  ce  temps-lĂ , 
on  se  disait  aussi  citoyens,  et  on  jurait  la  RĂ©publique.  Mais  ils  s'en 
sont  fatigués,  à  cause  que  les  riches  trompaient  toujours  les  pauvres, 
ce  qui  Ă©tait  une  chose  injuste  ;  et  Ă   cause  aussi  que  les  pauvres 
avaient  fait  mourir  ou  ensauver  beaucoup  de  riches  pour  en  tirer  une 
vengeance,  ce  qui  n'Ă©tait  pas  juste  non  plus.  Alors  on  s'est  mis  en 
guerre  avec  les  Autrichiens,  Prussiens,  Russiens  et  autres  mondes 
étrangers,  et  la  République  a  fini  connue  une  nuée  d'orage  qui  s'est 
tout  égouttée... 

Mais,  —  dit  plus  loin  Biaise  Bonnin,  —  on  s'est  imaginĂ©  quĂŻl  fallait 
un  homme  tout  seul  au  gouvernement  et  on  en  a  pris  un  qui  n'Ă©tait 


54  GEORGE   SAND 

pas  sot  :  l'empereur  Napoléon.  Il  a  bien  fait  tout  ce  qu'il  a  pu...  mais 
l'empereur  NapolĂ©on,  en  se  mettant  la  grande  couronne  sur  la  tĂȘte, 
avait  perdu  la  moitié  de  son  esprit.  A  ce  qu'il  paraßt  que  la  couronne 
de  roi  dérange  l'esprit  de  tous  ceux  qui  la  mettent,  et  que,  quand  un 
homme  se  trouve  le  maĂźtre  de  tous  les  autres,  quand  mĂȘme  ça  serait 
l'homme  le  plus  sage  de  toute  la  chrétienté,  il  faut  qu'il  perde  sa  raison 
et  sa  justice.  Ça  ne  fait  pas  plaisir  au  bon  Dieu  de  voir  des  millions 
d'hommes  baptisés  se  soumettre  à  un  homme,  comme  s'il  était  le  bon 
Dieu  lui-mĂȘme.  Cette  coutume-lĂ   retire  un  peu  des  paĂŻens,  qui  ont 
commencé  à  servir  leurs  rois  et  à  se  mettre  esclaves  pour  leur  faire 
plaisir.  On  a  continué  la  chose  aprÚs  avoir  renvoyé  les  païens,  sans 
faire  attention  que  Notre-Seigneur  JĂ©sus-Christ  avait  dit  aux  hommes 
qu'ils  Ă©taient  tous  frĂšres  et  qu'ils  avaient  devoir  de  ne  plus  ĂȘtre  esclaves. 

Biaise  Bonnin  raconte  aprÚs  cela  comment  Napoléon,  ainsi  que 
les  Bourbons  revenus  en  France  qui  lui  ont  succédé,  tombÚrent 
parce  qu'ils  avaient  manqué  à  cette  loi  divine  et  qu'ils  ne  pro- 
tégeaient que  les  nobles  et  le  clergé,  tandis  que  le  peuple  était 
opprimé  ;  comment  Louis-Philippe,  «  caponné  auprÚs  des  bour- 
geois pour  faire  accroire  qu'il  était  brave  homme  »,  n'eut  pas 
meilleur  sort,  parce  que,  «  comme  ce  roi-là  aimait  grandement 
son  profit...  les  bourgeois  s'en  sont  dégoûtés  aussi  et  ont  laissé 
le  peuple  le  mettre  à  la  ports  sans  un  sou  vaillant...  » 

A  prĂ©sent,  —  dit  Biaise  Bonnin  —  il  n'y  a  ni  rois,  ni  empereurs, 
ni  Ă©trangers,  ni  nobles,  ni  prĂȘtres,  ni  bourgeois,  qui  soient  capables 
d'enlever  au  peuple  la  RĂ©publique...  Les  rois  sont  tous  partis  ou 
prĂȘts  Ă   partir.  Dans  les  pays  Ă©trangers,  les  autres  rois  et  les  autres 
empereurs  ont  bien  du  mal  Ă   rester  maĂźtres  chez  eux,  et  ils  n'osent 
pas  se  mettre  en  guerre  avec  nous,  parce  que  leurs  peuples  veulent 
aussi  la  RĂ©publique,  et  qu'ils  ont  peur  que  leurs  soldats  ne  refusent 
de  marcher  contre  les  Français... 

AprÚs  cet  aperçu  historique,  Biaise  Bonnin  se  met  en  devoir 
d'instruire  ses  bons  voisins  sur  le  compte  des  bourgeois  ç[ui  con- 
tinuent Ă   craindre  le  peuple  et  la  RĂ©publique,  sur  ceux  qui  font 
mine  de  l'avoir  acceptée  et  enfin  sur  ceux  qui  lui  sont  sincÚre- 
ment dévoués  ;  quant  aux  gens  du  peuple,  dit-il  : 

...  Nous  ne  sommes  pas  si  bĂȘtes  qu'on  nous  croit  et,  dans  peu  de 
temps,  nous  connaĂźtrons  mieux  que  les  bourgeois  ce  que  c'est  que  la 
RĂ©publique... 


GEORGE   SAND  55 

Le  peuple  saura  aussi  ce  qu'il  a  Ă   attendre  de  la  RĂ©publique. 
Qu'un  peu  de  temps  passe,  il  saura  se  rendre  compte  des  affaires, 
mûrira  un  peu  et  choisira  sagement  ses  élus,  ceux  de  sa 
localité,  comme  ceux  qui  iront  voter  pour  lui  à  l'Assemblée  natio- 
nale ;  dans  peu  d'amiées,  lorsque  le  peuple  saura  lire,  ce  ne  sera 
plus  si  difficile  que  ça,  mais  à  présent,  dit  Biaise,  «  nous  serions 
bien  pris  si,  croyant  envoyer  à  l'Assemblée  des  amis  du  peuple, 
nous  envoyions  des  ennemis  qui  aideraient  Ă   faire  des  lois  contre 
nous  ». 

...  Or,  cela  arriverait  infailliblement,  si  chaque  commune  ne  choi- 
sissait que  des  gens  de  sa  localité,  diviserait  ainsi  les  voix  et  n'agirait 
pas  d'accord  avec  les  autres  communes,  ou  si  eUe  se  fiait  Ă   des  bour- 
geois qui,  par  de  vaines  paroles,  sauraient  accaparer  les  voix  Ă   leur 
profit  ou  Ă   celui  de  leurs  amis  et  puis  ne  dĂ©fendraient  pas  les  intĂ©rĂȘts 
du  peuple.  Je  ne  vois  qu'un  moyen  pour  empĂȘcher  ça,  c'est  que  nous 
exigions  d'abord  qu'on  donne  Ă   des  gens  comme  nous,  Ă   des  ouvriers 
des  villes  et  Ă   des  gens  de  campagne  une  partie  des  voix... 

L'ami  Biaise  trouve  de  toute  justice  que  les  bourgeois  jouissent 
Ă©galement  de  ce  droit. 

...  Mais,  conclut-il,  nous  examinerons  la  conduite  de  ceux  qu'on 
nous  proposera.  Nous  n'Ă©couterons  pas  leurs  belles  paroles,  et  nous 
nous  défierons  surtout  de  ceux  qui  n'étaient  pas  de  la  République  la 
semaine  passée,  et  qui  seront  pour  elle  la  semai/ne  qui  vient.  Nous  savons 
bien  que  la  jappe  ne  leur  manque  pas  et  qu'il  y  en  a  qui  font  contre 
fortune  bon  cƓur.  Mais  nous  consulterons  leur  comportement  dans 
le  passé  et  nous  saurons  bien  s'ils  étaient  durs  pour  nous  ou  s'ils  assis- 
taient dans  nos  peines,  s'ils  ont  eu  peur  de  nous  au  premier  mot  de 
République  qui  a  sonné,  ou  s'ils  ont  confiance  en  nous  ;  nous  verrons 
bien  s'ils  nous  insultent  en  disant  tout  bas  que  nous  ne  sommes  pas 
capables  de  nous  gouverner,  ou  s'ils  nous  ont  toujours  eu  en  estime, 
en  disant,  de  tout  temps,  qu'on  devait  nous  donner  la  liberté  et  l'égalité. 

Nous  verrons  tout  cela,  braves  gens,  et  nous  sommes  assez  fins  pour 
nous  méfier  des  cafards. 

...  Ce  sera  Ă   nous  de  nous  souvenir  comment  ces  gens-lĂ   nous  ont 
traitĂ©s  avant  la  RĂ©volution.  Ça  ne  sera  pas  si  vieux,  nous  n'aurons  pas 
eu  le  temps  de  l'oublier... 

Le  dernier  paragraphe,  comme  on  peut  le  voir,  parle  en  toute 
clartĂ©  et  mĂȘme  presque  dans  les  mĂȘmes  termes  que  la  lettre 


56  GEORGE   S  AND 

Ă   Girerd,  des  hommes  de  la  veille  et  de  ceux  du  leMemain. 
Or,  tout  cela,  seulement  en  changeant  les  locutions  popu- 
laires contre  des  expressions  convenant  aux  articles  politiques, 
l'auteur  le  redit  dans  le  8e  Bulletin  qui  peut  se  diviser  en  deux 
parties  (1).  Dans  la  premiÚre,  le  ministre  de  l'Intérieur,  au 
nom  duquel  se  publiaient  les  Bulletins  de  la  RĂ©publique, 
notifiait  aux  «  citoyens  »  que  le  gouvernement  et  le  peuple 
devaient  se  communiquer  réciproquement  leurs  intentions,  leurs 
aspirations  et  leurs  espérances,  le  gouvernement  voudrait 
entendre  la  voix  du  peuple,  c'est  pour  cela  qu'il  s'adresse  Ă   lui. 

...  Ouvriers  des  villes  et  des  manufactures,  généreux  enfants  de  la 
République,  c'est  vous  qui  formez  la  majorité  des  électeurs  dans  les 
vastes  et  nombreux  foyers  de  l'industrie.  Il  importe  que  vous  vous 
rendiez  compte  de  vos  souffrances,  de  vos  droits  et  de  vos  justes  pré- 
tentions. Faites-les  connaĂźtre,  parlez  Ă   vos  candidats,  parlez  Ă   la  France 
ce  langage  éloquent  et  simple  de  la  vérité  que  la  France  n'a  jamait 
entendu  encore  d'une  maniĂšre  officielle.  Le  temps  de  la  plainte  est 
passé  ;  celui  de  la  vengeance  ne  viendra  plus  jamais,  parce  que  celui 
du  droit  rĂšgne  dĂšs  aujourd'hui... 

Quand  vous  aurez  dit  ce  que  vous  avez  souffert,  ce  que  vous  ne  devez 
plus  souffrir,  votre  tĂąche  ne  sera  pas  encore  remplie.  H  faudra  veiller 
Ă   ce  que  tout  ce  qui  est  possible  soit  fait,  veiller  Ă   ce  que  rien  de  possible 
ne  soit  omis,  veiller  à  ce  que  rien  d'impossible  ne  soit  exigé... 

...  H  importe  que  la  classe  la  plus  nombreuse  et  la  plus  utile,  celle 
des  travailleurs,  révÚle  ses  souffrances,  il  importe,  pour  qu'elle  les 
révÚle  avec  fruit,  qu'elle  les  révÚle  avec  noblesse,  avec  fermeté,  avec 
la  volonté  solennelle  de  donner  au  monde  un  grand  exemple  de  la 
dignité  humaine,  reprenant  la  place  qui  lui  était  due.  H  faut  que  le 
peuple  ait  la  majestĂ©  qu'on  croyait  jadis  ĂȘtre  l'apanage  des  roi?  ;  la 
violence  était  celui  des  tyrans.  Le  peuple  a  prouvé  que  l'heure  de  son 
rÚgne  avait  enfin  sonné  ;  car  le  peuple  est  calme,  patient  et  ferme. 
Le  peuple  n'est  pas  un  souverain  absolu,  Ă   la  maniĂšre  des  rois  ;  c'est 
la  vérité  qui  seule  est  absolue.  Les  rois  sont  tombés  pour  n'avoir  pas 
compris  que  Dieu  Ă©tait  au-dessus  d'eux.  Le  peuple  ne  tombera  pas, 
parce  qu'il  puise  sa  force  dans  la  loi  divine  (2). 

(1)  M.  Monin  observe  que  dans  les  Bulletins,  ce  n'est  que  la  premiĂšre 
partie  imprimée  généralement  en  plus  gros  caractÚres  qui  est  due  à  la  plume 
de  George  Sand  L'observation  est  exacte.  Mais  quant  au  Bulletin  n°  8,  il 
nous  paraĂźt  certain  que  Mme  Sand  en  a  Ă©crit  les  deux  parties. 

(2)  On  voit  que  l'auteur  du  Bulletin  ;.°  8  est  d'accord  avec  Biaise  Bonnin. 


GEORGE   SAND  57 

Travailleurs,  venez  dire  ce  que  vous  avez  souffert...  La  société  vous 
doit  désormais  de  sonder  vos  plaies  et  d'y  porter  remÚde...  La  société, 
vous  allez  y  porter  la  main.  Travailleurs,  c'est  un  Ă©difice  que  vous  allez 
construire  pour  la  postérité.  Ne  souffrez  pas  qu'il  soit  bùti  pour  quel- 
ques-uns seulement,  tandis  que  l'humanité  resterait  à  la  porte,  nue, 
affamée,  avilie,  désespérée... 

Dans  la  seconde  partie  de  ce  Bulletin,  l'auteur  met  tout  d'abord 
les  citoyens  en  garde  contre  des  «  hommes  qui  ne  craignent  pas 
de  répéter  que  la  République  va  couvrir  la  France  d'échafauds, 
porter  atteinte  à  la  propriété,  provoquer  des  guerres  achar- 
nées ». 

Biaise  Bonnin  se  souvenait  de  la  chute  de  la  monarchie  de 
Louis  XVI  et  de  la  proclamation  de  la  premiĂšre  RĂ©publique, 
dont  il  avait  été  témoin  dans  sa  jeunesse,  puis  des  guerres  «  avec 
les  Autrichiens,  Prussiens  et  autres  mondes  étrangers  »,  provo- 
quées par  les  émigrés,  il  dit  qu'à  présent  ce  danger-là  n'existe 
plus.  Et  l'auteur  du  Bulletin  n°  8  demande  à  ses  lecteurs  s'il 
doit  leur  rappeler  ces  évévements,  «  dont  quelques-uns  de 
vous  ont  été  les  acteurs  et  les  témoins  »,  et  dont  «  vos  anciens 
peuvent  encore  raconter  les  héroïques  phases  »;  puis  il  passe 
à  l'exposé  des  faits  historiques  et  de  la  position  internatio- 
nale présente,  en  suivant  exactement  le  contexte  de  Biaise 
Bonnin  : 

...  La  résistance  obstinée  des  castes  privilégiées  a  seule  fait  couler 
les  larmes  et  le  sang  de  la  France.  Propriétaires  exclusifs  du  sol,  exempts 
de  l'impÎt,  accaparant  toutes  les  faveurs,  la  noblesse  et  le  clergé  vou- 
laient conserver  un  monarque  absolu  pour  abriter  derriĂšre  son  des- 
potisme leur  unique  domination.  Quand,  éclairée  par  ses  écrivains, 
la  nation  revendiqua  l'égalité  pour  tous  les  citoyens,  ces  deux  puis- 
santes corporations  prĂ©tendirent  arrĂȘter  son  essor.  Elles  compro- 
mirent la  royauté  en  l'associant  à  leurs  intrigues  et  à  leurs  aspirations... 
L'émigration  commença.  Plus  attachés  à  leurs  titres  qu'à  leur  pays, 
les  nobles  et  les  prĂȘtres  coururent  en  foule  Ă   l'Ă©tranger,  sollicitant  l'in- 
tervention des  rois  voisins  et  s'offrant  eux-mĂȘmes  Ă   dĂ©chirer  de  leurs 
mains  impies  le  sein  de  la  patrie  menacée... 

Jadis  effectivement,  tout  le  Nord  marcha  contre  la  France  ; 
mais  cette  derniĂšre  remporta  la  victoire  quand  mĂȘme.  A  prĂ©- 


5S  GEORGE   SAND 

sent,  il  n'y  a  plus  Ă   craindre  aucun  danger,  ni  au  dedans,  ni  au 
dehors. 

Jetez  donc  les  yeux  sur  l'Europe  ;  partout  oĂč  vous  voyez  un  trĂŽne, 
vous  entendez  le  bruit  des  combats.  Attendez  un  peu,  ce  sera  le  chant 
de  la  victoire  populaire.  L'Ă©toile  des  tyrans  pĂąlit... 

Les  rois  seuls  pouvaient  ĂȘtre  vos  ennemis  ;  les  peuples  sont  nos  amis 
et  nos  frÚres.  Encore  un  peu,  fuyant  la  justice  de  Dieu  et  la  légitime 
colĂšre  des  nations,  ceux  qui  s'appelaient  les  maĂźtres  du  monde  iront 
finir  leur  vie  dans  l'oubli  et  saintement  unies  par  des  relations  paci- 
fiques, toutes  les  grandes  familles  de  l'Europe  abjureront  leurs  riva- 
lités et  leurs  haines  ;  la  guerre,  ce  redoutable  fléau,  aura  fini  avec  les 
monarchies. 

Si  nous  ne  sommes  menacés  ni  au  dedans  ni  au  dehors,  nous  n'au- 
rons donc  point  à  traverser  cette  Úre  de  calamités  qui  a  marqué 
l'établissement  de  la  premiÚre  république... 

Toutefois,  —  dit  l'auteur  du  Bulletin,  et  il  revient  encore  une 
fois  à  la  charge,  en  parlant  de  ce  qui  avait  déjà  servi  de  thÚme 
à  ses  deux  Lettres  au  peuple  et  ses  lettres  privées  à  Poney  et  à 
Girerd, 

Toutefois,  il  est  une  faute  qui  pourrait  nous  perdre  ;  ce  serait  la 
division.  Si,  au  heu  de  se  rallier  sans  arriÚre-pensée  à  la  République, 
quelques-uns  d'entre  nous  choisissaient,  pour  les  représenter,  des 
hommes  douteux,  l'anarchie  et  la  guerre  civile  pourraient  sortir  des 
déchirements  de  l'Assemblée  nationale.  Cette  Assemblée  ne  peut 
nous  prĂ©server  de  ce  malheur  qu'Ă   la  condition  d'ĂȘtre  composĂ©e 
d'éléments  tout  à  fait  républicains.  Eepoussez  donc  les  tiÚdes,  les 
indiffĂ©rents,  les  fauteurs  d'intrigue  ;  choisissez  les  cƓurs  honnĂȘtes  et 
ardents,  ceux  qui  aiment  vraiment  le  peuple,  ceux  qui  n'ont  jamais 
pactisé  avec  les  mensonges  et  la  corruption  du  pouvoir  déchu. 

C'est  avec  intention  que  nous  nous  sommes  si  longuement 
arrĂȘtĂ©s  sur  ce  8e  Bulletin,  afin  de  prouver  par  le  texte  mĂȘme  et 
par  les  arguments  employés  que  les  deux  parties  de  ce  Bulletin 
sont  bien,  comme  le  disait  George  Sand,  dans  sa  lettre  Ă   son  fils, 
Ă©crites  par  elle-mĂȘme. 

Le  Bulletin  n°  13,  répÚte  et  développe  les  idées  émises  dans 
le  n°  8  et  celles  que  nous  avons  vues  dans  les  lettres  à  Girerd 
et  à  Poney.  C'est  une  circulaire  adressée  aux  commissaires,  à 
ces  mĂȘmes  commissaires  que  Mme  Sand  avait  conseillĂ©  au  gou- 


GEORGE   SAND  59 

v  ornement  d'envoyer  ;  Ă   la  veille  des  Ă©lections,  le  gouvernement 
de  la  RĂ©publique,  qui  personnifie  la  victoire  du  peuple,  se  croit 
obligé  de  donner  encore  une  fois  des  indications  précises  à  ses 
commissaires.  Les  voici  :  Ils  ne  doivent  nullement  ĂȘtre  de 
passifs  spectateurs  des  Ă©lections  qui  approchent;  sans  tomber 
clans  les  fautes  du  régime  précédent  et  sans  avoir  recours  à 
ses  procédés  indignes,  le  gouvernement  de  la  République  doit 
prendre  ses  mesures  pour  que  les  élections,  dont  dépend  tout 
l'avenir  du  pays,  soient  favorables  Ă   la  RĂ©publique  et  pour  que 
la  population  choisisse  de  dignes  représentants. 

...  SincÚrement  républicaines,  elles  lui  ouvrent  une  Úre  brillante  de 
progrĂšs  et  de  paix  ;  rĂ©actionnaires  ou  mĂȘme  douteuses,  elles  le  con- 
damnent à  de  terribles  déchirements.  Votre  constant  effort  a  donc  été, 
doit  ĂȘtre  encore,  d'envoyer  Ă   l'AssemblĂ©e  nationale  des  hommes  hon- 
nĂȘtes, courageux  et  dĂ©vouĂ©s  jusqu'Ă   la  mort  Ă   la  cause  du  peuple... 
Pénétrez-vous  de  cette  vérité  que  nous  marchons  vers  l'anarchie, 
si  les  portes  de  l'Assemblée  sont  ouvertes  à  des  hommes  d'une 
moralité  et  d'un  républicanisme  équivoques. 

Ceux  qui  ont  accepté  l'ancienne  dynastie  et  ses  trahisons,  ceux  qui 
limitaient  leurs  espérances  à  d'insignifiantes  réformes  électorales, 
ceux  qui  prétendaient  venger  les  mùnes  des  héros  de  Février  en  cour- 
bant le  front  glorieux  de  la  France  sous  la  main  d'un  enfant,  ceux-lĂ  
peuvent-ils  ĂȘtre  Ă©lus  du  peuple  victorieux  et  souverain,  les  instruments 
de  la  RĂ©volution? 

Ne  regarderaient-ils  pas  eux-mĂȘmes  comme  un  dĂ©fi  Ă   la  rĂ©volution 
que  des  hommes  qui  ont  attaqué,  calomnié  la  révolution,  devinssent 
aujourd'hui  les  organisateurs  de  la  constitution  républicaine? 

Eh  bien,  puisque  le  choc  impétueux  des  événements  leur  a  subite- 
ment dessillé  les  yeux,  soit  !  Qu'ils  entrent  dans  nos  rangs,  mais  qu'ils 
n'aspirent  ni  Ă   nous  commander  ni  Ă   nous  conduire.  Qu'ils  marchent 
Ă   l'ombre  du  drapeau  du  peuple,  mais  qu'ils  ne  songent  pas  Ă   le  porter. 
A  la  moindre  secousse,  leur  ùme  se  troublerait  et,  revenant  malgré  eux 
aux  engagements  de  leur  vie  entiÚre,  ils  affaibliraient  la  représenta- 
tion nationale  de  toutes  les  incertitudes,  de  toutes  les  transactions 
familiÚres  aux  opinions  chancelantes  et  aux  dévouements  d'apparat. 

Que  le  peuple  s'en  défie  donc  et  les  repousse  ;  mieux  vaudrait 
des  adversaires  déclarés  que  ces  amis  douteux. 

Citoyen  commissaire,  ce  qui  fait  la  grandeur  du  mandat  de  repré- 
sentant, c'est  qu'il  investit  celui  qui  en  est  revĂȘtu  du  pouvoir  souverain 
d'interprĂ©ter  et  de  traduire  l'intĂ©rĂȘt  et  la  volontĂ©  de  tous. 


60  GEORGE    SAN  D 

Or,  celui-lĂ   seul  eu  usera  dignement,  qui  ne  reculera  devant  aucune 
de;  conséquences  du  triple  dogme  de  la  liberté,  de  l'égalité,  de  la  fra- 
ternité. 

La  liberté,  c'est  l'exercice  de  toutes  les  facultés  que  nous  tenons  de 
la  nature,  gouvernées  par  notre  raison. 

L'égalité,  c'est  la  participation  de  tous  les  citoyens  aux  avantages 
sociaux,  sans  autre  distinction  que  celle  de  la  vertu  ou  du  talent. 

La  fraternité,  c'est  la  loi  d'amour  unissant  les  hommes  et  de  tous 
faisant  les  membres  d'une  mĂȘme  famille. 

De  là  découlent  :  l'abolition  de  tout  privilÚge,  la  répartition  de 
l'impĂŽt  en  raison  de  la  fortune,  un  droit  proportiomiel  et  progressif 
sur  les  successions,  une  magistrature  librement  Ă©lue  et  le  plus  com- 
plet développement  de  l'institution  du  jury,  le  service  militaire  pesant 
Ă©galement  sur  tous,  une  Ă©ducation  gratuite  et  Ă©gale  pour  tous,  l'ins- 
trument du  travail  assuré  à  tous,  la  reconstitution  démocratique  de 
l'industrie  et  du  crédit,  l'association  volontaire  partout  substituée 
aux  impulsions  désordonnées  de  légoßsme... 

Il  suffit  de  lire  ces  deux  Bulletins,  nos  8  et  13,  aprĂšs  les  lettres 
de  George  Sand  Ă   son  fils,  Ă   Girerd  Ă   Poney  et  entre  les  Lettres 
au  Peuple  et  Y  Histoire  de  France,  pour  se  dire  :  «  C'est  la  mĂȘme 
plume  qui  les  a  écrits  ». 

Mais  cette  impression  devient  une  conviction  inébranlable  si, 
immédiatement  aprÚs  ces  deux  Bulletins,  on  lit  le  Bulletin  n°  10 
et  les  quatre  articles  intitulés  Socialisme,  mentionnés  plus  haut. 
Ces  articles  parurent  dans  le  journal  hebdomadaire  de  George 
Sand,  qui  portait  un  nom  trÚs  caractéristique  pour  sa  couleur 
politique  :  la  Cause  du  Peuple. 

«  De  nouveaux  rapports  vont  s'établir  entre  ce  qu'on  a  appelé 

jusqu'ici  les  gouvernants  et  les  gouvernés.  Il  importe  que  les 

droits  et  les  devoirs  soient  définis  d'une  maniÚre  nette  et  loyale... .  » 

lisons-nous  dans  le  Bulletin  n°  10. 
» 
«  ^sen  seulement  le  droit  public  existe,  mais  encore  le  droit  divin. 

Dieu  veille  sur  les  destins  de  l'humanité  ;  il  a  conféré  le  droit  divin  à 
tout  homme  venant  dans  le  monde  ;  mais  aucun  homme  ne  doit  et  ne 
peut  exercer  isolément  le  droit  divin.  La  royauté  est  une  idolùtrie. 
Le  droit  divin  est  dans  l'humanité  collective,  il  est  dans  la  société  qui 
consaere  les  droits  et  qui  trace  les  devoirs  de  tous. 

Mais  l'humanité  est  soumise  à  la  loi  du  progrÚs  et  les  sociétés,  qui 
ne  tiennent  pas  compte  de  cette  loi,  ne  représentent  pas  le  droit  divin. 


GEORGE   SAND  61 

Le  jour  oĂč  elles  restent  en  arriĂšre  du  progrĂšs,  leur  droit  n'existe  plus  ; 
elles  le  sentent  parce  qu'elles  ne  peuvent  plus  fonctionner.  Elles  se 
brisent  d'elles-mĂȘmes  pour  se  reconstituer. 

C'est  alors  qu'il  faut  les  reconstruire  et,  dans  ce  moment  de  travail 
et  d'attente  oĂč  la  sociĂ©tĂ©  se  reforme  sur  de  nouvelles  bases,  oĂč  est  le 
droit  divin,  oĂč  est  le  principe  de  lĂ©gitimitĂ©,  oĂč  est  l'autoritĂ©  souve- 
raine?... Cherchez  tant  que  vous  voudrez,  inventez  tout  ce  qui  vous 
plaira,  vous  ne  le  trouverez  pas  ailleurs  que  dans  le  peuple... 

L'auteur  du  10e  Bulletin  ajoute  qu'il  ne  faut  point  craindre 
les  erreurs  possibles. 

...  Une  fois  que  la  vérité  existe  et  qu'existe  le  progrÚs,  il  est  clair 
que  la  vĂ©ritĂ©  doit  ĂȘtre  de  plus  en  plus  avec  les  hommes,  avec  le  plus 
grand  nombre  des  hommes  et  qu'elle  doit  donner  au  principe  de  majo- 
rité une  sanction  absolue  dans  l'avenir... 

H  est  fort  probable  que,  tant  que  ce  jour  bienheureux  n'est  pas 
arrivĂ©,  le  libre  vote  de  tous  les  citoyens  va  vous  donner  peut-ĂȘtre 
une  représentation  nationale  qui  protégera,  à  la  majorité  des  voix, 
les  intĂ©rĂȘts  exclusifs  de  la  majoritĂ©  des  citoyens. 

...  Nul  n'a  pouvoir  de  retirer  le  droit,  pour  chĂątier  le  mauvais 
usage  du  droit  ;  autant  vaudrait  dire  à  l'enfant  :  «  Tu  as  trop  mangé, 
tu  as  choisi  une  mauvaise  nourri ture  et  tu  ne  mangeras  plus.  » 

...  Le  peuple  sera  toujours  la  majoritĂ©  et  le  temps  oĂč  la  majoritĂ© 
était  condamnée  à  se  tromper  d'une  maniÚre  durable  est  passé  sans 
retour.  Si  la  majorité  s'égare,  elle  n'en  est  pas  moins  le  souverain 
lĂ©gitime  des  temps  oĂč  nous  vivons,  puisqu'elle  est  irrĂ©sistiblement 
emportĂ©e  par  la  loi  du  progrĂšs  dans  la  voie  oĂč  l'appelle  la  vĂ©ritĂ©... 

...  Il  vient  d'ĂȘtre  versĂ©,  en  France  et  dans  toute  l'Europe,  des  flots 
de  sang  pour  le  salut  de  la  plus  nombreuse  portion  du  genre  humain, 
il  ne  faut  pas  que  ce  sang  généreux  ait  été  répandu  pour  le  triomphe 
d'une  minorité. 

Les  trois  uniques  numéros  de  la  Cause  du  Peuple,  parus  les 
9,  16  et  23  avril,  furent  presque  entiĂšrement  Ă©crits  par  George 
Sand,  Ă   l'exception  de  quelques  articles  insignifiants  de  ses 
co-rédacteurs,  MM.  Rochery  et  Borie,  et  de  quelques  poésies 
de  Pierre  Dupont.  Notamment,  elle  y  réimprima  ses  deux  Lettres 
au  Peuple;  elle  Ă©crivit  une  Introduction  servant  de  prospectus 
du  journal  ;  trois  descriptions  :  des  Rues  de  Paris  (pour  le  n°  1)> 
de  la  Journée  du  16  avril  et  de  celle  du  20  avril  (pour  le  n°  3)  ; 
elle  y  publia  deux  articles  de  critique  théùtrale  intitulés  les 


62  GEORGE   SAND 

Arts,  son  prologue,  «  le  Roi  attend  »  et  enfin  les  quatre  arti- 
cles sur  le  Socialisme. 

Les  trois  premiers  articles  sur  le  Socialisme  portent  les  sous- 
titres  :  1°  La  souveraineté,  c'est  T 'égalité;  2°  V application  de  la 
souveraineté,  c'est  V application  de  Végalité;  3°  V application  de 
Végalité,  c'est  la  fraternité.  George  Sand  y  revient  encore  à  l'idée 
mÚre  du  10e  Bulletin  et,  en  la  développant,  elle  énonce  les  thÚses 
Ă©mises  dans  les  Bulletins  nos  8  et  13.  Dans  le  quatriĂšme 
article,  la  Majorité  et  V unanimité,  imprimé  dans  le  troisiÚme 
numéro,  on  entend  déjà  clairement  l'écho  du  15e  et  du  trop 
célÚbre  16e  Bidletin.  C'est  pour  cette  raison  que  nous  trouvons 
nécessaire  de  placer  l'analyse  de  ces  quatre  articles  entre  les 
deux  groupes  des  Bulletins. 

H  faut  noter,  en  outre,  que  les  deux  premiers  numéros  de  la 
Cause  du  Peuple  diffĂšrent  beaucoup  par  leur  ton  du  troisiĂšme 
et  dernier.  Le  fait  est  que  le  n°  2  parut  juste  le  16  avril,  jour  oĂč, 
selon  la  propre  expression  d'une  lettre  de  George  Sand  Ă   son 
fils,  «  la  République  a  été  tuée  ».  Ce  jour-là,  Mme  Sand  vit  et 
comprit  certaines  choses,  elle  réfléchit...  et  son  enthousiaste 
confiance,  ses  espérances  des  premiers  jours  se  transformÚrent 
en  pensées  pessimistes  sur  la  marche  et  la  fin  probable  des 
événements.  Inous  pensons  que  cette  impression  chagrine  la  fit 
passer  de  l'activité  militante  à  l'observation  contemplative  et 
critique  ;  ce  changement  se  produisit  un  mois  avant  le  15  mai. 
Donc,  le  n°  3  du  journal,  paru  le  23  avril,  fut  dans  sa  plus 
grande  partie  Ă©crit  sous  une  tout  autre  impression  que  les  deux 
numéros  précédents. 

Xous  avons  un  peu  anticipé  sur  les  événements,  mais  cela 
Ă©tait  indispensable  pour  expliquer  pourquoi  nous  analyserons 
d'abord  les  numéros  1  et  2  de  la  Cause  du  Peuple  et  passerons 
ensuite  aux  Bulletins  nos  15  et  16  ;  alors  seulement  nous  nous 
tournerons  vers  le  dernier  numéro  de  ce  journal. 

Dans  son  introduction  Ă   la  €msĂȘ  du  Peuple  George  Sand 
revient  aux  idées  émises  dans  ses  lettres  au  peuple  :  «  l'homme 
isolé  ne  compte  point  devant  Dieu  »,  la  «  vérité  sociale  ne  peut 
ĂȘtre  acquise  que  par  les  efforts  de  tous  »  ;  et  elle  dĂ©clare  que  le 


GEORGE   SAND  63 

but  de  son  journal  sera  de  contribuer,  selon  ses  forces  et  ses 
moyens,  à  la  découverte  de  cette  vérité  appartenant  à  tout  le 
monde.  Mais,  en  outre  —  et  ceci  est  de  toute  signification  et 
doit  ĂȘtre  notĂ©,  —  George  Sand  y  dit  encore  qu'une  circulaire 
récente  de  Ledru-Roilin  a  éveillé  des  discussions  générales  et 
soulevé  les  questions  capitales  du  droit  social,  ce  sont  ces 
questions-lĂ   que  la  Cause  du  Peuple  veut  traiter. 

Effectivement,  dans  le  premier  article  sur  le  Socialisme,  ayant 
[:our  sous-titre  :  la  Souveraineté,  c'est  V égalité,  George  Sand  pose 
la  question  : 

...  Un  ministre,  un  membre  du  gouvernement  révolutionnaire 
a-t-il  le  droit,  lorsque  nous  sommes  encore  en  pleine  révolution,  de 
prendre  des  mesures  exceptionnelles  et  de  déranger  l'ordre  établi, 
auquel  un  nouvel  ordre  succĂšde? 

Elle  y  répond  : 

Sans  aucun  doute  selon  nous  ;  la  voix  du  peuple  a  prononcé  pour 
l'affirmative,  puisque  l'adhésion  des  candidats  à  la  circulaire  a  été 
regardée  comme  une  garantie  pour  le  peuple.  Mais,  continue-t-elle, 
pour  prononcer  sur  ce  droit,  il  faut  soulever  tout  le  problĂšme  du 
droit  social  ;  il  faut  admettre  ou  rejeter  le  principe  de  la  souveraineté 
du  peuple... 

Alors,  elle  s'adresse  aux  adversaires  du  suffrage  universel  et 
leur  dit  : 

...  Eh  bien!  il  faut  vous  répondre  au  nom  du  peuple,  il  faut  vous 
dire  oĂč  le  peuple  puise  son  droit  de  souverainetĂ©,  quelle  puissance 
supérieure  à  lui  et  à  vous  le  lui  concÚde  et  veille  sur  lui,  pour  le  lui  con- 
server malgré  vous. 

La  source  de  ce  droit  est  en  Dieu,  qui  a  créé  les  hommes  parfaite- 
ment égaux  et  qui  les  conserve  tels,  en  dépit  des  erreurs  des  sociétés 
et  de  la  longue  consécration  d'un  abominable  systÚme  d'inégalité  ; 
vous  avez  entassé  sophisme  sur  sophisme,  pour  prouver  que  l'égalité 
n'est  pas  dans  la  nature  et  que,  par  conséquent,  Dieu  ne  Fa  pas  con- 
sacrée... Vous  cherchez  vainement  à  confondre  le  mot  égalité  avec 
celui  d'identité.  Non,  les  hommes  ne  sont  pas  identiques  l'un  à  l'autre  ; 
la  diversité  de  leurs  forces,  de  leurs  instincts,  de  leurs  facultés,  de  leur 
aspect,  de  leur  influence  est  infinie.  H  n'y  a  aucune  parité  entre  un 
homme  et  un  autre  homme;  mais  ces  diversités  infinies  consacrent 


64  GEORGE   SAND 

l'égalité  au  lieu  de  la  détruire.  H  y  a  des  hommes  plus  habiles,  plus 
intelligents,  plus  généreux,  plus  robustes,  plus  vertueux  les  uns  que 
les  autres  ;  il  n'y  a  aucun  homme  qui,  par  le  fait  de  sa  supériorité 
naturelle,  soit  créé  pour  détruire  la  liberté  d'un  autre  homme  et  pour 
renier  le  lien  de  fraternité  qui  unit  le  plus  faible  au  plus  fort,  le  plus 
infirme  au  plus  sain,  le  plus  borné  au  plus  intelligent.  Une  grande  intel- 
ligence crée  des  devoirs  plus  grands  à  l'homme  qui  a  reçu  du  ciel  ce 
don  sacré  d'instruire  et  d'améliorer  les  autres  ;  mais  elle  ne  lui  donne 
point  des  droits  plus  larges  et,  comme  la  récompense  du  mérite  n'est 
pas  l'argent,  comme  l'homme  intelligent  n'a  pas  des  besoins  physi- 
ques différents  de  ceux  des  autres  hommes,  il  n'y  a  aucune  raison 
pour  que  cet  homme  devienne  l'oppresseur,  le  maßtre  et,  par  consé- 
quent, l'ennemi  de  ses  semblables. 

La  morale  évangélique  est  éternellement  vraie...  C'est  vraiment 
la  doctrine  de  l'égalité...  La  véritable  loi  de  nature,  la  véritable  loi 
divine,  c'est  donc  l'égalité... 

...  L'égalité  est  donc  une  institution  divine,  antérieure  à  tous  les 
contrats  rédigés  par  les  hommes... 

...  Le  peuple  est  souverain,  parce  que  tous  les  hommes  ont  un  droit 
égal  à  la  souveraineté  ;  et  tous  les  actes  de  cette  souveraineté,  nou- 
vellement reconnue  et  proclamée,  sont  légitimes  devant  Dieu  et  de- 
vant les  hommes,  quand  mĂȘme  ils  ne  datent  que  d'une  heure. 

...  Ce  droit  est  illimité,  en  ce  sens  qu'il  n'a  de  limite  que  dans  le 
devoir.  Le  devoir  est  facile  Ă   Ă©tablir  sur  un  principe  aussi  net  et  aussi 
sûr  que  le  droit,  c'est  que  chaque  homme  a  des  devoirs  envers  tous  et 
tous  envers  chacun... 

Le  second  article  Application  de  la  souveraineté,  c'est  V applica- 
tion de  l'égalité  commence  par  une  récapitulation  de  la  thÚse  du 
premier. 

La  souveraineté,  c'est  l'égalité  ;  donc,  la  souveraineté  réside  dans 
le  peuple  et  ne  peut  résider  ailleurs  que  dans  le  peuple...  La  souverai- 
neté, c'est  le  gouvernement  de  tous.  Voilà  pour  le  droit... 

Le  devoir,  c'est  l'exercice  du  droit,  et,  comme  on  ne  peut  concevoir 
un  droit  sans  usage,  le  droit  et  le  devoir  sont  inséparables  et  indivi- 
sibles... 

Puis  l'auteur  continue  à  développer  cette  thÚse,  ainsi  que  suit  : 

...  La  vérité  n'est  pas  modifiable  et  relative;  elle  est  avant  nous 
et  hors  de  nous  plus  brillante  qu'en  nous.  Elle  est  en  Dieu,  elle  est  la 
loi  de  l'univers...  Mais,  si  la  vérité  est  immuable,  si  elle  est  debout 
dans  l'éternité,  le  sentiment  que  nous  avons  de  cette  vérité  est  éter- 


GEORGE    SAND  65 

nellement  modifiable  et  relatif.  Le  progrùs  est  notre  Ɠuvre  ;  Dieu, 
qui  nous  l'a  donné  pour  loi,  nous  a  rendus  propres  à  le  créer  en  nous- 
mĂȘmes  et  dans  nos  sociĂ©tĂ©s...  Le  progrĂšs  de  l'homme  est  une  course 
ardente,  pénible  et  continue  vers  un  but...  Nous  voyons  la  révolte 
élever,  de  siÚcle  en  siÚcle,  sa  voix  sacrée  et  proclamer  le  droit  éternel 
dans  la  religion,  dans  la  politique,  dans  la  science,  dans  Fart.  La  notion 
du  vrai  n'a  donc  jamais  disparu  parmi  nous  ;  elle  s'Ă©tend,  elle  lutte, 
elle  grandit,  elle  combat,  elle  triomphe  et  aujourd'hui  enfin  elle  est 
proclamée...  La  notion  de  la  vérité,  nous  l'avons  conquise  ;  elle  nous 
a  coûté  du  sang  et  des  pleurs.  Dieu  bénit  notre  persévérance  et  nous 
donne  cette  notion  plus  vaste  et 'plus  claire  qu'Ă   aucune  autre  Ă©poque 
de  notre  vie  antérieure.  Il  ne  la  donne  pas  seulement  à  quelques  élus, 
il  la  donne  Ă   tous  les  hommes... 

...  Le  principe  du  devoir  est  identique  au  principe  du  droit;  il 
s'appelle  égalité.  Et,  pourtant,  nous  avons  le  droit  aujourd'hui  et  il 
nous  faut  trouver  le  devoir  demain.  Nous  avons  le  fait,  nous  voulons 
la  conséquence  ;  le  fait,  on  le  trouve  dans  le  combat  ;  la  conséquence, 
on  ne  la  trouve  que  dans  la  réconciliation.  Il  y  avait  un  ennemi  hier, 
aujourd'hui  il  y  a  un  vaincu... 

En  rassurant  tous  ceux  qui  auraient  pu  trembler  pour  le 
sort  de  ce  vaincu,  l'auteur  dit  qu'à  présent,  l'ennemi  n'a  plus 
à  craindre  de  représailles  comme  dans  l'antiquité  ;  mais  immé- 
diatement aprĂšs,  ayant  toujours  en  vue  les  Ă©lections  prochaines, 
il  met  en  garde  contre  une  trop  grande  confiance  envers  cet 
ennemi  tombĂ©,  ce  qui  pourrait  ĂȘtre  dangereux  pour  la  cause 
de  la  liberté  : 

...  S'il  abuse  de  notre  générosité;  si,  au  nom  de  l'égalité,  il  veut 
rétablir  l'inégalité,  déjà  il  nous  trahit,  nous  calomnie  et  cherche  à 
nous  entraßner  dans  l'abßme.  Que  ferons-nous?...  Serons-nous  géné- 
reux et  oublieux  de  nos  injures  personnelles,  jusqu'Ă   lui  permettre 
d'étouffer  la  vérité  dans  ses  perfides  embrassements?... 

C'est  le  troisiÚme  article  :  V Application  de  l'égalité,  c'est  la 
fraternité,  qui  sert  de  réponse  à  cette  question,  et  c'est  le  plus 
important  de  tous  les  quatre,  pour  nous  fixer  sur  le  dogme 
socialiste  de  George  Sand  : 

...  Ce  serait  dire  un  lieu  commun,  grùce  au  ciel,  que  de  déclarer 
notre  révolution  non  pas  seulement  politique,  mais  sociale.  Le  socia- 
lisme est  le  but,  la  RĂ©publique  est  le  moyen;  telle  est  la  devise  des  esprits 
les  plus  avancĂ©s  et,  en  mĂȘme  temps,  les  plus  sages. 

IV.  c 


66  GEORGE   SAND 

La  réforme  sociale,  tel  est  donc  l'exercice  du  devoir  du  citoyen.  H 
s'agit  de  faire  succéder  le  régime  de  l'égalité  au  régime  de  la  caste, 
l'association  à  la  concurrence  et  au  monopole,  fléaux  distincts  dans  le 
principe,  fléaux  identiques  dans  ces  derniers  temps.  H  ne  s'agit  pas 
d'écrire  le  principe  de  l'égalité  comme  épigraphe  à  notre  nouveau 
Code,  pour  qu'ensuite  tous  les  articles  du  Code  en  détruisent  l'appli- 
cation. 

C'est  donc  un  devoir  nouveau,  un  devoir  mûri  pendant  plus  d'un 
demi-siÚcle,  que  la  République  de  1848  implante  sur  celui  qui  a  été 
proclamé  en  1789... 

Puis,  démontrant  que  malgré  toute  la  différence  des  époques 
et  la  prétendue  différence  entre  les  partis  d'alors  et  ceux 
du  prĂ©sent,  au  fond  ce  sont  toujours  les  mĂȘmes  intĂ©rĂȘts 
Ă©goĂŻstes  contre  lesquels  il  faut  lutter,  George  Sand  trace  d'une 
maniÚre  ferme  et  concise  la  limite  qui  sépare  les  dangers  que 
couraient  jadis  les  partisans  de  l'ancien  régime  et  ceux  qui 
menacent,  à  présent,  les  ennemis  de  la  liberté.  A  présent,  la 
révolution  étant  surtout  sociale,  ils  n'ont  rien  à  craindre  ;  plus 
de  sang  versĂ©,  pas  de  pillage  ni  de  vol  !  Ils  peuvent  ĂȘtre  absolu- 
ment tranquilles  lĂ -dessus. 

...  Alors  que  craignent-ils?...  L'impÎt  progressif,  l'atteinte  portée 
à  l'héritage  indirect,  les  mesures  révolutionnaires,  les  contributions 
forcées,  la  socialisation  des  instruments  de  travail  ;  enfin,  tous  nos 
besoins,  toutes  nos  infortunes,  auxquels  il  leur  faudra  porter  remĂšde 
par  de  grands  sacrifices.  Ils  craignent  de  devenir  pauvres  Ă   leur  tour, 
car  ils  voient  bien  que  nous  ne  les  laisserons  pas  jouir  en  paix  d'un  luxe 
qui  nous  affame  et  d'une  sécurité  qui  nous  expose  à  mourir  de  faim. 

Et  le  rĂ©dacteur  de  la  Cause  du  Peuple  —  socialiste  de  la  plus 
pure  espĂšce  —  rĂ©pond  : 

Si  c'est  lĂ   ce  que  vous  craignez,  vous  avez  quelque  sujet  de  ne 
pas  dormir  bien  tranquilles  car,  certainement,  il  vous  faudra  faire 
des  sacrifices.  Vous  n'avez  pas  des  droits  seulement,  vous  avez  des 
devoirs  ;  et  nous,  nous  n'avons  pas  seulement  des  devoirs,  nous 
avons  des  droits.  C'est  vous  qui  avez  profité  du  passé,  vous  seuls  ! 
C'est  vous  aussi  qui  avez  provoquĂ©,  par  votre  entĂȘtement  et  vos 
mĂ©fiances,  la  crise  oĂč  nous  sommes,  et  le  prĂ©sent  ne  pĂ©rira  pas  avec 
l'avenir,  pour  laisser  le  passé  vivre  impunément  sur  leurs  cadavres. 

Oui,  les  hommes  du  passé  doivent  bien  s'attendre  à  payer  les  frais 
de  la  guerre  qu'ils  nous  ont  suscitée... 


GEORGE   SAND  67 

Et,  en  posant  la  question  :  Que  serait-il  juste  d'exiger  des 
riches?  l'auteur  s'empresse  encore  une  fois  de  les  tranquil- 
liser: 

MalgrĂ©  qu'il  semble  Ă©quitable,  au  premier  coup  d'Ɠil,  de  tout  re- 
prendre à  celui  qui  a  tout  pris,  malgré  toute  l'indignation  qu'on  sent 
bouillonner  en  soi,  quand  on  entend  le  cri  de  la  veuve  et  de  l'orphelin, 
quand  on  voit,  Ă   tous  les  carrefours,  le  vieillard  et  l'enfant  tendre  la 
main  aux  passants,  et  malgré  tout  le  désir  de  mettre  le  riche  à  la  place 
du  pauvre,  les  législateurs  du  présent,  les  initiateurs  de  l'avenir,  nous 
ne  pouvons  pas  appliquer  la  peine  du  talion. 

Toutefois  Vavenir  détruira  entiÚrement  la  richesse  individuelle;  il 
créera  la  richesse  sociale.  L'avenir  n'aura  plus  de  pauvres,  il  n'aura 
que  des  Ă©gaux  dans  toute  la  force  du  terme... 

Ceci  ne  se  fera  pas  d'emblée,  ni  par  violence,  mais  par  transition. 

...Voici  quelle  sera  la  transition  :  l'homme  avide  et  habile  n'aura 
plus  les  moyens  de  faire  ces  fortunes  scandaleuses,  qui,  en  se  dévorant 
les  unes  les  autres,  dévoraient  en  somme  la  subsistance  du  peuple. 
La  sociĂ©tĂ©  doit  rendre  ces  moyens  impossibles  et  empĂȘcher  que  les 
hommes  du  passé  n'accaparent  encore  une  fois  l'avenir  à  leur  profit. 
Plus  d'agioteurs,  plus  de  spéculations  sur  la  fatigue,  la  résignation  et 
la  misĂšre  de  l'homme,  plus  de  sacrifices  humains  ;  poursuivons  ce  trafic 
sauvage  jusque  dans  ses  plus  mystérieux  retranchements. 

Quant  aux  fortunes  dĂ©jĂ   faites,  laissons-les  s'Ă©puiser  d'elles-mĂȘmes  ; 
imposons-leur  les  sacrifices  que  la  situation  exigera.  La  situation 
n'exige  pas  que  les  riches  soient  réduits  à  la  misÚre  qu'ils  nous  ont 
fait  subir,  ou  qu'ils  ont  contemplée  avec  indifférence. 

Quand  la  République  pourra  fonctionner  sans  leur  réclamer  au  delà 
des  sommes  nécessaires  à  ses  premiers  besoins,  méprisons  leur  superflu, 
n'en  soyons  pas  jaloux,  nous  sommes  trop  fiers  pour  cela!... 

...  S'il  faut  souffrir  encore  un  peu  de  temps  pour  traverser  une  crise 
qui  nous  promet  tous  ces  biens,  nous  souffrirons  patiemment,  Ă   la 
condition  que  nous  verrons  le  gouvernement  choisi  par  nous  s'occuper 
activement  de  mettre  tout  en  Ɠuvre  pour  abrĂ©ger  notre  sublime 
Ă©preuve... 

Et  l'auteur,  optimiste,  croit  que  si  le  gouvernement  parvient 
Ă   accomplir  cette  tĂąche  et  si  le  peuple  sait  attendre  patiemment, 
alors 

...peu  à  peu,  nous  passerons  de  la  pauvreté  à  l'aisance,  et  de  l'aisance 
Ă   la  richesse  sociale  sans  nous  heurter  violemment  aux  obstacles  que 
le  devoir  nous  ordonne  de  tourner. 


63  GEORGE   SAND 

Voilà,  je  crois,  notre  devoir  tout  tracé,  relativement  aux  droits  du 
passé... 

Trois  jours  avant  l'apparition  du  n°  2  de  la  Cause  du  Peuple 
le  13  avril,  parut  le  Bulletin  n°  15,  et  la  veille,  le  15  avril,  le  Bulle- 
Un  n°  16.  Tous  les  deux  répÚtent  à  satiété  ie  conseil  de  n'élire 
que  de  vrais  républicains. 

Le  n°  15  déclare  simplement  et  catégoriquement  : 

...  H  importe  que  chaque  citoyen,  se  recueillant  en  lui-mĂȘme,  soit 
pénétré  de  la  grandeur  du  devoir  qu'il  va  remplir...  les  députés  ne  doi- 
vent plus  ĂȘtre  les  hommes  d'affaires  de  leur  dĂ©partement,  mais  les 
nterprÚtes  de  la  volonté  souveraine  de  la  France.  Il  faut  donc  les  cher- 
cher parmi  les  hommes  doués  au  plus  haut  degré  de  qualités  généreuses 
iet  de  nobles  sentiments... 

Pour  ĂȘtre  dĂ©putĂ©,  ce  n'est  point  assez  d'ĂȘtre  honnĂȘte,  il  faut  ĂȘtre 
républicain  sans  réserve  et  sans  arriÚre-pensée... 

Puis,  nous  lisons  dans  ce  Bulletin  des  lignes  qui  semblent 
tirées  de  la  lettre  de  Mme  Sand  à  propos  de  Michel  de  Bourges  : 

...  Vous  entendrez  beaucoup  de  candidats  célébrer  la  chaleur  et 
la  sincérité  de  leurs  opinions  ;  mais  si  déjà  vous  les  avez  vus,  engagés 
dans  la  carriĂšre  politique,  accepter  comme  chefs  et  comme  maĂźtres 
les  hommes  que  nous  avons  renversés,  défiez-vous  de  leur  changement 
subit,  et  avant  de  les  exposer  à  l'épreuve  périlleuse  de  l'Assemblée 
na.ionale,  laissez-les  affermir  dans  la  vie  privée  leur  prompte  et  mira- 
eulcuse  conversion...  Or,  celui-là  qui  défendait  sous  la  monarchie  les 
principes  mis  en  poussiÚre  par  la  Kévolution,  ne  peut  obéir  à  un  sen- 
tirent d'abnégation.  H  cÚde  au  vain  désir  d'associer  son  nom  à  un 
grand  fait  lĂčstorique,  peut-ĂȘtre  Ă   l'amour  des  distinctions  et  du  pou- 
voir. Mais  la  pensĂ©e  du  sacrifice  est  loin  de  son  cƓur.  Il  ne  voit  dans 
la  députation  qu'un  piédestal  ou  un  moyen  de  fortune. 

De  tels  hommes  compromettraient  bien  vite  l'Assemblée  en  la  con- 
duisant dans  des  voies  hostiles  aux  intĂ©rĂȘts  de  la  nation...  Cette  assem- 
blée doit  incessamment  travailler  à  fonder  solidement  l'édifice  de  la 
société  démocratique.  Elle  doit  porter  une  main  hardie  sur  les  insti- 
tutions oppressives  et  condamnées,  ne  recaler  devant  aucune  des  con- 
séquences de  la  révolution,  entraßner  le  pays  par  la  grandeur  de  ses 
résolutions,  et,  s'il  le  faut,  briser  sans  ménagement  toutes  les  résis- 
tances. Le  salut  de  la  France  est  Ă   ce  prix.  Quiconque  n'est  pas  con- 
vaincu que  la  République  ne  peut  pas  périr  ne  sera  qu'un  député 
dangereux.  Il  sera  disposé  aux  transactions  et  aux  demi-mesures,  et 


GEORGE   SAND  69 

par  ses  hésitations  il  deviendra  une  cause  de  graves  embarras.  ArriÚre 
les  indifférents  et  les  ambitieux,  la  patrie  a  besoin  de  foi  et  d'abné- 
gation... 

H  dut  probablement  arriver  jusqu'Ă   l'oreille  de  l'auteur  du 
Bulletin  n°  15,  que  presque  partout  le  peuple  ne  témoignait 
aucun  désir  de  choisir  des  gens  qui  «  porteraient  une  main  hardie 
sur  les  institutions  oppressives  et  condamnées  »  (par  exemple  : 
sur  la  «  richesse  individuelle  »,  comme  le  prétendait  l'auteur  du 
troisiĂšme  article  socialiste  de  la  Cause  du  Peuple.)  H  dut 
apprendre  aussi  que  les  paysans  Ă©taient  tout  autrement  dis- 
posés que  les  ouvriers  des  villes,  qu'on  ne  voterait  pas  exclusi- 
vement pour  ceux  qui  croient  en  la  RĂ©publique  comme  en  une 
espÚce  de  divinité  dont  il  n'est  pas  permis  de  douter.  Et  le  Bul- 
letin n°  16  laisse  alors  entendre  une  menace  non  déguisée  : 

...  Une  heure  d'inspiration  et  d'héroïsme  a  suffi  au  peuple  pour  con- 
sacrer le  principe  de  la  vérité.  Mais  dix-huit  ans  de  mensonge  opposent 
au  régime  de  la  vérité  des  obstacles  qu'un  souffle  ne  renverse  pas; 
les  élections,  si  elles  ne  font  pas  triompher  la  vérité  sociale,  si  elles 
sont  l'expression  des  intĂ©rĂȘts  d'une  caste,  arrachĂ©es  Ă   la  confiante 
loyautĂ©  du  peuple,  les  Ă©lections,  qui  devaient  ĂȘtre  le  salut  de  la  RĂ©pu- 
blique, seront  sa  perte,  il  n'en  faut  pas  douter.  H  n'y  aurait  alors 
qu'une  voie  de  salut  pour  le  peuple  qui  a  fait  des  barricades,  ce  serait 
de  manifester  une  seconde  fois  sa  volonté  et  d'ajourner  les  décisions 
d'une  fausse  reprĂ©sentation  nationale.  Ce  remĂšde  extrĂȘme,  dĂ©plorable, 
la  France  voudrait-elle  forcer  Paris  Ă   y  recourir?  A  Dieu  ne  plaise  L, 

A  la  fin  de  ce  Bulletin  la  population  des  campagnes  est  exhortée 
à  faire  cause  commune  avec  celle  des  cités,  parce  que  «  partout 
la  cause  du  peuple  est  la  mĂȘme,  partout  les  intĂ©rĂȘts  du  pauvre 
et  de  l'opprimé  sont  solidaires  ;  si  la  République  succombait  à 
Paris,  elle  succomberait  non  seulement  en  France  mais  dans 
tout  l'univers...  » 

Et,  aprĂšs  cela,  il  ne  semble  pas  que  l'auteur  s'exprime  en  toute 
sincérité,  en  disant  : 

...  Citoyens,  il  ne  faut  pas  que  vous  en  veniez  Ă   ĂȘtre  forcĂ©s  de  violer 
vous-mĂȘmes  le  principe  de  votre  propre  souverainetĂ©.  Entre  le  danger 
de  perdre  cette  conquĂȘte  par  le  fait  d'une  assemblĂ©e  incapable  ou  par 
celui  d'un  mouvement  d'indignation  populaire,  le  gouvernement  pro- 


70  GEORGE    SAND 

visoire  ne  peut  que  vous  avertir  et  vous  montrer  le  péril  qui  vous 
menace.  H  n'a  pas  le  droit  de  violenter  les  esprits  et  de  porter  atteinte 
au  principe  du  droit  public.  Elu  par  vous,  il  ne  peut  ni  empĂȘcher  le 
mal  que  produirait  l'exercice  mal  compris  d'un  droit  sacrĂ©,  ni  arrĂȘter 
votre  Ă©lan,  le  jour  oĂč,  vous  apercevant  vous-mĂȘmes  de  vos 
méprises,  vous  voudriez  changer,  dans  sa  forme,  l'exercice  de  ee  droit. 
Mais  ce  qu'il  peut,  ce  qu'il  doit  faire,  c'est  vous  Ă©clairer  sur  les 
conséquences  de  vos  actes... 


On  sent  dans  ces  mots,  surtout  si  on  les  rapproche  des  Bul- 
letins nc>  13  et  15,  une  indication  nullement  Ă©quivoque  :  ou  bien 
choisissez  des  députés  radicaux,  républicains;  ou  bien,  si  les 
Ă©lections  sont  rĂ©actionnaires,  risquez  un  coup  d'État  et  renversez 
l'AssemblĂ©e  nationale  qui  pourrait  ĂȘtre  ni  dĂ©mocratique  ni  rĂ©pu- 
blicaine. 

Simultanément,  avec  ces  deux  derniers  Bulletins,  George  Sand 
Ă©crivit  ses  cinq  Paroles  de  Biaise  Bonnin.  Les  sous-titres  seuls 
prouvent  combien  la  différence  qui  s'accentuait  entre  les  aspira- 
tions et  les  dispositions  des  ouvriers  des  villes  et  celles  des  gens 
de  la  campagne,  jointe  au  mécontentement  général  suscité  par  le 
nouvel  impÎt,  inquiétaient  George  Sand  et  lui  donnaient  de  justes 
craintes.  Les  deux  premiĂšres  Paroles  de  Biaise  Bonnin  aux  bons 
citoyens  sont  intitulées  :  VImpÎt  et  Encore  VimpÎt.  Notre  vieil 
ami  Biaise,  toujours  dans  son  simple  et  clair  langage,  qui  cette 
fois  pourtant  n'est  point  la  langue  d'oïl,  mais  le  bon  français  de 
tout  le  monde,  l'ami  Biaise,  disons-nous,  y  exhorte  le  peuple  Ă  
o  encore  patienter  un  peu  »,  à  faire  encore  un  nouveau  sacrifice 
que  les  circonstances  exigent  de  lui  sous  la  forme  de  cet  impĂŽt 
de  45  centimes.  Mais  il  l'exhorte  aussi  Ă   mettre  la  main  Ă   la 
pĂąte  pour  que  de  meilleurs  temps  arrivent  plus  vite,  et,  Ă   cette 
fin,  il  lui  conseille  de  choisir  «  une  bonne  Assemblée  ». 

Les  trois  derniers  numéros  des  Paroles  de  Biaise  Bonnin  sont 
intitulés  :  V Ouvrier  des  villes  et  V Ouvrier  des  campagnes,  V Agri- 
culteur et  V Artisan,  et  enfin,  les  Villes  et  les  Campagnes,  et 
sont  consacrĂ©s  au  dĂ©veloppement  de  la  mĂȘme  idĂ©e  du  Bulletin 
n°  16  sur  la  solidaritĂ©  des  intĂ©rĂȘts  du  prolĂ©tariat  des  villes  et  des 
campagnes. 


GEORGE  SAND  71 

Or,  le  mĂȘme  jour  oĂč  parut  le  n°  2  de  la  Cause  du  Peuple  et  au 
lendemain  de  celui  oĂč  avait  paru  le  Bulletin  n°  16,  eut  lieu  la 
célÚbre  manifestation  contre-révolutionnaire  qui  fut  comme  une 
contre-partie  de  la  manifestation  prolétaire  du  17  mars.  Les 
socialistes  et  les  radicaux  ayant  tenté  de  renverser  le  gouverne- 
ment provisoire  à  leur  profit,  cet  essai  de  sédition  fut  trÚs  adroi- 
tement déjoué  par  tous  ceux  qu'on  traitait  railleusement  de 
«  bourgeois  »,  en  leur  opposant  «  le  peuple  ».  C'étaient  les  bourgeois 
aisĂ©s,  tremblant  devant  ces  mesures  socialistes  rĂȘvĂ©es  par  le  rĂ©- 
dacteur de  la  Cause  du  Peuple,  et  la  petite  bourgeoisie  propre- 
ment dite,  la  garde  nationale,  tous  ceux  que  ruinaient  la 
crise  financiĂšre  et  le  chĂŽmage  dans  les  affaires  et  qui  Ă©taient 
déprimés  et  effrayés  par  les  processions  et  les  manifestations 
populaires  en  permanence,  le  bruit  dans  les  rues  devenant  chro- 
nique ;  enfin  tous  les  modestes  citadins  avides  de  silence  et  de 
repos,  dont  George  Sand  s'était  si  cruellement  moquée  dans 
son  article  «  Les  Rues  de  Paris  »  (1),  en  comparant  ces  bons- 
hommes pacifiques  au  Cassandre  de  la  vieille  comédie  (2), 
le  symbole  de  la  poltronnerie,  de  l'inertie  stupide  et  bornée,  eux 
tous,  disons-nous,  exécutÚrent  la  contre-manifestation  restée 
célÚbre  et  dirigée  trÚs  explicitement  contre  les  socialistes,  les 
communistes,  contre  tous  ceux  que  les  pauvres  bourgeois  apeurés 
et  les  libéraux  modérés  personnifiaient  également  sous  les  traits 
du  «  spectre  rouge  ».  C'est  pendant  cette  manifestation  que  des 
cris  :  Ă 1  A  las  les  communistes!  A  la  lanterne!  Mort  Ă   Cabet(3)\ 

(1)  Dans  le  n°  1  de  la  Cause  du  Peuple. 

(2)  H  est  évident  qu'il  s'agit  de  ce  personnage  de  la  Comédie  dans  l'article 
de  George  Sand.  Nous  savons  que  l'on  Ă©tait  alors  trĂšs  Ă©pris  de  la  Commedia 
deW  arte  Ă   Nohant,  et  on  avait  l'habitude  d'employer  dans  la  conversation 
courante  les  noms  de  ses  personnages,  symbolisant  des  caractĂšres  et  des 
travers  convenus  :  c'est  ainsi  que  de  vieux  poltrons  hargneux  et  bougon- 
nants y  étaient  appelés  des  Cassandre,  les  jeunes  fats  des  Léandre,  les  ser- 
viteurs des  Pedrilh  ou  Leporello,  les  militaires  des  Capiton  ou  des  Mata- 
mores, etc.,  etc.  Il  est  Ă©vident  aussi  que  c'est  un  simple  lapsus  de  la  part  de 
M.  Monin,  lorsqu'il  croit  que  George  Sand  fait  dans  cet  article  allusion  Ă   la 
prophétesse  grecque. 

(3)  Il  est  tout  à  fait  incompréhensible  aujourd'hui  pour  quelle  raison  le 
nom  de  Cabet,  le  moins  fanatique  de  tous  les  utopistes  socialistes  et  le  moins 
militant  des  politiciens,  devint  en  cette  journée  du  16  avril  le  symbole  de 
l'anarchie  la  plus  dangereuse,  de  sorte  que  le  pauvre  auteur  de  Ylcarie  ne 


72  GEORGE   SAND 

Mort  aux  communistes!  se  firent  entendre  une  premiĂšre  fois. 
Et  voici  que  le  quatriĂšme  article  du  Socialisme,  paru  dans  le 
dernier  numéro  de  la  Cause  du  Peuple,  proclame  quelque  chose 
de  nouveau.  Ce  n'est  plus  la  majorité  qui  est  la  voix  du  peuple 
par  laquelle  la  divinitĂ©  elle-mĂȘme  prononce  les  arrĂȘts  de  la 
vérité  accessible  à  l'humanité;  il  est  certain  qu'en  pratique 
l'expression  de  la  souveraineté  du  peuple  se  fait  voie  par  la 
majorité,  mais,  dit  l'auteur  de  ce  quatriÚme  article  intitulé  «  la 
Majorité  et  V Unanimité  »  : 

...  H  faut  toujours  avoir  l'idéal  devant  les  yeux... 

Or,  l'idéal  de  l'expression  de  la  souveraineté  de  tous,  ce  n'est  pas 
la  majoritĂ©,  c'est  l'unanimitĂ©.  Un  jour  viendra  oĂč  la  raison  sera  si 
bien  dégagée  de  voiles  et  la  conscience  si  parfaitement  délivrée  d'hé- 
sitations, que  pas  une  voix  ne  s'élÚvera  contre  la  vérité  dans  les  con- 
seils des  hommes...  Oui,  Ă   toutes  les  Ă©poques  de  l'histoire,  il  y  a  de  ces 
heures  dĂ©cisives  oĂč  la  Providence  tente  une  Ă©preuve  et  donne  sa  sanc- 
tion à  la  véritable  aspiration,  au  consentement  électrique  des  masses. 
H  y  a  des  heures  oĂč  l'unanimitĂ©  se  produit  Ă   la  face  du  ciel,  et  oĂč  la 
majorité  ne  compte  plus  devant  elle... 

De  telles  heures  furent,  selon  l'auteur  de  l'article,  les  journées 
du  24  fĂ©vrier  et  du  20  avril,  celle  de  la  FĂȘte  de  la  fraternitĂ©.  Si 
cette  unanimitĂ©  avait  pu  ou  pouvait  encore  ĂȘtre  brisĂ©e  ou  altĂ©- 
rée, la  vérité  n'en  cessera  pas  moins  d'exister.  Donc,  quoiqu'on 
dise  que  «la  France  va  nous  envoyer,  le  5  mai,  l'expression  de  ses 
diverses  majorités  locales  »  et  que  «  la  souveraineté  de  ces  majo- 
rités fractionnées  sera  inviolable  »,  l'auteur  proteste  contre  cette 
opinion. 

...  La  Chambre  des  députés  a  été  violée  le  24  février  au  nom  du  prin- 
cipe de  la  majorité  contre  la  minorité,  dit-il.  Si  l'Assemblée  du  5  mai 
se  trouve  ĂȘtre  l'expression  d'une  majoritĂ©  abusĂ©e,  si  elle  est  rĂ©solue  Ă  
reprĂ©senter  encore  les  intĂ©rĂȘts  d'une  minoritĂ©,  cette  assemblĂ©e  ne  rĂ©gnera 
point  ;  l'unanimitĂ©  viendra  casser  les  arrĂȘts  de  la  majoritĂ©... 

George  Sand  s'empresse  de  tranquilliser  d'avance  les  repré- 
sentants de  cette  majorité  abusée,  en  niant  que  le  parti  répu- 

parvint  Ă   se  soustraire  Ă   la  fureur  que  grĂące  Ă   Lamartine  qui  le  cacha  dans 
son  hĂŽtel. 


GEORGE   SAND  73 

blicain  puisse  appeler  la  guerre  civile  ou  que  «  par  d'odieuses 
provocations  il  réveille  le  souvenir  de  Fructidor...  ». 

H  faut  noter  ces  mots,  parce  que  nous  verrons  tout  Ă   l'heure 
par  une  page  de  Mme  Sand,  non  destinée  à  l'impression,  qu'elle- 
mĂȘme,  ainsi  que  le  «  parti  rĂ©publicain  »  avaient  justement 
débattu  l'opportunité  d'un  «  Fructidor  ». 

Donc,  continue  Mme  Sand  dans  ce  quatriĂšme  article  : 

...  il  n'y  aura  pas  d'Ă©meutes,  le  peuple  n'en  veut  plus.  Il  u'y  aura 
pas  de  conspirations,  le  peuple  les  déjoue.  H  n'y  aura  pas  de  sang 
versé,  le  peuple  en  a  horreur.  Il  n'y  aura  pas  de  menaces,  le  peuple 
n'a  pas  besoin  d'en  faire... 

Et  alors,  Mme  Sand  trace  un  projet  grandement  fantastique  : 
dans  le  cas  oĂč  l'AssemblĂ©e  se  trouverait  rĂ©actionnaire  ou  tiĂšde, 
en  un  mot,  point  démocratique,  le  peuple  tout  en  respectant 
extérieurement  son  inviolabilité,  «  s'en  ira  au  Champ  de  Mars,  et 
lĂ ,  avec  la  France  entiĂšre,  il  votera  sa  constitution,  en  appe- 
lant à  ce  vote  l'humanité  tout  entiÚre,  qui  lui  répondra  par 
un  courant  électrique  ». 

...  Alors  nous  te  porterons  en  souriant  cette  constitution  Ă   signer 
et  tu  la  signeras  avec  empressement,  heureuse  d'ĂȘtre  dĂ©livrĂ©e  du  mal 
affreux  de  l'abandon  et  de  l'impuissance  ;  nous  te  couronnerons  de 
feuilles  de  chĂȘne  et  nous  te  porterons  en  triomphe  (1)... 

Donc,  d'une  part,  la  journée  du  16  avril  avait  laissé  voir  à 
George  Sand  que  la  «  République  sociale  »  n'était  nullement 
le  rĂȘve  de  la  «  majoritĂ©  ».  D'autre  part,  le  Bulletin  n°  16  provoqua 
une  explosion  d'indignation  et  d'horreur  de  la  part  de  la  bour- 
geoisie et  des  modérés  (2),  et  quoique  cet  épisode  ne  se  dénoua 

(1)  Il  est  hors  de  doute  que  Daniel  Stern  visait  bien  ces  lignes  de  George 
Sand  en  disam.  Ă   la  page  8  de  son  tome  III  : 

«  Chaque  jour  on  répétait  dans  les  journaux,  comme  une  chose  toute 
simple,  que  si  l'Assemblée  ne  se  hùtait  d'exécuter  les  volontés  du  peuple, 
il  chasserait  cette  fausse  représentation  nationale,  ou  bien  on  disait  encore 
que  les  ouvriers  de  Paris  apporteraient  aux  représentants  une  constitution 
toute  faite,  proclamée  au  Clmmp  de  Mars  et  qu'il  les  forcerait  à  la  voter 
séance  tenante.  » 

(2)  a  Pour  un  Bulletin  un  peu  raide  que  j'ai  fait,  il  y  a  un  déchaßnement 
incroyable  de  fureur  contre  moi  dans  toute  la  classe  bourgeoise  »,  écrit  George 
Sand  Ă   son  fils,  le  19  avril. 


74  GEORGE   SAND 

que  plus  tard  et  que  la  question  de  savoir  qui  avait  Ă©crit  ce  Bul- 
letin ou  signé  un  ion  à  tirer  ne  fut  vidée  définitivement  qu'aprÚs 
la  journée  du  15  mai  dont  il  fut  considéré  comme  le  prodrome 
et  la  cause,  néanmoins,  Ledru-Roilin  qui  s'était  rapproché,  dÚs 
le  16  avril,  des  modérés  et  de  Lamartine  en  particulier,  s'empressa 
de  renier  ce  Bulletin,  et  George  Sand  elle-mĂȘme  fut  probablement 
reconnue  pour  une  collaboratrice  incommode.  H  s'ensuivit  un 
froid  entre  les  alliés  de  naguÚre,  et  quoique  George  Sand  ne 
renia  point  «  son  parti  »,  elle  n'écrivit  plus  de  Bulletins  pour 
Ledru-Rollin,  et  il  lui  arriva  p  ai-fois  de  qualifier  celui-ci  du 
nom  de  :  «  le  gros  Ledru  ».  Il  est  probable  toutefois  que  la  des- 
cription de  la  FĂȘte  de  la  fraternitĂ©  du  20  avril,  dans  le  Bulletin 
n°  19,  est  due  à  sa  plume,  comme  le  suppose  aussi  M.  Monin,  et 
comme  on  peut  le  conclure  par  les  lignes  de  la  lettre  Ă   Mau- 
rice : 

«  Il  me  faudrait  t'écrire  vingt  pages  pour  te  raconter  tout  ce  qui 
s'est  passé,  et  je  n'ai  pas  cinq  minutes.  Tu  en  trouveras  une  relation 
bien  abrégée  dans  le  Bulletin  de  la  République  et  dans  la  Cause  du 
Peuple  (1). 

Mais  nous  nous  empressons  de  remarquer  que  les  descriptions 
de  la  Journée  du  20  avril,  celle  qui  parut  dans  la  Cause  du  Peuple 
et  celle  que  contient  le  Bulletin  n°  19,  sont  différentes,  quoique 
trÚs  ressemblantes  :  la  seconde  n'est  nullement  «  empruntée  »  à 
la  Cause  du  Peuple,  comme  le  prétend  M.  Monin. 

Le  Bulletin  n°  16,  publié  le  15  avril,  est  comme  le  dernier  acte 
de  la  participation  littéraire  de  George  Sand  aux  affaires  du 
gouvernement  provisoire.  Le  16  avril  fut  aussi,  paraĂźt-il,  le 
dernier  jour  de  sa  participation  active  dans  ces  affaires,  du 
moins,  depuis  ce  jour,  la  part  qu'elle  prit  anx  événements  eut 
un  autre  caractĂšre. 

Avant  de  parler  de  cette  mémorable  j  ournée,  disons  quelques 
mots  sur  le  Bulletin  n°  12,  dont  nous  n'avons  rien  dit  encore 
(quoiqu'il  soit  considéré  comme  le  plus  sûrement  dû  à  la  plume 

(1)  Correspondance,  t.  III,  p.  46,  lettre  du  21  avril. 


GEORGE   SAND  75 

de  George  Sand),  ainsi  que  sur  les  autres  articles,  non  encore 
mentionnés,  de  la  Cause  du  Peuple. 

La  Cause  du  Peuple,  —  disait  Mme  Sand,  dans  le  premier  article 
paru  sous  le  titre  d'Arts  dans  le  n°  1  du  journal,  —  n'Ă©tant  pas  une 
revue,  ne  s'engageait  pas  à  faire  des  comptes  rendus  systématiques, 
sur  le  théùtre,  la  musique  et  les  arts,  quoique  l'art  comme  toute  autre 
manifestation  de  l'esprit  humain  soit  une  expression  de  la  vérité, 
mais...  en  temps  de  révolution,  les  artistes  et  les  poÚtes  ne  peuvent, 
pour  formuler  cette  vérité  en  marche,  que  procéder  par  de  rapides 
improvisations.  Or,  l'art  Ă©tant  le  travail  de  l'esprit  sur  le  sentiment  et 
pour  ainsi  dire  de  l'enthousiasme  réfléchi,  demande  du  calme  et  un 
peu  de  latitude,  pour  se  raviser. 

Le  chroniqueur  de  la  Cause  du  Peuple  n'aura  donc  pas  grand' - 
chose  Ă   enregistrer,  George  Sand  ne  donne  le  compte  rendu  que 
de  trois  représentations  théùtrales  :  de  la  premiÚre  de  V Aven- 
turiÚre d'Augier  (à  laquelle  elle  sait  avec  une  grande  perspicacité 
et  un  flair  artistique  parfait  prédire  un  glorieux  avenir)  (1),  et 
de  deux  représentations  gratuites  pour  le  peuple  :  la  Muette  de 
Portici  à  l'Opéra  et  la  solennelle  ouverture  de  la  Maison  de 
MoliÚre,  rebaptisée  sous  le  nom  de  «  Théùtre  de  la  République  ». 
On  y  donna  les  Horace  (un  acte),  avec  Rachel,  et  le  Malade 
imaginaire  avec  Madeleine  Brohan,  Samson  et  d'autres  célébrités 
de  l'Ă©poque,  et  en  guise  de  Prologue,  une  petite  piĂšce  de  circons- 
tance de  George  Sand  elle-mĂȘme,  le  Roi  attend.  Le  spectacle  fut 
ouvert  par  le  Chant  du  dĂ©part  de  MĂ©hul,  chantĂ©  par  les  chƓurs 

(1)  M.  Monin  remarque  fort  judicieusement  que  George  Sand  fit  preuve, 
dans  ces  remarquables  pages  de  critique  dramatique,  de  beaucoup  de  goût, 
de  finesse  et  d'une  grande  compétence  pour  cette  critique  ;  il  exprime  son 
étonnement  de  ce  que  lorsqu'on  réimprima  le  Prologue  de  George  Sand  dans 
ses  ƒuvres  complĂštes,  «  le  mĂȘme  honneur  n'a  pas  Ă©tĂ©  fait  Ă   ces  pages  »,  —  et 
il  le  trouve  d'autant  plus  regrettable,  que  «  George  Sand  n'a  guÚre  abordé 
que  là  ce  genre  littéraire  ».  Les  deux  derniÚres  indications  sont  inexactes  : 
les  deux  articles  de  la  Cause  du  Peuple,  intitulés  Arts,  sont  bel  et  bien  réim- 
primés dans  les  volumes  des  Questions  d'art  et  de  littérature.  Quant  à  l'asser- 
tion que  George  Sand  n'ait  plus  jamais  «  abordé  ce  genre  littéraire  »,  elle 
est  rĂ©duite  Ă   nĂ©ant  par  le  fait  que,  dans  ce  mĂȘme  volume,  ainsi  que  dans 
d'autres  volumes  de  ses  ƒuvres,  on  peut  lire  une  sĂ©rie  de  ses  articles  de  cri- 
tique dramatique  et  artistique,  tels  sont  :  Mars  et  Dorval,  Marie  Dorval, 
Debureau,  Hamlet,  A  propos  des  idées  de  Mme  Aubray,  les  Beaux  Messieurs 
de  Bois-Doré  au  théùtre  de  VOdéon,  Reprise  de  Lucresia  Borgia,  etc.,  etc.  Tous 
ces  articles  avaient  paru  dans  les  périodiques  de  1836  à  1873. 


76  GEORGE   SAN  D 

du  Conservatoire,  puis  Roger  chanta  Ă   leur  tĂȘte  une  cantate  de 
Mme  Viardot,  sur  des  paroles  de  René  Dupont,  la  Jeune  Répu- 
blique (1),  et  le  tout  fut  clos  par  la  Marseillaise,  mélodie  déclamée 
par  Rachel,  que  l'orchestre  accompagnait  en  sourdine  (2).  Mais 
George  Sand  s'occupa  bien  moins  de  la  représentation,  que  de 
ceux  Ă   qui  on  la  donnait,  des  spectateurs  populaires.  Lorsqu'on 
ordonna  ces  représentations  gratuites,  il  y  eut  certaines  voix  qui 
s'écriÚrent  :  «  Margaritas  ante  porcos!  Ces  spectateurs  «  barbares  » 
ne  sauront  apprĂ©cier  ni  le  jeu  de  Rachel,  ni  les  Ɠuvres  de  MoliĂšre 
et  de  Racine  ;  les  possesseurs  loqueteux  des  billets  s'empres- 
seront de  les  revendre,  et  préféreront  naturellement  un  dßner  à 
une  reprĂ©sentation,  »  etc.  Tels  devaient  ĂȘtre  les  discours  qui 
précédÚrent  ces  représentations,  à  en  juger  par  le  ton  mi- 
polémique,  mi-enthousiaste  dont  George  Sand  relate  qu'il 
n'y  eut  que  fort  peu  de  billets  revendus,  qu'on  ne  comptait 
pas  plus  de  cinquante  messieurs  dans  la  salle,  que,  du  com- 
mencement jusqu'à  la  fin  de  l'opéra  et  de  la  tragédie,  chaque 
mot  des  acteurs  et  chaque  son  de  musique  fut  écouté  dans  un 
«  silence  religieux  »,  qu'il  «  n'y  eut  dans  les  loges  ni  pelure  de 
pomme,  ni  d'orange  »  ;  que  ces  prétendus  barbares  qui,  disait-on, 
ne  valaient  pas  la  peine  qu'on  jouĂąt  devant  eux  des  chefs- 

(1)  Nous  avons  vu  que  c'est  à  George  Sand  qu'était  due  l'idée  de  demander 
la  nouvelle  Marseillaise  Ă   Mme  Viardot  et  l'autre  Ă   Rachel. 

L'Intermédiaire  des  chercheurs  et  curieux  de  1874  contenait  l'indication 
que  c'est  encore  George  Sand  qui  avait  donné  l'idée  de  frapper  une  médaille 
de  la  République  et  avait  conseillé  à  un  artiste  de  s'inspirer  des  poses  de  Rachel 
chantant  la  Marseillaise.  Les  citations  que  les  collaborateurs  de  V Intermé- 
diaire des  chercheurs  et  curieux  donnent  Ă   l'appui  de  cette  assertion  ne  sont 
toutefois  pas  de  George  Sand,  mais  présentent  des  passages  assez  inexacts 
de  deux  pages  de  Daniel  Stern  (t.  II,  p.  311-312).  Or,  l'acharnement  qu'y 
met  Stern  Ă   critiquer  ces  poses  de  Rachel  et  son  air  belliqueux  et  farouche, 
ainsi  que  la  critique  extrĂȘme  que  Daniel  Stern  fait  de  toutes  les  statues  et 
médailles  présentées  aux  deux  concours  ordonnés  par  Ledru-Rollin,  nous 
prouvent,  comme  toujours,  qu'il  dut  y  avoir  de  l'influence  de  Mme  Sand  dans 
tout  cela.  Effectivement,  le  programme  que  le  ministre  avait  fait  commu- 
niquer aux  artistes  et  qui  fut  publié  dans  VArtiste  du  9  avril,  n'est 
que  l'extrait  d'une  lettre  de  George  Sand  à  Clésinger.  Quant  à  la  statue 
projetée  du  Champ-de-Mars,  c'est  encore  elle  qui  la  fit  commander  à  ce  sculp- 
teur. Elle  écrit  à  son  fils,  le  28  avril  (la  lettre  est  inédite,  et  écrite  la  nuit  des 
élections  à  Paris)  :  «  Solange  se  porte  comme  le  Pont-Neuf  ;  son  mari,  grùce 
à  moi,  fait  la  statue  du  Champ-de  Mars.  » 

(2)  V.  Daniel  Stern,  t.  II,  p.  309-310. 


GEORGE   SAND  77 

d' Ɠuvre  de  littĂ©rature  ou  d'art  lyrique,  avaient  Ă©tĂ©  vivement 
impressionnés  par  le  sujet  et  la  musique  de  la  Muette,  qu'ils 
avaient  applaudi  toujours  Ă   propos,  aux  passages  les  plus  tou- 
chants ou  les  plus  dramatiques  de  la  tragédie  ;  comment  enfin 
le  peuple  s'était  cotisé  pour  offrir  «  un  bouquet  à  Mlle  Rachel, 
qu'on  ne  le  jeta  pas  brutalement  sur  la  scĂšne,  comme  le  font 
de  prétendus  dandies,  mais  un  ouvrier  monta  sur  la  scÚne  et, 
en  présentant  respectueusement  le  bouquet  à  la  grande  artiste, 
lui  exprima  la  gratitude  de  l'auditoire  populaire  et  lui  demanda 
de  vouloir  bien  redire  le  dernier  couplet  de  la  Marseillaise,  »  au 
lieu  de  le  lui  réclamer  grossiÚrement  à  grands  cris,  comme  le 
fait  le  soi-disant  public  cultivé.  Enfin,  à  la  sortie,  le  peuple  ne 
voulut  pas  profiter  gratuitement  du  divertissement  que  l'État 
lui  offrait,  et,  se  souvenant  que  tandis  qu'il  «  s'amusait  d'autres 
souffraient  »,  chacun  fit  une  offrande  pour  les  pauvres.  Plus 
on  avait  décrié  ces  représentations,  plus  George  Sand  mit  de 
joie  ironique  à  constater  combien  on  s'était  trompé. 

Ces  deux  articles  de  critique  furent  insérés  dans  les  nos  1  et 
2  de  la  Cause  du  Peuple,  parus  les  9  et  16  avril.  Et  dans  le  mĂȘme 
n°  2  parut  le  Prologue  —  le  Roi  attend  (1).  George  Sand  confesse 
candidement  dans  la  premiÚre  de  ses  critiques  de  théùtre  que  ce 
prologue  Ă©tait  une  espĂšce  de  pastiche  oĂč  l'auteur  faisait  preuve 
de  bons  sentiments  et  dont  l'idée  est  empruntée  à  Y  Impromptu 
de  Versailles  de  MoliĂšre.  Ici  comme  lĂ ,  MoliĂšre  se  trouve  dans 
l'embarras  :  il  faut  commencer,  le  roi  va  venu:  et  la  piĂšce 
n'est  pas  encore  Ă©crite  et  les  acteurs  n'en  savent  pas  un 
mot.  Accourent  l'un  aprÚs  l'autre  sept  «  nécessaires  »  en  criant  : 
Messieurs,  commencez  donc  !  Le  roi  risque  d'attendre  I...  Le 
roi  attend  !...  Le  roi  a  attendu  !...  »  Les  acteurs  horripilés  se 
sauvent,  MoliÚre,  resté  seul,  dit  qu'il  se  sent,  malgré  tout,  pur 
de  tout  reproche,  parce   qu'il  a  toujours   honnĂȘtement    fait 

(1)  La  reprĂ©sentation  gratuite,  oĂč  on  avait  jouĂ©  ce  Prologue,  eut  lieu 
le  7  avril,  comme  on  le  voit,  par  la  lettre  inédite  de  George  Sand  à  son  fils, 
datée  du  8  avril,  et  fut  «  magnifique  »  ;  dans  cette  lettre,  Mme  Sand  parle  du 
public  qui  fut  pour  elle  ce  qu'il  y  avait  de  plus  intéressant  dans  ce  spectacle, 
dans  des  termes  tout  aussi  enthousiastes  que  ceux  de  son  article  de  la  Cause 
du  Peuple. 


7S  GEORGE   SAND 

son  devoir,  a  tùché  de  corriger  le  vice,  a  toujours  dit  la 
vérité  ;  s'il  a  aimé  le  roi  c'est  parce  que  le  roi  était  bon,  il  l'a 
employé  à  chùtier  sa  cour  et  l'a  défendue,  simple  petit  rotu- 
rier, contre  les  grands  auxquels  il  s'attaquait.  Puis,  fatigué, 
MoliĂšre  s'endort.  Des  nuages  l'enveloppent  et  quand  ils  se  dis 
sipent  apparaßt  la  Muse  (Rachel),  entourée  des  ombres  des  grands 
poĂštes,  antiques  et  modernes  :  Eschyle,  Sophocle,  Euripide, 
Plaute,  TĂ©rence,  Shakespeare,  Voltaire,  Rousseau,  Beaumar- 
chais, Marivaux,  etc.  Chacun  d'eux,  selon  son  genre  et  sa 
nature,  prédit  la  victoire  définitive  de  la  vérité,  de  la  justice 
et  de  la  tolérance  sur  les  abus,  les  vices  et  les  iniquités  des  siÚcles 
passés.  (Par  exemple  :  Voltaire  dit  :  «  J'ai  fait  une  grande  révo- 
cution,  mais  Rousseau  en  a  fait  une  seconde.  »  —  Celle  de  1848,  la 
sociale,  et  démocratique,  s'entend!)  Puis  la  Muse  proclame  en 
belles  et  sonores  paroles  que  les  maux  et  les  erreurs  d'autrefois 
sont  vaincus,  que  la  raison  triomphe,  que  les  temps  de  la  ven- 
geance sont  révolus  et  qu'à  présent,  les  poÚtes  des  temps  nou- 
veaux, en  continuant  l'Ɠuvre  de  leurs  grands  prĂ©dĂ©cesseurs, 
créeront  aussi  un  art  nouveau  «  qui  va  naßtre  au  souffle  de  la 
libertĂ©  ».  La  vision  disparaĂźt.  LaforĂȘt  vient  rĂ©veiller  MoliĂšre, 
lui  dit  que  le  roi  attend  toujours  et  conseille  de  regarder  dans 
la  salle.  MoliĂšre  s'approche  de  la  rampe  en  priant  LaforĂȘt 
de  ne  point  l'Ă©veiller,  parce  qu'il  rĂȘve  encore,  et,  en  rĂȘvant,  il 
«  voit  bien  le  roi;  mais  il  ne  s'appelle  plus  Louis  XIV,  il 
s'appelle  le  peuple,  le  peuple  souverain...  Ce  souverain  est  grand 
aussi,  plus  grand  que  tous  les  rois,  parce  qu'il  est  bon,  parce 
qu'il  n'a  pas  d'intĂ©rĂȘt  Ă   tromper,  parce  qu'au  lieu  de  courtisans, 
il  a  des  frÚres...,  etc.  »  Et  MoliÚre  s'adresse  à  ce  peuple  en 
disant  : 

«  Messieurs  !...  » 

«  Il  faut  dire  citoyens  Ă   cette  heure  »  !  —  lui  souffle  LaforĂȘt. 
Et  MoliÚre  invite  les  «  citoyens  »  à  franchir  trÚs  souvent  les 
portes  du  théùtre  de  la  République,  qui  leur  sont  «  toutes 
grandes  ouvertes  ». 

H  n'y  a  pas  à  dire,  quel  que  soit  le  «  souverain  »  du  moment, 


GEORGE  SAND  79 

les  poÚtes,  lorsqu'ils  s'adressent  à  lui,  sont  toujours  obligés  de... 
l'aduler,  et  George  Sand  ne  put  se  soustraire  à  la  rÚgle  générale, 
quoique  «  des  temps  nouveaux  »  fussent  arrivés  ! 

Examinons  maintenant  le  Bulletin  n°  12,  que  nous  n'avons 
pas  analysé  à  son  numéro  d'ordre,  justement  à  cause  de  son 
thÚme  spécial.  Son  idée  principale  est  celle-ci  :  parmi  toutes 
sortes  de  pétitions  et  de  résolutions  votées  en  ce  dernier  temps, 
on  a  vu  quelques  femmes  «  réclamer  les  privilÚges  de  l'intelli- 
gence »,  voire  :  des  droits  politiques  égaux  à  ceux  de  l'homme. 
L'auteur  du  Bulletin  trouve  que  la  question  ainsi  posée  manque 
d'actualité  et  prouve  l'égoïsme  des  femmes  privilégiées.  Il  faut, 
d'abord,  que  tous  les  hommes  acquiĂšrent  et  affermissent  les 
droits  de  V homme,  s'affranchissent  du  joug  de  l'ignorance  et  de 
la  misĂšre.  Puis  il  faut  que  les  femmes  qui  jouissent  de  tous  les 
privilÚges  de  l'instruction  et  de  l'aisance  matérielle  «  oublient 
leur  personnalitĂ©  »  et  s'occupent  du  sort  de  leurs  sƓurs  malheu- 
reuses ne  possédant  aucun  droit  ou  privilÚge,  les  ouvriÚres 
opprimées  par  la  misÚre  et  l'ignorance,  les  misérables  filles  du 
p  euple  qui  gagnent  leur  existence  en  se  prostituant.  Les  unes  et 
les  autres  sont  les  parias,  les  esclaves  blanches  du  régime  social 
actuel,  elles  ne  parviendront  pas  par  leurs  propres  efforts  Ă  
s'affranchir  de  leur  horrible  Ă©tat.  C'est  Ă   les  aider  en  cette  tĂąche, 
à  alléger  leur  sort  que  doivent  tendre  les  efforts  des  femmes. 
C'est  aux  mĂšres  surtout  qu'il  incombe  de  prĂȘcher  Ă   leurs  Ă©poux, 
à  leurs  frÚres,  à  leurs  fils,  «  l'affranchissement  sérieux  et  moralisa- 
teur de  la  femme  ». 

M.  Monin,  en  parlant  de  ce  Bulletin,  ajoute  avec  une  ironie 
bien  fondée  :  «  On  peut  se  figurer  l'effet  que  produisit  ce  dou- 
ziÚme Bulletin  sur  les  murs  des  communes  rurales  »  (au  milieu 
des  paysans  qui  sont,  en  général,  si  sainement  sages  et  si  sévÚres 
pour  tout  ce  qui  est  prostitution,  ajouterons-nous). 

Puis  M.  Monin  cite  un  menu  fait  d'histoire  d'un  comique 
achevé  : 

«  A  Paris,  le  triste  monde  de  la  prostitution  patentée  fut  inquiet, 
mais  non  terrifié.  H  existe  une  circulaire  signée,  «  convoquant  les  maß- 
tresses »,  pour  le  11  avril,  à  une  assemblée  générale,  afin  de  défendre  les 


So  GEORGE   SAND 

intĂ©rĂȘts  menacĂ©s  de  leurs  «  maisons  ».  L'histoire  ne  dit  pas  si  ce  syn- 
dicat d"un  nouveau  genre  envoya  une  députation  à  l'HÎtel  de  ville.  » 

L'auteur  anonyme  delà  Préface  des  Bulletins  de  la  République, 
dont  il  a  été  plus  d'une  fois  question  dans  ces  pages,  trouve  que 
ee  Bulletin  «  trahit  une  origine  particuliÚre  ». 

...  On  y  reconnaßt  sans  peine  les  idées,  le  style  et  la  touche  habituelle 
d'un  bas  bleu  célÚbre,  voué,  depuis  quelques  années,  à  la  défense  de 
son  sexe  ;  l'auteur  de  LĂ©lia  et  de  Valentine  se  laisse  deviner  Ă   chaque 
ligne,  George  Sand  y  occupe  une  chaire  de  morale  Ă   l'usage  des  femmes... 

M.  Monin  réfute  en  toute  justesse  cette  prétendue  défense 
exclusive  de  son  sexe  de  la  part  de  George  Sand  et  démontre, 
en  quelques  lignes  probantes,  qu'en  1848,  comme  toujours, 
George  Sand  s'intéressait  bien  plus  aux  questions  générales  et 
humaines  qu'au  féminisme.  Le  Bulletin  n°  12  confirme  ce  fait 
de  tous  points.  Bien  plus,  nous  y  trouvons  plusieurs  phrases 
redondantes,  des  locutions  qui  ne  sont  pas  propres  Ă   George 
Sand,  et  qui,  selon  nous,  doivent  avoir  été  écrites  par  un 
homme,  et  non  pas  par  une  femme.  Nous  ne  pouvons  pas  dire 
qui  avait  revu  ou  corrigé  ce  Bulletin,  si  ce  fut  Jules  Favre, 
Arago  ou  Ledru  lui-mĂȘme,  mais  nous  sommes  convaincus  que 
George  Sand  ne  l'avait  pas  Ă©crit  seule  (1). 

Or,  ce  n'est  pas  seulement  dans  ce  bulletin-lĂ ,  mais  deux 
fois  encore  que  George  Sand  se  prononça  dans  la  presse  contre 
les  réclamations  féminines,  hors  de  propos,  lorsque  les  droits 
de  l'homme  ne  sont  pas  encore  conquis,  et  en  particulier  contre 
le  point  pour  lequel,  de  nos  jours,  les  suffragettes  anglaises 
combattirent  avec  une  Ă©nergie  extravagante  :  contre  la  par- 
ticipation des  femmes  aux  élections  et  à  la  députation.  Voici  les 
deux  cas  oĂč  George  Sand  eut  Ă   se  prononcer. 


(1)  Dans  sa  lettre  du  7  août  à  Girerd,  George  Sand  dit  au  sujet  de  la  ma- 
niÚre dont  étaient  rédigés,  corrigés  et  imprimés  les  Bulletins  qu'elle  avait 
«  accepté  la  censure  du  ministre  ou  des  personnes  qu'il  commettait  à  cet 
examen  »,  qu'elle  «  ignorait  si  les  cinq  ou  six  Bulletins  qu'elle  avait  envoyés 
au  ministre  ont  été  «  examinés  »  et  qu'elle  «  ne  revoyait  jamais  les  épreuves  ». 
Ceci  rend  probable  notre  supposition  que  le  Bulletin  n°  12  a  été  retouché 
par  quelqu'un  des  membres  du  gouvernement. 


GEORGE   SAND  81 

D'abord,  au  commencement  d'avril  des  clubs  fĂ©minins  —  et  en 
particulier  celui  qui  siégeait  au  boulevard  Bonne-Nouvelle  et 
publiait  sous  la  direction  de  aime  Mboyet  son  propre  journal  : 
la  Voix  des  femmes,  avec  le  sous-titre  (1)  :  Journal  social  et  poli- 
tique, organe  des  intĂ©rĂȘts  de  toutes  (sic),  —  dĂ©cidĂšrent  de  prendre 
part  aux  Ă©lections  (quoique  les  femmes  n'eussent  pas  le  droit 
d'élire),  et  proposÚrent  deux  candidats  :  Ernest  Legouvé,  le 
Bayard  du  féminisme,  et  George  Sand  (quoiqu'elle  n'eût  pas 
le  droit,  comme  femme,  d'ĂȘtre  Ă©lue).  Vers  la  mĂȘme  Ă©poque,  on 
put  lire  dans  ce  mĂȘme  journal  de  dames,  dans  un  petit  entrefilet, 
à  propos  de  Pierre  Leroux  jugé  par  George  Sand,  que  chaque 
parole  de  George  Sand  était  considérée  par  ces  dames  comme 
«  religieuse  et  sainte  ».  Puis,  quelques  jours  plus  tard,  il  parut 
dans  la  Voix  des  femmes  un  petit  article,  signé  des  initiales 
0.  S.  et  qui  exhortait  pathétiquement  la  société  à  restituer  la 
loi  du  divorce  au  nom  de  la  morale  publique,  Ă   l'appui  de  quoi 
l'article  faisait  allusion  au  récent  assassinat  de  la  duchesse  de 
Praslin,  tuée  par  son  mari  outragé.  Le  gros  public  crut  que  les 
initiales  0.  S.  signifiaient  George  Sand. 

C'est  alors  que  cette  derniÚre,  généralement  si  indifférente  à 
la  calomnie  qui  la  touchait  personnellement,  ne  voulut  ni  souf- 
frir qu'on  abusĂąt  de  son  nom  d'auteur,  ni  permettre  qu'on 
importĂąt  de  la  mauvaise  marchandise  sous  le  couvert  d'un 
beau  pavillon.  Et  puis  elle  comprenait  tout  le  ridicule  de  cette 
escarmouche  féminine,  brandissant  sa  candidature  comme  une 
banniÚre.  On  a  retrouvé  dans  les  papiers  de  George  Sand  une 
lettre  inachevée  adressée  aux  dames  qui  avaient  proposé  cette 
candidature.  Elle  s'y  prononce  d'une  maniÚre  trÚs  sérieuse  et 
trÚs  convaincue  sur  la  question  féminine  ou  plutÎt  sur  l  inutilité 
de  la  participation  des  femmes  Ă   la  lutte  et  aux  droits  poli- 
tiques. Selon  nous,  mĂȘme  de  nos  jours  il  serait  difficile  de  dire 
quelque  chose  de  plus  raisonnable  et  de  plus  sage.  La  lettre 

(1)  H  y  avait  alors  plusieurs  clubs  féminins  et  plusieurs  journaux  rédigés 
par  des  dames,  par  exemple  :  la  RĂ©publique  des  femmes,  la  Politique  des  femmes, 
l'Opinion  des  femmes,  le  Volcan,  etc.,  etc.  (Voir  l'article  de  M.  Monin  et  V His- 
toire de  1848,  par  Daniel  Stern.) 


82  GEORGE  SAND 

e6t  trop  longue  pour  ĂȘtre  citĂ©e  en  entier  et  des  pensĂ©es  dĂ©tachĂ©es 
de  l'ensemble  perdraient  de  leur  suite  et  de  leur  force  de  con- 
viction. Cette  lettre  plairait  peu  aux  féministes  actuels,  elle 
prouverait  aussi  leur  erreur  Ă   ceux  qui  prennent  George  Sand 
pour  l'apologiste  et  l'avocat  des  femmes  ;  mais  il  est  fort  douteux 
d'autre  part  que  des  personnes  sérieuses  et  réfléchies,  ceux  qui 
en  principe  ne  mettent  pas  en  doute  les  droits  humains  et 
l'égalité  morale  de  la  femme,  ne  soient  entiÚrement  d'accord 
avec  cette  lettre  de  George  Sand  (1).  On  peut  la  lire  dans  le 
volume  paru  en  1904,  intitulé  :  Souvenirs  et  Idées  et  présentant 
un  recueil  de  morceaux  et  de  pages  posthumes  (nous  l'avons 
mentionnĂ©  dĂ©jĂ ),  oĂč  cette  lettre  parut  sous  le  titre  arbitraire 
de  :  A  propos  de  la  Femme  dans  la  société  politique  (2).  Mais 
s'étant  ravisée,  George  Sand,  au  lieu  de  cette  longue  réponse 
traitant  le  fond  de  la  question,  préféra  se  dégager  formellement 
de  toute  solidarité  avec  les  femmes  qui  eurent  la  fantaisie  de 
mettre  son  nom  sur  la  liste  des  candidats,  et  en  mĂȘme  temps 
elle  renia  les  initiales  G.  S.  qu'on  lui  attribuait  dans  le  journal 
«  rédigé  par  des  dames  ».  Dans  ce  but,  elle  envoya  une  lettre  à  la 
rédaction  de  la  Vraie  Bépv.olique  de  Thoré  et  à  celle  de  la  Ré- 
forme, Ă©crite  dans  les  termes  que  voici  : 

Monsieur, 

Un  journal  rédigé  par  de*  dames  a  proclamé  ma  candidature  à 
l'Assemblée  nationale.  Si  cette  plaisanterie  ne  blessait  que  mon  amour- 
propre,  en  m'attribuant  une  prétention  ridicule,  je  la  laisserais  passer, 
comme  toutes  celles  dont  chacun  de  nous  en  ce  monde  peut  devenir 

(1)  D  est  trÚs  intéressant  de  confronter  cette  lettre  de  George  Sand  avee 
la  lettre  publiée  par  M.  Edouard  de  Pompéry  (fouriériste,  ami  de  Mme  Mar- 
liani,  de  M.  Anselme  Pététin  et  de  Mme  Pauline  Roland,  auteur  des  livres  : 
Démocratie  pacifique  et  Quintessences  féminines),  lettre  dont  M.  Monin  cite 
un  extrait,  ainsi  qu'avec  l'article  de  George  Sand,  THomme  et  la  Femme, 
Ă©crit  le  20  aoĂ»t  1872,  publiĂ©  dans  le  Temps  du  4  septembre  de  cette  mĂȘme 
année  et  réimprimé  dans  le  volume  des  Impressions  et  Souvenirs.  Toutes 
ces  lettres  et  articles  ne  laissent  subsister  aucun  doute  sur  le  fait  que  la 
question  féminine  proprement  dite  «  n'existait  pas  »  pour  George  Sand  :  elle 
ne  s'intéressait  qu'aux  questions  humaines,  et  ne  partageait  nullement 
les  aspirations  du  féminisme  contemporain. 

(2)  Souvenirs  et  Idées,  p.  19-38. 


GEORGE   SAND  S3 

l'objet  Mais  mon  silence  pourrait  faire  croire  que  j'adhĂšre  aux  prin- 
cipes dont  ce  journal  voudrait  se  faire  l'organe.  Je  vous  prie  donc  de 
recevoir  et  de  vouloir  bien  faire  connaßtre  la  déclaration  suivante  : 

1°  J'espÚre  qu'aucun  électeur  ne  voudra  perdre  son  vote  en  prenant 
fantaisie  d'Ă©crire  mon  nom  sur  son  billet. 

2°  Je  n'ai  pas  l'honneur  de  connaßtre  une  seule  des  dames  qui 
forment  des  clubs  et  rédigent  des  journaux. 

3°  Les  articles  qui  pourraient  ĂȘtre  signĂ©s  de  mon  nom  ou  de  mes 
initiales  dans  ces  journaux  ne  sont  pas  de  moi. 

Je  demande  pardon  à  ces  dames  qui,  certes,  m'ont  traitée  avec 
beaucoup  de  bienveillance,  de  prendre  des  précautions  contre  leur 
zĂšle. 

Je  ne  prétends  pas  protester  d'avance  contre  les  idées  que  ces  dames, 
ou  toutes  autres  dames,  voudront  discuter  entre  elles  ;  la  liberté  d'opi- 
nions est  Ă©galement  pour  les  deux  sexes,  mais  je  ne  puis  permettre 
que,  sans  mon  aveu,  on  me  prenne  pour  l'enseigne  d'un  cénacle  fémi- 
nin avec  lequel  je  n'ai  jamais  eu  la  moindre  relation  agréable  ou  fù- 
cheuse. 

Agréez,  monsieur,  l'expression  de  mes  sentiments  distingués. 

George  Sand. 
8  avril  1848. 

La  lettre  parut  le  9  et  10  avril  dans  la  Vraie  RĂ©publique  et 
dans  la  Réforme.  Le  lendemain  elle  fut  réimprimée  par  divers 
autres  journaux,  et  celui  de  Mme  Niboyet  dut  confesser,  hélas  1 
que  les  initiales  G.  S.  n'appartenaient  pas  Ă   George  Sand,  mais 
bien...  Ă   Mme  Qabr telle  Soumet! 

HĂ©las  !  dirons-nous  encore,  parce  qu'il  nous  faut  chagriner 
une  fois  de  plus  toutes  les  féministes  françaises,  russes  et  autres, 
toutes  les  suffragistes  et  suffragettes,  en  citant,  immédiatement 
aprĂšs  cette  lettre,  une  autre  page  encore  de  George  Sand,  Ă©crite 
contre  les  réclamations  féminines.  Un  mois  plus  tard,  le  7  mai, 
George  Sand  publia  dans  la  mĂȘme  Vraie  RĂ©publique,  une  trĂšs 
intéressante  Revue  politique  et  morale  de  la  semaine,  et  c'est 
dans  cet  article  que  nous  trouvons  les  lignes  suivantes  : 

La  question  des  femmes  est  venue  mĂȘler,  cette  semaine,  un  peu  de 
gaieté  au  sérieux  des  événements  et  des  préoccupations.  Certains 
clubs  sont  envahis  ou  menacent  de  l'ĂȘtre  par  les  dames  socialistes. 
Ces  dames  ont  raison  de  s'occuper  du  progrĂšs  que  la  RĂ©publique 


S4  GEORGE   SAND 

promet  de  faire  entrer  dans  les  mƓurs,  dans  la  lĂ©gislation,  dans  la 
condition  morale  et  matérielle  des  femmes  du  peuple,  dans  l'éduca- 
tion de  l'un  et  de  l'autre  sexe.  Mais  ces  dames  ont  tort  de  vouloir  se 
jeter  de  leurs  personnes  dans  le  mouvement.  On  ne  leur  conteste 
point  le  droit  de  lire,  de  penser,  de  raisonner  et  d'Ă©crire  ;  mais  quel 
que  soit  l'avenir,  nos  mƓurs  et  nos  habitudes  se  prĂȘtent  peu  Ă   voir 
les  femmes  haranguant  les  hommes  et  quittant  leurs  enfants  pour 
s'absorber  dans  les  clubs. 

Je  ne  vois  point  que  dans  l'Ă©tat  actuel  des  choses,  les  femmes  doivent 
ĂȘtre  si  pressĂ©es  de  prendre  une  part  directe  Ă   la  vie  politique.  H  n'est 
point  prouvé  qu'elles  y  apportent  un  élément  de  haute  sagesse  et  de 
dignité  bien  entendue  ;  car  si  une  grande  partie  des  hommes  est  inex- 
pĂ©rimentĂ©e encore  dans  l'exercice  de  cette  vie  nouvelle  oĂč  nous  entrons, 
une  plus  grande  partie  des  femmes  est  exposée  à  cette  inexpérience, 
et  l'essai  compliquerait  d'une  maniĂšre  fĂącheuse  les  embarras  de  la 
situation. 

Il  ne  nous  est  point  prouvé  d'ailleurs  que  l'avenir  doive  transformer 
la  femme  à  ce  point  que  son  rÎle  dans  la  société  soit  identique  à  celui 
de  l'homme.  Il  nous  semble  que  les  dames  socialistes  confondent 
V égalité  avec  Videntité,  erreur  qu'il  faut  leur  pardonner;  car,  en  ce 
qui  les  concerne  eux-mĂȘmes,  les  hommes  tombent  souvent  dans  cette 
confusion  d'idées.  L'homme  et  la  femme  peuvent  remplir  des  fonctions 
différentes  sans  que  la  femme  soit  tenue  pour  cela  dans  un  état  d'in- 
fériorité. Nous  n'avons  point  trouvé  jusqu'ici  la  prétention  de  ces 
dames  assez  significative  pour  qu'il  soit  nécessaire  de  les  contrarier 
en  la  discutant.  Si  elle  se  formulait  d'une  maniÚre  plus  sérieuse,  nous 
consacrerions  un  travail  particulier  Ă   l'examen  de  leurs  droits  et  de 
leurs  devoirs  dans  le  présent  et  dans  l'avenir.  » 

Il  est  curieux  de  noter  dans  la  Lettre  et  dans  la  page  préci- 
tées que  George  Sand  y  parle  à  plusieurs  reprises  avec  une 
certaine  ironie  des  dames  socialistes,  ce  qui  porta  probablement 
M.  Monin  à  nier  catégoriquement  son  «  socialisme  »  ou  son 
a  communisme  »  à  elle.  Or,  George  Sand  était  trÚs  consciente 
de  sa  solidarité  morale  avec  les  républicains  socialistes,  qualifiés 
de  «  communistes  »  en  1848,  comme  le  lecteur  l'a  déjà  pu  voir 
et  commr  il  le  Terra  encore.  Cette  expression  de  son  article 
doit  donc  ĂȘtre  comprise  dans  le  sens  de  reniement  formel 
de  toute  participation  Ă   quelque  parti  ou  coterie  socialiste, 
parce  que  George  Sand  tenait  Ă   n'ĂȘtre  enrĂŽlĂ©e  sous  aucune 
banniĂšre,  Ă   n'appartenir  Ă   aucune  secte  (qu'elle  opposait  Ă   une 


GEORGE   SAND  85 

Ă©cole).  C'esx  pour  cette  raison  qu'elle  qualifiait  du  nom  de 
«  dame;  socialistes  »  les  membres  des  clubs  féminins  socia- 
listes, tout  comme  un  peu  plus  tard  elle  disait  trĂšs  explici- 
tement en  parlant  d'elle-mĂȘme  : 

...  Si,  par  le  communisme,  on  entend  l'adhésion  à  quelque  groupe 
précis,  à  quelque  secte  définie,  nous  ne  sommes  pas  communistes  ; 
mais  si  on  entend  par  ce  terme  la  sympathie  pour  certaines  idées, 
certaines  aspirations,  certaines  croyances,  oui,  alors,  nous  sommes 
communistes. 

George  Sand  croyait  nuisible  Ă   la  cause  de  la  RĂ©publique  le 
socialisme  et  le  communisme,  et  n'importe  quelle  autre  secte 
vouée  à  quelque  unique  idée,  ne  voyant  rien  ni  à  droite,  ni  à 
gauche,  des  gens  aveugles  pour  tout  ce  qui  n'est  pas  leur  clan, 
voulant  exhausser  leur  secte  au  détriment  de  la  grande  cause  de 
la  liberté  et  de  l'égalité,  bref,  des  hommes  de  parti  dans  le  sens 
exact  du  mot.  C'est  à  leur  myopie  qu'elle  attribua  la  défaite 
du  peuple  au  16  avril.  Dans  la  description  de  cette  journée 
parue  dans  le  dernier  numéro  de  la  Cause  du  Peuple  et  ressem- 
blant beaucoup  à  la  version  donnée  à  cet  épisode  dans  le 
Bulletin  n°  20,  que  nous  serions  fort  portés  à  lui  attribuer, 
quoiqu'il  n'y  ait  aucune  preuve  du  fait  (1),  George  Sand  dit 
ceci  :  La  secte  (c'est-à-dire  :  Blanqui,  Raspail  et  C°,  et  Louis 
Blanc  lui-mĂȘme,  tous  ceux  qui  portĂšrent  audacieusement  leurs 
réclamations  à  l'hÎtel  de  ville  dans  le  but  secret  de  forcer  le 
gouvernement  provisoire  Ă   n'Ă©couter  qu'eux)  et  la  caste  (c'est-Ă - 
dire  la  bourgeoisie  effrayée  outre  mesure  et  la  Garde  nationale 
qui  s'y  élancÚrent  également  afin  de  défendre  ce  gouvernement), 
avaient  failli  tuer  la  jeune  RĂ©publique.  Mme  Sand  assure  y  avoir 
assisté  en  simple  spectateur  et  vu  que  les  deux  foules,  l'une 
armée,  l'autre  désarmée,  chacune  croyant  qu'on  voulait  égorger 
une  partie  du  gouvernement  provisoire,  accoururent  des  deux 

(1)  Si  l'on  ne  compte  pas  pour  une  telle  preuve  le  fait  que  Daniel  Stern  lui 
attribue  ce  Bulletin  (Histoire  de  1848,  t,  II,  p.  305)  dont  elle  cite  un  passage 
effectivement  trÚs  ressemblant,  comme  style  et  idée,  aux  écrits  de  Mme  Sand. 
Or,  comme  nous  l'avons  dit  maintes  fois  et  comme  nous  allons  le  répéter 
plusieurs  fois  encore,  Daniel  Stern  était  à  ce  moment  précis,  on  ne  sait  pas 
trop  comment,  trĂšs  au  courant  des  faits  et  gestes  de  son  ancienne  amie, 


S6  GEORGE   SAND 

cÎtés  vers  l'HÎtel  de  Ville.  H  s'en  fallut  de  peu  qu'une  san- 
glante guerre  civile  n'Ă©clatĂąt,  mais  le  peuple  comprit  le  malen- 
tendu et  les  deux  ondes  populaires,  s'Ă©tant  mĂȘlĂ©es  en  une  seule, 
quittĂšrent  la  place  et  s'en  allĂšrent  aux  cris  de  Vive  la  RĂ©pu- 
blique/ aprĂšs  que  le  gouvernement  provisoire  au  grand  complet 
eut  tranquillisé  le  peuple  alarmé. 

On  sait  que  les  choses  ne  se  passĂšrent  point  tout  Ă   fait  ainsi. 
Et  d'abord  George  Sand  ne  fut  pas  un  simple  spectateur,  et  ce 
«  malentendu  »  populaire,  l'égoïsme  de  la  secte  et  de  la  caste  ne 
la  surprirent  pas.  Elle  avait  eu  une  part  dans  la  préparation 
de  l'Ă©vĂ©nement.  Puis,  —  et  c'est  lĂ   l'important,  —  elle  avait 
trÚs  bien  vu  et  compris  que  la  journée  du  16  avril  signifiait 
quelque  chose  de  bien  pire  pour  l'avenir  de  la  RĂ©publique 
qu'un  malentendu.  Daniel  Stem  dit  dans  son  Histoire  de  la 
RĂ©volution  de  1848  : 

Par  malheur,  l'entourage  du  ministre  de  l'Intérieur  était  possédé 
d'ambitions  plus  impatientes  ;  on  y  rĂȘvait  pour  lui  la  dictature,  on 
voulait  avec  lui  et  par  lui  gouverner  révolutionnairement  la  France. 
Ce  rĂȘve  de  quelques  hommes  passionnĂ©s  prenait  chaque  jour  plus  de 
consistance  par  l'intervention  trĂšs  directe  et  trĂšs  efficace  de  M.  Caus- 
sidiĂšre.  Peu  Ă   peu,  il  se  transformait  en  projet  ;  du  projet  au  complot, 
il  n'y  avait  pas  loin  pour  des  hommes  habitués  aux  pratiques  des 
sociétés  secrÚtes.  Sans  y  tremper  d'une  maniÚre  active,  M.  Ledru- 
Rollin  prĂȘtait  une  oreille  quelquefois  distraite,  mais  souvent  complai- 
sante aux  discours  des  conspirateurs  ;  tout  en  agissant  contre  eux... 
en  pressant  la  rentrée  des  troupes,  il  ne  les  dissuadait  pas  de  leur 
entreprise  et  laissait  faire  leur  zĂšle. 

...  Mme  Sand  était  l'un  des  agents  les  plus  animés  de  la  conspiration, 
moins  dans  l'intĂ©rĂȘt  de  Ledru-Rollin  que  dans  celui  de  M.  Louis  Blanc. 
Elle  y  avait  amené  Barbes  et  travaillait  dans  ce  sens  l'esprit  des  ou- 
vriers qu'elle  réunissait  tous  les  soirs  dans  un  petit  logement  voisin 
du  Luxembourg,  oĂč  elle  Ă©tait  descendue.  Vers  la  fin  de  la  soirĂ©e,  elle 
allait  rejoindre  au  ministÚre  de  l'Intérieur  le  petit  cercle  des  invités, 
parmi  lesquels  on  comptait  habituellement  MM.  Jules  Favre,  Landrin, 
Portalis,  Carteret,  Etienne  Arago,  Barbes,  etc.  Là,  soit  en  présence 
de  M.  Ledru-Rollin,  soit  en  son  absence,  on  discutait  les  moyens  de 
remettre  entre  ses  mains  le  sort  de  la  RĂ©publique.  Ces  moyens,  depuis 
le  succĂšs  de  la  manifestation  du  17  mars,  paraissaient  trĂšs  simples. 
Provoquer,  sous  un  prétexte  quelconque,  une  réunion  générale  de 


GEORGE   SAND  87 

prolĂ©taires,  tenir  des  armes  et  des  munitions  prĂȘtes,  ce  qui  Ă©tait  d'au- 
tant plus  facile  qu'on  avait  pour  soi  le  préfet  de  police,  entrer  à  l'hÎtel 
de  ville,  en  chasser  ceux  du  gouvernement  provisoire  qui  déplairaient, 
quoi  de  plus  élémentaire  et  d'une  exécution  plus  prompte  (1)... 

Et  cette  page  de  Daniel  Stem  est  en  tous  points  confirmée 
par  les  indications  que  nous  trouvons  dans  les  propres  lettres 
de  George  Sand.  C'est  ainsi  qu'elle  Ă©crit  Ă   Maurice  et  Ă  
Mme  Duvernet  les  15  et  16  avril  : 


Au  citoyen  Maurice  Sand,  Ă   Nohant. 

Paris,  le  15  avril  1848. 
Pour  toi  seul. 

Cher  Bouli,  j'allais  partir  dans  quelques  heures.  Mais  cela  devient 
tout  à  fait  impossible.  H  se  prépare  une  mam'festation  politique  à 
laquelle  je  dois  assister  absolument.  Manifestation  toute  pacifique, 
mais  qui  doit  réparer  bien  des  sottises  et  bien  des  actes  coupables. 
Sois  en  paix,  s'il  y  avait  quelque  chose  d'intéressant,  je  t'appellerais. 

Mais  c'est  une  affaire  de  conciliaoules.  Au  reste,  quand  tu  t'ennuieras 
trop,  tu  sais  que  tu  n'es  pas  forcé  de  garder  la  maison.  Je  t'écrirai 
plus  en  détail  demain. 

Je  te  bige  mille  fois.  Représente-moi  auprÚs  de  notre  fille  Titine 
pour  la  marier  Ă   l'Ă©glise. 

Bonsoir,  je  t'aime. 

A  Madame  Eugénie  Duvernet. 

Paris,  16  avril  1848. 

ChÚre  mignonne,  je  ne  peux  plus  partir.  Les  affaires  se  présentent 
sous  un  aspect  auquel  il  faut  absolument  ma  présence  pendant  quelques 
jours.  Mais  je  ne  peux  pas  laisser  mes  amoureux  dans  l'attente.  Je 
leur  Ă©cris  donc  de  se  marier  sous  ton  patronage,  si  tu  peux  y  assister, 


(1)  Daniel  Stern  raconte  plus  loin  que  la  seule  chose  qui  inquiétait  les 
conspirateurs,  c'Ă©tait  l'intervention  possible  de  Blanqui  qui  faisait  de  la  cons- 
piration à  ses  risques  et  périls  et  pouvait  tout  gùter  au  dernier  moment  ; 
puis  elle  relate  comment  la  découverte  inattendue  de  papiers,  relatifs  à  la 
conspiration  de  1839,  leur  délia  les  mains  à  l'égard  de  Blanqui,  ayant  permis 
de  constater  qu'il  avait  joué  envers  son  associé  Barbes  un  rÎle  qui  ne  laissait 
subsister  aucun  doute  sur  ses  relations  avec  la  police  et  sa  provocation. 


88  GEORGE   SAND 

et  sous  celui  de  Maurice  qui  me  représentera.  Je  leur  dis  aussi  de  venir 
me  retrouver  ici  tout  de  suite  aprĂšs.  Je  leur  envoie  donc  une  petite 
somme  en  papier  pour  leur  voyage.  TĂąche  de  faire  remettre  les  deux 
lettres  ce  soir  Ă   Nohant.  Tu  devrais  te  faire  accompagner  par  quel- 
qu'un de  nos  amis  Ă   ChĂąteauroux  et  aller  coucher  Ă   Nohant. 

Adieu,  adieu,  j'ai  un  gros  chagrin  de  ne  pas  partir  avec  toi.  J'em- 
brasse Charles. 

George  (1). 

Le  16  avril,  au  matin,  George  Sand  Ă©crit  encore  Ă   son  fils  les 
lignes  plus  que  significatives  que  voici  : 

L'affaire  est  avortée  ou  la  partie  est  remise.  H  n'y  aura  rien  aujour- 
d'hui. Je  suis  doublement  fùchée  à  présent  de  ne  pas  avoir  été  à  Nohant. 
Je  m'y  serais  remise  d'une  toux  qui  me  fend  le  corps  en  quatre.  Mais 
on  ne  sait  plus  oĂč  on  en  est,  et  rien  ne  ressemble  plus  aujourd'hui  Ă  
la  vie  d'hier.  J'espĂšre  pourtant  bien  me  sauver  au  premier  rayon  de 
soleil  et  aller  me  reposer  un  peu  prĂšs  de  toi.  Tu  ne  me  dis  rien  de  ce 
qui  se  passe  chez  nous.  Avez-vous  un  sous-commissaire?  Que  disent 
les  paysans  de  Nohant?  Que  fais-tu?  J'ai  eu  des  détails  du  mariage 
par  Eugénie,  j'ai  su  que  Gilland  et  son  ami  (2)  y  assistaient.  Probable- 
ment je  vais  voir  arriver  Titine  aujourd'hui  qui  me  racontera  tout 
ce  que  tu  ne  me  dis  pas. 

Ici,  tout  va  de  travers,  sans  ordre  et  sans  ensemble.  H  y  aurait  pour- 
tant de  belles  choses  à  faire  en  politique  et  en  morale  pour  l'humanité. 
Malgré  les  bourgeois,  il  y  aurait  mille  moyens  de  sauver  le  peuple. 
Mais  l'homme,  dit  Montaigne,  est  ondoyant  et  divers.  H  faudra  que 
j'aille  te  raconter  tout  le  détail  de  cela.  C'est  bien  curieux,  c'est  sou- 
vent triste,  souvent  bĂȘte,  et  c'est  pourtant  avec  tout  cela  que  le  pro- 
grĂšs marche  et  que  l'histoire  se  fait.. 

(Viennent  des  lignes  consacrées  à  des  conseils  maternels  à  Mau- 
rice et  à  EugÚne  Lambert  de  travailler  sérieusement,  ainsi  que 
des  détails  sur  leurs  tableaux  et  dessins  exposés  au  Salon.  Puis 
Mme  Sand  revient  Ă   ses  affaires  et  Ă   ses  projets  personnels)  : 

...  Écris-moi  donc,  puisque  je  suis  en  prison  ici.  Je  tente  de  trouver 
un  gagne-pain  et  un  moyen  d'ĂȘtre  utile  dans  ce  journal  que  j'ai  crĂ©Ă©. 
Ça  prendra-t-il,  oui  ou  non?  Je  ne  sais  encore.  Mais  si  ça  ne  prend 
pas,  je  ferai  autre  chose.  Enfin,  il  faut  trouver  ici  un  moyen  de  faire 

(1)  Ces  deux  lettres  sont  inédites. 

(2)  Alexandre  Lambert,  ouvrier  et  publiciste  prolétaire,  puis  rédacteur 
de  journal  Ă   la  ChĂątre  ;  cf,  les  chapitres  rv  (vol.  III)  et  ix  (vol.  IV). 


GEORGE   SAND  89 

honneur  Ă   ses  affaires  et  de  vivre,  c^r,  aprĂšs  les  onze  mille  francs  qu'on 
me  payera  au  mois  de  mai  pour  les  deux  premiers  volumes  de  Ma 
Vie,  il  y  aura  une  grande  lacune  avant  de  faire  paraĂźtre  et  avant  d'en 
payer  d'autres,  on  me  l'annonce  (1). 

Bonjour,  mon  enfant,  je  te  bige  mille  fois.  Si  tu  vois  Gilland,  dis-lui 
mille  choses  pour  moi,  bonjour  Ă   Lambrouche  (2). 

Et  dans  le  Journal  de  1848.,  mentionné  plus  haut,  et  dont  il 
ne  reste,  comme  nous  l'avons  dit,  que  quelques  feuillets,  se 
trouvent  les  pages  suivantes  trÚs  importantes  :  elles  nous  révÚlent 
combien,  dans  la  huitaine  qui  précéda  ce  16  avril,  George  Sand 
était  au  courant  des  choses  qui  se  préparaient.  Il  faut  noter 
préalablement  que  le  morceau  imprimé  dans  le  volume  Souvenirs 
et  Idées,  sous  la  date  du  «  17  avril  »,  se  trouvait  dans  le  manus- 
crit autographe  placé  aprÚs  ce  qui  était  écrit  à  la  date  du 
26  avril,  c'est-à-dire  qu'il  présente  un  essai  rétrospectif  de 
repasser  en  mémoire  tout  ce  qui  avait  précédé  la  manifestation 
contre-révolutionnaire  du  16  avril.  Il  explique  et  résume 
tous  les  faits  qui  aboutirent  en  cette  journée  à  des  résultats  par- 
faitement inattendus  pour  les  meneurs  de  la  conspiration  :  la 
fusion  trÚs  visible  de  tous  les  éléments  réactionnaires.  Et  au 
milieu  de  cet  exposé  en  traits  sommaires  des  événements, 
du  24  février  au  16  avril,  nous  trouvons  des  indications  trÚs 
précieuses  sur  la  participation  personnelle  de  George  Sand  aux 
conspirations  des  partis  : 

...  Le  17  mars,  aprĂšs  une  manifestation  faite  la  veille  par  quatorze 
mille  garde  nationaux  de  Paris  et  de  la  banlieue,  sur  le  motif  apparent 
du  maintien  des  compagnies  d'élite  et  en  réalité  contre  le  citoyen 
Ledru-Rollin  et  la  portion  véritablement  républicaine  du  gouverne- 
ment provisoire,  eut  heu  une  manifestation  imposante  du  peuple  de 
Paris,  Ă   laquelle  prirent  part  plus  de  cent  cinquante  mille  hommes. 

Hier,  la  contre-révolution  a  tenté  de  prendre  sa  revanche.  Le  fait 

(1)  La  publication  de  VHistoire  de  ma  vie  fut  arrĂȘtĂ©e  par  les  Ă©vĂ©nements 
politiques,  et  Mme  Sand,  pour  sa  part,  abandonna  ce  travail  en  1848,  pour 
ne  le  reprendre  qu'en  1853.  Nous  lisons  dans  l'un  de  ses  carnets,  Ă©crits  de 
la  main  de  Manceau  :  «  AprÚs  la  lecture  de  tout,  Madame  se  remet  sérieuse- 
ment à  VHistoire  de  ma  vie,  le  22  avril  1853.  »  L'ouvrage  parut  en  1854. 

(2)  EugĂšne  Lambert* 


9o  GEORGE   SAND 

qui  s'est  passé  est  diversement  interprété.  Je  vais  tùcher  de  le  consigner 
ici  aussi  exactement  que  possible  et  en  toute  sincérité. 

Voici  quelle  Ă©tait  la  situation  de  la  France  avant  le  17  avril  : 

DÚs  le  lendemain  de  la  révolution  de  février  tout  le  monde  se  disait 
républicain  ;  cependant  il  était  facile  de  voir  qu'au  premier  jour  un 
dissentiment  profond  séparait  en  deux  partis  nettement  tranchés  les 
républicains  de  la  veille  et  ceux  du  lendemain.  En  effet,  le  gouvernement, 
la  presse,  la  France  entiÚre  fut  bientÎt  divisée  en  républicains  pure- 
ment politiques,  auxquels  se  ralliĂšrent  aussitĂŽt  les  hommes  de  la  mo- 
narchie déchue,  et  en  républicains  socialistes,  qui  comprenaient  dans 
leur  sein  la  majeure  partie  des  ouvriers  de  Paris. 

Avant-hier,  ils  pouvaient  encore  ĂȘtre  confondus;  aujourd'hui  un 
abĂźme  les  divise.  Demain  peut-ĂȘtre  le  sort  des  armes  dĂ©cidera  entre 
eux. 

Depuis  plusieurs  jours,  la  réaction  contre  l'esprit  démocratique  d'une 
portion  du  gouvernement  provisoire  Ă©tait  devenue  ostensible.  Les 
commissaires  du  ministre  de  F  Intérieur  étaient  repoussés  dans  plusieurs 
dĂ©partements,  particuliĂšrement  Ă   Bordeaux,  oĂč  le  fĂ©dĂ©ralisme  s'avouait 
hautement.  Les  Ă©lections  paraissaient  devoir  se  faire  sous  l'influence 
d'une  réaction  aveugle  contre  les  républicains  socialistes,  que  l'on 
cherchait  à  flétrir  par  l'appellation  de  communistes  (la  bourgeoisie 
appelle  communistes  des  sectes  purement  chimériques  qui  voudraient 
la  loi  agraire,  la  destruction  de  la  famille,  le  pillage,  le  vol,  etc.).  Il 
était  évident  pour  tous  que,  sous  prétexte  de  communisme,  on  écarte- 
rait violemment  de  la  représentation  tous  les  républicains  sincÚres, 
ceux  qui  avaient  combattu  et  souffert,  depuis  huit  ans,  pour  la  cause 
de  la  démocratie,  de  là  l'irritation  contre  la  bourgeoisie  et  contre  la 
fraction  du  gouvernement  provisoire  qui  paraĂźt  faire  cause  commune 
avec  elle  ;  des  projets  de  fructidorisation  existaient,  mais  Ă   l'Ă©tat  de 
tendance  seulement  (1). 

Les  Ă©lections  approchaient  cependant,  les  manoeuvres  et  la  con- 
fiance des  réactionnaires  augmentaient.  Les  vices  de  la  loi  d'élection, 
faite  par  M.  de  Cormenin,  et  qui  rétablit,  en  fractionnant  le  vote  par 
département,  les  fùcheuses  influences  de  clocher,  étaient  hautement 
signalés.  Jeudi  (2),  vers  minuit,  en  sortant  du  club  de  la  RévolutioD, 
Leroux  et  Barbes  se  rendent  chez  moi  sans  aucune  arriÚre-pensée.  La 
question  est  cependant  soulevée  et  aprÚs  un  entretien  de  trois  heures, 
il  est  décidé  qu'on  tentera  d'en  finir  avec  la  situation  et  que  l'on  essayera 
d'obliger  la  majorité  du  gouvernement  à  donner  sa  démission. 

Vendredi,  un  projet  de  loi  sur  les  finances  est  soumis  Ă   Ledru-Rollin 

(1)  Cf.  aux  pages  69-70  et  72-73. 

(2)  Le  13  avril  1848. 


GEORGE   SAND  91 

afin  d'inaugurer  par  des  mesures  significatives  le  nouveau  pouvoir. 
Samedi,  un  projet  de  loi  Ă©lectorale,  un  projet  de  gouvernement  pro- 
visoire autour  duquel  se  rallierait  un  Conseil  d'Etat  formé  de  larges 
bases  et  oĂč  toutes  les  opinions  figureraient,  est  prĂ©parĂ©. 

Dans  une  rĂ©union  secrĂšte  chez  Ledru-Rollin,  oĂč  assistaient  Louis 
Blanc,  Flocon,  Barbes  et  CaussidiĂšre,  on  discute  la  question  du  18  fruc- 
tidor sans  pouvoir  s'entendre. 

Samedi,  quelques  vagues  rumeurs  transpirent  Un  élément  nouveau 
intervient.  Un  rapprochement  aurait  eu  lieu  entre  Blanqui  et  Cabet 
et  peut-ĂȘtre  aussi  Raspail.  (Leroux  a  rencontrĂ©  Blanqui  chez  Cabet 
vendredi.)  Us  ont  des  projets  pour  le  dimanche.  On  nous  menace 
d'un  triumvirat  dictateur,  les  clubs  de  ces  citoyens  s'empareraient 
d'une  manifestation  assez  équivoque,  provoquée  par  Louis  Blanc 
(une  grande  ambition  dans  un  petit  corps),  sous  le  prétexte  de  la  nomi- 
nation de  treize  capitaines  d'Ă©tat-major  de  la  garde  nationale  pris 
dans  les  corporations  d'ouvriers. 

Le  soir  du  mĂȘme  jour  le  club  de  la  rĂ©volution  reçoit  avis  de  tous 
ces  bruits.  L'inquiétude  s'empare  de  tous.  On  aime  mieux  maintenir 
le  gouvernement  provisoire  tout  entier  que  de  s'exposer  Ă   im  coup  de 
main  de  Blanqui  et  d'autres.  Mais  comme  l'incertitude  est  grande, 
le  club  décide  qu'il  se  tiendra  en  permanence  le  lendemain  dÚs  sept 
heures  du  matin... 

LĂ ,  s'arrĂȘte  le  rĂ©cit  dans  le  Journal,  c'est-Ă -dire  juste  au  mo- 
ment de  Ventrée  en  matiÚre.  Plus  loin  (dans  le  livre),  ou  plutÎt 
avant  cela  (dans  le  manuscrit  autographe),  George  Sand  expose 
son  opinion  sur  la  signification  de  l'événement  du  16  avril, 
c'est-Ă -dire  qu'elle  tire  des  conclusions  des  choses  accomplies 
déjà. 

Dans  le  Journal  nous  trouvons  donc  une  narration  suivie 
des  préparatifs  de  la  mémorable  journée  et  de  ses  suites. 
Mais  la  description  de  cette  journĂ©e  elle-mĂȘme  et  celle 
du  20  avril  (FĂȘte  de  la  FraternitĂ©),  se  trouve  dans  le  troisiĂšme 
numéro  de  la  Cause  du  Peuple,  dont  elles  forment  l'épilogue. 
Et  dans  la  premiĂšre  de  ces  deux  descriptions  George  Sand 
s'efforce,  tout  comme  l'auteur  anonyme  du  19e  et  20e  Bulletin 
de  la  RĂ©publique,  de  paraĂźtre  trĂšs  optimiste,  de  ne  voir  dans 
l'incident  survenu  qu'une  preuve  de  ce  que  le  peuple  est 
pour  la  RĂ©publique  et  ne  veut  souffrir  aucune  usurpation 
de  pouvoir  de  la  part  des  meneurs  de  ces  sectes.  Dans  le  second 


93  GEORGE   SAND 

article,  George  Sand  peint  avec  un  sincĂšre  enthousiasme  la  gram 
diose  fĂȘte  du  20  avril,  qui  devait  symboliser  la  fraternitĂ©  du 
peuple  et  de  l'armĂ©e.  Or,  cette  fĂȘte  fut  une  dĂ©monstration  assez 
artificielle  et  officielle.  Et  quoique  le  beau  spectacle  ait  pu  aveu- 
gler George  Sand.  lui  cacher  la  cruelle  réalité  en  lui  faisant 
croire  au  républicanisme  vital  des  masses  et  en  lui  faisant 
attribuer  la  manifestation  contre-révolutionnaire  aux  menées 
de  la  bourgeoisie  seule,  néanmoins  Mme  Sand  comprit  presque 
immédiatement  qu'il  n'existait  plus  dans  le  peuple  ni  vraie 
concorde,  ni  vraie  union.  Elle  se  rendit  un  compte  exact  des 
causes  profondes  et  générales  qui  amenÚrent,  le  16  avril,  à 
des  résultats  qu'on  voulait  croire  «  inattendus  ».  Dans  sa  lettre 
du  17  avril  à  son  fils  (imprimée  dans  la  Correspondance),  et 
dans  les  pages  du  Journal,  Ă©crites  non  plus  post-facto,  mais 
bien  réellement  le  26  avril,  aprÚs  les  événements  du  16  et 
du  20,  on  sent  la  conviction  que  la  cause  des  socialistes  répu- 
blicains est  perdue,  ou  pour  le  moins  fort  menacée,  qu'on  a  fait 
un  faux  pas  et  que  ses  suites  sont  déplorables  pour  la  Répu- 
blique démocratique  et  la  cause  de  la  liberté. 

Paris,  17  avril  1848. 
Mon  pauvre  Bouli, 

J'ai  bien  dans  l'idée  que  la  République  a  été  tuée  dans  son  principe 
et  dans  son  avenir,  du  moins  dans  son  prochain  avenir.  Aujourd'hui 
elle  a  été  souillée  par  des  cris  de  mort.  La  liberté  et  l'égalité  ont  été 
foulées  aux  pieds  avec  la  fraternité,  pendant  toute  cette  journée. 
C'est  la  contre-partie  de  la  manifestation  contre  les  bonnets  Ă   poil. 

Aujourd'hui,  ce  n'Ă©taient  plus  seulement  les  bonnets  Ă   poil,  c'Ă©tait 
toute  la  bourgeoisie  année  et  habillée  ;  c'était  toute  la  banlieue  qui 
criait  en  1832  :  Mort  aux  républicains!  Aujourd'hui  elle  crie  :  Vive 
la  RĂ©publique!  mais  Mort  aux  communistes!  Mort  Ă   Cabet!  Et  ce  cri 
est  sorti  de  deux  cent  mille  bouches  dont  les  dix-neuf  vingtiĂšmes  le 
répétaient  sans  savoir  ce  que  c'est  que  le  communisme  ;  aujourd'hui, 
Paris  s'est  conduit  comme  la  ChĂątre. 

H  faut  te  dire  comment  tout  cela  est  arrivé  ;  car  tu  ny  comprendrais 
rien  par  les  journaux.  Garde  pour  toi  le  secret  de  la  chose. 

H  y  avait  trois  conspirations,  ou  plutĂŽt  quatre,  sur  pied  depuis 
huit  jours. 

D'abord,  Ledru-Rollin,  Louis  Blanc,  Flocon,  CaussidiĂšre  et  Albert 


GEORGE   SAND  93 

voulaient  forcer  Marrast,  Garni er-PagĂšs,  Carnot,  Bethmont,  enfin 
tous  les  juste-milieu  de  la  RĂ©publique,  Ă   se  retirer  du  gouvernement 
provisoire.  Es  auraient  gardé  Lamartine  et  Arago,  qui  sont  mixtes  et 
qui,  préférant  le  pouvoir  aux  opinions  (qu'ils  n'ont  pas),  se  seraient 
joints  à  eux  et  au  peuple.  Cette  conspiration  était  bien  fondée.  Les 
autres  nous  ramĂšnent  Ă   toutes  les  institutions  de  la  monarchie,  au 
rĂšgne  des  banquiers,  Ă   la  misĂšre  extrĂȘme  et  Ă   l'abandon  du  pauvre, 
au  luxe  effréné  des  riches,  enfin  à  ce  systÚme  qui  fait  dépendre  l'ou- 
vrier, comme  un  esclave,  du  travail  que  le  maĂźtre  lui  mesure,  lui  chi- 
cane et  lui  retire  à  son  gré.  Cette  conspiration  eût  donc  pu  sauver  la 
RĂ©publique,  proclamer  Ă   l'instant  la  diminution  des  impĂŽts  du  pauvre, 
prendre  des  mesures  qui,  sans  ruiner  les  fortunes  honnĂȘtes,  eussent 
tiré  la  France  de  la  crise  financiÚre  ;  changer  la  forme  de  la  loi  électo- 
rale, qui  est  mauvaise  et  donnera  des  Ă©lections  de  clocher  ;  enfin,  faire 
tout  le  bien  possible,  dans  ce  moment,  ramener  le  peuple  Ă   la  RĂ©pu- 
blique, dont  le  bourgeois  a  réussi  déjà  à  le  dÎgoûter  dans  toutes  les 
provinces,  et  nous  procurer  une  Assemblée  ndionale  qu'on  n'aurait 
pas  été  forcé  de  violenter.  » 

Ce  passage  de  sa  lettre  à  son  fils  n'est  pas  seulement  fort  inté- 
ressant à  confronter  avec  la  page  du  Journal  précitée,  mais  il 
est  encore  plein  de  signification,  parce  qu'il  est  Ă©vident  que  cette 
premiÚre  conspiration  «  bien  fondée  »,  jouissait  de  toutes  les 
sympathies  de  l'auteur  de  la  lettre  et  lui  semblait  parfaitement 
légitime  et  désirable.  Quant  aux  derniÚres  lignes  du  paragraphe, 
soulignées  par  nous,  elles  confirment  encore  une  autre  indica- 
tion de  Daniel  Stern  (1). 

(1)  On  lit  aux  pages  7  et  8  du  tome  III  de  l'Histoire  de  la  RĂ©volution  de  1848  : 
...  Nous  avons  vu  aussi  que  les  principaux  chefs  révolutionnaires  s'étaient 
étonnés  et  alarmés  sans  mesure  du  tour  que  prenaient  les  élections.  Lors- 
qu'ils entrevirent  le  résultat  du  suffrage  universel,  ils  s'excitÚrent  l'un  l'autre 
à  n'en  tenir  aucun  compte  et  se  répandirent  à  l'avance  contre  l'Assemblée 
nationale  en  menaces  insensées.  Malheureusement,  quelques  hommes  d'un 
esprit  supérieur  et  qui  auraient  dû  se  montrer  plus  sages,  encouragÚrent  ou 
tolérÚrent  ces  tendances  dangereuses  et  laissÚrent  se  former  autour  d'eux  des 
foyers  d'une  opposition  préconçue  qui  touchait  à  la  sédition. 

...  DÚs  le  16  avril  au  soir,  M.  Louis  Blanc  et  ses  adhérents  décidaient.dans 
une  réunion  au  Luxembourg,  qu'il  fallait  incessamment  réparer  l'échec  de 
la  journée  en  reprenant  l'offensive.  A  la  vérité,  on  ne  s'était  entendu  ni  sur 
l'occasion,  ni  sur  le  mode  d'une  nouvelle  intervention  du  prolétariat,  mais 
on  s'était  quitté  en  se  payant  de  l'assurance  que  si  l'Assemblée  ne  se  mon- 
trait pas  docile  aux  volontés  du  peuple,  on  ferait  bonne  et  prompte  justice 
de  ces  mandataires  infidĂšles,  A  quelques  jours  de  lĂ ,  MM.  Pierre  Leroux  et 
Cabet  proposaient  de  leur  cÎté  au  gouvernement  provisoire  de  s'adjoindre 


94  GEORGE  SAND 

Nous  arrĂȘterons  lĂ   la  citation  de  cette  lettre,  renvoyant  le  lec- 
teur au  tome  III  de  la  Correspondance.  Nous  nous  bornons  Ă  
reproduire  l'avis  de  M.  Monin  sur  cette  lettre  qui  constate  que 
«  l'histoire  a  peu  de  chose  à  rectifier  au  récit  de  cette  journée 
fait  par  George  Sand  ». 

Quelques  jours  plus  tard,  le  19  avril,  Mme  Sand  revient  Ă  
la  charge  et  parle  Ă   son  fils  d'un  ton  plus  ironique  de  ce  que 
tout  Paris  est  effrayé,  tous  ont  peur  de  tous,  et  s'attendent  à 
quelque  chose  d'horrible,  comme  en  l'année  de  la  peur  (1793). 
Puis  elle  dit  encore  qu'  «  il  ne  tiendrait  qu'à  elle  de  se  poser 
aussi  en  victime  »,  à  cause  du  «  déchaßnement  de  fureur  »  contre 
le  malheureux  Bulletin  n°  16,  qu'elle  était  pourtant  «  fort  tran- 
quille toute  seule  dans  la  cambuse  »  de  Maurice,  mais  «  il  ne 
tiendrait  qu'Ă   elle  d'Ă©crire  demain  dans  tous  les  journaux, 
comme  Cabet  ou  comme  défunt  Marat,  qu'elle  n'avait  plus  une 
pierre  pour  reposer  sa  tĂȘte  ». 

Mais  à  la  fin  de  cette  lettre  elle  ajoute  sérieusement  déjà  que 
sa  Revue  ne  prend  guÚre,  tout  le  monde  étant  trop  préoccupé  et 
vivant  au  jour  le  jour,  puis  elle  semble  faire  un  dernier  effort 
pour  rester...  ou  paraĂźtre  optimiste  : 

Demain,  le  gouvernement  publie  les  grandes  mesures  qu'il  a  prises 
hier  sur  l'impÎt  progressif,  la  loi  des  finances,  l'héritage  collatéral,  etc. 
Ce  sera  sans  doute  la  fin  de  cette  panique  et  d'une  bĂȘtise  gĂ©nĂ©rale 
sortira  un  bien  général.  J'espÚre  aussi  que  ce  sera  la  fin  de  la  crise 
financiÚre.  Ainsi  soit-il  !  Ce  sera  un  premier  acte  de  joué  dans  la  grande 
piÚce  dont  personne  ne  sait  le  dénouement 

Dans  sa  lettre  du  21  avril  George  Sand  prĂȘche  la  nĂ©cessitĂ© 
pour  tous  de  s'habituer  Ă   une  espĂšce  d'Ă©tat  de  guerre  permanent. 

...  Ne  te  laisse  pas  émouvoir  par  les  récriminations  et  les  menaces. 
Tout  homme  qui  agit  révolutionnairement  en  ce  moment-ci,  qu'il 

un  comité  permanent  composé  des  hommes  les  plus  avancés  de  la  démocratie, 
afin  de  rentrer  par  leur  influence  et  par  leurs  conseils,  malgré  l'Assemblée 
et  sans  elle,  dans  les  voies  de  la  révolution  sociale. 

Enfin,  dans  le  mĂȘme  temps,  il  se  tenait  au  ministĂšre  de  l'IntĂ©rieur  des 
conciliabules  oĂč  MM.  Portalis,  Landrin,  Jules  Favre,  Etienne  Arago,  Mme  Sand 
agitaient  la  question  de  savoir  si  l'on  se  débarrasserait  de  l'Assemblée  le 
j  our  mĂȘme  de  son  ouverture  ;  trop  souvent  cette  question  absurde  se  tran- 
chait d'une  maniÚre  affirmative...  » 


GEORGE   SAND  95 

soit  membre  du  gouvernement  provisoire  ou  maire  de  Nohant-Vic, 
trouve  la  résistance,  la  réaction,  la  haine,  la  menace.  Est-ce  possible 
autrement,  et  aurions-nous  grand  mĂ©rite  Ă   ĂȘtre  rĂ©volutionnaires  si 
sout  allait  de  soi-mĂȘme,  et  si  nous  n'avions  qu'Ă   vouloir  pour  rĂ©ussir? 
Non,  nous  sommes  et  nous  serons  peut-ĂȘtre  toujours  dans  un  combat 
obstiné. 

Ai- je  vécu  autrement,  depuis  que  j'existe,  et  avons-nous  pu  croire 
que  trois  jours  de  combat  dans  la  rue  donneraient  à  notre  idée  un  rÚgne 
tans  trouble,  sans  obstacle  et  sans  péril?  Nous  sommes  sur  la  brÚche 
à  Paris  comme  à  Nohant.  La  contre-révolution  est  sous  le  chaume 
comme  sous  le  marbre  des  palais.  Allons  toujours  !  Ne  t'irrite  pas, 
tiens  ferme,  et  surtout  habitue  tes  nerfs  Ă   cet  Ă©tat  de  lutte  qui  devien- 
dra bientĂŽt  un  Ă©tat  normal.  Tu  sais  bien  qu'on  s'accoutume  Ă   dormir 
dans  le  bruit.  H  ne  faut  jamais  croire  que  nous  pourrons  nous  arrĂȘter. 
Pourvu  que  nous  marchions  en  avant,  voilĂ   notre  victoire  et  notre 
repos... 

Et  quoique  les  deux  lettres,  l'inédite  du  20  avril  et  la  publiée 
du  21,  se  terminent,  l'une  par  l'assurance  que  Mme  Sand«  allait 
se  coucher  pour  aller  demain  matin  au  grand  défilé  de  trente 
mille  hommes  armés  de  la  garde  nationale  et  de  la  ligne  »,  par  le 
regret  que  Maurice  «  n'avait  pas  vu  les  Montagnards  de  Caussi- 
diÚre,  une  garde  urbaine  superbe  »,  et  par  le  conseil  de  s'ar- 
ranger de  maniÚre  à  pouvoir  venir  à  l'ouverture  de  l'Assemblée, 
Ă   Paris,  et  l'autre,  par  la  description  brĂšve,  mais  exultante 
de  la  FĂȘte  de  la  FraternitĂ©,  du  coup  d'Ɠil  grandiose  du 
haut  de  rArc  de  Triomphe,  de  l'illumination  splendide,  de  la 
foule  enthousiaste  fraternisant  avec  l'armée,  etc...  on  y  sent 
derriĂšre  cette  foi  optimiste  en  la  victoire  du  peuple,  comme  un 
vague  pressentiment  de  luttes  prochaines,  un  besoin  de  cacher 
à  ses  propres  yeux,  par  la  beauté  du  spectacle,  la  réalité  alar- 
mante. 

Sa  lettre  du  23  avril  accentue  encore  cette  note  inquiĂšte  : 

Au  citoyen  Maurice  Sand,  Ă   Nohant 

Paris,  23  avril  1848. 

Arrive  donc,  mon  Bouli,  puisque  tu  n'y  tiens  plus.  Tu  ne  trouveras 
pas  mieux  ici,  car  le  moment  des  Ă©lections  a  fait  Ă©clater  les  rancunes, 
les  propos,  les  haines,  les  ruptures  que  la  fĂȘte  du  20  avait  endormies. 


96  GEORGE   SAND 

Mais  au  moins  nous  serons  ensemble  et  nous  nous  consolerons  l'un  par 
l'autre.  C'est  une  triste  chose  que  ces  alternatives  d'Ă©lan  fraternel 
et  de  mĂ©fiance  haineuse  qui  agitent  le  cƓur  et  la  bile  de  tous  Ă   des 
moments  données.  N'importe,  l'avenir  viendra  et  l'humanité  fera 
son  progrÚs.  J'ai  besoin  de  la  gaieté  de  Lambrouche  pour  me  remonter. 
Apporte  Cocoton  et  viens. 

Comme  elle  est  loin,  Mme  Sand,  de  la  belle  assurance 
avec  laquelle  elle  déclarait  dans  son  15e  Bulletin,  il  y  a  à 
peine  huit  jours,  «  que  quiconque  ne  sera  pas  convaincu  que 
a  République  ne  peut  pas  périr,  ne  sera  qu'un  député  dan- 
gereux »  1 

Mais  dans  le  dernier  feuillet  qui  reste  du  Journal  de  1848  (il 
porte  la  date  du  26  avril  mais  doit,  en  réalité,  avoir  été  écrit 
entre  le  16  et  le  20,  on  ne  peut  pas  dire  au  juste  quand),  George 
Sand  se  prononce  encore  plus  sérieusement  : 

Je  crois  qu'on  demandait  au  peuple  plus  qu'il  ne  pouvait  donner  ; 
il  y  a  autant  de  danger  Ă   vouloir  faire  marcher  une  nation  trop  rapi- 
dement dans  la  voie  du  progrĂšs  qu'Ă   vouloir  l'arrĂȘter.  Le  peuple  est 
plus  sage  que  ses  gouvernants. 

Le  16  avril  la  réaction  contre  les  idées  socialistes  nous  avertissait 
qu'il  ne  fallait  pas  aller  trop  loin  dans  le  domaine  des  faits,  au  risque 
de  faire  proscrire  Vidée;  la  bourgeoisie  s'est  emparée  de  cette  expres- 
sion du  sentiment  populaire  pour  frapper  à  mort  toutes  les  idées  pro- 
gressives. Elle  a  pu  croire  vingt-quatre  heures  Ă   son  triomphe.  Les 
socialistes,  les  républicains  avancés  étaient  menacés,  pourchassés, 
traqués  sous  l'accusation  de  communisme  (loi  agraire,  égalité  de 
salaire,  icarisme,  abolition  de  la  famille,  etc.,  tout  Ă©tait  confondu 
sous  le  nom  de  communisme).  Si,  dans  un  groupe,  un  citoyen  avait  Ă  
se  rĂ©crier,  mĂȘme  timidement  contre  l'espĂšce  de  terreur  dont  les  idĂ©es 
sociales,  comme  idées,  étaient  l'objet,  il  était  battu,  injurié  et  sou- 
vent mis  en  prison.  Cela  se  passait  ainsi  lundi. 

Mardi,  on  arrĂȘtait  encore. 

Mercredi,  c'Ă©tait  plus  rare  :  un  ou  deux  exemples  ;  jeudi,  Ă   la  fĂȘte 
de  la  fraternité,  tout  était  oublié.  Au  commencement  du  défilé,  la 
banlieue  pousse  quelques  cris  isolés  :  «  A  bas  le  communisme  !  » 

Le  soir,  il  n'en  Ă©tait  plus  question. 

Depuis  ce  jour,  une  réaction  se  manifeste  paisiblement.  Non  seule- 
ment on  ne  menace  plus,  on  n'injurie  plus,  on  n'arrĂȘte  plus  les  citoyens 
suspectés  de  socialisme,  mais  tout  le  monde  discute  avec  eux. 


GEORGE   SAND  97 

En  décrivant  l'animation  avec  laquelle  on  débattait,  dans 
les  groupes  populaires,  la  question  sociale  et  en  se  réjouissant 
de  cet  Ă©veil  gĂ©nĂ©ral  pour  les  intĂ©rĂȘts  publics,  George  Sand  se 
laisse  encore  aller  Ă   son  optimisme  habituel,  qui  s'explique  cette 
fois  encore  par  la  fĂȘte  du  20  avril,  toute  rĂ©cente.  Mais  le  ton 
de  la  premiĂšre  page  de  ce  morceau  est  la  note  dominante,  on  y 
entend  la  conscience  réveillée  d'une  faute  politique  commise 
par  les  socialistes  intransigeants,  ses  propres  amis,  Ă   elle,  la 
constatation  du  fait  que  leurs  affaires  ne  sont  pas  brillantes  ;  en 
un  mot  le  ton  est  le  mĂȘme  que  celui  de  ses  lettres  imprimĂ©es  du  17 
et  du  19  avril  et  de  toutes  ses  lettres  inédites. 

Une  seule  journée  encore,  le  28  avril,  jour  des  élections  pari- 
siennes, arracha  Ă   la  plume  de  George  Sand  des  lignes  presque 
aussi  enthousiastes  que  la  journée  du  20  avril.  Dans  sa  lettre 
inédite  à  Maurice,  elle  peint  avec  une  verve  extraordinaire, 
une  excitation  nerveuse  entraßnante,  l'attente  du  résultat  des 
votes,  la  nuit  du  28,  et  dans  son  article  Devant  VHĂŽtel  de 
Ville  elle  transcrit  les  discussions  et  les  débats  entendus  dans 
les  masses  populaires,  attendant  ce  résultat  des  votes.  Toutes 
ses  lettres  ultérieures  et  tous  ses  autres  articles  de  cette 
année  ne  sont  dictés  tantÎt  que  par  le  désir  de  prévenir  le 
peuple  (et  en  particulier  les  habitants  des  campagnes)  de  ne  pas 
croire  aux  épouvantails  inventés  par  la  bourgeoisie,  de  ne  pas 
perdre  la  cause  de  la  liberté  par  crainte  du  «  fantÎme  du  commu- 
nisme »,  de  ne  pas  sĂ©parer  ses  intĂ©rĂȘts  de  ceux  du  prolĂ©tariat  des 
villes.  Et  tantÎt  par  le  désir  de  prévenu  la  bourgeoisie  de  ne  pas 
exaspérer  le  peuple  par  des  mesures  rétrogrades  ou  hypocrites, 
de  ne  pas  le  pousser  Ă   la  guerre  civile.  Ou  encore  par  celui  de 
dĂ©fendre  ses  amis  politiques  et  elle-mĂȘme  contre  la  rĂ©action  de 
plus  en  plus  triomphante,  de  se  disculper  de  certains  mensonges 
et  de  certaines  calomnies  répandus  sur  elle  qui  pouvaient  tous 
amener  des  suites  fort  tristes  pour  Mme  Sand,  un  procĂšs,  la 
prison,  ou  mĂȘme  la  dĂ©portation. 

La  Cause  du  Peuple  ayant  cessé  d'exister,  George  Sand  donna 
tous  ses  articles,  Ă   commencer  par  la  description  de  l'attente 
Devant  VHÎtel  de  Ville,  à  la  Vraie  République,  journal  de  Théo- 


qS  GEORGE    SAND 

phile  Thoré,  auquel  elle  promit  sa  collaboration  exclusive.  Il 
faut  noter  à  ee  propos  que  la  prétendue  collaboration  de  George 
Sand  à  différentes  publications  révolutionnaires  de  l'époque,  et 
entre  autres  au  journal  de  Cahaigne  et  Sobrier.  la  Commune  de 
Paris,  n'a  été  confirmée  par  aucun  document,  et  que  non  seule- 
ment nous  n'avons  pu  trouver  la  moindre  indication  dans  quelque 
lettre  de  Mme  Sand  sur  ses  relations  avec  Sobrier  et  son  manque 
de  parole  à  Thoré,  mais  encore  que  la  plupart  des  auteurs 
l'ont  affirmé  sans  aucune  preuve  à  l'appui,  sur  la  foi  seule 
de  deux  brĂšves  remarques  de  Hatin,  aux  pages  448  et  449 
de  sa  Bibliographie  historique  et  critique  de  la  presse  pério- 
dique française.  Or,  nous  avons  pu  nous  convaincre  que 
I* opinion  de  Hatin  émise  à  la  page  449  n'était  basée  que  sur  le 
titre  d*un  pamphlet  d'un  certain  Leroux  (sans  prénoms),  paru 
en  1849,  sous  le  titre  de  La  Commune  de  Paris  par  Barbes, 
Sobrier,  George  Sand  et  Caliaigne;  il  est  toutefois  avéré  qu'il 
n'existait  aucun  rapport  entre  Barbes  et  cette  feuille,  et  que 
cette  rĂ©union  de  noms  fortuits  n"est  qu'une  maniĂšre  de  mĂȘler 
ensemble  tous  les  gauches,  maniÚre  fort  usitée  dans  les  pam- 
phlets réactionnaires  de  toutes  les  époques.  Dans  le  premier 
cas  (page  448),  Hatin  ne  se  base  que  sur  une  phrase  de  Daniel 
Stern.  Or,  cette  phrase  [une  note  Ă   la  page  8  du  volume  III  de 
l'Histoire  de  1848  se  rapportant  au  passage  que  nous  avons  cité 
plus  haut  (1)]  disait  textuellement  :  «  Voir  VAmi  du  Peuple,  la 
Vraie  RĂ©publique,  la  Commune  de  Paris,  la  Cmse  du  Peuple, 
journaux  rédigés  par  MM.  Raspail,  Thoré,  Sobrier,  Mine  Sand,  etc. 
Numéros  du  16  avril  au  4  mal  »  Il  est  évident  que  cette  phrase 
doit  ĂȘtre  commentĂ©e.  Dans  le  mĂȘme  ordre  que  sont  nommĂ©s  les 
journaux,  Daniel  Stern  avait  nommé  leurs  rédacteurs  respec- 
tifs :  Raspail  rédigeait  (avec  Cabet)  VAmi  du  Peuple  ;  Thoré,  la 
Vraie  RĂ©publique;  Sobrier,  la  Commune  de  Paris  ;  Mme  Sand, 
la  Cause  du  Peuple.  Nous  avons  vu  plus  haut  que  les  derniĂšres 
lignes  de  Daniel  Stern,  auxquelles  cette  note  se  rapporte,  vi- 
saient justement  l'article  n°  4  sur  le  «  Socialisme  »  dans  la  Cause 

(1)  Voir  plus  haut,  p.  93. 


GEORGE   SAN  D 


du  Pmtple.  l>a  note  de  Daniel  Sfern   ne   peut  donc  nullement 

ĂȘtre  comprise  dans  le  sens  que  HumĂ©  prenait  part,  Ă   VJnĂ  
du  Peuple,  Mme  Sand  au  journal  de  SobĂŽer,  ou  ce  dernier  au 

journal  de  Kaspail,  etc. 

M.  Mnnin  cite  ilans  son  article  la  liés  intéressante,  lettre  de 

George  Sand  à  Thoré,  parue  dans  la  Proie  EéptMigw  du  2  mai 
et  point  réimprimée  dans  la  Gorrwpondcmee,  Elle  est  importante 
et  décisive  pour  Ja  question  qui  nom  occupe. 

m  "H  cin'i  ThorĂ©,  puisque  vous  voulez  la  vraie  RĂȘptĂȘN/iftu  tomme 
je  l'entends,  avec  toutes  ses  conséquences  ei    ta  iÚVetappameit, 

i  ;irci'|iic  l'offre  que  von-:  me  faites  de  participer  à  la  collaboration  «le 
votre  journal,  et  je  vous  autorise  .1  regarder  oette  collaboration  eouune 
exclu  ive  de  toute  autre  Ăźle  ma  part  dans  ke  jomnauz  et  quoti- 
dien 1. 
Tout  Ă ,  \  oeur. 

Gh  >re;e  Sand. 

Doue,  nous  devons  nous  lier  Ă   cette  promesse  formelle  de 

Mme  Sand  el  ni-  pouvons  que  nous  joindre  Ă   l'opinion  de  M.  Mo 
mu  (jiii  du  :  g  .lu  qn  a  preuve  du  contraire,  et  nous  nVn  voyon  : 
aucune,  il   tout  croire  George  S;md   sur   parole,  loisipTell- 

rantit  au  citoyen  Tnoré  sa  collaboration  exclusive.  » 

Le  premier  article  de  George  Sand  dans  la  Vraie  RĂ©publique 
tĂȘt  l'article  dĂ©jĂ ,  mentionnĂ©  :  bconnt  Vllnlii  de  Ville,  qui  parut 
dans  ce  journal   le    :  mai.  Le  second  iuliliilé  //  O/     hnn  sociale., 

fut  inséré  le  1  mai,  juste  le  jour  de  rotrverture  de  l'Assemblée 
nationale.  Il  est  trĂšs  remarquable,  parer  qu'fl  est  comme  une 
priÚre  et  un  avertissement  adressés  à  la  majorité  de  cette  assem- 
blée, aux  modelé. ;,  c'est-à-dire  les  conscrvaleurs  et  républioaifl 
non  soriali  les  :  elle  les  prie  de  prĂȘter  une  attention  particuliĂšre 
aux  questions  qui  agitent  surtout  les  masses  et  dont,  la  résolu- 
tion par  l'Assemblée  nationale  est  passionnément  attendue,  el 

elle  les  avertit  de  ne  pas  pousner  ces  masses  et  le  paysan  ': 

pou-  ei  Ă   une  catastrophe,  Oal  cent  ires  boti  est  bcUesD  ni  sigai- 

liealif  cl  exprime  si  jusleineiit  la  position  que  GtOfJge  Sand 
occupait  alors  par  rapport  à  la  n  majorité  »,  cl  à  la  i  minorité  p  de 


ick,  GEORGE   SAND 

l'Assemblée,  que  nous  ne  pouvons  nous  abstenir  d'en  citer,  ne 
fût-ce  que  le  commencement. 

—  Fuyez,  fuyez,  citoyen,  la  maison  brĂ»le! 

—  Xon,  la  maison  ne  brĂ»le  pas.  Je  ne  vois  ni  feu  ni  fumĂ©e.  Vous 
voulez  entrer  dans  ma  maison  pour  la  piller  quand  j'en  serai  sorti. 

—  Dieu  me  garde  d'entrer  dans  votre  maison  quand  vous  en  serez 
sorti  !  car,  Ă   ce  moment,  elle  s'Ă©croulera  dans  les  flammes.  Sortez, 
vous  dis-je,  car  vous  ĂȘtes  perdu,  si  vous  tardez. 

—  En  effet,  je  sens  maintenant  rĂŽdeur  de  la  fumĂ©e,  et  il  me  semble 
que  la  maison  craque  par  la  base.  Aidez-moi  Ă   sortir. 

—  Il  est  trop  tard.  Le  premier  Ă©tage  est  en  feu.  Il  ne  vous  reste 
qu'Ă   sauter  par  la  fenĂȘtre. 

—  Comment,  sauter  par  la  fenĂȘtre?  Je  vais  me  tuer  sur  le  pavĂ©. 

—  Probablement,  mais  il  n*y  a  pas  d'autre  moyen. 

—  HĂ©las  !  hĂ©las  !  une  corde,  une  Ă©chelle,  ou  je  suis  perdu 
L'homme  qui  veut  rester  dans  sa  maison  et  qui  ne  se  décide  à  en 

sortir  qu'en  la  sentant  craquer  sous  ses  pieds,  c*est  l'esprit  du  passé, 
qui  ne  voudrait  rien  changer  Ă   ses  habitudes  et  qui  s'est  trop  endormi 
dans  une  confiance  trompeuse. 

Le  pavĂ©  qui  s'offre  Ă   lui  comme  un  abĂźme  oĂč  la  mort  l'attend,  c'est 
]a  conséquence  funeste  de  l'aveuglement,  c'est  l'avenir  inconnu  que 
le  passé  n'a  jamais  voulu  mesurer  du  regard. 

La  voix  qui  crie  au  passĂ©  :  «  Sautez  par  la  fenĂȘtre,  ou  vous  allez  brĂ»ler 
avec  votre  maison  !  »  c'est  le  présent  qui  constate  le  danger  sans  s'oc- 
cuper de  le  prévenir.  La  corde,  l'échelle,  que  l'on  demande  à  grands 
cris  pour  descendre  sans  catastrophe  dans  la  rue,  c'est  la  solution 
de  la  question  sociale. 

Oui,  oui,  hĂątez-vous  d'apporter  l'Ă©chelle  si  vous  ne  voulez  pas  que 
les  intĂ©rĂȘts  du  passĂ©  succombent  violemment  sans  profit  pour  l'avenir. 
Et  vous,  insensés,  qui  croyez  votre  maison  incombustible  et  qui  ne 
vovez  pas  que  vous  y  avez  mis  le  feu  vous-mĂȘmes,  vous  qui  avez 
méprisé  l'échelle,  unique  moyen  de  salut,  hùtez-vous  de  nous  aider  à 
la  placer  sous  vos  pieds  ;  car  nous  autres,  socialistes  tant  raillés  et  tant 
repoussés  par  vous,  nous  n'avions  qu'une  pensée,  c'était  de  sauver 
cet  édifice  social  que  vous  avez  laissé  périr  ;  et  maintenant  qu'il  va 
crouler,  par  suite  de  votre  imprévoyance,  nous  voudrions  vous  sauver 
et  vous  recueillir  avant  que  le  désastre  s'accomplisse. 

L'Assemblée  nationale  du  4  mai  fut,  comme  on  le  sait,  non 
pas  réactionnaire,  comme  le  prétendaient  les  amis  de  George 
Sand,  mais  trÚs  modérée  et  les  radicaux  et  socialistes  s'y  trou- 
vaient en  minorité  fort  négligeable.  Le  lendemain  de  l'ouverture 


GEORGE   SAND  101 

de  cette  Assemblée,  le  5  mai,  George  Saud  adressait  dans  le 
journal  de  Thoré  une  Lettre  au  citoyen  Lamennais,  dans  laquelle 
elle  protestait  avec  une  perspicacité  presque  prophétique  contre 
son  projet  de  constitution  et  surtout  contre  le  paragraphe  qui 
confiait  le  pouvoir  exécutif  à  un  président  élu  pour  trois  ans  : 

L'autorité  d'un  seul  serait  contraire  aux  sentiments  et  aux  idées 
des  masses  populaires  et  serait  le  signal  d'une  guerre  civile...  le  présU 
dent  serait  forcé  de  devenir  dictateur,  et  tout  dictateur  serait  forcé 
de  marcher  dans  le  sang  !... 

Mme  Sand  revient  encore  Ă   la  thĂšse  de  son  quatriĂšme  article 
de  la  Cause  du  Peuple  :  l'idéal  serait  la  volonté  du  peuple  par 
Y  unanimité  et,  en  pratique,  c'est  la  majorité  qui  en  approche  le 
plus  ;  mais  il  est  des  heures  terribles  dans  la  vie  des  peuples 
oĂč  la  majoritĂ©  chancelle  et  vacille,  il  serait  sage  alors  de  faire 
attention  à  la  minorité.  Mme  Sand  tùche  de  défendre  aux  yeux 
de  Lamennais  les  utopistes  qu'il  traite  trop  sévÚrement  selon 
elle,  tandis  qu'à  son  dire  ce  ne  sont  que  des  «  somnambules  » 
qu'il  est  dangereux  de  réveiller  trop  brusquement  à  la  réalité. 

Quant  à  la  minorité,  elle  deviendra  d'autant  plus  redoutable  qu'elle 
sera  plus  fractionnée  et  plus  impuissante  en  apparence,  elle  jettera 
la  confusion  dans  Tordre  de  la  marche,  elle  excitera  toutes  les  passions, 
elle  forcera  la  majoritĂ©  Ă   ĂȘtre  agressive,  violente  et  impitoyable. 

H  est  fort  Ă©difiant  et  plus  que  eurieux  de  confronter  ces  mots 
avec  ce  que  M.  de  Tocqueville  avait  entendu  de  la  bouche  de 
Mme  Sand. 

Nous  avons  promis  dans  la  premiĂšre  partie  de  notre  ouvrage 
(vol.  Ier,  page  402)  de  citer  Ă   sa  place  la  page  204  des  Souvenirs 
d'Alexis  de  Tocqueville,  racontant  la  conversation  qu'il  eut 
avec  Mme  Sand  à  un  dßner  ou  déjeuner  chez  M.  Monkton-Milnes, 
plus  tard  lord  Houghton,  oĂč  se  trouvaient  en  outre  Mignet, 
Mérimée,  Considérant  et  deux  dames. 

Nous  y  avons  dit  aussi  que,  tandis  que  chez  Tocqueville, 
l'Ă©poque  de  ce  dĂźner  se  trouvait  ĂȘtre  indiquĂ©e  d'une  maniĂšre  assez 
indĂ©cise,  —  entre  la  fĂȘte  de  la  Concorde  du  21  mai  et  les  jour- 
nĂ©es de  Juin,  —  ce  dĂźner  devait,  en  rĂ©alitĂ©,  avoir  eu  lieu  le  6  mai 


,03  GEORGE  SAND 

ou  quelques  jours  avant  le  6  mai,  car  la  lettre  de  Mérimée  à  la 
comtesse  de  Montijo,  mĂšre  de  la  future  ImpĂ©ratrice,,  oĂč  il  dĂ©cri- 
vait ce  mĂȘme  dĂźner,  Ă©tait  datĂ©e  du  6  mai  1848.  Donc  ee  dĂźner 
devait  avoir  lieu  le  surlendemain  de  l'ouverture  de  l'Assemblée 
et  le  lendemain  du  jour  oĂč  George  Sand  disait,  dans  sa  Lettre 
au  citoyen  Lamennais,  qu'il  ne  fallait  pas  pousser  la  minorité  au 
désespoir  parce  qu'elle  deviendrait  «  redoutable  »  et  forcerait 
la  majorité  à  devenir  «  impitoyable  ». 

M.  Monin  dit  en  toute  justesse  que  les  pages  oĂč  M.  de  Toeque- 
ville  nous  conte  son  entrevue  avec  Mme  Sand  sont  placées  aprÚs 
le  récit  de  l'élection  du  5  juin  (1),  elles  précÚdent  immédiatement 
le  récit  des  journées  de  Juin,  mais  qu'il  fallait  «  considérer  le 
mode  de  composition  des  souvenirs,  leur  caractĂšre  Ă   la  fois  phi- 
losophique et  anecdotique  »,  ce  qui  ne  permettrait,  selon 
If.  Monin.  d'en  tirer  «  qu'une  conclusion  »  :  «  que  le  dßner 
en  question  a  eu  lieu  aprĂšs  le  15  mai,  dont  George  Sand  tirait 
en  quelque  sorte  la  morale  politique  à  l'usage  de  tous  les  partis  ». 
M.  Monin  vient  à  conclure  que  «  malgré  la  lettre  de  Mérimée 
qui  lui  assigneiait  la  date  du  6  mai,  d'aprĂšs  l'Ă©crit  de  M.  Filon 
(Mérimée  et  ses  amis,  p.  194-195),  le  6  juin  lui  paraissait  plus 
probable  ». 

Quant  à  la  remarque  que  c'est  de  l'événement  du  15  mai  que 
Mme  Sand  avait  tiré  une  espÚce  de  «  morale  politique  à  l'usage 
de  tous  les  partis  »,  nous  avons  vu  qu'elle  l'avait  tirée  dÚs  le  1<  i 
et  que,  dans  la  Question  sociale  et  dans  sa  Lettre  Ă   Lamemiais, 
publiĂ©es  les  4  et  5  mai,  George  Sand  prĂȘchait  dĂ©jĂ   cette  morale, 
en  avertissant  la  majorité  qu'il  ne  fallait  pas  exaspérer  la  mino- 
rité, ni  pousser  à  bout  les  masses,  parce  que  le  peuple  avait 
encore  confiance  en  l'Assemblée.  C'est  justement  ce  qu'elle 
dit  Ă   Tocqueville.  Enfin,  des  pages  194  et  19ĂŽ  du  livre  de 
M.  Filon  (que  nous  avons  aussi  citées  en  leur  lieu  dans  notre 
premier  volume,  en  parlant  de  l'épisode  Sand-Mérimée),  on  ne 
peut  nullement  tirer  la  conclusion  que  le  dĂźner  avait  eu  lieu  le 
6  juin  ;  bien  au  contraire,  aprÚs  la  lettre  de  Mérimée  du  G  mai, 

(1)  Celle  de  l'Assemblée  constituante. 


GEORGE   SAND  103 

M.  Filon  parle  de  F  ouverture  de  l'Assemblée  du  4  mai  et  puis 
de  l'événement  du  15  mai  ;  et  il  ne  s'y  trouve  rien  qui  puisse 
faire  croire  que  le  dĂźner  en  question  eut  lieu  aprĂšs  ce  der- 
nier événement.  Nous  croyons  qu'il  y  a  une  simple  erreur  de 
mĂ©moire  de  la  part  de  M.  de  Tocqueville  ;  au  Heu  de  la  «  FĂȘte 
de  la  Concorde  »  (le  21  mai),  il  faudrait  lire  :  «  fĂȘte  de  la  Fra- 
ternité »  (20  avril),  et  cela  mettrait  immédiatement  de  l'ordre 
dans  les  dates  et  cadrerait  parfaitement  avec  la  date  de  la  lettre 
de  MĂ©rimĂ©e  :  le  dĂ©jeuner  eut  lieu  entre  la  FĂȘte  de  la  Fraterniti 
d  les  Ă©lections;  donc  entre  le  20  avril  et  le  5  juin.  Mais  laissons 
la  parole  Ă   M.  de  Tocqueville  lui-mĂȘme  : 

...  Je  ne  doutais  pas,  pour  mon  compte,  que  nous  ne  fussions  Ă   la 
veille  d'une  lutte  terrible  ;  toutefois,  je  n'en  compris  bien  les  périls 
que  par  une  conversation  que  j'eus  vers  cette  époque  avec  la  célÚbre 
Mme  Saud.  Je  la  vis  chez  un  Anglais  de  mes  amis,  Mines,  membre 
du  Parlement,  qui  était  alors  à  Paris.  Milnes  était  un  garçon  d'esprit 
qui  faisait  et  —  ce  qui  est  plus  rare  —  qui  disait  beaucoup  de  bĂȘtises. 
Combien  ai-je  vu  de  ces  figures  dans  ma  vie,  dont  on  peut  affirmer  que 
les  profils  ne  se  ressemblent  pas  ;  hommes  d'esprit  d'un  cÎté  et  sots 
de  l'autre?...  Je  n'ai  jamais  vu  Milnes  qu'engoué  de  quelqu'un  ou  de 
quelque  chose.  Cette  fois-là,  il  était  épris  de  Mme  Sand  et,  malgré  la 
gravité  des  événements,  il  avait  voulu  donner  à  celle-ci  un  déjeuner 
littéraire  ;  j'assistai  à  ce  déjeuner  et  l'image  des  journées  de  Juin,  qu 
suivirent  presque  aussitÎt  aprÚs,  au  lieu  d'en  effacer  de  mon  récit  le 
souvenir,  l'y  réveille. 

La  société  était  fort  peu  homogÚne  ;  indépendamment  de  Mme  Sand, 
j'y  trouvai  une  jeune  dame  anglaise,  fort  modeste  et  trÚs  agréable, 
qui  dut  trouver  assez  singuliĂšre  la  compagnie  qu'on  lui  donnait, 
quelques  écrivains  assez  obscurs  et  Mérimée  (1).  Milnes  me  plaça  à 
cĂŽtĂ©  de  }.[me  Sand  :  je  n'avais  jamais  parlĂ©  Ă   celle-ci,  je  crois  mĂȘme  que 
je  ne  l'avais  jamais  vue,  car  j'avais  peu  vécu  dans  le  monde  d'aventu- 
riers littéraires  qu'elle  fréquentait.  Un  de  mes  amis  lui  ayant  demandé 
un  jour  ce  qu'elle  pensait  de  mon  livre  sur  l'Amérique  :  Monsieur,  lui 
dit-elle,  je  suis  habituée  à  ne  lire  que  les  livres  qui  me  sont  offerts  par 
leurs  mtems.  J'avais  de  grands  préjugés  contre  Mme  Sand,  car  je  dé- 


(1)  Nous  avons  vu  par  la  lettre  de  Mérimée  que,  parmi  ces  écrivains,  il 
y  avait  Victor  Considérant  et  «  quelques  fouriéristes  ».  Nous  présumons  que 
c'étaient  Pététin,  Pompéry  et  Victor  Borie,  quoique  ce  dernier  ne  fût  nulle- 
ment «  fouriériste  ». 


io4  GEORGE   SAND 

teste  les  femmes  qui  écrivent,  surtout  celles  qui  déguisent  les  faiblesses 
de  leur  sexe  en  systÚme,  au  lieu  de  nous  intéresser  en  nous  les  faisant 
voir  sous  leurs  véritables  traits  ;  malgré  cela,  elle  me  plut.  Je  lui  trou- 
vai des  traits  assez  massifs,  mais  un  regard  admirable  ;  tout  l'esprit 
semblait  s'ĂȘtre  retirĂ©  dans  ses  yeux,  abandonnant  le  reste  du  visage  Ă  
la  matiĂšre.  Ce  qui  me  frappa  surtout  fut  de  rencontrer  en  elle  quelque 
chose  de  l'allure  naturelle  des  grands  esprits  ;  elle  avait,  en  effet, 
une  vĂ©ritable  simplicitĂ©  de  maniĂšres  et  de  langage,  qu'elle  mĂȘlait 
peut-ĂȘtre  Ă   quelque  peu  d'affectation  de  simplicitĂ©  dans  ses  vĂȘte- 
ments. Je  confesse  que,  plus  ornée,  elle  m'eût  paru  encore  plus 
simple. 

Nous  parlĂąmes  une  heure  entiĂšre  des  affaires  publiques  ;  on  ne  pou- 
vait guĂšre  parler  d'autre  chose  dans  ce  temps-lĂ ,  D'ailleurs,  Mme  Sand 
Ă©tait  alors  une  maniĂšre  d'homme  politique  ;  ce  qu'elle  me  dit  me  frappa 
beaucoup.  C'Ă©tait  la  premiĂšre  fois  que  j'entrais  en  rapport  direct  et 
familier  avec  une  personne  qui  pût  et  voulût  me  dire  ce  qui  se  passait 
dans  le  camp  de  nos  adversaires. 

Les  partis  ne  se  connaissent  jamais  les  uns  les  autres  ;  ils  s'appro- 
chent, ils  se  pressent,  ils  se  saisissent  :  ils  ne  se  voient  pas.  Mme  Sand 
me  peignit  trÚs  en  détail  et  avec  une  vivacité  singuliÚre  l'état  des  ou- 
vriers de  Paris,  leur  organisation,  leur  nombre,  leurs  armes,  leurs  pré- 
paratifs, leurs  pensées,  leurs  passions,  leurs  déterminations  terribles. 
Je  crus  le  tableau  chargé  et  il  ne  l'était  pas  ;  ce  qui  suit  le  montra 
bien.  Elle  parut  s'effrayer  pour  elle-mĂȘme  du  triomphe  populaire  et 
prendre  en  grande  commisération  le  sort  qui  nous  attendait 

«  Tùchez  d'obtenir  de  vos  amis,  monsieur,  me  dit-elle,  de  ne  point 
pousser  le  peuple  dans  la  rue  en  l'inquiĂ©tant  ou  en  l'irritant  ;  de  mĂȘme 
que  je  voudrais  pouvoir  inspirer  aux  miens  la  patience,  car,  si  le  com- 
bat s'engage,  croyez  que  vous  y  périrez  tous.  » 

AprÚs  ces  paroles  consolantes,  nous  nous  séparùmes  et,  depuis, 
je  ne  l'ai  jamais  revue... 

En  citant  aussi  cette  page  de  M.  de  Tocqueville,  M.  Monin 
remarque  que  George  Sand  ne  se  serait  «  nulle  part  exprimée 
publiquement  avec  l'effrayante  lucidité  qui  étonna  Tocque- 
ville »  et  qu'il  était  «  évident  qu'elle  se  ménageait  et  ménageait 
ses  amis  et  mĂȘme  ses  ennemis  dans  tout  ce  qu'elle  a  signĂ©  », 
Or,  nous  avons  vu  ce  qu'elle  disait  dans  l'article  :  la  Question 
sociale,  dans  sa  Lettre  Ă   Lamennais,  et  dans  le  dernier  article  sur  le 
Socialisme.  Nous  ne  voyons  aucune  différence  entre  ses  paroles 
à  Tocqueville  et  ses  écrits  signés  ;  l'amie  de  Gilland  et  des 


GEORGE   SAND  105 

autres  ouvriers  devait  posséder  cette  «  effrayante  lucidité  »  dans 
les  journées  qui  séparaient  le  16  avril  du  15  mai. 

Le  lendemain  de  cette  conversation  avec  M.  de  Tocqueville, 
le  7  mai  1848,  parut  dans  le  journal  de  Thoré  une  Revue  poli- 
tique de  la  semaine,  par  Mme  Sand,  Ă©crit  remarquable  et  remar- 
quablement écrit;  Mme  Sand  y  précise  encore  une  fois,  avec 
une  netteté  parfaite,  sa  position  à  l'égard  des  partis  politiques 
du  moment  et  Ă   l'Ă©gard  de  leurs  tendances.  Elle  y  professe  des 
sympathies  pour  les  prétendus  «  communistes  »,  c'est-à-dire 
les  rĂ©publicains  socialistes  qui  rĂȘvent  des  rĂ©formes  sociales  et, 
en  mĂȘme  temps,  elle  trace  une  ligne  nette  et  ferme  qui  la  sĂ©pare 
de  toute  fraction  ou  coterie  de  communistes  ou  socialistes  mili- 
tants. 

Les  deux  événements  qui,  à  part  l'ouverture  de  l'Assemblée  natio- 
nale, ont  ému,  durant  cette  semaine,  l'ùme  généreuse  du  peuple 
de  Paris,  dit-elle,  ce  sont  les  événements  de  Rouen  et  ceux  de  Limoges. 
A  Rouen,  un  prétendu  complot  communiste  que  le  parti  bourgeois 
a  noyé  dans  le  sang  ;  à  Limoges,  un  prétendu  complot  communiste 
que  le  peuple  des  travailleurs  Ă©touffe  dans  un  embrassement  fraternel 
de  toutes  les  classes,  de  tous  les  citoyens,  de  toutes  les  opinions. 

En  exprimant  l'espoir  que  l'Assemblée  nationale  se  pronon- 
cera ouvertement  contre  les  répressions  à  outrance  et  les  per- 
sécutions, George  Sand  revient  encore  une  fois  aux  vraies  aspi- 
rations qui  animaient  les  soi-disant  communistes,  c'est-Ă -dire 
les  partisans  d'une  république  vraiment  sociale,  et  aux  pré- 
tendues doctrines  exterminatrices  qui  leur  étaient  attribuées 
par  la  bourgeoisie,  sous  le  titre  sommaire  de  «  communisme  ». 

...  Le  peuple  a  compris  aujourd'hui  ce  que  c'est  que  le  véritable 
communisme  ;  il  sait  que  M.  Cabet  n'est  pas  l'inventeur  de  cette  doc- 
trine, car  elle  est  aussi  ancienne  que  le  monde.  Il  sait  que  le  roman  inti- 
tulé Icarie  n'est  point  le  code  du  communisme,  parce  que  le  véritable 
code  c'est  l'Evangile  quant  au  passé  et  au  présent,  c'est  l'Evangile 
introduit  dans  la  vie  réelle  sous  le  nom  de  République  quant  au  pré- 
sent et  à  l'avenir.  Le  peuple  sait  aussi  que  le  communisme  immédiat, 
dont  on  s'est  tant  effrayĂ©  et  qui  n'existe  peut-ĂȘtre  que  dans  l'imagi- 
nation troublĂ©e  de  quelques  hommes,  est  la  nĂ©gation  mĂȘme  du  com- 
munisme, puisqu'il  voudrait  procéder  par  la  violence  et  par  la  destruc- 
tion du  principe  évangélique  et  communiste  de  la  fraternité. 


io6  GEORGE    SAND 

Le  peuple  sait  enfin  que  ce  malheureux  mot  de  eommunisme,  tant 
jeté  à  la  face  des  républicains-socialistes  depuis  quelques  années  par 
les  conservateurs  de  la  monarchie,  n'a  point  l'acception  qu'on  lui 
prĂȘte  et  ne  se  localise  dans  aucune  secte. 

Quant  à  nous,  voici  ce  que  nous  répondrions  à  des  questions  faites 
de  bonne  foi,  car  nous  ne  saurions  répondre  à  des  questions  de  mauvaise 
foi.  Si,  par  le  communisme,  vous  entendez  telle  ou  telle  secte,  nous  ne 
sommes  point  communistes  parce  que  nous  n'appartenons  Ă   aucune 
secte  ;  si,  par  le  communisme,  vous  entendez  la  volonté  aveugle  et 
orgueilleuse  de  combattre  toute  forme  de  progrĂšs  qui  ne  serait  pas 
Fapplication  exacte  ou  immédiate  du  communisme,  nous  ne  sommes 
pas  des  communistes  ;  parce  que  le  communisme  est  un  contrat  de 
fraternité  idéale,  pour  lequel  nous  savons  bien  que  les  hommes  ne  sont 
pas  mûrs  et  auquel  ils  ne  sauraient  consentir,  librement  et  sincÚrement, 
du  jour  au  lendemain.  Si,  par  le  communisme,  vous  entendez  une 
conspiration  disposée  à  tenter  un  coup  de  main  pour  s'emparer  de  la 
dictature,  comme  on  le  disait  au  16  avril,  nous  ne  sommes  point  com- 
munistes, car  une  pensée  d'avenir  ne  s'impose  que  par  la  conviction 
et  on  ne  se  bat  que  pour  faire  triompher  un  principe  immédiatement 
réalisable  :  l'institution  républicaine,  par  exemple. 

Mais  si,  par  le  communisme,  vous  entendez  le  désir  et  la  volonté  que, 
grùce  à  tous  les  moyens  lésitimes  et  avoués  par  la  conscience  publique, 
l'inĂ©galitĂ©  rĂ©voltante  de  l'extrĂȘme  richesse  et  de  l'extrĂȘme  pauvretĂ© 
disparaisse  dĂšs  aujourd'hui  pour  faire  place  Ă   un  commencement 
d'égalité  véritable  :  oui,  nous  sommes  communistes  et  nous  osons 
vous  le  dire,  Ă   vous  qui  nous  interrogez  loyalement,  parce  que  nous 
pensons  que  vous  l'ĂȘtes  autant  que  nous.  Si,  par  le  communisme, 
vous  entendez  qu'Ă   nos  yeux  le  seul  moyen  d'arrĂȘter  l'Ă©lan  dĂ©sor- 
donné de  la  richesse  pour  développer  l'élan  sacré  du  travail,  c'est  la 
protection  accordée  par  l'Etat  à  l'association  vaste  et  toujours  pro- 
gressive des  travailleurs  ;  oui,  nous  sommes  communistes  et  vous  le 
serez  aussi  dĂšs  que  vous  aurez  pris  la  peine  d'examiner  le  problĂšme 
qui  menace  l'existence  de  la  société.  Si,  par  le  communisme,  vous  en- 
tendez une  direction  éclairée,  consciencieuse,  ardente  et  sincÚre,  donnée 
par  l'Etat  au  principe  protecteur  de  l'association,  Ă   l'examen  de  la 
forme  la  plus  applicable,  la  plus  étendue,  la  plus  préservatrice  de  toutes 
les  libertĂ©s  individuelles  et  de  tous  les  intĂ©rĂȘts  lĂ©gitimes  ;  oui,  nous 
sommes  communistes  et  chaque  jour  vous  prouvera  que  vous  ĂȘtes 
forcĂ©s  de  l'ĂȘtre  vous-mĂȘmes... 

L'article  suivant  de  George  Sand,  dans  le  journal  de  Thoré, 
parut  dans  les  numéros  des  11,  12  et  13  mai  et  l'auteur  tùche, 
pendant  que  «  neuf  cents  législateurs  s'agitent  dans  une  grande 


GEORGE   SAND  107 

boĂźte  de  papier  peint,  pour  savoir  quelle  forme  de  gouverne- 
ment va  ĂȘtre  improvisĂ©e,  Ă   la  plus  grande  satisfaction  des  plus 
petites  idées  de  trente-cinq  millions  de  Français...  »,  de  définir 
quelle  est  la  religion  actuelle  de  la  France,  quel  est  son  dogme 
et  quel  culte  serait  Ă   ce  moment  l'expression  de  cette  religion 
et  de  ce  dogme  (1).  Mme  Sand  croit  pouvoir  conclure  qu'il  n'y 
a  plus  en  France  de  religion  dans  le  sens  qu'on  donnait  autre- 
fois à  ce  mot.  Le  christianisme,  tel  que  l'entend  le  elergé,  ne 
satisfait  plus,  selon  elle,  aucun  homme  pensant  ;  le  peuple  eroit 
encore,  mais  ce  n'est  plus  aux  dogmes  et  aux  miracles  d'autre- 
fois... il  ne  garde  que  le  sens  général  de  la  doctrine  chrétienne. 
Et  Fauteur  de  ces  trois  articles  formule  le  petit  catéchisme  sui- 
vant : 

Mais  oĂč  est  le  Dieu?...  H  nTest  plus  enfermĂ©  dans  un  calice  dTor  ou 
d'argent;  son  esprit  plane  librement  dans  le  vaste  univers  et  toute 
ùme  républicaine  est  son  sanctuaire.  Comment  s'appelle  la  religion?... 
Elle  s'appelle  RépuUiquc.  Quelle  est  sa  formule?...  Libellé,  Egalité, 
Fraternité.  Quelle  est  sa  doctrine?...  L1 Evangile,  dégagé  des  surcharges 
et  des  ratures  du  moyen  Ăąge  ;  l'Evangile,  librement  compris  et  inter- 
prĂ©tĂ© par  le  bon  sens  du  peuple.  Quels  sont  ses  prĂȘtres?...  Nous  les 
sommes  tous.  Quels  sont  ses  saints  et  ses  martyrs?...  JĂ©sus  et  tous 
ceux  qui,  avant  et  aprĂšs  lui,  depuis  le  commencement  du  monde  jus- 
qu'à nos  jours,  ont  souffert  et  péri  pour  la  vérité. 

(1)  Ces  trois  articles  sont  réimprimés  dans  le  volume  des  Souvenirs  de 
1848,  sous  le  titre  général  de  Question  de  demain  ;  lors  de  leur  premiÚre  appa- 
rition, ce  titre  manquait  et  les  articles  portaient  simplement  les  titres  de 
la  Religion  de  la  France,  le  Dogme  de  la  France,  le  Culte  de  la  France,  qui  leur 
servent  à  présent  de  sous-titres.  M.  Monin  observe  avec  raison  que,  lors 
de  la  réimpression  du  premier  article,  on  en  a  retranché  tout  un  passage, 
Ă   la  page  100  du  volume  des  Souvenirs  de  1848,  qui,  du  reste,  n'ajoutait  rien 
à  la  gloire  de  l'écrivain.  C'est  un  essai  peu  réussi  de  faire  de  l'esprit  à  propos 
du  «  manque  d'actualité  de  la  question  de  l'existence  de  Dieu  »  (allusion 
à  la  réponse  célÚbre  de  Bul'oz  à  Pierre  Leroux).  Seulement  M.  Monin  a  tort 
&  croire  que  ce  fut  la  seule  fois  que  George  Sand  ait  essayé  de  l'ironie  ;  son 
article  les  Rues  de  Paris  est  plein  d'ironie  et  de  sarcasmes,  nous  ne  dirons  pas 
fort  réussis,  à  l'adresse  des  bourgeois  horripilés  et  poltrons,  et  l'article  le 
PĂšre  Communisme,  dont  nous  parlons  plus  loin,  est  Ă©crit  dans  le  but 
de  s'égayer  aux  dépens  de  la  grand' peur  de  cette  bourgeoisie  et  aux  dé- 
pens des  calomnies  rĂ©pandues  sur  le  compte  de  la  romanciĂšre  elle-mĂȘme  ; 
mais  il  faut  convenir  que  Henri  Heine  avait  trois  fois  raison  en  décrétant  que 
George  Sand  «  manquait  d'esprit»  :  il  perce,  sous  son  ironie,  ce  que  les  com- 
patriotes  de  Heine  appellent  le  galgenlmmor  (ironie  du  gibet),  le  rire  Ă   tra- 
vers les  larmes,  le  désir  de  faire  bonne  mine  à  mauvais  jeu. 


icS  GEORGE   SAND 

Voilà  pourtant  tout  le  dogme  dont  la  France  éclairée  et  tout  ce  qui 
est  éclairé  dans  L'univers  se  contente  depuis  longtemps.  Pourquoi  ne 
s'en  contenterait-on  pas  toujours?...  Il  est  simple  et  court... 

Oh  !  pour  court,  il  Test  !  Quant  au  culte,  Mme  Sand  croit  que 
l'institution  des  FĂȘtes  populaires  symboliques,  fĂȘtes  oĂč  trouve- 
raient leur  expression  les  sentiments  d'égalité,  de  fraternité  et 
d'amour,  conviendrait  Ă   l'Ă©tat  actuel  des  Ăąmes.  En  somme, 
quelque  chose  de  mixte  entre  la  fĂȘte  de  la  FraternitĂ©  du  20  avril 
et  le  Culte  de  la  Raison  de  Robespierre  ;  or,  on  sait  combien  la 
fĂȘte  de  la  Concorde,  organisĂ©e  le  21  mai,  fut  une  chose  avortĂ©e  ! 

Sur  ces  entrefaites  Ă©clata  la  tempĂȘte  du  15  mai.  La  tenta- 
tive des  ultra-révolutionnaires,  Barbes  et  autres,  de  profiter 
d'une  démonstration  en  faveur  de  la  Pologne,  pour  renverser 
l'Assemblée  nationale,  pas  assez  démocratique,  leur  marche  sur 
l'HĂŽtel  de  Ville,  l'envahissement  par  les  factieux  d?  la  salle  des 
séances,  se  terminÚrent  par  la  défaite  des  démocrates,  et  ce  fut 
le  signal  d'un  revirement  général  et  décisif  vers  la  réaction. 
Lamartine,  Marrast  et  les  autres  modérés  crurent  la  répu- 
blique sauvée  :  elle  s'acheminait  à  grands  pas  vers  l'empire. 

Considérant  la  cause  de  la  république  sociale  perdue  et  esti- 
mant que  sa  présence  à  Paris  n'était  plus  d'aucune  utilité,  ayant 
été  prévenue  qu'elle  était  menacée  d'une  descente  domiciliaire, 
d'une  arrestation  et  peut-ĂȘtre  de  quelque  chose  de  pire,  George 
Sand  s'empressa  de  brûler  tous  ses  papiers,  son  journal  intime, 
passa  un  jour  sans  sortir  de  la  maison  (1),  puis  partit  pour 
Xohant. 

On  a  fait  de  nombreuses  recherches  sur  la  date  exacte  Ă  
laquelle  George  Sand  quitta  Paris.  D'aucuns  prétendent  qu'elle 
est  simplement  restée  à  Paris  entre  le  15  mai  et  les  journées  de 
Juin,  se  tenant  prudemment  cachée  ;  d'autres  qu'elle  a  fui  aprÚs 
ces  journées  ;  d'autres  encore  qu'elle  a,  en  toute  hùte,  quitté 
Paris  aprÚs  le  15,  mais  ne  se  voyant  pas  en  sûreté  à  Xohant  non 
plus,  serait  partie  pour  Bourges  ou  Orléans.  Il  est  vrai  que  les 
articles  imprimés  de  George  Sand,  entre  le  13  mai  et  le  7  juin,  ne 

(1)  Elle  avait  déjà  quitté  la  rue  de  Condé  et  demeurait  rue  d'Antin,  n°  14. 


GEORGE   SAND  109 

portent  que  la  date  du  jour,  sans  indication  du  lieu  oĂč  ils  furent 
Ă©crits.  La  seule  Lettre  d'un  ouvrier  carrossier  Ă   sa  femme,  pre- 
miĂšre partie  de  l'article  Paris  et  la  province,  quoiqu'elle  portĂąt 
en  tĂȘte  :  Paris,  le  21  mai,  et  surtout  la  RĂ©ponse  de  la  femme , 
trahissent  leur  provenance  berrichonne.  Les  autres  articles  ne 
portent  aucune  indication  précise  du  lieu;  aussi  le  meilleur 
chroniqueur  du  rÎle  de  George  Sand  en  1848,  M.  Monin,  déclare 
que  la  date  de  son  départ  est  une  question  fort  intéressante, 
mais  qu'elle  n'est  pas  résolue. 

Or,  George  Sand  est  partie  le  17  mai  au  soir;  cette  date  de  son 
départ  de  Paris  appert  des  deux  lettres  inédites  à  Thoré,  d'une 
lettre  inédite  à  Poney,  de  la  lettre  à  Barbes  imprimée  dans  la 
Correspondance  et  enfin  des  lignes  de  sa  Lettre  à  Thoré,  publiée 
dans  le  numéro  du  27  mai  de  la  Vraie  République  : 


Nohant,  18  mai  1848. 
Mon  cher  ami, 

Je  vous  envoie  un  mot  dont  vous  ferez  usage  si  vous  le  jugez  utile. 
Ecrivez-moi  ;  envoyez-moi  le  journal  Ă   la  ChĂątre  (Indre),  Ă   partir  du 
numéro  18.  Donnez-moi  des  nouvelles.  Continuons-nous?  D'ici,  je 
vous  enverrai  du  travail  tant  que  vous  en  voudrez.  Les  Ă©lections 
communales  nous  forcent  d'y  passer  quelques  jours.  Je  ne  sais  ce  que 
vous  déciderez  à  l'égard  du  sous-titre.  Il  faut  retrancher  tous  les  noms 
ou  pas  un  seul.  C'est  Ă   vous  de  tĂąter  les  faits  et  de  voir  ce  qui  convient 
dans  l'intĂ©rĂȘt  de  celui  qui  nous  intĂ©resse  le  plus.  Un  mot,  je  vous  en 
prie. 

A  vous  de  cƓur. 

George. 

On  me  dit  qu'on  a  publié  dans  un  journal,  je  ne  sais  lequel,  que  j'avais 
de  ma  personne  joué  un  rÎle  dans  cette  affaire.  Veuillez  y  faire  ré- 
pondre au  besoin,  dans  la  Vraie  RĂ©publique.  En  passant  entre  trois  et 
quatre  heures  dans  la  rue  de  Bourgogne,  le  15,  j'ai  vu  Ă   la  fenĂȘtre  d'un 
café  une  dame  fort  animée  qui  haranguait  la  manifestation.  Des  hommes 
du  peuple,  qui  Ă©taient  autour  de  moi,  me  dirent  que  c'Ă©tait  George 
Sand  ;  or,  je  vous  assure  que  ce  n'Ă©tait  pas  moi. 

A  cette  premiĂšre  lettre  en  Ă©tait  jointe  une  seconde,  Ă©crite 
ostensiblement  pour  ĂȘtre  montrĂ©e  au  besoin. 


GEORGE   SAND 


18  mai  1818. 
Mon  cher  Tlioré, 

Trouvez-vous  utile  que  je  constate  votre  oliM,  lors  de  la  scĂšne  de 
l"HÎteldeVille,le  15  mai?...  Vous  vous  rappelez  que  nous  avons  causé 
ensemble  et  avec  deux  autres  personnes  au  coin  de  la  rue  du  Bac  et 
du  quai  d'Orsay  pendant  qu'Ă   votre  insu,  on  vous  proclamait  maire 
de  Paris.  Mon  témoignage  est  à  votre  disposition,  vous  le  savez. 

Tout  Ă   vous. 

George  Sur». 

Thoré  ne  profita  pas  de  cette  lettre  et  préféra  la  version  qui 
constatait  son  alibi  indirectement  et  se  trouvait  dans  les  pre- 
miĂšres lignes  de  l'article  de  George  Sand  Ă©crit  de  Nohant  le 
24  mai  et  qui  parut  Je  27  mai  dans  la  Vraie  RĂ©publique  sous 
le  titre  d'une  Lettre  à  Théophile  Thoré. 

Mon  cher  Thoré, 

Je  ne  suis  qu'Ă   dix  heures  de  Paris,  et  je  vous  enverrai  mes  articles 
comme  à  1" ordinaire.  Lorsque  je  vous  ai  rencontré,  le  15,  au  quai 
d'Orsay,  ignorant  comme  vous  ce  qui  se  passait  au  mĂȘme  moment  Ă  
l'HĂŽtel  de  Ville,  je  vous  ai  dit  que  je  partais,  que  j'avais  toujours 
dĂ»  partir  le  lendemain  ;  mais  il  se  faisait  tant  de  bruit  autour  de  nous, 
que  vous  ne  m'avez  pas  entendu  apparemment.  Je  ne  suis  cependant 
parti  que  le  17  au  soir,  parce  qu'on  me  disait  que  je  devais  ĂȘtre  arrĂȘtĂ©  ; 
et,  naturellement,  je  voulais  donner  Ă   la  justice  le  temps  de  me  trouver 
sous  sa  main,  si  elle  croyait  avoir  quelque  chose  Ă   dĂ©mĂȘler  avec  moi. 
Cette  crainte  de  mes  amis  n'Ă©tait  guĂšre  vraisemblable,  et  j'aurais  pu 
faire  l'important  à  bon  marché,  en  prenant  un  petit  air  de  fuite, 
pendant  que  personne  ne  me  faisait  l'honneur  de  penser  Ă   moi,  si  ce 
n'est  quelques  messieurs  de  la  garde  nationale  qui  s'indignaient  de 
voir  oublier  un  conspirateur  aussi  dangereux.  Es  n'ont  pourtant  pas 
été  jusqu'à  dire  que  j'avais  un  dépÎt  de  fusils  et  de  cartouches  dans 
ma  mansarde.. .. 

...  J'Ă©tais  si  peu  du  prĂ©tendu  complot,  —  Ă©crit-elle  Ă   Poney  Ă   la 
mĂȘme  date,  —  que  je  jurerais  presque  qu'il  n'y  a  pas  eu  complot, 
mais  coup  de  tĂȘte  et  enivrement  imprĂ©vu.  De  la  part  de  Barbes  et 
Louis  Blanc,  j'ai  la  complĂšte  certitude  de  l'absence  de  connivence  et  je 
crois  encore  que  le  Moniteur,  qui  n'est  pas  un  Ă©vangile,  n'a  pas  rendu 
un  compte  fidÚle  des  paroles  qu'ils  ont  prononcées  dans  le  tumulte.  En 


GEORGE   SAND  m 

attendant,  ils  sont  insultĂ©s  et  menacĂ©s  comme  des  bĂȘtes  fĂ©roces.  Barbes, 
ce  héros,  ce  martyr,  est  en  prison.  Pierre  Leroux  aussi.  J'ai  été  menacée, 
mais  on  s'est  arrĂȘtĂ©,  je  pense,  devant  l'absurditĂ©  d'un  pareil  soupçon. 
Pourtant,  comme  je  craignais  une  visite  domiciliaire  qui  n'eût  en  rien 
compromis  ni  mes  amis,  ni  moi,  mais  qui  eût  mis  du  désordre  et  le 
coup  d'oeil  du  premier  venu  dans  mes  papiers  de  famille,  aprĂšs  deux 
jours  passés  sans  eneombre  à  Paris,  j'ai  quitté  ma  mansarde  le  17  et 
je  suis  venue  ici  me  mettre  en  mesure  d'attendre  sans  inquiétude  cette 
vexation  qui  n'a  point  eu  lieu  et  qui  n'aura  point  lieu  probablement 
Ne  vous  inquiétez  point  de  moi  au  milieu  de  tout  cela,  je  ne  suis  pas 
malade,  et  les  rudes  fatigues  que  j'ai  éprouvées  sont  dissipées  depuis 
que  j'ai  revu  mon  cher  Nohant... 

...  Je  ne  sais  par  quel  caprice,  —  Ă©crit-elle  le  10  juin  Ă   Barbes,  dĂ©jĂ  
incarcĂ©rĂ©  Ă   Vincennes,  —  il  paraĂźt  qu'on  voulait  me  faire  un  mauvais 
parti  et  mes  amis  me  conseillaient  de  fuir  en  Italie.  Je  n'ai  pas  entendu 
de  cette  oreille-là.  Si  j'avais  espéré  qu'on  me  mßt  en  prison  prÚs  de  vous, 
j'aurais  erié  :  Vive  Barbes!  devant  le  premier  garde  national  que  j'au- 
rais trouvĂ©  nez  Ă   nez.  H  n'en  aurait  peut-ĂȘtre  pas  fallu  davantage. 

...  Mais,  comme  femme,  je  suis  toujours  forcée  de  reculer  devant  la 
crainte  d'insultes  pires  que  des  coups,  devant  ces  sales  invectives  que 
les  braves  de  la  bourgeoisie  ne  se  font  pas  faute  d'adresser  au  plus 
faible,  à  la  femme,  de  préférence  qu'à  l'homme. 

J'ai  quitté  Paris,  d'abord  parce  que  je  n'avais  plus  d'argent  pour 
y  rester,  ensuite  pour  ne  pas  exposer  Maurice  Ă   se  faire  empoigner; 
ce  qui  lui  serait  arrivé  s'il  eût  entendu  les  torrents  d'injures  que  l'on 
exhalait  contre  tous  ses  amis  et  mĂȘme  contre  sa  mĂšre,  dans  cet  immense 
corps  de  garde  qui  avait  remplacé  le  Paris  du  peuple,  le  Paris  de 
Février.  Voyez  quelle  différence  !  Dans  tout  le  courant  de  mars,  je 
pouvais  aller  et  venir  seule  dans  tout  Paris,  Ă   toutes  les  heures,  et 
je  n'ai  jamais  rencontré  un  ouvrier,  un  voyou  qui,  non  seulement  ne 
m'ait  fait  place  sur  le  trottoir,  mais  qui  encore  ne  l'ait  fait  d'un  air 
affable  et  bienveillant.  Le  17  mai,  j'osais  Ă   peine  sortir  en  plein  jour 
avec  mes  amis  :  l'ordre  régnait!... 

Toutes  ces  lettres  nous  permettent  de  préciser  avec  une  abso- 
lue exactitude  le  jour  du  départ  de  George  Sand  pour  Nohant 
(tout  en  ne  nous  laissant  point  convaincre  sur  son  prétendu  calme 
devant  les  répressions  qui  la  menaçaient).  Toutes  les  autres  lettres 
inédites  permettent  aussi  de  constater  qu'à  partir  du  18  mai  (1), 

(1)  Nous  pouvons  ainsi  confirmer  en  passant  l'absolue  exactitude  de  l'in- 
dication de  Mérimée  que  le  dßner  chez  Monkton-Milnes  auquel  assistÚrent 


ii2  GEORGE   SAND 

George  Sand  resta  invariablement  Ă   Xohant  et  ne  le  quitta  point 
jusqu'au  mois  de  décembre  1849  (1). 

Mais  Mme  Sand  tomba  de  Charybde  en  Scylla.  La  réaction 
s'en  donnait  Ă   cƓur  joie  en  Berry,  «  dans  ceBerry  si  romantique, 
si  doux,  si  bon,  si  calme  ».  Les  «  veaux  de  Delaveau  »  avaient 
évidemment  réussi  non  seulement  à  profiter  du  mécontentement 

Mine  Sand  et  M.  de  Tocqueville  eut  effectivement  lieu  non  le  6  juin,  man 
le  6  mai. 

(1)  Elle  alla  à  Paris  au  commencement  de  ce  mois  de  décembre  1849, 
pour  assister  à  la  seconde  représentation  de  François  le  Champi.  C'est  à  ce 
séjour  de  décembre  1849  à  Paris  que  se  rapporte  sa  rencontre  avec  son  vieil 
ami,  le  célÚbre  général  Pepe.  ainsi  qu'une  rencontre  fortuite  avec  le  maréchal 
de  Castellane.  Ce  dernier  écrit  dans  son  Journal  à  la  date  du  16  décembre  1849  : 

«  16  dĂ©cembre  1849.  —  Dans  la  mĂȘme  maison  que  moi  loge  une  Mnie  Mar- 
liani,  femme  d'esprit,  qui  reçoit  une  foule  de  libéraux  ;  elle  est  fort  polie  pour 
moi  et  m'a  beaucoup  engagé  à  aller  chez  elle.  J'y  vais  de  temps  en  temps 
avant  de  sortir.  J'y  suis  monté  ce  soir.  J'y  ai  vu  une  femme  paraissant  assez 
jeune  ;  il  n'y  avait  pas  beaucoup  de  lumiĂšre,  et  je  n'ai  pu  bien  voir  son  visage  ; 
elle  fumait  une  cigarette.  Mme  Marliani  m'a  bientĂŽt,  en  parlant  de  Maurice 
de  Saxe,  dont  George  Sand  descend  du  cÎté  gauche,  fait  comprendre  que 
c'Ă©tait  elle.  George  Sand  aussitĂŽt  une  cigarette  finie  en  prenait  une  autre. 
Il  y  avait  là  un  monsieur  de  beaucoup  d'esprit  qu'on  appelait  «  le  capitaine  » 
et  dont  je  ne  sais  pas  encore  le  nom.  (C'Ă©tait  le  capitaine  d'Arpentigny, 
dont  nous  avons  parlé  dans  notre  vol.  III.  TT7.  K.)  Démocrate  enragé,  il  disait 
que  les  démocrates  étaient  les  plus  forts,  mais  il  s'affligeait,  ainsi  que  George 
Sand  et  un  autre  jeune  homme,  de  leurs  divisions  en  différentes  sectes,  ce 
qui  les  perdrait.  Sur  ces  entrefaites  est  entré  un  monsieur  assez  grand,  gras, 
l'air  commun.  George  Sand  s'est  avancée  vers  lui,  l'a  embrassé  en  lui  disant  : 
*  Il  y  avait  longtemps  que  je  ne  vous  avais  vu.  »  C'était  le  fameux  général 
Pepe...  »  (Journal  du  maréchal  de  Castellane,  t.  IV,  p.  201-202.) 

C'est  à  cet  épisode  aussi  que  se  rapportent  les  lignes  d'une  lettre  inédite  de 
George  Sand  Ă   Mazzini,  datĂ©e  du  30  janvier  (sans  millĂ©sime,  que  mĂȘme  le 
vicomte  de  Spoelberch  était  indécis  de  dater  de  1849  ou  1850  et  que  nous 
pouvns,  à  présent,  dater  en  toute  conscience  de  1850)  : 

«  Le  général  Pepe  est  un  vieux  ami  à  moi,  un  homme  de  bien,  je  vous 
assure.  Que  ses  idées  aient  de  l'étroitesse  et  son  caractÚre  de  la  timidité,  je 
ne  le  nie  pas.  On  accepte  les  imperfections  de  ses  amis,  mais  je  n'aurais  pas 
songé  à  traduire  son  travail  s'il  m'eût  paru  possible  que  vous  y  fussiez  contre- 
dit ou  attaqué  d'une  façon  quelconque. 

«  J'ai  vu  Pepe  à  son  retour  à  Paris  derniÚrement.  Je  l'ai  trouvé  bien  changé 
d'esprit  et  de  santé.  Vieux,  éteint  en  apparence,  mais  voyant  bien  plus  juste, 
et  parlant  des  rois  et  des  peuples  comme  jamais  je  ne  l'aurais  cru  capable  de 
le  faire  ;  cela  ressemblait  Ă   l'oracle  d'un  mourant  qui  voit  clair  au  moment 
de  quitter  la  vie. 

«  Vous  me  dites  et  on  me  dit  qu'il  subit  des  influences  fùcheuses,  voilà 
ce  que  j'ignore.  Mais  soyez  tranquille.  Si  son  Ɠuvre  n'est  pas  ce  qu'elle 
doit  ĂȘtre,  je  m'abstiendrai  et  lui  en  dirai  franchement  et  amicalement  la 
raison. 

«  Je  n'ai  pas  le  temps  de  vous  écrire  aujourd'hui,  je  vous  ai  écrit  une 
énorme  lettre  hier.  Je  vous  embrasse  et  vous  aime  de  toute  mon  ùme.  » 


GEORGE   SAND  113 

des  paysans  contre  l'impĂŽt  de  45  centimes  et  contre  le  chĂŽmage 
des  affaires,  mais  ils  parvinrent  à  répandre  parmi  la  popula- 
tion obscure  des  renseignements  les  plus  exacts  sur  l'ennemi 
juré  du  peuple  et  de  la  bourgeoisie,  l'horrible  vieillard  appelé 
le  PĂšre  Communisme  qui,  aidĂ©  par  M.  le  Duc  Rollin,  s'apprĂȘtait 
Ă   s'approprier  et  Ă   donner  Ă   Mme  Sand  toutes  les  terres  et  toutes 
les  vignes  du  paysan,  et,  ayant  ainsi  introduit  la  loi  agraire 
sui  generis,  et  fait  table  rase  de  la  religion,  du  mariage,  de  la  fa- 
mille, il  fera  en  outre,  «  tuer  tous  les  enfants  en  bas  ùge  et  tous 
les  vieillards  au-dessus  de  soixante  ans  (1)  ».  Quant  à  la  dame  de 
Nouant,  elle  s'est  spécialement  rendue  à  Paris  pour  se  joindre  par 
ses  Ă©crits  Ă   ces  deux  abominables  ennemis  du  genre  humain  (2)( 
et  leur  prĂȘter  aide  et  secours.  Ainsi  donc,  lorsque  cette  bonne 
dame  est  revenue  au  Berry,  la  population  des  campagnes  envi- 
ronnantes, les  mĂȘmes  braves  indigĂšnes  qu'Aurore  Dupin  avait 
connus  dÚs  son  enfance,  que  plus  tard,  elle  avait  soignés, 
pansĂ©s,  enseignĂ©s,  secourus,  et  qu'elle  s'imaginait  ĂȘtre  ses  meil- 
leurs amis,  commencÚrent  à  lui  manifester  une  hostilité  croissante, 
et  ces  mĂȘmes  lachĂątrois,  qui  dans  leur  jeunesse,  Ă©taient  des  habi- 
tués de  sa  maison,  prirent  ouvertement  parti  contre  elle,  et  com- 
mencĂšrent Ă   exciter  les  paysans  et  citadins.  On  passait  devant 
le  mur  de  Nohant  en  criant  :  «  Mort  aux  communistes!  A  bas 
Maurice  DudevantI  A  bas  Mme  Dudevant!  (3)  H  est  vrai  qu'il 
suffisait  à  Aime  Sand  de  se  montrer  pour  que  l'on  se  découvrit 
et  s'Ă©loignĂąt  fort  paisiblement  ;  pourtant  Ă   peine  tournait-elle 
le  dos,  que  les  cris  recommençaient.  L'air  semblait  à  Forage 
et  chargé  d'électricité  à  tel  point,  qu'un  brave  métayer  avait 
dĂ©clarĂ©  que  la  dame  de  Nohant  mĂ©ritait  d'ĂȘtre  enterrĂ©e  vive 
dans  un  fossé  (4).  Tout  cela  Mme  Sand  le  conte  de  la  maniÚre, 
semble-t-il,  la  plus  allÚgre  dans  sa  lettre  du  24  mai,  à  Thoré, 
mais  cet  humour  est  tout  artificiel  et  on  peut  voir  Ă   travers 

(1)  Lettre  à  Thoré  (la  Vraie  République  du  27  mai  1848),  réimprimée 
dans  le  volume  des  Souvenirs  de  1848,  sous  le  titre  le  PĂšre  Communisme. 

(2)  Lettre  Ă   Charles  Delaveau  du  13  avril  1848.  (Corresp.,  t.  III,  p.  25-30.) 

(3)  La  mĂȘme  lettre  et  celle  Ă   Mme  Marliani  de  juillet  1848. 

(4)  Lettre  du  24  mai  à  Thoré  (la  Vraie  République  du  27  mai)  et  lettre 
privĂ©e  du  28  mai  au  mĂȘme. 


M4  GEORGE   SAND 

aisĂ©ment,  que  le  cƓur  de  celui  qui  Ă©crit  ces  lignes  quasi  lĂ©- 
gĂšres, saigne.  Et  lorsqu'elle  dit  : 

...VoilĂ   oĂč  nous  en  sommes,  mon  cher  ThorĂ©.  A  Paris,  on  est  fac- 
tieux dĂšs  qu'on  est  socialiste.  En  province,  on  est  communiste  dĂšs 
qu'on  est  républicain  ;  et  si,  par  hasard,  on  est  républicain-socialiste, 
oh  !  alors,  on  boit  du  sang  humain,  on  tue  les  petits  enfants,  on  bat 
sa  femme,  on  est  banqueroutier,  ivrogne,  voleur,  et  on  risque  d'ĂȘtre 
assassiné  au  coin  d'un  bois  par  un  paysan  qui  vous  croit  enragé,  parce 
que  son  bourgeois  ou  son  curé  lui  ont  fait  la  leçon. 

Ceci  se  passe  en  France,  l'an  premier  de  la  République  démocratique 
et  sociale. 

Nous  avons  dévoué  notre  fortune,  notre,  vie  et  notre  ùme  à  ce  peuple 
qu'on  voudrait  amener  Ă   nous  traiter  comme  des  loups. 

A  lui  quand  mĂȘme  ! 

—  On  sent  des  larmes  amĂšres  cachĂ©es  lĂ -dessous,  larmes  d'in- 
dignation, de  douleur  aiguë  et  cuisante,  causée  par  la  blessure 
faite  par  ces  «  ignorants  ». 

Pendant  que  Mme  Sand  se  voyait  ainsi  conspuée  par  des 
voisins  de  campagne,  à  Paris  et  dans  toute  la  France  sévis- 
sait contre  la  gauche  et  surtout  contre  les  socialistes  des  ri- 
gueurs et  des  poursuites.  On  objectait  Ă   Ledru-Rollin  la  con- 
duite répréhensible,  sinon  criminelle,  de  sa  collaboratrice  de 
naguÚre.  Thoré  était  menacé,  il  devait  se  tenir  caché,  puis 
bientĂŽt  clore  son  journal.  Barbes  Ă©tait  en  prison.  On  dressait 
une  enquĂȘte  contre  Louis  Blanc.  On  commença  une  autre 
enquĂȘte  contre  tous  les  communistes,  socialistes,  et  les  meneurs 
de  l'Ă©meute.  Des  perquisitions,  des  arrestations,  des  procĂšs  et 
des  condamnations  Ă   la  prison,  n'en  finissaient  pas.  On  for- 
mula eontre  George  Sand  elle-mĂȘme  deux  charges  d'accusa- 
tion :  le  Bulletin  u°  16,  oĂč  l'on  crut  voir  une  excitation  du 
peuple,  préméditée  de  longue  date,  aux  événements  du  15  mai 
—  et  la  participation  personnelle  Ă   la  manifestation  ;  on  prĂ©ten- 
dait que  Mme  Sand  aurait  harangué  le  peuple  qui  se  diri- 
geait vers  l'HĂŽtel  de  Ville.  On  fit  une  enquĂȘte  pour  savoir 
qui  avait  rédigé  le  fameux  Bulletin,  donné  le  bon  à  tirer  et 
qui  avait  invité  Mme  Sand  à  rédiger  les  Bulletins. 

Ledru-Rollin  renia  catégoriquement  le  Bulletin  n°  16  :  il  dé- 


GEORGE   SAND  115 

clara  ne  pas  l'avoir  vu.  H  se  trouva  que  le  tour  d'examiner  le 
Bulletin  revenait  Ă   Elias  Regnault,  mais  il  venait  de  perdre  sa 
mÚre  et  n'avait  pu  songer  au  Bulletin  ;  le  Bulletin  fut  envoyé  à 
l'imprimeur  sans  ĂȘtre  revu  par  personne.  Jules  Favre  prĂ©tendit 
encore  qu'il  s'était  «  empressé  »  de  courir  à  la  poste  pour 
«  arrĂȘter  »  l'envoi  du  Bulletin  en  province,  mais  qu'il  Ă©tait 
arrivé  trop  tard;  le  Bulletin,  hélas!  était  expédié  et  avait 
paru.  C'est  alors  que  George  Sand  dĂ©clara  rĂ©solument  ĂȘtre 
l'auteur  du  Bulletin.  Avant  tout,  elle  Ă©crivit  Ă   Ledru-Rollin. 

La  lettre  de  George  Sand  prouve  qu'elle  savait  le  propos 
qu'il  avait  tenu.  Elle  lui  répondit  trÚs  finement  et  trÚs  spiri- 
tuellement, réclamant  courageusement  la  responsabilité  de  ses 
aetes,  montrant  une  fois  de  plus  qu'elle  Ă©tait  un  parfait  honnĂȘte 
homme  et  savait  rendre  le  bien  pour  le  mal. 

En  annonçant  à  Ledru-Rollin,  ce  que  probablement  il  ne  savait 
pas,  qu'elle  rĂ©digeait  dans  la  Vraie  RĂ©publique,  journal  «  oĂč  on 
le  traitait  collectivement  de  Roi,  de  Consul,  de  Dictateur  »,  elle 
le  priait  de  lire  ses  articles  dans  ce  journal  ;  n'Ă©tant  pas  solidaire 
de  la  rédaction,  elle  n'acceptait  aucune  responsabilité  des  attaques 
contre  les  personnes  :  elle  signait  tout  ce  qu'elle  Ă©crivait  ;  elle 
trouvait  donc  sa  position  bien  fausse  dans  ce  journal,  mais 
aprÚs  le  15  mai  «  il  y  aurait  eu  lùcheté  de  se  retirer  ».  Eh  bien, 
elle  adressait  quand  mĂȘme  une  priĂšre  Ă   Rollin  : 

...  Je  vous  demande  une  chose,  c'est  de  me  faire  signe  quand  vous 
consentirez  Ă   ce  que  je  vous  dise  dans  ce  mĂȘme  journal,  qui  vous 
attaque,  et  oĂč  je  garderai  toujours  le  droit  d'Ă©mettre  mon  avis  sous 
ma  responsabilité  personnelle,  ce  que  je  sais  et  ce  que  je  pense  de  votre 
caractÚre,  de  votre  sentiment  poli  tique  et  de  votre  ligue  révolution- 
naire. Si  vous  n'avez  pas  le  temps  d'y  songer,  je  ne  vous  en  voudrai  point 
et  je  ne  me  croirai  pas  indispensable  Ă   votre  justification  auprĂšs  de 
quelques  personnes  dont  le  jugement  ne  vous  est  pas  indispensable 
non  plus.  Mais,  pour  l'acquit  de  ma  conscience,  de  mon  affection,  je 
me  dois  (au  risque  de  faire  l'importante  (1)  de  vous  dire  cela  ;  vous  le 
comprendrez  comme  je  vous  le  donne,  de  bonne  foi  et  de  bon  coeur. 

On  me  dit  ici  que  j'ai  été  compromise  dans  l'affaire  du  15  mai. 
Cela  est  tout  Ă   fait  impossible,  vous  le  savez.  On  me  dit  aussi  que  la 

(1)  C'est  nous  qui  soulignons. 


n6  GEORGE  SAND 

commission  executive  s'est  opposée  à  ce  que  je  fusse  poursuivie. 
Si  cela  est,  je  vous  en  remercie  personnellement  ;  car,  ce  que  je  déteste 
le  plus  au  monde,  c'est  d'avoir  l'air  de  jouer  un  rĂŽle  (1)  pour  le  plaisir 
de  me  mettre  en  Ă©vidence.  Mais  si  l'on  venait  Ă   vous  accuser  de  la 
moindre  partialité  à  mon  égard,  laissez-moi  poursuivre,  je  vous  en 
supplie.  Je  n'ai  absolument  rien  Ă   craindre  de  la  plus  minutieuse  en- 
quĂȘte. Je  n'ai  rien  su  ni  avant  ni  pendant  les  Ă©vĂ©nements,  du  moins 
rien  de  plus  que  ce  qu'on  voyait  et  disait  dans  la  rue.  Mon  jugement 
sur  le  fait,  je  ne  le  cache  pas,  je  l'Ă©cris  et  je  le  signe  ;  mais  je  ne  crois 
pas  que  c'est  lĂ   conspirer. 
Adieu  et  à  vous  de  tout  mon  cƓur. 

:'  Puis,  Ledru-Kollin,  ayant  consenti  Ă   ce  qu'elle  agisse  comme 
elle  l'entendait,  elle  écrivit  à  Girerd,  son  vieil  ami,  alors  député 
à  l'Assemblée,  la  lettre  que  voici  et  que  nous  devons  citer, 
quoiqu'elle  ait  été  publiée  dans  la  Correspondance  : 

Nouant,  6  août  1848. 
Mon  ami, 

Je  suis  en  effet  l'auteur  du  16e  Bulletin,  et  j'en  accepte  toute  la  res- 
ponsabilité morale.  Mon  opinion  est  et  sera  toujours  que  si  l'Assemblée 
nationale  voulait  détruire  la  République,  la  République  aurait  le 
droit  de  se  dĂ©fendre,  mĂȘme  contre  l'AssemblĂ©e  nationale. 

Quant  à  la  responsabilité  politique  du  16e  Bulletin,  le  hasard  a  voulu 
qu'elle  n'appartĂźnt  Ă   personne.  J'aurais  pu  la  rejeter  sur  M.  Ledru- 
Rollin,  de  mĂȘme  qu'on  aurait  fort  bien  pu  ne  pas  rejeter  sur  moi  la 
responsabilitĂ©  morale.  Mais  dans  un  moment  oĂč  le  temps  manquait  Ă  
tout  le  monde,  j'aurais  cru,  moi,  manquer  Ă   ma  conscience,  si  j'avais 
refusé  de  donner  quelques  heures  du  mien  à  un  travail  gratuit,  autant 
comme  argent  que  comme  amour-propre.  C'est  la  premiĂšre  et  ce  sera 
probablement  la  derniĂšre  fois  de  ma  vie  que  j'aurai  Ă©crit  quelques 
lignes  sans  les  signer. 

Mais  du  moment  que  je  consentais  Ă   laisser  au  ministre  la  respon- 
sabilité d'un  écrit  de  moi,  je  devais  aussi  accepter  la  censure  du  mi- 
nistre ou  des  personnes  qu'il  commettait  Ă   cet  examen. 

C'Ă©tait  une  preuve  de  confiance  personnelle  de  ma  part  envers 
ML  Ledru-Rollin,  la  plus  grande  qu'un  Ă©crivain  qui  se  respecte  puisse 
donner  Ă   un  ami  politique. 

H  avait  donc,  lui,  la  responsabilité  politique  de  mes  paroles,  et  les 
cinq  ou  six  Bulletins  que  je  lui  ai  envoyés  ont  été  examinés.  Mais  le 

(1)  C'est  encore  nous  qui  soulignons. 


GEORGE   SAND  117 

16e  Bulletin  est  arrivĂ©  dans  un  moment  oĂč  M.  Elias  Regnault,  chef  du 
cabinet,  venait  de  perdre  sa  mĂšre.  Personne  n'a  donc  lu,  apparemment, 
le  manuscrit  avant  de  l'envoyer  Ă   l'imprimerie.  J'ignore  si  quelqu'un 
en  a  revu  l'Ă©preuve.  Je  ne  les  revoyais  jamais,  quant  Ă   moi. 

Un  moment  de  désordre  dans  le  cabinet  de  M.  Elias  Regnault, 
désordre  qu'il  y  aurait  cruauté  et  lùcheté  à  lui  reprocher,  a  donc  pro- 
duit tout  ce  scandale,  que,  pour  ma  part,  je  ne  prévoyais  guÚre  et 
n'ai  jamais  compris  jusqu'à  présent. 

Comme,  jusqu'Ă   ce  fameux  Bulletin,  il  n'y  avait  pas  eu  un  mot  Ă  
retrancher  dans  mes  articles,  ni  le  ministre,  ni  le  chef  du  cabinet 
n'avaient  heu  de  s'inquiéter  extraordinairement  de  la  différence  d'opi- 
nion qui  pouvait  exister  entre  nous.  . 

Apparemment,  M.  Jules  Favre,  secrétaire  général,  qui,  je  crois, 
rédigeait  en  chef  le  Bulletin  de  la  République,  était  absent  ou  préoccupé 
aussi  par  d'autres  soins.  Il  est  donc  injuste  d'imputer  au  ministre 
ou  à  ses  fonctionnaires  le  choix  de  cet  article  parmi  trois  projets  ré- 
digĂ©s sur  le  mĂȘme  sujet,  dans  des  nuances  diffĂ©rentes.  Je  n'ai  pas  le 
talent  assez  souple  pour  tant  de  rédactions  et  c'eût  été  trop  exiger 
de  mon  obligeance  que  de  me  demander  trois  versions  sur  la  mĂȘme 
idĂ©e.  Je  n'ai  jamais  connu  trois  maniĂšres  de  dire  la  mĂȘme  chose,  et 
je  dois  ajouter  que  le  mĂȘme  sujet  ne  m'Ă©tait  point  dĂ©signĂ©. 
; .  Une  autre  circonstance  que  je  me  rappelle  exactement  et  qu'il 
est  bon  d'observer,  c'est  que  l'article  avait  été  envoyé  par  moi  le 
mardi  12  avril,  alors  qu'il  n'Ă©tait  pas  plus  question,  dans  mon  esprit, 
des  événements  du  16,  que  dans  les  prévisions  de  tous  ceux  qui  vivent 
comme  moi  en  dehors  de  la  politique  proprement  dite.  Par  suite  de 
la  préoccupation  douloureuse  du  chef  du  cabinet,  cet  article  n'a  paru 
que  le  16  :  c'est  dire  assez  que,  dans  l'agitation  oĂč  se  trouvaient  alors 
les  esprits,  on  a  voulu  Ă   tort  donner,  Ă   des  craintes  que  j'avais  Ă©mises, 
d'une  maniÚre  générale,  une  signification  particuliÚre. 

Voilà  ma  réponse  aux  explications  que  tu  me  demandes.  Pour  ma 
part,  il  m'est  absolument  indifférent  qu'on  incrimine  mes  pensées  ; 
je  ne  reconnais  Ă   personne  le  droit  de  m'en  demander  compte  et  aucune 
loi  n'autorise  Ă   chercher  au  fond  de  ma  conscience  si  j'ai  telle  ou  telle 
opinion.  Or,  un  Ă©crit  que  l'on  compte  soumettre  Ă   un  contrĂŽle  avant 
de  le  publier,  et  que,  dans  cette  prévision,  on  ne  se  donne  le  soin  ni 
de  peser,  ni  de  relire,  est  un  fait  inaccompli,  ce  n'est  rien  de  plus  qu'une 
pensée  qui  n'est  pas  encore  sortie  de  la  conscience  intime. 

Mais  peu  importe  ce  qui  me  concerne.  Je  devais  seulement  à  la  vérité 
et  à  l'amitié  de  te  raconter  ce  qui  entoure  ce  fait,  c'est-à-dire  la  part 
qu'on  accuse  certaines  personnes  d'y  avoir  prise. 

Si  le  16e  Bulletin  a  été  un  brandon  de  discorde  entre  républicains, 
ce  que  j'Ă©tais  loin  d'imaginer  durant  les  cinq  Ă   dix  minutes  que  je 


nS  GEORGE   SAND 

passai  à  l'écrire,  il  ne  fut  pas  écrit  du  moins  en  prévision  ou  en  espé- 
rance de  l'événement  du  15  mai,  que  je  n'approuve  en  aucune  façon 
Jt  crois  que  tu  me  connais  assez  pour  savoir  que,  si  je  l'avais  approuvé 
avant  et  pendant,  ce  ne  serait  pas  l'insuccÚs  qui  me  le  ferait  désavouer 
aprĂšs. 
A  toi  de  cƓur,  mon  ami. 

Le  lendemain,  7  août,  Mme  Sand  écrivit  encore  une  fois  à 
Girerd  Ă   ce  mĂȘme  propos,  et  nous  devons  encore  citer  plusieurs 
passages  de  cette  lettre  publiée,  car  elle  est  trop  importante 
pour  la  biographie  de  George  Sand  : 

...  H  y  a  assez  longtemps  qu'on  m'ennuie  avee  ce  16e  Bulletin.  J'ai 
dédaigné  de  répondre  à  toutes  les  attaques  indirectes  des  journaux  de 
la  réaction.  Ma  réponse,  conforme  à  l'exacte  vérité,  est  dans  la  lettre 
que  je  t'ai  envoyée  hier  et  dont  je  t'autorise  à  faire  usage  quand 
tu  jugeras  convenable,  soit  en  la  communiquant,  soit  en  la  faisant 
imprimer  dans  un  journal  de  notre  opinion.  J'aurais  pu  l'Ă©crire  pins 
tÎt  ;  mais  je  voulais  laisser  à  M.  Ledru-Rollin  le  soin  de  désavouer 
ce  Bulletin  comme  il  l'entendrait  ;  les  explications  que  le  rapport  pré- 
tend avoir  reçues  de  hauts  fonctionnaires  ne  sont  pas  conformes  à  la 
vérité,  et  tu  comprendras  qu'il  me  plaise  peu  de  passer  pour  son 
rédacteur  payé,  apparemment,  puisqu'on  suppose  que  j'envoyais 
divers  projets,  parmi  lesquels  on  choisissait  la  nuance,  je  tiens  Ă   garder 
l'attitude  qui  me  convient  comme  Ă©crivain,  et  Ă   laquelle  je  n'ai  jamais 
manqué,  ni  comme  dignité,  ni  comme  modestie,  ni  comme  désintéres- 
sement. 

Avise  donc  de  toi-mĂȘme  ;  car  je  prends  ici  conseil  de  toi,  sur  ce  que 
tu  dois  faire  de  ma  lettre.  Je  désire  rétablir  la  vérité  en  ce  qui  me 
concerne,  et  c'est  aussi  défendre  M.  Ledru-Roflm  que  de  me  défendre 
moi-mĂȘme.  C'est  la  seule  occasion  convenable  peut-ĂȘtre  que  f  aurai 
de  le  faire  ;  car,  le  rapport  oublié,  il  serait  de  mauvais  goût  de  ramener 
sur  moi  l'attention  pour  un  fait  personnel,  comme  vous  dites  Ă   l'As- 
semblĂ©e. Peut-ĂȘtre  aussi  faut-il  attendre  que  M.  Ledru-Rollin  s'en 
explique  lui-mĂȘme?  ConfĂšres-en  avec  lui,  ce  sera  utile,  et  montre-lui 
mes  lettres  si  tu  veux. 

...Je  crois  que  tu  dois  blĂąmer,  toi,  l'homme  de  la  douceur  et  de  la 
prudence  généreuse,  la  brutalité  du  16e  Bulletin,  Pardonne-moi  ce 
péché,  que  je  ne  puis  appeler  un  péché  de  jeunesse.  Je  ne  reviendrai 
pas  sur  ce  que  je  t'ai  éerit  hier  du  fait  non  accompli  dans  ma  réflexion, 
et  pourtant  accompli  par  le  vouloir  d'un  hasard  singulier.  Ma  défense, 
lĂ -dessu?,  n'est  point  trop  mĂ©taphysique,  elle  est  simple  et  mĂȘme  naĂŻve, 
je  crois.  Mais  aprĂšs  tout,  je  ne  me  repens  pas  tien  sincĂšrement,  je  te 


GEORGE  SAND  n9 

le  confesse,  de  cette  énormité.  Je  suis  sincÚre  en  te  disant  que  je  n'ai 
jamais  donnĂ©  dans  le  15  mai.  L'AssemblĂ©e  n'avait  pas  mĂ©ritĂ©  d'ĂȘtre 
traitée  si  brutalement  Le  peuple  n'avait  pas  droit  ce  jour-là.  Il  ne 
s'agissait  pas  pour  lui  de  sauver  la  RĂ©publique  par  ces  moyens  extrĂȘmes 
qu'il  n'a  mission  d'employer  que  dans  les  cas  désespérés.  D'ailleurs, 
il  n'Ă©tait  pas  lĂ ,  le  peuple,  puisqu'on  ne  s'est  pas  battu.  Quelques 
groupes  socialistes  n'ont  pas  le  droit  ft  imposer  leur  systĂšme  Ă   la  France 
qui  recule;  mais,  quand  je  disais  dans  l'abominable  16e  Bulletin 
que  le  peuple  a  droit  de  sauver  la  RĂ©publique,  j'avais  si  fort 
raison,  que  je  remercie  Dieu  d'avoir  eu  cette  inspiration  si  impo- 
litique. Tout  le  monde  l'avait  aussi  bien  que  moi  ;  mais  il  n'y  avait 
qu'une  femme  assez  folle  pour  oser  l'écrire.  Aucun  homme  n'eût  été 
assez  bĂȘte  et  assez  mauvaise  tĂȘte  pour  faire  tomber  de  si  haut  une 
vérité  si  banale.  Le  hasard,  qui  est  quelquefois  la  Providence,  s'est 
trouvé  là  pour  que  l'étincelle  mßt  le  feu.  J'en  rirais  sur  l'échafaud,  si 
cela  devait  m'y  envoyer.  Le  bon  Dieu  est  quelquefois  si  malin  1 

Mais  que  M.  Ledru-Rollin  s'en  défende,  je  le  veux  de  tout  mon  coeur, 
et  je  l'y  aiderai  tant  qu'il  voudra.  Je  l'eusse  fait  plus  tÎt  s'il  ne  m'eût 
dit  que  cela  n'en  valait  pas  la  peine.  Pourtant  puisque  l'accusation  de 
ce  fait  prend  place  dans  les  choses  officielles,  hĂątons-nous  de  dire  la 
vérité.  Ce  que  je  n'accepte  pas,  c'est  que  M.  Elias  Regnault  ou  quelque 
autre  (je  ne  sais  pas  qui)  arrange  la  vérité  à  sa  maniÚre. 

Nous  voyons  donc  que  George  Sand  en  acceptant  toute  la 
responsabilité  raoTale  du  16e  Bulletin  s'empressait  de  décharger 
et  de  défendre  les  autres. 

Quant  Ă   sa  participation  Ă   l'Ă©vĂ©nement  mĂȘme  du  15  mai,  il 
existe  deux  versions  :  d'aprÚs  la  premiÚre  elle  avait  assisté  à  la 
séance  de  l'Assemblée  et  avait  été  vue  dans  la  tribune  du  corps 
diplomatique  parmi  les  dames  peu  nombreuses  qui  y  Ă©taient 
restées  bravement  jusqu'à  la  fin,  n'ayant  quitté  la  tribune  qu'au 
moment  oĂč  l'ordre  fut  donnĂ©  de  la  faire  Ă©vacuer  (1). 

D'autre  part,  George  Sand  convient  qu'elle  a  suivi  en 
qmlité  de  spectateur  le  cortÚge  populaire,  mais  elle  nie  carré- 
ment avoir  pris  part  à  la  conspiration  ou  avoir  harangué  le 
peuple.  H  faut  noter  le  fait  Ă©trange  que  Mme  Sand,  ainsi  que 
son  fils,  prirent  pour  nier  la  chose  et  pour  réfuter  «  les 
bruits  qui  couraient  un  ton  badin,  humoristique,  d'une  légÚreté 

(1)  Selon  la  mention  au-dessous  d'une  lithographie  de  l'époque,  «  Le  15  mai, 
dessiné  d'aprÚs  nature  par  François  Bonhomme.  » 


i2o  GEORGE   SAND 

voulue  et  nullement  adaptée  à  la  gravité  des  circonstances  », 
comme  le  remarque  trĂšs  judicieusement  M.  Monin.  C'est  sur  ce 
ton  que  Mme  Sand  Ă©crivit  le  20  mai  Ă   CaussidiĂšre  qui  n'Ă©tait 
plus  alors  le  préfet  de  police,  mais  qui  l'était  le  15  mai. 

Nohant,  le  20  mai  1848. 
Citoyen, 

J'Ă©tais,  le  15  mai,  dans  la  rue  de  Bourgogne,  mĂȘlĂ©e  Ă   la  foule,  curieuse 
et  inquiĂšte  comme  tant  d'autres,  de  l'issue  d'une  manifestation  qui 
semblait  n'avoir  pour  but  qu'un  vƓu  populaire  en  faveur  de  la  Po- 
logne. En  passant  devant  un  cafĂ©,  on  me  montra  Ă   la  fenĂȘtre  du  rez- 
de-chaussée  une  dame  fort  animée,  qui  recevait  une  sorte  d'ovation 
de  la  part  des  passants  et  qui  haranguait  la  manifestation.  Les  per- 
sonnes qui  se  trouvaient  à  mes  cÎtés  m'assurÚrent  que  Gette  dame 
Ă©tait  George  Sand  ;  or,  je  vous  assure,  citoyen,  que  ce  n'Ă©tait  pas  moi, 
et  que  je  n'étais  dans  la  foule  qu'un  témoin  de  plus  du  triste  événe- 
ment du  15  mai. 

Puisque  j'ai  l'occasion  de  vous  fournir  un  détail  de  cette  étrange 
journée,  je  veux  vous  dire  ce  que  j'ai  vu. 

La  manifestation  était  considérable,  je  l'ai  suivie  pendant  trois 
heures.  C'Ă©tait  une  manifestation  pour  la  Pologne,  rien  de  plus  pour 
la  grande  majorité  des  citoyens  qui  l'avaient  augmentée  de  leur  con- 
cours durant  le  trajet,  et  pour  tous  ceux  qui  l'applaudissaient  au 
passage.  On  était  surpris  et  charmé  du  libre  accÚs  accordé  à  cette 
manifestation  jusqu'aux  portes  de  l'Assemblée.  On  supposait  que 
des  ordres  avaient  été  donnés  pour  laisser  parvenir  les  pétitionnaires  ; 
nul  ne  prévoyait  une  scÚne  de  violence  et  de  confusion  au  sein  de  la 
représentation  nationale.  Des  nouvelles  de  l'intérieur  de  la  Chambre 
arrivaient  au  dehors.  L'AssemblĂ©e,  sympathique  au  vƓu  du  peuple,  se 
levait  en  masse  pour  la  Pologne  et  pour  l'organisation  du  travail,  disait- 
on.  Les  pétitions  étaient  lues  à  la  tribune  et  favorablement  accueillies. 

Puis,  tout  à  coup,  on  vint  jeter  à  la  foule  stupéfaite  la  nouvelle 
de  la  dissolution  de  l'Assemblée  et  la  formation  d'un  pouvoir  nouveau 
dont  quelques  noms  pouvaient  rĂ©pondre  au  vƓu  du  groupe  passionnĂ© 
qui  violentait  l'Assemblée  en  cet  instant,  mais  nullement,  j'en  réponds, 
au  vƓu  de  la  multitude.  Aussitît,  cette  multitude  se  dispersa,  et  la 
force  armée  put,  sans  coup  férir,  reprendre  immédiatement  possession 
du  pouvoir  constitué. 

Je  n'ai  point  Ă   rendre  compte  ici  des  opinions  et  des  sympathies  de 
telle  ou  telle  fraction  du  peuple  qui  prenait  part  Ă   la  manifestation  ; 
mais  toute  voix  en  France  a  le  droit  de  s'Ă©lever  en  ce  moment  pour 
dire  à  l'Assemblée  nationale... 


GEORGE    SAND  121 

Et  George  Sand  dit  alors,  déjà  sérieusement,  qu'il  aurait  fallu, 
selon  elle,  avertir  l'Assemblée  de  ne  pas  se  détourner  du 
peuple  et  de  ne  pas  tourner  à  la  franche  réaction,  par  crainte 
d'une  minorité  factieuse. 

De  son  cÎté,  Maurice  Sand,  dans  sa  lettre  à  Charles  Duplomb, 
auteur  d'une  Monographie  de  la  rue  du  Bac  (1),  réfutait  comme 
suit  la  légende  accréditée  qui  prétendait  que  George  Sand  aurait 
Ă©tĂ©  vue  Ă   la  fenĂȘtre  d'un  cafĂ©  prononçant  un  discours  devant  la 
foule  rassemblée  : 

...  Il  est  complÚtement  faux  que  ma  mÚre  ait  harangué  la  foule  an 
quai  d'Orsay.  C'est  une  dame  A...  qui,  le  15  mai  1848,  Ă©tait  dans 
ledit  café  (d'Orsay)  et  faisait  de  la  révolution  parlementaire.  Quelques 
imbéciles,  en  la  voyant,  criÚrent  ou  rirent  une  farce  aux  autres  badauds, 
en  criant  :  Vive  George  Sand!  La  bonne  dame,  enchantĂ©e  d'ĂȘtre  prise 
pour  ma  mĂšre,  salua  la  populace  et,  entre  plusieurs  bocks,  se  paya 
plusieurs  speechs.  Je  l'ai  vue  et  entendue,  parce  qu'un  des  badauds 
là  présents  m'a  pris  à  partie  en  me  disant  :  «  Venez  donc  crier  :  Vive 
George  Sand  !  »  Moi,  de  rire  de  la  fumisterie  en  disant  :  «  Ce  n'est  pas 
George  Sand,  c'est  Mme  A...,  femme  de  lettres.  Quant  Ă   George  Sand, 
je  la  connais  bien,  puisque  c'est  ma  mÚre.  »  Votre  pÚre  (2)  a  dû  vous 
raconter  la  chose,  car  j'Ă©tais  avec  lui  ce  jour-lĂ ,  le  15  mai,  Ă   l'assaut 
de  l'AssemblĂ©e  nationale,  d'oĂč  nous  avons  Ă©tĂ©  pour  prendre  les  canons 
de  l'Ecole  militaire,  oĂč  nous  n'avons  rien  pris  que  des  bocks  en  route, 
et  d'oĂč  nous  nous  sommes  rabattus  sur  l'HĂŽtel  de  Ville.  JournĂ©e  mĂ©- 
morable et  des  plus  hilarantes  que  j'aie  passées  ! 

George  Sand  raconta  toutefois  la  journée  du  15  mai  et  les 
choses  qu'elle  vit  et  entendit  alors  autrement  que  sous  la  forme 
d'une  défense  badine  de  sa  personne.  Le  28  mai  et  le  5  juin 
parurent,  dans  la  Vraie  RĂ©publique,  ses  deux  Feuilletons  popu- 
laires :  la  Lettre  d'Antoine  G.  ouvrier  carrossier  Ă   Paris  et  la 
RĂ©ponse  de  Gabrielle  G.  Ă   son  mari  Antoine  G.,  (3).  C'est  dans 

(1)  Monographie  de  la  rue  du  Bac.  (Paris,  in-8°,  1894.) 

(2)  Charles  Duplomb  Ă©tait  fils  d'Adolphe  Duplomb.  Ce  dernier,  sur- 
nommé HydrogÚne,  apothicaire  à  la  Chùtre,  était  grand  ami  d'Aurore  Dude- 
vant  et  de  son  frĂšre,  Hippolyte  ChĂątiron,  et  leur  compagnon  d'escapades  et 
de  parties  de  plaisir.  George  Sand  en  parle  dans  le  morceau  autobiogra- 
phique, Un  voyage  chez  M.  Biaise  (volume  des  DerniĂšres  Pages),  ainsi  que 
dans  ses  lettres  de  jeunesse.  (Voir  Corresp.,  t.  Ier.) 

(3)  Réimprimées  dans  le  volume  des  Souvenirs  de  1848,  sous  le  titre  de 
Paris  et  la  province. 


122  GEORGE   SAND 

ces  feuilletons  que,  déjà  sérieusement  et  simplement,  avec  cet 
art  achevé  et  cette  pénétration  géniale  de  la  psychologie  popu- 
laire qui  lui  sont  propres,  George  Sand  fait  raconter  «  l'ÉvĂ©ne- 
ment du  15  mai  »,  par  un  simple  ouvrier,  point  fanatique,  mais 
conscient  de  ses  droits  et  de  ses  devoirs. 

Antoine  G.  ne  voulait  prendre  part  Ă   aucune  manifestation, 
parce  qu'il  avait  ouï-dire  que  c'est  l'affaire  des  «  meneurs  » 
et  quant  Ă   mi,  il  «  ne  se  mĂȘlait  pas  de  la  politique  des  bour- 
geois »  ;  mais  il  se  rendit  quand  mĂȘme  Ă   l'HĂŽtel  de  Ville,  lorsqu'il 
entendit  battre  le  rappel,  parce  qu'on  lui  avait  dit  qu'on  tirait 
sur  le  peuple  dans  les  environs  de  l'Assemblée.  H  faillit  se  trou- 
ver au  nombre  des  «  factieux  »  et  n'échappa  que  par  hasard  au 
danger  d'ĂȘtre  Ă©crasĂ©  par  la  cavalerie.  Dans  sa  logique  toute  rec- 
tiligne,  il  jugea  que  si  mĂȘme  les  meneurs  qui  voulaient  pro- 
clamer leur  propre  gouvernement,  avaient  tort,  les  bourgeois 
qui  se  rĂ©jouissaient  de  cette  occasion  d'Ă©touffer  le  peuple,  — 
jusqu'alors  le  maĂźtre  de  la  position,  —  Ă©taient  bien  plus  fautifs 
encore.  Selon  Antoine  G.  et  ses  amis  :  Coquelet,  Bergerac, 
Vallier  et  Laurent,  une  fois  que  les  bourgeois  provoquaient  les 
«  blouses  »,  il  fallait  prendre  les  armes,  parce  que  celui  qui 
commence  le  premier  Ă   tirer  contre  le  peuple,  sous  quelque 
prétexte  que  ce  fût,  est  un  ennemi  du  peuple. 

Le  peuple  n'entend  rien  à  la  politique,  il  «  ne  connaßt  ni  Blan- 
qui,  ni  Dieu,  ni  diable  dans  ces  affaires  ;  il  ne  sait  qu'une  chose, 
c'est  que  le  peuple  est  malheureux  et  qu'on  le  nourrit  de  coups 
de  fusil...  »  Une  fois  que  les  bourgeois  crient  «  A  bas  Barbes  », 
pour  cette  seule  raison  Coquelet  voulait  crier  «  Vive  Barbes  », 
au  risque  de  se  faire  arrĂȘter  ou  Ă©charper  par  les  furieux  de  l'ordre, 
et  ce  ne  sont  que  ses  amis  qui  l'en  empĂȘchĂšrent  en  le  «  prenant 
au  coDet  ». 

«  Nous  tombùmes  tous  d'accord  qu'il  fallait  aller  chercher  nos  armée 
et  obéir  au  rappel  ;  mais  nous  y  avons  tous  été  avec  l'intention  bien 
arrĂȘtĂ©e  de  tirer  sur  le  premier  habit  qui  tirerait  sur  une  blouse,  car, 
dans  ce  moment  d'Ă©tonnement  oĂč  nous  ne  comprenions  rien  du  tout 
Ă   tout  ce  qui  se  passait,  nous  sentions  que  Coquelet  Ă©tait  mieux  ins- 
pirĂ© par  son  cƓur  que  nous  ne  rayions  Ă©tĂ©  par  la  raison.  Oui,  oui, 


GEORGE  SAND  123 

criait  Bergerac,  quand  mĂȘme  ce  serait  Barbes  qui  tirerait  sur  la  blouse, 
ot  quand  mĂȘme  la  blouse  cacherait  Guizot,  malheur  Ă   qui  touchera 
Ă   la  blouse!  Coquelet  a  raison.  VoilĂ   toute  notre  politique  Ă   nous 
autres  (1).  » 

On  voit  bien  que  le  carrossier  Antoine  G.  se  tenait,  dans  la 
foule  au  coin  de  la  place  de  Bourgogne,  tout  prĂšs  de  l'auteur 
du  Feuilleton  populaire,  parce  qu'il  ne  partage  pas  seulement 
ses  sentiments  pour  Barbes,  mais  encore  son  récit  est  d1uii 
intĂ©rĂȘt  palpitant,  plein  d'observations  fines  et  spirituelles  et 
témoigne  d'une  profonde  connaissance  de  l'ùme  populaire.  Or 
il  connaissait  aussi  cette  Ăąme  celui  qui  guidait  la  plume  de  Ga- 
brielle  G.,  dans  sa  réponse  à  son  mari;  elle  fut  sûrement  écrite 
de  Nohant,  de  Vie  ou  de  Saint-Chartier  :  sa  lettre  trahit  sa 
présence  dans  le  voisinage  de  l'amie  prétendue  du  PÚre  Com- 
munisme et  de  M.  le  Duc  Rollin.  Fort  heureusement,  Gabrielle  G. 
n'avait  point  prĂȘtĂ©  l'oreille  aux  discours  des  «  veaux  de  Dela- 
veau  »,  ni  des  autres  lachùtrois,  horripilés  par  le  fantÎme  des 
lois  agraires  ;  elle  voit  et  comprend  parfaitement  ce  qu'il  faut 
au  paysan  et  qui  sont  ses  vrais  amis,  et  elle  en  parle  simple- 
ment et  avec  chaleur. 

Nous  voyons  donc  que  George  Sand  avait  bravement  accepté 
la  responsabilitĂ©  du  16e  Bulletin,  qu'elle  s'Ă©tait  empressĂ©e  Ă   ĂȘtre 
utile  à  Ledru-Rollm  et  à  Théophile  Thoré.  Puis,  lorsque  la  réac- 
tion croissante  se  déchaßna  contre  "Louis  Blanc  et  les  racon- 
tars bourgeois  calomniÚrent  et  déchirÚrent  Barbes,  l'ennemi 
déjà  prisonnier,  alors  George  Sand,  qui  dans  son  Journal  intime 

(1)  Daniel  Stern  a  marquĂ©  d'une  pierre  blanche  cette  petite  Ɠuvre  de 
George  Sand,  et  c'est  avec  une  pointe  de  sarcasme  bien  Ă©vidente  qu'aprĂšs 
avoir  dit  :  «  Le  peuple  à  son  tour  murmurait.  Les  ateliers  nationaux  com- 
mençaient à  laisser  paraßtre  des  dispositions  hostiles...  La  presse  communiste, 
un  moment  silencieuse,  reprenait  le  ton  menaçant,  et,  laissant  de  cÎté  les 
questions  politiques,  elle  posait  ce  fatal  antagonisme  entre  la  bourgeoisie 
et  le  peuple  qui  devait,  Ă   peu  de  temps  de  lĂ ,  Ă©clater  (Tune  maniĂšre  si  for- 
midable. Les  républicains  éclairés  ne  voyaient  pas  sans  chagrin  de  grands 
talents  s'employer  Ă   cette  Ɠuvre  de  dissolution...  ».  Elle  ajoutait  en  note  : 
i  Un  article  de  Mme  Sand,  entre  autres,  publié  dans  la  Vraie  République, 
le  28  mai,  fit  sensation.  Elle  mettait  dans  la  bouche  d'un  ouvrier,  qui  racon- 
tait à  sa  femme  la  journée  du  15  mai,  l'explication  que  voici  : ...  »  Puis  Daniel 
Stern  citait  le  morceau  que  nous  donnons  dans  le  texte  :  «  Nous  tombùmes 
tous  d'accord...  »,  etc. 


124  GEORGE   SAND 

et  dans  ses  lettres,  jugeait  sévÚrement  Louis  Blanc,  comme 
un  «  meneur  »  et  un  «  sectaire  »  et  allait  jusqu'à  se  moquer  de 
<(  cette  grande  ambition  dans  un  petit  corps  »  (1)  ;  qui  appelait 
Barbes  un  «  factieux  »  et  «  pire  qu'un  factieux  »,  parce  qu'il  se 
laissait  gouverner  par  la  néfaste  maxime  :  Qui  veut  la  fin  veut 
les  moyens,  maxime  si  justement  réprouvée  par  George  Sand 
comme  criminelle,  —  alors  cette  mĂȘme  George  Sand,  disons-nous, 
prit  ouvertement  la  défense  de  Louis  Blanc  et  de  Barbes  dans 
le  journal  de  Thoré.  Elle  y  publia  deux  articles  sur  Louis 
Blanc  (2),  et  un  article  sur  Barbes  (3).  De  plus,  le  7  août, 
George  Sand  envoya  à  Giierd  une  lettre  de  Milnes  (reçue  le  8 
ou  le  10  juin),  «  qui  peut  servir  à  la  défense  de  Louis  Blanc.  »  Et 
on  ne  peut  assez  apprécier  ces  deux  courageuses  et  nobles  levées 
de  lances  en  faveur  d'hommes  dont  les  noms  mĂȘmes  Ă©taient 
prononcés  «  avec  horreur  et  terreur  »,  comme  ceux  de  malfaiteurs 
et  de  meurtriers  sanguinaires. 

A  Barbes  lui-mĂȘme,  incarcĂ©rĂ©  Ă   Vincennes  et  qui  avait  Ă©crit  Ă  
George  Sand  pour  lui  dire  qu'il  Ă©tait  sain  et  sauf,  elle  Ă©crit  le 
10  juin  de  Nohant  : 

Je  n'ai  reçu  votre  lettre  qu'aujourd'hui  10  juin,  cher  et  admirable 
ami.  Je  vous  remercie  de  cette  bonne  pensée,  j'en  avais  besoin  ;  car 
je  n'ai  pas  passé  une  heure  depuis  le  15  mai,  sans  penser  à  vous  et  sans 
me  tourmenter  de  votre  situation.  Je  sais  que  cela  vous  occupe  moins 
que  nous  ;  mais  enfin  il  m'est  doux  d'apprendre  qu'elle  est  devenue 
matériellement  supportable. 

Ah  !  oui,  je  vous  assure  que  je  n'ai  pas  goûté  la  chaleur  d'un  rayon 
de  soleil  sans  me  le  reprocher,  en  quelque  sorte,  en  songeant  que  vous 

(1)  V.  plus  haut,  p.  9. 

(2)  Le  premier  article,  Louis  Blanc,  réimprimé  dans  le  volume  des  Sou- 
venirs de  1848,  sous  le  titre  de  Louis  Blanc  au  iMxembourg,  parut  dans  la 
Vraie  RĂ©publique,  le  2  et  3  juin. 

Le  second,  qui  parut  le  11  juin,  fut  écrit  en  forme  de  simple  Lettre  à  Théo- 
phile Thoré.  Dans  le  volume  des  Souvenirs  de  1848,  on  le  munit  d'un  sous- 
titre  :  Sur  la  mise  en  accusation  de  Louis  Blanc,  et  pourtant  la  rédaction  de 
la  Vraie  République  l'avait  fait  précéder  de  la  petite  note  que  voici  :  «  Cet 
article  n'est  pas  une  défense.  Il  nous  a  été  envoyé  par  notre  collahorateur 
avant  qu'on  connût  les  projets  d'accusation  qui  en  font  un  article  de  circons- 
tance. > 

(3)  Parut  dans  la  Vraie  République,  le  9  juin,  réimprimé  aussi  dans  le 
volume  des  Souvenirs  de  1848. 


GEORGE   SAND  125 

en  étiez  privé.  Et  moi  qui  vous  disais  :  «  Trois  mois  de  liberté  et  de 
soleil  vous  guériront.  » 

On  m'a  dit  que  j'Ă©tais  complice  de  quelque  chose,  je  ne  sais  pas  quoi, 
par  exemple.  Je  n'ai  eu  ni  l'honneur  ni  le  mérite  de  faire  quelque  chose 
pour  la  cause,  pas  mĂȘme  une  folie  ou  une  imprudence,  comme  on  dit  ; 
je  ne  savais  rien,  je  ne  comprenais  rien  Ă   ce  qui  se  passait;  j'Ă©tais  lĂ  
comme  curieux,  étonné  et  inquiet,  et  il  n'était  pas  encore  défendu, 
de  par  les  lois  de  la  RĂ©publique,  de  faire  partie  d'un  groupe  de  badauds. 
Les  nouvelles  les  plus  contradictoires  traversaient  la  foule.  On  a  été 
jusqu'à  nous  dire  que  vous  aviez  été  tué.  Heureusement  cela  a  été 
démenti  au  bout  d'un  instant  par  une  autre  version.  Mais  quelle  triste 
et  pénible  journée  ! 

Le  lendemain  était  lugubre  !  Toute  cette  population  armée,  furieuse 
ou  consternée,  le  peuple  provoqué,  incertain,  et  à  chaque  instant  des 
légions  qui  passaient  criant  à  la  fois  :  Vive  Barbes!  et  A  bas  Barbes! 
H  y  avait  encore  de  la  crainte  chez  les  vainqueurs.  Sont-ils  plus  calmes 
aujourd'hui  aprÚs  tout  ce  développement  de  terrorisme?  J'en 
doute. 

Viennent  les  lignes  qui  se  rapportent  Ă   elle-mĂȘme  et  que  nous 
avons  citées  plus  haut  (1),  puis  elle  continue  : 

...  Mais  c'est  bien  assez  vous  parler  de  moi.  Je  n'ose  pas  vous  parler 
de  vous  :  vous  comprenez  pourquoi.  Mais  si  vous  pouvez  lire  des  jour- 
naux, et  si  la  Vraie  République  du  9  juin  vous  est  arrivée,  vous  aurez 
vu  que  je  vous  écrivais  en  quelque  sorte  avant  d'avoir  reçu  votre  lettre. 
Ne  faites  attention  dans  cet  article  qu'au  dernier  paragraphe.  Le 
reste  est  pour  cet  ĂȘtre  Ă   toutes  facettes  qu'on  appelle  le  public,  la 
fin  Ă©tait  pour  vous... 

Ce  «  dernier  paragraphe  »  oĂč  George  Sand  tĂąchait  de 
prouver  combien  il  Ă©tait  injuste  d'accuser  Barbes  d'une  action 
criminelle,  alors  qu'il  avait  voulu  prévenir  une  rencontre 
sanglante  entre  le  peuple  et  le  gouvernement  était  rédigé 
ainsi  : 

...  Mais  parmi  les  hommes  d'exception  qui  donnent  tout  sans  vou- 
loir jamais  rien  recevoir,  l'homme  dont  je  parle  est  un  des  plus  purs, 
des  plus  grands,  des  plus  fanatiques,  si  ce  mot  peut  s'appliquer  au 
dévouement  et  au  renoncement.  Cet  homme  est  né  pour  le  sacrifice, 

(1)  V.  plus  haut,  p.  111. 


t»6  GEORGE    SAND 

pour  le  martyre,  et  parmi  ceux  qui  le  blĂąment,  il  n'en  est  pas  un  seul 
qui  ne  l'aimerait  et  ne  l'admirerait,  s'il  le  connaissait  particuliĂšre- 
ment 

Zslais  qui  ne  le  connaßt?  qui  n'a  déjà  reconnu  Barbes  à  ce  que  je 
viens  d'en  dire?  Barbes  qui,  au  fond  de  sa  prison,  n'a  point  encore 
eu  d'autre  préoccupation,  d'autre  souci  que  la  crainte  de  voir  des 
innocents  compromis  dans  sa  eause?  Qui  n'a  senti,  en  lisant  les  lettres 
de  Barbes  au  colonel  Rey  et  Ă   Louis  Blanc,  qu'une  grande  Ăąme  Ă©tait 
aux  prises  avec  une  terrible  destinée?  Un  mot  bien  simple  du  colonel 
Rey  a  frappĂ©  tous  les  cƓurs  en  France  d'un  choc  Ă©lectrique  !  Merci, 
honnĂȘte  homme!  Oui,  honnĂȘte  homme!  Ce  titre-lĂ   est  grand  comme  le 
monde  aujourd'hui,  aussi  grand,  aussi  rare  que  le  génie  de  Napoléon 
dans  le  passé... 

...  Quant  Ă   toi,  Barbes,  rappelle-toi  le  mot  de  l'enfer  dans  Faust  : 
Pour  avoir  aimé,  tu  mourras!  Oui,  pour  avoir  aimé  ton  semblable, 
pour  t'ĂȘtre  dĂ©vouĂ©  sans  rĂ©serve,  sans  arriĂšre-pensĂ©e,  sans  espoir  de 
compensation  à  l'humanité,  tu  seras  brisé,  calomnié,  insulté,  déchiré 
par  elle.  J'ignore  si  le  fer  de  la  guillotine  est  à  jamais  brisé  pour  les 
dissidences  politiques.  Tu  l'as  déjà  vu  de  prÚs,  et  son  éclair  ne  te  ferait 
point  cligner  les  yeux.  Mais  déjà,  à  demi  mort  dans  les  cachots  de  la 
monarchie,  tu  recommences  ton  agonie  dans  les  cachots  de  La  RĂ©pu- 
blique. Je  crois  fermement  que  la  justice  du  pays  t'absoudra,  j'espĂšre 
encore  dans  l'idée  qui  préside  aux  destinées  de  la  République.  Mais, 
tu  n'en  seras  pas  moins  persécuté,  durant  les  jours  qui  te  restent  à 
vivre,  par  l'idée  contraire,  toute-puissante  eneore  chez  la  plupart  des 
hommes.  Tu  mourras  Ă   la  peine  d'un  Ă©ternel  combat,  car  les  forces 
humaines  ne  suffisent  pas  Ă   la  lutte  que  ces  temps-ci  ont  vu  naĂźtre,  et 
que  ni  toi  ni  moi  ne  verront  finir.  Reste  donc  calme  !  Tu  as  choisi 
la  souffrance,  la  prison,  l'exil,  la  persécution  et  la  mort  Tu  seras 
exaucé,  toi  dont  l'ambition  était  de  mourir  pour  la  cause  du  peuple. 
Peut-ĂȘtre  mĂȘme  connaĂźtras-tu  cette  suprĂȘme  douleur,  peut-ĂȘtre  boiras- 
tu  ce  dernier  calice,  d'ĂȘtre  maudit  par  des  insensĂ©s,  Ă   l'heure  oĂč  tu 
rendras  Ă   Dieu  ton  Ăąme  sans  souillure.  Mais  tu  crois  Ă   la  vie  Ă©ternelle 
et  d'ailleurs,  tandis  que  le?  ennemis  du  peuple  te  jetteront  une  derniĂšre 
pierre,  le  peuple  te  criera  par  la  bouche  de  ceux  qui  t'aiment  :  Merci, 
honnĂȘte  homme! 

Et  nous  de  notre  part  nous  dirons  :  Ă   l'heure  oĂč  rĂ©gnait  parmi 
l'opposition  une  panique,  un  abattement  et  un  ahurissement 
gĂ©nĂ©ral,  oĂč  la  rĂ©action  triomphait  sur  toute  la  ligne,  Ă   cette 
heure-lĂ ,  George  Sand,  qui  adressait  ainsi  publiquement  la  pa- 
role au  prisonnier  Barbes,  prouva  qu'elle  Ă©tait,  elle  aussi,  non 


GEORGE   SAND  \ij 

seulement  un  honnĂȘte  homme,  mais  aussi  une  femme  eourageuse, 
une  Ăąme  sans  peur. 

A  partir  de  cette  Ă©poque,  et  jusqu'Ă   la  mort  de  Barbes, 
fûtril  en  prison  ou  en  exil,  Mme  Sand  entretint  avec  lui  une 
correspondance  suivie. 

Elle  le  considérait  comme  un  homme  d'un  autre  monde,  «  le 
Bayard  de  la  révolution  »,  et  le  traitait  avec  un  respect  sans 
bornes  et  un  tendre  dévouement. 

A  peine  deux  jours  aprĂšs  le  second  article  sur  Louis  Blanc, 
éclatÚrent  les  horribles  journées  de  Juin  :  frappée  d'horreur 
et  de  dégoût,  George  Sand  se  tut,  dans  la  presse  du  moins.  Quant 
à  ses  lettres  innombrables,  écrites  cet  été,  publiées  ou  inédites, 
elles  sont  pleines  d'amertume  désespérées.  Elle  assure  ses  corres- 
pondants de  sa  foi  en  l'avenir  du  peuple  et  au  triomphe  flna  lde 
la  libertĂ©,  —  ne  fĂ»t-ce  que  dans  un  avenir  bien  Ă©loignĂ©,  —  mais 
un  dĂ©sespoir  profond  se  laisse  quand  mĂȘme  deviner  Ă   travers  ses 
paroles.  Son  ami  Rollinat  s'efforçait,  comme  toujours,  de  sou- 
tenir son  courage,  de  ranimer  son  Ă©nergie,  il  lui  conseillait 
d'abandonner  momentanément  la  politique,  de  revenir  à  la 
poésie  et  justement  à  ce  genre  de  littérature  qui  avait  toujours 
été  une  consolation  aux  époques  de  cataclysmes  politiques  ou  de 
déchéance  morale,  aux  bergeries.  Ses  conversations  et  ses  dis- 
putes avec  Rollinat,  George  Sand  les  a  transcrites  dans  la  char- 
mante Préface  à  la  Petite  Fadette,  écrite  en  septembre  1848,  et 
anuoncée  sous  le  titre  de  :  Pourquoi  nous  sommes  revenus  à  nos 
moutons,  dans  le  Spectateur  RĂ©publicain.  Le  roman  parut  dans 
le  Crédit,  le  1er  décembre.  Nous  avons  deux  fois  déjà  parlé  de 
cette  Préface  : 

Et  tout  en  parlant  de  la  RĂ©publique  que  nous  rĂȘvons  et  de  celle 
que  nous  subissons  —  Ă©crit  George  Sand  —  nous  Ă©tions  arrivĂ©s  Ă  
l'endroit  du  chemin  ombragĂ©  oĂč  le  serpolet  invite  au  repos. 

—  Te  souviens-tu,  dit-il,  que  nous  passions  ici  il  y  a  un  an  et  que 
nous  nous  y  sommes  arrĂȘtĂ©s  tout  un  soir?  Car  c'est  ici  que  tu  me  ra- 
contas l'histoire  du  Champi  et  que  je  te  conseillai  de  l'Ă©crire  dans  le 
style  familier  dont  tu  t'Ă©tais  servi  avec  moi. 

—  Et  que  j'imitais  de  la  maniùre  de  notre  chanvreur?  Je  m'en  sou- 
viens, et  il  me  semble  que  depuis  ce  jour-là  nous  avons  vécu  dix  ans. 


128  GEORGE   SAND 

—  Et  pourtant  la  nature  n'a  pas  changĂ©,  reprit  mon  ami  :  la  nuit 
est  toujours  pure,  les  Ă©toiles  brillent  toujours,  le  thym  sauvage  sent 
toujours  bon... 

—  L'art  est  comme  la  nature,  lui  dis-je;  il  est  toujours  beau.  Il 
est  comme  Dieu  qui  est  toujours  bon  ;  mais  il  est  des  temps  oĂč  il  se 
contente  d'exister  Ă   l'Ă©tat  d'abstraction,  sauf  Ă   se  manifester  plus 
tard  quand  ses  adeptes  en  seront  dignes.  Son  souffle  ranimera  alors 
les  lyres  longtemps  muettes  ;  mais  pourra-t-il  faire  vibrer  celles  qui 
se  seront  brisĂ©es  dans  la  tempĂȘte?  L'art  est  aujourd'hui  en  travail 
de  décomposition  pour  une  éclosion  nouvelle.  H  est  comme  toutes  les 
choses  humaines,  en  temps  de  révolution,  comme  les  plantes  qui 
meurent  en  hiver  pour  renaßtre  au  printemps.  Mais  le  temps  fait  périr 
beaucoup  de  germes.  Qu'importent  dans  la  nature  quelques  rieurs  ou 
quelques  fruits  de  moins?  Qu'importent  dans  l'humanité  quelques 
voix  Ă©teintes,  quelques  cƓurs  glacĂ©s  par  la  douleur  ou  par  la  mort? 
Non,  l'art  ne  saurait  me  consoler  de  ce  que  souffrent  aujourd'hui  sur 
la  terre  la  justice  et  la  vérité.  L'art  vivra  bien  sans  nous.  Superbe  et 
immortel  comme  la  poésie,  comme  la  nature,  il  sourira  toujours  sur 
nos  ruines.  Nous  qui  traversons  ces  jours  nĂ©fastes,  avant  d'ĂȘtre  artistes, 
tĂąchons  d'ĂȘtre  hommes  ;  nous  avons  bien  autre  chose  Ă   dĂ©plorer  que 
le  silence  des  Muses... 

—  ...  La  poĂ©sie  est  quelque  chose  de  plus  que  les  poĂštes,  c'est  en  dehors 
d'eux.  Les  révolutions  n'y  peuvent  rien.  0  prisonniers  !  Î  agonisants  ! 
captifs  et  vaincus  de  toutes  les  nations,  martyrs  de  tous  les  progrĂšs  ! 
Il  y  aura  toujours  dans  le  souffle  de  l'air  que  la  voix  humaine  fait 
vibrer  une  harmonie  bienfaisante  qui  pénétrera  vos  ùmes  d'un  reli- 
gieux soulagement.  Il  n'en  faut  mĂȘme  pas  tant,  le  chant  de  l'oiseau, 
le  bruissement  de  l'insecte,  le  murmure  de  la  brise,  le  silence  mĂȘme  de 
la  nature,  toujours  entrecoupé  de  quelques  mystérieux  sons  d'une 
indicible  Ă©loquence.  Si  ce  langage  furtif  peut  arriver  jusqu'Ă   votre 
oreille,  ne  fût-ce  qu'un  instant,  vous  échapper  par  la  pensée  au  joug 
cruel  de  l'homme,  et  votre  ùme  plane  librement  dans  la  création. 

...  Tout  affligés  et  malheureux  que  nous  sommes,  on  ne  peut  nous 
Îter  cette  douceur  d'aimer  la  nature  et  de  nous  reposer  dans  sa  poésie. 
Eh  bien,  puisque  nous  ne  pouvons  plus  donner  que  cela  aux  malheu- 
reux, faisons  encore  de  l'art  comme  nous  l'entendions  naguĂšre,  c'est- 
à-dire  célébrons  tout  doucement  cette  poésie  si  douce  ;  exprimons-la 
comme  le  suc  d'une  plante  bienfaisante  sur  les  blessures  de  l'hu- 
manité... 

—  ...  Puisqu'il  en  est  ainsi,  dis-je  à  mon  ami,  revenons  à  nos  mou- 
tons, c'est-Ă -dire  Ă   nos  bergeries... 

...  Je  suis  si  las  de  tourner  dans  un  cercle  vicieux  en  politique,  si 
ennuyĂ©  d'accuser  la  minoritĂ©  qui  gouverne,  pour  ĂȘtre  forcĂ©  tout  aus- 


GEORGE   SAND  129 

sitÎt  de  reconnaßtre  que  cette  minorité  est  l'élue  de  la  majorité,  que 
je  voudrais  oublier  tout  cela,  ne  fût-ce  que  pendant  une  soirée,  pour 
Ă©couter  ce  paysan  qui  chantait  tout  Ă   l'heure,  ou  toi-mĂȘme,  si  tu 
voulais  me  dire  un  de  ces  contes  que  le  chanvreur  de  ton  village  t'ap- 
prend durant  les  veillées  d'automne... 

—  Eh  bien,  allons  le  chercher,  dit  mon  ami,  tout  rĂ©joui  d'avance  ; 
et  demain  tu  écriras  son  récit  pour  faire  suite  avec  la  Mare  au  Diable 
et  François  le  Champi  à  une  série  de  contes  villageois,  que  nous  inti- 
tulerons classiquement  les  Veillées  du  chanvreur. 

—  Et  nous  dĂ©dierons  ce  recueil  Ă   nos  amis  prisonniers  ;  puisqu'il  nous 
est  défendu  de  leur  parler  politique,  nous  ne  pouvons  que  leur  faire 
des  contes  pour  les  distraire  ou  les  endormir.  Je  dédie  celui-ci  en  par- 
ticulier Ă   Armand... 

—  Inutile  de  le  nommer,  reprit  mon  ami  :  on  verrait  un  sens  cachĂ© 
dans  ton  apologue,  et  on  découvrirait  là-dessus  quelque  abominable 
conspiration.  Je  sais  bien  qui  tu  veux  dire,  et  il  le  saura  bien  aussi, 
lui,  sans  que  tu  traces  seulement  la  premiĂšre  lettre  de  son  nom. 

C'est  ainsi  que  la  Petite  Fadette  se  trouve  ĂȘtre  dĂ©diĂ©e  Ă   Armand 
Barbes  et  prouve  une  fois  de  plus  que  George  Sand  n'oubliait 
pas  ses  amis  tombés  dans  le  malheur;  au  contraire,  elle  semble 
vouloir  ostensiblement  confirmer  sa  piété  amicale  à  ceux  qui, 
en  ce  moment,  souffraient  en  prison  de  la  justice  des  hommes 
et  étaient  encore  condamnés  à  la  réprobation  et  à  la  médisance 
générale. 

En  ce  mĂȘme  Ă©tĂ©  de  1848,  George  Sand  eut  aussi  l'occasion  de 
défendre  Michel  Bakounine.  Nous  reviendrons  à  ce  propos  un 
peu  en  arriÚre  et  puis  nous  anticiperons  un  peu  sur  les  évé- 
nements de  cette  année,  afin  de  raconter  les  relations  de 
Mme  Sand  avec  les  deux  grands  émigrés  russes,  Herzen  et 
Bakounine,  et  avec  quelques  autres  membres  de  l'Ă©migration 
internationale. 

Herzen  et  Bakounine  avaient  toujours  hautement  apprécié 
George  Sand.  Tous  ceux  qui  ont  lu  les  Ă©crits  de  Herzen  con- 
naissent trop  bien  ses  opinions,  la  plupart  enthousiastes,  sur 
ses  romans  ;  chacun  d'eux  provoquait  un  échange  d'idées  des 
plus  animés  entre  Herzen  et  ses  amis  russes  :  Ogarew,  Basile 
Botkine,  Annenkow,  Biélinski,  etc..  Toutefois  Herzen  ne  se  con- 
tentait pas  de  donner  toute  son  attention  Ă   chaque  nouvelle 


i3o  GEORGE  SAND 

Ɠuvre  de  l'illustre  femme,  son  nom  revient  constamment  sous 
sa  plume  à  tout  propos  :  «  George  Sand  aurait  à  cette  occasion 
fait  ceci  »,  dit-il,  «  George  Sand  a  envisagé  cela  ainsi  ».  Ces 
renvois  constants  Ă   George  Sand  sont  trop  connus  pour  que 
nous  nous  y  arrĂȘtions.  Mais,  ce  qu'on  ignore  absolument,  c'est 
que  Herzen  s'adressa  Ă   Mme  Sand  pour  avoir  son  juge- 
ment sur  une  affaire  toute  personnelle.  Nous  avons  copié 
quelques  lettres  inédites  de  Bakounine,  de  Herzen,  et  d'autres 
Ă©migrĂ©s  qui  furent  mĂȘlĂ©s  aux  deux  Ă©pisodes  les  plus  intĂ©res- 
sants de  ces  relations  de  l'illustre  femme  et  de  ces  deux  grands 
exilés. 

George  Sand  connut  Bakounine  dĂšs  1844  (1),  c'est-Ă -dire 
Ă   l'Ă©poque  oĂč  Louis  Blanc  et  ses  amis  se  mirent  Ă   la  tĂȘte 
de  la  RĂ©forme,  dont  Bakounine  fut  aussi  l'un  des  collabora- 
teurs. 

Nous  n'avons  pas  de  documents  se  rapportant  Ă   ces  toutes 
premiÚres  années  des  relations  entre  George  Sand  et  Bakounine, 
mais  il  est  Ă   croire  qu'elles  furent  trĂšs  amicales,  car  lorsqu'Ă   la 
fin  de  1847,  Ă   la  veille  mĂȘme  de  la  rĂ©volution  de  1848,  Bakou- 
nine fut,  sur  les  instances  de  l'ambassadeur  russe,  le  comte 
Kisselew,  banni  de  France,  il  adressa  Ă   George  Sand  la  lettre 
suivante  que  nous  copions  sur  l'autographe  : 

Madame, 

Profitant  de  la  permission  que  vous  avez  bien  voulu  m'accorder  en 
partant,  je  prends  la  liberté  de  vous  adresser  un  petit  discours  que 
j'ai  prononcé  dans  une  réunion  polonaise.  C'est  bien  peu  de  chose 
sous  le  rapport  littéraire,  mais  je  regarde  cette  premiÚre  manifestation 
comme  le  commencement  sĂ©rieux  d'une  Ɠuvre  bonne  et  grande,  d'une 
action  que  je  ne  crois  pas  seulement  possible,  mais  nécessaire,  inévi- 
table, et  c'est  uniquement  Ă   ce  titre  que  je  la  soumets  Ă   votre  juge- 
ment. J'espÚre,  madame,  que  vous  avez  foi  dans  la  sincérité  de  mes 
intentions,  et  que  vous  me  pardonnerez  la  pauvreté  ainsi  que  les  fautes 

(1)  Arnold  Ruge,  républicain  allemand  fort  connu,  dit  dans  ses  Souvenirs 
de  Bakounine  (Neue  Freie  Presse  de  1878)  que  ce  fut  lui,  Ruge,  qui  avait 
présenté  Bakounine  à  George  Sand  ainsi  qu'à  Chopin, 


GEORGE   SAND  i3I 

du  langage  en  faveur  de  la  grandeur  et  de  la  sainteté  de  mon 
but. 

Agréez,  madame,  l'assurance  de  mon  dévouement  ainsi  que  de  mon 
profond  respect. 

M.  BakounĂŻne. 

Parts,  rue  Saint-Dominique,  96,  faubourg  Saint-Germain. 

Je  viens  de  recevoir  Ă   l'instant  mĂȘme  l'ordre  de  quitter  Paris  et 
la  France,  pour  avoir  troublé  Tordre  et  la  tranquillité  publique.  Permet- 
tez-moi donc,  madame,  avant  de  partir,  de  vous  exprimer  ma  gratitude 
pour  la  bienveillance  et  la  bonté  que  vous  m'avez  toujours  témoi- 
gnées ;  croyez  à  mon  dévouement  profond,  inaltérable,  et  gardez  un 
petit  souvenir  Ă   un  homme  qui  vous  a  vĂ©nĂ©rĂ©e,  avant  mĂȘme  d'avoir 
fait  votre  connaissance,  car  vous  avez  été  pour  lui  souvent  et  dans  les 
moments  les  plus  tristes  de  la  vie  une  consolation  et  une  lumiĂšre. 

Mon  adresse,  si  vous  voulez  bien  me  répondre,  est  :  Paris.  Rue  de 
Bourgogne,  4,  Faubourg  Saint-Germain.  M.  Reichel,  professeur  de 
musique,  pour  remettre  Ă   M.  Bacfc. 

Nous  avons  retrouvé  aussi  la  réponse  de  George  Sand  à 
Bakounine  : 

Je  ne  sais  pas,  monsieur,  si  la  poste  a  cru  devoir  me  supprimer  votre 
envoi,  mais  je  ne  l'ai  point  reçu.  J'avais  lu  par  fragments  dans  les 
journaux  les  belles  paroles  que  vous  avez  prononcées  et  pour  les- 
quelles vous  savez  bien  que  mon  approbation  sincĂšre  et  ma  vive  sym- 
pathie vous  Ă©taient  acquises,  puisqu'elles  sont  l'expression  de  sen- 
timents que  je  partage  avec  vous  depuis  que  j'existe.  Ces  sentiments 
sont  plus  méritoires  chez  vous  que  chez  moi,  car  vous  leur  avez  fait 
de  grands  sacrifices,  et  ils  attirent  sur  vous  une  persécution  qui  vous 
atteint,  mĂȘme  en  France,  ce  noble  pays  qui  use  les  derniers  anneaux 
de  sa  chaßne  et  qui  réparera  tous  les  crimes  qu'on  commet  en  son 
nom.  La  mesure  odieuse  prise  contre  vous  indigne  toutes  les  Ăąmes 
honnĂȘtes,  vous  n'en  pouvez  pas  douter.  Elle  contriste  la  mienne  en 
particulier,  croyez-le  bien.  J'espĂšre  pour  mon  pays  (et  je  crois  trop 
Ă   l'action  divine  pour  croire  Ă   un  long  abaissement  de  la  France)  que 
vous  y  rentrerez  avant  longtemps  et  que  je  vous  serrerai  encore  la 
main  avec  toute  l'estime  que  je  vous  dois  et  l'intĂ©rĂȘt  que  je  vous  porte. 

George  Sand. 
Nohant,  1er  janvier  1848, 


i32  GEORGE   SAND 

George  Sand  Ă©crit  Ă   ce  propos  Ă   son  fils  : 

Nohant,  7  février  1848, 

...  Tu  ne  savais  donc  pas  que  Bakounine  avait  été  honni  par  notre 
honnĂȘte  gouvernement.  J'ai  reçu  une  lettre  de  lui  il  y  a  un  mois  en- 
viron et  je  crois  te  l'avoir  lue,  mais  tu  ne  t'en  souviens  pas.  Je  lui  ai 
répondu,  avouant  que  nous  étions  gouvernés  par  de  la  canaille,  et 
que  nous  avions  grand  tort  de  nous  laisser  faire.  Au  reste,  l'Italie  est 
sens  dessus  dessous.  La  Sicile  se  déclare  indépendante  ou  peu  s'en 
faut,  Naples  est  en  révolution  et  le  roi  cÚde.  Ces  nouvelles  sont  cer- 
taines à  présent.  Seulement,  voilà  tout  ce  qu'ils  y  gagneront,  c'est 
qu'ils  passeront  du  gouvernement  despotique  au  constitutionnel,  de 
la  brutalité  à  la  corruption,  de  la  terreur  à  l'infamie,  et  quand  ils 
en  seront  lĂ ,  ils  feront  comme  nous,  ils  y  resteront  longtemps  (1). 

Non,  je  ne  crois  pas  non  plus  Ă   la  chimĂšre  du  pĂŽtu  (2). 
Nous  sommes  une  génération  de  foireux  et  le  Dieu  nouveau  s'appelle 
Circulas  (3)  Lisez  m...  TĂąchons  dans  notre  coin  de  ne  pas  devenir 
ignobles,  afin  que  si,  sur  mes  vieux  jours,  ou  sur  les  tiens,  il  y  a  un  chan- 
gement à  tout  cela,  nous  puissions  en  jouir  sans  rougir  de  notre  passé..." 

Bakounine  avait  reçu  la  réponse  de  George  Sand  et  lui  avait 
de  nouveau  écrit,  comme  on  le  voit  par  la  lettre  inédite  de 
Mme  Viardot  Ă   Mme  Sand  : 

15  février  1848. 

...  Je  vous  envoie  une  lettre  de  Bakounine.  VoilĂ   bientĂŽt  huit  jours 
que  ma  lettre  est  commencée,  je  veux  absolument  qu'elle  parte  au- 
jourd'hui. Si  vous  voulez  répondre  à  Bakounine,  envoyez-moi  la  lettre 
et  je  la  ferai  parvenir.  Notre  ami  allemand  dont  vous  avez  quelquefois 
lu  des  passages  traduits  de  ses  lettres  politiques  à  moi  adressées  (Dieu  ! 
quelle  singuliĂšre  phrase  !),  est  dans  ce  moment  Ă   Paris  et  il  sait  toujours 
la  cachette  de  Bakounine  (4). 

(1)  Cf.  avec  ce  que  George  Sand  dit  dans  sa  lettre  inédite  à  Mazzini  que 
nous  avons  donnée  à  la  page  16,  et  avec  les  lignes  du  Piccinino  citées  dans 
le  chapitre  vu. 

(2)  Sobriquet  de  Victor  Borie. 

(3)  Voir  ce  que  nous  avons  dit  sur  cette  doctrine  de  Leroux  aux  pages  6 
et  415  des  chapitres  i  et  rv  du  volume  III.  Les  lignes  que  nous  donnons 
entre  crochets  sont  tronquées  et  changées  dans  la  Correspondance,  George 
Sand  met  les  mots  en  toutes  lettres. 

(4)  On  voit  par  une  lettre  de  Bakounine  au  poĂšte  Herwegh  (Voir  le  volume 
des  Lettres  de  et  à  Herwegh  publié  en  1904)  que  Bakounine  avait  envoyé  sa 
lettre  par  l'intermédiaire  de  cet  «  ami  allemand  »,  le  docteur  Mûller. 


GEORGE   SAND  133 

On  sait  que  Bakounine  revint  en  France  dĂšs  que  la  RĂ©publique 
fut  proclamée,  mais  il  paraßt  que  lui  et  Mme  Sand  se  virent  peu 
ou  point  :  George  Sand  Ă©tant  le  6  mars  partie  pour  Nohant,  y 
resta  jusqu'au  20-21  ;  Bakounine  séjourna  à  Paris,  notamment  en 
mars,  et  le  quitta  peu  aprÚs  la  journée  du  17.  Le  révolutionnaire 
russe  Golovine  assure  qu'au  17  mars,  lors  de  la  manifestation  du 
prolétariat  contre  la  garde  nationale,  Bakounine  aurait  marché  à 
la  tĂȘte  d'une  bande  d'ouvriers.  Herzen  dit  dans  ses  Souvenirs  que 
Bakounine  vivait  en  pleine  tempĂȘte  politique  comme  un  poisson 
dans  l'eau,  conspirant,  pérorant,  haranguant  les  ouvriers  des  fau- 
bourgs, passant  son  temps  dans  les  casernes  des-  Montagnards  ; 
qu'il  avait  horripilĂ©  par  ses  discours  ultra,  mĂȘme  les  reprĂ©sentants 
des  partis  aussi  extrĂȘmes  que  CaussidiĂšre  et  Flocon,  qui  se  sont 
empressés  de  l'envoyer...  faire  de  la  propagande  politique  en 
Allemagne,  le  munissant  mĂȘme  d'une  petite  somme  d'argent. 

C'est  justement  alors,  Bakounine  s'efforçant  à  y  organiser 
les  forces  révolutionnaires  internationales  et  à  les  faire  agir  d'un 
commun  accord,  que  George  Sand  dut  un  jour  intervenir  en 
sa  faveur.  Et  notamment  Karl  Marx  inséra  dans  sa  Nouvelle 
Gazette  Rhénane,  qui  paraissait  à  Cologne,  une  correspondance 
calomnieuse  prétendant  que  George  Sand  avait  entre  ses  mains 
la  preuve  que  Bakounine  Ă©tait  un  agent  du  gouvernement  russe. 
Cette  Correspondance  de  Paris  Ă   la  date  du  3  juillet,  parut  dans 
le  numéro  36  de  la  dite  Gazette  et  était  ainsi  conçue  : 

On  suit  ici  d'un  Ɠil  attentif,  malgrĂ©  tous  nos  troubles  intĂ©rieurs, 
les  luttes  des  Slaves,  en  BohĂȘme,  Hongrie  et  Pologne.  A  propos  de  la 
propagande  slave  on  nous  communiquait  hier  que  George  Sand  aurait 
acquis  des  papiers  trÚs  compromettants  pour  le  Eusse  exilé  d'ici, 
Michel  Bakounine,  en  laissant  constater  que  c'Ă©tait  un  outil  ou  un 
agent  nouvellement  acquis  par  la  Russie,  auquel  incombaient  la  plu- 
part des  arrestations  des  malheureux  patriotes  polonais  survenues 
en  ces  derniers  jours.  George  Sand  avait  montré  ces  papiers  à  quelques 
intimes.  Nous  n'avons  ici  rien  Ă   objecter  contre  un  royaume  slave,  mais 
il  n'en  sera  jamais  créé  par  la  trahison  contre  des  patriotes  polonais... 

Bakounine  qui,  toujours  dans  le  but  de  faire  de  la  propagande 
en  Russie,  s'Ă©tait  entre  temps  rendu  Ă   Breslau,  aprĂšs  avoir 


i34  GEORGE   SAN'D 

séjourné  à  Bruxelles,  Cologne  et  Dresde,  s'adressa  à  George  Sand 
en  la  priant  de  réfuter  cette  calomnie.  Cette  premiÚre  lettre, 
parait-il,  ne  parvint  pas  Ă   sa  destination.  Alors  l'ami  de  Bakou- 
nine, Adolphe  Reichel,  lui  adressa  une  seconde  lettre  que  nous 
copions  textuellement  sur  l'autographe. 

Madame, 

Chargé  par  mon  ami  Bakounine,  j'ai  l'honneur  de  vous  communi- 
quer ci-aprÚs  la  copie  d'une  de  ses  lettres,  dont  l'original  vous  a  été 
déjà  envoyé  de  Breslau,  il  y  a  huit  jours,  mais  dont  il  n'est  pas  sûr 
qu'il  vous  soit  parvenu.  J'y  vois  avec  un  grand  regret  que  M.  Marx, 
rédacteur  de  la  Nouvelle  Gazette  Rhénane,  s'est  servi  de  votre  nom 
honorable  pour  attaquer  et  pour  salir  par  des  calomnies  infĂąmes 
l'honneur  de  mon  ami.  Si  je  ne  donnais  pas  au  premier  moment  trop 
de  valeur  à  ces  sortes  de  cancans,  auxquels  tout  homme  est  exposé, 
qui  prĂȘte  aujourd'hui  son  nom  Ă   la  publicitĂ©,  j'ai  dĂ»  cependant  autre- 
ment juger  la  position  de  Bakounine,  depuis  que  j'ai  appris  hier  que 
des  bruits  pareils  sur  son  compte  ont  couru  aussi  ici,  Ă   Paris, 

Je  ne  sens  aucun  besoin  de  vouloir  justifier  par  mon  autorité  auprÚs 
de  vous  un  ami,  avec  lequel  j'ai  vécu  pendant  cinq  ans  dans  la  plus 
profonde  intimité,  car  certes  à  une  femme  telle  que  vous,  il  n'a  pas 
pu  rester  cachĂ©,  mĂȘme  Ă   la  moindre  connaissance  de  Bakounine,  que 
son  Ăąme  est  incapable  d'aueune  vile  action,  d'aucune  participation 
Ă   quelque  chose  de  dĂ©shonorant;  et  mĂȘme,  si  je  le  voulais,  mon  nom 
n'est  pas  une  autorité  pour  vous. 

Cependant,  je  dois  me  permettre  de  joindre  mes  instances  aux  siennes 
pour  vous  prier  de  ne  pas  laisser  perdre  sa  réputation  à  si  bon  marché, 
car  il  ne  s'agit  pas  seulement  de  la  personne  de  Bakounine  (Ă   la  rigueur 
une  conscience  pure  pourrait  s'Ă©lever  au-dessus  de  toutes  les  calom- 
nies), mais  il  s'agit  aussi  de  son  influence  qu'il  doit  gagner  et  conserver 
sur  son  parti  et  qui  serait  entiÚrement  paralysée,  si  des  bruits  pareils 
pouvaient  gagner  la  foi  de  ceux  qui  ne  le  connaissent  pas,  bruits  que 
le  noble  gouvernement  russe  a  bien  des  raisons  Ă   semer  et  Ă   soutenir. 
Je  vous  supplie  donc,  madame,  de  vouloir  bien  m' envoyer  quelques 
mots  en  réponse  de  l'article  de  la  Gazette  Rhénane  que  vous  m'auto- 
riserez de  publier  ici,  au  journal  de  la  RĂ©forme  et  dans  les  journaux 
allemands  ;  il  ne  s'agit  pas  seulement  de  défendre  l'honneur  d'un 
homme,  ce  qui  déjà  à  lui  seul  serait  un  devoir  pour  qui  que  ce 
soit,  il  s"agit  encore  de  ne  pas  laisser  Ă©craser  moralement  un  ins- 
trument de  la  sainte  cause,  qui  déjà  n'a  plus  beaucoup  à  perdre. 

Tous  les  amis  personnels  de  Bakounine,  aussi  indignés  que  moi, 
sont  prĂȘts  Ă   protester  hautement  contre  ces  menĂ©es  indignes  du  gou- 


GEORGE  SAND  I35 

vernement  russe  et,  notamment,  M.  Herwegh,  qui  a  l'honneur  de  vous 
ĂȘtre  connu  personnellement,  est  prĂȘt  Ă   vous  exposer  plus  clairement 
les  faits  existants,  si  vous  jugiez  insuffisantes  ces  lignes  que  j'ai  pris 
la  liberté  de  vous  écrire,  malheureusement  dans  un  style  et  dans  des 
termes  trop  peu  français. 

Dans  la  ferme  croyance  qu'en  tous  cas  vous  ne  me  laisserez  pas 
sans  réponse,  je  vous  prie,  madame,  de  vouloir  bien  agréer  l'expres- 
sion du  profond  respect  et  du  dévouement  avec  lequel  j'ai  l'honneur 
d'ĂȘtre,  madame, 

Votre  trĂšs  humble 

Adolphe  Reichel. 
Paris,  le  19  juillet  1848. 

On  peut  voir  que  George  Sand  s'empressa  de  donner  suite 
Ă   la  demande  que  contenait  cette  lettre,  car  dĂšs  le  20  juillet, 
le  lendemain  du  jour  oĂč  elle  fut  Ă©crite,  c'est-Ă -dire  le  jour  mĂȘme 
oĂč  elle  arriva  Ă   Nohant,  Mme  Sand  adressait  une  protestation  au 
rédacteur  de  la  Gazette  Rhénane.  Nous  la  retraduisons  de  l'aile" 
mand,  parce  que  l'original  français  est  introuvable,  et  nous  la 
citons  intégralement,  parce  qu'elle  est  parfaitement  inconnue  des 
lecteurs  français,  mĂȘme  aux  Sandistes.  Quant  aux  lecteurs 
russes,  ils  en  auraient  pu  connaĂźtre  quelque  chose,  parce  qu'elle 
était  déjà  mentionnée  par  Herzen,  dans  son  volume  XI  de  ses 
ƒuvres  complĂštes  (1).  On  y  fait  allusion  Ă©galement  dans  toutes 
les  biographies  de  Bakounine.  Nous  donnerons  aussi  intégrale- 
ment la  réponse  forcée  de  la  Gazette  Rhénane,  dans  laquelle  la 
lettre  de  George  Sand  fut  intercalée,  pour  que  les  lecteurs  con- 
temporains puissent  se  faire  une  idée  du  degré  de  la...  sincérité 
du  «  Grand  Karl  »  et  de  sa  maniÚre  de  se  disculper  en  cette 
occurrence. 

Cologne,  jeudi.  (2). 

Nous  avons  communiqué  dans  le  numéro  36  de  notre  gazette  le 
bruit  oui  avait  circulé  à  Paris,  selon  lequel  George  Sand  aurait  possédé 
des  papiers  qui  auraient  permis  de  prendre  l'émigré  russe  Bakounine 
pour  un  agent  de  Nicolas  Ier.  Nous  avons  communiqué  ce  bruit  tel 
qu'il  nous  parvint  de  la  part  de  deux  correspondants  qui  ne  se  con- 

(1)  GenĂšve,  1870,  H.  Georg,  chapitre  intitulĂ©  :  les  AlÎ3niands  dans  Vernir 
gration  européenne,  p.  59-60. 

(2)  Nouvelle  Gazelle  Rhénane  (Neue  Rheinische  Zeitung),  1848.  N°  64. 


136  GEORGE   SAND 

naissaient  pas  respectivement  Nous  remplissons  ainsi  le  devoir  de 
la  presse  qui  est  d'observer  sévÚrement  les  caractÚres  des  personnages 
en  vue  et  nous  avons  par  lĂ   mĂȘme  donnĂ©  l'occasion  Ă   M.  Bakounine 
de  réfuter  un  soupçon  qui  fut  en  tous  cas  répandu  sur  son  compte 
dans  beaucoup  de  cercles  Ă   Paris.  Nous  avions  tout  aussi  volontiers 
inséré  la  déclaration  de  M.  Bakounine  et  sa  lettre  à  George  Sand  pa- 
rues dans  la  Gazette  Oderoise,  avant  mĂȘme  que  M.  Bakounine  nous  l'ait 
demandé.  A  présent  nous  communiquons  une  lettre  adressée  par 
George  Sand  au  rédacteur  de  la  Gazette  Rhénane,  en  la  traduisant 
intĂ©gralement  et,  par  lĂ ,  l'incident  peut  ĂȘtre  considĂ©rĂ©  comme  par- 
faitement clos  : 

Monsieur  le  rédacteur, 

Vous  avez  publiĂ©  Ă   la  date  du  3  juillet,  Paris,  l'article  suivant  —  ve- 
nait la  traduction  de  la  Correspondance  parisienne  en  question — ].  Les 
faits  que  vous  communiquait  votre  correspondant  sont  absolument 
faux  et  n'ont  mĂȘme  pas  l'ombre  de  vĂ©ritĂ©.  Je  n'ai  jamais  eu  la 
moindre  preuve  à  l'appui  des  insinuations  que  vous  avez  tùché  de 
faire  accréditer  contre  M.  Bakounine,  banni  de  France  par  la  monar- 
chie déchue.  Je  n'ai  donc  jamais  été  autorisée  à  émettre  le  moindre 
doute  sur  la  loyauté  de  son  caractÚre  et  la  générosité  de  ses  opinions. 

Agréez,  etc. 

George  Sand. 

P.-S.  —  J'en  appelle  à  votre  honneur  et  à  votre  conscience  pour  faire 
immédiatement  publier  cette  lettre  dans  votre  journal. 

La  ChĂątre  (Indre),  le  20  juillet  1848. 

Bakounine,  qui  était  alors  plongé  dans  la  fournaise  révolu- 
tionnaire, semble  ne  pas  avoir  pu  remercier  George  Sand  de 
l'avoir  si  résolument  et  si  amicalement  défendu.  AprÚs  l'insurrec- 
tion de  Dresde  et  de  Prague,  il  fut  arrĂȘtĂ©  en  Saxe,  jugĂ©,  condamnĂ© 
à  mort.  Puis  cette  peine  de  mort  ayant  été  remplacée  par  la 
détention  à  perpétuité,  il  fut  incarcéré  dans  la  forteresse  do 
KƓnigstein,  puis  livrĂ©  Ă   l'Autriche  ;  encore  une  fois  jugĂ©,  il  passa 
de  longs  mois  dans  deux  forteresses  autrichiennes,  puis,  livré 
encore  au  pouvoir  russe,  il  fut  incarcéré  d'abord  dans  le  donjon 
de  Schlusselbourg,  puis  dans  la  forteresse  de  Saint-Pierre  et 
Paul,  et  enfin  déporté  en  Sibérie.  H  s'en  échappa,  passa  en  Amé- 
rique, et,  à  la  veille  de  1862,  notamment  le  27  décembre  1861, 


GEORGE   SAND  137 

il  revint  en  Europe,  à  Londres.  A  peine  débarqué  et  en  sécurité, 
il  voulut  donner  de  ses  nouvelles  Ă   l'illustre  femme  qu'il  estimait 
tant  et  qui  l'avait  si  vaillamment  défendu  dans  les  derniers 
mois  de  sa  liberté.  Il  adressa  à  George  Sand  la  lettre  suivante, 
inconnue  et  inédite  que  nous  copions  encore  sur  l'autographe. 

31  janvier  1862.  Londres. 
M.  Alfredstreet.  Bedf ord  square  W.  C» 
Madame, 

Vous  avez  oublié  sans  doute  un  pauvre  Russe  qui  a  été  pourtant 
un  de  vos  plus  dévoués  admirateurs.  Moi,  je  ne  vous  ai  pas  oubliée, 
et  c'est  fort  naturel;  vous  m'avez  témoigné  jadis  tant  de  noble  et 
bonne  sympathie.  Je  vous  ai  si  peu  oubliée,  que,  revenu  à  la  vie  aprÚs 
un  évanouissement  qui  a  duré  à  peu  prÚs  treize  ans,  ne  pouvant  venir 
moi-mĂȘme  Ă   Paris  qui  s'Ă©vertue  maintenant  Ă   se  laisser  mener  par 
un  gouvernement  arbitraire,  et  voulant  Ă   toute  force  me  rappeler  Ă  
votre  bienveillant  souvenir,  je  vous  adresse  mon  frĂšre  qui,  comme  moi, 
madame,  est  un  de  vos  admirateurs  passionnés.  Il  vous  racontera 
comment  j'ai  été  pris  en  1849,  mis  aux  fers,  gardé  pendant  deux  ans 
et  demi  dans  les  forteresses  de  KƓnigstein,  de  Prague  et  d'Olmutz, 
jugé  et  condamné  à  mort  en  Saxe,  puis  en  Autriche,  enfin  transporté 
en  Russie  oĂč  j'ai  passĂ©  encore  six  ans  en  forteresse  et  quatre  ans  en 
SibĂ©rie  ;  comment  je  m'y  suis  mariĂ©  —  pas  en  forteresse,  mais  en  SibĂ©- 
rie ;  —  comment,  Ă   la  fin,  rĂ©veillĂ©  par  tout  le  bruit  qui  se  fait  de  nou- 
veau dans  le  monde  et  surtout  par  l'agitation  du  monde  slave,  je  me 
suis  embarquĂ©  sur  l'Amour,  —  le  fleuve,  pas  le  dieu,  —  j'ai  traversĂ© 
le  Japon,  l'Océan  Pacifique,  San-Francisco,  l'isthme  de  Panama, 
New-York,  Boston,  l'Océan  Atlantique  et  suis  venu  prendre  ancre  à 
Londres,  oĂč  il  fait  un  temps  dĂ©testable,  mais  oĂč  il  y  a  pour  compensa- 
tion une  bonne  et  forte  liberté. 

Vous  ĂȘtes  bonne,  madame,  vous  serez  contente  de  me  savoir  de 
nouveau  libre  et  prĂȘt  Ă   recommencer  les  pĂ©chĂ©s  pour  lesquels  on  m'a 
tant  soit  peu  malmené.  H  n'y  a  qu'une  chose,  hélas  !  de  changée  : 
j'ai  vieilli  de  treize  ans.  C'est  un  malheur  sans  doute,  mais  que  faire? 

D'ailleurs,  je  me  sens  encore  assez  jeune.  J'ai  tout  Ă   fait  l'Ăąge  du 
Faust  de  £iƓthe,  lorsqu'il  se  dit  : 

Trop  vieux  pour  s'amuser  Ă   des  riens, 
Trop  jeune  pour  ne  pas  avoir  de  désirs, 

Sevré  de  vie  politique  pendant  treize  ans,  j'ai  soif  d'agir,  et  je  pense 
qu'aprĂšs  l'amour,  le  suprĂȘme  bonheur,  c'est  l'action.  L'homme  n'est 


13S  GEORGE   SAND 

vraiment  heureux  que  quand  il  crée.  Mais  voilà  que  je  tombe  dans  1a 
philosophie,  et  devant  vous,  encore,  madame,  un  Scythe  qui  fait  de 
l'esprit  devant  un  esprit  athénien!  Soyez  indulgente,  rappelez-vous 
que  je  viens  de  la  SibĂ©rie  et  non  de  Paris,  —  quoique,  Ă   vrai  dire,  Paris 
semble  ĂȘtre  tombĂ©  aujourd'hui  un  peu  au  niveau  de  la  SibĂ©rie. 

Laissez-moi,  madame,  vous  exprimer  encore  une  fois  les  sentiments 
de  respect  profond  et  de  sympathique  dévoument  dont  j'ai  été  tou- 
jours pénétré  pour  vous. 

M.  BĂ counini  (1). 

Les  événements  de  1848,  ou  plutÎt  la  réaction  qui  sévit  dans 
toute  l'Europe  en  1849,  fit  encore  connaĂźtre  Ă   George  Sand  un 
autre  jeune  rĂ©publicain,  le  docteur  Hermann  MĂčller-StrĂ»bing, 
archĂ©ologue  et  hellĂ©niste  passionnĂ©,  qui  fut  en  mĂȘme  temps  on 
bon  musicien...  Il  vint  à  Paris  ayant  déjà  passé  sept  longues 
années  dans  les  casemates  d'une  forteresse  allemande,  pour  avoir, 
presque  adolescent  encore,  pris  part  Ă   une  attaque  contre  un 
corps  de  garde  Ă   Francfort,  ce  qui  fut  le  signal  d'une  Ă©meute 
gĂ©nĂ©rale.  Muller  fut  arrĂȘtĂ©,  jugĂ©  comme  instigateur,  condamnĂ© 
à  mort,  mais  la  condamnation  fut  commuée  en  détention  à 
perpétuité.  L'amnistie  générale,  proclamée  lors  de  l'avÚnement 
au  pouvoir  de  Frédéric-Guillaume  TV,  le  mit  en  liberté.  Or,  les 
sept  années  qu'il  passa  en  prison,  il  les  employa  à  étudier  à  fond 
la  philologie,  notamment  le  grec  et  quelques  langues  nouvelles, 
l'histoire  de  Fart,  etc.  De  sorte  que  «  ce  n'eft  pas  un  ĂȘtre  brisĂ© 
qui  quitta  sa  cellule  aprÚs  cette  longue  détention,  mais  bien 
un  homme  grandement  instruit,  plein  de  forces  et  d'espérances. 

C'était  un  idéaliste  en  toutes  choses,  un  enthousiaste  comme 
on  n'en  rencontre  plus.  Le  grand  art  grec,  la  musique,  le  Beau, 
voilà  ce  qui  comptait  le  plus  pour  lui.  Les  privations,  la  vie  pré- 
caire, lui  importaient  peu.  Ayant,  dĂšs  1841,  fait  la  connaissance 
de  Tourguéniew  à  Berlin,  et  s'étant  lié  d'amitié  avec  lui,  ce 
dernier  le  présenta  à  Mme  Viardot,  lors  de  ses  brillants  succÚs 
Ă   Berlin,  en  1845.  Musicien  distinguĂ©  lui-mĂȘme,  Muller  se 
prit  d'une  admiration  sans  bornes  pour  la  géniale  artiste.  Mais 
quand  la  révolution  de  1848  éclata,  l'ancien  républicain  se  ré- 

(1)  La  pronvÚre  lettre  est  signée  ;  Bakounine,  la  seconde  :  Baconnine. 


GEORGE   SAND  139 

veilla.  Millier  oublia  l'art  et  la  musique  et  se  jeta  dans  le  mou- 
vement La  réaction  ayant  triomphé  en  Allemagne,  il  dut  fuir 
len  France.  C'est  alors  qu'il  trouva  l'hospitalité  chez  les 
Viardot  et  chez  Tourguéniew  ;  paT  eux  il  fit  la  connaissance  de 
Mme  S  and.  La  réaction  ayant  remporté  la  victoire  en  France 
aussi,  le  pauvre  docteur  es  lettres  eut  Ă   pĂątir  doublement  :  les 
vivres  lui  manquaient  et  la  police  le  poursuivait.  Alors  Mme  Sand 
l'hĂ©bergea  Ă   Nohant,  en  mĂȘme  temps  que  deux  autres  jeunes 
républicains  poursuivis  :  MM.  Emile  Aueante  et  Fulbert  Martin. 
Mme  Viardot  Ă©crit  Ă   ce  propos  Ă   Mme  Sand  le  9  avril  1849  : 

...  Le  bon  Millier  a  eu  des  larmes  de  joie  dans  les  yeux  quand  je 
lui  ai  lu  le  passage  qui  le  concerne,  c'est  un  brave  et  loyal  ami,  une 
vraie  barre  d'or... 

Le  musicien  allemand  rappelait  un  peu  unjaéros  d'Hoffmann  : 
c'était  déjà  un  titre  aux  yeux  de  George  Sand,  aussi  fut-il  un 
hÎte  selon  les  goûts  des  habitants  de  Nohant.  Il  s'installa  bien- 
tĂŽt Ă   la  ChĂątre,  chez  les  Duvernet,  pour  pouvoir  y  donner 
des  leçons  à  leur  fille,  ainsi  qu'à  d'autres  jeunes  musiciens  de 
l'endroit,  mais  il  revenait  constamment  Ă   Nohant,  soit  pour 
prendre  part  à  une  représentation  théùtrale,  soit  pour  aider 
Mme  Sand  Ă   adapter  des  chants  berrichons  pour  ses  piĂšces  (1). 
Il  y  Ă©tait  toujours  le  bienvenu. 

MĂ»ller  avait  gagnĂ©  tous  les  cƓurs  Ă   Nohant.  S'agĂźt-il  d'une 
excursion,  d'un  spectacle,  ou  de  quelque  occupation  plus  sérieuse  : 
on  faisait  toujours  appel  Ă   lui. 

Mme  Sand  Ă©crit  Ă   son  fils  le  2  janvier  1850  : 

...  Je  pense  que  tu  es  aujourd'hui  encore  sur  les  pierres  druidiques 
ou  Ă   Chambon.  Ecris-moi  un  mot  quand  tu  seras  de  retour  Ă   Nohant. 
Eaconte-moi  les  événements  de  ce  beau  voyage,  quelle  figure  faisait 
Mûller  et  Paloignon  le  jeune... 


fl)  Nous  avons  donné  dans  le  chapitre  vndu  vol.  III  deux  extraits  de  lettres 
de  George  Sand  de  1850,  nous  montrant  que  Huiler  l'avait  aidée  d'abord  à 
transcrire  les  chants  berruyers  de  Jean  Chauvet,  le  maßtre  chanteur-maçon, 
puis  à  arranger  les  chansons  du  pÚre  Rémy,  pour  les  représentations  de  Clauik 
à  la  Porte-Saint-Martin.  Dans  les  lettres  imprimées  et  inédites  de  George 
Sand  de  1849  à  1852,  il  est  constamment  question  de  Mûller,  et  on  voit  com- 
bien Mme  Sand  avait  d'amitié  pour  cet  original  et  sympathique  personnage. 


i4o  GEORGE  SAND 

Le  2  janvier  1850,  Mme  Sand  Ă©crit  Ă   Mme  de  Bertholdi  : 

Manceau,  l'ami  de  Maurice  et  de  Lambert,  est  ici...  Nous  avons 
aussi  un  allemand  de  mes  anciens  amis  politiques  qui  est  pour  quelque 
temps  en  France  et  nous  donne  une  partie  de  son  lnver.  Les  Fleury  et 
les  Duvernet  viennent  toutes  les  semaines  passer  deux  jours  et  l'on 
joue  la  comédie  et  la  pantomime  à  mort.  Les  enfants  ont  rapporté 
de  Paris  force  costumes  nouveaux. 

«  Muller  m'a  fait  part  de  tes  observations.  Elles  sont  justes  », 
Ă©crit-elle  au  mois  d'aoĂ»t  de  la  mĂȘme  annĂ©e,  cette  fois  Ă   son  ami 
Duvernet,  qui  avait  lu  avec  Muller  Claudie  qu'on  allait  donner 
Ă   la  Porte-Saint-Martin... 

«  C'est  le  vieux  Hans,  qui  a  fait  votre  rÎle  »,  dit  Mme  Sand 
dans  sa  lettre  Ă   Sully-LĂ©vy,  qui  venait  de  quitter  Nohant  aprĂšs 
y  avoir  joué  le  rÎle  de  Nello  (ou  Maßtre  FavilU)  en  1851. 

D'autres  lettres  nous  montrent  un  souci  sérieux  de  la  part  de 
Mme  Sand  pour  la  santé  de  son  pauvre  ami  éprouvé  par  le  sort. 

...  Muller  est  venu  aujourd'hui  avec  les  Duvernet,  écrit-elle  le  22  dé- 
cembre 1850  Ă   Maurice,  il  souffre  d'un  Ɠil  et  ne  voit  pas.  H  est  changĂ©, 
il  engraisse  cependant  toujours,  mais  je  trouve  qu'il  file  un  vilain 
coton.  H  tourne  au  Borie,  il  ne  vit  que  de  farineux  et  commence  Ă  
dormir 

Bref,  on  voit  par  ces  extraits  de  lettres  de  George  Sand, 
combien  elle  avait  de  sympathie  pour  Millier.  Or,  ceux  qui  con- 
naissent les  MĂ©moires  de  Herzen  et  notamment  le  chapitre  :  Les 
Allemands  dans  V émigration  européenne,  auraient  pu  croire,  d'une 
part,  que  Muller  n'Ă©tait  qu'un  bon  gaillard  assez  commun  et 
fort  débraillé,  enclin  à  vivre  aux  dépens  des  autres,  aimant  la 
bamboche,  cicérone  obligé  de  tous  les  Russes  fraßchement  dé- 
barqués à  Berlin  ou  à  Paris.  D'autre  part,  on  aurait  pu  croire 
que  Herzen  Ă©tait  en  rapports  superficiels  avec  lui,  et  qu'il  le 
traitait  mĂȘme  avec  une  condescendance  tant  soit  peu  mĂ©pri- 
sante. Il  n'en  fut  nullement  ainsi.  Ni  Muller,  ni  ses  relations 
avec  Herzen  ne  furent  tels  qu'on  aurait  pu  croire  en  prenant 
au  pied  de  la  lettre  ces  pages  pleines  de  verve  de  Herzen.  Les 
lettres  de  Herzen  et  de  Muller  que  nous  allons  donner  ne  laissent 
subsister  aucun  doute  Ă   ce  propos. 


GEORGE   SAND  141 

AprĂšs  le  coup  d'État,  MĂ»ller  dut  fuir  en  Angleterre  comme 
tant  d'autres.  Il  retrouva  Ă   Londres  ses  anciens  amis  parisiens  : 
Louis  Blanc,  Etienne  Arago,  Herzen.  Celui-ci  venait  de  perdre 
son  fils  et  sa  femme.  On  sait  que  Mme  Nathalie  Herzen 
mourut  Ă   la  suite  de  cruelles  Ă©preuves  psychologiques  qui  lui 
échurent  en  partage  dans  les  derniÚres  années  de  son  existence, 
le  dernier  coup  fut  porté  par  la  mort  de  son  fils  survenue 
dans  un  naufrage.  Une  passion  que  la  malheureuse  femme 
éprouva  entraßnant  une  séparation  entre  elle  et  son  mari, 
le  bruit  que  les  amis  de  Herzen  soulevĂšrent  Ă   propos  de  ce 
triste  événement,  le  repentir,  l'effroi  en  découvrant  l'indignité 
de  son  ami,  les  racontars,  les  querelles  et  le  retour  sous  le  toit 
conjugal,  tout  cela  avait  minĂ©  le  frĂȘle  organisme  de  la  pauvre 
femme;  elle  succomba  prématurément  en  mettant  au  monde 
un  enfant  qui,  lui  aussi,  ne  vécut  pas.  AprÚs  sa  mort,  Herzen 
quitta  le  Midi  et  vint  Ă   Londres.  Il  y  rencontra  d'anciens 
amis  au  courant  de  ses  douleurs  conjugales  ;  il  revécut  en 
souvenir  toutes  ses  Ă©motions  cruelles.  C'est  justement  Ă   ce 
moment  qu'il  revit  Miiller  tout  plein  encore  de  ses  souvenirs 
de  Nohant,  ne  tarissant  pas  dans  ses  Ă©loges  sur  George  Sand, 
son  grand  cƓur,  son  profond  esprit,  son  don  de  pĂ©nĂ©trer  les 
recoins  les  plus  cachés  de  l'ùme  humaine.  Les  autres  émigrés 
politiques  —  Mazzini,  Louis  Blanc,  Arago,  Ledru-RoUin,  pronon- 
çaient aussi  constamment  le  nom  de  George  Sand,  en  parlant 
des  Ă©pisodes  les  plus  Ă©mouvants  de  1848. 

Herzen  éprouva  soudain  le  désir  de  s'adresser  à  George  Sand 
comme  Ă   un  suprĂȘme  arbitre  des  choses  humaines,  afin  qu'elle 
jugeùt  la  tragédie  qui  venait  de  dévaster  sa  vie.  Il  écrivit  une 
lettre  Ă   Miiller  en  le  priant  de  la  communiquer  Ă   George  Sand, 
c'est  ce  que  ce  dernier  fit  immédiatement,  accompagnant  la 
lettre  de  Herzen  de  quelques  lignes  de  sa  main.  Voici  ces  deux 
lettres  : 

18  octobre  1852. 
London.   Spring-Gardens,  4. 
Cher  Miiller. 

Lorsque  je  t'ai  rencontré  à  Londres,  sans  m'y  attendre  le  moins  du 
monde,  et  lorsque  deux  jours  aprĂšs  je  te  parlais  des  terribles  malheurs 


i42  GEORGE   SAND 

qui  m'ont  frappé,  le  nom  de  George  Sand  tomba  de  tes  lÚvres.  Je 
frissonnai  Ă   ce  nom.  C'Ă©tait  pour  moi  une  indication.  Elle  doit  con- 
naßtre cette  histoire,  elle  qui  résume  dans  sa  personne  l'idée  révolu- 
tionnaire de  la  France.  Je  t'ai  exprimé  mon  désir  de  l'instruire  de  cette 
affaire. 

La  réponse  dont  tu  m'as  parlé  hier  me  prouve,  qu'entraßné  par  l'in- 
dignation contre  tant  de  scélératesse,  tu  ne  m'as  pas  tout  à  fait  com- 
pris. L'affaire  est  jugée,  un  tribunal  formel  est  impossible,  un  tribunal 
moral  a  prononcĂ©  son  arrĂȘt.  La  rĂ©probation  gĂ©nĂ©rale  qui  a  enveloppĂ© 
cet  homme  en  est  la  preuve.  Penses-tu  donc  que  des  hommes  comme 
Mazzini,  Worcel,  Proudhon,  Kinkel,  etc.,  se  seraient  prononcés  avec 
tant  d'énergie,  si  les  faits  n'étaient  pas  constatés,  s'il  n'y  avait  pas 
de  documents  et  des  témoins?  Dévoiler  cet  homme  devant  ceux  que 
j'estime,  que  j'aime,  est  pour  moi  un  besoin  de  cƓur,  un  acte  de  haute 
moralité.  Socialiste  et  révolutionnaire,  je  ne  m'adresse  qu'à  nos  frÚres. 
L'opinion  des  autres  m'est  indifférente.  Tu  vois  de  là  que  l'opinion 
de  George  Sand  a  une  valeur  immense  pour  moi. 

Il  s'agit  d'une  femme  dans  cette  tragédie.  D'une  femme  qu'on  a 
brisée,  calomniée,  persécutée,  qu'on  est  parvenu  à  assassiner  enfin. 
Et  tout  cela  parce  qu'une  passion  malheureuse  a  envahi  son  cƓur 
comme  une  maladie  et  que  son  cƓur  repoussa  au  premier  rĂ©veil  de 
la  nature  noble  et  forte.  Et  l'assassin,  le  calomniateur,  le  dénoncia- 
teur de  cette  femme  Ă©tait  ce  mĂȘme  homme  qui,  feignant  pour  elle  un 
amour  sans  bornes,  la  trahit  par  vengeance,  comme  il  avait  trahi  son 
ami  le  plus  intime  par  lùcheté.  Tu  as  vu  ses  lettres...  C'est  un  de  ces 
caractÚres  dans  le  genre  cVHorace  de  George  Sand.  Mais  Horace  déve- 
loppé jusqu'à  la  scélératesse. 

Je  n'ai  pas  voulu  terminer  une  affaire  pareille  par  un  duel,  il  y  avait 
trop  de  crimes,  trop  de  perfidie  pour  les  couvrir  par  la  mort  ou  pour 
le?  laver  par  le  sang  d'une  blessure.  J'ai  entrepris  une  autre  justice, 
elle  était  hasardée.  Le  premier  homme  auquel  je  fis  part  de  ma  réso- 
lution Ă©tait  Mazzini.  H  m'a  soutenu  dans  cette  voie  difficile  ;  il  m'Ă©cri- 
vit :  «  Faites  de  votre  douleur  un  acte  solennel  de  justice  au  sein  de 
la  société  nouvelle,  accusez,  la  démocratie  jugera.  » 

Je  l'ai  accusé  ;  et  mon  appel  à  nos  frÚres  ne  resta  pas  sans  réponse. 
Maintenant,  je  commence  un  mémoire  détaillé.  Ce  mémoire,  je  vou- 
drais l'envoyer  Ă   George  Sand. 

Il  ne  me  manquait  pas  de  conseil  prudent  et  charitable  de  me  taire, 
de  couvrir  tout  par  un  silence  absolu.  Celui  qui  dit  cela,  accuse  la  femme. 
Je  n'ai  rien  à  cacher,  elle  est  restée  pure  et  sublime  à  mes  yeux,  mon 
silence  serait  perfide,  serait  un  manque  de  religion  pour  la  victime. 
Et  ensuite  il  n'y  avait  pas  mĂȘme  de  choix  aprĂšs  les  calomnies  rĂ©pan- 
dues par  cet  individu.  Je  fais  Ă   haute  voix  et  au  grand  jour  ce  qu'il 


GEORGE   SAND  143 

a  fait  traĂźtreusement  et  en  cachette.  Mon  accusation  suivra  cet  homme 
partout.  Je  suis  lĂ   sur  le  tombeau  d'une  femme  que  j'aimais,  et  je 
l'accuse  ;  ce  qu'on  fera  de  mon  accusation,  je  ne  le  sais  pas.  Je  ne  cherche 
pas  des  verdicts,  ils  arriveront  naturellement. 

Portant  mon  accusation  devant  la  plus  haute  autorité  quant  à 
la  femme,  la  portant  devant  George  Sand,  je  ne  voulais  qu'un  peu 
d'attention  sympathique,  qu'un  peu  de  confiance. 

Dans  la  pensée  de  m'entretenir  de  cette  tragédie  avec  elle,  il  y  avait 
pour  moi  un  entraßnement  irrésistible. 

Il  y  a  longtemps  que  je  rĂȘvais  Ă   cela.  Ta  visite  m'a  montrĂ©  de  prĂšs 
la  possibilitĂ©  de  rĂ©aliser  ce  dernier  rĂȘve  poĂ©tique.  Mais  je  n'ai  demandĂ© 
ni  réponse  ni  verdict.  Je  voulais  laisser  tout  cela  au  temps  et  à  la  pleine 
conviction. 

Voilà,  cher  Muller,  ce  que  j'avais  sur  le  cƓur  de  te  dire.  Communique 
quelque  chose  de  cela  Ă   George  Sand,  si  tu  n'as  rien  contre  cela.  Adieu. 
Je  te  salue  fraternellement. 

A.  Herzen. 

Londres,  19  octobre  1852, 
Madame, 

Comme  j'ai  trouvĂ©  Ă   l'instant  mĂȘme  une  occasion  pour  Paris,  je 
me  permets  de  vous  envoyer  une  lettre  de  mon  ami  Herzen,  qu'il 
m'a  adressĂ©e  pour  vous  ĂȘtre  communiquĂ©e.  J'y  joins  une  brochure 
qu'il  m'a  Ă©galement  remise  pour  vous.  Je  ne  l'ai  pas  encore  lue,  mais 
je  la  crois  trĂšs  remarquable.  Si  vous-mĂȘme  n'avez  pas  le  temps  de  la 
lire,  Emile  (1)  s'en  chargera  bien  et  vous  dira  si  cela  vaut  la  peine. 
Herzen  a  Ă©crit  encore  une  autre  brochure  sur  l'Ă©tat  actuel  de  la 
Russie,  qui,  malheureusement,  a  été  saisie  par  le  gouvernement  fran- 
çais. 11  s'en  plaint  beaucoup,  parce  qu'il  la  croit  supérieure  à  ce  pre- 
mier essai. 

Je  n'ai  que  justement  le  temps  de  vous  remercier  de  tout  mon  cƓur 
pour  votre  bonne  lettre  et  pour  le  bon  souvenir  que  vous  me  gardez. 
J'ai  besoin  d'une  telle  consolation,  car,  aprĂšs  tout,  je  snis  encore  trĂšs 
seul  ici.  Mes  affaires,  pourtant,  ne  vont  pas  mal,  j'ai  trouvé  déjà  des 
leçons  qui  me  font  gagner  quinze  shillings  par  semaine,  c'est-à-dire 
les  trois  quarts  de  ce  qui  est  strictement  nécessaire  pour  vivre.  C'est 
beaucoup  pour  le  moment,  d'autant  plus  que  c'est  indépendamment 
des  lettres  de  M.  et  Mme  Viardot.  Je  n'ai  pas  encore  des  nouvelles 
de  Duvernet,  ce  qui  m'Ă©tonne  beaucoup.  J'espĂšre  pourtant  qu'il  a 
reçu  ma  lettre.  Pardon,  madame,  de  cette  lettre  incohérente,  j'écris 

(1)  Emile  Aucantei 


144  GEORGE   SAND 

Ă   la  hĂąte,  car  on  veut  partir.  Je  vous  Ă©crirai  bientĂŽt  une  lettre  plus 
raisonnable.  Mauprai  réussira  (1)  ;  je  suis  aussi  sûr  de  cela  que  de  quoi 
que  ce  soit.  J'espĂšre  que  les  amis  de  Ăźsohant  me  tiendront  au  courant 
de  tout  ce  qui  vous  regarde  !  Un  shake-hand  fraternel  Ă   Maurice  (ah  ! 
que  je  suis  content  qu'il  fait  des  illustrations)  et  aux  autres  amis. 
A  vous  de  cƓur  et  pour  toujours. 

H.  Muller. 


Ces  lettres,  du  plus  haut  intĂ©rĂȘt  pour  la  biographie  de 
Herzen,  suffisent  pour  prouver  en  toute  Ă©vidence  qu'Herzen, 
aprÚsavoir  confié  à  Millier  ses  affaires  les  plus  intimes,  aprÚs 
avoir  eu  recours  Ă   ce  dernier,  pour  faire  connaĂźtre  Ă   George 
Sand  ce  cas  de  conscience,  ne  pouvait  pas  le  traiter  avec  le 
mépris  qu'on  découvre  dans  les  pages  de  ses  Mémoires.  Ses  bou- 
tades toutes  fortuites  furent  peut-ĂȘtre  amenĂ©es  par  quelque 
cause  tout  Ă   fait  Ă©trangĂšre,  au  moment  oĂč  Herzen  Ă©crivit  ses 
MĂ©moires. 

Nous  n'avons  pas  retrouvé  les  réponses  de  George  Sand  à  ces 
deux  lettres,  ni  d'autres  lettres  de  Herzen  ou  de  Muller  se  rap- 
portant à  cet  épisode.  Mais  nous  avons  retrouvé  d'autres  lettres 
de  Millier  à  Mme  Sand  datées  de  1852-56,  témoignant  d'une 
parfaite  amitié  entre  les  deux  correspondants.  Ces  réponses  de 
Millier  nous  prouvent  de  plus  que  Mme  Sand  dans  ses  lettres 
tenait  Millier  au  courant  de  tout  ce  qui  se  faisait  Ă   Nohant,  de 
tous  les  détails  de  sa  vie  de  famille,  de  ses  travaux  à  elle,  de  toutes 
les  questions  qui  la  passionnaient  et  l'agitaient  Ă   cette  Ă©poque. 
Et  c'est  l'amitié  qui  liait  Muller  à  George  Sand,  Bakounine, 
Herzen,  Tourguéniew,  à  M.  et  Mme  Viardot  qui  nous  rend  inté- 
ressante la  figure  de  Vami  Millier,  comme  ils  l'appellaient  tous. 

Revenons  maintenant  aux  années  1848-51.  Le  10  décembre 
1848,  Louis-Napoléon  était  élu  par  une  énorme  majorité  à  la 
présidence  de  la  République.  George  Sand  vit  avant  tout 
dans  ce  vote  une  protestation  populaire  contre  EugĂšne  Cavai- 
gnac.  H  lui  sembla  que  le  peuple  espérait  que  le  prince  don- 
nerait non  seulement  la  liberté  politique,  mais  encore  des  ré- 

(1)  La  piÚce  de  George  Sand  tirée  de  son  roman. 


GEORGE   SAND  i45 

formes  sociales.  Comme  nous  consacrons  tout  le  chapitre  sui- 
vant aux  relations  entre  George  Sand  et  Napoléon  III,  nous  ne 
dirons  pas  ici  ce  qu'Ă©crivit  Mme  Sand  sur  cette  Ă©lection. 
L'article  qu'elle  écrivit  sur  cet  événement  fut  l'avant-dernier 
article  politique  publié  à  cette  époque.  Le  dernier  fut  une 
Lettre  aux  modérés,  un  appel  à  la  miséricorde  envers  les  vaincus, 
les  victimes  de  la  révolution  qu'on  allait  déporter.  Cette  lettre 
fut  insĂ©rĂ©e  dans  V  ÉvĂ©nement  en  novembre  1849.  Mais  il  ne  faut 
pas  croire  que  si  George  Sand  n'Ă©crivait  plus  dans  la  presse, 
elle  ne  prit  aucune  part  Ă   la  politique.  A  ce  moment,  comme 
cela  arrive  toujours  aprÚs  une  défaite,  tous  les  partis  se  repro- 
chaient réciproquement  les  faits  accomplis,  se  querellaient,  se 
condamnaient,  se  défendaient  et  se  séparaient  toujours  davan- 
tage les  uns  des  autres.  Entre  les  émigrés  à  Londres  l'hostilité 
bouillonnait,  ils  dépensaient  toute  leur  énergie,  toute  la  force 
de  leurs  passions  dans  des  querelles  de  partis.  Ledru-Rollin, 
Koschut  et  Mazzini,  les  républicains  purs,  firent  paraßtre  leur 
«  appel  »  célÚbre  à  la  démocratie.  Les  «  socialistes  »  leur  répon- 
dirent. Malgré  tout  son  dévouement  pour  Mazzini,  George  Sand 
resta  fidĂšle  Ă   elle-mĂȘme  et  Ă   son  idĂ©al  socialiste,  et  dans  ses 
lettres  à  Mazzini,  elle  discuta  ardemment  et  prit  la  défense  des 
«  socialistes  »  ou  des  soi-disant  «  communistes  »,  en  prédisant 
que  l'avenir  était  à  eux,  mais  en  réprouvant  toute  mise  en  pra- 
tique brusque  ou  violente  de  leur  doctrine.  Et  en  mĂȘme  temps 
George  Sand  continuait  Ă   exprimer  Ă   Mazzini  des  sentiments  de 
vénération  profonde.  Bien  plus,  comme  en  1848  elle  avait  tra- 
duit sa  Lettre  au  Pape,  de  mĂȘme  en  1849  elle  traduisit  et  munit 
de  commentaires  République  et  Royauté  en  Italie.  Cette  traduc- 
tion parut  en  1850.  Quant  à  ses  lettres  à  Mazzini,  elles  présen- 
tent un  intĂ©rĂȘt  extrĂȘme,  parce  qu'elles  sont  comme  une  cau- 
serie avec  cet  ami  lointain,  causerie  sans  relĂąche  ne  laissant 
dans  l'ombre  aucune  question  actuelle.  Nous  conseillons  donc  Ă  
nos  lecteurs  de  relire  tout  le  volume  III  de  la  Correspondance 
de  George  Sand  oĂč  ces  lettres  se  trouvent,  elles  sont  trop 
longues  pour  ĂȘtre  citĂ©es.  H  faut  seulement  se  souvenir  que 
toutes  ces  lettres  sont  mal   datées  (dous  l'avons  prouvé  sur 


i4<6  GEORGE  SAND 

trois  d'entre  elles),  trÚs  souvent  on  a  imprimé  à  une  fausse  date 
des  morceaux  de  lettres  différentes  ou  bien  elles  sont  tronquées. 
Enfin,  il  reste  encore  beaucoup  de  morceaux  de  lettres  et  de 
lettres  entiÚres  qui  sont  inédites  et  que  nous  avons  heureuse- 
ment pu  lire. 

En  cette  mĂȘme  annĂ©e  1849,  George  Sand  Ă©crivit  une  PrĂ©face 
au  livre  de  Victor  Borie  :  Travailleurs  et  Propriétaires.  Elle  y 
revient  eneore  Ă   son  thĂšme  favori  :  elle  affirme  qu'il  y  a  deax 
sortes  de  communiùmes.  L'un,  créé  par  l'imagination  des  réac- 
tionnaires, évoque  l'idée  d'un  désastre  général,  de  pillage,  de 
violences.  Celui-lĂ   —  prĂ©tendait-elle  —  n'existe  que  dans  les 
imaginations  timorées  ;  si  une  secte  ou  une  société  pareille  exis- 
tait réellement,  George  Sand  la  renierait  parce  que  toute  secte 
sous-entend  l'intolérance  et  l'hostilité  envers  les  hommes  pen- 
sant autrement. 

L'autre  communisme  est  purement  transcendant  ;  il  n*existe 
que  dans  le  cerveau  d'un  trĂšs  petit  nombre  d'utopistes  et  de 
rĂȘveurs  :  c'est  Ă   ce  communisme-lĂ   qu'appartiendra,  dans  un 
avenir  lointain  encore,  le  triomphe  final,  parce  qu'il  est  la  foi  en 
la  fraternité  humaine  ;  son  idéal  ce  n'est  pas  seulement  l'égalité 
et  la  liberté  politique  imposées  par  la  loi,  mais  la  liberté  réelle, 
la  liberté  économique,  qui  ne  s'acquiert  pas  par  la  violence,  mais 
par  l'extension  de  l'amour  humain. 

La  propriété  est,  elle  aussi,  de  deux  natures.  L'une  est  une  pro- 
priété personnelle,  imprescriptible.  Il  y  a  une  propriété  modifiable 
et  eommune... 

...  Oui,  il  y  a  deux  natures  de  propriétés  :  la  part  individuelle,  large- 
ment dĂ©volue  Ă   quelques-uns,  respectable  quand  mĂȘme;  la  fart 
communef  qui  a  été  surprise,  dérobée  à  tous  par  un  petit  nombre; 
celle-lĂ   doit  ĂȘtre  restituĂ©e... 

Si  l'auteur  de  ce  travail  (c'est-Ă -dire  Victor  Borie)  rejette  absolu- 
ment le  mot  que  je  tiens  Ă   maintenir  et  s'attache  Ă   prouver  que  l'ad- 
mission du  principe  de  deux  natures  de  propriété  éloigne  à  jamais  le 
communisme  de  nos  institutions,  c'est  parce  qu'il  entend  par  le 
communisme  l'institution  par  violence  ou  par  surprise  des  dogmes 
d'une  certaine  secte,  tandis  que  si  on  entend  par  communisme  une 
croyance  pacifique  basée  sur  celle  de  l'Evangile,  l'avenir  lui  appar- 
tient. 


GEORGE  SAND  147 

George  Sand,  qui  veut  défendre  le  communisme,  et  Borie  qui 
lutte  contre  lui,  arrivent  au  mĂȘme  but  par  deux  voies  opposĂ©es. 
George  Sand  se  croit  mĂȘme  obligĂ©e  d'ĂȘtre  communiste... 

...  Ma  conscience  et  l'Evangile,  qui  est  pour  moi  le  plus  beau  des 
enseignements  divins,  me  le  demandent,  dit-elle,  et  c'est  précisément 
parce  que  je  possĂšde  quelque  chose  que  j'ai  le  devoir  d'ĂȘtre  com- 
muniste. 

...  Mais  si  le  communisme  est  une  société,  je  m'en  retire,  parce  que 
je  me  vois  aussitĂŽt  forcĂ©  d'ĂȘtre  en  guerre  et  en  lutte  incessante  avec 
tous  ceux  de  mes  semblables  qui  ne  reconnaissent  pas  l'Évangile... 

Et  en  note  Ă   cette  page,  George  Sand  Ă©crit  les  lignes  suivantes, 
extrĂȘmement  significatives  pour  sa  maniĂšre  de  voir  Ăą  toutes 
les  Ă©poques  de  sa  vie  : 

...  Et  pourtant,  comme  dans  le  moment  oĂč  nous  vivons  on  parle 
encore  dans  les  provinces  de  pendre  et  de  brûler  les  communistes, 
moi  personnellement,  je  ne  répudierai  point  ce  titre  dangereux.  Je 
ne  le  ferai  que  le  jour  oĂč  le  communisme  triompherait  en  politique, 
et  m'adresserait  les  mĂȘmes  menaces  que  les  conservateurs  m'adressent 
aujourd'hui.  Jean-Jacques  Rousseau  disait  :  «  Je  suis  philosophe 
avec  les  superstitieux,  religieux  avec  les  athées.  »  H  est  des  temps 
d'anarchie  morale  oĂč  cette  parole  de  Jean-Jacques  Rousseau  est 
nécessairement  la  devise  de  tout  esprit  sincÚre  et  courageux... 

Avec  les  vaincus,  non  avec  les  vainqueurs  !  Avec  les  oppressés, 
non  avec  les  oppresseurs  !...  VoilĂ   la  devise  que  George  Sand 
ne  démentait  jamais...  Voilà  le  fond  de  sa  nature,  tout  de  cou- 
rage et  de  pitié,  la  tendance  qui  se  manifesta  encore  bien  plus 
tard,  lorsque  dans  les  derniÚres  années  de  sa  vie,  lors  d'un 
triomphe  passager  du  communisme  en  1871,  elle  Ă©crivait  : 

...  Plus  que  jamais,  je  sens  le  besoin  d'Ă©lever  ce  qui  est  bas  et  de  rele- 
ver ce  qui  est  tombĂ©.  Jusqu'Ă   ce  que  mon  cƓur  s'Ă©puise,  il  sera  ouvert 
à  la  pitié,  il  prendra  le  parti  du  faible,  il  réhabilitera  le  calomnié.  Si 
c'est  aujourd'hui  le  peuple  qui  est  sous  les  pieds,  je  lui  tendrai  la  main  ; 
si  c'est  lui  qui  est  l'oppresseur  et  le  bourreau,  je  lui  dirai  qu'il  est  lĂąche 
et  odieux.  Que  m'importent  tels  ou  tels  groupes  d'hommes,  tels  noms 
propres  devenus  drapeaux,  telles  personnalités  devenues  réclames? 
Je  ne  connais  que  des  sages  et  des  fous,  des  innocents  et  des  cou- 
pables. 


148  GEORGE   SAND 

Nous  verrons  plus  loin  que  ces  lignes  font  partie  d'un  article 
dans  lequel  George  Sand  exhorte  les  Français  à  abandonner 
toutes  les  querelles  de  partis,  toutes  les  haines  et  les  calomnies 
réciproques  pour  chercher  le  salut  dans  l'amour  fraternel.  Elle 
leur  demande  de  se  souvenir  des  paroles  de  saint  Jean  :  FrĂšres, 
aimez-vous  les  uns  les  autres! 

C'est  ainsi  que,  jusqu'Ă   la  fin  de  sa  vie  George  Sand  resta 
fidĂšle  Ă   son  credo,  et  fut  toujours  socialiste  et  non  politique. 

Et  si  l'on  veut  savoir  dans  quels  sentiments,  quelles  idées 
George  Sand  achevait  les  orageuses  années  de  1848-1851  ;  et 
ce  qui  lui  restait,  Ă   la  veille  du  coup  d'État  de  dĂ©cembre,  de 
ses  croyances,  qui  semblent  avoir  dû  sombrer  définitivement, 
il  faut  consulter  l'une  de  ses  Ɠuvres  fort  peu  connue  et  trùs 
importante  :  le  Diable  aux  champs.  Elle  est  importante  pour  le 
biographe  parce  que  la  vie  Ă   Nohant  y  est  peinte  dans  la 
pĂ©riode  de  1847-1855.  (Elle  fut  Ă©crite  juste  au  moment  oĂč  la 
révolution  de  février  interrompit  VHistoire  de  ma  Vie.)  Pour 
l'historien  et  le  critique,  elle  est  extrĂȘmement  intĂ©ressante 
comme  le  résumé  des  idées  et  des  espérances  de  George  Sand 
Ă   cette  Ă©poque. 

Dans  la  préface  de  ce  roman,  George  Sand  dit  que  le  Diable 
aux  champs,  terminé  en  novembre  1851,  mais  publié  en  1855,  n'a 
qu'une  valeur  Ă©phĂ©mĂšre,  —  il  est  un  reflet  exact  du  trouble  des 
esprits  par  lequel  la  France  passa  en  1851. 

Il  est  des  Ă©poques  historiques,  dit-elle,  oĂč  la  vie  individuelle  semble 
s'effacer  dans  la  préoccupation  de  la  vie  générale  ;  mais  si  on  y  regarde 
de  plus  prÚs,  on  voit  que,  tout  au  contraire,  les  préoccupations 
personnelles  prennent  une  importance  d'autant  plus  grande,  aux 
époques  de  trouble  et  d'incertitude,  que  l'on  est  surexcité  par  la 
vie  gĂ©nĂ©rale.  Ne  sont-ce  pas  les  Ă©poques  fĂ©condes  en  rĂȘves,  en  projets, 
en  situations  romanesques,  en  accĂšs  d'enthousiasme,  de  doute  et 
d'effroi?... 

...  Vivant  Ă   l'Ă©cart  du  grand  courant  d'action,  —  dit-elle  plus  loin, 
—  je  fus  Ă   mĂȘme  d'observer  le  contre-coup  moral  et  intellectuel  de  ces 
agitations  dans  un  milieu  paisible,  aux  champs,  au  village:  au  coin 
du  feu,  sur  les  chemins,  au  presbytÚre.  L'idée  me  vint  de  saisir  toutes 
les  réflexions,  toutes  les  émotions,  toute  l'imprévoyance,  toute  l'in- 
quiétude, tout  le  sérieux  et  toute  la  frivolité  qui  étaient  daus  l'air,  et 


GEORGE   SAND  149 

de  les  grouper  autour  d'un  sujet  de  roman  quelconque  et  de  types 
imaginaires  quelconques... 

D'aprĂšs  le  plan  primitif,  il  devait  y  avoir  trois  romans  qui  se 
faisaient  suite  ou  pendant  :  le  Diable  aux  champs,  le  Diable  Ă  
la  ville  et  le  Diable  en  voyage.  Dans  le  premier,  Mme  Sand  vou- 
lait peindre  avec  équité  tous  les  partis  et  coteries  politiques 
qui  étaient  à  l'apogée  de  leur  activité  vers  la  fin  de  la  deuxiÚme 
RĂ©publique.  Mais,  aprĂšs  le  2  DĂ©cembre,  il  Ă©tait  impossible,  selon 
elle,  de  parler  avec  une  égale  impartialité  de  ceux  qui  étaient 
les  vaincus  en  1851  et  rachetaient  leurs  erreurs  dans  les  prisons 
ou  l'exil  —  et  des  reprĂ©sentants  du  parti  triomphant  :  «  Ce 
serait  une  lùcheté.  » 

Pour  cette  raison,  elle  ne  continua  point  sa  trilogie,  et  fit 
mĂȘme  des  coupures  dans  le  roman  dĂ©jĂ   Ă©crit  ;  elle  «  l'expurgea 
de  toute  discussion  vive,  de  toute  physionomie  accusée  d'actua- 
lité »,  et  elle  ne  le  donna  à  l'impression  qu'en  1855. 

L'esprit  du  livre  est  resté  ce  qu'il  était,  rien  n'y  a  été  changé,  mais 
beaucoup  de  dĂ©tails  ont  Ă©tĂ©  supprimĂ©s.  Peut-ĂȘtre  que  le  roman  y  a 
gagné  :  il  n'était  que  le  prétexte  du  livre,  il  en  est  devenu  le  but 

Nous  croyons  toutefois  que  malgrĂ©  ces  coupures,  son  intĂ©rĂȘt 
principal  gĂźt  justement  dans  le  contre-coup  des  agitations  du 
moment  reflétées  dans  le  roman,  et  dans  la  reproduction  presque 
photographique  de  la  réalité  ambiante  dans  les  derniers  mois 
de  la  deuxiĂšme  RĂ©publique. 

Ce  roman  est  bien  un  document  humain,  une  Ɠuvre  presque 
autobiographique.  L'auteur  le  comprend  parfaitement  en  disant 
dans  sa  dédicace  à  M.  Alexandre  Manceau  : 

Quelques  scÚnes  de  ce  roman  dialogué  sont  pour  nous  des  souvenirs. 
Nous  Ă©tions  encore  gais  en  les  commentant  dans  nos  causeries  de 
famille.  Que  de  chagrins  ont  passé  sur  nous  depuis  ce  temps-là  !  En 
si  peu  de  temps,  que  d'inquiétudes,  que  de  séparations,  que  de  morts  ! 
Nous  avons  ri  et  pleuré  ensemble  :  il  est  bien  juste  que  je  dédie  cette 
page  du  passé  au  plus  fidÚle,  au  plus  dévoué  des  amis. 

Et  effectivement,  des  volumes  entiers  de  correspondances  et 
de  mémoires  ne  rendraient  pas  aussi  vivement,  avec  autant 


iSo  GEORGE  SAND 

d'Ă©clat  et  de  couleur,  la  vie  Ă   Nohant  de  1848  Ă   1851.  Et  tout 
d'abord,  nous  y  voyons  apparaĂźtre  sous  des  pseudonymes  trans- 
parents, sous  les  noms  des  personnages  des  premiers  romans  de 
George  Sand,  et  mĂȘme  sous  leurs  vĂ©ritables  noms,  tous  les  habi- 
tants de  Nohant  et  de  La  ChĂątre.  C'est  ainsi  que  nous  y  voyons 
Maurice  et  ses  amis  :  EugĂšne  (Lambert),  Emile  (Aucante)  et 
Damien  (Manceau).  Puis  Jacques  (la  personnification  de  l'une 
des  multiples  faces  de  George  Sand  elle-mĂȘme)  et  son  ami  Ralph 
Brown  (Jules  NĂ©raud)  avec  sa  femme  Indiana  (l'autre  person- 
nification de  l'auteur)  et  ses  deux  filles  Noémie  et  Sarah  (du 
roman  Ă 'Isidora).  Solange  y  apparaĂźt  sous  le  nom  de  la  comtesse 
Diane  de  Noirac;  l'un  de  ses  adorateurs,  sous  celui  de  GĂ©rard 
de  Mireville.  Nous  voyons  aussi  les  deux  curés  :  celui  de  Nohant 
(changé  en  Noirac)  et  celui  de  Saint-Chartier  (transformé  en 
Saint- Al  don).  Marie  Caillaud,  la  jeune  servante  de  Nohant,  la 
favorite  de  Mme  Sand  et  de  Manceau,  Ă   laquelle  ils  enseignaient 
la  lecture  et  l'écriture,  et  qu'ils  avaient  rapprochée  d'eux,  sur- 
tout depuis  qu'ils  lui  avaient  découvert  un  vrai  talent  drama- 
tique et  qu'elle  prenait  part  aux  représentations  de  la  Commedia 
delV  arte,  est  nommée  Jenny;  le  jeune  républicain  poursuivi,  Ful- 
bert Martin,  s'appelle  Florence  Marigny,  il  se  cache  Ă   Nohant, 
nous  voulons  dire...  à  Noirac,  en  qualité  de  jardinier;  le  fermier 
de  Nohant,  Camus,  s'appelle  Cottin.  Puis  viennent  les  habitants 
de  La  Chùtre,  à  peine  dissimulés  sous  leurs  pseudonymes  :  Char- 
casseau  (Delaveau),  Mme  Paturon  (ChĂątiron),   et  son  neveu 
Polyte  Cliopard  (Hippolyte  ChĂątiron),  et  les  paysans  de  Nohant  : 
Germain  (de  la  Mare  au  Diable)  avec  son  fils  Pierre  et  sa  fiancée 
Maniche,  et  les  bonnes  femmes  de  Nohant,  et  les  gamins,  et  jus- 
qu'aux vieux  chiens  favoris  :  le  petit  Marquis,  le  chien  de  la 
cour  —  Pyrame  et  LĂ©da,  qui  ne  sont  pas  oubliĂ©s  ! 

L'action  se  passe  tantĂŽt  au  chĂąteau,  tantĂŽt  soi-disant  dans  le 
prieurĂ©  voisin  oĂč  sont  censĂ©s  demeurer  Maurice  et  ses  amis.  (A  ce 
propos,  il  faut  noter  que  Maurice  Sand  avait  installé  son  théùtre 
dans  la  salle  voûtée  du  rez-de-chaussée  de  la  maison  de  Nohant, 
qui  portait  encore  du  temps  de  la  grand'mĂšre  de  George  Sand  le 
nom  de  prieuré.)  TantÎt  sur  la  place  du  village  de  Noirac,  atte- 


GEORGE   SAND  i5i 

nant  au  chĂąteau,  tantĂŽt  prĂšs  du  pavillon,  tapissĂ©  de  lierre,  oĂč 
Jenny  cache  la  comtesse,  et  dans  lequel  quiconque  a  jamais  été 
à  Nohant,  reconnaßt  immédiatement  le  pavillon  du  parc,  sur  la 
route  menant  Ă   la  ChĂątre. 

Une  seule  personne  n'est  pas  peinte  sur  nature,  c'est  l'héroïne 
principale,  autour  de  laquelle  se  déroule  toute  l'aetion  du  roman, 
c'est  une  certaine  jolie  pécheresse  (fort  déplaisante  au  fond),  ex- 
camarade villageoise  de  Jenny,  du  nom  de  CĂ©line  Tarantin, 
Myrto  de  son  nom  de  cocotte,  et  qui  vient  Ă   Noirac. 

La  simple  intrigue  ne  sert  que  de  cadre  permettant  Ă   l'auteur 
de  tracer  les  figures  bien  connues  avec  tous  leurs  traits  sail- 
lants et  leurs  particularités.  Voici  Maurice,  entreprenant  et 
inventeur,  tantÎt  exerçant  ses  pompiers,  tantÎt  taillant  d'un 
moreeau  de  bois  quelque  marionnette,  tantĂŽt  composant  un 
scénario  pour  le  spectacle  du  soir,  tantÎt  construisant  et  faisant 
naviguer  un  bateau,  le  Maijeux,  et  au  milieu  de  tout  cela  répé- 
tant imperturbablement  son  adage  favori  :  FĂ©lix  qui  potuit 
rerum  cogwoscere  causas.  Voici  EugÚne  adonné  à  son  art...  Voici 
Emile  le  politicien.  Voici  Damien,  l'ami  et  l'aide  de  tout  le 
monde,  s'oubliant  pour  rendre  service  ou  faire  plaisir  Ă   l'un 
des  camarades. 

Et  le  milieu  oĂč  ils  agissent  est  aussi  bien  rĂ©el.  D'une  part, 
c'est  la  vie  Ă   Nohant  peinte  d'aprĂšs  nature  avec  ses  discussions, 
philosophiques  et  politiques,  ses  préoccupations  artistiques,  avec 
tous  les  intĂ©rĂȘts  si  variĂ©s  et  les  gaies  escapades  de  la  jeunesse. 

D'autre  part,  c'est  le  milieu  provincial  et  petit  bourgeois  avec 
ses  platitudes,  ses  potins,  ses  prétentions  comiques,  son  ava- 
rice, sa  curiosité  invraisemblable,  et  sa  médiocrité  fabuleuse  ;  puis 
les  vieux  paysans  bornés,  inertes  et  superstitieux,  et  les  jeunes, 
commençant  à  s'éveiller  à  une  vie  nouvelle,  et  enfin  les  repré- 
sentants du  clergé,  bonshommes  voulant  vivre  en  paix  avec  tout 
le  monde,  et  jouir  de  l'existence.  Et  finalement,  c'est  la  vie 
sociale  en  1851,  dans  le  large  sens  du  mot,  —  avec  ses  luttes  de 
partis,  de  classes  et  d'intĂ©rĂȘts,  avec  la  tension  de  quelques  esprits 
d'élite  vers  des  buts  si  divers.  Tout  cela  est  narré  en  forme  de 
dialogues  des  personnages,  se  succĂ©dant  sans  trĂȘve  et  interrompus, 


i52  GEORGE   SAND 

dĂšs  que  la  scĂšne  reste  vide,  par  les  causeries  et  les  chansons  du 
moineau  et  de  la  fauvette,  de  la  poule  avec  les  petits  canards, 
des  grenouilles,  des  lézards,  des  grillons,  des  araignées,  des  grues, 
des  coqs,  des  marionnettes,  des  scarabées,  de  la  chouette,  avec 
son  mari,  des  chiens  de  basse-cour  et  de  manchon.  Ces  pages-lĂ  
sont  les  plus  charmantes  et  les  plus  intéressantes  du  roman. 
L'auteur  semble  pénétrer  dans  la  psychologie  de  chaque  ani- 
mal, de  chaque  petit  oiseau,  et  mĂȘme  dans  celle  des  poupĂ©es,  et 
les  fait  parler  et  sentir  comme  s'il  avait  réellement  surpris  leurs 
pensées  ou  compris  leur  langage.  C'est  aussi  par  ces  conversa- 
tions-là que  s'exprime  la  pensée-mÚre  profondément  philoso- 
phique de  l'Ɠuvre.  H  faudrait  intituler  .ce  roman,  non  pas  le 
Diable  aux  champs  (nom  purement  arbitraire,  car  le  séjour  de 
l'une  des  marionnettes,  le  diable,  dans  les  champs  et  sur  un 
arbre,  et  la  série  de  quiproquos  qui  s'ensuivent  est  tout  fortuit 
et  ne  présente  qu'un  épisode  tout  en  dehors  de  l'action),  il 
faudrait  l'intituler  :  Chacun  à  sa  maniÚre,  parce  qu'il  présente 
un  kaléidoscope  de  croyances,  d'idées,  d'appréciations  les  plus 
différentes  sur  le  monde.  Chacun  juge  à  sa  façon.  Tandis  que 
les  grenouilles  se  réjouissent  de  l'humidité  et  adorent  l'eau,  les 
grillons  la  craignent  et  adorent  le  feu  ;  les  coqs  saluent  la  lumiĂšre, 
les  chouettes  les  ténÚbres  ;  les  lézards  restent  prudemment  dans 
leur  coin  en  prÎnant  le  «  chacun  chez  soi  »,  les  grues  volent 
courageusement  en  avant;  les  hommes  détruisent  les  toiles 
d'araignées,  les  araignées  les  tissent.  Il  est  impossible  de  tout 
concilier,  il  faut  que  chacun  fasse  son  Ɠuvre  et  sa  besogne  avec 
une  ferme  conviction,  sans  trĂȘve,  sans  faire  attention  Ă   quoi 
que  ce  soit  ;  toutes  ces  actions  non  conciliées  produisent  l'har- 
monie universelle. 

Nous  ne  pouvons  pas  malheureusement  citer  toutes  ces  scĂšnes 
charmantes  et  ces  dialogues  si  spirituels;  les  lecteurs  français 
feraient  bien  de  les  relire  !  Mais  nous  citerons  la  scĂšne  finale  : 
Tous  les  personnages  :  Maurice,  avec  ses  amis,  qui  viennent  de 
terminer  une  représentation  de  marionnettes,  ainsi  que  tous  les 
spectateurs  sont  partis,  invités  par  Diane  à  souper  avec  elle 
dans  la  serre  ;  Florence  et  Jenny  ont  disparu  aprĂšs  s'ĂȘtre  expli- 


GEORGE   SAND  153 

qués  sur  leurs  sentiments  réciproques;  les  marionnettes  qui, 
aprÚs  chaque  représentation  restent  excitées,  grùce  à  l'influence 
de  l'esprit  humain  sur  leur  personne  de  bois,  et  qui  avaient  jasé 
en  laissant  voir  leur  point  de  vue  particulier,  leur  philosophie  de 
poupées,  qu'elles  prennent  aussi  pour  la  vraie  vérité,  les  marion- 
nettes se  sont  aussi  calmées  peu  à  peu  et  endormies.  Et  c'est 
alors  que  dans  le  vieux  prieuré  obscur,  les  seules  araignées 
veillent.  Elles  se  mettent  Ă   travailler  avec  ardeur,  Ă   refaire 
toutes  les  toiles  anéanties  par  l'homme.  Elles  tissent  leur  trame, 
—  «  in  dem  Webstuhl  geht  die  SpulĂ»e  —  was  sie  wĂ©bt  das  weiss  kein 
Weber,  »  avait  dit  Heine  («  la  navette  court  dans  le  métier,  ce 
qu'elle  tisse,  aucun  tisserand  ne  le  sait  »),  elles  tissent  et  parlent  : 

Une  !  deux  !  une  !  deux  !  d'un  bout  Ă   l'autre  !...  Filons,  filons,  tra- 
vaillons, il  fait  sombre  ! 

Travaillons  pour  qu'au  jour  naissant  nos  toiles  nouvelles  soient 
tendues.  On  a  détruit  aujourd'hui  notre  ouvrage,  on  a  ruiné  nos  ma- 
gasins et  traßné  nos  filets  précieux  dans  la  boue.  N'importe,  n'importe  ! 
Une  1  deux  !  Filons  ! 

Que  tout  dorme  ou  veille,  que  le  soleil  s'allume  ou  s'Ă©teigne,  il  faut 
filer,  une  !  deux  !  d'un  angle  Ă   l'autre  ! 

Tissons,  tissons,  croisons  les  fils,  le  travail  console  et  répare  ! 

Tissons,  filons,  prenons  les  angles.  Et  vous  qui  détruisez  le  travail 
des  jours  et  des  nuits,  vous  qui  croyez  nous  dĂ©goĂ»ter  de  notre  Ɠuvre, 
balayez,  ravagez,  brisez.  Une!  deux!  toujours,  toujours,  filons,  tis- 
sons et  travaillons  jusqu'Ă   l'aurore  ! 

Dans  les  vieux  coins,  dans  l'abandon  et  la  poussiĂšre,  nuit  et  jour  la 
pauvre  araignée  grise  tisse  la  trame  de  son  existence  ;  active,  patiente, 
menue,  adroite,  agile,  une  !  deux  !  la  pauvre  araignée  persévÚre.  On 
la  chasse,  on  la  ruine,  on  la  poursuit,  on  la  menace  ;  une  !  deux  !  la 
pauvre  araignée  recommence! 

Pour  l'empĂȘcher  de  travailler,  il  faut  tuer  la  pauvre  araignĂ©e.  Mais 
cherchez  donc  nos  petits  Ɠufs,  cachĂ©s  lĂ -haut  dans  le  plafond,  dans 
l'ombre  et  dans  la  poussiĂšre.  Le  soleil  reviendra  toujours  pour  les  faire 
Ă©clore,  et  l'araignĂ©e,  sitĂŽt  sortie  de  l'Ɠuf,  reprendra  la  tĂąche  sans  com- 
mencement et  sans  fin,  la  tĂąche  patiente  que  Dieu  protĂšge.  Une  !  deux  ! 
joignons  les  angles  !  tissons,  filons  jusqu'Ă   l'aurore. 

C'est  par  cette  note  profondément  symbolique,  pleine  de  foi, 
de  courage,  de  croyance  en  l'avenir,  que  George  Sand  termine 


ij4  GEORGE   SAND 

cette  Ɠuvre  extrĂȘmement  remarquable.  Elle  reflĂšte  ses  pensĂ©es, 
et  rĂ©sume  ses  sentiments  et  ses  rĂ©flexions  au  moment  oĂč  se 
terminait  l'orageuse  période  triennale,  aprÚs  la  déchéance  de 
toutes  ses  espérances  de  liberté  et  aprÚs  tant  d'efforts  manques 
pour  l'instituer,  à  la  veille  d'une  Úre  sombre  et  désespérée  de 
réaction. 


CHAPITRE  IX 

GEORGE  SAND  ET  NAPOLEON  III 


Le  prisonnier  de  Ham.  —  Lettre  sur  l'Ă©lection  de  Louis-NapolĂ©on  Ă   la  prĂ©si- 
dence de  la  RĂ©publique.  —  Le  coup  d'État  de  1851.  —  Les  dĂ©marches  de 
George  Sand  pour  les  victimes.  —  Les  relations  de  George  Sand  avec  les 
malheureux  et  leurs  familles.  —  Les  rĂ©publicains  intransigeants.  —  L'im- 
pĂ©ratrice EugĂ©nie  et  NapolĂ©on  III  jugĂ©s  par  George  Sand.  —  Le  prince 
NapolĂ©on.  —  Mme  Arnould-Plessy.  —  MalgrĂ©tout.  —  Impressions  et  Sou- 
venirs et  article  sur  Y  Histoire  de  Jules  CĂ©sar.  —  Une  lettre  vaudevillesque. 
—  La  consolatrice  des  malheureux. 


Croyez  que  le  plus  beau  titre  que  vous  puissiez  me  donner  est  le 
titre  d'ami,  car  il  indique  une  intimité  que  je  serai  fier  de  voir  régner 
entre  nous... 

Que  les  hommes  soient  injustes  Ă   mon  Ă©gard,  impitoyables  mĂȘme 
malgré  ma  position,  il  n'y  a  rien  là  qui  m'étonne.  Mais  vous,  madame, 
qui  avez  les  qualités  de  l'homme  sans  en  avoir  les  défauts,  vous  ne 
pouvez  pas  ĂȘtre  injuste  Ă   mon  Ă©gard... 

Je  tiens  beaucoup  Ă   l'estime  des  hommes,  mais  je  tiens  particuliĂš- 
rement Ă   la  vĂŽtre.  Je  veux  enfin  ne  pas  perdre  la  petite  part  de  sym- 
pathie que  vous  m'avez  donnĂ©e.  J'y  tiens,  comme  le  prĂȘtre  tient  Ă   la 
lampe  qui  brûle  devant  l'autel,  comme  on  tient  à  un  talisman  qui 
porte  bonheur... 

Ce  n'est  pas  un  poÚte  amoureux,  ni  un  ami  républicain,  ni 
quelque  adorateur  berrichon  de  George  Sand  qui  lui  Ă©crit  ainsi. 
C'est  ce  jeune  prisonnier  du  fort  de  Ham,  qui,  quoi  qu'on  en  ait 
dit,  ne  songeait  pas  exclusivement  Ă   sa  gloire  et  Ă   son  pouvoir 
personnel,  mais  trĂšs  certainement  rĂȘvait  aussi  au  triomphe  en 
France  d'un  pouvoir  soucieux  du  bonheur  de  la  majorité.  Ce 
n'Ă©tait  pas  ce  mesquin  et  piĂštre  vaniteux  que  nous  peignent  des 
pamphlets,  tels  que  Napoléon  le  Petit  ou  V Histoire  d'un  crime, 
c'est  non  seulement  un  personnage  mal  deviné  et  mal  défini 


,56  GEORGE   SAND 

dans  l'histoire,  un  ĂȘtre  complexe  et  plein  de  contradictions,  mais 
encore,  si  Ton  fait  la  part  des  vices  et  des  défauts  de  son  entou- 
rage et  de  ses  propres  faiblesses  ou  inconséquences,  il  nous  appa- 
raĂźt vraiment  comme  un  rĂȘveur  incompris  et  dĂ©sillusionnĂ©,  suc- 
combant sous  le  poids  des  circonstances  par  lui  créées,  comme  un 
utopiste  naĂŻf  et  inconscient.  Dans  son  esprit,  dans  sa  nature,  il 
y  avait  des  traits  sympathiques  attrayants  pour  la  romanesque 
optimiste  et  la  parfaite  et  incorrigible  idéaliste  que  George  Sand 
n'avait  cessĂ©  d'ĂȘtre.  Et  c'est  justement  cet  idĂ©alisme  qui  capti- 
vait celui  qu'on  avait  avec  raison  surnommĂ©  le  «  rĂȘveur  Ă©veillĂ©  ». 
M.  de  Pontmartin  assurait  mĂȘme  qu'il  y  avait  dans  ces  deux 
natures  des  traits  de  parenté  (1).  L'assertion  nous  semble  exa- 
gérée, mais  nous  comprenons  assez  ce  qui  l'avait  causée.  Il  y 
avait  dans  ces  deux  natures  une  certaine  analogie  de  rĂȘverie 
utopiste  ou  d'utopie  rĂȘveuse  et  nĂ©buleuse. 

H  semble  que  George  Sand  et  Napoléon  firent  connaissance 
plus  de  dix  ans  avant  la  chute  de  la  monarchie  de  Juillet,  dans 
le  salon  de  la  comtesse  Merlin,  cette  intéressante  créole  aux 
Souvenirs  de  laquelle  George  Sand  avait,  dÚs  1836,  consacré  un 
article  trÚs  sympathique  (2).  Ce  salon  était  trÚs  fréquenté  par 
les  Ă©crivains,  les  diplomates,  les  artistes.  H  Ă©tait  surtout  plein 
de  mécontents,  de  frondeurs  conspirant  ou  déclamant  contre 
la  poire  (3).  Le  jeune  prince  Louis-Napoléon  Bonaparte  alla 
bientĂŽt  expier  au  fort  de  Ham  la  part  active  qu'il  prit  Ă   une 
conspiration  contre  cette  mĂȘme  «  poire  ».  On  sait  qu'il  y  resta  six 
ans,  jusqu'au  jour  oĂč  il  s'Ă©chappa  dĂ©guisĂ©  en  «  Badinguet  ». 
Le  prince  consacra  ses  loisirs  forcés  à  des  lectures  sérieuses,  aux 
Ă©tudes  sociales,  et  Ă©crivit  quelques  brochures  politico-historiques. 
Les  Idées  napoléoniennes  parurent  en  1839.  En  1844  son  étude 
Sur  l'extinction  du  paupérisme  fit  beaucoup  de  bruit  en  France. 
Louis  Blanc  qui  venait  de  fonder  la  RĂ©form  et  de  faire  la 
connaissance  de  George  Sand,  consacra  dans  son  Histoire  de 

(1)  A.  de  Pontmartin,  Nouveaux  samedis.  Paris,  1877,  16e  série,  11  no- 
vembre 1877. 

(2)  Paru  d'abord  dans  la  Revue  de  Paris  de  1836.  Réimprimé  dans  le  volume 
des  Questions  d'art  et  de  littérature. 

(3)  Sobriquet  de  Louis-Philippe. 


GEORGE   SAND  157 

dix  ans  quelques  pages  au  jeuns  prince,  qu'il  alla  visiter  dans  sa 
prison,  car  la  personne  et  les  idées  de  cet  héritier  du  souverain 
des  peuples,  rĂȘvant  Ă   dĂ©truire  le  paupĂ©risme  ne  pouvaient  man- 
quer d'intéresser  celui  qui  proclamait  «  l'organisation  du  travail  ». 
George  Sand,  qui  prÎnait  alors  les  idéei  de  Louis  Blanc  dans  ses 
articles  et  que  passionnaient  les  grandes  utopies  sociales  promet- 
tant le  bonheur  «  à  la  classe  la  plus  nombreuse  et  la  plus  pauvre  », 
lut  avec  d'autant  plus  d'intĂ©rĂȘt  ces  pages  sur  le  prince  prisonnier, 
et  les  fit  réimprimer  par  son  journal  berrichon  VEdaireur  de 
V Indre  (1).  Et  puis  cet  intéressant  prisonnier  venait  de  lui  envoyer 
sa  brochure  par  l'intermédiaire  d'un  ami  commun,  Frédéric 
Degeorges  (2).  Celui-ci  transmit  les  remerciements  de  George 
Sand  au  prince,  mais  un  accusé  de  réception  indirect  ne  suffisait 
probablement  pas  Ă   F  amour-propre  de  l'auteur,  car  voici  ce 
qu'il  Ă©crivit  Ă   M.  Degeorges  le  24  novembre  1844  : 

Mon  cher  monsieur  Degeorges, 

Je  vous  prie  d'exprimer  à  Mme  George  Sand  combien  je  suis  touché 
de  ce  qu'elle  vous  dit  d'aimable  sur  moi  ;  je  suis  fier  de  mériter  son 
approbation.  Jugez  d'aprĂšs  le  plaisir  que  me  fait  Ă©prouver  un  souvenir 
combien  une  lettre  d'elle  me  serait  précieuse  ;  combien  je  serais  heureux 
de  la  voir.  Tùchez  pendant  votre  séjour  à  Paris  d'obtenir  par  des 
députés  l'autorisation  de  venir  à  Ham,  et  si  Mme  George  Sand  dai- 
gnait vous  accompagner,  ce  serait  pour  moi,  véritable  excommunié, 
un  jour  de  fĂȘte.  Je  ne  recherche  pas  des  Ă©loges,  je  veux  les  mĂ©riter  ; 
on  me  fera  toujours  plaisir  en  me  donnant  des  conseils,  vous  devriez 
bien  m'envoyer  la  lettre  de  Mme  G.  Sand. 

Je  suis  fùché  de  vous  avoir  écrit  la  lettre  que  vous  avez  dû  recevoir 
derniĂšrement,  mais  je  suis  loin  d'ĂȘtre  parfait  et  j'ai  souvent  des  mou- 
vements d'humeur  contre  les  hommes,  contre  l'injustice  du  sort. 

Le  plaisir  des  malheureux  est  de  se  plaindre.  J'ai  Ă©crit  Ă   M.  Abb.  (3) 
à  Orléans  pour  l'engager  à  venir  me  voir  d'aprÚs  ce  que  vous  m'aviez 
dit,  mais  il  parait  qu'il  a  fait  la  sourde  oreille.  Je  vous  remercie  non 
comme  Bonaparte,  mais  comme  citoyen,  de  la  fusion  que  vous  voulez 
opérer,  car  là  seulement  est  le  salut.  Nous  sommes  tous  enfants  de 

(1)  Lettre  de  George  Sand  Ă   Louis  Blanc  de  novembre  1844.  Correspondance, 
t.  II,  p.  324-27. 

(2)  George  Sand,  sa  vie  et  ses  Ɠuvres,  vol.  II,  p.  184, 

(3)  Abbatucci. 


158  GEORGE   SAND 

la  RĂ©volution,  et  par  nos  dissensions  entre  frĂšres  nous    risquons  de 
tuer  notre  mĂšre  commune. 

Adieu,  mon  cher  monsieur  Degeorges,  recevez  de  nouveau  l'assu- 
rance de  ma  sincÚre  amitié. 

N.  L. 

George  Sand  fit  ce  que  le  prince  désirait  et  le  remercia  dans 
une  lettre  datée  du  26  novembre  1844,  et  depuis  lors  maintes 
fois  réimprimée,  mais  peu  connue  toutefois  du  public,  d'autant 
plus  qu'elle  fut  la  plupart  du  temps  insérée  dans  les  éditions  soit 
spéciales,  soit  oubliées,  et  que  dans  la  Correspondance  elle  est 
tronquée  et  corrigée  (1). 

^Xous  mettons  entre  crochets  les  phrases  omises  et  nous 
indiquons  en  notes  les  mots  changés. 

Prince, 

Je  dois  vous  remercier  des  souvenirs  flatteurs  dont  vous  m'avez 
honorée  (2)  en  m' adressant,  [avec  un  mot  de  votre  main  qui  m'est 
précieux]  le  [noble  et]  remarquable  travail  sur  l'extinction  du  pau- 
pĂ©risme. C'est  de  grand  cƓur  que  je  vous  exprime  lĂŻntĂ©rĂȘt  sĂ©rieux 
avec  lequel  j'ai  étudié,  votre  projet.  [J'ai  été  surtout  frappée  de  la  juste 
appréciation  de  nos  malheurs  et  du  généreux  désir  d'en  chercher  le 
remÚde.  Quant  à  bien  apprécier  les  moyens  de  réalisation]  je  ne  suis 
pas  de  force  Ă   le  faire  (3),  et  d'ailleurs  ce  sont  lĂ   des  controverses  dont, 
je  suis  sûre,  vous  feriez  au  besoin  bon  marché.  En  fait  d' application, 
il  faut  peut-ĂȘtre  avoir  la  main  Ă   l'Ɠuvre  pour  s'assurer  qu'on  ne  s'est 
pas  trompé,  et  le  rÎle  (4)  d'une  vaste  intelligence  (5)  est  de  perfec- 
tionner ses  plans  en  les  exécutant.  [Mais  l'exécution,  Prince,  à  quelle 
main  l'avenir  la  confiera-t-il  (6)?  Il  y  a  peut-ĂȘtre  inconvenance  et 

(1)  Cette  lettre  parut  d'abord  sons  le  titre  de  M.  Louis-Napoléon  jugé 
par  George  Sand  m  1844  dans  YAlmamch  populaire  de  h  Franee  pour  1849, 
(16e  année,  Pagnerre),  que  nous  avons  retrouvé  à  la  BibliothÚque  Carnavalet. 
Puis  elle  fut  réimprimée  dans  deus  brochures  répandues  par  la  propa- 
gande bonapartiste,  un  peu  avant  les  élections  du  10  décembre  1848,  et 
George  Sand  protesta  dans  le  journal  de  Proud'hon,  le  Peuple,  numéro  du 
6  décembre  1848,  contre  cet  emploi  pratique  de  son  épßtre  purement  abs- 
traite. Enfin,  elle  parut  dans  la  Correspondance  de  George  Sand*,  vol.  II,  p.  328, 
mais  tronquée,  changée,  avec  omission  du  dernier  passage  et  à  la  fausse  date 
de  «  décembre  »  1844. 

(2)  Du  souvenir  flatteur  que  vous  avez  bien  voulu  me  consacrer. 

(3)  A  en  apprécier  la  réalisation. 

(4)  Le  fait.  » 
(6)  Noble. 

(6)  Dans  quelles  mains  l'avenir  la  mettra-t-il? 


GEORGE   SAND  i59 

manque  de  respect  Ă   soulever  cette  question  en  vous  pariant.  Peut- 
ĂȘtre  aussi  de  vives  sympathies  donnent-elles  ce  droit]  (1).  Je  ne  sais 
pas  si  votre  infortune  a  des  flatteurs,  je  sais  qu'elle  a  mérité  d'avoir 
des  amis.  Croyez  qu'il  faut  plu3  d'audace  (2)  aux  esprits  courageux  (3) 
pour  vous  dire  la  vérité  aujourd'hui  (4)  qu'il  ne  leur  eût  falln  si  vous 
eussiez  triomphé.  C'est  notre  habitude  à  nous  [démocrates]  de  braver 
les  puissants,  et  cela  ne  nous  coûte  guÚre,  quel  qu'en  soit  le  danger, 
mais  devant  un  héros  captif  et  un  guerrier  enchaßné  (5)  nous  ne  sommes 
pas  braves.  Sachez-nous  donc  quelque  gré,  vous  qui  comprenez  ces 
choses,  de  ce  que  nous  voulons  nous  défendre  des  séductions  que  votre 
caraetĂšre,  votre  intelligence  et  votre  situation  exercent  sur  nous  et 
de  ce  que  nous  osons  vous  dire  [la  vérité,  cTest]  que  jamais  nous  n'eus- 
sions reconnu  (6)  d'autre  souverain  que  le  peuple  et  que  [la  souve- 
raineté de  tous  nous  paraßtra  toujours  incompatible]  (7)  avec  celle 
d'un  homme.  Aucun  miracle,  aucune  personnification  du  génie 
populaire  dans  un  seul  (8).  Mais  vous  savez  cela  :  vous  le  saviez  peut- 
ĂȘtre  quand  vous  marchiez  vers  nous  [et  nous,  s'il  eĂ»t  fallu  que  nous 
fussions  conquis,  nous  eussions  prĂ©fĂ©rĂ©,  Ă   toute  autre,  une  conquĂȘte, 
qui  eût  ressemblé  à  une  délivrance  ;  mais]  ce  que  vous  ne  saviez  pas, 
[c'est  que  les  hommes  longtemps  trompés  et  opprimés  ne  s'éveillent 
pas  dans  un  jour  de  confiance]  (9).  La  pureté  de  vos  intentions  eût  été 
fatalement  méconnue  et  vous  ne  vous  seriez  pas  assis  au  milieu  de 
nous  sans  avoir  à  nous  combattre  et  à  nous  réduire. 

Telle  est  [l'inflexibilité  des  lois  qui  entraßnent  la  France  vers]  (10) 
son  but  que  vous  n'avez  pas  mission,  vous  homme  d'Ă©lite,  de  nous 
arracher  à  la  tyrannie  (11).  Hélas  !  vous  devez  souffrir  de  cette  pensée, 
autant  qu'on  souffre  de  l'envisager  et  de  la  dire  ;  car  vous  méritiez  de 
naĂźtre  en  des  jours  oĂč  vos  rares  qualitĂ©s  eussent  pu  faire  votre  gloire 
et  notre  bonheur.  Mais  il  est  une  autre  gloire  que  celle  de  l'épée,  un 


(1)  Ce  passage  manque  dans  la  Correspondance,  et  il  y  est  remplacé  par  les 
mots  :  «  Nous  autres  cƓurs  dĂ©mocrates  nous  aurions  prĂ©fĂ©rĂ©  peut-ĂȘtre  ĂȘtre 
conquis  par  vous  que  par  tout  autre,  mais  nous  n'aurions  pas  moins  été 
conquis,  d'autres  diraient  délivrés.  » 

(2)  De  courage. 

(3)  Ames  généreuses. 

(4)  Maintenant. 

(5)  Désarmé. 

(6)  ReconnaĂźtrons. 

(7)  Cette  souveraineté  nous  paraßt  incompatible. 

(8)  Mots  ajoutés  dans  la  Correspondance.  «  Ne  nous  prouvera  le  droit  d'un 
seul.  » 

(9)  Puisque  les  hommes  sont  méfiants  et  que  la  pureté. 

(10)  La  force  des  lois  providentielles  qui  poussent  la  France  Ă . 

(11)  Tirer  des  mains  d'un  homme  vulgaire  pour  ne  rien  dire  de  pia. 


i6o  GEORGE   SAND 

autre  ascendant  que  celui  des  faits  (1).  Vous  le  savez  (2)  maintenant 
que  le  calme  du  malheur  vous  a  rendu  toute  [votre  sagesse,  toute] 
votre  grandeur  naturelle,  et  vous  aspirez,  dit-on,  Ă   n'ĂȘtre  qu'un  citoyen 
français  ;  c'est  un  assez  beau  (3)  rÎle  pour  qui  sait  le  comprendre  ;  vos 
préoccupations  et  vos  écrits  prouvent  que  nous  aurions  en  vous  un 
grand  citoyen,  si  les  ressentiments  de  la  lutte  pouvaient  s'Ă©teindre  et 
si  le  rÚgne  de  la  liberté  revient  (4)  un  jour  guérir  les  ombrageuses 
défiances  des  hommes.  Vous  voyez  comme  les  lois  de  la  guerre  sont 
encore  farouches  et  implacables,  vous  qui  les  avez  courageusement 
affrontées  et  qui  les  subissez  plus  courageusement  encore.  Elles 
paraissent  odieuses  (5)  quand  on  voit  (6)  un  homme  tel  que  vous  en 
ĂȘtre  la  victime.  [Eh  bien!  lĂ   est  votre  gloire  nouvelle,  lĂ   sera  votre 
grandeur  véritable.]  Le  nom  terrible  et  magnifique  que  vous  portez 
n'eût  pas  suffi  pour  nous  vaincre  (7).  Nous  avons  à  la  fois  diminué  et 
grandi  depuis  les  jours  d'ivresse  sublime  qu'il  nous  a  donnés.  Son 
rÚgne  illustre  n'est  plus  de  ce  monde,  et  l'héritier  de  son  nom  [penché 
sur  des  livres,  médite,  attendri,]  sur  le  sort  des  prolétaires.  Oui,  c'est 
lĂ   votre  gloire  (8),  lĂ   est  un  aliment  sain  qui  ne  corrompra  point  la 
[sainte]  jeunesse  et  la  [haute]  droiture  de  votre  ùme  (9)  comme  l'eût 
fait,  peut-ĂȘtre,  l'exercice  du  pouvoir  malgrĂ©  vous  (10).  LĂ   serait  le 
lien  [de  cƓur]  entre  vous  et  les  Ăąmes  rĂ©publicaines  que  la  France 
compte  par  millions  [aujourd'hui].  Quant  Ă   moi  (11)  je  ne  connais  pas  le 
soupçon,  et  s'il  dépendait  de  moi,  aprÚs  vous  avoir  lu,  j'aurais  foi 
en  vos  promesses  et  j'ouvrirais  la  prison  pour  vous  faire  sortir,  la  main 
pour  vous  recevoir.  Mais  hélas  !  ne  vous  faites  pas  d'illusions  !  Us 
sont  tous  inquiets  et  sombres  autour  de  moi,  ceux  qui  aspirent  Ă   des 
jours  meilleurs  (12);  vous  ne  les  vaincrez  que  par  les  idées  (13),  par  la 
vertu,  par  le  sentiment  démocratique,  par  la  doctrine  de  l'égalité. 
Vous  avez  de  tristes  loisirs  :  mais  vous  savez  en  tirer  parti.  Parlez- 
nous  donc  [souvent  de  délivrance  et  d'affranchissement]  (11),  noble 

(1)  Une  autre  puissance  que  celle  du  commandement. 

(2)  Sentez. 

(3)  Grand. 

(4)  Venait  un  jour  à  guérir. 

(5)  Nous  paraissent  plus  odieuses  que  jamais. 

(6)  Nous  voyons. 

(7)  Ce  n'est  donc  pas  le  nom  terrible  et  magnifique  que  vous  portez  qui 
nous  eût  séduit. 

(8)  Grandeur,  lĂ   est  l'aliment  de  votre  Ăąme  active. 

(9)  Vos  pensées. 

(10)  L'eĂ»t  fait  peut-ĂȘtre  malgrĂ©  vous  l'exercice  du  pouvoir. 

(11)  Mot  ajouté  :  personnellement. 

(12)  Ceux  qui  rĂȘvent  des  temps  meilleurs. 

(13)  Par  la  pensée. 

(14)  Encore  de  liberté. 


GEORGE   SAND  161 

captif  !  Le  peuple  est  comme  vous  dans  les  fers  ;  le  Napoléon  d'au- 
jourd'hui est  celui  qui  personnifie  les  douleurs  du  peuple,  comme 
l'autre  personnifiait  [hier]  sa  gloire. 
Acceptez,  prince,  l'expression  de  mon  sentiment  respectueux. 

George  Sand. 

Napoléon  répondit  à  cette  lettre  par  une  lettre  tout  aussi  sin- 
cÚre datée  du  14  décembre,  et  une  correspondance  amicale  s'en- 
suivit en.re  la  recluse  de  Nouant  et  le  prisonnier  de  Ham,  une 
correspondance  roulant  surtout  sur  les  questions  de  principes  et 
sur  celle  qui  Ă©tait  Ă   l'ordre  du  jour,  avant  tout,  la  politique, 
comme  on  peut  en  juger  par  les  trois  lettres  suivantes  se  rap- 
portant Ă   1845  et  parues  dans  le  Figaro  de  1897  ;  nous  les  avons 
vérifiées  sur  les  originaux. 

Fort  de  Ham,  24  janvier  1845. 
Madame, 

Croyez  que  le  plus  beau  titre  que  vous  puissiez  me  donner  est  le  titre 
d'ami,  car  il  indique  une  intimité  que  je  serai  fier  de  voir  régner  entre 
nous.  Si  aux  yeux  du  public  je  tiens  Ă   mon  titre  de  prince,  c'est  que 
ce  titre  m'a  toujours  été  disputé  par  les  hommes  et  les  gouvernements 
qui  regardent  la  révolution  française  comme  un  accident  et  tout  ce 
que  le  peuple  a  établi  de  89  à  1815  illégitime.  Tant  que  la  France  aura 
des  princes,  je  ne  dĂ©chirerai  pas  mon  extrait  de  baptĂȘme;  mais  je 
passerai  avec  plaisir  l'Ă©ponge  sur  mon  passĂ©  le  jour  oĂč  elle  ne  recon- 
naĂźtra que  des  citoyens. 

Un  mot  de  votre  lettre,  madame,  me  fait  craindre  que  vous  ayez 
mal  compris  le  sentiment  qui  m'a  inspiré  en  vous  écrivant.  Vous  vous 
violentez  doucement,  dites-vous.  Si  je  vous  ai  Ă©crit  avec  entraĂźnement, 
avec  chaleur,  ce  n'Ă©tait  pas  par  calcul  pour  vous  attirer  Ă   moi,  mais 
par  enthousiasme.  J'ai  exprimé  sans  réserve  et  sans  arriÚre-pensée  ma 
vive  sympathie  à  la  femme  illustre  par  son  génie  et  la  noblesse  de 
son  cƓur.  Si  je  n'avais  vu  en  elle  qu'un  chef  de  parti,  je  lui  aurais  Ă©crit 
froidement,  avec  le  style  glacé  de  la  politique.  Si  j'étais  assez  heureux 
pour  pouvoir  vous  voir,  je  vous  dirais  tout  ce  que  je  pense,  tout  ce  que 
je  sens,  et  si  vous  n'approuviez  pas  toutes  mes  convictions,  vous  ren- 
driez du  moins  justice  à  ma  franchise.  Je  désire  la  liberté,  le  pouvoir 
mĂȘme,  mais  je  prĂ©fĂ©rerais  mourir  en  prison  que  de  devoir  mon  Ă©lĂ©- 
vation à  un  mensonge.  Je  ne  suis  pas  républicain,  parce  que  je  crois 
la  république  impossible  aujourd'hui  en  présence  de  l'Europe  monar- 
chique et  de  la  division  des  partis.  Mais  je  dĂ©sire  de  tout  mon  cƓur 


i62  GEORGE   SAND 

l'avĂšnement  d'un  gouvernement  quelconque  qui  s'efforce  d'amener 
en  France  les  institutions  dĂ©mocratiques,  qui  s'occupe  du  bien-ĂȘtre  du 
plus  grand  nombre  et  qui  fasse  triompher  la  libellé,  la  vertu,  la  jus- 
tice. Mais  aussi  tous  les  jours  je  perds  un  peu  de  mes  espérances,  car 
tous  les  jours  la  tĂȘte  de  la  France  s'aplatit,  son  ventre  s'augmente  et 
son  cƓur  se  resserre.  Vous  me  permettrez  de  vous  appeler  toujours 
madame.  Ce  titre,  en  français,  est  tout  à  fait  convenable,  car  il  est 
tendre  et  respectueux  à  la  fois.  Il  est  trÚs  démocratique,  puisqu'on  le 
donne  Ă   tout  le  monde,  et  il  est  commun  sans  ĂȘtre  vulgaire.  C'est  donc 
celui  qu'il  me  convient  le  mieux  d'employer  en  vous  Ă©crivant.  Recevez, 
madame,  la  nouvelle  assurance  de  ma  respectueuse  sympathie. 


Fort  de  Ham,  2  avril  1845. 
Madame, 

Votre  derniÚre  lettre  semblait  me  dire  :  «  Je  vous  ai  donné  tout  ce 
que  je  pouvais  vous  donner  :  ne  me  demandez  plus  rien,  car  j'ai  mes 
pauvres.  »  Cependant  je  viens  encore  vous  demander  la  charité,  car 
je  sais  que  vous  possĂ©dez  dans  votre  cƓur  des  richesses  inĂ©puisables, 
capables  de  soulager  toutes  les  misĂšres.  Que  les  hommes  soient  injustes 
à  mon  égard,  impitoyables  malgré  ma  position,  il  n'y  a  rien  La  qui 
m'étonne.  Les  hommes  sont  nés  pour  faire  la  guerre,  et  généralement 
la  guerre  n'est  ni  juste  ni  tendre.  Mais  vous,  madame,  qui  avez  les 
qualitĂ©s  de  l'homme  sans  en  avoir  les  dĂ©fauts,  vous  ne  pouvez  pas  ĂȘtre 
injuste  Ă   mon  Ă©gard,  me  prĂȘter  des  vices  que  je  n'ai  pas,  lire  mes 
écrits  avec  le  sentiment  d'un  procureur  général  qui  cherche  à  établir 
un  procĂšs  de  tendance.  En  un  mot,  vous  ne  pouvez  pas  me  condamner, 
parce  que  vous  avez  vous-mĂȘme  inventĂ©  le  dĂ©lit  et  prononcĂ©  la  peine. 
Depuis  que  vous  avez  lu  mes  Ă©crits,  vous  ne  croyez  plus,  dites-vous, 
à  mon  amour  pour  l'égalité.  Je  ne  puis  croire  que  sérieusement  vous 
ayez  pu  découvrir  dans  ce  que  j'ai  dit  quelque  chose  qui  soit  opposé 
au  principe  général  d'égalité.  Que  je  n'entende  pas  sous  ce  nom  la 
mĂȘme  chose  que  vous,  c'est  possible,  car  il  n'y  a  pas  deux  personnes 
qui  donnent  la  mĂȘme  signification  Ă   un  principe,  et  ce  qui  fait  mĂȘme 
que  ces  grands  mots  d'égalité  et  de  liberté  réunissent  tout  le  monde 
sous  leur  banniÚre,  c'est  que  chacun  les  interprÚte  à  sa  façon  ;  s'ils 
n'avaient  qu'une  signification  Ă©troite,  ils  ne  rallieraient  personne. 
Mais,  différer  dans  l'interprétation,  ce  n'est  pas  méconnaßtre  la  sain- 
tetĂ© de  ce  dogme.  Au  contraire.  Si  vous  daignez  ĂȘtre  franche  avec  moi 
vous  conviendrez  que  vou3  avez  été  enchantée  de  prendre  ce  prétexte 
pour  me  congédier.  Quand  vous  étiez  en  province,  seule  avec  vos 
pensées  et  vos  propres  impressions,  ma  parole  vous  a  touchée  ;  vous 
avez  jugé  avec  ce  sentiment  qui  ne  trompe  jamais,  que  mes  paroles 


GEORGE    SÀND  163 

respiraient  l'amour  du  bien  et  partaient  d'une  conviction  profonde  ; 
alors,  vous  m'avez  Ă©crit,  et  cette  preuve  de  sympathie  de  votre  part 
restera  Ă©ternellement  gravĂ©e  dans  mon  cƓur.  Mais  vous  ĂȘtes  venue  Ă  
Paris,  et  là  vous  avez  trouvé  des  lrommes  qui  se  sont  appliqués  à 
retenir  cette  main  que  vous  tendiez  vers  moi.  Us  vous  ont  dit  :  «  Nous 
sommes  épars,  divisés,  nous  sommes  menacés  par  toutes  les  forces  du 
pouvoir,  par  tout  le  froid  des  vieilles  idĂ©es  et  des  vieux  intĂ©rĂȘts,  par  la 
haine  et  la  jalousie  de  toute  TEurope.  Eh  bien,  le  danger,  l'ennemi  n'est 
pas  aux  Tuileries,  mais  à  Haim  Ce  n'est  pas  contre  un  pouvoir  allié 
des  rois  oppresseurs  des  peuples  et  disposant  de  toutes  les  ressources 
d'un  grand  empire  que  nous  devons  nous  liguer,  mais-  contre  un  die  nos 
frÚre3  qui,  prisonnier  et  abandonné  de  tous,  n'a.  que  son  nom.  poiu- 
Ă©gide,  sa  conscience  pour  soutien.  Et  vous,  malgrĂ©  votre  hou  cƓur, 
votre  haute  intelligence,  vous  avez  suivi  le  torrent,  et  quoique  entourée 
d'ennemis  bien  réels  vous  vous  attaquez  à  un  fantÎme  :  et  ce  fantÎme 
c'est  moi  1  VoilĂ   ce  qui  m'afflige  comme  homme,  ce  que  je  regrette 
comme  citoyen,  car,  croyez-le  bien,  l'union  de  tous  les  bleus  sera  Ă  
peine  suffisante  pour  repousser  le  blanc-blanc  et  le  blanc  sale  qui  noua 
entourent  Mais  cependant  ce  n'est  pas  de  la  politique  que  je  viens  faire 
avec  vous  aujourd'hui  ;  je  veux  absolument  me  justifier  en  vous  accu 
sant  de  partialité.  Je  tiens  beaucoup  à  l'estime  des  hommes  ;  mais  je 
tiens  particuliĂšrement  Ă   la  vĂŽtre.  Je  veux  que  vous  me  jugiez  tel  que 
je  suis  et  non  tel  qu'on  me  fait  Ă   vos  yeux.  Je  veux  enfin  ne  pas  perdre 
la  petite  part  de  sympathie  que  vous  m'avez  donnée.  J'y  tiens,  comme 
le  prĂȘtre  tient  Ă   la  lampe  qui  brĂ»le  devant  l'autel,  comme  on  tient  Ă  
un  talisman  qui  porte  bonheur. 

Eecevez,  madame,  mes  doléances  avec  bonté  et  croyez  à  mes  sen- 
timents respectueux. 

20  juin  1845. 
Madame, 

Je  me  sers  d'une  occasion  et  d'un  prétexte  pour  vous  écrire.  L'occa- 
sion c'est  le  retour  Ă   Paris  de  M.  et  Mme  Cornu  (1),  deux  de  mes  plus 
anciens  amis  qui  veulent  bien  se  charger  de  cette  lettre  pour  vous  ;  le 
prétexte,  c'est  l'envoi  d'un  avant-propos,  éclaireur  d^un  ouvrage  qui 
malheureusement  n'est  point  destinĂ©  Ă   exciter  votre  intĂ©rĂȘt.  Vous  avez 
été  si  bonne  pour  moi  qu'il  était  inutile  d'avoir  recours  à  un  prétexte 
pour  vous  Ă©crire.  Cependant  cela  me  met  plus  Ă   mon  aise  et  je  crains 

(1)  Mme  Hortense  Cornu,  nĂ©e  LaGroix,  sƓur  de  lait  et  amie  intime  de 
Napoléon  III,  fut  mariée  au  peintre  Sébastien-Melchior  Gornu  et  se  distingua 
comme  Ă©crivain  et  traductrice  des  poĂštes  allemands,  sous  le  pseudonyme  de 
SĂ©bastien  Albin.  Elle  fit  paraĂźtre  en  1843  un  travail  en  deux  volumes  sur 
GƓthe  et  Bettina  et  un  peu  avart  Ballades  et  chants  populaires  (anciens  ci 
modernes)  de  V Allemagne,  précédés  d'une  notice  historique.  (Gosselin,  1841.) 


i64  GEORGE   SAND 

moins  d'ĂȘtre  importun.  H  y  avait  dans  votre  derniĂšre  lettre  une  phrase 
qui  méritait  de  ma  part  tout  un  volume  de  remerciements,  c'est  celle 
oĂč  vous  manifestez  le  regret  de  ne  pouvoir  venir  me  voir.  J'ai  Ă©tĂ©  bien 
sensible  à  ce  regret,  car  il  indique  un  désir  dont  je  suis  fier.  Mais 
puisque  enfin  je  ne  puis  me  rapprocher  de  vous,  je  suis  trĂšs  heureux 
que  Mme  Hortense  Cornu  veuille  bien  se  charger  de  mes  hommages 
pour  vous  ;  car  c'est  la  personne  qui  me  connaĂźt  le  mieux  et  qui,  par 
conséquent,  vous  fera  connaßtre  le  mieux  mes  défauts  et  mes  qualités. 
Cependant  je  lui  recommanderai  bien  de  ne  point  trop  appuyer  sur 
les  dĂ©fauts.  Les  hommes  comme  les  tableaux  doivent  ĂȘtre  exposĂ©s  sous 
leur  bon  et  propre  jour.  Vous  trouverez  peut-ĂȘtre  que  ces  paroles 
révÚlent  une  certaine  suffisance.  N'y  voyez,  je  vous  prie,  que  le  désir 
d'ĂȘtre  apprĂ©ciĂ©  par  vous  et  de  mĂ©riter  votre  approbation  et  les  sym- 
pathies que  vous  m'offrez  avec  tant  de  grĂące.  Vous  m'engagez  Ă   parler 
philosophie.  Je  ne  suis  pas  fort  sur  cette  thĂ©orie,  peut-ĂȘtre  par  cela 
mĂȘme  que  j'en  fais  tous  les  jours  en  action.  Cependant  il  y  a  dans  votre 
derniÚre  lettre  une  expression  si  juste  que  je  désire  la  relever  pour 
l'expliquer  dans  un  sens  différent  du  vÎtre.  «  J'invoque,  dites-vous,  la 
science  des  limites»...  C'est  que  c'est,  en  effet,  la  véritable  science  pra- 
tique. H  est  clair  que  je  n'entends  pas  par  ces  paroles  la  science  des 
bornes,  cette  science-là  est  si  bien  pratiquée  aujourd'hui  qu'on  ne  sau- 
rait faire  mieux  ;  mais  j'entends  par  science  des  limites  cet  art  qui  con- 
siste à  se  frayer  un  chemin  au  milieu  de  l'espace,  à  définir  ce  qui 
jusqu'ici  était  indéfini,  à  marquer  ce  passage  étroit  qui  sépare  le  sublime 
du  ridicule,  Ă   donner,  en  un  mot,  un  corps,  une  Ăąme,  Ă   qui  Ă©tait  sans 
force  et  sans  vie.  Enfin  j'appelle  science  des  limites  non  cette  science 
du  dieu  Terme  qui,  dans  un  esprit  mesquin  de  défense,  nous  apprend  à 
s'entourer  de  fossés  ;  mais  cette  science  du  berger  qui  protÚge,  nourrit 
son  troupeau,  fertilise  la  terre  qu'il  habite,  puis  ensuite,  dĂšs  que  sa 
mission  est  remplie  en  un  lieu,  va  plus  loin,  poussant  sans  cesse  la 
limite  devant  lui,  et  donne  cet  intéressant  exemple  de  l'ordre  dans  la 
mobilité,  de  la  stabilité  dans  le  progrÚs,  de  la  méthode  et  de  Futilité 
dans  la  conquĂȘte.  Et  dans  le  monde  moral  comme  dans  le  monde  poli- 
tique, savoir  le  point  oĂč  finit  la  libertĂ©  et  oĂč  commence  la  licence,  oĂč 
finit  le  pouvoir  et  oĂč  commence  l'arbitraire  ;  ou  bien  apprendre  oĂč  le 
courage  se  change  en  témérité,  la  tendresse  en  faiblesse  et  l'amour  du 
bien  en  folie,  c'est  sans  aucun  doute  faire  le  cours  le  plus  complet  de 
philosophie.  La  science  des  limites  est  donc  la  véritable  science  du 
genre  humain.  Et  à  ce  propos  je  m'aperçois  que  mon  papier  comme 
votre  patience  ont  une  limite  que  je  ne  veux  outrepasser.  Je  me  borne 
donc  a  vous  renouveler,  madame,  l'assurance  de  mes  sentiments  de 
respectueuse  sympathie. 

Napoléon. 


GEORGE   SAND  165 

Il  est  difficile  de  décider  aujourd'hui  si  les  amis  de  George 
Sand,  à  l'influence  hostile  desquels  Napoléon  faisait  allusion, 
avaient  vraiment  raison  de  se  défier  de  lui,  ou  si  c'est  elle  qui 
avait  raison  de  prendre  pour  de  l'or  pur  ses  protestations  d'amour 
pour  le  peuple  et  ses  rĂȘves  de  bonheur  «  pour  la  majoritĂ©  ».  D'un 
cĂŽtĂ©  le  coup  d'État  et  le  «  rĂ©gime  napolĂ©onien  »  qui  en  fut  la  suite 
semblent  ĂȘtre  une  nĂ©gation  catĂ©gorique  de  la  sincĂ©ritĂ©  des  doc- 
trines philanthropiques  et  populaiies  du  prisonnier  de  Ham. 
De  l'autre,  si  l'on  jugeait  la  sincérité,  les  bonnes  intentions  de 
tous  les  héritiers  présomptifs  d'aprÚs  les  événements  et  les  ten- 
dances ultérieures  de  leurs  rÚgnes,  il  faudrait  alors  nier,  presque 
sans  exception,  toute  tendance  idéale,  toute  bonne  aspiration 
chez  les  hommes  qui  appartiennent  Ă   l'histoire.  Ce  serait  pour- 
tant commettre  une  erreur  de  jugement  historique  que  de  juger 
le  commencement  du  rĂšgne  de  Catherine  II  ou  d'Alexandre  Ier 
et  surtout  leurs  vraies  aspirations,  d'aprÚs  les  événements  et  les 
favoris  de  la  derniĂšre  heure.  Il  serait  tout  aussi  injuste  de  soup- 
çonner la  sincérité  des  doctrines  tant  soit  peu  utopiques,  mais 
vraiment  humanitaires  et  démocratiques  de  l'auteur  de  l'Extinc- 
tion du  paupérisme,  en  tirant  des  «  attendu  que  »  des  actes  de 
MM.  de  Persigny,  de  Morny,  Kouher  et  compagnie.  Les  amis 
républicains  de  George  Sand  commirent  cette  injustice-là.  George 
Sand,  dÚs  le  début,  disait  la  vérité  sans  ambages  à  son  correspon- 
dant titré,  elle  critiquait  ses  théories,  mais  elle  ne  soupçonna 
point  sa  franchise,  et  crut  qu'il  partageait  les  convictions  de  ses 
amis  républicains,  c'est-à-dire  le  bonheur  des  masses,  la  promul- 
gation du  principe  oublié  de  la  grande  Révolution  :  la  volonté 
du  peuple  exprimée  par  le  suffrage  universel. 

Nous  avons  vu  que  George  Sand  se  détacha  des  hommes 
de  1848  lorsqu'elle  s'aperçut  que  la  jorme  l'emportait  chez  eux 
sur  le  fond,  l'amour  du  régime  parlementaire  sur  l'amour  du 
peuple,  et  que  les  soucis  des  intĂ©rĂȘts  de  parti  ou  mĂȘme  de  ceux 
d'un  petit  groupe  prévalaient  sur  le  vrai  souci  du  bien,  du  bonheur 
et  des  droits  des  masses  populaires.  En  politique  elle  poursuivait 
avant  toute  chose  ce  qu'elle  considérait  comme  le  vrai  régime 
démocratique  :  le  droit  de  chaque  citoyen  de  dire  son  opinion,  de 


i66  GEORGE  SAXD 

choisir  ses  reprĂ©sentants  —  c'est-Ă -dire  ce  mĂȘme  suffrage  uni- 
versel que  nou>  venons  de  nommer. 

Et  voici  que  le  jour  oĂč  les  citoyens  français,  pour  la  premiĂšre 
fois,  firent  usage  de  ce  droit  —  il  se  trouva  que  la  voz  pcpuli 
prononça  le  nom  de  celui  avec  qui  George  Sand  discutait  amica- 
lement tant  qu'il  Ă©tait  le  prisonnier  de  Louis-Philippe,  et  qui 
apparaissait  à  la  grande  masse  du  peuple  français  comme  un  sau- 
veur au  milieu  de  la  guerre  des  partis  -qui  déchiraient  la  Fraaace. 
Les  amis  républicains  de  George  Sand  en  furent  exaspérés.  Elle 
leur  répondit  par  les  lignes  suivantes  dans  un  article  intitulé 
Sur  le  gĂȘnerai  Cavaignac,  paru  dans  la  RĂ©forme  du  22  aoĂ»t  1848. 
Nous  avons  reconnu  que  cet  article  Ă©tait  le  mĂȘme  que  celui  qui  fut 
imprimé  en  une  plaquette  intitulée  le  Peuple  et  le  président  et 
emuite  sous  le  titre  de  A  propos  de  Vélection  de  Louis-Napoléon 
à  la  présidai::  de  la  République  dans  le  volume  des  Questions 
politiques  et  sociales. 

Qu'est-ce  que  prouve  cette  énorme  majorité  de  suffrages  en  faveur 
de  celui  de  tous  les  partis  qui  représente  le  moins  la  République?  Au 
premier  abord,  la  rĂ©ponse  semble  devoir  ĂȘtre  celle-ci  :  la  majoritĂ©  des 
Français  n'est  pas  républicaine  ;  et  sans  aueun  doute  le  parti  de  la 
réaction  va  se  prévaloir  de  cette  considération.  Eh  bien,  la  réaction  se 
trompera  quant  au  fond  de  la  question  :  le  peuple  est  républicain 
quand  mĂȘme  ;  et  il  ne  sera  pas  si  facile  qu'on  le  pense  de  lui  enlever  sa 
t  ouveraineté.  Le  peuple  n'est  pas  politique,  voilà  ce  qu'il  faut  recon- 
naĂźtre, et  ce  dont  il  ne  faut  point  s'Ă©tonner... 

Le  peuple  tend  au  socialisme,  dont  le  point  de  départ  est  le  senti- 
ment de  son  droit  et  de  ses  besoins.  Il  y  a  longtemps  que  nous  sommes 
d'accord  sur  le  point  que  le  socialisme  ne  peut  se  passer  de  la  politique 
et  que  la  politique  ne  peut  se  passer  du  socialisme.  Penser  autrement, 
c'est  vouloir  séparer  le  corps  et  iùme,  la  volonté  et  l'action.  Pour  avoir 
été  politique  et  non  socialiste,  la  République  modérée  est  arrivée  à 
mĂ©contenter  le  peuple.  Pour  ĂȘtre  socialiste  et  non  politique,  le  peuple 
arrive  Ă   compromettre  par  un  choix  imprudent  le  principe  mĂȘme  de 
sa  souveraineté.  Mais  un  peu  de  patience.  Dans  peu  de  temps,  le  peuple 
sera  socialiste  et  politique,  et  il  faudra  bien  que  la  RĂ©publique  soit  Ă  
son  tour  l'un  et  l'autre.  Je  m'inquiĂšte  peu  du  personnel  des  gouverne- 
ments, ou  du  moins  je  m'en  inquiĂšte  beaucoup  moins  que  du  grand 
symptĂŽme  de  l'opinion  populaire.  Les  hommes  montent  au  pouvoir  et 
tombent  aussitĂŽt...  Ce  sont  lĂ   des  vicissitudes  secondaires  dans  l'his- 


GEORGE   S  AND  167 

toire  <Tttne  démocratie.  L'histoire  désormais  changera  de  caractÚre. 
Ce  ne  sera  plus  seulement  le  récit  des  faits  et  gestes  de  certains  hommes  ; 
ce  sera  principalement  l'Ă©tude  des  aspirations,  des  impressions  et  des 
manifestations  des  masses.  Ce  qui  vient  de  se  passer  est  un  grand  fait, 
un  grand  enseignement... 

George  Sand  *eroit  que  le  gĂ©nĂ©ral  Cavaignac  —  un  honnĂȘte 
homme  et  qui  ne  fut  qu'une  arme  dont  s'était  servie  «  l'Assemblée 
sans  cƓur  »  et  la  bourgeoisie  —  eut  Ă   expier  cette  faute  involon- 
taire, et  que  le  peuple  élut  Louis-Napoléon  «  en  haine  de  Cavai- 
gnac »,  comme  les  prolétaires-socialistes  le  déclarÚrent  à  Lediu- 
Rollin  dans  les  grands  centres. 

Dans  les  campagnes,  la  grande  masse  des  prolétaires  agricoles  a 
fait  de  mĂȘme  sans  bien  s'en  rendre  compte.  Elle  s'est  vengĂ©e  d'une 
république  bourgeoise  qui  l'a  leurrée  de  belles  promesses,  et  qui  n'a 
trouvé  pour  planche  de  salut  que  l'impÎt  sur  le  pauvre... 

En  repoussant  le  favori  de  l'Assemblée,  le  peuple  protestait  non 
contre  la  RĂ©publique  dont  il  a  besoin,  mais  contre  celle  que  l'Assem- 
blée lui  a  faite.  Croyez  bien  que  c'est  là  le  grand  ascendant  de  Louis 
Bonaparte,  c'est  de  n'avoir  encore  rien  fait  sous  la  république  bour- 
geoise. Le  prestige  du  nom  est  quelque  chose  ;  mais  le  paysan  est  tou- 
jours positif,  mĂȘme  lorsqu'il  est  romanesque.  Que  l'Ă©lu  de  son  choix 
le  frappe  d'un  nouvel  impĂŽt,  vous  verrez  Ă   quoi  lui  servira  son  nom. 
Quant  à  nous,  il  nous  faut  examiner  sérieusement  cet  acte  imprévu 
de  souveraineté  populaire,  et  ne  pas  nous  laisser  surprendre  par  le 
dégoût  et  le  découragement...  Nous  avons  maintenant  peu  de  politique 
Ă   faire,  puiseme  le  souverain  veut  agir  tout  seul.  Mais  nous  lui  devons 
la  propagande  des  idées,  afin  qu'il  sache  peu  à  peu  les  moyens  de  réa- 
liser ce  qu'il  veut.  Quant  à  moi,  je  ne  sens  aucun  dépit  contre  le  peuple, 
lors  mĂȘme  qu'en  apparence  il  apporte  Ă   cette  rĂ©volution  une  solution 
passagĂšre,  tout  opposĂ©e  Ă   mes  vƓux.  De  tous  les  hommes  de  tous 
les  partis  politiques  que  j'ai  vus  passer  depuis  quarante  ans,  je  n'ai 
pu  m'attacher  exclusivement  Ă   aucun,  je  le  confesse.  Il  y  avait  toujours 
en  dehors  de  tous  ces  hommes  et  de  tous  ces  partis  un  ĂȘtre  abstrait 
et  collectif,  le  peuple,  à  qui  seul  je  pouvais  me  dévouer  sans  réserve. 
Eh  bien,  que  celui-là  fasse  des  sottises  ;  je  ferai  pour  lui  dans  mon  cƓur- 
ce  que  les  hommes  politiques  font  dans  leurs  actes  pour  leur  parti  : 
j'endosserai  les  sottises  et  j'accepterai  les  fautes... 

Les  événements  de  1848-51  et  le  triste  rÎle  qu'y  joua  «  l'élu 
du  peuple  »  sont  trop  connus  pour  que  nous  y  revenions  ici.  Nous 


168  GEORGE   SAND 

ne  nous  arrĂȘterons  donc  que  sur  l'impression  et  l'influence  active 
qu'ils  eurent  sur  George  Sand.  Désillusionnée  de  la  République  et 
ne  croyant  plus  Ă   l'avĂšnement  de  l'Ăąge  d'or,  au  triomphe  du  droit 
qui  cédait  la  place  à  la  force,  morne,  abattue,  désenchantée  de 
ses  amis  des  derniÚres  années,  George  Sand  voulut  oublier  la 
«  brutale  réalité  »  en  s'abandonnant  à  l'art,  en  s'y  plongeant. 
Mais  nous  savons  que  ce  ne  fut  nullement  en  Ă©crivant  les  ro- 
mans champĂȘtres.  INon,  ce  fut  vers  une  autre  muse,  ce  fut  vers 
MelpomĂšne  qu'elle  se  tourna  en  ce  moment,  et  celle-ci  la  cou- 
ronna de  nouveaux  lauriers,  pour  sa  comédie  tirée  de  François 
le  Champi  (représenté  à  TOdéon  le  2  novembre  1849).  Le  succÚs 
de  cette  piĂšce  encouragea  donc  George  Sand  Ă   se  tourner,  une 
fois  encore,  vers  cette  branche  de  l'art  qu'elle  avait  Ă   peu  prĂšs 
abandonnĂ©e  —  (le  Roi  attend,  prologue  d'occasion  ne  compte 
pas  !)  —  depuis  le  jour  oĂč  son  premier  drame,  Cosima,  fut  presque 
sifflé  en  1840.  Nous  voyons,  en  1851,  successivement  apparaßtre 
aux  théùtres  de  la  Porte  Saint-Martin,  de  la  Gaieté  et  du  Gym- 
nase les  piĂšces  :  Claudie,  MoliĂšre  et  le  Mariage  de  Victorine.  C'est 
justement  pour  assister  aux  rĂ©pĂ©titions  de  cette  derniĂšre  —  elle 
fut  jouĂ©e  le  26  novembre  1851  —  que  Mme  Sand  arriva  Ă   Paris 
au  mois  de  novembre  de  cette  année,  et  elle  fut  si  préoccupée 
par  la  mise  en  scÚne,  la  distribution  des  rÎles  et  les  répétitions 
que  le  coup  d'État  fut  un  coup  de  foudre  pour  elle. 

H  est  resté  parmi  les  papiers  de  George  Sand  une  mince  enve- 
loppe contenant  quelques  petites  feuilles  et  portant  les  mots  : 
Journal  de  1851  (1).  George  Sand  y  avait  noté  ses  impressions 
du  26  novembre  au  13  décembre.  On  peut  d'aprÚs  certains  indices 
conclure  que  tout  ce  qui  se  trouve  écrit  sous  les  dates  de  «  mer- 
credi, 26  novembre  »,  «  jeudi  27  »,  «  vendredi  28  »,  jusqu'à  la 
«  nuit  du  3  au  4  décembre  »,  fut  écrit  aprÚs  coup,  justement  dans 
cette  nuit  du  3  au  4  décembre,  c'est-à-dire  que  tout  ce  que  George 
Sand  écrit  sur  les  derniers  jours  avant  l'événement,  elle  l'écrivit 


(1)  C'est  notre  inoubliable  amie  Mme  Maurice  Sand  qui  nous  en  avait, 
peu  avant  sa  mort,  remis  l'autographe  pour  le  copier,  afin  d'en  faire  usage 
pour  la  suite  de  notre  travail,  et  de  le  publier  Ă   sa  date  soit  en  entier  soit  en 
partie. 


GEORGE   SAND  169 

au  lendemain.  H  est  donc  certain  que  le  2  décembre  projeta  une 
certaine  lueur  sur  les  jours  déjà  écoulés  et  que  certains  détails 
y  sont  annotés  et  comme  soulignés,  qui  n'auraient  pas  été 
remarqués,  si  le  journal  avait  réellement  été  écrit  au  jour  le  jour. 

Certaines  données,  aussi,  font  présumer  que  c'est  avec  inten- 
tion que  George  Sand  nota  sa  maladie  et  les  noms  des  personnes 
qu'elle  avait  fréquentées  peu  avant  le  2  décembre,  et  dont  plu- 
sieurs —  comme  Mme  Clotilde  Villetard,  Mme  Rozanne  de 
Curton  (1)  et  le  comte  d'Orsay  —  l'aidùrent  bientît  de  leurs  rela- 
tions, ou  grĂące  auxquelles  (c'est  le  cas  de  Mme  Curton)  elle 
avait  déjà  depuis  longtemps  fait  la  connaissance  d'un  person- 
nage aussi  omnipotent  que  l'Ă©tait  Ă   ce  moment  M.  de  Persigny. 
Par  des  lignes  de  ce  genre  —  qui  ont  tout  l'air  d'ĂȘtre  insigni- 
fiantes —  George  Sand  semble  dire  aux  uns  :  «  VoilĂ   mes  relations  ; 
donc  je  fus  toujours  en  bons  rapports  avec  les  personnes  appar- 
tenant à  l'Elysée  !  »  et  aux  autres  :  «  Si  je  me  suis  adressée  plus 
tard  pour  mes  amis  républicains  à  ces  personnes,  c'est  que  déjà 
avant  le  triomphe  de  leur  parti  elles  avaient  simplement  été  mes 
bons  amis...  »  Ces  considérations,  et  plusieurs  autres  indices, 
nous  font  croire  à  une  certaine  préméditation.  Mais,  quoi  qu'il 
en  soit,  ce  journal  est  extrĂȘmement  intĂ©ressant,  car  on  y  voit 
reflétés  fidÚlement  tous  les  états  d'ùme  de  George  Sand  pendant 
ces  vingt  jours  :  d'abord  insouciance  complÚte,  puis  stupéfac- 
tion, puis  vague  inquiétude,  puis  chagrin,  désespoir,  et  enfin 
morne  abattement. 

Les  lecteurs  de  la  Revue  de  Paris  ont  lu  les  pages  qui  se  rap- 
portent au  1er  décembre  et  aux  jours  suivants  (2)  ;  les  lecteurs  du 
volume  des  Souvenirs  et  idĂ©es,  oĂč  ce  journal  fut  rĂ©imprimĂ©,  ont  pu 
lire,  aussi,  les  extraits  des  pages  se  rapportant  aux  jours  précé- 
dents ;  mais  comme  ce  journal  y  est  publié  avec  des  lacunes  et 
force  inexactitudes,  nous  nous  permettons  de  donner  ici  la  repro- 
duction exacte  de  ses  premiĂšres  pages,  telles  que  nous  les  avons 
publiées,  peu  avant  le  centenaire  de  George  Sand,  dans  la  revue 

(1)  Mme  Rozanne  de  Curton,  mariée  en  premiÚres  noces  à  M.  Bourgoing, 
amie  de  George  Sand  dĂšs  1829-1830. 

(2)  V.  la  Revue  de  Paris  du  15  juin  1904. 


17°  GEORGE   SAND 

russe  Messager  de  l'Europe,  lors  de  l'impression  dans  cette  revue 
d'une  partie  du  présent  chapitre.  Les  lecteurs  fiançais  nous  en 
sauront  quelque  gré  tout  en  relisant  ce  qu'ils  connaissent  déjà, 
car  ils  y  trouveront  aussi  de  l'inédit,  et  il  est  trÚs  important  pour 
nous  de  souligner  et  d'annoter  quelques  noms  et  détails  com- 
plais animent  offerte  par  George  Sand  elle-mĂȘme  Ă   l'attention  de 
ses  biographes  Ă   venir. 

Journal  de  1851 

Novembre  1851, 
Mercredi  26. 

PremiÚre  représentation  de  Yidorine.  SuccÚs.  J'ai  été  fort  calme  et 
indifférente  sans  me  rendre  bien  compte  du  pourquoi.  J'ai  vu  la  piÚce, 
de  la  petite  loge  de  Facteur-régisseur  Monvel,  sur  le  théùtre,  derriÚre 
le  manteau  d'Arlequin.  Je  me  suis  bien  rendu  compte  de  mon  impres- 
sion. J'ai  persisté  à  préférer  le  premier  et  le  troisiÚme  acte  au  second. 
Le  publie  a,  dit-on,  préféré  le  deuxiÚme  aux  deux  antres,  ^'importe. 
AprĂšs  la  piĂšce,  j'ai  Ă©tĂ©  dans  la  loge  de  Rose  ChĂ©ri  (1)  ;  sa  mĂšre,  sa  sƓur, 
son  mari  y  sont  vernis.  Anna  pleurait  et  s'est  mise  Ă   genoux  pour 
m'embrasser.  C'est  une  fille  laide,  fort  agréable,  qu'on  dit  trÚs  bonne 
et  qui  parait  adorer  Rose.  Elle  est  trĂšs  expansive  et  ne  manque  pas 
de  talent  dans  les  travestis.  Puis  sont  venus  dans  la  mĂȘme  loge  ma 
fille  (2),  Clésinger,  le  eomte  d'Orsay  (3),  Bourdet  et  sa  femme,  Mlle  Fer- 
nand  (4)  avec  sa  tante,  Mme  Albert  (5)  et  son  mari  Bignon,  Mme  Allan 

(1)  3Ime  Rose  Chéri,  la  charmante  iuginue  du  Gymnase,  femme  du  direc- 
teur, M.  Montigny,  jouait  surtout  les  jeunes  premiĂšres,  elle  remplissait 
dans  le  Mariage  de  Victorine  le  rÎle  de  l'héroïne. 

(2)  Mme  Solange  Clésinger.  Son  mari,  le  sculpteur  connu,  l'auteur  de  la 
Femme  au  serpent,  fut  à  ce  moment  trÚs  lié  avec  le  comte  d'Orsay,  qui.  comme 
on  le  sait,  s'Ă©tait,  sur  la  fin  de  sa  vie,  Ă©pris  de  sculpture,  travaillait  Ă   des 
bustes  de  ses  contemporains  illustres  et  fut,  peu  avant  sa  mort,  nommé 
ministre  des  Beaux-arts. 

(3)  Le  comte  Gédéon-Gaspard- Alfred  d'Orsay,  que  nous  venons  de  citer, 
le  célÚbre  dandy  et  arbiter  elegantiarum,  ami  de  Byron,  connu  dans  la  chro- 
nique mondaine  de  1820-1850  sous  le  nom  du  «  beau  d'Orsay  ».  Il  passa 
nombre  d'annĂ©es  de  sa  vie  sou6  le  mĂȘme  toit  que  la  non  moins  cĂ©lĂšbre  lady 
Blessington  qui  donna  aussi  l'hospitidité  à  Napoléon  III,  lors  de  son  séjour 
Ă   Londres,  aprĂšs  sa  fuite  de  Ham.  D  est  Ă©vident  que  ce  service  amical  ne  fut 
point  oublié  par  Napoléon  et,  quoique  le  biographe  du  comte  d'Orsay,  le 
comte  de  Contades,  assure  le  contraire,  d'Orsay  jouit  toujours  d'une  certaine 
influence  h  l'Elysée,  comme  dous  le  verrons  bientÎt.  Il  fut  aussi  trÚs  lié  avec 
le  prince  JĂ©rĂŽme. 

(4)  Mlle  Fernand,  la  jeune  premiÚre  de  l'Odéon,  qui  créa  le  rÎle  à'Edmie 
dans  Mauprat  en  1853. 

(5)  George  Sand  lui  dédia  son  roman  d'Adriani. 


GEORGE  SAND  171 

et  plusieurs  autres  acteurs  et  actrices  que  je  ne  connais  pas  et  qui 
m'ont  fait  grand'fĂȘte.  J'ai  vu  aussi  Geoffroy  des  Français,  qui  m'a  dit 
beaucoup  d'amitiés. 

■Je  suis  revenue  souper  avec  ma  fille,  son  mari,  M.  d'Orsay  et  Man- 
ceau  (1)  chez  Pinson.  J'ai  pris  du  café,  j'ai  mal  dormi. 

Jeudi  27.  —  J'ai  fait  des  emplettes,  j'ai  Ă©tĂ©  voir  Nini.  J'ai  vu  la 
seconde  représentation  de  Victorine  dans  une  baignoire  de  face  avec 
Solange.  J'ai  bien  vu  et  entendu  le  premier  acte,  mais  pas  les  deux 
autres,  j'avais  trop  mal  au  foie.  J'ai  un  peu  sommeillé.  Ponsard  est 
venu  me  voir  avec  Hetzel  ;  j'Ă©tais  si  malade  dans  ce  moment-lĂ   que  je 
ne  sais  ce  qu'ils  m'ont  dit. 

Vendredi  28.  —  Aprùs  une  trùs  mauvaise  nuit,  je  me  suis  sentie  bien. 
J'ai  été  voir  Solange  et  ensuite  le  comte  d'Orsay  avec  qui  j'ai  parlé 
d'elle  et  de  son  mari.  Le  soir,  dßné  chez  Pauline.  De  là  j'ai  été  au  Gym- 
nase. La  recette  Ă©tait  belle  et  le  succĂšs  complet. 

Samedi  29.  —  Je  ne  me  souviens  plus  de  ce  que  j'ai  fait  dans  la 
journée.  Le  soir  j'ai  été  voir  Mignon  aux  Variétés,  et  Hortense  de 
Cemy  au  Vaudeville. 

Dimanche  30  (2).  —  Tai  Ă©tĂ©  voir  Clotilde  (3),  Mme  Bourgoing  et  je 
ne  sais  plus  qui.  Le  -soir,  fai  joué  aux  dominos,  au  coin  de  mon  feu,  avec 
Manceau. 

Lundi  1er  dĂ©cembre.  —  Tai  fait  des  emplettes  avec  Manceau  (4).  J'ai 
été  voir  M.  Sheppard.  Cet  excellent  homme  meurt  simplement  et  gra- 
vement dans  son  fauteuil... 

(Nous  ne  citons  pas  plus  loin  ce  passage  sur  la  sérénité  du  moribond 
et  nous  reprenons  la  citation  au  moment  oĂč  Mme  Sand  continue  le 
récit  de  sa  journée.) 

Je  ne  sais  plus  ce  que  j'ai  fait,  ce  que  j'ai  vu.  J'ai  déjeuné  avec 
Bignat  (5)  qui  m'a  dit  :  «  Si  le  président  ne  fait  pas  bien  vite  un  coup 
d'État,  il  n'entend  pas  son  affaire,  car  pour  le  moment  rien  ne  serait  si 
facile.  »  J'ai  été  voir  Delacroix.  Le  soir  j'ai  été  au  cirque  voir  les  Quatre 
parties  du  monde,  avec  Solange  et  Manceau.  Je  n'ai  jamais  rien  vu  de 
plus  long,  de  plus  bĂȘte,  de  plus  ennuyeux  (6)...  J'ai  reeonduit  ma  fille 


(1)  Alexandre  Manceau,  graveur  de  grand  talent,  qui  grava  entre  autres, 
en  1350,  le  portrait  le  plus  connu  de  George  Sand,  celui  de  Couture. 

(2)  Ce  jour  est  omis  dans  le  volume  des  Souvenirs  et  idées. 

(3)  Mme  Clotilde  Villetard,  née  Maréchal,  cousine  de  George  Sand, 

(4)  Cette  phrase  est  aussi  omise  dans  le  volume. 

(5)  Emmanuel  Arago. 

(6)  Nous  omettons  encore  le  passage  sur  cette  féerie. 


i;2  GEORGE    SAND 

chez  elle,  rue  Verte.  26.  En  passant  devant  le  palais  de  l'Elysée,  elle 
me  dit  :  «  Tiens,  c'est  singulier,  il  ne  reçoit  donc  pas  ce  soir?  Je  croyais 
qu'il  avait  grand  bal,  car  en  passant  Ă   cinq  heures  pour  aller  diner 
avec  toi,  j'ai  vu  dans  la  cour  qu'on  Ă©tendait  des  tapis  sur  les  marches 
extérieures  du  perron.  Est-ce  que  c'est  cette  semaine  qu'on  le  proclame 
empereur?  » 

Nous  avons  regardé  la  porte  de  la  cour  qui  était  fermée.  Un  seul  fac- 
tionnaire la  gardait.  Rien  ne  paraissait  éclairé.  Pas  une  voiture  dans 
la  rue.  En  profond  silence,  la  clarté  terne  des  réverbÚres  sur  le  pavé 
gras  et  glissant.  H  Ă©tait  une  heure  du  matin  :  nous  sommes  revenus, 
Manceau  et  moi,  par  l'avenue  MarbƓuf,  et  nous  avons  passĂ©  derriĂšre 
le  jardin  de  l'ElysĂ©e.  MĂȘme  silence,  mĂȘme  obscuritĂ©,  mĂȘme  solitude. 
«  Ce  n'est  pas  encore  pour  demain  »,  lui  ai-je  dit  en  riant,  et  comme 
j'étais  fatiguée,  j'ai  dormi  profondément  toute  la  nuit. 

Mardi  2  dĂ©cembre.  —  À  mon  rĂ©veil,  Ă   dix  heures,  Manceau  me  dit  : 
«  Cavaignac  et  LamoriciÚre  sont  à  Vincennes,  l'Assemblée  est  dissoute, 
le  suffrage  universel  est  rétabli.  »  Cela  ne  me  fit  aucune  impression,  je 
n'y  comprenais  rien.  Cela  ressemblait  Ă   la  suite  des  rĂȘves  baroques 
qu'on  fait  le  matin  et  dont  un  vague  souvenir  vous  reste  au  réveil.  Je 
n'ai  compris  qu'en  Usant  la  proclamation.  J'ai  vu  Ab...,  le  papa  d'Eu- 
gÚne à  déjeuner.  Il  était  fort  agité,  il  pleurait.  Et  puis  Rochery  qui 
ne  comprenait  pas  encore  beaucoup  plus  que  moi. 

AprÚs  déjeuner  j'ai  été  voir  Lovely  (1).  Elle  était  inquiÚte.  Mme  Car- 
not  est  venue  lui  dire  de  la  part  de  son  mari  qu'elle  eût  à  se  rendre 
chez  son  beau-pĂšre  avec  sa  fille. 

On  dit  dans  la  journĂ©e  que  le  gĂ©nĂ©ral  Bedeau  avait  Ă©tĂ©  arrĂȘtĂ©  et 
presque  tué  par  les  sergents  de  ville....  etc.,  etc.  (2). 

...J'ai  été  prendre  quelques  effets  chez  ma  couturiÚre,  et  suis  revenue 
chez  moi.  Puis  j'ai  été  dßner  à  six  heures  chez  Thomas.  AprÚs  j'ai  été 
au  Gymnase.  Il  y  avait  du  monde  sur  les  boulevards  :  partout  ailleurs 
pas  la  moindre  apparence  d'agitation.  Pas  un  cri,  pas  un  rassemble- 
ment. On  dit  que  le  président  s'est  promené  et  le  peuple  aussi,  qu'on  a 
crié  :  «  Vive  la  république  »  et  que  la  troupe  n'a  rien  crié.  Il  sera  difficile 
d'Ă©crire  l'histoire  de  ce  jour,  puisque  aucun  fait  n'a  pu  ĂȘtre  soumis  au 
contrÎle  des  divers  journaux  et  qu'aucun  n'a  été  libre  de  dire  ce  qui 
se  sait  et  ce  qu'on  en  pense. 

Au  Gymnase,  j'ai  trouve  trois  cents  personnes  dans  la  salle  ;  Rose 
consternée  et  pleurant  le  succÚs  de  la  piÚce  qui  est  déjà  fini  et  oublié 


(1)  Ixively  était  le  prénom  de  Mme  Emmanuel  Arago. 

(2)  Nous  passons  ici  encore  une  page  consacrée  à  répéter  les  bruits  poli- 
tiques qui  couraient  dans  Paris. 


GEORGE   SAND  173 

dans  la  bagarre.  Je  suis  restée  avec  elle  pendant  qu'elle  s'habillait 
pour  jouer  Victorine  devant  les  banquettes.  J'ai  ensuite  causé  avec 
son  mari,  pendant  presque  tout  le  premier  acte,  dans  sa  loge... 

Nous  renvoyons  le  lecteur  au  volume  des  Souvenirs  et  idées 
pour  lire,  dans  les  pages  qui  suivent,  le  résumé  de  la  causerie 
entre  Mme  Sand  et  Montigny,  car  on  y  verra  quel  chemin  avait 
fait  Mme  Sand  depuis  les  jours  oĂč  elle  «  prĂȘchait  la  rĂ©publique  » 
Ă   qui  voulait  ou  ne  voulait  point  l'entendre,  jusqu'Ă   ce  soir  oĂč 
elle  déclare  «  ne  plus  discuter,  s'étant  interdit  la  discussion  et 
commandé  l'attention  et  l'examen  »,  car,  dit-elle  : 

Il  ne  s'agit  plus  d'enseigner  sans  prévoir.  Il  faut  connaßtre,  il  faut 
comprendre.  Il  faut  voir  le  fait,  étudier  les  hommes  réels,  et  ne  pas  les 
gĂȘner  par  la  contradiction  systĂ©matique.  Autrement  on  les  juge  de  travers 
et  on  parle  à  des  abstractions.  Je  suis  si  maßtresse  de  moi,  à  présent, 
que  rien  ne  m'indigne  plus.  Je  regarde  l'esprit  de  réaction  comme  X aveugle 
fatalité  qu'il  faut  vaincre  par  le  temps  et  la  patience.  0  hommes!  vous 
briserez  mais  vous  ne  convertirez  pas,  tant  que  la  passion  parlera  sans 
Ă©couter... 

Un  seul  mot  la  frappe  dans  la  bouche  de  Montigny,  qui  prédit 
le  triomphe  final  de  la  rouge  et  adresse,  en  la  personne  de 
Mme  Sand,  la  supplique  que  voici  aux  républicains  :  Soyez  clé- 
ments. 

Puis  Mme  Sand  continue  Ă   noter  les  impressions  de  cette 
soirée  : 

...  La  foule  était  assez  compacte,  quand  j'ai  remonté  dans  ma  petite 
voiture  de  louage  pour  traverser  le  boulevard.  Hors  de  lĂ ,  rien.  Paris 
un  peu  plus  triste  que  de  coutume,  voilĂ   tout. 

J'ai  passé  le  reste  de  la  soirée  au  coin  de  mon  feu  et  lu  jusqu'à 
deux  heures  du  matin  l'Histoire  d'Italie  par  Quinet.  C'est  beau.  Mais 
qu'on  ht  mal  quand  on  a  toujours  l'oreille  tendue  aux  bruits  Ă©trangers 
et  sinistres  de  la  nuit  ;  rien  !  un  silence  de  mort,  d'imbécilité  ou  de  ter- 
reur. Tu  ne  bouges  pas,  vieux  Jacques,  tu  as  bien  raison,  ton  heure 
n'est  pas  venue.  Te  voilĂ   bien  bas,  aussi  bas  que  possible,  c'est  le 
moment  de  songer  à  ton  avenir,  qui  se  résume  dans  cette  parole  :  Sois 
clément. 

Mercredi  3  dĂ©cembre.  —  M'y  voilĂ   comme  hier,  Ă   la  mĂȘme  heure, 
dans  la  nuit  du  3  au  4,  seule  au  coin  de  mon  feu,  dans  une  chambre 


i-4  GEORGE  SAND 

bien  modeste,  niais  bien  propre  et  assez  chaude.  Ah  !  bien-ĂȘtre,  que 
tu  es  nécessaire  à  l'homme  et  qu'il  est  amer  de  penser  que  la  plupart 
des  hommes  mourront  privĂ©s  de  tout  !  En  quoi  ai-je  mĂ©ritĂ©  d'ĂȘtre  tran- 
quille dans  ce  coin  avec  les  pieds  chauds?  Est-ce  parce  que  j'ai  beau- 
coup travaillé?  Et  tous  ceux  qui  travaillent  dans  le  froid,  dans  la 
misÚre,  dans  les  larmes,  en  quoi  ont-ils  mérité  leurs  souffrances? 

Quelle  interminable  journée  !  J'ai  été  déjeuner  comme  k  L'ordinaire 
chez  Thomas... 


Nous  ne  suivrons  pas  plus  loin  Mme  Sand  dans  le  récit  des 
journées  de  décembre.  Notre  but  a  été  de  faire  voir  coinment  et 
quand  ce  journal  fut  Ă©crit  et  de  noter  certains  faits  et  noms. 

L'orage  qui  grondait  en  France  avait,  entre  temps,  foudroyé 
la  plupart  des  amis  parisiens  et  berrichons  de  George  SandL  H  ne 
se  passait  presque  pas  de  jour  qu'elle  n'apprĂźt  l'arrestation-,  la 
violation  de  domicile,  la  déportation  ou  l'internement  dans  les 
casemates  de  tel  ou  tel  de  ses  amis  ou  connaissances.  Des  avo 
cats,  des  notaires,  des  médecins  et  des  typographes,  d'humbles 
vignerons  et  des  fermiers,  des  artisans  et  des  députés,  des  philo- 
sophes et  des  travailleurs  sachant  Ă   peine  lire,  et  jusqu'Ă   des 
curés  expiaient  d'une  maniÚre  ou  d'une  autre  leur  adhésion  au 
parti  vaincu.  La  panique  et  l'abattement  régnaient  presque 
dans  toutes  les  familles  amies  de  George  Sand.  Le  curé  Liotard, 
Fleury  et  Patureau-FrancƓur  se  cachaient  ;  Lebert,  Luc  Desages 
et  Pauline  Roland  Ă©taient  condamnĂ©s  Ă   ĂȘtre  internĂ©s  en  Afrique 
ou  Ă   Cayenne;  Aucante,  Ernest  PĂ©rigois,  Fulbert  Martin, 
Alexandre  Lambert  et  Lumet  Ă©taient  en  prison  ;  Charles  Leroux 
et  Greppo  étaient  menacés  de  déportation;  Dufraisse,  Borie. 
Hetzei,  Pierre  Leroux,  Louis  Blane^  Lediu-Rollin,  Millier  Ă©taient 
ou  s'étaient  exilés  en  Angleterre  ou  en  Belgique.  Des  bruits  com- 
mencĂšrent Ă   eĂŻrculer  que  George  Sand  elle-mĂȘme  Ă©tait  menacĂ©e 
de  prison,  d'exil,  voire  mĂȘme  de  peine  de  mort,  pour  sa  partici- 
pation aux  événements  de  1848  et  pour  ses  relations  avec  les 
radicaux.  Le  13  et  le  14  janvier  elle  Ă©crivit  Ă   ce  propos  Ă   ses 
cousins  de  Villeneuve  —  qui  avaient  eu  des  craintes  en  1848  et 
s'étaient  adressés  à  elle,  la  croyant  alors  au  faßte  du  pouvoir,  et 
auxquels  elle  demandait  maintenant  si  ce  n'est  protectioa,  — 


GEORGE   SAND  175 

du  moins  conseil,  —  Mme  Apolline  de  Villeneuve  qui  avait  tenu 
sur  1©3  font-  de  baptĂȘme  le  hĂ©ros  du  jour  Ă©tant  Ă   mĂȘme  de 
lui  en  donner  un  bon,  —  car  maintenant  c'Ă©tait  George  Sand 
elle-mĂȘme  qui  croyait  Ă   la  possibilitĂ©  drun  voyage  Ă   Lambessa 
en  compagnie  de  ses  Ă©mules  ;  elle  voulait  donc  ĂȘtre  fixĂ©e  sur  son 
sort  et  priait  sa  cousine  de  lui  procurer  un  passeport  pour  aller 
Ă   Paris. 

...Je  puis  ĂȘtre  emmenĂ©e  et  transportĂ©e.  Je  ne  veux  pas  fuir,  pour  ne 
pas  éveiller  de  soupçons  injustes.  Depuis  trois  ans,  je  puis  jurer  devant 
Dieu  que,  sans  perdre  mon  utopie  qui,  vous  le  savez,  est  chrétienne 
et  douce  comme  mes  instincts,  je  n'ai  pas  remué  un  doigt  contre  la 
société  officielle.  J'ai  passé  tout  mon  temps  à  faire  de  l'art,  et  à  ramener 
à  la  raison,  à  la  patience,  à  la  douceur  les  esprits  exaltés  que  je  venais 
Ă   rencontrer.  Ceux  que  j'ai  convertis,  on  les  frappe,  on  les  tue,  et  moi- 
mĂȘme,  que  bien  des  gens  traitaient  de  modĂ©rĂ©e  et  d'aristocrate,  on 
me  menace  aussi  et  on  me  serre  de  prĂšs.  Je  ne  me  plains  de  rien  ;  je 
suis  triste,  mais  non  en  colÚre  :  tout  cela  est  pour  moi  la  volonté  de 
Dieu,  et  j'accepte  toutes  les  conséquences  du  courage  que  jTai  montré... 

Elle  Ă©crit  encore  aux  mĂȘmes  correspondants  : 

Je  n'ai  pas  eu  de  relations  avec  le  prince  depuis  qu'il  s'est  échappé 
de  Ham.  JJ.  n'avait  plus  besoin  de  mes  lettres  pour  le  distraire  et  le 
consoler.  Plus  il  a  été  riche  et  puissant  personnage,  plus  je  me  suis 
éloignée  ;  mais  je  ne  l'ai  ni  attaqué  ni  diffamé.  Sollicitée  de  publier  ses 
lettres  qui  auraient  prouvé  un  certain  ehangement  de  conduite  envers 
les  personnes,  je  les  ai  brûlées  (1).  Je  ne  veux  ni  protections,  ni  places 
pour  les  miens,  et  mon  fils,  qui  n'a  rien  voulu  de  la  république,  ne 
désire  qu'une  chose  aujourd'hui,  c'est  qu'on  lui  laisse  sa  mÚre. 

J'ai  donc  Ă©crit  au  prince  pour  lui  demander  une  audience  dans 
laquelle  je  lui  exposerai  ma  conduite  et  lui  demanderai  franchement 
s'il  veut  mTexiIer.  Si  c'est  la  transportation,  c'est  la  mort  Je  suis  dan- 
gereusement malade  du  foie  et  je  ne  passerai  pas  la  mer...  Si  je  suis 
condamnĂ©e  Ă   mort,  moi,  l'ĂȘtre  le  plus  inoffensif  de  la  terre,  en  pensĂ©es, 
paroles  et  actions,  moi,  qui  n'ai  jamais  fait  la  guerre  qu'à  des  idées, 

(1)  Il  est  permis  de  douter  de  l'exactitude  de  cette  derniÚre  assertion» 
quoique  effectivement  nous  n'avons  pu  retrouver  que  les  quatre  ou  cinq 
lettres  de  Napoléon  III,  mais  d'une  part  M.  Armand  Dayot  avait,  lors 
de  l'impression  dans  le  Figaro  des  trois  lettres  que  nous  avons  données 
plus  haut,  déclaré  que  «  cette  correspondance  paraßtrait  un  jour  »,  et  d'autre 
part  George  Sand  avait  jadis  cru  et  déclaré,  aussi,  «  avoir  brûlé  »  les  lettres 
d'Alfred  de  Musset  —  et  elles  ont  paru  ! 


i76  GEORGE   SAND 

moi  qui  ai  rendu  tous  les  services  possibles  Ă   mes  adversaires  poli- 
tiques, je  me  résignerai  et  j'enseignerai  à  mes  enfants  le  courage- 
George  Sand  put  bientĂŽt  se  convaincre  qu'elle  n'avait  rien  Ă  
craindre  pour  elle-mĂȘme,  mais  elle  Ă©tait  entourĂ©e  de  tant  de 
malheurs,  elle  voyait  et  elle  entendait  parler  de  tant  de  misĂšres, 
d'injustices,  de  poursuites  et  de  cruautés,  qu'elle  ne  pouvait  se 
contenter  de  sa  propre  sécurité  et  rester  tranquillement  à  Nohant. 
S'Ă©tant  donc  munie  d'un  permis  officiel,  elle  se  rendit  elle-mĂȘme 
Ă   Paris  vers  le  22  janvier.  Nous  soulignons  cette  date,  parce  que 
dans  la  Correspondance  on  avait  daté  de  «  janvier  »  et  de  «  Paris  » 
des  lettres  Ă©crites  soit  de  Nohant  au  commencement  de  janvier, 
soit  de  Paris  en  février.  Grùce  à  cette  confusion  de  dates  et  ces 
«  Paris  »  mis  par  erreur  en  tĂȘte  des  lettres  dans  la  Correspondance, 
nous  lisons  tout  à  coup,  aprÚs  une  lettre  datée  de  «  Paris  »  et  du 
«  20  janvier  »,  la  lettre  à  Duvernet  datée  de  «  Nohant,  22  janvier  », 
et  annonçant  à  son  ami  qu'elle  «  va  partir  pour  Paris  »  !  C'est 
effectivement  le  22  janvier  qu'elle  se  rendit  dans  la  capitale, 
comme  le  prouvent  les  documents  inédits  suivants,  retrouvés  par 
nous  dans  les  papiers  de  George  Sand,  au  milieu  d'un  grand 
nombre  de  lettres,  de  demandes,  de  réponses  officielles,  de  billets, 
de  petits  mémoires  se  rapportant  à  1852  et  aux  démarches  de 
George  Sand  en  faveur  des  victimes  du  coup  d'État  : 

Paris,  15  janvier  52. 
Madame, 

M.  le  comte  de  Morny,  ministre  de  l'Intérieur,  m'a  chargé  de  vous 
faire  savoir  que  rien  ne  s'oppose  Ă   ce  que  vous  veniez  Ă   Paris  pour  y 
soigner  vos  affaires  d'intĂ©rĂȘt. 

Je  m'empresse  de  porter  cette  décision  à  votre  connaissance  et  je 
me  félicite  de  l'occasion  qui  se  présente  pour  vous  faire  agréer  mes 
hommages  empressés. 

P.  Carlier  (1). 
ancien  préfet  de  Police. 
Mme  George  Sand. 

(1)  Pierre  Carlier,  né  à  Sens  en  1799,  mort  en  1858,  fut  d'abord  commer- 
çant à  Rouen,  puis  agent  de  change  à  Lyon.  AprÚs  1830,  il  devint  commis- 
saire de  police  Ă   Paris,  dirigea  plus  tard  la  police  municipale  et  se  distingua 
par  la  sévérité  avec  laquelle  il  réprimait  les  troubles  de  la  rue.  Nommé  en  1849 


GEORGE   SAND  177 

Cabinet 
du 
préfet  de  police. 

—  Paris,  21  janvier  1852. 

Madame  (1), 

J'ai  l'honneur  de  vous  adresser  ci-joint  un  permis  de  circuler  destiné 
Ă   remplacer  le  passe-port  que  vous  avez  demandĂ©  et  qui  ne  peut  ĂȘtre 
délivré  à  cause  de  certaines  formalités  que  l'absence  de  Mme  Sand 
ne  permet  pas  de  remplir.  Veuillez,  etc.. 

le  secrétaire  particulier, 

G.  Faujoux. 
Cabinet 
du 
préfet  de  police.  Paris,  le  21  janvier  1852. 

Laissez  circuler  librement  de  La  ChĂątre  Ă   Paris  Mme  Sand. 

le  préfet  de  Police, 
Al.  Maupas. 

Il  n'est  que  trop  Ă©vident  que  le  21  janvier  George  Sand  n'Ă©tait 
pas  encore  à  Paris  et  les  lignes  de  sa  lettre  à  Duvernet,  datée 
du  22  janvier  de  Nohant,  deviennent  parfaitement  claires  : 

Cher  ami, 

Je  vais  Ă   Paris  aprĂšs  m'ĂȘtre  assurĂ©e  des  intentions  qu'on  pouvait 
avoir  Ă   mon  Ă©gard.  Elles  sont  rassurantes,  on  m'a  mĂȘme  expĂ©diĂ©  un 
laissez-passer  signé  Maupas.  Je  ne  veux  pas  écrire  le  principal  but  de 
mon  voyage  ;  je  te  le  dirai  si  je  te  vois  auparavant  ou  au  retour. 
Mais  tu  peux  le  deviner.  Si  je  ne  réussis  pas,  je  n'aurai  du  moins  rien 
empiré,  et  j'aurai  fait  mon  devoir  à  mes  risques  et  périls  (2)... 

La  suite  de  cette  lettre  est  consacrée  à  des  détails  relatifs  au 
payement  d'une  somme  de  mille  francs  empruntée  par  Mme  Sand 

préfet  de  police,  il  seconda  avec  beaucoup  de  zÚle  la  politique  de  Louis- 
NapolĂ©on  jusqu'Ă   la  veille  du  coup  d'État,  et  pourtant  il  rĂ©signa  ses  fonc- 
tions peu  de  jours  avant  le  2  décembre  dont  il  avait  préparé  le  succÚs. 
Membre  de  la  Commission  consultative  il  fut  envoyé  en  province  pour  sonder 
l'état  politique  des  départements  et,  vers  la  fin  de  sa  vie,  nommé  conseiller 
d'État. 

(1)  Cette  lettre  doit  avoir  été  adressée  à  la  comtesse  Apolline  de  Ville- 
neuve, femme  du  cousin  de  George  Sand.  (Voir  notre  vol.  I,  p.  195.) 

(2)  Correspondance,  vol.  III,  p.  271. 

IV.  12 


17S  GEORGE   SAND 

au  beau-pĂšre  de  Duvernet  (1),  et  elle  explique  ce  qu'il  faut  faire 
pour  satisfaire  ce  dernier  au  cas  oĂč  elle  serait  exilĂ©e  ou  devrait  rester 
trop  longtemps  à  Paris  pour  ses  démarches.  Or,  il  résulte  de  l'exa- 
men des  papiers  de  George  Sand  que  cette  somme  fut  empruntée 
surtout  pour  pouvoir  venir  en  aide  aux  proscrits  politiques,  et 
avant  tout  Ă   Fleury  et  Ă   sa  famille.  Et  ce  voyage,  dont  Duvemet 
devait  deviner  «  le  but  principal  »,  avait  pour  objectif  non  seu- 
lement le  désir  d'éclaircir  si,  pour  ses  relations  avec  les  radicaux, 
Mme  Sand  avait  quelque  chose  Ă   craindre  personnellement, 
comme  elle  le  disait  Ă   M.  de  Villeneuve,  mais  encore  et  surtout 
celui  d'essayer  de  voir  son  ex-correspondant  de  Ham  et  de  tĂącher, 
sinon  de  l'arrĂȘter  sur  la  pente  oĂč  le  poussaient  les  aventuriers  du 
genre  d'  «  EugĂšne  Rougon  »,  empressĂ©s  Ă   pĂȘcher  en  eau  trouble  et 
Ă   parvenir,  du  moins  d'arrĂȘter  les  «  vengeances  personnelles  ». 

...Je  ne  savais  trop  dans  quelles  dispositions  je  trouverais  le  prince, 
—  Ă©crit-elle  encore  Ă   M.  de  Villeneuve  le  31  janvier.  —  J'avais  pris 
le  parti  de  lui  écrire  tout  droit  avec  franchise  II  m'a  répondu  de  sa 
main  par  la  petite  poste,  et  hier  j'ai  été  le  voir.  Il  m'a  pris  les  deux 
mains  et  a  écouté  avec  beaucoup  d"émotion  et  de  sympathie  tout  ce 
que  je  lui  ai  dit  des  vengeances  personnelles  auxquelles  la  politique 
servait  de  prétexte,  dans  ma  province.  Il  m'a  prié  de  lui  demander, 
pour  mes  amis,  victimes  de  ces  injustices,  tout  ce  que  je  voudrais,  et 
m'a  témoigné  la  plus  grande  estime  pour  mon  caractÚre,  bien  que  je 
lui  aie  dit  que  j'étais  aussi  républicaine  qu'il  m'avait  connue  et  que 
je  ne  changerai  jamais.  Je  n'ai  pas  voulu  l'importuner  de  détails  ;  j.e 
lui  aï  tout  bonnement  plaidé  ramnistie.  AprÚs  quoi  j'ai  été  trouver 
le  ministre  de  l'Intérieur  que  j'avais  reçu  autrefois  chez  moi,  lorsqu'il 
conspirait  contre  le  prince.  J'ai  Ă©tĂ©  accueillie  de  mĂȘme,  et  f  ai  obtenu 
l'Ă©largissement  de  plusieurs  de  mes  amis  en  attendant  mieux.  Vous 
voyez  que  je  notais  ni  folle,  ni  coupable  de  vouloir  me  préserver  pour 
sauver  les  autres  et  qu'il  n'est  pas  nécessaire  de  commettre  la  lùcheté 
de  renier  ses  opinions  pour  ĂȘtre  estimĂ©e  des  gens  d'esprit. 

Le  ministre  m'a  dit  que  mon  prĂ©fet  Ă©tait  une  bĂȘte  et  un  animal 
d*avoir  fait  telle  et  telle  chose... 

Voici  cette  réponse  de  Napoléon,  «  envoyée  par  la  petite  poste  », 
que  nous  avons  eu  la  chance  de  retrouver  dans  les  papiers  de 

(1)  Mme  Eugénie  Duvernet  était  née  Ducarteron. 


GEORGE   SAND  179 

George  Sand.  Elle  est  écrite  sur  papier  simple,  à  tranche  dorée, 
et  porte  la  date  du  22  janvier  1851  (sic!)  ce  qui  est  certainement 
une  erreur  de  l'auguste  correspondant  : 

A  George  Sand. 

Elysée  national,  le  22  janvier  1851  (1852). 
Madame, 

Je  serai  charmé  de  vous  recevoir  tel  jour  de  la  semaine  prochaine 
qu'il  vous  plaira  de  fixer,  vers  trois  heures. 
Recevez,  madame,  l'assurance  de  mes  sentiments  distingués. 

Louis-Napoléon  B. 

En  se  rendant  Ă   cette  premiĂšre  entrevue  avec  le  prince,  dans 
la  crainte  que,  faute  de  temps  et  empĂȘchĂ©e  par  l'Ă©motion,  elle 
ne  pût  exprimer  de  vive  voix  tout  ce  qu'elle  croyait  nécessaire, 
Mme  Sand  avait  préparé  une  lettre  afin  de  la  remettre  au  prince, 
espérant  par  sa  plume  faire  appel  aux  bons  sentiments  de  celui 
qui  lui  avait  paru  d'abord  ĂȘtre  l'Ă©lu  de  la  Providence  et  bientĂŽt 
ne  lui  sembla  qu'une  victime  des  circonstances,  mais  non  cette 
espÚce  de  «  traßtre  »  de  mélodrame  que  les  tribuns  républicains, 
ses  amis,  se  plaisaient  à  décrire.  Cette  lettre  imprimée  dans  le 
wlume  III  de  la  Correspondance  y  porte  la  date  problématique 
du  20  janvier  (1).  Il  nous  semble  que  c'est  le  30  qu'on  devrait 
lire,  et  le  lecteur  s'en  convaincra  bientĂŽt  lui-mĂȘme. 

Prince, 

Je  vous  ai  demandĂ©  une  audience  ;  mais,  absorbĂ©  comme  vous  FĂȘtes 
par  de  grands  travaux  et  d'immenses  intĂ©rĂȘts,  j'ai  peu  d'espoir  d'ĂȘtre 
exaucée... 

Je  ne  suis  pas  Mme  de  Staël.  Je  n'ai  ni  son  génie  ni  l'orgueil  qu'elle 
mit  à  lutter  contre  la  double  face  du  génie  et  de  la  puissance.  Mon 
ùme,  phas  brisée  eu  plus  craintive,  vient  à  vous  sans  ostentation  et 
sans  raideur,  sans  hostilité  secrÚte  ;  car,  s'il  en  était  ainsi,  je  m'exile- 
xak  moi-mĂȘme  de  votre  prĂ©sence  et  n'irais  pas  vous  conjurer  de  m' en- 
tendre. Je  viens  pourtant  faire  auprÚs  de  vous  une  démarche  bien 

(1)  -Correspondance,  vol.  III,  p.  262. 


iSo  GEORGE    SAND 

hardie  de  ma  part,  mais  je  la  fais  avec  un  sentiment  d'annihilation  si 
complĂšte,  en  ce  qui  me  concerne,  que,  si  vous  n'en  ĂȘtes  pas  touchĂ©, 
vous  ne  pourrez  pas  en  ĂȘtre  oSensĂ©.  Vous  m'avez  connue  fiĂšre  de  ma 
propre  conscience,  je  n'ai  jamais  cru  pouvoir  l'ĂȘtre  d'autre  chose  ; 
mais,  ici,  ma  conscience  m'ordonne  de  fléchir... 

Prince,  ma  famille  est  dispersée  et  jetée  à  tous  les  vents  du  ciel.  Les 
amis  de  mon  enfance  et  de  ma  vieillesse,  ceux  qui  furent  mes  frĂšres  et 
mes  enfants  d'adoption  sont  dans  les  cachots  ou  dans  l'exil  :  votre 
rigueur  s'est  appesantie  sur  tous  ceux  qui  prennent,  qui  acceptent  ou 
qui  subissent  le  titre  de  républicains  socialistes. 

Prince,  vous  connaissez  trop  mon  respect  des  convenances  humaines 
pour  craindre  que  je  me  fasse  ici,  auprĂšs  de  vous,  l'avocat  du  socialisme 
tel  qu'on  l'interprĂšte  Ă   certains  points  de  vue.  Je  n'ai  pas  mission  pour 
le  défendre,  et  je  méconnaßtrais  la  bienveillance  que  vous  m'accordez, 
en  m'Ă©coutant,  si  je  traitais  Ă   fond  un  sujet  si  Ă©tendu,  oĂč  vous  voyez 
certainement  aussi  clair  que  moi.  Je  vous  ai  toujours  regardé  comme 
un  génie  socialiste,  et,  le  2  décembre,  aprÚs  la  stupeur  d'un  instant, 
en  présence  de  ce  dernier  lambeau  de  société  républicaine  foulé  aux 
pieds  de  la  conquĂȘte,  mon  premier  cri  a  Ă©tĂ©  :  «  0  Barbes,  voilĂ   la  souve- 
rainetĂ© du  but  !  Je  ne  l'acceptais  pas  mĂȘme  dans  ta  bouche  austĂšre  ; 
mais  voilĂ   que  Dieu  te  donne  raison  et  qu'il  l'impose  Ă   la  France, 
comme  sa  derniĂšre  chance  de  salut,  au  milieu  de  la  corruption  des 
esprits  et  de  la  confusion  des  idées.  Je  ne  me  sens  pas  la  force  de  m'en 
faire  l'apÎtre  ;  mais,  pénétrée  d'une  confiance  religieuse,  je  croirais 
faire  un  crime  en  jetant  dans  cette  vaste  acclamation  un  cri  de  reproche 
contre  le  ciel,  contre  la  nation,  contre  l'homme  que  Dieu  suscite  et 
que  le  peuple  accepte.  »  Eh  bien,  Prince,  ce  que  je  disais  dans  mon 
coeur,  ce  que  je  disais  et  Ă©crivais  Ă   tous  les  miens,  il  vous  importe  peu 
de  le  savoir  sans  doute... 

Au  milieu  de  l'oubli  oĂč  j'ai  cru  convenable  pour  vous  de  laisser 
tomber  vos  souvenirs,  peut-ĂȘtre  surnage-t-il  un  dĂ©bris  que  je  puis 
invoquer  encore  :  l'estime  que  vous  accordiez  Ă   mon  caractĂšre  et  que 
je  me  flatte  d'avoir  justifié  depuis  par  ma  réserve  et  mon  silence.  Si 
vous  n'acceptez  pas  en  moi  ce  qu'on  appelle  mes  opinions,  du  moins, 
je  suis  certaine  que  vous  ne  regrettez  pas  d'avoir  cru  Ă   la  droiture,  au 
dĂ©sintĂ©ressement  de  mon  cƓur.  Eh  bien,  j'invoque  cette  confiance 
qui  m'a  Ă©tĂ©  douce,  qui  vous  l'a  Ă©tĂ©  aussi  dans  vos  heures  de  rĂȘveries 
solitaires  ;  car  on  est  heureux  de  croire,  et  peut-ĂȘtre  regrettez-vous 
aujourd'hui  votre  prison  de  Ham,  oĂč  vous  n'Ă©tiez  pas  Ă   mĂȘme  de  con- 
naĂźtre les  hommes  tels  qu'ils  sont.  J'ose  donc  vous  dire  :  Croyez-moi, 
Prince,  ĂŽtez-moi  votre  indulgence  si  vous  voulez,  mais  croyez-moi, 
votre  main  armée,  aprÚs  avoir  brisé  les  résistances  ouvertes,  frappe  en 
ce  moment,  par  une  foule  d'arrestations  préventives,  sur  des  résis- 


GEORGE   SAND  1S1 

tances  intérieures  inoffensives,  qui  n'attendaient  qu'un  jour  de  calme 
ou  de  liberté  pour  se  laisser  vaincre  moralement.  Et  croyez,  prince, 
que  ceux  qui  sont  assez  honnĂȘtes,  assez  purs  pour  dire  :  «  Qu'importe 
que  le  bien  arrive  par  celui  que  nous  ne  voulions  pas?  pourvu  qu'il 
arrive,  béni  soit-il  !  »  c'est  la  portion  la  plus  saine  et  la  plus  morale 
des  partis  vaincus  ;  c'est  peut-ĂȘtre  l'appui  le  plus  ferme  que  vous  puis- 
siez vouloir  pour  votre  Ɠuvre  future.  Combien  y  a-t-il  d'hommes 
capables  d'aimer  le  bien  pour  lui-mĂȘme,  et  heureux  de  lui  sacrifier  leur 
personnalité  si  elle  fait  obstacle  apparent?  Eh  bien,  ce  sont  ceux-là 
qu'on  inquiĂšte  et  qu'on  emprisonne  sous  l'accusation  flĂ©trissante  —  ce 
sont  les  propres  termes  des  mandats  d'arrĂȘt  —  «  d'avoir  poussĂ©  leurs 
concitoyens  à  commettre  des  crimes  ».  Les  uns  furent  étourdis,  stupé- 
faits de  cette  accusation  inouĂŻe  ;  les  autres  vont  se  livrer  d'eux-mĂȘmes, 
demandant  Ă   ĂȘtre  publiquement  justifiĂ©s.  Mais  oĂč  la  rigueur  s'arrĂȘtera- 
t-elle?  Tous  les  jours,  dans  les  temps  d'agitation  et  de  colĂšre,  il  se 
commet  de  fatales  méprises  ;  je  ne  veux  en  citer  aucune,  me  plaindre 
d'aucun  fait  particulier,  encore  moins  faire  des  catégories  d'innocents 
et  de  coupables  ;  je  m'Ă©lĂšve  plus  haut,  et,  subissant  mes  douleurs  per- 
sonnelles, je  viens  mettre  Ă   vos  pieds  toutes  les  douleurs  que  je  sens 
vibrer  dans  mon  cƓur,  et  qui  sont  celles  de  tous.  Et  je  vous  dis  :  les 
prisons  et  l'exil  vous  rendraient  des  forces  vitales  pour  la  France; 
vous  le  voulez,  vous  le  voudrez  bien  certainement,  mais  vous  ne  le 
voulez  pas  tout  de  suite.  Ici,  une  raison,  toute  de  fait,  une  raison  poli- 
tique vous  arrĂȘte  :  vous  jugez  que  la  terreur  et  le  dĂ©sespoir  doivent 
planer  quelque  temps  sur  les  vaincus,  et  vous  laissez  frapper  en  vous 
voilant  la  face.  Prince,  je  ne  me  permettrai  pas  de  discuter  avec  vous 
une  question  politique,  ce  serait  ridicule  de  ma  part  ;  mais,  du  fond  de 
mon  ignorance  et  de  mon  impuissance,  je  crie  vers  vous,  le  cƓur  sai- 
gnant et  les  yeux  pleins  de  larmes  :  «  Assez,  assez,  vainqueur,  épargne 
les  forts  comme  les  faibles,  Ă©pargne  les  femmes  qui  pleurent  comme 
les  hommes  qui  ne  pleurent  pas  ;  sois  doux  et  humain,  puisque  tu  en 
as  envie.  Tant  d'ĂȘtres  innocents  ou  malheureux  en  ont  besoin!  Ah! 
prince,  le  mot  «  déportation  »,  cette  peine  mystérieuse,  cet  exil  éternel 
sous  un  ciel  inconnu,  elle  n'est  pas  de  votre  invention  ;  si  vous  saviez 
comme  elle  consterne  les  plus  calmes  et  les  hommes  les  plus  indiffé- 
rents. La  proscription  hors  du  territoire  n'amĂšnera-t-elle  pas  peut- 
ĂȘtre  une  fureur  contagieuse  d'Ă©migration  et  que  vous  serez  forcĂ©  de 
rĂ©primer?  Et  la  prison  prĂ©ventive,  oĂč  Ton  jette  des  malades,  des  mori- 
bonds, oĂč  les  prisonniers  sont  entassĂ©s  maintenant  sur  la  paille,  dans 
un  air  méphitique,  et  pourtant  glacés  de  froid?  Et  les  inquiétudes 
des  mùres  et  des  filles  qui  ne  comprennent  rien  à  la  raison  d'État,  et 
la  stupeur  des  ouvriers  paisibles,  des  paysans,  qui  disent  :  «  Est-ce 
qu'on  met  en  prison  des  gens  qui  n'ont  ni  tué  ni  volé?  Nous  irons 


i82  GEORGE  S'AN-D 

donc  tous?  Et  cependant,  nous  Ă©tions  bien  contents  quand  nous  avons 
voté  pour  lui.  » 

Ah  !  prince,  mon  cher  prince  d'autrefois,  Ă©coutez  l'homme  qui  est 
en  vous,  qui  est  vous  et  qui  ne  pourra  jamais  se  réduire,  pour  gou- 
verner, Ă   l'Ă©tat  d'abstraction.  La  politique  fait  de  grandes  choses 
sans  doute  ;  mais  le  cƓur  seul  fait  des  miracles.  Écoutez  le  vître  qui 
saigne  déjà... 

Vous  avez  voulu  résumer  en  vous  la  France,  vous  avez  assumé  ses 
destinées,  et  vous  voilà  responsable  de  son  ùme  bien  plus  que  de  son 
corps  devant  Dieu.  Vous  l'avez  pu,  vous  seul  le  pouvez  ;  il  y  a  long- 
temps que  je  l'ai  prévu,  que  j'en  ai  la  certitude,  et  que  je  vous  l'ai 
prĂ©dit  Ă   vous-mĂȘme  lorsque  peu  de  gens  y  croyaient  en  France.  Les 
hommes  à  qui  je  le  disais  alors  répondaient  : 

—  Tant  pis  pour  nous  !  Nous  ne  pourrons  pas  l'y  aider,  et,  s'il  fait 
le  bien,  nous  n'aurons  ni  le  plaisir  ni  l'honneur  d'y  contribuer.  N'im- 
porte !  ajoutaient -ils,  que  le  bien  se  fasse,  et  qu'aprĂšs,  l'homme  soit 
glorifié  ! 

Ceux  qui  me  disaient  cela,  prince,  ceux  qui  sont  encore  prĂȘts  Ă   le 
dire,  il  en  est  qu'en  votre  nom,  on  traite  aujourd'hui  en  ennemis  et 
en  suspects.  Il  en  est  d'autres  moins  résignés  sans  doute,  moins  désin- 
tĂ©ressĂ©s peut-ĂȘtre,  il  en  est  probablement  d'aigris  et  d'irritĂ©s,  qui, 
s'ils  me  voyaient  en  ce  moment  implorer  grĂące  pour  tous,  me  renie- 
raient un  peu  durement.  Qu'importe  à  vous,  qui,  par  la  clémence, 
pouvez  vous  Ă©lever  au-dessus  de  tout  !  Qu'importe  Ă   moi  qui  veux 
bien,  par  le  dévouement,  m' humilier  à  la  place  de  tous  !  Ce  serait  de 
ceux-là  que  vous  seriez  le  plus  vengé  si  vous  les  forciez  d'accepter  la 
vie  et  la  liberté,  au  Heu  de  leur  permettre  de  se  proclamer  martyrs  de 
la  cause.  Est-ce  que  ceux  qui  vont  périr  à  Cayenne  ou  dans  la  traversée 
ne  laisseront  pas  un  nom  dans  l'histoire,  Ă   quelque  point  de  vue  qu'on 
les  accepte?  Si,  rappelés  par  vous  par  un  acte  non  de  pitié  mais  de 
volonté,  ils  devenaient  inquiétants  (ces  trois  ou  quatre  mille,  dit-on) 
pour  l'Ă©lu  de  cinq  millions,  qui  blĂąmerait  alors  votre  logique  de  les 
vouloir  réduire  à  l'impuissance?  Au  moins,  dans  cette  heure  de  répit 
que  vous  auriez  donnée  à  la  souffrance,  vous  auriez  appris  à  connaßtre 
les  hommes  qui  aiment  assez  le  peuple  pour  s'annihiler  devant  l'expres- 
sion de  sa  confiance  et  de  sa  volonté. 

Amnistie  !  amnistie  bientĂŽt,  mon  prince  !  Si  vous  ne  m'Ă©coutcz  pas, 
qu'importe  pour  moi  que  j'aie  fait  un  suprĂȘme  effort  avant  de  mourir? 
Mais  il  me  semble  que  je  n'aurai  pas  déplu  à  Dieu,  que  je  n'aurai  pas 
avili  en  moi  la  liberté  humaine,  et  surtout  que  je  n'aurai  pas  démérité 
de  votre  estime,  Ă   laquelle  je  tiens  beaucoup  plus  qu'Ă   des  jours  et  Ă  
une  fin  tranquilles.  Prince,  j'aurais  pu  fuir  Ă   l'Ă©tranger,  lorsqu'un 
mandat  d'amener  a  été  lancé  contre  moi,  on  peut  toujours  fuir; 


GEORGE   SAND  183 

j'aurais  pu  imprimer  cette  lettre  en  factura  pour  vous  faire  des  ennemis, 
au  cas  oĂč  elle  ne  serait  pas  mĂȘme  lue  par  vous.  Mais,  quoi  qu'il  en 
arrive,  je  ne  le  ferai  pas.  H  y  a  des  choses  sacrées  pour  moi,  et,  en  vous 
demandant  une  entrevue,  en  allant  vers  vous  avec  espoir  et  confiance, 
j'ai  dĂ»,  pour  ĂȘtre  loyale  et  satisfaite  de  moi-mĂȘme,  brĂ»ler  mes  vais- 
seaux derriĂšre  moi  et  me  mettre  entiĂšrement  Ă   la  merci  de  votre 
volonté. 

George  Sand. 

L'entrevue  avec  Napoléon  avait  dû  produire  une  impression 
favorable  sur  la  grande  romanciÚre,  elle  crut  à  la  sincérité  de  ses 
intentions,  —  à  en  juger  par  plusieurs  lettres  à  ses  amis  dont  nous 
donnons  plus  loin  des  fragments  considĂ©rables,  —  et  Ă   partir  de 
ce  jour  elle  se  mit  bravement  à  intercéder  en  faveur  des  républi- 
cains poursuivis.  AprĂšs  cette  premiĂšre  audience  obtenue,  elle 
fit  une  visite  à  de  Persigny,  —  ce  qui  eut  lieu  probablement 
dans  les  derniers  jours  de  janvier  —  le  30  ou  le  31.  Elle  Ă©crivit 
plusieurs  fois  soit  directement  Ă   M.  de  Persigny,  soit  au  chef  de 
son  cabinet,  puis  elle  envoya  plusieurs  lettres  à  Napolécn  lui 
demandant  encore  audience.  Nous  devons  avouer  que  c'est  avec 
une  acirniration  vraie  que  nous  avons  lu  et  relu  les  pages  de 
George  Sand  adressées  au  ministre,  à  son  chef  de  cabinet,  de 
nouveau  Ă   NapolĂ©on,  au  prince  JĂ©rĂŽme,  et  enfin  celles  oĂč  elle 
raconte  Ă   des  amis  ses  entrevues  et  ses  conversations  avec  tout 
ce  monde.  Sa  maniĂšre  d'ĂȘtre,  ses  paroles,  ses  lettres  sont 
empreintes  du  dĂ©sir  d'ĂȘtre  secourable  Ă   ses  amis.  Elle  ssit  Ă©lo- 
quemment  toucher,  implorer,  et  cela  avec  la  sincérité  et  la  fran- 
chise les  plus  parfaites,  reconnaissant  que  ni  elle  ni  ses  amis  ne 
renient  leurs  opinions,  qu'elle  demeure,  comme  eux,  au  fond 
hostile  à  Napoléon  et  à  sa  politique.  Elle  écrit  à  Duvernet  : 

Paris,  30  janvier  1852. 

J'agis,  je  cours.  Ça  va  bien.  J'ai  Ă©tĂ©  reçue  on  ne  peut  mieux,  et  des 
poignées  de  main  de  cette  dame  en  veux-tu  en  voilà  !  Demain,  je  tùcherai 
de  faire  régler  l'affaire.  Le  Gaulois  (1)  et  autres  de  là-bas  me  désavouent, 
me  dĂ©fendent  de  les  nommer.  Sont-ils  bĂȘtes  de  craindre  quelque  bĂȘtise 

(1)  Alphonse  Fleury. 


i84  GEORGE   SAND 

de  ma  part  !  Mais,  fichtre,  qu'ils  parlent  pour  eux  !  Il  y  en  a  bien  d'au- 
tres qui  ne  seront  pas  fùchés  de  revenir  coucher  dans  leur  lit,  ne  fût-ce 
que  le  Vigneron... 

Nous  avons  retrouvé  dans  les  papiers  de  Mme  Sand  la  trÚs 
intéressante  réponse  du  secrétaire  de  M.  de  Persigny,  M.  Cavet, 
Ă©crite  au  nom  du  ministre. 

Cabinet 

du 

ministre  de  l'intérieur. 

—  Paris,  1"  fĂ©vrier  1852. 

Madame, 

M.  de  Persigny,  sensible  Ă   l'aimable  et  bonne  lettre  que  vous  voulez 
bien  lui  écrire  en  date  du  31  décembre  (sic!),  me  charge  de  vous  remer- 
cier et  d'avoir  l'honneur  de  vous  dire  que  votre  maire  sera  accueilli 
comme  il  le  mérite  et  que,  quant  aux  recommandations  que  vous  aviez 
faites  précédemment  en  faveur  de  quelques  détenus,  les  papiers  se 
sont  égarés,  ce  qui  arrive  quelquefois  ici  ;  ayez  donc  la  bonté  d'écrire 
de  nouveau,  madame,  et  pour  plus  de  sûreté,  veuillez  m'adresser  la 
lettre. 

Daignez  agréer,  madame,  l'assurance  de  mon  respect. 

Cavet. 

H  est  trĂšs  curieux  de  rapprocher  cette  lettre  de  M.  Cavet  avec 
une  lettre,  retrouvĂ©e  dans  le  mĂȘme  paquet  des  papiers  de  George 
Sand  et  Ă©crite  par  ce  mĂȘme  «  maire  »  —  M.  Aulard  —  auquel  la 
précédente  missive  fait  allusion.  C'est  à  son  nom  encore  (soit  dit 
entre  parenthÚses)  que  Mme  Sand  avait  prié  la  comtesse  de  Ville- 
neuve de  lui  rĂ©pondre  au  moment  oĂč  elle  lui  demandait  le  laissez- 
passer  pour  aller  Ă   Paris  : 

Madame  et  bien  chĂšre  bienfaitrice. 

Je  m'empresse  de  vous  écrire  à  mon  arrivée  à  Nohant  pour  vous 
faire  part  de  mon  entrevue  avec  M.  le  préfet.  M.  Cavet  a  parfaitement 

(1)  Correspondance,  vol.  III,  p.  273. 

(2)  Jean-Gilbert- Victor  Fialin,  comte  (plus  tard  duc)  de  Persigny,  né  en 
1808,  mort  Ă   Nice  en  1872,  homme  politique  et  intime  ami  de  Louis-Napo- 
léon, fut  d'abord  militaire,  légitimiste,  puis  républicain  et  enfin  bonarpar- 
tiste,  partisan  dévoué  de  Napoléon  et  favori  omnipotent.  Il  fut  nommé 
ministre  de  1!  Intérieur  le  22  janvier  1862. 


GEORGE   SAND  185 

rempli  son  engagement  en  adressant  Ă   M.  Berger  les  instructions  con- 
cernant nos  malheureux  compatriotes. 

J'ai  la  douleur  de  vous  annoncer  que  M.  le  préfet  engagé  dans  une 
voie  funeste  par  les  suggestions  de  quelques  renégats,  au  nombre 
desquels  on  compte,  m'a-t-on  dit,  M.  Delauche-PĂ©juge  ancien  fonda- 
teur de  VEclaireur,  a  cru  devoir  résister  aux  prescriptions  qui  lui  ont 
été  transmises  et  a  fait  parvenir  au  ministre  de  l'Intérieur  un  rapport 
rédigé,  assure-t-on,  dans  des  termes  qui  sont  de  nature  à  aggraver  la 
position  de  nos  amis,  déjà  tristes  victimes  d'un  zÚle  mal  entendu  et 
outré. 

M.  le  prĂ©fet,  dont  j'ai  cru  le  cƓur  sympathique  aux  inspirations  du 
mien  et  dont  j'honorais  les  bienveillantes  tendances,  m'a  fait  Ă©prouver 
le  plus  vif  chagrin,  en  me  disant  :  «  M.  Fleury  s'est  échappé,  n'en 
parlons  plus  ;  M.  PĂ©rigois  n'est  qu'une  canaille  ;  M.  Aucante  n'a  que 
de  sales  antécédents  ;  etc.,  etc.  C'est  sans  doute  par  suite  de  votre 
entrevue  avec  M.  Cavet  que  j'ai  reçu  une  lettre  de  lui  »,  etc.,  etc.. 

La  présence  de  M.  Moreau,  conseiller  de  préfecture,  et  d'une  autre 
personne  Ă   moi  inconnue,  gĂȘnait  mon  franc-parler  et  je  n'ai  pu  que 
dire  : 

—  Monsieur  le  prĂ©fet,  il  n'y  a  de  sales  antĂ©cĂ©dents  chez  aucun  de 
mes  compatriotes  en  prévention  et  j'ignore  complÚtement  à  quoi  vous 
voulez  en  venir. 

—  Assez,  assez,  monsieur  le  maire,  a-t-il  rĂ©pondu,  je  sais  mon 
monde  et  je  sais  Ă   quoi  m'en  tenir,  je  connais  maintenant  la  place. 

—  Mais  monsieur... 

—  Assez,  vous  dis-je,  il  n'y  a  rien  Ă   espĂ©rer  de  ces  gens-lĂ   et  vous  ne 
m'en  conterez  point. 

Désespéré  et  aprÚs  avoir  essuyé  quelques  lazzi  à  propos  de  notre 
église  monumentale  qui  ne  serait  point  élevée  si  nous  avions  eu  le 
bonheur  de  posséder  plus  tÎt  M.  Berger,  j'ai  dû  prendre  congé  et  je  me 
suis  retiré  froid  et  silencieux. 

Je  ne  crois  point  l'ùme  de  M.  Berger  fermée  aux  émotions  de  la  sen- 
sibilitĂ© ;  je  le  crois  honnĂȘte  homme  et  il  m'est  pĂ©nible  de  le  voir  ne 
point  résister  aux  influences  d'hommes  passionnés  qui  abusent  de  sa 
crédulité. 

Il  y  a  toujours  de  la  noblesse  Ă   pardonner  aux  coupables,  quand  il  y 
en  a  ;  mais  Ă   ChĂąteauroux  cette  noblesse  est  inconnue  et  on  se  plait  Ă  
salir  mĂȘme  l'innocence. 

Dieu  inspirera  le  cƓur  de  M.  le  prĂ©sident,  comme  il  inspire  le  vĂŽtre, 
et  vos  nouvelles,  je  puis  dire,  pieuses  sollicitations,  mettront  à  néant 
les  efforts  d'une  coterie  indigne  d'avoir  accĂšs  auprĂšs  du  premier  magis- 
trat de  la  république. 

Toujours  prĂȘt  Ă   vous  seconder  dans  les  actes  de  bontĂ©  et  de  justice 


iS6  GEORGE   SAND 

dont  vous  savez  si  bien  prendre  l'initiative,  permettez-moi,  madame 
et  chĂšre  bienfaitrice,  de  vous  offrir  rhomniage  de  votre  vieil  ami 

Aulard. 

P.-S.  —  Un  million  d'amitiĂ©s  Ă   Manceau,  Maurice,  Lambert...  Le 
personnel  du  chĂąteau  se  porte  Ă   merveille  et  me  charge  d'ĂȘtre  son 
interprĂšte  auprĂšs  de  sa  bonne  maĂźtresse... 

Nous  voyons  en  outre  par  cette  lettre  que  Maurice  et  Manceau 
avaient  suivi  George  Sand  Ă   Paris  ;  et,  effectivement,  entre  jan- 
vier et  avril,  nous  n'avons  pas  une  seule  lettre  de  Mme  Sand  Ă  
son  fils  (1). 

Peu  aprĂšs,  George  Sand  adressa  la  lettre  suivante  Ă   M.  Maupas, 
alors  préfet  de  Police  (2)  : 

Paris,  1er  février  1852. 
Monsieur, 

Ayez  l'obligeance  de  vouloir  bien  rappeler  Ă   M.  de  Persigny  que  je 
lui  ai  demandĂ©  l'Ă©largissement  des  personnes  arrĂȘtĂ©es  ou  poursuivies 
à  La  Chùtre.  Elles  sont  trois  :  M.  Fleury,  ex-représentant,  absent  ; 
M.  PĂ©rigois  et  M.  Emile  Aucante,  prisonniers.  Je  demande  l'abandon 
de  l'instruction  commencée  contre  elles,  et  je  la  demande  comme  un 
acte  de  justice,  puisque  je  puis  rĂ©pondre  sur  ma  tĂȘte  de  ces  trois  per- 
sonnes, comme  n'ayant  en  rien  justifié  les  soupçons  formulés  contre 
elles. 

J'ai  nommé  aussi  M.  Lebert,  notaire,  compromis  plus  sérieusement 
et  coupable,  selon  l'acte  d'accusation,  d'avoir  rassemblé  les  habitants 
de  sa  commune  avec  l'intention  de  les  insurger.  Je  puis  encore  répondre 
des  intentions  de  M.  Lebert,  homme  d'ordre,  de  science  et  de  haute 
moralitĂ©.  Il  a  eu  la  rĂ©solution  d'empĂȘcher  des  actes  de  violence  et  de 
protéger,  par  son  influence  et  sa  fermeté,  la  propriété  et  les  personnes 
que  menaçait  l'insurrection  annoncée  des  communes  voisines.  Si 
j'avais  été  à  sa  place,  j'en  eusse  fait  autant,  et  je  suis  trÚs  peu  partisan 
des  insurrections  de  paysans. 

Voilà  ce  que  j'ai  demandé  à  M.  le  ministre,  non  comme  une  faveur 

(1)  George  Sand  écrit  à  son  cousin  René  de  Villeneuve,  le  31  janvier  :  «  Je 
vis  cachĂ©e,  afin  de  pouvoir  travailler  et  suis  censĂ©e  ĂȘtre  repartie  pour  la 
campagne.  » 

(2)  Dans  la  Correspondance,  vol.  III,  p.  274,  cette  lettre  est  adressée  «  à 
M.  le  chef  du  cabinet  du  ministre  de  l'Intérieur  ». 


GEORGE   SAND  1*7 

du  gouvernement  que  mes  amis  ne  m'ont  point  autorisée  à  accepter, 
mais  comme  un  acte  de  justice  dont  ma  conscience  peut  attester  la 
nécessité  morale.  Mais,  pour  moir  si  je  dois  accepter  cet  acte  de  justice 
politique  comme  une  faveur  personnelle  de  M.  de  Persigny,  oh  !  je  ne 
demande  pas  mieux,  et  c'est  de  tout  mon  cƓur  que  je  lui  en  serai  per- 
sonnellement reconnaissante,  ainsi  qu'Ă   vous,  monsieur,  qui  voudrez 
bien  joindre  votre  voix  Ă   la  mienne,  j'en  suis  certaine. 

Heureuse  d'obtenir  de  sa  confiance  en  ma  parole  l'Ă©largissement  de 
mes  plus  proches  voisins,  je  n'ai  pourtant  pas  renoncé  à  plaider  auprÚs 
de  lui  la  cause  de  mon  département  tout  entier.  C'est  dans  ce  but  que 
je  me  suis  permis  de  l'importuner  de  ma  parole,  toujours  trĂšs  gauche  et 
trÚs  embarrassée.  Priez-le,  monsieur,  de  se  souvenir  qu'au  milieu  de 
mon  gùchis  naturel,  je  lui  ai  posé  une  question  à  laquelle  il  a  répondu 
en  homme  de  cƓur  et  d'intelligence  :  Poursuivez-vous  la  pensĂ©e?  — 
Non,  certes. 

Eh  bien,  parmi  les  nombreux  prisonniers  qui  sont  détenus  à  Chù- 
teauroux  et  Ă   Issoudun,  plusieurs  peut-ĂȘtre  ont  eu  la  pensĂ©e  de  prendre 
les  armes  pour  défendre  l'Assemblée.  Je  ne  sais  pas  si  elle  en  valait 
beaucoup  la  peine  ;  mais  enfin  c'Ă©tait  une  conviction  sincĂšre  de  leur 
part,  et,  avant  que  la  France  se  fût  prononcée  d'une  maniÚre  imposante 
pour  l'autorité  absolue,  le  gouvernement  pouvait  considérer  ceci 
comme  une  lutte  ardente  Ă   soutenir,  mais  non  comme  un  crime  Ă  
chùtier  de  sang-froid.  La  lutte  a  cessé  ;  le  gouvernement,  à  mesure 
qu'il  s'éclairera  sur  ce  qui  s'est  passé  en  France  depuis  les  journées 
de  décembre,  aura  horreur  des  vengeances  personnelles  auxquelles  la 
politique  a  servi  de  prétexte,  et  reconnaßtra  qu'il  est  perdu  dans 
l'opinion  s'il  ne  les  rĂ©prime.  Il  reconnaĂźtra  aussi  que,  lĂ   oĂč  ces  ven- 
geances se  sont  exercées,  elles  ont  eu  un  double  but,  celui  de  satisfaire 
de  vieilles  haines  et  celui  de  rendre  impossible  un  gouvernement 
qu'elles  trahissaient  en  feignant  de  le  servir.  Je  ne  nommerai  jamais 
personne  Ă   M.  de  Persigny  ;  mais  il  s'Ă©clairera  et  verra  bien. 

En  attendant,  M.  le  ministre  m'a  dit  qu'il  ne  punissait  pas  la  pensée, 
et  je  prends  acte  de  cette  bonne  parole,  qui  m'a  Îté  tout  le  scrupule 
avec  lequel  je  l'abordais.  Je  ne  sais  pas  douter  d'une  bonne  parole,  et 
c'est  dans  cette  confiance  que  je  lui  dis  que  personne  n'est  coupable 
dans  le  département  de  l'Indre.  Initiée  naturellement,  par  mes  opi- 
nions et  la  confiance  que  l'on  m'accorde,  à  toutes  les  démarches  des 
républicains,  je  sais  qu'on  s'est  réuni,  en  petit  nombre,  qu'on  s'est 
consulté,  qu'on  a  attendu  les  nouvelles  de  Paris,  et  qu'à  celle  de  l'abs- 
tention volontaire  du  peuple,  chacun  s'est  retiré  chez  soi  en  silence. 
Je  sais  que,  partie  de  Paris  au  milieu  du  combat,  je  suis  venue  dire  Ă  
mes  amis  :  «  Le  peuple  accepte,  nous  devons  accepter  !  » 

Je  ne  m'attendais  guĂšre  Ă   les  voir  arrĂȘtĂ©s  par  rĂ©flexion  quinze  jours 


iSS  GEORGE   SAND 

aprÚs,  et,  parmi  eux,  ceux  de  La  Chùtre,  qui  n'avaient  été  à  aucune 
rĂ©union,  attendant  mon  retour,  peut-ĂȘtre,  pour  savoir  la  vĂ©ritĂ©. 

S'il  en  Ă©tait  autrement,  si  ce  que  je  dis  lĂ   n'Ă©tait  pas  vrai,  je  n'aurais 
pas  quittĂ©  ma  retraite,  oĂč  personne  ne  m'inquiĂ©tait,  et  mon  travail 
littéraire,  qui  me  plaßt  et  m'occupe  beaucoup  plus  que  la  politique, 
pour  venir  faire  à  M.  le  président  et  à  son  ministre  un  conte  perfide  et 
lĂąche.  Je  me  serais  tenue  en  silence  dans  mon  coin,  me  disant  que  la 
guerre  est  la  guerre,  et  que  qui  va  Ă   la  bataille  doit  accepter  la  mort 
ou  la  captivité.  Mais,  en  présence  d'injustices  si  criantes,  ma  cons- 
cience s'est  rĂ©voltĂ©e,  je  me  suis  demandĂ©  s'il  Ă©tait  honnĂȘte  de  se  dire  : 
a  Tant  mieux  que  la  réaction  soit  odieuse,  tant  mieux  que  le  gouverne- 
ment soit  coupable  ;  on  le  haĂŻra  d'autant  plus,  on  le  renversera*  d'au- 
tant mieux  !  »  Non  !  j'ai  horreur  de  ce  raisonnement,  et  s'il  est  poli- 
tique, alors  je  n'entends  rien  à  la  politique  et  je  ne  suis  pas  née  pour 
y  jamais  rien  comprendre. 

Non,  il  n'est  pas  possible  de  se  réjouir  de  cela  et  d'y  applaudir  dans 
son  coin.  En  souhaitant  que  nos  adversaires  politiques  soient  le  moins 
coupables  envers  nous,  je  crois  ĂȘtre  plus  rĂ©publicaine,  plus  socialiste 
que  jamais. 

M.  de  Persigny  chargé  de  la  noble  mission  de  réparer,  de  consoler, 
d'apaiser,  et  joyeux  d'en  ĂȘtre  chargĂ©,  j'en  suis  certaine,  apprĂ©ciera 
mon  sentiment  et  ne  voudra  pas  que  son  nom,  celui  du  prince  auquel 
il  a  dévoué  sa  vie,  soient  le  drapeau  dont  les  légitimistes  et  les  orléa- 
nistes (sans  parler  des  ambitieux  qui  appartiennent  Ă   tous  les  pou- 
voirs) se  servent  pour  effrayer  les  provinces,  par  l'insolent  triomphe 
des  plus  mauvaises  passions. 

Voilà  mon  plaidoyer,  monsieur  ;  je  suis  un  avocat  si  peu  exercé,  et 
la  crainte  d'ennuyer  et  d'importuner  est  si  grande  chez  moi,  que  je 
n'ose  pas  l'adresser  Ă   M.  le  ministre.  Mais,  comme  c'est  la  premiĂšre 
fois,  la  derniĂšre  fois,  j'espĂšre,  que  je  vous  importune,  vous,  monsieur, 
je  vous  demande  en  grùce  de  le  résumer  pour  le  lui  présenter.  U  sera 
plus  clair  et  plus  convaincant  dans  votre  bouche. 

Qui  sait  si  je  ne  pourrai  pas  vous  rendre  un  jour  mĂȘme  service  de 
cƓur  et  de  conviction. 

Les  destins  et  les  flots  sont  changeants.  J'ai  passé  bien  des  heures 
en  mars  et  en  avril  1848,  dans  le  cabinet  oĂč  M.  de  Persigny  m'a  fait 
l'honneur  de  me  recevoir.  J'y  allais  faire  pour  le  parti  qui  nous  a  ren- 
versé ce  que  je  fais  aujourd'hui  pour  celui  qui  succombe.  J'y  ai  plaidé 
et  prié  souvent,  non  pour  faire  ouvrir  des  prisons,  elles  étaient  vides, 
mais  pour  conserver  des  positions  acquises,  pour  modérer  des  oppo- 
sitions obstinĂ©es  mais  inutiles,  pour  protĂ©ger  des  intĂ©rĂȘts  non  menacĂ©s, 
mais  effrayés. 

J'y  ai  demandé  et  obtenu  bien  des  aumÎnes  pour  des  gens  qui 


GEORGE   SAND  189 

m'avaient  calomniée  et  persécutée.  Je  ne  suis  pas  dégoûtée  de  mon 
devoir,  qui  est,  avant  tout,  je  crois,  de  prier  les  forts  pour  les  faibles, 
les  vainqueurs  pour  les  vaincus,  quels  qu'ils  soient  et  dans  quelque 
camp  que  je  me  trouve  moi-mĂȘme. 
Agréez...  etc.,  etc. 


A  S.  A.  le  prince  Napoléon  (JérÎme)  (1).  A  Paris. 

Paris,  2  février  1852. 
Cher  prince, 

Le  comte  d'Orsay,  qui  est  si  bon,  et  qui  cherche  toujours  ce  qu'il 
peut  annoncer  d'agréable  à  ses  amis,  me  dit  aujourd'hui  que  vous 
avez  de  la  sympathie,  presque  de  l'amitié  pour  moi. 

Rien  ne  peut  me  faire  plus  de  bien  ;  outre  que  je  venais  de  lui  dire 
que  j'avais  pour  vous,  et  tout  Ă   fait  ces  sentiments  lĂ ,  je  sens  en  vous 
un  appui  sincÚre  et  dévoué  pour  ceux  qui  souffrent  de  l'affreuse  inter- 
prétation donnée,  par  certains  agents,  aux  intentions  du  pouvoir. 
J'espÚre  que  vous  pourrez  obtenir  la  réparation  de  bien  des  erreurs, 
de  bien  des  injustices,  et  je  sais  que  vous  le  voulez.  Ah  !  mon  Dieu, 
comme  il  y  a  peu  d'entrailles  aujourd'hui  !  Vous  en  avez,  vous,  et 
vous  en  donnerez  Ă   ceux  qui  en  manquent. 

Vous  ĂȘtes  venu  aujourd'hui  pendant  que  j'Ă©tais  chez  M.  d'Orsay; 
il  m'a  annoncé  votre  visite,  je  suis  vite  revenue  chez  moi,  il  était  trop 
tard.  Vous  aviez  fait  espérer  que  vous  reviendriez  à  six  heures,  mais 
vous  n'avez  pu  revenir.  J'en  suis  doublement  désolée,  et  pour  moi,  et 
pour  mes  pauvres  prisonniers  de  l'Indre,  que  je  voudrais  tant  vous 
faire  sauver.  M.  d'Orsay  m'a  dit  que  vous  le  pouviez,  que  vous  aviez 
de  l'autorité  sur  M.  de  Persigny.  Je  dois  dire  que  M.  de  Persigny  a  été 
fort  bon  pour  moi,  et  m'a  offert  des  grĂąces  particuliĂšres  pour  ceux  de 
mes  amis  que  je  voudrais  lui  nommer.  M.  le  président  m'avait  dit  la 
mĂȘme  chose.  Mes  amis  m'avaient  tellement  dĂ©fendu  de  les  nommer, 
que  j'ai  dû  refuser  les  bontés  de  M.  le  président  (2). 

M.  de  Persigny,  avec  qui  je  pouvais  me  mettre  plus  Ă   l'aise,  ayant 
insisté,  et  me  faisant  écrire  aujourd'hui  pour  ce  fait,  je  crois  pouvoir, 
sans  compromettre  personne,  accepter  sa  bonne  volonté  comme  per- 
sonnelle Ă   moi.  Si  cela  est  humiliant  pour  quelqu'un,  c'est  donc  pour 
moi  seule,  et  j'accepte  l'humiliation  sans  faux  orgueil,  voire  avec  un 

(1)  Correspondance,  vol.  III,  p.  279. 

(2)  Nous  avons  retrouvé  dans  les  papiers  de  George  Sand  une  lettre  sans 
signature,  mais  qui  porte  écrit  de  la  main  de  George  Sand  :  «  De  la  part  du 
Gaubis.  »  L'auteur  de  cette  lettre  annonce  à  sa  correspondante  qu'il  (Fleury  ) 
lui  défend  de  faire  des  démarches  pour  lui  et  ses  amis. 


i9o  GEORGE   SAND 

sentiment  de  gratitude  sincĂšre,  sans  lequel  il  me  semble  que  je  serais 
déloyale.  J'ai  donc  écrit  plusieurs  noms,  et  je  compte  sur  l'effet  des 
promesses  ;  mais  mon  but  eût  été  d'obtenir  pleine  amnistie  pour  tons 
les  détenus  et  prévenus  du  département  de  l'Indre  ;  c'est  d'autant 
plus  facile  qu'il  n'y  a  eu  aucun  fait  d'insurrection,  que  toutes  les  arres- 
tations sont  préventives  et  qu'aucune  condamnation  n'a  encore  été 
prononcée.  H  ne  s'agit  donc  que  d'ouvrir  les  prisons,  conformément  à 
la  circulaire  ministérielle,  à  tous  ceux  qui  sont  peu  compromis,  et 
de  faire  rendre  un  arrĂȘt  de  non-lieu,  ou  suspendre  toute  poursuite 
contre  ceux  qui  sont  un  peu  plus  soupçonnés.  Un  mot  du  ministre 
au  préfet  en  déciderait. 

Les  tribunaux,  s'ils  sont  saisis  de  ces  affaires  que  j'ignore,  sont 
d'aveugles  esclaves. 

M.  de  Persigny  ne  pouvait  guĂšre  me  promettre  cela  Ă   moi  ;  mais 
vous  pourriez  le  demander  avec  insistance,  et  vous  l'obtiendriez  cer- 
tainement. 

Je  n'ai  pas  besoin  de  vous  dire  que  mon  cƓur  en  sera  pĂ©nĂ©trĂ©  de 
reconnaissance  et  d'affection.  C'est  le  vĂŽtre  qui  plaidera  en  vous-mĂȘme 
beaucoup  mieux  que  moi. 

Vous  avez  dit  chez  moi  que  vous  partiez  pour  la  campagne  ;  j'espĂšre 
que  ma  lettre  vous  y  parviendra  et  que  vous  Ă©crirez  au  ministre  ;  vous 
le  verrez  aussi,  Ă   votre  retour,  n'est-ce  pas,  prince?  et  j'apprendrai 
aux  habitants  de  mon  Berry  qu'il  faut  vous  aimer,  comme  je  vous  aime 
moi,  avec  un  cƓur  qui  a  l'ñge  maternel,  c'est-à-dire  celui  des  meil- 
leures affeetions. 

George  Sand. 

La  lettre  au  prince  JérÎme,  insérée  dans  la  Correspondance 
à  la  page  260,  est  inexactement  datée  du  3  janvier,  comme  si  elle 
avait  été  écrite  un  mais  avant  celle-ci  (1).  Or,  Solange  Clesinger, 
trÚs  liée  alors  avec  le  comte  d'Orsay,  avait  prévenu  le  prince 
JĂ©rĂŽme  —  ami  du  comte  d'Orsay,  —  que  sa  mĂšre  serait  heureuse 
de  faire  sa  connaissance.  «  Le  28  janvier  le  prince  en  remercie 
Mme  Sand,  il  vint  lui  faire  une  visite  le  2  février  et  le  3  février 
il  déjeuna  chez  elle.  »  C'est  de  cette  visite  du  2  février  -que 
George  Sand  parle  en  disant  :  «  Vous  ĂȘtes  venu  aujourd'hui  n 
et  en  le  priant  de  revenir  encore  une  fois  chez  «  la  pauvre  vieille 

(1)  C'est  aussi  une  erreur  que  la  dafce  du  14  janvier  en  tĂȘte  d'une  lettre 
publiée  dans  la  Revue  des  Deux  Mondes  lors  de  l'impression  de  la  Corres- 
pondance de  George  Sand  avec  le  prince  JĂ©rĂŽme. 


GEORGE   SAND  191 

malade  ».  Le  2  fĂ©vrier,  il  Ă©tait  venu  au  moment  oĂč  elle  avait  Ă©tĂ© 
voir  d'Orsay,  et  le  3  février,  alors  qu'il  déjeunait  chez  elle, 
d'Orsay  envoya  Ă   Mme  Sand  le  mot  suivant  : 

ChĂšre  Madame  Sand  (1), 

Votre  lettre  est  arrivée  à  temps,  j'ai  rencontré  hier  Napoléon  qui 
doit  partir  pour  Londres  aujourd'hui  oĂč  il  ne  doit  rester  que  quatre 
ou  cinq  jours.  Je  lui  ai  écrit  ce  matin,  il  a  reçu  votre  lettre  au  saut  du 
lit,  et  je  suis  convaincu  qu'il  fera  ce  que  je  lui  ai  demandé,  c'était 
d'aller  voir  Persigny  avant  son  départ. 

Vous  avez  bien  raison  de  m'aimer  car  je  vous  aime  autant  que  je 
vous  admire,  c'est  tout  dire. 

Votre  trĂšs  sincĂšre, 

d'Orsay. 
3  février  1852. 

Immédiatement  aprÚs  ces  deux  lettres  au  prince,  George  Sand 
en  Ă©crivit  une  Ă   M.  de  Persigny. 

Monsieur, 

Le  prince  Napoléon  Bonaparte  me  dit  de  votre  part  que  vous 
admettrez  ma  demande  pour  plusieurs  détenus  de  mon  département. 
J'y  comptais  -bien,  puisque  vous  avez  voulu  m'entendre  vous  parler 
en  leur  faveur.  Sur  le  conseil  du  prince,  je  vous  envoie  de  nouveau 
les  noms  de  ceux  auxquels  je  m'intéresse  particuliÚrement  et  dont  je 
vous  ai  déjà  désigné  quelques-uns  que  vous  avez  acceptés  généreuse- 
ment. Mais  le  prince  veut  que  ses  efforts  aient  servi  aussi  Ă   ma  satis- 
faction et  qu'en  son  nom  j'obtienne  de  vous  encore  quelques  Ă©largis- 
sements. H  me  dit  :  «  Osez,  M.  de  Persigny  est  bon,  il  ne  voudrait  pas 
me  laisser  croire  que  je  suis  absolument  impuissant  Ă   seconder  les  vues 
gĂ©nĂ©reuses  qu'il  a  Ă©mises  lui-mĂȘme.  »  Je  vous  ai  demandĂ©  d'ĂȘtre  impar- 
tial et  juste  et  de  ne  pas  regarder  la  pensée  comme  un  attentat.  Mais 
si  vous  vouliez  n'ĂȘtre  que  bon  pour  moi,  j'accepterais  encore  avec 
beaucoup  de  reconnaissance  et  ^e  toute  la  sincĂ©ritĂ©  d'un  cƓur  qui  a 
bonne  mémoire  du  bien. 

George  Sand. 

Paris,  3  février  1852.  Rue  Racine,  3. 

Déjà  désignés  :  Emile  Aucante,  Alphonse  Fleury,  Ernest  Périgois, 
Fulbert  Martin,  Lebert  (notaire)  de  La  ChĂątre. 

(1)  Lettre  inédite,  trouvée  dans  les  papiers  de  George  Sand. 


i92  GEORGE   SAND 

Patureau-Francour,  vigneron  Ă   ChĂąteauroux  (bonhomme  dont 
quelques  fous  voulaient  faire  un  président  de  la  république).  Al- 
phonse {sic!)  Lambert  (mourant). 

Desmousseaux  de  Ch[Ăąteauroux],  Valette  charpentier  Ă   Ch[Ăąteau- 
roux]  (suspect  pour  avoir  refusé  de  dresser  la  guillotine  pour  un  cri- 
minel, six  mois  avant  les  événements,  peu  ou  point  républicain  que  je 
sache),  Lumet,  vigneron  Ă   Issoudun. 


A  cette  mĂȘme  date  elle  envoyait  aussi  sa  seconde  lettre  (1) 
au  prince  président  : 

Paris,  3  février  1852. 
Prince, 

Dans  une  entrevue  oĂč  l'embarras  et  l'Ă©motion  m'ont  rendue  plus 
prolixe  que  je  ne  me  l'étais  imposé,  j'ai  obtenu  de  vous  des  paroles 
de  bonté  qu'on  n'oublie  pa^.  Vous  avez  bien  voulu  me  dire  :  «  De- 
mandez-moi telle  grùce  particuliÚre  que  vous  voudrez.  » 

J'ai  eu  l'honneur  de  vous  répondre  que  je  n'étais  autorisée  par 
p  ersonne  Ă   vous  implorer.  Je  n'avais  vu  personne  Ă   Paris,  vous  Ă©tiez 
ma  premiĂšre  visite... 

Elle  lui  dit  ensuite  que  dans  sa  province  aucun  fait  d'insur- 
rection n'a  eu  lieu  et  que,  si  elle,  George  Sand,  a  toujours  été 
sans  inquiétudes  pour  le  sort  de  ses  compatriotes,  croyant  impos- 
sibles des  poursuites  contre  les  pensées,  elle  est  absolument  ras- 
surée depuis  son  entrevue  avec  le  président,  puis  elle  continue  : 

Mais,  si  je  me  flatte  dans  l'espoir  d'obtenir  aisément  l'absolution 
pour  des  hommes  qu'aucune  décision  n'a  encore  atteints,  je  ne  suis 
pas  sans  effroi  pour  ceux  sur  le  sort  desquels  il  a  été  statué  ailleurs 
d'une  maniĂšre  rigoureuse.  J'en  ai  vu  deux  aujourd'hui  que  je  sais 
complĂštement  innocents,  si  c'est  le  fait  de  conspiration  que  l'on  veut 
chĂątier,  si  ce  n'est  pas  l'opinion...  chose  impossible,  inouĂŻe  dans  nos 
mƓurs,  dans  les  idĂ©es  de  notre  gĂ©nĂ©ration,  impossible  cent  fois  dans 
le  cƓur  du  prince  Louis -NapolĂ©on.  Je  les  ai  trouvĂ©s  rĂ©signĂ©s  Ă   leur 
sort  et  croyant,  grùce  au  systÚme  excessif  que  vous  venez  de  réprimer, 
à  cette  chose  monstrueuse  qu'ils  étaient  frappés  pour  leurs  principes 
et  non  pour  leurs  actes.  J'ai  repoussé  vivement  cette  supposition, 

(1)  Correspondayice,  t.  III,  p.  282. 


GEORGE   SAND  i93 

qui  m'Ă©tait  douloureuse  aprĂšs  ce  que  je  vous  ai  entendu  dire.  J'ai 
répété  que  j'avais  foi  en  vous,  et  que  la  personnalité  était  inconnue 
au  cƓur  d'un  homme  pĂ©nĂ©trĂ©,  comme  vous  l'ĂȘtes,  d'une  mission 
supérieure. 

J'ai  dit  que  j'irais  vous  demander  leur  grĂące  ou  la  commutation  de 
leur  peine.  Ils  avaient  dit  non  d'abord  ;  ils  ont  dit  oui,  quand  ils  ont 
vu  ma  conviction.  Ils  m'ont  autorisée  à  profiter  de  cette  offre  géné- 
reuse que  vous  m'avez  faite  et  qu'il  m'Ă©tait  si  douloureux  d'ĂȘtre  forcĂ©e 
de  refuser. 

Maintenant,  vous  n'estimeriez  pas  ces  deux  hommes  si  je  vous 
disais  qu'ils  rétracteront  leurs  principes,  qu'ils  abandonneront  leurs 
sentiments.  Ils  ont  toujours  été,  ils  seront  toujours  étrangers  aux 
conspirations,  aux  sociétés  secrÚtes,  et  la  forme  absolue  de  votre  gou- 
vernement ne  peut  plus  vous  faire  redouter  l'Ă©mission  publique  de 
doctrines  que  vous  ne  toléreriez  pas. 

Peut-ĂȘtre  n'entrerait-il  pas  dans  vos  desseins  actuels  de  laisser 
savoir  que  c'est  Ă   moi,  Ă©crivain  socialiste,  que  vous  accordez  la  commu- 
tation de  peine  de  deux  socialistes. 

S'il  en  Ă©tait  ainsi,  croyez  Ă   mon  honneur,  croyez  Ă   mon  silence.  Je 
ne  confie  Ă   personne  l'objet  de  cette  lettre,  et,  satisfaite  d'ĂȘtre  fiĂšre 
de  vos  bontĂ©s  dans  le  secret  de  mon  cƓur,  je  n'en  dirai  jamais  l'heureux 
résultat,  si  telle  est  votre  volonté. 

George  Sand. 

Si  vous  ne  repoussez  pas  ma  priĂšre,  daignez  me  faire  savoir  le  moment 
que  vous  m'accorderez  pour  aller  vous  nommer  les  deux  personnes  qui 
m'intéressent. 


Cette  audience  demandée,  Napoléon  l'accorda  pour  le  6  février 
et  pendant  cette  entrevue  George  Sand  ne  se  contenta  pas  de 
plaider  l'amnistie  générale,  mais  encore  elle  intercéda  en  faveur 
de  deux  républicains  intransigeants  auxquels  elle  avait  fait 
allusion  dans  sa  lettre  :  MM.  Greppo  et  Marc  Dufraisse,  ainsi 
qu'en  faveur  de  Luc  Desages.  La  maniÚre  dont  le  président  avait 
accueilli  ces  demandes  Ă©veilla  en  elle  des  sentiments  de  profonde 
estime  et  de  reconnaissance  et  lui  donna  le  courage,  Ă   partir  de 
ce  jour,  pour  faire  des  démarches  en  faveur  d'une  quantité  de 
personnes  et  d'assiéger  le  prince,  nombre  de  fois  encore,  de  ses 
lettres  et  de  ses  demandes.  D'autre  part,  elle  put  se  convaincre 
que,  malgré  toutes  ses  belles  qualités,  Napoléon  n'était  pas  de 
w.  ,3 


i94  GEORGE   SAND 

force  Ă   lutter  contre  la  clique  d'intrigants  et  d'arrivistes  qui 
l'entourait. 

George  Sand  resta  Ă   Paris  du  22  janvier  jusqu'aux  premiers 
jours  d'avril  et  pendant  tout  ce  temps  elle  ne  cessa  de  faire 
démarches  sur  démarches,  des  courses,  des  visites,  de  demander 
des  audiences  soit  à  Napoléon,  soit  à  M.  de  Persigny,  au  ministre 
de  la  Justice,  au  ministre  de  la  Police  ;  de  voir  MM.  Cavet,  Théo- 
phile de  Montaud,  le  chef  du  cabinet  du  ministre  de  la  Police, 
Thiéblin,  le  chef  du  cabinet  du  ministre  de  la  Justice,  Abba- 
tucci  (1),  l'ex-préfet  de  police,  Carlier,  le  secrétaire  du  ministre 
de  la  Police,  Fortoul,  le  général  Roguet,  le  général  Baraguay,  le 
vicomte  Clary  et  le  frĂšre  de  Pietri,  le  ministre,  —  J.  Pietri,  prĂ©fet 
du  Cher  (2).  Elle  suppliait,  elle  implorait.  Elle  agissait  aussi 
par  l'intermédiaire  du  prince  JérÎme,  du  comte  d'Orsay,  de 
M.  N.-H.  Vieillard,  du  docteur  Conneau,  et  elle  ne  s'accordait 
pas  un  moment  de  repos  tant  qu'elle  n'avait  pas  arraché  ce 
qu'elle  demandait. 

Je  n'ai  pas  fait  autre  chose  que  de  courir  de  Carlier  Ă   Pietri  et  du 
secrétaire  du  ministre  de  l'Intérieur  à  M.  Baraguay... 

Ă©crit-elle,  et  ces  mots  non  seulement  ne  nous  semblent  pas  une 
hyperbole,  mais  bien  au  contraire  ils  paraissent  faibles,  si  l'on 
apprécie  à  sa  juste  valeur  tout  ce  que  George  Sand  accomplit  en 
ces  trois  mois,  ou  si  l'on  parcourt  seulement  les  tas  de  lettres 
que  nous  avons  devant  nous  et  qui  témoignent  avec  queUe 
ardeur  elle  s'Ă©tait  mise  Ă   ce  service  de  sauvetage,  avec  quelle 
confiance  connus  et  inconnus  s'adressaient  Ă   elle  de  tous  les 
points  du  Berry  et  de  la  France,  avec  quelle  persévérance  son 


(1)  Jacques-Pierre-Charles  Abbatucci,  né  en  Corse  en  1791,  mort  en  1867, 
fut  d'abord  député,  puis  président  de  la  Chambre  de  la  cour  d'Orléans,  puis 
remplit  différentes  autres  fonctions  dans  la  magistrature,  fut  ensuite  membre 
de  l'Assemblée  Constituante  (du  Loiret)  et  enfin  sénateur  et  ministre  de  la 
Justice.  Il  reçut  ce  portefeuille  en  1852. 

(2)  Pierre-Marie  Pietri,  né  aussi  en  Corse,  en  1810,  mort  à  Paris  en  1854, 
d'abord  républicain  ardent,  devint  plus  tard  bonapartiste  non  moins  dévoué, 
succéda  à  Carlier  dans  la  préfecture  de  police,  puis  fut  nommé  ministre  de 
la  Police  et  sénateur. 


GEORGE   SAND  195 

cƓur  inlassable  rĂ©clamait  les  audiences  et  craignait  peu  d'  «  im- 
portuner ».  Elle  demandait  la  grùce  des  condamnés  à  mort, 
l'exil  volontaire  à  l'étranger  pour  les  condamnés  à  la  déporta- 
tion, l'exil  temporaire  pour  les  exilés  à  perpétuité,  l'internement 
en  Afrique  pour  les  détenus  dans  les  casemates  des  forts,  la  libé- 
ration pour  les  prisonniers  de  ChĂąteauroux  et  de  La  ChĂątre.  Elle 
sauvait  les  malades  —  de  la  mort  dans  les  prisons,  les  familles 
ayant  perdu  leurs  chefs  —  de  la  misùre  et  de  la  famine  ;  elle 
réconfortait,  elle  consolait,  elle  soutenait  le  courage  des  détenus, 
des  exilés  ;  elle  leur  envoyait  de  l'argent,  des  livres,  des  lettres, 
des  nouvelles  rassurantes,  des  brouillons  de  demandes  et  de 
«  déclarations  »  au  gouvernement  par  lesquelles  les  prisonniers 
promettaient  de  ne  plus  prendre  part  à  des  actions  «  antigouver- 
nementales »,  et  George  Sand  savait  rédiger  ces  déclarations 
de  maniÚre  à  sauvegarder  la  dignité  et  les  opinions  de  ceux  qui 
les  signaient,  faisant  des  démarches  non  seulement  pour  les 
opprimés  qui  les  lui  demandaient  et  qu'elle  connaissait  person- 
nellement, mais  encore  pour  des  inconnus  qui  ne  se  doutaient 
mĂȘme  pas  qu'ils  eussent  une  si  puissante,  une  si  courageuse,  une 
si  généreuse  protectrice  !  Bien  souvent  ils  ne  l'apprenaient  que 
lorsque  les  démarches  aboutissaient  à  un  bon  résultat,  inattendu 
pour  eux.  Et  avec  quel  attendrissement,  avec  quel  Ă©tonnement 
ils  la  remerciaient  alors  ! 

C'est  ce  qui  arriva  Ă   la  famille  de  Marc  Dufraisse,  Ă   celle 
d'Alexandre  Lambert.  Sans  attendre  une  demande,  ne  sachant 
mĂȘme  pas  si  l'on  allait  profiter  de  son  aide,  George  Sand  intercĂ©da, 
avant  tout,  pour  Alphonse  Fleury  qui  dut  se  cacher  aprĂšs  le 
2  décembre,  puis  fuir  en  Belgique  et  qui,  par  fierté  républicaine, 
refusait  de  demander  grùce  et  défendait  à  George  Sand  de  le 
nommer.  Mais  elle  parvint  quand  mĂȘme  Ă   se  faire  dĂ©livrer  pour 
lui  un  passeport  Ă©tranger  et  l'aida  Ă   se  rendre  Ă   Bruxelles  en  le 
munissant  d'une  somme  nécessaire  ;  c'est  pour  cela  qu'elle  avait 
emprunté  mille  francs  au  beau-pÚre  de  Duvernet,  comme  nous 
l'avons  vu. 

Voici  Ă   ce  propos  la  lettre  autographe  de  M.  de  Montaud,  re- 
trouvĂ©e dans  les  papiers  de  Mme  Sand  ;  d'autres  lettres  du  mĂȘme 


igfi  GEORGE   SAND 

correspondant  ne  sont  que  signées  par  lui  ou  bien  ne  portent 
que  des  post-scriptum  de  sa  main. 

Cabinet 

DU 
MINISTRE  DE  L'INTÉRIEUR. 

—  Paris,  30  mars. 

Madame, 

Je  m'empresse  de  vous  annoncer  que  le  ministre  aura  l'honneur 
de  vous  recevoir,  suivant  votre  désir,  demain  matin  à  dix  heures. 
Veuillez,  etc.,  etc. 

Théophile  de  Montaud. 

Le  ministre  vient  de  prier  son  collĂšgue  des  Affaires  Ă©trangĂšres  de 
faire  délivrer  un  passeport  à  M.  Fleury  pour  revenir  en  France. 

Th.  de  M. 


Puis,  George  Sand  parvint  à  libérer  de  la  prison  Marc  Dufraisse 
et  Greppo  avec  sa  femme,  et  Ă   leur  procurer  un  permis  de  quitter 
la  France  (1).  Puis  elle  se  mit  à  intercéder  en  faveur  d'Emile 
Aucante  et  d'Ernest  Périgois,  détenus  avec  plusieurs  autres 
inculpés  dans  la  prison  de  Chùteauroux  et  menacés  de  1'  «  éloi- 
gnement  temporaire  du  territoire  »  (comme  le  porte  la  piÚce 
officielle).  Elle  parvint  Ă   leur  faire  accorder  un  sursis  a  avec 
obligation  de  ne  pas  quitter  le  pays  »  et  «  avec  autorisation  », 
quant  à  M.  Aucante,  de  «  résider  »  pendant  ce  temps...  «  dans  le 
domaine  de  Mme  Dudevant  »  (!!!) 

Elle  apprit  que  le  rédacteur  de  VEclaireur  de  V Indre,  Alexandre 
Lambert,  prisonnier  Ă   ChĂąteauroux,  Ă©tait  malade  et  qu'il  Ă©tait 
condamné  à  la  déportation  ou  à  une  longue  détention,  et  elle  se 
mit  Ă   Ă©crire,  Ă   implorer,  Ă   s'adresser  partout,  si  bien  qu'elle 
réussit  à  le  faire  libérer  et  à  le  rendre  à  sa  famille  qui  n'espérait 
plus  le  revoir  vivant.  Pendant  qu'il  Ă©tait  encore  en  prison  Ă  
ChĂąteauroux,  puis  dans  les  cales  du  vaisseau  qui  l'emmenait 
aux  colonies,  et  enfin  dans  un  «  camp  pénitentiaire  »  en  Afrique, 

(1)  Voir  plus  loin  la  lettre  à  Duvemet  du  10,  et  à  Louis-Napoléon  du 
12  février. 


GEORGE   SAND  197 

elle  plaça  sa  fille  dans  un  pensionnat  et,  avec  l'aide  de  Mme  Du- 
vernet,  elle  veilla  sur  son  Ă©ducation  comme  elle  l'aurait  fait 
pour  une  jeune  parente  Ă   elle  ! 

Bocage  lui  adressa  une  demande  en  faveur  de  son  ami,  le  jeune 
avoué  républicain  Fulbert  Martin,  incarcéré  dans  les  casemates 
du  fort  d'Ivry,  et  il  fut  libéré,  avec  injonction  de  résider...  à 
Nohant,  aussi! 

Et  le  mĂȘme  Fulbert  Martin  priait  Mme  Sand  pour  ses  co- 
dĂ©tenus !  Et  la  femme  d'un  autre  Martin  —  celui  de  Strasbourg  — 
appelait  l'attention  de  Mme  Sand  sur  le  sort  des  personnes  arrĂȘtĂ©es 
en  Alsace  et  transférées  dans  les  forts  de  Paris  et  pour  Mme  Pau- 
line Roland  (amie  et  collaboratrice  de  Pierre  Leroux),  arrĂȘtĂ©e 
et  détenue  ! 

Cette  mĂȘme  Mme  Roland  intercĂ©dait  pour  ses  co-dĂ©tenus,  et 
une  Mme  Mathé  pour  toute  une  série  de  prisonniers,  et  encore 
une  autre  dame  —  Mme  Matron  (dont  le  nom  ne  se  rencontrait 
jusqu'à  ce  jour  dans  aucune  des  lettres  de  et  à  George  Sand)  — 
pour  d'autres  encore  !  C'est  ainsi  que  sur  la  table  de  George  Sand 
s'amoncelaient  des  amas  de  listes  de  personnes  poursuivies  pour 
lesquelles  il  fallait  «  prier  ».  Un  grand  nombre  de  ces  listes  et  de 
ces  mĂ©moires  porte  en  tĂȘte  Ă   l'encre  bleue  :  «  DemandĂ©  le 
23  février  »,  «  envoyé  »,  «  remis  à  Persigny  »,  «  pour  Clary  »,  «  envoyé 
au  président  le  28  »,  etc.,  etc.,  etc. 

Laissons  parler  Mme  Sand  elle-mĂȘme  : 

A  Monsieur  Charles  Duvernet,  Ă   La  ChĂątre. 

Paris,  10  février  1852(1). 
Mes  amis, 

Ne  soyez  pas  inquiets  du  résultat  de  mes  démarches.  Autant  qu'on 
peut  ĂȘtre  sĂ»r  des  choses  humaines,  je  le  suis  que  nous  gagnerons  notre 

(1)  Cette  lettre  fut  écrite  en  réponse  à  une  lettre  datée  du  6  février,  et 
gardée  dans  les  papiers  de  Mme  Sand,  dans  laquelle  les  Duvernet,  lui  annon- 
çant que  Fleury  avait  deux  fois  écrit  à  sa  femme  et  qu'il  refusait  de  profiter 
de  toute  espĂšce  de  dĂ©marches  en  sa  faveur  —  de  crainte  que  cela  ne  nuise  Ă  
Mme  Sand  dans  l'opinion  publique,  —  mais  qu'ils  la  priaient  quand  mĂȘme 
de  persévérer  ;  puis,  ils  ajoutaient  qu'à  La  Chùtre  et  à  Chùteauroux  on  bavar- 
dait déjà  sur  ses  démarches,  ce  qui  avait  permis  au  parti  réactionnaire  de 


i93  GEORGE   SAND 

procĂšs.  Je  vous  dirai  des  choses  qui  vou3  Ă©tonneront  bien,  mais  qu'il 
est  inutile  de  confier  au  papier. 

J'ai  embrassé  ce  soir,  dans  la  rue,  votre  ami  de  Eibérac  (1),  libre 
pour  vingt-quatre  heures  sur  le  pavé  de  Paris  et  partant  cette  nuit 
pour  Bruxelles  avec  un  autre  dont  vous  verrez  le  nom  dans  les  jour- 
naux (2).  La  personne  que  vous  savez  a  été  à  cet  égard  d'un  chevale- 
resque accompli,  et  il  y  a  autour  de  cela  des  circonstances  qui  Ă©branle- 
ront toutes  vos  idées  sur  son  compte,  et  qui,  pour  le  mien,  m'enchaßnent 
sérieusement  par  une  estime  personnelle  en  dehors  de  toutes  les  idées 
politiques,  invariables  chez  moi,  comme  vous  pensez  bien. 

Il  faut,  en  effet,  beaucoup  de  prudence  et  de  discrétion  en  ce  qui  me 
concerne.  Je  ne  crains  nullement  de  me  compromettre  pour  mon 
compte  ;  mais  je  peux  faire  quelque  bien  Ă   ceux  qui  souffrent,  et  il  est 
inutile  de  susciter  des  difficultés.  Je  crois  que  je  les  vaincrais  toutes, 
mais  cela  me  retarderait... 

Au  prince  Louis-Napoléon  Bonaparte. 

Paris,  12  février  1862. 
Prince, 

Permettez-moi  de  mettre  sous  vos  yeux  une  douloureuse  supplique  : 
celle  de  quatre  soldats  condamnés  à  mort,  qui,  dans  leur  profonde 
ignorance  des  choses  politiques,  ont  choisi  un  proscrit  pour  leur  inter- 
médiaire auprÚs  de  vous.  La  femme  du  proscrit  (3),  qui  ne  demande 
et  n'espĂšre  rien  pour  sa  propre  infortune  et  qui  ne  connaĂźt  pas  plus  que 
moi  les  signataires  de  la  pétition,  m'écrit,  en  me  l'envoyant,  quelques 
lignes  fort  belles,  qui  vous  toucheront  plus,  j'en  suis  certaine,  que  ne 
le  ferait  un  plaidoyer  de  ma  part.  La  pauvre  ouvriÚre  désolée,  réduite 

déclarer  qu'on  «  saurait  contrecarrer  »  les  dites  démarches,  qu'on  parlait 
mĂȘme  dĂ©jĂ   du  ■  bannissement  de  PĂ©iĂŻgois  »  ;  ils  disaient  encore  que  «  tout 
s'organisait  à  Chùteauroux  »,  mais  que  «  ces  messieurs  faisaient  autoriser 
toutes  leurs  petites  infamies  par  le  ministre  de  maniĂšre  Ă   se  couvrir  ainsi  de 
ce  grand  mot  :  les  ordres  viennent  de  Paris...  »  et  que  «  le  Grand  Lama  du  pays  » 
Ă©tait  revenu  tout  dĂ©confit  de  n'ĂȘtre  rien,  et  s'en  dĂ©dommageait  en  jouant 
le  désintéressé  et  en  allant  demander  des  grùces  pour  le  semllant,  comme 
disent  les  enfants... 

Il  est  Ă©vident  que  l'entrevue  de  Mme  Sand  avec  M.  de  Persigny  n'Ă©tait  pas 
restée  sans  influence  sur  cette  «  déconfiture  «  du  «  Grand  Lama  »  de  Chù- 
teauroux. Cette  lettre  porte  de  la  main  de  George  Sand  :  «  Answered,  le  10  fé- 
vrier. » 

(1)  C'Ă©tait  justement  Marc  Dufraisse. 

(2)  C'Ă©tait  Greppo. 

(3)  C'était  Lise  Perdiguier,  et  sa  lettre  a  été  gardée  par  George  Sand.  Nous 
avons  raconté  les  relations  de  George  Sand  avec  les  écrivains-prolétaires  dans 
le  volume  III  de  notre  ouvrage. 


GEORGE   SAND  199 

Ă   la  misĂšre  avec  trois  enfants,  malade  elle-mĂȘme,  mais  muette  et 
résignée,  est  loin  de  croire  que  j'oserai  vous  faire  lire  ses  fautes  d'or- 
thographe. Moi,  je  ne  voulais  plus  vous  importuner;  mais,  quand  j'ai 
vu  qu'il  s'agissait  de  la  peine  de  mort,  et  nullement  des  malheurs  de 
mon  parti  vaincu,  j'ai  senti  qu'un  moment  d'hésitation  m'Îterait  le 
peu  de  sommeil  qui  me  reste. 

Je  n'ai  pas  pu  refuser  non  plus  de  vous  présenter  la  supplique  du 
malheureux  Emile  Rogat,  qui  m'a  été  remise  en  l'absence  et  de  la 
part  du  prince  Napoléon-JérÎme. 

C'est  ce  prince  qui  m'avait  dit,  au  moment  oĂč,  pour  la  premiĂšre  fois, 
j'allais  vous  aborder  en  tremblant  :  «  Oh!  pour  bon,  il  l'est.  Ayez 
confiance!  »  C'était  un  encouragement  si  bien  fondé,  que  je  lui  en 
dois  de  la  gratitude.  Et,  Ă   propos  de  la  triple  grĂące  que  vous  m'avez 
accordée,  je  voudrais  vous  dire  quelque  chose  qui  vous  intéressera 
et  vous  satisfera,  j'en  suis  bien  sĂ»re.  J'en  ai  mĂȘme  plusieurs  Ă   vous 
dire,  c'est  mon  devoir,  et,  cette  fois,  je  n'aurai  pas  Ă   vous  demander 
pardon  de  vous  les  avoir  dites.  Quand  vous  aurez  un  instant  Ă   perdre, 
comme  on  dit  dans  le  monde,  accordez-le-moi,  vous  me  trouverez 
toujours  prĂȘte  Ă   en  profiter  avec  une  vive  reconnaissance. 

George  Sand. 

Noms  des  condamnés  à  mort  :  Duchauffour,  Lucas  (Jean-César), 
Mondange,  Guillemin,  soldats  au  3e  régiment  de  chasseurs  d'Afrique. 

Maison 
du  président  de  la  république 

service  de  l'aide  de  camp.  Palais  de  l'Elysée, 

—  le  13  fĂ©vrier  1852. 

Madame, 

J'ai  remis  au  prince  président  de  la  République  la  lettre  que  vous 
m'avez  fait  l'honneur  de  m'adresser  le  12  février... 

Le  général  de  division  aide  de  camp, 
Signé  :  Roguet. 

Au  prince  Louis-Napoléon  Bonaparte. 

Paris,  20  février  1S52. 
Prince, 

J'étais  bien  résolue  à  ne  plus  vous  importuner,  mais  votre  bienveil- 
lance m'y  contraint,  et  il  faut  que  je  vous  remercie  du  fond  du  cƓur. 
M.  Emile  Rogat  est  en  liberté,  MM.  Dufraisse  et  Greppo  sont  à 
l'Ă©tranger,  et  les  quatre  malheureux  soldats  dont  je  me  suis  permis  de 


*oo  GEORGE   SAND 

vous  envoyer  la  supplique  sont  graciés,  j'en  suis  certaine,  sans  m'en 
informer.  Mais  vous  m'avez  aussi  accordé  la  commutation  de  peine  de 
M.  Luc  Desages,  gendre  de  M.  Pierre  Leroux,  condamné  à  dix  ans  de 
déportation  ;  vous  avez  permis  qu'il  fût  simplement  exilé,  et,  avec  votre 
autorisation,  j'avais  annoncé  cette  bonne  nouvelle  à  sa  famille. 

Cet  ordre  de  votre  part  n'a  pas  eu  son  exĂ©cution,  ce  doit  ĂȘtre  ma 
faute  I  Je  vous  ai  donné  un  renseignement  inexact.  Il  a  été  condamné 
par  la  commission  militaire  de  l'Allier,  Ă   Moulins,  et  non  pas  Ă   Limoges 
comme  j'avais  eu  l'honneur  de  vous  le  dire. 

Prince,  daignez  réparer  d'un  mot  ma  déplorable  maladresse,  et 
l'erreur  plus  déplorable  encore  d'un  jugement  inique. 

Ah  !  prince,  mettez  donc  bientÎt  le  comble  à  mon  dévouement  pour 
votre  personne,  phrase  de  cƓur  qui  sous  ma  plume  est  une  parole 
sérieuse.  Votre  politique,  je  ne  peux  l'aimer,  elle  m'épouvante  trop 
pour  vous  et  pour  nous.  Mais  votre  caractĂšre  personnel,  je  puis  l'aimer, 
je  le  dois,  je  le  dis  Ă   tous  ceux  que  j'estime.  Faites  cette  conversion 
plus  Ă©tendue,  dans  les  limites  oĂč  vous  avez  opĂ©rĂ©  la  mienne,  cela  vous 
est  facile. 

Aucune  ùme  de  quelque  prix  ne  transformera  son  idéal  d'égalité 
en  une  religion  de  pouvoir  absolu. 

Mais  tout  homme  de  cƓur,  pour  qui  vous  aurez  Ă©tĂ©  juste  ou  clĂ©ment 
en  dĂ©pit  de  la  raison  d'État,  s'abstiendra  de  haĂŻr  votre  nom  et  de 
calomnier  vos  sentiments.  C'est  de  quoi  je  peux  répondre  à  l'égard 
de  ceux  sur  qui  j'ai  quelque  influence.  Eh  bien,  au  nom  de  votre 
propre  popularité,  je  vous  implore  encore  pour  l'amnistie  ;  ne  croyez 
pas  ceux  qui  ont  intĂ©rĂȘt  Ă   calomnier  l'humanitĂ©,  elle  est  corrompue, 
mais  elle  n'est  pas  endurcie.  Si  votre  clémence  fait  quelques  ingrats, 
elle  vous  fera  mille  fois  plus  de  partisans  sincÚres.  Si  elle  est  blùmée 
par  des  cƓurs  sans  pitiĂ©,  elle  sera  aimĂ©e  et  comprise  par  tout  ce  qui  est 
honnĂȘte  dans  tous  les  partis. 

Et,  aujourd'hui,  accordez-moi,  prince,  ce  que  deux  fois  vous  m'avez 
fait  sérieusement  espérer.  Ordonnez  l'élargissement  de  tous  mes.com- 
patriotes  de  l'Indre.  Parmi  ceux-lĂ ,  j'ai  plusieurs  amis,  mais  que  jus- 
tice soit  faite  à  tous  ;  puisque  personne  ne  s'est  déclaré  contre  vous, 
ce  n'est  que  justice.  Qu'on  sache  que  ce  que  vous  m'avez  dit  est  vrai  : 
«  Je  ne  persécute  pas  la  croyance,  je  ne  chùtie  pas  la  pensée.  » 

Que  cette  parole,  remportĂ©e  dans  mon  cƓur  de  l'ElysĂ©e  et  qui  m'a 
presque  guérie,  reste  en  moi  comme  une  consolation  au  milieu  de  mon 
effroi  politique... 

Ah,  cher  prince,  on  vous  calomnie  affreusement  Ă   toute  heure,  et 
ce  n'est  pas  nous  qui  faisons  cela.  Pardon,  pardon  de  mon  insistance  ! 
qu'elle  ne  vous  lasse  pas  ;  ce  n'est  plus  un  cri  de  détresse  seulement, 
c'est  un  cri  d'affection,  vous  l'avez  voulu.  Mais,  en  attendant  cette 


GEORGE   SAND  201 

amnistie  que  vos  véritables  amis  nous  promettent,  faites  que  votre 
générosité  soit  connue  dans  nos  provinces  ;  connaissez  ce  que  dit  le 
peuple  qui  vous  a  proclamĂ©  :  «  Il  voudrait  ĂȘtre  bon,  mais  il  a  de  cruels 
serviteurs  et  il  n'est  pas  le  maßtre.  Notre  volonté  est  méconnue  en  lui, 
nous  avons  voulu  qu'il  fût  tout-puissant,  et  il  ne  l'est  pas.  » 

...Je  vois  là  une  véritable  guerre  à  la  conscience  intime,  une  révol- 
tante persécution  que  vous  ne  savez  pas  et  dont  vous  ne  voulez  pas. 

On  insulte,  on  tente  d'avilir  ;  on  exige  des  flatteries  et  des  promesses 
de  ceux  qu'on  Ă©largit...  Ah!  ce  n'est  pas  ainsi  que  vous  pardonnez, 
vous,  à  vos  ennemis  personnels,  et  je  sais  à  présent  que  vous  présenter 
comme  tel  un  homme  qu'on  veut  sauver,  c'est  assurer  sa  grĂące.  Mais 
je  ne  peux  pas  mentir,  mĂȘme  pour  cela,  et  cette  fois  je  vous  implore 
pour  des  hommes  qui  n'attendent  de  vous  qu'une  mesure  d'équité 
et  de  haute  protection  contre  vos  ennemis  et  les  leurs. 

Veuillez  agréer,  prince,  l'expression  de  mon  respectueux  attache- 
ment, et  dites  sur  mon  pauvre  Berry  une  parole  qui  me  permette  d'y 
ĂȘtre  Ă©coutĂ©e  quand  j'y  parlerai  de  vous  selon  mon  cƓur. 

George  Sand. 

Maison  du  président  de  la  République 
service  de  l'aide  de  camp. 

—  23  fĂ©vrier  1852. 

Madame, 

J'ai  l'honneur  de  vous  prévenir  que  je  me  suis  empressé  de  mettre 
sous  les  yeux  du  prince  président  de  la  République  la  lettre  que  vous 
m'avez  adressée  le  20  février... 

Le  général  de  division  aide  de  camp, 

Signé  :  Roguet  (1). 
Paris,  le  21  janvier  1852. 


Voici  maintenant  une  lettre  que  Mme  Sand  Ă©crivit  ce  mĂȘme 
20  février  à  Jules  Hetzel  ;  on  a  mis  dans  la  Correspondance 
«  M.  Jules  Hetzel,  à  Paris  »,  quoique  dÚs  les  premiÚres  lignes  on 
puisse  voir  déjà  qu'à  ce  moment-là  Hetzel  n'y  était  point,  étant 
«  là-bas  »,  c'est-à-dire  à  Bruxelles,  avec  les  autres  exilés.  Et  nous 

(1)  Le  comte  Christophe-Michel  Roguet,  fils  du  général  François  Roguet, 
naquit  à  San-Renio  en  1800,  fut  page  de  Napoléon  Ier,  polytechnicien,  servit 
en  Afrique,  puis  devint  aide  de  camp  de  NapolĂ©on  III,  et,  aprĂšs  le  coup  d'État, 
général  de  division  et  commandant  de  la  maison  militaire,  en  décembre  1852, 
BĂ©nateur,  et  enfin  en  1858  grand  officier  de  la  LĂ©gion  d'honneur. 


202  GEORGE   SAND 

savons  que  George  Sand  elle-mĂȘme  Ă©tait  ce  jour-lĂ   Ă   Paris.  Cette 
lettre  est  extrĂȘmement  importante  ;  c'est  en  somme  une  sorte  de 
résumé  de  l'historique  des  relations  de  Lime  Sand  avec  l'Elysée, 
en  fĂ©vrier,  en  mĂȘme  temps  qu'une  apprĂ©ciation  de  la  personne 
du  prince,  de  sa  situation  ;  appréciation  si  frappante  de  précision, 
de  perspicacitĂ©  et  d'observation  que  ni  George  Sand  elle-mĂȘme  — 
lorsqu'elle  prononça  vingt  ans  plus  tard  son  jugement  définitif 
sur  l'empereur,  —  ni  quelque  critique  tout  avisĂ©  qu'il  fĂ»t, 
n'auraient  rien  eu  Ă   y  changer,  Ă   y  ajouter.  Enfin  cette  lettre  nous 
montre  de  quelle  maniÚre  vraiment  révoltante  les  gens  de  ce 
mĂȘme  parti  pour  lequel  George  Sand  n'Ă©pargnait  aucune 
démarche  la  traitaient,  elle. 

Paris,  20  février  1862. 
Mon  ami, 

J'aime  autant  vous  savoir  là-bas  qu'ici,  malgré  les  embarras,  si  peu 
faits  pour  mon  cerveau  et  ma  santĂ©,  oĂč  votre  absence  peut  me  laisser. 
Ici  rien  ne  tient  Ă   rien.  Les  grĂąces  ou  justices  qu'on  obtient  sont, 
pour  la  plupart  du  temps,  non  avenues,  grùce  à  la  résistance  d'une 
réaction  plus  forte  que  le  président,  et  aussi  grùce  à  un  désordre  dont 
il  n'est  plus  possible  de  sortir  vite,  si  jamais  on  en  sort.  La  moitié  de 
la  France  dénonce  l'autre.  Une  haine  aveugle  et  le  zÚle  atroce  d'une 
police  furieuse  se  sont  assouvis... 

En  arrivant  ici,  j'ai  cru  qu'il  fallait  subir  temporairement,  avec  le 
plus  de  calme  et  de  foi  possible  en  la  Providence,  une  dictature  imposée 
par  nos  fautes  mĂȘmes. 

J'ai  espéré  que,  puisqu'il  y  avait  un  homme  tout-puissant,  on  pou- 
vait approcher  de  son  oreille  pour  lui  demander  la  vie  et  la  liberté  de 
plusieurs  milliers  de  victimes  (innocentes  Ă   ses  yeux  mĂȘmes,  pour  la 
plupart).  Cet  homme  a  été  accessible  et  humain  en  m'écoutant.  H 
m'a  offert  toutes  les  grĂąces  particuliĂšres  que  je  voudrais  lui  demander, 
en  me  promettant  une  amnistie  générale  pour  bientÎt.  J'ai  refusé  les 
grùces  particuliÚres,  je  me  suis  retirée  en  espérant  pour  tous.  L'homme 
ne  posait  pas,  il  était  sincÚre,  et  il  semblait  qu'il  fût  de  son  propre 
intĂ©rĂȘt  de  l'ĂȘtre.  J'y  suis  retournĂ©e  une  seconde  et  derniĂšre  fois,  il  y  a 
quinz?  ou  vingt  jours,  pour  sauver  un  ami  personnel  de  la  déporta- 
tion et  du  désespoir  (car  il  était  au  désespoir).  J'ai  dit  en  propres 
termes  (et  j'avais  Ă©crit  en  propres  termes  pour  demander  l'audience) 
que  cet  ami  ne  se  repentirait  pas  de  son  passé,  et  ne  s'engagerait  à  rien 
pour  son  avenir  ;  que  je  restais  en  France,  moi,  comme  une  sorte  de 
bouc  Ă©missaire  qu'on  pourrait  frapper  quand  on  voudrait.  Pour  obtenir 


GEORGE   SAND  203 

la  commutation  de  peine  que  je  réclamais,  pour  l'obtenir  sans  compro- 
mettre et  avilir  celui  qui  en  Ă©tait  l'objet,  j'osai  compter  sur  un  senti- 
ment généreux  de  la  part  du  président,  et  je  le  lui  dénonçai  comme 
son  ennemi  personnel  incorrigible.  Sur-le-champ,  il  m'offrit  sa  grĂące 
entiĂšre. 

Je  dus  la  refuser  au  nom  de  celui  qui  en  Ă©tait  l'objet,  et  remercier 
en  mon  nom.  J'ai  remerciĂ©  avec  une  grande  loyautĂ©  de  cƓur,  et,  de 
ce  jour,  je  me  suis  regardée  comme  engagée  à  ne  pas  laisser  calomnier 
complaisamment,  devant  moi,  le  cÎté  du  caractÚre  de  l'homme  qui  a 
dictĂ©  cette  action.  KenseignĂ©e  sur  ses  mƓurs,  par  des  gens  qui  le  voient 
de  prĂšs  depuis  longtemps  et  qui  ne  l'aiment  pas,  je  sais  qu'il  n'est  ni 
débauché,  ni  voleur,  ni  sanguinaire. 

H  m'a  parlé  assez  longuement  et  avec  assez  d'abandon  pour  que  j'aie 
vu  en  lui  certains  bons  instincts  et  des  tendances  vers  un  but  qui  serait 
le  nĂŽtre. 

Je  lui  ai  dit  :  «  Puissiez-vous  y  arriver  !  mais  je  ne  crois  pas  que  vous 
ayez  pris  le  chemin  possible.  Vous  croyez  que  la  fin  justifie  les  moyens  ; 
je  crois,  je  professe  la  doctrine  contraire.  Je  n'accepterais  pas  la  dic- 
tature exercée  par  mon  parti.  Il  faut  bien  que  je  subisse  la  vÎtre, 
puisque  je  suis  venue  désarmée  vous  demander  une  grùce  ;  mais  ma 
conscience  ne  peut  changer;  je  suis,  je  reste  ce  que  vous  me  con- 
naissez ;  si  c'est  un  crime,  faites  de  moi  ce  que  vous  voudrez.  » 

Depuis  ce  jour-là,  le  6  février,  je  ne  l'ai  pas  revu  ;  je  lui  ai  écrit  deux 
fois  pour  lui  demander  la  grùce  de  quatre  soldats  condamnés  à  mort, 
et  le  rappel  d'un  déporté  mourant.  Je  l'ai  obtenue.  J'avais  demandé 
pour  Greppo  et  pour  Luc  Desages,  gendre  de  Leroux,  en  mĂȘme  temps 
que  pour  Marc  Dufraisse.  C'était  obtenu.  Greppo  et  sa  femme  ont  été 
mis  en  liberté  le  lendemain.  Luc  Desages  n'a  pas  été  élargi.  Cela  tient, 
je  crois,  à  une  erreur  de  désignation  que  j'ai  faite  en  dictant  au  prési- 
dent son  nom  et  le  lieu  du  jugement.  J'ai  réparé  cette  erreur  dans  ma 
lettre,  et,  en  mĂȘme  temps,  j'ai  plaidĂ©  pour  la  troisiĂšme  fois  la  cause 
des  prisonniers  de  l'Indre.  Je  dis  plaidé,  parce  que  le  président,  et 
ensuite  son  ministre,  m'ayant  répondu  sans  hésiter  qu'ils  n'entendaient 
pas  poursuivre  les  opinions  et  la  présomption  des  intentions,  les  gens 
incarcérés  comme  suspects  avaient  droit  à  la  liberté  et  allaient  l'ob- 
tenir. 

Deux  fois,  on  a  pris  la  liste  ;  deux  fois,  on  a  donné  des  ordres  sous 
mes  yeux,  et  dix  fois,  dans  la  conversation,  le  président  et  le  ministre 
m'ont  dit,  chacun  de  son  cÎté,  qu'on  avait  été  trop  loin,  qu'on  s'était 
servi  du  nom  du  président  pour  couvrir  des  vengeances  particuliÚres, 
que  cela  Ă©tait  odieux  et  qu'ils  allaient  mettre  bon  ordre  Ă   cette  fureur 
atroce  et  déplorable. 
Voilà  toutes  mes  relations  avec  le  pouvoir,  résumées  dans  quelques 


2o4  GEORGE   SAND 

démarches,  lettres  et  conversations,  et,  depuis  ce  moment,  je  n'ai  pas 
fait  autre  chose  que  de  courir  de  Carlier  à  Piétri,  et  du  secrétaire  du 
ministre  de  l'Intérieur  à  M.  Baraguay,  pour  obtenir  l'exécution  de  ce 
qui  m'avait  été  octroyé  ou  promis  pour  le  Berry,  pour  Desages,  puis 
pour  Fulbert  Martin,  acquitté  et  toujours  détenu  ici  ;  pour  Mme  Roland 
arrĂȘtĂ©e  et  dĂ©tenue  ;  enfin,  pour  plusieurs  autres  que  je  ne  connais  pas 
et  Ă   qui  je  n'ai  pas  cru  devoir  refuser  mon  temps  et  ma  peine,  c'est-Ă - 
dire,  dans  l'Ă©tat  oĂč  j'Ă©tais,  ma  santĂ©  et  ma  vie. 

Pour  récompense,  on  me  dit  et  on  m'écrit  de  tous  cÎtés  :  «  Vous  vous 
compromettez,  vous  vous  perdez,  vous  vous  dĂ©shonorez,  vous  ĂȘtes 
bonapartiste  !  Demandez  et  obtenez  pour  nous  ;  mais  haĂŻssez  l'homme 
qui  accorde,  et,  si  vous  ne  dites  pas  qu'il  mange  des  enfants  tout 
crus,  nous  vous  mettons  hors  la  loi.  » 
Cela  ne  m'effraye  nullement,  je  comptais  si  bien  lĂ -dessus  ! 
Mais  cela  m'inspire  un  profond  mépris  et  un  profond  dégoût  pour 
l'esprit  de  parti,  et  je  donne  de  bien  grand  cƓur,  non  pas  au  prĂ©sident 
qui  ne  me  l'a  pas  demandée,  mais  à  Dieu,  que  je  connais  mieux  que 
bien  d'autres,  ma  démission  politique,  comme  dit  ce  pauvre  Hubert. 
J'ai  droit  de  la  donner,  puisque  ce  n'est  pas  pour  moi  une  question 
d'existence. 

Je  sais  que  le  président  a  parlé  de  moi  avec  beaucoup  d'estime  et 
que  ceci  a  fùché  des  gens  de  son  entourage.  Je  sais  qu'on  a  trouvé  mau- 
vais qu'il  m'accordĂąt  ce  que  je  lui  demandais  ;  je  sais  que  l'on  me 
tordra  le  cou  de  ce  cÎté-là  si  on  lui  tord  le  sien,  ce  qui  est  probable. 
Je  sais  aussi  qu'on  répand  partout  que  je  ne  sors  pas  de  l'Elysée  et 
que  les  rouges  accueillent  l'idée  de  ma  bassesse  avec  une  complaisance 
qui  n'appartient  qu'Ă   eux  ;  je  sais,  enfin,  que,  d'une  main  ou  de  l'autre, 
je  serai  égorgée  à  la  premiÚre  crise.  Je  vous  assure  que  ça  m'est  bien 
égal,  tant  je  suis  dégoûtée  de  tout  et  presque  de  tous  en  ce  monde. 

VoilĂ   l'historique  qui  vous  servira  Ă   redresser  des  erreurs  si  elles 
sont  de  bonne  foi.  Si  elles  sont  de  mauvaise  foi,  ne  vous  en  occupez 
pas,  je  n'y  tiens  pas.  Quant  à  ma  pensée  présente  sur  les  événements, 
d'aprĂšs  ce  que  je  vois  Ă   Paris,  la  voici  : 

Le  président  n'est  plus  le  maßtre,  si  tant  est  qu'il  l'ait  été  vingt- 
quatre  heures.  Le  premier  jour  que  je  l'ai  vu,  il  m'a  fait  l'effet  d'un 
envoyé  de  la  fatalité.  La  deuxiÚme  fois,  j'ai  vu  l'homme  débordé  qui 
pouvait  encore  lutter.  Maintenant,  je  ne  le  vois  plus  ;  mais  je  vois 
l'opinion  et  j'aperçois  de  temps  en  temps  l'entourage  :  ou  je  me  trompe 
bien,  ou  l'homme  est  perdu,  mais  non  le  systÚme,  et  à  lui  va  succéder 
une  puissance  de  réaction  d'autant  plus  furieuse  que  la  douceur  du 
tempérament  de  l'homme  sacrifié  n'y  sera  plus  un  obstacle. 

...Que  ceux  qui  croient  à  des  éléments  de  résistance  contre  ce  qui 
existe  espÚrent  et  désirent  la  chute  de  Napoléon!  Moi,  ou  je  suis 


GEORGE   SAND  205 

aveugle  ou  je  vois  que  le  grand  coupable,  c'est  la  France,  et  que,  pour 
le  chùtiment  de  ses  vices  et  de  ses  crimes,  elle  est  condamnée  à  s'agiter 
sans  solution  durant  quelques  années,  au  milieu  d'effroyables  catas- 
trophes. 

Le  président,  j'en  reste  et  resterai  convaincue,  est  un  infortuné, 
victime  de  l'erreur  et  de  la  souveraineté  du  but.  Les  circonstances, 
c'est-à-dire  les  ambitions  de  parti,  l'ont  porté  au  sein  de  la  tour- 
mente. Il  s'est  flatté  de  la  dominer  ;  mais  il  est  déjà  submergé  à  moitié 
et  je  doute  qu'Ă   l'heure  qu'il  est,  il  ait  conscience  de  ses  actes. 

Adieu,  mon  ami,  voilĂ   tout  pour  aujourd'hui.  Ne  me  parlez  plus  de 
ce  qu'on  dit  et  écrit  contre  moi.  Cachez-le-moi  ;  je  suis  assez  dégoûtée 
comme  cela  et  je  n'ai  pas  besoin  de  remuer  cette  boue.  Vous  ĂȘtes  assez 
renseigné  par  cette  lettre  pour  me  défendre  s'il  y  a  lieu,  sans  me  con- 
sulter. Mais  ceux  qui  m'attaquent  méritent-ils  que  je  me  défende?  Si 
mes  amis  me  soupçonnent,  c'est  qu'ils  n'ont  jamais  été  dignes  de 
l'ĂȘtre,  qu'ils  ne  me  connaissent  pas,  et  alors  je  veux  m'empresser  de 
les  oublier. 

Quant  Ă   vous,  cher  vieux,  restez  oĂč  vous  ĂȘtes  jusqu'Ă   ce  que  cette 
situation  s'Ă©claircisse,  ou  bien,  si  vous  voulez  venir  quelque  temps, 
dites-le-moi.  Baraguay  d'Hilliers  ou  tout  autre  peut,  je  crois,  demander 
un  sauf-conduit  pour  que  vous  veniez  donner  un  coup  d'Ɠil  à  vos 
affaires.  Mais  n'essayons  rien  de  définitif  avant  que  le  danger  d'un 
nouveau  bouleversement  soit  écarté  des  imaginations. 

George  Sand. 

Non  moins  intéressantes  que  la  lettre  à  Hetzel  sont  les  deux 
lettres  que  George  Sand  adressa  quatre  jours  plus  tard  Ă   Ernest 
PĂ©rigois,  Ă   la  prison  de  ChĂąteauroux,  et  Ă   Luigi  Calamatta  Ă  
Bruxelles.  Nous  n'en  donnons  toutefois  que  des  extraits  : 

A  Monsieur  Ernest  PĂ©rigois,  Ă   la  frison  de  ChĂąteauroux. 

Paris,  le  24  février  1852. 

Mon  cher  ami,  je  vous  remercie  de  votre  bonne  lettre.  Elle  m'a  fait 
grand  plaisir.  On  ne  me  soupçonne  donc  pas  parmi  vous?  A  la  bonne 
heure,  je  vous  en  sais  gré,  et  je  puiserai  dans  cette  justice  de  mes 
compatriotes  un  nouveau  courage.  Ce  n'est  pas  la  mĂȘme  chose  ici.  Il 
y  a  des  gens  qui  ne  peuvent  croire  au  courage  du  cƓur  et  au  dĂ©sintĂ©- 
ressement du  caractĂšre  ;  et  on  m'abĂźme  par  correspondance  dans  les 
journaux  Ă©trangers.  Qu'importe,  n'est-ce  pas? 


2o6  GEORGE   SAND 

Si  je  vous  voyais,  je  vous  donnerais  des  détails  sur  mes  démarches 
et  sur  mes  impressions  personelles,  qui  vous  intéresseraient;  mais  je 
peux  les  résumer  en  quelques  lignes  qui  vous  donneront  la  mesure  des 
choses. 

Le  nom  dont  on  s'est  servi  pour  accomplir  cette  affreuse  boucherie 
de  réaction  n'est  qu'un  symbole,  un  drapeau  qu'on  mettra  dans  la 
poche  et  sous  les  pieds  le  plus  tĂŽt  qu'on  pourra.  V instrument  n'est  pas 
disposé  à  une  entiÚre  docilité.  Humain  et  juste  par  nature,  mais 
nourri  de  cette  idée  fausse  et  funeste  que  la  fin  justifie  les  moyens,  il 
s'est  persuadé  qu'on  pouvait  laisser  faire  beaucoup  de  mal  pour  arriver 
au  bien,  et  personnifier  la  puissance  dans  un  homme  pour  faire  de  cet 
homme  la  providence  d'un  peuple. 

Vous  voyez  ce  qui  adviendra,  ce  qui  advient  déjà  de  cet  homme. 
On  lui  cache  la  réalité  des  faits  monstrueux  qu'on  accomplit  en  son 
nom,  et  il  est  condamné  à  la  méconnaßtre  pour  avoir  méconnu  la  vérité 
dans  l'idée.  Enfin,  il  boit  un  calice  d'erreurs  présenté  à  ses  lÚvres, 
aprÚs  avoir  bu  le  calice  d'erreurs  présenté  à  son  esprit,  et,  avec  la 
volontĂ©  personnelle  du  bien  rĂȘvĂ©,  il  est  condamnĂ©  Ă   ĂȘtre  l'instrument, 
le  complice,  le  prétexte  du  mal  accompli  par  tous  les  partis  absolu- 
tistes. H  est  condamnĂ©  Ă   ĂȘtre  leur  dupe  et  leur  victime.  Dans  peu, 
j'en  ai  l'intime  et  tragique  pressentiment,  il  sera  frappé  pour  faire 
place  Ă   des  gens  qui  ne  le  vaudront  certainement  pas,  mais  qui  prennent 
le  soin  de  le  faire  passer  pour  un  despote  implacable  (sous  d'hypo- 
crites formules  d'admiration),  afin  de  rendre  sa  mémoire  responsable 
de  tous  les  crimes  commis  Ă   son  insu. 

H  me  parait  essayer  maintenant  d'une  dictature  temporaire  dont  il 
espĂšre  pouvoir  se  relĂącher.  Le  jour  oĂč  il  l'essayera  il  sera  sacrifiĂ©,  et, 
pourtant,  s'il  ne  l'essaye  bientÎt,  la  nation  lui  suscitera  une  résistance 
insurmontable... 

...Je  ne  sais,  quant  à  nous,  pauvres  persécutés  du  Berry,  ce  qui  sera 
statué  sur  notre  sort.  J'ai  plaidé  notre  cause  au  point  de  vue  de  la 
liberté  de  conscience,  et  je  le  pouvais  en  toute  conscience,  puisque  nous 
n'avons  rien  fait  en  Berry  contre  la  personne  du  président  depuis  les 
événements  de  décembre.  Il  m'a  été  répondu  qu'on  ne  poursuivrait 
pas  les  pensées,  les  intentions,  les  opinions,  et  cependant  on  le  fait,  et 
cependant  je  ne  vois  pas  la  réalisation  des  promesses  qu'on  m'a  faites. 
On  me  dit  ailleurs  que  c'est  fourberie  et  jésuitisme. 

J'ai  la  certitude  que  ce  n'est  pas  cela.  C'est  quelque  chose  de  pis 
pour  nous,  peut-ĂȘtre.  C'est  impuissance.  On  a  donnĂ©  une  hĂ©catombe 
à  la  réaction  :  on  ne  peut  plus  la  lui  arracher.  Pourtant  j'espÚre  encore 
pour  nous  de  mon  plaidoyer,  et  j'espÚre  pour  tous  de  la  nécessité  d'une 
amnistie  prochaine.  On  la  promet  ouvertement.  On  obtient  facile- 
ment, Ă   titre  de  grĂące,  mais  comme  personne  de  chez  nous  ne  demande 


GEORGE   SAND  207 

ainsi,  je  n'ai  qu'à  faire  le  rÎle  d'avocat  sincÚre,  et  à  démentir,  autant 
qu'il  m'est  possible,  les  calomnies  de  nos  adversaires. 

Adieu,  cher  ami  ;  brûlez  ma  lettre  ;  je  la  lirais  au  président,  mais 
un  préfet  ne  la  lui  lirait  pas,  et  y  trouverait  le  prétexte  à  de  nouvelles 
persécutions... 

A  Monsieur  Luigi  Calamatta,  Ă   Bruxelles. 

Paxis,  le  24  février  1852. 
Mon  ami, 

Ce  qu'on  t'a  dit  qu'*7  m'avait  dit  est  vrai,  du  moins  dans  les  termes 
que  tu  me  rapportes  ;  mais  il  ne  faut  pas  se  flatter.  Je  n'ai  pas  le  droit, 
moi,  de  suspecter  la  sincérité  des  intentions  de  la  personne.  Il  me  semble 
qu'il  y  aurait  une  grande  déloyauté  à  invoquer  ces  sentiments  chez 
elle  et  à  les  déclarer  perfides,  aprÚs  que  je  leur  dois  le  salut  de  quelques- 
uns  (1). 

Mais  en  mettant  Ă   part  tout  ce  qu'on  peut  dire  et  penser  contre  ou 
pour  cette  personne,  il  me  paraßt  prouvé  maintenant  qu'elle  est  ou  sera 
bientĂŽt  rĂ©duite  Ă   l'impuissance,  pour  s'ĂȘtre  livrĂ©e  Ă   des  conseils  per- 
fides, et  pour  avoir  cru  qu'on  pouvait  faire  sortir  le  bon  (dans  le  but) 
du  mal  (dans  les  moyens). 

Son  procÚs  est  perdu  aussi  bien  que  le  nÎtre  ;  qu'en  résultera-t-il? 
Des  malheurs  pour  tous  !  S'il  y  avait  un  maĂźtre  en  France,  on  pourrait 
espĂ©rer  quelque  chose  ;  ce  maĂźtre-lĂ   pouvait  ĂȘtre  le  suffrage  universel, 
quelque  dénaturé  et  dévié  qu'il  fût  de  son  principe  ;  quelque  aveugle 
et  pressé  de  travailler  à  son  bonheur  matériel  que  fût  le  peuple,  on 
pouvait  se  dire  :  «  Voilà  un  homme  qui  résume  et  représente  la  résis- 
tance populaire  à  l'idée  de  liberté  ;  un  homme  qui  symbolise  le  besoin 
d'autorité  temporaire  que  le  peuple  semble  éprouver;  que  ces  deux 
volontés  soient  d'accord  et,  par  le  fait,  ce  sera  la  dictature  du  peuple, 
une  dictature  sans  idéal,  mais  non  pas  sans  avenir,  puisqu'en  acqué- 
rant le  bien-ĂȘtre  dont  il  est  privĂ©,  le  peuple  acquerra  forcĂ©ment  l'ins- 
truction et  la  réflexion.  » 

Il  m'a  semblé,  il  me  semble  encore,  bien  que  je  n'aie  pas  revu  la 
personne  depuis  le  5  février,  que  les  électeurs  et  l'élu  sont  assez  d'ac- 
cord sur  le  fond  des  choses  ;  mais  tous  deux  ignorent  les  moyens,  et 
s'imaginent  que  le  but  justifie  tout.  Ils  ne  voient  pas  que  le  jeu  des 
instruments  qu'ils  emploient,  et  la  fatalité,  se  montrent  ici  plus  justes 
et  plus  logiques  qu'on  ne  pouvait  s'y  attendre.  Les  instruments  tra- 
hissent, paralysent,  corrompent,  conspirent  et  vendent.  VoilĂ   ce  que 
je  crois,  et  je  m'attends  à  tout,  excepté  au  triomphe  prochain  de  l'idée 

(1)  Cf.  avec  la  lettre  de  Marc  Dufraisse  Ă   Mme  Sand,  plus  bas. 


aoS  GEORGE   SAND 

fraternelle  et  chrétienne,  sans  laquelle  nous  n'aurons  pas  de  répu- 
blique durable.  Nous  passerons  par  d'autres  dictatures,  Dieu  sait 
lesquelles  !  Quand  le  peuple  aura  fait  de  douloureuses  expériences,  il 
s'apercevra  qu'il  ne  peut  pas  se  personnifier  dans  un  homme  et  que 
Dieu  ne  veut  pas  bénir  une  erreur  qui  n'est  plus  de  notre  siÚcle.  En 
attendant,  c'est  nous,  républicains,  qui  serons  encore  victimes  de  ces 
orages.  Probablement,  nous  serions  sages  si  nous  attendions,  pour  rap- 
peler le  peuple  Ă   ses  vrais  devoirs,  qu'il  comprĂźt  ses  erreurs  et  qu'il 
se  repentĂźt  de  lui-mĂȘme  de  nous  avoir  considĂ©rĂ©s  comme  une  poignĂ©e 
de  scélérats  qu'il  fallait  abandonner,  livrer,  dénoncer  aux  fureurs  de 
la  réaction. 

Bonsoir,  mon  ami  ;  je  t'embrasse  et  regrette  bien  que  tu  sois  tou- 
jours là-bas  quand  je  suis  ici.  Ma  santé  ne  se  rétablit  pas  encore,  je 
me  suis  beaucoup  fatiguée  pour  obtenir  jusqu'ici  beaucoup  moins 
qu'on  ne  m'avait  promis  ;  je  m'en  prends  surtout  au  désordre  effrayant 
qui  rÚgne  dans  cette  sinistre  branche  de  l'administration,  et  à  la  préoc- 
cupation oĂč  les  Ă©lections  tiennent  le  pouvoir.  Je  crois  que  l'amnistie 
viendra  ensuite.  Si  elle  ne  vient  pas,  je  recommencerai  mes  démarches 
pour  arracher  du  moins  Ă   la  souffrance  et  Ă   l'agonie  le  plus  de  victimes 
que  je  pourrai;  on  m'en  récompense  par  des  calomnies,  c'est  dans 
l'ordre,  je  n'y  veux  pas  faire  attention...  » 


En  voyant  que  l'amnistie  générale  tardait  à  venir  et  qu'en 
attendant  les  commissions  chargées  de  la  révision  des  procÚs, 
les  délégués  spéciaux  de  l'empereur  envoyés  dans  les  provinces 
avaient  fait  preuve  d'insigne  négligence  dans  la  maniÚre  dont  ils 
s'acquittaient  de  la  révision  des  procÚs-verbaux  et  des  actes 
d'accusation  contre  des  personnes  particuliĂšres,  George  Sand 
reprend  la  plume  pour  écrire  à  Napoléon  ;  elle  lui  envoie  de  nou- 
velles lettres,  elle  s'empresse  de  nouveau  de  lui  faire  part  des 
déportations  dont  des  innocents  sont  menacés,  elle  le  supplie  de 
les  faire  revenir,  si  ces  personnes  sont  déjà  en  route  pour  là-bas. 
Voici  encore  trois  de  ses  lettres  au  prince-président,  dont  les 
deux  premiÚres  écrites  au  mois  de  mai  1852  sont  datées  de  «  mars  » 
dans  la  Correspondance,  et  la  troisiĂšme  est  bien  du  27  juin,  ce  qui 
est  confirmé  par  une  note  de  George  Sand  sur  le  brouillon  de  la 
liste  des  personnes  pour  lesquelles  elle  demandait  une  fois  de 
plus  :  «  Envoyé  au  président  le  28  juin  »,  et  par  la  réponse  du 
général  Roguet,  datée  du  29  juin,  lui  disait  encore  qu'il  avait 


GEORGE   SAND  209 

remis  sa  lettre  Ă   destination.  Pour  ce  qui  concerne  les  deux  pre- 
miĂšres, nous  croyons  pouvoir  affirmer  qu'elles  furent  Ă©crites  au 
mois  de  mai,  en  nous  basant  sur  les  faits  que  voici  : 

1°  Ces  lettres  de  Mme  Sand  sont  la  suite  nécessaire  et  le  résumé 
des  lettres  d'Alexandre  Lambert,  Lumet,  Patureau-FrancƓur 
et  d'autres  personnes,  détenues  toutes  dans  la  prison  de  Chù- 
teauroux,  expédiées  de  là  sous  escorte  le  2  mai,  conduites  de 
brigade  en  brigade  et  arrivĂ©es  au  fort  de  BicĂȘtre  entre  le  3  et  le 
12  mai.  Leurs  lettres  sont  datées  du  23  et  26  avril,  1er  et  2  mai  de 
ChĂąteauroux  et  du  12  mai  de  BicĂȘtre.  Elles  racontent  l'arrivĂ©e  en 
Berry  du  général  Canrobert,  les  agissements  des  commissions 
dites  «  mixtes  »,  les  détails  des  préparatifs  du  départ  pour  Paris 
et  le  Havre  de  ceux  qui  étaient  destinés  à  la  déportation  en 
Afrique,  le  départ  tragique  de  Chùteauroux  de  ces  malheureux 
enchaßnés  ;  tout  cela  George  Sand  le  répÚte  au  président  certai- 
nement aprĂšs  avoir  lu  ces  lettres. 

De  plus,  Mme  Sand  parle  dans  ses  deux  lettres  de  treize  per- 
sonnes, sans  plus  mentionner  MM.  Aucante  et  PĂ©rigois,  car  tous 
les  deux,  en  liberté  depuis  avril,  n'eurent  par  conséquent  pas  à 
partager  le  sort  des  autres  prisonniers  de  ChĂąteauroux  (et  nous 
voyons  par  exemple  qu'Alexandre  Lambert,  en  disant  adieu 
Ă   George  Sand,  dans  sa  lettre  Ă©crite  le  jour  mĂȘme  de  son  dĂ©part 
pour  BicĂȘtre  —  le  2  mai  —  prie  Mme  Sand  de  «  saluer  Emile  » 
(Aucante)  de  la  part  de  tous  ses  ex-compagnons  de  détention  ;  or 
M.  Aucante  Ă©tait  au  mois  de  mai  auprĂšs  de  Mme  Sand  Ă   Nohant, 
tandis  qu'au  mois  de  mars  elle  Ă©tait  Ă   Paris  et  Aucante  Ă   ChĂą- 
teauroux, en  prison). 

2°  Le  «  Pylade  »  de  George  Sand,  son  ami  François  Rollinat, 
envoie  à  Mme  Sand  le  26  avril  la  demande  de  tous  ces  détenus 
condamnés  à  la  déportation  et,  quoiqu'il  sache,  à  ce  qu'il  dit, 
qu'elle  avait  déjà  fait  pour  eux  «  tout  ce  qui  était  humainement 
possible  »,  il  lui  envoie  quand  mĂȘme  cette  demande  collective. 

3°  Le  comte  d'Orsay  annonce  dans  une  lettre  du  3  mai  que  la 
lettre  de  Mme  Sand  à  Louis-Napoléon  lui  fut  immédiatement 
transmise. 
4°  Nous  voyons  par  les  lettres  du  vicomte  Gary  et  par  les 


aĂŻo  GEORGE   SAND 

réponses  officielles  du  général  Roguet  que  c'est  justement  au 
mois  de  mai  que  George  Sand  avait  redemande  une  audience 
au  président.  Cette  audience  lui  fut  accordée  le  21  mai  à  trois  heures, 
mais  par  suite  de  l'arrivée  tardive  de  sa  lettre  pour  le  général 
Roguet  et  aussi  parce  qu'elle  n'avait  pas,  comme  il  le  fallait, 
adressé  sa  lettre  directement  à  ce  dernier,  elle  n'eut  pas  le  temps 
d'arriver  de  Xohant,  et  l'audience  fut  manquée.  George  Sand 
affirma  plus  tard  qu'elle  «  ne  voulut  pas  »  en  profiter,  mais  les 
documents  réfutent  cette  assertion  (1). 

Au  prince  Louis-Napoléon  Bonaparte,  président  de  la  République. 

Prince, 

Us  sont  partis  pour  le  fort  de  BicĂȘtre,  ces  malheureux  dĂ©portĂ©s  de 
Chùteauroux,  partis  enchaßnés  comme  des  galériens,  au  milieu  des 
larmes  d'une  population  qui  vous  aime  et  qu'on  vous  peint  comme 
dangereuse  et  féroce.  Personne  ne  comprend  ces  rigueurs.  On  vous  dit 
que  cela  fait  bon  effet;  on  vous  ment,  on  vous  trompe,  on  vous  trahit. 
Pourquoi,  mon  Dieu,  vous  abuse-t-on  ainsi?  Tout  le  monde  le  devine 
et  le  sent,  excepté  vous.  Ah  !  si  Henri  V  vous  renvoie  en  exil  ou  en 
prison,  souvenez-vous  de  quelqu'un  qui  vous  aime  toujours,  bien  que 
votre  rÚgne  ait  déchiré  ses  entrailles,  et  qui,  au  heu  de  désirer,  comme 
les  intĂ©rĂȘts  de  son  parti  le  voudraient  peut-ĂȘtre,  qu'on  vous  rende 
odieux  par  de  telles  mesures,  s'indigne  de  voir  le  faux  rĂŽle  qu'on  veut 
vous  faire  dans  l'histoire,  à  vous  qui  avez  le  cƓur  grand  autant  que  la 
destinée. 

A  qui  plaisent  donc  ces  fureurs,  cet  oubli  de  la  dignité  humaine, 
cette  haine  politique  qui  détruit  toutes  les  notions  du  juste  et  du  vrai, 
cette  inauguration  du  rĂšgne  de  la  terreur  dans  les  provinces,  le  pro- 
consulat des  préfets  qui,  en  nous  frappant,  déblayent  le  chemin  pour 
d'autres  que  vous?  Ne  sommes-nous  pas  vos  amis  naturels,  que  vous 
avez  méconnus  pour  chùtier  les  emportements  de  quelques-uns?  Et 
les  gens  qui  font  le  mal  en  votre  nom,  ne  sont-ils  pas  vos  ennemis 

(1)  Dans  le  feuilleton  du  Temps,  Ă©crit  le  jour  mĂȘme  de  la  mort  de  Napo- 
léon III  et  intitnlé  :  Dans  les  lois  (il  ne  fait  pas  partie  du  volume  Impressions 
et  souvenirs,  comme  il  le  faudrait,  mais  de  celui  des  DerniĂšres  pages),  George 
Sand  assure  qu'aprÚs  les  premiÚres  entrevues  avec  Napoléon,  déjà,  elle 
se  crut  jouée  et  ne  voulut  plus  le  revoir.  «  ...J'ai  quitté  Paris  et  manqué  à 
un  rendez-vous  donné  par  lui.  On  ne  m'a  pas  dit  :  «  Le  roi  a  failli  attendre  », 
on  m'a  Ă©crit  :  «  L'empereur  a  attendu...  »  —  Le  lecteur  verra  que  c'est  de 
l'histoire...  comme  on  en  Ă©crit  I 


GEORGE   SAND  211 

naturels?  Ce  systĂšme  de  barbarie  politique  plaĂźt  Ă   la  bourgeoisie, 
disent  les  rapports.  Ce  n'est  pas  vrai.  La  bourgeoisie  ne  se  compose  pas 
de  quelques  gros  bonnets  de  chef-lieu  qui  ont  leurs  haines  particu- 
liĂšres Ă   repaĂźtre,  leurs  futures  conspirations  Ă   servir.  Elle  se  compose 
de  gens  obscurs  qui  n'osent  rien  dire  parce  qu'ils  sont  opprimés  par 
les  plus  apparents,  mais  qui  ont  des  entrailles  et  qui  baissent  les  yeux 
avec  honte  et  douleur  en  voyant  passer  ces  hommes  dont  on  fait  des 
martyrs  et  qui,  ferrĂ©s  comme  des  forçats  sous  l'Ɠil  des  prĂ©fets,  tendent 
avec  orgueil  leurs  mains  aux  chaĂźnes. 

On  a  destitué  à  La  Chùtre  un  sous-préfet,  j'en  ignore  la  raison  ;  mais 
le  peuple  dit  et  croit  que  c'est  parce  qu'il  a  ordonné  qu'on  Îtùt  les 
chaĂźnes  et  qu'on  donnĂąt  des  voitures  aux  prisonniers.  Les  paysans 
étonnés  venaient  regarder  de  prÚs  ces  victimes...  A  Chùteauroux  on  a 
remis  les  chaßnes.  Les  gendarmes  qui  ont  reçu  ces  prisonniers  à  Paris 
ont  été  étonnés  de  ce  traitement. 

Le  général  Canrobert  n'a  vu  personne.  On  le  disait  envoyé  par  vous 
pour  réviser  les  sentences  rendues  par  l'ire  des  préfets  et  la  terreur 
des  commissions  mixtes,  pour  s'entretenir  avec  les  victimes  et  se 
méfier  des  fureurs  locales.  Trois  de  vos  ministres  me  l'avaient  dit  à 
moi  (1)  ;  je  le  disais  Ă   tout  le  monde,  heureuse  d'avoir  Ă   vous  justifier. 
Comment  ces  missi  dominiti,  Ă   l'exception  d'un  seul,  ont-ils  rempli 
leur  mission?  Ils  n'ont  vu  que  les  juges,  ils  n'ont  consulté  que  les  pas- 
sions et,  pendant  qu'une  commission  de  recours  en  grùce  était  instituée 
et  recevait  les  demandes  et  les  réclamations,  vos  envoyés  de  paix, 
vos  ministres  de  clémence  et  de  justice  aggravaient  ou  confirmaient 
les  sentences  que  cette  commission  eĂ»t  peut-ĂȘtre  annulĂ©es.  Pensez  Ă   ce 
que  je  vous  dis,  prince,  c'est  la  vérité.  Pensez-y  cinq  minutes  seule- 
ment !  Un  tĂ©moignage  de  vĂ©ritĂ©,  un  cri  de  la  conscience  qui  est  en  mĂȘme 
temps  le  cri  d'un  cƓur  reconnaissant  et  ami,  valent  bien  cinq  minutes 
de  l'attention  d'un  chef  d'État. 

Je  vous  demande  la  grùce  de  tous  les  déportés  de  l'Indre,  je  vous  la 
demande  à  deux  genoux,  cela  ne  m'humilie  pas.  Dieu  vous  a  donné  le 
pouvoir  absolu  :  eh  bien,  c'est  Dieu  que  je  prie,  en  mĂȘme  temps  que 
l'ami  d'autrefois.  Je  connais  tous  ces  condamnés  ;  il  n'y  en  a  pas  un 
qui  ne  soit  un  honnĂȘte  homme,  incapable  d'une  mauvaise  action,  inca- 
pable de  conspirer  contre  l'homme  qui,  en  dépit  des  fureurs  et  des 
haines  de  son  parti,  leur  aura  rendu  justice  comme  citoyen  et  leur  aura 
fait  grĂące  comme  vainqueur. 

Voyons,  prince,  le  salut  de  quelques  hommes  obscurs,  devenus  inof- 
fensifs ;  le  mécontentement  d'un  préfet  de  vingt-deux  ans  qui  fait 
du  zĂšle  de  novice  et  de  six  gros  bourgeois  tout  au  plus...  ne  sont-ce 

(1)  Ce  furent  les  ministres  de  l'Intérieur,  de  la  Guerre  et  de  la  Justice. 


an  GEORGE   SAND 

pa9  lĂ   de  grands  sacrifices  Ă   faire  quand  il  s'agit  pour  vous  d'une  action 
bonne,  juste  et  puissante? 

Prince,  prince,  Ă©coutez  la  femme  qui  a  des  cheveux  blancs  et  qui 
vous  prie  à  genoux  ;  la  femme  cent  fois  calomniée,  qui  est  toujours 
sortie  pure,  devant  Dieu  et  devant  les  témoins  de  sa  conduite,  de 
toutes  les  Ă©preuves  de  la  vie,  la  femme  qui  n'abjure  aucune  de  ses 
croyances  et  qui  ne  croit  pas  se  parjurer  en  croyant  en  vous.  Son  opi- 
nion laissera  peut-ĂȘtre  une  trace  dans  l'avenir. 

Et  vous  aussi,  vous  serez  calomnié  !  et,  que  je  vous  survive  ou  non, 
vous  aurez  une  voix,  une  seule  voix  peut-ĂȘtre  dans  le  parti  socialiste 
qui  laissera  sur  vous  le  testament  de  sa  pensée.  Eh  bien,  donnez-moi 
de  quoi  me  justifier  auprĂšs  des  miens,  d'avoir  eu  espoir  et  confiance 
en  votre  Ăąme.  Donnez-moi  des  faits  particuliers,  en  attendant  ces 
preuves  Ă©clatantes  que  vous  m'avez  fait  pressentir  pour  l'avenir  et 
que  mon  cƓur,  droit  et  sincĂšre,  n'a  pas  repoussĂ©es  comme  un  leurre, 
comme  une  banale  parole  de  commisération  pour  ses  larmes. 

Prince, 

Je  vous  remercie  du  fond  du  cƓur  des  grĂąces  que  vous  avez  daignĂ© 
accorder  Ă   ma  requĂȘte.  Accordez-moi,  accordez  Ă   vous-mĂȘme,  Ă   votre 
propre  cƓur,  celle  des  treize  dĂ©portĂ©s  de  l'Indre,  condamnĂ©s  par  la 
commission  mixte  de  Chùteauroux.  Ils  ont  adressé  en  vain  leur  recours 
à  la  commission  des  grùces.  Ils  m'écrivent  que  le  général  Canrobert 
qui  n'a  voulu  voir  à  Chùteauroux  que  les  autorités,  contrairement  à 
ce  qui  m'avait  été  dit  de  sa  mission  par  trois  de  vos  ministres,  leur  est 
annoncĂ©  comme  devant  les  voir  au  fort  de  BicĂȘtre,  oĂč  ils  ont  Ă©tĂ©  trans- 
férés. Est-ce  le  moment  d'invoquer  la  soumission,  quand  ils  viennent, 
ces  malheureux,  d'ĂȘtre  ferrĂ©s  comme  des  forçats  sous  les  yeux  du  prĂ©fet 
et  de  traverser  ainsi  la  France,  eux,  hommes  honorables  et  incapables 
de  la  pensée  d'une  mauvaise  action?  Cet  affreux  systÚme  qui  assimile 
la  présomption  de  l'opinion  publique  aux  crimes  les  plus  abjects,  ne 
voulez-vous  pas  qu'il  cesse,  et  qu'on  cesse  de  croire  que  vous  l'avez 
autorisé,  que  vous  l'avez  connu? 

Prince,  faites  voir  que  vous  avez  le  sens  délicat  de  l'honneur  fran- 
çais. N'exigez  pas  que  vos  ennemis  —  si  toutefois  ces  vaincus  sont  vos 
ennemis  —  deviennent  indignes  d'avoir  Ă©tĂ©  combattus  par  vous. 
Rendez-les  Ă   leurs  familles  sans  exiger  qu'ils  se  repentent.  De  quoi? 
D'avoir  été  républicains?  Voilà  tout  leur  crime.  Faites  qu'ils  vous 
estiment  et  vous  aiment.  C'est  un  gage  bien  plus  certain  pour  vous  que 
les  serments  arrachés  par  la  peur. 

Croyez-en  le  seul  esprit  socialiste  qui  vous  soit  resté  personnelle- 
ment attachĂ©,  malgrĂ©  tous  ces  coups  frappĂ©s  sur  son  Église.  C'est  moi 


GEORGE   SAND  aij 

le  seul  à  qui  l'on  n'ait  pas  songé  à  faire  peur,  et  qui,  n'ayant  trouvé 
en  vous  que  douceur  et  sensibilité,  n'a  aucune  répugnance  à  vous 
demander  Ă   genoux  la  grĂące  de  mes  amis. 

Ces  deux  lettres  envoyées,  Mme  Sand  voulut  encore  une  fois 
revoir  le  président  quoique,  comme  nous  venons  de  le  dire,  elle 
le  nia  plus  tard,  affirmation  en  désaccord  avec  les  documents 
que  nous  avons  sous  les  yeux.  Voici  d'abord  une  enveloppe 
contenant  :  1°  une  lettre  de  faire  part  imprimée  annonçant  que 
l'audience  demandée  est  accordée,  et  2°  une  réponse  du  général 

Roguet  : 

Madame 

Madame  Oeorge  Sand 

3,  rue  Racine. 
Maison  du  président 
de  la  RĂ©publique 
service  des  officiers  d' ordonnance. 

—  Palais  de  l'ElysĂ©e,  le  20  mai  1852, 

Madame, 

J'ai  l'honneur  de  vous  prévenir  que  le  président  de  la  République 
vous  recevra  le  vendredi  21  mai  1852  Ă   3  heures. 

L'officier  d'ordonnance  de  service. 
Comte  Roguet. 
Madame  George  Sand. 

Une  autre  enveloppe  portant  le  mĂȘme  en-tĂȘte  et  adressĂ©e  comme 
la  précédente  au  numéro  3  de  la  rue  Racine  contient  une  seconde 
lettre  du  comte  Roguet,  datée  du  22  mai,  dans  laquelle  le  gé- 
néral lui  demande  si  elle  a  bien  reçu  la  précédente,  car  elle  n'y  a 
point  répondu  et  n'est  point  venue  la  veille,  aussi  s'informe-t-il  de 
la  cause  de  son  silence.  Enfin,  dans  une  troisiÚme  lettre,  datée  du 
24  mai,  adressée  «  à  Nohant  par  La  Chùtre,  Indre  »,  nous  lisons  : 

Maison  du  prince 
président  de  la  république 
service  du  général  de  division 
aide  de  camp  commandant 
de  la  maison  militaire.  Palais  de  l'Elysée,  le  24  mai  1852, 

Madame, 

Je  n'ai  reçu  que  le  18  mai  la  demande  d'audience  que  vous  avez 
adressée  au  Prince  Président  de  la  République. 


2t4  GEORGE   SA  WD 

Si  vous  aviez  bien  voulu  nvadresser  directement,  ainsi  que  le  Moni- 
teur et  les  journaux  en  (ont)  donné  avis,  votre  demande  d'audience, 
vous  auriez  obtenu  immédiatement  une  réponse.  Je  regrette  vivement, 
madame,  que  cette  circonstance  ne  vous  ait  pas  permis  de  vous  rendre 
à  celle  qui  vous  a  été  accordée  et  je  vous  prie  d'agréer  l'expression  de 
mon  respectueux  hommage. 

Le  général  de  division 

aide  de  camp  commandant 

la  maison  militaire. 

Comte  Roguet. 
Madame  George  Sand. 


On  voit  que  l'audience  demandée  fut  manquée  par  simple 
malentendu,  parce  que  la  demande  comme  les  réponses  furent 
mal  adressées,  et  que  dans  tout  cela  il  n'y  a  pas  un  mot  de 
Y  attente  de  l'empereur,  comme,  aussi,  il  n'y  a  aucun  doute  que 
cette  audience  fut  accordée  parce  que  Mme  Sand  avait  bien 
voulu  revoir  »  le  prince.  Si  elle  s'était  «  crue  jouée  dÚs  les  pre- 
miÚres entrevues  »  et  n'avait  «  pas  voulu  le  revoir  »,  elle  n'au- 
rait pas  demandĂ©  encore  une  fois  Ă   ĂȘtre  reçue  en  audience. 

Enfin  au  mois  de  juin  George  Sand  Ă©crivait  encore  une  fois  au 
prince-président  : 


Au  prince  Louis-Napoléon  Bonaparte,  président  de  la  République. 

Nohant,  le  27  juin  1852. 
Monseigneur, 

Vous  avez  répondu  au  prince  Napoléon  qui  vous  implorait  de  ma 
part  pour  les  déportés  et  les  expulsés  de  l'Indre,  que  vous  m'accor- 
deriez ce  que  je  vous  demandais.  Je  viens  remettre  sous  vos  yeux  la 
liste  des  grùces  que  vous  avez  daigné  me  promettre  et  que  j'attends 
comme  une  nouvelle  preuve  de  vos  bontés  pour  moi. 

George  Sand. 

Xous  avons  retrouvé  dans  les  papiers  de  George  Sand  le 
brouillon  de  la  liste  mentionnée  dans  cette  lettre,  portant  au  bas 


GEORGE   SAND  315 

les  mots  :  «  Envoyé  au  président  le  28  juin.  »  Cette  liste  est  ainsi 
conçue  : 

Déportés  ou  internés  en  Afrique  : 

Patureau-Francoeur,  en  fuite. 

Lambert,  Alexandre,  en  Afrique. 

Jamet,  d'Issoudun,  en  Afrique. 

Renier  du  Blanc,  idem. 

Israël  de  Fressine,  idem. 

Laville-au-Roy  (La  Villeroy?)  d'Argenton,  idem. 

Moreau,  de  Neuvy-Pailloux,  idem. 

Vallette,  d'Issoudun,  idem. 

Rossignol  du  Blanc,  idem. 

Exilés  temporairemen    : 
Fleury,  en  Belgique. 
PĂ©rigois,  Ă   La  ChĂątre. 
Fromenteau,  d'Issoudun,  Ă   Londres. 
Curé  Liotard,  à  Londres. 

Internés  : 
Fulbert  Martin. 
Maderolle,  de  ChĂąteauroux. 

Envoyé  le  28  juin  au  Président. 

Le  29  juin  le  général  Roguet  accusa  réception  de  cette  lettre. 

On  voit  par  toutes  ces  lettres  et  documents  que,  lorsqu'il 
s'agissait  de  demander,  George  Sand  ne  le  faisait  pas  une  ou  deux 
fois,  pour  ainsi  dire  «  par  acquit  de  conscience  »,  afin  de  pouvoir 
seulement  répondre  à  tel  ou  tel  de  ses  amis  :  «  Je  l'ai  fait  »,  et  en 
rester  lĂ .  Elle  s'acharnait  Ă   mener  Ă   bien  chacune  de  ses  demandes, 
elle  ne  craignait  d'impatienter  ni  d'importuner.  Et  que  voyons- 
nous?  Presque  tous  ceux  pour  lesquels  elle  avait  fait  des 
démarches  furent  graciés,  libérés,  rendus  à  leurs  familles,  ou  du 
moins  leur  chĂątiment  fut  adouci. 

DĂ©jĂ   le  9  mars  1852  Mme  Sand  put  envoyer  au  docteur  Con- 
neau,  ami  intime  de  Louis-Napoléon,  le  résumé  d'une  partie  de 
ses  demandes  et  la  liste  des  vingt-neuf  personnes  pour  lesquelles 
elle  s'était  adressée  au  prince.  Voici  encore  quelques  documents 
officiels  et  quelques  lettres  écrites  par  les  familles  des  protégés 


3i6  GEORGE   SAND 

de  George  Sand,  annonçant  à  cette  derniÚre  les  résultats  de  ses 

démarches. 

(Sans  date.) 
Madame, 
J'ai  fait  la  commission  et  l'on  vient  (1)  d'Ă©crire  au  ministre  de  la 
Guerre  pour  savoir  ce  qui  en  est  de  cette  grĂące  qui  n'aurait  point  eu 
son  effet.  Croyez  bien,  madame,  etc.. 

Cavet. 

A  propos  de  ce  mĂȘme  Desages  auquel  cette  lettre  fait  allusion, 
Ferdinand  François,  le  vieil  ami  de  Mme  Sand  ,  par  la  Revue 
indépendante,  lui  écrit  ainsi  qu'il  suit,  en  lui  faisant  parvenir  la 
copie  d'une  lettre  du  général  Baraguay  d'Hilliers  (2)  : 

Madame, 
Je  vous  envoie  ce  fragment  d'une  correspondance  entre  Mme  Roland 
et  le  gĂ©nĂ©ral  Baraguay  qui  pourra  vous  ĂȘtre  utile  dans  vos  dĂ©marches 
en  faveur  de  Desages. 

Le  Lyonnais,  ami  d'Erdant  (sic)  (3)  dont  je  vous  ai  parlé  se  nomme 
Félix  Blanc,  il  est  condamné  à  la  déportation  par  le  Conseil  de  guerre 
du  RhÎne  et  désirerait  que  sa  peine  fût  commuée  en  exil.  Je  vous 
remercie  d'avance  pour  mon  recommandé  et  vous  prie  de  recevoir 
l'assurance  de  mon  respectueux  dévouement. 

Ferd.  François. 
Dimanche,  matin. 

A  madame  Pauline  Roland. 

16  mars. 
Madame, 

Quatre  fois  je  suis  intervenu  en  faveur  de  M.  Luc  Desages,  gendre 
de  M.  Pierre  Leroux  et  autant  de  fois  le  ministre  de  la  Guerre  m'a 
promis  de  faire  commuer  sa  peine  en  celle  de  bannissement.  Hier  je 
suis  allé  le  voir  et  quand  je  lui  ai  parlé  du  transfÚrement  de  M.  Luc 

(1)  «  On  »,  c'est-Ă -dire  M.  de  Persigny  lui-mĂȘme. 

(2)  Le  comte  Achille  Baraguay  d'Hilliers,  né  à  Paris  en  1795,  militaire  dÚs 
son  plus  jeune  ùge,  eut  le  poignet  emporté  à  la  bataille  de  Leipzig,  servit  en 
Afrique,  fut  commandant  à  Constantine,  puis  à  Besançon  ;  ayant  quitté  le 
service  il  fut  représentant  à  la  Constituante,  puis  à  la  Législative.  S'étant 
rapproché  de  l'Elysée  il  remplaça  le  général  Hautpoul  à  Rome,  puis  remplit 
les  fonctions  de  commandant  de  l'armĂ©e  du  Rhin,  appuya  le  coup  d'État, 
se  distingua  dans  la  guerre  avec  la  Russie,  fit  la  campagne  d'Italie  oĂč  il 
gagna  la  bataille  de  Marignan,  fut  maréchal  de  France,  sénateur  et  vice- 
président  du  Sénat.  Il  mourut  en  1878. 

(3)  Alexandre  Erdan,  rédacteur  de  l'Evénement, 


GEORGE   SAND  217 

Desages  Ă   Brest,  il  m'a  dit  alors  que  cela  s'Ă©tait  fait  en  dehors  de  son 
action.  Mais  comme  cette  derniĂšre  mesure  pourrait  en  faire  craindre 
une  plus  sévÚre  que  j'ai  cherché  à  prévenir,  hier  soir  j'ai  vu  M.  le  pré- 
sident de  la  République  qui  a  pris  note  et  m'a  fait  espérer  qu'il  donne- 
rait suite  Ă   la  promesse  qu'il  avait  faite  Ă   Mme  Sand... 

Le  général  Baraguay  auquel  George  Sand  s'était  adressée  en 
outre  pour  son  neveu,  Oscar  Cazamajou,  qui  servait  dans  les 
spahis,  le  général,  disons-nous,  avait  déjà  écrit  à  Mme  Sand  elle- 
mĂȘme  Ă   propos  de  ses  deux  protĂ©gĂ©s,  le  7  fĂ©vrier  (mars?)  : 

Paris,  7  février  1852. 
Madame, 

Je  m'étais  empressé  de  prévenir  Mme  Pauline  Roland  que  M.  Luc 
Desages,  gendre  de  Pierre  Leroux,  ne  serait  pas  déporté  à  Cayenne 
et  que  j'intercédais  prÚs  du  ministre  de  la  Guerre  pour  qu'il  fût  seule- 
ment exilé.  Je  vais  lui  faire  part  de  la  bonne  nouvelle  que  vous  me 
donnez  aujourd'hui.  Vous  devez  gagner  toutes  les  causes  que  vous 
plaidez,  madame,  je  voudrais  bien  qu'il  en  fût  ainsi  de  toutes  celles 
dont  vous  me  chargerez.  Afin  de  ne  pas  perdre  de  temps  j'ai  Ă©crit 
hier  au  colonel  du  2e  régiment  de  spahis  pour  lui  recommander  M.  Caza- 
majou, votre  neveu,  et  lui  demander  de  le  pourvoir  d'un  des  emplois  de 
maréchal  de  logis  qui  seront  prochainement  vacants  dans  son  régiment 

Je  suis  charmĂ©,  madame,  de  trouver  une  occasion  de  vous  ĂȘtre 
agréable  et  de  vous  offrir  l'expression  de  mon  respectueux  hommage. 

Général  Baraguay  d'Hilliers. 

Le  21  mars  il  lui  Ă©crit  encore,  et  aprĂšs  quelques  lignes  con- 
sacrées au  jeune  Cazamajou,  il  revient  à  la  question  Desages  : 

...J'ai  rappelé,  il  y  a  huit  jours,  au  président  la  promesse  qu'il  vous 
avait  faite,  madame,  de  commuer  la  peine  de  la  déportation  en  celle 
de  l'exil  en  faveur  de  M.  Luc  Desages.  Le  prince  a  paru  surpris  de  le 
savoir  encore  en  prison.  J'espĂšre  donc  que  M  Desages  recouvrera  la 
liberté... 

Sur  l'enveloppe  :  Madame  Georges  (sic)  Sand. 

Paris,  n°  3,  rue  Racine, 
république  française 
MinistĂšre  de  la  Justice 
Cabinet  du  garde  des  sceaux. 

Madame, 
M.  le  ministre  de  la  Justice  aura  l'honneur  de  vous  recevoir  mardi  30 
Ă   4  heures  du  l'aprĂšs-midi.  La  commission  des  grĂąces  n'a  pas  encore 


*i8  GEORGE   SAND 

donné  d"avis  sur  les  trois  personnes  dont  vous  avez  bien  voulu  me 
parler.  Je  vous  prie  d'agréer...  etc. 

Charles  Abbatucci, 
Chef  du  cabinets 
A  Mme  George  S  and. 

Cabinet  du  ministre 
de  la  pouce  générale.  Paris,  le  30  mars. 

J'ai  soumis  au  ministre  la  demande  que  vous  lui  aviez  adressée 
pour  que  M.  Emile  Aucante  et  M.  Fulbert  Martin  soient  autorisés  à 
résider  dans  votre  propriété  de  l'Indre  pendant  un  mois.  Prenant  en 
considération  les  motifs  de  votre  demande  (1),  le  ministre  a  bien  voulu 
signer  les  deux  autorisations  que  j'ai  l'honneur  de  vous  envoyer. 

Le  chef  de  cabinet, 
Thiéblin. 
Cabinet  du  ministre 
de  l'intérieur. 

—  Paris,  Ie1  avril. 

Madame, 

Je  m'empresse  d'avoir  l'honneur  de  vous  informer  qu'un  sursis 
d'un  mois  vient  d'ĂȘtre  accordĂ©  Ă   M.  Emile  Aucante.  H  est  autorisĂ©  Ă  
résider  pendant  ce  temps  dans  le  domaine  que  vous  habitez  (départe- 
ment de  l'Indre). 

Le  chef  du  cabinet, 

Signé  :  Théophile  de  Montaud. 
Post-seriptum  autographe  : 

Je  reçois  à  l'instant  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de 
m'Ă©crire  le  31  mars  et  je  ne  puis,  comme  vous  le  voyez,  y  faire  une  meil- 
leure réponse. 

Th.  M. 

Mme  George  Sand,  Ă   Nohant,  prĂšs  de  La  ChĂątre.  Indre. 

Enfin  le  12  avril,  DesagespĂšre  Ă©crivit  de  La  ChĂątre  Ă   Mme  Sand 
qu'il  venait  de  recevoir  une  lettre  de  son  fils,  Ă©crite  de  Toulon, 
lui  annonçant  que,  coup  sur  coup,  Luc  Desages  avait  appris 
par  deux  télégrammes  :  1°  qu'on  le  faisait  revenir  d'Afrique  et 

(1)  Mme  Sand  avait  avancé  pour  motif  de  sa  demande  la  nécessité  de  la 
prĂ©sence  de  M.  Aucante  Ă   Nohant  pour  les  intĂ©rĂȘts  de  la  «  gestion  du  dit 
domaine  ». 


GEORGE   SAND 


2  : 


2°  qu'on  lui  fixait  pour  séjour  la  Corse  avec  permission  de  choisir 
son  lieu  de  résidence.  Le  pÚre  Desages  ajoutait  à  cela  qu'il  ne 
devait  cet  adoucissement  du  chùtiment  de  son  fils  qu'aux  «  nom- 
breuses démarches  de  Mme  Sand  auprÚs  du  président  »  et  que 
ni  lui,  ni  la  mĂšre  de  Luc  ne  l'oublieraient  jamais  (1). 

Les  démarches  de  Mme  Sand  pour  Patureau  ne  semblent  pas 
avoir  Ă©tĂ©  immĂ©diatement  couronnĂ©es  du  mĂȘme  succĂšs  malgrĂ©  la 
bonne  volonté  des  personnes  (entre  autres  Charles  Abbatucci)  (2) 
auxquelles  elle  s'était  adressée,  aprÚs  avoir  plaidé  la  cause  de 
Desages  : 

C'est  probablement  Ă   Patureau  que  se  rapporte  la  lettre  de 
Napoléon  que  voici,  sans  date,  écrite  sur  un  papier  à  son  chiffre, 
avec  couronne.  La  lettre,  écrite  par  un  autre,  est  seulement  signée 
de  la  main  de  Napoléon. 

Madame, 

DÚs  que  j'ai  reçu  votre  lettre  je  me  suis  empressé  de  prendre  des 
renseignements  les  plus  précis  sur  la  personne  que  vous  me  recom- 
mandiez et  j'aurais  été  heureux  de  pouvoir  faire  quelque  chose  qui 
vous  fût  agréable.  Malheureusement  les  rapports  de  l'administration, 
de  la  magistrature  et  de  la  gendarmerie  s'accordent  tous  sur  la  néces- 
sité d'interner  votre  protégé  en  Afrique.  Personne  plus  que  moi  ne 
regrette  les  rigueurs  auxquelles  je  suis  forcé,  mais  mon  but  unique, 
Ă©tant  de  pacifier  le  pays,  de  maniĂšre  Ă   ce  qu'il  soit  capable  de  supporter 
une  véritable  et  saine  liberté,  je  dois  me  montrer  sévÚre  envers  ceux 
qui  entretiennent  toujours  dans  les  masses  des  idées  subversives  et  des 
projets  d'insurrection. 

Recevez,  madame,  avec  l'expression  de  mes  regrets,  l'assurance 
de  mes  sentiments  distingués. 

Signé  :  Napoléon. 
Mme  George  Sand. 

Mais  sĂŻl  arrivait  parfois  que  Mme  Sand  ne  parvenait  pas  Ă  
assurer  le  succĂšs  de  ses  demandes,  ou  si  elle  ne  parvenait  pas  Ă  
arracher  une  libération,  un  élargissement  complet,  elle  mettait 
en  Ɠuvre  toutes  ses  relations  afin  d'adoucir  au  moins  le  sort  des 

(1)  Cette  lettre  existe  toujours. 

(2)  Lettre  inĂ©dite  de  Ch.  Abbatucci  —  alors  garde  des  sceaux  —  du 
13  avril  1852. 


aao  GEORGE   SAND 

internés  en  Afrique,  ou  des  exilés  en  Belgique  ou  en  Angleterre. 
Elle  écrivait  des  lettres  aux  généraux  commandant  les  troupes 
d'Afrique,  aux  gouverneurs  des  places  fortes  ;  elle  envoyait  de 
l'argent  aux  expatriés  ;  elle  tùchait  de  ne  pas  laisser  les  pauvres 
exilés  sans  nouvelles  de  leurs  familles  ;  elle  soutenait  ces  derniÚres, 
enfin  elle  faisait,  ici  encore,  preuve  de  cette  infinie  charité  active, 
de  cet  amour  actif  qui  lui  Ă©tait  propre  dĂšs  l'enfance  et  dura 
jusqu'à  la  tombe.  Cette  pitié  divine  qui  brûlait  en  elle  subjuguait 
et  charmait  tous  ceux  Ă   qui  elle  s'adressait.  De  sorte  que  si  une 
partie  des  réponses  officielles  à  ses  demandes  d'audience,  à  ses 
mémoires  et  suppliques,  ne  témoignent  que  d'une  correction 
respectueuse  et  de  la  bonne  Ă©ducation  de  ses  correspondants, 
une  foule  d'autres  lettres  nous  montrent  quelle  admiration 
infinie,  quel  enthousiasme  Ă©veillait  Mme  Sand  chez  ceux  pour 
qui  elle  faisait  ces  démarches,  tout  autant  que  chez  ceux  auprÚs 
de  qui  et  par  qui  elle  les  faisait.  H  est  Ă   noter,  incidemment,  que 
plus  ses  correspondants  sont  haut  placés  :  le  prince,  les  ministres, 
les  chefs  de  cabinet  ou  commandants  de  maison  militaire,  et  les 
intimes  amis  de  Napoléon  :  MM.  Abbatucci  et  de  Montaud,  le 
vicomte  Clary  et  M.  Vieillard,  —  intime  entre  tous  —  les 
gĂ©nĂ©raux  Roguet  et  Baraguay  d'Hilliers  —  et  plus  leurs  lettres, 
toutes  personnelles,  sont  affables,  affectueuses  mĂȘme  ;  ils  prient 
Mme  Sand  d'agréer  l'expression  de  leur  «  admiration  affec- 
tueuse »,  ou  de  leur  «  sincÚre  admiration  »  ;  ils  lui  parlent  «  d'un 
et  mĂȘme  sentiment  »  dans  lequel  ils  «  confondent  l'auteur  et  ses 
ouvrages  ».  Les  hauts  fonctionnaires  et  les  secrétaires  privés  des 
ministres  sont  déjà  tant  soit  peu  plus  réservés  et  plus  secs  ;  les 
préfets  et  les  sous-préfets  sont  non  seulement  parfaitement  et 
officiellement  raides,  mais  parfois  mĂȘme  d'une  impolitesse  tout 
olympienne.  C'est  ainsi  que  Napoléon  et  M.  de  Persigny,  le 
ministre  de  la  Guerre  et  le  comte  Roguet  «  s'empressent  »  de  lui 
accuser  réception  de  la  lettre  qu'elle  «  leur  fit  l'honneur  de  leur 
adresser  »,  lui  dĂ©clarant  ĂȘtre  «  charmĂ©s  de  la  recevoir  tel  jour  de 
la  semaine  qu'il  lui  plaira  de  vouloir  fixer  »  et  se  disent  «  heureux 
de  pouvoir  lui  rendre  service  »,  —  tandis  qu'un  prĂ©fet  lui  Ă©crit  : 
«  Je  consen*  volontiers  à  vous  accorder  le  quart  d'heure  d'audience 


GEORGE   SAND  221 

que  vous  me  demandez.  Vous  pouvez  venir  à  la  préfecture  mercredi 
prochain  à  une  heure...  etc.,  etc.  (!!!).  » 

Quant  Ă   ceux  pour  qui  George  Sand  s'adressait  Ă   tout  ce  monde 
officiel,  on  ne  peut  vraiment  lire  sans  en  ĂȘtre  profondĂ©ment  Ă©mu 
les  lettres  d'Alexandre  Lambert,  d'Emile  Aucante,  Fulbert 
Martin,  Luc  Desages,  Ernest  PĂ©rigois,  Patureau-FrancƓur,  de 
Mmes  Lumet  ou  Lise  Perdiguier  et  d'un  grand  nombre  d'autres, 
soit  de  la  prison  de  ChĂąteauroux,  des  forts  d'Ivry  et  de  BicĂȘtre, 
soit  de  la  cale  des  vaisseaux  les  emmenant  en  Afrique,  de 
Bruxelles,  de  Toulon  et  de  Londres,  parfois  mĂȘme...  de  quelque 
grange  ou  de  quelque  coin  de  la  forĂȘt  oĂč  ils  se  cachaient.  Et  quelle 
reconnaissance  enthousiaste  respirent  les  lettres  des  amis,  des 
parents  qui  s'empressent  d'annoncer  à  Mme  Sand  la  libération 
ou  le  retour  au  bercail  de  leur  pĂšre,  frĂšre  ou  mari,  Ă   cette  chĂšre  et 
vénérée  Mme  Sand  dont  les  soins  pieux  pour  leurs  proches  leur 
étaient  restés  inconnus  jusqu'à  ce  jour-là.  Il  est  douteux  que 
quelque  autre  écrivain,  ou  quelqu'un  d'autre,  en  général,  ait 
obtenu  de  tels  hymnes  d'admiration  Ă©mue  et  d'enthousiaste  gra- 
titude. «  ChÚre  madame  et  excellente  protectrice  des  martyrs 
politiques  de  notre  triste  époque  »  l'appelle  l'un  de  ses  corres- 
pondants. Un  autre  «  croit  pouvoir  compter  sur  la  bienveillante 
intervention  de  Mme  George  Sand  dont  le  département  de  la 
Creuse  reconnaßt  les  sympathies  en  faveur  des  condamnés  poli- 
tiques ».  Marie  Lambert  ayant  appris  par  Mme  Fleury  ce  que 
Mme  Sand  fit  pour  eux  la  remercie  avec  chaleur,  et  Luc  Desages 
l'appelle  «  madame  et  amie  »  quoiqu'il  «  ne  sache  pas  s'il  a  le 
droit  d'employer  ce  dernier  nom;  cependant  je  ne  puis  m'en 
empĂȘcher  »,  sachant  ce  qu'elle  avait  fait  pour  lui,  et  qui  elle  avait 
vu.  Il  ne  veut  donc  pas  remettre  jusqu'à  sa  libération  complÚte 
l'expression  de  sa  reconnaissance  pour  lui,  d'abord,  puis  pour  sa 
femme,  son  enfant,  son  beau-pĂšre,  et  il  lui  parle  de  son  admiration 
et  de  sa  reconnaissance,  «  sentiments  qui  depuis  mon  plus  jeune 
ùge  n'ont  jamais  varié  »... 

Le  communiste  Arnold,  dans  sa  lettre  de  recommandation 
datée  de  Londres,  mercredi  24  août  1852,  donnée  par  lui  à  une 
dame  qui  voulait  faire  un  pÚlerinage  chez  «  la  mÚre  d'Indiana  », 


222  GEORGE   SAND 

l'appelle  «  la  sainte  du  Berry  »,  et  Marc  Dufraisse  lui  écrit  de 
Bruxelles  en  la  nommant  «  Xotre-Dame  du  Bon-Secours  ». 
Mme  Lumet  la  remercie  pour  tout  ce  qu'elle  avait  «  bien  voidu 
faire  pour  eux,  et  pour  l'humanité,  quoique  ses  démarches  n'aient 
pas  abouti  »  à  un  élargissement  complet,  et  elle  ajoute  :  «  Je  ne 
maudirai  jamais  mes  souffrances,  puisqu'elles  me  procurĂšrent 
l'occasion  de  vous  connaßtre.  » 

Votre  dĂ©vouement,  mon  cher  George,  —  lui  Ă©crit  Ă   la  date  du  21  mai 
Gabriel  de  Planet  qui  l'aidait  en  ce  moment  Ă   faire  une  souscription 
en  faveur  des  exilĂ©s,  —  votre  dĂ©vouement  est  sans  bornes  pour  les 
amis  et  les  malheureux.  Que  d'autres  admirent  votre  génie,  quant  à 
moi  je  m'agenouille  avant  tout  devant  votre  grand  cƓur.... 

Abel  Dufraisse  lui  Ă©crit  de  Ribeyrac  le  23  novembre  1852  : 

...rsous  avons  ignoré  longtemps  à  quels  personnages  et  à  quelle? 
influences  était  due  la  commutation  de  la  peine  de  déportation  décrétée 
par  Louis-Xapoléon  Bonaparte  contre  Marc,  mon  frÚre,  en  celle  de 
bannissement. 

Et  il  dit  que  cette  ignorance  leur  avait  été  trÚs  pénible. 
Aujourd'hui  seulement  les  siens  ont  appris  que  «  cela  était  dû 
à  sa  bienveillance  et  à  sa  puissante  intervention  ».  En  la  remer- 
ciant au  nom  de  toute  sa  famille  qui  est  heureuse  d'ĂȘtre  obligĂ©e 
«  envers  une  personne  pour  laquelle  nous  avons  une  grande 
admiration  et  une  profonde  sympathie  qui  date  de  loin  »,  et  en 
lui  disant  que  lui  et  les  siens  n'avaient  «  point  été  étonnés  des 
démarches  qu'elle  avait  faites  de  son  propre  mouvement  en 
faveur  de  leur  frÚre  »,  il  termine  sa  lettre  par  ces  mots  : 

Ah  !  bonne  et  chĂšre  dame,  joignez,  je  vous  en  supplie  vos  instances, 
vos  sollicitations  Ă   nos  priĂšres,  peut-ĂȘtre  arriveront-elles  jusqu'Ă   Dieu 
si  elles  ne  peuvent  faire  fléchir  les  rigueurs  du  pouvoir.  La  voix  d'une 
femme  est  si  Ă©loquente,  si  puissante.  Marie  priera  pour  le  malheureux 
exilé,  vous,  vous  voudrez  bien  intercéder  en  sa  faveur  auprÚs  de 
Bonaparte.  ]\ous  bénirons  votre  nom  :  et  vos  bontés,  votre  dévouement 
méconnus  sur  la  terre  seront  récompensés  dans  le  ciel.  Recevez,  excel- 
lente patronesse  {sic)  des  martyrs,  consolatrice  des  affligés,  l'assu- 
rance de  ma  haute  considération  et  de  mon  profond  respect- 
Marc  Dufraisse  lui-mĂȘme  Ă©crivit  Ă   Mme  Sand  la  lettre  suivante 
fort  curieuse  et  fort  caractéristique,  sous  maint  rapport,  et  que 


GEORGE   SAND  223 

nous  donnons  en  entier  malgré  sa  longueur,  car  elle  nous  paraßt, 
pour  des  raisons  particuliĂšres,  mĂ©riter  d'ĂȘtre  citĂ©e. 

Bruxelles,  19  février  1852. 
Ma  chĂšre  dame, 

J'ai  enfin  une  chambrette,  du  feu  de  charbon  de  terre,  et  du  papier 
blanc.  Laissez-moi  vous  Ă©crire,  comme  Ă©crivent  les  proscrits,  longue- 
ment. Ils  ont  tant  de  choses  Ă   dire  !  Ils  aiment  tant  Ă   parler  d'eux  ! 
Donc,  je  vais  causer  avec  vous  de  moi,  d'abord,  pour  n'y  plus  penser 
et  n'y  revenir  plus,  puis  beaucoup  de  vous,  des  exilés  et  un  peu  de 
l'homme  qui  nous  a  bannis. 

Mon  odyssée  à  moi  commence  mal.  Je  suis  aux  prises  avec  le  gou- 
vernement belge.  C'est  déjà  une  histoire.  Avez-vous  le  temps  de 
l'Ă©couter?  Vous  la  lirez  une  autre  fois,  si  elle  vous  ennuie  aujourd'hui. 

Ces  Flamands,  bonne  dame,  ne  comprennent  qu'à  moitié  les  devoirs 
de  l'hospitalité.  Les  notions  les  plus  vulgaires  du  droit  d'asile  s'eiïacent 
ici  devant  la  peur  qu'on  y  a  du  gouvernement  français.  Le  Brabançon 
ne  veut  pas  comprendre  et  il  ne  sent  pas  qu'eussent-ils  été  coupables 
dans  leur  pays,  les  fugitifs  qui  franchissent  sa  frontiĂšre,  son  seuil,  qui 
viennent  s'asseoir  Ă   son  foyer,  qui  lui  demandent  un  refuge,  sont  des 
innocents  pour  lui,  des  infortunés  dignes  d'un  accueil  fraternel,  cordial 
et  de  tous  les  égards  dus  au  malheur.  Ces  Belges  nous  ont  reçus  sans 
.  nous  accueillir.  Ces  chrétiens-là  n'ont  de  leurs  obligations  envers  les 
exilés  qu'une  idée  vague  et  confuse  comme  les  regards  de  leurs  yeux. 
Les  paĂŻens  en  avaient  mieux  le  sentiment. 

On  ne  se  doute  pas,  dans  ces  Pays-Bas,  que,  comme  le  pauvre,  le 
proscrit  est  une  chose  sacrée.  C'est  affligeant  à  voir,  c'est  cruel  à 
Ă©prouver.  Le  droit  des  gens,  cette  antique  constitution  des  peuples,  ce 
vieux  code  de  l'humanité,  disparaßt  ici  devant  la  panique  universelle, 
la  terreur  de  l'invasion.  Tout  périra-t-il  donc  dans  ce  siÚcle  d'égoïsme 
et  de  couardise?  Vous  verrez  que  la  pitiĂ©,  mĂȘme  pour  les  plus  saintes 
infortunes,  s'en  ira  comme  s'en  vont  toutes  les  bonnes  choses  du  passé. 

Croiriez-vous,  madame,  qu'ils  ont  eu,  dit-on,  la  pensée  de  m'expulser? 
Qu'ils  voulaient  du  moins  me  reléguer  à  l'extrémité  de  leur  monarchie, 
sur  la  frontiÚre  de  Prusse,  dans  les  Ardennes  belges,  contrée  de  bois, 
royaume  des  sangliers,  pays  perdu?  Est-ce  que  je  pourrai  vivre,  moi, 
dans  ces  lieux  sauvages  et  déserts? 

Quand  ils  m'ont  signifié  cette  décision,  il  m'a  fallu  plaider  ma  cause 
en  suppliant.  Sans  la  maladie  qui  m'a  couché  dÚs  le  jour  de  mon  arrivée 
à  Bruxelles  et  qui  m'a  tenu  au  ht  trois  ou  quatre  jours,  je  serais  déjà, 
malgré  toute  mon  éloquence  diplomatique,  interné  à  Saint-Hubert. 

Comme  il  est  possible  que  la  querelle  entre  M.  LĂ©opold  et  moi  s'en- 


324  GEORGE   SAND 

venime  et  qu'il  peut  trÚs  bien  arriver  qu'on  m'envoie  isolément  je  ne 
sais  oĂč,  je  veux,  pour  que  vous  ne  m'accusiez  pas  d'ĂȘtre  une  mauvaise 
tĂȘte,  vous  rĂ©sumer  ce  que  j'ai  dit  Ă   l'un  des  commis  de  Sa  MajestĂ©... 

«  Quel  que  soit  mon  nom,  vous  devez  l'ignorer.  Pour  vous  je  ne 
suis,  je  ne  dois  ĂȘtre  ni  Pierre,  ni  Paul,  ni  Marc  ;  je  suis  homme  anonyme, 
banni.  Quel  qu'ait  été  mon  crime  en  France,  fussé-je  mille  fois  convaincu 
de  résistance  à  l'usurpation,  vous  ne  devez  pas  faire  acception  de  mes 
antécédents  politiques.  Il  ne  vous  appartient  de  considérer  ni  mon  passé 
public,  ni  l'avenir  que  les  événements  de  la  révolution  me  destinent. 
Pourvu  que  je  ne  me  mĂȘle  pas  de  vos  affaires,  vous  ne  devez  voir  en 
moi  que  mes  infortunes  particuliÚres  et  présentes  et  mes  misÚres  de 
proscrit.  Je  suis,  dites-vous,  l'un  des  hommes  les  plus  compromis, 
soit.  Mais  alors  Ă   quoi  bon  le  droit  de  refuge,  si  vous  le  refusez  aux 
criminels  politiques  pour  qui  seuls  l'humaine  coutume  l'a  fondé?  Que 
servira  le  droit  d'exil,  si  vous  fermez  impitoyablement  les  portes  du 
lieu  Ă   qui  seul  a  besoin  qu'elles  s'ouvrent  devant  lui?  Vous  craignez 
l'annexion  Ă   la  France  esclave  de  votre  territoire  encore  libre?  Vous 
voulez  garder  l'indépendance  de  votre  pays,  vos  lois,  vos  institution?, 
vos  mƓurs?  C'est  bien;  mais  est-ce  donc  de  l'indĂ©pendance  que  d'obĂ©ir 
ainsi  Ă   l'Ă©tranger  et  d'aller  peut-ĂȘtre  au  devant  de  ses  dĂ©sirs?  Qu'est-ce 
que  la  séparation  officielle  et  apparente  de  deux  terres,  si  vous  subissez 
les  ordres  de  la  police  de  Paris,  si  vous  marchez  ainsi,  de  gaieté  de 
cƓur,  vers  un  asservissement  moral  volontaire,  plus  honteux  cent  fois 
qu'un  asservissement  par  l'invasion  et  la  violence?  Ce  n'est  point 
par  des  complaisances  pusillanimes  que  vous  sauverez  votre  person- 
nalité. Le  danger  est  dans  vos  condescendances  sans  exemple  et  dans 
vos  faiblesses  sans  nom.  C'est  à  faire  ainsi  les  volontés  du  fort  que 
vous  perdrez  votre  nationalité  et  votre  honneur.  Vous  tomberez  ainsi 
sans  éclat  et  sans  grandeur.  Obéir  à  des  notes  venues  de  France,  c'est 
renoncer  Ă   vous-mĂȘmes.  On  abdique,  sachez-le  bien,  on  abdique  sans 
dignité  et  sans  profit,  quand  on  exécute  lùchement  et  cruellement  les 
ultimatum  cruels  et  lĂąches  d'une  diplomatie  de  brigands.  En  ce  qui 
me  concerne,  la  Belgique  serait-elle  donc  moins  humaine  envers  moi  que 
le  gouvernement  français?  Considérez-moi  un  peu,  je  vous  prie.  Voyez 
combien  ma  constitution  est  chĂ©tive  et  frĂȘle.  Mon  tempĂ©rament  est  minĂ© 
parles  maladies,  épuisé  par  la  vie  de  révolution,  par  les  plus  patriotiques 
chagrins.  Affaibli  par  le  séjour  des  prisons,  empoisonné  par  le  regret 
de  la  patrie  absente,  ma  santé  a  besoin  de  soins  habiles  et  constants. 

«  H  me  faut,  tout  atroce  qu'on  m'ait  fait,  le  commerce  des  hommes, 
leur  bienveillance,  leurs  sympathies,  l'assistance  morale  de  leur  commi- 
sération. Il  me  faut,  tout  barbare  qu'on  me  dise,  la  communication  des 
idées,  l'échange  des  sentiments,  la  compagnie  des  livres,  l'étude,  l'air 
enfin  de  la  civilisation.  Tout  tigre  que  je  suis,  je  ne  veux  pas  aller  vivre 


GEORGE   SAND  225 

avec  vos  loups  des  Ardennes  et  vos  marcassins  de  Saint-Hubert 
Qu'adviendra-t-il  de  moi,  si  vous  m'envoyez  à  l'extrémité  de  vos 
terres,  dans  vos  forĂȘts,  sur  les  bords  abandonnĂ©s  de  la  Meuse  belge? 
Si  vous  ajoutez  la  mélancolie  de  l'isolement  aux  amertumes  de  l'exil, 
à  la  nostalgie  qui  me  gagne?  Voyez,  je  suis  souffrant,  valétudinaire  ; 
j'ai  quitté,  pour  me  rendre  à  vos  ordres,  mon  lit  de  fiévreux.  Votre 
climat  humide  et  froid  aggrave  le  triste  Ă©tat  de  ma  poitrine.  Que  sera-ce 
donc  si  vous  m'envoyez  respirer  le  mauvais  air  des  Ă©tangs  et  les  Ă©ma- 
nations mortelles  des  marais  de  Saint-Hubert?  Votre  hospitalité  me 
sera-t-elle  donc  aussi  fatale  que  l'eût  été  ma  déportation  sous  le  soleil 
de  l'Equateur?  Il  eĂ»t  mieux  valu  pour  moi  peut-ĂȘtre  d'aller  Ă   Cayenne 
que  de  venir  chez  vous.  » 

Voilà,  madame,  le  résumé  fidÚle  de  ma  supplique  verbale.  Je  vous 
demande  pardon  de  vous  avoir  fatiguée  de  ce  parlage  ;  mais  je  veux 
vous  mettre  au  courant  du  conflit,  afin  que  vous  m'aidiez  et,  s'il  est 
possible,  Ă   me  tirer  du  mauvais  parti  qu'or  veut  me  faire  ici.  Je  ne 
veux  pas  aller  en  Angleterre,  mes  ressources  ne  me  suffiraient  pas 
dans  ce  pays.  Je  veux  rester  en  Belgique  et  Ă   Bruxelles.  Il  me  faut  de 
bonnes  raisons  pour  fermer  la  bouche  au  gouvernement  d'ici.  La  meil- 
leure serait  de  pouvoir  leur  dire,  si  j'en  avais  la  certitude,  que  l'auto- 
rité française  ne  demande  point  mon  internement;  que  c'est  là  une 
persécution  toute  bénévole  et  toute  gratuite  de  l'autorité  belge.  Or, 
je  ne  puis  pas  croire  que  le  gouvernement  français  s'occupe  de  moi  et 
qu"il  pĂšse  sur  la  Belgique  pour  qu'elle  me  traite  avec  rigueur.  Je  crois 
plutÎt  à  la  spontanéité  tracassiÚre  de  la  police  brabançonne.  N'y  aurait- 
il  pas  moyen  de  vérifier  cette  conjecture  et  de  m'édifier  sur  ce  point? 
Si,  sans  vous  dĂ©ranger,  il  vous  Ă©tait  facile,  par  vos  relations,  d'ĂȘtre 
informée  là-dessus,  je  serais  bien  heureux  de  pouvoir  dire  au  gouver- 
nement belge  :  c'est  d'office  que  vous  me  tourmentez.  C'est  trÚs  sérieu- 
sement que  je  ne  veux  pas  aller  Ă   Saint-Hubert.  L'assignation  de  ce 
lieu  de  séjour  est  une  plaisanterie  de  fort  mauvais  goût;  c'est  une 
avanie  à  laquelle  je  ne  veux  pas  me  soumettre  ;  c'est  une  méchanceté 
sans  esprit  que  je  ne  veux  pas  subir.  Nous  sommes  ici  quelques-uns 
que  l'on  veut  rendre  ridicules  ;  je  ne  me  rĂ©signerai  jamais  Ă   ĂȘtre  bafouĂ©. 
Vous  savez  la  légende  du  grand  saint  Hubert,  l'histoire  des  bagues 
qui  préservent  de  la  morsure  des  chiens  enragés  et  de  ces  anneaux  qui 
guĂ©rissent  de  la  rage.  Eh  bien,  on  dit  ici,  avec  une  bĂȘtise  mĂ©chante 
que  le  gouvernement  envoie  à  Saint-Hubert  les  chiens  enragés  de 
Immigration  française,  que  le  grand  saint  nous  guérira  de  nos  accÚs  de 
rage,  et  que,  quand  nous  reviendrons  de  lĂ -bas,  nous  ne  scandaliserons 
plus  les  honnĂȘtes  gens  par  nos  convulsions  d'hydrophobie.  Tenez,  Ă  
ce  moment,  je  ris  de  cette  bĂȘtise  vraiment  belge  ;  mais  je  ne  veux  pas 
ĂȘtre  le  jouet  des  mauvais  plaisants  qui  gouvernent  ce  pays-ci.  Et 
iv.  ,5 


a26  GEORGE   SAND 

c'est  plus  encore  une  question  de  santé  que  d'amour-propre.  Le  fait 
est  que  je  suis  malade.  J'ai  l' arriÚre-gorge  travaillée  par  une  inflam- 
mation chronique  qui  menace  d'attaquer  les  bronehes  et  de  porter 
ses  ravages  plus  bas  encore.  Je  me  sens  de  la  fiùvre.  Si  la  raison  d'État 
m'envoie  dans  la  Sibérie  belge,  je  n'y  résisterai  pas  longtemps.  Mon 
mal  n'est  pas  de  eeux  que  saint  Hubert  avait  reçu  le  don  de  guérir. 
Puis,  enfin,  il  y  a  là  une  question  de  vie  matérielle.  Si  j'étais  ici  à  poste 
fixe,  peut-ĂȘtre  trouverais-je  Ă   faire  quelque  besogne  honorable  dont 
le  salaire  m'aiderait  Ă   subvenir  Ă   mes  besoins. 

J'ai  bien  trop  longtemps  parlé  de  moi.  De  vous  maintenant  et  de  nos 
amis  les  proscrits  !  Le  sujet  est  délicat  à  toucher.  Ici  l'on  vous  blùme 
un  peu  ;  moi,  je  vous  défends  beaucoup.  Je  sais,  vous  me  l'avez  dit 
chez  Proud'hon,  qu'il  n'est  jamais  entré  dans  vos  projets  de  déclarer 
la  guerre  à  Bonaparte.  La  neutralité  de  votre  part  étant  irrévocable- 
ment arrĂȘtĂ©e  avec  vous-mĂȘme,  je  n'ai  pu  blĂąmer  le  parti  que  vous 
cherchiez  à  tirer  de  vos  rapports  antérieurs  avec  Louis-Napoléon.  Je 
ne  puis  que  vous  louer,  au  contraire,  de  votre  intervention,  soit  pour 
une  amnistie  générale,  soit  pour  des  mises  en  liberté  particuliÚres.  Je 
ne  comprends  pas,  en  vérité,  ceux  qui  vous  font  un  crime  de  vos 
démarches  toutes  pleines  d'humanité.  Vos  actes,  en  ces  jours  de  pros- 
criptions, marqueront  selon  moi  une  des  plus  belles  pages  de  votre  vie. 
Sans  doute,  je  vous  aurais  mieux  aimée  attaquant  le  parjure,  la  viola- 
tion du  droit  et  des  lois,  et  faisant  par  votre  courage  de  femme  rougir 
les  hommes  de  leur  lùcheté.  Vous  ne  voulez  pas  de  cette  célébrité, 
Vous  aurez  raison  peut-ĂȘtre  ;  peut-ĂȘtre  vaut-il  mieux  ĂȘtre  vous, 
vous  intercédant  pour  la  France,  pour  les  victimes,  pour  vos 
amis,  que  de  refaire  Mme  de  StaĂ«l,  mĂȘme  avec  supĂ©rioritĂ©,  et  d'irriter 
un  caractĂšre  vindicatif  et  rancuneux.  faites  donc  votre  naturel  comme 
disent  les  artistes.  Soyez  la  Notre-Dame  du  Bon  Secours.  Qui  donc,  en 
ce  naufrage  universel,  vous  ferait  raisonnablement  un  grief  de  votre 
sollicitude?  Quel  crime,  grand  Dieu  !  que  de  ramer  vers  les  malheureux 
que  le  flot  submerge  !  Tenez  pour  certain,  madame,  que  dans  les  su- 
prĂȘmes dĂ©sastres,  le  sauvetage  est  une  Ɠuvre  tout  Ă   la  fois  de  bien  et 
de  hardiesse.  Quand  pitiĂ©  peut  ĂȘtre  taxĂ©e  de  complicitĂ©,  c'est  courage 
peu  vulgaire  et  vertu  peu  commune  que  d'implorer  pour  les  vaincus. 

Je  vais  plus  loin  encore  et  je  dis  que  si  vous  obtenez  l'aminstie 
en  masse,  vous  aurez  rendu  un  immense  service  Ă   la  BĂ©publique.  Cela 
n'est  point  un  paradoxe.  Que  ferons-nous  pour  elle  dans  l'exil?  De 
quel  secours  serons-nous  pour  elle?  Volontaires  ou  forcés,  de  quel 
poids  réel  des  émigrés  ont-ils  jamais  pesé  dans  les  destinées  de  leur 
pays?  Loin  du  milieu  natal,  chacun  de  nous  perd  plus  des  trois  quarts 
de  sa  valeur  et  de  sa  force,  et  la  totalité  de  son  action.  Je  nous  vois  ici, 
désorientés,  ahuris,   démoralisés,   conscients  de  notre  impuissance, 


GEORGE   SAND  a*? 

morts,  oui  morts,  car  nous  ne  vivons  plus  de  la  vie  politique,  depuis 
que  nous  sommes  détachés  de  l'arbre,  arrachés  du  sol.  C'est  un  de 
mes  tourments,  et  le  plus  intolĂ©rable  peut-ĂȘtre,  que  le  spectacle  de 
cette  insouciance  des  bannis,  de  cet  abandonnement  d'eux-mĂȘmes.  Je 
ne  leur  en  veux  pourtant  pas,  leur  apathie  est  iorcée,  fatale.  On  n'a 
plus  d'ardeur  pour  la  lutte,  quand  il  n'y  a  plus  de  danger  en  perspec- 
tive. Le  nerf  des  hommes  dans  notre  position,  c'est  le  péril.  Ici,  la 
sûreté,  la  biÚre,  l'oisiveté  seront  mortelles  à  nos  anus.  Je  dis,  moi, 
qu'il  faut  rentrer  si,  pour  des  motifs  que  je  ne  veux  pas  examiner,  on 
nous  ouvre  la  frontiÚre  de  France.  Je  ne  considérerai  point  comme 
une  faiblesse,  mĂȘme  Bonaparte  rĂ©gnant,  le  retour  au  pays,  non  pas 
pour  accepter  son  usurpation  ou  pour  la  subir,  mais  le  retour  Ă   la 
lutte,  au  péril,  à  l'énergie  qu'il  donne,  aux  dévouements  qu'il  inspire. 
On  dit  que  nous  ne  serons  pas  en  sécurité  dans  une  caverne  de  bandits. 
Je  le  sais  bien  et  je  dis  que  c'est  précisément  à  cause  de  cela  qu'il  faut 
rentrer.  Notre  absence  n'enseigne  rien  au  pays.  Vingt  ans  d'exil  et  de 
souffrance,  vingt  ans  de  misÚre  et  de  résignation  n'avanceront  pas 
d'un  seul  jour  la  restauration  républicaine.  Notre  présence  au  pays  sera 
une  protestation  vivante  contre  le  crime. 

On  craint  que  l'amnistie  ne  popularise  Bonaparte.  Cet  acte  ne  lui 
donnera  que  la  force  qu'il  a  et  ne  changera  rien  aux  conditions  de  sa 
faiblesse.  Les  niais  et  les  fripons  sont  Ă   lui  quand  mĂȘme.  Les  hommes 
de  cƓur  ne  cesseront  pas  de  le  dĂ©tester  pour  son  masque  de  gĂ©nĂ©rositĂ© 
et  de  clémence,  et  toute  colÚre  qui  désarmera  devant  cette  hypocrisie 
grossiÚre  n'est  ni  vigoureuse  ni  bien  trempée. 

Insistez  donc  pour  une  rentrée  en  masse  des  bannis.  Les  mÚres,  les 
femmes,  les  enfants  vous  béniront.  C'est  beaucoup  déjà  ;  mais  je  vous 
le  jure,  moi  qui  observe,  vous  aurez  servi  indirectement,  mais  efficace- 
ment la  cause  républicaine  ;  je  m'entends  et  me  comprends. 

Je  ne  veux  pas  clore  ce  cahier  sans  vous  parler  un  peu  de  l'homme 
dont  je  suis,  selon  votre  dire,  l'ennemi  trĂšs  personnel.  Ce  n'est  pas 
pour  l'invectiver,  de  vous  Ă   moi.  Non,  je  n'aime  pas  ce  journalisme 
manuscrit  et  Ă   huis  clos.  Mais  j'ai  cru  remarquer  que  vous  n'aviez  pas 
une  trĂšs  mauvaise  opinion  de  cet  homme-lĂ .  Je  crois  qu'en  retour  des 
prétendues  grùces  qu'il  vous  accorde,  vous  ne  vous  croyiez  obligée  de 
‱penser  et  de  dire  du  bien  de  lui.  Puisque  vous  avez  pris  la  rĂ©solution 
de  ne  point  l'attaquer  de  votre  plume,  sachez  que  la  magnanimité  de 
votre  silence  suffit  à  elle  seule  pour  vous  libérer  envers  lui.  Votre  neu- 
tralité, mais  c'est  une  chose  énorme  que  vous  lui  donnez.  De  grùce, 
madame,  ne  poussez  pas  plus  loin  le  sacrifice.  Rien  ne  vous  impose  le 
devoir  de  l'estimer  et  de  l'admirer.  Gardez  pour  de  meilleurs  que  lui 
vos  affections  et  vos  enthousiasmes,  trésors  si  précieux  pour  qui  vous 
sait.  Jugez-le  moins  par  votre  imagination,  c'est  toujours  la  folle  du 


22S  GEORGE    SAND 

logis.  Vous  ĂȘtes  trop  honnĂȘte  pour  ĂȘtre  dĂ©fiante,  mais  vous  verrez 
qu'il  vous  trompera,  vous,  comme  il  a  trompé  les  hommes  et  Dieu.  Je 
n'aime  pas  vous  entendre  dire  qu'il  est  chevaleresque,  je  l'aime  d'au- 
tant moins  que  vous  le  pensez.  Vous  vous  laisserez  donc  toujours 
capter  par  l'hypocrisie.  Non,  sous  ce  flegme,  qui  n'est  pas  français,  il 
n'y  a  rien  d'honnĂȘte  ni  de  grand.  Que  votre  soif  de  rĂ©formes  et  vos 
aspirations  vers  le  rĂšgne  de  la  justice  n'altĂšrent  point  votre  jugement 
d'habitude  sûr  et  sain.  Ne  vous  laissez  donc  pas  prendre  aux  promesses 
monosyllabiques  de  l'empereur  socialiste.  Vous  saurez  me  dire  un  jour 
ce  que  c'est  que  le  socialisme  pour  ce  cerveau  plat  et  ce  cƓur  sec.  Son 
socialisme,  à  lui,  ne  créera  rien,  soyez-en  d'avance  bien  certaine.  J'en 
sais  assez  maintenant  pour  deviner  le  reste.  H  veut  constituer  la  féoda- 
lité des  hauts  traitements  et  dominer  par  les  grands  vassaux  du  salaire 
et  la  bourgeoisie  et  le  peuple.  Il  ne  veut  pas  une  existence  indépendante 
dans  l'État,  et  pour  assujettir  tout  le  monde,  il  donnerait,  s'il  le  pou- 
vait, solde  et  paye  Ă   tout  le  monde.  L'affaire  des  costumes  n'est  pas 
une  fantaisie  de  maniaque.  H  y  a  tout  un  systĂšme  social  :  il  commence 
par  broder  les  fonctionnaires  sur  toutes  les  coutures,  pour  arriver  de 
classe  en  classe  à  donner  une  livrée  à  la  nation. 

Il  en  viendra,  si  le  temps  et  notre  pusillanimité  le  permettent,  à 
réglementer  toute  chose,  à  embrigader  toute  personne.  Il  fera  de  la 
France  une  caserne.  Il  tuera  toutes  les  activités,  comme  il  a  scellé 
toutes  les  bouches.  Quiconque  n'emboĂźtera  point  le  pas  sera  un  fort 
mauvais  citoyen.  Toutes  les  servitudes  du  communisme  avec  toutes 
les  inégalités  sociales  du  présent,  voilà  ce  quïl  donnera  au  pays.  Avec 
le  bonheur  du  peuple  pour  prétexte,  il  tuera  toute  vertu  comme  rebelle 
et  tout  génie  comme  factieux.  Il  faudra  que  tout  le  monde  rentre 
dans  le  rang.  Il  nous  alignera  bien  plus  pour  abaisser  les  tĂȘtes  trop 
hautes  que  pour  niveler  les  ventres  trop  nourris.  H  respectera  tous  les 
intĂ©rĂȘts  pour  avoir  le  droit  de  poursuivre  toute  noblesse  de  cƓur  et 
toute  indépendance  d'esprit.  Il  ne  lui  faudra  que  des  affranchis  pour 
le  servir  et  des  esclaves  pour  le  saluer.  Il  n'aime  pas  plus  le  peuple  que 
les  Césars  n'aimaient  la  plÚbe.  Croyez-vous  que  c'était  par  dévoue- 
ment Ă   la  multitude  que  les  empereurs  Ă©gorgeaient  les  patriciens?  Ce 
n'est  pas  l'aristocratie  capitaliste  qu'il  menace  et  qu'il  veut  détruire, 
c'est  bien  plus  à  la  supériorité  de  l'intelligence  qu'il  en  veut.  Je  vois  à 
cette  heure  et  je  prends  en  horreur  la  souveraineté  de  son  but,  D  m'a 
fallu  l'expérience  du  temps  présent  pour  bien  comprendre  la  fin  abo- 
minable que  poursuivaient  les  CĂ©sars  d'autrefois  et  par  les  tristes 
rĂ©sultats  qu'ils  obtinrent  je  touche  dĂ©jĂ   de  l'Ɠil  le  terme  oĂč  celui-ci 
nous  mÚne.  Je  saisis  maintenant  la  vérité  profonde  de  ces  deux  mots 
de  Tacite  :  magna  ingénia  et  virtutes  cessere.  Tournez  la  phrase  au  futur 
et  vous  aurez  l'avenir  que  cet  homme  nous  prépare.  Je  le  crois  capable 


GEORGE   SAND  229 

de  renouveler  les  plus  mauvais  jours  de  l'empire  romain  et  les  scĂšnes 
lugubres  et  contemporaines  de  la  Galicie.  Au  besoin,  il  lancera  les  pay- 
sans contre  les  prolétaires.  Mais  il  ne  sortira  rien  de  cette  jacquerie 
napoléonienne.  Tout  son  socialisme  se  résumera  ainsi.  Distribuer  le 
donativum  aux  légionnaires  et  le  congiarium  à  la  lie  des  faubourgs.  Est- 
ce  lĂ ,  madame,  la  sociĂ©tĂ©  nouvelle  que  votre  intelligence  rĂȘve  et  que 
votre  cƓur  appelle  de  ses  vƓux?  Je  vous  en  supplie,  madame,  n'ayez 
pas  foi  dans  ce  Messie.  N'ayez  pas  de  culte  pour  cette  Providence 
aventuriĂšre.  Vous  vous  souilleriez  dans  l'idolĂątrie. 

Pardonnez-moi  les  longueurs  de  cette  lettre.  Faites-moi  rester  Ă  
Bruxelles.  Continuez-moi  plus  que  jamais  aide  et  protection.  Arrachez 
l'amnistie  Ă   la  politique.  TĂąchez  de  faire  rentrer  les  proscrits.  Ne  faites 
pas  de  mal  Ă   cet  homme,  mais  gardez-vous  d'en  penser  du  bien. 

A  vous  de  cƓur. 

Marc  Dufraisse. 

Rue  Saint-Lazare,  n°  35,  prÚs  la  porte  de  Cologne. 

George  Sand  traça  de  sa  bonne  grosse  écriture,  à  l'encre  bleue, 
au  bas  de  cette  lettre  :  «  Non,  mon  cher  ami,  je  suis  plus  loyale 
que  vous.  —  G.  S.  »  Et  le  lecteur  qui  n'a  pas  le  temps  d'oublier, 
comme  M.  Dufraisse  sembla  l'avoir  fait,  l'histoire  de  son  Ă©largis- 
sement par  ce  mĂȘme  «  homme  »  que  Mme  Sand  devait  «  ne  pas 
croire  chevaleresque...  »  aprĂšs  l'avoir  vu  libĂ©rer  ce  mĂȘme  M.  Du- 
fraisse, dÚs  qu'elle  le  lui  eut  déclaré  comme  son  ennemi  personnel, 
le  lecteur,  croyons-nous,  trouvera  ample  matiÚre  à  réflexion  dans 
cette  longue  missive  si  classiquement  rouge,  et  dans  cette  brĂšve 
sentence  bleue. 

Voici  maintenant  une  lettre  collective  que  les  détenus  de 
ChĂąteauroux,  avant  de  se  disperser,  Ă©crivirent  Ă   Mme  Sand 
lorsqu'ils  apprirent  ses  dĂ©marches  pour  eux  ;  il  existait  —  on  le 
voit  —  des  gens  capables  de  condamner  George  Sand  pour  cette 
activité  pleine  d'abnégation  et  de  sacrifice.  Cette  lettre  fut 
envoyĂ©e  Ă   Nohant  au  moment  oĂč  Mme  Sand  sĂ©journait  encore 
à  Paris  ;  on  a  écrit  (c'est  M.  Aulard)  sur  l'enveloppe  :  «  A  con- 
server pour  remettre  à  Mme  Sand  à  son  retour.  »  Emile  Aucante 
lui  annonçait  déjà  dans  sa  lettre  du  15  février,  datée  de  la  prison, 
que  tous  ses  eo-détenus  voulaient  lui  écrire  use  lettre  «  pour 
rendre  hommage  à  son  courage  et  à  son  dévouement  »,  et  Ernest 


230  GEORGE    SÀND 

PĂ©rigois,  vers  cette  mĂȘme  Ă©poque,  lui  faisait  savoir  que  cette 
lettre  par  laquelle  ses  compagnons  de  prison  lui  exprimaient 
<(  leur  collective  admiration  et  respectueuse  gratitude  »  était  àÚjk 
écrite.  «  Cette  lettre,  dit-il,  est  en  lieu  sûr  et  ne  sera  remise  qu'à 
vous-mĂȘme  et  en  temps  utile,  en  raison  de  la  libertĂ©  actuelle  des 
opinions  et  des  consciences  »,  mais  il  voulait  que  Mme  Sand  sût 
d'avance  qu'il  «  suffisait  à  nos  amis  de  connaßtre  que  votre  solli- 
citude généreuse  n'était  pas  restée  inactive.  Ce  n'est  jamais  dans 
notre  Berry  démocratique  qu'on  parviendra  à  atténuer  par  les 
calomnies  la  vénération  profonde  qui  s'attache  moins  à  votre 
talent  qu'Ă   la  noblesse  de  cƓur  qui  l'inspire  »... 

24  février  1852. 
Prison  de  ChĂąteauroux. 

Madame, 

Les  démocrates  détenus  de  l'Indre  ont  appris  dans  leur  prison  les 
démarches  faites  par  vous  pour  leur  obtenir  justice  et  quel  motif  pur, 
spontanĂ©,  gĂ©nĂ©reux  avait  dictĂ©  ces  dĂ©marches  !  Quel  qu'en  puisse  ĂȘtre 
le  résultat,  ils  ont  voulu,  avant  de  se  séparer,  vous  adresser  l'hommage 
collectif  de  leur  gratitude.  Ils  ont  tenu  Ă   vous  dire  qu'il  leur  serait 
doux  de  devoir  Ă   une  intervention  comme  la  vĂŽtre  la  cessation  des 
souffrances  imméritées  qui  pÚsent  sur  leurs  familles  et  sur  eux.  Ils 
savent,  en  effet,  qu'ainsi  il  n'en  coûtera  rien  ni  à  leur  dignité,  ni  à  l'in- 
tégrité de  la  cause  pour  laquelle  ils  s'honorent  de  souffrir,  en  attendant 
que  son  triomphe  profite  Ă   la  sainte  patrie  qui  a  toujours  droit  au 
dévouement  entier  et  désintéressé  de  tous  ses  enfants.  Vive  la  Képu- 
blique  quand  mĂȘme  ! 

Beucher-Defaxt,    J.-B.    Lumet, 

Salle     Lucas,     E.     PĂ©rigois, 

J.-A.  Amouroux,  Coxfoilaxt 

D.-M.,  L.  Laperrixe,  Lebert, 

Mathieu    Moreau,     LeliĂšvre, 

Jamet,    Chatelaix    Fromext, 

Clavelot,     C.     Fromexteau, 

J.-B.  Defressixe,  Caxuet,  av. 

fie,  Girault  D.-M.,  Th.  Rei- 

gxer,    Emile    Aucaxte,    Alex. 

Lambert,  P.  Rossigxol. 

H  a  été  matériellement  impossible,  en  raison  de  la  difficulté  des  com- 
munications, de  présenter  la  lettre  aux  autres  détenus. 


GEORGE   SAXO  .  231 

>Test-il  pas  curieux,  aussi,  que  dans  un  seul  et  mĂȘme  amas  de 
paperasses,  cÎte  à  cÎte  avec  les  lettres  de  «  l'ouvrier  typographe  » 
Tremblay  (qui  annonçait  à  Mme  Sand  la  maladie  et  la  mort  de 
Mme  Pauline  Roland  exilée),  avec  celles  du  vigneron  Lumet, 
celles  de  Patureau-FrancƓur  —  rĂ©publicain  connu  et  simple 
vigneron  aussi,  —  ces  derniĂšres  Ă©crites  sans  aucune  espĂšee  d'or- 
tliographe,  mais  dans  une  langue  trÚs  pure  et  témoignant  d'une 
grande  élévation  morale,  d'une  culture  et  d'une  profondeur 
d'esprit  exceptionnelles,  —  cîte  à  cîte  avec  ces  lettres  nous 
trouvons,  disions-nous,  des  lettres  du  comte  d'Orsay  toutes 
imprégnées  de  la  désinvolture  la  plus  élégante,  la  plus  mondaine, 
la  plus  parfaite  qui  soit. 

Et  tous  ces  correspondants  que  disent-ils,  tous?  Varbiter  ele- 
gantiarum  londonien,  comme  l'humble  prolétaire,  cet  intransi- 
geant républicain  Dufraisse,  comme  le  paisible  et  fin  compagnon 
de  la  jeunesse  de  Nohant,  —  tous  ils  s'empressent  de  dire  à 
Mme  Sand  :  «  Je  suis  heureux  de  m'appeler  votre  ami.  Vous  ĂȘtes 
une  grande  ñme,  un  grand  cƓur,  je  me  prosterne  devant  vous 
comme  devant  une  divinité...  » 

3  mai  52. 
ChĂšre  madame  Sand, 

Un  quart  d'heure  aprÚs  que  j'ai  reçu  votre  lettre  Louis-Napoléon 
avait  entre  ses  mains  celle  que  vous  lui  aviez  adressée.  Son  huissier 
de  la  chambre,  domestique  confidentiel,  Ă©tait  le  mien  anciennement, 
et  par  ce  moyen  mes  lettres  sont  toujours  remises  Ă   la  minute.  J'ai 
aussi  mis  en  campagne  NapolĂ©on  qui  est  prĂȘt  Ă   agir  comme  arriĂšre- 
garde,  si  vous  ne  recevez  pas  de  réponse.  Donc,  tenez-moi  au  courant 
et  n'ayez  aucune  crainte  à  l'égard  de  votre  protégé.  Tout  ce  que  vous 
me  dites  de  Lambert  je  l'avais  deviné  par  instinct.  Ah!  mon  Dieu, 
que  vous  avez  raison  de  dire  qu'il  n'y  a  que  les  belles  natures  qui  savent 
accepter  ce  qui  vient  du  cƓur,  sans  en  ĂȘtre  gĂȘnĂ©. 

J'ai  revu  notre  fou  (1)  qui  avait  oublié  cent  fois  en  route  tout  ce  qu'il 
vous  a  promis.  Le  fond  de  l'affaire  c'est  qu'il  aime  trop  sa  femme  et  qu'il 
ne  peut  se  résigner,  étant  sobre,  à  une  séparation.  J'espÚre  pourtant 
qu'il  va  s'accoutumer  à  sa  vie  de  célibataire,  car  si  par  hasard,  il- 
se  remettaient  ensemble,  la  brouille  recommencerait  dans  quinze  jours. 

J'accepte  votre  dédicace  sous  toutes  les  formes,  et  plus  c'est  long, 

(1)  Clésinger,  mari  de  Solange,  la  fille  de  Mme  Sand. 


232  GEORGE   SAXD 

plus  j'en  profite.  Je  suis  heureux  d'aller  à  la  postérité  avec  vous.  Adieu 
pour  le  moment. 

Votre  ami  affectionné. 

d'Orsay. 

Écrivez-moi  si  vous  avez  reçu  une  rĂ©ponse  de  L.-N. 

Lundi. 
ChĂšre  madame  Sand, 

Imaginez  comme  j'ai  été  heureux  lorsque  Lambert  (1)  m'a  apporté 
votre  lettre,  car  je  venais  d'écrire  à  Napoléon  (2)  pour  aller  attaquer  son 
cousin  (car  ils  sont  réconciliés),  il  a  donc  fallu  envoyer  chez  lui  pour  lui 
économiser  cette  campagne.  Il  est  venu  chez  moi;  je  lui  ai  montré 
votre  lettre,  il  est  charmé  que  vous  soyez  satisfaite.  Ne  vous  donnez 
pas  la  peine  de  remercier,  je  dois  voir  L.  N.  dans  quelques  jours  ;  je 
lui  dirai  ce  qu'il  faudra  lui  dire  de  votre  part,  ni  plus  ni  moins.  Il  paraĂźt 
que  votre  fille  est  à  Besançon  et  que  son  mari  a  suivi  le  mouvement. 

Je  suis  trÚs  curieux  d'apprendre  le  résultat  de  ce  carambolage.  Je 
suis  bien  aise  que  mon  roman  soit  fini  ;  j'espĂšre  que  vous  n'oubliez 
pas  de  dire  dans  la  préface  que  vous  m'aimez.  Je  tiens  essentiellement 
Ă   cela,  car  il  y  a  bien  longtemps  que  j'ai  dit  Ă   Liszt  et  Ă   Sue  que  j'Ă©tais 
convaincu  que  nous  serions  un  jour  grands  amis.  J'avais  vos  gravures 
chez  moi  et  j'étais  pétri  de  l'instinct  de  notre  amitié. 

Votre  affectionné, 

d'Orsay. 

Mes  amitiés  à  Manceau. 

Mercredi. 

Un  mot  au  galop,  chÚre  madame  Sand,  j'ai  envoyé  votre  lettre  pour 
Louis-Napoléon.  C'est  à  son  tour  cette  fois,  car  hier  j'ai  dû  écrire  au 
président  pour  un  malheureux  bon  compÚre  du  Midi  qu'on  allait  empa- 
queter. Donc  il  ne  fallait  pas  trop  Ă©peronner  toujours  du  mĂȘme  cĂŽtĂ©. 
Je  suis  beaucoup  mieux  et  nous  avons  trÚs  bien  dßné  ici,  Emile  (3) 
heureux  tout  le  temps  d'avoir  Ă   me  lire  pour  le  dessert  votre  admirable 
lettre.  Cabarus  en  Ă©tait,  comme  moi,  dans  l'enthousiasme,  ainsi  que 
les  niĂšces  de  lady  Bles6ington  (4)  dont  une  a  traduit  la  Mare  au  diable. 

(1)  EugĂšne  Lambert. 

(2)  C'est-à-dire  le  prince  Napoléon-JérÎme. 

(3)  Emile  Ollivier. 

(4)  La  célÚbre  amie  de  d'Orsay,  lady  Blessington,  fut  en  son  temps  une 
beauté  remarquable  et  une  élégante  de  haute  lice,  puis  la  premiÚre  éditrice 
des  «  keepsakes  »  et  d'albums  de  beauties.  Elle  fit  un  livre  sur  Byron  qu'elle 
avait  beaucoup  connu  et  écrivit  quelques  romans  médiocres.  Son  salon,  tant 
en  France  qu'en  Angleterre,  était  des  plus  brillants.  Elle  ne  survécut  pas  à 
sa  ruine,  ne  put  se  consoler  de  vieillir  et  mourut  en  1849  subitement,  —  -en 
présume  que  ce  fut  un  suicide. 


GEORGE   SAND  233 

Vous  ĂȘtes  une  trĂšs  chĂšre  femme  indĂ©pendamment  d'ĂȘtre  le  premier 
homme  de  notre  temps,  et  vous  savez  comme  je  suis  sincĂšre. 

Clésinger,  grand  exploiteur,  a  exploité  le  lit  de  mort  de  son  pÚre,  peut- 
ĂȘtre  cela  portera-t-il  bonheur  Ă   votre  fille.  J'en  doute.  Mais  enfin 
essayons.  Nous  avons  un  levier  pour  agir  sur  lui  maintenant,  mais  il 
faut  que  Solange  y  mette  du  sien  ! 

Je  l'attends  avec  impatience,  car  je  vais  tout  essayer  pour  leur  maca- 
damiser un  avenir  moins  cahotant. 

Votre  affectionné, 

d'Orsay. 
Amitiés  à  Manceau. 

Mais  comme  il  arrive  toujours  en  ce  bas  monde,  cette  activité 
altruiste  de  Mme  Sand  et  ses  relations  avec  Louis-Napoléon  furent 
autant  exploitées  par  les  bonapartistes  que  décriées  par  les  répu- 
blicains. Déjà  en  décembre  1848,  George  Sand  dut  protester 
contre  l'abus  fait  de  sa  lettre  de  1844  à  Napoléon,  qui  avait  été 
imprimée  sans  sa  permission  dans  un  almanach  et  deux  pla- 
quettes en  but  de  propagande  bonapartiste  (1).  Elle  réclama 
contre  ce  procédé  dans  le  journal  de  Proudhon,  le  Peuple,  et 
elle  eut  parfaitement  raison  de  le  faire,  car  elle  avait  Ă©crit  sa 
lettre  au  prince  au  moment  oĂč  il  avait  Ă©tĂ©  un  vaincu,  or,  George 
Sand  prit  toujours  parti  pour  les  vaincus,  les  opprimés,  contre 
les  oppresseurs  de  tous  les  partis  vainqueurs.  C'est  pour  cette 
mĂȘme  raison  qu'elle  protesta  encore,  en  1852,  contre  l'impression 
dans  le  Journal  de  la  cour  (qui  n'eut  qu'un  numéro)  et  la  réim- 
pression dans  V Indépendance  belge,  V Estafette,  le  Journal  du 
Cher  et  autres  feuilles  locales,  de  sa  lettre  Ă   M.  de  Persigny,  que 
nous  avons  citée  plus  haut. 

L'impression  de  cette  lettre  était  accompagnée  de  quelques 
lignes  racontant  qu'aprĂšs  son  mariage  M.  de  Persigny,  durant 
son  voyage  de  noce,  avait  reçu  des  quantités  de  lettres  de 
demandes  qu'il  avait  fidÚlement  transmises  à  Napoléon  ;  la  rédac- 
tion supposait  que  ses  lecteurs  lui  pardonneraient  une  indiscrétion 
qui  leur  permettrait  de  lire  une  lettre  «  faisant  honneur  à  la  main 
illustre  qui  l'a  écrite  et  à  la  main  généreuse  qui  l'a  ouverte...  », 

(1)  Voir  plus  haut,  p.  158. 


234  GEORGE   SAND 

et  T article  se  terminait  par  ces  mots  :  «  Cette  noble  et  simple 
épßtre  a  été  couronnée  de  succÚs.  Elle  est  un  peu  ancienne,  mais 
elle  prouve  qu'avant  d'ĂȘtre  ministre  M.  de  Persigny  pensait  dĂ©jĂ  
que  la  clémence  est  de  la  bonne  politique  ;  elle  démontre  également 
que  les  relations  du  célÚbre  écrivain  avec  l'Elysée  remontent  un 
peu  plus  haut.  Tant  mieux  puisqu'elles  ont  eu  de  ces  bons 
résultats...  » 

George  Sand  s'adressa  au  journal  la  Presse,  et  voici  ce  que  nous 
Usons  dans  son  numéro  du  21  juin  1852  : 

«  Nous  publions  un  extrait  d'une  lettre  qui  nous  est  personnel- 
lement adressée  par  Mme  Sand,  mais  nous  ne  le  faisons  pas  sans 
son  autorisation,  condition  qui  nous  parait  toujours  imposée  par 
les  convenances  et  la  délicatesse,  surtout  quand  il  s'agit  d'une 
femme  : 

L'Estafette  reproduit  un  extrait  de  V Indépendance  belge  dont  on 
m'envoie  une  copie.  Ou  cette  copie  est  inexacte,  ou  celle  de  la  lettre 
signée  par  moi  qu'on  a  envoyée  à  T Indépendance  belge  est  infidÚle.  Je 
n'ai  pu  Ă©crire  Ă   M.  de  Persigny  le  3  janvier  1852  pour  lui  demander 
l'Ă©largissement  de  personnes  qui  n'ont  Ă©tĂ©  arrĂȘtĂ©es  ou  poursuivies  que 
le  15  janvier  1852,  et  je  n"ai  eu  de  relations  avec  M.  de  Persigny 
avant  son  ministÚre,  que  dans  un  temps  déjà  trÚs  éloigné,  il  y  a  plus 
de  quinze  ans.  Il  est  sans  importance  de  réclamer  contre  les  autres 
inexactitudes  de  cette  publication.  Je  ne  comprends^  pas  celle  qu'on 
attache  à  supposer  que  j'ai  eu  des  relations  avec  l'Elysée  avant  les 
événements  politiques  dont  mes  anus  ont  été  victimes.  S'il  y  a  dans 
cette  supposition  une  intention  bienveillante  ou  désobligeante  pour 
moi,  je  l'ignore  et  peu  importe.  Mais  je  dois  à  la  vérité  de  dire  que  mes 
relations  avec  le  prince  Louis-Napoléon  datent  du  temps  de  sa  capti- 
vité et  n'ont  été  renouées  qu'aprÚs  le  15  janvier  1852  dans  un  but  dont 
je  ne  descendrai  vis-Ă -vis  de  personne  Ă   me  justifier.  Je  n'ai  malheu- 
reusement pas  obtenu  tout  ce  que  je  demandais  pour  des  familles  déso- 
lées, mais  je  n'accuse  de  mon  impuissance  jusqu'à  ce  jour  ni  le  président 
de  la  ^République  dont  les  promesses  me  laissent  encore  de  l'espérance, 
ni  M.  de  Persigny  aux  équitables  intentions  duquel  V Indépendance 
belge  a  raison  de  rendre  toute  justice. 

George  Saxd. 

H  est  Ă©vident  que  George  Sand  ne  voulait  pas,  d'une  paĂźt, 
ĂȘtre  enrĂ©gimentĂ©e  parmi  les  «  amis  »  du  parti  vainqueur  ;  d'autre 


GEORGE   SAND  235 

part,  elle  craignait  de  mécontenter  ses  vrais  amis,  pour  lesquels 
elle  intercédait.  Les  «  inexactitudes  »  que  nous  pouvons  signaler 
dans  cette  lettre  sont  celles-ci.  D'abord,  quoiqu'il  soit  vrai  que 
depuis  quinze  ans  elle  n'ait  eu  de  relations  suivies  avec  M.  de 
Persigny.,  —  dont  elle  fit  la  connaissance  en  1835  par  Mme  Ro- 
zane  Bourgoing,  —  nous  n'en  voyons  pas  moins  par  ses  lettres 
à  René  de  Villeneuve  qu'elle  avait  reçu  chez  elle  «  Fialin  de  Per- 
signy quand  il  conspirait  contre  le  prince  »  (1). 

2°  Ses  relations  avec  le  prince  ne  «  dataient  pas  du  temps  de 
sa  captivité  »  de  Ham,  car  dans  sa  premiÚre  lettre,  là-bas  adressée, 
elle  le  remerciait  déjà  pour  «  son  bon  souvenir  ». 

3°  Si  M.  de  Persigny  n'était  point  encore  ministre  avant  le 
15  janvier,  il  est  évident  qu'il  était  déjà  un  personnage  omnipo- 
tent et  c'est  pour  cela  qu'elle  s'adressa  Ă   lui  non  seulement  poul- 
ies «  familles  désolées  »,  mais  encore  pour  rendre  un  service 
direct  Ă   «  son  maire  »,  M.  Aulard.  De  mĂȘme,  elle  contribua  Ă   faire 
nommer  le  fils  du  vieux  procureur  Daiguzon  —  de  celui  qui  avait 
prononcé  les  «  conclusions  »  lors  de  son  procÚs  avec  M.  Dudevant 
en  1836,  —  substitut  de  procureur  à  La  Chñtre  (comme  nous  le 
voyons  par  une  lettre  de  remerciements  qui  lui  fut  adressée  par 
Daiguzon  pÚre).  Elle  prit  aussi  sous  ses  auspices...  le  préfet  de 
l'Indre,  des  «  auspices  peu  propices  »,  car  quoiqu'elle  dise  dans 
sa  lettre  à  M.  Maupas  qu'elle  «  ne  nommerait  personne  »  parmi 
les  trop  fervents  représentants  locaux  du  pouvoir,  elle  n'en  réussit 
pas  moins  à  si  bien  esquisser  le  portrait  du  «  Grand  Lama  »  du 
pays  que  M.  de  Persigny  ne  tarda  pas  Ă   l'appeler  «  bĂȘte  »  et 
«  animal  ». 

4°  Lumet,  ainsi  que  Fulbert  Martin  et  Alexandre  Lambert 
—  nommĂ©  par  le  Journal  de  la  Cour,  —  furent  arrĂȘtĂ©s  avant  le 
15  janvier.  Mme  Sand  avait  déjà  entendu  parler  de  l'arrestation 
de  Lumet  le  6  décembre  (2).  Martin  était  détenu  depuis  le  21  dé- 
cembre (3).  Donc,  George  Sand  avait  bien  pu  faire  des  démarches 


(1)  Voir  plus  haut,  p.  178. 

(2)  Journal  de  1851,  samedi,  6  décembre. 

(3)  Lettre  inédite  de  Fulbert  Martin  à  Bocage,  datée  du  11  février  1852 
du  fort  de  BicĂȘtre. 


236  GEORGE    SAND 

avant  le  15  janvier,  car  trois  de  ses  amis  pour  lesquels  elle  inter- 
cĂ©da auprĂšs  de  Persigny  Ă©taient  dĂ©jĂ   poursuivis  et  arrĂȘtĂ©s,  et 
beaucoup  d'autres  de  mĂȘme. 

5°  Comme  nous  l'avons  vu,  entre  le  22  janvier  et  le  27  juin 
George  Sand  s'était  adressée  à  M.  de  Persigny  non  seulement  le 
31  janvier  et  le  3  février,  mais  plusieurs  fois,  tant  par  lettre  que 
de  vive  voix. 

Enfin,  depuis  le  22  janvier  et  jusqu'au  21  juin  beaucoup  de 
ses  demandes  furent  exaucées.  Donc,  elle  aurait  pu,  dans  sa  pro- 
testation, parler  non  seulement  d'une  «  espérance  »  qui  lui  res- 
tait, mais  bien  des  résultats  trÚs  réels  et  palpables  de  ses 
démarches.  Dans  le  Journal  de  la  Cour  il  n'y  avait  d'erroné 
que  la  date  du  3  janvier,  mise  au  lieu  du  3  fĂ©vrier,  —  et  puis 
encore  Alexandre  Lambert  y  est  nommé  «  Alph.  Lambert  », 
mais  cela  avait  bien  pu  ĂȘtre  une  simple  erreur  du  prote  ou  du 
copiste.  Somme  toute,  George  Sand  aurait  bien  pu  ne  pas  réclamer 
contre  l'impression  de  cette  lettre,  et  il  nous  semble  mĂȘme  qu'elle 
fit,  en  protestant,  preuve  d'une  certaine  faiblesse.  Elle  craignit 
que  sa  défense  de  ses  amis  fût  mal  interprétée  par  leurs  ennemis 
politiques,  les  républicains  intransigeants,  estimant  de  pareilles 
démarches  humiliantes.  Alors  elle  préféra  s'en  prendre  aux 
mots  et  mĂȘme  nier  la  durĂ©e  de  ses  rapports  avec  NapolĂ©on  et  son 
ministre. 

Elle  rachĂšte  cette  faiblesse  en  racontant  sincĂšrement  et  honnĂȘ- 
tement à  ses  amis  les  procédés  courtois  de  Napoléon  et  de  M.  de 
Persigny  et  en  insérant  dans  l'Histoire  de  ma  vie  quelques  lignes 
établissant  que  dÚs  1835  elle  avait  apprécié  l'esprit  et  les  capa- 
cités extraordinaires  du  jeune  Fialin  de  Persigny,  et  en  ajoutant 
cette  réflexion  :  «  Je  n'avais  pas  trop  mal  deviné  (1).  » 

H  est  certain  cependant  que  plusieurs  républicains  blùmÚrent 
les  démarches  de  George  Sand.  Non  seulement  ils  n'approu- 
vÚrent pas  ses  généreux  efforts,  mais  ils  les  condamnÚrent  de 
vive  voix  et  par  écrit,  et  contribuÚrent  à  répandre  dans  la  presse 
étrangÚre  des  récits  trÚs  calomnieux  et  humiliants  sur  son  compte. 

(1)  Histoire  de  ma  vie,  t.  IV,  p.  313-315. 


GEORGK   SAND  337 

On  voit  par  les  lettres  de  PĂ©rigois  et  d'Aucante  Ă©crites  de  la 
prison  de  ChĂąteauroux,  et  par  les  lettres  de  Victor  Borie,  Etienne 
Arago  et  Marc  Dufraisse,  de  Bruxelles,  que  si  la  plupart  des  vic- 
times du  coup  d'État  acceptaient  son  aide  avec  gratitude  il  y  en 
avait  d'autres  parmi  eux  qui  la  jugeaient  brutalement,  tout  en 
profitant  de  son  secours,  et  qu'il  y  en  avait  mĂȘme  qui,  tout  en 
espérant  en  ses  bons  rapports  «  avec  l'Elysée  »  et  en  la  priant  de 
travailler  à  leur  retour  en  France,  lui  déclaraient  cyniquement 
qu'elle  rendrait  par  là  un  grand  service  à  la  cause  républicaine, 
car  de  loin  ils  ne  pouvaient  ĂȘtre  bons  Ă   rien,  et  une  fois  revenus 
dans  la  patrie  ils  pourraient  recommencer  leur  propagande 
secrĂšte. 
(Nous  avons  vu  comment  George  Sand  jugeait  ceux-lĂ   !) 
Mais  les  choses  allĂšrent  plus  loin  encore.  George  Sand  eut  Ă  
subir  l'Ă©loignement  et  le  refroidissement  de  certains  de  ses  amis 
les  plus  intimes  pour  avoir  plaidé  pour  eux.  Enfin,  il  se  trouve 
que  Quinet  fut  tellement  «  révolté  »  par  ses  généreux  efforts 
pour  sauver  des  innocents  de  la  déportation  et  de  la  détention 
que,  tout  bouillant  d'indignation,  il  cessa  d'aimer  mĂȘme  X auteur, 
et  que  tous  les  chefs-d'Ɠuvre  de  George  Sand,  si  admirĂ©s  jadis, 
lui  parurent  de  la  rhétorique  ne  soutenant  pas  une  seconde  lec- 
ture, depuis  qu'il  avait  appris  que  l'auteur,  «  chapeau  bas,  faisait 
antichambre  à  l'Elysée...  »  (1).  Voilà  les  «  beaux  sentiments  » 
rĂ©publicains  !  Us  dĂ©coiffent  mĂȘme  les  dames,  et  la  Mare  au  diable, 
Jeanne  et  Consuelo  n'ont  plus  aucune  valeur  parce  que  leur  créa- 
trice «  osa  s'abaisser  »  jusqu'à  pouvoir  faire  gracier  :  quatre  soldats 
condamnés  à  mort,  vingt-six  autres  personnes  menacées  de  dépor- 
tation ou  de  détention,  qu'elle  arracha  plusieurs  vies  au  néant 
et  plusieurs  familles  au  désespoir!  C'est  vraiment  révoltant, 
n'est-ce  pas? 

Ou  peut  donc  pardonner  à  George  Sand  sa  contrariété  de  voir 
sa  seconde  lettre  à  M.  de  Persigny  publiée  :  elle  savait  trop  de 
combien  d'esprit  et  de  cƓur  font  preuve  ses  vĂ©nĂ©rables  coreligion- 
naires, en  jugeant  les  choses  et  les  hommes. 

(1)  Edgard  Quinet  :  Lettres  d'exil. 


236  GEORGE   SAND 

Mais,  répétons-le,  la  plupart  des  ùmes  simples  acceptaient  son 
secours  en  la  bénissant,  et  son  nom  était  prononcé  au  milieu 
d'eux  avec  une  tendresse  toute  filiale.  Et  comme  cela  arrive  bien 
souvent,  plusieurs  devinrent  chers  Ă   George  Sand  parce  #w'elle 
avait  eu  Ă   endurer,  Ă   cause  d'eux,  tant  de  craintes,  tant  d'Ă©mo- 
tions, tant  de  soucis,  et  fait  pour  les  sauver  tant  de  démarches. 
Elle  devint  pour  la  plupart  non  plus  seulement  le  célÚbre  auteur 
admirĂ©,  mais  la  trĂšs  bonne,  l'in  Animent  intime,  la  sƓur,  la  parente 
adorĂ©e.  Et  peut-ĂȘtre  que  rien  ne  lia  tant  Mme  Sand  Ă   ses  amis 
berrichons,  proches  et  lointains,  et  Ă   tout  un  groupe  de  jeunes 
rĂ©publicains  ainsi  qu'Ă   leurs  familles  que  sa  façon  d'ĂȘtre  en  ces 
tristes  journées  et  plus  tard  encore.  C'est  ainsi  par  exemple  que, 
lors  des  poursuites  et  des  arrestations  aprĂšs  l'attentat  Orsini, 
elle  intercéda  pour  Lumet,  pour  Périgois  et  pour  Patureau- 
FrancƓur,  dont  l'un  dut  passer  de  longues  annĂ©es  d'exil  en  Bel- 
gique, en  Suisse  et  en  Italie  (1),  et  l'autre,  déjà  sauvé  une  fois, 
fut  de  nouveau  arrĂȘtĂ©,  «  martyrisĂ©  dans  un  cachot,  puis  envoyĂ© 
comme  un  ballot  dans  le  plus  rigoureux  exil,  Ă   Guelma  (2)...  Il 
resta  en  Afrique  jusqu'Ă   sa  mort  (3). 

George  Sand  n'eut  plus  d'entrevue  avec  Napoléon  III 
aprÚs  1852,  et  elle  ne  lui  écrivit  plus.  Mais  nous  avons  déjà  dit 
ailleurs  (4)  qu'elle  adressa  à  l'impératrice  Eugénie  (par  l'inter- 

(1)  Nous  avons  pu  Ăźire  toutes  les  lettres  Ă©crites  en  exil  par  M.  PĂ©rigois  Ă  
Mme  Sand,  ainsi  que  de  nouveaux  amas  de  correspondances  Ă   son  propos  et 
Ă   propos  de  Patureau  entre  Mme  Sand  et  Mil.  Pietri,  Delangle  et  autres. 

(2)  Correspondance,  t.  IV,  lettre  à  M.  Frédéric  Villot  du  4  septembre  1858. 
Voir  aussi  les  Nouvelles  lettres  d'un  voyageur,  les  Amis  disparus  :  Patureau- 
FrancƓur. 

(3)  En  1852  Patureau-FrancƓur  avait  dĂ»  ĂȘtre  arrĂȘtĂ©  en  mĂȘme  temps  que 
Lumet  et  les  autres  ;  mais  il  parvint  à  rester  caché  jusqu'à  ce  que  George 
Sand  eût  réussi  à  le  faire  gracier.  AprÚs  la  mort  de  Patureau,  qui  passa  ses 
derniÚres  années  à  Constantine,  Mme  Sand  raconta  dans  la  touchante  nécro- 
logie que  nous  venons  de  citer,  comment  il  se  cachait  pendant  vingt  jours 
dans  une  grange,  ne  sortant  que  la  nuit,  protégé  par  la  pitié  généreuse  et  le 
respect  des  berrichons  et  surtout  des  paysamies  berrichonnes.  Parmi  ses 
lettres  à  Mme  Sand  nous  en  avons  trouvé  une  écrite  de  cette  grange,  et  dans 
cette  lettre  un  mot  charmant  de  précision  :  Patureau  dit  entendre  tout  le 
temps  le  gazouillis  des  hirondelles  juste  au-dessus  de  sa  tĂȘte,  mais  ne  pas  les 
voir,  car  il  n'osait  point,  ne  fĂ»t-ce  une  seconde,  sortir  sa  tĂȘte  de  dessous  le 
toit  qui  le  protégeait. 

(4)  Dans  le  chapitre  sur  George  Sand  et  les  poÚtes  prolétaires  dans  notre 
vol.  III. 


GEORGE   SAND 


239 


médiaire  de  M.  Damas- Hinard)  une  demande  de  secours  en  faveur 
du  vieux  poÚte  Magu,  et  que  Timpératriee  lui  fit  immédiatement 
remettre  mille  francs  pour  qu'elle  en  fit  l'usage  le  meilleur  Ă   ses 
yeux,  soit  en  les  donnant  d'emblée  au  vieux  chansonnier,  soit  en 
lui  faisant  une  rente  mensuelle.  C'est  à  l'impératrice,  aussi,  que 
Mme  Sand  adressa  ses  pétitions  en  faveur  des  enfants  et  des 
petits-enfants  de  Marie  Dorval  —  les  Luguet  —  qui  mouraient 
presque  de  faim  (1),  et  en  faveur  du  vieux  marin,  «  le  pÚre  Qui- 
quisolles  »,  qu'elle  connut  par  Poney,  lors  de  son  voyage  dans  le 
Midi  en  1860.  Elle  intercéda  encore  en  1857  auprÚs  de  l'impéra- 
trice pour  faire  lever  la  suspension  de  la  Presse  survenue  Ă   la  suite 
d'un  article  d'Alphonse  Peyrat.  C'Ă©tait  aprĂšs  un  troisiĂšme  aver- 
tissement ;  les  deux  premiers  lui  avaient  été  attirés  par  la  publi- 
cation de  la  Daniella.  Or,  cette  suspension  laissait  un  millier 
d'ouvriers  sans  pain  et  c'est  au  nom  de  la  charité  envers  ces 
malheureux  innocents  que  George  Sand  fit  appel,  encore  une  fois, 
«  au  cƓur  maternel  »  de  Sa  MajestĂ©. 

Et  toutes  ces  demandes  non  seulement  ne  restĂšrent  jamais 
sans  réponse,  mais  encore  elles  furent  chaque  fois  le  prétexte  de 
maintes  amabilités  et  compliments  à  l'adresse  de  Mme  Sand  de 
la  part  de  l'impératrice. 

C'est  ainsi  qu'en  1861,  en  envoyant  h  Mme  Sand  une  somme 
d'argent  pour  le  pauvre  pĂšre  Quiquisolles  (mille  francs  encore), 
M.  Damas-Hinard  les  accompagnait  de  la  lettre  suivante  : 

SECRÉTARIAT 
DES  COMMANDEMENTS 

de  S.  M.  l'Impératrice. 

—  Parie,  le  11  mai  1861. 

ChĂšre  madame, 

Des  circonstances  tout  à  fait  indépendantes  de  ma  volonté,  ne 
m'ont  pas  permis  de  faire  savoir  plus  tÎt  à  l'impératrice  le  malheur 
du  brave  marin  le  PĂšre  Quiquisolles  ainsi  que  votre  charitable  inter- 
vention en  sa  faveur.  Enfin,  ce  matin  j'ai  pu  parler,  et  Sa  Majesté  a 
bien  voulu  me  charger  de  vous  adresser  la  somme  ci-jointe  (mille  francs), 

(1)  Correspondance,  t.  IV,  p.  11Q.  La  lettre  du  6  octobre  1857  A  S,  M.  Vlm- 
pĂ©ratrice  EugĂ©nie,  et  la  suivante,  Ă   la  mĂȘme,  du  30  octobre. 


24o  GEORGE   SAN'D 

qu'Elle  vous  prie  de  remettre  vous-mĂȘme  Ă   votre  protĂ©gĂ©.  Quel  dom- 
mage que  la  cassette  ne  se  soit  pas  trouvée  dans  un  état  plus  brillant  ! 
Je  crois  bien  que  le  pĂšre  Quiquisolles  n'aurait  plus  rien  Ă   regretter  de 
son  navire. 

Permettez-moi  maintenant,  chĂšre  madame,  si  cela  n'est  pas  trop 
indiscret  de  ma  part,  de  vous  soumettre  une  priÚre.  Je  désirerais  vive- 
ment  que  vous  eussiez  l'extrĂȘme  bontĂ©  de  nvenvoyer  un  mot  de  remer- 
ciement pour  l 'impératrice,  bien  entendu.  Quant  à  moi,  je  me  trouve 
remercié  d'avance  mille  et  mille  fois,  par  ce  précieux  témoignage  de 
votre  confiance  dont  je  vous  suis  on  ne  peut  plus  reconnaissant. 

Comme  vous  le  savez  sans  doute,  chĂšre  madame,  le  bruit  a  couru 
derniÚrement  que  vous  étiez  malade.  On  s'inquiétait.  Mais  en  vous 
lisant,  on  a  vu  que  vous  vous  portez  Ă   merveille,  et -tout  le  monde  est 
enchanté. 

Adieu,  chÚre  madame  ;  avec  l'expression  renouvelée  de  la  gratitude 
la  mieux  sentie,  daignez  agréer  l'hommage  de  mon  respectueux  dévoue- 
ment. 

Damas  Hinard. 

Que  dites-vous  d'une  souscription  que  vous  ouvririez  Ă   Marseille 
dans  l'intĂ©rĂȘt  du  pĂšre  Quiquisolles?  Il  me  semble  qu'un  appel  signĂ© 
George  Sand  serait  entendu  des  richards  les  plus  Ă©goĂŻstes  (1)  ! 

Lorsqu'en  1870  parut  le  roman  de  Malgrétout,  certaines  per- 
sonnes crurent  reconnaßtre  dans  l'aventuriÚre  qui  y  est  dépeinte 
le  portrait  de  l'impératrice  (2).  Napoléon  III  et  sa  femme  en 
furent  trĂšs  douloureusement  peines,  comme  on  le  voit  par  les 
lignes  que  Flaubert  adressa  Ă   Mme  Sand  le  17  mars  1870  : 

17  mars  1870. 
ChĂšre  maĂźtre, 

J'ai  reçu  hier  au  soir  un  télégramme  de  Mme  Cornu  portant  ces 
mots  :  «  Venez  chez  moi,  affaire  pressée.  »  Je  me  suis  donc  transporté 
chez  elle  aujourd'hui,  et  voici  l'histoire. 

L'impératrice  prétend  que  vous  avez  fait  à  sa  personne  des  allusions 


(1)  Cette  lettre  est  adressée  :  Madame,  Madame  George  Sand,  chez  M.  Charles 
Poney,  Ă   Toulon  (Var). 

(2)  Cette  opinion  fit  le  tour  de  la  presse  européenne  et  y  a  si  bien  pris 
racine  que  tout  derniĂšrement  encore  le  London  Telegraph  en  parlait  comme 
d'un  fait  avéré. 


GEORGE   SAND  241 

fort  désobligeantes  dans  le  dernier  numéro  de  la  Revue!  Comment? 
Moi  que  tout  le  monde  attaque  maintenant.  Je  n'aurais  pas  cru  ça  ! 
et  je  voulais  la  faire  nommer  de  l'Académie  !  Mais  que  lui  ai-je  donc 
fait?  etc.  Bref,  elle  est  désolée,  et  l'empereur  aussi!  Lui  n'était  pas 
indigné,  mais  prostré  (sic). 

Mme  Cornu  lui  a  représenté  en  vain  qu'elle  se  trompait  et  que  vous 
n'aviez  voulu  faire  aucune  allusion. 

Ici,  une  théorie  de  la  maniÚre  dont  on  compose  des  romans. 

—  Eh  bien  !  qu'elle  Ă©crive  dans  les  journaux  qu'elle  n'a  pas  voulu 
me  blesser. 

—  C'est  ce  qu'elle  ne  fera  pas,  j'en  rĂ©ponds. 

—  Ecrivez-lui  pour  qu'elle  vous  le  dise. 

—  Je  ne  me  permettrai  pas  cette  dĂ©marche. 

—  Mais  je  voudrais  savoir  la  vĂ©ritĂ©  cependant  !  Connaissez- vous 
quelqu'un  qui...  Alors  Mme  Cornu  m'a  nommé. 

—  Oh  !  ne  dites  pas  que  je  vous  ai  parlĂ©  de  ça. 

Tel  est  le  dialogue  que  Mme  Cornu  m'a  rapporté.  Elle  désire  que 
vous  m'Ă©criviez  une  lettre  oĂč  vous  me  direz  que  l'impĂ©ratrice  ne  vous 
a  pas  servi  de  modĂšle.  J'enverrai  cette  lettre  Ă   Mme  Cornu,  qui  la  fera 
passer  à  l'impératrice. 

Je  trouve  cette  histoire  stupide  et  ces  gens-là  sont  bien  délicats  !  On 
nous  en  dit  d'autres  Ă   nous  ! 

Maintenant,  chĂšre  maĂźtre  du  bon  Dieu,  vous  ferez  absolument  ce 
qui  vous  conviendra. 

L'impératrice  a  toujours  été  trÚs  aimable  pour  moi  et  je  ne  serais 
pas  fĂąchĂ©  de  lui  ĂȘtre  agrĂ©able.  J'ai  lu  le  fameux  passage.  Je  n'y  vois 
rien  de  blessant.  Mais  les  cervelles  de  femme  sont  si  drĂŽles  ! 

Je  suis  bien  fatigué  de  la  mienne  (ma  cervelle)  ou  plutÎt  elle  est  bien 
bas  pour  le  quart  d'heure  !  J'ai  beau  travailler,  ça  ne  va  pas  !  ça  ne 
va  pas  !  Tout  m'irrite  et  me  blesse  ;  et  comme  je  me  contiens  devant 
le  monde,  je  suis  pris,  de  temps  Ă   autre,  par  des  crises  de  larmes  oĂč  il 
me  semble  que  je  vais  crever.  Je  sens  enfin  une  chose  toute  nouvelle  : 
les  approches  de  la  vieillesse.  L'ombre  m'envahit,  comme  dirait  Victor 
Hugo. 

Mme  Cornu  m'a  parlé  avec  enthousiasme  d'une  lettre  que  vous  lui 
avez  écrite  sur  une  méthode  d'enseignement. 

George  Sand  répondit  immédiatement  par  la  lettre  suivante 
que  nous  citons  d'autant  plus  volontiers  qu'elle  manque  dans 
le  volume  de  la  Correspondance  entre  George  Sand  et  Gustave 
Flaubert  publié  en  1904.  Nous  l'empruntons  au  volume  V  de 
la  Correspondance  générale  de  George  Sand,  p.  369. 

iv.  i6 


242  GEORGE    SAND 

A  Gustave  Flaubert,  Ă   Paris. 

Nohant,  18  mars  1870. 

Je  sais,  mon  ami,  que  tu  lui  es  trÚs  dévoué.  Je  sais  qu'Elle  est  trÚs 
bonne  pour  les  malheureux  qu'on  lui  recommande  ;  voilĂ   tout  ce  que 
je  sais  de  sa  vie  privée.  Je  n'ai  jamais  eu  ni  révélation,  ni  document 
sur  son  compte,  pas  un  mot,  pas  un  fait  qui  m'eût  autorisée  à  la  peindre. 
Je  n'ai  donc  tracé  qu'une  figure  de  fantaisie,  je  le  jure,  et  ceux  qui 
prétendraient  la  reconnaßtre  dans  une  satire  quelconque  seraient,  en 
tout  cas,  de  mauvais  serviteurs  et  de  mauvais  amis. 

Moi,  je  ne  fais  pas  de  satires  ;  j'ignore  mĂȘme  ce  que  c'est.  Je  ne  fais 
pas  non  plus  de  portraits  ;  ce  n'est  pas  mon  Ă©tat.  J'invente.  Le  public, 
qui  ne  sait  pas  en  quoi  consiste  l'invention,  veut  voir  partout  des 
modĂšles.  H  se  trompe  et  rabaisse  l'art. 

Voilà  ma  réponse  sincÚre.  Je  n'ai  que  le  temps  de  la  mettre  à  la 
poste. 

G.  Saxd. 

Flaubert  accusa  réception  de  cette  lettre  en  ces  termes  : 

ChĂšre  maĂźtre, 

Je  viens  d'envoyer  votre  lettre  (dont  je  vous  remercie)  Ă   Mme  Cornu, 
en  l'insĂ©rant  dans  une  Ă©pĂźtre  de  votre  troubadour  oĂč  je  me  permets  de 
dire  vertement  ma  façon  de  penser. 

Les  deux  papiers  seront  remis  sous  les  yeux  de  la  dame  et  lui  appren- 
dront un  peu  d'esthétique. 

Hier  soir  j'ai  vu  V Autre,  et  j'ai  pleurĂ©  Ă   diverses  reprises.  Ça  m'a  fait 
du  bien.  Voilà  !  Comme  c'est  tendre  et  exaltant  !  Quelle  jolie  Ɠuvre,  et 
comme  on  aime  l'auteur  !  Vous  m'avez  bien  manqué.  J'avais  besoin 
de  vous  bĂ©cotter  comme  un  petit  enfant  Mon  cƓur  oppressĂ©  s'est 
détendu,  merci.  Je  crois  que  ça  va  aller  mieux  !  Il  y  avait  beaucoup  de 
monde.  Berton  et  son  fils  ont  été  rappelés  deux  fois. 

Et  dans  sa  lettre  Ă   Mme  Hortense  Cornu,  Flaubert  disait,  entre 
autres  : 

Votre  dévouement  s'était  alarmé  à  tort,  chÚre  madame,  j'en  étais 
sûr  !  Voici  la  réponse  qui  m'arrive  poste  pour  poste. 

Les  gens  du  monde,  je  vous  le  rĂ©pĂšte,  voient  des  allusions  oĂč  il  n'y 
en  a  pas.  Quand  j'ai  fait  Madame  Bovary  on  m'a  demandé  plusieurs 


GEORGE   SAND  24.3 

fois  :  «  Est-ce  Mme  X...  que  vous  avez  voulu  peindre?  a  Et  j'ai  reçu 
des  lettres  de  gens  parfaitement  inconnus,  une  entre  autres  d'un 
monsieur  de  Reims  qui  me  félicitait  de  V avoir  vengé!  (d'une  infidÚle). 

Tous  les  pharmaciens  de  la  Seine-Inférieure  se  reconnaissant  dans 
Harnais  voulaient  venir  chez  moi  me  flanquer  des  gifles.  Mais  le  plus 
beau  (je  l'ai  découvert  cinq  ans  plus  tard)  c'est  qu'il  y  avait  alors  en 
Afrique  la  femme  d'un  médecin  militaire  s'appelant  Mme  Bovaries  et 
qui  ressemblait  à  Mme  Bovary,  nom  que  j'avais  inventé  en  dénaturant 
celui  de  Bouvaret. 

La  premiĂšre  phrase  de  notre  ami  Maury  en  me  parlant  de  l'Educa- 
tion sentimentale  a  été  celle-ei  :  «  Est-ce  que  vous  avez  connu  X...,  un 
Italien,  professeur  de  mathématiques?  Votre  Senecal  est  son  portrait 
physique  et  moral  !  Tout  y  est,  jusqu'à  la  coupe  des  cheveux  !  »  D'autres 
prétendent  que  j'ai  voulu  peindre,  dans  Arnoux,  Bernard-Latte 
(l'ancien  Ă©diteur)  que  je  n'ai  jamais  vu,  etc.,  etc. 

Tout  cela  est  pour  vous  dire,  chĂšre  madame,  que  le  public  se  trompe 
en  nous  attribuant  des  intentions  que  nous  n'avons  pas. 

J'étais  bien  sûr  que  Mme  Sand  n'avait  voulu  faire  aucun  portrait  : 
1°  par  hauteur  d'esprit,  par  goût,  par  respect  de  l'art  ;  et  2°  par  mora- 
litĂ©, par  sentiment  des  convenances  —  et  aussi,  par  justice. 

Je  crois  mĂȘme,  entre  nous,  que  cette  inculpation  l'a  un  peu  blessĂ©e. 
Les  journaux,  tous  les  jours,  nous  roulent  dans  l'ordure,  sans  que 
jamais  nous  leur  répondions,  nous  dont  le  métier  cependant  est  de 
marner  la  plume,  et  on  croit  que  pour  faire  de  V effet,  pour  ĂȘtre  applaudis, 
nous  allons  nous  en  prendre  Ă   tel  ou  telle. 

Ah  !  non  !  pas  si  humbles  !  Notre  ambition  est  plus  haute,  et  notre 
honnĂȘtetĂ©  plus  grande.  Quand  on  estime  son  esprit  on  ne  choisit  pas 
les  moyens  qu'il  faut  pour  plaire  Ă   la  canaille.  Vous  me  comprenez, 
n'est-ce  pas? 

Mais  en  voilĂ   assez.  J'irai  vous  voir  un  de  ces  matins,  en  attendant 
ce  plaisir-lĂ ,  chĂšre  madame,  je  vous  baise  les  mains  et  suis  tout  Ă   vous. 

Gustave  Flaubert. 
Dimanche  soir. 

George  Sand  revint  encore  une  fois  sur  cette  question  dans  sa 
lettre  à  l'ancien  directeur  de  la  Presse,  alors  de  la  Liberté,  Emile 
de  Girardin,  car,  l'assertion  une  fois  lancée,  se  maintenait  dans 
les  journaux,  et  tandis  que  le  critique  de  la  New-York  Evening 
Post  défendait  George  Sand,  celui  de  la  Liberté  assurait  de  nou- 
veau que  l'auteur  de  Malgrétout  avait  peint  l'impératrice.  Cette 
«  interprétation  arbitraire  des  intentions  de  l'auteur  »  révoltait 


244  GEORGE    SAND 

George  Sand  qui  y  voyait,  avec  raison,  «  un  affront  à  la  littéra- 
ture ». 

...  Comment  peut-on,  disait-elle  (1),  assimiler  la  tĂąche  de  l'artiste 
à  celle  du  pamphlétaire  honteux?  Si  j'avais  voulu  peindre  une  figure 
historique,  je  l'aurais  nommée.  ]NTe  la  nommant  pas,  je  n'ai  pas  voulu 
la  désigner  ;  ne  la  connaissant  pas,  je  n'aurais  pu  la  peindre.  S'il  y  a 
iessemblance  fortuite,  je  l'ignore,  mais  je  ne  le  crois  pas.  Tout  person- 
nage d'invention  est  plus  fort  et  plus  logique  que  nature,  dans  le  bien 
ou  dans  le  mal.  On  peut  tracer  la  figure  d'une  classe  d'ambitieuses  qui 
ont  échoué  et  qui  ont  réussi  dans  leurs  projets,  sans  avoir  aucune  figure 
en  vue,  et  je  crois  qu'il  vaut  beaucoup  mieux  pour  l'artiste  qu'il  en 
soit  ainsi.  Vous  savez  tout  cela  aussi  bien  que  moi.  Vous  ĂȘtes  du  bĂąti- 
ment. PanoptÚs  (2)  trahit  donc  la  fraternité  maçonnique  littéraire,  en 
parlant  comme  il  le  fait... 

Il  n'est  que  trop  vrai  que  si  l'on  ne  tient  pas  compte  du  talent 
trĂšs  hardi  d'Ă©cuyĂšre  par  lequel  se  distinguait  Mlle  de  Montijo, 
tout  comme  Mlle  d'Ortosa  —  (la  seconde  hĂ©roĂŻne  de  MalgrĂ©tont, 
comme  qui  dirait  la  prima-donna  ai  carattere,  cédant  le  pas  à  la 
vraie  hĂ©roĂŻne,  le  sopraw  leggiere  d'opĂ©ra)  —  si  on  oublie  sa  pro- 
venance espagnole  et  sa  coquetterie  exotique  et  si  l'on  ne  s'at- 
tarde pas  trop  sur  la  profession  de  foi  de  cette  mĂȘme  Mlle  d'Or- 
tosa  et  surtout  sur  son  aveu  que  dans  ses  rĂȘves  ambitieux  elle 
ne  se  contente  que  d'une  couronne  de  souveraine  pour  couronne 
de  mariĂ©e,  Mlle  d'Ortosa  ne  saurait  ĂȘtre  prise  pour  un  portrait. 
Mais  il  y  a  toutefois  des  traits  de  ressemblance  curieux  qui  avaient 
pu  induire  en  erreur  les  contemporains,  toujours  avides  de 
rechercher  les  clefs  des  romans,  et  l'on  comprend,  aussi,  aisément 
que  l'ex-mademoiselle  de  Montijo  ait  pu  y  découvrir  certaines 
pensées  intimes  dont  elle  n'avait  certes  jamais  fait  l'aveu  à  per- 
sonne. Il  est  surtout  un  passage  dans  ce  roman  qui  nous  paraĂźt 
curieux  Ă   citer,  c'est  justement  la  conclusion  de  la  profession  de 
foi  de  Mlle  d'Ortosa  : 

...Je  ne  puis  parler  du  présent  qu'en  expliquant  l'avenir.  Donc,  le 
voici,  voici  le  but.  Je  ne  l'ai  entrevu  que  récemment,  c'est-à-dire  aprÚs 

(1)  Correspondance,  t.  V,  p.  384-385.  Voir  aussi,  Ă   ce  sujet,  Ă   la  page  sui- 
vante de  la  Correspondance,  la  lettre  au  docteur  Favre. 

(2)  Pseudonyme  du  critique  de  la  Liberté. 


GEORGE   SAND  245 

ma  vingt-quatriÚme  année  révolue.  Jusque  là,  mon  existence  errante 
m'avait  plu  sans  réserve,  mais  je  fis  cette  réflexion,  qu'elle  ne  pouvait 
pas  durer  toujours,  vu  que  la  beauté  n'est  pas  éternelle.  Elle  ne  m'avait 
servi  qu'Ă   apparaĂźtre,  il  Ă©tait  temps  qu'elle  me  servĂźt  Ă   rester  sur  l'ho- 
rizon, cette  beauté,  puissance  indispensable  dont  je  n'avais  pas  encore 
bien  mesuré  la  portée  ;  je  calculais  froidement  ses  chances  ;  je  me  dis 
qu'elle  pouvait  rester  stable  de  vingt-cinq  Ă   trente  ans,  et  qu'elle 
devait  inévitablement  décroßtre  ensuite.  Il  fallait  donc  qu'à  trente 
ans  ma  vie  fût  fixée  et  mon  but  saisi. 

Ce  but  normal  et  logique  pour  moi,  ce  n'est  pas  l'argent,  ce  n'est 
pas  l'amour,  ce  n'est  pas  le  plaisir  ;  c'est  le  temple  oĂč  ces  biens  sont  des 
accessoires  nécessaires,  mais  secondaires  :  c'est  un  état  libre,  brillant, 
splendide,  suprĂȘme.  Cela  se  rĂ©sume  pour  moi  dans  un  mot  qui  me  plaĂźt  : 
VĂ©claL 

Vous  voyez  que  je  suis  d'accord  avec  mon  passé.  J'ai  toujours  cherché 
et  produit  l'éclat  ;  je  veux  le  fixer,  le  posséder,  le  produire  sans  effort, 
le  manif ester  sans  limites.  Je  veux  donc  tout  ce  qui  le  procure  et  l'as- 
sure. Je  veux  Ă©pouser  un  homme  riche,  beau,  jeune,  Ă©perdument  Ă©pris 
de  moi,  Ă   jamais  soumis  Ă   moi,  et  portant  avec  Ă©clat  dans  le  monde  un 
nom  trĂšs  illustre.  Je  veux  aussi  qu'il  ait  la  puissance,  je  veux  qu'il  soit 
roi,  empereur,  tout  au  moins  héritier  présomptif  ou  prince  régnant. 
Tous  mes  soins  s'appliqueront  désormais  à  le  rechercher,  et,  quand  je 
l'aurai  trouvé,  je  suis  sûre  de  m'emparer  de  lui,  mon  éducation  est 
faite.  Je  ne  cours  plus  risque  de  me  laisser  charmer  ;  j'ai  acquis  tout  ce 
qui  a  manqué  à  mon  éducation  premiÚre.  J'ai  étudié;  j'ai  de  l'érudi- 
tion, de  la  science  politique  ;  je  sais  l'histoire  de  toutes  les  dynasties 
et  de  tous  les  peuples.  Je  connais  toutes  les  arcanes  de  la  diplomatie 
et  toutes  les  naïvetés  de  toutes  les  ambitions.  Je  connais  tous  les 
hommes  marquants,  toutes  les  femmes  puissantes  du  passé  et  du  pré- 
sent. J'ai  pris  Ă   tous  leur  mesure  exacte,  je  n'en  redoute  aucun.  Un 
jour  viendra  oĂč  je  serai  aussi  utile  Ă   un  souverain  que  je  peux  l'ĂȘtre 
aujourd'hui  Ă   une  femme  qui  me  demanderait  conseil  sur  sa  toilette. 
J'ai  l'air  d'attacher  une  grande  importance  Ă   des  choses  futiles,  on  ne 
se  doute  pas  des  préoccupations  sérieuses  qui  m'absorbent,  on  le  saura 
plus  tard,  quand  je  serai  reine,  tsarine,  grande-duchesse...  ou  prési- 
dent' d'une  république,  car  je  sais  bien  que  les  peuples  s'agitent  et 
veulent  du  nouveau  ;  mais  je  ne  crois  pas  à  la  durée  de  cette  fiÚvre, 
prĂ©sidente  aujourd'hui,  fĂ»t-ce  en  AmĂ©rique,  je  serais  sĂ»re  d'ĂȘtre  souve- 
raine demain.  Enfin  je  veux,  aprÚs  avoir  joué  un  rÎle  brillant  dans  le 
monde,  en  jouer  un  Ă©clatant  dans  l'histoire.  Je  ne  veux  pas  disparaĂźtre, 
comme  une  actrice  vulgaire,  avec  ma  jeunesse  et  ma  beauté  ;  je  veux 
une  couronne  sur  mes  cheveux  blancs.  On  jaraĂźt  toujours  belle, 
puisqu'on  Ă©blouit,  avec  une  couronne.  Je  veux  connaĂźtre  les  grandes 


245  GEORGE   S  AND 

luttes,  les  grands  pĂ©rils  ;  Rchafaud  mĂȘme  a  pour  moi  une  Ă©trange  fas- 
cination. Je  n'accepterai  l'exil  jamais,  je  ne  fuirai  jamais  ;  on  ne  me 
rattrapera  pas,  moi,  sur  le  chemin  de  Varennes.  Je  ne  deviendrai  pas 
folle  dans  les  désastres,  je  braverai  les  destinées  les  plus  tragiques,  je 
combattrai  face  Ă   face  le  lion  populaire  ;  il  ne  me  fera  pas  baisser  les 
yeux,  et  je  vous  jure  que  plus  d'une  fois  je  saurai  le  coucher  enchaßné 
à  mes  pieds.  AprÚs  cela,  qu'il  se  réveille,  qu'il  se  lasse,  qu'il  porte  ma 
tĂȘte  au  bout  d'une  pique  !  ce  sera  le  jour  de  l'Ă©clat  suprĂȘme,  et  cette 
face  pùle,  plus  couronnée  encore  par  le  martyre,  restera  à  jamais 
gravée  dans  la  mémoire  des  hommes  (1)! 

Quoiqu'il  en  soit,  une  page  de  roman  reste  une  page  de  roman, 
mais  George  Sand  a  bien  réellement  un  jour  tracé  une  esquisse 
de  l'impératrice,  non  plus  dans  une  oeuvre  d'imagination,  mais 
dans  les  trÚs  intéressants  Impressions  et  souvenirs  qui,  tous  les 
quinze  jours,  de  juillet  1871  Ă   janvier  1873,  ornĂšrent  les  colonnes 
du  Temps,  d'abord  sous  des  titres  différents,  et  qui  sont  des  docu- 
ments de  la  plus  haute  importance  pour  l'histoire  des  idées  de 
Mme  Sand  dans  les  derniÚres  années  de  sa  vie.  C'est  justement 
dans  un  chapitre  de  ces  Souvenirs  que  nous  trouvons,  imprimées 
en  1871,  mais  écrites  en  1860,  les  lignes  suivantes  consacrées  à 
l'impératrice.  Ce  chapitre  présente,  de  plus,  un  résumé,  fait  de 
main  de  maĂźtre,  de  l'Ă©tat  des  esprits  et  des  partis  d'alors,  du 
désenchantement  général  survenu  aprÚs  1848  et  le  coup  d'Etat  ; 
et  enfin  c'est  un  tableau  frappant  et  coloré  de  cette  transforma- 
tion radicale  ou  plutÎt  de  cette  dégénérescence  de  toutes  les  classes 
de  la  société  et  du  peuple  qui  fut  le  résultat  de  l'omnipotence 
nivelante  de  l'argent,  de  l'amour  du  gain  et  du  luxe  ;  Ă   ce 
moment-lĂ   il  ne  restait,  au  dire  de  Mme  Sand,  que  deux  classes 
ennemies  :  «  celle  qui  consomme  et  celle  qui  produit,  classe  riche 
ou  aisée,  et  classe  pauvre  ou  misérable...  »  Le  petit  commer- 
çant d'hier  est  un  richard  aujourd'hui  ;  le  capitaliste  d'hier  — 
un  prolétaire  ce  matin.  Mme  Sand  y  dépeint  aussi  d'une  maniÚre 
incisive  l'influence  désagrégeante  et  dissolvante  qu'exerça  sur 
toute  la  France  cette  poursuite  effrénée  du  plaisir,  ce  train  d'élé- 
gance débauchée  et  de  gaspillage  de  prodigues  que  menait  la 

(1)  Malgrétout,  p.  213-216. 


GEORGE   SAND  *4r 

cour  de  Napoléon  III.  Au  foud,  il  n'y  a  plus  de  classes,  répÚte- 
t-alle,  le  mur  chinois  qui  séparait  la  cour  de  la  noblesse,  la  noblesse 
de  la  haute  bourgeoisie,  la  grande  bourgeoisie  de  la  petite  bour- 
geoisie de  province,  et  du  demi-monde  et  des  ouvriers,  def 
paysans,  n'existe  plus.  A  commencer  par  les  gens  de  la  cour  et 
jusqu'au  dernier  prolĂ©taire,  tout  est  mĂȘlĂ©.  Les  mƓurs,  les  aspira- 
tions, les  usages,  toute  la  vie  sont  partout  les  mĂȘmes.  L'argent, 
voici  ce  qui  nivelle  tout  le  monde.  L'argent  et  le  succĂšs  !  Toute 
la  question  contemporaine  se  réduit  donc  à  cette  lutte  entre  les 
deux  classes  :  les  capitalistes  et  les  travailleurs.  Tout  l'avenir  de 
la  France  dépend  de  la  victoire  de  l'une  d'elles,  ou  du  compromis, 
de  l'entente  Ă   l'amiable  entre  elles,  et  non  de  la  victoire  de  tel 
ou  tel  parti  politique,  ni  du  nom  que  portera  le  gouvernement. 

RĂ©publique  ou  monarchie,  peu  importe.  Le  mieux  serait  de  trouver 
un  nom  nouveau  pour  relier  les  deux  antinomies  qui  sont  lĂ   comme 
dans  tout  ;  il  faudrait  voir  arriver  le  moment  oĂč  le  producteur  et  l'ex- 
ploiteur voudront  tous  deux,  de  bonne  foi,  et  sous  la  pression  d'une 
nécessité  sociale  bien  démontrée,  signer  un  acte  d'association  rigou- 
reusement stipulé,  aprÚs  avoir  été  débattu  à  fond  par  les  représentants 
Ă©lus  de  leurs  intĂ©rĂȘts  respectifs  (1)... 

Mme  Sand  disait  un  peu  plus  haut  : 

J'avais  rĂȘvĂ©  dans  un  avenir  prochain,  mais  point  trop  Ă©loignĂ©,  une 
crise  sociale  toute  pacifique  oĂč  les  deux  classes,  puisqu'il  n'y  en  a 
plus  que  deux,  s'éclairant  sur  leurs  droits  et  leurs  devoirs  réciproques 
pourraient  faire  un  pacte  d'étroite  solidarité.  Certes,  cette  grande 
chose  arrivera,  mais  l'empire  qui  eût  dû  la  préparer,  l'empereur  qui 
disait  le  vouloir,  ont  fait  fausse  route.  Le  Paris  de  Voltaire  et  de  Jean- 
Jacques  Rousseau  est  devenu  la  cité  de  Sardanapale... 

...Ce  coup  d'État,  qui,  dans  les  mains  d'un  homme  vraiment 
logique,  eût  pu  nous  imprimer  un  mouvement  de  soumission  ou  de 
révolte  dans  le  sens  du  progrÚs,  ne  nous  a  conduits  qu'à  un  affaisse- 
ment tumultueux  Ă   sa  surface,  pourri  en  dessous...  Et  nous  ne  sommes 
pas  au  bout,  car  chaque  jour  qui  s'Ă©coule  signale  un  nouvel  effort  vers 
cette  décomposition.  Le  vertige  cherche  un  point  plus  élevé  pour  mieux 
se  précipiter.  Les  masses  ignorantes  regardent  ces  somnambules  dont 
la  danse  se  déroule  sur  les  toits.... 

(1)  Impressions  et  souvenirs,  t.  II,  p.  35. 


248  GEORGE    SAN'D 

Ce  qui  frappe  dans  ces  lignes,  Ă©crites  dans  le  silence  d'un 
cabinet  de  travail  de  1860,  ce  n'est  pas  seulement  la  caractéris- 
tique de  l'époque  et  la  vision  prophétique  du  tragique  et  vertigi- 
neux saltomortale  final  du  second  Empire,  mais  bien  le  fait  qu'elles 
peuvent  parfaitement  ĂȘtre  adaptĂ©es  Ă   la  France  du  commence- 
ment du  vingtiĂšme  siĂšcle,  et  est-ce  bien  Ă   la  France  seule?  Tout 
spectateur  attentif  des  événements  des  derniÚres  trente  années, 
et  surtout  de  ceux  de  nos  jours,  se  dira  :  «  Toute  la  question  est 
dans  cette  lutte,  et  il  importe  peu  quel  parti  se  trouve  au  faĂźte 
du  pouvoir.  Quoi  qu'on  en  dise  dans  les  Chambres,  pour  quelque 
but  ou  pour  quelque  chef  que  combattent  les  partis,  la  lutte,  la 
grande  lutte  du  capitalisme  et  du  labeur  s'aiguise  de  jour  en  jour, 
lentement,  mais  elle  avance  partout,  elle  prend  feu,  et  toute  la 
question  de  notre  siÚcle  se  réduit  à  ceci  :  comment  ces  deux  classes 
pourront-elles  s'entendre  à  l'amiable  ;  les  puissants  céderont-ils 
de  bon  gré  aux  faibles,  les  faibles  se  révolteront-ils  contre  les 
puissants?  » 

Et  c'est  au  milieu  de  cet  article  d'une  importance  toute  sociale 
que  nous  trouvons  le  trĂšs  rapide,  mais  trĂšs  piquant  croquis  de 
l'impératrice  que  voici  : 

...Quoique  parvenu,  l'empereur  fait  publier  des  généalogies  qui  font 
remonter  jusqu'au  Cid  d'Andalousie  la  noblesse  de  la  jeune  comtesse 
de  Teba.  H  n'a  pas  suffi  Ă   Mlle  Montijo  d'ĂȘtre  belle  et  charmante,  il 
faut  qu'elle  ait  des  ancĂȘtres  pour  ce  monarque  qui  se  vante  de  n'en 
point  avoir  et  qui  se  déjuge  comme  la  bourgeoisie.  Et  cette  jeune 
impératrice?  Parlons-en,  car  elle  joue  déjà  une  grande  partie.  Elle 
arrive  avec  des  chics  espagnols  bien  portés,  le  goût  des  émotions  fortes, 
le  regret  des  combats  de  taureaux,  nous  ne  voulons  pas  dire  celui  des 
autodafé,  le  dévotion  bien  en  vue,  le  jeu  de  l'éventail,  la  passion  du 
costume,  les  cheveux  poudrés  d'or,  la  taille  cambrée,  toutes  les  séduc- 
tions, mĂȘme  celle  de  la  bontĂ©,  car  elle  est  bonce  et  charitable  avec 
grñce,  enfin  tout  ce  qui  frappe  l'imagination,  les  sens,  le  cƓur  au 
besoin.  VoilĂ   tous  les  hommes  amoureux  d'elle,  et  ceux  qui  ne  peuvent 
aspirer  Ă   la  faveur  du  moindre  regard,  s'essayant  Ă   faire  de  leurs 
femmes  des  impératrices  de  comptoir.  Ces  bonnes  bourgeoises  s'éver- 
tuent à  copier  la  belle  Eugénie  ;  elles  sablent  d'or  et  de  cuivre  leurs 
chevelures  vraies  ou  postiches,  elles  se  fardent,  elles  deviennent 
rousses.  Elles  aussi  ont  à  présent  de  jolies  tailles  et  des  pieds  petits. 


GEORGE   SAND  249 

Le  temps  n'est  plus   oĂč  Ton  reconnaissait  la  race  aux  extrĂ©mitĂ©s. 

...Les  voilà  donc  ivres,  toutes  ces  belles  et  bonnes  créatures,  qui 
eussent  pu  rester  si  charmantes  et  si  vraiment  femmes  en  Ă©levant  leurs 
enfants  dans  le  respect  de  l'aĂŻeul,  artisan  ou  laboureur.  Elles  aiment 
mieux  passer  à  l'état  de  pécores  et  s'enfler  en  regardant  leur  brillante 
souveraine,  qui  se  moque  d'elles,  se  dégoûte  de  ses  parures  quand  elles 
s'en  sont  emparées  et  en  invente  d'autres  que  les  maris  payeront,  il  le 
faudra  bien  ! 

On  dit  que  cela  fait  marcher  le  commerce.  Pas  du  tout,  cette  marche 
est  trop  anormale  pour  ne  pas  engendrer  la  ruine.  La  mode  changeant 
tous  les  mois  par  décret  de  cour,  les  produits  non  écoulés  encombrent 
les  fabriques  ou  tombent  tout  à  coup  à  bas  prix.  Les  détaillants  s'en 
ressentent.  Il  n'y  a  pas  un  magasin  oĂč  vous  ne  puissiez  acheter  le  luxe 
de  l'année  précédente  à  moitié  prix.  On  avait  compté  sur  l'écoulement 
en  province.  Allez  donc  voir  à  présent  si  l'on  peut  tromper  sur  ce  point, 
mĂȘme  les  grisettes  des  petites  villes,  mĂȘme  les  paysannes  qui  marient 
leurs  jeunesses  et  choisissent  le  trousseau.  On  va  si  vite  Ă   Paris  se  ren- 
seigner !  Les  chemins  de  fer  ont  effacé  toutes  les  nuances  locales,  comme 
la  soif  des  jouissances  a  nivelé  tous  les  éléments  de  l'aristocratie.  Qui- 
conque a  gagné  de  l'argent  est  affranchi,  décrassé,  chùtelain  à  tourelles 
et  Ă   Ă©cusson  si  bon  lui  semble. 

D  n'y  a  donc  plus  de  bourgeoisie. 

...H  n'y  a  plus  que  deux  classes,  celle  qui  consomme  et  celle  qui  pro- 
duit; classe  riche  ou  aisĂ©e,  classe  pauvre  ou  misĂ©rable.  OĂč  vont-elles? 
La  classe  riche  va  joyeusement  au-devant  des  catastrophes  dont  je  ne 
me  charge  pas  de  prévoir  la  nature  et  la  forme,  mais  qui  sont  des  fata- 
lités historiques  inévitables. 

...La  meilleure  prévision  à  concevoir,  c'est  qu'elle  s'éclairera  à  temps 
et  verra  sur  quels  volcans  elle  mĂšne  la  danse... 

C'est  dans  ces  mĂȘmes  Souvenirs  que  se  trouvait,  aussi,  le  por- 
trait de  NapolĂ©on  Ă©crit  la  veille  ou  au  moment  mĂȘme  oĂč  la  nou- 
velle de  sa  mort  à  Chislehurst  arriva  à  Nohant  ;  il  fut  imprimé  dans 
le  feuilleton  du  Temps  du  30  janvier  1873.  Un  second  feuilleton 
était  consacré  au  prince  JérÎme  et  aux  autres  prétendants,  mais 
Charles  Edmond  jugea  le  portrait  du  premier  peu  conforme  Ă   la 
vérité,  et  quant  aux  autres,  la  direction  du  Temps  trouva  plus 
prudent  de  ne  pas  y  toucher,  tant  qu'ils  «  se  tenaient  cois  »,  le 
feuilleton  ne  fut  donc  point  imprimé  (1).  Mais  le  premier  feuil- 

(1)  Lettres  inédites  de  Charles  Edmond  à  George  Sand  du  16,  23  et  24  jan- 


25»  GEORGE   SAND 

leton  intitulé  Dans  les  bois,  qui  terminait  la  série  des  Souvenirs, 
Ă©veilla  un  intĂ©rĂȘt  gĂ©nĂ©ral  et  eut  un  trĂšs  grand  succĂšs,  au  dire  de 
ce  mĂȘme  Charles  Edmond  (1). 

L'Ă©cho  du  grand  succĂšs  de  votre  dernier  feuilleton,  —  lui  Ă©crit-il  —  est 
parvenu  jusqu'à  Nohant.  Tous  les  journaux  en  ont  parlé,  et  c'est 
la  premiĂšre  fois  que  je  vois  des  gens  de  tous  les  partis  s'incliner  res- 
pectueusement devant  un  verdict  prononcé  d'une  façon  si  sereine,  si 
élevée  au  sujet  d'un  personnage  politique  encore  discuté  à  cette  heure. 
Rien  n'impose  silence  aux  passions  comme  la  raison,  lorsqu'elle  sait 
et  veut  parler.  Or,  elle  a  parlé  cette  fois-ci... 

George  Sand,  qui  reçut  dans  les  bois  au  milieu  d'une  partie  de 
plaisir  avec  ses  petits-enfants,  la  nouvelle  de  la  suprĂȘme  maladie 
de  Napoléon,  parle  de  son  ex-correspondant  en  ces  termes  : 

...Quand  j'ai  lu  hier  dans  un  journal  que  l'Ă©tat  du  malade  de  Chisle- 
hurst  Ă©tait  grave,  j'ai  senti  qu'il  Ă©tait  mort  au  moment  oĂč  nous  Usions 
cette  dĂ©pĂȘche.  «  N'Ă©tait-il  pas  dĂ©jĂ   mort  Ă   Sedan?  Pourquoi  ne  s'y 
est-il  pas  fait  tuer?  »  s'écrie-t-on  de  toutes  parts.  Sans  doute  il  a  manqué 
lĂ   une  belle  occasion  de  mourir,  mais  la  raison  qui  la  lui  a  fait  manquer 
est  bien  simple  :  un  mort  ne  peut  pas  courir  Ă   la  mort. 

H  y  avait  déjà  trois  ans  que  Napoléon  HT  n'existait  plus.  Les  évé- 
nements n'agissaient  plus  sur  lui  que  comme  la  pile  de  Volta  sur  un 
cadavre.  Les  velléités  libérales  de  la  derniÚre  heure  étaient,  dans  la 
situation  oĂč  il  se  plaçait,  des  illusions  que  le  raisonnement  ne  contrĂŽ- 
lait plus.  La  guerre  avec  la  Prusse  ne  fut  mĂȘme  pas  une  illusion,  car  il 
ne  sut  pas  cacher  que  le  spectre  de  la  défaite  lui  était  apparu  et  l'emme- 
nait fatalement  Ă   sa  perte. 

...Au  reste,  pour  qui  aurait  étudié  de  prÚs,  sans  prévention  d'aucun 
genre,  toute  la  vie  de  cet  homme  funeste,  je  crois  que  l'observateur  se 
serait  assuré  d'une  chose  nouvelle  à  dire,  mais  ancienne  dans  l'histoire  : 
c'est  que  certains  personnages  historiques  n'ont  pas  eu  de  libre  arbitre 
et  n'ont  pas  existé  dans  l'acception  que  nous  donnons  au  mot  exis- 
tence comme  conscience  de  la  vie.  Celui-ci  a  été  traité  d'homme  chimé- 
rique. Le  mot  est  juste  s'il  désigne  un  cerveau  nourri  de  chimÚres, 
encore  plus  juste  s'il  dĂ©peint  un  ĂȘtre  problĂ©matique,  insaisissable  Ă  

vier  1873.  Les  deux  derniĂšres  renferment  des  jugements  plus  que  curieux 
sur  le  prince  JĂ©rĂŽme  et  sur  toute  la  famille  des  Bonaparte. 

(1)  Lettre  inédite  de  Charles  Edmond  du  6  février  1873.  Voir  plus  haut, 
p.  210.  Ce  feuilleton  ne  fait  pas  partie  —  on  ne  sait  pas  trop  pourquoi  — 
du  volume  des  Impressions  et  Souvenirs,  mais  de  celui  des  DerniĂšres  Pages. 


GEORGE   SAND  251 

l'analyse.  Moi,  je  dirai  simplement  l'impression  qu'il  m'a  causée  per- 
sonnellement. 

Au  temps  de  Ham,  par  correspondance,  écriture  et  rédaction  d'un 
jeune  homme  sans  énergie,  dominé  par  une  vision  énergique,  vision 
conçue  dÚs  l'enfance,  entretenue  par  un  entourage  dont  il  subissait 
la  pression  avec  une  lassitude  résignée  ;  point  d'instruction  réelle, 
beaucoup  d'intelligence,  les  rudiments  et  mĂȘme  les  Ă©clairs  d'un  gĂ©nie 
plutÎt  littéraire  que  philosophique  et  plutÎt  philosophique  que  poli- 
tique. Santé  perdue,  vitalité  chancelante,  inégale,  suspendue  par 
moments  avec  des  reflux  d'expansion  et  des  refoulements  douloureux. 
Point  d'amertume  cependant,  point  de  rancunes,  peu  de  courroux; 
trop  contemplatif  pour  ĂȘtre  passionnĂ©  ;  aimable,  aimant,  fait  pour 
ĂȘtre  aimĂ©  dans  l'intimitĂ©,  dĂ©sintĂ©ressĂ©  de  tout  pour  son  compte,  et 
pourtant  —  voyez  quels  contrastes  formidables  !  —  capable  des  plus 
grands  crimes  politiques,  parce  que  ses  notions  de  droit  humain  diffé- 
raient entiĂšrement  des  nĂŽtres. 

Quand  je  lui  ai  parlé,  quand  je  l'ai  vu  à  l'Elysée,  deux  fois  en  une 
semaine,  j'ai  été  complÚtement  abusée  par  lui,  et  ensuite,  me  croyant 
jouée,  je  n'ai  plus  voulu  le  revoir.  J'ai  quitté  Paris  et  manqué  à  un 
rendez-vous  donné  par  lui.  On  ne  m'a  pas  dit  :  «  Le  roi  a  failli  attendre  » 
on  m'a  écrit  :  «  L'empereur  a  attendu  (1).  »  Mais  j'ai  continué  à  lui 
écrire  quand  j'espérais  sauver  une  victime,  à  commenter  ses  réponses 
et  Ă   l'observer  dans  tous  ses  actes  ;  je  me  suis  convaincue  qu'il  n'avait 
voulu  jouer  personne  ;  il  jouait  tout  le  monde  et  lui-mĂȘme.  Il  croyait 
Ă   ce  qu'il  disait;  mais,  se  regardant  comme  unique  moyen  de  salut, 
comme  l'instrument  investi  d'une  mission  inévitable,  ne  se  sentant 
pas  l'énergie  physique  et  morale  nécessaire,  mais  comptant  la  trouver 
dans  l'arrangement  fatal  des  circonstances,  il  adoptait  toutes  les  idées 
qu'on  voulait  lui  suggérer,  sous  forme  d'oracles  :  «  Allons  toujours  !  se 
disait-il  ;  si  telle  chose  est  impossible,  je  passerai  Ă   une  autre,  et  si  elle 
est  mauvaise,  le  résultat  me  l'apprendra.  »  L'exercice  du  pouvoir 
absolu  aidant,  cette  illusion  de  jouer  à  pile  ou  face  avec  les  événements 
devint  une  monomanie,  et  le  fatalisme  tranquille  et  patient  prit  toutes 
les  apparences  d'une  force  et  d'une  habileté. 

L'habileté  était  nulle.  L'homme  était  naïf  sous  son  air  contenu  et 
réfléchi.  Il  ne  posait  pas  comme  son  oncle.  Il  n'avait  pas  appris  à  se 
draper  dans  la  toge  antique.  Il  était  petit,  voûté,  flétri,  et  ne  cherchait 
point  Ă   paraĂźtre  majestueux.  Louis  Blanc,  qui  l'avait  vu  Ă   Ham,  lui 
avait  trouvé  un  profil  et  un  regard  d'aigle  en  cage.  Le  regard  d'aigle 
avait  disparu  quand  je  le  vis  ;  la  cage  était  restée  ;  quelque  chose  d'in- 
quiet, de  contraint,  de  timide,  qui  se  résolvait  en  expression  affectueuse 

(1)  Cf.  avec  ce  qui  a  été  dit  plus  haut,  ps  210-214. 


252  GEORGE   SAND 

et  triste.  Je  n'ai  pas  à  raconter  ici  les  paroles  échangées  entre  nous  sur 
le  rĂŽle  quĂŻl  jouait  Ă   cette  Ă©poque.  Je  n'allais  point  le  voir  pour  l'inter- 
roger. Il  me  rĂ©pondit  quand  mĂȘme  et  ses  promesses  ne  furent  point 
tenues.  Mais  je  trouvai  une  grande  sensibilité  et  une  spontanéité  de 
bonne  résolution  qui  me  frappÚrent  vivement  Je  crus,  pendant  une 
quinzaine,  qu'il  réparerait  tout  et  qu'il  lutterait  véritablement  pour 
tout  réparer.  Je  me  méfiais  de  son  énergie,  elle  fut  au-dessous  de  ce 
que  j'attendais.  La  persécution  ne  se  relùcha  à  l'égard  de  quelques-uns 
que  pour  peser  plus  cruellement  sur  le  grand  nombre.  Une  prétendue, 
une  fausse  raison  d'Etat  frappa  d'impuissance  l'homme  de  sentiment 
qui  déplorait,  dans  le  principe,  les  moyens  dont  on  s'était  servi  pour 
lui  donner  le  pouvoir,  qui  paraissait  en  ignorer  les  excĂšs,  ĂȘtre  prĂȘt  Ă  
les  désavouer.  H  ne  désavoua  rien  et  accepta  avec  une  lùche  douleur 
les  meurtres  de  la  rue  et  les  iniquités  de  la  persécution  dans  toute  la 
France.  Lui,  sans  haine  et  sans  ressentiment,  chevaleresque  au  besoin 
quand  il  s'agissait  d'oublier  une  injure  personnelle,  il  servit  les  haines 
aveugles,  les  vengeances  odieuses,  je  ne  dirai  pas  d'une  classe  de 
citoyens,  ce  ne  serait  pas  vrai,  mais  de  la  légion  de  ces  gens  de  proie 
qui,  dans  toute  localité  et  en  toute  circonstance,  sont  sur  la  brÚche 
dans  les  mauvais  jours  pour  dénoncer,  maudire  et  calomnier  leurs 
ennemis  personnels  ou  seulement  les  adversaires  dont  ils  redoutent 
l'influence  et  la  moralité.  C'est  à  ces  meneurs  de  réaction  qu'au  grand 
scandale  et  Ă   la  grande  tristesse  des  honnĂȘtes  gens  de  tous  les  partis, 
l'aveugle  souverain,  grisé  par  le  succÚs  du  premier  plébiscite  et  n'en 
comprenant  pas  les  causes  profondes,  se  fit  l'esclave  et  l'obligé  des 
moyens  apparents  de  son  succĂšs.  Il  ne  comprit  pas  qu'il  pouvait  ĂȘtre 
humain  sans  danger.  En  cela  comme  en  tout,  il  se  trompait.  Il  se  trom- 
pait comme  se  trompait  le  parti  radical  en  attribuant  l'Ă©lan  du  vote 
des  campagnes  Ă   la  pression  des  meneurs.  Cette  pression  existait,  mais 
elle  était  parfaitement  inutile.  La  légende  napoléonienne  et  l'effroi 
d'une  république  sans  force  et  sans  union  servaient  l'empire  en  dépit 
de  ses  agissements  sans  pudeur. 

L'Empire  était  proclamé,  je  ne  saurais  dire  fondé  ;  le  titulaire  en 
sapait  la  base  lui-mĂȘme  en  montant  sur  ce  pavois  souillĂ©  que  lui  ten- 
daient les  mauvaises  passions.  -Ne  honnĂȘte  homme,  il  se  faisait  porter 
en  triomphe  par  des  ambitieux  dépourvus  de  tout  scrupule.  Ce  qu'il  y 
avait  d'impur  dans  la  nation  française  allait  travailler  pour  lui  et  le 
rendre  solidaire  de  tout  le  mal  commis  et  Ă   commettre.  La  France 
passa  condamnation.  Et  alors  il  se  crut  grand  et  fort.  Il  entreprit  de 
grandes  choses  qui  ne  pouvaient  aboutir.  H  parut  devoir  mener  Ă   bien 
tout  ce  qui  répondait  au  sentiment  public.  Homme  à  principes  erronés, 
il  gouverna  une  nation  qui  manquait  de  principes  et  qui  mettait  un 
idéal  de  prospérité  romanesque  à  la  place  de  la  vraie  civilisation,  le 


GEORGE   SAND  253 

succĂšs  et  la  chance  Ă   la  place  du  droit  et  de  la  justice.  C'est  donc  par  le 
sentiment  seul  qu'il  pouvait  la  conduire  ;  il  l'avait  compris  un  instant 
en  voulant  sauver  l'Italie.  Il  manqua  de  confiance  pour  son  dénoue- 
ment et  tomba  au  dernier  acte.  DĂšs  lors  son  Ă©toile  pĂąlit,  et  il  ne  la  vit 
plus.  Peut-ĂȘtre  cessa-t-il  d'y  croire,  peut-ĂȘtre  cet  illuminĂ©  devint-il 
sceptique  ;  son  intelligence  ne  pouvait  survivre  Ă   une  telle  transfor- 
mation. 11  commença  à  mourir  durant  la  guerre  du  Mexique.  La  France 
l'avait  trop  accepté,  elle  était  devenue  chimérique  comme  lui,  elle 
partagea  sa  décadence  en  la  précipitant.  Elle  se  trouva  désorganisée, 
anarchique  et  sans  conscience  d'elle-mĂȘme.  Elle  le  maudit  avec  excĂšs 
quand  elle  se  vit  perdue,  l'implacable  colĂšre  ne  s'avoua  pas  qu'elle 
Ă©tait  trop  tardive  pour  ĂȘtre  digne. 

Une  colĂšre  plus  logique  et  plus  noble  fut  celle  de  Victor  Hugo,  qui 
dÚs  le  début  lança  le  plus  éloquent  de  ses  anathÚmes  à  Napoléon,  le 
Petit  Mais  le  grand  poĂšte  romantique  n'eut  pas  ici  le  sens  suffisant  de 
la  rĂ©alitĂ©.  Son  chef-d'Ɠuvre  restera  comme  un  monument  littĂ©raire, 
il  n'a  pas  de  valeur  historique.  Napoléon  III  ne  mérita  jamais  «  ni  cet 
excĂšs  d'honneur  ni  cette  indignitĂ©  »  d'ĂȘtre  traitĂ©  comme  un  monstre. 
Il  ne  mĂ©rita  pas  davantage  d'ĂȘtre  rabaissĂ©  jusqu'Ă   l'idiotisme.  Il  eut, 
comme  homme  privé,  des  qualités  réelles.  J'ai  eu  l'occasion  de  voir  en 
lui  un  cĂŽtĂ©  vraiment  sincĂšre  et  gĂ©nĂ©reux.  Il  eut  aussi  un  rĂȘve  de  gran- 
deur française  qui  ne  fut  pas  d'un  esprit  sain,  mais  qui  ne  fut  pas  non 
plus  d'un  esprit  médiocre.  Vraiment  la  France  serait  trop  avilie  si  elle 
avait  subi  pendant  vingt  ans  la  toute-puissance  d'un  crétin  travaillant 
pour  lui  seul.  Il  faudrait  désespérer  d'elle  à  tout  jamais.  La  vérité  est 
qu'elle  prit  ce  météore  pour  un  astre  et  ce  songeur  silencieux  pour  un 
homme  profond.  Puis,  quand  elle  le  vit  succomber  à  des  désastres 
qu'elle  eût  dû  prévoir  et  prévenir,  elle  le  prit  pour  un  lùche. 

Il  ne  l'Ă©tait  pas,  il  avait  un  courage  froid  et  je  ne  crois  pas  qu'il  tĂźnt 
Ă   la  vie.  Il  se  sentit  Ă©crasĂ©,  dĂ©sillusionnĂ©  de  son  rĂŽle,  peut-ĂȘtre  las  de 
lui-mĂȘme. 

...H  s'est  cru  l'instrument  de  la  Providence.  Il  ne  fut  que  celui  du 
hasard.  Le  parti,  d'abord  minime,  et  tout  Ă   coup  immense,  qui  le  porta 
au  faĂźte  du  pouvoir  ne  fut  mĂȘme  pas  un  parti,  si,  par  lĂ ,  on  entend  une 
fraction  de  nation  obéissant  à  une  doctrine,  à  un  systÚme,  à  une 
croyance  quelconque.  Ce  fut  un  essaim  d'aventuriers  d'abord,  et  puis 
une  réunion  d'intéressés  spéculant  sur  l'aventure,  et  puis  l'engouement 
soudain  des  masses,  dégoûtées  d'une  république  en  dissolution.  La 
France,  devenue  industrielle  sous  Louis-Philippe,  n'Ă©tait  pas  redevenue 
politique  ;  ne  sachant  pas  se  gouverner  elle-mĂȘme,  elle  se  jeta  dans 
l'inconnu.  La  république  s'était  suicidée  en  juin  par  une  effroyable 
scission  entre  le  peuple  et  la  bourgeoisie.  Nous  n'Ă©tions  plus  dignes  de 
la  liberté.  L'inconnu  étrange,  triste,  poli  et  froid,  passait  dans  la  rue 


«54  GEORGE   SAND 

sur  un  cheval  dressé  à  faire  des  courbettes.  Je  lui  trouvai,  ce  jour-là, 
le  profil  de  Don  Quichotte.  Des  gens,  arrivés  à  ce  spectacle  pour  le 
siffler,  l'acclamĂšrent,  je  n'ai  jamais  su  pourquoi.  Une  sorte  de  vertige 
s'était  emparé  de  ce  Paris  des  boulevards  qu'il  avait  mitraillé  la  veille. 
Ce  fut  un  triomphe.  Il  en  parut  Ă©tonnĂ©,  et  peut-ĂȘtre,  car  il  avait  ses 
moments  d'esprit  et  de  malice  discrĂšte,  comprit-il  qu'il  devait  cette 
ovation  Ă   la  grĂące  de  son  cheval.  Paris  est  artiste.  Paris  est  enfant. 
Paris  est  sublime  et  niais,  admirable  aujourd'hui,  absurde  demain.  Il 
vit  cela  et  il  osa,  lui  qui  avait  un  grand  fonds  de  timidité  modeste.  On 
le  voulait  impudent,  il  le  fut.  Il  commanda,  dit-on,  son  manteau  impé- 
rial. Des  ouvriÚres  étaient  occupées  à  en  broder  les  abeilles  d'or,  qu'il 
disait  encore  à  ceux  qui  le  poussaient  en  avant  :  «  Non,  je  ne  trahirai 
pas  la  République  !  »  Et  le  merveilleux  de  l'affaire,  c'est  qu'il  le  disait 
de  bonne  foi.  Il  Ă©tait  dupe  de  lui-mĂȘme  jusqu'au  dernier  moment.  On 
le  persuadait  tout  d'un  coup,  en  lui  montrant  le  succÚs  obtenu  en  dépit 
de  son  inaction,  de  ses  scrupules  ou  de  sa  gaucherie.  H  se  disait  alors  : 
«  C'est  ma  destinée,  donc  c'est  mon  devoir.  »  Et  rien  ne  comptait  plus 
dans  sa  conscience  ni  dans  sa  mémoire.  C'était  le  fanatisme  d'un  autre 
siĂšcle  mettant  l'aigle  dans  le  nimbe  Ă   la  place  du  calice.  H  ne  connais- 
sait pas  le  remords,  pouvant  toujours  se  dire  :  «  Ce  n'est  pas  moi  qui 
l'ai  voulu  ;  c'est  la  fatalité  qui  me  commande.  »  Ce  portrait  n'a  pas  la 
prétention  de  s'imposer  à  l'histoire.  Il  sera  nié,  discuté,  refait  de  mille 
maniĂšres  ;  moi,  je  le  crois  non  bien  fait,  mais  ressemblant.  Je  l'ai  recons- 
truit en  me  promenant  dans  les  bois  et  en  me  rappelant  l'ensemble  des 
détails  qui  m'ont  frappé...  M  la  haine  ni  l'engouement  n'ont  pu  le 
juger. 

De  grandes  prospérités  apparentes,  cachant  des  plaies  profondes  et 
des  cataclysmes  imminents,  caractérisent  les  deux  rÚgnes  des  deux 
Napoléon,  essentiellement  dissemblables.  La  ressemblance,  c'est  que 
l'étoile  des  Napoléon  est  terrible.  C'est  le  fatalisme  oriental  servi  par 
la  légÚreté  française,  et  si  l'on  me  dit  que  j'ai  parlé  du  trépassé  de  Sedan 
avec  trop  d'indulgence,  je  répondrai  ceci  pour  me  résumer  :  «  Le  grand 
coupable,  c'est  l'esprit  aventureux  de  la  France...  » 


George  Sand  avait  consacré  un  article  au  Jules  César  de  Napo- 
léon III,  que  l'auteur  lui  avait  envoyé  avec  un  ex-dono  auto- 
graphe fort  aimable,  tout  comme  il  l'avait  fait  pour  ses  Idées 
napoléoniennes  et  Y  Extinction  du  paupérisme.  L'article  de  George 
Sand,  trĂšs  adroit,  peut  ĂȘtre  appelĂ©  un  chef-d'Ɠuvre  d'aimable 
impartialité.  Effectivement,  tout  en  signalant  les  mérites  sérieux 
de  l'Ɠuvre,  Mme  Sand  en  note  aussi  les  quelques  dĂ©fauts,  surtout 


GEORGE   SAND  255 

un  certain  parti  pris  dans  la  maniĂšre  de  conter  l'histoire  du  grand 
ambitieux  romain.  Cet  article  parut  en  1865. 

Les  bonnes  relations  de  Mme  Sand  avec  le  prince  JĂ©rĂŽme 
ainsi  qu'avec  la  princesse  Mathilde,  la  princesse-dilettante  la  plus 
originale  qui  ait  jamais  existé,  un  esprit  rare,  mais  un  type  de 
femme  des  plus  Ă©tranges,  durĂšrent  jusqu'Ă   sa  mort.  C'est  entre 
1858  et  1870,  et  surtout  entre  1860  et  1867,  que  Mme  Sand  fré- 
quenta le  salon  de  la  princesse  et,  au  dire  d'un  de  leurs  amis 
communs  que  j'avais  connu,  elle  y  était  toujours  invitée  avec 
Manceau,  son  compagnon  inséparable  d'alors  :  la  princesse 
n'avait  pas  de  préjugés  ni  de  morgue,  mais  elle  détestait  la  médio- 
crité, surtout  la  médiocrité  féminine.  On  retrouve  dans  les 
papiers  de  George  Sand  bon  nombre  de  lettres  de  la  princesse. 

Nous  avons  déjà  dit  que  George  Sand  fit  la  connaissance  du 
prince  JérÎme  par  l'intermédiaire  de  sa  fille  Solange  et  du  comte 
d'Orsay,  en  1852.  L'amitié  fut  vite  établie  à  partir  de  cette 
Ă©poque  et  une  correspondance  suivie  s'engagea  entre  eux.  Le 
prince  aida  beaucoup  Mme  Sand  dans  ses  démarches  en  1852 
comme  en  1858  en  faveur  de  PĂ©rigois  et  de  Patureau-Francceur.  H 
contribua  aussi,  cette  mĂȘme  annĂ©e,  Ă   faire  dĂ©corer  Maurice  Sand. 
Cette  amitié  avec  le  prince,  commencée  sous  les  auspices  de 
Solange,  n'en  continua  pas  moins  lors  de  la  liaison  du  prince 
avec  Rachel.  Mme  Sand  nota  dans  son  journal  intime  que  le 
18  mars  1853  elle  dĂźna  chez  le  prince  dans  son  appartement  de 
garçon  avec  Rachel,  Cabarrus,  Dumas  fils,  de  Girardin,  etc.,  etc. 
Puis,  Ă   la  date  du  13  septembre  de  cette  mĂȘme  annĂ©e  elle  Ă©crivit  : 
«  Rachel  vient  à  onze  heures  du  matin  en  grande  calÚche  décou 
verte  avec  Napoléon  et  les  larbins  galonnés...  »  Et  lorsque  la 
grande  tragédienne  fut  remplacée  auprÚs  du  prince  par  la  char- 
mante comédienne,  Mme  Arnould-Plessy,  femme  aussi  adorable 
qu'elle  était  fine  artiste,  l'amitié  de  Mme  Sand  pour  le  prinee 
ne  put  que  s'accroßtre,  car,  dÚs  1847,  George  Sand  avait  voué 
un  attachement  tout  maternel  Ă   la  jeune  veuve,  et  Mme  Arnould 
adora  toujours  Mme  Sand,  comme  on  le  voit  par  ses  lettres. 

Cette  amitié  survécut  à  la  rupture  survenue  entre  le  prince 
et  Mme  Arnould,  elle  s'accrut  mĂȘme  et  se  fortifia,  car  Mme  Sand 


256  GEORGE   SAND 

eut,  Ă   ce  moment  tragique,  Ă   secourir  la  pauvre  Sylvanie  et  lui 
donner  du  courage.  Puis,  pour  la  détourner  de  son  désespoir  et 
de  ses  réflexions  amÚres  et  pour  ne  plus  lui  permettre  de  se  ronger 
le  cƓur  et  1* esprit,  elle  sut  lui  faire  prendre  goĂ»t  aux  sciences 
naturelles,  la  poussa  à  lire  sérieusement,  lui  fit,  en  un  mot,  oublier 
sa  personnalité,  chose  que  George  Sand  avait  toujours  et  sans 
relĂąche  prĂȘchĂ©e  dans  ses  romans  et  dans  la  vie  rĂ©elle  (1). 

Il  y  eut  plus  tard  un  moment  oĂč  cette  longue  amitiĂ©  sembla 
se  refroidir  et  s'Ă©clipser,  ce  fut  lorsque  Mnie  Arnould  devint 
assez  subitement  une  catholique  pratiquante,  entiĂšrement  sou- 
mise Ă   ses  directeurs  de  conscience,  surtout  au  pĂšre  Hyacinthe 
Loyson,  non  encore  sĂ©parĂ©  de  l'Église.  Mme  Sand  et  Mme  Arnould 
Ă©changĂšrent  alors  des  lettres  fort  curieuses,  et  il  faut  avouer  que 
dans  ces  lettres  c'est  Ă   Mme  Arnould  qu'appartient  le  plus  beau 
rÎle.  Mme  Sand,  qui  était  à  ce  moment  particuliÚrement  excitée 
contre  le  clergĂ©  —  Ă   cause  de  l'influence  alors  croissante  en 
France  du  clĂ©ricalisme,  —  et  qui  avait  par  contre  beaucoup  de 
sympathie  pour  le  protestantisme,  traite  dans  ses  lettres  avec 
une  grande  véhémence  et  en  des  termes  désagréablement  ùpres 
cette  Ă©volution  dans  la  vie  de  son  amie.  Mme  Arnould-Plessy 
lui  répond  avec  grande  douceur  et  respect  que,  quelles  que  fus- 

(1)  Sylvanie  Arnould-Plessy,  foudroyée  par  la  trahison  et  la  brutale  gros- 
siÚreté de  son  amant  infidÚle,  sauvée  du  désespoir  par  l'illustre  femme  qui  la 
poussa  Ă   Ă©tudier  les  sciences  naturelles,  Ă   oublier  son  pauvre  petit  moi  au 
milieu  de  la  grande  Nature  —  dans  l'une  de  ses  lettres  pleines  d'une  grati- 
tude enthousiaste,  parlait  en  ces  termes  du  roman  de  VahĂšdre,  oĂč  George 
Sand  avait,  avec  le  plus  de  netteté,  dit  sa  pensée  sur  le  travail  qui  nous  sauve 
et  la  science  qui  nous  ennoblit  et  nous  Ă©lĂšve  : 

...Je  vais  vous  remercier  plus  particuliĂšrement  encore  de  VahĂšdre  que 
de  tout  le  reste. 

><  Ce  livre  est  pour  moi  moral  et  poétique  au  dernier  point.  J'en  admire 
tous  les  sentiments,  toutes  les  idées  et  votre  héros  (le  Travail)  me  paraßt  aussi 
le  Dieu  qu'il  faut  apprendre  à  aimer  dÚs  l'enfance  et  le  grand  générateur  de 
toutes  les  vertus. 

‱  Cette  vĂ©ritĂ©,  qui  devrait  ĂȘtre  banale,  est  ignorĂ©e  de  presque  toutes  les 
femmes,  et  vous  la  rendez  si  saisissable,  vous  employez  pour  convaincre  des 
paroles  si  douces  que  la  lecture  de  ce  livre  doit  faire  du  bien. 

«  Moi,  je  vous  félicite,  je  vous  remercie,  je  vous  fais  mon  plus  beau  compli- 
ment, parce  que  j'ai  été  attendrie  et  parce  qu'aprÚs  la  lecture,  à  la  réflexion, 
le  charme  n'a  fait  que  croĂźtre. 

<  Adieu,  grande  maman  du  public  ! 

t  Et  que  Dieu  vous  garde  et  vous  bénisse.  » 


GEORGE   SAND  257 

sent  ses  croyances,  quelque  méritée  que  fût  la  désapprobation  de 
la  part  de  Mme  Sand,  elle  ne  cessera  jamais  de  l'aimer  et  de  la 
vénérer.  H  est  de  toute  curiosité  que  le  pÚre  Loyson  prit  lui- 
mĂȘme  part  Ă   cette  polĂ©mique  et  qu'il  Ă©crivit  Ă   Mme  Sand  une 
lettre  oĂč  il  lui  expliquait  qu'elle  avait  tort  de  le  croire  dominĂ© 
par  un  esprit  de  prosélytisme  effréné  et  par  le  désir  de  tendre 
des  piĂšges  Ă   l'Ăąme  de  sa  fille  spirituelle.  Ces  correspondances 
sont  encore  inédites,  mais  nous  trouvons  déjà  des  allusions  à  cet 
Ă©pisode  —  qui  mit  durant  quelque  temps  un  certain  froid  dans 
les  rapports  entre  la  grande  romanciĂšre  et  la  gracieuse  actrice, 
—  dans  la  Correspondance  imprimĂ©e  de  George  Sand,  seulement, 
tous  les  noms  propres  y  ont  été  omis  (1).  Les  lettres  de 
Mme  Arnould  à  George  Sand  forment  une  série  de  pages  ravis- 
santes, de  tendres  Ă©panchements,  dignes  d'ĂȘtre  publiĂ©s  intĂ©gra- 
lement. Les  réponses  de  George  Sand  sont  en  partie  imprimées 
dans  la  Correspondance  et  rappellent  par  leur  maniĂšre  ses  let- 
tres Ă   Mme  Augustine  de  Bertholdi,  sa  cousine,  qui  ne  se  lisent 
certes  pas  avec  un  moindre  plaisir.  C'est  bien  de  ces  deux  cor- 
respondances qu'on  aura  raison  de  dire  que  George  Sand  s'y 
montre  vraiment  maternelle. 

Nous  semblons  nous  ĂȘtre  Ă©loignĂ©s  de  notre  sujet.  Cela  n'est 
pas.  C'est  justement  grùce  à  Mme  Plessy  que  l'amitié  du  prince 
JĂ©rĂŽme  pour  Mme  Sand  devint  plus  forte.  Charles  Edmond  fut 
aussi  un  trait  d'union  entre  eux.  Le  prince  fit  sa  premiĂšre  appa- 
rition incognito  Ă   Nohant  en  1857.  Nous  apprenons  par  les  lettres 
inédites  de  George  Sand  qu'elle  avait  dû  prendre  toutes  ses 
mesures  pour  éviter  les  trop  grandes  indiscrétions  de  la  curiosité 
provinciale,  mais  elle  n'y  put  réussir,  et  la  visite  du  prince  eut  sa 
lĂ©gende.  C'est  ainsi  qu'on  assurait  qu'au  moment  oĂč  le  prince 
JérÎme,  accompagné  de  Charles  Edmond,  entra  dans  la  cour  du 
chĂąteau,  Mme  Sand  vint  Ă   sa  rencontre,  lui  disant  de  la  maniĂšre 
la  plus  familiÚrement  irrévérencieuse  :  «  Hé  !  bonjour,  mon  vieux, 
il  était  grand  temps  »,  etc.,  etc.,  ce  qui  aurait  été  entendu  par 

(1)  Voir  la  lettre  Ă   Flaubert  du  18  septembre  1868,  Cf.  Correspondance, 
t.  V.  p.  276-277  et  Correspondance  entre  George  Sand  et  Gustave  Flaubert, 
p.  130  et  suivantes. 

iv.  t, 


25S  GEORGE   SAND 

«  un  espion  invisible  »  qui  se  cachait  on  ne  sait  trop  oĂč,  dans  cette 
mĂȘme  cour.  C'Ă©tait  Ă   Charles  Edmond  que  George  Sand  avait 
adressé  la  bienvenue,  justement  afin  de  ne  pas  parler  d'abord  au 
prince  qui  tenait  Ă   garder  son  incognito  (1). 

Nous  voyons  par  ime  lettre  de  Mme  Arnould-Plessy  Ă   George 
Sand  que  le  prince  fut  taquiné  à  CompiÚgne  à  propos  de  ce  voyage 
Ă   Nohant,  mais  qu'Ă   ce  mĂȘme  moment  arriva  ime  lettre  de 
George  Sand  à  l'impératrice  (2),  cette  derniÚre  se  mit  à  s'enthou- 
siasmer sur  le  compte  de  la  grande  romanciĂšre  et  comprit  parfai- 
tement l'engouement  de  son  cousin. 

AprĂšs  cette  premiĂšre  visite,  le  prince  JĂ©rĂŽme  vint  Ă   Nohant 
plusieurs  fois  encore.  C'est  ainsi  qu'il  s'y  rendit  en  1868,  le  jour 
du  baptĂȘme  protestant  des  petites-filles  de  George  Sand,  il  fut 
mĂȘme  le  parrain  d'Aurore  ;  il  y  assista  aussi  Ă   des  reprĂ©sentations 
des  célÚbres  marionnettes  ;  il  joua  au  jeu  de  l'oie  et  aux  dominos 
dans  le  grand  salon  de  Nohant  ;  il  vint  enfin,  prévenu  par  un 
télégramme  de  Maurice  Sand,  le  10  juin  1876  pour  assister  aux 
funérailles  de  sa  vieille  amie.  Le  prince  avait  été  lié  tout  autant, 
si  ce  ne  fut  plus  encore,  avec  Maurice  Sand  qui  devint  l'hĂŽte 
familier  de  sa  maison,  et  fut  son  compagnon  de  voyage  en  1861, 
à  bord  du  JérÎme-Napoléon,  voyage  décrit  par  Maurice  Sand 
dans  son  livre  Six  mille  lieues  Ă   toute  vapeur  dont  George  Sand 
écrivit  la  préface. 

Dans  la  correspondance  de  Mme  Sand,  ses  lettres  au  prince 
JérÎme  sont  des  plus  intéressantes  ;  elles  touchent  aux  questions 
sociales,  politiques,  littéraires  et  personnelles  les  plus  diverses 
et  nous  montrent  que  leur  auteur  oubliait  parfaitement  qu'elle 
avait  affaire  Ă   un  cousin  de  l'empereur  ;  elle  le  traitait  avec  la 
mĂȘme  simplicitĂ©,  avec  la  mĂȘme  franchise  attrayante,  la  mĂȘme 
sincérité  que  les  jeunes  amis  qui  l'entouraient  dans  ses  vieux 
jours.  - 

En  terminant  cette  histoire  des  relirions  de  George  Sand  avec 
les  descendants  de  celui  dont  l'éclat  avait  projeté  ses  rayons  sur 

(1)  Lettres  médites  de  George  Sand  à  Charles  Edmond  et  à  Charles 
Duvernet  du  8  septembre  1867. 

(2)  Voir  plus  haut  p.  239. 


GEORGE   SAND  259 

son  enfance  (1),  nous  ne  pouvons  nous  abstenir  de  faire  connaĂźtre 
au  lecteur  —  s'il  ne  le  connaĂźt  dĂ©jĂ   par  une  allusion  du  Journal 
des  Ooncourt — un  fait  du  plus  parfait  comique.  Lorsqu'en  l'annĂ©e 
terrible  on  brûla  et  pilla  les  Tuileries,  on  trouva  dans  le  cabinet 
de  travail  de  Napoléon  III  l'extraordinaire  épßtre  qui  suit  : 

Grande  chancellerie.  Cabinet  de  l'Empereur. 

29  mai  1869  21  mai  1869 

Le  baron  Casimir  Dudevant,  ancien  officier  du  premier  Empire, 

à  Sa  Majesté  V Empereur  des  Français. 
Sire, 

AprÚs  avoir  déposé  aux  pieds  de  Votre  Majesté  l'hommage  de  mon 
dévouement  et  de  ma  respectueuse  fidélité,  j'ai  l'honneur  de  voue 
exposer  ce  qui  suit  : 

Je  suis  fils  de  M.  François  Dudevant,  colonel  sous  le  premier  Empire, 
créé  baron  par  Napoléon  Ier,  membre  du  Corps  législatif,  chevalier  de 
Saint-Louis  et  de  l'ordre  impérial  de  la  Légion  d'honneur. 

Sorti  officier  de  l'Ă©cole  de  Saint-Cyr  en  1815,  au  retour  de  l'Ăźle  d'Elbe 
j'ai  eu  l'honneur  de  faire  partie  de  l'armée  de  la  Loire.  Depuis  rentré 
dans  la  vie  privée,  j'ai  rempli  pendant  quarante  ans  les  fonctions  de 
maire  soit  Ă   Nohant  (Indre),  soit  Ă   Pompiey  (Lot-et-Garonne).  Il  y  a 
quelques  années,  j'ai  été  honoré  de  la  médaille  de  Sainte-HélÚne. 

Pendant  cette  période  de  quarante  années  passées  à  l'administra- 
tion de  deux  communes,  j'ai  servi  avec  dévouement  et  honneur  les 
différents  pouvoirs  qui  ont  régi  la  France  ;  mais  par  les  souvenirs  et 
les  inclinations  naturelles,  je  suis  demeuré  invariablement  attaché  à 
la  dynastie  impériale,  et  n'ai  cessé  d'appeler  son  retour  de  tous  mes 
vƓux. 

Sire,  jusqu'à  présent  je  n'ai  rien  sollicité  pour  les  services  que  je 
peux  avoir  rendus  Ă   mon  pays  ;  mais  au  moment  oĂč  Votre  MajestĂ© 
annonce  qu'Elle  veut  célébrer  clignement  le  jubilé  national  du  cente- 
naire du  glorieux  fondateur  de  votre  dynastie,  en  répandant  un  peu 
de  bien-ĂȘtre  sur  les  vieux  compagnons  d'armes  de  l'Empereur,  au 
moment  oĂč  la  France  convoquĂ©e  dans  ses  comices,  va  ratifier,  en  1869, 
ce  qu'elle  a  fait  en  1851  par  une  manifestation  si  Ă©clatante  et  Ă   laquelle 
je  suis  fier  d'avoir  pris  part,  j'ai  pensé  que  l'heure  était  venue  de 
m'adresser  au  cƓur  de  Votre  MajestĂ©  pour  en  obtenir  la  rĂ©compense 
honorifique  que  je  crois  avoir  méritée. 

(1)  Voir  George  Sand,  sa  vie  et  ses  Ɠuvres,  t.  I,  p.  97-99 


36o  GEORGE   SAND 

Sur  le  soir  de  mes  jours  j'ambitionne  la  croix  de  la  LĂ©gion  d'honneur. 
C'est  lĂ   la  faveur  suprĂȘme  que  je  sollicite  de  votre  magnificence  impĂ©- 
riale. 

En  demandant  cette  récompense,  je  m'appuie  non  seulement  sur 
mes  services,  depuis  1815,  au  pays  et  au  pouvoir  Ă©tabli,  services  sans 
Ă©clat,  insuffisants  peut-ĂȘtre,  mais  encore  sur  les  services  Ă©minents 
rendus  par  mon  pĂšre  depuis  1792  jusqu'au  retour  de  l'Ăźle  d'Elbe.  Bien 
plus,  j'ose  encore  invoquer  des  malheurs  domestiques  qui  appartiennent 
à  l'histoire  (1).  Marié  à  Lucile  Dupin,  connue  dans  le  monde  littéraire 
sous  le  nom  de  George  Sand,  j'ai  été  cruellement  éprouvé  dans  mes 
affections  d'époux  et  de  pÚre,  et  j'ai  la  confiance  d'avoir  mérité  le  sym- 
pathique intĂ©rĂȘt  de  tous  ceux  qui  ont  suivi  les  Ă©vĂ©nements  lugubres  qui 
ont  signalé  cette  partie  de  mon  existence. 

Sire,  je  n'ai  plus  aujourd'hui  Ă   mettre  au  service  de  l'Empereur  et  de 
la  France  des  lumiÚres  et  des  forces  que  l'ùge,  les  infirmités  et  les 
malheurs  m'ont  retirĂ©es  Ă   jamais  ;  mais  je  conserve  dans  le  cƓur  un 
patriotisme  que  les  années  n'ont  pas  affaibli,  et  un  attachement  inal- 
térable à  votre  Auguste  Personne  et  à  votre  dynastie. 

C'est  dans  ces  sentiments  que  j'ai  la  confiance  que  Votre  Majesté 
accueillera  avec  faveur  mon  humble  requĂȘte. 

J'ai  l'honneur  d'ĂȘtre,  Sire,  de  Votre  MajestĂ©,  le  trĂšs  fidĂšle  sujet. 

Dudevaxt. 
Barbaste  (Lot-et-Garonne),  le  16  mai  1869. 


Ce  curiosissime  document  apporte  sa  pointe  de  comique  dans 
l'histoire  des  rapports  de  George  Sand  avec  l'Elysée  ;  c'est  comme 
une  farce  jouée  aprÚs  une  grande  piÚce. 

Nous  avons  toutefois  tort  de  faire  emploi  de  ces  termes  de  tré- 
teaux, le  seul  qui  convienne  Ă   propos  des  relations  de  George  Sand 
avec  le  promoteur  du  coup  d'État,  c'est  le  mot  «  tragique  ». 

Nous  nous  demandons  ce  que  pouvait  faire,  Ă   ce  moment,  une 
femme  contre  ce  régime  établi  contre  lequel  les  hommes  les  plus 
courageux,  les  plus  belliqueux,  Ă©taient  impuissants?  Artiste, 
elle  devait  s'efforcer,  en  ces  noires  années  d'abattement  général, 
de  poursuivre  le  culte  du  Bien,  du  Bon  et  du  Vrai.  Femme,  elle 
sentit  avant  tout  la  nécessité  d'aider,  de  secourir,  de  réconforter, 

(1)  C'est  nous  qui  soulignons. 


GEORGE   SAND  261 

de  consoler  et  de  sauver  immédiatement  ceux  qu'on  pouvait  encore 
sauver. 

Nous  nous  inclinons  devant  Jeanne  d'Arc,  son  oriflamme  en 
mains,  volant  au-devant  des  ennemis  de  son  pays.  Nous  admi- 
rons Mme  de  Staël  déclarant  bravement  la  guerre  à  outrance 
au  souverain  de  l'Europe.  Mais  combien  nous  semble  plus  ado- 
rable cette  sainte  Elisabeth,  son  tablier  rempli  de  pain  pour  les 
mendiants,  s'acheminant  doucement,  mais  courageusement  vers 
les  indigents,  malgré  la  défense  sévÚre  de  son  seigneur  et  maßtre, 
visitant  les  hÎpitaux  et  y  subissant  les  injures  des  moines,  repré- 
sentants de  cette  mĂȘme  doctrine  du  Christ  qu'elle  venait  prĂȘcher 
par  son  apostolat  sublime.  Si  les  discours  passionnés  de  George 
Sand  en  1848,  ses  bulletins,  ses  articles  resplendissent  du  feu  de 
l'enthousiasme,  de  l'ardeur  militante,  quelle  douce  chaleur,  quel 
souffle  de  charité,  de  pitié  s'exhale  des  innombrables  paperasses 
qui  sont  comme  le  monument  manifeste  de  ses  relations,  en  1852, 
avec  Napoléon  et  son  entourage  d'une  part,  et  avec  ses  amis 
républicains  d'autre  part.  Les  républicains  outrés  condamnÚrent 
George  Sand  tout  aussi  férocement  que  le  landgrave  de  Hesse 
qui  arracha  furieusement  le  tablier  des  mains  de  sa  femme  ;  ils 
ne  comprenaient  pas  mieux  ce  qu'elle  faisait  et  ils  crurent  qu'elle 
dérogeait,  comme  les  moines  thuringiens  qui  ne  comprenaient 
pas  comment  une  princesse  pouvait  s'abaisser  au  point  de  servir 
la  vile  multitude.  Et  la  sainte  landgrave  fut  déclarée  folle, 
enfermée,  délaissée  par  tout  le  monde.  Mais  les  années  s'écou- 
lÚrent, et  la  mémoire  de  la  grande  sainte  resplendit  et  fleurit 
toujours,  comme  les  roses  qui  tombĂšrent  de  son  tablier...  Le 
lointain  historique  change  les  points  de  vue,  il  apaise  les  passions, 
les  indignations,  les  colĂšres.  Et  toutes  ces  feuilles  jaimies,  ces 
listes,  ces  «  mémoires  »,  ces  demandes  et  ces  réponses  officielles 
nous  apparaissent  autant  de  saintes  roses  qui  ceignent  la  tĂȘte  de 
George  Sand  de  la  plus  belle  couronne  que  puisse  porter  une 
femme,  la  couronne  de  pitié,  de  charité  et  de  miséricorde  ! 


CHAPITRE  X 

LE   THÉÂTRE   DE    GEORGE    S  AND 

Gabriel  —  Les  Mississipiens.  —  Cosima.  —  François  le  Champi.  —  La 
Commedia  delV  arte  et  les  Marionnettes  Ă   Xohant.  —  Le  ChĂąteau  des  DĂ©sertes, 

—  L'Homme  de  Neige  et  Narcisse.  — Le  Roi  attend.  —  Moliùre  et  Mariette. 

—  Claudie.  —  Le  Pressoir.  —  L'Ă©poque  thĂ©Ăątrale  Ă   Nohant  (1850-1856). 

—  Maütre  Faviïlaet  deux  lettres  de  Charles  Baudelaire.  —  Le  Mariage  de 
Victorine.  —  Les  Vacances  de  Pandolphe.  —  Mont-RevĂȘche  et  le  DĂ©mon  du 
foyer.  —  Françoise.  —  Comme  il  vous  plaira  et  Rouviùre.  —  Lucie.  — 
PiÚces  tirées  de  romans  :  Mauprat,  Flaminio.,  Les  Beaux  messieurs  de 
Bois-dorĂ©.  —  Le  PavĂ©.  —  Le  Drac.  —  La  Nuit  de  NoĂ«l.  —  Marguerite 
de  Sainte-Gemme.  —  La  Laitiùre  et  le  pot  au  lait.  —  Un  bienfait  n'est  jamais 
perdu.  —  L'Autre. 


C'est  Gabriel  qu'il  faut  considérer  comme  le  premier  essai 
de  George  Sand  dans  l'art  dramatique,  quoiqu'elle  l'ait  intitulé 
simplement  «  roman  dialogué  ».  Ne  voulant  pas  reprendre  une 
seconde  fois  l'analyse  de  cette  piÚce,  nous  récapitulerons  seule- 
ment ce  que  nous  en  avons  dit  dans  notre  volume  II  (1),  nous 
trouvons  que  par  ses  qualités  littéraires,  autant  que  par  la 
puissance  de  son  action  dramatique  cette  Ɠuvre  mĂ©rite  d'ĂȘtre 
jouée  bien  plus  que  beaucoup  de  piÚces  de  George  Sand  les  plus 
prÎnées.  Rappelons  que  Balzac,  aussi,  avait  prié  l'auteur  de 
mettre  ce  drame  en  scÚne.  On  a  retrouvé  dans  les  papiers  de 
George  Sand  une  ébauche  de  scénario  tiré  de  Gabriel.  Mais  cette 
piÚce  ne  fut  jamais  jouée.  On  nous  a  dit  que  Mme  Sarali 
Bernhardt  avait  eu  l'idée  de  jouer  Gabriel,  que  M.  Henri  Amie 
avait  essayé  de  l'arranger  pour  le  théùtre.  Mais  puisque  ces 
projets  restÚrent  inexécutés  nous  exprimons  le  vif  désir  de  voir 
jouer  un  jour  Gabriel,  sa'ns  changement  aucun,  rien  qu'avec 
quelques  coupures  peut-ĂȘtre.  Nous  dĂ©sirons  surtout  qu'on  garde 

(1)  V.  George  Sand,  sa  vie  et  ses  aruvres,  vol.  II,  p.  143-146. 


GEORGE   SAND  263 

intact  le  sombre  et  poétique  dernier  acte  avec  cette  scÚne  émou- 
vante oĂč,  aprĂšs  le  monologue  de  Gabriel-.G-abrielle,  dont  la  dou- 
leur et  le  désespoir  aboutissent  à  une  indifférence  générale,  à 
une  apathie  absolue,  Gabrielle  meurt  assassinée.  Ce  dénouement 
Ă©meut  ;  il  doit  satisfaire  le  spectateur,  parce  qu'il  apparaĂźt 
comme  une  nécessité  :  Gabrielle  ne  peut  plus  vivre,  elle  a  vécu 
tout  ce  qu'un  cƓur  humain  peut  supporter,  il  ne  lui  reste  plus 
de  force.  Si  ce  bravo  ne  la  tuait  pas  par  méprise,  elle  mourrait 
quand  mĂȘme,  elle  attraperait  une  maladie,  un  coup  de  vent 
l'emporterait,  le  plus  petit  ruisseau  suffirait  pour  la  noyer,  car 
le  souffle  de  vie,  l'esprit  qui  fait  lutter  et  se  défendre,  ne  l'anime 
plus.  Elle  est  donc  Ă   la  merci  du  moindre  hasard.  Nous  conseil- 
lerions beaucoup  Ă   l'auteur  qui  voudrait  mettre  Gabriel  Ă   la 
scĂšne  de  ne  rien  retoucher  Ă   ce  dernier  acte,  de  ne  le  point  gĂąter 
par  des  arrangements,  et  nous  sommes  sûr  que  tous  les  spec- 
tateurs seront  de  l'avis  de  Balzac. 

La  seconde  piĂšce  de  George  Sand  fut  un  proverbe  :  Les  Mis- 
sissipiens.  Nous  avons  dit  ailleurs  (1)  quels  types  incomparables 
présentent  le  vieux  duc  et  la  marquise  de  Puymontfort.  Ce  sont 
des  portraits  vivants.  C'est  au  milieu  des  personnages  de  ce  grand 
monde  à  son  déclin  que  s'écoulÚrent  les  premiÚres  années  d'Au- 
rore Dupin  chez  son  aïeule  Marie-Aurore  de  Saxe,  dans  son  élé- 
gant petit  salon  rue  des  Mathurins  et  plus  tard  rue  Thiroux. 
George  Sand  prétendit  qu'ayant  entrepris  le  prologue  des  Mis- 
sissipiens,  avec  l'intention  d'en  faire  une  piÚce  de  théùtre,  la 
donnée  lui  parut  peu  convenir  à  la  scÚne,  l'action  assez  embrouil- 
lée se  passant  au  temps  de  John  Law,  la  passion  de  l'argent  et 
l'affolement  de  la  spéculation  dominaient  son  sujet  plus  qu'il 
ne  lui  plaisait.  Plus  tard,  cependant,  Balzac  composa  son  Mer- 
cadet  sur  une  donnée  semblable,  mais  il  la  modernisa,  Mme  Sand 
intitula  donc  ses  Mississipiens  «  nouvelle  dialoguée  ».  Malgré 
cette  réserve  les  Mississipiens  appartiennent  certainement  à  la 
littérature  dramatique,  et  nous  partageons  entiÚrement  l'avis 
de  M.  Caro  qui  prétend  que  Gabrielle,  les  Sept  cordes  de  la  lyre 

(1)  George  Sand,  sa  vie,  etc.,  t.  Ier,  p.  124. 


264  GEORGE   SAND 

et  les  Missmipiens  sont  comme  un  spectacle  idéal  que  Mme  Sand 
a  donné  à  son  imagination.  C'est  pour  cela  qu'ils  demeurent 
Ă©troitement  liĂ©s  Ă   toutes  ses  Ɠuvres  dramatiques  :  ce  sont  ses 
premiers  essais. 

La  troisiùme  Ɠuvre  dramatique  de  George  Sand  :  Cosima, 
fut  certainement  Ă©crite  pour  ĂȘtre  jouĂ©e.  Ce  drame  dont  le  sous- 
titre  est  la  Haine  dans  Vamour  fut,  comme  nous  le  savons  déjà, 
représenté  en  avril  1840.  Au  dire  de  Heine,  la  piÚce  n'obtint 
qu'un  succĂšs  d'estime;  il  Ă©crivit  mĂȘme  plus  tard  et  non  sans 
raison  que  ce  fut  un  vrai  four.  Et  ce  fwt  justice.  Quoique  George 
Sand  déclarùt,  dans  sa  Préface,  que  le  froid  accueil  du  public 
n'était  nullement  mérité,  et  qu'elle  défendßt  son  droit  d'essayer  une 
maniÚre,  de  faire  une  piÚce  qui  intéresserait  non  pas  par  des  coups 
de  théùtre  et  de  grands  effets  de  situations,  mais  par  l'analyse 
seule  de  sentiments  intimes,  de  petits  événements  de  famille, 
et  quoique  George  Sand  elle-mĂȘme  d'une  part  et  de  l'autre  le 
cĂ©lĂšbre  critique  Ă©reinteur  Senkowski,  qui  se  divertit  extrĂȘme- 
ment Ă   la  lecture  de  cette  nouvelle  Ɠuvre  de  Georgius  Sand  » 
aient  dĂ©montrĂ©  que  Cosima  Ă©tait  bien  la  propre  sƓur  d'Indiana 
et  de  LĂ©lia,  —  mais  idĂ©e  et  exĂ©cution,  vouloir  et  pouvoir  sont  deux. 
Faisant  montre  comme  Gabriel  d'un  boursouflage  de  style  et 
d'un  romantisme  outré,  rappelant  toutefois  comme  Gabriel 
encore,  certaines  piĂšces  de  Hugo  et  de  Musset,  Cosima  nous 
paraĂźt  notamment  une  Ɠuvre  de  pure  convention  thĂ©Ăątrale, 
irréelle,  ennuyeuse. 

L'insuccÚs  de  Cosima  fit  pour  longtemps  abandonner  le  théùtre 
à  George  Sand,  mais  M.  Caro  a  encore  raison  de  dire  que  «  cet 
effort  infructueux  avait  irrité  sa  passion  du  théùtre  plus  encore 
qu'il  ne  l'avait  découragée  ». 

Et  voici  qu'un  beau  soir  d'automne  de  1846,  alors  que  toute  la 
famille  de  Nohant  passait  la  veillée  dans  le  grand  salon,  tandis 
que  Chopin  pianotait  en  sourdine  une  de  ses  Ɠuvres  inachevĂ©es, 
au  bruit  des  conversations,  et  que  Mme  Sand  cousait  prĂšs  de  la 
table,  la  jeunesse  soudain  eut  l'idée  de  se  costumer.  AussitÎt 
dit,  aussitĂŽt  fait.  Tous  disparurent.  Une  demi-heure  aprĂšs,  le 
vieux  salon  Louis  XV  fut  envahi  par  une  bruyante  compagnie  : 


GEORGE   SAND  265 

marquis,  hidalgos,  ogres,  pierrots,  soubrettes  et  princesses.  A 
peine  le  grand  pianiste  s'en  aperçut-il,  que  sans  perdre  une 
seconde,  il  attaqua  un  boléro  improvisé,  au  son  duquel  tous  ces 
soi-disant  Espagnols  et  Gitanos  se  mirent  à  exécuter  les  pas  les 
plus  fantastiques  que  l'on  puisse  imaginer.  Puis,  vint  un  autre 
air  de  ballet  ;  de  nouvelles  danses  s'improvisĂšrent.  Et  l'artiste 
de  génie  et  les  jeunes  danseurs  se  sentirent  grisés  par  leur  succÚs. 
Le  lendemain,  le  spectacle  improvisé  recommença  :  le  corps  de 
ballet  de  la  veille  hasarda  plusieurs  soli  et  mĂȘme  quelques  scĂšnes 
mimées,  tantÎt  drÎles,  tantÎt  sentimentales.  DÚs  que  l'un  des 
danseurs  changeait  de  costume,   confectionné  avec  autant  de 
spontanéité  que  de  simplicité  (quelques  défroques  de  couleur  en 
faisaient  les  frais),  aussitĂŽt  Chopin  adaptait  son  jeu  Ă   ce  nouvel 
aspect  du  danseur,  et  cette  nouvelle  improvisation  inspirait  Ă  
son  tour  quelque  nouveau  pas  aux  jeunes  disciples  de  Terpsi- 
chore  (1).  On  se  mit  à  jouer  des  pantomimes  entiÚres  accompagnées 
par  cette  adorable  musique.  Puis,  on  exécuta,  outre  les  danses, 
des  scÚnes  dialoguées  improvisées.  Lorsque  Chopin  reprit  ses 
leçons  à  Paris,  on  continua  pendant  quelque  temps  les  danses, 
Mme  Sand  s'étant  chargée  du  piano;  puis  on  abandonna  les 
danses  et  on  s'adonna  Ă   de  vrais  spectacles  dans  le  genre  de 
l'ancienne  commedia  delV  arte  italienne,  on  joua  des  piĂšces  impro- 
visĂ©es d'aprĂšs  un  scĂ©nario  arrĂȘtĂ©  et  discutĂ©  d'avance  par  tous  les 
acteurs.  BientĂŽt  on  ne  pensa  et  on  ne  parla  plus  d'autre  chose  Ă  
Nohant.  Généralement  le  sujet  de  la  piÚce  du  soir  était  débattu 
pendant  le  dßner  :  l'un  ébauchait  un  scénario,  les  autres  son 
développement,  on  rejetait  une  idée,  on  en  proposait  une  autre 
et  le  soir  ou  le  lendemain  on  jouait  (2).  La  troupe  primitive 
grandit  bientÎt.   Emmanuel  Arago   y   débutait  pendant   ses 
vacances   en   1846.    L'imprésario,    c'est-à-dire   Maurice   Sand, 
envoyait  une  invitation  aux  Duvernet  pĂšre,  mĂšre  et  fille,  ou 
aux  Dutheil,  pĂšre  et  deux  fils.  Quant  Ă   Mme  Sand,  comme  nous 
l'avons  dit  au  chapitre  vi,  de  spectatrice  elle  devint  actrice  et 

(1)  V.  George  Sand,  sa  vie,  etc.,  vol.  III,  chap.  VI,  p.  509. 

(2)  C'est  tout  à  fait  la  maniÚre  de  procéder  pratiquée  de  nos  jours  par  les 
sociétaires  du  Théùtre  Artistique  de  Moscou. 


266  GEORGE   SAND 

joua  les  rĂŽles  les  plus  divers  :  jeunes  premiers,  jeunes  premiĂšres, 
pĂšres  nobles,  sorciers  et  reines  (1).  Dans  le  premier  des  deux 
grands  albums  de  Maurice  Sand,  qui  demeurent  comme  une  his- 
toire du  théùtre  de  Nohant  magnifiquement  illustrée,  nous  trou- 
vons plusieurs  lavis  à  l'aquarelle,  représentant  George  Sand  dans 
différents  costumes  d'homme  et  de  femme.  Nous  donnons  la 
reproduction  de  celui  qui  la  représente  dans  le  rÎle  de  Pietro 
Colonna  dans  Une  nuit  Ă   Florence.  Mais  c'est  certainement  dans 
le  Chùteau  des  Désertes,  dont  nous  avons  aussi  parlé  plus  haut  (2), 
que  l'on  trouve  l'écho  le  plus  fidÚle  de  ces  spectacles  improvisés, 
de  leurs  préparatifs  et  des  débats  qui  précédaient  chaque  repré- 
sentation, relatifs  au  scénario,  au  caractÚre  général  de  chaque 
rĂŽle  et  aux  analyses  critiques  des  Ɠuvres  littĂ©raires  qui  servaient 
de  trame  à  ces  piÚces  improvisées. 

Puis  les  années  1847  et  1848  arrivÚrent  et  tous  les  spectacles 
prirent  fin.  La  gaie  Augustine,  la  belle  Solange,  Fernand  des 
Préaulx,  Arago,  Borie,  n'étaient  plus  à  Nohant.  Mais  lorsque 
Mme  Sand  se  retrouva  dans  sa  vieille  maison,  ce  fut  encore  l'art 
dramatique,  cette  fois  sous  la  forme  des  marionnettes,  qui  con- 
sola l'illustre  femme,  que  le  drame  survenu  dans  sa  vie  privée 
et  la  tragédie  politique  connue  sous  le  titre  de  «  révolution 
de  1848  »  laissaient  désespérée.  Maurice  Sand,  esprit  si  prompt  à 
crĂ©er  et  Ă   mettre  debout  une  Ɠuvre  artistique,  voyant  le  visage 
de  sa  mÚre  constamment  assombri  et  la  sachant  passionnée  de 
théùtre,  eut  recours,  pour  la  distraire,  à  cette  passion  favorite. 
(Le  lecteur  se  souvient  que  l' arriĂšre-petite- fille  de  Mie  de  Ver- 
riĂšres s'amusait  dĂšs  l'Ăąge  de  douze  ans  Ă   arranger  des  piĂšces  de 
MoliÚre  pour  les  représentations  du  couvent  des  Anglaises.) 

Un  soir  Maurice  se  cacha  avec  son  ami  Lambert  derriĂšre  le 
dos  d'un  grand  fauteuil,  habilla  ses  mains  d'un  mouchoir  et  fit 
son  début  d'imprésario  de  Guignol,  en  jouant  à  l'aide  de  ses  dix 
«  petits  Poucets  »  une  vraie  petite  comédie.  Et  comme  il  possé- 
dait un  véritable  talent  d'improvisation,  il  mit  dans  cette  petite 
piÚce  tant  d'entrain,  de  verve,  de  gaieté  que  non  seulement  il  fit 

(1)  V.  plus  haut  ia  lettre  à  Augustine  datée  du  28  avril  1861. 

(2)  V.  le  vol.  précédent,  chap.  vi. 


george  sand  ex  pietro  colonna  dans 
‱‱  une  nuit  a   Florence" 

Photographie  faite  par  Mme  Gabrielle  Sand  d'aprĂšs  une  aquarelle 
de  Maurice  Sand. 


GEORGE   SAND  267 

rire  sa  mĂšre  jusqu'aux  larmes,  mais  qu'elle  y  prit  un  plaisir 
sérieux. 

Le  lendemain,  Maurice  confectionna  quelques  marionnettes 
-en  bois  sommairement  taillées  et  habillées  de  chiffons.  Peu  à 
peu  il  se  composa  toute  une  petite  troupe  d'acteurs,  joua  d'abord 
derriĂšre  le  classique  paravent  —  cette  rampe  consacrĂ©e  du  Gui- 
gnol —  ensuite  construisit  un  vrai  petit  thĂ©Ăątre. 

Ses  petits  acteurs  n'Ă©taient  point  de  vulgaires  et  stupides 
fantoches  se  ressemblant  tous,  dont  on  tire  les  bras  et  les  jambes 
-avec  des  ficelles.  Les  marionnettes  de  Maurice  Sand  avaient 
toutes  une  physionomie  trÚs  marquée,  justement  adaptée  au 
type  qu'elles  devaient  personnifier.  Elles  ne  se  mouvaient  point 
à  l'aide  de  fils  ni  d'aucune  mécanique  et  n'étaient  point  dirigées 
d'en  haut  :  Maurice  Sand  se  tenait  au-dessous  des  tréteaux, 
comme  le  patron  du  Guignol  forain,  et  passant  son  index  dans 
l'intĂ©rieur  de  la  tĂȘte  de  la  marionnette,  son  pouce  dans  l'un  de 
ses  bras  et  le  grand  doigt  dans  l'autre,  il  dirigeait  à  son  gré  les 
mouvements  des  petites  poupées  qui  semblaient  sous  ses  doigts 
des  ĂȘtres  animĂ©s.  H  savait  changer  sa  voix  suivant  les  person- 
nages qu'il  faisait  mouvoir.  Et  comme  lui  et  Lambert  ne  jouaient 
point  seulement  l'Ă©ternelle  histoire  de  Pierrot,  mais  tantĂŽt 
quelque  drame  romantique,  tantĂŽt  une  folle  bouffonnerie  ita- 
lienne, la  troupe  Ă©tait  fort  nombreuse.  Aussi  lorsque  l'un  des 
acteurs  achevait  sa  tirade  et  qu'un  autre,  et  quelquefois  plusieurs 
autres  personnages,  entraient  en  scĂšne,  Maurice  accrochait  pres- 
tement sa  petite  poupée  à  un  piton  se  trouvant  au  fond  de 
la  scĂšne,  de  sorte  qu'il  pouvait  entrer  en  scĂšne  autant  de 
personnages  à  la  fois  qu'il  était  nécessaire  à  l'action.  Si  le  fan- 
toche ne  s'accrochait  pas  d'emblée  à  son  piton,  il  faisait  manquer 
Ventrée,  la  sortie,  ou  la  réplique  d'un  autre  personnage.  Manquer 
son  piton  ou  avoir  le  piton  devint  synonyme  d'une  entrée  ratée, 
ou  d'une  réplique  oubliée  et  cela  pour  les  acteurs  du  grand 
théùtre  de  Nohant  aussi  bien  que  pour  les  mari  nettes.  Les 
acteurs  de  l'Odéon  qui  y  séjournÚrent  plus  tard  empruntÚrent 
cette  locution,  et  durant  plusieurs  années  on  disait  derriÚre  le 
rideau  du  second  théùtre  Français  à  chaque  accroc  survenu  :  il 


268  GEORGE   SAND 

a  U  piton  ou  U  a  manqué  son  piton.  Qui  aurait  cru  que  les  acteurs 
de  rOdéon  se  souvenaient  ainsi  des  petits  sujets  de  bois  de  Mau- 
rice Sand  !  Lui,  entre  temps,  faisait  avec  ces  derniers  de  vrais 
miracles.  GrĂące  Ă   son  talent  de  peintre  et  sa  science  de  la  pers- 
pective, il  brossa  pour  son  théùtre  de  beaux  décors  trÚs  variés, 
soigna  ses  Ă©clairages  et,  Ă   force  d'adresse  et  de  combinaisons  spi- 
rituelles, il  poussa  à  la  perfection  tous  les  effets  dits  «  scéniques  », 
tous  les  trucs  :  Ă©clairs,  tonnerre,  levers  de  soleil  et  de  lune,  jets 
d'eau,  cascades,  etc.,  etc.  ;  il  arrivait  à  donner  une  illusion  scé- 
nique  complÚte.  Et  toujours,  toujours  il  inventait  pour  les  repré- 
sentations de  ses  pupazzi  quelque  nouveau  scénario  captivant. 
Tous  ceux  qui  assistÚrent  à  ces  représentations,  à  commencer 
par  Mme  Sand  elle-mĂȘme,  disent  que  l'impression  produite  par 
ce  théùtre  de  marionnettes  était  vraiment  surprenante,  merveil- 
leuse, impossible  Ă   dĂ©crire.  ÉclairĂ©es  d'une  maniĂšre  fantastique, 
groupées  par  Maurice  avec  une  adresse  incroyable  et  se  mouvant 
le  plus  naturellement  du  monde,  ces  poupées  paraissaient  animées. 
Leurs  yeux  (figurés  par  des  clous  ronds  enfoncés  dans  leurs 
tĂȘtes  en  bois),  brillaient  et  semblaient  voir,  la  voix  de  Maurice 
imitait  tous  les  timbres,  tous  les  accents,  tous  les  tics  des  per- 
sonnages, et  les  spectateurs  pleuraient  ou  riaient  aux  larmes, 
comme  à  un  vrai  spectacle.  «  Personne  ne  sait  ce  que  je  dois  aux 
marionnettes  de  mon  fils,  »  écrivit  plus  tard  George  Sand,  et  elle 
n'exagéra  point.  Les  marionnettes  la  sauvÚrent  du  désespoir 
et  de  l'apathie  morale,  puis  donnĂšrent  une  nouvelle  impulsion 
et  une  nouvelle  direction  à  son  activité  littéraire. 

A  cÎté  des  marionnettes  la  fin  de  1848  et  le  commencement 
de  1849  virent  ressusciter  à  Nohant  les  spectacles  improvisés. 
Et  non  seulement  ils  ressuscitĂšrent,  mais  ils  prirent  encore  un 
essor  tout  nouveau,  un  Ă©clat  inattendu.  Chaque  jour  comptait 
quelque  progrÚs  :  au  lieu  du  «  paravent  tendu  de  papier  bleu  (1)  », 
qui  servit  primitivement  de  décor  et  de  rideau,  Maurice  et  Lam- 
bert brossÚrent  de  vrais  décors,  puis  il  y  eut  une  rampe,  des 
herses  ;  les  costumes  improvisés  furent  peu  à  peu  remplacés  par 

(1)  V.  la  préface  du  Chùteau  des  Désertes. 


GEORGE   SAND  369 

des  costumes  inventĂ©s  et  mĂȘme  commandĂ©s  d'avance.  Et  bientĂŽt 
les  spectacles  Ă   Nohant  prirent  tant  d'Ă©clat  que  les  acteurs 
s'enhardirent  Ă   jouer  en  public  ;  d'abord  devant  leurs  amis  de 
La  ChĂątre  ou  des  chĂąteaux  voisins  (Papet  du  chĂąteau  d'Ars  ou 
les  Duvernet  du  Coudray),  puis  devant  un  public  moins  connu, 
habitants  des  alentours,  et  finalement  Maurice  et  consorts  eurent 
l'audace  de  jouer  devant  des  amis,  des  connaissances  et  des 
acteurs  venus  de  Paris,  par  exemple  devant  Bocage.  D'autre 
part  plusieurs  actrices  et  acteurs,  avec  lesquels  Mme  Sand  se 
lia  d'amitié,  prirent  part  à  ces  représentations.  Grùce  à  ces 
séjours  à  Nohant  beaucoup  d'artistes  parisiens  devinrent  des 
familiers  et  de  vrais  amis  des  Sand,  mĂšre  et  fils.  Sans  parler  de 
Bocage  et  de  Mme  Sylvanie  Arnould-Plessy,  ceci  se  rapporte 
surtout  à  Sully-Lévy,  Marie  Lambert,  Mlle  BérangÚïe  et  M.  et 
Mme  Albert  Bignon  qui,  tous,  entre  1852  et  1860,  furent  souvent 
les  hÎtes  de  Nohant  soit  aux  vacances  d'automne,  soit  en  été 
et  mĂȘme  en  hiver.  Plus  tard  ce  fut  le  tour  de  Thiron  et  de  Clerh. 
Et  cela  dura  presque  jusqu'aux  derniÚres  années  de  Mme  Sand. 
Tel  fut  le  commencement  de  ce  «  Théùtre  de  Nohant  »,  qui  devint 
non  seulement  le  passe-temps  favori  des  habitants  de  Nohant, 
mais  qui  joua  aussi  un  rÎle  trÚs  important  dans  la  vie  privée  de 
Mme  Sand  et  dans  l'histoire  de  ses  créations. 

Ces  représentations  inspirÚrent  à  George  Sand  le  désir  de  tenter 
un  nouvel  essai  théùtral.  Nous  avons  vu  qu'au  milieu  de  la  tour- 
mente révolutionnaire  elle  avait  écrit  pour  le  «  Théùtre  du 
Peuple  »  son  prologue  le  Roi  attend,  qui  nous  intéresse  surtout 
comme  la  premiĂšre  des  piĂšces  de  Mme  Sand  oĂč  elle  mit  en  scĂšne 
MoliĂšre.  (Nous  verrons  Ă   l'instant  qu'il  y  en  eut  plusieurs.) 
L'année  suivante,  Mme  Sand  abandonna  la  politique  pour  reve- 
nir à  l'art  vrai,  elle  écrivit  François  Je  Champi,  piÚce  tirée  du 
roman  de  ce  nom  et  représentée  à  l'Odéon  en  automne  1849. 
Cette  comédie  remporta  un  trÚs  grand  et  légitime  succÚs  (1), 

(1)  Pour  remercier  George  Sand  de  ce  succÚs  moral  et  matériel  remporté 
par  son  théùtre,  Bocage  commanda  au  peintre  Adolphe  Leleux  et  fit  cadeau 
Ă   Mme  Sand  d'un  tableau  reprĂ©sentant  la  scĂšne  du  Champi,  oĂč  Jacques 
Bonnin  demande  la  main  de  Mariette,  la  coquette  niĂšce  de  Madeleine  Blan- 
chet.  (V.  l'article  de  M.  ClĂ©ment  de  Ris  dans  V ÉvĂ©nement  du  29  avril  1860.) 


27o  GEORGE  SAND 

car,  Ă   rencontre  de  presque  toutes  les  Ɠuvres  dramatiques  tirĂ©es 
de  romans,  généralement  inférieures  aux  livres,  cette  comédie 
nous  paraßt,  sous  certains  rapports,  mieux  composée  que  le  roman. 
Quoique  beaucoup  de  pages  charmantes  et  de  fines  analyses 
psychologiques  y  manquent  forcĂ©ment,  —  ainsi  toutes  celles  qui 
nous  peignent  la  confusion  et  l'émoi  de  François  devant  l'amour 
qui  l'envahit  et  qu'il  ignorait,  —  mais  l'action  est  serrĂ©e,  et  ne 
souffre  pas  des  illogismes  qui  choquent  le  lecteur  du  roman.  Elle 
s'engage  au  moment  du  retour  de  François,  déjà  adulte,  dans  la 
maison  de  Madeleine  Blanchet,  devenue  veuve,  malade  et  ruinée 
par  sa  rivale.  Ceci  supprime  cette  situation  si  déplaisante  de 
l'enfant  qui  disait  «  ma  mÚre  »  à  celle  qui  le  portait  dans  ses  bras, 
devint  amoureux  d'elle,  en  fut  aimé  et  l'épousa. 

Revenue  dans  son  Berry,  encouragée  par  le  succÚs  du  Champi 
et  inspirée  par  l'atmosphÚre  théùtrale  qui  l'entourait  alors  dans 
sa  vieille  maison  de  Nohant,  Mme  Sand  se  mit  Ă   Ă©crire  toute  une 
sĂ©rie  de  piĂšces.  Ce  furent  d'abord  des  comĂ©dies  champĂȘtres,  genre 
qui  avait  paru  si  attrayant  au  public  de  la  Comédie-Française. 
Puis  elle  se  tourna  vers  la  «  comĂ©die  de  mƓurs  »  et  mĂȘme  vers  ce 
qu'on  appelle  les  «  piÚces  à  thÚse  ». 

Les  annĂ©es  1849-1851  doivent  ĂȘtre  considĂ©rĂ©es  comme  le 
temps  oĂč  Mme  Sand  se  tourna  d'une  maniĂšre  trĂšs  marquĂ©e  vers 
la  littérature  dramatique.  L'art  dramatique  sous  toutes  ses  formes 
rÚgne  alors  en  autocrate  à  Nohant;  comédies  aprÚs  drames, 
drames  aprÚs  comédies  s'entassaient  sur  le  bureau  de  George 
Sand;  dans  la  salle  voûtée  du  rez-de-chaussée,  dite  la  salle  du 
prieuré,  la  commedia  delV  arte  succédait  aux  représentations  de 
piùces  apprises  par  cƓur,  ou  aux  spectacles  des  marionnettes. 
On  s'y  prépare  toute  la  journée,  on  coud  les  costumes,  on  peint 
les  décors,  on  fabrique  avec  du  papier  doré  et  de  la  colle  des 
armures  magnifiques  ;  à  déjeuner  et  à  dßner  on  discute  les  scéna- 
rios, on  se  dispute  Ă   propos  du  caractĂšre  de  certain  rĂŽle. 

En  Ă©crivant  le  Roi  attend  George  Sand  s'Ă©tait  souvenue  de 
certains  Ă©pisodes  dramatiques  de  la  vie  de  MoliĂšre.  Elle  Ă©crivit 
pour  les  spectacles  de  Nohant  une  piÚce  tirée  de  la  biographie 
de  ce  pÚre  du  Théùtre  français,  et  lui  donna  pour  titre  l'ana- 


GEORGE   SAND  271 

gramme  dĂ©fectueuse  de  son  nom  —  Marielle  (1)  ;  puis  Mme  Sand 
fit  une  vraie  piĂšce  de  thĂ©Ăątre  —  MoliĂšre,  dans  laquelle  elle  s'ef- 
força de  réhabiliter  la  mémoire  du  grand  homme  et  de  faire 
justice  de  certaines  histoires  répandues  dans  le  public  et  portant 
atteinte  Ă   son  honneur  ;  elle  leur  trouvait  une  explication  psy- 
chologiquement vraie. 

En  outre,  lors  de  ses  recherches  sur  la  genÚse  du  théùtre  de 
MoliÚre,  George  Sand  s'engoua  de  la  Comédie  italienne,  se  mit  à 
étudier  en  compagnie  de  son  fils  l'histoire  de  ces  «  bandes  »  d'ac- 
teurs-improvisateurs, l'histoire  des  «  masques  »,  à  faire  des  re- 
cherches sur  les  auteurs  de  leur  Ă©poque,  et  se  plongea  complĂšte- 
ment dans  cette  étude  ;  elle  consacra  un  article  spécial  au  Théùtre 
italien,  elle  en  parla  dans  la  préface  de  sa  piÚce  les  Vacances  de 
Pandolphe,  enfin,  elle  écrivit  une  préface  pour  l'étude  de  Maurice 
Sand  sur  les  Masques  et  bouffons.  C'est  un  travail  extrĂȘmement 
intéressant,  traitant  de  la  genÚse,  de  l'évolution  et  des  types  prin- 
cipaux de  ce  théùtre  et  de  cet  art  dramatique  sui  generis;  il  est 
d'un  grand  attrait  Ă©galement  pour  ceux  qui  Ă©tudient  l'histoire  de 
la  culture,  pour  les  amis  de  Thalie  et  de  MelpomĂšne  ou  simple- 
ment pour  tout  lecteur  passionné  d'art.  Entre  autre,  Maurice  Sand 
a  «  dĂ©couvert  »  un  auteur  oubliĂ©  de  ces  comĂ©dies  —  un  certain 
Beolco.  U  a  recueilli  et  narré  sur  cet  auteur  dramatique  et  sur  ses 
Ɠuvres  des  dĂ©tails  fort  curieux.  Quant  Ă   ses  illustrations  reprĂ©sen- 
tant les  types  traditionnels  ou  caractÚres  de  cette  comédie  italienne, 
elles  en  donnent  une  trÚs  vivante  et  trÚs  précise  reproduction. 

Les  représentations  théùtrales  de  Nohant  eurent  donc  une 
action  trÚs  importante  sur  l'activité  littéraire  de  George  Sand. 
H  en  fut  de  mĂȘme  dans  sa  vie  privĂ©e.  Ces  spectacles  la  reposaient 
de  son  labeur  obstiné,  jamais  interrompu;  elle  y  oubliait  les 
pénibles  et  tragiques  impressions  du  dernier  quart  de  sa  vie; 
elle  y  essayait  ses  nouvelles  piÚces  destinées  à  quelque  théùtre 
de  Paris  ;  elle  y  puisa  la  donnée  de  plusieurs  de  ses  romans  (2). 

(1)  Cette  piÚce,  quoique  refaite  pius  taid,  ne  fut  pas  jouée  et  ne  fut  qu'im- 
primée dans  la  Presse  en  décembre  1851  et  janvier  1852. 

(2)  Le  ChĂąteau  des  DĂ©sertes,  V Homme  de  Neige,  le  Diable  aux  champs,  Pierre 
qui  roule,  etc.,  etc. 


277  GEORGE    SAND 

Enfin  le  grand  et  le  petit  théùtre  de  Nohant,  en  ramenant  George 
Sand  Ă   Fart  dramatique,  apportĂšrent  de  grands  changements 
mĂȘme  dans  sa  vie.  H  fallut  faire  des  dĂ©marches  pour  placer  les 
piÚces,  aller  à  Paris,  assister  aux  répétitions,  élargir  le  cercle  de 
ses  connaissances,  fréquenter  le  monde  artistique.  Les  observa- 
tions qu'elle  y  fit  engendrÚrent  une  série  de  romans,  dont  les 
héros  appartiennent  à  ce  monde  des  tréteaux,  tels  sont  :  Pierre 
qui  roule  et  le  Beau  Laurence,  Adriani,  Narcisse,  etc.,  etc. 

En  1851  Mme  Sand  fit  une  surprise  Ă   son  fils  :  en  son  absence 
on  reconstruisit  la  salle  de  spectacle.  A  son  retour,  Maurice  trouva 
une  vraie  scÚne  de  théùtre  parfaitement  aménagée.  Mme  Sand 
en  parle  ainsi  dans  sa  lettre  du  24  février  à  Augustine  de  Ber- 
tholdi  : 

Oui,  le  théùtre  a  épaté  Maurice.  H  est  arrivé  le  matin,  il  y  a  environ 
trois  semaines.  Le  théùtre  était  fermé.  Le  soir  je  lui  ai  bandé  les  yeux 
et  je  l'ai  conduit  dans  le  billard.  Il  a  vu  la  toile  se  lever,  le  décor  de 
Claudie  en  place,  tout  bien  propre,  bien  éclairé.  Tu  juges  de  sa  surprise. 
On  a  joué  deux  fois  seulement,  depuis  son  retour.  Je  ne  laisse  jouer 
que  tous  les  quinze  jours,  parce  qu'aprĂšs  tout,  il  faut  travailler.  Hier 
a  été  une  représentation  splendide.  Une  piÚce  dans  le  goût  des  Pilules 
du  Diable,  moitié  parlée,  moitié  pantomimée,  avec  des  surprises,  des 
diables,  des  pétards  à  chaque  scÚne.  Il  y  avait  soixante  personnes  au 
public.  Ça  pirouettait  un  peu,  mais  on  criait,  on  trĂ©pignait,  et  les 
acteurs   étaient  électrisés... 

Le  28  avril  Mme  Sand  Ă©crit  Ă   la  mĂȘme  correspondante  : 

Nous  allons  jouer  ma  derniĂšre  piĂšce  (1).  Ah  !  comme  tu  nous  serais 
nécessaire  i  Me  voilà  condamnée  a  faire  les  jeunes  premiÚres,  la  figure 
va  encore  quand  je  suis  bien  plùtrée,  mais  c'est  un  obstacle  invincible 
pour  moi  de  me  persuader  que  je  suis  jeune,  et  ne  me  sentant  pas  la 
personne  que  je  représente,  je  ne  peux  pas  bien  jouer.  C'est  au  mois 
d'août  que  tu  nous  viens,  n'est-ce  pas?  Va-t-on  s'en  donner!... 

Le  19  juillet  Mme  Sand  annonce  qu'elle  est  libérée  de  la  néces- 
sité de  remplacer  Augustine  dans  ces  rÎles  qui  lui  conviennent 
si  peu  :  ils  sont  désormais  joués  par  une  certaine  Mlle  Souchoip, 

(1)  C'Ă©tait  Nelb,  la  premiĂšre  version  de  MaĂźtre  Favilla. 


GEORGE   SAND  273 

parente  de  Mme  Duvernet,  fort  jolie  personne.  Toutefois,  au  dire 
de  Mme  Sand,  cette  jeune  personne 

réussit  dans  la  partie  naïve  et  enfant  de  son  rÎle,  elle  a  été  trÚs 
insuffisante  et  trĂšs  froide  dans  les  endroits  dramatiques.  Mais  on  ne 
pouvait  exiger  davantage  sur  nos  planches  et  Maurice  a  eu  dans  le 
rĂŽle  d'amoureux  les  mĂȘmes  qualitĂ©s  et  les  mĂȘmes  dĂ©fauts.  Manceau 
a  eu  en  vieillard  un  grand  succĂšs.  Lambert  et  Villevieille  (1)  ont  bien 
joué  aussi.  En  somme  notre  représentation  a  été  trÚs  gentille  et  m'a 
bien  donné  l'idée  de  ma  piÚce,  ce  qui  était  pour  moi  la  chose  impor- 
tante. Nous  tĂącherons  d'en  avoir  une  autre  (une  autre  piĂšce)  pour  ton 
séjour  ici.  Solange  est  ici  depuis  une  quinzaine  avec  sa  petite  qui  est 
ravissante.  On  est  trĂšs  gai  et  tout  va  bien.  Elle  passera  encore  un  mois 
avec  nous... 

Dans  une  lettre  inédite  de  Mme  Sand  à  Pauline  Viardot, 
datĂ©e  du  16  octobre  de  cette  mĂȘme  annĂ©e  1851,  nous  trouvons 
aussi  les  lignes  suivantes,  trÚs  intéressantes  et  qui  nous  peignent 
la  manie  théùtrale  régnant  alors  à  Nohant,  aussi  bien  que  le  rÎle 
du  théùtre  de  Nohant  dans  la  genÚse  des  piÚces  de  George  Sand, 
destinées  aux  scÚnes  parisiennes. 

Nohant,  16  octobre  1851. 

...Nous  menons  une  vie  de  cabotins.  Nohant  n'est  plus  Nohant, 
c'est  un  théùtre  ;  mes  enfants  ne  sont  plus  des  enfants,  ce  sont  des 
artistes  dramatiques  ;  mon  encrier  n'est  plus  une  fontaine  de  romans, 
c'est  une  citerne  de  piÚces  de  théùtre,  Je  ne  suis  plus  Mad.  Sand,  je 
suis  un  premier  rÎle  marqué.  Tout  cela  se  passe  bien  gaiement,  comme 
vous  pouvez  croire  ;  nous  avons  tout  l'amusement  et  rien  des  déboires 
de  l'art.  Le  théùtre  est  grand  comme  un  mouchoir  de  poche,  le  public 
se  compose  de  cinquante  personnes  ni  plus  ni  moins,  tous  amis  intimes, 
domestiques  ou  paysans  du  voisinage.  La  troupe  se  compose  de  Mau- 
rice et  moi,  de  Manceau  et  Lambert,  de  Duvernet  et  sa  femme,  d'un 
bon  enfant  fort  laid  que  vous  ne  connaissez  pas  et  du  menuisier  de  la 
maison,  qui  est  le  machiniste,  le  souffleur  et  Vutilité.  La  jeune  premiÚre 
est  Augustine  au  temps  des  vacances,  et  une  autre  que  vous  ne  con- 
naissez pas,  dans  d'autres  moments.  Nous  faisons  mĂȘme  venir  de  jeunes 
garçons,  élÚves  du  Conservatoire,  quand  nous  avons  besoin  d'un  amou- 
reux, car  ici,  personne  n'aime  cet  emploi-lĂ .  Enfin  j'ai  fait  troi3  piĂšces 

(1)  LĂ©on  Villevieille,  peintre,  ami  de  Maurice  et  de  Lambert.  On  lui  don 
liait  Ă   Nohant  le  sobriquet  de  Paloignon. 

iv.  iS 


374  GEORGE   SAND 

cet  été,  dont  deux  ont  été  jouées  par  nous,  refaites  et  rejouées.  Cela 
m'est  bien  utile,  je  vois  ma  piĂšce  et  je  la  juge,  et  quand  je  n'en  suie 
pas  contente,  je  la  bouleverse.  Vous  verrez,  je  pense,  mes  trois  piĂšces 
cet  hiver.  Deux  sont  placĂ©es.  Quant  Ă   l'autre,  j'Ă©tais  dans  la  mĂȘme 
situation  que  Gounod  ;  je  comptais  sur  Bocage,  et  je  savais  que  Bocage 
comptait  sur  lui.  Mais  le  Marc  Fournier,  nouveau  directeur  de  la  Porte- 
Saint-Martin,  aprÚs  m'avoir  demandé  ma  piÚce,  m'a  évincée  sous 
divers  prétextes  dont  le  seul  vrai,  c'est  que  le  Foucher  (1)  lui  a  défendu 
de  me  jouer.  Espérons  que  cette  persécution  ne  s'étendra  pas  à  Pon- 
sard  (2)  et  Ă   la  musique  de  Gounod,  d'autant  plus  que  voilĂ   le  Foucher 
tombé  dit-on  (3).  Moi,  je  suis  en  course,  par  les  jambes  d'Hetiel, 
pour  placer  la  dite  piĂšce  je  ne  sais  encore  oĂč.  La  premiĂšre  est  au 
Gymnase,  la  seconde  au  Vaudeville,  si  j'y  puis  avoir  les  acteurs  sérieux 
que  je  veux  dans  les  rĂŽles  que  je  leur  destine.  Mais  tout  cela  est  affreu- 
sement difficile  et  ennuyeux,  et  quand  le  plaisir  d'Ă©crire,  et  de  jouer  Ă  
Nohant  est  fini,  l'ennui  de  se  faire  jouer  Ă   Paris  commence. 

Quand  est-ce  que  vous  viendrez  passer  quelque  temps  avec  nous 
et  vous  amuser  avec  nous  Ă   ce  jeu-lĂ ,  chĂšre  fille?  Nous  en  avons  un 
plus  amusant,  c'est  d'improviser  Ă   l'italienne,  sur  des  canevas  assez 
compliqués  parfois,  et  nos  enfants  font  des  tours  de  force  d'à-propos 
et  de  dialogue  comique.  H  y  a  aussi  la  pantomine.  Oui,  quelque  jour 
vous  serez  des  nĂŽtres,  promettez-le-moi.  Gounod  tiendra  le  piano, 
et  on  fera  un  rĂŽle  de  chasseur  pour  Viardot.  Au  besoin  on  lui  mettra 
des  perdrix  empaillées  sur  le  théùtre. 

Les  trois  piĂšces  auxquelles  Mme  Sand  fait  allusion  dans  cette 
lettre  comme  écrites  en  été  1851,  sont  :  le  Mariage  de  Victorine, 
les  Vacances  de  Pandolphe  et  NeĂŻlo  le  violoniste  plus  tard  rebap- 
tisĂ© en  MaĂźtre  FaviĂźla.  Quant  Ă   l'annĂ©e  1851  —  oĂč  cette  lettre  et 
ces  trois  piĂšces  furent  Ă©crites  —  il  faut  considĂ©rer  cette  date  comme 
le  vrai  commencement  de  la  carriĂšre  dramatique  de  George  Sand, 
car  c'est  en  janvier  de  cette  année  que  fut  jouée  la  premiÚre  de  toute 
une  série  de  piÚces  que  George  Saud  écrivit  et  mit  en  scÚne  sans 

(1)  Bien  sûr  une  piÚce  de  Paul-Henri  Foucher,  auteur  dramatique  de 
l'Ă©poque  fort  connu. 

(2)  Francis  Ponsard. 

(3)  Gounod  avait  alors  l'intention  de  faire  un  opéra  tiré  de  l'un  des  contes 
champĂȘtres  de  George  Sand  et  dont  le  texte  devait  ĂȘtre  Ă©crit  par  PonsarcL 
Mais  le  mariage  de  Gounod  et  sa  querelle  avec  les  Ă©poux  Viardot  qui  suivit, 
rompit  aussi  complĂštement  les  relations  entre  le  grand  compositeur  et 
George  Sand,  et  cette  affaire  tomba  à  l'eau.  Ce  fut  Gounod  néanmoins  qui 
Ă©crivit  la  musique  d'une  autre  piĂšce  de  George  Sand  :  MaĂźtre  Favilla, 


GEORGE   SAND  275 

discontinuer,  pendant  quelque  cinq  années,  jusqu'en  1856  à  peu 
prÚs.  C'est  ainsi  que  le  11  janvier  1851  fut  jouée  à  la  Porte-Saint- 
Martin  par  l'ami  de  l'auteur,  Bocage,  une  piĂšce  champĂȘtre,  Clau- 
die, comme  qui  dirait  un  conte  berrichon  de  George  Sand  mis  en 
scĂšne.  Elle  eut  un  grand  succĂšs.  Le  10  mai  de  la  mĂȘme  annĂ©e  on 
représenta,  à  la  Gaieté,  MoliÚre.  Puis  viennent  :  le  Mariage  de 
Victorine,  représenté  au  Gymnase  le  26  novembre  1851,  les  Va- 
cances de  Pandolphe,  comédie  qui  eut  sa  premiÚre  le  3  mars  1852 
au  mĂȘme  Gymnase  et  qui  est  Ă©crite  dans  le  style  des  masques  ita- 
liens sur  lesquels  Mme  Sand  fit  un  article  en  cette  mĂȘme  annĂ©e. 
Le  1er  septembre  1852  on  joua  le  DĂ©mon  du  foyer,  au  Gymnase. 
Une  annĂ©e  plus  tard,  en  septembre  1853,  annĂ©e  oĂč  parurent  les 
Maßtres  sonneurs,  on  représenta,  toujours  au  Gymnase,  le  Pres- 
soir, drame  champĂȘtre  dans  le  genre  du  Champi  et  de  Claudie. 
Deux  mois  plus  tard,  le  28  novembre  1853,  on  donna,  à  l'Odéon, 
une  piÚce  tirée  par  George  Sand  de  Mawprat.  Moins  d'une  année 
aprĂšs,  le  31  octobre  1854,  George  Sand  revint  au  Gymnase  avec 
Flaminio,  tiré  du  roman  de  Teverino,  (nous  en  avons  parlé  au 
chapitre  vil  du  volume  précédent).  Onze  mois  plus  tard,  on  joua, 
à  l'Odéon,  Nello-Favilla;  six  mois  aprÚs  lui,  le  16  février  1856,  au 
Gymnase,  Lucie;  le  3  avril  de  la  mĂȘme  annĂ©e,  Ă   l'OdĂ©on,  Fran- 
çoise (destinée  d'abord  sous  le  titre  de  VIrrésolu  à  la  Comédie- 
Française).  Enfin  neuf  jours  à  peine  aprÚs  cette  derniÚre  piÚce, 
le  12  avril  1856,  on  représenta  à  ce  Théùtre-Français  le  Comme  il 
vous  plaira  de  Shakespeare,  arrangé  par  George  Sand.  C'est  ainsi 
que  de  la  fin  de  1850  au  commencement  de  1856  George  Sand 
Ă©crivit  et  mit  en  scĂšne  douze  piĂšces  et  la  treiziĂšme,  Marielle,  pro- 
totype de  MoliÚre,  fut  imprimée  dans  la  Presse  vers  la  fin  de  1851. 
Et  combien  de  piĂšces  encore  ne  virent  pas  le  feu  de  la  rampe  Ă  
Paris  et  ne  furent  Ă©crites  que  pour  Nohant  ! 

Nous  ne  dirons  rien  de  Claudie.  Le  lecteur  trouvera  l'analyse 
de  cette  piÚce  et  le  récit  de  nos  impressions  personnelles  lors  de 
sa  reprĂ©sentation  Ă   la  fĂȘte  du  centenaire  en  1904,  dans  le  dernier 
chapitre  de  ce  volume  (1).  Rappelons  seulement  quelques  curieux 

(1)  Publié  déjà  dans  la  Rousskaya  Mysl  en  septembre  1904. 


»76  GEORGE  SAND 

détails  sur  l'apparition  de  Claudie  au  théùtre  en  1851.  (Elle  fut 
reprise  en  1859, 1863, 1886, 1904  avec  un  succĂšs  toujours  croissant). 
Or,  au  dire  mĂȘme  de  Mme  Sand  lors  de  sa  premiĂšre  mise  en  scĂšne  : 

...  «  Claudie  a  été  un  triomphe  et  non  pas  un  succÚs,  grùce  aux 
mauvais  tours  politiques  et  autres,  grĂące  aux  vols  de  l'administra- 
tion ;  la  gloire  y  est,  mais  non  l'argent  (1)...  » 

...J'ai  énormément  travaillé  depuis  Claudie,  écrit  Mme  Sand  à 
Mme  de  Bertholdi  le  28  avril  1851,  Claudie  m'ayant  fait  faux  bond 
quant  à  l'argent,  grùce  aux  mauvais  tours  de  fripons  qu'on  a  joués 
à  Bocage  et  à  moi,  il  m'a  fallu  faire  vite  une  autre  piÚce  qui  est  en  répé- 
tition à  la  Gaieté  maintenant,  c'est  MoliÚre  joué  par  Bocage.  De  plus, 
j'ai  fait  encore  une  piÚce  ces  jours-ci,  pour  parer  à  une  défaite,  si  Mo» 
HÚre  est  persécuté  et  trahi  comme  Claudie  l'a  été.  Voilà  bien  des  luttes. 
Heureusement  je  les  prends  avec  beaucoup  de  calme  à  présent  et  ne 
m'Ă©tonne  plus  de  rien... 

Les  luttes  et  les  ennuis  qui  Ă©churent  en  partage  Ă   Claudie  et 
aux  piÚces  qui  la  suivirent,  eurent  pour  cause  le  passé  politique 
de  leur  auteur,  passé  trÚs  récent.  La  presse  réactionnaire,  la 
police  et  le  pouvoir  considéraient  George  Sand  comme  un  auteur 
dangereux,  une  socialiste,  une  rouge,  ce  qui  leur  fit  découvrir 
mĂȘme  dans  cette  innocente  piĂšce  de  Claudie  des  tendances  sub- 
versives. De  nos  jours  elle  semble  «  fade  »  et  «  à  l'eau  de  rose  »  à 
bien  des  personnes,  en  1851  on  la  considĂ©ra  comme  une  Ɠuvre 
destinée  à  faire  crouler  l'édifice  social,  himmelsturmend,  comme 
disent  les  Allemands.  La  réhabilitation  d'une  fille  perdue,  les 
diatribes  d'un  ouvrier  journalier  contre  le  riche  paysan  Denis 
Ronciat,  l'hymne  au  travail  —  tout  cela  effraya  les  puissants  de 
ce  monde  et  les  bourgeois. 

M.  Ladislas  Mickiewicz,  alors  que  ce  chapitre  était  déjà  ter- 
miné et  copié,  nous  communiqua  un  extrait  d'une  Correspondance 
de  Paris  publiée  dans  le  Goniec  Polski  (journal  polonais  paraissant 
Ă   Poznan),  Ă   la  date  du  8  janvier  1851,  oĂč  nous  trouvons  les 
lignes  suivantes,  fort  curieuses,  se  rapportant  Ă   cet  Ă©pisode  : 

On  doit  représenter  ces  jours-ci  sur  une  scÚne  parisienne  une  piÚce 
de  George  Sand  intitulée  :  Claudie.  Comme  George  Sand  a  la  réputa- 

(1)  Lettre  iuédite  à  Mme  Augustine  de  Bertholdi  du  24  février  1861. 


GEORGE  SAND  277 

tion  d'ĂȘtre  un  Ă©crivain  socialiste,  la  police  a  usĂ©  avec  une  sollicitude 
particuliÚre  de  son  droit  de  censure.  Entre  autres  on  a  supprimé  les 
passages  suivants  que  l'on  a  trouvés  éminemment  menaçants  pourla 
religion,  la  famille,  la  société  et  la  propriété.  «  Justice  se  fera,  Dieu  l'a 
promis  et  il  tiendra  sa  promesse  ;  »  «  la  gerbe  de  blé  est  l'oreiller  du 
peuple  ».  Ce  ne  serait  que  ridicule  si  ces  chicanes  policiÚres  dénotaient 
non  pas  seulement  l'esprit  policier  de  M.  Carlier,  mais  encore  les  dis- 
positions de  la  moitié  de  l'Europe  qui  entend  sauvegarder  ainsi  la 
religion  et  l'ordre  social. 


Claudie  ne  se  soutint  pas  longtemps  sur  les  planches  et  les 
sentiments  hostiles  ou  sceptiques  de  différents  cercles  de  la 
société  parisienne  contre  son  auteur  trouvÚrent,  entre  autres, 
leur  expression  dans  une  parodie  qui  parut  peu  de  temps  aprĂšs 
sous  le  titre  de  :  Claudine  ou  les  Avantages  de  V Inconduite,  Ă©tude 
pastorale  et  berrichonne  par  Siraudin  et  de  Beauplan  (Paris,  1851, 
Giraud,  in-12). 

Gustave  Planche  en  analysant  Claudie  appela  Mme  Sand  «  une 
élÚve  de  Sedaine  »  et  lui  conseillait,  dans  son  article,  d'étudier 
cet  auteur  si  injustement  oublié.  Ces  paroles  firent-elles  relire 
à  George  Sand  «  le  bon  papa  Sedaine  »  qui  avait  toujours  été 
l'un  de  ses  auteurs  préférés  (comme  elle  l'assura  plus  tard,  dans 
une  de  ses  lettres  de  1876),  ou  bien  un  volume  de  Sedaine  lui 
tomba-t-il  simplement  entre  les  mains  parmi  les  dizaines  de 
vieux  auteurs  qu'elle  relisait  alors  Ă   la  recherche  d'un  canevas, 
pour  quelque  spectacle  improvisé  de  Nohant,  peu  importe  ! 
Le  fait  est  que  le  Philosophe  sans  le  savoir,  qu'elle  n'avait  «  jamais 
bien  connu  auparavant,  ne  l'ayant  vu  deux  fois  que  dans  son 
enfance  »  et  qu'on  venait  justement  de  reprendre  à  la  Comédie- 
Française,  attira  son  attention;  elle  s'enthousiasma  tellement 
pour  Sedaine,  qu'elle  Ă©crivit  le  Mariage  de  Victorine  qui  est 
une  suite  du  Philosophe  tout  comme  le  Mariage  de  Figaro 
est  celle  du  Barbier  de  SĂ©ville.  Est-ce  ce  lien  intime  entre  les  deux 
piÚces  qui  fait  que  chaque  reprise  de  la  comédie  de  Sedaine  rap- 
pelle immédiatement  à  tout  le  monde  la  piÚce  de  George  Sand, 
et  vice  versa,  ou  bien  parce  que  le  Mariage  de  Victorine  s'adapte 
admirablement  aux  vieilles  traditions  du  théùtre  français,  ce 


278  GEORGE   SAND 

qui  est  certain  c'est  que  le  Mariage  de  Victorine  resta  au  réper- 
toire du  Théùtre-Français,  excitant  non  seulement  l'enthousiasme 
du  gros  public,  mais  l'approbation  exaltée  de  connaisseurs  aussi 
fins  que  Flaubert.  Lorsqu'en  1876,  peu  avant  la  mort  de  l'auteur, 
on  reprit  le  Mariage  de  Victorine  à  la  Comédie-Française,  Flau- 
bert, cet  ami  nouveau,  mais  peut-ĂȘtre  le  plus  chĂ©ri  de  George 
Sand  pour  la  sincérité  de  l'amitié  respectueuse  et  tendre  qui 
l'attachait  Ă   elle,  lui  Ă©crivit  qu'il  ne  comprenait  pas  comment 
elle  avait  pu  faire  sa  charmante  comédie  d'aprÚs  la  piÚce  «  assom- 
mante, oui,  assommante  de  Sedaine  ».  George  Sand  fut  horri- 
pilée et  se  récria  contre  un  jugement  aussi  irrévérencieux  sur 
son  «  bien-aimé  papa  Sedaine  »,  en  défendant  la  simplicité,  la 
candeur,  la  délicatesse  de  ses  personnages  si  touchants  ;  elle  ne 
pouvait  pas  mĂȘme  prĂ©tendre,  disait-elle,  y  atteindre.  Flaubert 
ne  se  le  tint  pas  pour  dit,  et  dans  une  seconde  lettre  redit  encore 
une  fois  que  lui  et  Mme  Viardot  s'Ă©tonnaient  comment  George 
Sand  «  avait  pu  faire  ceci  de  cela  »  ;  tout  en  rendant  justice  à  la 
délicatesse  de  sentiments  et  à  la  noblesse  des  principes  des 
personnages  de  Sedaine,  il  n'assurait  pas  moins  que  la  piĂšce 
de  Sedaine  était  «  insupportablement  fade,  fade  comme  du  lai- 
tage »  ;  qu'il  ne  suffisait  pas  qu'une  Ɠuvre  fĂ»t  remplie  de  bons 
sentiments  pour  rester  éternelle  ;  il  fallait  qu'elle  fût  bien  écrite, 
que  son  style  fût  immortel;  c'est  pour  cela  que  le  Mariage  de 
Victorine  Ă©tait  adorable  et  le  Philosophe  vieillot  et  assommant. 
On  est  excessivement  étonné  de  lire  un  jugement  aussi  enthou- 
siaste sur  le  Mariage  de  Victorine,  Ă©crit  par  l'auteur  de  Madame 
Bovary.  C'est  évidemment  la  partialité  amicale  de  Flaubert  (qui 
nommait  Mme  Sand  avec  un  tendre  respect  «  sa  chÚre  Maßtre  ») 
qui  le  lui  dicta  (1). 

(1)  Cette  seconde  lettre  de  Flaubert,  datée  du  10  mars,  est  arbitraire- 
ment fondue,  dans  le  volume  de  la  Correspondance  de  George  Sand  et  de  Flau- 
lert  publiée  en  1904,  en  une  seule  avec  la  précédente,  datée  du  8  mars,  comme 
si  c'en  était  la  seconde  moitié,  tandis  qu'il  est  de  toute  évidence  qu'elle 
répond  à  la  réponse  de  George  Sand  du  9  mars  :  «  Tu  méprises  Sedaine,  gros 
profane  !  voilĂ   oĂč  la  doctrine  de  la  forme  te  crĂšve  les  yeux.  »  C'est  ainsi  que 
Mme  Sand  commence  sa  lettre  et  elle  la  termine  par  les  mots  (qui  sont  une 
réponse  aux  derniers  mots  de  la  lettre  de  Flaubert  du  8  mars  :  «  Lisez  donc 
le  nouveau  roman  de  Zola  Son  Excellence  EugĂšne  Bougon,   je  suis  curieux 


GEORGE   SAND  279 

Nous  n'avons  jamais  vu  jouer  le  Mariage  de  Victorine;  Ă   la 
lecture  il  nous  produisit  l'effet,  —  disons-le  sans  ambages  et  avec 
la  franchise  de  ce  galopin  du  conte  d'Andersen,  qui  osa  ne  pas 
voir  les  prĂ©tendus  beaux  habits  royaux,  —  il  nous  produisit  l'effet 
d'une  de  ces  sucreries  sentimentales,  de  ces  médiocrités  drama- 
tiques conventionnelles,  hissées  sur  des  échasses  et  théùtrale- 
ment routiniÚres  qui  faisaient  les  délices  des  spectateurs  vers  1850, 
mais  qui  sont  insupportables  pour  les  yeux,  les  oreilles  et  le  goût 
du  spectateur  contemporain  mĂȘme  le  moins  exigeant  en  ces 
matiĂšres. 

Cette  routine  de  théùtre  nous  choque  bien  moins  dans  la 
piĂšce  qui  suivit  le  Mariage,  dans  les  Vacances  de  Pandolphe, 
peut-ĂȘtre  parce  que  l'auteur  y  fait  mouvoir  non  des  caractĂšres 
réels,  mais  justement  des  types  de  convention  ;  ce  sont  les  types 
traditionnels  de  la  comédie  italienne,  auxquels  George  Sand 
revint  encore  dans  son  article,  paru  deux  ou  trois  mois  Ă   peine 
aprÚs  la  représentation  de  Pandolphe.  Nous  y  voyons  appa- 
raĂźtre et  le  docteur,  et  LĂȘandre  (prototype  d'Almaviva),  et  PĂ©dro- 
lino  ou  Pierrot,  et  le  classique  Pascariel,  et  Vingénue  Violette 
(participant  et  de  Rosine  et  de  Zerline),  et  Isabelle,  et  Colombine 
et  une  duÚgne,  bref,  tous  les  personnages  des  bandes  de  comédiens 
d'avant  MoliĂšre  avec  tous  leurs  traits  typiques  et  routiniers, 
toutes*leurs  allures  et  particularités,  On  ne  les  juge  pas,  ni  eux, 
ni  leurs  actions,  selon  la  logique  et  la  fidélité  à  la  vraie  vérité, 
mais  seulement  selon  la  concordance  de  leurs  faits  et  gestes  avec 
les  traditions  bien  connues.  Les  Vacances  de  Pandolphe  pour- 
raient servir  d'excellent  livret  pour  un  opéra  ou  un  ballet 
style  dix-huitiĂšme  siĂšcle,  si  en  vogue  de  nos  jours,  et  nous  le  signa- 
lons Ă   l'attention  de  MM.  les  compositeurs.  George  Sand  Ă©crivit 
une  petite  chanson  en  vers  pour  la  scĂšne  finale  de  Pandolphe, 
dans  le  goût  de  la  naïveté  de  convention  de  toute  cette  piÚce  de 

de  savoir  ce  que  vous  en  pensez.  »)  :  «  Dis  donc  à  M.  Zola  de  m'envoyer  son 
livre  ;  je  le  lirai  certainement  avec  grand  intĂ©rĂȘt.  »  Et  Flaubert  commence 
sa  lettre  du  10  mars  par  les  mots  :  «  Non,  je  ne  méprise  pas  Sedaine,  parce  que 
je  ne  méprise  pas  ce  que  je  ne  comprends  pas...  »  et  il  la  termine  ainsi  que  suit  : 
‱  J'ai  Ă©crit  Ă   Zola  pour  qu'il  vous  envoie  son  bouquin...  »  (V,  Corresp.  de 
G.  Sand  et  Flaubert,  1904,  Paris,  LĂ©vy,  p.  446-449.) 


aSo  GEORGE   SAND 

poupĂ©es,  et  elle  l'a  mise  en  musique  elle-mĂȘme  en  Ă©crivant,  au- 
dessous,  quelques  mesures  de  mélodie  tout  aussi  primitive,  aux 
sons  de  laquelle  les  deux  amoureux  de  la  piÚce  se  jurent  fidélité 
et  «  Pandolphe  essuie  une  larme  à  la  mélomanie  ».  Toute  la  piÚce 
peut  ĂȘtre  jugĂ©e  sur  cette  derniĂšre  «  remarque  ». 

Les  Vacances  de  Pandolphe  furent  suivies  par  une  comédie  en 
trois  actes  :  Le  DĂ©mon  du  foyer,  dont  la  premiĂšre  eut  lieu  le  1er  sep- 
tembre 1852.  Et  le  12  octobre  de  la  mĂȘme  annĂ©e  commençait 
Ă   paraĂźtre  dans  le  Pays  le  roman  de  Mme  Sand,  Mont-RevĂȘche. 
H  est  trĂšs  curieux  de  comparer  ce  roman  et  cette  piĂšce  :  tous  les 
deux  ont  pour  hĂ©roĂŻnes  trois  sƓurs  ;  dans  le  roman  ce  sont  les 
trois  filles  de  M.  Dutertre,  dans  la  piùce  les  trois  sƓurs  Cor  sari, 
et  la  donnée  générale  est  presque  identique.  Mme  Sand  avait 
dÚs  le  principe  eu  l'intention  de  dédier  ce  roman  à  son  ami  le 
comte  d'Orsay,  mais  le  comte  mourut  le  4  août  1852  et  le  roman 
resta  sans  dédicace.  Or,  George  Sand  esquissa  dans  la  piÚce  la 
silhouette  du  comte,  et  dans  la  comédie  comme  dans  Mont- 
RevĂȘche  on  retrouve  aussi,  reflĂ©tĂ©e,  la  personnalitĂ©  de  Vomie 
de  d'Orsay,  la  propre  fille  de  l'auteur,  Solange.  Seulement  elle 
est  une  dans  la  piĂšce  et  divisĂ©e  en  deux  dans  le  roman,  oĂč  elle 
a  servi  de  modÚle  à  l'auteur  pour  dessiner  les  deux  filles  aßnées 
de  M.  Dutertre,  Nathalie  et  Eveline.  La  premiĂšre,  une  glaciale 
beauté  pétrie  d'esprit,  personnifie  la  méchanceté,  l'hypocrisie, 
la  couardise  et  les  calomnies  de  Solange,  qui,  dans  le  roman 
comme  dans  la  vie  réelle  font  le  désespoir  de  sa  famille,  sont  la 
source  d'une  série  de  chagrins,  de  querelles,  presque  de  meurtres 
et,  en  tous  cas,  causent,  dans  le  roman,  la  mort  prématurée  de  la 
belle-mùre  de  cette  diabolique  enfant.  Dans  la  seconde  sƓur, 
Eveline,  nous  reconnaissons  d'autres  traits  de  Solange,  moins 
repoussants,  plutĂŽt  bizarres,  et  quelquefois  mĂȘme  attrayants  ; 
nous  voyons  devant  nous  Vautre  Solange,  l'extravagante,  la 
capricieuse,  la  mal  équilibrée,  la  dominatrice,  «  la  sublime  prin- 
cesse »  de  Nohant,  habituée  à  l'adoration  universelle,  éprise  de 
chiffons,  de  rubans,  de  luxueuses  toilettes,  de  cavalcades  et  de 
grands  titres,  tantÎt  fantasque,  adonnée  à  de  folles  entreprises, 
cherchant  les  Ă©motions  violentes,  tantĂŽt  se  mourant  d'ennui  et 


GEORGE   SAND  2S1 

de  dĂ©sƓuvrement.  Dans  la  piĂšce  c'est  le  petit  «  dĂ©mon  »  lui-mĂȘme 
la  Flora,   qui  est   certes   silhouettée   d'aprÚs   Solange.    Cette 
beauté   glaciale,    égoïste    jusqu'au  bout    des    ongles,  voit   et 
cherche  un  adorateur  dans  chaque  homme  qui  l'approche.  Elle 
ne  comprend  pas  qu'on  puisse  ne  pas  l'admirer,  elle  se  mor- 
fond et  se  désole  de  mener  une  modeste  et  tranquille  existence 
dans  la  maison  de  sa  sƓur  aĂźnĂ©e,  Nina;  elle  jalouse  cruelle- 
ment sa  sƓur  cadette,   Camille,    brillante  cantatrice,  elle  se 
décide  d'abord  à  fuir  de  la  maison  en  compagnie  d'un  vieux 
dandy-mécÚne  qu'elle  n'aime  point,  dans  le  seul  but  de  s'amuser, 
de  pouvoir  briller,  de  se  libĂ©rer  de  la  tutelle  des  cƓurs  aimants  ; 
plus  tard,  pour  le  seul  plaisir  de  sa  vanité  et  de  son  amour-propre 
sans  frein,  elle  est  prĂȘte  Ă   briser  froidement  la  vie  de  sa  sƓur, 
en  exigeant  que  celle-ci  lui  sacrifie  son  amour.  Quant  au  grand 
seigneur  «  ami  des  artistes  »,  c'est  le  personnage  le  plus  réussi 
de  la  piÚce,  un  type  soutenu  dans  les  moindres  détails.  On  se 
demande  ce  qui  se  cache  derriÚre  l'élégance  de  ses  maniÚres,  sa 
parfaite  tenue,  son  aimable  moquerie  et  son  froid  scepticisme, 
si  c'est  un  noble  cƓur  qui  veut  sauver  l'Ă©cervelĂ©e  Flora  des  suites 
néfastes  de  son  escapade  et  si  à  cette  fin  il  devient  son  protec- 
teur, ou  bien  si  c'est  un  vieux  roué  blasé  qui  veut  abuser  de  l'in- 
nocence de  cette  coquette  jeune  fille,  moins  pervertie  qu'elle 
ne  le  paraĂźt.  Nous  venons  de  dire  qu'en  ce  mĂȘme  Ă©tĂ©  1852 
mourut  l'ami  de  l'auteur,  le  paternel  protecteur  de  Solange,  le 
comte  d'Orsay,  auquel  le  roman  dont  fut  tirée  cette  piÚce  devait 
ĂȘtre  dĂ©diĂ©.  L'auteur  biffa  la  dĂ©dicace,  mais  le  portrait  du  vieux 
beau,  «  ami  des  artistes  »  protecteur  de  la  frĂȘide  fille  sans  cƓur, 
resta,  et  c'est,  répétons-le,  le  personnage  le  plus  intéressant  de 
la  piÚce.  Toutefois,  deux  de  ses  tirades  dédaigneuses,  trÚs  carac- 
téristiques et  parfaitement  d'accord  avec  le  type  de  grand  sei- 
gneur ami  des  arts,  tant  soit  peu  hautain,  que  l'auteur  voulait 
peindre,  furent  trĂšs  mal  accueillies  par  la  critique,  et  comme  en 
ce  moment-là,  profitant  des  tendances  réactionnaires  du  moment, 
la  critique  en  général  ne  manquait  aucune  occasion  d'attaquer 
George  Sand,  Jules  Lecomte,  entre  autres,  publia  Ă   l'occasion 
dn  Démon  du  foyer,  un  article  indigné  contre  Mme  Sand.  Il 


28a  GEORGE  SAND 

déclarait  que  la  romanciÚre  vivant  à  la  campagne  et  entourée 
d'une  cohue  de  flatteurs  et  de  parasites  qui  la  poussaient  par 
leur  adoration  outrée  à  l'oubli  complet  de  toute  mesure  et  de 
toute  critique  de  soi,  était  arrivée  au  comble  de  l'orgueil;  il 
prétendait  que  dans  sa  préface  aux  Vacances  de  Pandolphe, 
George  Sand  avait  appelé  Gustave  Planche  «  le  seul  critique 
sérieux  de  ce  temps-ci  »,  parce  que  lui  seul  avait  apprécié  le 
Mariage  de  Victorine  et  qu'à  présent,  dans  son  Démon  du  foyer, 
elle  se  permettait  de  dire  des  choses  vraiment  impossibles  : 
c'est  ainsi  par  exemple,  qu'elle  appelait  tous  les  critiques  «  des 
gazetiers  »,  tous  ses  confrÚres  les  journalistes  «  des  chenapans  », 
tous  les  directeurs  de  théùtre  «  des  suborneurs  »,  et  qu'elle  avait 
offensé  cruellement  tous  les  représentants  de  la  presse  par  les 
deux  phrases  que  son  prince  prononçait  dans  le  premier  et  le 
deuxiĂšme  acte. 

George  Sand  releva  le  gant  et  répondit  dans  la  Presse  du  10  sep- 
tembre 1852  par  une  longue  lettre,  dans  laquelle  elle  soutenait 
son  droit  de  faire  parler  Ă   chacun  de  ses  personnages,  les  fats, 
les  chenapans  et  les  vauriens,  un  langage  et  de  leur  faire  dire 
des  choses  qui,  justement,  les  peignent  comme  des  fats  sans 
pudeur,  des  chenapans  sans  principes  et  des  vauriens  sans  savoir, 
incapables  d'apprĂ©cier  eux-mĂȘmes  et  les  autres.  En  mĂȘme  temps 
George  Sand  prouvait  que  le  devoir  de  la  critique  honnĂȘte  Ă©tait 
de  ne  pas  prendre  toutes  ces  sorties  pour  des  opinions  propres 
de  l'auteur,  et  de  comprendre  que  les  sots  et  les  vauriens,  en 
vertu  mĂȘme  de  leur  dĂ©faut,  jugent  les  autres  tout  de  travers. 
Au  début  de  cette  lettre  Mme  Sand  signalait  à  Jules  Lecomte 
avec  grande  dignité  combien  il  était  indécent  pour  un  critique 
de  parler  de  la  vie  intime  d'un  auteur  vivant,  aux  secrets  duquel 
il  n'était  pas  initié  :  il  parle  de  choses  qu'il  ne  connaßt  pas  \  ou 
bien,  s'il  y  est  initié,  alors  il  est  indiscret.  Le  critique  ne  doit 
parler  que  des  Ɠuvres  d'un  auteur  et  en  parler  avec  impartia- 
lité. Or,  Jules  Lecomte  avait  poussé  si  loin  sa  partialité  qu'il 
citait  inexactement  mĂȘme  les  phrases  de  la  piĂšce  et  les  arran- 
geait Ă   sa  guise.  Et  comme  preuve  Ă   l'appui,  George  Sand  citait 
les  deux  passages  incriminés. 


GEORGE   SAND  283 

Nous  les  citerons  en  entier  :  dans  l'article  de  George  Sand  ils 
sont  un  peu  changés.  Au  premier  acte  le  prince  dit  à  Flora  en 
rĂ©ponse  Ă   ses  lamentations  d'ĂȘtre  «  perdue  »,  ayant  cĂ©dĂ©  Ă   ses 
conseils  de  fuir  avec  lui  de  la  maison  de  ses  sƓurs  : 

Est-ce  que  je  vous  fais  des  conditions?  Me  prenez-vous  pour  un 
gazetier  ou  pour  un  directeur  de  théùtre  (1).  Je  suis  l'ami  des  artistes, 
et  assez  bien  pourvu  de  tout  ce  qui  fait  la  vie  agrĂ©able  pour  ĂȘtre  un 
ami  désintéressé.  Est-ce  que  j'ai  cherché  à  vous  séduire?  Je  ne  me  suis 
pas  aperçu  de  ça... 

Au  second  acte,  répondant  de  nouveau  à  une  phrase  de  Flora 
qui  déclare  qu'on  l'avait  calomnié  auprÚs  d'elle,  disant  qu'il 
était  capable  de  la  mal  conseiller,  le  prince  réplique  : 

Ah  !  cette  bonne  Nina  !  Elle  croit  encore  aux  roués  de  la  Régence. 
Oui,  elle  les  connaßt...  de  réputation.  Elle  les  a  vus  représenter  au 
théùtre  ou  dans  les  romans  par  un  tas  de  chenapans  qui  leur  font  dire 
et  faire  des  choses  les  plus  bĂȘtes  (2).  C'Ă©taient  de  grands  sots,  nos 
aimables  aĂŻeux,  s'ils  se  conduisaient  avec  les  femmes  comme  on  les 
fait  agir  dans  la  littérature  moderne... 

Et  Mme  Sand  ajoutait  : 

«  Qui  sait  écrire  doit  savoir  lire,  et  qui  sait  lire,  doit  savoir  entendre,  » 
puis  elle  demandait  ironiquement  «  si  c'étaient  les  auteurs  modernes 
ou  les  types  fictifs  de  leurs  roués  de  la  Régence  qui  étaient  traités  de 
chenapans  et  qui  faisaient  toutes  les  choses  les  plus  bĂȘtes  »... 

Mais,  continue-t-elle,  si  mĂȘme  l'auteur  avait  fait  dire  Ă   l'un 
de  ses  personnages  les  choses  les  plus  exorbitantes,  des  Ă©nor- 
mités,  ne  fallait-il  pas  considérer  le  public  comme  apte  à  com- 
prendre de  lui  mĂȘme,  sans  qu'on  lui  dise  comme  aux  enfants  : 
«  Celui-ci  est  le  traßtre,  il  dit  du  mal  de  la  vertu.  Celui-là  est  l'in- 
solent, il  méprise  tout  ce  qui  n'est  pas  lui  !  »  Puis  en  parodiant 

(1)  Dans  la  piÚce  imprimée  dans  le  volume  II  du  Théùtre  de  George  Sand 
ce  mot  est  remplacé  par  le  mot  spectacle. 

(2)  C'est  ainsi  que  la  phrase  est  exactement  transcrite  dans  la  Lettre  de 
George  Sand  à  M.  Jules  Lecomte.  Dans  le  vol.  II  du  Théùtre  on  Ut  :  Elle  les 
a  vus  au  théùtre  ou  dans  les  romans.  Un  tas  de  chenapans  qui  font  et  disent  les 
choses  les  plus  tĂȘtes.  » 


234  GEORGE   SAND 

F  exclamation  de  Jules  Lecomte  :  «  Ah,  madame,  ah,  madame  ! 
insulter  la  critique  !  »  elle  s'écriait  :  «  Ne  pas  comprendre  une 
chose  si  niaise  !  Ah  !  monsieur  le  critique  !  un  critique  !  »  Et  elle 
terminait  sa  Lettre  en  déclarant  que  pour  rien  au  monde  elle  ne 
suivra  son  conseil  et  ne  changera  pas  un  seul  mot  Ă   sa  piĂšce, 
parce  que,  si  elle  le  faisait,  «  ce  serait  une  sottise,  une  lùcheté 
et  un  mensonge  »,  elle  aurait  l'air  d'avouer  d'avoir  eu  des  inten- 
tions haineuses  et  rancuneuses  contre  quelqu'un,  et  il  n'en  Ă©tait 
rien. 

Au  lendemain  de  cette  lettre  ouverte  Ă   M.  Jules  Lecomte, 
le  11  septembre  1852,  George  Sand  Ă©crivait  Ă   son  fils  Ă   Paris  : 

Le  succĂšs  du  DĂ©mon  me  fait  beaucoup  de  plaisir  Ă   cause  du  jugement 
faux  des  articles  sur  la  piÚce,  qui  a  été  démenti,  et  de  la  rage  des  jour- 
naux qui  devient  inutile.  Lafontaine  (1)  m'a  Ă©crit.  C'est  un  peu  tard. 
N'importe  !  Bocage  m'a  écrit  des  choses  superbes,  il  s'est  décidé  à  voir 
jouer  une  piÚce  à  moi.  Frédéric  (2)  m'a  écrit  encore  qu'il  court  aprÚs 
toi  pour  les  costumes  et  les  décors  de  Netto.  Compose  et  décide.  Peut- 
ĂȘtre  pour  la  scĂšne  du  violon  FrĂ©dĂ©ric  aura-t-il  quelque  idĂ©e  bonne  Ă  
entendre  sur  la  composition  du  décor.  Je  désirerais  pourtant  qu'il  ne 
changeùt  rien  sans  ton  avis  (3).  Est-ce  qu'on  a  retranché  du  Démon 
les  gazetiers,  les  chenapans  et  tout  ce  qui  a  fait  la  fureur  des  journalistes? 
J'en  serais  fùchée.  Réponds  à  cela  (4)... 

Un  an  aprĂšs  le  DĂ©mon  du  foyer,  le  13  septembre  1853,  George 
Sand  fit  représenter  au  Gymnase  son  Pressoir  et  deux  mois  plus 
tard,  le  28  novembre,  Mauprat  tiré  du  roman  de  ce  nom.  Le 
vieil  ami  de  Mme  Sand,  EugĂšne  Delacroix,  Ă©crivait  dans  son 
journal  Ă   la  date  du  28  novembre,  le  soir  mĂȘme  de  la  premiĂšre 
de  Mauprat,  quelques  lignes,  Ă   propos  des  deux  piĂšces  qu'il 
comparait  :  «  Absence  de  talent  dramatique,  mots  charmants, 
tous  trop  vertueux;  bon  début,  milieu  se  traßne,  paysans  ver- 
tueux assommants,  manque  de  goût.  » 

Si  tout  le  monde  ne  souscrit  pas  absolument  Ă   la  premiĂšre  de 

(1)  Lafontaine  avait  joué  le  jeune  premier  de  la  piÚce,  le  Marquis. 

(2)  LemaĂźtre. 

(3)  V.  plus  loin  la  lettre  inédite  de  Mme  Sand  à  propos  du  changement 
apporté  par  RouviÚre  dans  la  derniÚre  scÚne  de  Favilla,  ce  qui  exigea  aussi 
un  changement  dans  le  décor  et  la  mise  en  scÚne  de  cet  acte. 

(4)  Inédite. 


GEORGE   SAND  285 

ces  assertions,  on  trouvera  les  derniĂšres  remarques  parfaitement 
justes,  surtout  en  les  rapportant  au  Pressoir.  Cette  piĂšce  est  insup- 
portablement  ennuyeuse  Ă   la  lecture  et  justement  grĂące  Ă   cet 
excÚs  de  sacrifice  et  de  vertu  «  assommante  »  de  la  part  de  tous, 
«  d'eau  de  rose  »  à  profusion.  Dans  la  Préface  pour  l'édition  de  la 
piĂšce  en  volume  George  Sand  dit  qu'elle  voulait  y  mettre  en 
scĂšne  non  des  paysans,  mais  des  villageois  :  des  artisans,  des 
ouvriers,  de  petits  marchands  vivant  Ă   la  campagne  et  ayant 
déjà  un  peu  goûté  à  la  civilisation,  parlant  souvent  un  langage 
qui  n'est  plus  celui  des  paysans,  qui  n'est  pas  encore  celui  des 
citadins  et  tout  plein  de  mots  savants,  employés  tout  de  tra- 
vers. Il  faut  convenir  que  les  conversations  de  ces  personnages 
(de  deux  vieux  voisins,  un  menuisier  et  un  charpentier  et  de 
leurs  proches),  produisent  l'effet  de  quelque  chose  de  factice 
(Ă   l'exception  de  quelques  locutions  bien  certainement  trans- 
crites par  l'auteur  comme  il  les  a  entendues  ou  vues  Ă©crites, 
tel  le  procÚs-verbal  dressé  par  un  expert  villageois).  Et  la  «  vertu 
assommante  »  des  personnages  rend  mĂȘme  les  hĂ©ros  principaux 
peu  intéressants.  Au  contraire  le  type  du  coq  de  village,  le  bel- 
lùtre Noël  Plantier  (comme  un  écho  radouci  et  Ion  enfant  du 
sans-cƓur  et  Ă©goĂŻste  Denis  Ronciat  dans  Claudie),  ce  type, 
disons-nous,  est  trÚs  comique,  tracé  avec  une  fine  moquerie  et 
c'est  la  seule  figure  que  notre  mémoire  retienne  parmi  la  multi- 
tude de  tous  ces  villageois  archi-vertueux.  On  en  dirait  peut-ĂȘtre 
autant  de  la  figure  de  son  pĂšre,  un  vieux  grognon  et  cupide  ; 
mais  il  est  composé  d'une  maniÚre  trop  sommaire  et  naïve.  Pour 
toutes  ces  causes  le  Pressoir  ne  peut  en  aucune  façon  aller  de 
pair  avec  les  autres  piĂšces  champĂȘtres  de  George  Sand,  ni  avec 
le  Champi,  ni  avec  Claudie. 

Quant  à  Mauprat,  quoique  ce  drame  eût  toujours  du  succÚs, 
lors  de  sa  premiĂšre  mise  en  scĂšne  comme  lors  de  chacune  de 
ses  reprises,  et  quoique  George  Sand  défendßt  dans  la  Préface 
le  droit  de  l'auteur  de  crĂ©er  avec  les  mĂȘmes  donnĂ©es  deux 
Ɠuvres  diffĂ©rentes  (elle  souligne  le  mot),  malgrĂ©  tout  cela  nous 
devons  dire  que  peut-ĂȘtre  aucune  autre  piĂšce  de  George  Sand 
ne  prouve  autant  que  Mauprat  la  thĂšse  qu'il  ne  faut  jamais 


236  GEORGE   SAND 

refaire  un  roman  en  drame.  Combien  il  y  est  peu  resté  de  ee 
beau  roman!  Combien  peu  on  y  retrouve  cette  fine,  cette 
merveilleuse  analyse  psychologique  et  par  contre,  quel  mélo- 
drame, marchant  sur  des  Ă©chasses,  quelle  routine  dramatique  !  ! 
Du  reste,  de  nos  jours,  ni  grossiers  mélodrames,  ni  échasses 
romantiques,  ni  coups  de  théùtre  à  outrance  ne  choquent  plus 
personne,  grùce  à  l'influence...  bienfaisante  des  cinémas  !  Il  est 
probable  que  Mauprat-di&me  est  juste  selon  le  goût  du  public 
moderne  et  peut-ĂȘtre  qu'un  beau  soir,  dans  quelque  salle  sombre 
et  bourrée  de  monde  à  s'y  asphyxier,  aux  sons  faux  d'un  piano 
exĂ©cutant  un  pot-pourri  ravissant  oĂč  la  valse  de  la  Veuve 
joyeuse  s'enchaĂźne  bravement  Ă   la  Mort  d'Iseult  et  la  Marche 
funĂšbre  de  Chopin  Ă   la  Petite  Tonkinoise,  on  verra  vaciller  et 
trembloter  sur  l'écran  un  «  extrait  concentré  »  de  cette  piÚce, 
tirée  et  taillée  dans  l'un  des  plus  charmants  romans  de  George 
Sand,  piĂšce  farcie  Ă   l'excĂšs  de  toutes  sortes  d'invraisemblances, 
de  disparitions,  d'apparitions  soudaines  de  personnes  sortant 
d'un  mur,  de  passages  «  par-dessus  des  abßmes  »  sur  des  poutres 
Ă   demi  brĂ»lĂ©es,  de  coups  de  fusil  partis  d'on  ne  sait  oĂč,  d'ar- 
rivées de  gendarmes,  etc.,  etc.  Quelle  misÚre  ! 

Nous  avons  dĂ©jĂ   analysĂ©  une  autre  Ɠuvre  dramatique  de 
George  Sand  faite  d'aprĂšs  un  roman  —  Flaminio  tirĂ©  de  Teve- 
rino.  Cette  piÚce  non  plus  n'a  rien  ajouté  aux  lauriers  de  son 
auteur. 

Les  quatre  piÚces  jouées  en  1855  et  1856  présentent  beaucoup 
plus  d'intĂ©rĂȘt.  NĂ©llo  le  violoniste  fut  primitivement  destinĂ©  au 
théùtre  de  Nohant.  Puis  Mme  Sand  le  remania  sur  les  indications 
de  Bocage  qui  voulait  le  jouer  Ă   la  Porte-Saint-Martin.  Un  peu 
plus  tard  Nello  fut  refait  pour  Bouffé.  Puis,  Mme  Sand  le  rema- 
nia encore  pour  Frederick  LemaĂźtre  qui  devait  le  jouer  aux  Va- 
riétés (1).  Puis  le  titre  fut  changé  et  la  piÚce  fut  imprimée  par 

(1)  Mme  Sand  écrit  à  son  fils,  à  propos  de  ce  projet  jamais  exécuté,  la  trÚs 
intéressante  lettre  que  voici  : 

«  ...Tu  me  dis  que  tu  as  vu  Frédéric,  Hetzel  de  son  cÎté,  doit  l'avoir  vu, 
et  doit  lui  avoir  remis  le  manuscrit.  Revois-le,  je  te  prie,  et  dis-lui  que  je  serai 
enchantée  de  le  recevoir,  que  je  ferai  tous  les  changements  qu'il  jugera  con- 
venables, et  que  je  lui  ferai  tous  les  rĂŽles  qu'il  me  demandera  et  m'indiquera 


GEORGE   SAND  387 

Hetzel,  en  1853,  sous  le  nom  de  la  Baronnie  de  Muldorp  (ou  de 
Muhldorf).  Remaniée  une  fois  encore  et  dédiée  à  Joseph  Des- 
sauĂ«ĂŻ,  cette  Ɠuvre  prit  le  nom  de  MaĂźtre  Favilla.  DĂšs  lors  on 
appela  toujours  de  ce  nom  Dessauër  chez  les  Sand,  car  c'est  lui 
qui  servit  de  prototype  au  héros.  Finalement  dédiée  à  RouviÚre, 
la  piÚce  fut  jouée  à  l'Odéon  en  1855.  Maßtre  Favilla,  peint  d'aprÚs 
Joseph  DessauĂ«r,  rappelle  en  mĂȘme  temps  un  personnage  de 
Hoffmann.  C'est  comme  un  tribut  payé  par  Mme  Sand  à  la  mé- 
moire du  cĂ©lĂšbre  auteur  romantique  allemand  dont  les  Ɠuvres 
l'enthousiasmÚrent  toujours.  Dans  la  préface  du  Secrétaire  intime, 
George  Sand  avait  déjà  proclamé  son  admiration  pour  Hoff- 
mann. Nous  avons  dit  dans  notre  premier  volume  que  lors 
du  séjour  de  Liszt  et  de  la  comtesse  d'Agoult  à  Nohant,  en  1837, 
on  y  lisait  à  haute  voix  les  Ɠuvres  du  conteur  allemand  et  nous 
avons  cité  la  page  du  Journal  de  Piffoël  montrant  combien 
George  Sand  avait  été  profondément  émue  par  les  idées  de 
Hoffmann  sur  la  musique.  Mme  Sand  Ă©tait  aussi  trĂšs  enthou- 
siaste de  la  «  Maison  déserte  »,  tant  prÎnée  par  Hoffmann,  elle 
Ă©crivit  Ă   deux  reprises  sur  ce  thĂšme  :  une  premiĂšre  fois  en  1836 
sa  DixiĂšme  lettre  d'un  voyageur,  ayant  pour  sous-titre  Sur  Lava- 
ter  et  une  Maison  déserte,  et  une  seconde  fois  en  1856  la  Maison 

un  peu.  Quand  on  a  la  bonne  volonté  d'un  artiste  comme  lui,  cela  rend  le 
courage.  Mais  dis-lui  que  la  Porte  Saint-Martin  m'a  demandé  Mauprat  et 
que  j'ai  promis.  On  veut  le  jouer  en  septembre.  C'est  précisément  le  temps 
oĂč  il  doit  lui-mĂȘme  jouer  Nello  aux  VariĂ©tĂ©s.  S'il  voulait  jouer  Jean  le  Tors, 
j'en  ferais  un  personnage  plus  développé  qu'il  ne  l'est  dans  le  roman.  Mais 
alors,  il  faudrait  changer  l'époque  de  la  représentation  de  Nello  ou  celle  de 
Mauprat.  Qu'il  vienne  me  voir,  nous  tĂącherons  d'arranger  tout  Ă   sa  satis- 
faction. Mais  il  faudrait  que  ce  fût  dans  le  courant  de  mai,  car  je  ne  peux 
guĂšre  me  mettre  Ă   l'ouvrage  plus  tard.  S'il  voulait  essayer  Nello  ici,  nous 
lui  donnerions  bien  la  réplique.  Lambert  ferait  Hermann  et  tu  nous  amÚnerais 
une  jeune  premiĂšre  quelconque.  Dis-lui  que  s'il  nous  donnait  huit  ou  dix 
jours,  nous  ferions  peut-ĂȘtre  de  Nello  un  chef-d'Ɠuvre,  avec  ses  idĂ©es  et  sa 
création,  et  qu'en  causant  avec  lui  je  serais  capable  d'en  faire  d'autres  pour 
lui. 

«  Dis-lui  donc  de  lire  Marielle  dans  la  Revue  de  Paris  et  demande-lui  si, 
en  retranchant  l'acte  du  déjeuner  qui  ressemble  à  MoliÚre,  et  en  arrangeant 
certaines  parties,  il  ne  pourrait  pas  jouer  cela.  C'est  un  rĂŽle  que  Maritllel 
Les  journaux  qui  l'ont  loué,  ne  pourraient  plus  le  démolir.  Aux  Variétés 
nous  aurions  Paulin  MĂ©nier  pour  jouer  Florimond,  Mlle  Clarisse  pourrait 
jouer  Sylvia  qui  est  une  fille  de  trente  ans,  je  crois.  Les  ressemblances  avec 
MoliÚre  seraient  à  changer.  On  en  viendrait  à  bout » 


28S  GEORGE   SAND 

déserte,  extrait  publié  dans  Je  Magasin  pittoresque.  (Nous  en 
parlons  au  chap.  xi.) 

Favilla  est  donc  un  vrai  personnage  de  Hoffmann,  une  espĂšce 
de  Kreyssler,  un  artiste  vivant  uniquement  dans  le  monde  de 
l'harmonie  et  du  rĂȘve  ;  dans  la  vie  pratique  c'est  un  grand  enfant, 
généreux,  désintéressé,  mais  toujours  distrait  et  bizarre  et  que 
l'on  prend  volontiers  pour  un  fou.  C'est  cette  distraction  qui, 
dans  la  piĂšce,  est  la  cause  des  malheurs  de  Favilla  et  de  toute  sa 
famille  :  son  vieil  ami  mourant,  le  baron  de  Muhldorf  lui  enjoint 
de  vive  voix  de  garder  dans  sa  baronnie  l'ordre  de  choses  et  le  train 
qu'on  y  menait  de  son  vivant,  et  surtout  de  secourir  toujours 
les  inférieurs,  de  venir  en  aide  aux  indigents  ;  et  dans  son  testa- 
ment Ă©crit,  il  lui  lĂšgue  toute  la  fortune  des  Muhldorf.  Favilla,  qui 
adoucit  les  derniers  moments  de  son  ami  en  lui  jouant  une  can- 
tate de  Haendel,  brûle  par  distraction  ce  testament.  H  en  résulte 
que  le  neveu  du  baron  (qui  n'avait  point  d'enfants),  le  commerçant 
Keller,  se  considÚre  comme  l'héritier  de  la  fortune  des  Muhldorf  ; 
c'est  ce  que  pensent  aussi  tous  les  autres.  Or,  Favilla  parle  et 
agit  en  seigneur  et  maßtre  de  la  baronnie.  De  là,  une  série  de 
malentendus,  tantĂŽt  comiques,  tantĂŽt  tragiques  et  qui  causent 
le  malheur  des  enfants  de  Favilla  et  de  Keller,  Marguerite  et 
Hermann  :  le  vieux  Keller  défend  à  ce  dernier  d'épouser  cette 
jeune  fille,  Ă   son  dire,  la  fille  d'un  violoniste  italien,  mendiant 
et  fou.  Et  voilĂ   qu'au  moment,  oĂč,  voulant  exĂ©cuter  Ă   l'anniver- 
saire de  la  mort  du  baron  la  mĂȘme  cantate  de  Haendel  et  se  met- 
tant Ă   la  mĂȘme  place  oĂč  il  se  tenait  alors,  Favilla,  comme  cela 
arrive  souvent  Ă   chacun  de  nous,  se  souvient  tout  Ă   coup  com- 
ment, dans  un  accÚs  de  douleur,  il  a  allumé  le  papier  timbré  à 
une  bougie,  puis  l'a  jeté  dans  la  cheminée  et  laissé  brûler..  C'est 
ainsi  que  l'existence  bien  réelle  du  testament  est  prouvée  et 
qu'on  reconnaĂźt  que  ce  n'est  pas  lui,  Favilla,  qui  se  trouve  ĂȘtre 
hébergé  au  chùteau  de  Keller,  mais  bien  Keller  chez  lui.  Ce  der- 
nier, s'ennuyant  déjà  à  la  campagne,  se  dispose  à  revenir  à  ses 
boutiques,  et  les  jeunes  gens  se  marient.  La  scĂšne  mimique 
finale,  lorsque,  aux  sons  d'un  orchestre  invisible  jouant  la  can- 
tate de  Haendel,  Favilla  prend  son  violon  et,  se  mettant  Ă   l'an- 


GEORGE   SAND  289 

cienne  place,  tout  Ă   coup  rejette  son  violon,  prend  sa  tĂȘte  dans 
ses  mains,  commence  Ă   se  ressouvenir,  et  revient  Ă   une  entiĂšre 
lucidité  d'esprit,  fut  un  triomphe  pour  RouviÚre,  auquel  le  rÎle 
du  vieux  Favilla,  idéaliste,  bizarre  et  demi-fou,  dans  le  goût 
du  héros  d'Hoffmann,  convenait  de  tous  points. 

George  Sand  assista  avec  Manceau  aux  répétitions  et  à  la 
premiĂšre  de  Favilla,  qui  eut  lieu  le  15  septembre  1855.  Elle 
raconte  ses  impressions  et  surtout  celles  que  lui  laissa  le  jeu  de 
RouviÚre  dans  ses  lettres  inédites  à  son  fils,  du  13,  15  et  17  sep- 
tembre. Les  voici  : 

Paris,  13  septembre  1855. 

Je  t'Ă©cris  un  peu  Ă   Vhazard,  ne  sachant  oĂč  tu  es.  Je  pense  que  le 
beau  temps  t'a  décidé  à  faire  ton  petit  voyage,  à  moins  qu'il  ne  pleuve, 
vente  et  tonne  Ă   Nohant.  Ici  il  n'y  a  pas  eu  d'orage  et  nous  avons 
trouvé  Paris  sec  et  propre.  Favilla  va  bien.  Je  trouve  RouviÚre  admi- 
rable. Le  public  sera-t-il  de  mon  avis.  Les  uns  disent  oui,  les  autres 
non,  ceux-ci  auront  tort.  Il  joue  cela  comme  un  inspiré.  Barré  (1) 
est  bon,  Mme  Laurent  ravissante.  On  dit  que  nous  passerons  lundi. 
J'en  doute.  H  y  a  demain  spectacle  gratis,  le  Champi,  dans  le  jour, 
je  crois  que  ça  nous  retardera. 

Paris,  15  septembre  1855. 
Samedi  aprĂšs  la  piĂšce. 

Favilla  a  été  admirablement  joué  et  admirablement  accueilli... 
Je  te  bige  encore.  RouviÚre,  Barré  et  Mme  Laurent  ont  été  magni- 
fiques. 

Paris,  17  septembre  1855. 

...Ce  soir  a  eu  lieu  la  seconde  de  Favilla;  BĂ©rengĂšre  a  perdu  son 
enfant  durant  la  premiĂšre.  Elle  ne  Fa  su  que  dans  la  nuit.  Vaez  (2) 
est  bien  triste  et  elle  est  bien  accablée.  Son  rÎle  a  été  doublé  pour 
aujourd'hui  par  la  petite  Maria  Rey  qui  le  savait  et  qui  n'a  pas  été 
trop  mal.  Mais  elle  aurait  été  mal,  que  la  piÚce  n'en  aurait  pas  été 
moins  bien.  Les  petits  rĂŽles  sont  courts  et  on  les  Ă©coute  sans  impa- 
tience, car  l'on  est  entraßné  par  RouviÚre,  Barré  et  Mme  Laurent  qui 
sont  excellents  et  encore  plus  aujourd'hui  que  samedi.  RouviĂšre  est 

(1)  Léopold  Barré,  acteur. 

(2)  Gustave  Vaëz. 

Iv-  i9 


■go  GEORGE   SAND 

d'une  beauté  dont  je  ne  peux  pas  te  donner  l'idée.  Il  est  calme,  doux, 
tendre,  enthousiaste,  lyrique,  c'est  l'idéal  du  personnage  et  la  salle 
croule  sous  les  applaudissements  du  dernier  acte.  H  ne  joue  plus  de 
violon,  c'est  Juliette  qui  joue  un  solo  de  harpe  (censé)  et  Anselme  qui 
joue  du  violon  ensuite.  Tout  cela  dans  le  fond  avec  des  musiciens  pos- 
tiches, et  pendant  ce  temps-lĂ ,  RouviĂšre  fait  une  pantomime  Ă©bourif- 
fante qu'on  applaudit  Ă   tout  rompre.  H  m'a  fallu  tĂątonner  cet  effet, 
mais  il  est  venu  magnifique.  Pour  moi  ce  n'est  pas  lĂ   le  merveilleux 
du  talent  de  l'acteur,  c'est  la  diction  des  moindres  mots  qui  sortent 
de  lui  suaves  et  profonds.  C'est  le  plus  grand  acteur  qui  existe  aujour- 
d'hui Ă   Paris,  et  je  crois  que  le  public  arrive  Ă   s'en  apercevoir.  Avec 
cela  il  est  arrangé  à  ravir.  Il  est  pùle,  propre,  doux,  fantastique,  beau 
comme  un  Kreysler  d'Hoffmann.  Quel  joli  personnage  Ă   peindre  !  Les 
artistes  en  sont  fous.  La  représentation  de  ce  soir  a  été  superbe  comme 
argent  et  comme  succÚs  (d'Odéon).  La  presse  est  bonne  jusqu'à  pré- 
sent et  on  croit  Ă   un  vrai  succĂšs.  Quel  qu'il  soit  quant  au  profit,  il  est 
réel  et  certain  dans  l'opinion,  et  le  ministre  demande  une  nouvelle 
piÚce  pour  les  Français.  J'ai  vendu  le  manuscrit  à  la  Librairie  Nouvelle. 
Je  vas  m'occuper  de  Charton  (1)  et  de  Falempin  (2)  pour  toi,  voir 
l'industrie,  voir  Mirés  (3)  qui  fait  enrager  M.  Collier  (4),  dßner  chez 
Girardin,  etc.  Je  ne  crois  pas  pouvoir  partir  avant  lundi  prochain, 
car  je  n'ai  encore  pu  rien  faire  en  dehors  de  FaviĂŻĂŻa.  Tu  sais  qu'Ă  
l'Odéon  il  faut  s'occuper  de  tout.  Ils  sont  plus  fafiots  et  lambins  que 
jamais,  mais  toujours  si  gentils  qu'on  ne  peut  se  fĂącher... 

...Manceau  t'embrasse,  sa  colique  de  premiÚre  représentation  est 
passée.  Porte-toi  bien. 

George  Sand  exprimait  presque  dans  les  mĂȘmes  termes  son 
admiration  pour  le  jeu  de  RouviÚre  dans  la  Préface  pour  l'édi- 
tion de  la  piÚce  qu'elle  lui  dédia  à  cette  occasion.  L'auteur  y 
remercie  l'artiste  surtout  pour  avoir  par  son  jeu  rendu  véridique, 
réel  et  possible  ce  type  idéal  de  Favilla,  d'avoir,  d'un  personnage 
que  l'auteur  avait  fait  simple  et  bon,  fait  un  personnage  grand 
et  poétique,  doué  d'  «  une  physionomie  que  les  poÚtes  et  les 
peintres  ont  comparée  avec  raison  aux  types  saisissants  et  tou- 
chants des  plus  belles  légendes  d'Hoffmann  »  et  d'avoir  ainsi 

(1)  Edouard  Charton. 

(2)  Homme  d'affaires  de  Mme  Sand. 

(3)  Jules-Isaac  Mirés,  grand  brasseur  d'affaires  (1809-1871). 
(■i)  Collier  l'Ă©diteur.  V.  le  chap.  suivant. 


GEORGE   SAND  291 

rendu  un  grand  service  moral  Ă   l'auteur  qui  voulait,  avant  tout, 
réfuter  l'opinion  courante  que  ses  personnages  n'étaient  ni 
vivants,  ni  réels.  Cette  derniÚre  allusion  visait  Jules  Janin  qui 
avait  attaqué  George  Sand  à  propos  de  Favilla  et  surtout  à 
propos  de  l'avant-derniĂšre  version  de  cette  piĂšce,  la  Baromiie 
de  Muhldorf,  point  jouée,  mais  imprimée  à  Bruxelles.  Jules  Janin 
prétendait  que  dans  toutes  ses  piÚces  George  Sand  sacrifiait 
les  honnĂȘtes  bourgeois  aux  artistes  dĂ©rĂ©glĂ©s  et  vagabonds,  et 
en  exhaussant  ces  derniers,  détestait  et  maudissait  les  premiers, 
mais  que,  surtout,  elle  peignait  des  idéalistes,  n'existant  pas 
dans  la  vie  réelle. 

George  Sand  répondit  par  une  lettre  (1),  dans  laquelle  elle 
défendait  son  droit  de  peindre  des  types  positifs  ou  négatifs 
dans  toutes  les  classes  de  la  société  et  de  les  peindre  avec  les 
traits  caractéristiques  adhérents  à  chacun  :  un  bourgeois  ou  un 
marchand,  comme  un  homme  prosaĂŻque,  sec,  mais  honnĂȘte,  un 
musicien  exalté,  comme  un  homme  fantaisiste  et  peu  pratique, 
mais  aussi  honnĂȘte  et  adorant  l'idĂ©al  ;  et,  avant  tout,  elle  dĂ©fen- 
dait son  droit  de  peindre  au  milieu  d'un  siÚcle  adonné  à  la  pour- 
suite fiévreuse  du  gain,  des  hommes  artistes  ou  bourgeois,  peu 
importe  !  qui  sont  entiÚrement  guidés  par  le  senti?nent  du  devoir, 
lui  apparaissant  sous  quatre  formes  :  l'honneur,  le  devoir  pro- 
fessionnel, la  fidélité  dans  l'amour,  le  culte  de  l'idéal. 

A  l'Ă©poque  de  la  mise  en  scĂšne  de  Favilla  se  rattache  im  Ă©pi- 
sode fort  intĂ©ressant  et  presque  inconnu  mĂȘme  des  connaisseurs 
de  l'histoire  littéraire  : 

Lors  de  la  premiĂšre  de  Claudie  le  rĂŽle  de  la  Grand''  Rose 
fut  joué  par  Mlle  Daubrun,  «  la  belle  Daubrun  »,  comme  Mme  Sand 
la  nommait  dans  sa  PrĂ©face  pour  l'Ă©dition  de  Claudie,  oĂč  elle 
disait  beaucoup  de  choses  flatteuses  sur  cette  artiste.  Et  c'est 
justement  à  cette  actrice  et  à  son  désir  de  jouer  dans  Favilla 
aussi,  que  se  rapporte  une  série  de  documents  fort  curieux  que 
nous  avons  retrouvés  dans  les  papiers  de  George  Sand.  PremiÚre- 
ment c'est  une  lettre  que  Mlle  Daubrun  Ă©crivit  Ă   Mme  Sand  le 

(1)  Corresp.,  t.  IV,  p.  68. 


293  GEORGE   SAXD 

4  janvier  1852,  lorsque  aprÚs  l'événement  du  2  décembre  1851 
la  Porte-Saint-Martin  fut  fermée  et  que  cette  demoiselle  passa 
à  la  Gaieté  ;  elle  priait  Mnie  Sand  de  lui  donner  la  permission 
de  jouer  Claudie  à  son  bénéfice  du  10  janvier  ;  or,  tous  les  droits 
sur  cette  piĂšce  appartenaient  Ă Bocage,  et  Mlle  Daubrun  invoquait 
la  bonté  si  connue  de  Mme  Sand  et  la  suppliait  de  lui  venir  en 
aide,  vu  sa  position  pécuniaire  trÚs  difficile.  Et  elle  signait 
«  Votre  humble  servante  et  toujours  reconnaissante 

«  Grand'  RosE-Marie  Daubrun.  » 

Trois  ans  plus  tard,  au  mois  d'aoĂ»t  1855,  au  moment  oĂč  on 
était  en  train  de  répéter  Favilla,  Mme  Sand  reçut  à  propos  de 
cette  mĂȘme  demoiselle  Daubrun  une  trĂšs  intĂ©ressante  lettre  de 
la  part  d'un  auteur,  alors  inconnu,  plus  tard  immensément 
célÚbre,  lettre  que  nous  devons  publier,  ne  fût-ce  qu'au  nom  de 
la  vérité  et  de  l'équité.  Voici  cette  lettre  : 

Mardi,  14  août  1855. 
Madame, 

J'ai  un  bien  grand  service  Ă   vous  demander  et  vous  ne  connaissez 
mĂȘme  pas  mon  nom.  S'il  est  une  position  embarrassante,  Ă   coup  sĂ»r 
c'est  celle  d'un  Ă©crivain  obscur  contraint  Ă   recourir  Ă   l'obligeance  d'un 
écrivain  célÚbre.  Je  pourrais  me  recommander  prÚs  de  vous  des  noms 
de  quelques  amis  illustres,  mais  à  quoi  bon?  J'estime  que  le  récit  de 
mon  affaire  vaudra  mieux  que  tout,  puis  je  pense  que  demander  un 
service  Ă   une  femme^pour  une  femme,  ce  n'est  plus  une  humiliation, 
c'est  presqu'une  joie.  J'espÚre  donc  ne  pas  vous  déplaire  en  vous 
avouant  que  malgré  votre  haute  position  littéraire,  je  n'éprouve  en 
m'adressant  à  vous  ni  trop  d'embarras,  ni  trop  de  timidité. 

Votre  drame  va  ĂȘtre  mis  en  rĂ©pĂ©tition  Ă   VOdĂ©on.  RouviĂšre,  un  de 
mes  meilleurs  amis,  un  comédien  de  génie,  joue  le  principal  rÎle. 
Il  y  a  un  rĂŽle  (La  femme  de  RouviĂšre)  que  l'on  destinait  primitivement 
Ă   Mlle  Daubrun.  Vous  souvenez-vous  d'elle?  Elle  jouait  un  rĂŽle  re- 
marquable dans  Claudie.  On  était  presque  d'accord.  Narrey,  le  dési- 
rait, le  régisseur  insistait  pour  elle,  M.  Vaez  avait  l'air  de  le  désirer  ; 
quant  Ă   M.  RouviĂšre  qui  s'y  connaĂźt,  il  l'aime  presque  autant  que  moi. 
Mlle  Daubrun  est  Ă   Nice,  elle  revient  d'Italie  oĂč  son  directeur  a  fait 
faillite.  Elle  s'était  sauvée  de  la  Gaieté  pour  des  raisons  non  seule- 


GEORGE   SAXD  293 

ment  fort  excusables,  mais  mĂȘme  fort  louables.  Hostein  (1)  a  dit  qu'il 
ferait  un  procÚs  à  un  théùtre  du  boulevard  qui  la  prendrait,  mais  qu'il 
n'en  fera  pas  à  VOdéon.  M.  Narrey  s'était  chargé  de  lever  cette  diffi- 
culté et  en  somme  on  pouvait  la  considérer  comme  levée.  D'ailleurs 
il  suffit  de  quelques  heures  pour  arranger  cela.  Hier  matin,  Ă   dix  heures, 
je  rencontre  M.  Vaez  qui  me  demande  vivement  si  tout  est  fini;  je 
lui  dis  que  Mlle  Daubrun  accepte  avec  joie,  mais  qu'elle  désire  une 
légÚre,  trÚs  légÚre  augmentation  dans  les  appointements  ;  si  légÚre, 
madame,  que  je  n'ose  pas  vous  le  dire.  M.  Vaez  me  dit  de  venir  le 
retrouver  à  deux  heures.  A  deux  heures,  M.  Narrey  (2)  s'était  chargé 
de  la  commission  désagréable  de  m'annoncer  que  tout  était  rompu, 
que  toute  négociation  était  inutile,  que  les  journées  s'écoulaient,  etc.. 
Il  y  a  trois  jours  d'ici  à  Nice,  et  l'Odéon  ne  s'ouvre,  je  crois,  que  le 
15  septembre. 

Ai-je  besoin  de  vous  dire,  madame,  avec  quelle  joie  je  voyais 
Mlle  Daubrun  rentrer  honorablement  Ă   Paris,  dans  un  ouvrage  de 
vous,  et  réparer  rapidement  dans  un  théùtre  qui  lui  convient  les  dou- 
leurs et  les  accidents  de  Tannée  précédente?  J'ai  dit  alors  que  j'accep- 
tais pour  elle,  sans  la  consulter,  les  conditions  offertes.  Mais  cette 
porte  de  refuge  m'a  été  fermée.  Dans  tout  cela,  madame,  il  n'avait 
pas  été  question  de  votre  désir  ni  de  votre  opinion  ;  c'est  cette  réflexion 
si  simple  qui  m'est  apparue  comme  une  chance  de  salut,  et  qui  me  fait 
vous  Ă©crire. 

Non  seulement,  je  vous  demande  votre  opinion,  une  opinion  favo- 
rable, mais  je  vous  prie,  vous  l'auteur,  vous  le  maĂźtre,  d'excuser  une 
pression  qui  annule  la  pression  inconnue  que  je  n'ai  pas  su  deviner. 
Je  vous  supplie,  Ă   moins  que  vous  n'ayez  des  projets  arrĂȘtĂ©s  Ă   l'avance, 
d'Ă©crire  quelques  mots  Ă   ces  messieurs,  particuliĂšrement  Ă   M.  Royer. 
Vous  le  voyez,  madame,  je  fais  comme  ces  malheureux,  mécontents  du 
Cadi  et  qui  cherchent  partout  le  sultan;  ils  comptent  sur  sa  bonté 
et  sur  sa  justice.  Que  vous  m'accordiez  ou  que  vous  me  refusiez,  ayez 
la  bonté  de  cacher  le  moyen  excentrique  dont  j'ai  osé  me  servir.  Main- 
tenant, il  serait  vraiment  trop  bĂȘte  que  je  vous  parlasse  de  mon  admi- 
ration pour  vous  et  de  ma  reconnaissance.  J'attends  votre  réponse 
avec  une  certaine  angoisse.  Veuillez  agréer,  madame,  l'expression  de 
mon  parfait  respect. 

Ch.  Baudelaire. 
27,  rue  de  Seine. 

Si,  au  moins,  je  pouvais  vous  faire  rire  en  vous  racontant  un  petit 
embarras  qui  m'a  fait  hésiter  trois  heures  avant  d'envoyer  cette  lettre, 

(1)  Jules-Jean-Baptiste-Hippolyte   Hostein. 

(2)  Charles  Narrey. 


294  GEORGE   SAND 

peut-ĂȘtre  y  gagnerais-je  un  peu.  J'ignorais  votre  adresse;  j'ai  imaginĂ© 
absurdement  que  Buloz  devait  la  connaĂźtre.  Il  corrigeait  les  Ă©preuves 
et  en  entendant  votre  nom,  il  m'a  fort  rudoyé.  De  plus  je  ne  savais 
comment  Ă©crire  votre  nom  ;  Madame  Sand,  Mme  Dudevant  ou  Mme  Ja 
baronne  Dudevant?  Je  craignais  avant  tout  de  vous  déplaire.  Enfin, 
le  dernier  nom,  m'a  fait  l'effet  d'une  impertinence  pour  le  génie  et 
j'ai  pensé  que  vous  préfériez  le  nom  par  lequel  vous  régnez  dans  le 
cƓur  et  l'esprit  de  votre  siùcle. 

C.  B 

Si,  aprĂšs  avoir  lu  ces  lignes  si  respectueuses,  si  diplomati- 
quement insinuantes,  si  savamment  flatteuses,  on  les  met  en 
regard  des  commentaires  hostiles  et  méchamment  mordants 
dont  leur  auteur  accompagne  la  réponse,  de  George  Sand,  datée 
du  16  août  1855  (imprimée  par  M.  Crépet  à  la  page  220  des 
(Eûmes  posthumes  et  Correspondance  inédites  de  Charles  Bau- 
delaire, in-8°,  Quantin  1887),  on  éprouve  un  sentiment  de  vrai 
malaise  devant  cette  désinvolture  morale,  pour  ne  pas  dire  plus, 
du  poÚte.  Et  que  cette  lettre  de  Mme  Sand  méritait  une  autre 
«  note  en  marge  »  de  la  part  de  Baudelaire,  tout  le  monde  sera 
d* accord,  nous  n'en  doutons  pas. 

A  Charles  Baudelaire. 

Nohant,  16  août  1855. 
Monsieur, 

C'était  une  chose  convenue.  J'ignorais  qu'elle  fût  rompue  et  j'ignore 
encore  pourquoi  Je  regretterais  beaucoup  Mlle  Daubrun  et  si  je  puis 
faire  qu'on  revienne  Ă   elle,  je  le  ferai  certainement  :  je  vais  Ă©crire  de 
suite. 

Agréez  l'expression  de  mes  sentiments  distingués. 

George  Sand. 

Baudelaire  écrivit  au-dessus  de  ces  lignes  :  «  Remarquez  la 
faute  de  français  :  de  suite  pour  tout  de  suite.  » 

C.  B. 
et  au-dessous  : 

«  La  devise  marquée  sur  la  cire  était  :  Vitam  impendere  vero. 
Mme  Sand  m'a  trompé  et  n'a  pas  tenu  sa  promesse.  Voici  dans 


GEORGE    SAND  295 

V Essai  sur  le  principe  générateur  des  révolutions  ce  que  De  Maistre 
pense  des  écrivains  qui  adoptent  cette  devise.  » 

C.  B. 

Et  voici  maintenant  la  réponse  de  Baudelaire  que  nous  avons 
retrouvée  aussi  dans  les  papiers  de  Mme  Sand  : 

19  août  1855. 
Madame, 

J'ai  reçu  votre  excellente  lettre  le  17.  Je  ne  m'étais  donc  pas  trompé 
en  invoquant  votre  obligeance.  J'ai  écrit  immédiatement  à  Mlle  Dau- 
brun  pour  l'instruire  de  ce  que  j'avais  fait  sans  la  consulter  et  afin 
qu'elle  sĂ»t  Ă   qui  adresser  ses  remerciements  dans  le  cas  oĂč  ces  mes- 
sieurs, grĂące  Ă   vous,  renoueraient  directement  avec  elle.  Quant  Ă   moi. 
il  est  présumable  qu'ils  ne  me  rappelleront  pas,  à  cause  de  la  maniÚre 
un  peu  brusque  et  bizarre  dont  ils  ont  rompu.  Si  vous  avez  quelque 
nouvelle  heureuse  ou  désagréable,  soyez  assez  bonne,  madame,  pour 
m' écrire  deux  mots.  Veuillez  agréer  avec  mes  remerciements  l'assurance 
de  mes  sentiments  les  plus  respectueux. 

Ch.  Baudelaire. 
27,  rue  de  Seine. 

Il  paraßt  que  les  démarches  de  Baudelaire  et  de  Mme  Sand 
n'aboutirent  à  rien,  car  le  rÎle  de  «  la  femme  de  BouviÚre  », 
c'est-Ă -dire  celui  de  Marianne,  la  femme  de  MaĂźtre  Favilla,  fut 
(comme  on  le  sait  par  la  liste  des  acteurs  mise  en  tĂȘte  de  cette 
piÚce  dans  le  volume  III  du  Théùtre  de  George  Sand  et  par  ses 
lettres  inédites  à  son  fils),  joué  non  pas  par  Mlle  Daubnm,  mais 
par  Mme  Marie  Laurent,  qui.  alors,  commençait  à  peine  sa  si 
brillante  carriĂšre. 

C'est  encore  BouviÚre  qui,  déjà  admis  à  la  Comédie-Française, 
y  créa  l'année  suivante  le  rÎle  de  Jacques  dans  le  Comme  il  vous 
plaira  de  Shakespeare,  adaptĂ©  par  George  Sand,  ce  mĂȘme  Jacques 
misanthrope  pour  lequel  Mme  Sand  avait,  dĂšs  ses  plus  jeunes 
années,  eu  un  faible,  comme  nous  le  savons,  et  qu'elle  avait 
toujours  considéré  comme  le  prototype  d'Alceste.  Mme  Sand 
revenait  Ă   cette  ressemblance  entre  les  deux  personnages  dans 
la  Préface  pour  l'édition  de  sa  piÚce  ;  or,  dans  cette  préface  elle 


296  GEORGE   SAND 

s'excusait  devant  l'opinion  publique,  d'avoir  osé  «  adapter  », 
«  arranger  »,  «  corriger  »  et...  amender  Shakespeare  et  louait  le 
jeu  des  acteurs,  mais  surtout  RouviĂšre.  Il  paraĂźt  que  Mme  Sand 
chantait  alors  Ă   qui  voulait  l'entendre  des  louanges  de  RouviĂšre 
comme  artiste  et  comme  personnalité  ;  ce  fut  un  prétexte  plau- 
sible pour  une  petite  notice  trĂšs  venimeuse  parue  dans  le  Figaro 
du  20  janvier  1856  Ă   propos  de  la  prochaine  premiĂšre  de  Comme 
il  vous  plaira,  petit  article  oĂč  on  entremĂȘlait  traĂźtreusement  des 
allusions  à  la  dédicace  de  Favilla  à  RouviÚre  et  au  roman  archi- 
fantastique  de  Mme  Sand  paru,  au  début  de  janvier,  sous  le  titre 
Ă 'Evenor  et  Leucippe  (dont  nous  parlons  plus  loin),  et  des  mo- 
queries sur  les  «  corrections  »  infligées  à  Shakespeare  et  enfin  sur 
l'amitiĂ©  extrĂȘme  de  Mme  Sand  pour  Sylvanie  Arnould-Plessy  : 

Commme  il  vous  plaira!  un  beau  titre  qui  a  séduit  Mme  George  Sand 
et  elle  nous  le  fera  bien  voir.  Mme  Sand,  par  parenthĂšse...  (Mais 
ouvrons-la,  cette  parenthÚse  1  Mme  Sand  trouve  qu'on  ne  la  répÚte 
pas  assez  vite,  et  elle  parle  de  retirer  Françoise!  Mme  Arnould- 
Plessy  n'a  pu  représenter  Mlle  MoliÚre  dans  l'à-propos  du  1er  janvier 
et  cela  parce  qu'elle  est  veuve.  Espérons  qu'elle  ne  trouvera  dans  sa 
vie  privĂ©e  aucune  circonstance  qui  l'empĂȘche  de  jouer  Françoise  !) 
Donc,  Mme  Sand  va  écrire  Comme  il  vous  plaira  pour  le  comédien 
RouviĂšre,  comme  aussi  elle  Ă©crira,  dit-on,  la  Conversion  de  saint  Paul 
pour  le  mĂȘme  comĂ©dien  RouviĂšre. 

Seulement  Mme  Sand  n'est  pas  contente  de  la  version  de  Shakes- 
peare. Dans  Shakespeare,  le  rÎle  du  comédien  RouviÚre,  Jacques  le 
Mélancolique,  ne  domine  pas  assez.  Et  puis  Shakespeare  a  laissé  le 
poumon  Ă   droite  et  le  cƓur  Ă   gauche  et  puis  Jacques  le  MĂ©lancolique 
n'est  pas  assez  vertueux  pour  le  comédien  RouviÚre.  Cela  manque 
d'Arcadie,  d'Astrée,  de  Sylvanie  et  d'Evenor  et  Leucippe.  Nous  allons 
changer  tout  cela.  Maintenant,  sans  le  comédien  RouviÚre  et  sans  la 
philosophie  point  de  salut  ! 

Ce  n'est  pas  sans  malice  que  l'auteur  de  cet  entrefilet  faisait 
une  allusion  à  l'admiration  de  Mme  Sand  pour  la  créatrice  du 
rĂŽle  de  Celia  dans  l'adaptation  de  la  piĂšce  de  Shakespeare, 
Mme  Sylvanie  Arnould-Plessy  Ă©tait,  comme  nous  l'avons  vu, 
une  amie  intime  de  Mme  Sand.  Ce  fut  pour  elle  que  furent  Ă©crites 
une  comédie  en  un  acte  Lucie  et  la  piÚce  en  quatre  actes,  citée 
par  le  chroniqueur,  Fra)içoise.  Cette  derniÚre  piÚce  avait  d'abord 


GEORGE  SAND  297 

été  écrite  en  cinq  actes  et  s'appelait  VIrrésolu.  On  ne  sait  pas 
trop  pourquoi,  aucune  de  ces  deux  piÚces  ne  fut  jouée  à  la  Co- 
médie-Française, l'auteur,  en  effet,  «  reprit  Françoise  »  et  la  fit 
reprĂ©senter  au  Gymnase.  Le  rĂŽle  de  Françoise,  jeune  fille  prĂȘte 
à  se  sacrifier  à  son  bien-aimé,  destiné  d'abord  à  Mme  Amould, 
fut  jouĂ©  par  la  cĂ©lĂšbre  Rose  ChĂ©ri  ;  le  rĂŽle  de  VirrĂ©solu  —  ou 
pour  mieux  dire  de  l'égoïste  veule,  aussi  incapable  de  se  dévouer 
à  la  femme  aimée  que  de  faire  un  mariage  de  raison  en  épousant 
une  riche  bourgeoise  —  fut  crĂ©Ă©  par  le  non  moins  cĂ©lĂšbre  Francis 
Berton,  et  le  rÎle  de  cette  «  jeune  bourgeoise  »,  mi-enfant  terrible, 
mi-petite  raisonneuse  pratique,  par  la  charmante  «  ingénue 
comique  »  qui  fut  plus  tard  une  jeune  premiÚre  trÚs  applaudie, 
Mlle  Marie  Delaporte. 

Delacroix,  Ă   propos  de  MaĂźtre  Favilla  et  Ă   propos  d'autres 
piĂšces  encore,  reprochait  Ă   Mme  Sand,  ainsi  qu'Ă   Dumas  pĂšre, 
de  faire  entrer  dans  le  drame  sentimental  des  personnages  comiques 
et  vice  versa,  ce  qui  lui  paraissait  un  grand  défaut  et  une  grave 
erreur.  Selon  nous,  dans  Françoise,  tout  aussi  bien  que  dans 
Claudie  et  dans  le  Pressoir,  les  personnages  les  mieux  réussis 
ce  ne  sont  point  les  héros  vertueux  et  sentimentaux,  mais  juste- 
ment les  personnages  comiques,  les  Denis  Ronciat,  les  Noël 
Plantier,  etc.,  etc.  Tels,  aussi,  les  parents  de  Cléonice  Dubuisson, 
la  fiancée  bourgeoise  de  Virrésolu,  le  papa  qui  s'enorgueillit  de 
sa  provenance  paysanne  et  de  ce  qu'il  a  gagné  ses  millions  en 
geignant,  et  la  maman  qui  voudrait  faire  oublier  cela  et  pose  Ă  
la  grande  dame.  Le  caractĂšre  le  mieux  venu  toutefois  est  bien 
celui  de  VirrĂ©solu.  Disons  plus,  Françoise  est  peut-ĂȘtre  la  plus 
intéressante  de  toutes  les  piÚces  de  George  Sand,  grùce  à  ce 
rÎle  d'Henri  de  Trégénec.  Ce  personnage  offre  de  grandes  res- 
sources Ă   l'artiste  qui  le  jouerait.  H  est  tout  en  nuances,  en 
scĂšnes  mimiques,  en  brusques  changements  d'Ăąme.  Lorsqu'on 
parle  des  Ɠuvres  dramatiques  de  George  Sand,  on  cite  le 
Champi,  Claudie,  Mauprat  ou  le  Marquis  de  Villemer  et  l'on 
passe  sous  silence  Virrésolu.  Nous  croyons  qu'avec  quelques 
changements  dans  les  détails,  quelques  petites  adaptations  à 
notre  époque,  avec  quelques  coupures  de  fadaises  trop  «  sucrées  » 


398  GEORGE   SAN  D 

(dans  les  rÎles  par  trop  vertueux  de  l'héroïne  et  de  l'ami  de 
l'irrésolu,  La  Hyonnais),  on  pourrait  donner  cette  piÚce  avec 
grand  succÚs.  Le  rÎle  d'Henri  de  Trégénec,  nous  le  répétons,  est 
un  rÎle  fait  pour  tenter  les  artistes  jouant  les  «  neurasthéniques  » 
modernes. 

Ni  Lucie,  ni  Françoise,  ni  Comme  il  vous  plaira  n'obtinrent  de 
vrais  succĂšs,  quoique  George  Sand,  dans  ses  lettres  Ă   ses  amis, 
parle  gaiement  de  leurs  premiÚres-  représentations. 

C'est  ainsi  qu'elle  Ă©crit  Ă   M.  et  Mme  Charles  Duvernet  le 
3  avril  1856  : 

Mes  chers  amis,  Françoise  a  eu  un  grandissime  succÚs  ce  soir  au 
Gymnase.  C'est  admirablement  joué  et  monté,  avec  un  luxe  qui  va 
toujours  de  plus  en  plus  fort  à  cet  heureux  théùtre.  Je  vous  ai  bien 
regrettĂ©s  et  je  vous  trouve  bien  heureux  d'ĂȘtre  au  pays  par  ce  beau 
soleil. 

G.  Sand. 

Le  13  avril  de  la  mĂȘme  annĂ©e  Mme  Sand  Ă©crit  Ă   Mme  Augus- 
tine  de  Bertholdi  : 

Je  t'écris  ce  soir  en  revenant  du  Théùtre-Français.  On  vient  de  jouer 
mon  Comme  il  vous  plaira,  tiré  et  imité  de  Shakespeare.  La  piÚce 
a  été  médiocrement  jouée  par  la  plupart  des  acteurs.  Les  décors  et 
les  costumes  splendides,  le  public  trÚs  hostile,  composé  de  tous  les 
ennemis  de  la  maison  et  du  dehors.  Néanmoins,  le  succÚs  s'est  imposé 
sans  que  personne  ait  pu  marquer  sa  malveillance,  et  Shakespeare 
a  triomphĂ©  plus  que  je  n'y  comptais.  Moi,  j'ai  trouvĂ©  le  public  bĂȘte  et 
froid,  mais  tout  le  monde  dit  qu'il  a  été  trÚs  chaud  pour  un  public  de 
premiÚre  représentation  à  ce  théùtre  et  tous  me3  amis  sont  enchantés. 

Françoise  va  trÚs  bien  et  le  succÚs  augmente  tous  les  jours  (1). 

A  l'Ă©poque  oĂč  l'on  rĂ©pĂ©tait  Lucie,  Françoise  et  le  Comme  il 
vous  plaira  se  rapporte  la  premiĂšre  entrevue  de  Mme  Sand  avec 
Charles  Dickens,  le  grand  romancier  anglais  qui  la  raconta  lui- 
mĂȘme  dans  une  lettre  Ă   W.  Macready.  Nous  savons  que  c'est 
à  ce  dernier  que  George  Sand  avait,  peu  d'années  auparavant, 
dédié  son  Chùteau  des  Désertes.  Cette  lettre  de  Dickens  contient, 

(1)  Corresp.,  t.  IV,  p.  88. 


GEORGE   SAND  299 

de  plus,  un  curieux  portrait  de  George  Saud,  Ă   l'Ăąge  de  cin- 
quante-deux ans,  elle  devait  les  atteindre  six  mois  aprĂšs  : 

A  M.  W.  L.  Macready. 

Champs-Elysées,  12  janvier  1856. 

J'ai  dĂźnĂ©  chez  la  sƓur  de  Malibran,  l'admirable  Mme  Viardot,  dont 
je  suis  de  plus  en  plus  amoureux,  avant-hier  soir  10  janvier,  pour  y 
rencontrer,  par  faveur  spéciale,  la  trÚs  grande,  trÚs  illustre,  trÚs  célÚbre 
George  Sand.  Hélas  !  encore  une  de  mes  illusions  fauchée  par  la  réa- 
litĂ© cruelle.  L'auteur  de  tant  d' Ɠuvres  brĂ»lantes  ne  ressemble  pas  du 
tout  au  romanesque  portrait  que  je  m'en  Ă©tais  fait.  Si  on  me  l'avait 
montrée  à  Londres,  dans  la  rue,  je  l'aurais  prise  pour  une  des  sages- 
femmes  de  la  reine  ;  elle  est  joufflue  et  respectable,  elle  est  brune  avec 
une  légÚre  moustache  et  des  yeux  noirs  tranquilles  ;  elle  n'a  rien  du 
bas-bleu  si  ce  n'est  une  petite  façon  finale  de  faire  cadrer  vos  opinions 
civec  les  siennes,  qu'elle  doit  tenir  de  Nohant,  maison  de  campagne 
oĂč  elle  vit  en  souveraine,  dominant  et  tyrannisant  un  cercle  Ă©troit 
d'adorateurs.  En  un  mot,  brave  femme,  trĂšs  ordinaire  comme  figure, 
comme  conversation,  comme  maniĂšres.  Pour  ce  qui  est  de  son  esprit, 
on  le  dit  trÚs  brillant  ;  mais  je  n'ai  pu  en  juger  ;  elle  n'a  pas  daigné  le 
sortir.  Le  dßner  était  excellent  sans  prétention  aucune  ;  il  y  avait 
nous,  Mme  Dudevant  et  son  fils,  les  deux  Scheffer,  les  Sortions  et  une 
lady  quelque  chose,  nouvellement  arrivée  de  Crimée,  qui  porte  une 
redingote  et  fume  des  cigarettes.  Les  Viardot  ont  une  maison  dans  le 
nouveau  Paris  ;  ils  ont  absolument  l'air  d'avoir  emménagé  la  semaine 
derniÚre  et  de  devoir  déménager  la  semaine  prochaine  ;  pourtant  voici 
huit  ans  qu'ils  habitent  la  mĂȘme  demeure.  Rien  d'ailleurs  n'y  rappelle 
Part  de  la  grande  cantatrice.  Je  n'y  ai  pas  vu  de  piano.  Le  mari  s'oc- 
cupe de  littérature  étrangÚre.  C'est  le  meilleur  des  hommes.  Quant  à 
elle,  j'aime  mieux  n'en  rien  dire,  sinon  qu'elle  est  parfaite  et  que  je 
suis  son  esclave.  Je  suis  obligé  d'aller  à  Londres  pour  quelques  jours  ; 
mon  magazine  me  réclame  et  l'ami  Wills  me  fait  des  signes  désespérés. 

Mme  Sand  tenta  plus  tard  d'adapter  pour  la  scÚne  française 
une  piĂšce  d'un  autre  auteur  classique  encore,  Tirso  de  Molina,  en 
écrivant  d'aprÚs  sa  tragédie  El  Condenado  par  disconfiado  (le 
condamné  pour  avoir  manqué  de  foi),  un  drame  intitulé  Lupo 
Liverani.  Mais,  ayant  été  trop  loin  dans  ses  «  arrangements  » 
Mme  Sand  intitula  son  drame  «  nouvelle  dialosuée  »  et  elle  ne 


3oo  GEORGE   SAND 

la  donna  pas  au  théùtre,  mais  l'imprima  simplement  dans  la 
Revue  des  Deux  Mondes.  Cette  Ɠuvre  est  trĂšs  caractĂ©ristique 
et  trÚs  intéressante  ;  c'est  une  version  contemporaine  de  la  légende 
favorite  du  moyen  ùge  sur  le  pécheur  repentant,  ému  d'une  foi 
sincĂšre,  qui  obtient  la  grĂące  de  Dieu  en  se  sacrifiant  par  amour 
du  prochain,  tandis  qu'un  moine  qui  passe  sa  vie  en  actes  de 
contrition  et  d'ascétisme,  ne  songeant  qu'à  son  propre  salut,  est 
condamné  aux  tourments  éternels  et  tombe  dans  les  griffes  du 
diable. 

Les  attaques  que  George  Sand  eut  Ă   soutenir  Ă   propos  de  Favilla, 
de  Comme  il  vous  plaira  et  de  Françoise  l' éloignÚrent-elles  de 
l'art  dramatique?  Y  eut-il  Ă   son  silence  quelque  autre  raison? 
Nous  ne  pouvons  le  dire,  mais  la  piĂšce  suivante,  Marguerite  de 
Sainte- Gemme,  ne  fut  représentée  qu'en  1859. 

Ces  trois  ans  peuvent  ĂȘtre  considĂ©rĂ©s  comme  la  seconde  pĂ©riode 
de  la  passion  de  George  Sand  pour  les  marionnettes.  Ce  fut 
l'époque  de  l'épanouissement  définitif  de  cet  art  à  Nohant. 

Les  amis  de  Mme  Sand  qui  la  visitĂšrent  dans  les  derniers 
dix  ans  de  sa  vie  ont  beaucoup  écrit  et  beaucoup  raconté  sur  les 
marionnettes  de  Nohant.  Parmi  tous  ces  récits,  le  plus  intéressant 
est  celui  de  notre  vieil  ami  trÚs  regretté,  Edmond  Plauchut  (1). 
Dans  ses  Souvenirs  (2),  M.  Plauchut  fait  faire  au  lecteur  la  con- 
naissance de  toute  la  troupe  des  marionnettes,  le  célÚbre  Balan- 
dard  en  tĂȘte,  ce  petit  bonhomme  d'une  si  grande  notoriĂ©tĂ©, 
présenté  plus  tard  à  Flaubert,  à  Alexandre  Dumas  fils,  à  Tour- 
guéniew  et  au  prince  Napoléon. 

George  Sand  elle-mĂȘme  Ă©crivit  Ă   plusieurs  reprises  sur  les 
marionnettes  de  son  fils.  C'est  ainsi  qu'on  lit  dans  le  Diable 
aux  champs  une  description  pleine  de  couleur  d'un  spectacle 
de  marionnettes  donné  par  Maurice  et  ses  amis  dans  la  salle 
du  prieurĂ©,  et  qu'on  peut  mĂȘme  faire  la  connaissance  d'une  de 
ses  marionnettes,  «  le  diable  (3)  ». 


(1)  Edmond  Plauchut,  Ă©crivain  fort  connu,  collaborateur  fidĂšle  du  TempB 
et  de  la  Revue  des  Deux  Mondes,  né  en  1814,  mort  en  1909. 

(2)  Autour  de  Noluint. 

(3)  V.  plus  haut  chap.  vin,  p.  148-153. 


GEORGE   SAND  301 

Puis,  en  lisant  l'article  de  George  Sand  Sur  les  marionnettes  de 
Maurice  Sand  (publié  peu  avant  la  mort  de  l'écrivain  dans  le 
Temps,  réimprimé  dans  le  volume  des  DerniÚres  pages),  on  peut 
étudier  toute  la  genÚse  de  ce  petit  théùtre. 

George  Sand  consacra  en  outre  tout  un  roman  aux  aventures 
d'un  imprésario  d'un  théùtre  de  marionnettes.  C'est  VHomme 
de  Neige,  un  des  romans  les  plus  romanesques  de  George  Sand, 
qui,  avec  le  Diable  aux  champs,  est  un  document  des  plus  pré- 
cieux pour  reconstruire  l'histoire  de  cette  seconde  Ă©poque  du  rĂšgne 
de  la  passion  théùtrale  à  Nohant,  l'époque  du  théùtre  de  Guignol, 
comme  le  ChĂąteau  des  DĂ©sertes  est  un  document  Ă   l'aide  duquel 
on  peut  aisément  étudier  la  premiÚre  et  la  troisiÚme  période  de 
cette  passion,  celles  de  la  commedia  delVarte. 

Qu'aurait  fait  Hamlet  si,  au  lieu  d'une  troupe  d'acteurs  ambu- 
lants, il  n'avait  eu  Ă   sa  disposition  qu'un  montreur  de  marion- 
nettes? Il  aurait  probablement  profité,  pour  arriver  à  ses  fins,  du 
secours  de  ces  petits  bonshommes  de  bois.  Imaginez  maintenant 
qu'Hamlet  lui-mĂȘme  est  cet  imprĂ©sario  de  marionnettes.  Un 
oncle  criminel  s'est  emparé  de  son  héritage,  a  tué  non  seulement 
son  pÚre,  mais  aussi  son  grand-pÚre  ;  il  a  contribué  à  faire  dépérir 
sa  mĂšre  et  tentĂ©  enfin  de  tuer  Hamlet  lui-mĂȘme  dans  son  enfance. 
Le  malheureux  petit  a  été  enlevé  du  chùteau  de  ses  pÚres,  emmené 
en  Italie,  élevé  là  par  un  vertueux  archéologue  et  par  sa  femme. 
Il  se  montra  à  l'instar  de  Maurice  Sand  sans  goût  pour  les  huma- 
nités, ennemi  de  toutes  les  études  suivies,  mais  passionné  d'his- 
toire naturelle  et  de  collections  de  toutes  sortes.  Il  devient 
imprésario  de  guignol  ambulant,  voyage  à  travers  toute  l'Eu- 
rope et  finalement,  par  la  volonté  du  sort  et  de  l'auteur,  arrive 
en  Dalécarlie  dans  le  chùteau  de  l'oncle  meurtrier  pour  y  donner 
ses  représentations  de  pupazzi  devant  une  foide  d'invités,  venus 
pour  y  passer  les  fĂȘtes  de  NoĂ«l.  Bien  entendu  tout  cela  ne  s'ef- 
fectue pas  sans  le  secours  d'un  «  vieux  serviteur  »,  le  vertueux 
Stenson,  d'une  somnambule,  ancienne  confidente  de  feu  la  mĂšre 
du  malheureux  enfant,  la  paysanne  Karina,  d'un  mystérieux 
juif  Manassé,  toujours  présent  dÚs  qu'on  a  besoin  de  lui,  et  enfin 
d'un  avocat  spirituel  qui  découvre,  juste  au  moment  nécessaire, 


3o2  GEORGE   SAND 

un  document  important  et  de  vieilles  lettres  jaunies,  pour  réin- 
tégrer dans  ses  droits  la  vertu  opprimée  et  confondre  les  cri- 
minels. H  va  sans  dire  aussi  qu'Hamlet  —  pardon  !  l'imprĂ©sario 
des  marionnettes,  a,  comme  cela  est  de  rigueur  pour  tout  hon- 
nĂȘte hĂ©ros  du  rĂ©pertoire  des  marionnettes,  une  dizaine  de  noms  ; 
il  s'appelle  tour  Ă   tour,  Cristiano  Goffredi,  puis  Cristiano  del 
Lago,  puis  Monsieur  Dulac,  Christian  Waldo,  Christian  Goe- 
flĂ©,  etc.,  etc.,  tandis  qu'il  se  trouve  dĂ©finitivement  ĂȘtre  le  baron 
Adelstan-Christian  Waldemora,  neveu  du  baron  criminel  Olai, 
héritier  du  chùteau  de  Stelleborg  et  l'involontaire  vengeur  de 
la  mort  de  sa  mĂšre,  de  son  pĂšre  et  de  son  grand-pĂšre. 

Il  va  sans  dire  encore  qu'on  ne  nous  fait  pas  grĂące  d'un  bravo 
italien  poursuivant  le  jeune  Christian  Ă   travers  toute  l'Europe, 
ni  de  portes  cachées  dans  la  boiserie  des  murs,  etc.,  etc.,  etc. 
Mais  ainsi  que  dans  les  piÚces  du  répertoire  des  marionnettes, 
auxquelles  George  Sand  avait  emprunté  le  canevas  archi- 
embrouillé  et  naïf  de  son  roman,  les  affaires  n'arrivent  jamais 
trĂšs  vite  Ă   bonne  fin.  MĂȘme  aprĂšs  la  mort  du  glacial  baron  Olai 
surnommé  V Homme  de  Neige,  et  déjà  fiancé  à  l'intrépide  jeune 
comtesse  Marguerite,  le  héros  doit  subir  encore  une  série 
d'épreuves  et  d'aventures.  B  chemine  vers  les  contrées  septen- 
trionales, voyage  en  Laponie  et  jusqu'Ă   Arkhangel,  mĂšne  la 
vie  d'un  pĂȘcheur  de  poisson  et  d'un  chasseur  de  fauves,  puis 
devient  ouvrier  mineur  dans  les  mines  de  Boraa,  manque  d'y 
périr,  mais  il  y  rencontre  sa  fiancée,  venue  pour  visiter  ces  mines, 
et  finalement  il  y  apprend  de  la  bouche  du  bienfaisant  avocat 
que  le  roi  a  jugé  son  procÚs  en  sa  faveur.  C'est  ainsi  que  Waldo 
devient  riche  et  titré  et  n'a  plus  à  se  préoccuper  que  de  pouvoir, 
un  jour,  jouer  les  piĂšces  de  marionnettes,  pour  son  propre  plai- 
sir et  celui  de  ses  enfants.  Ce  rĂȘve  de  Christian  Waldo  fut  un 
jour  réalisé  par  celui  qui  servit  de  modÚle  à  Mme  Sand. 

Les  spectacles  des  marionnettes  de  Nohant  expliquent  seuls 
qu'en  1859,  alors  que  les  romans  de  Balzac,  de  Flaubert  et  d'autres 
réalistes  couraient  le  inonde,  George  Sand,  aprÚs  avoir  écrit 
d'aussi  simples  histoires  que  celles  de  Germain  le  fin  laboureur 
et  de  la  Petite  Fadette.  et  l'Histoire  de  ma  vie,  si  vraie,  si  pleine  de 


GKORGE   SAND'  3o3 

couleur,  ait  pu  Ă©crire  de  telles  fadaises.  Empressons-nous  d'ajou- 
ter pourtant  que  ces  fadaises  sont  contées  avec  tant  de  verve,  de 
talent,  d'entrain,  que  nous  avons  dévoré  les  trois  volumes  de 
V Homme  de  Neige  fort  prestement  et  avec  le  plus  vif  intĂ©rĂȘt. 
Comme  biographe  de  George  Sand  nous  sommes  surtout  inté- 
ressés en  observant  dans  ce  roman,  comment  l'imagination  de 
l'écrivain  savait  avec  des  bribes  de  choses  observées  dans  la  vie 
réelle  et  des  impressions  de  quelques  lectures,  construire  ses 
propres  Ɠuvres,  crĂ©er  des  choses  nouvelles. 

Nous  avons  trouvé  dans  le  journal  suédois  Upsala  de  1879 
les  lignes  suivantes  trĂšs  flatteuses  pour  George  Sand,  Ă   propos 
de  V Homme  de  Neige  : 

George  Sand  a  dĂ»  emprunter  la  matiĂšre  de  son  roman  VHomme  de 
Neige  a  quelque  source  suédoise.  L'action  principale  est  placée  en 
Dalécarlie  durant  la  guerre  d'indépendance.  La  lutte  des  partis  entre 
les  Hettar  et  MÎssor  (les  Chapeaux  et  les  Bonnets)  remplit  le  récit 
et  forme  l'arriÚre-fond  social.  La  situation  politique  est  tracée  d'une 
maniĂšre  si  vraie  et  si  frappante  que  cela  aurait  fait  honneur  mĂȘme 
au  jugement  d'un  auteur  suédois.  La  couleur  locale  est  bien  observée, 
mĂȘme  dans  les  dĂ©tails.  Il  serait  intĂ©ressant  de  savoir  de  quelle  source 
l'autoresse  tira  ses  informations  géographiques  et  historiques.  George 
Sand,  comme  cela  est  bien  connu,  Ă©tait  descendante  d'Aurore  de 
KƓnigsinark,  un  personnage  historique  de  la  Suùde,  et  pouvait  ainsi 
prétendre  à  des  aïeux  suédois.  Cette  circonstance  aussi  n'aurait-elle 
pas  dirigé  son  attention  sur  cet  épisode  marquant  de  nos  annales 
nationales? 

Il  surfĂźt  toutefois  d'ouvrir  le  volume  IV  de  la  Correspondance 
de  George  Sand  pour  voir  que  Mme  Sand  n'avait  nullement  tiré 
de  sources  suédoises  des  connaissances  paraissant  aussi  appro- 
fondies de  l'histoire  et  de  la  géographie  de  la  SuÚde.  Elle  s'était 
contentée  de  la  lecture  hùtive  de  quelques  livres  de  voyages.  Et 
le  catalogue  de  la  bibliothĂšque  de  George  Sand  et  de  Maurice 
Sand  (dressĂ©  au  moment  oĂč,  en  1889,  aprĂšs  la  mort  de  Maurice 
Sand,  Mme  Maurice  Sand  avait  dû,  à  son  corps  défendant, 
s'Ă©loigner  temporairement  de  Nohant,  c'est  alors  que  cette 
préeieuse  bibliothÚque  fut  vendue),  ce  catalogue  nous  donne 
le  nom  des  ouvrages  sur  la  SuÚde  que  George  Sand  avait  consultés 


3o4  GEORGE   SAND 

pour  son  roman.  Ce  sont  :  1°  SuÚde  et  NorvÚge,  par  Le  Bas  (avec 
de  nombreuses  gravures  et  cartes,  1841)  ;  2°  E.  Meyer,  Contes 
de  la  mer  baltique  (1855)  ;  3°  StruensĂ©e  par  le  mĂȘme  ;  4°  FrĂ©dĂ©rique 
Brémer  :  ScÚnes  de  la  vie  dalécarlienne  (1847)  ;  5°  Mémoires  de 
la  princesse  FrĂ©dĂ©rique-Sophie  de  Prusse,  sƓur  de  FrĂ©dĂ©ric  II  ; 
et  enfin  Voyage  dans  les  mers  du  Nord,  par  Charles  Edmond. 
C'est  cette  derniùre  Ɠuvre,  parue  en  1857,  qui  servit  de  point 
de  départ  à  la  création  de  V Homme  de  Neige  (1).  Disons  à  ce 
propos  quelques  mots  sur  ce  nouvel  ami  de  George  Sand. 

Lorsque  la  petite  Jeanne  Clésinger  mourut  dans  un  pensionnat, 
le  pĂšre  de  Tune  de  ses  condisciples  renvoya  Ă   Mme  Sand  un  objet 
ayant  appartenu  à  Jeanne  et  qui  était  resté  entre  les  mains  de 
sa  fillette  à  lui.  Ce  pÚre  était  l'émigré  polonais  Charles-Edmond 
Choïecki  (2),  trÚs  connu  sous  le  pseudonyme  de  son  prénom, 
comme  auteur  dramatique  et  rédacteur  de  la  Presse  et  du  Temps, 
secrétaire  intime  du  prince  Napoléon,  et  enfin  sénateur.  Cette 
preuve  touchante  de  sa  compréhension  des  choses  de  l'ùme  lui 
ouvrit  d'emblĂ©e  le  chemin  du  cƓur  de  Mme  Sand  et,  comme  en 
1852  Mme  Sand  s'était  déjà  liée  d'amitié  avec  le  patron  de 
ChoĂŻecki,  le  prince  JĂ©rĂŽme,  l'Ă©crivain  polonais  devint  bientĂŽt  un 
ami  de  Mme  Sand,  un  familier  de  sa  maison  et  son  homme 
d'affaires  littéraire.  En  1856  et  1857  le  prince  JérÎme  fit  un 
grand  voyage  en  Scandinavie,  dans  l'Océan  glacial,  à  l'ßle  de 
Spitzberg,  en  Islande,  au  Groenland  et  Ă   l'Ăźle  Jean  Mayen. 
Charles  Edmond,  qui  y  accompagna  le  prince,  publia  Ă   son 
retour  son  journal  de  voyage  (3).  HĂ©  bien  !  c'est  en  lisant  ce 
récit  de  ses  impressions  polaires,  toutes  ces  descriptions  d'au- 
rores boréales,  de  champs  de  glace,  d'ice-bergs  flottants,  de 
chasses  aux  ours  blancs,  etc.,  etc.,  que  George  Sand  s'engoua 
du  Nord.  Et  comme  elle  s'Ă©tait,  de  plus,  depuis  l'Ă©poque  oĂč  elle 
Ă©crivait  Consuelo  et  avait  lu  la  biographie  d'Ulrique  de  SuĂšde, 

(1)  M.  Francis  Laur  prétendit  plus  tard  que  ce  fut  lui  qui  raconta  un  jour 
Ă   George  Sand  une  histoire  qui  fut  le  germe  d'oĂč  sortit  ce  roman.  Ceci  est 
inexact.  Les  faits  prouvent  autre  chose. 

(2)  Charles-Edmond  ChoĂŻecki  naquit  en  novembre  1822  et  mourut  en  1899, 
à  Paris.  Nous  avons  déjà  parlé  de  lui  dans  le  chap.  ix  de  ce  volume. 

(3)  Voyage  dans  les  mers  du  Nord. 


GEORGE   SAND  305 

intéressée  à  l'histoire  de  cette  contrée,  elle  créa  immédiatement 
dans  son  imagination  ce  canevas  d'un  «  roman  suédois  »  et  elle 
se  mit  à  en  développer  les  détails.  Le  20  novembre  1857  elle 
écrit  déjà  à  Charles  Edmond  : 

Cher  ami, 

Avant  de  vous  parler  d'affaires,  je  veux  vous  dire  que  je  me  suis 
enfin  mise,  ces  jours-ci,  Ă   lire  votre  relation  du  grand  voyage,  et  que, 
sans  aucun  compliment  ni  prévention  d'amitié,  j'en  ai  été  ravie.  J'avais 
peur  d'entamer  le  gros  volume  et  de  le  laisser  en  chemin.  Aussi  je  n'ai 
pas  voulu  seulement  l'ouvrir  avant  d'ĂȘtre  sĂ»re  que  je  n'aurais  plus  une 
comédie  de  trois  actes  à  faire  toutes  les  semaines  pour  le  théùtre  de 
Nohant.  Je  suis  tranquille  à  présent  et  je  vous  suis  à  travers  les  ban- 
quises... 

Je  vas  vous  suivre  en  SuĂšde,  oĂč,  prĂ©cisĂ©ment,  j'ai  posĂ©  mon  nouveau 
roman.  J'ai  feuilleté  un  peu,  avant  de  lire  bien,  cette  partie  du  livre. 
Je  vois  que  vous  n'avez  pas  Ă©tĂ©  en  DalĂ©carlie,  oĂč  j'ai  plantĂ©  ma  tenta 
en  imagination.  Dites-moi  si  vous  connaissez  en  français,  en  italien 
ou  en  anglais  (je  ne  sais  pas  d'autre  langue),  un  ouvrage  sur  cette  partie 
de  la  SuÚde,  et  un  peu  de  détails  sur  son  histoire  au  dix-huitiÚme  siÚcle, 
sous  Frédéric  Adolphe,  le  mari  d'Ulrique  de  Prusse.  Vous  me  feriez 
bien  plaisir  de  me  le  prĂȘter.  Ou  indiquez-moi  quelque  chose  que  je 
puisse  lire  sur  ce  pays  et  cette  Ă©poque  ;  ou  enfin  faites-moi  un  petit 
précis  de  quelques  pages,  si  vous  avez  cela  dans  la  mémoire... 

Parlons  d'affaires  ;  ce  sera  bientĂŽt  fait.  Vous  prendrez  le  temps 
qu'il  vous  faudra  pour  la  publication  nouvelle  ;  vous  me  donnerez 
seulement  quelque  argent  si  je  viens  Ă   en  avoir  besoin,  en  Ă©change  du 
manuscrit.  Voici  le  titre  sauf  votre  avis  :  Christian  Waldo.  Vous  me 
direz  que  Waldo  n'est  pas  un  nom  suédois  ;  c'est  possible,  mais  c'est 
lĂ   justement  l'histoire.  Ce  nom  intrigue,  mĂȘme  celui  qui  le  porte. 
Annoncez,  si  vous  voulez,  que  le  roman  se  passe  au  dix-huitiĂšme  siĂšcle, 
afin  qu'on  ne  croie  pas  qu'il  s'agit  de  quelque  parent  de  Pierre  Waldo, 
le  chef  des  Vaudois.  Ou  bien  encore,  le  roman  peut  s'appeler,  si  vous 
croyez  le  titre  plus  alléchant  :  le  Chùteau  des  Etoiles.  C'est  un  Stelle- 
oorg  de  fantaisie  qu'un  personnage  s'est  bùti  en  Dalécarlie,  à  l'imita- 
tion de  celui  d'Uranienborg  dans  l'Ăźle  du  Haven  (1).  Dans  ce  chĂąteau, 

(1)  Bien  certainement  qu'aprÚs  avoir  pris  connaissance  des  livres  envoyés 
par  Choïecki,  George  Sand  vit  que  «  Stelleborg  »  était  un  nom  bon  tout  au 
plus  pour  le  théùtre  des  marionnettes  de  Nohant.  qu'en  suédois  «  Stel- 
leborg »  ne  signifie  rien,  qu'il  aurait  fallu  dire  Slierneborg  pour  Chùteau  des 
Etoiles  —  mot  qui  Ă©corcherait  les  oreilles  françaises  —  et  en  rejetant  son 
premier  titre,  elle  intitula  son  roman  V  Homme  de  Neige.  A  ce  propos  il 


3o6  GEORGE   SAND 

il  se  passe  des  choses  bizarres.  Espérons  qu'elles  seront  amusantes; 
je  crois,  toute  réflexion  faite,  que  ce  titre  plaira  mieux.  Décidez.  N'an- 
noncez pas  une  peinture  de  la  SuĂšde  ni  du  dix-huitiĂšme  siĂšcle  ;  car  le 
cadre  réel  sera  moins  étudié  que  celui  de  Bois-Doré  (1).  J'y  ferai  de 
mon  mieux;  mais  c'est  surtout  un  roman  romanesque  que  je  fais 
cette  fois... 

Le  8  dĂ©cembre  elle  Ă©crit  au  mĂȘme  : 


Vous  ĂȘtes  bien  l'obligeance  personnifiĂ©e,  d'avoir  pensĂ©  Ă   mes  bou- 
quins en  dĂ©pit  des  ennuis,  des  inquiĂ©tudes  et  du  mal  de  tĂȘte.  Envoyez- 
moi  des  ouvrages  que  vous  me  citez,  ceux  que  vous  me  croirez  utiles, 
mon  sujet  donné.  Il  me  faut  mie  couleur  locale  de  la  Dalécarlie  au  dix- 
JiuitiĂšme  siĂšcle  et  une  couleur  historique  de  la  cour,  de  la  ville  et  de  la 
campagne  sous  les  deux  rÚgnes  qui  précÚdent  celui  de  Gustave  III.  Je 
ferai  bien  cette  couleur  avec  les  événements  ;  mais  je  n'en  sais  pas  le 
détail,  et  tout  ce  que  je  peux  consulter  chez  moi  passe  sous  silence,  ou 
peu  s'en  faut,  l'affaire  des  chapeaux  et  des  ~bonnet&. 

J'ai  les  travaux  de  Marmier  publiés  dans  les  vingt-cinq  premiÚres 
années  de  la  Revue  des  Deux  Mondes;  mais  ce  que  je  cherche  ne  s'y 
trouve  pas.  Si  son  Histoire  de  la  Scandinavie  ne  traite  que  des  temps 
anciens,  elle  ne  me  tirera  pas  d'affaire.  DĂ©cidez  et  faites  comme  pour 
vous. 

Le  2  janvier  1858,  elle  lui  Ă©crit  encore  : 

...Oui,  je  vous  promets  le  ChĂąteau  des  Etoiles  (par  parenthĂšse,  il 
m'amuse  beaucoup  à  griffonner  ;  est-ce  bon  signe?),  si  ça  peut  vous 
ĂȘtre  utile,  je  le  promets  Ă   vous,  pas  Ă   d'autres.  Si  vous  quittez,  je  ne 
reste  pas  (2).  Mais  vous  savez  que  je  serai  obligée  de  vous  demander 

faut  noter  que  le  «  bibliophile  Isaac  »  (le  vicomte  de  SpƓlberch)  cite  a  la 
p.  32  de  sou  Elude  bibliographique  sur  les  Ɠuvres  de  George  Sand,  le  Chñteau 
des  Etoiles,  parmi  les  «  ouvrages  annoncés  qui  n'ont  jamais  paru  ».  Or,  il  est 
Ă©vident  qu'il  ne  faut  nullement  J'inscrire  dans  ce  nombre,  ce  roman  et  VHomme 
de  Neige  ne  faisant  qu'un. 

(1)  Ce  Ăźoman  parut  dans  la  Presse  Ă   la  fin  de  1857.  V.  plus  loin,  chap.  xi. 

(2)  Il  faut  noter  que  George  Sand  rentra  par  ce  roman  Ă   la  Revue  des  Deux- 
Mondes,  oĂč  ses  Ɠuvres  ne  paraissaient  plus  depuis  1841.  (V.  notre  vol.  III, 
p.  230-234,  256  et  suiv.)  Ce  rapprochement  de  l'Ă©crivain  avec  la  revue  s'ef- 
fectua un  peu  contre  le  désir  de  Mme  Sand  et  seulement  grùce  à  ce  que  Charles- 
Edmond  ayant  déjà  payé  le  manuscrit  que  la  Presse  ne  pouvait  payer  comp- 
tant, il  le  céda  au  directeur  de  la  Revue  des  Deux  Mondes.  Ce  fut  donc  pour  le 
ChĂąteau  des  Etoiles  Ă   peu  prĂšs  la  mĂȘme  histoire  que  pour  le  ChĂąteau  des 
DĂ©sertes  en  1851.  Mais  Ă   partir  de  1858  les  romans  de  Mme  Sand  commen- 


GEORGE   SAND  307 


de  l'argent,  tout  l'argent  peut-ĂȘtre,  en  vous  livrant  le  manuscrit; 
quelle  que  soit  l'Ă©poque  rapprochĂ©e  oĂč  il  sera  prĂȘt.  Voyez  si  c'est  pos- 
sible; car,  pour  moi,  le  contraire  de  ce  possible  serait  l'impossible. 
Je 'vis  au  jour  le  jour  depuis  vingt-cinq  ans,  et  ça  ne  peut  pas  ĂȘtre 
autrement,  et  ça  n'est  pas  ma  faute;  si  bien  que  je  n'ai  pas  pu  acheter 
un  manteau  et  une  robe  d'hiver  cette  année,  parce  que  l'accident  de 
la  Presse  a  dérangé  mon  ordre,  ordre  trÚs  réel  dans  ce  que  les  avares 
appellent  mon  dĂ©sordre.  Je  sais  me  priver  moi-mĂȘme  et  de  tout,  mĂȘme 
quelquefois  du  nécessaire  ;  mais  je  ne  veux  pas  qu'un  chat  s'en  res- 
sente et  s'en  aperçoive  autour  de  moi.  Ainsi  voilà,  entre  nous  :  faites 
que  l'on  soit  de  parole;  on  en  a  manqué  pour  le  Bois-Doré,  et  j'ai 
attendu  un  reliquat  de  compte  qui  m'aurait  permis  de  me  vĂȘtir  en 
raison  de  la  froidure  ;  et  surtout  d'en  vĂȘtir  d'autres,  qui  n'ont  pas, 
comme  moi,  la  ressource  d'acheter  une  couverture  de  laine  en  guise 
de  ouate  et  de  soie. 

Donc,  grĂące  Ă   la  couverture  de  laine,  je  m'emballe  demain  matin 
pour  faire  douze  lieues  au  grand  air.  Je  vais  voir  la  belle  Creuse  et  ses 
petites  cascades  glacées.  C'est  votre  faute  si  je  gÚle,  à  force  de  lire  le 
Groenland,  je  me  suis  amourachée  des  glaciers,  des  nuits  polaires,  des 
tempĂȘtes  et  des  banquises  (1). 

[Manceau  à  qui  je  vous  lis  à  la  veillée  espÚre  que  nous  rencontre- 
rons des  ours  blancs  et  il  a  envie  4e  démolir  sa  chaumiÚre  (2)  pour  la 
faire  garnir  de  peau  de  phoque  sur  toutes  les  coutures.  Nous  serons  de 
retour  dans  bien  peu  de  jours,  Ă©crivez-moi  donc  comme  si  de  rien  n'Ă©tait. 
Dieu  veuille  que  mon  Maurice  soit  gentil,  qu'il  s'amuse  et  qu'il 
n'ennuie  pas  les  autres  Ă   la  pantomime.  S'il  n'est  pas  gĂȘnĂ©  et  inti- 
midé, il  sera  charmant,  mais  il  lui  faudrait  sa  musique,  c'est-à-dire 
sa  maman,  pour  suivre  ses  fantaisies  ;  c'est  lĂ   oĂč  il  brille.  Or  sa  maman 
ne  peut  aller  le  faire  danser,  faute  de  quibus.  Mais  ça  ne  fait  rien,  je 
penserai  Ă   lui,  Ă   vous  et  je  serai  bien  contente  si  vous  avez  un  bon 
moment  d'oubli  et  de  gaßté.  Moi  je  ne  m'ennuie  jamais  et  nulle  part  ; 
il  ne  faut  donc  me  plaindre  que  d'ĂȘtre  privĂ©e  de  vous  voir]  (3).  Bonsoir. 

cÚrent  à  réapparaßtre  de  plus  en  plus  souvent  dans  la  revue  de  Buloz  et  finirent 
par  y  reprendre  leur  résidence  fixe.  ; 

(1)  A  comparer  avec  la  lettre  du  17  décembre  1857  au  prince  JérÎme  dans 
laquelle  Mme  Sand  déclare  qu'en  «  lisant  son  voyage  dans  le  Nord,  son  ima- 
gination était  trÚs  allumée  ».  . 

(2)  A  Gargilesse.  Nous  racontons  dans  le  chapitre  suivant  comment 
Manceau  avait  acheté  un  pied-à-terre  dans  ce  village,  pour  que  Mme  Sand 
eût  un  lieu  de  repos  et  de  travail  tranquille  pendant  ses  courses  aux  bords 
de  la  Creuse  renouvelées  en  1857  aprÚs  une  interruption  de  dix  années. 

(3)  Tout  le  passage  de  la  lettre  du  9  janvier  que  nous  entourons  de  cro- 
chets est  inĂ©dit,  il  manque  dans  le  vol.  IV  de  la  Correspondance,  oĂč  il  devrait 
faire  suite  aux  lignes  imprimées  à  la  p.  127. 


3o8  GEORGE   SAND 

Nous  lisons  dans  une  lettre  inédite  du  4  janvier  1858,  adressée 
à  Maurice  qui,  séjournant  alors  à  Paris,  y  avait  transplanté  son 
théùtre  de  marionnettes  et  s'y  amusait  à  arranger  des  spectacles 
de  société  dans  les  salons  (comme  on  le  voit  par  les  deux  lettres 
précitées  et  par  la  lettre  du  16  janvier  1858  à  Charles  Du- 
vernet)  (1)  : 

Je  suis  contente  de  te  savoir  arrivé  sans  trop  de  froid,  ni  d'ennui, 
mon  cher  garçon.  Dieu  merci,  car  le  froid  est  rude  depuis  ton  départ 
et  aujourd'hui  il  pince  rude...  Nous  nous  portons  bien,  comme  tu 
nous  as  laissés,  les  poules,  Manceau  et  moi.  Trianon  (2)  est  tout  ratissé 
et  cristallisé.  J'ai  lu  le  livre  sur  la  SuÚde  que  Choïecki  m'a  envoyé. 
Dis-lui  que  je  l'ai  reçu,  que  je  l'en  remercie  et  paye-lui  une  petite  dette 
qu'Emile  te  remettra,  s'il  n'a  déjà  payé.  Je  vois  que  la  Presse  ne  repa- 
raĂźt pas  et  que  l'amnistie  ne  viendra  pas  (3).  Je  me  suis  remise  aujour- 
d'hui Ă   Ă©crire  Christian  Waldo... 

Donc  partie  avec  Manceau  le  10  janvier  pour  Gargilesse,  par 
un  grand  froid,  George  Sand  décrit  ainsi  son  voyage  à  Maurice  : 

Nous  sommes  partis  par  un  brouillard  noir  et  un  verglas  superbe, 
Manceau  jurant  que  le  soleil  allait  se  montrer,  mais  plus  nous  allions, 
plus  le  brouillard  s'épaississait  ;  si  bien  que  nous  sommes  arrivés 
Ă   la  descente  du  Pin,  voyant  tout  juste  Ă   nous  conduire.  Mais  tout 
d'un  coup  la  Creuse  glacée  et  non  glacée  par  endroits,  cascadant,  et 
cabriolant  au  milieu,  tandis  que  ses  bords  blancs  étaient  soudés 
aux  rives,  s'est  montrée  devant  tout  isolée  du  paysage,  si  bien  que,  si 
nous  n'avions  pas  su  ce  que  c'Ă©tait,  nous  aurions  cru  voir  un  mur  tout 
droit  de  je  ne  sais  quel  marbre  gris  et  blanc  avec  un  mouvement  fan- 
tastique. Et  puis,  un  peu  plus  loin,  sur  le  brouillard  gris-noir  de  la 
riviÚre  on  voyait  des  bouffées  de  brouillard  blanc,  comme  si  le  ciel,  un 
ciel  d'orage,  Ă©tait  descendu  sous  l'horizon.  C'Ă©tait  superbe  en  somme  : 
ça  donnait  l'idée  de  l'Ecosse,  vu  qu'au  milieu  de  tout  cela  apparais- 
saient des  vallées,  des  petits  coins  de  verdure  et  des  maisons  avec 

(1)  Correspondance,  t.  IV,  p.  135. 

(2)  C'est  ainsi  que  Mme  Sand  appelait  un  minuscule  jardinet  qu'elle  pio- 
chait et  ratissait  elle-mĂȘme  dans  le  parc  de  Nohant  ;  elle  Tavait  arrangĂ©  pour 
la  petite  Nini  ClĂ©singcr,  mais  Ă   cette  place  mĂȘme  sa  mĂšre,  Mme  Sophie  Dupin, 
avait  jadis  arrangé  un  petit  jardin  fantastique  avec  grotte  et  cascade  pour 
la  future  George  Sand,  alors  une  enfant  de  huit  ou  neuf  ans.  (V.  VUistoire 
de  ma  vie,  t.  II,  p.  275-279.) 

(3)  V.  plus  loin  chap.  xi,  p.  369. 


GEORGE   SAND  309 

leurs  feux  allumés.  Il  faisait  trÚs  doux.  Henri  (1)  conduisait  le  cheval 
par  la  bride  sur  le  chemin  tout  rayé  de  glace,  et  je  m'endormais  en 
rĂȘvant  que  j'Ă©tais  dans  les  Highlands... 

C'est  ainsi  que  pour  écrire  son  roman  suédois,  dont  la  fable 
est  tirée  d'un  scénario  composé  par  Maurice  pour  ses  marionnettes 
et  dont  le  personnage  principal  est  comme  lui  un  imprésario  de 
Guignol,  lui  ressemblant  de  plus  par  maint  trait  de  son  caractĂšre 
et  de  son  existence,  il  avait  suffi  à  George  Sand  de  se  pénétrer  des 
impressions  d'une  excursion  hivernale  Ă   Gargilesse,  jointes  aux 
tableaux  des  pays  septentrionaux,  dans  le  journal  de  Charles 
Edmond  et  Ă   quelques  pages  de  renseignements  sur  la  SuĂšde 
et  la  NorvÚge.  Or,  nous  avons  vu  combien  la  critique  suédoise 
avait  favorablement  jugĂ©  ce  roman  et  elle  trouva  mĂȘme  que 
l'auteur  se  connaissait  en  histoire  et  en  couleur  locale  suédoises. 
C'est  ainsi  que  les  grands  esprits  créateurs  des  savants  peuvent, 
d'aprÚs  un  fragment  de  poterie  ou  un  débris  d'ossature,  reproduire 
la  beauté  d'une  antique  amphore  ou  toute  la  structure  de  quelque 
animal  antédiluvien  disparu  à  tout  jamais. 

Et  lorsqu'on  lit  l'Homme  de  Neige  il  est  trĂšs  captivant  de  ren- 
contrer au  milieu  des  aventures  romanesques  de  Christian  Waldo 
tantĂŽt  le  reflet  de  quelques  traits  ou  de  quelque  habitude  de 
Maurice  Sand,  tantĂŽt  la  marionnette  favorite  de  tout  Nohant, 
Stentarello,  ou  enfin  de  lire  comment  Waldo  (lisez  :  Maurice), 
quelques  heures  à  peine  avant  la  représentation,  rebrosse  ses 
décors,  dans  le  but  de  leur  donner  plus  de  ressemblance  avec  le 
vrai  paysage  au  milieu  duquel  se  passÚrent  les  événements  réels 
de  l'existence  de  ses  parents  ;  ou  encore  de  lire  comment  avant 
le  lever  du  rideau,  il  se  concerte  avec  un  aide  que  le  hasard  lui 
envoie,  sur  les  détails  du  scénario,  ou  enfin  d'y  retrouver  les 
impressions  d'une  course  en  traßneau,  par  une  journée  glacée, 
le  long  d'une  riviÚre  dalécarlienne  (!)  qui  tantÎt  apparaßt  soudain 
au  milieu  d'un  brouillard,  tantĂŽt  y  disparaĂźt  avec  ses  rives 
escarpées,  pendant  qu'un  jeune  cocher  descend  du  siÚge  et  con- 
duit le  cheval  par  la  bride  et  que  le  héros  s'endort,  entouré  des 

(1)  Henri  Sylvain,  cocher  de  George  Sand  (v.  notre  vol.  III,  p.  659). 


3io  GEORGE   SAND 

bouffées  de  brouillard  et  bercé  par  le  pas  du  cheval  ;  puis,  tout 
à  coup,  il  se  réveille,  le  brouillard  se  déchire  et  il  se  voit  au  bord 
d'un  abĂźme,  au-dessus  de  la  riviĂšre  noire.  Et  quoique  Fauteur 
s'efforce  de  ne  pas  trop  s'Ă©loigner  des  renseignemnts  des  petits 
bouquins  prĂȘtĂ©s  par  Charles  Edmond,  le  paysage  que  Waldo 
aperçoit  révÚle  par  maint  détail  que  ce  n'est  pas  une  vraie  riviÚre 
suédoise  qui  ne  resterait  pas  «  bouillonnante  »  mais  serait  sûre- 
ment immobile  au  milieu  des  brumes  hivernales,  et  que  cet 
hiver  aussi  n'est  pas  im  vrai  hiver  du  Nord  aux  rudes  gelées, 
enchaĂźnant  de  ses  glaces,  recouvrant  de  ses  neiges  Ă©paisses  tout 
le  pays,  mais  simplement  une  journée  assez  froide  du  doux  hiver 
berrichon,  avec  une  petite  gelée  bénigne,  un  peu  de  neige  et  de 
glace  aux  sommets,  dits  «  sibériens  »,  de  la  vallée  de  la  Creuse. 
Il  y  a  mĂȘme  un  petit  dĂ©tail  trĂšs  local  qui  trahit  le  romancier  : 
Waldo  voit,  çà  et  là,  des  feux  allumés,  mais  ce  ne  sont  ni  des 
brasiers  auxquels  se  réchauffent  de  pauvres  voyageurs  des  pays 
du  Nord,  ni  mĂȘme  de  ces  bĂ»ches  allumĂ©es  par  des  cochers, 
comme  on  le  voit  Ă   Saint-PĂ©tersbourg,  lorsque  le  thermomĂštre 
marque  20°  Réaumur  au-dessous  de  zéro,  non  !  on  allume 
ces  feux...  seulement  pour  préserver  du  froid  les  arbres  fruitiers, 
comme  cela  se  pratique  dans  les  pays  du  Midi,  lorsque  l'hiver 
est  exceptionnellement  rigoureux.  Il  est  trĂšs  certain  que  cette 
a  Dalécarlie  »  là  ne  se  trouve  pas  bien  loin  de  Gargilesse,  tout  bien 
observée  que  soit  la  Couleur  locale  suédoise.  Il  est  d'autant  plus 
surprenant  que  George  Sand  ait  su  si  bien  peindre  les  tableaux 
de  la  vie  suĂ©doise  :  les  bruyantes  et  allĂšgres  fĂȘtes  de  NoĂ«l 
dans  im  vieux  castel  aux  bords  d'un  lac  gelé  ;  de  gaies  parties 
de  plaisir  éclairées  par  des  torches  et  les  reflets  de  l'aurore 
boréale  ;  des  courses  de  vitesse  en  traßneaux  ;  des  chasses 
Ă   l'ours  ;  que  par  deux  ou  trois  traits  rapides,  par  quelques 
phrases  jetées  en  l'air  pendant  un  bal  ou  pendant  les  préparatifs 
d'un  pique-nique,  elle  sût  esquisser  toute  une  époque  historique, 
la  lutte  des  bonnets  contre  les  chapeaux,  c'est-Ă -dire  la  lutte 
de  la  SuÚde  progressive,  portée  vers  l'alliance  avec  la  France, 
et  de  la  vieille  SuÚde,  des  courtisans  rétrogrades  qui  couvent 
l'idée  d'une  convention  avec  la  Russie.  H  va  de  soi  que  le  «  mal- 


GEORGE   SAND  3u 

faiteur  »,  le  baron  Olai  et  son  alliée,  la  tante  de  la  comtesse  Mar- 
guerite, sont  pour  la  Russie  et  pour  les  chapeaux,  tandis  que 
Marguerite  elle-mĂȘme,  Christian  Waldo  et  tous  ses  amis  fraĂź- 
chement acquis,  de  jeunes  officiers  suédois,  pour  la  France  et 
les  bonnets  démocratiques.  Grùce  à  tout  cela  et  malgré  l'in- 
croyable romantisme  de  la  donnée  générale,  ce  roman  se  lit  avec 
grand  intĂ©rĂȘt.  Il  est  surtout  intĂ©ressant  dans  le  cadre  du  prĂ©sent 
chapitre,  comme  une  Ɠuvre  nous  renseignant  pleinement  sur  le 
théùtre  de  marionnettes  de  Nohant,  nous  peignant  la  passion 
de  George  Sand  pour  ce  théùtre  et  prenant  place  à  cÎté  du  Diable 
aux  champs  et  de  l'article  Sur  les  marionnettes. 

George  Sand  fit  plus  tard  un  tour  de  force  :  elle  Ă©crivit  un  ro- 
man dont  les  héros  sont  les  marionnettes  de  Nohant  devenues 
hommes  :  le  célÚbre  Balandard,  Moranbois,  Ida,  Isabelle,  Léandre, 
etc.,  qui,  pour  ĂȘtre  devenus  hommes  et  acteurs  d'une  troupe  am- 
bulante, n'en  gardent  pas  moins  leurs  caractĂšres  et  leurs  traits 
typiques  traditionnels,  connus  de  tous  les  spectateurs  du  théùtre 
de  Nohant.  De  plus,  ces  poupées  animées  ont  à  passer  par  toutes 
les  aventures  et  toutes  les  Ă©preuves  habituelles  aux  piĂšces  de 
pupazzi  de  Maurice  Sand,  jusqu'Ă   un  voyage  dans  un  royaume 
des  Balkans  !  Ce  roman,  dont  la  premiĂšre  partie  s'appelle  Pierre 
qui  roule  et  la  seconde  le  Beau  Laurence,  parut  en  1869  et  fut 
dĂ©diĂ©  au  cĂ©lĂšbre  acteur  Berton  pĂšre.  Il  ne  peut  nullement  ĂȘtre 
comptĂ©  parmi  les  chefs-d'Ɠuvre  de  Mme  Sand. 

La  course  aux  bords  de  la  Creuse  par  une  journée  d'hiver 
fut  comme  un  dernier  coup  d'épaule  dans  la  création  du  roman 
suédois.  Les  visites  de  plus  en  plus  fréquentes  vers  1855  au 
théùtre  de  La  Chùtre,  alors  que  quelque  troupe  de  province 
ou  des  acteurs  parisiens  en  tournée  y  jouaient,  enfin  les  rela- 
tions avec  divers  acteurs,  trouvĂšrent  leur  Ă©cho  dans  un  roman 
qui  parut  la  mĂȘme  annĂ©e  que  VEomme  de  Neige,  Narcisse. 
Ce  nom  n'appartient  pourtant  nullement  Ă   quelque  cabotin 
amoureux  de  lui-mĂȘme,  c'est  le  nom  d'un  modeste  restau- 
rateur de  province,  dont  l'établissement  se  trouve  adossé  d'un 
cÎté  au  théùtre  et  de  l'autre  à  un  couvent  de  religieuses. 
Les  habitants  de  La  ChĂątre  n'eurent  point  tort  de  reconnaĂźtre 


3i2  GEORGE   SAND 

leur  ville  bienheureuse  dans  le  prétendu  bourg  de  la  Faille  sur 
Gouvre  (1)  oĂč  l'action  de  ce  roman  est  censĂ©e  se  jouer,  car  non 
seulement  tous  ceux  qui  visitĂšrent  La  ChĂątre  reconnaĂźtront 
d'emblée  cette  ville  par  ce  détail  topographique,  mais  aussi 
chaque  lecteur  de  l'Histoire  de  ma  vie  se  souviendra,  d'abord 
confusément,  d'avoir  lu  quelque  part  la  description  d'un  théùtre 
adossĂ©  Ă   un  couvent  de  religieuses  ou  se  trouvant  mĂȘme  sous 
le  mĂȘme  toit  que  cette  communautĂ©.  Et  en  ouvrant  V Histoire 
il  retrouvera  effectivement  dans  le  chapitre  vu,  p.  204-205,  du 
volume  premier  et  p.  55-56  vol.  III  la  description  de  ce  mĂȘme 
emplacement  qu'on  voit  dans  Narcisse.  Or,  le  roman  aurait 
pu  prendre  le  titre  de  la  toute  premiùre  Ɠuvre  de  George  Sand  (2), 
la  Comédienne  et  la  Religieuse,  car  ses  deux  héroïnes  sont  :  l'ac- 
trice Julia  —  passionnĂ©e,  dĂ©sordonnĂ©e,  ne  sachant  point  se  maĂź- 
triser, nous  dirions  «  hystérique  »,  et  la  jeune  «  chanoinesse  », 
Juliette,  qui,  quoiqu'elle  n'ait  point  pris  le  voile,  a  quitté  le 
monde  et  s'est  dévouée  à  élever  des  orphelines.  Elle  manque  de 
devenir  la  rivale  de  Julia,  en  aimant  le  mĂȘme  homme,  un  acteur 
dévergondé,  elle  le  sauve  pourtant,  par  la  force  de  ses  raisonne- 
ments et  ses  soins  maternels,  d'un  abaissement  définitif,  et  le 
ramĂšne  dans  la  bonne  voie.  Quant  Ă   elle,  elle  meurt  n'ayant  pu 
supporter  le  choc  de  la  dure  prose  de  la  vie.  Elle  Ă©pouse  in  extre- 
mis Narcisse  qui  l'aimait  depuis  longtemps  avec  abnégation.  Ce 
qui  est  le  plus  intéressant  dans  le  roman,  c'est  sans  doute  le 
commencement  oĂč  nous  voyons  peints  en  traits  rĂ©alistes  (et  il 
faut  noter  ce  reflet  du  naturalisme,  alors  Ă   ses  dĂ©buts),  les  mƓurs 
et  les  us  de  La  Chùtre,  les  soirées  de  théùtre  dans  cette  ville  et 
enfin  les  deux  natures  d'artistes- viveurs  :  la  Julia  dépourvue 
d'Ă©quilibre,  se  jetant  toujours  dans  les  extrĂȘmes,  et  Albani 
vivant    aux    dépens    des    autres,   se    drapant  toujours  dans 

(1)  Nous  avons  raconté  dans  notre  vol.  II  comment  George  Sand  avait 
en  passant  répondu  dans  la  Préface  de  Jean  de  la  Roche  aux  récriminations 
des  habitants  de  La  ChĂątre  qui  avaient  reconnu  leur  ville,  le  vrai  but  de  cette 
préface  ayant  été  de  répondre  aux  procédés  hostiles  de  Paul  de  Musset  qui 
avait  reconnu  dans  Elle  et  Lui  le  portrait  de  son  frÚre  Alfred  et  les  détails 
de  son  roman  vécu. 

(2)  Rose  et  Blanche  ou  la  Comédienne  et  la  Religieuse  (v,  notre  vol.  Ier, 
p.   336-340). 


GEORGE   SAND  313 

de  grands  sentiments,  mais  vaniteux,  superficiel  et  veule. 
Nous  rencontrons,  plus  sympathique  et  mieux  dessiné,  ce 
mĂȘme  type  d'actrice  sans  frein  dans  ses  entraĂźnements,  passion- 
née, emportée,  mais  au  fond  bonne  et  charitable  en  la  per- 
sonne de  la  Mozzeli  dans  le  roman  de  Constance  Verrier.  La 
Mozzeli  raconte  son  existence  orageuse  Ă   ses  deux  amies,  dont 
Tune  est  bourgeoise,  Constance  Verrier,  jeune  fille  pleine  de  foi 
dans  la  vie,  et  l'autre  —  grande  dame,  la  duchesse  d'Évreux, 
beauté  glaciale  et  sceptique  se  livrant  en  secret  à  toutes  ses 
fantaisies  amoureuses,  ne  croyant  plus  à  l'amour,  désen- 
chantée par  les  épreuves  de  sa  vie  conjugale,  portant  le  masque 
hypocrite  de  la  vertu,  mais  se  contentant  d'en  sauver  les 
apparences.  La  Mozzeli  et  la  duchesse  médisent  également  de 
l'amour  et  des  hommes,  dont  toutes  les  deux  ont  souffert, 
tandis  que  Constance  glorifie  l'amour  fidĂšle  et  Ă©ternel,  parce 
qu'elle  a  un  fiancé  qu'elle  aime  et  dont  elle  est  aimée  depuis  de 
longues  années  déjà.  Il  se  trouve  que  la  Mozzeli  et  la  duchesse 
ont  Ă©tĂ©  toutes  les  deux,  dans  la  mĂȘme  quinzaine,  les  maĂźtresses 
du  fiancé  de  Constance.  Celui-ci,  malgré  cela,  prétend  n'avoir 
jamais  cessé  d'aimer  la  jeune  fille,  mais  ses  voyages  et  la  durée 
de  ses  fiançailles  l'ont  empĂȘchĂ©  d'observer  une  complĂšte  absti- 
nence. Constance  est  sur  le  point  de  mourir  de  désespoir,  puis 
finalement  elle  pardonne  et  Ă©pouse  son  infidĂšle  Raoul...  L'histoire 
est  assez  dégoûtante  et,  grùce  à  d'interminables  discussions  sur 
l'amour,  extrĂȘmement  ennuyeuse.  Il  n'y  a  d'intĂ©ressant  que  le 
portrait  de  la  Mozzeli,  sûrement  peint  d'aprÚs  nature,  car  il 
rappelle  par  maint  trait  et  maint  détail  Marie  Dorval,  et  celui 
de  la  duchesse,  dont  les  théories  de  l'amour  sont  évidemment 
transcrites  d'aprĂšs  les  discours  entendus  de  la  bouche  de  la  gla- 
ciale Solange  et  de  la  sceptique  comtesse  d'Agoult.  Il  est  trĂšs 
curieux  de  noter  aussi  que  toutes  ces  dames  se  rencontrent 
dans  le  salon  d'une  certaine  Mme  Ortolani  (lisez  :  Marliani) 
qui,  elle  aussi,  est  peinte  sur  le  vif.  Donc  dans  Constance  Ver- 
rier nous  rencontrons  de  nouveau  un  type  entrevu  dans  le  milieu 
cabotin,  ce  qui  est  naturel,  car  ce  roman  fut  Ă©crit  Ă   l'Ă©poque  du 
plus  grand  engouement  de  George  Sand  pour  le  théùtre,  en  1859. 


314  GEORGE   SAND 

Deux  autres  romans  de  George  Sand  doivent  Ă©galement  leur 
existence  à  cette  passion  pour  tout  ce  qui  est  théùtre,  dans  deux 
sens  différents  :  la  Filleule,  publiée  en  1853,  reflÚte  cet  amour 
de  l'auteur  pour  le  théùtral,  le  romanesque  à  outrance  qui,  mal- 
heureusement, trouvait  une  pùture  toujours  renouvelée  dans  les 
comédies  improvisées  et  les  piÚces  de  marionnettes,  jouées  à 
Nouant  ;  Adriani  est  l'histoire  d'une  pauvre  femme  qui  se  meurt 
de  désespoir  aprÚs  la  mort  de  son  mari  et  que  le  chant  inspiré 
d'un  artiste  ramĂšne  Ă   la  vie.  Il  y  a  tel  trait  de  caractĂšre  de  cet 
Adriani  qui  rappelle  le  grand  chanteur  Nourrit  ;  désireux  de 
donner  son  art  et  son  talent  gratis  Ă   ceux  qui  sont  capables  d'en 
jouir  et  d'en  profiter,  il  voudrait  en  mĂȘme  temps  se  dĂ©rober 
aux  ovations  de  la  foule  et  il  est  insensible  à  la  vanité.  Mais 
ce  n'est  pas  lui,  ni  la  malheureuse  Laure  qu'il  console,  qui 
nous  intéressent  dans  ce  roman,  c'est  son  valet  de  chambre, 
Comtois. 

Ce  bonhomme-là  qui,  entré  au  service  d' Adriani,  nous  raconte 
à  sa  maniÚre  dans  un  journal  qu'il  tient  ad  hoc,  tous  les  événe- 
ments de  la  vie  de  son  maĂźtre,  c'est  lui  qui  nous  ravit,  on  Ă©prouve 
un  si  grand  plaisir  Ă   lire  ses  amusantes  Ă©lucubrations,  que  lorsque 
au  cours  du  roman,  elles  sont  de  plus  en  plus  souvent  interrom- 
pues par  la  narration  des  amours  de  Laure  et  Adriani  (l)r 
puis  leur  font  définitivement  place,  on  le  regrette  sincÚrement. 
Et  le  biographe  de  George  Sand  doit,  Ă   ce  propos,  noter  une  fois 
de  plus  l'infiltration  inconsciente  du  rĂ©alisme  dans  les  Ɠuvres 
du  plus  romanesque  des  romanciers. 

En  1859,  année  de  la  publication  de  Constance  Verrier,  fut 
jouée  Marguerite  de  Sainte-Gemme.  On  trouve,  au  début  de  la 
piÚce,  certaines  données  qui,  mieux  développées,  auraient  pu 
servir  à  rendre  intéressants  les  deux  personnages  principaux, 
mari  et  femme  (Ă   ce  propos  il  faut  remarquer  que  l'auteur 
nous  laisse  ignorer  jusqu'au  bout  pourquoi  cette  dame  con- 
tinue à  s'appeler  de  son  nom  de  jeune  fille  aprÚs  tant  d'années 
de  vie  conjugale  avec  le  sieur  DĂ©saubiers).  Il  y  a,  dans  les  rĂŽles 

(1)  C'est  sous  ce  titre  que  le  roman  fut  publié  par  Hetzel  en  Belgique, 
avant  sa  publication  dars  le  SiĂšcle. 


GEORGE   SAND  315 

de  ces  deux  personnages,  des  détails  curieux,  surtout  dans 
celui  de  Désaubiers,  ancien  viveur,  léger,  mais  bon  garçon  au 
fond  ;  malgré  sa  cinquantaine,  un  fils  adulte  de  son  premier 
mariage  et  sa  seconde  femme,  il  ne  peut  abandonner  ses 
fredaines,  se  croit  toujours  jeune,  et  végÚte  sous  la  pantoufle 
de  son  Ă©nergique  Ă©pouse,  charmante,  pleine  d'esprit  et  de  bon 
sens,  mais  vertueuse  à  faire  peur  1  Cette  donnée  pouvait  donner 
matiÚre  à  une  jolie  comédie.  Il  n'en  fut  rien,  la  piÚce  est  dépourvue 
de  tout  mouvement  dramatique  et  de  tout  intĂ©rĂȘt. 

AprĂšs  1859,  toutes  les  piĂšces  de  George  Sand,  Ă   l'exception  de 
Lupo  Liverani  dont  nous  avons  parlé  plus  haut,  sont  ou  des  «  nou- 
velles dialoguĂ©es  »,  destinĂ©es  Ă   n'ĂȘtre  jouĂ©es  qu'Ă   Nohant  et  non 
sur  les  théùtres  parisiens  et  seulement  plus  tard  refaites  à  cet  usage, 
avec,  ou  sans  le  consentement  de  leur  auteur,  par  d'autres  per- 
sonnes (tels  sont  le  Drac,  le  Pavé,  Plutus,  la  Nuit  de  Noël,  la 
LaitiĂšre  et  le  Pot  au  lait,  Un  bienfait  n'est  jamais  perdu  (1),  ou 
bien  ce  sont  des  piÚces  tirées  de  ses  romans  en  collaboration 
avec  d'autres  (Maurice  Sand,  Paul  Meurice,  Cadol,  Dumas  fils, 
tels  le  Lis  du  Japon,  tiré  d'Antonia,  le  Marquis  de  Villemer, 
Cadio,  Mlle  La  Quintinie),  ou  mĂȘme  simplement  elles  sont  Ă©crites 
d'aprĂšs  ses  romans  par  des  Ă©trangers  sans  sa  participation  (par 
exemple  les  Beaux  Messieurs  de  Bois-Doré  (2).  Ce  n'est  que  V Autre, 
la  toute  derniĂšre  Ɠuvre  dramatique  de  Mme  Sand.  qui  fut  Ă©crite 
par  elle  seule  et  jouée  en  1870  (il  faut  noter  que  le  rÎle  de  la  jeune 
fille  y  fut  créé  par  une  «  toute  jeune  actrice  à  la  voix  d'or  », 
Mlle  Sarah  Bernhardt).  Selon  nous,  si  l'on  excepte  le  Marquis  de 
Villemer,  dont  nous  parlons  plus  loin,  et  Mlle  La  Quintinie  qui, 
du  vivant  de  l'auteur,  ne  vit  jamais  la  rampe  (3),  il  n'y  a  d'in- 
tĂ©ressant parmi  toutes  ces  Ɠuvres  dramatiques  que  la  nouvelle 
dialoguée  d'aprÚs  Hoffmann,  la  Nuit  de  Noël,  une  version  de  ce 
mĂȘme  poĂšme  en  prose  qui  fit  Ă©crire  Ă   TchaĂŻkowski  une  si  ravis- 
sante musique  de  ballet  —  le  Casse-noisettes. 

(1)  ImprimĂ©  dans  le  mĂȘme  volume  que  Fronda,  c'est  un  proverbe,  Ă©crit 
en  1872. 

(2)  V.  la  lettre  de  George  Sand  à  M.  Chilly  datée  du  4  avril  1862.  {V Entr- 
acte du  5  avril  1862.) 

(3)  Mlle  La  Quintinie  fut  jouée  au  Théùtre  des  Arts  à  Bruxelles. 


316  GEORGE   SAND 

George  Sand  redit  encore  une  fois  dans  la  Préface  de  cette 
piÚce  qu'elle  s'était,  dÚs  sa  jeunesse,  toujours  enthousiasmée 
pour  les  poĂ©tiques  crĂ©ations  de  Hoffmann,  oĂč  le  fantastique  se 
mĂȘle  d'une  maniĂšre  si  naturelle  au  rĂ©el;  elle  dit  avoir  admirĂ© 
de  tout  temps  son  Maßtre  Floh;  elle  se  sentait  attirée  par  le  per- 
sonnage de  Pérégrinus.  En  en  faisant  le  héros  principal  de  sa 
piĂšce  et  en  gardant  plusieurs  scĂšnes  de  Hoffmann  :  les  joujoux 
animés,  le  bal  des  souris  et  l'apparition  du  spectre,  George  Sand 
plaça  au  centre  de  l'action  sa  thÚse  favorite  :  la  victoire  du  sen- 
timent sur  la  froide  raison,  de  la  foi  sur  le  doute,  du  sacrifice  et 
de  l'amour  spontané  sur  Fégoïsme  et  la  réflexion.  Il  est  fort  pro- 
bable que  la  Nuit  de  Noël,  écrite  en  1863,  doit  son  existence  à  la 
reprise  de  la  correspondance  de  Mme  Sand  avec  son  vieil  ami 
Dessauër,  «  le  maßtre  Favilla  »  chéri  qui  avait  toujours  semblé  à 
Mme  Sand  l'incarnation  des  types  de  Hoffmann  ;  il  vint  mĂȘme 
bientÎt  faire  une  petite  villégiature  à  Nohant.  La  Nuit  de  Noël 
fut  représentée  sur  le  théùtre  de  Nohant  et  le  rÎle  de  Pérégrinus 
joué  par  Manceau.  Dans  sa  lettre  à  Edouard  Cadol  qui  commen- 
çait alors  sa  carriÚre  d'auteur  dramatique  et  s'était  récemment 
lié  d'amitié  avec  Mme  Sand  et  toute  sa  famille,  George  Sand 
écrit  le  9  février  1863  :  «  Nous  avons  joué  notre  piÚce  («  merveil- 
leusement joué,  »  dit-elle  plus  haut)  et  fermé  le  théùtre.  Je  regrette 
que  vous  n'ayez  pas  vu  Manceau  dans  le  rÎle  de  Pérégrinus; 
c'est  un  idéal  de  naïveté  poétique  et  fantastique.  Clerh  nous  a 
tous  surpris,  il  a  été  excellent.  » 

Manceau  lui-mĂȘme,  comme  nous  allons  le  voir  plus  loin,  rap- 
pelait par  maint  trait  de  son  caractĂšre  le  type  de  Hoffmann  qu'il 
reprĂ©sentait,  un  cƓur  simple,  pensant  aux  autres  plus  qu'Ă  
lui-mĂȘme,  nature  rĂȘveuse  et  un  peu  fantasque  (1). 

George  Sand  lui  dédia  une  autre  piÚce  destinée  au  théùtre 
de  Nohant,  Plutus  d'aprĂšs  Aristophane.  Elle  Ă©crit  Ă   propos  de 

(1)  Mme  Sand  Ă©crivait  quelques  jours  plus  tard  Ă   sa  belle-fille  Ă   Paris  : 
«  Manceau  a  dû  écrire  ce  matin  à  Maurice  que  tout  le  mobilier  était  arrivé  sain 
et  sauf.  Il  a  passé  la  journée  entiÚre,  ce  pauvre  Pérégrinus,  à  déballer,  ranger, 
séparer  et  en  somme  tout  est  admirablement  placé  sous  la  main  et  vous  n'avez 
plus  qu'à  distribuer  comme  vous  l'entendrez...  Je  me  porte  bien  et  Pérégrinus 
pas  mal...  » 


GEORGE   SAND  317 

cette  piĂšce  Ă   Ed.  Rodrigues  (nous  parlons  dans  le  prochain 
chapitre  de  la  correspondance  amicale  de  George  Sand  avec 
Ed.  Rodrigues  qui  ne  fait  point  partie  des  six  volumes  de  sa 
Correspondance  imprimée)  : 

28  novembre  1862. 

Je  viens  de  traduire  en  français  une  traduction  en  vilain  français 
du  Plutus  d'Aristophane  et  j'y  ai  mis  une  fable,  une  sauce  dans  la 
couleur,  pour  en  faire  une  de  ces  piĂšces  de  fantaisie  que  nous  jouons 
ici  en  famille.  C'est  assez  curieux  Ă   la  lecture  et  je  le  publierai  (1). 
On  y  voit,  dans  tout  ce  qui  est  réellement  d'Aristophane,  une  poésie 
terre-à-terre,  toute  de  bon  sens  pratique  et  dans  le  goût  du  stoïcisme 
antique  mitigé,  qui  est  fort  curieuse  et  toujours  acceptable,  par  beau- 
coup d'endroits.  Pourtant  cela  est  suranné  et  va  trop  loin,  dans  le 
sens  de  la  proscription  des  richesses.  Il  ne  serait  pas  bon  que  l'homme 
actuel  se  condamnùt  à  ne  pas  sortir  de  la  possession  du  strict  néces- 
saire. Les  arts  et  les  sciences  n'y  gagneraient  pas  et  la  civilisation  se 
trouverait  fort  entravée.  C'est  ce  que  j'ai  fait  entendre  dans  un  pro- 
logue de  ma  façon  (2). 

H  faut  dire  en  général  que  le  temps  fut  plus  implacable  envers 
les  piĂšces  de  George  Sand  qu'envers  ses  romans  :  elles  ont  beau- 
coup plus  vieilli.  Et  pourtant,  au  moment  de  leur  apparition 
sur  la  scÚne,  elles  excitaient  souvent  par  leur  «  audace  »  des 
horions,  et  Mme  Sand  dut  mainte  fois  défendre  cette  «  audace  » 
dans  ses  Préfaces  et  entrer  en  polémique  ouverte  avec  MM.  les 
critiques.  Cela  eut  lieu  comme  nous  avons  vu  Ă   propos  du  DĂ©mon 
du  foyer,  lorsque  le  critique  de  V Indépendance  belge,  Jules  Le- 
comte,  dĂ©chaĂźna  ses  foudres  contre  elle  ;  ce  fut  la  mĂȘme  chose  Ă  
propos  de  Maßtre  Favilla,  critiqué  à  outrance  par  Jules  Janin, 
ainsi  que  toutes  les  autres  piĂšces  de  George  Sand.  Or,  George 
Sand  voulait  bien  admettre  avec  sa  modestie  habituelle  (3) 


(1)  Plutus  fut  en  effet  publié  dans  le  numéro  du  1er  janvier  1863  de  la  Revue 

(2)  Lettre  du  28  novembre  1862  (Revue  de  Paris  du  1er  octobre  1899). 

(3)  Il  est  trÚs  intéressant  de  lire  à  ce  propos  sa  lettre  du  23  août  1859  à 
Bocage,  imprimée  dans  le  recueil  des  Lettres  autographes  composant  la  col- 
lection de  M.  Alfred  Bovet,  décrites  par  Etienne  Charavay,  ouvrage  imprimé 
sous  la  direction  de  Fernand  Calmettes.  (Paris,  Charavay,  1882,  in-4°).  A 


3i8  GEORGE   SAND 

qu'elle  était  dénuée  de  talent  dramatique,  elle  observait  cepen- 
dant que  les  procédés  qu'on  employait  pour  la  juger  ne  rele- 
vaient pas  du  domaine  de  la  critique  :  les  jugements  portés  sot 
ses  piĂšces  Ă©taient  empreints  de  parti-pris.  Elle  Ă©crit  Ă   ce  propos 
Ă   Edouard  Charton  dans  sa  lettre  du  20  novembre  1858  : 

Que  vous  dire  de  moi,  maintenant,  à  propos  de  théùtre?  je  ne  sais 
pas.  C'est  un  jour  oui  et  un  jour  non.  Ai -je  du  talent  pour  cela?  Je 
ne  crois  pas  ;  j'ai  cru  qu'il  m'en  viendrait,  je  me  dis  encore  quelquefois 
sous  mes  cheveux  gris,  qu'il  peut  m'en  venir.  Mais  on  a  tant  dit  le 
contraire  que  je  n'en  sais  plus  rien,  et  que  j'en  aurais  peut-ĂȘtre  en 
pure  perte.  Si  les  auteurs  sont  rares  et  mauvais,  comme  vous  le  dites, 
c'est  peut-ĂȘtre  bien  la  faute  du  public,  qui  veut  de  mauvaises  choses, 
ou  qui  ne  sait  pas  ce  qu'il  veut.  Montigny  m'Ă©crivait  derniĂšrement  : 
«  Que  faut-il  faire  pour  le  contenter?  Si  on  lui  donne  des  choses  litté- 
raires, il  dit  que  c'est  ennuyeux  ;  si  on  lui  donne  des  choses  qui  ne  sont 
qu'amusantes,  il  dit  que  ce  n'est  pas  littéraire.  Le  fait  m'a  paru  cons- 
tant dans  ces  derniÚres  années.  On  se  plaignait  de  voir  toujours  la 
mĂȘme  piĂšce  ;  mais  toute  idĂ©e  nouvelle  Ă©tait  repoussĂ©e?  Que  faire.  N'y 
pas  songer  et  Ă©crire  quand  le  cƓur  vous  le  dit.  »  C'est  ce  que  je  ferai 
quand  mĂȘme... 

H  est  trĂšs  curieux  aussi  de  noter  que,  tandis  que  le  vieil  ami 
de  Mme  Sand,  EugĂšne  Delacroix,  toujours  Ă   propos  de  Favilla, 
écrivait  dans  son  journal  à  la  date  du  12  janvier  1856  :  «  Excel- 
lente donnée  que  la  pauvre  amie  n'a  pas  fait  ressortir,  »  et  ajou- 
tait : 

Cette  obstination  Ă   poursuivre  un  talent  qui  lui  manque,  la  classe 
dans  un  rang  inférieur.  H  est  bien  rare  que  les  grands  talents  ne  soient 
pas  portés  d'une  maniÚre  presqu'invincible  vers  les  objets  qui  sont  de 
leur  domaine.  On  peut  s'abuser  dans  sa  jeunesse,  mais  plus  tard  non... 

Tandis  que  cet  ami  jugeait  si  sévÚrement  Mme  Sand,  ce  fut 
Emile  Zola,  l'ennemi  du  romantisme,  qui  défendit  et  le  talent 
dramatique  de  George  Sand  et  son  droit  Ă   introduire  dans  des 
Ɠuvres  dramatiques  des  Ă©lĂ©ments  que  l'on  prĂ©tend  impropres 
pour  la  scÚne,  et  en  général  le  droit  de  sortir  du  cadre  convenu 

cf.  aussi  avec  sa  lettre  Ă   Maurice  du  10  juin  1868  (Corresp.,  t.  IV,  p.  159-141) 
oĂč  elle  parle  avec  nue  bonhomie  pleine  de  gaietĂ©  du  peu  de  succĂšs  de  ses 
piĂšces. 


GEORGE   SAND  319 

en  littérature  dramatique.  Et  à  ce  propos  nous  lisons  dans  le 
volume  Auteurs  dramatiques  de  Zola  les  lignes  suivantes  : 

...Longtemps  on  lui  a  refusé  tout  talent  dramatique,  comme  on  en 
refuse  d'ordinaire  chez  nous  aux  romanciers  ;  pour  la  critique,  qui- 
conque Ă©crit  un  livre  ne  peut  Ă©crire  un  drame.  Seulement  aprĂšs  de 
grands  succĂšs,  George  Sand  dut  ĂȘtre  reconnue  pour  un  dramaturge, 
6inon  trĂšs  habile,  du  moins  trĂšs  large  de  facture  et  d'une  Ă©motion  pro- 
fonde. Elle  triomphe  au  thĂ©Ăątre  par  son  honnĂȘtetĂ©,  le  sentiment  calme 
et  tendre  qu'elle  avait  des  passions. 

On  ne  peut  dire  mieux  pour  juger  George  Sand,  auteur  dra- 
matique, et  c'est  par  ces  lignes  impartiales,  Ă©quitables  et  justes 
que  nous  terminons  le  chapitre  du  Théùtre  de  George  Sand. 


CHAPITRE  XI 
1855-1862 


ƒuvres  autobiographiques  de  George  Sand.  —  Le  plan  primitif  des  Lettres 
d'un  voyageur.  —  Le  Journal  de  PiffoĂ«l.  —  La  Lettre  d'un  oncle.  —  Un 
Voyage  au  Mont-Dore  et  l'Histoire  de  ma  vie.  —  Existence  à  Nohant  de 
1849  Ă   1855.  —  Alexandre  Manceau.  —  Nini  ClĂ©singer.  —  Terre  et 
Ciel  de  Jean  Reynaud  et  Evenor  et  Leucippe.  —  Voyage  en  Italie  en  1855. 

—  Impressions  italiennes  et  la  Daniella.  —  Charles  Edmond  et  la  Presse 

—  Les  Beaux  Messieurs  de  Bois-DorĂ©,  les  Dames  vertes.  —  Gargilesse  et 
La  Villa  Algira.  —  Labeur  sans  trĂȘve.  —  Entomologie,  botaniqueet  minĂ©- 
ralogie. —  Jean  de  la  Roche.  —  Maladie  et  voyage  à  Tamaris  en  1861. 

—  Valvùdre,  Flavie,  Antonio  et  M.  Rodrigues.  —  M.  Francis  Laur  et  Louis 
Maillard.  —  Le  Marquis   de  Ville  mer.  —  Tamaris.  Edmond   Plauchut. 

—  Autour  de  la  taole  et  Promenades  autour  d'un  village.  —  La  Famille 
de  Germandre.  —  Alexandre  Dumas. 


Chacun  sait  que  dans  les  graves  et  tragiques  moments  de  la 
vie  :  face  à  face  avec  la  mort,  lors  d'une  maladie  sérieuse,  aprÚs 
la  perte  d'un  ĂȘtre  chĂ©ri  ou  aprĂšs  une  rupture  dĂ©finitive  avec  un 
ami,  involontairement  on  revit  ses  joies  et  ses  peines,  un  examen 
de  conscience  s'impose,  on  se  juge  et  parfois  on  se  condamne.  Si 
l'on  est  Ă©crivain,  ces  moments  sont  la  cause  et  la  source  pre- 
miĂšre de  Confidences  et  de  Confessions.  Maintes  fois  des  tristesses, 
des  événements  tragiques  éveillÚrent  chez  George  Sand  le  désir 
d'expliquer  son  ĂȘtre  intime,  de  raconter  les  actes  extĂ©rieurs  qui 
le  révélÚrent.  Plusieurs  fois  ce  projet  lui  vint  et  presque  toujours 
son  génie  créateur  lui  fit  abandonner  son  plan  primitif;  elle 
Ă©crivit  alors  des  Ɠuvres  qui  n'Ă©taient  que  mi-autobiographiques, 
des  pages  oĂč  Ă   la  Wahrheit  (la  vĂ©ritĂ©)  se  substituait  la  Dkhtung 
(la  fiction). 

Si  on  laisse  de  cÎté  les  romans  de  Mme  Sand  contenant  des 
détails  autobiographiques  (que  nous  avons  notés   chaque  fois 

390 


GEORGE   SAND  321 

que  nous  les  analysions)  tels  qvCIndiana,  Valentine,  Mattéa, 
LĂ©lia,  Elle  et  lui,  le  Toast,  Lucrezia,  Spiridion,  Isidora,  le  PoĂšme 
de  Myrza,  le  Diable  aux  champs,  etc.,  etc.,  etc.),  on  doit  considérer 
comme  une  tentative  d'autobiographie  les  Lettres  d'un  voyageur. 
Voici  ce  que  George  Sand  en  dit  elle-mĂȘme  : 

Je  viens  de  relire  les  Lettres  d'un  Voyageur  de  septembre  1834  et 
de  janvier  1835  et  j'y  retrouve  le  plan  d'un  ouvrage  que  je  m'Ă©tais 
promis  de  continuer  toute  ma  vie.  Voici  quel  Ă©tait  ce  plan  suivi  au 
début  de  la  série,  mais  dont  je  me  suis  écartée  en  continuant  et  que  je 
semble  avoir  tout  Ă   fait  perdu  de  vue  Ă   la  fin.  Cet  abandon  apparent 
veut  surtout  dire  que  j'ai  rĂ©uni  sous  le  mĂȘme  titre  de  Lettres  d'un 
voyageur  diverses  lettres  ou  séries  de  lettres  qui  ne  rentraient  pas  dans 
l'intention  et  la  maniĂšre  des  premiĂšres  (1).  Cette  intention  et  cette 
maniÚre  consistaient  dans  ma  pensée  premiÚre  à  rendre  compte  des 
dispositions  successives  de  mon  esprit  d'une  façon  naïve  et  arrangée 
en  mĂȘme  temps...  Je  crĂ©ai  donc  au  hasard  de  la  plume  et  me  laissant 
aller  à  toute  fantaisie  un  moi  fantastique  trÚs  vieux,  trÚs  expérimenté 
et  partant  trÚs  désespéré.  Ce  troisiÚme  état  de  mon  moi  supposé,  le 
désespoir,  était  le  seul  vrai,  et  je  pouvais,  en  me  laissant  aller  à  mes 
idées  noires,  me  placer  dans  la  situation  du  vieil  oncle  (2),  du  vieux 
voyageur  que  je  faisais  parler...  En  un  mot  je  voulais  faire  le  propre 
roman  de  ma  vie  et  n'en  ĂȘtre  pas  le  personnage  rĂ©el,  mais  le  person- 
nage pensant  et  analysant... 

Le  Journal  de  PiffoÚß,  dont  nous  avons  plusieurs  fois  cité  des 
extraits  et  qui  ne  fut  jamais  publié  en  entier,  excepté  le  petit 


(1)  Nous  avons  déjà  dit  dans  le  chap.  ix  du  vol.  II  de  notre  travail  que  le 
volume  des  Lettres  d'un  voyageur  réunit  :  1°  les  trois  lettres,  toutes  lyriques, 
à  Musset  ;  2°  des  épanchements  non  moins  lyriques  et  des  réflexions  élé- 
giaques  adressées  à  Néraud  et  Rollinat  ;  3°  une  lettre  politique  à  Everard 
(Michel  de  Bourges)  ;  4°  les  impressions  du  voyage  en  Suisse  et  du  jeu  de 
Liszt  racontées  à  Herbert  (Charles  Didier)  ;  5°  une  lettre  sur  la  phrénologie 
(Ă   Liszt)  ;  6°  l'analyse  critico-musicale  des  opĂ©ras  de  Meyerbeer  et  des  Ɠuvres 
de  Berlioz  (lettre  à  Meyerbeer)  et  enfin  7°  un  écrit  polémique  pro  domo  sua 
contre  Nisard. 

(2)  Mme  Sand  indique  plus  loin,  que  la  sixiĂšme  Lettre  d'un  voyageur 
était  intitulée  Lettres  d'un  oncle.  Cette  indication  n'est  pas  tout  à  fait 
exacte,  de  mĂȘme  qu'est  inexacte  l'indication,  donnĂ©e  plus  haut,  des 
lettres  de  «  septembre  1834  et  janvier  1836  ».  Quoique  nous  l'ayons  déjà  dit 
dans  le  chap.  x  de  notre  deuxiĂšme  volume,  nous  croyons  indispensable  de 
donner  ici  les  dates,  l'ordre  et  le  numérotage  des  Lettres  lors  de  leur  premiÚre 
impression  dans  la  Revue  des  Deux  Mondes  et  les  numéros  sous  lesquels  elles 


3-Î2 


GEORGE   SAND 


épisode  intitulé  la  Fauvette  du  docteur  (1),  présente  comme  une 
suite  de  ces  Lettres  d'un  voyageur,  Ă©crite  de  nouveau  au  nom 
d'un  prétendu  «  vieux  docteur  »,  pessimiste  et  désabusé. 

Cette  histoire  de  sa  vie  Ă©tait  trop  incomplĂšte  pour  satisfaire 
George  Sand,  elle  décida  dÚs  lors  d'écrire  ses  mémoires. 

Dans  une  note  au  bas  d'un  article  de  1857  de  Charles  de 
Mazade  sur  Y  Histoire  de  ma  vie,  Buloz  dit  que  George  Sand  avait 
dĂšs  l'Ă©poque  qui  suivit  sa  rupture  tragique  avec  Musset,  vers 
1835-36,  l'intention  sérieuse  d'écrire  ses  mémoires,  et  qu'on  peut 
en  retrouver  le  plan  et  des  détails  dans  les  lettres  de  Mme  Sand 
qu'il  a  gardées  dans  ses  cartons  : 

...«  Nous  n'avons  pas  oublié  non  plus  que  dans  l'hiver  de  1835 


sont  rĂ©imprimĂ©es  dans  toutes  les  Ă©ditions  des  Ɠuvres  de  George  Sand  de- 
puis 1842  : 


Revue  des  Deux  Mondes     Dans  le  volume 


Datées  de  : 


du  15  mai  1834,      N°  I  1  I 

15  juillet  1834,  N°  II  [  à  M"*  II 

15  sept.  1834»  K"  III  )  III 

15  janvier  1835  :  Lettres  d'un 

Oncle.  V  (Ă   Rollinat) 

15  juin  1835,  N°  IV  (à  Everardï  VI  à  Everard 

(Michel) 

1er  septembre  is35,  N«  V  VII  à  Fr.  Listz 


1"  juin  1S36,  .V  VI 


i5   octobre    1836,    Le   Prince 
<M.  de  Talleyrand). 


N°-  IV  et  IX 
au  Malgache 
et  Ă   Rollinat 


X»  VIII 


15  novembre  1836,  N«  VU,  à 
Charles  Didier.  X  Ă   Herbert 


15  novembre  la36,  N"  VIII  XI  Ă   Meyerbeer 

La  Revue  de  Paris,  de  mai  1836, 
Lettre  à  M.  Msard.  N°  XII 


Venise.  1er  mai  1 S 3  i . 
Sans  dale. 
Venise,  juin  1 534.1 


Janvier  1835. 

11,  15,  1S,  20,  22,  23,  M, 
29  avril  1835. 

Sur  Lavatcr  et  une  maison  dé- 
serte. 

Septembre  ls35  : 

lundi  soir 

mercredi  soir 

jeudi 

vendredi,  Ă   Rollinat 

samedi 

au  Malgache 

Ă   Rollinat 

au  Malgache,  15  mai  1836. 

introduction  : 

minuit, 

six  heures  du  malin  dans  ma 
chambre. 

PriÚre  d'une  matinée  de  prin- 
temps. 

Versailles,  Auteuil,  2  sept.  1836, 
de  Chalon  Ă   Lyon,  Xautua, 
GenĂšve,  Fribourg. 

GenĂšve,  septembre  1836. 

Sans  date. 


<1)  V.  George  Sand,  sa  vie  et  ses  Ɠuvres,  vol.  II,  chap.  xm,  p.  433-34. 


GEORGE   SAND  3a3 

Mme  Sand  eut  pour  la  premiÚre  fois  l'idée  d'écrire  quatre  vo- 
lumes seulement  de  mémoires,  qui  ne  devaient  paraßtre  qu'aprÚs 
sa  mort.  Quand  il  nous  arrive  de  feuilleter  encore  les  trois  ou 
quatre  cents  lettres  de  Mme  Sand  qui  nous  restent  entre  les  mains, 
nous  y  trouvons  non  seulement  crayonné  le  plan  de  ces  mémoires, 
mais  quelques-uns  mĂȘme  des  Ă©lĂ©ments  de  ce  livre  posthume, 
pendant  les  dix  premiÚres  et  plus  belles  années  de  la  vie  litté- 
raire de  l'auteur...  » 

Mais  bien  avant  1835-36,  vers  1827,  en  récapitulant  probable- 
ment sa  vie  de  jeune  fille  et  de  jeune  mariée,  sous  l'impression  de 
la  trahison  de  son  mari,  de  sa  rupture  morale  avec  lui  et  de  son 
amour  pour  Aurélien  de  SÚze,  George  Sand  avait  songé  à  écrire 
son  autobiographie. 

Ce  prototype  de  VHistoire  de  ma  vie  s'appelle  Voyage  en 
Auvergne  et  en  Espagne,  fut  écrit  pour  Zoé  Leroy  et  fut, 
comme  nous  l'avons  dit,  imprimé,  déjà  aprÚs  la  mort  de  George 
Sand,  dans  le  Figaro  de  1888.  L'original  est  Ă©crit  sur  de 
petits  cahiers  in-8°  et  présente  une  série  de  trÚs  petits  cha- 
pitres, parfois  de  deux  ou  trois  lignes,  qui  sont  comme  un 
sommaire  de  ses  futurs  mémoires.  Voici  le  commencement 
et  quelques  extraits  de  ce  trÚs  intéressant  écrit  trÚs  important 
pour  nous,  oĂč  â€”  cinq  annĂ©es  entiĂšres  avant  la  naissance  de 
la  future  George  Sand  —  se  reflĂštent  avec  une  Ă©tonnante 
intensité  toutes  les  faces  de  son  admirable  talent.  Ce  qui  est 
absolument  typique  c'est  le  style,  c'est  la  forme  de  cette  pre- 
miĂšre Ɠuvre  autobiographique,  c'est  le  rĂ©eit  spontanĂ©,  familier 
des  événements  tantÎt  plein  ^humour,  de  verve,  et  tantÎt  de 
profond  sentiment,  ce  sont  des  digression,  des  plaintes  amĂšres 
sur  son  sort,  des  réflexions  d'une  puissance  extraordinaire  sur 
des  thÚmes  généraux,  de  poétiques  paysages,  des  excursions 
de  naturaliste,  des  Ă©pisodes  comiques  dialogues,  des  esquisses 
satiriques  de  personnages  burlesques  on  Ă©tranges,  des  pages 
alertes  et  gaies  rappelant  ses  lettres  intimes  et  d'autres  Ă©crites 
en  sonores  périodes  évoquant  le  style  de  Lélia.  H  est  trÚs 
eurieux  de  noter  le  fait  surprenant  que  George  Sand  avait, 


324  GEORGE   SAND 

dÚs  lors,  ébauché  en  lignes  générales  le  plan  de  son  Histoire 
de  ma  vie  tel  qu'il  fut  exécuté  plus  tard. 


Mont-Dore,  dimanche  12  août. 

J'arrive.  Que  c'est  bĂȘte  un  voyage  d'amateur.  Je  suis  extĂ©nuĂ©e  ! 
Que  suis-je  venue  faire  ici? 

Chercher  la  santĂ©?  oĂč  est-elle  la  santĂ©?  Je  suis  d'une  humeur  de 
chien. 

Lundi.  —  C'est  bizarre,  une  vie  comme  celle-ci.  C'est  mĂȘme  plaisant. 
Je  me  réconcilie.  Cependant,  je  ne  me  sens  pas  encore  assez  d'aplomb 
pour  rester  au  salon.  Nouvelle  débarquée,  tous  les  regards  se  portent 
sur  moi.  Que  c'est  sot  de  faire  attention  Ă   moi!  Je  viens  dans  ma 
chambre... 

...Çà,  que  faire?  H  pleut.  Jamais  je  n'ai  eu  tant  envie  de  me  pro- 
mener. Je  suis  fantasque  aujourd'hui.  Je  fais  la  jolie  femme.  Ah  I 
pour  femme,  pas  trop  !  Jolie  encore  moins.  C'Ă©tait  bon  il  y  a  dix  ans. 
Je  n'ai  pas  de  livre  qui  me  plaise. 

Ce  que  j'ai  emporté  est  absurde.  C'est  égal,  cela  me  donnera  un  main- 
tien pour  sortir  seule. 

J'aurai  l'air  de  lire,  de  penser  Ă   quelque  chose  et  je  pourrai  Ă   mon 
aise  ne  penser  Ă   rien. 

A  rien  !  Quand  ne  pense-t-on  Ă   rien?  Qu'on  serait  heureux  si,  un 
quart  d'heure  dans  la  vie,  on  pouvait  ne  penser  Ă   rien  !  Mais  en  dor- 
mant mĂȘme,  on  rĂȘve  !... 

...Ah  !  il  y  a  un  bénitier  auprÚs  de  mon  lit.  C'est  une  attention,  cela 
me  rappelle  le  couvent.  Comment  donc  !  mais  c'est  charmant,  un 
bénitier!  Me  voilà  bien,  si  j'écrivais  à  quelqu'un?  oui,  à  ma  mÚre, 
par  exemple  !  Ă   ma  mĂšre,  ah  Dieu  !  0  ma  mĂšre,  que  vous  ai-je  fait? 
pourquoi  ne  m'aimez-vous  pas?  Je  suis  bonne  pourtant.  Je  suis  bonne, 
vous  le  savez  bien.  J'ai  cent  défauts,  mais  je  suis  bonne  dans  le  fond. 
J'ai  mes  violences  et  elles  sont  terribles.  Mais  vous  en  aperçûtes-vous 
jamais?  Oh!  que  j'étais  facile  à  mener!  Un  mot  de  vous  détruisait 
toutes  mes  résolutions.  Je  vous  avouais  tout  ce  qu'en  tenant  caché 
j'aurais  pu  faire  servir  Ă   adoucir  mon  sort.  Mais,  chose  Ă©trange,  vous 
saviez  Ă©galement  me  faire  peur  et  m'attendrir. 

Quand  vous  Ă©tiez  en  colĂšre,  je  tremblais,  j'Ă©tais  pĂąle  et  me  sentais 
mourir.  Quand  vous  m'entouriez  de  vos  séductions,  j'arrosais  vos 
mains  de  pleurs...  Oh  !  que  je  vous  aurais  aimée,  ma  mÚre,  si  vous 
l'aviez  voulu  !  Mais  vous  m'avez  trahie,  vous  m'avez  menti,  ma  mĂšre, 


GEORGE   SAND  325 

est-ce  possible?  vous  m'avez  menti  !  Oh  !  que  vous  ĂȘtes  coupable  1 
Vous  avez  brisĂ©  mon  cƓur.  Vous  m'avez  fait  une  blessure  qui  saignera 
toute  la  vie.  Vous  avez  aigri  mon  caractÚre  et  faussé  mon  jugement. 

Vous  m'avez  mis  dans  l'ùme  une  sécheresse,  une  amertume  que  je 
retrouve  dans  tout. 

Croyez-vous  que  j'ai  oublié  tout  cela  quand  maintenant  vous  me 
caressez?  Oh  !  vos  caresses  me  font  du  mal.  Quand  vous  m'embrassez, 
mon  cƓur  se  gonfle  et,  si  j'osais  pleurer  devant  vous,  je  pleurerais  I 
Et  quand  je  vois  une  autre  fille  dans  les  bras  de  sa  mĂšre,  heureuse, 
adorée,  protégée,  je  me  tords  les  mains  et  je  pense  à  vous  qui  m'avez 
abandonnée.  Ma  mÚre,  Dieu  vous  pardonne!  H  vous  pardonnera. 
Dieu  est  parfait.  Mais  vous  m'avez  fait  bien  du  mal. 

Je  voudrais  me  venger,  je  voudrais  pouvoir  vous  faire  du  bien. 
Vous  verriez  que  je  ne  suis  pas  une  mauvaise  fille  !  Ah  !  je  n'Ă©tais  pas 
née  pour  cela  !  !  ! 

VoilĂ   ma  lettre  ;  l'enverrai-je? 

Pauvre  mĂšre!  que  de  chagrin  elle  vous  ferait  1  Vous  ĂȘtes  lĂ©gĂšre, 
mais  vous  n'ĂȘtes  pas  mĂ©chante.  Non,  vous  ne  l'ĂȘtes  point.  Vous  n'ĂȘtes 
que  bizarre.  Ah!  je  ne  vous  ferai  jamais  de  reproches.  Je  pleurerai 
en  silence.  Vous  vieillirez  tranquille. 

Je  me  sens  trÚs  mal  à  présent.  A  quoi  ai-je  été  songer  !  Si  j'allais 
consulter  le  médecin?  Encore  quelque  ùne  !  Je  n'irai  point,  qu'ai-je 
Ă   faire  de  lui? 

Mais,  mon  Dieu,  Ă   qui  Ă©crirai-je  donc?  Je  sais  bien  Ă   qui  je  n'Ă©crirai 
pas  (1). 

A  Adolphe  (2)?  C'est  un  ami  despote.  Je  n'aime  pas  la  tyrannie. 
A  Stéphane  (3)?  C'est  un  fou,  un  vrai  pédant.  Je  déteste  la  science. 
A  Gustave  (4)?  C'est  une  bĂȘte.  Les  bĂȘtes  m'ennuient.  A  mon  pĂšre  (5)? 
L'excellent  cƓur  !  Mais  que  lui  dirai-je?  Lui  raconter  ce  que  j'ai  vu 
à  Clermont?  l'éternelle  relation  obligée!  Mais  je  n'ai  rien  vu!  J'ai 
été  partout.  J'ai  attrapé  un  coup  de  soleil  au  Puy-de-DÎme.  Je  me 
suis  éreintée  à  cheval,  époumonée  à  pied.  Et   tout  cela  pourquoi? 

Si,  je  le  sais  !...  Il  n'y  a  pas  lĂ   de  quoi  faire  une  lettre.  Mon  Dieu, 
qu'on  est  bĂȘte  quand  on  a  de  l'humeur. 

Je  vas  écrire  à  Zoé  (6),  Elle  est  si  bonne  !  C'est  un  ange.  Oui,  mais 
elle  montrerait  ma  lettre  et  je  ne  veux  pas  qu'on  se  souvienne  de 

(1)  Allusion  évidente  à  Aurélien  de  SÚze. 

(2)  Adolphe  Dutheil. 

(3)  Stéphane  Ajasson  de  Grandsagne  (V.  notre  vol.  Ier,  p.  196-98,286-361, 
et  vol.  III  de  V Histoire  de  ma  vie,  p.  327,  330,  334.) 

(4)  Gustave  Papet. 

(6)  James  Duplessis  (V.  notre  vol  Ier,  p.  216-220,  et  vol.  III,  p.  57), 
(6)  Zoé  Leroy  (V.  voL  Ier,  p.  254). 


326  GEORGE   SAND 

moi  (1).  A  Jane  (2)  plutĂŽt.  C'est  une  reine.  Oh  !  je  lui  ferais  horreur 
dans  ce  moment-ci. 

Décidément  je  n'écrirai  pas,  mais  qu'est-ce  que  je  fais  donc  à  pré- 
sent?... 

Puis,  la  jeune  femme  se  désespÚre  de  l'inutilité  de  sa  vie,  elle 
songe  au  suicide,  mais  n'a  pas  le  courage  de  se  tuer,  Ă   cause  du 
petit  Maurice;  elle  voudrait  pointant  mourir,  se  débarrasser 
a  de  la  corvée  de  la  vie  »,  elle  s'ennuie  et  ne  sait  que  faire...  Puis, 
tout  Ă   coup  elle  esquisse  le  portrait  de  M.  Garrick,  le  gardien  de 
l'établissement  balnéaire,  qui,  pour  tuer  le  temps,  fait  avee  ses 
fils  des  collections  minéralogiques,  estropie  les  noms  latins  d'une 
maniĂšre  Ă©pouvantable,  mais  au  fond  ne  dit  «  guĂšre  plus  de  bĂȘtises 
que  beaucoup  de  savants  de  ma  connaissance,  »  et  à  ce  propos 
la.  jeune  pessimiste  lance  une  phrase  toute  Georgesandesque  : 

Je  déteste  les  grands  mots  et  le  grand  savoir  en  manchettes  et  en 
jabot.  Je  les  aime  Ă   la  folie  en  casquette  et  en  sabots. 

Puis  elle  ajoute  :  «  Garrick  est  fort  aimable  et  je  ne  m'étonne 
pas  des  bontĂ©s  de  M.  Ramond  pour  lui.  »  (M.  Ramona  —  soit  dit 
par  parenthĂšse  —  e'est  Raymond  AurĂ©lien  de  SĂšze,  qui  apparaĂźt 
plus  loin  sous  le  pseudonyme  transparent  de  M.  LesĂšne  et  qui 
apparaĂźtra  dans  Indiana  sous  celui  de  Raymon  de  la  RamiĂšre.) 
Et  enfin  elle  dessine  en  quelques  traits  bouffons  la  société  de  la 
petite  ville  d'eaux  et  ses  Ă©tablissements  thermaux. 

Mais  avec  tout  cela,  le  temps  n'avance  guĂšre. 

...On  ne  dĂźnera  que  dans  deux  heures.  Il  m'est  impossible  de  m'amu- 
ser  de  rien  avec  suite  aujourd'hui  J'ai  la  tĂȘte  fort  malade.  En  vain 
j'ai  cherché  tous  ces  jours  passés  à  m'étourdir  par  la  fatigue.  Ce 
chagrin,  ce  chagrin  ne  sait  pas  dormir  et  ne  veut  pas  se  taire.  0  an- 
goisse ?.. 

Au  fait,  si  je  me  plaignais  Ă   moi-mĂȘme?  Comme  ce  serait  nouveau, 
ce  pourrait  me  distraire. 

Si  je  me  racontais  mon  histoire?  C'est  une  bonne  idĂ©e.  Écrivons  des 
mémoires.  C'est  un  genre  à  la  portée  de  tout  le  monde,  et  cela  fera 

(1)  C'est-à-dire  que  Zoé  la  montrerait  encore  à  Aurélien  de  SÚze  à  qui 
Aurore  Dudevant  ne  voulait  point  ĂȘtre  rappelĂ©e  Ă   ce  moment. 

(2)  Jane  Bazouin  (V.  notre  vol.  I",  p.  180,  250,  253,  259,  316). 


GEORGE   SAND  337 

bon  effet.  Les  pensées  d'hier  feront  diversion  à  celles  d'aujourd'hui. 
Mais  surtout  pas  un  mot  du  présent.  Je  l'écrirais  avec  une  plume  de 
feu  trempée  dans  du  fiel.  Aussi  bien,  puisque  me  voilà  écrivant  mon 
voyage,  je  suis  bien  aise  qu'il  y  ait  de  tout,  et  que  la  chose  dont  il 
soit  le  moins  question  soit  précisément  mon  voyage.  Commençons. 

Ferai-je  une  préface?  Oui.  Il  en  faut  une.  C'est  indispensable  et  je 
veux  faire  un  ouvrage  complet.  Passons  à  la  préface. 

Mémoires  inédits. 
Préface 

J'écris  mon  histoire  pour  me  désennuyer  (Fin.) 

Bien.  Je  ne  vois  pas  ce  qu'on  peut  dire  de  plus  et  de  mieux.  Cela  est 
véritable,  positif,  clair,  concis.  On  voit  tout  d'abord  ce  que  je  veux 
dire.  —  Passons  au  chapitre  premier,  pour  suivre  les  rùgles  de  l'art, 
il  faudrait  faire  un  peu  l'histoire  de  mes  parents  et  mĂȘme  remonter 
à  celle  de  leurs  parents  à  la  seconde  ou  troisiÚme  génération.  Mais 
comme  je  n'ai  pas  le  temps  et  que  je  prétends  finir  mon  ouvrage 
avant  de  dĂźner,  je  passe  Ă   ma  propre  histoire. 


Je  naquis  dans  la  rue  MĂȘlĂ©e  (sic)  l'an  XII  de  la  rĂ©publique.  Ma  mĂšre 
Ă©tait  au  bal.  J'arrivais  entre  la  chaĂźne  anglaise  et  la  queue  du  chat. 

On  n'eut  que  le  temps  de  m'envelopper  dans  un  fichu  de  crĂȘpe  rose 
et  de  m'emporter.  C'Ă©tait  d'un  bon  augure,  dit-on.  Les  augures  ne  se 
justifient  que  quand  ils  annoncent  le  mal. 

Le  lecteur  voit  que  dÚs  le  début  c'est  là  en  abrégé  la  vraie 
Histoire  de  ma  vie  qui  ne  présente  qu'une  version  développée 
de  ces  mémoires  premiers.  Nous  y  trouvons  notamment  et  h  l'his- 
toire des  parents  et  mĂȘme  celle  de  leurs  parents  Ă   la  seconde  et 
troisiÚme  générations  »,  histoire  qui  doit  expliquer  et  faire  pro- 
noncer l'absolution  sur  bien  des  faits  de  la  vie  de  l'auteur,  et 
le  «  premier  chapitre  »  commençant  par  le  récit  de  sa  naissance 
en  «  l'an  XII  de  la  RĂ©publique  »,  et  mĂȘme,  au  vol  de  la  plume, 
la  remarque  amĂšrement  ironique  sur  ce  que  les  pronostics  gais 
et  roses  accompagnant  la  venue  au  monde  de  l'auteur  de  LĂ©lia 
et  du  Journal  de  Piffoël  et  lui  prophétisant  un  avenir  riant,  ne  se 
sont  pas  justifiés.  Puis  vient  une  série  de  petits  chapitres  qui 
ne  présentent  pour  le  lecteur  qui  connaßt  YHistoire  de  ma  vie 
et  l'histoire  réelle  des  premiÚres  années  de  George  Sand,  qu'un 


328  GEORGE    SAND 

précis  de  tout  ce  qu'il  a  lu  ;  c'est  pour  cela  que  ces  petits  chapitres 
nous  intéressent,  C'est  Y  Histoire  de  ma  vie  en  germe  : 

II 

Je  fus  mise  en  sevrage  Ă   Chaillot,  pendant  que  ma  mĂšre  partit  pour 
l'Italie  (1).  Clotilde  et  moi  demeurĂąmes  lĂ   chez  une  bonne  femme 
jusqu'Ă   deux  ou  trois  ans. 

On  nous  apportait  le  dimanche  Ă   Paris  sur  un  Ăąne,  chacune  dans 
un  panier  avec  les  choux  et  les  carottes  qu'on  vendait  Ă   la  halle. 

III 

Ma  grand'mĂšre  me  prit  et  fit  de  moi  une  demoiselle.  J'arrivais 
d'Espagne.  J'avais  la  fiĂšvre,  la  gale  et  des  poux.  On  m'apprit  Ă   lire, 
on  me  décrassa,  Je  devins  gentille,  un  peu  colÚre  pourtant. 

IV 

Je  jouais  Ă   colin-maillard,  Ă   traĂźne  ballet,  Ă   la  main-chaude,  voire  Ă  
l'oie.  J'avais  un  précepteur. 

Le  chapitre  V  manque. 

Il  est  Ă©vident  qu'Aurore  Dudevant  saute  sa  vie  de  couvent, 
ce  qu'elle  n'Ă©vita  pas  lorsqu'elle  parla  de  sa  vie  plus  tard.  Mais 
en  1827  il  est  probable  qu'elle  ne  voulait  pas  parler  à  la  légÚre 
de  ses  impressions  pieuses.  Donc,  immédiatement  aprÚs  le  cha- 
pitre IV,  vient  le  chapitre  VI. 

VI 

Quand  j'eus  seize  ans,  on  s'aperçut  comme  j'arrivais  du  couvent 
que  j'Ă©tais  une  jolie  fille. 

J'Ă©tais  fraĂźche  quoique  brune.  Je  ressemblais  Ă   ces  fleurs  de  buisson, 
un  peu  sauvages,  sans  art,  sans  culture,  mai3  de  couleurs  vives  et 
agréables.  J'avais  une  profusion  de  cheveux  presque  noirs  qui  sont 
devenus  depuis  presque  blonds.  En  me  regardant  dans  une  glace,  je 
puis  dire  pourtant  que  je  ne  me  suis  jamais  fait  grand  plaisir.  Je  suis 
noire,  mes  traits  sont  taillés  et  non  pas  finis.  On  dit  que  c'est  l'expres- 
sion de  ma  figure  qui  la  rend  intéressante.  Et  je  le  crois  car  en  me  regar- 
dant de  sang-froid,  comme  je  me  regarde  toujours,  je  n'ai  jamais 
pu  comprendre  comment  on  a  fait  attention  Ă   moi.  Mes  yeux,  qu'on  a 
vantĂ©s  souvent,  me  semblent  froids  et  bĂȘtes.  D'oĂč  je  conclus  qu'il  faut 

(1)  Cf.  avec  ce  qui  a  été  dit  à  la  page  93  de  notre  premier  volume,  surtout 
la  noie  Ă   cette  page. 


GEORGE   SAND  329 

qu'une  femme  s'aime  beaucoup  pour  avoir  de  l'expression  dans  la 
figure  lorsqu'elle  se  regarde  et  pour  se  trouver  jolie.  Si  je  me  voyais 
dans  les  yeux  de  quelqu'un  que  j'aime,  je  serais  sans  doute  plus  con- 
tente de  l'ouvrage  de  ma  mĂšre. 

On  retrouve  bien  dans  Y  Histoire  de  ma  vie  ce  mĂȘme  portrait, 
rien  qu'un  peu  modifiĂ©  selon  l'annĂ©e  un  peu  ultĂ©rieure  oĂč  il 
fut  tracĂ©,  1847,  annĂ©e  oĂč  YHistoire  de  ma  vie  fut  commencĂ©e. 

VII 

J'avais  l'humeur  gaie  et  pourtant  rĂȘveuse.  Car  il  y  a  des  contrastes 
dans  tous  les  caractĂšres  et  surtout  dans  le  mien.  L'expression  la  plus 
naturelle  à  mes  traits  était  la  méditation. 

Et  il  y  avait,  disait-on,  dans  ce  regard  distrait,  une  fixité  qui  res- 
semblait Ă   celle  du  serpent,  lorsqu'il  fascine  sa  proie.  Du  moins  c'Ă©tait 
la  comparaison  ampoulée  de  mes  adorateurs  de  province.  Un  d'eux 
surtout  s'y  laissa  prendre,  tandis  que  je  lui  préférais  Colette. 

VIII 

J'eus  dix-sept  ans.  En  vérité,  ai-je  jamais  eu  dix-sept  ans?  C'est 
si  loin  que  si  l'on  ne  m'assurait  qu'il  est  une  Ă©poque  dans  la  vie  oĂč 
personne  ne  peut  passer  sans  compter  dix-sept  ans,  je  croirais  que  je 
n'ai  jamais  vu  cette  belle  saison. 

Je  commençais  les  veilles  et  les  larmes. 

IX,  X  et  XI 

Je  perdis  ma  bienfaitrice,  mon  bonheur  et  ma  beauté. 

X 

Ma  mĂšre... 

XI 

Ma  sƓur  me  repoussa  et  me  trahit. 

XII 

Mon  frÚre...  fut  toujours  bon,  mais  faible.  H  ne  sut  pas  me  défendre. 

XIII 

On  chassa  André,  on  m'Îta  tous  ceux  que  j'aimais.  Arrachée  à 
Nohant  ma  patrie,  seule  et  désolée,  il  me  restait  un  pauvre  chien 
qui  m'Ă©gayait  par  ses  folies.  On  m'ĂŽta  mon  pauvre  chien  (1). 

(1)  Nous  avons  raconté  dans  le  chap.  iv  de  notre  premier  volume  com- 
ment la  mĂšre  d'Aurore  Dupin,  aprĂšs  la  mort  de  son  aĂŻeule,  se  mit  Ă   gouverner 


330  GEORGE    SAXD 

XVI  OU  XVII 

Quand  je  fus  mariée,  j'eus  un  fils,  et  il  y  a  encore  un  ou  deux  cha- 
pitres qui  me  sont  absolument  sortis  de  la  mémoire.  Si  l'on  me  mon- 
trait quelque  chose  qui  eût  rapport  à  ce  temps-là,  je  tressaillerais 
peut-ĂȘtre  d'effroi  ou  de  douleur. 

Mais  si  l'on  ne  m'en  parle  pas,  je  n'y  songe  pas.  Je  n'ai  pourtant 
pas  le  don  de  l'oubli.  J'ai  le  sentiment  du  passé  si  je  n'en  ai  le  souvenir. 
Hélas  !  et  quand  je  regarde  mon  teint  flétri,  ma  vieillesse  anticipée  (1), 
quand  je  sens  dans  mon  cƓur  Ă©teint,  glacĂ©,  quand  je  sens  dans  mon 
corps  des  douleurs  affreuses,  fruits  amers  du  désespoir,  des  sanglots 
renfermés  et  des  tristes  veilles,  je  vois  bien  que  j'ai  vécu.  Je  n'ai  pas 
besoin  de  me  rappeler  quels  jours  commencĂšrent  ma  ruine  et  quels 
jours  la  finirent. 

XX 

Le  cƓur  demeura  pur  comme  le  miroir. 
Eh!  ogni  respiro  appanna. 

Il  fut  ardent,  il  fut  sincĂšre,  mais  il  fut  aveugle  ;  on  ne  put  le  ternir, 
on  le  brisa. 

XXI 

Je  partis  pour  les  Pyrénées...  Qu'est-ce  que  j'entends  là?  Déjà  le 
dĂźner?  J'ai  donc  bien  rĂȘvassĂ©  au  lieu  d'Ă©crire  !  Oui,  j'ai  fait  une  pause 
aprÚs  chaque  chapitre  et  les  deux  heures  sont  écoulées,  et  je  n'en  suis 
qu'à  la  moitié.  Que  dis-je?  Je  ne  fais  que  commencer...  Allons,  ce  sera 
pour  un  second  volume,  en  attendant,  envoyons  celui-ci  Ă   un  libraire, 
Ă   M.  Panckouke  ou  Ă   M.  Ladvocat?  A  M.  Ladvocat  : 

Monsieur,  je  vous  envoie  mon  ouvrage.  Il  est  bon,  c'est  moi  qui  vous 
le  dis. 

Je  suis  avec  considération... 

C'est  par  cette  allÚgre  drÎlerie  que  les  mémoires  se  terminent 
soudain  :  plus  loin  on  y  voit  la  suite  du  journal  du  voyage,  jour 
par  jour,  l'auteur  jase  avec  une  spontanéité  toute  prime-sautiÚre 
sur  tous  les  «  baigneurs  »  et  tous  les  incidents  survenus  dans  la  pe- 
tite ville  d'eaux  ;  nous  voyons  apparaßtre  quantité  de  personnages 
plus  ou  moins  comiques  (MM.  LesĂšne,  Ramond  et  mĂȘme  un  Russe 


l'existence  de  sa  fille  et  comment  elle  débuta  dans  ce  rÎle  en  la  privant  de 
son  chien  favori,  de  son  petit  groom  et  eu  jetant  par  la  fenĂȘtre  tous  ses  livres. 
(1)  N'oublions  pas  que  celle  qui  Ă©crivait  ces  lignes  avait  Ă   ce  moment  Ă  
peine  vingt-trois  ans  I 


GEORGE   SAND  33 1 

qui  porte  le  nom  estropié  de  Kologrigo//  et,  on  ne  sait  pas  trop 
pourquoi,  parle  français  avec  un  accent  allemand  !).  Et  au  mi- 
lieu de  toutes  ces  petites  scĂšnes  bouffonnes,  voilĂ   que  surgissent 
tout  à  coup  deux  épisodes  ou  deux  morceaux  fort  poétiques  : 
ime  page  lyrique  adressée  à  Vùne  qui  portait  la  petite  Aurore 
sur  son  dos  de  Paris  Ă   Chaillot,  et  une  autre  page  que  Fauteur 
prĂ©tend  ĂȘtre  fortuitement  trouvĂ©e  dans  son  journal,  intitulĂ©e 
les  Corbeaux  et  écrite  dans  un  style  parfaitement  imité  de  Cha- 
teaubriand ou... de  LĂ©lia.  Puis,  dans  la  Seconde  partie  :  Voyage 
en  Espagne,  Aurore  Dudevant  raconte  Ă   peu  prĂšs  tout  ce  qu'elle 
conta  plus  tard  dans  YHistoire  de  ma  vie  du  voyage  qu'elle  fit 
avec  sa  mĂšre  pour  rejoindre  M.  Dupin  en  Espagne  et  toutes  ses 
impressions  enfantines  d'alors.  Nous  ne  nous  arrĂȘterons  point 
sur  cette  fin  de  la  premiĂšre  partie  du  Journal  de  voyage,  surtout 
important  comme  témoignage  du  talent  inné  et  spontané  de 
George  Sand.  H  se  dégage  de  ces  lignes  écrites  au  courant  de  la 
plume,  tant  de  précision  dans  les  expressions,  tant  d'observa- 
tion des  caractÚres,  tant  de  puissance  poétique,  d'humour  et 
tant  de  nostalgie  désespérée  qu'on  a  peine  à  croire  que  leur 
auteur  n'était  qu'une  femme  de  vingt-trois  ans,  mariée  à  un 
hobereau  médiocre,  passant  ses  vacances  dans  une  ville  d'eaux, 
au  milieu  d'un  tas  d'adorateurs  ennuyeux,  et  qui  joue  de  sa  plume 
comme  d'autres  jouent  de  l'éventail.  Nous  avons  déjà  noté  cet 
éveil  spontané  du  talent  de  George  Sand  ;  ce  qui  nous  importe 
c'est  de  marquer  la  ressemblance  des  Souvenirs  d'Auvergne  avee 
VEistoire  de  ma  vie.  Ce  n'est  pas  seulement  le  plan  général,  mais 
mĂȘme  la  maniĂšre  de  raconter,  le  procĂ©dĂ©  et  le  point  de  dĂ©part 
sont  identiques.  Il  est  vrai  que  la  jeune  femme  de  vingt-trois 
ans  ne  peint  que  ses  sentiments  personnels  et  ses  propres  pensées, 
tandis  que  la  femme  de  quarante-trois  trouve  nĂ©cessaire  de  mĂȘler 
à  son  récit  des  réflexions  et  des  raisonnements  sur  des  thÚmes 
généraux.  Mais,  dÚs  que  la  narration  touche  à  des  événements 
trop  intimes,  nous  voyons  apparaĂźtre  Ă   la  place  de  George  Sand, 
l'auteur  du  Voyage  au  Mont-Dore.  Si  on  n'envisage  que  les  deux 
préfaces,  on  peut  croire  que  les  deux  auteurs  avaient  deux  buts 
différents.  «  Pourquoi  ce  livre?  »  Aurore  Dudevant  répond  :  pour 


332  GEORGE    SAND 

tuer  le  temps,  George  Sand  prétend  que  le  récit  sincÚre  et  véri- 
dique  de  la  vie  de  chaque  homme  peut  servir  Ă   tous  les  hommes  : 
la  loi  de  la  solidarité  oblige  chacun  à  partager  avec  les  autres 
les  fruits  de  son  expérience,  de  ses  réflexions  et  de  ses  peines... 
Mais  lorsque  l'auteur  commence  son  récit  et  nous  conte  l'histoire 
de  ses  parents,  de  ses  ancĂȘtres,  sa  naissance,  son  enfance  Ă   Paris 
et  Ă   Chaillot,  son  voyage  en  Espagne,  les  efforts  de  sa  grand'mĂšre 
«  à  faire  une  demoiselle  »  de  la  petite  sauvageonne  qu'elle  était, 
les  «  excentricités  »  de  sa  mÚre,  la  liberté  dont  elle  jouissait  à 
Nohant  et  ses  jeux  au  grand  air,  puis  nous  parle  d'Hippolyte, 
de  Deschartres,  de  son  couvent,  du  retour  Ă   Nohant,  quand  elle 
Ă©voque  les  lectures  nocturnes,  la  mort  de  l'aĂŻeule,  le  divorce 
moral  avec  sa  mĂšre  (jusqu'Ă   l'exil  du  petit  chien  inclusivement), 
son  désespoir  de  jeune  fille,  son  mariage,  la  naissance  de  Maurice, 
alors  nous  reconnaissons  que  l'auteur  suit  de  point  en  point 
le  plan  tracé  dans  le  Voyage  en  Auvergne.  AprÚs  quoi,  soudain 
l'auteur  de  YEistoire,  comme  l'auteur  du  Voyage,  s'interrompt 
uniquement  pour  dire  au  lecteur  :  «  H  y  a  ici  encore  un  ou  deux 
chapitres  fort  intéressants,  mais  ils  sont  absolument  sortis  de 
ma  mémoire...  » 

Nous  lisons  dans  les  Souvenirs  d'Auvergne  des  lignes  mysté- 
rieuses sur  les  «  jours  qui  commencÚrent  ma  ruine  et  ceux  qui 
la  finirent  »,  c'est-à-dire  sur  les  malheurs  conjugaux  d'Aurore 
Dudevant,  sur  son  amour  non  moins  malheureux  pour  Aurélien 
de  SÚze,  et  immédiatement  aprÚs  :  «  Je  partis  pour  les  Pyrénées...  » 
Tout  cela  apparaĂźt  dans  YEistoire  de  ma  vie  sous  la  forme  des 
lignes  non  moins  mystĂ©rieuses  sur  «  l'ĂȘtre  »  qui  aida  Aurore  «  Ă  
supporter  sa  solitude  »,  sur  sa  rupture  finale  avec  lui,  ou  des 
pages  consacrées  au  voyage  dans  les  Pyrénées,  pleines  d'el- 
lipses mentales,  de  sous-entendus,  d'allusions  à  «  Bordeaux  », 
aux  «  chĂȘnes  de  Montesquieu,  »  Ă   la  «  BrĂšde  »  Ă   Y  Esprit  des 
lois  (1).  Et  à  travers  tout  cela  dans  les  deux  versions  des  mé- 
moires passe  comme  un  fil  rouge  la  mĂȘme  pensĂ©e  : 

«  Le  cƓur  resta  pur,  comme  le  miroir,  il  fut  ardent,  il  fut  sin- 

(1)  V.  notre  vol.  Ier,  p.  269-270. 


GEORGE    SAN D 


333 


cÚre,  mais  aveugle,  on  ne  put  le  ternir,  on  le  brisa  »...  dit  l'auteur 
du  Voyage  en  Auvergne. 

«  Voici  le  récit  de  mes  désillusions,  de  mes  chagrins,  de  mes 
erreurs,  mais  le  cƓur  resta  pur  et  sincùre,  il  ne  connut  pas  le 
bonheur,  je  ne  trouvais  que  des  bonheurs...  je  me  suis  abusée,  on 
ne  put  ternir  mon  cƓur,  on  le  brisa  »  semble  aussi  dire  l'auteur 
de  YHistoire.  C'est  ainsi  que  le  bilan  et  le  résumé  des  deux  ou- 
vrages est  le  mĂȘme. 

«  Je  partis  pour  les  Pyrénées...  Qu'est-ce  que  f  entends  là?...  Déjà 
le  dßner?...  »  Est-ce  que  mainte  page  de  YHistoire  de  ma  vie  n'est 
pas  la  copie  exacte  de  ce  tour  d'idées,  de  cette  phrase  si  brusque- 
ment et  on  dirait  si  spontanément  interrompue?  Combien  de 
fois  le  lecteur  de  YHistoire,  arrivant  à  un  épisode  décisif  de  la 
vie  de  l'auteur,  s'attend  à  voir  ses  pensées  profondes  aboutir  à 
une  vraie  confidence... 

Mais  non  !  Qu'est-ce  que  f  entends  lĂ ?  DĂ©jĂ   le  dĂźner?  ou  bien  : 
H  y  a  encore  un  ou  deux  chapitres  fort  intéressants,  mais  ils  sont 
absolument  sortis  de  ma  mémoire!  C'est  ainsi  que  le  récit  à  peine 
commencé  du  voyage  de  Venise  et  de  la  maladie  de  Musset  est 
soudain  coupé  par  la  description  des  théùtres  vénitiens  et  par 
des  phrases  jetées  au  hasard  sur  la  célÚbre  Pasta,  sur  le  séjour 
du  peintre  Robert  et  du  chanteur  Geraldi  dans  cette  ville,  puis 
vient  une  série  d'anecdotes  sur  la  police  autrichienne  et  ses  for- 
faits et  le  chapitre  sur  Venise  est  clos  ! 

Ou  bien,  le  compte-rendu  des  désaccords  matrimoniaux  se 
termine  par  la  page  lyrique  adressée  au  grillon  (1)  tout  comme 
le  Voyage  au  Mont-Dore  se  termine  par  les  digressions  lyriques 
adressĂ©es  Ă   Y  Ăąne  et  aux  corbeaux.  Et  la  fin  mĂȘme  de  YHistoire  de 
ma  vie  est  de  point  en  point  le  pendant  de  la  conclusion  du  Voyage 
en  Auvergne  :  l'auteur  arrive  Ă   1846,  il  dit  quelques  mots  assez 
vagues  sur  la  rupture  avec  Chopin,  sur  1849,  puis  il  esquisse  le 
portrait  de  plusieurs  amis  et  connaissances,  rencontrés  dans  la 
ville  d'eaux...  pardon! au  milieu  du  Paris  politique  et  artistique 
et  puis  «  Déjà  le  dßner?  »  et  c'est  fini  ! 

(1)  V.  notre  vol.  I«,  p.  301-302,  et  YHistoire  de  ma  vie,  p.  59-60,  vol.  IV. 


334  GEORGE    SAND 

«  Je  n'avais  pas  eu  de  bonheur  dans  toute  cette  phase  de  mon 
existence...  J'avais  eu  des  bonheurs,  c'est-Ă -dire  des  joies  dans 
i'amour  maternel,  dans  l'amitié,  dans  la  réflexion  et  dans  la 
rĂȘverie...  je  sens  ma  conscience  assez  saine  et  ma  religion  assez 
bien  Ă©tablie,  pour  saisir  le  vrai  jour  dans  le  passĂ©...  mon  cƓur, 
deux  fois  brisé,  cent  fois  navré,  s'est  défendu  de  l'horreur  du 
doute...  » 

M  dans  ses  Lettres  d'un  voyageur,  ni  dans  le  Journal  de  Pif- 
fo'él,  George  Sand  ne  s'approcha  autant  de  ce  plan  projeté  de  ses 
MĂ©moires  qu'elle  le  fit  dans  l'Histoire  de  ma  vie.  Ceci  est  digne 
de  toute  signification,  de  toute  remarque.  Ceci  prouve  l'unité 
de  conception  de  la  jeune  femme  qui  n'a  encore  ni  écrit,  ni  vécu, 
et  de  l'écrivain  arrivé  tout  ensemble  au  seuil  de  la  vieillesse  et 
au  faĂźte  de  la  gloire,  croyant  aprĂšs  tant  d'Ă©preuves  avoir  fait  Ă  
i'amour  ses  adieux.  «  Voici  ce  que  la  vie  et  les  hommes  firent  de 
l'enfant  rĂȘveur  »,  semble  dire  George  Sand  au  lecteur  dans  les 
deux  versions.  Mais  dans  l'Histoire  elle  ajoute  :  «  Et  voici  com- 
ment je  me  façonnai  moi-mĂȘme,  voici  le  chemin  que  je  parcourus 
depuis  le  berceau  jusqu'à  l'ùge  mûr,  voici  les  étapes  de  ma  pensée, 
voici  comment  s'élargirent  mes  horizons...  »  Et  d'accord  avec  ce 
plan  général  l'écrivain  divise  toute  sa  narration  en  rubriques 
qui  correspondent  aux  Ă©tapes  de  ce  chemin  spirituel,  et  les  inti- 
tule : 

Histoire  d'une  famille  de  Fontenoy  Ă   Marengo. 

Mes  premiÚres  années. 

De  l'enfance  Ă   la  jeunesse. 

Du  mysticisme  à  V indépendance. 

Vie  littéraire  et  intime. 

:Sous  ne  suivrons  plus  l'histoire  du  développement  moral  de 
G.  Sand  tel  qu'il  est  peint  dans  l'Histoire  de  ma  vie,  ainsi  que  les 
faits  de  sa  vie  intime  ou  extérieure  :  le  leeteur  connaßt  tout  cela. 

Quant  à  rendre  compte  de  ce  que  contient  cette  Ɠuvre,  c'est 
impossible  :  ce  chapitre  prendrait  la  dimension  du  livre  mĂȘme, 
parce  qu'il  faudrait  alors,  page  par  page,  démontrer  comment 
le  récit  de  la  guerre  d'Espagne,  par  exemple,  donne  à  l'auteur 


GEORGE   SAND  335 

le  prétexte  de  faire  une  digression  sur  le  patriotisme  espagnol  » 
le  nom  d'Alexandre  Ier  —  celui  de  mettre  en  doute  le  patrio- 
tisme des  Russes  et  les  causes  de  l'incendie  de  Moscou,  —  le  sys- 
tĂšme d'Ă©dueation  pratiquĂ©  par  la  grand'mĂšre  —  d'Ă©mettre  ses 
propres  thĂ©ories  pĂ©dagogiques  ;  les  fables  de  La  Fontaine  —  de 
polémiser  avec  Jean-Jacques  Rousseau  ;  le  nom  de  son  ami  Rol- 
linat  —  de  parler  de  sa  maniĂšre  de  comprendre  l'amitiĂ©  et  les 
idées  étranges  que  les  anciens,  Grecs  et  Romains,  avaient  là- 
dessus,  etc.,  etc.,  etc.,  jusqu'à  des  chapitres  entiers  consacrés  à 
Maurice  de  Saxe,  Marie  Dorval  ou  à  la  polémique  contre  les  doc- 
trines d'Armand  Carrel  et  de  Jules  Favre.  Il  n'est  possible  ni 
de  redire  ni  de  résumer  tout  cela.  C'est  une  vraie  petite  encyclo- 
pédie de  pensées,  d'opinions,  de  doctrines,  de  sentiments,  d'im- 
pressions. Mais  il  est  peu  d' Ɠuvres  de  George  Sand  qui  attirent, 
enchantent  et  subjuguent  autant  le  lecteur.  Ce  roman  de  sa  vie 
est  plus  intéressant  que  tous  ses  romans  imaginés,  il  est  écrit 
avec  une  maestria  incomparable,  et  il  est  tout  Ă   fait  impossible 
en  le  lisant  de  ne  pas  ĂȘtre  captivĂ©  par  le  charme  de  la  femme  et 
de  l'Ă©crivain.  H  suffit  de  lire  YHistoire  de  ma  vie  pour  s'Ă©prendre 
de  George  Sand,  et  nous  comprenons  parfaitement  que  lorsque 
ces  Mémoires  parurent  George  Sand  reçut  de  tous  les  points  de 
la  France  des  lettres  enthousiastes,  lui  rĂ©pĂ©tant  les  mĂȘmes 
choses  :  «  Vous  vous  ĂȘtes  rĂ©vĂ©lĂ©e  Ă   nous,  nous  vous  aimons, 
nous  vous  comprenons,  parlez  encore,  parlez-nous  de  vous- 
mĂȘme,  vous  nous  ĂȘtes  chĂšre  et  proche...  » 

Nous  avons  entre  les  mains  un  gros  paquet  de  ces  lettres 
adressées  à  George  Sand  à  l'occasion  de  YHistoire  de  ma  vie  et 
on  ne  peut  pas  les  lire  sans  ĂȘtre  profondĂ©ment  Ă©mu.  Il  est  gran- 
dement attrayant  de  voir  que  l'écrivain  a  trouvé  le  chemin  du 
cƓur  de  ses  lecteurs  et  selon  le  mot  de  Tolstoï  sut  rendre  ses 
sentiments  et  ses  pensées  «  contagieux  ».  Un  lien  étroit  s'établit 
entre  l'Ă©crivain  et  ceux  qui  le  comprirent.  Nous  avons  lu  des 
lettres  de  femmes  du  monde,  de  simples  fantassins,  de  sous-offi- 
ciers, de  travailleurs,  de  généraux,  d'amies  de  couvent  qui  se 
sont  reconnues  dans  les  portraits  tracés,  de  curés  de  village  dont 
les  uns  protestent  contre  les  idées  qu'elle  a  émises,  et  les  autres 


336  GEORGE    SAND 

l'en  remercient.  Quelques-unes  de  ces  lettres  se  rattachent  Ă  
certains  faits  de  l'autobiographie  de  Mme  Sand.  Un  docteur  de 
la  RiviÚre  prétendait,  au  nom  de  la  famille  de  Home,  que  le 
premier  niari  de  Marie- Aurore  de  Saxe,  le  comte  de  Rom,  n'Ă©tait 
point  un  bùtard  de  Louis  XV,  ni  d'origine  suédoise  et  que  son 
nom  s'écrivait  avec  un  e  final.  La  comtesse  Fanny  d'Huteau,  née 
de  la  MaiiiÚre,  rectifiait  certains  détails  établissant  les  relations 
de  sa  mĂšre  avec  l'aĂŻeule  et  le  pĂšre  d'Aurore  Dudevant,  que  cette 
derniÚre  n'avait  pas  esquissées  assez  exactement  dans  le  chapitre 
oĂč  sont  portraiturĂ©es  toutes  les  «  vieilles  comtesses  »  du  salon  de 
cette  aĂŻeule;  la  comtesse  d'Huteau  envoya  Ă   George  Sand  les 
lettres  autographes  de  Marie-Aurore  Dupin  de  Francueil  et  de 
son  fils  adressĂ©es  Ă   Mme  de  la  MarliĂšre.  De  mĂȘme  M.  Vieillard, 
Mlle  Virginie  Caseau,  M.  Vallet  de  Villeneuve,  le  baron  PĂ©tiet, 
et  d'autres,  firent  parvenir  Ă   George  Sand  des  documents  et  des 
renseignements  trÚs  intéressants,  pour  rectifier  différentes  erreurs 
de  sa  narration,  par  rapport  à  son  grand-oncle  l'abbé  de  Beau- 
mont,  au  vieux  M.  Pierret,  au  général  Pétiet,  au  maßtre  de  calli- 
graphie M.  de  Lhomond,  et  d'autres.  George  Sand  garda  toutes 
ces  lettres  dans  une  enveloppe  spéciale  avec  cette  inscription  : 
«  A  consulter  pour  V édition  définitive  de  ^Histoire  de  ma  vie.  » 
Quant  aux  renseignements  se  rapportant  en  particulier  Ă   son 
grand-oncle,  Godefroy,  bùtard  de  Bouillon,  plus  tard  abbé  de 
Beaumont,  elle  en  fit  usage  en  Ă©crivant  sa  petite  biographie  qui, 
parue  dans  le  Temps,  en  1875,  sous  le  titre  de  Mon  grand-oncle, 
sert  d'appendice  aux  chapitres  ni  (vol.  I",  2e  partie)  et  n 
(vol.  II,  3e  partie)  de  Y  Histoire  de  ma  vie  et  devrait  au  fond  y  ĂȘtre 
incluse  comme  est  inclus  le  chapitre  sur  Maurice  de  Saxe  (1). 

Bref,  nous  voyons  que  chacune  des  lignes  de  YEistoire  de  ma 
vie  trouvait  un  Ă©cho  parmi  les  lecteurs.  Sans  parler  des  sorties 
véhémentes  de  Pontmartin,  nous  devons  noter  que  beaucoup  de 

(1)  George  Sand  fit  encore  paraĂźtre  dans  ce  mĂȘme  journal  (le  Temps  de 
1875-76)  quelques  esquisses  biographiques  ou  autobiographiques  se  rappor- 
tant à  des  épisodes  de  sa  vie  ou  à  des  personnages  qu'elle  avait  rencontrés, 
tels  sont  :  Voyage  chez  M.  Biaise  (ce  M.  Biaise  est  Adolphe  Duplomb  selon 
les  uns  et  selon  d'autres  M.  Biaise  Meure,  en  1831  substitut  Ă   La  ChĂątre, 
plus  tard  procureur  Ă   Clamecy),  la  Blonde  PhƓbĂ©,  Une  nuit  d'hiver,  etc.,  etc. 


GEORGE   SAND  337 

personnes  mĂȘme  parmi  les  amis  de  Mme  Sand  —  François  Liszt 
entre  autres  —  furent  choquĂ©es  par  la  franchise  avec  laquelle 
elle  parle  du  passĂ©  de  sa  mĂšre  et  condamnaient  —  peut-ĂȘtre 
avec  raison  —  cet  excùs  de  franchise.  D'autres,  comme  Charles 
Mazade,  relevaient,  avec  justesse  aussi,  les  «  anachronismes  psy- 
chologiques »  de  Y  Histoire  de  ma  vie,  que  nous  avons  aussi  notés 
dans  le  premier  chapitre  de  notre  premier  volume  :  en  effet, 
lorsque  George  Sand  Ă©crivait  ses  MĂ©moires  dans  les  derniers  mois 
de  1847  et  les  premiĂšres  semaines  de  1848,  Ă   la  veille  de  la  RĂ©vo- 
lution, et  lorsqu'elle  les  continua  plus  tard,  immédiatement 
aprĂšs  la  dĂ©bĂącle  de  la  deuxiĂšme  RĂ©publique,  au  moment  oĂč  ses 
adeptes,  amis  de  l'auteur,  se  morfondaient  en  exil,  ou  mĂȘme  Ă©taient 
déportés  et  malheureux,  elle  était  en  proie  aux  sentiments  les 
plus  républicains  et  démocratiques,  vibrante  d'indignation  et 
de  protestation  contre  le  parti  conservateur.  Elle  transporta 
alors  tous  ces  sentiments  dans  le  passé,  jugeant  beaucoup  de 
faits  et  d'événements  de  ses  jeunes  années  à  travers  le  prisme 
de  ses  impressions  du  moment  ;  elle  décrivit  ainsi  beaucoup  de 
faits  anciens  l'esprit  influencé  par  1848  ;  elle  donna  à  ses  sorties 
juvéniles,  trÚs  crùnes,  dictées  le  plus  souvent  par  les  élans  de  sa 
nature  indépendante  et  libre,  la  signification  de  républicanisme 
conscient,  de  dĂ©mocratisme  et  mĂȘme  de  socialisme.  Nous  avons 
déjà  fait  allusion  à  cela  dans  le  chapitre  rv  du  volume  Ier,  lorsque 
nous  avons  parlé  de  la  vie  d'Aurore  Dupin  à  la  campagne  et  de 
ses  disputes  avec  Deschartres  sur  la  propriĂ©tĂ©  rurale  et  mĂȘme 
toute  propriété  en  général.  D'autre  part  il  est  hors  de  doute  que 
les  relations  amicales  de  George  Sand  et  de  Maurice  Sand,  fraĂź- 
chement liés  en  1852,  avec  le  prince  JérÎme  et  le  rapproche- 
ment avec  les  napoléonides  en  général  se  reflétÚrent  aussi  rétros- 
pectivement d'une  maniÚre  trÚs  prononcée  dans  les  pages  de 
l'Histoire;  tout  ce  qu'il  y  avait  de  bonapartiste  dans  le  milieu  qui 
entourait  Aurore  Dupin  et  plus  tard  Aurore  Dudevant  est 
comme  souligné  :  les  services  rendus  à  Mme  Sand  par  le  baron 
Haussmann  lors  de  l'enlĂšvement  de  Solange  par  son  pĂšre, 
en  1837,  sont  notés  avec  une  complaisance  bien  marquée,  de 
mĂȘme  l'amitiĂ©  avec  Mme  Rose-Anne  (ou  Rozanne)  Bourgoing 

IV.  22 


338  GEORGE   SAND 

(Mme  Curton,  plus  tard)  et  l'impression  sympathique  et  favo- 
rable produite,  en  1834,  par  un  jeune  homme  rencontré  chez  elle, 
inconnu  alors,  trop  connu  plus  tard  —  M.  Fialin  de  Persi- 
gny,  etc. 

D'autres  critiques  encore  déploraient  l'étendue  des  chapitres 
préliminaires  de  YHistoire,  ce  qui  est  aussi  vrai.  Mais  nous  avons 
déjà  noté  dans  le  chapitre  n  de  notre  premier  volume  avec  quelle 
maßtrise  George  Sand  avait,  justement  dans  ces  chapitres  pré- 
tendus inutiles,  préparé  pour  ses  futurs  biographes  les  matériaux 
et  les  éléments  qui  servent  à  éclaircir  ses  traits  héréditaires  et 
les  particularités  qu'elle  a  déjà  apportées  en  elle  en  venant  au 
monde. 

D'autres  encore  s'indignaient  contre  les  continuels  passages 
tacites  (que  nous  avons  notés)  ou  les  sauts  par-dessus  une  quan- 
tité d'épisodes  fort  intéressants.  Mais  nous  avons  déjà  dit  dans 
les  toutes  premiĂšres  pages  de  notre  travail  que  George  Sand 
comme  Catherine  II,  en  sa  qualité  de  femme,  ne  pouvait  et  ne 
devait  pas  parler  de  toutes  choses  avec  la  franchise  de  Jean- 
Jacques  ■  c'aurait  Ă©tĂ©  cynique  et  inutile.  L'Histoire  de  ma  vie, 
telle  qu'elle  est,  est  un  livre  extrĂȘmement  instructif,  outre  qu'il 
est  rempli  de  pensées  et  de  sentiments  profonds.  Nous  sommes 
sĂ»rs  qu'il  sera  lu  avec  plaisir  et  enthousiasme,  mĂȘme  s'il  vient 
un  jour  oĂč  les  autres  Ɠuvres  de  George  Sand  sont  oubliĂ©es.  C'est 
le  rĂ©cit  d'une  Ăąme,  le  journal  d'un  grand  cƓur,  le  miroir  oĂč  se 
reflÚte  une  série  d'étapes  traversées  par  un  esprit  profond  et 
chercheur  dans  sa  poursuite  de  la  vérité  et  de  la  justice  sur  cette 
terre,  dans  son  désir  de  trouver  la  solution  du  problÚme  uni- 
versel. Mais  remarquons  encore  que  si  George  Sand  n'a  pas  conté 
elle-mĂȘme  toute  sa  vie,  elle  a,  en  toute  conscience,  pris  ses 
mesures  pour  qu'on  le  fßt  aprÚs  elle  ;  si  elle  avait  réellement 
voulu  tirer  le  rideau  sur  certains  Ă©pisodes  de  sa  biographie,  elle 
n'aurait  pas  gardé  dans  ses  archives  certaines  correspondances. 
Or,  non  seulement  elle  les  garda,  mais  encore  elle  en  munit  plu- 
sieurs d'inscriptions  ainsi  conçues  :  «  A  prendre  des  dates  »,  o  à 
consulter  pour  V édition  définitive  de  V  Histoire  de  ma  vie  »,  «  à 
garder  et  à  consulter  »,  «  à  publier  ».  Cela  prouve  combien  George 


GEORGE   SAND  339 

Sand  désirait  que  son  histoire  vraie  et  entiÚre  fût  écrite  un  jour 
et  combien  elle  en  avait  soigneusement  préparé  tous  les  éléments. 

Dans  Y  Histoire  de  ma  vie,  commencée  en  1847,  le  récit  n'est 
suivi  que  jusqu'en  1844.  Dans  les  toutes  derniĂšres  pages,  comme 
nous  avons  vu,  il  y  a  quelques  lignes  obscures  sur  les  événements 
de  1846  (la  scĂšne  dans  le  petit  bois  Ă   propos  de  la  rupture  morale 
avec  Chopin)  (1),  puis  il  y  est  dit  quelques  mots  sur  la  mort  de 
Chopin  et  d'Hippolyte  en  1849,  mais  nous  n'y  trouvons  déjà 
absolument  rien  sur  1847  et  1848.  Dans  la  Conclusion  on  peut 
encore  lire  quelques  lignes  vagues  sur  les  malheurs  qui  déchi- 
rĂšrent la  vie  de  l'auteur  «  en  1847  et  en  1855  »,  —  cette  derniĂšre 
date  est  celle  de  la  mort  de  la  petite  Jeanne  Clésinger. 

Comme  épilogue  on  a  ajouté  à  l'édition  de  Y  Histoire  de  ma 
vie  de  Lévy  une  lettre  de  George  Sand  à  Louis  Ulbach,  datée  du 
26  novembre  1869  et  qui  est  censée  peindre  la  vie  de  l'auteur 
pendant  les  «  vingt-cinq  derniÚres  années  »  (2).  Mais  il  ne  faut 
nullement  prendre  cette  expression  au  pied  de  la  lettre,  parce 
que  ce  n'est  plutĂŽt  qu'une  digression  Ă   propos  de  la  vie  Ă   Nohant 
durant  ces  vingt-cinq  années  et  non  pas  sa  description  réelle.  Nul 
homme  ne  raconterait  une  existence  de  vingt-cinq  ans  en  trois 
pages  in-18,  mĂȘme  si  elle  avait  Ă©tĂ©  monotone  et  dĂ©pourvue  de 
tout  événement.  Or  ce  n'est  pas  précisément  de  monotonie 
qu'on  peut  taxer  la  vie  de  George  Sand.  Voici  pourquoi  nous 
avons  tùché  de  raconter  dans  les  trois  chapitres  précédents  les 
événements  de  la  vie  et  Yhistoire  de  lu  pensée  de  Mme  Sand, 
de  18-16  à  1852,  d'aprÚs  des  documents  tant  imprimés  qu'inédits. 
Puis,  nous  nous  sommes  arrĂȘtĂ©s  sur  le  Diable  aux  champs  comme 
sur  une  Ɠuvre  autobiographique,  nous  peignant  la  vie  paisible 
de  Nohant  entre  1848  et  1855,  et  surtout  comme  sur  un  livre  qui 
résume  les  idées,  les  espérances  et  les  opinions  de  George  Sand 
aprĂšs  la  tempĂȘte  de  1848-1851. 

Le  Chùteau  des  Désertes  dont  nous  avons  parlé  et  V Homme  de 


(1)  V.  notre  voL  III,  chap.  vi. 

(2)  H  faut  noter  ce  chiffre  ;  il  précise  d'une  maniÚre  parfaitement  exacte 
qu'à  partir  de  1844  (1869  —  1844  =  25)  on  ne  trouve  dans  V Histoire  de  ma 
vie  que  peu  de  données  biographiques  et  de  faitsi 


340  GEORGE   SAND 

Xeige  présentent  comme  des  appendices  au  Diable  aux  champs. 

A  partir  de  1848  Maurice  Sand  commença  à  passer  une  partie 
de  l'année  à  Paris.  Depuis  1850  il  y  passait  presque  tout  l'hiver  ; 
en  quittant  Nohant  en  septembre,  il  restait  à  Paris  jusqu'à  Noël 
ou  mĂȘme  jusqu'au  1er  janvier,  revenait  Ă   la  campagne  pour  une 
couple  de  semaines,  puis  repartait  jusqu'en  avril,  mai,  quelque- 
fois jusqu'en  juin.  En  1848  il  ne  vint  pas  du  tout  pour  les  fĂȘtes 
de  NoĂ«l  auprĂšs  de  sa  mĂšre,  et  elle  fĂȘta  la  nouvelle  annĂ©e  en 
compagnie  de  Lambert  et  de  Borie.  En  1851,  avec  Lambert  et 
Manceau.  Mme  Sand  décrit  dans  une  lettre  à  son  fils  sur  un  ton 
badin  cette  veillée  solitaire  et  raconte  comment  on  avait  tiré 
pour  Maurice  les  petites  surprises  qui  lui  étaient  destinées  et 
comment  on  fit  prĂ©sent  Ă   Mme  Sand  elle-mĂȘme  d'un  petit  «  Mau- 
rice »  en  carton  qui  surgit  soudain  d'une  boßte,  lorsqu'on  en 
pressa  le  couvercle.  Mais  on  sent  dans  cette  lettre  le  chagrin  et 
le  dépit  refoulés  de  ne  pas  avoir  vu  réaliser  son  espérance  d'em- 
brasser son  fils.  Avec  le  temps  ces  séjours  de  Maurice  à  Nohant 
s'abrégÚrent  de  plus  en  plus,  de  sorte  qu'il  ne  passait  hors  de 
Paris  que  deux  ou  trois  mois,  de  juillet  Ă   la  fin  de  septembre,  et 
encore  employait-il  une  partie  de  ces  vacances  Ă   visiter  son  pĂšre 
Ă   Guillery  oĂč  l'attirait  la  chasse.  En  1857,  Mme  Sand  Ă©crit  Ă   son 
fils  dans  sa  lettre  du  12  août  :  «  Sais-tu  que  je  ne  t'ai  pas  vu  deux 
mois  entiers  depuis  prÚs  d'un  an...  » 

Solange  venait  encore  plus  rarement  auprĂšs  de  sa  mĂšre. 
Mme  Sand  passait  donc  presque  toute  l'année  sans  sa  famille. 
H  est  vrai  qu'entre  1852  et  1855  séjournait  fréquemment  à 
Nohant  sa  petite-fille  Jeanne  (ou  NinĂź)  avec  laquelle  Mme  Sand 
jouait  des  heures  entiĂšres  ;  elle  se  promenait  ou  piochait  au  jardin 
avec  la  petite  qu'elle  adorait  !  De  plus,  aprĂšs  la  RĂ©volution  et 
surtout  la  rĂ©action  et  le  coup  d'État  de  1851,  y  sĂ©journaient,  les 
uns  temporairement,  les  autres  plus  longuement  :  Fulbert 
Martin,  Emile  Aucante,  EugĂšne  Lambert,  Victor  Borie  et 
Alexandre  Manceau.  Puis  peu  Ă   peu,  ils  retournĂšrent  Ă   Paris  ou 
à  l'étranger,  et  à  partir  de  1855  George  Sand  serait,  restée  toute 
seule  si  Manceau  n'était  pas  demeuré  à  Nohant.  Ce  dernier, 
graveur  de  profession  et  camarade  de  Maurice  Ă   l'atelier  de 


GEORGE  SAND  34, 

Delacroix,  Ă©tait  un  homme  d'humble  provenance,  mais  de 
grande  hauteur  morale,  bon,  désintéressé,  capable  d'un  dévoue- 
ment Ă   toute  Ă©preuve,  prĂȘt  Ă   tous  les  sacrifices  pour  ceux  qu'il 
aimait.  S'étant  lié  avec  Maurice,  il  devint  son  camarade  dévoué, 
partagea  tous  ses  goûts,  participa  à  tous  ses  amusements,  mais 
aussi  Ă   tous  ses  travaux  (1).  DĂšs  que  Maurice  Dudevant  entre- 
prenait quelque  Ă©dition  dans  le  genre  des  Visions  Ă   la  campagne, 
ou  d'illustrations  de  l'histoire  de  NapolĂ©on  Ier,  —  un  sujet  fort 
bien  choisi  aprĂšs  1851  !  —  que  voyons-nous?  Maurice  Ă©bauchait 
en  quelques  heures  un  croquis  ou  une  aquarelle,  et  Manceau, 
abandonnant  ses  travaux,  qui  lui  assuraient  le  moyen  de  vivre, 
se  mettait  Ă   graver,  pendant  de  longs  joins  ou  des  semaines,  les 
planches  de  l'édition  de  son  camarade.  Maurice,  qui  s'intéressait 
toujours  à  l'entomologie,  s'occupa  vers  1850  plus  sérieusement 
de  cette  science,  fit  un  livre  sur  les  papillons  (dont  sa  mĂšre  Ă©crivit 
la  préface  (2).  Il  collectionnait  les  lépidoptÚres,  leurs  chrysalides 
et  leurs  chenilles,  se  passionnant  à  observer  leurs  métamorphoses. 
Mais  ses  fréquentes  absences  de  Nohant  s'accordaient  mal  avec 
des  observations  suivies  sur  les  chenilles  sortant  de  la  graine, 
sur  leurs  travaux  Ă   se  construire  un  cocon  et  enfin  sur  la  venue 
au  monde  des  insectes.  Manceau  fit  alors  la  chasse  aux  papillons 
et  aida  Maurice  Ă   construire  toute  sorte  de  boĂźtes  avec  des  parois 
de  verre,  viviers  ou  serres  chaudes  portatives  pour  les  chenilles  ; 
puis  lorsque  Maurice  s'en  allait  Ă   Paris,  il  s'Ă©vertuait  le  plus 
attentivement  possible  Ă   nourrir  toutes  ces  chenilles,  Ă   observer 
leurs  transformations,  Ă   transpercer,  selon  la  rĂšgle  des  collection- 
neurs, d'une  aiguille  brĂ»lante  celles  qui  sont  prĂȘtes  pour  la  col- 
lection et  Ă   inscrire  sur  un  registre  le  jour-,  l'heure  ou  la  minute 
de  la  naissance  de  quelque  Algira,  Gordius  ou  Apollon.  Maurice 
se  passionna  ensuite  pour  le  théùtre,  et  Manceau  l'aida  à  brosser 
les  décors,  à  exécuter  les  spectacles  des  marionnettes,  et  lorsque 
Mme  Sand  dĂ©sireuse  de  faire  une  surprise  Ă   son  fils  —  ayant 
l'espoir  peut-ĂȘtre  de  le  fixer  Ă   Nohant  —  voulut  reconstruire  la 

(1)  V.  plus  loin  les  lettres  de  Mme  Sand  Ă   son  fils  et  Ă   Dumas  fils. 

(2)  La  préface  à  «  Deux  jours  dans  le  monde  des  papillons,  par  Maurice 
Sand  r,  parut  dans  le  numéro  du  15  février  de  la  Revue  de  Paris  de  1855. 


34a  GEORGE  SAND 

salle  de  spectacle  et  lui  bĂątir  un  vaste  atelier,  Manceau  prit  la 
direction  de  tous  ces  travaux.  Peu  Ă   peu  il  commanda  toutes 
les  constructions  nouvelles  et  les  réparations  de  Ponant.  Puis, 
voyant  que  Mme  Sand  ne  pouvait  suffire  Ă   mener  de  front  son 
gigantesque  travail  littéraire  et  diriger  sa  maison,  il  se  mit  à 
surveiller  le  ménage  et  à  veiller  à  toute  la  vie  matérielle.  C'est 
ainsi  que,  selon  les  propres  paroles  de  Mme  Sand,  il  n'oublia 
jamais  de  s'assurer,  le  soir,  s'il  ne  manquait  pas  sur  son  bureau 
de  cahiers  de  son  papier  favori  et,  à  cÎté,  le  verre  d'eau  sucrée 
qu'elle  avait  coutume  d'avaler  d'un  trait  lorsque,  tard  dans  la 
nuit,  tombant  de  fatigue  et  à  moitié  endormie  déjà,  elle  passait 
de  sa  table  Ă   Ă©crire  sur  son  lit.  Bref,  Manceau  l'entourait  de 
dévouement  tout  filial  et  de  soins  attentifs,  H  remplit  auprÚs  d'elle 
les  fonctions  de  secrétaire  :  il  les  partagea  d'abord  avec  Aucante, 
puis,  aprÚs  le  départ  d' Aucante  qui  prit  à  sa  charge  toutes  les 
démarches  et  les  transactions  de  Mme  Sand  auprÚs  des  éditeurs 
Ă   Paris  (1),  il  s"en  chargea  seul  :  il  classait  le  courrier,  dressait 
la  liste  des  lettres,  notait  celles  qui  demandaient  des  réponses, 
Ă©crivait  parfois  au  nom  de  Mme  Sand,  copiait  ses  manuscrits, 
faisait  les  comptes,  etc.,  etc.  George  Sand  dans  ses  lettres  Ă  
Maurice  signale  souvent  de  combien  de  soucis  et  de  tracas 
Manceau  la  préserva,  avec  quel  dévouement  sans  défaillance  et 
avec  combien  de  bonne  volonté  il  sacrifia  son  temps,  son  travail 
afin  de  faire  prospérer  les  affaires  ou  de  préparer  les  plaisirs  de 
Maurice  toujours  engoué  tantÎt  d'une  chose,  tantÎt  d'une  autre, 
ce  qui  l'empĂȘchait  d'acquĂ©rir  par  un  labeur  sans  trĂȘve  une  maĂź- 
trise véritable. 

A  Maurice  Ă   Paris. 

Nohant,  13  avril  1852. 

En  effet,  mon  vieux,  ce  n'est  pas  facile  de  trouver  de  l'ouvrage,  et 
mĂȘme  en  habitant  Paris,  il  faudrait  peut-ĂȘtre  bien  des  mois  et  des 

(1)  Plus  tard,  en  1857  ou  1858  Emile  Aucante  s'installa  définitivement 
à  Paris  et  y  fonda  une  agence  littéraire  ayant  pour  but  de  faciliter  les  rap- 
ports entre  les  Ă©crivains  et  les  Ă©diteurs.  Et  George  Sand  fit  paraĂźtre  dans 
la  Presse  du  21  juin  1858  une  Lettre  (datée  du  7  juin)  adressée  à  M.  Emile 
Aucante,  par  laquelle  elle  invitait  tous  les  gens  de  lettres  Ă   soutenir  de  leur 
concours  l'entreprise  si  sympathique  de  son  jeune  ami. 


GEORGE   SAND  343 

années  pour  t'assurer  un  entrain  de  commandes.  Je  ne  m'étonne  donc 
pas  que  tu  partes  le  matin  pour  rentrer  le  soir  sans  résultat.  C'est  en 
se  faisant  connaĂźtre,  sans  gagner  d'argent  d'abord,  qu'on  arrive  Ă   en 
gagner.  Je  suis  fùchée  que  tu  n'ayes  pas  traité  avec  l'Illustration 
pour  une  partie  de  tes  costumes  italiens  (1),  ou  pour  tout  autre  chose. 
Mais  je  crois  que  quand  tu  seras  ici,  tu  pourras  leur  donner  quelques 
séries  qui  réussiront  toujours  avec  un  texte  de  moi,  et  si  peu  qu'elles 
soient  payées,  elles  te  donneront  la  publicité  qui  est  la  premiÚre  con- 
dition pour  ĂȘtre  demandĂ©.  Le  travail  dans  les  arts  ne  se  trouve  jamais 
quand  on  le  cherche. 

Je  ne  vois  pas  que  tu  puisses  faire  seul  une  piĂšce.  Quand  mĂȘme  l'ac- 
tion en  serait  bonne,  tu  ne  sais  pas  assez  Ă©crire  pour  faire  un  bon  dia- 
logue et  d'ailleurs  ce  n'est  pas  à  Paris  que  tu  feras  de  la  littérature. 
C'est  Ă   Nohant  je  crois  que  les  conditions  seraient  meilleures.  Je  vou- 
drais qu'Ă   Paris  tu  songes  Ă   travailler,  sinon  la  peinture  si  tu  y  re- 
nonces, du  moins  le  dessin  qui  te  servira  toujours,  et  que  tu  ne  peux 
pas  avoir  la  prétention  de  savoir  parfaitement.  Je  crois  que  tu  n'aurais 
pas  raison  de  renoncer  Ă   la  peinture,  si  tu  pouvais  l'Ă©tudier  Ă   Paris. 
Le  peux-tu?  et  le  veux-tu?  La  question  n'a  jamais  été  résolue  encore. 
H  ne  faudrait  pas  y  dĂ©penser  500  ni  mĂȘme  400  francs  par  mois.  Nous 
n'avons  pas  ce  moyen-là,  quand  le  séjour  se  prolonge.  H  ne  faudrait 
pas  louer  un  appartement  avec  atelier,  de  7  Ă   800  francs,  pour  n'y  pas 
travailler  sérieusement.  Tout  cela  toi  seul  peux  le  résoudre.  Je  ferai 
Ă   cet  Ă©gard  avec  toi  les  essais  que  tu  voudras,  mais,  si,  au  bout  de 
quelques  mois,  ces  sacrifices  ne  servaient  Ă   rien,  et  si  tu  conservais 
l'habitude  de  flĂąner,  tu  es  trop  raisonnable  au  fond  pour  vouloir  que 
cela  durĂąt,  et  que  mon  travail  de  nĂšgre  ne  servĂźt  qu'Ă   te  faire  perdre 
ton  temps. 

Rien  de  nouveau  ici,  je  travaille  beaucoup.  Je  fais  vingt  pages 
par  jour  d'un  roman  qu'on  me  paye  fort  peu  quoi  qu'en  dise  Hetzel. 
Mais  ne  lui  en  parle  pas,  il  fait  pour  le  mieux,  les  arts  sont  au 
rabais... 

■Reviens  quand  tu  voudras,  puisque  tu  prĂ©tends  toujours  que  c'est 
moi  qui  t'empĂȘche  de  travailler  Ă   Paris.  Seulement  songe  que  je  ne 
peux  pas  t'y  entretenir  Ă   500  francs  par  mois,  que  cela  fait  une  rente 
de  6  000  francs  et  que  c'est  bien  l'impossible.  Et  puis  tĂąte-toi  bien,  et 
vois  si  vraiment  tu  y  employés  ton  temps,  utilement  pour  le  présent 
ou  pour  l'avenir,  je  m'en  rapporte  Ă   toi-mĂȘme,  et  ferai  ce  que  tu  vou 
dras,  quelque  ennui  que  j'Ă©prouve  Ă   ĂȘtre  sĂ©parĂ©e  de  toi. 

(1)  C'est-à-dire  ses  dessins  des  personnages  de  la  Comédie  italienne  qui,  plus 
tard,  en  1859,  parurent  en  deux  volumes  sous  le  titre  de  Masques  et  Bouffons 
avec  une  préface  de  George  Sand. 


344  GEORGE   SAND 


Nohant,  20  avril  1852. 

OĂč  en  est  ta  piĂšce  avec  Rochery?  Est-ce  que  vous  y  travaillez 
sérieusement?  Il  faudra  venir  l'essayer  ici?  ou  qu'il  vienne  l'achever 
avec  toi... 

...Tu  fais  aussi  bien  d'ĂȘtre  Ă   Paris  si  tu  t'y  amuses.  Ici  le  spleen 
me  consume,  et  je  suis  malade  depuis  plusieurs  jours.  Je  me  croyais 
pourtant  guérie,  je  l'étais  au  commencement,  mais  je  n'ai  plus  de 
force  pour  travailler  et  cela  me  désespÚre.  H  faut  pourtant  piocher 
ou  mourir. 

Tu  t'expliqueras  avec  Manceau  de  ton  affaire  d'images,  je  n'ai  pas 
voulu  lui  en  parler.  Je  vois  seulement  que  tu  voudrais  lui  faire  vendre 
les  planches  faites,  et  cela  me  paraßt  détruire  tout  un  projet  qui  était 
bon,  pour  toucher  fort  peu  de  chose. 

Ce  ne  serait  pas,  je  pense,  dans  son  intĂ©rĂȘt,  et  son  intĂ©rĂȘt,  en  cela, 
doit  peser  plus  que  le  tien,  puisque  tu  donnes  Ă   ce  travail  quelques 
jours  par  année,  tandis  qu'il  y  donne  des  semaines  et  des  mois  d'as- 
siduité. S'il  s'en  dérange  beaucoup,  la  faute  en  est  à  moi,  qui  l'emploie 
Ă   mille  soins  dont  il  me  soulage,  Ă   des  copies,  Ă   des  rangemens  sans 
fin,  et  je  me  trouve  bien  de  l'obligeance  infatigable  avec  laquelle  il 
accepte  ces  corvées.  Je  ne  vois  donc  pas  que  personne  ait  à  lui  en  faire 
reproche,  toi  moins  que  tout  autre,  puisque  c'est  de  la  peine  qu'il 
m'Ă©pargne  et  du  tems  qu'il  me  fait  gagner... 

Nous  avons  un  froid  atroce  depuis  deux  jours...  Aujourd'hui  j'ai 
gardé  le  lit  toute  la  journée.  Le  soir  nous  lisons  du  Cooper  avec  Martin 
et  Manceau,  et  je  fais  la  tapisserie  pour  ta  cheminée  ;  nous  montons 
Ă   10  heures  et  demie  et  je  travaille  jusqu'Ă   3  heures,  je  reprends  mon 
travail  le  jour  de  une  heure  Ă   six. 

Toccante  (1)  me  débarrasse  des  interminables  dérangemens  des 
paysans  et  des  ouvriers... 

Nohant,  28  avril  1852. 

Je  ne  conçois  pas,  mon  enfant,  que  tu  ne  reçoives  p  a  mes  lettres. 
Je  t'ai  Ă©crit  la  veille  du  jour  oĂč  Manceau  t'a  Ă©crit. 

...Je  te  parlais  de  Manceau  dans  cette  lettre,  je  te  disais  que  jo 
n'avais  pas  voulu  lui  parler  de  ton  désir  de  vendre  les  quatre  planches 
de  Napoléon  avant  les  sujets  religieux  et  autres  de  la  collection,  je 
crois  qu'il  ferait  tout  ce  que  j'exigerais  de  lui,  mais  je  ne  crois  pas 
devoir  exiger  que,  d'une  affaire  oĂč  il  met  la  meilleure  partie  de  son 


(1)  Emile  Aucanto. 


GEORGE   SAND  345 

tems  et  oĂč  tu  ne  mets  en  somme  que  quelques  heures  du  tien  de  tems 
en  tems,  affaire  qui  peut  ĂȘtre  bonne  dans  son  ensemble,  il  fasse  pour 
vous  procurer  plutÎt  quelques  sous,  une  affaire  manquée  pour  l'ave- 
nir. H  n'y  renonce  pas,  je  le  sais,  puisqu'il  s'y  est  remis,  aprĂšs  avoir 
fait  un  immense  rangement  dont  je  l'avais  chargé.  Tu  te  plains  du  tems 
qu'il  perd  Ă   autre  chose,  qu'est-ce  que  cela  te  fait?  tu  ne  peux  le  consi- 
dĂ©rer comme  un  manƓuvre  Ă   la  solde,  puisque  tes  avances  sont  nulles  ; 
mais  moi  je  peux  le  considérer  comme  un  ami  et  serviteur  volontaire 
qui  me  rend  mille  petits  services  trĂšs  profitables  :  copies  de  manus- 
crits, de  lettres,  comptes  tenus  en  ordre,  surveillance  de  détails  aux- 
quels je  ne  peux  me  consacrer  sans  perdre  un  temps  précieux  pour  mon 
travail,  je  disais  donc  que  tu  aurais  tort  de  lui  reprocher  cela,  puisque 
j'en  profite,  et  que  tu  ne  peux  trouver  que  trĂšs  bien  et  trĂšs  bon 
qu'on  m'allĂšge  une  partie  des  soins  qui  m'Ă©crasent  et  auxquels  ma 
santé  ne  suffit  plus. 

Je  te  disais  aussi  que  j'Ă©tais  prĂȘte  Ă   faire  tous  les  articles  que  tu 
voudrais  pour  V Illustration...  Enfin  je  crois  que  je  te  parlais  théùtre 
et  que  je  te  disais  que  je  faisais  un  roman.  J'ai  fait  le  premier  volume 
en  quinze  jours,  des  volumes  de  deux  cent  cinquante  pages  comme 
celles  de  cette  lettre  !  Je  fais  le  deuxiĂšme  volume  qui  sera  fini  Ă   la  mi- 
mai. AussitÎt  aprÚs  je  me  remettrai  au  théùtre.  Je  te  disais  aussi 
d'amener  Rochery,  quand  tu  voudrais,  répÚte-le-lui.  Le  temps  me 
manque  pour  lui  Ă©crire... 

Manceau  tùchait  donc  de  préserver  Mme  Sand  de  tous  les 
soucis  matériels,  en  prenant  sur  lui  les  soins  dont  généralement 
dans  les  familles  des  grands  écrivains  se  préoccupent  leurs 
femmes  ou  leurs  enfants.  En  mĂȘme  temps  il  faisait  tout  ce  qu'il 
pouvait  pour  Maurice  (comme  nous  le  verrons  encore  plus  loin 
par  des  lettres  inédites  de  1855,  1857  et  1858).  Bien  plus,  en 
mourant,  Manceau  légua  à  son  bien-aimé  camarade  tout  son 
petit  avoir.  Cet  homme  au  cƓur  simple  comprenait  les  choses, 
comme  on  voit,  autrement  que  bien  des  messieurs  qui  ne  se  sou- 
ciaient pas  de  puiser  Ă   pleines  mains  dans  la  bourse  toujours 
ouverte  pour  tous  les  nécessiteux  et  pour  tous  ceux  dont  les 
affaires  étaient  embrouillées,  cette  bourse  de  George  Sand  qui 
secourait  d'innombrables  amis  recourant  Ă   son  aide,  et  une 
quantité  de  personnes  connues  et  inconnues  vivant  souvent  à 
ses  dépens.  Manceau  qui  reçut  pendant  plusieurs  années  l'hos- 
pitalité à  Nohant,  non  seulement  l'en  remercia  par  son  travail, 


346  ,  GEORGE   SAXD 

mais  il  crut  encore  de  son  devoir  de  donuer  Ă   Maurice  ce  qu'il 
avait  gagnĂ©  pendant  ces  annĂ©es,  et  toutes  ses  Ɠuvres  non 
vendues. 

AprÚs  ce  qui  a  été  dit,  il  est  simplement  étonnant  que  Maurice 
Sand  ait  accepté  ce  labeur  et  ces  soins  rien  que  comme  ime  chose 
due,  et  au  lieu  d'apprécier,  aussi  peu  que  ce  soit,  ce  dévouement 
et  tout  ce  que  Manceau  faisait  pour  lui,  et  souvent  Ă   sa  place 
pour  sa  mĂšre,  il  s'habitua  Ă   le  traiter  en  homme  Ă   tout  faire.  Bien 
plus,  s'autorisant  de  ces  fonctions  innombrables  que  Manceau 
assumait  volontairement,  il  le  traitait  presque  comme  une  sorte 
de  domestique.  Enfin,  aprĂšs  la  mort  mĂȘme  de  Manceau  il  en 
parlait  comme  d'un  factotum  d'un  ton  qui  induisit  en  erreur 
beaucoup  d'amis  de  George  Sand.  Ceux-ci  commencĂšrent, 
d'aprĂšs  son  dire,  Ă   parler  de  ce  compagnon  fidĂšle  d'un  ton 
presque  méprisant.  Il  suffit  toutefois  de  regarder  le  portrait  de 
George  Sand  gravé  par  Manceau  d'aprÚs  le  dessin  de  Couture, 
et  ses  autres  Ɠuvres,  pour  sentir  son  talent.  C'est  bien  ainsi  que 
le  jugĂšrent  tous  les  fervents  de  l'art  qui  l'approchĂšrent  :  les 
Goncourt,  la  princesse  Mathilde  (1),  le  comte  d'Orsay  (qui  fut 
lui-mĂȘme  un  sculpteur  dilettante),  Alexandre  Dumas  fils  et 
beaucoup  de  critiques  d'art  contemporains.  D'autre  part  ce 
serait  une  injustice  impardonnable  et  un  mensonge  de  la  part  du 
biographe  de  se  contenter  de  se  taire  ou  de  dire  quelques  mots 
négligents  sur  son  compte.  Durant  dix  ans  Manceau  consacra 
sa  vie  à  Aime  Sand.  Son  dévouement,  son  attachement  ne  se 
dĂ©mentirent  jamais.  Les  lettres  de  Mme  Sand,  —  les  vraies  et  non 
les  lettres  tronquĂ©es,  —  disent  de  lui  bien  autre  chose  que  ce 
que  disait  Maurice,  ou  l'aristocrate  Solange,  ou  encore  des 
personnes  qui  répÚtent,  ce  qu'elles  n'avaient  jamais  ni  vu,  ni  su. 
Manceau  rappelait  beaucoup  ces  personnages  d'origine  popu- 
laire que  George  Sand  aimait  tant  Ă   peindre  dans  ses  romans  : 
cƓurs  simples,  spontanĂ©s,  dĂ©sintĂ©ressĂ©s  et  prĂȘts  Ă   se  sacrifier 
pour  les  autres.  Ce  qui  fut  plus  important  que  toute  la  sollicitude 


(1)  Nous  avons  déjà  dit  dans  le  chap.  ix  que  cette  princesse  invitait  tou- 
jours Manceau  lorsqu'elle  invitait  Mme  Sand. 


GEORGE   SAND  347 

de  Manceau  pour  le  bien-ĂȘtre  matĂ©riel  de  Mme  Sand,  c'est 
qu'enfin  elle  trouva  à  ses  cÎtés  un  homme  qui  pensait  à  elle 
plus  qu'Ă   lui-mĂȘme,  un  cƓur  plein  d'attachement  sans  bornes. 
N'oublions  pas  que  Mme  Sand  lui  dĂ©dia  cinq  de  ses  Ɠuvres, 
nombre  dépassé  seulement  par  celles  qu'elle  dédia  à  son  fils; 
aucun  autre  de  ses  amis  ne  reçut  d'elle  tant  de  marques 
d'amitié. 

La  vie  paisible  passée  à  Nouant  entre  1850  et  1855  vouée 
au  travail  (surtout  à  la  littérature  dramatique),  aux  spectacles 
improvisés  ou  joués  par  les  camarades  de  Maurice,  et  les  soins 
donnés  à  la  petite  Nini  (lorsqu'elle  y  résidait,  soudainement 
intégrée  chez  son  aïeule  par  un  brusque  revirement  d'idées  de 
ses  parents),  vie  rarement  interrompue  par  des  voyages  pério- 
diques à  Paris  pour  les  répétitions  de  ses  nouvelles  piÚces,  fut 
soudain  brisée  par  la  mort  de  cette  petite  Jeanne,  survenue  le 
13  janvier  1855.  Le  chagrin  plongea  Mme  Sand  dans  une  torpeur, 
une  prostration  complĂšte  ;  elle  souffrit  d'Ă©touffements,  aban- 
donna tout  travail,  bien  que  durant  toute  sa  vie  elle  trouva 
toujours  en  Ă©crivant  une  consolation  Ă   ses  maux. 

La  douleur  ressentie  par  Mme  Sand  et  sa  fille  aprĂšs  la  mort 
de  la  pauvre  petite  fut  grande,  mais  il  ne  faut  pas  s'exagérer 
l'importance  des  changements  survenus  par  cette  mort  dans  la 
maniÚre  de  vivre  de  toute  la  famille.  C'est  ainsi  que  simultané- 
ment avec  la  lettre  à  Charton  désespérée  (imprimée  dans  la 
Correspondance),  nous  lisons  dans  une  lettre  inédite  de  Mme  Sand 
adressée  à  Sully  Lévy  (qui  avait  envoyé  une  paire  de  gants 
blancs  pour  les  mettre  sous  le  moulage  des  mains  de  la  petite 
défunte),  les  paroles  suivantes,  raisonneuses,  s'accordant  peu 
avec  le  ton  Ă©mu  de  cette  lettre  de  remerciements,  Ă©tonnante  dans 
la  bouche  d'une  femme  qui  vient  de  perdre  son  petit  enfant, 
et  qui,  selon  son  dire,  est  «  hébétée  par  la  douleur  »  : 

...Je  ne  peux  pas  encore  m'en  consoler  (1),  j'en  suis  malade.  On  m'a 
saignée  deux  fois  et  je  ne  suis  que  faible,  mais  sans  pouvoir  éloigner 
l'idée  fixe.  Le  temps  et  la  volonté  en  viendront  à  bout,  et  je  ne  dis  pas 

(1)  La  lettre  est  du  30  janvier,  la  petite  Jeanne  mourut  le  13 1 


348  GEORGE   SAND 

à  Maurice,  combien  ce  sera  long  et  difficile.  H  s'est  beaucoup  affecté 
aussi  de  ce  malheur  et  de  ceux  qui  Font  accompagné. 

H  n'est  pas  bien  robuste  et  il  a  toujours  été  malade  depuis  notre 
retour  de  Paris.  Il  l'est  encore  depuis  deux  jours,  aussi  je  le  pousse 
vers  l'Italie,  dont  il  a  vraiment  besoin... 

Dans  sa  lettre  à  Maurice,  datée  du  23  février,  en  racontant 
Ă   son  fils  les  observations  qu'elle  fit  sur  les  sauts  des  salamandres 
dans  le  petit  étang  presque  gelé,  elle  ajoute  : 

...Ton  dĂźner  chez  le  prince  n'a  pas  dĂ»  ĂȘtre  moitiĂ©  si  animĂ©,  et  on  n'a 
pas  dĂ»  s'y  permettre  de  pareilles  cabrioles.  Raconte-moi  ce  qu'on  t'a 
dit  d'agréable,  et  si  le  prince  raconte  des  choses  intéressantes  de  cette 
guerre.  Est-ce  vrai  que  l'empereur  y  va  en  personne?  je  ne  fis  pas  de 
journaux  depuis  quelques  jours  et  d'ailleurs  je  pense  bien  que  ce  n'est 
pas  un  secret  d'Etat.  Je  ne  me  porte  pas  mal,  surtout  aujourd'hui 
par  ce  beau  temps. 

...Solange  Ă©tait-elle  bien  telle  et  bien  peinte  Ă   ce  dĂźner? 

Quand  tu  recevras  ma  lettre,  tu  auras  sûrement  fait  des  courses  et 
vu  du  monde,  Ă©cris-moi.  Je  suis  dans  la  phase  de  bĂȘtise  et  de  tristesse 
oĂč  je  voudrais  voir  les  objets  de  mon  affection  du  matin  au  soir... 

H  est  plus  étonnant  encore  que,  dÚs  juillet,  on  recommença 
Ă   Nohant  les  spectacles,  comme  on  le  voit  par  une  lettre  Ă  
Duvernet  datée  du  15  juillet  ;  et  quoique  Mme  Sand  dise  qu'elle 
ne  le  fait  que  pour  Maurice,  il  est  Ă©trange  qu'elle  put  simplement 
songer  en  ce  moment  à  >  relever  le  moral  »  de  Maurice,  que 
Maurice  ne  s'abstint  de  ce  passe-temps  bruyant,  par  sollicitude 
pour  sa  mÚre,  et  enfin  que  cela  ne  fût  pas  insupportable  à  cette 
derniÚre.  Nous  avons  dit  aussi  dans  le  chapitre  vi  du  précédent 
volume  que  l'écho  littéraire  de  l'état  d'ùme  de  George  Sand 
aprÚs  la  mort  de  sa  petite-fille,  ce  morceau  intitulé  :  «  AprÚs  la 
mort  de  Jeanne  Clésinger  »  qui  fait  partie  des  Souvenirs  et  idées, 
nous  semble  justement  trop  littéraire  et  il  est  incompréhensible 
que  la  vraie  douleur  se  soit  exprimée  d'une  maniÚre  aussi  réflé- 
chie et  sous  la  forme  d'images  aussi  jolies,  usuelles  Ă   la  fantaisie 
créatrice  d'un  écrivain. 

Quoi  qu'il  en  soit,  Maurice,  inquiet  pour  la  santé  de  sa  mÚre 
et  dĂ©sirant  lui-mĂȘme  faire  un  sĂ©jour  dans  le  Midi,  lui  suggĂ©ra 


GEORGE   SAND  349 

l'idée  de  voyager  et  de  quitter  temporairement  Nohant  (1). 
Mme  Sand  donne  à  Victor  Borie  le  détail  suivant,  qui  ne  manque 
pas  de  valeur  biographique  et  caractĂ©rise  la  maniĂšre  d'ĂȘtre  de 
ceux  qui  entouraient  alors  Mme  Sand.  Elle  affirme  ne  pas  pou- 
voir accepter  les  conditions  offertes  par  la  Revue  de  Paris,  avec 
laquelle  Borie  Ă©tait  en  pourparlers,  Ă©tant  trop  gĂȘnĂ©e  pour  le 
moment  sous  le  rapport  financier,  elle  ajoute  : 

Je  me  prépare  au  départ  pour  Paris  et  l'Italie.  Sans  Manceau,  qui 
me  prĂȘte  sa  pauvre  petite  bourse,  il  me  serait  bien  impossible  de  bou- 
ger avec  tout  ce  que  j'ai  Ă   payer  avant  de  partir.  Ce  qui  m'effraye  ce 
n'est  pas  d'ĂȘtre  sans  le  sou,  j'y  suis  habituĂ©e  ;  c'est  de  me  sentir  inca- 
pable de  travailler  depuis  la  mort  de  cet  enfant.  Si  je  restais  comme  cela, 
il  me  faudrait  pourtant  bien  secouer  le  fardeau  qui  pĂšse  sur  mes 
Ă©paules...  Maurice  part,  je  crois,  aprĂšs-demain... 

Le  23  février  elle  annonce  à  Maurice,  déjà  parti  à  Paris,  que  : 

Manceau,  qui  a  définitivement  fini  son  image,  commence  à  ranger, 
écrire,  étiqueter  tout  ce  qu'il  faut  mettre  en  ordre  pour  le  départ. 
Je  l'aide  et  nous  ne  tarderons  pas  Ă   te  rejoindre... 

Le  26  elle  lui  dit  : 

Cher  enfant,  nous  partons  toujours  le  28,  la  malle  pour  l'Italie  est 
faite,  je  fais  demain  celle  pour  Paris  afin  de  n'avoir  pas  Ă   refaire  des 
paquets... 

Le  28  février  1855  George  Sand  et  Manceau  quittÚrent  donc 
Nohant,  Maurice  les  rejoignit  Ă   Paris  et,  tous  les  trois,  gagnĂšrent 
le  Midi  de  la  France,  puis  l'Italie.  Mme  Sand  visita  de  nouveau 
NĂźmes,  Marseille,  Toulon,  et,  par  GĂȘnes,  Pise,  se  rendit  Ă   Rome 
et  séjourna  assez  longuement  aux  environs  de  Frascati.  Mau- 
rice ne  resta  que  peu  de  temps,  il  fit  un  tour  en  Suisse  et  dans  le 
DauphinĂ©,  aprĂšs  quoi  il  alla  chez  son  pĂšre  Ă   Guillery  oĂč  il  demeura 
jusqu'en  juillet  ;  Mme  Sand  et  Manceau  quittĂšrent  Frascati  le 
20  mai,  ils  revinrent  par  la  Spezzia,  GĂȘnes  et  passĂšrent  quelques 

(1)  Lettres  inédites  de  Mme  Sand  :  à  Victor  Borie  du  15,  à  Maurice  des 
23  et  26  février  1855  et  lettres  imprimées  :  à  Edouard  Charton  du  14  février, 
à  Augustine  de  Bertholdi  idem,  à  Maurice  du  24  février  et  à  Mlle  Leroyer  de 
Chantepie  du  27  février, 


350  GEORGE   SAND 

jours  Ă   Paris  afin  de  s'entendre  avec  des  Ă©diteurs  et  des  direc- 
teurs de  théùtre  (1)  avant  de  rentrer  à  Xohant. 

Le  changement  d'air,  le  pays  Ă©tranger,  les  Ɠuvres  d'art,  les 
impressions  surtout  de  la  vie  italienne,  trÚs  différentes  de  celles 
de  son  premier  voyage  (1833-34),  aidĂšrent  Mme  Sand  Ă   com- 
battre son  chagrin.  C'est  en  Italie  qu'elle  se  remit  au  travail. 
D'autre  part  l'intensitĂ©  mĂȘme  de  sa  douleur  lui  fit  recevoir  avec 
calme  la  nouvelle  de  la  mort  de  son  ami  le  Malgache  (Jules 
XĂ©raud),  survenue  en  avril  1855.  Elle  avait,  selon  son  ancienne 
habitude,  collectionné  pour  lui  des  plantes  rares  aux  environs 
de  Marseille  et  de  Rome.  Dans  sa  lettre  Ă   Ernest  PĂ©rigois,  gendre 
de  Jules  XĂ©raud  —  (mariĂ©  Ă   sa  fille  AngĂšle  et  devenu  vers  cette 
Ă©poque  l'ami  de  toute  la  famille  Sand)  —  Mine  Sand  disait 
qu'avant  de  partir  en  Italie  elle  avait  relu  les  lettres  de  son  cher 
Malgache  et  que  l'idée  lui  était  venue  d'en  publier  une  partie,  avec 
son  autorisation,  comme  appendice  Ă   YHistoire  de  ma  vie. 

Dans  sa  Correspondance  imprimée  et  dans  son  Histoire, 
George  Sand  dit  que  lors  de  sa  double  douleur  le  livre  de  Jean 
Reynaud  Terre  et  Ciel  (2)  lui  fut  d'une  grande  consolation.  Les 
doctrines  philosophiques  de  l'auteur  se  rattachaient  aux  doc- 
trines qui  avaient  régné  sur  son  esprit  et  la  rirent  revenir  à  son 
point  de  départ,  la  philosophie  de  Leibnitz.  Ce  qui  lui  fut  pré- 
cieux dans  le  livre  de  Reynaud  ce  sont  les  preuves  de  l'immor- 
talité de  l'ùme,  la  doctrine  du  développement  progressif,  de 
l'ascension  graduelle  de  chaque  Ăąme  individuelle,  c'est-Ă -dire 
rimmortalité  personnelle  et  les  étapes  par  lesquelles  passe  chaque 
Ăąme  pour  se  rapprocher  du  Principe  Divin.  Cette  croyance 
adoucit  la  douleur  aiguë  de  la  double  séparation  qu'elle  venait 
de  subir.  Que  de  deuils  depuis  1848  !  Hippolyte  Chatiron,  Chopin, 
la  tante  Maréchal,  Gabriel  de  Planet,  la  petite  Jeanne  et  Xé- 
raud (3).  Et  si  Mme  Sand,  cruellement  éprouvée  par  les  dou- 

(1)  Lettres  inédites  de  Mme  Sand  à  Maurice  du  23  mai,  adressée  à  Tourin, 
du  10  juin  Ă   Toulon,  des  17,  25,  26  et  29  juin  Ă   Guillery. 

(2)  Terre  et  Ciel,  par  Jean  Reynaud.  Paris,  Furne,  Jouvet  et  Cte,  in-8°, 
1855. 

(3)  Hippolvte  Chatiron  mourut  le  26  décembre  1848,  Chopin  le  17  oc- 
tobre 1849,  Mme  Maréchal  le  8  mai  1851,  Gabriel  de  Planet  le  30  dé- 


GEORCE   SAND  35' 

leurs  personnelles  aussi  bien  que  par  les  événements  politiques, 
put  supporter,  coup  sur  coup,  ces  deux  morts,  ce  fut  grĂące  Ă   sa 
croyance  d'ĂȘtre  rĂ©unie  un  jour  Ă   ses  chers  disparus.  RĂ©pĂ©tons- 
le,  le  livre  de  Reynaud  lui  fut  d'un  grand  secours. 

Nous  retrouvons  aussi  le  reflet  des  idées  de  Reynaud  et  sur- 
tout de  sa  thĂ©ogonie  dans  une  Ɠuvre  de  George  Sand  qu'on 
devrait  passer  sous  silence  par  respect  pour  l'Ă©crivain,  tellement 
elle  est  médiocre  ;  son  excessive  étrangeté  et  la  cause  qui  la  fit 
Ă©crire  arrĂȘte  pourtant  notre  attention.  Agricol  Perdiguier,  rĂ©fugiĂ© 
à  Genùve  aprùs  le  coup  d'État  de  1851,  recherchait  des  moyens 
d'existence.  C'est  alors  qu'il  s'adressa  Ă   George  Sand  au  nom  de 
l'éditeur  Collier.  Celui-ci  affirmait  son  droit  de  priorité  sur  le 
titre  inventé  par  lui  pour  une  série  d'études  romantiques  :  les 
Amants  illustres.  Il  Ă©tait  aussi  fier  de  cette  invention  que  s'il 
avait  découvert  la  vapeur  ou  l'électricité.  Perdiguier  pria  George 
Sand  d'écrire  une  série  d'histoires  amoureuses  ;  si  elle  y  consen- 
tait, en  sa  qualité  d'intermédiaire,  il  devait  gagner  quelques  sous. 
On  devait  consacrer  chaque  volume  Ă   l'histoire  de  deux  amants 
illustres  :  AgnĂšs  Sorel  et  Charles  VII,  Marie  Stuart  et  Rizzio, 
Héloïse  et  Abélard,  Antoine  et  Cléopùtre,  etc.,  etc.,  etc.  Mme  Sand 
entreprit  ce  travail  Ă   Nohant,  Ă   son  retour  d'Italie,  et  comme 
elle  n'avait  sous  la  main  ni  matériaux  ni  renseignements  néces- 
saires, M.  Paulin  Limayrac  se  chargea  du  travail  préparatoire. 
H  devait  compulser  les  bibliothÚques  de  Paris,  faire  des  résumés, 
copier  des  citations,  et  envoyer  tout  cela  Ă   Nohant.  Avec  tout  ce 
fatras  de  notes,  George  Sand  devait  crĂ©er  une  Ɠuvre  homogĂšne 
et  artistique.  De  plus,  elle  situa  le  premier  roman  de  cette  série 
—  Evenor  et  Leucippe  —  Ă   l'Ă©poque  des  premiers  hommes. 
C'Ă©tait  encore  tenter  l'impossible.  Soit  que  l'Ɠuvre  fĂ»t  trop 
remplie  de  gĂ©ologie,  de  biologie,  etc.,  alors  qu'elle  devait  ĂȘtre 
toute  romanesque,  soit  que  justement  cette  époque  préhisto- 
rique n'ait  pas  été  traitée  et  reconstruite  assez  scientifique- 
ment, le  résultat  fut  que  le  roman  fut  manqué.  H  est  aussi 

cembre  1853,  Jeanne  le  13  janvier  1855  et  Jules  NĂ©raud  le  11  avril  de  la 
mĂȘme  annĂ©e.  Ajoutons  que  l'ami  de  la  jeunesse  d'Aurore  Dupin,  StĂ©phane 
Ajasson,  Ă©tait  mort  en  1847. 


352  GEORGE   SAXD 

incroyable  qu'ennuyeux.  C'est  la  seule  Ɠuvre  de  George  Sand 
que  nous  ayons  lue  avec  une  sorte  d'ennui  mĂȘlĂ©  de  dĂ©goĂ»t.  C'est 
une  bouillabaisse  de  faits  scientifiques,  d'ĂȘtres  mythologiques, 
d'une  idylle  dans  le  goût  de  Daphnis  et  Chloé,  d'interminables 
Ă©lucubrations  philosophiques  sonnant  faux,  parce  qu'elles  sont 
mises  dans  la  bouche  des  hommes...  antédiluviens.  Parfaitement  ! 
des  premiers  hommes,  car  Evenor  et  Leucippe  ne  sont  autres 
qu'Adam  et  Eve  présentés  de  façon  nouvelle.  Dans  une  premiÚre 
esquisse  ils  apparaissaient  mĂȘme  sous  leurs  vrais  noms.  Nous 
préférons  la  version  biblique,  naïve  et  colorée. 

Dans  la  préface  d'Evenor  et  Leucippe,  George  Sand  donne  un 
résumé  serré  et  précis  de  l'histoire  cosmique  de  la  terre  et  de 
tous  les  cataclysmes  qu'elle  subit  pendant  des  milliards  d'années. 
Nous  préférons,  aussi,  é-tudier  cette  histoire  dans  des  ouvrages 
de  géologie  et  non  dans  un  roman.  On  trouve  là  l'écho  de  l'en- 
thousiasme de  Mme  Sand  et  de  Maurice  pour  les  études  géolo- 
giques et  minéralogiques  aussi  bien  que  pour  les  autres  sciences 
naturelles. 

Puis,  passant  Ă   la  genĂšse  et  Ă   la  propagation  de  la  vie  orga- 
nique sur  la  terre,  l'auteur  fait  un  peu  de  polémique  contre 
Darwin,  n'admettant  pas  que  nous  puissions  avoir  pour  ancĂȘtres 
des  quadrumanes.  Plus  loin  encore,  George  Sand  Ă©met  ses  opi- 
nions sur  rimmortalité  de  l'ùme  et  l'aptitude  de  la  nature  humaine 
Ă   toujours  progresser. 

Puis,  brusquement,  elle  commence  l'histoire  la  plus  ennuyeuse 
parmi  les  ennuyeuses  et  la  plus  incroyable  parmi  les  incroyables. 

Evenor,  ce  nouvel  Adam,  n'est  pas  le  premier  homme,  non  ! 
c'esjt  l'enfant  d'une  peuplade  quelconque  qui  existait  déjà  à 
l'Ă©poque  oĂč  la  Terre  subissait  encore  les  convulsions  de  sa  for- 
mation. Evenor-Adam  n'est  pas  un  jouvenceau  créé  subitement, 
c'est  un  enfant  qui  grandit  comme  tous  les  autres  enfants,  il 
jouit  d'une  certaine  autorité  parmi  ses  camarades,  cette  autorité 
est  d'autant  plus  grande  qu'Evenor  est  Vinventeur  de  la  langue 
parlée.  H  nomme  par  leur  vrai  nom  tant  de  choses  que  son  papa 
et  sa  maman  ne  peuvent  pas  encore  nommer,  qu'il  finit  par  s'enor- 
gueillir et  fait  preuve  d'autorité  sur  ses  camarades  ;  lorsque 


GEORGE   SAND  353 

certains  lui  refusent  obéissance,  il  en  est  si  vivement  offensé 
qu'il  s'enfuit,  abandonne  sa  peuplade  et  se  réfugie  dans  un 
désert.  A  notre  époque  de  tels  garçonnets,  «  point  appréciés  » 
par  leurs  copains,  aprÚs  avoir  proféré  la  menace  de  s'en  aller 
chez  les  Peaux- Rouges  ou  chez  les  BoĂȘrs,  reviennent  gĂ©nĂ©rale- 
ment au  bout  de  peu  de  temps,  remis  Ă   la  raison  par  l'heure  du 
dĂźner.  Il  est  probable  qu'Evenor  aurait  suivi  leur  exemple. 
Mais,  hélas  !  il  vivait  à  l'époque  antédiluvienne  ou  ternaire,  nous 
ne  savons  pas  au  juste  !  Il  ne  peut  pas  revenir  :  un  cataclysme 
survient  et  le  vallon  d'oĂč  il  avait  fui  se  trouve  obstruĂ©  par  des 
rochers  écroulés,  un  volcan  surgit,  la  mer  se  déplace,  et  Evenor 
reste  seul  dans  un  désert.  Privé  de  toute  «  communion  avec  lea 
hommes  »  (pour  avoir  péché  en  se  séparant  volontairement  de 
ses  semblables,  il  doit  expier  par  une  espÚce  de  réclusion  soli- 
taire), peu  Ă   peu  il  devient  sauvage,  oublie  la  parole  et  redevient 
un  primitif.  C'est  alors  qu'il  rencontre  une  jeunesse,  Leucippe. 
Celle-ci  ne  vit  pas  seulette  —  ça  ne  serait  pas  dĂ©cent  pour  une 
jeune  fille  des  temps  antĂ©diluviens  —  mais  bien  sous  la  tutelle 
d'une  vieille  duĂšgne...  pardon  !  d'une  vieille  divef  Avant  les 
hommes,  la  terre  avait  Ă©tĂ©  habitĂ©e  par  la  race  des  dives,  ĂȘtres 
mystérieux,  obéissant  à  Dieu,  espÚces  de  voyants  vivant  sans 
passions  jusqu'Ă   deux  cents  ans,  supportant  la  vie  et  acceptant 
la  mort  avec  la  mĂȘme  rĂ©signation.  Cette  dive,  du  nom  de  TĂ©lia, 
entreprend  l'éducation  d'Evenor  et  Leucippe  et  finalement  bénit 
leur  union.  Nous  supposons  qu'au  temps  lointain  des  haches 
de  silex  ou  de  bronze  on  goûtait  aux  fruits  de  l'arbre  du  bien  et 
du  mal  fort  simplement.  Or,  la  dive  trouve  indispensable  de 
«  préparer  les  ùmes  »  de  ses  disciples  en  leur  débitant  une  telle 
profusion  d'élucubrations  philosophiques  et  nébuleuses  qu'il 
fallait  ĂȘtre  un  androĂŻde  de  1'  «  Ăąge  de  pierre  »  pour  les  entendre. 
Quant  à  les  lire  au  vingtiÚme  siÚcle  sans  dégoût,  impossible  ! 
Nous  ne  suivrons  pas  Evenor  et  Leucippe  dans  leurs  extraordi- 
naires et  horripilantes  aventures  qui  tendent  toutes  Ă   faire 
vaincre  Yégoïsme  d'Evenor  et  à  le  faire  rentrer  dans  la  «  com- 
munion »  avec  le  reste  de  l'humanité.  Or,  cette  race  humaine, 
divisée  en  trois  tribus  (comme  dans  la  version  biblique)  avait 

IV.  23 


354  GEORGE   SAND 

été  en  proie  aux  guerres  civiles,  sous  la  néfaste  influence  de 
l'orgueilleux  Sat  et  du  non  moins  criminel  Mos.  L'arrivée  de  la 
douce  et  aimante  Leucippe  les  réconcilie  tous  et  «  tout  rentre 
dans  l'ordre  accoutumé  ». 

On  ne  peut  pas  comprendre  comment  l'auteur  de  l'alerte  et 
spirituel  Diable  aux  cfiamjjs  ou  des  MaĂźtres  sonneur  sjfespirant  la 
fraĂźcheur  des  bois  non  paradisiaques,  mais  bien  berrichons,  a  pu 
Ă©crire  cette  Ɠuvre  oĂč  les  hommes  prĂ©historiques  parlent  comme 
des  beaux  esprits  de  salon,  oĂč  notre  vieil  Adam,  naĂŻf  et  un  peu 
bĂȘta,  apparaĂźt  sous  les  traits  d'un  bachelier  es  lettres  et  la  gen- 
tille petite  Eve  à  la  fois  comme  une  précieuse,  pédante  et  une 
ingénue  de  théùtre. 

George  Sand  jugea  fort  Ă©quitablement  cette  Ɠuvre  Ă©trange 
en  disant  dans  son  avant-propos  :  «  Elle  peut  paraßtre  aux  ims 
trop  remplie  de  données  scientifiques,  aux  autres  trop  fantas- 
tique. »  Nous  disons,  Ă   notre  tour,  qu'elle  pĂȘche  par  les  deux 
cÎtés,,  mais  surtout  qu'elle  appartient  au  genre  prohibé  par 
Diderot,  Ă©tant  justement  du  genre...  ennuyeux. 

Ayant  ainsi  commencé  cette  série  de  romans  par  celui  d'Adam 
et  d'Eve,  George  Sand  n'alla  pas  plus  loin.  M.  Paulin  Limayrac 
refusa  sa  collaboration,  voyant  qu'il  aurait  trop  Ă   faire,  et 
Mine  Sand  n'insista  probablement  pas  sur  la  continuation  de  ce 
travail  en  commun,  reconnaissant  que  cette  maniĂšre  d'Ă©crire 
ne  lui  convenait  pas. 

Quant  à  l'idée  générale  de  ce  roman  c'est  le  thÚme  favori  et 
perpĂ©tuel  de  George  Sand  :  la  purification,  l'Ă©lĂ©vation  d'un  ĂȘtre 
par  l'amour.  Mais  prĂȘter  un  langage  philosophique  aux  ĂȘtres  de 
l'ùge  d'or,  c'est  faire  renaßtre  le  maniérisme  suranné  des  romans 
de  Mlle  de  Scudéry. 

Disons  à  ce  propos  que  les  romans  de  Mlle  de  Scudéry  ont 
quelque  rapport  avec  une  autre  Ɠuvre  de  George  Sand,  Ă©crite  un 
peu  ultĂ©rieurement  —  avec  les  Beaux  Messieurs  de  Bois-DorĂ©  (1). 
L'étude  des  visions  berrichonnes  et  des  légendes  se  rattachant 
Ă   toutes  les  mares,  forĂȘts,  tours  et  chĂąteaux  des  environs  de 

(1)  Le  roinan  parut  dans  la  Presse  en  1857. 


GEORGE   SAND  355 

Nohant  conduisit  George  Sand  Ă   Ă©crire,  entre  autres,  deux 
romans  dont  l'action  se  passe  en  Berry  ;  l'un  de  ces  deux  romans 
est  tout  fantastique,  les  Dames  vertes  (1),  oĂč  Ton  voit  apparaĂźtre 
des  revenants  ;  l'autre,  les  Beaux  Messieurs  de  Bois-DorĂ©  —  l'un 
des  peu  nombreux  romans  historiques  de  George  Sand  —  pei- 
gnant avec  beaucoup  de  verve,  d'esprit  et  de  finesse  l'Ă©poque 
transitoire  entre  les  mƓurs  austùres  des  chevaliers  du  moyen 
ñge  et  les  mƓurs  des  nobles  de  la  corn'  de  Louis  XIII,  lorsque 
sous  l'influence  de  la  mode  et  de  l'amour  naissant  pour  la  culture 
intellectuelle  se  propagea  la  passion  du  bel  esprit  et  des  romans, 
entre  autres  de  ceux  de  Mlle  de  Scudéry  et  de  VAstrée  d'Urfé. 
C'est  Ă   cette  Ă©poque  que  les  gentillĂątres  simples  et  brutaux  se 
changĂšrent  en  de  mĂ©lancoliques  et  bucoliques  rĂȘveurs,  soupi- 
rant aprĂšs  le  pays  du  Tendre,  et  devinrent,  sans  s'en  apercevoir 
eux-mĂȘmes,  grĂące  Ă   l'influence  de  ces  lectures,  plus  policĂ©s  et 
pins  humains. 

Un  autre  roman  de  Mme  Sand  paraĂźt  avoir  un  rapport  secret 
avec  la  série  des  Amants  illustres,  c'est  Elle  et  lui  (2),  il  présente 
la  réalisation  de  l'idée  de  Musset  «  d'écrire  un  jour  l'histoire 
de  leur  amour  qui  sera  aussi  connue  que  l'histoire  de  Roméo 
et  Juliette,  d'Héloïse  et  Abélard  »  (3).  Or,  la  série  des  Amants 
illustres  devait  aussi  comprendre  l'histoire  d'Héloïse  et  d' Abé- 
lard. Il  est  fort  possible,  qu'indépendamment  de  la  mort  de 
Musset  survenue  en  1857,  lorsque  George  Sand  avait  mentale- 
ment tracé  le  plan  de  cette  série  de  romans,  il  lui  était  venu 
alors,  par  association  d'idées,  la  pensée  de  raconter  cette  histoire 
amoureuse. 

Nous  avons  dans  notre  volume  II  assez  parlé  à? Elle  et  lui  ainsi 
que  de  la  prĂ©face  de  Jean  de  la  Roclie  (4)  oĂč  George  Sand  avait 
avec  tant  de  dignité  répondu  à  ses  ennemis  et  spécialement  à 
Paul  de  Musset.  Jean  de  la  Roche  appartient  à  la  série  de 
romans  de  Mme  Sand  se  rattachant  Ă   l'histoire  naturelle  ;  nous 


(1)  Parut  dans  le  Monde  illustré  de  1857. 

(2)  Fut  publié  dans  la  Revue  des  Deux  Mondes  de  1859. 

(3)  V.  notre  vol.  II,  p.  103-104. 

(4)  Parut  dans  la  Revue  des  Deux  Mondes  en  1859. 


356  GEORGE   SAND 

en  parlerons  tout  à  l'heure.  Mais  n'anticipons  pas  sur  les  événe- 
ments et  revenons  Ă   1855. 

Mme  Sand  revint  d'Italie  avec  une  ample  provision  d'obser- 
vations et  d'impressions  de  deux  genres  trÚs  différents.  D'une 
part  les  fleurs  d'Italie  Ă©veillĂšrent  l'intĂ©rĂȘt  de  l'Ă©crivain  dĂ©jĂ  
revenu  à  cette  époque  à  la  passion  de  ses  jeunes  années  :  la 
botanique,  les  sciences  naturelles  ;  au  fond,  elle  ne  leur  avait 
jamais  été  infidÚle.  Mais  à  partir  de  1855  elle  se  met  avec  ardeur 
à  herboriser,  à  définir  et  à  classer  les  spécimens  des  végétaux 
divers  trouvés  par  elle,  Maurice  ou  Manceau,  à  les  dessiner,  à 
transplanter  dans  le  jardin  de  Xohant,  dans  le  but  de  les  accli- 
mater, des  fleurs,  des  arbres  les  plus  divers  poussant  dans  les 
alentours  Ă   l'Ă©tat  sauvage,  ou  des  plantes  exotiques,  pour 
observer  les  changements  opérés  par  la  culture,  etc.,  etc.,  etc. 
DĂšs  lors  George  Sand  adresse  continuellement  Ă   ses  correspon- 
dants la  demande  de  lui  trouver,  d'apporter  ou  d'envoyer  un 
exemplaire  de  tel  ou  de  tel  autre  genre  ou  famille  de  plantes 
croissant  «  probablement  »  dans  leur  pays,  ou  bien  elle  remercie 
ses  correspondants  pour  l'envoi  d'une  de  ces  plantes.  C'est  aussi 
Ă   partir  de  ce  temps  qu'elle  tĂąche  de  soutenir  le  moral  de  ses  amis 
ou  amies,  frappés  par  quelque  épreuve  sentimentale  ou  de  quelque 
malheur  personnel,  en  leur  suggérant  le  goût  des  sciences  natu- 
relles, ayant  acquis  par  expérience  la  conviction  que  c'est  en  ne 
se  permettant  pas  l'analyse  de  son  propre  moi  et  en  contem- 
plant la  nature  qu'on  trouve  le  meilleur  remĂšde  moral.  On  Ut 
dans  les  lettres  de  George  Sand  à  différentes  personnes,  mais 
surtout  dans  ses  lettres  Ă   Mme  Arnould-Plessy,  Ă   Solange,  Ă  
MM.  Henri  Amie,  Francis  Laur,  et  autres,  des  conseils  et  des 
indications  sur  ce  qu'il  faut  faire  et  comment  il  faut  s'y  prendre. 
Cette  pensée  directrice  apparaßt  dans  beaucoup  de  romans  de 
George  Sand  écrits  durant  cette  période  de  sa  vie,  tels  que  : 
Flavie,  Antonia,  ValvĂšdre;  nous  en  trouvons  aussi  l'Ă©cho  dans 
Jean  de  la  Roche.  Mais  des  réminiscences  de  botanique,  de  miné- 
ralogie, d'entomologie  et  de  géologie  se  laissent  en  général 
noter  dans  presque  toutes  les  Ɠuvres  de  Mme  Sand  à  partir  de 
cette  Ă©poque  et  jusqu'Ă   ses  derniers  jours  :  roman,  drame  (par 


GEORGE   SAND  357 

exemple  le  Lis  du  Japon  tirĂ©  d'Antonio)  ou  mĂȘme  conte  pour  ses 
petits-enfants.  C'est  aussi  un  Ă©cho  de  cette  passion  pour  la 
botanique  et  des  impressions  italiennes  de  1855  que  présentent 
les  articles  :  la  Villa  PampMli,  les  Jardins  en  Italie,  les  Bois, 
Giovanni  Freppa  et  les  maïoliques  florentines  (1).  » 

D'autre  part  c'est  la  Daniella  qui  est  comme  le  résumé  des 
souvenirs  de  son  séjour  à  Rome  et  à  Frascati  aussi  bien  que  de 
ses  observations  sur  les  mƓurs  italiennes.  Et  on  peut  conclure, 
en  lisant  les  articles  précités  ainsi  que  ce  roman,  que  les  impres- 
sions italiennes  de  George  Sand  furent  plutÎt  négatives. 

DĂšs  son  premier  voyage  en  Italie  avec  Musset,  George  Sand 
avait  avoué  qu'elle  était  souvent  lasse  d'admirer  les  marbres 
antiques  et  qu'une  petite  fleur  modeste  ou  l'eau  glacée  d'une 
fontaine  lui  donnaient  plus  de  joie  que  les  Ɠuvres  d'art.  Cette 
note-là,  plus  accentuée  encore,  se  retrouve  dans  les  lettres  de 
George  Sand  datées  du  second  voyage  italien,  en  1855  : 

Frascati,  mars  1855. 

...D'ailleurs,  Rome,  à  bien  des  égards,  est  une  vraie  balançoire; 
il  faut  ĂȘtre  ingriste  pour  aimer  et  admirer  tout,  et  pour  ne  pas  se  dire, 
au  bout  de  trois  jours,  que  ce  qu'on  a  Ă   voir  est  absolument  pareil  Ă  
ce  qu'on  a  déjà  vu  sous  le  rapport  de  l'aspect,  du  caractÚre,  de  la  cou- 
leur et  du  sentiment  des  choses.  Ensuite,  on  peut  entrer  dans  le  détail 
des  ruines,  des  palais,  des  musées,  etc.,  et,  là,  c'est  l'infini  ;  car  il  y 
en  a  tant,  tant,  tant,  que  la  vie  d'un  amateur  peut  bien  n'y  pas  suf- 
fire. Mais,  quand  on  n'est  qu'artiste,  c'est-Ă -dire  voulant  vivre  de  sa 
propre  vie,  aprĂšs  s'ĂȘtre  un  peu  imprĂ©gnĂ©  des  choses  extĂ©rieures,  on 
ne  trouve  pas  son  compte  dans  cette  ville  du  passĂ©,  oĂč  tout  est  mort, 
mĂȘme  ee  que  l'on  suppose  encore  vivant. 

C'est  curieux,  c'est  beau,  c'est  intéressant,  c'est  étonnant;  mais 
c'est  trop  mort,  et  il  faudrait  savoir  sur  le  bout  des  doigts,  non  seule- 
ment ce  fameux  livre  de  Rome  au  siĂšcle  d'Auguste,  mais  encore  l'histoire 

(1)  Ce  dernier  article  parut  dans  la  Presse  du  5  juillet  1855  ;  «  les  Jardins 
en  Italie  »  et  «  les  Bois  »  dans  le  Magasin  pittoresque  de  1856,  et  «  la  Villa 
Pamphili  »  dans  le  journal  niçois  la  Terre  promise  du  8  décembre  1857.  Cet 
article  comme  aussi  le  morceau  inédit  Les  Loges  de  Raphaël,  fut  enlevé  du 
manuscrit  de  la  Daniella.  Tous  ces  articles  sont  rĂ©imprimĂ©s  dans  les  Ɠuvres 
complĂštes  de  G.  Sand  dans  les  volumes  :  Nouvelles  Lettres  d'un  voyageur  et 
Flavie. 


35S  GEORGE   SAND 

de  Rome  Ă   toutes  les  Ă©poques  de  son  existence  ;  il  faudrait  vivre  lĂ  
dedans,  l'esprit  tendu,  la  mémoire  mirobolante  et  l'imagination  éteinte. 

H  fut  un  temps,  sous  V Empire,  oĂč  l'on  s'asseyait  sur  le  tronçon  d'une 
colonne,  pour  méditer  sur  les  ruines  de  Palmyre  ;  c'était  la  mode,  tout 
le  monde  mĂ©ditait.  On  a  tant  mĂ©ditĂ©,  que  c'est  devenu  fort  embĂȘtant 
et  que  l'on  aime  mieux  vivre.  Or,  quand  on  a  passé  plusieurs  journées 
Ă   regarder  des  urnes,  des  tombeaux,  des  cryptes,  des  colombarium, 
on  voudrait  bien  sortir  un  peu  de  lĂ   et  voir  la  nature.  Mais,  Ă   Rome, 
la  nature  se  traduit  en  torrents  de  pluie  jusqu'Ă   ce  que,  tout  d'un  coup, 
viennent  la  chaleur  Ă©crasante  et  le  mauvais  air.  La  ville  est  immonde 
de  laideur  et  de  saleté  !  c'est  La  Chùtre  centuplée  en  grandeur  ;  ear 
c'est  immense  et  orné  de  monuments  anciens  et  nouveaux  qui  vous 
cassent  le  nez  et  les  yeux  à  chaque  pas,  sans  vous  réjouir,  parce  qu'ils 
sont  étouffés  et  gùtés  par  des  amas  de  bùtisses  informes  et  misérables. 
On  dit  quĂŻl  faut  voir  cela  au  soleil  ;  je  ne  dis  pas  non,  mais  il  me  semble 
que  le  soleil  ne  peut  pas  raccommoder  ce  qui  est  hideux. 

La  campagne  de  Rome  si  vantée  est,  en  effet,  d'une  immensité 
singuliÚre,  mais  si  nue,  si  plate,  si  déserte,  si  monotone,  si  triste,  des 
lieues  de  pays  en  prairies,  dans  tous  les  sens,  qu'il  y  a  de  quoi  se  brûler 
le  peu  de  cervelle  qu'on  a  conservée  aprÚs  avoir  vu  la  ville...  (1) 


Frascati,  14  avril  1855. 

...La  nature  y  est  belle,  surtout  jolie;  car  ne  croyez  pas  un  mot  de  la 
grandeur  et  de  la  sublimité  des  aspects  de  Rome  et  de  ses  environs. 
Pour  qui  a  vu  autre  chose,  c'est  tout  petit  ;  mais  c'est  d'un  coquet 
ravissant.  Entendons-nous  pourtant,  c'est  le  petit  dans  le  grand  ; 
car  cette  campagne  romaine,  tout  unie,  est  immense  comme  une  nier 
environnée  de  montagnes.  Mais  les  détails,  les  ruines,  les  palais,  le^ 
Ă©glises,  les  collines,  les  lacs,  les  jardins,  tout  cela  paraĂźt  hors  de  pro- 
portion avec  la  scĂšne  qui  les  continue. 

...Le  jour  de  Pùques  a  été  aussi  un  beau  jour  trÚs  chaud  ;  nous  l'avons 
passĂ©  Ă   Rome,  oĂč  nous  avons  reçu  la  bĂ©nĂ©diction  urbi  et  orbi.  C'est 
une  cérémonie  trÚs  vantée,  mais  qui  n'est  pas  mise  en  scÚne  avec  art. 
Le  goût  français  manque  à  toute  chose,  ici  comme  ailleurs.  La  nature 
s'en  moque.  Elle  nous  prodigue  les  fleurs  que  l'on  cultive  dans  nos 
jardins  avec  respect.  Ici,  en  plein  désert,  on  marche  sur  le  réséda, 
sur  les  narcisses,  sur  les  cyclamens  et  mille  autres  fleurs  adorables  dont 
je  vous  fais  grĂące,  Ă   vous  qui  ne  connaissez  que  les  tulipes  (2)... 

(1)  Lettre  Ă   EugĂšne  Lambert  (Corr.,  t.  IV). 

(2)  Jules  Néraud,  auquel  ces  lignes  étaient  adressées,  était,  comme  nous 
savons,  un  Ă©minent  botaniste. 


GEORGE   SAND  359 

...Ici  tout  est  différent,  depuis  a  jusqu'à  2,  de  ce  qui  est  chez  nous. 
Hommes  et  bĂȘtes,  coutumes,  idĂ©es,  besoins,  terre,  plantes,  air,  c'est 
un  autre  monde.  Je  ne  sens  pas  la  puissance  de  séduction  de  ce  pays 
autant  qu'on  me  l'avait  annoncé.  Trop  de  choses  sont  en  désaccord 
avec  notre  maniĂšre  de  voir  et  de  sentir  ;  mais  je  reconnais  qu'il  est 
bon  de  l'avoir  vu,  ne  fût-ce  que  pour  aimer  davantage  cette  douce 
France  au  ciel  gris,  oĂč  les  hommes,  si  peu  hommes  qu'ils  soient,  sont 
encore  plus  hommes  que  partout  ailleurs.... 


MĂȘme  en  ce  qui  regardait  la  nature  italienne,  la  flore,  les  effets 
de  lumiĂšre  et  d'ombre,  Mme  Sand  ne  partageait  pas  les  admira- 
tions et  les  enthousiasmes  reçus  des  «  italianomanes  ».  Selon  elle 
la  flore  —  ou  plutĂŽt  les  arbres  dans  le  sens  exact  du  mot  «  sont 
durs,  Ăąpres  de  tons,  trop  gigantesques  ;  les  plantes  vertes  ne 
sont  pas  doucement  balancées  par  la  brise,  mais  seulement 
secouĂ©es  par  les  tempĂȘtes,  les  troncs  de  cyprĂšs  ressemblent  aux 
colonnes  en  faisceaux  des  cathédrales,  les  oliviers,  les  lauriers, 
les  myrtes  et  les  orangers  —  tout  cela  manque  de  grñce,  de 
douceur,  est  trop  dur  de  ton  et  de  lignes,  comparé  à  la  flore  de 
l'Europe  centrale  ».  George  Sand  le  répÚte  sur  tous  les  tons  dans 
ses  articles  les  Bois  et  la  Villa  Pamphili.  Seules  les  fleurs  d'Italie 
la  ravissaient,  les  sauvages  comme  celles  qu'on  cultivait  dans  les 
jardins,  et  elle  en  parle  avec  admiration  dans  le  dernier  de  ces 
deux  articles,  dans  les  pages  intitulées  les  Jardins  en  Italie  et 
dans  ses  lettres  privées.  Dans  ce  dernier  article  elle  décrit  encore 
avec  beaucoup  de  sympathie  ces  fantaisies  du  dix-huitiĂšme  siĂšcle 
qui  sont  restées  à  peu  prÚs  intactes  dans  les  jardins  des  villas 
romaines  :  «  ruines  »,  cascades  et  cascatelles,  lacs  artificiels  et 
arbres  chantants,  escaliers  gigantesques  menant  Ă   quelque 
pavillon  minuscule,  grottes,  portiques,  colonnades,  etc.,  etc.  Il 
est  Ă©vident  que  toutes  ces  bĂątisses  et  tous  ces  ornements  si  naĂŻve- 
ment romantiques  avaient  fait  vibrer  la  corde  sensible  de 
George  Sand,  son  amour  de  tout  ce  qui  Ă©tait  quelque  peu 
empreint  d'un  romantisme  d'opéra.  Au  contraire  elle  resta 
froide  à  l'égard  de  l'antiquité  classique,  et  en  décrivant  Rome 
et  ses  monuments  avec  une  dose  trĂšs  visible  de  critique  et  de 
scepticisme,  elle  parle  avec  enthousiasme  de  toutes  ces  villas,  ces 


3<5o  GEORGE   SAXD 

palais  abandonnés  et  ces  ruines  aux  environs  de  Frascati  et 
Albano  oĂč  elle  passa  quelques  semaines  avec  Maurice  et  Manceau. 

...Mais  !  mais,  quand  on  est  sorti  de  cette  immensité  plate,  quand 
on  arrive  au  pied  des  montagnes,  c'est  autre  chose.  On  entre  dans  le 
paradis,  dans  le  troisiĂšme  ciel.  C'est  lĂ   que  nous  sommes. 

...Le  lieu  oĂč  nous  sommes  est  si  beau,  si  Ă©trange,  si  curieux,  si  sublime 
et  si  joli  en  mĂȘme  temps,  que  j'en  aurai  pour  toute  une  saison  Ă   te 
raconter.  Réjouis-toi  donc  de  notre  fortune  présente  ;  car  nous  sommes 
enfin  payés  de  nos  fatigues  et  de  nos  déceptions,  payés  avec  usure.  Tu 
peux  lire  ma  lettre  Ă   Solange.  Tu  sauras  comment  nous  sommes  cam- 
pés ;  mais  nos  promenades,  rien  ne  peut  en  donner  l'idée.  C'est  à  chaque 
pas  une  découverte.  Aujourd'hui,  par  exemple,  nous  avons  passé  la 
journée  dans  un  immense  palais  entiÚrement  abandonné  au  haut  d'une 
colline.  J'ai  pensé  à  toi,  mon  petit  Lambert.  Ah  !  qu'on  serait  heureux 
d'ĂȘtre  riche  et  d'associer  tous  ses  enfants  aux  vrais  plaisirs  que  l'on 
rencontre.  Que  de  souterrains,  que  de  fleurs,  que  de  ruisseaux,  de  cas- 
cades, d'arbres  monstrueux,  de  ruines,  de  cours  abandonnées,  de  ro- 
cailles  brisées,  de  statues  sans  nez,  d'herbes  folles,  de  mosaïques  cou- 
vertes de  gazon  et  d'asphodĂšles  !  C'est  Ă   en  rĂȘver  ;  et  des  galeries  et  des 
escaliers  sans  fin  qui  s"en  vont  du  ciel  au  fond  de  la  terre,  un  tas  de 
constructions  inexplicables,  les  vestiges  d'un  luxe  insensé  ensevelis 
sous  la  misĂšre  ;  et  tout  cela  au  sommet  d'un  panorama  de  montagnes, 
de  terres,  de  mers  Ă   donner  le  vertige.  C'est  trop  beau  (1). 

Toutes  ces  ruines  romantiques  et  les  villas  frascatanes  :  Picco- 
loiiuni,  Taverna,  Falconieri,  Mondragone,  George  Sandles  décrivit 
dans  son  roman  la  Daniella. 

Quant  aux  impressions  de  la  vie  et  des  mƓurs  italiennes, 
Mme  Sand,  malgré  toute  sa  sensibilité  artistique  et  son  don  d'ob- 
servation, regardait  tout  ce  qui  se  déroulait  devant  elle  avec  un 
certain  parti-pris  empreint  des  doctrines  Ă©mancipatrices  du  dix- 
huitiĂšme  siĂšcle  et  de  celles  de  Leroux.  Au  lieu  de  simplement  noter 
sur  le  vif  les  mƓurs,  les  particularitĂ©s  pleines  de  couleur,  les  us 
et  coutumes  de  la  population  et  des  hautes  classes  italiennes,  ou 
de  s'extasier  sur  la  beauté  des  pierres  antiques,  George  Sand  intro- 
duisit d'emblée  dans  ses  observations  un  élément  de  douleur  et 

(1)  Il  est  trÚs  intéressant  de  confronter  ce  passage  avec  la  description  du 
lieu  habité  par  Valreg.  le  héros  du  roman,  dans  Daniella  (t.  Ier,  p.  119-121, 
123-127,  271-278) 


GEORGE   SAND  361 

d'indignation  «  civique  »  sur  le  «  paganisme  »  et  le  «  cléricalisme  »  ; 
elle  vit  dans  la  misÚre,  la  paresse,  la  malpropreté  et  les  superstitions 
demi-païennes  des  méridionaux,  les  fruits  de  la  domination  des 
«  calotins  »  ;  elle  attribua  atout  le  peuple  la  filouterie,  la  mendicité, 
la  fainéantise  et  l'avidité  des  bas-fonds  urbains,  qui  sont  surtout 
en  rapports  avec  les  étrangers  ;  elle  se  déclara  indignée  par  la 
promiscuité  des  ruines  antiques  avec  les  haillons  pittoresques 
et  les  banales  demeures  modernes  des  indigents  romains,  et, 
selon  le  proverbe  russe,  «  elle  ne  vit  pas  la  forĂȘt  pour  avoir  trop 
regardé  les  arbres  »  :  elle  ne  sentit  pas  le  parfum  de  cette  vraie 
antiquité  de  la  Ville  éternelle,  son  immuabilité  au  milieu  de  cette 
accumulation  incomparable  de  tous  les  styles,  de  toutes  les 
Ă©poques,  de  tous  les  siĂšcles,  dont  chacun  Ă©prouve  renchantement 
sur  les  ruines  du  Forum,  dans  la  basilique  de  San  Paolo  fuori  le 
mura,  à  San  Pietro  in  Montorio,  sur  l'arÚne  du  Colisée,  dans 
quelque  palais  romain  du  moyen  ùge  ou  sous  les  voûtes  de  l'édi- 
fice colossal  de  Bramante.  Et  ce  parti-pris  se  refléta  dans  ce 
roman  oĂč  nous  est  racontĂ©  l'amour  romanesque  du  peintre  Jean 
Valreg  pour  une  certaine  stiratrice  du  nom  de  Daniella,  c'est-Ă - 
dire  simplement  pour  une  blanchisseuse  frascatane,  histoire 
compliquée  par  la  jalousie  de  l'ex-maßtresse  de  ladite  stiratrice, 
miss  MĂ©dora,  et  les  aventures  fantastiques  du  libre-penseur  italien 
comte  de  Monte-Corona,  que  la  police  papale  poursuit,  ainsi  que 
Valreg.  Les  impressions  négatives,  produites  sur  l'auteur  par  la 
vie  italienne  contemporaine  se  reflétÚrent  tellement  dans  la  Da- 
niella que,  lorsque  ce  roman  parut,  le  vieil  ami  de  Mme  Sand, 
Luigi  Calamatta,  lui  adressa  des  reproches,  lui  disant  qu'il 
s'Ă©tonnait  comment  elle  pouvait,  d'une  part,  ne  pas  comprendre 
les  beautés  du  Colisée  et  de  tous  les  merveilleux  monuments 
antiques,  et,  d'autre  part,  attaquer  la  malheureuse  Italie  oppri- 
mée, souffrant  sous  le  double  joug  :  étranger  et  clérical.  George 
Sand  répondit  immédiatement  à  Calamatta  par  la  lettre  pleine 
de  signification  que  voici  : 

Nohant,  6  avril  1857. 

Tu  ne  sais  pas  ce  que  tu  dis  avec  ton  Colisée,  ton  forum,  ton  grand 
peuple  et  ton  cri  de  vengeance  que  l'on  doit  crier  sur  les  toits.  Je  te 


362  GEORGE   SAND 

passe  ton  goût  d'artiste,  c'est  ton  droit,  et  je  ne  dispute  pas  avec  ceux 
qui  ont  leur  puissance  (une  véritable  puissance)  dans  leur  point  de  vue. 
Je  serais  bien  fùchée  de  les  ébranler,  si  je  le  pouvais,  et,  comme  je  ne 
le  peux  pas,  mes  notions  et  mes  instincts,  Ă   moi,  sont  le  droit  de  ma 
thĂšse,  sans  aucun  danger  ni  dommage  pour  ceux  qui  sont  forts  avec 
la  thĂšse  contraire. 

Quant  Ă   ce  que  je  devais  dire  sur  les  martyrs  de  la  cause,  je  l'ai  dit  ; 
mais  cela  doit  rester  dans  le  tiroir  jusqu'Ă   nouvel  ordre.  Tu  crois  donc 
que  l'on  est  libre  de  dire  quelque  chose?  Je  te  trouve  beau,  toi,  avec 
tes  mains  dans  tes  poches,  sur  le  pavé  de  Bruxelles  !  J'ai  essayé,  au 
dernier  chapitre  du  roman,  de  faire  pressentir  quelque  chose  de  ma 
pensée  ;  mais  il  n'est  pas  dit  encore  que  cela  passe. 

Trois  lignes  sur  Lamennais  ont  été  coupées  à  propos  des  capucins 
de  Frascati,  chez  lesquels  il  avait  demeuré,  et  pourtant  la  Presse  fait 
son  possible  pour  laisser  vivre  le  rédacteur  ;  ma  !  nous  sommes  dans 
le  royaume  de  la  mort  ! 

Donc,  puisque  l'on  ne  peut  parler  de  ce  qui,  Ă   Rome,  est  muet,  para- 
lysé, invisible,  il  faut  éreinter  Rome,  ce  que  l'on  en  voit,  ce  que  l'on 
y  cultive,  la  saleté,  la  paresse,  l'infamie.  Il  ne  faut  faire  grùce  à  rien, 
pas  mĂȘme  aux  monuments  qui  consolent  les  stupides  touristes,  fau:. 
altistes  sans  entrailles,  sans  rĂ©flexion,  sans  cƓur,  qui  vous  disent  : 
«  Qu'est-ce  que  ça  fait,  les  prĂȘtres  et  les  mendiants?  ça  a  du  caractĂšre, 
c'est  en  harmonie  avec  les  ruines,  on  est  trĂšs  heureux  ici,  on  admire  la 
pierre,  on  oublie  les  hommes.  » 

Eh  bien  non,  je  ne  veux  rien  admirer,  rien  aimer,  rien  tolérer  dans  le 
royaume  de  Satan,  dans  cette  vieille  caverne  de  brigands.  Je  veux 
cracher  sur  le  peuple  qui  s'agenouille  devant  les  cardinaux.  Puisque 
c'est  le  seul  peuple  dont  il  soit  permis  de  parler,  parlons-en!  celui 
dont  on  ne  parle  pas  est  hors  de  cause.  Si  quelqu'un  prend,  grĂące  Ă   moi, 
Rome,  telle  qu'elle  est  aujourd'hui,  en  horreur  et  en  dégoût,  j'aurai 
fait  quelque  chose.  J'en  dirais  bien  autant  de  nous,  si  on  me  laissait 
faire  ;  mais  on  a  les  mains  liées,  et  je  n'insiste  jamais,  pour  que  d'autres 
s'exposent  Ă   ma  place. 

Et  puis,  d'ailleurs,  nous  autres  Français,  nous  ne  sommes  jamais  si 
laids  qu'un  peuple  dévot  et  paresseux.  Nous  nous  trompons,  nous  nous 
grisons,  nous  devenons  fous.  Mais  pourrait-on,  faire  de  nous  ce  que 
l'on  a  fait  de  Rome?  CM  h  sa  ?  peut-ĂȘtre  !  Mais  nous  n'y  sommes 
pas. 

Il  est  donc  bon  de  dire  ce  qu'on  devient  quand  on  retombe  sous  la 
soutane,  et  j'ai  trĂšs  bien  fait  de  le  dire  Ă   tout  prix.  Cela  doit  fĂącher  des 
cƓurs  italiens  ;  s'ils  rĂ©flĂ©chissent,  ils  doivent  m'approuver  (1). 

(1)  Corresp.,  vol.  IV,  p.  97-99. 


GEORGE   SAXD  363 

Mais  presque  simultanément,  précédant  de  peu  de  jours  la 
lettre  privée  de  Calamatta  à  Mme  Sand,  parut  dans  le  SiÚcle  un 
article  d'Anatole  de  La  Forge  qui  adressa  Ă   Mme  Sand  une 
lettre  ouverte  au  nom  de  MM.  Henri  Martin,  Manin,  Ary  Schef- 
fer,  du  général  Ulloa  et  autres.  Ces  messieurs  déclaraient  leur 
chagrin  à  propos  des  expressions  dont  George  Sand  s'était  semé 
en  parlant  de  l'Italie.  George  Sand  répondit  sur-le-champ  par  une 
lettre  adressée  au  directeur  politique  du  SiÚcle,  M.  Ha  vin,  et  envoya 
une  copie  de  cette  lettre  Ă   Charles -Edmond,  pour  l'imprimer  dans 
la  Presse.  Dans  sa  lettre  inĂ©dite  du  14  mars  1857  Ă   ce  mĂȘme 
Charles  Edmond,  nous  trouvons  Ă   ce  propos  les  lignes  suivantes  : 

Cher  ami,  je  vous  envoie  ci-contre  la  copie  d'une  lettre  que  je  vous 
prierai  de  faire  insérer  dans  la  Presse,  dÚs  que  le  SiÚcle  l'aura  publiée, 
et  mĂȘme  avant,  si  le  SiĂšcle,  qui  ne  m'aime  pas  du  tout,  tarde  trop  Ă  
faire  son  devoir.  J'y  ai  joint  un  en-tĂȘte,  note  explicative  que  vous  arran- 
gerez ou  retrancherez  si  vous  le  jugez  Ă   propos,  mais  qui  me  paraĂźt 
cependant  utile  pour  préciser  la  question.  Vous  voyez  qu'on  m'at- 
taque beaucoup  parce  que  je  me  suis  permis  de  dire  la  vérité  sur  l'état 
de  la  population  romaine,  et  que  l'on  veut  sottement  me  faire 
crime  de  ce  dont  on  devrait  me  faire  un  remerciement.  J'ai  eu  le  cou- 
rage de  dire  ce  que  l'Eglise  fait  des  hommes  qu'elle  gouverne  spirituel- 
lement et  politiquement,  et  de  protester  contre  les  touristes  sans 
entrailles  qui  pardonnent  Ă   l'abaissement  de  la  race  humaine,  Ă   cause 
de  la  beauté  de  l'air  et  des  pierres,  du  pittoresque  des  haillons  et  de  la 
mise  en  scÚne  pontificale  (choses  souillées  ou  ratées  bien  réellement). 

H  devient  donc  bien  nécessaire  que  nous  nous  entendions  au  plus 
vite  sur  le  résumé  de  la  fin  et  que  vous  me  le  laissiez  aussi  entier  que 
possible.  Autrement  vous  me  livreriez  aux  hĂȘtes,  et  vous  ĂȘtes  trop  che- 
valier slave  pour  le  vouloir. 

Cependant  si  vous  croyez  pouvoir  me  donner  plus  de  liberté  en  met- 
tant en  note  que  vous  n'endossez  pas,  en  tant  que  journal  (opinion  col- 
lective) la  responsabilité  de  mon  dire,  vous  ne  me  fùcherez  pas  :  faites. 

Emile  (1)  a  dĂ»  vous  voir  pour  nos  affaires.  Je  travaille  donc  toujours 
pour  vous  (2)  ;  à  vous  de  cƓur. 

G.  Sand. 

Ne  négligez  pas  de  me  répondre  pour  cette  conclusion  du  roman, 
il  le  faut  absolument. 


(1)  Emile  Aucante 

(2)  V.  plus  loin  p. 


p.  382. 


364  GEORGE   SAND 

Quant  Ă   sa  lettre  mĂȘme,  adressĂ©e  aux  journaux,  elle  est  ainsi 
conçue  : 

A  Monsieur  Havin,  directeur  politique  du  «  SiÚcle  » 

Monsieur, 

Veuillez  me  permettre  de  dire,  dans  votre  honorable  journal,  que  si 
MM.  Henri  Martin,  Manin,  Ary  Schefßer  et  le  général  Ulloa  pensaient 
avoir  un  reproche  Ă   m'adresser,  ils  ne  se  fussent  pas  servis  de  la  plume 
d'un  intermĂ©diaire.  Je  connais  assez  leur  loyautĂ©  pour  ĂȘtre  trĂšs  cer- 
taine qu'ils  n'ont  chargé  personne  de  la  rédaction  d'un  manifeste 
contre  moi. 

En  ce  qui  touche  particuliĂšrement  M.  Henri  Martin,  qui  veut  bien 
m'honorer  depuis  longtemps  de  son  amitié,  j'affirme  qu'une  discussion 
affectueuse  et  réfléchie  m'eût  été  présentée  par  lui  dans  une  lettre 
particuliĂšre,  sans  jamais  prendre  la  forme  d'un  procĂšs  de  tendance 
Ă   la  voie  des  journaux. 

Je  n'ai  donc  point  à  répondre  à  la  lettre  de  votre  correspondant, 
et  je  me  fie  à  votre  délicatesse  pour  l'insertion  immédiate  de  la  mienne 
dans  les  colonnes  du  SiĂšcle. 

Agréez,  monsieur,  l'expression  de  mes  sentiments  trÚs  distingués, 

George  Saxd. 
Notant,  14  mars  1857  (1). 

En  réponse  à  ces  lignes  vint  de  la  part  de  MM.  Manin,  Ulloa 
et  Ary  Schefßer  la  confirmation  d'avoir  en  effet  chargé  M.  de 
Laforge  de  donner  voie  Ă   leur  protestation.  Alors  George  Sand 
fit  paraßtre,  toujours  dans  le  SiÚcle,  une  seconde  lettre  adressée 
cette  fois  directement  Ă   MM.  Manin,  Ulloa  et  Ary  SchefĂźer. 

Messieurs, 

Puisque  vous  avez  cru  devoir  signer  la  déclaration  suivante  publiée 
dans  le  SiĂšcle  : 

«  Nous  déclarons  avoir  autorisé  M.  Anatole  de  la  Forge  à  exprimer 
nos  regrets  Ă   Mme  Sand,  Ă   propos  des  expressions  dont  elle  s'est  servie 
en  parlant  de  l'Italie.  » 

Permettez-moi  de  vous  demander  s'il  vous  convient  de  signer  la 
déclaration  complÚte. 

(1)  Cette  lettre  parut  dans  le  SiĂšcle  du  18  mars  1857. 


GEORGE   SAND  365 

A  savoir  qu'il  résulte  de  la  lecture  entiÚre  du  roman  intitulé  la  Da- 
nieUa. 

«  Que  les  opinions  de  Mme  Sand  ont  subi  une  triste  métamorphose; 
qu'elle  insulte  Ă   l'infortune  d'un  peuple  opprimĂ©  ;  qu'elle  prĂȘte  V appui 
de  sa  plume  aux  détracteurs  de  l'Italie  ;  qu'elle  ajoute  sa  signature 
au  bas  de  l'acte  d'accusation  que  dressent  contre  l'Italie  d'aveugles  et 
injustes  persécuteurs;  que  les  amis  de  l'Italie  sont  affligés  de  la  rencon- 
trer dans  les  rangs  de  ses  adversaires;  enfin,  que  de  gaietĂ©  de  cƓur,  elle 
lance  l'outrage  aux  fronts  sur  lesquels  elle  devrait  placer  des  cou- 
ronnes. » 

Vous  devez,  messieurs,  cette  déclaration  à  M.  Anatole  de  la  Forge, 
ou  vous  me  devez,  à  moi,  une  réparation  d'honneur.  Ce  n'est  pas  parce 
que  je  suis  une  femme  que  vous  auriez  bonne  grĂące  Ă   me  la  refuser. 

Mais  s'il  vous  plaßt  d'assumer  la  responsabilité  des  expressions  dont 
s'est  servi  votre  interprĂšte  en  parlant  de  moi,  et  de  faire  connaĂźtre  que 
ses  sentiments  sur  mon  compte  sont  les  vĂŽtres,  je  me  le  tiendrai  pour 
dit  et  ne  répondrai  pas  un  mot,  n'ayant  plus  alors  qu'à  pardonner  une 
horrible  injustice  Ă   des  hommes  qui  ont  beaucoup  fait,  l'un  pour  son 
art,  les  autres  pour  leur  patrie. 

Ce  silence  et  ce  pardon  seront  de  ma  part  une  justification  plus  frap- 
pante que  des  paroles.  Les  cƓurs  droits  n'y  verront  point  une  fin  de 
non-recevoir,  mais  un  acte  de  respect  envers  vous,  aussi  bien  qu'envers 
moi-mĂȘme. 

Agréez,  Messieurs,  l'expression  de  mes  sentiments  trÚs  distingués. 

George  Sand. 
Nohant,  19  mars  1857. 


Ce  mĂȘme  jour,  le  19  mars,  elle  Ă©crit  Ă   Charles  Edmond  : 

Cher  ami,  vous  ne  m'Ă©crivez  pas,  vous  m'envoyez  mes  Ă©preuves 
sans  dire  ce  que  vous  comptez  retrancher.  Vous  ne  pouvez,  sans  me 
blesser  et  m' affliger  beaucoup,  me  laisser  désarmée  devant  l'insulte  que 
m'infligent  MM.  Manin,  Ary  Scheffer  et  Ulloa.  Je  vous  prie  donc  de 
ne  rien  retrancher  de  ce  que  je  marque  au  crayon,  ou  je  serai  forcée 
de  sommer  le  SiĂšcle,  qui  ouvre  ses  colonnes  Ă   l'outrage,  de  publier  le 
chapitre  à  ses  risques  et  périls.  Comment  trouvez-vous  ces  exécuteurs 
des  hautes  Ɠuvres? 

Mais  votre  silence  me  tourmente.  Songez  que  la  querelle  devient  grave 
pour  moi. 

A  vous  de  cƓur, 

G.  Sand. 


366  GEORGE   SAND 

Enfin  le  2  avril  elle  inséra  une  derniÚre  lettre  à  ces  messieurs, 
ainsi  rédigée  : 


Messieurs, 

Je  dois  accepter  vos  explications,  bien  qu'elles  ne  me  satisfassent 
pas  complĂštement.  Quant  Ă   M.  Ary  Sclieffer,  qui  n'a  pas  dans  les  mal- 
heurs on  les  travaux  de  sa  vie  politique  les  mĂȘmes  excuses  Ă   une  trop 
vive  susceptibilité,  je  pardonne  à  l'artiste,  ainsi  que  je  F  ai  promis,  et 
je  le  mets  hors  de  cause. 

Quant  Ă   vous,  messieurs,  je  persiste  Ă   trouver  votre  alarme  mal 
fondée,  et  votre  empressement  à  la  laisser  traduire  en  paroles  publiques 
trÚs  irréfléchi.  Je  n'ai  pas  besoin  que  l'on  m'enseigne  ce  que  je  dois  de 
respect  et  d'affection  aux  martyrs  de  FItalie  ;  je  le  sais. 

En  disant  que  l'Italie  ne  saurait  ĂȘtre  purifiĂ©e  (1),  j'ai  fait  parler  un 
personnage  de  roman  qui  doute  de  la  femme  qu'il  aime  et  qui,  dans  um 
heure  de  spleen,  l'identifie  avec  le  milieu  qu'elle  habite,  avec  la  terre  Ă  
laquelle  elle  appartient.  Quelques  chapitres  plus  loin,  il  retrouve,  dans 
la  pureté  de  cette  femme,  l'espoir  et  la  foi  qui  lui  manquaient.  C'est  ce 
qui  m'a  fait  dire  qu'un  roman  ne  devait  pas  ĂȘtre  lu  comme  un  recueil 
de  sentences.  Les  hommes  politiques  ne  sont  pas  forcés  de  savoir  ee 
que  c'est  qu'un  roman,  et  comment  le  fait  y  répond,  parfois  mieux  que 
les  paroles,  aux  axiomes  placés  dans  la  bouche  des  personnages.  Mais 
aussi  les  hommes  politiques  ne  sont  pas  forcés  de  lire  ces  sortes  d'ou- 
vrages et  de  les  juger.  Ce  n'est  pas  leur  Ă©tat. 

En  disant  qu'un  peuple  a  le  gouvernement  qu'il  mérite  (2),  j'ai  trÚs 

(1)  Cette  expression  se  rapporte  aux  lignes  de  Daniella  :  «  Mais  quoi, 
pensais-j e,  en  m' arrachant  au  charme  qui  me  dominait,  ce  vaste  ciel  et  ces 
sales  décombres,  ces  fleurs  luxuriantes  et  ces  égouts  infects,  ces  yeux  eni- 
vrants et  ces  cƓurs  sonillĂ©s,  n'est-ce  pas  lĂ   toute  l'Italie,  vierge  prostituĂ©e 
à  tous  les  bandits  de  l'univers,  immortelle  beauté  que  rien  ne  peut  détruire, 
mais  qu'aussi  rien  ne  saurait  purifier?...  »  (Daniella,  t.  Ier,  p.  217X 

(2)  On  lit  Ă   la  page  87  du  t.  II  de  DameUa  : 

«  ...Je  remarquai,  au  bout  d'un  instant,  que  le  prince  et  le  docteur  n'étaient 
nullement  d'accord  sur  les  moyens  de  sauver  l'Italie.  Plus  logique  et  plus 
courageux  d'esprit  que  son  ami,  le  docteur  voulait  renverser  les  vieux  pou- 
voirs. Le  prince,  aussi  hardi  de  caractĂšre  que  timide  de  principes,  ne  s'en 
prenait  qu'aux  abus,  et  rĂȘvait  un  retour  Ă   l'Italie  de  LĂ©on  X  et  des  MĂ©dicis, 
sans  vouloir  avouer  que  ces  abus  avaient  pris  d'autant  plus  d'essor  et  de 
licence  que  Rome  et  Florence  avaient  eu  plus  d'Ă©clat,  d'artistes,  de  luxe  et 
d'aristocratie.  Quant  Ă   son  gouvernement  napolitain,  il  en  parlait  avec 
horreur  et  mépris,  mais  sans  pouvoir  admettre  l'idée  de  remplacer  l'autorité 
absolue  par  une  constitution  démocratique.  Il  avait  vu  la  populace  de  son 
pays  se  faire  l'exĂ©cuteur  des  hautes  Ɠuvres  de  la  tyrannie,  et  il  ne  pouvait 
sacrifier  la  répugnance  trop  fondée  du  fait  à  l'enthousiasme  du  principe. 
J'en  concluais,  en  moi-mĂȘme,  que  lĂ   oĂč  des  natures  bienveillantes  et  sincĂšres 


GEORGE   SAND  367 

nettement  et  trÚs  clairement  désigné  et  spécifié  le  lazzaronisme  napo- 
litain. Mais  quand  mĂȘme  j'aurais  appliquĂ©  la  sĂ©vĂšre  parole  de  M.  de 
Maistre  Ă   toute  l'Italie,  ce  qui,  par  rapport  Ă   la  politique  d'invasion 
de  l'Autriche  n'est  pas  et  ne  peut  pas  ĂȘtre,  je  n'aurais  fait  que  rendre 
plus  d'hommage  aux  minorités  qui  protestent. 

Les  expressions  dont  on  s'est  servi  Ă   mon  Ă©gard,  sont  donc  blessantes 
pour  le  plaisir  de  l'ĂȘtre,  et  resteront  comme  une  grave  erreur  dans  la 
vie  du  jeune  homme  qui  s'en  est  fait  un  mérite  à  vos  yeux.  Vous  ne  les 
avouez  pas,  je  le  crois  bien  !  Mais  en  faisant  si  bon  marché  de  mon 
mécontentement  et  en  me  disant  que  le  débat  n'est  pas  là,  vous  vous 
trompez.  H  est  lĂ   et  non  ailleurs,  car  je  n'admets  pas  qu'il  y  ait  dis- 
cussion entre  nous  sur  la  question  italienne  au  point  de  vue  oĂč  il  vous 
plaĂźt  de  la  placer. 

Quant  aux  paroles  de  mon  ami  M.  Henri  Martin,  avec  lesquelles 
vous  désiriez  conclure,  comme  dans  une  lettre  particuliÚre  il  m'a  déclaré 
n'avoir  pas  lu  le  roman,  je  suis  certaine  qu'il  m'autorise  Ă   changer  cette 
conclusion  et  Ă   dire  que,  non  seulement  j'ai  servi  et  servirai  encore 
la  cause  de  l'Italie,  mais  que  je  la  sers  aujourd'hui  mieux  que  jamais. 

Agréez,  messieurs,  l'expression  de  mes  sentiments  trÚs  distingués. 

George  Sand. 
Nohant,  29  mars  1857. 


Mme  Sand  ajouta,  de  plus,  Ă   l'adresse  de  M.  Manin  seul,  les 
lignes  suivantes  : 

Nohant,  30  mars  1867. 
Monsieur, 

Au  moment  d'envoyer  cette  lettre  au  SiÚcle,  je  reçois  celle  que  vous 
me  faites  l'honneur  de  m' adresser  en  particulier.  Je  vous  en  remercie  ; 
mais  il  ne  me  convient  pas  de  vous  en  remercier  en  secret.  On  s'est 
piqué  d'assez  de  franchise  envers  moi  pour  que  je  puisse  réclamer  un 
peu  de  sincérité.  C'est  donc  avec  sincérité  et  devant  tout  le  monde, 
que  je  consens  Ă   vous  serrer  la  main. 

George  Sand. 


comme  celle  de  ce  prince  avaient  le  peuple  en  aversion,  c'Ă©tait  la  faute  du 
peuple  et  qu'un  critérium  de  l'état  de  maturité  de  la  démocratie  d'un  pays 
devrait  ĂȘtre  la  confiance  qu'elle  inspire  aux  esprits  Ă©levĂ©s  ou  aux  cƓurs 
aimants.  On  pourrait  dire  à  un  peuple  :  «  Dis-moi  de  qui  tu  es  aimé,  et  je  te 
‱  dirai  qui  tu  es.  »  Je  crois  que  de  Maistre  a  dit  «  qu'un  peuple  a  toujours 
«  le  gouvernement  qu'il  mérite  d'avoir.  » 


36S  GEORGE    SAND 

Toutefois  Mme  Sand  «  tendit  la  main  »,  mĂȘme  Ă   Manin,  pas 
trÚs  franchement,  mais  bien  avec  un  dépit  rentré,  comme  on 
le  voit  par  sa  lettre  inĂ©dite  Ă   Charles  Edmond  datĂ©e  de  ce  mĂȘme 
30  mars.  AprÚs  y  avoir  vanté  Xefftzer  qui  avait  fait  preuve  d'un 
grand  courage  personnel  en  cette  affaire  et  témoigné  beaucoup 
d'amitié  à  Mine  Sand,  et  aprÚs  avoir  parlé  de  l'entreprise  d'Emile 
Aucante  qui  avait  fondé  à  Paris  un  bureau  littéraire  dans  le  but 
de  faciliter  les  relations  entre  les  Ă©crivains  et  les  Ă©diteurs, 
Mme  Sand  ajoute  que  les  Ă©diteurs  devraient  eux-mĂȘmes  com- 
prendre l'utilité  d'une  telle  entreprise. 

Mais,  dit-elle,  qui  est-ce  qui  comprend  quelque  chose?  Ce  n'est  pas 
Manin  qui  comprend  le  français,  ni  Ary  Scheffer  qui  comprend  l'ita- 
lien, ni  notre  gouvernement  qui  comprend  la  papauté  comme  il  faut. 
Comprenez  que  je  suis  à  vous  de  cƓur  et  chargez-vous  de  mon  billet 
pour  M.  Nefftzer. 

C'est  ainsi  que  cet  incident  fut  enfin  clos.  Mais  Mme  Sand 
avait  accumulé  en  son  ùme  beaucoup  d'amertume.  Ces  lignes 
Ă©crites  Ă   Charles  Poney  le  20  avril  en  sont  la  preuve  : 


Nohant,  20  avril  1857. 

...Je  suis  bien  aise  que  Danielh  vous  ait  amusé.  La  danse  a  fini  par 
un  coup  de  balai  que  la  police  m'a  donné  dans  les  jambes,  pourm'ap- 
prendie  Ă   dire  que  le  pape  Ă©tait  un  fichu  souverain  et  sa  prĂȘtraille  une 
clique.  La  police  est  si  pieuse  !  Et  puis,  quelques  Italiens  bĂȘtes  m'ont 
cherché  noise,  ce  qui  m'a  forcée  de  me  moquer  d'eus.  Vous  avez  dû 
voir  tout  cela  dans  le  SiĂšcle.  Si  vous  ne  l'avez  pas  lu,  par  hasard, 
ne  le  cherchez  pas,  ça  n'en  vaut  pas  la  peine... 

C'est  ainsi  que  Daniella  causa  Ă   son  auteur  beaucoup  d'ennuis 
et  d'inquiétudes.  Il  faut  d'autre  part  noter,  dÚs  à  présent,  que 
l'excitation  extrĂȘme  de  Mme  Sand  contre  le  catholicisme  et  le 
clergĂ©  —  qui  se  fait  dĂ©jĂ   sentir  dans  la  Daniella  et  dans  les  lettres 
d'Italie  et  se  laisse  de  plus  en  plus  remarquer  chez  elle  dĂšs  cette 
Ă©poque,  —  arriva  Ă   son  apogĂ©e  dans  la  dĂ©cade  suivante,  de  1860 
Ă   1870,  et  se  fit  voir  dans  des  Ɠuvres  littĂ©raires  ainsi  que  dans 


GEORGE    SAND  369 

certains  faits  notoires  de  sa  vie  privée,  dont  nous  parlons  plus 
loin. 

Les  ennuis  causés  par  Daniella  ne  se  bornÚrent  toutefois  point 
Ă   cette  polĂ©mique  de  journaux.  La  Presse,  oĂč  parut  ce  roman, 
reçut  deux  avertissements  successifs,  parce  que  les  tendances 
anticléricales  de  l'auteur,  ainsi  que  la  narration  des  exploits 
accomplis  par  Jean  Valreg  en  compagnie  des  membres  d'une 
société  secrÚte,  le  prince  de  Monte-Corona  et  son  médecin,  pour 
déjouer  la  surveillance  de  la  police  et  pour  s'échapper  heureu- 
sement ne  pouvaient  ĂȘtre  du  goĂ»t  des  ministres  et  censeurs 
napoléoniens.  La  Presse  reçut  donc,  en  décembre,  un  troisiÚme 
avertissement  l'exposant  Ă   la  suspension  sans  autre  forme  de 
procĂšs.  Mme  Sand,  sentant  que  les  deux  premiers  avertissements 
l'atteignaient,  fut  effrayée  à  l'idée  de  voir  un  millier  de  travail- 
leurs, protes  et  autres,  jetés  sur  le  pavé,  si  le  journal  était  sus- 
pendu. Elle  comprit  que  le  roman  mécontentait  surtout  l'impé- 
ratrice Eugénie,  protectrice  des  cléricaux,  et  elle  s'adressa  bra- 
vement à  cette  derniÚre,  implorant  sa  protection  et  sa  miséri- 
corde pour  les  malheureux  ouvriers  innocents  (1). 

En  1859,  lors  de  la  guerre  pour  l'indépendance  italienne, 
George  Sand  a  fait  paraĂźtre  deux  articles  par  lesquels  elle  semble 
avoir  voulu  effacer  l'impression  déplaisante  produite  sur  les 
lecteurs  italiens  de  Daniella  par  certaines  de  ses  pages.  D'autre 
part  Mme  Sand  semble  avoir  voulu  aussi  faire  la  paix  avec 
M.  de  La  Forge  et  lui  faire  oublier  la  polémique  de  1857.  Dans 
son  article  Garibaldi,  en  racontant  la  vie  de  ce  grand  homme 
d'aprĂšs  plusieurs  de  ces  biographes,  elle  citait,  aprĂšs  M.  F.-T. 
Perrens,  huit  lignes  de  M.  Anatole  de  la  Forge.  Et  aprĂšs  avoir 
transcrit  quelques  lignes  de  lui,  peignant  la  vie  de  Garibaldi 
au  milieu  de  sa  famille  sur  l'Ăźle  de  Caprera,  elle  recitait  encore 
une  fois  M.  de  La  Forge  (son  article  paru  le  26  mai  1859  dans  le 
SiÚcle),  en  faisant  précéder  cette  citation  de  ces  mots  flatteurs  : 

(1)  Cette  lettre  à  l'impératrice,  datée  du  9  décembre,  fut  remise  aux  bons 
soins  de  Mme  de  Contades  qui,  ainsi  que  le  comte  d'Aure,  MM.  Damas- 
Hinard  et  le  baron  de  Pierre,  avait  maintes  fois  aidé  Mme  Sand  dans  ses 
démarches  auprÚs  de  l'impératrice.  La  lettre  touchante  de  Mme  Sand  à 
Mme  de  Contades,  datĂ©e  de  ce  mĂȘme  9  dĂ©cembre,  reste  inĂ©dite. 

iv.  24 


37°  GEORGE   SAND 

i  Nous  citerons  encore  avec  plaisir  M.  A.  de  La  Forge  pour 
dire...  »  etc.,  etc. 

Et  dans  son  article  la  Guerre,  George  Sand  consacrait  au 
pays  qu'elle  avait  si  sévÚrement  jugé  dans  Danieïïa  les  lignes 
enthousiastes  que  voici  : 

...Oui,  chùre  Italie,  sƓur  de  la  France,  on  naüt  chez  nous  avec  ton 
amour  dans  le  cƓur.  C'est  un  instinct  passionnĂ©  qui  lutte  et  qui  souffre 
comme  le  tien  lutte  avec  l'amour  de  la  liberté.  Quand  on  met  le  pied 
sur  ton  sol  et  que  l'on  te  voit  Ă©teinte  et  comme  morte  sous  le  poids 
de  l'étranger,  on  est  tenté  de  te  maudire  et  l'odeur  de  tes  sépulcres 
vous  navre  et  vous  glace.  Mais,  si  tu  fais  un  mouvement,  si  tes  morts 
ressuscitent,  si  tes  enfants  accablés  se  relÚvent,  si  tu  jettes  en  cri  d'ap- 
pel et  de  détresse  vers  nous,  à  son  tour,  notre  sang  se  ranime  et  bouil- 
lonne. 

Oui,  c'est  bien  une  voix  du  sang,  et  nous  volons  vers  toi,  entraßnés 
par  une  puissance  qui  ne  raisonne  plus,  et  qui  fait  bien  de  ne  pas  rai 
sonner. 

Kaisonner  sur  quoi?  Elle  est  tombée  par  sa  faute,  cette  infortunée? 
elle  nous  a  méconnus  souvent?  elle  a  été  victime  de  miKe  erreurs? 
elle  a  été  égarée  par  la  superstition,  paralysée  par  le  dégoût,  vaincue 
par  les  délices  de  son  climat,  endormie  par  les  pompes  de  son  culte  et 
l'orgueil  de  ses  beaux-arts  !  Soit,  c'est  possible,  mais  la  voilĂ   qui 
souffre  et  qui  crie.  Entendez -vous?  on  la  brise,  on  la  torture,  cette 
reine  déchue  de  l'ancien  monde,  cette  déesse  de  l'intelligence,  source 
immortelle  du  feu  sacré  des  nations  !  Courons,  il  faut  la  sauver...  Si 
rien  n'est  plus  déplorablement  illogique  que  l'Italien  asservi,  rien  n'est 
plus  beau  que  de  le  contempler  dans  le  retour  de  sa  volonté  et  de  sa 
force.  Comme  le  Français,  l'Italien  ne  sait  rien  ĂȘtre  Ă   demi... 

Nous  nous  sommes  longuement  arrĂȘtĂ©s  sur  la  polĂ©mique  pro- 
voquée par  Danieïïa.  justement  parce  qu'elle  avait  éveillé  tant 
de  bruit  en  son  heure,  mais  aussi  parce  que  ce  roman  résume 
les  impressions  italiennes  de  George  Sand  en  1855  et  qu'il  est, 
en  mĂȘme  temps,  l'Ă©cho  de  ses  sympathies  dĂ©mocratiques  et  pro- 
gressistes que  ni  les  circonstances  ni  les  années  ne  parvenaient 
Ă   Ă©touffer  (1).  Comme  Ɠuvre  littĂ©raire,  la  DanieĂŻĂŻa  ne  mĂ©rite 

(1)  La  DanieĂŻĂŻa  s'appelait  d'abord  Jean  Valregroman-voyage  etl'introduc- 
tion  manuscrite  primitive  est  tout  autre  que  celle  qui  fut  publiée  et  qui 
s'imprime  en  tĂȘte  du  roman  depuis  1857. 


GEORGE   SAND  371 

pas  tant  d'attention.  La  fable  se  distingue  non  seulement  par 
un  entassement  d'improbabilités  romantiques,  d'une  quantité 
excessive  de  bandits,  de  souterrains,  de  capucins  et  d'espions, 
mais  encore  d'un  certain  manque  de  goût  spécial,  qui  caractérise 
les  Ɠuvres  contemporaines  de  ce  que  nous  appelons  V Ă©poque 
théùtrale  de  Nohant.  Dans  les  piÚces  de  marionnettes,  ainsi  que 
dans  les  piÚces  improvisées  du  théùtre  de  Nohant,  toutes  sortes 
de  meurtres  arrivaient  Ă   chaque  moment,  et  certes  il  Ă©tait  bien 
indifférent  pour  les  spectateurs  combien  de  pupazzi  Balandard 
ou  Pierrot  assommaient  de  leur  latte  ou  combien  de  malfaiteurs 
le  héros  de  la  commedia  déW  arte  transperçait  de  son  épée,  les 
enfilant  comme  des  cailles  sur  une  broche.  Tout  cela  Ă©tait  si 
lisiblement  invraisemblable  que  cela  n'excitait  aucune  Ă©motion. 
Mais  lorsque  Jean  Valreg  et  d'autres  héros  du  roman  de  George 
Sand  qui,  comme  tous  les  romans  possibles,  tĂąchent  avant  tout 
de  donner  au  lecteur  l'illusion  de  la  réalité,  lorsque  ces  héros, 
dĂšs  le  premier  chapitre,  tantĂŽt  fracassent  la  tĂȘte  d'un  bandit  ou 
jettent  au  bas  d'un  mur  un  espion,  frÚre  de  l'héroïne,  ou  tirent 
un  coup  de  fusil  Ă   bout  portant  sur  quelqu'un  d'autre  encore, 
alors  le  lecteur  Ă©prouve  une  gĂȘne  et  s'Ă©tonne  infiniment  que  la 
plume  de  George  Sand  ait  pu  Ă©crire  de  telles  scĂšnes  et  aventures, 
bonnes  pour  des  romans  de  petite  presse  et  paraissant  surtout 
déplacées  au  milieu  de  pages  remplies  de  fines  analyses  psycho- 
logiques et  de  poétiques  tableaux  de  la  nature.  Cela  manque  de 
tact  et  de  goût  ;  et  la  cause  de  cette  aberration  du  goût,  nous 
sommes  positivement  enclins  Ă   la  voir  dans  l'engouement  simul- 
tané de  Mme  Sand  pour  les  bouffonneries  et  les  mélodrames 
outrés  de  marionnettes,  dans  son  habitude  de  la  redondance  et 
des  trucs  de  la  comédie  italienne. 

Le  séjour  en  Italie  réveilla  chez  Mme  Sand  son  ancienne 
passion  des  voyages,  mais  n'ayant  ni  les  moyens  ni  le 
temps  d'entreprendre  tous  les  ans  quelque  grand  voyage 
à  l'étranger,  elle  se  borna  l'année  suivante  à  faire  en  com- 
pagnie de  Manceau  une  excursion  dans  sa  chĂšre  forĂȘt  de  Fon- 
tainebleau. 

Dans  sa  lettre  Ă   Charles  Poney,  du  23  juillet  1856,  nous  trou- 


372  GEORGE   SAND 

vons  à  ce  propos  les  lignes  suivantes,  trÚs  intéressantes  pour 
nous  : 

...J'ai  tant  manqué  à  mes  espérances,  que  je  ne  veux  plus  fixer  de 
but  Ă   mes  courses. 

Celle  que  je  méditais  l'hiver  dernier  s'est  résolue  en  quelques  jours 
d'avril  dans  la  forĂȘt  de  Fontainebleau,  une  des  plus  belles  choses  du 
monde,  il  est  vrai,  mais  si  prĂšs  de  Paris,  qu'on  n'appelle  mĂȘme  pas  cela 
une  promenade.  J'aspire  pourtant  toujours  Ă   V absence.  L'absence  pour 
moi,  c'est  le  petit  coin  oĂč  je  me  reposerais  de  toute  affaire,  de  tout 
souci,  de  toute  relation  ennuyeuse,  de  tout  tracas  domestique,  de  toute 
responsabilité  de  ma  propre  existence.  C'est  ce  que  j'avais  trouvé 
l'autre  année,  à  Frascati  pendant  trois  semaines,  et  à  la  Spezzia  pen- 
dant huit  jours.  C'est  lĂ   ce  que  je  demande  au  bon  Dieu  de  retrouver 
pendant  six  mois  quelque  part,  sous  un  ciel  doux  et  dans  une  nature 
pittoresque  ;  rĂȘve  bien  modeste,  mais  qui  passe  devant  moi  dix  ans 
de  suite  sans  se  laisser  attraper... 

L'année  suivante,  en  1857,  Mme  Sand  réussit  à  «  attraper  » 
son  rĂȘve  et  Ă   rĂ©aliser  son  Ă©ternelle  aspiration,  vivre  dans  une 
«  maison  déserte  »  ou  dans  une  «  chaumiÚre  »  (1). 

A  la  fin  de  juin  de  cette  année  Mme  Sand  s'en  vint  avec 
Manceau  et  avec  le  naturaliste  M.  Depuiset  faire  une  petite 
excursion  aux  bords  de  la  Creuse  ;  elle  la  refit  au  commencement 
de  juillet  —  aprĂšs  le  dĂ©part  de  11  Depuiset  pour  Paris  et  le 
retour  de  Maurice,  —  avec  ce  dernier  et  avec  l'actrice  BĂ©rangĂšre 
qui  passa,  cet  été,  quelques  semaines  à  Xohant. 

Lors  de  ces  deux  excursions  Mme  Sand  se  prit  d'amour  pour 
le  petit  village  de  Gargiiesse  situé  au  bord  de  la  petite  riviÚre 
du  mĂȘme  nom,  confluent  de  la  Creuse,  dans  une  vallĂ©e  profonde, 
protégée  de  tous  cÎtés  par  des  montagnes.  Les  environs  de  Gar- 
giiesse attiraient  Mme  Sand  par  leur  pittoresque  et  par  la  richesse 
de  leur  flore  et  faune.  On  y  attrapait  souvent  des  spécimens  rares 
de  papillons  et  d'autres  insectes  qui  ne  se  rencontrent  qu'au 
Midi  de  la  France  ou  en  Algérie,  ce  qui  s'explique  par  la  tempé- 

(1)  Remarquons  qu'en  1856  parut  dans  le  Magasin  pittoresque  un  article 
anonyme  intitulé  la  Maison  déserte,  dont  George  Sand  se  reconnut  plus 
tard  l'auteur.  C'est  ainsi  que  pendant  plus  de  vingt  ans  George  Sand  resta 
fidĂšle  Ă   cette  passion  pour  une  maison  dĂ©serte,  rĂȘve  fait  dĂ©jĂ   en  1835-36. 
(  Voir  notre  vol.  II,  p.  249-250.) 


GEORGE   SAND  373 

rature  constante  et  assez  élevée  de  ce  petit  vallon.  L'eau  de  la 
riviĂšre  paraissait  Ă   Mme  Sand  souveraine  pour  les  maladies 
d'intestins  et  de  reins.  Enfin  la  possibilité  de  se  cacher  pour 
plusieurs  jours  dans  un  endroit  oĂč  n'arrivaient  ni  les  lettres 
demandant  des  rĂ©ponses,  ni  les  visiteurs  importuns,  oĂč  l'on 
pouvait,  en  toute  liberté,  travailler  dans  un  calme  absolu  et 
dans  le  milieu  le  plus  primitif,  dans  une  maisonnette  déserte  tant 
recherchĂ©e  par  George  Sand,  —  tout  cela  fit  qu'elle  se  prit  Ă  
rĂȘver  d'habiter  Gargilesse,  ne  fĂ»t-ce  que  pendant  une  dizaine  de 
jours,  ou  de  pouvoir  s'y  réfugier  de  temps  à  autre. 

Alors  Manceau,  toujours  prompt  à  se  décider  quand  il  s'agis- 
sait de  faire  plaisir  Ă   autrui  ou  de  rendre  service  Ă   quelqu'un  de 
ses  proches,  prĂȘt  surtout  Ă   tous  les  sacrifices  pour  Maurice  et 
pour  sa  mĂšre,  acheta  l'une  des  maisonnettes  qui  plaisait  Ă  
Mme  Sand.  On  commença  immédiatement  à  la  réparer  et  à 
l'arranger,  afin  que  chacun  y  eût  son  petit  coin,  lors  des  séjours 
Ă   Gargilesse. 

Ces  excursions  aux  bords  de  la  Creuse  par  les  journées  brû- 
lantes de  juillet,  les  chasses  aux  lépidoptÚres  et  aux  scarabées, 
faites  par  les  jeunes  entomologistes  en  plein  midi,  les  causeries 
avec  le  pĂȘcheur  de  l'endroit,  Moreau  du  Pin,  les  dĂ©jeuners  cham- 
pĂȘtres au  bord  de  la  riviĂšre,  les  escalades  des  rochers  et  des  pics, 
bref,  tout  le  séjour  à  Gargilesse  et  l'acquisition  de  la  maison- 
nette, George  Sand  le  décrivit  avec  une  verve,  un  entrain  et 
une  poésie  incomparables  dans  une  série  d'esquisses  intitulées 
Promenades  autour  d'un  village,  mais  imprimées  d'abord  sous  le 
titre  de  Courrier  de  village  dans  le  Courrier  français  de  1857. 

Selon  une  habitude  de  théùtre,  George  Sand  y  fit  apparaßtre 
tous  ses  compagnons  de  voyage,  non  pas  sous  leurs  vrais  noms, 
mais  sous  leurs  noms  de  guerre  ou  sobriquets.  C'est  ainsi  que 
Manceau  s'appelle  du  nom  d'un  rare  papillon  attrapé  par  lui  : 
Amyntas,  Depuiset  —  toujours  à  la  recherche  des  chrysalides  — 
Chrysalidor,  Maurice  :  Parfhénias;  Mlle  BérangÚre  doit  à  sa  blan- 
cheur de  teint  et  à  sa  pureté  le  nom  de  Herminea,  Mme  Sand 
elle-mĂȘme  voulait  aussi  s'appeler  du  nom  d'un  papillon  rare 
trouvé  par  elle,  mais  «  ne  le  fit  pas  par  modestie  ». 


374  GEORGE   SAXD 

Cette  habitude  de  donner  des  sobriquets  et  des  noms  d'em- 
prunt Ă   tous  et  Ă   tout  et  de  travestir  les  choses  les  plus  simples 
d'une  teinte  de  fiction  un  peu  théùtrale,  était  invétérée  à  Xohant. 
Son  reflet  paraĂźt  dans  les  Ɠuvres  littĂ©raires  de  Mme  S  and.  C'est 
ainsi  que  la  maisonnette  de  Gargilesse  fut  baptisée  du  nom  de 
la  villa  Algira.  Xohant  lui-mĂȘme  s'appela  chĂąteau  de  la  ChimĂšre 
ou  chùteau  de  la  Plume.  Et  lorsque  George  Sand  commença 
en  1856  dans  la  Presse  une  série  d'esquisses  de  critique  (1),  elle 
les  Ă©crivit  sous  forme  de  dialogues  et  de  causeries  se  passant, 
il  est  vrai,  autour  de  la  Table,  confectionnée  par  le  menuisier 
nohantais  fort  réel,  Pierre  Bonnin,  mais  dans  une  famille  ima- 
ginée, les  Montfeuilly.  Tous  les  habitants  de  Xohant  y  appa- 
raissaient sous  de  faux  noms  :  Julia  —  a  la  gĂ©nĂ©reuse  et  enthou- 
siaste fille  du  voisin  r,  Louise  de  Montfeuilly,  Vaïeule,  Théodore, 
—  l'aĂźnĂ©  des  Monfeuilly,  —  VabbĂȘ  et  V codeur,  qu'on  prĂ©tendait 
n'ĂȘtre  ni  l'aĂźnĂ©  ni  le  chef  de  la  famille.  GrĂące  Ă   tout  cela,  ees 
esquisses  ne  sont  ni  une  vraie  Ɠuvre  d'imagination,  ni  de  la  vraie 
critique;  elles  appartiennent  au  genre  hybride  et  manquent 
de  la  signification  qu'elles  auraient,  si  elles  étaient  présentées 
comme  l'expression  franche  et  directe  des  opinions  critiques  de 
George  Sand. 

Inous  nous  sommes  d'ailleurs  écartés  du  sujet  en  parlant  de 
l'habitude  qui  s'était  développée  chez  Mme  Sand  de  tout  théù- 
traliser dans  son  entourage,  Ă   commencer  par  les  noms  propres. 

Revenons  Ă   l'installation  Ă   Gargilesse  :  voici  ce  que  nous 
lisons  dans  les  Promenades  autour  d'un  village  : 

...Nous  rĂȘvions,  nous  autres  qui  ne  sommes  pas  forcĂ©s  de  vivre  Ă  
Paris,  de  nous  arranger  un  pied-Ă -terre  au  village.  La  maisonnette 
oĂč  nous  avions  dormi  Ă©tait  Ă   vendre  pour  ce  prix  modeste  de  cinq  cents 
à  mille  francs  dont  on  nous  avait  parlé.  Amyntas  la  voulait  pour  lui. 
Moi,  j'avais  envie  de  la  maisonnette  renaissance. 

Tout  se  passa  en  projets  ce  jour-lĂ . 

...On  a  beaucoup  discuté  une  question  fort  simple  que  j'appellerai, 
si  l'on  veut,  le  secret  de  la  chaumiĂšre. 

(1)  Ces  articles  parurent  dans  7a  Presse  du  24  juin  eu  25  octobre  1856 
sous  le  titre  de  Autour  de  la  table;  puis  furent  réimprimés  en  volume  sous 
le  mĂȘme  titre. 


GEORGE   SAND  375 

Tous  altiste  aimant  la  campagne  a  rĂȘvĂ©  de  finir  ses  jours  dans  les 
conditions  d'une  vie  simplifiée  jusqu'à  l'existence  pastorale,  et  tout 
homme  du  monde  se  piquant  d'esprit  pratique  a  raillĂ©  le  rĂȘve  du  poĂšte 
et  mĂ©prisĂ©  l'idĂ©al  champĂȘtre.  Pourtant  il  y  a  une  mystĂ©rieuse  attrac- 
tion dans  cet  idéal,  et  l'on  pourrait  classer  le  genre  humain  en  deux 
types  :  celui  qui,  dans  ses  aspirations  favorites,  se  bĂątit  des  palais,  et 
celui  qui  se  bĂątit  des  chaumiĂšres. 

Quand  je  dis  chaumiĂšre,  c'est  pour  me  conformer  Ă   la  langue  clas- 
sique. Le  chaume  est  un  mythe  Ă   prĂ©sent,  mĂȘme  dans  notre  bas  Berry. 
...Va  pour  chaumiÚre  !  Trouverai-je  mon  idéal  dans  ce  village?  Non, 
un  idéal,  cela  ne  se  trouve  nulle  part. 

Combien  j'ai  salué,  en  passant,  de  ces  chaumiÚres  décevantes  dans 
des  sites  sĂ©duisants  !  Combien  j'en  ai  dessinĂ©  dans  ma  tĂȘte,  enfouies 
dans  des  solitudes  à  ma  fantaisie  !  Je  n'avais  jamais  songé  à  les  placer 
dans  un  village. 

Mme  Sand  dit  plus  loin  qu'elle  eut  le  désir  de  s'initier  à  l'exis- 
tence des  paysans,  en  vivant  chez  eux,  dans  leur  village.  A 
l'entendre,  idéalistes  et  réalistes  (1)  peignent  en  bien  ou  en  mal 
des  paysans  aussi  fantastiques  les  uns  que  les  autres.  Ni  des 
ĂȘtres  aussi  sales  ou  grossiers,  ni  «  des  bergers  roses  et  frisĂ©s  » 
qu'ils  nous  présentent  n'ont  jamais  existé  (2).  Puis,  elle  revient 
Ă   l'acquisition  de  la  maisonnette  de  Gargilesse  : 

...Amyntas  s'est  dĂ©cidĂ©ment  Ă©pris  de  la  maisonnette  oĂč  nous  sommes 
logĂ©s.  Il  y  rĂȘve  une  installation  possible,  un  pied-Ă -terre  tolĂ©rable  au 
milieu  du  monde  enchanté  des  fleurs,  des  ruisseaux  et  des  papillons. 
Pourquoi  pas?  H  a  bien  raison  (3). 


(1)  Lors  de  l'impression  de  ces  pages  sous  le  titre  primitif  de  Courrier 
de  village  dans  le  Courrier  français,  il  se  trouvait  à  cet  endroit  dans  le  texte 
de  Mme  Sand  une  assez  longue  digression  sur  le  réalisme,  qui  fut  supprimée 
quand  les  Promenades  autour  d'un  village  parurent  en  volume.  Ce  morceau 
fut  réimprimé  plus  tard  dans  les  Questions  d'art  et  de  littérature  sous  le  titre 
de  Réalisme.  Il  renferme  quelques  pages  fort  intéressantes  consacrées  à 
l'analyse  et  à  la  défense  de  Madame  Bovary,  de  Flaubert. 

(2)  Remarquons  qu'au  moment  oĂč  parurent  ces  lignes,  il  n'y  avait  que 
les  Paysans  de  Balzac  qui  existaient  en  littérature  ;  la  Terre,  de  Zola,  n'avait 
pas  eneore  réjoui  le  monde  des  humains  par  son  apparition. 

(3)  Mme  Sand  avait,  elle  aussi,  toujours  eu  une  passion  pour  les  ruisseaux; 
elle  écrivit  deux  petites  bluettes  charmantes  consacrées  spécialement  à  leur 
murmure,  leur  babillage  ;  l'un  de  ces  morceaux,  le  Ruisseau,  fit  partie  du 
recueil  le  Keepsake  édité  en  1854  à  Londres  par  miss  Power  ;  l'autre  parut 
dans  la  Revue  des  Deux  Mondes  de  1863  sous  le  titre  de  Ce  que  dit  le  mis- 


376  GEORGE   SAND 

J'avais  grande  envie  aussi  de  cette  chaumiÚre,  bien  qu'elle  ne  réalise 
pas  mon  ambition  pittoresque.  Vingt  autres  sont  plus  jolies  ;  mais 
c'est  la  seule  en  vente,  et  j'allais  m'en  emparer...  Mais  notre  ami 
réclame  la  priorité  de  l'idée.  H  nous  demande  de  lui  laisser  arranger 
cette  chaumiÚre  à  son  gré  et  de  devenir  ses  hÎtes  dans  nos  excursions 
sur  la  Creuse.  Nous  retirons  nos  prétentions. 

H  échange  quelques  paroles  avec  Mme  Rosalie.  Le  voilà  proprié- 
taire d'une  maison  bùtie  à  pierres  sÚches,  couverte  en  tuiles,  et  ornée 
d'un  perron  Ă   sept  marches  brutes  ;  d'une  cour  de  quatre  mĂštres 
carrés  ;  d'un  bout  de  ruisseau  avec  droit  d'y  bùtir  sur  une  arche, 
plus  d'un  talus  de  rocher  ayant  pour  limite  un  buis  et  un  cerisier  sau- 
vage. 

A  partir  de  ce  moment,  je  vois  bien  que  l'insouciant  Amyntas  n'est 
plus  le  mĂȘme. 

AprÚs  le  souper,  car  nous  n'avons  dßné  qu'à  neuf  heures,  le  voilà 
qui  lĂšve  des  plans,  qui  mesure  ses  deux  petites  chambres,  plante  en 
imagination  des  portemanteaux,  creuse  des  armoires  dans  l'Ă©paisseur 
de  son  mur,  et  dit  Ă   chaque  instant  :  Ma  maison,  ma  cour,  mon  rocher, 
mon  buis,  mon  cours  d'eau,  mes  voisins,  mes  impîts,  —  il  en  aura  pour 
deux  francs  vingt -cinq  centimes  !  —  mes  droits,  mes  servitudes,  mon 
acte,  ma  propriété,  enfin  !  C'est  tout  dire  ! 

—  N'en  riez  pas,  dit-il  ;  qiĂč  sait  si  ce  n'est  pas  lĂ   que,  par  goĂ»t  ou 
par  raison,  je  viendrai  terminer  mes  jours? 

Ah  !  qui  sait,  en  effet?  La  mĂȘme  idĂ©e  m'Ă©tait  venue  pour  mon  compte, 
quand  je  lorgnais  cette  splendide  acquisition  Ă   laquelle  il  me  faut 
renoncer. 

Mais  l'aimable  acquéreur  s'en  fait  un  si  grand  amusement,  que  je 
suis  dédommagée  de  mon  sacrifice. 

Revenue  à  Nohant  à  la  nuit  tombée  le  14  juillet,  Mme  Sand 
repartit  pour  Gargilesse  le  26  juillet,  avec  Herminea  seule,  car 

...Parthénias  était  dans  le  Midi  [chez  son  pÚre  à  Guillery]  et 
Amyntas  est  parti  avant-hier  pour  son  village,  afin  de  mettre  les 
ouvriers  en  besogne  Ă   sa  vĂŻĂŻĂŻa.  H  nous  permet  cependant  d'y  passer 
encore  une  bonne  journée  avant  de  leur  céder  la  place... 

Cette  fois  on  passa  Ă   Gargilesse  trois  jours  ;  on  y  rencontra 
le  peintre  Grandsire  qui  dessina  beaucoup  de  sites  dans  les  envi- 
rons de  Gargilesse  et  esquissa  un  petit  tableau  représentant  le 

seau.  Il  fut  dédié  à  Manceau.  (Voir  plus  loin  chap.  xii.)  Nous  en  possédons 
l'autographe  qui  nous  fut  donnĂ©  par  M.  Éniile  Aucante.  —  W,  K. 


GEORGE   SAND  377 

dĂ©jeuner  champĂȘtre  de  George  Sand  et  de  ses  compagnons  dans 
un  pré,  au  bord  de  la  riviÚre.  Ce  petit  tableau  existe  encore. 

Malheureusement,  le  29  déjà,  il  fallut  repartir  pour  laisser  la  villa 
d'Ainyntas  aux  réparations  urgentes. 

Nous  ne  reviendrons  qu'Ă   l'automne,  et  c'est  alors  seulement  que 
nous  deviendrons  assez  citoyens  de  ce  village  pour  en  pénétrer  les 
mƓurs  et  les  coutumes... 

...Nous  partons  ;  car  il  nous  faut,  pour  une  plus  longue  station, 
d'humbles  conditions  d'Ă©tablissement  qui  nous  permettent  de  ne  pas 
mener  tout  Ă   fait  la  vie  d'oisifs  au  milieu  de  ces  gens  laborieux. 

Tous  les  détails  et  renseignements  que  nous  avons  puisés 
dans  les  Promenades  autour  d'un  village  sont  de  tous  points 
confirmĂ©s  par  les  lettres  inĂ©dites  de  Mme  Sand,  Ă©crites  aux  mĂȘmes 
dates  de  juin  et  de  juillet  1857  et  adressées  à  Maurice  à  Paris  et 
Ă   Guillery  : 

Retour  de  Gargilesse,  27  juin  1857. 

Cher  minon,  j'ai  reçu  ta  lettre  avant-hier  en  passant  à  La  Chùtre, 
pour  aller  Ă   Crozant  oĂč  nous  n'avons  pas  Ă©tĂ©.  Nous  nous  sommes 
laissés  séduire  par  Gargilesse,  qui  dans  cette  saison  est  un  paradis  ter- 
restre; au  moment  de  le  quitter  aprÚs  l'avoir  traversé,  nous  avons 
appris  de  Moreau  (du  Pin)  notre  ancien  guide  (l'homme  aux  mulets  Ă  
puces)  qu'il  y  avait  une  bonne  auberge  et  des  petites  chambres.  Nous 
y  donnons  un  coup  d'oeil,  c'est  d'une  pauvreté  primitive,  mais  Î  sur- 
prise! c'est  propre.  Nous  nous  décidons  à  y  rester,  on  nous  fait  de  la 
cuisine  excellente,  et  nous  y  serions  encore  sans  la  nécessité  pour 
Depuiset  de  retourner  demain  matin  Ă   Paris,  si  bien  que  nous  venons 
d'arriver  ce  soir,  pas  trop  fatigués  malgré  une  dizaine  de  lieues  à  pied 
en  deux  jours  sous  un  soleil  des  tropiques,  Ă   preuve  que  Manceau  y 
a  pris  un  papillon  d'Afrique  et  un  autre  du  Midi  de  la  France  :  Algira 
et  Gordius.  Mais  je  ne  te  parle  pas  des  papillons,  Depuiset,  bouleversé 
de  ces  deux  prises  dans  l'Indre,  doit  t'exprimer  son  enthousiasme.  D  a 
été  du  reste  trÚs  sensible  à  la  beauté  du  pays  que  nous  avons  arpenté 
de  la  belle  maniĂšre.  De  ChĂąteaubrun  Ă   Gargilesse  par  les  bords  de  la 
Creuse  il  y  a  un  j  oh  bout  de  chemin,  quatre  heures  de  marche  sans 
chemins  frayés,  ça  compte.  Mais  c'était  l'heure  de  V effet  (1).  C'est  un 

(1)  Expression  fort  en  usage  alors  Ă   Nohant  parmi  les  jeunes  peintres. 
(Cf.  la  Correspondance,  t.  IV,  avec  ce  que  George  Sand  dit  Ă   la  page  43 
des  Promenades  autour  d'un  village  et  dans  la  Daniella.) 


3/S  GEORGE   SAND 

pays  féerique  et  que  malgré  toutes  nos  courses  nous  ne  connaissions 
pas.  La  rĂ©gion  de  Gargilesse,  oĂč  nous  n'avions  fait  autrefois  que  passer 
par  d'assez  mauvais  teins  (1),  est  une  serre  chaude  mĂȘme  en  hiver,  et 
quand  le  soleil  y  donne  comme  dans  ce  tems-ci,  c'est  beaucoup,  beau- 
coup plus  chaud  que  Tusculum.  Je  ne  crois  pas  avoir  jamais  eu  si 
chaud,  je  suis  cuite  comme  une  brique,  et  le  jardinier  me  dit  qu'il  n'a 
pas  fait  trÚs  chaud  aujourd'hui  à  Nohant.  Mais  quelle  végétation  dans 
ces  petites  gorges  de  la  Gargilesse  oĂč  nous  avons  Ă©tĂ©  ce  matin  !  Man- 
ceau  a  compris  que  nous  n'étions  pas  enchantés  de  la  gorge  de  Marino 
et  des  rives  de  la  Nenti  (2).  Quant  Ă   Depuiset  il  se  croyait  au  sommet 
des  Alpes,  je  t'ai  bien  regretté,  mais  nous  faisons  des  chùteaux  en 
Espagne  pour  avoir  lĂ   une  cabane  et  quelles  belles  chasses  tu  y  feras  ! 

Je  savais  déjà  ton  succÚs  de  Bissextre  et  de  lupins  (3)  par  AngÚle 
et  son  mari,  qui  y  ont  trouvé  littéralement  une  foule.  Us  ont  été  se 
faire  photographier  chez  Xadar  qui  leur  a  dit  que  tu  avais  un  grand 
succĂšs,  qu'il  trouvait  cela  charmant  et  qu'il  te  soignerait  dans  un 
article  pour  je  ne  sais  plus  quel  journal.  Il  leur  a  dit  aussi  qu'il  ne  te 
connaissait  pas,  mais  qu'il  t'aimait  Ă   cause  de  moi  ;  va  donc  le  voir  et 
sois  gentil  avec  lui. 

Mme  Villot  aussi  est  charmante  pour  toi  et  parle  de  te  faire  avoir 
une  médaille.  Elle  dit  que  ce  serait  justice... 

Nous  savons  par  les  Promenades  autour  d'un  village  qu'au 
commencement  de  juillet  Mme  Sand  fit  une  nouvelle  excursion 
à  Gargilesse,  et  plus  tard,  aprÚs  le  départ  de  Maurice  pour  Guil- 
lery,  une  troisiĂšme,  ce  qu'elle  raconte  Ă   son  fils  dans  sa  lettre 
du  30  juillet  1857  : 

Nous  recevons  les  lettres  du  27.  Je  te  bige  à  mort.  Nous  voilà  reposés. 
Il  fait  bien  moins  chaud  ici  décidément.  Nous  avons  eu  avant-hier 
matin  un  peu  d'orage  et  de  pluie  Ă   Gargilesse.  Ici  presque  pas. 

...Nous  avons  renvoyé  Jardinet  à  Gargilesse  pour  conduire  les  tra- 
vaux de  Manceau  qui  se  paie  trois  cents  francs  de  réparations  à  for- 
fait. H  n'y  a  pas  moyen  de  l'empĂȘcher  d'arranger  sa  baraque  beau- 
coup plus  pour  nous  que  pour  lui.  H  en  fait  une  cabine  de  navire  en 

"  (1)  En  1846.  Voir  notre  vol.  III,  chap.  vi. 

(2)  Ci.  avec  ce  que  lime  Sand  dit  dans  les  Promenades  autour  d'un  village 
Ă   la  page^  46,  Ă   propos  des  paysages  italiens  et  des  comparaisons  avec  les 
sites  au  centre  de  la  France  faites  par  Manceau  et  Maurice. 

(3)  Êtres  fantastiques  que  Maurice  Sand  avait  esquissĂ©s  entre  autres  dar>s 
ses  Visions  à  la  campagne  exposées  au  Salon  en  1857  et  qui  parurent  l'année 
suivante  en  volume  avec  une  préface  de  George  Sand.  Voir  notre  vol.  III, 
chap.  vu. 


GEORGE   SAND  379 

mesurant  les  centimĂštres  pour  que  chacun  ait  tout  son  fourniment, 
chacun  son  clou,  son  pot,  la  place  de  chaque  botte,  etc.  etc.  Il  ne  veut 
plus  que  tu  ailles  coucher  au  chùteau  ;  nous  avons  appris  sur  la  saleté 
qui  y  rÚgne  des  détails  à  faire  vomir  un  chien.  En  somme  ce  sera  trÚs 
amusant,  et  il  satisfait  à  son  gré  ses  deux  passions,  le  dévouement  et 
le  bibelotage.  Je  me  dis  cela  pour  me  consoler  de  le  voir  obstinément 
dépenser  ses  petits  profits.  H  a  donné  son  rocher  à  BérangÚre,  qui  déjà 
le  menace  d'un  procĂšs,  parce  qu'il  ne  veut  pas  qu'elle  aille  Ă   coquillei 
dans  son  ruisseau,  elle  prétend  en  avoir  le  droit.  C'est  bien  eimuyeux 
que  tu  ne  sois  pas  lĂ   dans  ces  bonnes  promenades.  Keviens  bientĂŽt. 
On  fera  revenir  Jardinet.  Caroline  et  Marie  arriveront  peut-ĂȘtre  ces 
jours-ci  et  on  jouera  la  comédie. 

Nohant,  12  août  1857. 

Cher  enfant,  j'écrirai  encore  en  tems  et  heu  pour  les  médailles.  On 
en  est  encore  aux  grandes  médailles  pour  les  grands  ouvrages,  et  je 
suis  sûre  que  Mme  Villot  agira  quand  il  faudra.  Je  vais  rappeler  à 
Choïecki  l'encouragement  qu'on  a  demandé  à  Saint-Victor. 

...Sais-tu  que  je  ne  t'ai  pas  vu  deux  mois  entiers  depuis  prĂšs  d'un  an? 

...  J'ai  fait  une  relation  de  nos  courses  Ă   Gargilesse  pour  le  Courrier 
de  Paris.  Tu  devrais  Ă©crire  un  mot  Ă   Pelletan.  De  toi  Ă   lui  ce  serait 
plus  convenable  que  venant  de  moi.  Tu  enverrais  la  lettre  Ă   Emile  (1) 
qui  la  lui  remettrait. 

...Manceau  est  toujours  assidu  aux  chenilles  et  aux  papillons.  Ses 
travaux  de  Gargilesse  avancent,  on  aura  Jardinet  pour  le  théùtre  quand 
il  faudra. 

L'Ă©curie  s'achĂšve,  c'est  trĂšs  beau  et  pour  longtemps. 

Ma  toquade  actuelle  serait  d'apprendre  la  minéralogie,  ce  n'est  pas 
difficile  Ă   comprendre,  mais  il  faudrait  quelqu'un  pour  nous  faire 
toucher  du  doigt  les  diffĂ©rences  sur  les  Ă©chantillons...  Ça  paraĂźt  trĂšs 
amusant. 

...Nous  avons  été  nous  promener  à  la  Motte-Feuilly  et  à  Montlevic, 
c'est  trĂšs  beau,  la  Garenne,  et  il  doit  y  avoir  du  papillon.  Le  farouche 
chùtelain  a  été  trÚs  gracieux  pour  nous...  Bonsoir,  cher  enfant.  Je  te 
bige  mille  fois.  BérangÚre  t'envoie  une  poignée  de  main.  Manceau 
t'embrasse. 

Au  commencement  de  janvier,  tandis  que  Maurice  Ă©tait 
reparti  à  Paris  exercer  sa  verve  d'imprésario,  donner  dans  les 

(1)  Emile  Aucante? 


38o  GEORGE   SAND 

salons  d'amis  ses  représentations  de  marionnettes  et  arranger 
des  spectacles  de  société,  et  que  Mme  Sand  passa  l'hiver  à 
la  campagne,  avec  son  fidĂšle  compagnon  Manceau,  elle  entreprit 
de  nouveau,  à  Gargilesse,  une  excursion  qu'elle  décrit  dans  sa 
lettre  à  Maurice  (nous  l'avons  citée  dans  le  chapitre  précédent, 
Ă   propos  de  V Homme  de  Xeige.)  Elle  trouva  la  maisonnette  de 
Gargilesse  arrangée  et  meublée  avec  cette  sollicitude  qui  carac- 
tĂ©risait son  «  fidĂšle  tĂȘte-Ă -tĂȘte  »  (1).  Et  les  impressions  de  cette 
excursion  hivernale  furent  si  intenses  qu'elles  lui  inspirĂšrent 
son  «  roman  septentrional  ».  Elle  écrit  à  son  fils  : 

Nohant,  le  6  janvier  1858  (2). 

...Nous  nous  portons  bien,  comme  tu  nous  as  laissés,  les  poules, 
Manceau  et  moi.  Trianon  est  tout  ratissé  et  cristallisé.  J'ai  lu  le  livre 
sur  la  SuÚde  que  Choïecki  m'a  envoyé.  Dis-lui  que  je  l'ai  reçu,  que  je 
l'en  remercie  et  paie-lui  ma  petite  dette  qu'Emile  te  remettra,  s'il  n'a 
déjà  payé.  Je  vois  que  la  Presse  ne  reparaßt  pas  et  que  ramnisitie  ne 
viendra  pas.  Je  me  suis  remise  aujourd'hui  Ă   Ă©crire  Christian  Waldo. 
Bordone  a  reparu  avec  éclat  à  La  Chùtre.  Il  dit  avoir  gagné  à  Limoges 
200  000  francs.  Paiera-t-il  ses  dettes?  Certain  voyage  que  l'on  médite, 
va-t-il  coïncider  avec  cette  réapparition? 

Nohant,  9  janvier  1858  (3). 

Nous  allons  à  Gargilesse  décidément.  La  oarounette  (le  baromÚtre) 
ne  dit  rien,  mais  le  temps  est  doux  et  le  ciel  rose.  Nous  partons  Ă   huit 
heures  et  nous  revenons  dans  deux  ou  trois  jours.  Je  donne  l'ordre, 
si  S...  vient,  qu'on  la  fasse  chauffer  et  déjeuner,  et  dßner  et  coucher  si 
bon  lui  semble.  Mais  je  n'ai  pas  répondu,  parce  que  je  ne  peux 
pas  dire  oui;  et  que  si  j'avais  dit  non,  on  m'aurait  répondu  je  m'en 
fiche.  Inutile  donc  de  se  faire  péter  au  nez.  Bonsoir,  mon  mignon, 
je  te  bige  bien  fort,  je  te  raconterai  nos  voyages  dans  les  banquises 
de  la  Creuse.  Je  ne  pense  pas  que  nous  y  trouvions  beaucoup  de 
papillons. 

Manceau  t'embrasse. 


(1)  Dans  une  lettre  au  prince  JérÎme  Mme  Sand  appelle  Manceau  :  «  Mon 
fidĂšle  tĂȘte-Ă -tĂȘte.  » 

(2)  Inédite. 

(3)  Inédite. 


GEORGE   SAND  381 

Dans  cette  mĂȘme  lettre  du  14  janvier,  dont  nous  avons  donnĂ© 
au  chapitre  x  la  description  d'une  course  le  long  des  bords  gelés 
de  la  Creuse  par  une  journée  brumeuse  et  «  un  froid  de  Sibérie  », 
Mme  Sand  décrit  ainsi  tout  ce  voyage  et  ce  séjour  à  Gargilesse  : 


Nohant,  13  janvier  1858  (1). 
Cher  Bouli, 

Nous  arrivons  de  Gargilesse.  Partis  ce  matin  Ă   onze  heures  de  l'hĂŽtel 
Malasset,  nous  étions  ici  à  six  pour  dßner,  aprÚs  avoir  passé  trois  heures 
chez  Vergne  Ă   Beauregard...  Donc  que  je  te  parle  de  Gargilesse.  La 
barounette  (le  baromĂštre)  nous  a  menti  comme  de  coutume.  Nous  sommes 
partis  par  un  brouillard  noir  et  un  verglas  superbe...  Arrivée  à  Gargi- 
lesse, je  trouvai  la  maison  chaude,  propre,  commode  au  possible, 
toute  petite  qu'elle  est  ;  des  lits  excellents,  des  armoires,  des  toilettes, 
enfin  toutes  les  aises  possibles.  La  petite  salle  Ă   manger  de  l'auberge 
est  charmante,  aussi  propre  qu'un  cabinet  de  restaurant  propre,  bonne 
cuisine.  On  a  de  petites  lanternes  pour  rentrer  chez  soi  et  le  village 
est  beaucoup  moins  sale  qu'une  rue  de  Paris,  pour  les  pieds. 

Le  lendemain,  demi-brouillard  et  pas  de  soleil.  Mais  la  terre  assez 
sĂšche  et  l'air  assez  doux.  Promenade  de  deux  heures,  travail  Ă   la 
maison  et  bĂ©sigue  le  soir.  Le  surlendemain,  c'est-Ă -dire  hier,  mĂȘme 
temps,  promenade  de  cinq  heures.  Nous  avons  passé  sur  l'autre  rive 
et  suivi  toutes  les  hauteurs,  montant  et  descendant  sans  cesse.  Nous 
avons  escaladĂ©  les  crĂȘtes  des  rochers  vis-Ă -vis  de  l'endroit  oĂč  nous 
avions  fait  la  friture  au  bord  de  l'eau.  LĂ ,  il  a  fallu  s'arrĂȘter  :  la  Creuse 
a  mangé  le  chemin. 

Enfin  ce  matin  nous  sommes  partis  par  un  soleil  magnifique  et  un 
temps  assez  froid.  Somme  toute,  comme  dit  M.  Letac,  soleil  ou  non, 
hiver  ou  Ă©tĂ©,  le  pays  est  toujours  ravissant.  H  est  mĂȘme  plus  beau  en 
hiver,  plus  vaste  et  mieux  dessiné.  Les  silhouettes  d'arbres  et  de 
rochers  ont  plus  de  sérieux,  le  village  est  plus  pittoresque,  les  petites 
cascades  glacées  sont  trÚs  amusantes.  Nous  avons  vu  la  maison  de 
Vergne,  trĂšs  amusante  aussi,  une  boĂźte  Ă   compartiments  ;  l'endroit 
est  trĂšs  joli.  Je  n'ai  pas  eu  froid,  je  me  porte  bien,  voilĂ .  Le  pays 
est  abrité  et  doux.  Les  sommets  sont  sibériens,  mais  on  n'y  reste 
pan... 


(1)  La  lettre  est  datée  du  14  dans  la  Correspondance,  mais  elle  fut  écrite 
le  13.  Mme  Sand  partit  de  Nohant  le  10  janvier,  elle  passa  Ă   Gargilesse  le  11 
(le  lendemain)  et  le  12  (le  surlendemain)  et  enfin  elle  est  partie  de  Gargilesse 
le  13  («  ce  matin  »). 


38a  GEORGE   SAND 

Entre  temps  la  suspension  de  la  Presse  —  probablement 
grĂąee  Ă   l'intervention  de  Mme  Sand  —  fut  levĂ©e.  Charles  Edmond 
continuait  à  lui  demander  son  roman  suédois  pour  ce  journal  ; 
elle  lui  répondit  : 

...Quant  au  Chùteau  des  Etoiles,  ça  ne  peut  pas  s'arranger  comme 
ça.  Comment  passerai-je  l'été  avec  deux  mille  francs?  Rappelez-vous 
Nohant  :  il  y  a  du  monde  et  de  la  dépense.  Pour  m' arranger  du  budget 
que  vous  m'offrez,  il  faudrait  aller  vivre  Ă   Gargilesse,  ce  qui  ne  serait 
pas  trÚs  désagréable,  mais  ce  qui  n'est  possible  que  dans  nos  courts 
moments  de  vie  de  garçon.  Donc,  cherchez  un  autre  problÚme,  cher 
ami,  ou  dites-moi  de  chercher  un  autre  titre  Ă   annoncer  dans  la  Presse. 
J'aurai  largement  le  temps  de  vous  faire  un  roman  pour  l'Ă©poque 
oĂč  vous  en  aurez  besoin,  et  je  pense,  d'ici  Ă   une  quinzaine,  vous  dire 
mon  titre.  VoilĂ ,  quant  au  ChĂąteau  en  question,  l'ultimatum  non  de  ma 
volonté,  mais  de  ma  caisse... 

L'affaire  avec  la  Presse  ne  s'arrangea  pas  et  le  ChĂąteau  des 
Etoiles  fut  publié  dans  la  Revue  des  Deux  Mondes,  à  laquelle 
George  Sand  revint  ainsi  aprĂšs  une  querelle  de  dix-huit  ans 
(car  quoique  le  Chùteau  des  désertes  y  parût  en  1851,  l'auteur  n'y 
fut  pour  rien,  le  manuscrit  ayant  été  cédé  à  cette  revue  par  un 
autre  éditeur  qui  l'avait  acheté)  (1).  L'Homme  de  Neige  parut 
dans  la  Revue  des  Deux  Mondes  du  1er  juin  au  15  septembre. 
Cette  affaire  fut  arrangée  par  Emile  Aucante,  le  secrétaire  de 
Mme  Sand,  l'ami  de  toute  sa  famille  et  l'hĂŽte  constant  de  Xohant 
de  1848  Ă   1858  (2). 

L'Homme  de  Neige  terminé,  Mme  Sand,  à  partir  de  1858,  revint 
souvent  à  Gargilesse  pour  y  séjourner  «  en  garçon  »,  parfois 
pour  quelques  jours,  parfois  pour  quelques  semaines.  Elle  Ă©crit 
par  exemple  le  23  avril  1858  Ă   Ernest  PĂ©rigois,  Ă   Tourin,  oĂč  il 
vivait  exilĂ©,  aprĂšs  l'incident  Orsini,  et  oĂč  Solange  voulait  aller 
le  retrouver  : 

«  ...Sol.  s'apprĂȘte  Ă   partir  le  26  ;  elle  est  souffrante  et  je  l'en- 

(1)  A  consulter,  sur  les  relations  entre  le  directeur  de  cette  Revue  et 
Mme  Sand,  le  trÚs  intéressant  ouvrage  de  Mme  M.-L.  Pailleron,  paru  au 
momeDt  oĂč  notre  livre  Ă©tait  dĂ©jĂ   terminĂ©.  Nous  renvoyons  aussi  le  lecteur 
au  chapitre  in  de  notre  troisiĂšme  volume. 

(2)  Voir  plus  haut,  p.  150-161,  191-196,  209,  230. 


GEORGE   SAND  383 

gage  Ă   attendre  deux  ou  trois  jours  de  plus.  Je  ne  sais  si  elle 
m'Ă©coutera...  J'ai  tant  d'envie  d'aller  vous  rejoindre.  Mais  je 
ne  peux  pas  encore,  et  toute  la  campagne  que  je  vais  faire  se 
bornera  pour  le  moment  à  Gargilesse.  » 
Revenue  de  Gargilesse,  Mme  Sand  Ă©crit  Ă   son  fils  Ă   Paris  : 

28  avril  1858. 

Cher  enfant,  nous  partons  demain  pour  Gargilesse  pour  vingt-quatre 
heures  ou  huit  jours,  selon  le  temps  qu'il  fera...  Si  tu  avais  quelque 
chose  de  pressé  et  d'important  à  me  faire  savoir  il  faudrait  envoyer 
ta  lettre  sous  l'enveloppe  de  Jean  Renaud,  jardinier  Ă   Nohant,  en  lui 
disant  que  tu  désires  que  cela  me  soit  envoyé  de  suite.  Alors  Sylvain 
ou  Meo  Patacca  car  le  nom  lui  est  resté  (1),  me  l'apporterait  puisque 
je  laisse  toujours  un  des  deux  frĂšres  et  un  des  trois  chevaux  Ă   la 
maison.  Que  ce  soit  entendu  une  fois  pour  toutes. 


Nohant,  3  mai  1858. 

J'arrive  ce  soir,  nous  avons  eu  froid  et  pluie  en  route,  mais  je  crois 
que  tout  ça  fait  du  bien  quand  on  y  va  volontairement  et  sans  y 
prendre  garde.  J'ai  trouvé  une  lettre  de  Sol.  qui  me  dit  aller  mieux. 
Je  ne  trouve  rien  de  toi.  As-tu  fait  ta  course  à  CompiÚgne?  As-tu  été 
mouillĂ©?  Ceci  me  paraĂźt  inĂ©vitable.  Écris-moi.  Je  compte  retourner 
lĂ -bas  Ă   la  fin  du  mois.  Et  toi,  quand  y  viendras-tu?  Envoie  de  suite 
ma  lettre  Ă   Emile  pour  qu'il  sache  que  je  suis  de  retour  et  qu'il  m'envoie 
des  sous  s'il  en  a.  Je  te  bige  mille  fois.  Écris-moi. 


Nouant,  8  mai  1858. 

Je  commençais  à  m'inquiéter  de  toi,  mon  Bouli.  Je  vois  que  pen- 
dant que  je  revenais  par  le  froid  et  la  pluie  de  nos  rochers  pittoresques 
tu  errais  dans  les  forĂȘts  par  le  mĂȘme  temps.  A  prĂ©sent  nous  avons  le 
déluge  et  un  froid  de  chien. 

H  a  fallu  rallumer  le  calorifĂšre  et  l'on  n'est  pas  sans  crainte  d'une  ou 
de  deux  gelées  qui  feraient  bien  du  dégùt.  Jamais  récoltes  en  tout 
genre,  blé,  vin,  foins  et  fruits,  ne  se  sont  annoncées  si  splendides...  » 


(1)  Nom  d'un  personnage   de  la  Comédie  italienne  qu'on  avait  donné 
comme  sobriquet  au  cocher  de  Mme  Sand. 


3S4  GEORGE   SAND 

Elle  note  dans  son  Journal,  Ă   la  date  du  29  mai  1858  : 

Je  reste  à  la  maison  et  finis  mon  roman  ThérÚse  (Elle  et  Lui)  com- 
mencé le  4  mai,  620  pages  en  25  jours.  C'est  un  joli  coup  de  collier.  Je 
n'ai  jamais  travaillé  avec  autant  de  plaisir  qu'à  Gargilesse.  J'ai  fait  ici 
200  pages  malgré  les  longues  promenades  (1). 

Mme  Sand  avait  bien  raison  de  dire  que  ses  séjours  à  Gargilesse 
lui  permettaient  d'accomplir  le  double,  le  triple  de  son  labeur 
ordinaire.  C'est  ainsi  qu'elle  Ă©crivit  de  1857  Ă   1862,  non  seule- 
ment treize  romans  (la  Daniella,  les  Dames  vertes,  les  Beaux 
Messieurs  de  Bois-Doré,  V Homme  de  Xeige,  Narcisse,  Flavie,  Jean 
de  la  Roclie,  Elle  et  Lui,  Constance  Verrier,  la  Ville  noire,  le  Mar- 
quis de  Villemer,  la  Famille  de  Germandre  et  ValvMre),  mais 
encore  toute  une  série  d'articles  pour  ses  deux  recueils  :  Prome- 
nades autour  d'un  village  et  Autour  de  la  table  (2),  le  texte  pour 
deux  albums  de  dessins  de  Maurice  Sand  :  Visions  Ă   la  campagne 
et  Masques  et  Bouffons  et  enfin  trois  piĂšces  :  Marguerite  de  Sainte- 
Gemme,  le  Pavé  et  le  Drac. 

Et  en  effet,  rien  que  par  les  lettres  de  Mine  Sand  Ă   Maurice, 
de  mai- juillet  1858,  on  voit  combien  ce  calme  refuge  Ă   Gargi- 
lesse, plus  encore  que  sa  vieille  maison  de  Xohant,  lui  permet- 
tait de  travailler  beaucoup,  sans  trop  de  fatigue. 

Xohant,  19  mai  1858. 

Cher  fanfan,  j'ai  reçu  ta  lettre  ce  matin,  je  pars  aprÚs-demain, 
c'est-à-dire  demain  jeudi  20  (car  il  est  minuit  passé)  pour  la 
Algira,  oĂč  je  finirai  probablement  le  roman  court  que  j'ai  en  train  (3). 
J'y  resterai  huit  jours.  Donc,  dans  le  milieu  de  la  semaine  prochaine  je 
serai  revenue  et  je  trouverai,  j'espÚre,  les  explications  nécessaires  pour 
me  mettre  Ă   ton  texte  fantastique  (4)  ;  car  celles  que  tu  me  donnes 
sont  encore  insuffisantes.  Est-ce  quinze  cents  lettres  pour  chaque 

(!)  Ce  mĂȘme  journal  nous  apprend  que  «  toute  la  correction  de  Elle  et  Lui 
est  terminĂ©e  le  1er  juin  <‱  et  ■  on  part  de  Gargilesse  pour  retourner  Ă   Nohant  ». 

(2)  Les  articles  sur  Fenimore  Cooper,  Mme  Allari,  la  Joconde  gravée  par 
Calamatta,  sur  les  deux  livres  de  Fromentin  :  Un  été  dans  le  Sahel  et  Lr«e 
année  dans  le  Sahara,  sur  Balzac,  Béranger,  etc.,  etc. 

(3)  Xan-içee. 

(4)  C'est-à-dire  le  texte  de  ses  dessins  fantastiques  Vision»  dans  les  cam- 
pagnes. 


GEORGE   SAND  385 

sujet?  je  le  présume,  mais  d'aprÚs  la  phrase,  on  croirait  que  c'est 
quinze  cents  lettres  pour  huit  sujets.  Quand  faut-il  que  ce  soit  livré? 
tu  sais  qu'il  me  faut  les  points  sur  les  i  et  qu'alors  je  suis  exacte  comme 
un  ehenĂčn  de  fer. 

Dis  Ă   Emile  de  ne  pas  m'envoyer  d'autre  argent  (s'il  ne  l'a  fait) 
d'ici  Ă   jeudi  de  la  semaine  prochaine.  Mais  s'il  y  avait  quelque  chose  de 
pressé  à  me  faire  savoir,  qu'il  écrive  sous  l'adresse  de  Manceau  :  A 
monsieur  Manceau,  propriétaire  à  Gargilesse,  par  Eguzon  {Indre).  A 
présent  le  facteur  y  passe  tous  les  jours.  Ecris-moi  z-y,  toi,  pour  que 
je  ne  sois  pas  huit  jours  sans  nouvelles  de  toi,  ce  qui  me  gĂąte  un  peu 
mes  délices  de  Gargilesse.  Ne  fût-ce  qu'un  mot.  Et  puis,  je  suis  bien 
aise  de  voir  si,  de  lĂ ,  on  peut  correspondre  avec  Paris,  au  besoin.  Ne 
donne  Ă .  personne  et  dis  Ă   Emile  de  ne  donner  Ă   personne  mon  adresse 
pour  ce  pays-lĂ ,'et  ne  mettez  pas  mon  nom  sur  la  lettre,  car  les  ennuyeux 
m'y  poursuivraient  de  leurs  Ă©pĂźtres  en  vers  et  en  prose.  Tu  me  disais 
dans  ta  lettre  d'avant-hier,  que  j'aurais  Ă   faire  seize  feuilles  pour  tes 
huit  lithographies.  Une  feuille  dans  notre  argot,  c'est  seize  pages,  tu  vois 
donc  bien  que  je  ne  serais  pas  fixée  par  de  telles  indications  et  qu'il  me 
faut  une  de  ces  notes  techniques  et  précises  comme  Emile  sait  le  faire. 

Nous  allons  donc  encore  Ă©cheniller  sans  toi  les  buissons  fleuris  de  la 
Creuse!  Manceau  emporte  de  quoi  charger  un  navire,  en  boĂźtes  de 
toutes  sortes.  Il  emporte  mĂȘme  une  Ă©norme  boĂźte  Ă   Ă©closions  pour 
que  son  absence  ne  soit  pas  fatale  à  sa  progéniture,  et  qu'il  puisse  la 
transpercer  paternellement  d'un  fer  rouge,  dĂšs  qu'elle  aura  vu  la 
lumiĂšre.  Encourage-le  dans  ses  travaux  et  recherches,  car  il  y  a  des 
moments  oĂč  il  dit  :  Pourvu  que  ça  amuse  encore  Maurice,  les  bĂȘtes  l 
Et  il  mĂ©rite  d'ĂȘtre  payĂ©  du  mal  de  chien  qu'il  se  donne  pour  la  science, 
par  une  mention  honorable  de  son  patron.  Il  a  fini  et  refini  sa  planche. 
Jl  va  faire  le  savant  et  le  propriétaire,  moi  je  vais  refaire  mes  expé- 
riences sur  l'eau  de  source  de  Gargilesse  qui  est,  je  crois,  plus  souveraine 
que  toutes  celles  qu'on  me  prescrit  (1).  J'étais  guérie  là-bas,  et  je  ne 
le  suis  pas  ici  par  l'eau  de  Vichy.  A  mon  retour,  je  prendrai  le  régime 
Philips  que  tu  m'envoies,  et  me  priverai  d'asperges  avec  délice.  Bon- 
soir, mon  Bouli,  je  te  bige  et  te  regrette.  J'espĂšre  que  tu  te  portes  bien, 
pauvre  Parisien.  Je  voudrais  pouvoir  t'envoyer  la  campagne  dans  ton 
atelier. 

Villa  Algira,  24  mai  1858. 

Nous  sommes  Ă   Gargilesse,  mon  Bouli,  et  nous  n'y  avons  pas  beau 
tems,  bien  que  nous  nous  soyons  mis  en  route  par  un  soleil  niagni- 

(1)  Mme  Sand  s'était  tellement  engouée  de  Gargilesse  qu'elle  lui  prédisait 
mĂȘme  dans  ses  articles  un  brillant  avenir  comme  station  balnĂ©aire. 

iv.  35 


386  GEORGE   SAXD 

fique.  Mais  ce  mois  de  mai  ne  veut  pas  se  décider  à  tenir  les  promesses 
du  mois  d'avriL  On  dit  que  c'est  excellent  pour  les  biens  de  la  terre, 
Ă   la  bonne  heure  ! 

Heureusement  la  maisonnette  est  bien  close  et  bien  habitable, 
quelque  temps  qu'il  fasse,  et  j'y  travaille  quand  il  pleut.  Aujourd'hui 
c'Ă©tait  grande  fĂȘte  ici  :  nous  avons  vu,  en  dĂ©jeunant,  une  procession 
trĂšs  pittoresque  sur  le  chemin  qui  descend  devant  la  fenĂȘtre  de  l'hĂŽtel 
Malasset;  les  enfants  en  avant,  puis  les  hommes,  puis  les  femmes  et 
ensuite  une  foule  de  femmes,  de  vieillards  et  d'enfants  par  trois  et 
quatre  Ă   la  fois  sur  des  chevaux  et  sur  des  Ăąnes,  sans  selle  ni  bride. 
Nous  avions  à  déjeuner  la  famille  Yergne,  avec  qui  nous  avons  fait 
ensuite  une  belle  promenade  par  un  tems  couvert;  nous  sommes 
rentrĂ©s  au  moment  oĂč  la  pluie  commençait,  et,  ce  soir,  tous  les  vents 
de  la  montagne  sont  déchaßnés  et  le  ruisseau  grossi  par  la  pluie  chante 
comme  un  perdu. 

J'ai  été  malade  en  arrivant  ici,  je  ne  sais  de  quoi.  J'ai  dormi  dix- 
huit  heures  et  je  suis  tout  à  fait  vaillante,  car  j'ai  marché  comme  un 
Basque  aujourd'hui.  Ce  pays  est  toujours  attrayant  ;  tous  les  jours  on 
y  découvre  des  sites  superbes  ou  des  recoins  charmants  et  bizarres. 
Ma  petite  chambre  microscopique  me  plaĂźt  beaucoup.  De  mon  lit  je 
vois  la  lune  se  coucher  dans  un  bois  tout  noir  au  haut  de  la  colline.  Et 
puis  on  est  trĂšs  aimable  pour  nous  dans  le  village.  Nous  en  sommes, 
tout  à  fait,  à  présent.  Tous  les  enfants  chassent  la  chenille  et  apportent 
souvent  des  choses  intéressantes.  Manceau  les  met  à  l'ordre  et  donne 
des  récompenses  selon  la  trouvaille,  rien  si  la  chenille  n'est  pas  apportée 
fraĂźche  et  bien  portante  dans  une  feuille,  rien  si  elle  est  commune.  Un 
beau  jour,  tout  le  village  fera  partie  de  la  Société  entomologique. 

Nous  ne  savons  pas  au  juste  quel  jour  nous  repartirons.  Mais  Ă   la 
fin  de  la  semaine  nous  serons  Ă   Nohant,  tu  peux  nous  y  Ă©crire  alors. 
Mais  j'espĂšre  recevoir  de  tes  nouvelles  ici  auparavant.  Il  faut  Ă©crire 
par  Eguzon.  Autrement,  c'est  un  jour  de  retard  Ă   Argenton.  J'ai  beau- 
coup pensé  à  tes  sujets  fantastiques  la  nuit  que  j'étais  malade,  et  que 
je  ne  dormais  pas.  Il  y  avait  dans  le  ciel  et  sur  l'horizon,  les  animaux 
les  plus  bizarres  dans  les  nuages  et  dans  les  silhouettes  des  branches  ; 
et  je  voyais  trĂšs  bien  tous  les  dessins  en  nature. 

Bonsoir,  mon  cher  Bouli,  travailles-tu  bien?  Moi,  j'espĂšre  finir  ici 
mon  roman.  Manceau,  qui  n'a  pas  voulu  sortir  un  instant  pendant  que 
j'étais  patraque,  a  dessiné  des  chenilles  en  quantité  et  dans  une  grande 
perfection  de  fini  et  d'exactitude.  Marie  des  poules  (1),  soigne  celles 

(1)  Cette  i  otarie  »  était  Marie  Caillaud,  qui  joua  plus  tard  un  grand  rÎle 
Ă   Nohant.  Elle  avait  commencĂ©  par  ĂȘtre  gardeuse  de  basse-cour  et  laveuse 
de  vaisselle  ;  puis  iiĂŻne  Sand  se  mit  Ă   lui  enseigner  Ă   lire  et  Ă   Ă©crire,  lui  trou- 
vant une  rare  intelligence  ;  plus  tard  elle  la  prit  comme  femme  de  chambre  ; 


GEORGE   SAND  387 

qui  sont  Ă   Nohant,  on  lui  a  appris.  La  boĂźte  Ă   Ă©closion3  est  ici  et  la 
chasse  continue. 

J'ai  reçu  hier  des  nouvelles  de  Sol,  elle  va  bien.  Dis  à  Emile  que  j'ai 
corrigé  et  renvoyé  à  Buloz  des  masses  d'épreuves  (1). 

Elle  Ă©crit  Ă   Poney  Ă   la  fin  de  sa  lettre  du  19  juin  1858  : 

Manceau  vous  envoie  toutes  ses  tendresses.  Nous  avons  passé  l'hiver 
ici  tous  les  deux,  allant  de  temps  en  temps  passer  la  semaine  dans  une 
chaumiÚre  qu'il  a  achetée,  moyennant  la  somme  de  huit  cents  franc?, 
au  bord  de  la  Creuse,  dans  un  pays  enchanteur,  bien  que  la  distance 
ne  soit  que  de  douze  lieues.  Nous  rĂȘvons  voyages.  Si  une  certaine  cir- 
constance se  réalisait,  nous  nions  passer  l'automne  ou  l'hiver  en  Afrique 
et  alors,  certes,  nous  nous  venions.  Mais,  il  y  a  toujours  le  triste  mais! 
nous  ne  faisons  encore  qu'espérer. 

Nous  avons  dĂ©jĂ   notĂ©  que  presque  toutes  les  Ɠuvres  de  George 
Sand  de  1850-1860  reflÚtent  son  goût  pour  l'histoire  naturelle. 
Notons  aussi  que  dùs  ses  tout  premiers  romans  —  à  commencer 
par  1'  «  encyclopédique  »  princesse  Cavalcanti  adonnée  entre 
autres  à  l'entomologie  —  George  Sand  montrait  trùs  souvent 
ses  héros  et  ses  héroïnes  s'occupant  de  différentes  branches  de 
la  science,  ceux-ci  de  botanique,  celles-là  de  minéralogie,  les 
troisiÚmes  de  géologie,  d'autres  encore  collectionnant  des  papil- 
lons, des  minéraux,  des  coquillages  pétrifiés.  Cette  passion  pour 
les  sciences  naturelles  domine  à  présent  tous  les  romans  de 
Mme  Sand.  La  plupart  de  ses  personnages  adorent  dame  Nature 
autant  que  leurs  maßtresses  ou  leurs  fiancées.  Allant  à  un  rendez- 
vous,  ils  remarquent  les  couches  géologiques  des  rochers,  ils 
ramassent  des  pierres  ou  attrapent  des  lépidoptÚres,  en  atten- 
dant le  moment  bienheureux  oĂč  leur  adorĂ©e  les  mettra  eux- 
mĂȘmes  sous  sa  pantoufle. 

C'est  ainsi  que  nous  voyons  dans  Flavie  des  entomologistes, 
des  ornithologues,  des  minéralogistes  et  des  oiseaux  empaillés, 
et  des  boĂźtes  de  fer-blanc,  et  des  chrysalides,  et  des  papillons, 

enfin  Marie  Caillaud  joua  la  comédie  à  Nohant,  devint  une  trÚs  bonne  actrice 
et  participa  Ă   toutes  les  reprĂ©sentations  et  fĂȘtes  organisĂ©es  par  les  jeunes 
gens  de  la  maison.  Plus  tard  elle  Ă©pousa  l'un  de  ces  jeunes  gens.  Nous  la 
retrouverons  dans  le  chapitre  suivant. 
(1)  C'Ă©taient  les  Ă©preuves  de  V Homme  de  neige. 


333  GEORGE   SAND 

et,  au  milieu  d'eux,  la  ravissante  et  pimpante  chrysalide  et  papil- 
lonne Flavie.  la  spirituelle  et  coquette  fille  de  M.  ***.  M.  *** 
s'occupe  à  collectionner  des  oiseaux  empaillés  ;  son  pÚre  est  un 
peu  maniaque,  comme  tous  les  collectionneurs  ;  il  est  un  fort 
mauvais  chaperon  pour  une  jeune  personne  aussi  légÚre  et  aussi 
volontaire.  Il  veut  la  marier  au  jeune  lord  Malcolm,  autant 
parce  que  ce  seigneur  et  sa  mĂšre,  la  belle  lady  Rosemonde,  sont 
des  gens  charmants,  que  parce  que  lord  Malcolm  a  la  passion  de 
l'histoire  naturelle,  mais  surtout  parce  qu'il  est  l'ami  d'une 
cĂ©lĂ©britĂ©  future,  d'un  certain  savant  extraordinaire,  M.  Émilius. 
Cet  homme  est  une  vraie  encyclopédie  vivante,  s'occupant 
d'ophtalmologie  et  de  zoologie,  et  d'ornithologie  et  d'entomo- 
logie en  particulier.  H  a  de  plus  voyagé  en  Afrique,  en  Sibérie, 
dans  les  Indes,  et  il  arrive  dans  les  environs  de  Rome,  juste  au 
moment  oĂč  lady  Rosemonde  et  Flavie  s'y  trouvent  en  partie 
de  plaisir.  Flavie  est  entourée  d'adorateurs  et  flirte  avec  tous. 
C'est  une  jeune  fille  trĂšs  moderne,  tellement  moderne  par  son 
entrain,  son  bagout,  sa  crùnerie,  son  indépendance  et  ses  spiri- 
tuelles sorties  que  le  roman  semble  Ă©crit,  non  en  1857,  mais 
en  1917  !  Bien  loin  d'ĂȘtre  sentimentale,  Flavie  se  croit  incapable 
de  tout  entraĂźnement  passionnel  :  il  lui  plaĂźt  de  voir  tout  le 
monde  à  ses  pieds,  mais  elle  veut  garder  sa  liberté  et  se  promet 
bien  de  ne  jamais  devenir  la  femme  d'un  savant.  Fi,  quelle  hor- 
reur !  Elle  soupçonne  Malcolm  d'ĂȘtre  quelque  chose  comme  cela. 
Elle  décide  donc  de  faire  la  leçon  à  son  fiancé  en  l'effrayant; 
mais,  comme  cela  arrive  toujours,  elle  est  attrapée,  comme  un 
papillon.  Son  aplomb,  son  flirt  éternel  et  sa  légÚreté  lui  jouent 
un  mauvais  tour.  Elle  croit  que  Malcolm  veut  l'espionner,  la 
soumettre  Ă   une  surveillance  secrĂšte,  tandis  que  l'ami  de  Mal- 
colm, le  savant  Émilius.  s'adonne  simplement  à  la  poursuite 
d'une  noctuelle,  car  la  «  Flavie  »  dont  Malcolm  s'entretient  avec 
son  ami  Émilius,  n'est  point  elle,  mais  un  papillon  jaune  à 
corsage  de  velours.  Or  Flavie  croit  que  le  monde  entier  ne 
s'occupe  que  d'elle  !  La  jeune  fille  commet  alors  une  série  de 
bĂ©vues  et  d'erreurs.  Elle  se  met  Ă   faire  la  coquette  avec  Émi- 
lius, mais  c'est  elle  qui  s'éprend  de  lui  passionnément.  DÚs  lors 


GEORGE   SAND  389 

elle  abdique  toute  haine  pour  les  sciences  naturelles  et  «  les  gens 
qui  se  promĂšnent  sans  gants  ».  Elle  s'efforce  mĂȘme  de  tenter 
Ëmilius  par  l'offre  de  sa  grande  fortune.  Cette  fortune  facilite- 
rait ses  recherches  biologiques  et  physiologiques.  Mais,  hélas  ! 
le  savant  reste  fidĂšle  Ă   son  unique  passion  :  la  science  !  Il  dit 
franchement  Ă   Flavie  que  ses  charmes  ne  l'enchaĂźneraient  pas 
longtemps,  qu'elle  a  besoin  d'un  amour  et  d'une  adoration  non 
partagés,  exclusifs  ;  s'il  l'épousait  il  la  rendrait  malheureuse  ; 
ne  le  voulant  pas,  il  la  repousse.  Ce  coup  terrible  devient  néan- 
moins pour  la  jeune  fille  jusqu'alors  dominée  par  un  amour- 
propre  excessif  la  cause  d'un  changement  moral  bienfaisant.  H 
lui  révÚle  le  prix  des  choses  et  lui  fait  comprendre  quel  est  le  vrai 
bonheur  de  la  femme.  Elle  abandonne  ses  caprices,  sa  légÚreté, 
ses  flirts  et  finit  par  Ă©pouser,  non  pas  le  savant  Émilius,  mais 
M.  Emile  Vaureponne,  décidée  à  devenir  son  épouse  dévouée 
et  fidÚle.  Quant  à  lord  Malcolm,  lui  aussi  guérit  de  son  amour 
pour  cette  jeune  personne  inquiétante  et  trouve  le  bonheur  en 
se  mariant  avec  sa  petite  cousine  Anna  qui  l'adore  depuis 
son  enfance. 

Peu  de  nouvelles  de  George  Sand  sont  Ă©crites  avec  plus  de 
grĂące,  de  verve,  d'esprit  ;  peu  sont  aussi  remplies  de  fines  obser- 
vations que  Flavie.  Elle  respire  la  fraĂźcheur  comme  si  elle  avait 
Ă©tĂ©  Ă©crite  hier  ;  ni  Mme  Gyp,  ni  M.  Marcel  PrĂ©vost  —  qui  repro- 
duisent si  incomparablement  le  jargon  et  toutes  les  allures  des 
jeunes  demoiselles  contemporaines,  sportives,  pleines  d'aplomb 
et  d'amour-propre,  —  n'auraient  pu  rendre  avec  plus  de  prĂ©ci- 
sion et  de  drĂŽlerie  le  style  alerte,  typique  et  personnel  en  mĂȘme 
temps  de  Flavie  dans  ses  lettres  :  le  roman  est  Ă©crit  sous 
forme  de  lettres.  Quant  à  l'idée  générale  du  roman,  c'est  un 
des  thÚmes  favoris  de  George  Sand  :  le  changement,  l'élévation, 
la  renaissance  d'une  ùme  sous  la  bienfaisante  influence  du  véri- 
table amour;  et  en  mĂȘme  temps  la  suprĂ©matie  des  hommes 
adonnés  aux  grandes  idées,  à  l'étude,  sur  les  gens  qui  ne  sont 
occupés  que  de  leur  propre  moi. 

Nous  trouvons  la  mĂȘme  idĂ©e  dans  Jean  de  la  Roche.  Dans  la 
PrĂ©face  mĂȘme  —  qui  est  une  rĂ©ponse  au  livre  indigne  de  Paul 


39o  GEORGE   SAND 

de  Musset  —  Mme  Sand  dit  que  «  ce  pamphlet  »  lui  remplaça 
son  herbier  oublié  lorsqu'elle  suivait  la  trace  de  ses  héros  dans 
les  montagnes  du  Puy  de  DÎme  et  du  Sancy  et  «  les  pages  du 
livre  infùme  furent  purifiées  par  le  contact  des  fleurs,  suaves 
choses  de  Dieu  qui  lui  firent  oublier  les  fanges  de  la  civilisation  ». 

Dans  ce  roman  qui  se  passe  en  Auvergne  —  le  hĂ©ros,  absorbĂ© 
par  sa  personnalité,  analyse  ses  sentiments,  ceux  de  sa  fiancée, 
la  jeune  Anglaise  Love  Butler,  et  se  trouve  inférieur  à  cette 
jeune  fille  sans  expérience,  parce  que  celle-ci,  dÚs  son  plus  jeune 
ùge,  a  travaillé  sérieusement,  étudié  la  nature,  et  que  sa  vie  n'a 
été  qu'un  acte  de  dévouement  :  elle  a  acquis  ainsi,  pour  lutter 
contre  toutes  les  Ă©preuves  de  la  vie,  une  force  morale  que  Jean, 
malgré  son  intelligence,  son  ùge,  sa  sensibilité,  ne  possÚde  pas,  son 
amour  n'Ă©tant  qu'une  passion  Ă©goĂŻste.  Love  Butler,  ainsi  que 
son  pĂšre  et  l'ami  de  la  maison  Je  ridicule  savant  Junius  Black, 
sont  tous,  bien  entendu,  épris  de  minéralogie,  de  botanique  et 
collectionnent  avec  fureur. 

De  mĂȘme  dans  ValvĂšdre  (dĂ©diĂ©  Ă   Maurice)  Mme  Sand  dit 
dans  sa  Préface  qu'elle  a  mis,  dans  ce  roman,  une  idée  savourée 
en  commun  :  «  la  nécessité  de  sortir  de  soi  »  en  étudiant  la  nature, 
au  lieu  de  se  complaire  Ă   l'Ă©ternelle  analyse  de  ses  sentiments 
ou  de  ses  sensations.  En  effet,  la  coquette  et  nonchalante  Alida 
de  ValvĂšdre,  et  le  poĂšte  dilettante  Valigny ,  ĂȘtres  futiles  et  Ă©goĂŻstes, 
se  meurent  d'ennui.  Leur  passion  seule  compte  pour  eux  et  ils  se 
trouvent  ainsi  entraßnés  à  commettre  une  foule  de  mensonges, 
de  tromperies,  de  forfaits  sans  nombre  et  doivent  finalement 
baisser  pavillon  devant  le  mari  d' Alida  —  Valvùdre  —  un  homme 
déjà  ùgé,  entiÚrement  voué  à  la  science,  devant  Mlles  Obernay, 
habituées,  dÚs  leur  jeune  ùge,  à  s'intéresser  aux  choses  sérieuses 
et  devant  le  vieil  israélite  Moserwald,  qui,  malgré  tous  ses 
travers,  tout  son  prosaĂŻsme  bourgeois,  est  capable  de  sacrifice 
et  de  vrai  amour,  tandis  que  ces  deux  amants  aptes  Ă   jouer 
uniquement  la  comédie  de  la  passion,  ont  voué  au  malheur  la 
famille  des  ValvĂšdre. 

On  dit  souvent  que  ValvĂšdre  est  la  contre-partie  de  Jacques, 
que  c'est  la  défense  des  vieux  maris  trompés,  que  c'est  le  procÚs 


GEORGE    SAND  391 

fait  à  la  liberté  d'aimer,  tandis  que  Jacques  en  est  le  plaidoyer. 
H  y  a  lĂ   une  erreur.  Jacques  est  une  apologie  de  l'amour  tout- 
puissant;  ValvÚdre  est  un  jugement  prononcé  contre  l'amour 
passe-temps,  nĂ©  du  dĂ©sƓuvrement. 

Ce  Moserwald  —  soit  dit  par  parenthùse  —  est  un  des  trùs 
rares  israélites  que  l'on  trouve  dans  les  romans  de  George  Sand. 
Mme  Sand  avait  peu  de  sympathie  pour  la  race  d'Israël,  la  trou- 
vant antisociale,  empreinte  d'esprit  bourgeois.  C'est  ainsi  que 
dans  une  lettre  Ă   Victor  Borie  (du  16  avril  1857)  elle  dit  Ă   propos 
du  poĂšme  d'Edouard  Grenier,  le  Juif  errant  : 

...Son  poĂšme  est  trĂšs  remarquable.  Moi,  je  vois  dans  le  Juif  errant 
la  personnification  du  peuple  juif,  toujours  riche  et  banni  au  moyen 
Ăąge,  avec  ses  immortels  cinq  sous,  qui  ne  s'Ă©puisent  jamais,  son  acti- 
vitĂ©, sa  duretĂ©  de  cƓur  pour  quiconque  n'est  pas  de  sa  race,  et  en  train 
de  devenir  le  roi  du  monde  et  de  tuer  Jésus-Christ,  c'est-à-dire  l'idéal. 
Il  en  sera  ainsi  par  le  droit  du  savoir-faire,  et,  dans  cinquante  ans,  la 
France  sera  juive.  Certains  docteurs  israĂ©lites  le  prĂȘchent  dĂ©jĂ .  Us  ne 
se  trompent  pas... 

L'antipathie  de  Chopin  pour  les  juifs  a  aussi  un  peu  son 
Ă©cho  dans  les  Ɠuvres  de  Mme  Sand.  Dans  les  Sept  cordes  de  la 
lyre  on  voit  paraĂźtre  un  juif  avide  :  c'est  un  usurier  sordide. 

Moserwald,  lui,  représente  un  autre  type  de  juif,  un  bourgeois 
riche,  un  sac  Ă   or,  croyant  que  tout  s'achĂšte.  Mais  sous  l'influeDce 
de  son  amour  malheureux  pour  Alida,  il  comprend,  lui  aussi, 
qu'avec  de  l'argent  on  peut,  tout  au  plus,  conjurer  des  désastres 
matériels,  que  l'argent  est  un  instrument  pour  faire  le  bien, 
mais  qu'il  peut  aussi  faire  le  mal. 

Le  héros  de  ValvÚdre  s'appelle  Francis.  Ce  roman  parut 
en  1861.  Or,  au  commencement  de  1862,  George  Sand  fit  la 
connaissance  d'un  israélite,  auquel  elle  soutint,  d'une  part,  que 
la  richesse,  l'argent,  gĂątent  les  hommes  ;  qu'Ă©tant  riche  il  fallait 
posséder  une  grande  force  d'ùme  pour  rester  bon,  et  d'autre 
part  c'est  à  propos  de  cet  israélite,  venu  si  délicatement  en  aide 
à  un  certain  Francis  fort  réel,  que  Mme  Sand  demandait  à  Dumas 
fils  s'il  avait  remarqué  ...«  qu'avec  les  juifs  il  n'y  avait  pas  de 
milieu  ;  quand  ils  se  mĂȘlent  d'ĂȘtre  gĂ©nĂ©reux  et  bons,  ils  le  sont 


392  GEORGE    SAND 

plus  que  les  croyants  du  Nouveau  Testament  ».  Nous  dirons 
bientÎt  qui  était  ce  représentant  d'Israël. 

En  1860,  la  mĂȘme  annĂ©e  oĂč  fut  Ă©crit  ValvĂšdre,  parut  un  roman, 
qui,  s'il  n'eut  pas  autant  d'Ă©clat  que  les  premiĂšres  Ɠuvres  de 
George  Sand,  lui  attira  néanmoins  de  nouveau  les  sympathies 
générales  et  devint  l'un  de  ses  livres  les  plus  aimés  et  toujours 
relus.  Ce  fut  le  célÚbre  Marquis  de  Villemer. 

HĂ©las  !  au  risque  d'encourir  l'anathĂšme  de  tous  les  fidĂšles 
sandistes,  nous  devons  confesser  que  nous  ne  partageons  pas  cet 
engouement  ;  sans  parler  des  premiers  romans  de  George  Sand, 
nous  trouvons  mĂȘme  parmi  ses  toutes  derniĂšres  crĂ©ations  des 
Ɠuvres  qui  nous  attirent  infiniment  plus  par  la  profondeur  de 
la  pensée  et  la  vivacité  du  récit.  Nous  qui  n'étions  pas  nés  lorsque 
Villemer  Ă©veilla  cette  admiration  unanime,  nous  trouvons  son 
exposition  à  la  fois  naïve  et  froide.  Cette  histoire  d'une  «  pauvre 
mais  noble  »  lectrice  qui  gagne  le  cƓur  du  mĂ©lancolique  fils  cadet 
d'une  vieille  douairiÚre  nous  parait  peu  intéressante,  et  son 
dénouement  rappelle  singuliÚrement  les  vertueuses  et  touchantes 
nouvelles  anglaises  des  journaux  pour  adolescents. 

Nous  devons  avouer  pourtant  que  peu  de  romans  se  lisent 
avec  autant  de  plaisir  que  la  premiĂšre  partie  de  Villemer;  peu 
de  types  littéraires  restent  aussi  nettement  gravés  dans  la 
mémoire  que  celui  de  cette  vieille  marquise,  du  duc  d'Aléria, 
de  Mme  d'Arglade,  de  la  vieille  duchesse  de  DuniĂšres,  de  l'alerte 
et  résolue  Diane  de  Xaintrailles.  Tous  ces  personnages  sont  des 
types  tracĂ©s  magistralement,  avec  vigueur  et  en  mĂȘme  temps 
avec  un  fini  merveilleux,  avec  cette  science  à  saisir  les  détails 
caractéristiques  qui  est  le  propre  des  grands  maßtres  de  l'art. 
Or,  parmi  tous  les  représentants  de  l'ancien  faubourg  Saint- 
Germain  que  l'auteur  de  la  Marquise  savait  si  bien  portraiturer, 
il  faut  donner  la  palme  Ă   la  marquise  de  Villemer.  Quel  curieux 
ĂȘtre  humain  que  cette  vieille  dame  qui  sait  avec  tant  ae  simpli- 
cité, par  point  d'honneur,  payer  les  dettes  de  son  fils,  et  accepter 
avec  tant  de  philosophie  sa  ruine,  tout  en  ne  pouvant  se  résoudre 
Ă   monter  dans  une  voiture  de  louage  !  Il  n'y  a  qu'Ă   lire  une  page 
des  conversations  entre  la  marquise  et  Caroline  ou  avec  ses  fils 


GEORGE   SAND  393 

pour  comprendre  que  c'est  dans  le  salon  de  son  aĂŻeule,  Marie- 
Aurore  de  Saxe,  ou  au  chùteau  de  son  cousin  René  de  Villeneuve, 
ou  encore  dans  les  familles  de  ses  amies  de  couvent,  Mlles  de 
La  Rochejaquelein,  de  Grammont,  de  Wismes,  que  la  future  George 
Sand  entendit  de  semblables  entretiens,  et  certainement  pas 
dans  l'appartement  bourgeois  de  sa  mĂšre,  ni  chez  ses  amis  poli- 
tiques et  littéraires  de  la  derniÚre  période  de  sa  vie.  Et  ce  lan- 
gage, toutes  les  allures  de  la  vieille  dame  sont  rendus  avec  un 
art  incomparable,  ils  lui  donnent  ce  je  ne  sais  quoi  qui  la  dis- 
tingue d'une  quantité  de  personnages  de  romans.  Malgré  tous  ses 
travers,  ses  façons  d'ĂȘtre  singuliĂšres,  —  sa  personnalitĂ©  humaine, 
son  Ăąme  demeurent  visibles,  et  nous  ressentons  pour  cette 
curieuse  représentante  d'un  monde  suranné  un  sentiment  de 
chaude  sympathie,  de  mĂȘme  que  toutes  les  sorties  Ă©tranges  et 
les  brusqueries  du  vieux  prince  Bolkonsky  dans  la  Guerre  et  la 
Paix  de  TolstoĂŻ,  ne  peuvent  nous  cacher  sa  vraie  Ăąme,  grande  et 
belle,  et  ne  nous  empĂȘchent  pas  de  l'aimer  avec  passion.  La  viva- 
citĂ©, l'activitĂ©  extrĂȘme  de  son  esprit  et  mĂȘme  sa  mondanitĂ© 
expliquent  la  préférence  de  la  marquise  pour  son  fils  aßné,  le 
duc  d'Aléria,  né  d'un  premier  mariage.  Celui-ci  est  le  type  du 
viveur  charmant,  du  mauvais  sujet  adoré  des  femmes.  Par 
contre,  son  frĂšre  Urbain,  est  le  type  de  l'amoureux  vertueux, 
morne  et  discoureur,  souvent  ennuyeux.  Ces  deux  hommes  se 
croient  un  moment  rivaux  :  tous  deux  aiment  Caroline,  mais  non 
du  mĂȘme  amour,  et  cette  passion  est  le  point  culminant  de 
l'Ɠuvre.  Or,  le  duc  d'AlĂ©ria,  ce  fils  prodigue,  est  cher  Ă   sa  mĂšre 
comme  au  lecteur  ;  ce  dernier  comprend  parfaitement  que  Diane 
de  Xaintrailles  préfÚre  ce  brillant  et  spirituel  quadragénaire  à 
son  jeune  frĂšre  vertueux.  De  plus,  le  duc  trahit  par  maint  trait 
6es  ancĂȘtres  espagnols  remontant  au  grand  Cid,  et  sa  vieille 
noblesse  française.  Ces  doubles  traits  de  race  lui  donnent  beau- 
coup de  relief. 

Quant  aux  héros  principaux,  Urbain  et  Caroline,  nous  ne 
pouvons  rien  en  dire  :  ils  nous  laissent  indifférents  et  froids, 
malgré  toutes  leurs  vertus,  ou  à  cause  de  cet  excÚs  de  vertus. 

Par  contre,  la  vive,  décidée  et  un  peu  audacieuse  Diane  tra- 


394  GEORGE   SAND 

verse  les  derniĂšres  pages  du  roman  comme  une  ravissante 
silhouette.  Malgré  sa  naïveté  classique  et  son  rire  obligatoire 
d'ingénue  de  dix-sept  ans,  elle  est  aussi  marquée  de  traits  de 
race  typique  qui  en  font  plus  qu'une  pensionnaire  de  convention. 
C'est  bien  une  petite  échappée  du  couvent,  espiÚgle  et  rieuse, 
mais  c'est  aussi  une  fille  de  qualité,  sachant  apprécier  à  leur  juste 
valeur  les  hommes  et  les  choses. 

Tous  ces  traits  typiques  qui  caractérisent  les  personnages,  le 
ton  admirablement  soutenu  de  la  premiĂšre  partie  font  le  charme 
du  roman.  C'est  comme  un  beau  tableau  hollandais  oĂč  tout  : 
effets  de  lumiÚre,  détails  d'intérieur,  figures  principales  et  secon- 
daires sont  peints  avec  une  précision,  un  réalisme,  une  vérité  de 
coloris  merveilleux.  Ce  sont  ces  qualités-là  qui  font  pardonner 
au  Marquis  de  Villemer  la  naïveté  de  sa  fable,  la  pùleur  des  deux 
héros,  toutes  les  invraisemblables  aventures  de  la  seconde  partie 
et  son  ennuyeuse  conclusion. 

Le  Marquis  de  Villemer  fut  mis  à  la  scÚne  et  joué  au  théùtre 
de  TOdĂ©on  en  1864.  La  piĂšce  eut  le  mĂȘme  succĂšs  que  le  roman. 
C'est  une  des  comédies  les  plus  connues  de  George  Sand  :  elle 
resta  au  répertoire.  Nous  pensons  néanmoins  qu'elle  est  trÚs 
inférieure  au  roman. 

On  dit  que  c'est  Alexandre  Dumas  fils  qui  donna  Ă   George 
Sand  l'idée  premiÚre  de  sa  piÚce,  et  l'aida  à  en  établir  la  cons- 
truction. En  quoi  consista  cette  aide?  il  est  impossible  de  le 
dire  à  présent,  car  le  manuscrit  qui  existe  est  écrit  ou  plutÎt 
copié  de  la  premiÚre  jusqu'à  la  derniÚre  ligne  de  la  main  de  George 
Sand  et  le  brouillon  ou  plutĂŽt  les  brouillons  (car  Mme  Sand  refit 
au  moins  deux  fois  toute  la  piĂšce  de  fond  en  comble)  furent 
détruits  (1).  Quant  à  Alexandre  Dumas,  il  se  dédit  en  faveur  de 
George  Sand  de  toute  part  de  collaboration  :  il  refusa  toujours 
de  donner  un  seul  renseignement  sur  ce  qui  Ă©tait  dĂ»  Ă   sa  plume. 
«  C'est  un  service  qu'on  se  rend  entre  confrÚres,  cela  ne  vaut  pas 
la  peine  d'en  parler  »,  avait-il  coutume  de  répondre  lorsqu'on  le 
questionnait  plus  tard  Ă   ce  sujet.  On  dit  couramment  que  cette 

(1)  La  piÚce  a  été  faite  d'abord  en  quatre  actes,  puis  refaite  en  cinq,  puis 
de  nouveau  resserrée  en  quatre  actes. 


GEORGE   SAND  395 

part  consista  à  entailler  de  mots  le  rÎle  du  duc  d'Aléria.  Mais 
lorsque  nous  avons  mot  à  mot  comparé  la  piÚce  au  roman,  nous 
nous  sommes,  Ă   notre  grand  Ă©tonnement,  convaincus  que  le  duc 
ne  s'y  montrait  ni  plus  gai,  ni  plus  spirituel.  Au  contraire,  beau- 
coup de  traits  fins,  de  mots  et  de  petites  reparties  manquent 
dans  la  version  théùtrale.  Ainsi,  nous  préférons  le  premier  dia- 
logue de  Caroline  et  du  duc,  tel  qu'il  se  trouve  dans  le  roman, 
à  relui  de  la  comédie.  Le  commencement  de  cette  scÚne  :  la 
conversation  de  Caroline  avec  un  inconnu,  qui  se  trouve  au 
dernier  moment  ĂȘtre  le  duc;  les  quiproquos  et  les  situations 
comiques  qui  en  proviennent;  la  soudaine  priĂšre,  si  touchante, 
de  cet  inconnu  qui  demande  Ă   Caroline  de  lui  tendre  la  main  ;  la 
crainte  visible  de  cet  homme  mondain  de  ne  pas  ĂȘtre  trouvĂ© 
digne  d'un  simple  shalce-hands,  et  ses  derniĂšres  paroles,  pro- 
noncées d'une  voix  tremblante  :  «  Ayez  soin  de  ma  mÚre,  »  tout 
cela  est  changé  et  gùté  dans  la  piÚce.  Dans  le  roman  ce  r:'est 
qu'à  ce  moment  que  Caroline  s'écrie  :  «  Ah  !  je  sais  à  présent 
qui  vous  ĂȘtes.  Vous  ĂȘtes  le  duc  d'AlĂ©ria.  »  Dans  la  comĂ©die,  elle 
sait  tout  de  suite  Ă   qui  elle  parle  ;  c'est  pour  cela  que  ni  la  priĂšre 
du  duc,  ni  la  réponse  de  Caroline,  ni  les  paroles  finales  ne  pro- 
duisent sur  le  spectateur  cette  impression  inattendue,  trou- 
blante et  touchante.  Le  dialogue  est  privé  de  cet  arÎme  d'inconnu, 
de  mystérieux,  de  mélancolique,  qu'on  devine  malgré  l'apparente 
gaieté  du  duc.  On  y  sent  une  noble  ùme  souffrant  de  ses  propres 
péchés  et  ne  portant  que  le  masque  de  l'insouciance.  Dans  la 
piĂšce,  ce  trait  est  Ă   peine  perceptible  ;  ce  n'est  que  le  jeu  d'un 
bon  acteur  qui  peut  y  remédier. 

Le  rĂŽle  de  Mme  d'Arglade  n'a  pas  moins  souffert.  Dans  le 
roman  c'est  une  bourgeoise  vaniteuse  qui  se  faufile,  grĂące  Ă   son 
babil,  à  sa  feinte  naïveté  et  à  son  habileté  à  se  plier  aux  goûts 
de  n'importe  qui,  dans  le  monde  restreint  du  Faubourg.  Et 
c'est  un  type  comique  et  déplaisant,  plein  de  caractÚre,  fait  de 
main  de  maßtre.  Il  est  réduit  dans  la  comédie  à  une  banale 
intrigante  de  convention. 

Nous  savons  que  la  scĂšne  entre  les  deux  frĂšres  produit  au 
théùtre  une  impression  profonde.  Nous  trouvons  cependant  que 


396  GEORGE   SAND 

les  nécessités  dramatiques  lui  enlÚvent  de  la  vérité,  du  naturel. 
L'unité  de  lieu  entraßne  certaines  impossibilités  fùcheuses.  Nous 
voyons,  entre  autres,  Diane  de  Xaintrailles  arriver  chez  la  mar- 
quise de  Villemer  Ă   une  heure  matinale  impossible.  Nous  regret- 
tons aussi  de  voir  la  lettre  si  incomparablement  Ă©crite  de  la 
duchesse  de  DuniĂšres  et  cette  charmante  vieille  dame  elle-mĂȘme 
remplacées  par  le  personnage  volontairement  comique  et  les 
propos  burlesques  du  duc  de  DuniĂšres.  Tout  ceci  fait  s'envoler 
la  fine  analyse  psychologique  des  sentiments,  des  Ă©tats  d'Ăąme 
que  George  Sand  savait  peindre  si  excellemment. 

Nos  lecteurs  trouvent  peut-ĂȘtre  que  nous  jugeons  trop  sĂ©vĂšre- 
ment cette  piĂšce  (1)  et  se  demandent  comment  elle  a  pu  avoir 
un  tel  succĂšs.  Nous  croyons  que  ce  succĂšs  est  dĂ»  au  roman.  Mais 
justement  ce  qui  fait  le  charme  du  roman  ne  se  retrouve  pas  dans 
la  piÚce.  Pour  nous  c'est  le  premier  acte  qui  est  le  mieux  réussi  ; 
la  couleur  du  roman  y  est  mieux  maintenue,  ainsi  que  la  fidé- 
lité des  personnages  aux  types  qu'ils  représentent  dans  le  roman  ; 
enfin  la  plupart  des  dialogues  sont  gardés  tels  que. 

Il  est  douteux  que  George  Sand  ait  pu  travailler  autant  en  ces 
années,  si  elle  ne  s'était  périodiquement  retirée  dans  «  son  vil- 
lage »,  à  Gargilesse.  Or,  ces  excursions  aux  bords  de  la  Creuse 
eurent  une  autre  signification  pour  l'Ɠuvre  de  l'Ă©crivain.  Les 
légendes  et  les  récits  sur  le  chùteau  de  Briantes  lui  suggérÚrent 
l'idée  d'écrire  les  Beaux  Messieurs  de  Bois  Doré.  Le  chùteau  de 
Sarzay  lui  servit  de  prétexte  pour  écrire  un  autre  roman  dont 
l'action  se  passe  Ă   Gargilesse  mĂȘme  et  dans  les  environs.  C'est 
la  Famille  de  Germandre  qui  parut  en  1861. 

Dans  l'une  de  ses  Promenades  autour  d'un  village,  George  Sand 
avait  raconté  comment  elle  et  ses  compagnons  avaient  décou- 
vert une  curieuse  famille  de  gentilshommes  ruinés  descendants 
de  la  brillante  maison  des  Montmorency-Fosseux,  devenus  pay- 
sans et  vivant  Ă   Gargilesse  oĂč  l'on  pouvait  entendre  un  simple 


(1)  Nous  analysons  la  piĂšce  Ă   la  suite  du  roman,  ici,  pour  ne  plus  y  revenir, 
quoique  la  comĂ©die  ne  fĂ»t  jouĂ©e  qu'en  1864,  et  par  cela  mĂȘme  revient  au 
chapitre  suivant,  oĂč  l'on  trouvera  les  dĂ©tails  sur  les  premiĂšres  reprĂ©senta- 
tions et  sur  les  causes  réelles  de  son  succÚs. 


GEORGE   SAND  397 

villageois  crier  :  «  Dites  à  Mlle  de  Montmorency  d'apporter 
de  l'eau  »  et  voir  ladite  Mlle  de  Montmorency  puiser  l'eau, 
porter  des  seaux  et  traire  les  vaches,  tout  comme  dans  ce  village 
russe  peuplĂ©  de  princes  dĂ©crit  par  Herzen,  oĂč  un  paysan  criait  : 
«  Hé  !  prince  Ivan,  viens  donc  labourer.  »  Et  le  prince  de  répondre 
du  bout  de  son  champ  :  «  J'y  cours,  prince  Wassili,  »  tous  les 
deux  n'Ă©tant  nullement  des  princes  laboureurs  par  principe, 
comme  TolstoĂŻ,  mais  de  vrais  paysans  pauvres  et  insignifiants. 

Cette  demoiselle  de  Montmorency  et  sa  famille  apparaissent 
dans  le  roman  de  George  Sand  sous  le  nom  de  Mlle  Corisande 
de  Germandre  et  de  son  frĂšre,  le  chevalier  de  Germandre,  labou- 
reur, qui  arrivent  au  chùteau  de  Germandre  en  qualité  d'héri- 
tiers, devant  assister,  avec  toute  leur  parenté  titrée,  à  l'ouverture 
du  testament  du  chef  de  leur  famille,  le  marquis  de  Germandre, 
prétendu  maniaque.  Naturellement  les  représentants  démocra- 
tisés de  la  noble  famille  sont,  sous  tous  les  rapports,  supérieurs 
Ă   leurs  aristocratiques  cousins,  et  il  va  de  soi  que,  grĂące  Ă   son 
esprit  observateur  et  Ă   ses  connaissances  multiples,  le  chevalier- 
laboureur  devine  le  secret  du  mystérieux  coffret,  secret  dont 
la  découverte  donne  droit  à  tout  l'héritage  du  marquis  maniaque, 
d'aprĂšs  son  testament. 

Lorsque  George  Sand  travaillait,  Ă   la  fin  de  l'automne  1860, 
Ă   cette  Famille  de  Germandre,  elle  tomba  subitement  malade 
du  typhus  et  presque  immédiatement  elle  perdit  connaissance. 
Elle  resta  longtemps  alitée,  entourée  de  Maurice  et  de  Manceau 
épeurés  et  de  sa  parente  Mme  Pauline  Villot  qui  se  trouvait  par 
hasard  Ă   Nohant  avec  son  fils  Lucien.  Eh  bien,  l'Ă©crivain  nota 
plus  tard  le  fait  curieux  qu'au  milieu  des  divagations  de  la  fiĂšvre, 
elle  voyait  Ă   tour  de  rĂŽle  les  personnes  se  tenant  auprĂšs  de  son 
lit,  et  les  héros  de  son  roman,  avec  lesquels  elle  se  promenait  à 
travers  des  chĂąteaux  et  des  rochers  inconnus,  et  que  mĂȘme  Ă   demi 
évanouie  elle  continuait  à  développer  le  fil  de  sa  narration.  Cela 
prouve  Ă   quel  point  le  travail  de  son  imagination  Ă©tait  incessant 
et  comment  George  Sand  avait  habitué  son  esprit  à  ne  jamais 
rester  inactif  :  elle  pensait  Ă   tout,  exceptĂ©  Ă   elle-mĂȘme. 

Tout  le  train  de  vie  Ă©tabli  et  maintenu  Ă   Nohant  depuis  1851 


393  GEORGE   SAND 

(exception  faite  du  voyage  d'Italie  en  1855)  fut  bouleversé 
par  cette  maladie  de  Mme  Sand.  Sur  le  conseil  de  son  médecin, 
elle  dut  quitter  le  Berry  à  la  fin  de  février  1861  et  se  transporter 
dans  le  Midi  de  la  France,  oĂč  elle  passa  tout  le  printemps  Ă  
Tamaris,  prÚs  de  Toulon.  Elle  y  fut  accompagnée  par  Maurice, 
Manceau  et  le  jeune  Lucien  Villot,  trÚs  aimé  de  tous  les  Sand, 
mais  prématurément  mort  peu  de  temps  aprÚs,  en  1862.  Ce 
séjour  à  Tamaris  provoqua  la  création  du  roman  qui  porte  ce 
nom  et  parut  l'année  suivante.  11  est  surtout  intéressant  par  ses 
descriptions  et  les  types  des  indigĂšnes.  De  plus,  c'est  lors  de  ce 
séjour  dans  le  Midi  que  George  Sand  eut  l'idée  du  Drac.  La 
piÚce  a  pour  sujet  la  croyance  provençale  au  lutin  nommé  le 
drac,  rappelant  le  lorrigan  breton,  le  triloy  suisse  et  Y  erco  véni- 
tien jadis  chanté  par  George  Sand.  Cette  comédie  fut  plus  tard 
remaniée  par  Paul  Meurice  pour  les  théùtres  de  Paris  (la  version 
de  George  Sand  ne  fut  jouée  qu'à  Xohant  et  imprimée  dans  le 
volume  du  Théùtre  de  Xohant). 

C'est  quand  Mme  Sand  était  à  Tamaris,  se  guérissant  au  soleil 
du  Midi,  qu'y  arriva  Edmond  Plauchut,  avec  lequel  elle  Ă©tait 
en  correspondance  depuis  1849  (1). 

DĂšs  leur  premiĂšre  entrevue  avec  Plauchut,  Mme  Sand  et  son 
fils  apprĂ©ciĂšrent  cette  Ăąme  droite,  ce  cƓur  chaleureux,  et 
Mme  Sand  lui  voua  une  sympathie  maternelle  qui  se  changea 
vite  en  une  amitié  à  toute  épreuve.  Plauchut  devint  un  fidÚle 
de  Kohant  et  un  vrai  ami  dévoué  à  toute  la  famille  Sand.  Ce 
dévouement  ne  changea  jamais,  ni  durant  la  vie  de  Mme  Sand, 
ni  aprĂšs  sa  mort.  Il  resta  l'ami  des  enfants  et  petits-enfants  de 
George  Sand  jusqu'Ă   sa  derniĂšre  heure  et  fit  toujours  preuve 
pour  la  mémoire  de  sa  grande  amie  d'une  piété  fervente.  11  fut, 
selon  son  vƓu,  enterrĂ©  au  cimetiĂšre  de  Xohant  et  fit  graver  sur 
sa  tombe  :  «  On  me  croit  mort,  mais  je  suis  ici.  » 

Au  mois  de  mai.  Maurice,  qui  s'ennuyait  Ă   Tamaris,  partit  avec 
le  prince  et  la  princesse  JérÎme  en  Algérie,  puis  en  Espagne,  au 
Portugal  et  enfin  en  Amérique.  Il  décrivit  son  voyage,  qui  dura 

(1)  Voir  notre  vol.  I,  chap.  i. 


GEORGE   SAND  399 

jusqu'au  mois  de  novembre,  dans  le  volume  Six  mille  lieues  Ă  
toute  vapeur,  dont  George  Sand  écrivit  la  préface,  comme  nous 
l'avons  dit.  Elle  revint  avec  Manceau  vers  le  8  juin  Ă   Nouant, 
aprĂšs  un  petit  voyage  en  Savoie  et  dans  le  DauphinĂ©  (oĂč  elle 
venait  de  placer  l'action  de  ValvÚdre,  imprimé  au  printemps 
dans  la  Revue  des  Deux  Mondes,  et  oĂč  elle  fit  une  visite  au  direc- 
teur de  ladite  revue,  Buloz).  Puis,  en  continuant  sa  route,  elle 
s'arrĂȘta  Ă   Montluçon  oĂč  elle  revisita  les  usines  et  les  mines, 
ayant  pour  guide  un  ingénieur  de  ses  amis  (1). 

Dans  Flavie,  dans  ValvĂšdre  et  dans  Jean  de  la  Roche,  les 
lépidoptÚres,  les  couches  «  tertiaires  »  ou  «  dévoniennes  »,  les 
«  ombellifÚres  »  et  les  «  labiées  »  n'apparaissent  que  comme  les 
marottes  des  héros.  Dans  Antonia,  c'est  une  fleur  rare  qui  est 
pour  ainsi  dire  l'héroïne  du  roman. 

V Antonia  est  un  spécimen  de  liliacées  merveilleux,  à  grand'- 
peine  obtenu  par  la  culture  et  possédée  par  Antoine  Thierry, 
vieux  célibataire  avare  et  maniaque,  riche  commerçant  du 
dix-huitiĂšme  siĂšcle.  La  secrĂšte  passion  de  sa  vie  est  la 
culture  des  fleurs  rares.  L'Antonia,  cette  merveilleuse  fleur, 
devient  donc  le  point  de  départ  d'une  série  d'aventures  com- 
pliquĂ©es. Antoine  Thierry  ne  pardonne  pas  Ă   sa  belle-sƓur,  la 
veuve  du  célÚbre  peintre  Thierry,  d'avoir  refusé  de  l'épouser. 
U  se  venge  sur  elle  et  sur  son  fils,  peintre  aussi,  en  les  faisant 
souffrir  de  leur  indigence.  Il  les  tient  dans  la  dépendance  de  sa 
générosité,  et,  finalement,  il  les  opprime  tout  à  fait,  lorsqu'il 
apprend  que  le  jeune  Thierry  est  aimé  par  la  jeune  marquise 
qui  vient  encore  de  le  repousser.  Or,  par  ce  mariage  il  voulait  la 
sauver  des  poursuites  de  sa  méchante  belle-mÚre  et  des  créan- 
ciers de  son  mari  défunt.  Pour  comble  de  malheur,  voici  que  dans 

(1)  On  lit  en  note  à  la  lettre  de  George  Sand  du  14  février  1861  (dans 
laquelle  elle  décrit  son  excursion  à  Montluçon  et  dit  que  «  cela  rentre  dans  son 
métier  d'écrivain  »)  :  «  Mme  Sand  préparait  alors  son  roman  la  Ville  noire. 
Or,  ce  roman  avait  déjà  paru  en  1860.  Donc  les  explications  de  M.  Brothier 
—  ingĂ©nieur  Ă   Montluçon  —  et  les  visites  aux  usines  ne  purent  lui  servir 
que  pour  quelques  corrections  ou  quelques  vérifications  pour  une  nouvelle 
édition  de  ce  roman.  Nous  avons  aussi  dit  dans  le  chap.  m  de  notre  précédent 
volume  que  Mme  Sand  avait  peint,  sous  les  traits  d'Audebert.le  vieux  poĂšte 
prolétaire  Magu,  mort  en  1859. 


4oo  GEORGE   SAND 

un  accĂšs  d'enthousiasme,  le  jeune  peintre  brise  Y  Antonio,  qu'il 
venait  de  peindre  pour  son  oncle.  Cette  peinture  lui  avait  presque 
fait  regagner  le  cƓur  de  ce  dernier. 

Tout  est  perdu.  Antoine  Thierry  chasse  sa  belle-sƓur  et  son 
neveu  de  la  maison  qu'ils  habitent.  La  marquise  ne  voulant 
pas  ĂȘtre  la  cause  de  la  ruine  de  celui  qu'elle  aime  feint  de  le 
repousser  et  se  retire  au  couvent.  Un  autre  neveu,  un  jeune  robin. 
Marcel  Thierry,  s'efforce  en  vain  d'amadouer  son  oncle.  Chacun 
fait  assaut  de  désintéressement  et  de  noblesse  d'ùme.  Soudain 
tout  est  changé.  Revenue  à  Paris,  la  marquise  accorde  à  son 
amoureux  un  rendez-vous  criminel,  résolue  à  se  noyer  aprÚs. 
Son  amant  la  sauve,  le  procureur  déjoue  les  ruses  de  son  oncle 
et  arrange  tout  pour  le  bien  général.  1? Antonio,  a  fleuri  de  nou- 
veau. Antoine  Thierry  baptise  la  fleur  du  nom  de  la  marquise, 
puis,  en  oncle  de  comédie,  il  consent  au  mariage  de  son  neveu  et 
lĂšgue  au  jeune  couple  toute  sa  fortune. 

Tout  cela  serait  simplement  ennuyeux,  n'Ă©taient  les  carac- 
tÚres des  personnages  secondaires,  finement  tracés  et  maintenus  : 
par  exemple  Marcel  Thierry,  robin  du  dix-huitiĂšme  siĂšcle,  sour- 
nois et  peu  enclin  aux  finesses  sentimentales  ;  puis,  quelques 
traits  —  assez  caricaturĂ©s  —  de  l'oncle  ;  mais  surtout  la  peinture, 
pleine  de  détails  typiques  de  ce  que  George  Sand  représentait 
avec  un  charme  et  une  vérité  de  ton  et  de  couleur  incompa- 
rables :  la  vie  et  les  hommes  du  grand  monde  de  la  fin  du  dix- 
huitiĂšme  siĂšcle.  La  marquise  Antoinette,  sa  famille,  son  amie, 
sa  soubrette,  leurs  propos,  leurs  maniĂšres,  leurs  attifages  et 
falbalas,  leurs  propos,  tout  cela  est  frappant  de  pénétration  dans 
l'esprit  de  l'Ă©poque  et  extraordinaire  comme  science  et  savoir.  Si 
la  vieille  Mme  Dupin  de  Francueil,  née  de  Saxe,  avait  pu  res- 
susciter et  lire  Antonio,  elle  aurait  certes  beaucoup  reconnu  de 
ce  qui  l'avait  entourée  jadis,  ou  de  ce  qu'elle  avait  raconté  à  sa 
petite-fille.  La  belle-mÚre  de  Casimir  Dudevant,  la  méchante, 
sĂšche  et  revĂȘche  baronne  Dudevant,  aurait  aussi  pu  —  avec  bien 
moins  de  plaisir  !  —  se  reconnaütre  sous  les  traits  de  la  belle- 
mĂšre  du  feu  mari  de  la  marquise  :  Ă   l'instar  de  la  baronne 
Dudevant,  celle-ci  tĂąchait,  par  amour  de  Vart,  de  faire  toutes  les 


GEORGE   SAND  401 

méchancetés  et  tous  les  désagréments  possibles  à  sa  belle-fille  (1). 

Ce  roman  est  dédié  à  Edouard  Rodrigues,  ex-saint-simonien, 
trÚs  riche,  mécÚne  et  amateur  de  musique  qui  fut  l'aide  de  George 
Sand  dans  une  quantitĂ©  de  bonnes  Ɠuvres,  comme  par  exemple 
l'éducation  d'enfants  pauvres,  le  soutien  de  jeunes  gens  néces- 
siteux, la  distribution  de  petites  sommes  Ă   cette  troupe  de 
malheureux  qui  fourmillait  toujours  prĂšs  de  George  Sand,  vrais 
ou  prétendus  indigents  qui  exploitaient  sa  confiance. 

George  Sand  Ă©crivit  en  tĂȘte  d'Antonio,  : 

A  monsieur  Edouard  Rodrigues. 

A  vous  qui  adoptez  les  orphelins  et  qui  faites  le  bien  tout  simple- 
ment Ă   deux  mains  et  Ă   livre  ouvert,  comme  vous  lisez  Mozart  et 
Beethoven. 

Dans  ces  lettres  Ă   Rodrigues,  Mme  Sand  Ă©crit  qu'elle  aurait 
voulu  lui  «  dédier  non  pas  Antonio,  »,  mais  un  roman  «  qui  exprime 
mieux  une  idĂ©e  gĂ©nĂ©rale  et  personnelle  en  mĂȘme  temps  »  (2), 
c'Ă©tait  Mademoiselle  La  Quintinie,  qu'elle  Ă©crivait  alors,  mais  elle 
a  n'a  pas  osĂ©  »,  ne  voulant  pas  «  mĂȘler  le  nom  de  M.  Rodrigues 
au  torrent  d'injures  que  certaine  presse  va  vomir  contre  elle  »  (3), 
et  aussi,  paraßt-il,  pour  ne  pas  dédier  à  Rodrigues  un  roman  «  à 
tendance  »,  lui  qui  appréciait  surtout  en  elle  la  consolatrice  venant 
dissiper  par  son  divin  talent  les  tristesses  et  les  dégoûts  de  notre 
existence,  tandis  qu'elle  s'estimait  surtout  un  soldat,  un  cham- 
pion de  la  vérité. 

Je  suis  soldat,  lui  Ă©crit-elle  un  autre  jour,  et  mon  devoir  est  la 
guerre  quand  l'on  envahit  la  patrie  de  mon  idée  (4)... 

George  Sand  fut  néanmoins  profondément  émue  en  apprenant 
quelle  influence  bienfaisante  elle  avait  exercée  sur  M.  Rodrigues  : 

Mon  cƓur  est  tout  pĂ©nĂ©trĂ©,  monsieur,  de  cette  amitiĂ©  si  bonne  et 
si  vraie  que  vous  me  témoignez.  En  me  la  révélant,  mon  cher  Alexandre 


(1)  Voir  notre  vol.  I  et  Y  Histoire  de  ma  vie,  vol.  III. 

(2)  Lettre  du  17  octobre  1862. 

(3)  Lettre  du  23  octobre  1862. 

(4)  Lettre  du  27  octobre  1862. 

iv.  26 


4oa  GEORGE  SAND 

(Dumas)  savait  bien  que  dans  la  vie  littéraire  digne  et  croyante,  le 
public  n'est  pour  nous  qu'un  trĂšs  petit  nombre  d'Ăąmes  choisies 
auxquelles  nous  sommes  heureux  de  plaire.  Le  reste  profite  s'il  peut 
et  s'il  veut  de  ce  que  nous  tĂąchons  de  dire  de  bon  et  de  vrai,  mais  nous 
ne  le  connaissons  pas  et  si  nous  le  consultions,  il  nous  Ă©garerait  comme 
il  égare  tous  ceux  qui  lui  font  des  concessions  intéressées.  Mais  le  petit 
nombre  qui  pense  comme  nous  et  qui  dirait  comme  nous  s'il  voulait 
dire,  celui-là  nous  soutient  et  nous  donne  une  force  intérieure  dont 
nous  devons  le  remercier.  Aussi,  monsieur,  je  vous  remercie  de  cƓur, 
ainsi  qut>  cette  chÚre  malade  (1),  dont  Alexandre  m'a  parlé.  Mais  ce 
n'est  pas  moi  qui  vous  ai  rendu  bon,  c'est  tout  au  plus  si  je  vous  ai 
fait  sentir  que  vous  l'étiez.  Pour  cette  bonté  je  chéris  votre  suffrage  et 
j'y  penserai  dĂ©sormais  pour  me  rendre  meilleure  moi-mĂȘme.  Vous 
voyez  que  l'Ă©change  sera  Ă©gal  et  complet  et  que  si  je  vous  ai  fait  du 
bien,  vous  me  le  rendez  pleinement... 

Le  fait  est  que  Rodrigues  disait  d'elle  Ă   Dumas  fils  et  Ă©cri- 
vait Ă   George  Sand  elle-mĂȘme  qu'il  se  considĂ©rait  comme  son 
débiteur,  parce  qu'elle  avait  exercé  une  influence  salutaire  sur 
toute  sa  vie  :  grĂące  Ă   elle  il  devint  meilleur. 

Voilà  une  récompense  qui  échoit  rarement  aux  poÚtes,  voilà 
le  but  vers  lequel  tendent  tous  ceux  qui  voudraient  «  exhausser 
les  ùmes  par  le  son  de  leur  lyre  »,  voilà  le  prix  des  efforts  cons- 
tants et  incessants  de  George  Sand  Ă   peindre  dans  ses  romans 
des  natures  bonnes,  élevées,  idéales. 

...Je  connais  quelques  natures  aussi  bonnes  que  celle  que  j'invente, 
— Ă©crivait  George  Sand  un  peu  plus  tard  Ă   M.  Eodrigues, — et  c'est  lĂ   ce 
qui  soutient  ma  foi.  On  ne  rĂȘve  pas  ce  qui  n'est  pas,  et  Ă   ceux  qui  me 
reprochent  d'ĂȘtre  optimiste,  je  rĂ©ponds  qu'ils  sont  bien  malheureux 
de  n'avoir  pas  rencontrĂ©  des  cƓurs  d'or  dans  leur  triste  vie.  Dans  la 
jeunesse  j'Ă©tais  sceptique  aussi  :  c'Ă©tait  frayeur  de  l'inconnu  et  manque 
d'expérience  ou  expérience  mal  faite.  Quand  on  a  vécu,  il  n'est  pas 
permis  de  juger  ainsi  et  c'est  Ă   recouvrer  le  sens  de  la  justice  que  la  vieil- 
lesse est  bonne. 

Vous  voyez  bien  que  j'ai  raison  de  croire  puisque  vous  voilĂ   devant 
moi,  cher  monsieur,  et  si,  en  vous  Ă©crivant,  je  me  rappelais  qu'il  existe 
des  égoïstes,  Dieu  me  crierait  :  «  A  quoi  songes-tu?  C'est  bien  le  mo- 
ment !... 

(1)  Mme  B...,  fille  de  M.  Edouard  Rcdrigues. 


GEORGE   SAND  403, 

La  correspondance  entre  George  Sand  et  Rodrigues  se  noua  Ă  
l'occasion  de  l'éducation  d'un  jeune  garçon,  M.  Francis  Laur, 
qui,  adolescent  encore,  gagnait  sa  vie  et  soutenait  sa.  mĂšre,  en 
servant  de  secrétaire  et  de  guide  à  un  vieil  ami  de  Mme  Sand, 
M.  Charles  Duvernet,  subitement  devenu  aveugle  (1).  Mme  Mau- 
rice Sand  nous  avait  raconté  que  Francis  Laur,  tout  enfant  encore, 
avait  d'emblée  gagné  la  confiance  et  les  sympathies  de  Mme  Sand 
un  jour,  qu'aidant  Ă   faire  un  rangement  dans  la  maison,  il  avait 
soudain  découvert  au  grenier,  au  milieu  des  vieilles  paperasses, 
les  naïfs  et  touchants  bouquets  de  fleurs  sauvages  que,  dans  k§ 
jours  bienheureux  de  jeunesse,  en  1834,  le  docteur  Pagello 
cueillait  de  grand  matin  pour  Mme  Sand,  au  pied  des  Alpes  véni- 
tiennes, et  lui  présentait  à  son  réveil  ;  elle  les  avait  soigneuse- 
ment séchés  et  gardés  au  milieu  de  ses  souvenirs,  mais  les  croyait 
perdus  et  les  revit  avec  joie.  Mme  Sand  s'intéressa  au  sort  du 
jeune  garçon  laborieux  ;  elle  y  intéressa  Rodrigues  et  celui-ci  lui 
donna  les  moyens  de  faire  de  bonnes  Ă©tudes  Ă   domicile,  de  passer 
ses  examens,  afin  d'entrer  dans  une  école  supérieure,  et  de  devenir 
ingénieur.  C'est  M.  Louis  Maillard,  ingénieur  des  colonies,  natu- 
raliste et  voyageur,  un  parent  d'Alexandre  Manceau  et  un  grand 
ami  de  Mme  Sand  qui,  vers  1860,  prit  une  vive  part  Ă   cette  bonne 
Ɠuvre-lĂ .  Ayant  passĂ©  plusieurs  annĂ©es  Ă   l'Ăźle  de  la  RĂ©union- 
Louis  Maillard  écrivit  une  série  d'études  sur  sa  faune,  sa  flore  et 
sa  formation  géologique  ;  revenu  en  France,  il  voua  son  temps 
et  ses  efforts  Ă   l'Ă©ducation  de  deux  enfants  noirs  qu'il  eut  d'une 
femme  des  colonies,  et  son  épouse  l'y  seconda  généreusement. 
Mme  Sand  plaça  chez  Maillard  Francis  Laur,  puis  son  petit-neveu 
Simonnet  (fils  de  sa  niÚce  Mme  Léontine  Simonnet,  née  Chù- 
tiron)  et  il  se  forma  autour  de  Louis  Maillard  comme  un  petit 
pensionnat  qu'il  dirigeait.  C'est  ainsi  que  Mme  Sand  fit  parti- 
ciper M.  Louis  Maillard  à  la  bonne  Ɠuvre  de  M.  Rodrigues.  Or, 
elle  se  lia  d'une  si  grande  amitié  avec  lui  qu'elle  le  nomma  l'un 
de  ses  trois  exécuteurs  testamentaires  par  rapport  à  la  conser- 
vation et  Ă   la  publication  de  sa  correspondance  avec  Musset. 

(1)  Voir  Correspondance,  t.  V. 


404  GEORGE   SAND 

(Voir  notre  vol.  II,  p.  177).  Mine  Sand  Ă©crivit  aussi  deux  fois  sur 
Maillard,  ayant  consacré  deux  articles  sympathiques  :  l'un  à 
son  livre  sur  Vile  de  la  RĂ©union  et  l'autre  Ă   la  description  faite 
par  M.  Deshayes  de  ses  collections  conchyliologiques.  Ces  articles 
parurent  tous  les  deux  en  1863  dans  la  Revue  des  Deux  Mondes, 
et  font  maintenant  partie  du  volume  Questions  d'art  et  de  litté- 
rature (1). 

Quant  aux  lettres  multiples  de  Mme  Sand  Ă   Louis  Maillard, 
Ă©crites  de  1862  Ă   1865,  elles  occupent  une  place  marquante  dans 
sa  correspondance  et  sont  extrĂȘmement  prĂ©cieuses  pour  sa 
biographie,  mais  elles  ne  sont  pas  imprimées  dans  sa  Correspon- 
dance. Une  partie  en  fut  publiée  déjà  aprÚs  la  mort  de  Maurice 
Sand,  comme  appendice  aux  lettres  de  Mme  Sand  Ă   Rodrigues 
et  Ă   Francis  Laur.  Toutes  ces  correspondances  parurent  sous  le 
titre  de  Autour  d'un  enfant  dans  la  Revue  de  Paris  de  1899. 
La  préface,  écrite  par  M.  Henri  Amie,  contient  beaucoup  de  faits 
et  de  détails  fort  précieux,  et  par  quelques  lignes  chaleureuses 
Ă©voque  dans  l'esprit  du  lecteur  cette  atmosphĂšre  de  l'amour  du 
prochain  que  George  Sand  créait  autour  d'elle.  Cette  correspon- 
dance est  l'une  des  pages  les  plus  sympathiques  de  l'histoire 
de  George  Sand  ;  elle  nous  initie,  une  fois  de  plus,  Ă   ce  charme 
que  l'écrivain  exerçait  sur  ceux  qui  l'approchaient,  et  nous 
montre  comment  Mme  Sand  attirait  ses  amis  dans  le  cercle 
magique  de  cette  «  bontĂ©  active  »  oĂč  elle  vivait  et  agissait. 

Au  printemps  de  cette  annĂ©e  de  1862  oĂč  parut  Antonia, 
Maurice  Sand  remplit  enfin  le  désir  ardent  et  constant  de  sa 
mĂšre  :  il  se  maria.  L'apparition  Ă   Xohant  d'une  jeune  maĂźtresse 
de  maison  apporta  de  grands  changements  dans  la  vie  de 
Mme  Sand  et  signala  le  commencement  d'une  période  nouvelle 
de  son  existence,  la  derniĂšre  et  peut-ĂȘtre  la  plus  heureuse.  Xous 
en  parlerons  dans  le  chapitre  suivant.  Nous  allons  clore  celui-ci 
par  quelques  extraits  de  lettres  de  George  Sand  Ă   Dumas  fils. 

Disons  quelques  mots  Ă   propos  de  la  correspondance  entre 

(1)  Ces  deux  articles  portaient  le  titre  :  Monsieur  Maillard  et  ses  travaux 
sur  Vile  de  la  RĂ©union  dans  la  Revue  des  Deux  Mondes;  en  volume  ils  sont  in- 
titulés :  Un  cyclone  à  Vile  de  h  Réunion  et  Conchyliologie  de  Vile  de  lu  Réunion. 


GEORGE   S  AND  405 

George  Sand  et  Dumas  dont  la  partie  la  plus  intéressante  se 
rapporte  Ă   1860-1863.  Ces  lettres  nous  renseignent  complĂšte- 
ment sur  la  «  véritable  histoire  du  Marquis  de  Villemer  »,  tant 
de  fois  racontée  et  commentée  de  toutes  les  maniÚres,  mais  en 
rĂ©alitĂ©  restĂ©e  ignorĂ©e,  inconnue  ou  —  ce  qui  pis  est  —  faussĂ©e. 
De  plus,  il  y  a  parmi  ces  lettres  des  pages  qui  sont  comme  le 
résumé  de  la  vie  morale  et  intellectuelle  de  George  Sand  pendant 
ces  douze  derniÚres  années  ;  elles  sont  importantes  aussi  comme 
l'expression  de  son  opinion  sur  son  «  fidĂšle  tĂȘte-Ă -tĂȘte  »  Manceau. 

Quoique  lié  d'amitié  avec  Mme  Sand  dÚs  1851,  Dumas  fils 
n'est  venu  pour  la  premiĂšre  fois  Ă   Nohant  que  le  9  juillet  1861 
et  il  y  est  resté  jusqu'au  10  août.  Il  était  à  ce  moment  malade, 
nerveux,  trĂšs  abattu  aprĂšs  l'Ă©chec  de  l'une  de  ses  piĂšces,  les 
complications  de  sa  vie  intime  et  les  ennuis  de  sa  vie  d'Ă©crivain, 
pourtant  si  «  veinarde  ».  Mme  Sand  —  qui  lui  avait  dĂ©clarĂ©, 
dĂšs  l'article  qu'il  Ă©crivit  sur  Flaminio,  en  imitant  le  parler  de  miss 
Barbara  (1)  :  «  je  adopte  vous  pour  un  fils  de  moĂą,  »  —  tĂącha  de 
remonter  le  moral  à  ce  «  cher  grand  fils  lumineux  »,  alors  pessi- 
miste et  découragé,  de  lui  rendre  avant  tout  la  confiance  en  ses 
propres  forces.  Elle  s'efforça  aussi  à  lui  insuffler  la  foi  à  l'idéal 
et  l'optimiste  panthéisme  auquel  elle  était  arrivée.  En  sep- 
tembre, Dumas  revint  encore  une  fois  à  Nohant,  accompagné 
cette  fois  par  Mme  Narishkine  et  Mlle  Olga  Narishkine,  ainsi  que 
par  le  peintre  Marchai.  Ces  dames  Ă©tant  parties,  Dumas  resta 
jusqu'au  9  octobre,  en  compagnie  du  peintre  VĂ©ron,  qu'on  nom- 
mait Vron  et  de  Mlle  Marie  Lambert,  du  Gymnase,  portant  le 
sobriquet  de  Mlle  Dr ne,  en  allusion  à  cette  Ɠuvre  de  Mme  Sand, 
dédiée  à  Dumas. 

Dumas  s'Ă©tait  beaucoup  plu  Ă   Nohant,  cette  vie  simple,  par- 
tagée entre  le  travail  et  les  amusements  naïfs,  la  bonne  humeur 
qui  régnait  entre  tous  les  habitués  de  la  maison,  l'amitié  de 
Mme  Sand  et  l'admiration  enthousiaste  de  Manceau  lui  rendirent 
le  calme  moral,  et  finalement  ce  séjour  lui  fit  le  bien  qu'il  en 
attendait.  DÚs  sa  premiÚre  venue,  Dumas  avait  emporté  avec  lui 

(1)  L'Anglaise  qui  remplace,  dans  cette  piÚce  tirée  de  Tévérino,  le  curé 
si  comique  et  si  sympathique  du  roman. 


4o6  GF.ORG  F.   SAND 

le  volume  de  VUlemer,  avec  l'idée  d'en  tirer  une  piÚce.  Au  bout 
de  trÚs  peu  de  temps,  il  envoya,  en  effet,  à  Mme  Sand  un  scénario 
de  la  piĂšce  Ă   faire  et  un  premier  acte  tout  fait  (1). 

Mme  Sand  fut  étonnée  et  émerveillée  à  la  fois  de  cette  facilité 
et  de  ce  savoir-faire  dramatique.  Et  dĂšs  ce  moment,  pendant 
deux  ans,  de  septembre  1861  Ă   octobre  1863,  presque  toutes  les 
lettres  entre  Dumas  et  George  Sand  contieniTent  des  détails 
extrĂȘmement  curieux  et  prĂ©cieux  sur  la  genĂšse  de  cette  piĂšce, 
sur  le  travail  accompli  par  chacun  des  deux  collaborateurs,  et 
enfin  sur  les  scrupules  de  Mme  Sand  Ă   signer  Ă   elle  seule  cette 
piĂšce,  faite  par  eux  deux,  et  Ă   en  accepter  tous  les  profits  futurs, 
scrupules  que  Dumas  finit  par  vaincre  tous  en  avançant  comme 
suprĂȘme  argument  le  fait  que  Aime  Sand  avait  fait  toute  la 
partie  descriptive  de  V Affaire  Clemenceau,  et  que  lui,  Dumas, 
l'avait  pourtant  signée  seul  Cette  correspondance  entre  Dumas 
et  Mme  Sand  réfute,  à  elle  seule,  d'une  maniÚre  absolue,  presque 
tous  les  «  faits  »  se  rapportant  à  VUlemer,  racontés  dans  les 
Mémoires  récemment  parus  de  M.  Duquesnel.  Mais  nous  allons 
encore  démontrer  dans  le  chapitre  suivant  que  presque  tout  ce 
que  cet  auteur  avance  sur  n'importe  quel  fait  de  cet  Ă©pisode  de 
la  vie  de  Mme  Sand  n'est  que...  de  «  l'histoire  telle  qu'on  l'écrit  ». 

(1)  Mme  Sand  Ă©crit  dans  sa  lettre  du  20  novembre  1861  (ce  passage  manque 
dans  le  vol.  ÏY  de  sa  Correspondance  imprimĂ©e,  il  doit  ĂȘtre  placĂ©  Ă   la  p.  298 
à  la  suite  des  mots  se  rapportant  à  Marchai  :  «  Il  nous  a  fait  à  tous  nos 
portraits  merveilleux,  charmante  comme  dessin,  et  d'une  ressemblance 
que  les  portraits  n'ont  jamais  eue.  Il  ne  se  doutait  pas  de  ça,  rai  il  est 
tout  étonné  d'avoir  réussi.  »)  : 

o  Le  mien  de  portrait  est  un  chef-d'Ɠuvre  ;  de  mĂȘme  ceux  de  Maurice  et 
de  Manceau,  et  ceux  de  Véron  et  de  Lucien,  qu'il  avait  essayés  en  s'amusant. 
Il  veut  faire  aussi  celui  de  ma  grande  Marie.  J'espĂšre  qu'il  paie  assez  son 
Ă©cot  !  Il  s'y  obstine  et  comment  refuser?  Il  va  faire  photographier  le  portrait 
qu'il  a  fait  de  moi,  et  vous  aurez  enfin  quelque  chose  qui  est  moi  et  pas  une 
autre.  J'espÚre  que  je  vous  aurai  comme  ça  quelque  jour,  car  toutes  vos 
photographies  vous  font  affreux,  et  décidément  la  photographie  sur  nature 
est  ce  qu'il  y  a  de  plus  menteur  au  monde.  Ledit  Marchai  [puis  viennent  les 
ligDes  imprimées  dans  la  Correspondance  :  repart  pour  voir  sa  mÚre...  i  etc.] 

Et  enfin  nous  lisons  dans  cette  lettre  du  20  novembre  :  «  Et  dans  tout  ça 
je  n'ai  pas  trouvĂ©  le  temps  de  recopier  ce  chef-d'Ɠuvre  d'acte  de  YiĂŻĂŻemer, 
et  je  m'en  faisais  pourtant  une  fĂȘte.  Manceau,  lui,  n'a  pas  respirĂ©  une  heure 
depuis  votre  départ.  »  (Ces  trois  lignes  sont  encore  omises  dans  la  Corres- 
pondance, puis  viennent  les  lignes  imprimées  à  la  p.  299  :  «  On  vous 
attend  pour  retrouver  le  sens  commun  littĂ©raire...  ‱) 


GEORGE  SAND  407 

A  monsieur  Alexandre  Dumas  fils. 

Nohant,  26  août  1861, 

Tant  mieux  et  vive  le  fer,  si  vous  vous  en  trouvez  bien  :  moi,  j'y 
crois,  ayant  vu  de  vrais  miracles  sortir  de  l'officine  de  mon  vieux 
ami  (1).  On  vous  embrasse  et  on  vous  aime.  Continuez  Ă   faucher. 
VoilĂ   un  remĂšde  qui  seconde  diablement  l'effet  du  fer  !  Les  bains  d'ar- 
rosoir, c'est  bon  aussi.  Le  travail  aussi,  la  campagne  aussi.  Tout  est 
bon  quand  le  jugement  est  sain  et  le  cƓur  honnĂȘte.  Avec  ça  et  de  la 
jeunesse,  et  du  talent  vrai,  on  surmonte  tout.  Je  suis  bien  curieuse 
de  ce  qui  va  sortir  de  Vïllemer.  Ça  m'amuse  un  peu  de  penser  que  la 
moelle  va  se  détacher  sans  que  j'aie  la  peine  de  découper  le  morceau 
et  qu'à  mon  réveil  un  de  ces  matins,  je  verrai  se  produire  un  nanan 
auquel  je  n'aurai  pas  mis  la  main. 

Vous  savez  nos  conventions  auxquelles  il  ne  faut  pas  revenir  dire 
non.  Nous  partageons  les  profits,  s'il  y  en  a,  et  je  crois  qu'il  y  en  aura. 
Je  crois  aussi  que  la  chose  faite  et  lancée,  il  faudra  que  je  vous  donne 
un  petit  Ă©crit,  parce  que  je  suis  vieille,  et  que  je  peux  mourir,  et  que 
plus  tard,  ça  fait  des  si  et  des  mais  ennuyeux.  Ne  riez  pas  de  ma  régu- 
larité, c'est  une  habitude  que  j'ai,  surtout  depuis  ma  maladie  si  subite 
et  si  bĂȘte,  de  tenir  mes  affaires  en  ordre  comme  si  je  devais  partir  le 
lendemain.  Ne  me  répondez  pas  à  ce  projet-là.  Comme  Manceau  natu- 
rellement dévore  vos  lettres  avec  moi  et  que  mes  idées  de  mort  l'at- 
tristent toujours,  il  ne  faut  pas  les  lui  remettre  sous  les  yeux.  Pour  moi 
ce  ne  sont  pas  des  idées  tristes.  J'ai,  sur  la  mort,  des  croyances  trÚs  douces 
et  trÚs  riantes,  et  je  m'imagine  n'avoir  mérité  qu'un  sort  trÚs  gentil 
dans  l'autre  vie.  Je  ne  demande  pas  Ă   ĂȘtre  dans  le  septiĂšme  ciel  avec 
les  séraphins  et  à  contempler  à  toute  heure  la  face  du  TrÚs-Haut. 
D'abord  je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait  ni  face  ni  profil,  et  puis  si  c'est  une 
grande  jouissance  d'ĂȘtre  aux  premiĂšres  places,  ce  n'est  pas  pour  moi 
une  nécessité.  H  y  a  tant  de  jolis  petits  mondes  à  habiter!  fût-ce 
mĂȘme  un  autre  coin  de  celui-ci,  sous  une  autre  forme  !  que  de  bonheurs 
cachĂ©s  peut-ĂȘtre  dans  l'inconnu  des  autres  existences  !  Et  qui  nous  dit 
que  la  nĂŽtre  soit  la  meilleure? 

J'ai  passé  bien  des  heures  de  ma  vie  à  regarder  pousser  l'herbe,  ou 
à  contempler  la  sérénité  des  grosses  pierres  au  clair  de  lune.  Je  vous  ai 
dit  ça,  je  crois.  Je  m'identifiais  tellement  au  mode  d'existence  de  ces 
choses  tranquilles,  prétendues  inertes,  que  j'arrivais  à  participer  à  leur 
calme  béatitude.  Et  de  cet  hébétement  sortait  tout  à  coup  de  mon 

(1)  Le  docteur  Vergne  (de  Beauregard.) 


4oS  GEORGE   SAND 

cƓur  un  Ă©lan  trĂšs  enthousiaste  et  trĂšs  passionnĂ©  pour  celui,  quel  qu'il 
soit,  qui  a  fait  ces  deux  grandes  choses  :  la  vie  et  le  repos,  l'activité  et 
le  sommeil  Ah!  nous  voilĂ   dans  les  nuages,  moquez-vous  de  votre 
m'rnan,  mais  aimez-la  tout  de  mĂȘme,  sa  toccade  n'a  rien  de  mauvais. 

Donnez  de  vos  nouvelles,  quand  ça  ne  vous  ennuie  pas,  et  revenez 
sitît  que  le  cƓur  dira  :  allons. 

Je  ne  vous  charge  de  rien  pour  ceux  qui  vous  entourent  :  mais  vous 
savez  que  j'aime  qui  vous  aime. 

Manceau  pionce,  mais  je  ne  jurerais  pas  qu'il  ne  pensĂąt  Ă   vous  quand 
mĂȘme  en  rĂȘve. 

En  voilà  un  que  vous  pouvez  estimer  sans  crainte  de  déception. 
Quel  ĂȘtre  tout  cƓur  et  tout  dĂ©vouement!  C'est  bien  probablement  les 
douze  ans  que  j'ai  passés  avec  lui  du  matin  au  soir  qui  m'ont  défini- 
tivement réconciliée  avec  la  nature  humaine.  H  y  a  aussi  Maurice 
marchant  toujours  droit  et  sagement  dans  son  chemin  tracĂ©  —  et 
puis  il  y  a  moi  qui  suis  capable  de  reconnaissance  et  d'appréciation. 
Alors,  je  me  disais  dans  mes  restes  de  vieux  spleen  :  Eh  bien,  si  nous 
sommes  trois  bons  cƓurs  pas  bĂȘtes  au  fond,  il  y  en  a  certainement 
d'autres,  et  probablement  beaucoup  d'autres,  car  nous  ne  pouvons 
pas  avoir  la  prĂ©tention  d'ĂȘtre  des  exceptions  de  tous  points.  Nous 
serions  alors  des  monstres  !  Suivez  mon  raisonnement  !  Bonsoir. 

...  On  veut  que  je  sois  un  personnage.  Moi,  je  ne  veux  ĂȘtre  que 
votre  maman.  Vous  avez  du  cƓur,  puisque  vous  m'aimez  et  je  ne  vous 
demande  que  ça.  Je  ne  me  suis  jamais  aperçue  de  ma  supériorité  en 
quoi  que  ce  soit,  puisque  je  n'ai  jamais  pu  faire  ce  que  j'ai  conçu  et 
rĂȘvĂ©  que  d'une  maniĂšre  trĂšs  infĂ©rieure  Ă   mon  idĂ©e.  On  ne  me  fera  donc 
jamais  croire,  à  moi,  que  j'en  sais  plus  long  que  les  autres.  Kestée 
enfant  à  tant  d'égards,  ce  que  j'aime  le  mieux  dans  les  individualités 
de  votre  force  c'est  leur  bonhomie  et  leur  doute  d'elles-mĂȘmes.  C'est, 
à  mon  sens,  le  principe  de  leur  vitalité,  car  celui  qui  se  couronne  de 
ses  propres  mains  a  donné  son  dernier  mot.  S'il  n'est  pas  fini,  on  peut 
du  moins  dire  qu'il  est  achevĂ©  et  qu'il  se  soutiendra  peut-ĂȘtre,  mais 
qu'il  n'ira  pas  au  delĂ .  TĂąchons  donc  de  rester  tout  jeunes  et  tout 
tremblants  jusqu'Ă   la  vieillesse  et  de  nous  imaginer,  jusqu'Ă   la  veille 
de  la  mort,  que  nous  ne  faisons  que  commencer  la  vie  ;  c'est,  je  crois, 
le  moyen  d'acquérir  toujours  un  peu,  non  pas  seulement  en  talent, 
mais  aussi  en  affection  et  en  bonheur  intime.  Ce  sentiment  que  le  tout 
est  plus  grand,  plus  beau,  plus  fort  et  meilleur  que  nous,  nous  con- 
serve dans  ce  beau  rĂȘve  que  vous  appelez  les  illusions  de  la  jeunesse, 
et  que  j'appelle,  moi,  l'idéal,  c'est-à-dire  la  vue  et  le  sens  du  vrai  élevé 
par-dessus  la  vision  du  ciel  rampant.  Je  suis  optimiste  en  dépit  de 
tout  ce  qui  m'a  dĂ©chirĂ©e,  c'est  ma  seule  qualitĂ©  peut-ĂȘtre.  Vous  verrez 
qu'elle  vous  viendra,  A  votre  ùge  j'étais  aussi  tourmentée  et  plus 


GEORGE   SAND  4o9 

malade  que  vous  au  moral  et  au  physique.  Lasse  de  creuser  les  autres 
et  moi-mĂȘme,  j'ai  dit  un  beau  matin  :  «  Tout  cela  m'est  Ă©gal.  L'univers 
est  grand  et  beau.  Tout  ce  que  nous  croyons  plein  d'importance  est 
si  fugitif  que  ce  n'est  pas  la  peine  d'y  penser.  Il  n'y  a  dans  la  vie 
que  deux  ou  trois  choses  vraies  et  sérieuses,  et  ces  choses-là,  si  claires 
et  si  faciles,  sont  précisément  celles  que  j'ai  ignorées  et  dédaignées, 
mm  ciclpa!  Mais  j'ai  Ă©tĂ©  punie  de  ma  bĂȘtise,  j'ai  souffert  autant  qu'on 
peut  souffrir  ;  je  dois  ĂȘtre  pardonnĂ©e.  Faisons  la  paix  avec  le  bon 
Dieu  !...  » 


CHAPITRE  XII 

1862-1866 


Mariage  de  Maurice.  —  Lina  Sand.  —  Protestantisme.  —  Mademoiselle  La 
Quiniinie.  —  Le  Marquis  de  Villemer  au  thĂ©Ăątre.  —  Palaiseau.  —  Mort 
de  Manceau.  —  Monsieur  Sylvestre.  —  Le  Dernier  amour.  —  Sainte-Beuve. 
—  L'AcadĂ©mie.  —  Flaubert.  —  Cadio.  —  RĂ©installation  Ă   Nohant. 


DÚs  1853-55,  c'est-à-dire  aprÚs  la  trentiÚme  année  de  Maurice, 
Mme  Sand  se  montre  de  plus  en  plus  souvent  préoccupée  de 
marier  son  fils.  Lui,  il  choisit  tantĂŽt  une  jeune  fille,  tantĂŽt  une 
autre,  mais  ne  ressentant  pour  aucune  d'amour  sérieux  et  n'ayant 
qu'un  médiocre  désir  de  se  créer  une  famille,  Mme  Sand  s'adressa 
Ă   ses  amis  :  Boucoiran,  les  Duvernet  etc.,  etc.,  leur  demandant 
de  chercher  un  bon  parti  pour  Maurice  et  débattit  avec  eux  le 
pour  et  le  contre  de  plusieurs  mariages. 

En  1858,  Maurice  semble  avoir  fait  choix  d'une  profession,  il 
veut  se  consacrer  Ă   l'illustration.  Mme  Sand,  heureuse  de  voir 
que  ses  efforts  maternels  sont  enfin  atteints,  lui  Ă©crit  : 

Nohant,  25  avril  1858. 

...Je  vois  avec  plaisir  que  tu  te  tires  d'affaire,  quand  besoin  est, 
avec  ton  travail.  Dieu  soit  loué,  c'est  tout  le  but  que  je  poursuivais 
dans  ton  enfance  quand  je  te  répétais  qu'il  fallait  avoir  son  gagne- 
pain  au  bout  des  bras,  quand  mĂȘme  on  avait  un  petit  patrimoine  assurĂ©. 
C'est  encore  la  situation  sociale  la  meilleure  que  celle  oĂč  tu  te  trouves... 

...Tout  serait  bien  si  tu  pouvais  compléter  la  vie  par  un  mariage 
assorti  Ă   ta  situation  et  sympathique  Ă   ton  esprit  et  Ă   tes  sentiments. 
Mais  tu  cherches  peu  ou  mal  et  je  ne  veux  en  rien  te  pousser  Ă   prendre 
un  parti  si  grave.  Ma  seule  conclusion  est  toujours  la  mĂȘme  :  Aime, 
ou  n'Ă©pouse  pas  (1)... 

(1)  Inédite. 

410 


GEORGE   SAND  411 

Enfin,  en  1862,  le  sort  de  Maurice  fut  dĂ©cidĂ©.  Il  arrĂȘta  son 
choix  non  pas  sur  quelque  «  charmante  inconnue  »,  non  pas  sur 
quelque  «  bon  parti  »,  ni  sur  une  jeune  personne  qui  «  convien- 
drait surtout  aux  rÎles  de  «  jeune  premiÚre  »  (1)  dans  les  spectacles 
improvisés,  mais  sur  une  jeune  fille  que  lui  et  sa  mÚre  connais- 
saient depuis  son  enfance. 

A  monsieur  Jules  Boueoirtm. 

Nohant,  3  mai  1862. 

Mon  cher  ami,  bonne  nouvelle  !  Maurice  se  marie  selon  son  cƓur 
et  selon  son  gré.  H  épouse  la  charmante  fille  de  mon  vieux  et  digne 
ami  Calamatta.  La  fortune  qu'il  eût  demandé  à  une  personne  inconnue, 
il  ne  la  demande  pas  Ă   celle  qui  vaut  par  elle-mĂȘme,  et  il  a  raison.  Il  est 
dans  le  vrai  et  je  suis  pleine  de  bonheur  et  de  satisfaction...  Nos  fiancés 
sont  Ă   Paris  avec  Calamatta  pour  quelques  jours  (2)... 

A  Charles  Poney. 

Nohant,  le  3  mai  1862. 
Cher  ami  et  chers  enfants, 

Bonne  nouvelle  ici.  Depuis  plusieurs  semaines  mon  cƓur  est  dans 
un  grand  tralala.  Enfin,  c'est  arrĂȘtĂ©  !  Maurice  Ă©pouse  la  fille  d'un  de 
mes  plus  anciens  et  plus  chers  amis,  le  graveur  Calamatta,  directeur 
de  l'École  de  dessin  de  Milan.  C'est  une  petite  Italienne,  nĂ©e  et  Ă©levĂ©e 
en  partie  à  Paris  et  que  nous  chérissons  comme  un  enfant  de  la  famille, 
depuis  qu'elle  est  au  monde.  Elle  est  gentille,  charmante,  intelligente 
et  chaude  patriote  romaine.  Nous  sommes  heureux  et  joyeux.  Le  pĂšre 
pourra  vivre  une  bonne  partie  de  l'année  prÚs  de  nous.  C'est  un  bonheur 
de  plus.  Nous  ne  savons  encore  si  nous  faisons  le  mariage  Ă   Paris  ou 
à  Nohant  et  le  jour  n'est  pas  fixé.  Mais  c'est  trÚs  prochain,  car  nous 
publions  les  bans. 

...Je  vous  prie  de  faire  part  de  notre  événement  de  famille  à  tous 
nos  amis  de  lĂ -bas,  M.  et  Mme  Trucy,  M.  Gouin,  le  docteur  Aubon, 
Courdonan,  etc.  J'écris  aux  Margollé. 

Amitiés  et  tendresses  de  Manceau. 

(1)  En  1851,  Maurice  Dudevant  faillit  se  marier  avec  une  jeune  personne 
de  son  voisinage  pour  la  seule  raison  qu'elle  Ă©tait  trĂšs  apte  Ă   jouer  les  jeunes 
premiÚres  dans  les  représentations  improvisées  ;  fait  confirmé  par  une  lettre 
inédite  de  Mme  Sand  à  son  fils  de  septembre  1851. 

(2)  Inédite. 


4i2  GEORGE   SAND 

A  Ludre  GaMlaud  (1). 

Nohaiit  (15)  mai  1862. 

Demain  alors,  mon  ami.  Tùchons  que  le  contrat  soit  signé  à  4  heures 
et  que  le  mariage  ne  se  fasse  pas  plus  tard  que  5.  Est-ce  possible? 
Notre  fillette  se  fait  des  idées  sur  le  mariage  à  la  nuit  comme  un  mau- 
vais présage. 

Caressons  l'enfantillage  en  bonnes  gens  que  nous  sommes.  Encore 
un  bon  coup  de  collier,  mon  bon  Ludre.  Chargez-vous  d'amener  l'ad- 
joint et  le  notaire,  ce  dernier  témoin  de  Maurice  avec  Duvernet.  Vous, 
témoin  de  Calamatta.  Nous  dßnons  ensemble  aprÚs.  Dimanche,  le 
lendemain,  vous  revenez  dĂźner  avec  nous  et  vous  nous  amenez  votre 
femme.  Est-ce  convenu?  Dites  Ă   Sylvain  si  c'est  oui  sous  tous  les 
rapports  (2). 

G.  Saxd. 

Donc,  le  16  mai  1862,  Maurice  Dudevant  se  maria  avec  la 
fille  du  graveur  connu  Luigi  Calamatta,  Caroline- Marceline  Cala- 
matta (ou  «  Lina  »  ,  comme  on  l'appela  désormais),  petite-fille 
de  l'égyptologue  célÚbre  Raoul  Rochette  et  arriÚre-petite-fille 
de  Houdon.  Le  vieux  Nohant  vit  dans  ses  murs  une  jeune 
maĂźtresse  de  maison  qui  non  seulement  prit  sur  elle  tous  les 
soins,  tous  les  soucis  du  ménage  et  des  devoirs  mondains,  mais 
qui  devint  bientît  l'aide  de  Mme  Sand  dans  toutes  ses  Ɠuvres 
de  bienfaisance  (3),  son  amie,  sa  vraie  fille  dévouée  et  bien- 
aimée.  Dans  une  lettre  que  Mme  Sand  lui  adressa  au  moment 
de  la  demande  en  mariage  faite  par  Maurice  Sand,  en  parlant 
de  la  vieille  amitié  qui  unissait  les  Sand  avec  le  pÚre  de  Lina, 
le  vieil  ami  Calamajo,  et  en  suppliant  la  jeune  fille  de  se  fier  Ă  
l'amour  de  Maurice  et  de  sa  mÚre,  elle  lui  disait  carrément  : 

(1)  Avoué  à  La  Chùtre,  homme  d'affaires  de  Mme  Sand,  ami  de  toute  sa 
famille. 

(2)  Inédite. 

(3)  AprĂšs  la  mort  de  Lina  Sand  (en  1901)  l'un  de  ceux  qui  parlĂšrent  sur 
sa  tombe  dit,  en  rappelant  aux  assistants  l'aide  active  que  Lina  prĂȘta  Ă  
Mme  Sand  dans  ses  secours  aux  malheureux  :  «  Ces  femmes  admirables  se 
cachaient  toutes  les  deux  pour  faire  le  bien  comme  d'autres  pour  faire  le  mal,  » 
disant  ainsi  en  quelques  mots  plus  qu'on  ne  pourrait  en  dire  en  des  dizaines 
de  pages. 


GEORGE   SAND  413 

«  Je  sens  bien  que  je  te  serai  une  mÚre  véritable,  car  fai  besoin  à' une 
fille  (1)...  »Et  cette  fille  MmeSand  la  trouva  effectivement  dans 
cette  «  petite  Italienne  —  nera,  nera,  chantant  adorablement 
de  sa  voix  de  contralto  fraßche  et  veloutée,  nature  chaude  et 
gĂ©nĂ©reuse,  bonne  et  emportĂ©e,  toujours  prĂȘte  Ă   rire  ou  Ă   pleurer,  » 
cƓur  spontanĂ©,  esprit  Ă©veillĂ©,  s'intĂ©ressant  Ă   toutes  les  ques- 
tions scientifiques  ;  tantÎt  lisant  avec  ardeur  des  traités  d'ar- 
chéologie, des  brochures  politiques  et  des  romans  à  clef,  Darwin 
et  Flaubert,  Renan  et  Lyell,  et  tantĂŽt  s1  adonnant  avec  la  mĂȘme 
ardeur  Ă   l'art  culinaire,  Ă   la  confection  de  robes  d'enfants,  Ă  
la  préparation  de  toutes  sortes  de  surprises  pour  tous  ses  proches, 
se  livrant  à  des  sorties  véhémentes  contre  tout  ce  qui  lui  parais- 
sait «  obscurantisme  »  et  dĂ©fendant  avec  la  mĂȘme  vĂ©hĂ©mence 
les  idées  qui  lui  étaient  chÚres.  Oui,  cette  nouvelle  fille  fut  de 
tous  points  une  fille  selon  le  cƓur  de  Mme  Sand.  Quant  à  Lina, 
elle  disait  plus  tard  franchement  :  «  Oh  !  j'ai  bien  plus  épousé 
George  Sand  que  Maurice  Sand,  je  me  suis  mariée  avec  lui, 
parce  que  je  l'adorais,  elle.  »  Et  cette  adoration,  cette  vénération, 
ce  chaud  amour  filial,  Lina  le  garda  pour  George  Sand  tant  qu'elle 
vĂ©cut  et  mĂȘme  aprĂšs  sa  mort  !  Elle  voua  sa  vie  entiĂšre  Ă   son  ser- 
vice, au  culte  de  sa  mémoire.  Mme  Sand  trouva  par  elle  et  en 
elle  tout  ce  qui  lui  avait  tant  manqué  depuis  la  mort  de  son 
aĂŻeule,  ce  que  ni  sa  mĂšre,  ni  son  mari,  ni  mĂȘme  son  fils,  ni  surtout 
sa  fille  n'avaient  su  lui  témoigner  :  une  sollicitude  toujours  égale 
et  active,  un  souci  constant  de  la  préserver  des  ennuis  matériels 
de  la  vie,  des  soins  ininterrompus,  continuels,  la  volonté  de  préve- 
nir tous  ses  désirs.  Mme  Sand  trouva  en  Lina  quelque  chose  de 
plus  encore  :  la  rĂ©alisation  de  ce  qu'elle  prĂȘchait  dans  ses  Ɠuvres 
et  de  ce  qu'elle  prenait  comme  thĂšme  favori  de  ses  romans  :  un 
ĂȘtre  s'oubliant  pour  les  autres,  et  cependant  nullement  ordinaire, 
nullement  effacĂ©,  un  cƓur  d'une  loyautĂ©  rare,  une  nature  d'Ă©lite 
se  distinguant  par  ses  goûts  artistiques,  ses  aspirations  intellec- 
tuelles, sa  spontanéité,  sa  sincérité,  son  abnégation.  Lina  Sand 
se  disait  avec  tant  de  bonne  foi  «  la  plus  ordinaire,  la  plus  simple 

(1)  Lettre  du  31  mars  1862.  (Correspondance,  t.  IV.  j 


-tu  GEORGE   SAND 

des  femmes  »,  elle  se  croyait  si  sincÚrement  au-dessous  de  tous 
ceux  qui  l'entouraient,  elle  se  tenait  si  humblement  dans  l'ombre, 
qu'elle  induisit  en  erreur  beaucoup,  beaucoup  de  personnes, 
mĂȘme  parmi  ses  plus  proches  !  Et  tandis  que  l'on  ne  parle  de 
Maurice  Sand  que  sur  un  ton  dithyrambique,  qu'on  s'extasie 
toujours  sur  ses  multiples  talents,  d'aucuns  —  et  ils  sont  assez 
nombreux  —  parlent  de  «  Mme  Maurice  »  avec  une  condes- 
cendance méprisante  ou  bienveillante. 

Or,  eeux  qui  eurent  le  bonheur  de  connaĂźtre  cette  femme 
exceptionnelle  pensent  tout  autrement.  Es  se  souviendront 
sans  cesse  avec  une  admiration  Ă©mue  de  cette  Ăąme  vibrante, 
prĂȘte  Ă   s'enthousiasmer,  Ă   se  sacrifier  pour  toutes  les  nobles 
causes.  Ils  se  rappelleront  Ă   tout  jamais  le  rĂŽle  qu'elle  joua  dans 
l'existence  de  George  Sand,  dans  la  derniÚre  période  de  sa  vie  ; 
qu'elle  fut  la  gardienne  de  la  glorieuse  mémoire  de  sa  «  bonne 
mÚre  »  adorée.  Us  savent  aussi  tout  ce  que  George  Sand  lui  doit 
et  comment  elle  l'appréciait  ;  ils  peuvent  donner  mainte  preuve 
du  dévouement  infatigable,  des  soins  pieux  dont  Lina  l'entourait 
dans  ses  derniĂšres  annĂ©es,  veillant  sans  cesse  Ă   son  bien-ĂȘtre. 
On  sait  aussi  que  George  Sand  l'initiait  Ă   tous  ses  intĂ©rĂȘts  et  que 
dans  son  testament  elle  légua  tout  son  héritage  littéraire  à  Mau- 
rice et,  en  cas  de  mort,  Ă   sa  femme  Lina  et  non  pas  Ă   sa  propre 
fille,  ni  Ă   personne  d'autre. 

Les  lettres  de  George  Sand  durant  les  quatorze  derniĂšres 
années  de  sa  vie  sont  toutes  remplies  d'expressions  de  tendresse 
pour  sa  «  Linette  »,  d'admiration  devant  cette  nature  spontanée 
et  généreuse,  de  satisfaction  pour  le  bonheur  de  Maurice  et  de 
joie  d'avoir  trouvé  dans  sa  femme  une  jeune  amie  aussi  dévouée, 
aussi  «  eompréhensive  ». 

La  toute  premiÚre  lettre  de  Lina  Calamatta  gagna  d'emblée 
le  cƓur  de  Mme  Sand.  En  rĂ©ponse  Ă   son  consentement  de  devenir 
la  femme  de  Maurice,  Mme  Sand  lui  Ă©crivit  donc  : 

Paris,  10  avril  1862. 

Ma  fille  bien-aimée,  tu  dois  avoir  reçu  hier  la  lettre  de  Maurice, 
aujourd'hui  je  viens  t'embrasser  de  toute  mon  Ăąme,  au  milieu  de  mes 


GEORGE  SAND  4'5 

prĂ©paratifs  de  dĂ©part  pour  Nohant,  oĂč.  Maurice  me  rejoindra  pour 
attendre  votre  arrivée.  Quelle  eharmante  lettre  tu  m'écris,  ma  diavo- 
lina  !  Oui,  j'en  suis  sûre,  tu  veux  nous  rendre  heureux.  Cela  t'est  bien 
facile,  ma  chĂ©rie,  il  ne  s'agit  que  d'ĂȘtre  heureuse  toi-mĂȘme,  puisque 
nous  n'avons  pas  d'autre  pensée  et  d'autre  besoin  que  eelui-là.  Si  tu 
es  l'enfant  terrible,  tu  sais  aimer.  J'aime  mieux  l'Ă©nergie  du  cƓur  et 
de  la  tĂȘte  que  la  moulonnerie  de  l'habitude  et  l'absence  de  volontĂ©. 
Si  tu  crois  en  nous  et  si  tu  nous  confies  ta  vie,  c'est  que  tu  nous  aimes 
de  ton  propre  mouvement  et  sans  ĂȘtre  influencĂ©e  par  des  convenances 
vulgaires. 

Dieu  nous  tiendra  compte  Ă   tous  trois  de  notre  foi,  car  le  mariage 
est  un  acte  de  foi  en  Lui  et  en  nous-mĂȘmes.  Les  paroles  du  prĂȘtre  n'y 
ajoutent  rien.  Elles  sont  lĂ   pour  la  forme,  car  bien  souvent  il  ne  croit 
pas  lui-mĂȘme  Ă   ce  qu'il  dit.  Nous  nous  entendrons  sur  ce  point,  noua 
autres,  et  Ă   l'Ă©glise,  pendant  que  le  prĂȘtre  marmottera,  nous  prierons 
le  vrai  Dieu,  celui  qui  bĂ©nit  les  cƓurs  sincĂšres  et  qui  les  aide  Ă   tenir 
leurs  promesses.  Qu'il  me  tarde  de  t'embrasser,  ma  chĂšre  fille.  Et  ton 
bon  pĂšre  aussi  que  j'aime  tant.  Embrasse-le  pour  moi  en  attendant 
et  reçois  toutes  les  bĂ©nĂ©dictions  de  mon  cƓur. 

George  Sand. 
Jeudi. 

AprĂšs-demain  soir  je  serai  Ă   Nohant  (1). 

En  annonçant  le  mariage  prochain  de  Maurice  à  son  vieil  ami 
Armand  Barbes,  George  Sand  lui  Ă©crivait  : 

Je  veux  vous  annoncer  le  prochain  mariage  de  mon  fils  avec  la  fille 
de  mon  vieux  et  cher  ami  Calamatta.  C'est  une  charmante  enfant 
et  un  esprit  gĂ©nĂ©reux.  Cette  union  est  un  vƓu  de  mon  cƓur  enfin 
accompli. 

Et  à  sa  sƓur  naturelle  Mme  Caroline  Cazamajou,  George  Sand 
Ă©crit  Ă   son  retour  de  Paris,  aprĂšs  le  mariage  : 

Je  te  disais  que  le  mariage  devait  avoir  heu,  il  y  a  eu  aujourd'hui 
quinze  jours.  Nos  jeunes  mariés  sont  déjà  trÚs  habitués  à  leur  nou- 
velle situation  qui  leur  plaĂźt  mutuellement,  car  ils  n'ont  pas  voulu 
venir  passer  quarante-huit  heures  avec  moi  Ă   Paris,  d'oĂč  je  suis  arrivĂ©e 
hier.  Je  les  ai  trouvés  bien  portants,  travaillant  ensemble  et  trÚs  gais. 
Je  suis  bien  heureuse,  ma  nouvelle  fille  est  charmante  et  nous  nous 

(1)  Inédite. 


416  GEORGE   SAND 

aimons  depuis  longtemps.  Elle  a  vingt  ans,  elle  est  trĂšs  enfant  et  en 
mĂȘme  temps  trĂšs  raisonnable.  Je  n'ai  plus  d'autre  occupation  et  d'autre 
désir  que  de  la  rendre  heureuse... 

A  Jules  Boucoiran  Mme  Sand  Ă©crivait  dans  sa  lettre  du 
23  juin  1862  : 

Mon  jeune  ménage  va  trÚs  bien.  Maurice  pioche,  sa  petite  femme 
e^t  la  grĂące  et  le  charme  en  personne.  Nous  l'adorons... 

Et  plusieurs  mois  plus  tard,  lorsque  sa  jeune  bru  Ă©tait  Ă   Paris 
avec  Maurice  pour  «  voir  le  monde  et  se  laisser  voir  »,  comme 
disent  les  bonnes  gens,  sa  belle-mĂšre  lui  Ă©crivait  Ă©galement  : 


A  Lina  Sand. 

Nohant,  14  février  1863. 

Ma  cocotte  chérie,  j'ai  été  heureuse  ce  matin  et  je  suis  heureuse  pour 
toute  la  journĂ©e  d'avoir  une  lettre  de  toi.  C'est  fĂȘte,  et  elle  est  bonne 
et  charmante  comme  toi,  ta  lettre.  Tout  en  la  lisant  et  en  déjeunant, 
je  me  suis  aperçue  que  je  pleurais  dans  mon  chocolat  et  comme  ce 
n'Ă©taient  pas  des  larmes  tristes,  bien  au  contraire,  mon  chocolat  ne 
m'en  a  paru  que  meilleur. 

Tu  as  bien  raison  de  m' aimer,  va,  car  je  ne  vis  que  pour  toi  et  Mau- 
rice et  je  me  persuade  si  bien  que  je  t'ai  mise  au  monde,  que  je  ne  fais 
pas  de  différence  de  plus  ou  de  moins  entre  vous  deux. 

Or,  par  une  lettre  du  20  fĂ©vrier  de  cette  mĂȘme  annĂ©e,  adressĂ©e 
à  Edouard  Cadol  qui,  alors  à  ses  débuts  dramatiques,  venait 
d'obtenir  un  grand  succĂšs  avec  la  Germaine,  refaite  sur  les 
conseils  de  George  Sand,  et  venait  de  quitter  Nohant  oĂč  il  avait 
sĂ©journĂ©  plusieurs  semaines  et  gagnĂ©  tous  les  cƓurs,  par  cette 
lettre  nous  voyons  que  Mme  Sand  disait  de  Lina  aux  autres  la 
mĂȘme  chose  qu'Ă   elle-mĂȘme  : 

...Vous  ĂȘtes  gentil  de  me  dire  que  ma  Lina  s'amuse  et  va  bien,  car 
elle  n'a  guĂšre  le  temps  de  m'Ă©crire.  Je  ne  le  lui  dis  pas,  pour  ne  pas 
mettre  un  cheveu  dans  ses  confitures,  mais  la  maison  me  paraĂźt  bien 
morne  sans  elle... 


GEORGE   SAND  417 

Et  encore  deux  mois  plus  tard  Mme  Sand  Ă©crit  Ă   Ed.  Ro- 
drigues  : 

...En  fait  de  jouissance  musicale,  je  n'ai  que  le  chant  de  ma  petite 
belle-fille  italienne,  mais  elle  en  vaut  cent.  C'est  la  voix  la  plus  déli- 
cieusement fraßche  et  veloutée  qui  existe  et  un  sentiment  d'une  indi- 
vidualitĂ© exquise.  Chez  elle  le  chant  rĂ©vĂšle  tout  l'ĂȘtre.  Avec  cela,  elle 
coud  elle-mĂȘme  toute  une  layette  Ă   elle  seule.  Elle  s'occupe  d'histoire 
naturelle  avec  son  mari  et  moi,  et  elle  s'apprĂȘte  bravement  Ă   nourrir 
son  enfant... 

Lorsque  cet  enfant  —  Marc- Antoine  Sand  —  Ă©tait  dĂ©jĂ   nĂ©  et 
que  Mme  Sand,  séjournant  à  Paris,  visita  Mme  Arnould-Plessy 
dans  sa  loge  lors  de  la  premiĂšre  de  Penharvan,  elle  raconta, 
dans  une  lettre  Ă   Maurice  et  Ă   Lina,  comment  on  la  questionna 
sur  sa  «  Lina  »  et  comment  elle  répondit  : 

...Elle  m'a  fait  mille  questions  sur  vous  et  tout  le  monde  aussi  : 
«  Mme  Maurice  est-elle  artiste?  Est-elle  intelligente?  S'intéresse-t-elle 
aux  occupations  de  son  mari?  »  —  «  Oui,  certainement,  elle  chante 
comme  un  amour  et  réconcilie  son  mari  avec  la  musique,  et  puis  elle 
s'intĂ©resse  Ă   tout  ce  qu'il  fait  et  mĂȘme  Ă   la  science,  et  elle  connaĂźt 
déjà  les  coquilles  fossiles  comme  un  vieux  professeur,  et  ça  ne  l'em- 
pĂȘche pas  de  nourrir  son  mioche  aussi  bien  qu'une  vraie  paysanne, 
et  de  se  relever  la  nuit,  et  d'ourler  ses  langes  et  de  tailler  ses  bras- 
siÚres, etc.  »  Alors  on  fait  des  cris  d'admiration  et  Fromentin  s'extasie... 

En  1863  George  Sand  dédia  à  sa  jeune  bru  son  roman  Laura 
ou  Voyage  dans  le  cristal  oĂč  s'Ă©tait  reflĂ©tĂ©  l'expansion  de  l'auteur 
non  plus  pour  la  botanique,  mais  la  minĂ©ralogie  et  la  gĂ©ologie  et  oĂč 
elle  parle,  sous  la  forme  d'un  conte  fantastique,  de  géodes,  de 
druses,  de  cristallisations  et  autres  choses  scientifiques.  Cette 
dédicace  est  non  seulement  l'expression  du  tendre  attachement 
de  l'auteur  pour  la  jeune  femme  de  Maurice,  mais  c'est  aussi 
l'écho  des  études  communes  «  en  géologie  »  des  deux  femmes, 
dirigées  par  leur  mari  et  fils. 

«  Vous  trouverez  dans  ma  Lina  une  adepte  coiffée  aussi  de 
géologie  et  de  fossiles  »,  écrit  Mme  Sand  le  7  février  1863  à  Louis 
Maillard. 

Et  les  expressions  de  tendresse,  les  mots  Ă©mus,  les  Ă©pithĂštes 

iv.  27 


4iS  GEORGE  SAXD 

louangeuses  se  poursuivent  à  travers  les  années  et  se  retrouvent 
dans  toutes  les  lettres  de  Mme  Sand  oĂč  il  est  question  de  sa  belle- 
fille. 

Maurice  est  heureux  en  mĂ©nage  —  Ă©crit  George  Sand  Ă   L.  Viardot 
le  11  avril  1867  —  il  a  un  vrai  petit  trĂ©sor  de  femme,  active,  rangĂ©e, 
bonne  mÚre  et  bonne  ménagÚre,  tout  en  restant  artiste  d'intelligence 
et  de  cƓur.  Nous  avons  un  seul  petit  enfant,  une  fillette  de  quinze  mois 
qui  s'appelle  Aurore  et  qui  annonce  aussi  beaucoup  d'intelligence  et 
d'attention.  La  gentille  créature  semble  faire  son  possible  pour  nous 
consoler  du  cher  petit  que  nous  avons  perdu  (1). 

Quelques  mois  plus  tard  Mme  Sand  dit  Ă   Flaubert  dans  sa 

lettre  du  24  juillet  1867  : 

Ma  fille  Lina  est  toujours  ma  vraie  fille.  L'autre  se  porte  bien  et  elle 
est  belle,  c'est  tout  ce  que  j'ai  Ă   lui  demander  (2). 

Encore  quelques  mois  plus  tard,  au  moment  oĂč  Mme  Mau- 
rice Sand  s'attendait  a  la.  venue  de  son  troisiĂšme  enfant  et 
lorsque  la  vie  du  jeune  ménage  était  devenue  une  part  intégrale 
et  indivisible  de  l'existence  de  Mme  Sand,  oĂč  les  lettres  de 
cette  derniÚre  devinrent  véritablement  des  épßtres  d'une  grand- 
mÚre,  elle  parle  en  termes  que  voici  de  ses  «  deux  enfants  »  Mau- 
rice et  Lina,  dont  l'un  venait  de  la  divertir  par  une  piĂšce  de 
marionnettes  extraordinaire  et  prophétique  intitulée  «  1870  », 
oĂč  apparaissaient  Isidore  et  sa  femme  EwphĂ©mie  : 

...Maurice  me  domie  cette  récréation  dans  mes  intervalles  de  repos 
qui  coĂŻncident  avec  les  siens.  H  y  porte  autant  d'ardeur  et  de  passion 
que  quand  il  s'occupe  de  science.  C'est  vraiment  une  charmante  nature 
et  on  ne  s'ennuie  jamais  avec  lui.  Sa  femme  aussi  est  charmante,  toute 
ronde  en  ce  moment,  agissant  toujours,  s'occupant  de  tout,  se  cou- 
chant sur  le  sofa  vingt  fois  par  jour,  se  relevant  pour  courir  Ă   sa  fille, 
Ă   sa  cuisiniĂšre,  Ă   son  mari,  qui  demande  un  tas  de  choses  pour  son 
théùtre,  revenant  se  coucher,  criant  quelle  a  mal  et  riant  aux  éclats 
d'une  mouche  qui  vole;  cousant  des  layettes,  lisant  des  journaux  avec 
rage,  des  romans  qui  la  font  pleurer  ;  pleurant  aussi  aux  marionnettes 

(1)  Correspondance,  vol.  V. 

(2)  Correspondance  entre  George  Sand  et  Gustave  Flaulert.  (Paris.  LĂ©w, 
1904),  p.  93. 


GEORGE   SAND  419 

quand  il  y  a  un  bout  de  sentiment,  car  il  y  en  a  aussi.  Enfin  c'est  une 
nature  et  un  type;  ça  chante  à  ravir,  cest  colÚre  et  tendre,  ça  fait 
des  friandises  succulentes  pour  nous  surprendre  et  chaque  journée  de 
notre  phase  de  rĂ©crĂ©ation  est  une  petite  fĂȘte  qu'elle  organise  (1). 

Et  le  23  mars  1868,  aprÚs  une  série  de  reproches  et  de  conseils 
Ă   sa  nouvelle  amie  Mme  Juliette  Lamber  qui  souffrait  alors  d'in- 
somnies nerveuses  et  se  laissait  en  général  trop  émouvoir  et 
trop  abattre,  Mme  Sand  dit  Ă   sa  jeune  correspondante  : 

...Ma  Lina  ne  se  pique  pas  de  carme,  mais  elle  a  de  grands  mouve- 
ments de  vouloir  et  de  raison  qui  se  succĂšdent  et  se  rattachent  les  uns 
aux  autres  aprÚs  qu'une  émotion  vive  a  semblé  les  briser  ;  c'est  une 
nature  rare,  une  grande  force  dans  une  exquise  finesse.  Elle  est  toute 
disposée  à  vous  aimer,  mais  elle  n'est  pas  expansive,  elle  est  plutÎt 
timide  Ă   premiĂšre  vue  et  observant  plus  qu'elle  ne  songe  Ă   montrer. 
Elle  eût  été  une  artiste,  si  elle  n'eût  été  avant  tout  une  mÚre.  Ce  sen- 
timent-là a  absorbé  toute  sa  vie  depuis  six  ans.  Elle  y  a  mis  toute  son 
Ăąme  (2). 

En  1872,  fĂ©licitant  cette  mĂȘme  Juliette  Lamber  (devenue 
Mme  Adam)  du  mariage  prochain  de  sa  fille  adorée  Alice,  sur- 
nommée Topaze  et  fiancée  à  M.  Paul  Segond,  le  célÚbre  médecin, 
Mme  Sand  Ă©crit  Ă   cette  amie,  le  16  octobre  : 

...Que  votre  gendre  soit  pour  vous  ce  que  Lina  est  pour  moi,  et 
vous  serez  bien  récompensée  de  votre  amour  pour  cette  eharmante 
Alice  (3)... 

Enfin  le  1er  janvier  1873,  George  Sand  Ă©crit  Ă   Charles  Poney  : 

...Lina  est  toujours  la  perle  de  la  maison.  Toutes  les  qualités  et 
toutes  les  grĂąces...  (4). 

Et  combien  encore  de  ces  lignes  enthousiastes  et  de  juge- 
ments émus  et  tendres  sur  sa  Lina  sont  disséminés  dans  les  lettres 
de  George  Sand  des  quatorze  derniÚres  années  de  sa  vie  !  Or, 


(1)  Lettre  à  Flaubert  du  31  décembre  1867. 

(2)  Correspondance,  vol.  V. 

(3)  Ibid.,  vol.  VI. 

(4)  Ibid.,  vol.  VI. 


42o  GEORGE   SAND 

aprĂšs  la  mort  de  Lina  elle-mĂȘme,  Mme  SĂ©verine  Ă©crivit  sur  elle 
entre  autres  les  lignes  que  voici,  justes  et  vraies  : 

...Son  horreur  des  ténÚbres,  du  mensonge,  se  renforçait  du  souvenir 
toujours  vivant  en  elle.  Avec  un  tact  admirable  elle  sut  tout  concilier  ; 
ne  pas  souffrir  de  son  effacement;  ne  faire  souffrir  personne  ;  ĂȘtre  le 
lieu  obscur,  mais  solide,  entre  des  personnalitĂ©s  marquĂ©es,  ĂȘtre  la 
bonne  fée  secourable  à  l'intimité. 

Dans  les  souvenirs  du  grand  écrivain,  dans  tous  les  livres  publiés 
sur  Sand  et  sur  Nohant  on  la  voit  passer  discrÚte,  bienfaisante,  répan- 
dant autour  d'elle  l'ordre  sans  lequel  il  n'est  pas  de  foyer... 

Le  mariage  de  Maurice  Sand  ne  fut  d'abord  conclu  que  devant 
le  maire  (1)  et  ce  ne  fut  que  plus  tard,  lorsque  les  jeunes 
époux  avaient  déjà  un  fils,  qu'ils  furent  bénis  selon  les  rites  de 
l'Église,  non  pas  catholique,  mais  protestante,  quoique  tous  les 
deux  fussent  catholiques  (2).  Ce  fut  ainsi  autant  par  désir  per- 
sonnel de  Maurice  qui  voulait  assurer  la  liberté  de  conscience 
à  lui  et  à  ses  futurs  enfants  (3)  qu'en  raison  des  idées  libératrices 
de  sa  mĂšre  et  de  ses  croyances  religieuses  et  philosophiques 
arrivées  vers  cette  époque  à  une  synthÚse  définitive.  Puis,  en 
dehors  de  l'esprit  général  de  protestation  qui  s'accentua  de  plus 
en  plus  en  France  contre  le  cléricalisme  à  outrance  gagnant  tous 
les  jours  du  terrain,  au  moment  oĂč  le  second  Empire  Ă©tait  arrivĂ© 
Ă   son  apogĂ©e  —  ce  qui  joua  bien  certainement  le  rĂŽle  d'un  argu- 


(1)  Voir  la  lettre  de  George  Sand  au  prince  Xapoléon,  p.  328-329  du  vol.  IV 
de  la  Correspondance. 

(2)  Mme  Sand  le  dĂ©clare  elle-mĂȘme  dans  sa  lettre  du  3  aoĂ»t  1863  au  pas- 
teur Leblois  ;  à  ce  moment-là  l'enfant  n'était  pas  encore  baptisé  et,  comme 
on  verra  par  les  lettres  du  printemps  1864,  Mme  Sand  avait  alors  seulement 
V intention  d'ĂȘtre  la  marraine  de  son  petit-fils.  Le  baptĂȘme  n'eut  lieu  qu'au 
mois  de  mai  1864,  et  selon  le  rite  protestant. 

(3)  Mme  Sand  avait  écrit  à  Jules  Boucoiran  dÚs  le  9  février  1863,  c'est-à- 
dire  encore  avant  la  naissance  de  Marc- Antoine  : 

«  ...Oui,  mon  cher  ami,  il  faut  venir  nous  voir  cette  année,  nous  en  serons 
tous  heureux.  Vous  aimerez  notre  Lina  qui  est  une  enfant  ravissante  et  qui, 
dans  cinq  mois  environ,  nous  donnera  un  petit  protestant.  Maurice  a  l'inten- 
tion sérieuse  de  n'en  pas  faire  un  catholique,  c'est  son  idée.  Vous  parlerez 
de  cela  avec  lui.  Je  m'abstiens.  Ils  partent  dans  quelques  heures  Ă   Paris  oĂč 
ils  vont  passer  deux  ou  trois  semaines.  C'est  donc  pour  Maurice  autant  que 
pour  moi  que  je  vous  réponds  et  vous  remercie. 

«  Manceau  vous  embrasse  aussi.  » 


GEORGE   SAND  421 

ment  ab  adverso  dans  la  décision  de  Maurice  Sand,  ce  fut  le  fait 
que  la  mÚre  de  Lina  Calamatta,  Mme  Anne- Joséphine  Calamatta, 
une  femme  charmante  et  une  nature  d'Ă©lite,  une  vraie  artiste  (1), 
cette  distinguée  personne,  catholique  fervente  dÚs  sa  jeunesse, 
tomba  peu  Ă   peu  sous  l'influence  exclusive  des  prĂȘtres.  (Plus 
tard,  aprĂšs  la  mort  de  son  mari,  elle  se  fit  mĂȘme  religieuse  et 
mourut  le  10  dĂ©cembre  1893  sous  le  nom  de  sƓur  Marie-JosĂšphe 
de  la  Miséricorde.)  Luigi  Calamatta  et  sa  fille,  durant  bien  des 
années,  souffrirent  d'incidents  pénibles  et  révoltant  leurs  idées, 
leurs  sentiments  d'époux  et  de  fille.  L'intransigeance  de  Mme  José- 
phine les  froissait,  et  sous  les  traits  de  différents  pÚres  spirituels, 
confesseurs  de  Mme  Calamatta,  le  cléricalisme  envahissait  leur 
foyer. 

George  Sand,  ayant  depuis  longtemps  franchi  toutes  les  Ă©tapes 
de  Spiridion,  et  acheté  au  prix  de  grandes  souffrances  morales 
sa  foi  libre,  son  credo,  rejetait  toutes  les  pratiques  et  toutes  les 
formalités  du  culte.  Elle  niait  la  divinité  du  Christ,  l'existence 
du  diable  et  de  l'enfer  —  qu'elle  appelait  une  monstruositĂ©,  «  une 
imposture  et  une  barbarie  »  —  et  protestait  surtout  contre  le 
dogme  du  chùtiment  éternel  (2).  Il  est  tout  naturel  qu'elle  fût 
révoltée  et  douloureusement  peinée  de  tout  ce  qui  se  passait 
alors  autour  d'elle.  La  domination  spirituelle  absolue,  annihi- 
lante, exercée  par  leurs  confesseurs  sur  des  jeunes  femmes  et 
des  jeunes  filles  inconnues  ou  connues  exaspérait  Mme  Sand. 
Autrefois,  lors  du  séjour  de  sa  fille  dans  un  pensionnat,  elle  s'était 
efforcée  de  mettre  Solange  en  garde  contre  le  culte  extérieur 
masquant  la  religion  mĂȘme,  elle  voulait  la  prĂ©server  du  mysti- 
cisme sensuel  du  catholicisme  et  ne  pas  lui  laisser  prendre  pour 


(1)  Elle  peignait  fort  bien  Ă   l'huile  et  au  pastel  et  nous  avons  vu  au  salon 
de  Nohant  plusieurs  tableaux  et  portraits  dus  Ă   son  pinceau  et  Ă   ses  crayons. 

(2)  Que  nos  lecteurs  se  souviennent  encore  une  fois  des  mots  de  Renan 
pris  par  nous  comme  Ă©pigraphe  de  notre  travail  et  qu'ils  ne  nous  rendent  pas 
responsables  des  opinions  de  Mme  Sand,  nos  idées  religieuses  différant  sur 
bien  des  points  de  ses  croyances  et  de  son  credo  social  et  religieux. 

En  qualité  d'historien  fidÚle  nous  sommes  obligé  de  rapporter  et  de  cite" 
exactement  toutes  les  idées  et  expressions  de  George  Sand,  quelque  hérétiques 
qu'elles  puissent  nous  paraĂźtre.  Nous  prions  nos  lecteurs  de  ne  point  nous 
en  croire  solidaire  ni  responsable.  —  W.  K. 


4.22  GEORGE   SAXD 

de  la  réalité  certaines  manifestations  du  culte  et  certains  actes 
symboliques  (1).  Mme  Sand  Ă©crit  en  ce  sens  Ă   M.  Bascans  : 

...Soyez  bien  persuadé  cependant  qu'en  confiant  son  éducation  à 
des  Ă©trangers  et  hors  de  ehez  moi,  je  surveillerai  le  programme  de 
son  propre  travail  Je  ne  veux  pas  qu"on  la  fatigue,  ni  qu'on  remplisse 
de  trop  de  choses  son  esprit  si  impressionnable;  je  ne  veux  pas  non 
plus  qu'on  la  pousse  trop  en  dehors  des  voies  de  la  philosophie  et  de 
la  religion  naturelle,  et  j'entends  qu'elle  reçoive  une  éducation  reli- 
gieuse qui  ne  soit  ni  routiniÚre,  ni  absurde.  L'image  de  Dieu  a  été 
entourée  par  le  culte  de  tant  de  subterfuges  et  d'inventions  étranges, 
que  je  désire  qu'autant  que  possible  sa  pensée  n'en  soit  par>  imprégnée. 
Je  tolérerai  qu'elle  suive,  mais  seulement  jusqu'à  sa  premiÚre  com- 
munion, les  exercices  de  piété  en  usage  dans  la  maison.  Le  mysticisme 
dont  la  religion,  ainsi  qu'on  nous  la  présente,  a  enveloppé  la  figure 
sublime  du  Christ,  dénature  tout  à  fait  les  causes  premiÚres  de  la 
erande  mission  qu'il  avait  Ă   remplir  sur  la  terre,  mission  qu'on  a  tra- 
vestie pour  la  faire  servir  Ă   des  intĂ©rĂȘts  et  Ă   des  passions  de  toutes 
sortes.  L'étude  philosophique  et  vraie  de  sa  vie  a  démontré,  au  con- 
traire, le  néant  de  la  plupart  des  traditions  qui  sont  venues  jusqu'à 
nous  sous  son  nom,  et  je  ne  veux  pas  pour  Solange  d'un  enseignement 
de  ce  genre  trop  prolongé,  et  dans  lequel  elle  pourrait  puiser,  et  con- 
server dans  un  ùge  plus  avancé,  des  principes  d'exclusivisme  et  d'in- 
tolérance, dont  je  crois  qu'il  est  de  mon  devoir  de  la  garantir. 

Un  an  plus  tard,  Mme  Sand  Ă©crivait  au  mĂȘme  : 

Mon  cher  monsieur  Bascans,  nous  voici  dans  la  Semaine  Sainte. 
L'année  derniÚre,  je  n'ai  pas  été  fùchée  que  Solange  vßt  le  spectacle 
du  culte  catholique;  mais  maintenant  que  la  piÚce  est  jouée  pour 
elle,  je  ne  vois  pas  de  nĂ©cessitĂ©,  et  je  trouverais  mĂȘme  beaucoup  d'in- 
convénients, à  ce  qu'elle  en  suivßt  davantage  les  représentations.  H 
ne  me  convient  pas  qu'elle  s'habitue  à  l'hypocrisie  des  génuflexions  et 
des  signes  de  croix,  ni  à  l'adoration  de  l'idole  sous  laquelle  on  déshonore 
la  sainte  figure  du  Christ. 

Solange  est  bien  plus  sceptique  que  je  ne  le  voudrais.  Je  crois  donc 
que  la  vue  de  toutes  ces  cérémonies,  dont  le  sens  primitif  est  perdu, 
et  qu'aucun  prĂȘtre  orthodoxe  de  nos  jours  ne  saurait  lui  expliquer 
dignement,  est  d'un  mauvais  effet  sur  elle.  Je  craindrais  que  cette 
vue  ne  détruisßt  à  jamais  en  elle  le  germe  d'enthousiasme  que  j'ai 
tùché  d'y  mettre  pour  la  mission  et  la  parole  de  Jésus,  si  singuliÚre- 

(1)  V.  notre  vol.  III,  p.  456. 


GEORGE   SAND  423 

ment  expliquée  dans  les  églises.  Je  vous  prie  donc  de  la  tenir  à  la 
maison  pendant  toutes  ces  dévotions.  Je  ne  veux  pas  qu'on  lui  mette 
de  la  cendre  au  front,  ni  qu'on  lui  fasse  baiser  des  images.  Je  ne  l'ai 
pas  élevée  pour  l'idolùtrie,  et  si  elle  est  destinée  un  jour  à  faire  quelque 
emploi  de  son  intelligence,  ce  sera  probablement  pour  travailler, 
selon  la  mesure  de  ses  forces,  Ă   la  destruction  de  l'idolĂątrie.  Vous 
m'obligerez  mĂȘme  beaucoup,  dĂ©sormais,  de  lui  supprimer  entiĂšre- 
ment la  messe  comme  un  temps  fort  mal  employé,  puisqu'elle  n'y  songe 
qu'à  railler  la  dévotion  d' autrui. 

Cependant,  sïl  entrait  dans  vos  vues,  comme  je  vous  l'avais  demandé 
l'année  derniÚre,  de  lui  expliquer  la  philosophie  du  Christ,  de  l'at- 
tendrir au  récit  de  ce  beau  poÚme  de  la  vie  et  de  la  mort  de  l'homme 
divin,  de  lui  prĂ©senter  l'Évangile  comme  la  doctrine  de  l'Ă©galitĂ©,  enfin 
de  commenter  avec  elle  ces  évangiles  si  scandaleusement  altérés  dans 
les  traductions  catholiques,  et  si  admirablement  réhabilités  dans  le 
Livre  de  l'humanité  de  Pierre  Leroux,  ce  serait  là  pour  elle  la  véritable 
instruction  religieuse  dont  je  désirerais  qu'elle  profitùt  durant  la 
Semaine  Sainte,  et  tous  les  jours  de  sa  vie.  Mais  cette  instruction  ne 
peut  lui  venir  que  de  vous,  non  des  «  comédiens  sacrés  »,  iunctos 
samiones,  comme  disaient  les  Hussites... 

Tout  à  vous  de  cƓur. 

G.  Saxd. 

Plus  tard  elle  agit  de  mĂȘme  envers  le  jeune  Francis  Laur, 
dĂ©sireuse  de  le  prĂ©server  des  pratiques  religieuses,  voire  mĂȘme  de 
toute  espĂšce  de  culte.  Dans  ses  lettres  Ă   Louis  Maillard  elle  Ă©crit  : 

Nehant,  17  février  1863. 

...Mme  Maillard  va  Ă   la  messe,  c'est  bien,  elle  y  croit;  mais  j'es- 
pĂšre que  Francis  et  RenĂ©  n'y  vont  pas.  Le  jour  oĂč  ils  feraient  alliance 
avec  le  prĂȘtre,  je  leur  tirerais  ma  rĂ©vĂ©rence.  Les  garçons  qui  font  ce 
pacte  n'ont  plus  besoin  de  personne,  et  on  n'a  plus  qu'à  se  méfier  et 
se  préserver  d'eux. 

Nohant,  22  février  1863. 

...EnquĂȘte  faite,  dites-vous,  les  enfants  ne  vont  pas  Ă   la  messe. 
Mais  je  n'ai  pas  ouï  dire  qu'ils  y  eussent  été?  Si  j'ai  pensé  à  la  messe, 
c'est  que  vous  m'Ă©criviez  :  Mme  Maillard  est  Ă   la  messe  et  Francis  crie 
la  faim.  D'oĂč  j'ai  conclu  naturellement  que  Mme  Maillard  allait  Ă  
la  messe,  ce  qui  est  fort  bien  vu  et  ne  me  regarde  pas  ;  mais  ce  qui  m'a 
fait  penser  à  vous  dire  je  ne  sais  plus  quoi,  en  général,  sur  mes  deux 
garçons  de  chez  vous.  Je  sais  qu'il  y  a  une  propagande  organisée  qui 


424  GEORGE   SAND 

s'empare  tant  qu'elle  peut  des  jeunes  esprits  pour  les  fausser  ;  j'Ă©tais 
dĂ©jĂ   assez  mĂ©contente  que  ma  niĂšce  eĂ»t  mis  ses  fils  chez  les  prĂȘtres. 
Elle  s'en  mord  les  doigts  à  présent.  Je  crois  que  René  les  juge  bien, 
ces  bons  messieurs,  et  en  somme  je  n'ai  guÚre  d'inquiétude  qu'ils  aient 
déteint  sur  lui. 

Mais  quant  Ă   accuser  quelqu'un  de  chez  vous  de  faire  du  zĂšle  reli- 
gieux, je  crois  que  personne  n'y  a  songé  et  qu'il  n'y  avait  pas  d'en- 
quĂȘte Ă   faire.  Us  n'auront  pas  su  ce  que  cela  voulait  dire... 

Mme  Sand  niait  la  religion  catholique,  elle  se  méfiait  égale- 
ment du  protestantisme  officiel.  C'est  pour  cela  que  Maurice 
lui  ayant  confié  son  désir  de  faire  son  fils  protestant  et  de  se 
marier  préalablement  devant  un  pasteur,  elle  se  mit  activement 
Ă   la  recherche  d'un  reprĂ©sentant  d'une  Église  libre.  Mme  Sand 
craignait  que  son  fils  et  sa  future  famille  ne  tombassent  de 
Charybde  en  Scylla  et  n'Ă©chappassent  Ă   la  religion  officielle  que 
pour  se  soumettre  Ă   la  rĂšgle  d'une  petite  Église  intolĂ©rante  ;  c'est 
pour  cela  que  Mme  Sand  rĂ©flĂ©chit  longtemps  avant  d'arrĂȘter 
son  choix,  et  ne  se  décida  qu'aprÚs  de  longs  pourparlers,  de  longs 
débats  sur  toutes  sortes  de  questions.  On  peut  suivre  ces  péri- 
péties en  lisant  les  nombreuses  lettres,  tant  imprimées  qu'iné- 
dites, adressées  par  Mme  Sand  à  MM.  Coquerel,  Leblois  à  Stras- 
bourg, Guy  Ă   Bourges,  Scbseffer  Ă   Colmar.  Les  plus  remar- 
quables sont  celles  qu'elle  adressa  Ă   M.  Schaeffer,  deux  sont 
imprimées  aux  pages  342  et  349  du  volume  IV  de  la  Correspon- 
dance (sans  indication  du  nom  du  destinataire  et  ne  portant  que 
«M***»)  et  une  troisiÚme  parut  dans  V Amateur  (V autographes  (1). 
Nous  ne  transcrirons  point  ici  les  deux  premiĂšres,  mais  nous 
trouvons  indispensable  de  citer  cette  derniĂšre  lettre  d'autant  plus 
que  cette  revue  est  peu  connue. 

A  monsieur  Ad.  SchƓfftr,  'ministre  protestant  à  Colmar. 

Monsieur, 
J'ai  beaucoup  tardé  à  vous  répondre.  Un  heureux  événement  de 
famille  m'a  Îté  tout  loisir  pour  la  lecture  et  la  correspondance. 

(1)  V Amateur  d'autographes,  publié  par  Noël  Charavay,  15  janvier  1900, 
33e  année.  Nouvelle  série,  numéro  1. 


GEORGE   SAND  425 

J'ai  enfin  lu  votre  livre  et  allant  droit  au  fait  avec  la  franchise  que 
commande  l'estime  fraternelle,  je  vous  dirai  pourquoi  je  n'ai  pas  parlé 
du  protestantisme  avec  une  entiĂšre  sympathie.  C'est  parce  que,  dans 
le  présent,  le  protestantisme  n'a  pas  fait  sur  toute  la  ligne,  comme  on 
dit  d'une  armée,  le  pas  décisif  et  nécessaire  qu'il  devait,  qu'il  doit 
faire,  sous  peine  de  tomber  dans  le  mĂȘme  discrĂ©dit  que  le  catholi- 
cisme. Le  protestantisme,  Ă   qui  je  pardonnerais  jusqu'Ă   un  certain 
point  de  concevoir  la  divinité  de  Jésus,  parce  que  ce  dogme  ne  choque 
que  la  raison  et  trouve  son  excuse  dans  le  sentiment,  —  le  protestan- 
tisme, dis-je,  n'a  point  abjuré  le  dogme  de  l'enfer  qui  révolte  la 
raison,  la  conscience  et  le  sentiment. 

Depuis  que  j'ai  publié  Mademoiselle  La  Quintinie,  j'ai  reçu  beaucoup 
de  lettres  et  d'écrits  protestants.  J'ai  été  renseignée  sur  la  situation 
des  esprits  et  des  cƓurs  dans  l'Église  rĂ©formĂ©e  et  j'ai  vu  avec  une 
grande  satisfaction  qu'un  assez  grand  nombre  de  ses  membres  avait 
accompli  le  double  progrÚs  que  réclamait  ma  conscience.  Je  le  dirai 
Ă   l'occasion. 

Vous  dites  d'excellentes  choses  dans  votre  Essai  sur  la  tolé- 
rance. 

Vous  les  dites  bien,  avec  noblesse  et  simplicité.  Toutes  vos  cri- 
tiques du  catholicisme  portent  juste  et  sur  la  question  historique, 
tout  ce  qui  est  digne  du  nom  d'homme  vous  donne  aujourd'hui 
raison. 

Mais  vous  arrivez  à  la  doctrine  de  tolérance  proclamée  par  Jésus- 
Christ,  et  je  vois  là,  dans  le  texte  sacré,  des  monstruosités  qui  m'ar- 
rĂȘtent. JĂ©sus  croit  Ă   l'enfer  et  il  aime  Ă   y  croire.  Son  rĂ©gime  de  dou- 
ceur et  de  miséricorde,  il  en  croit  l'homme  capable,  puisqu'il  le  lui 
enseigne,  mais  il  le  refuse  Ă   Dieu.  Il  compte  que  son  pĂšre  le  vengera, 
il  espĂšre  que  la  vertu  de  ses  disciples  amassera  des  charbons  ardents 
sur  la  tĂȘte  de  leurs  persĂ©cuteurs:,  il  condamne  ceux-ci  Ă   la  gĂ©henne  du 
feu.  Enfin,  s'il  a  dit  les  paroles  qu'on  lui  prĂȘte,  sa  mansuĂ©tude  ne 
serait  qu'une  politique  habile,  et  son  cƓur,  transportant  le  chñtiment 
de  ses  adversaires  dans  l'éternité,  eût  recelé  des  trésors  d'intolérance 
et  de  colĂšre  :  ou  JĂ©sus-Christ  n'a  jamais  dit  ces  paroles,  ou  JĂ©sus-Christ 
n'est  pas  Dieu.  Il  faut  choisir,  et  vous  deviez  ici  nous  enseigner  et  vous 
prononcer.  Otez  l'enfer  et  vous  qui  comprenez  si  bien  le  pardon  des 
injures  sur  la  terre,  ne  faites  pas  Dieu  au-dessous  de  votre  image.  Si 
JĂ©sus  est  le  fils  de  Dieu,  affirmez  qu'il  n'est  pas  au-dessous  de  son 
pÚre  et  que  ce  qu'il  a  délié  sur  la  terre  est  délié  dans  le  ciel.  Affirmez 
qu'on  l'a  outragé  en  remplissant  sa  bouche  de  menaces  et  de  malédic- 
tions. 

S'il  n'est  pas  Dieu,  pardonnons-lui  d'avoir  eu  les  superstitions  et 
le?  imperfections  de  son  temps  et  de  son  milieu,  mais  ne  passons  point 


426  GEORGE   SAXD 

à'cÎté  d'une  question  si  grave.  H  n'y  a  pas  de  tolérance  qui  tienne  et 
vos  propres  arguments  contre  l'impossibilité  de  tolérer  l'intolérance 
sont  ici  dans  toute  leur  force.  DétrÎnons  ce  faux  dieu,  ou  déchirons 
les  pages  sacrées  qui  le  calomnient. 

Vous  ouvrez  la  porte  à  la  liberté  d'interprétation,  je  le  sais,  mais 
pour  que  les  esprits  éclairés  et  le3  ùmes  vraiment  aimantes  se  rallient 
à  votre  Église,  il  faudra  bien  rouvrir  toute  grande,  cette  porte  au  delà 
de  laquelle  on  veut  voir  le  vrai  Dieu.  Ministres  de  la  foi,  vous  la  tenez 
entre-bùillée,  cette  porte  du  ciel,  elle  n'est  ni  ouverte  ni  fermée.  Prenez-y 
garde,  les  nouvelles  générations  n'y  passeront  pas  si  l'enfer  est  au 
seuil. 

Pardonnez-moi  de  vous  dire  tout  cela,  mais  soyez  sûr  que  ce  n'est 
pas  ma  croyance  personnelle  qui  veut  entrer  en  lutte  avec  la  vĂŽtre. 
Je  porte  en  moi  la  conscience  du  genre  humain.  Elle  est  en  vous  Ă©ga- 
lement, consultez-la,  Ă©coutez-la,  elle  vous  dira  qu'il  faut  qu'une  des 
deux  Églises  qui  se  partagent  les  croyances  actuelles  fasse  un  pas 
décisif  dans  la  vérité  et  la  justice.  Il  y  a  mille  à  parier  contre  un  que 
l'Église  romaine  pĂ©rira  sans  transiger  tandis  qu'il  semble  aujourd'hui 
que  le  protestantisme  commence  à  s'ébranler  devant  le  monde  affamé, 
enfiĂ©vrĂ©  de  progrĂšs.  Si  vous  ĂȘtes  du  cĂŽtĂ©  de  ce  mouvement  qui  peut 
nous  sauver  du  matérialisme  (1),  je  suis  avec  vous,  monsieur,  et  rien 
d'irrémédiable  ne  nous  sépare.  Sinon  ne  vous  étonnez  pas  qu'avec 
tous  les  fibres  penseurs  de  mon  temps,  je  ne  veuille  ĂȘtre  ni  avec 
les  protestants,  ni  avec  les  catholiques. 

Et  croyez  quand  mĂȘme  Ă   mes  sentiments  affectueux  et  distinguĂ©s. 

George  Saxd. 
Xohant,  21  août  63. 


Le  baptĂȘme  protestant  du  petit  Marc-Antoine  est  racontĂ© 
dans  une  série  de  lettres  du  printemps  1864,  époque  de  la  pre- 
miĂšre de  Villemer  et  de  l'installation  de  Mme  Sand  Ă   Palaiseau  ; 
nous  donnerons  plus  loin  ces  lettres  intégralement,  sans  en  rien 
citer  ici. 


(1)  George  Sand  souleva  dans  plusieurs  de  ses  écrits  la  question  du  maté- 
rialisme si  répandu  dans  le  monde  contemporain  et  si  attristant  selon  elle. 
Dans  son  écrit  A  propos  de  Madelon,  d'Edmond  About,  tout  en  félicitant 
le  jeune  auteur  de  ses  heureux  débuts,  elle  lui  faisait  remarquer  que  sou  héros, 
si  indignĂ©  contre  les  lĂąches  et  les  nigauds  qui  l'entourent,  pĂšche  lui-mĂȘme  par 
le  mĂȘme  dĂ©faut,  car  il  ne  croit  Ă   rien  et  n'est  guidĂ©  par  aucun  idĂ©al.  Cet  article 
parut  dans  la  Presse  en  1863,  et  est  réimprimé  dans  le  volume  des  Questions 
d'art  et  de  littérature. 


GEORGE   SAND  427 

En  1866  Maurice  Sand  eut  une  fille,  Aurore,  et  en  1868  une 
seconde  fille,  Gabrielle.  Ces  deux  enfants,  Ă©galement,  ne  furent 
point  baptisées  dÚs  leur  naissance,  on  ne  les  baptisa  protes- 
tantes que  lorsque  l'aßnée  avait  presque  trois  ans  et  l'autre  huit 
mois  ;  le  prince  JĂ©rĂŽme  et  Mme  Sand  furent  le  parrain  et  la  mar- 
raine d'Aurore  ;  le  neveu  de  Mme  Sand,  M.  Simonnet  et  Mlle  Nancy 
Fleury  ceux  de  Gabrielle.  A  ce  propos  George  Sand  Ă©crit  Ă   Flau- 
bert, de  Nohant,  le  20  novembre  1868  : 

...Vers  le  15  décembre,  ici,  nous  baptisons  protestantes  nos  deux 
fillettes.  C'est  l'idée  de  Maurice  qui  s'est  marié  devant  le  pasteur  et 
qui  ne  veut  pas  de  persécution  et  d'influences  catholiques  autour  de 
ses  filles... 

Et  Ă   Mme  Adam,  le  baptĂȘme  dĂ©jĂ   accompli,  Mme  Sand  Ă©crit 
le  20  décembre  1868  : 

Je  n'ai  pas  eu  un  instant  pour  vous  répondre.  Nouant  a  été  sens 
dessus  dessous  pour  les  fĂȘtes  de  nos  baptĂȘmes  spiritualistes,  je  ne  veux 
pas  dire  protestants,  bien  que  le  premier  sens  du  mot  soit  le  vrai  ; 
avec  cela  il  fallait  finir  un  gros  travail... 

Si  nous  faisons  encore  remarquer  que  lorsque  moins  de  six 
mois  plus  tard,  le  9  mars  1869,  mourut  le  vieux  Calamatta  et 
que  sa  femme  quitta  presque  immédiatmeent  aprÚs  le  monde 
pour  prendre  le  voile,  projet  préparé  de  longue  date  par  ses  con- 
fesseur et  directeur,  on  comprend  aisément  que  les  sentiments 
hostiles  et  l'indignation  de  Mme  Sand  et  de  sa  famille  ne  faisaient 
que  croĂźtre.  Et  George  Sand,  comme  il  arrive  souvent  dans  les 
temps  de  polémique,  se  passionnait  de  plus  en  plus  contre 
le  catholicisme.  Sur  ce  sujet  George  Sand  Ă©crivit  une  trĂšs 
curieuse  lettre  en  janvier  1863,  —  l'annĂ©e  mĂȘme  oĂč  parut  Made- 
moiselle La  Qmntinie  —  à  Mlle  Leroyer  de  Chantepie.  En  lui 
disant  qu'elle  considérait  comme  une  chose  trÚs  néfaste  l'état 
de  doute  et  d'indécision  dans  lequel  se  trouvait  son  ancienne 
correspondante,  celle-ci  ne  pouvant  ni  se  résoudre  à  se  passer 
de  la  confession,  ni  se  confesser  sans  hésitation,  Mme  Sand  lui 
conseillait  d'accomplir  cet  acte  de  foi  simplement  et  de  tout  son 
cƓur,  plutĂŽt  que  de  rester  dans  cet  Ă©tat  de  doute.  Elle  lui  avouait 


42S  GEORGE   SAND 

nĂ©anmoins  sincĂšrement  qu'elle  Ă©tait  arrivĂ©e  elle-mĂȘme  Ă   des 
idées  trÚs  libres  en  ces  matiÚres  : 

Il  n'y  a  pas,  je  crois,  d'ùme  plus  généreuse  et  plus  pure  que  la  vÎtre, 
et  elle  ne  serait  pas  sauvée  !  Ce  dogme  catholique  vous  tue  et,  si  je  vous 
dis  qu'il  faut  en  sortir,  vous  n'aurez  peut-ĂȘtre  plus  ni  amitiĂ©  pour  moi, 
ni  confiance.  Pourtant  c'est  ma  conviction,  le  dogme  de  l'enfer  est 
une  monstruosité,  une  imposture,  une  barbarie.  Dieu,  qui  nous  a  tracé 
la  loi  du  progrÚs  et  qui  nous  y  pousse  malgré  nous,  nous  défend  aujour- 
d'hui de  croire  à  la  damnation  éternelle  ;  c'est  une  impiété  que  de  douter 
de  sa  miséricorde  infinie  et  de  croire  qu'il  ne  pardonne  pas  toujours, 
mĂȘme  aux  plus  grands  coupables. 

Je  vous  croyais  autrefois  heureuse  par  la  foi  catholique  et  les 
croyances  douces  et  tranquilles  dans  les  belles  Ăąmes  me  paraissent  si 
sacrĂ©es,  que  je  vous  disais  :  «  Allez  Ă   tel  prĂȘtre  ou  Ă   tel  philosophe 
chrétien,  ou  à  tel  ami  qui  vous  semblera  propre  à  vous  rendre  l'an- 
cienne sĂ©rĂ©nitĂ©  oĂč  vos  nobles  sentiments  ont  pris  naissance  et  force.  » 
Mais  voilĂ   que  le  doute  est  entrĂ©  en  vous,  et  que  la  voix  du  prĂȘtre  vous 
jette  dans  une  sorte  de  vertige.  Quittez  le  prĂȘtre  et  allez  Ă   Dieu  qui 
vous  appelle  et  qui  juge  apparemment  que  votre  ùme  est  assez  éclairée 
pour  ne  pouvoir  plus  supporter  un  intermédiaire,  sujet  à  erreur. 

Ou,  si  l'habitude,  la  convenance,  le  besoin  des  formules  consacrées 
vous  fient  Ă   la  pratique  du  culte,  portez-y  donc  cet  esprit  de  confiance, 
de  liberté  et  de  véritable  foi,  qui  est  en  vous...  Dieu  ne  veut  pas  que 
Ton  doute  de  soi-mĂȘme,  car  c'e^t  douter  de  lui  (1). 

Elle  lui  Ă©crivait  encore  : 

...Allez  Ă   Dieu  sans  intermĂ©diaire  et  sans  prĂȘtre  ;  ou  si  la  confession 
vous  paraĂźt  un  devoir,  remplissez-le  naĂŻvement  et  sans  examen.  Con- 
fessez-vous de  votre  mieux  et  mĂȘme  des  fautes  involontaires  ;  de 
cette  façon,  rien  ne  manquera  Ă   votre  sincĂ©ritĂ©  de  cƓur,  et  le  confes- 
seur vous  grondùt-il  plus  que  de  raison,  soyez  sûre  que  Dieu  appréciera 
avec  plus  de  clarté  et  d'indulgence. 

Je  vous  avoue  que  pour  mon  compte,  j'en  suis  venue  Ă   regarder  le 
prĂȘtre  comme  l'agent  du  mal  en  ce  monde,  mais  je  ne  discute  pas  les 
convictions  de  doctrine  chez  des  personnes  de  votre  mérite.  Ce  que  je 
blĂąme  avec  tout  le  respect  qui  vous  est  dĂ»,  c'est  que  vous  restiez  dans 
l'impasse  du  doute,  sans  faire  d'effort  suprĂȘme  pour  en  sortir.  Acceptez 
complĂštement  l'Église  si  vous  vous  y  croyez  obligĂ©e  ;  ne  discutez  rien 
et  vous  retrouverez  la  paix  (2)... 

(1)  Cette  lettre  est  imprimée  dans  le  vol.  IV  de  la  Correspondance  à  la 
fausse  date  du  5  juin  1858. 

(2)  Lettre  médite  du  16  janvier  1863. 


GEORGE   SAND  429 

Ces  lignes  deviennent  trÚs  significatives,  surtout  confrontées 
aux  lettres  passionnĂ©ment  indignĂ©es,  parfois  mĂȘme  dĂ©sagrĂ©a- 
blement Ăąpres  et  mordantes,  que  Mme  Sand  Ă©crivit  en  au- 
tomne 1868  Ă   Flaubert,  Ă   Mme  Arnould-Plessy  et  au  pĂšre 
Hyacinthe  Loyson  (1).  Nous  avons  parlé  de  ces  lettres  de 
Mme  Sand  au  chapitre  ix  à  propos  de  la  «  conversion  de  Mme  Ar- 
nould-Plessy »  (2).  En  anticipant  un  peu  sur  l'ordre  chronolo- 
gique, disons  dĂšs  Ă   prĂ©sent  que  lorsqu'en  1872,  —  juste  au 
moment  oĂč  l'on  Ă©tait  en  train  de  faire  jouer  Mademoiselle  La 
Quintinie,  tirĂ©e  du  roman  du  mĂȘme  nom,  —  le  pĂšre  Loyson  se 
prononça  contre  le  célibat  du  clergé,  se  maria  tout  en  restant 
prĂȘtre  et  entra  en  dissidence  ouverte  avec  l'Église  romaine, 
George  Sand  acclama  cet  acte  de  courage  et  de  foi  par  un  article 
dans  le  Temps  (réimprimé  plus  tard  comme  le  numéro  xvn  de  ses 
Impressions  et  souvenirs).  Et  c'est  dans  cet  article  qu'elle  Ă©mit  la 
pensée  qui  choqua  tant  de  ses  contemporains  et  qui,  de  nos  jours 
encore,  est  souvent  citée  par  des  auteurs  orthodoxes  comme  l'abo- 
mination de  la  dĂ©solation.  Le  pĂšre  Loyson  affirmait  ne  pas  ĂȘtre 
protestant,  et  George  Sand  lui  refusait  le  droit  de  se  croire  catho- 
lique du  moment  oĂč  il  n'admettait  pas  le  cĂ©libat  des  prĂȘtres.  Cette 
distinction  entre  l'Église  latine  et  l'Église  romaine  lui  semblait 
«  assez  arbitraire,  elle  y  retrouvait  une  subtilitĂ©  de  prĂȘtre  ».  Elle 
écrit  :  «  Pour  nous  il  est  un  hérétique  parfait  et  nous  l'en  félicitons, 
car  les  hérésies  sont  la  grande  vitalité  de  l'idéal  chrétien...  »  (3) 

Toutes  ces  idées  et  tous  ces  sentiments  anti-orthodoxes  de 
George  Sand  trouvĂšrent  leur  Ă©cho  dans  Mademoiselle  La  Quin- 
tinie, roman  qui  parut  trois  ans  aprĂšs  le  Marquis  de  Villemer,  fit 
beaucoup  de  bruit  en  son  temps  et  souleva  un  grand  courant  de 


(1)  Alors,  carrne  déchaussé  et  célÚbre  prédicateur  catholique,  plus  tard 
brouillé  avec  Rome  et  chef  d'une  communauté  libre,  il  est  mort  tout  récem- 
ment, en  1912. 

(2)  Mme  Sand  fut  surtout  trÚs  véhémente  contre  le  pÚre  Hyacinthe  dans 
sa  lettre  à  Mme  Arnould  datée  du  13  septembre  1868  ;  Mme  Araould  mon- 
tra cette  lettre  au  pĂšre  Loyson  et  celui-ci  Ă©crivit  lui-mĂȘme  Ă   Mme  Sand 
en  réponse  à  ses  paroles  dures  et  outrageantes. 

(3)  Mme  Sand  avait  écrit  à  Mme  Arnould-Plessy  déjà  le  18  mai  1863  :  «  Je 
vous  dis  que  si  votre  abbé  H...  est  homme  de  progrÚs,  il  est  hétérodoxe.  N'im- 
porte I  s'il  prĂȘche  le  bien  et  s'il  vous  fait  du  bien,  tout  est  bien...  » 


430  GEORGE   SAND 

sympathie  pour  Mme  Sand  de  la  part  de  la  jeunesse  des  Ă©coles 
et  de  tous  les  gens  avancés.  C'est  l'un  de  ses  romans  militants  et 
lorsqu'on  fait  le  bilan  de  ses  tendances  libératrices  et  de  ses 
romans  Ă   thĂšse,  on  lui  donne  l'une  des  premiĂšres  places.  Made- 
moiselle La  Quintinie.  c"est  comme  ime  conclusion  ou  un  com- 
mentaire Ă   Spiridion.  Seulement  il  n'est  point  Ă©crit  sous  la  forme- 
fantastique  et  romanesque  de  Spiridion,  c'est  un  roman  parfai- 
tement réaliste,  se  rapprochant  presque  des  romans  naturalistes 
par  sa  maniÚre  et  par  le  développement  de  l'action  et  ne  s'en 
distinguant  que  par  l'absence  des  scĂšnes  grossiĂšres. 

>7ous  venons  de  dire  que  ce  roman  fit  beaucoup  de  bruit.  Il 
sépara  les  lecteurs  en  deux  camps  :  les  uns  admiraient  outre 
mesure  cette  courageuse  protestation  contre  le  clergé  alors  au  faßte 
du  pouvoir,  les  autres  s'indignĂšrent  et  appelĂšrent  sur  la  tĂȘte  de 
l'auteur  les  foudres  de  l'Église.  Ce  quiles  horripilait  surtout,  c'Ă©tait 
le  fait  que  le  hĂ©ros  du  roman  Ă©tait  un  prĂȘtre,  l'abbĂ©  MorĂ©ali. 

George  Sand  se  rendait  trĂšs  bien  compte  de  tout  cela;  nous 
trouvons  dans  ses  lettres  inédites  d'intéressants  passages  qui 
le  prouvent. 

A  Alexandre  Dumas  fils. 

Xohant,  1er  janvier  1863. 

...Buloz  a  entendu  dire  que  le  roman  de  Monsieur  Dumas  Ă©tait  fini. 
((  M.  Dumas  »  ne  lui  avait-il  pas  promis  la  préférence?  «  M.  Dumas  » 
devrait  bien  penser  Ă   lui,  etc.,  etc.  Enfin  Buloz  est  impatient  de  lire 
et  il  est  bien  avéré  pour  moi  que  c'est  ehez  lui  un  désir  sincÚre  de 
pouvoir  rehausser  sa  revue  de  votre  nom.  Mais  voudra-t-il  de  nos 
petites  Ă©lueubrations?  Moi,  j'ai  lĂ   un  millier  de  pages  contre  les  cagots, 
lesquelles,  malgré  sa  demande,  lui  paraßtront  contenir  neuf  cent 
quatre-vingt-dix-neuf  pages  de  trop.  TFimporte,  essayons  la  littérature 
sans  hypocrisie,  dans  cette  mĂȘme  revue  qui  a  publiĂ©  Sibylle  (1). 

Deux  mois  plus  tard,  elle  Ă©crit  Ă   Boucoiran  : 

Nouant,  8  mars  1863. 

...J'ai  fait  un  roman  peu  catholique  qui  commence  Ă   paraĂźtre  dans 
la  revue  et  qui  m'attirera  bien  des  injures.  Maurice  a  fait  un  roman 

(1)  Roman  d'Octave  Feuillet.  Voir  plus  loin,  p.  439. 


GEORGE   SAND 


43i 

aussi,   qui  paraĂźtra  aussitĂŽt   aprĂšs   le  mien  daus   la  mĂȘme  revue. 
Manceau  fait  de  tout  et  tout  le  monde  vous  aime  et  vous  embrasse... 

Xous  lisons  enfin  dans  la  lettre  de  Mme  Sand  Ă   Ed.  Kodiigues, 
dont  nous  avons  cité  un  passage  au  chapitre  xi  : 

J'ai  done  bien  fait  de  ne  pas  vous  dédier  ce  roman  qui  va  m'attirer 
des  horions?  Vous  voyez,  je  n'ai  pas  Ă©tĂ©  trop  bĂȘte,  cette  fois,  pour  moi. 
Vous  vous  inquiétez  de  me  voir  rentrer  en  campagne,  mais  c'est  mon 
Ă©tat,  cher  ami.  Je  suis  soldat  et  mon  devoir  est  la  guerre  quand  l'on 
envahit  la  patrie  de  mon  idée.  Mais  ce  n'est  pas  de  politique  que  je 
m'occupe,  sachez-le.  Vous  me  demandiez  aussi  le  sujet  de  ce  roman  qui 
m'occupe  si  fort?  Je  vous  l'ai  dit,  je  erois.  C'est  la  guerre  aux  hypo- 
crites. Cela  vous  inquiĂ©tait  pour  moi.  Pourquoi  cela,  mon  anĂč?  La 
mission  douce  et  persuasive  que  vous  m'attribuez  n'a  de  valeur  que  si 
elle  est  sincĂšre  et  brave  Ă   l'occasion. 

...La  préoccupation  qui  nous  lie,  celle  de  donner  du  bonheur  aux 
autres,  est  la  mise  en  commun  de  ce  qu'il  y  a  en  nous  de  meilleur  et 
de  plus  important...  » 

La  jeunesse  des  écoles  apprécia  à  sa  juste  valeur  cette  «  bra- 
voure de  soldat  »  et  Ă   la  premiĂšre  occasion  —  qui  fut  la  premiĂšre 
de  Villemer  Ă   l'OdĂ©on  —  fit  des  ovations  trĂšs  dĂ©monstratives  Ă  
l'auteur  de  Mademoiselle  La  Quintinie. 

Lorsque  ce  roman  parut  on  fit  des  tentatives  pour  en  trouver 
la  clef,  pour  découvrir  les  personnes  réelles  que  George  Sand 
avait  mises  en  scÚne,  on  avait  tùché  de  dévoiler  aussi  les  noms 
des  hĂ©ros.  On  demandait  mĂȘme  dans  les  colonnes  de  l'IntermĂ©- 
diaire des  chercheurs  et  des  curieux,  si  sous  les  noms  du  «  pÚre 
Onorio  »,  de  «  l'abbé  Moréali  »  se  cachaient  des  personnages  réels, 
Ă   quelle  Ă©poque  ils  avaient  vĂ©cu  ou  si  ce  n'Ă©taient  que  des  ĂȘtres 
créés  par  l'imagination  de  l'auteur.  On  alla  jusqu'à  dire  que  le 
sermon  du  pĂšre  Onorio  Ă   la  suite  duquel  Lucie  La  Quintinie 
abjure  la  religion  catholique,  n'Ă©tait  que  la  reproduction  presque 
textuelle  des  «  anathÚmes  »  de  Louis  Veuillot  contre  le  pÚre  Pas- 
saglia  dans  son  Parfum  de  Rome. 

Quoi  qu'il  en  soit,  Mademoiselle  La  Quintinie  souleva  une 
grande  tempĂȘte,  et  lorsque  neuf  ans  plus  tard,  en  1872,  George 
Sand  fit  des  démarches  pour  mettre  à  la  scÚne  un  drame  tiré  de 


432  GEORGE   SAND 

ce  roman,  elles  n'aboutirent  pas  malgré  l'appui  de  ses  amis.  Le 
comité  de  censure  dramatique,  tout  en  déclarant  «  que  la  piÚce 
Ă©tait  un  chef-d'Ɠuvre,  qu'on  n'avait  rien  Ă   y  reprendre,  qu'elle 
était  de  la  morale  la  plus  élevée,  la  plus  irréprochable  »  (1),  n'osa 
pas  prendre  la  responsabilité  de  la  représentation  et  déclara 
qu'il  «  fallait  que  la  piÚce  allùt  plus  haut  »,  c'est-à-dire  chez  le 
ministre  des  Beaux-Arts  et  des  Cultes.  C'Ă©tait  alors  Jules  Simon. 
Il  n'osa  prendre  aucune  résolution.  Interdire  cette  piÚce  appar- 
tenant à  la  plume  d'un  écrivain  d'une  si  grande  popularité  et 
tirée  d'un  de  ses  romans  les  plus  connus,  c'était  soulever  une  tem- 
pĂȘte d'indignation  parmi  les  Parisiens.  L'autoriser  c'Ă©tait  «  se 
mettre  à  dos  les  cléricaux  de  la  Chambre  »,  c'était  à  ce  moment 
son  portefeuille  de  ministre  menacé.  Jules  Simon  envoya  la 
piĂšce  au  gouverneur  militaire  de  Paris,  car  on  Ă©tait  alors  en 
Ă©tat  de  siĂšge  et  toutes  les  questions  Ă©taient  soumises  au  gouver- 
neur, le  gĂ©nĂ©ral  Ladmirault,  il  visait  toutes  les  Ɠuvres  drama- 
tiques. Apprenant  que  le  héros  de  la  piÚce  de  George  Sand  était 
un  prĂȘtre,  et  que  l'action  se  jouait  autour  de  son  amour  pour  la 
demoiselle  La  Quintinie,  le  général  Ladmirault  déclara  qu'il  «  ne 
se  gĂȘnerait  pas  pour  passer  son  sabre  au  travers  du  corps  de 
3111e  La  Quintinie  »  et  qu'il  interdirait  une  piÚce  à  tendances 
aussi  subversives,  révoltantes  pour  tous  les  bons  catholiques.  Or, 
Jules  Simon  voulut  Ă©viter  Ă   tout  prix  ces  mesures  coercitives. 

Charles  Edmond  que  Mme  Sand  avait  pris  pour  arbitre  des 
changements  Ă   faire  dans  sa  piĂšce  et  M.  FĂ©lix  Duquesnel,  alors 
directeur  de  l'Odéon,  contÚrent  plus  tard  avec  beaucoup  de 
verve  et  d'esprit  comment  Jules  Simon  réussit  à  sortir  de  cette 
impasse  :  ni  permettre,  ni  interdire  la  piĂšce,  mais...  la  faire 
mourir  d'inanition.  Voici  la  version  de  Duquesnel  :  Le  ministre 
fit  venir  M.  Duquesnel,  lui  expliqua  dans  quelle  impasse  il  se 
trouvait  :  il  aurait  bien  voulu  pouvoir  contenter  les  loups  et 
les  brebis  Ă   la  fois,  mais  surtout,  oh  !  surtout  !  il  protesta  de  son 

(1)  Lettre  de  Charles  Edmond  (ChoĂŻecki)  Ă   Mme  Sand  du  26  novembre  1872 
et  George  Sand  le  redit  presque  mot  Ă   mot  dans  sa  lettre  du  29  novembre 
Ă   Flaubert  (Correspondance,  t.  VI,  p.  260.)  A  cet  Ă©pisode  se  rapportent  aussi 
beaucoup  de  ses  lettres,  tant  imprimées  qu'inédites  (du  21  février  1871  à 
janvier  1873). 


GEORGE   SAND  433 

désir  d'éviter  tout  sujet  d'ennui  à  l'auteur  et  pour  cela...  pour 
cela  il  priait  M.  Duquesnel  de  comprendre  ce  qu'il  avait  Ă   faire. 
M.  Duquesnel  le  comprit  effectivement  Ă   sa  maniĂšre.  Il  eut 
recours  à  un  moyen...  de  théùtre.  Lafontaine  qui  devait  remplacer 
dans  le  rĂŽle  de  Moreali  Charles-Francisque  Berton,  devenu  subi- 
tement fou,  Lafontaine,  au  dire  de  M.  Duquesnel,  eut  une  attaque 
de  goutte.  On  ajourna  les  répétitions.  Puis,  la  jeune  premiÚre 
prétendit  avoir  la  fiÚvre.  On  attendit  encore.  Une  autre  artiste 
fut  malade.  Le  printemps  arriva  sur  ces  entrefaites.  On  remit  la 
piÚce  à  l'automne  prochain.  Mme  Sand  se  désolait  de  tous  ces 
contretemps  sans  se  douter  de  la  ruse  employée  par  Jules  Simon. 
L'automne  venu  on  lambina  encore.  Puis,  d'aprĂšs  M.  Duquesnel. 
il  se  trouva  dans  l'obligation  de  remplir  la  promesse  donnée  à 
deux  autres  auteurs.  Enfin  il  proposa  Ă   George  Sand  de  reprendre 
Mmiprat,  et  Mademoiselle  La  Quintinie  tomba  dans  l'oubli.  A 
l'entendre,  le  manuscrit  fut  égaré.  Le  temps  passait,  Mme  Sand, 
occupée,  par  de  nouveaux  travaux,  ne  pensa  plus  à  sa  piÚce.  On 
ne  s'en  souvint  plus  qu'aprĂšs  sa  mort.  C'est  ainsi  que  racon- 
tĂšrent la  chose  M.  Duquesnel  et  d'autres  aprĂšs  lui. 

Si  on  lit  les  lettres  imprimées  et  inédites  de  George  Sand  se 
rapportant  Ă   sa  tentative  de  faire  jouer  Mademoiselle  La  Quin- 
tinie, on  verra  que  les  dĂ©tails  de  cette  histoire,  —  prĂ©tendue 
spirituelle,  —  contĂ©e  par  M.  Duquesnel,  ne  sont  pas  trĂšs  exacts. 
George  Sand  ne  fut  nullement  aussi  naĂŻve  et  ne  se  laissa  pas 
leurrer  par  toutes  ces  inventions,  tous  ces  «  moyens  de  théùtre  ». 
Bien  plus,  c'est  elle-mĂȘme  qui  ne  voulut  pas  mettre  Jules  Simon 
dans  une  position  inextricable  et  arrĂȘta  toutes  ses  dĂ©marches. 
On  peut  le  voir  par  ses  lettres  imprimées  du  29  novembre  et  de 
décembre  1872  et  par  les  lignes  de  sa  lettre  inédite  à  Charles 
Edmond  du  9  janvier  1873  : 

A  Flaubert. 

29  novembre. 

...Je  ne  crois  pas  qu'on  joue  Mademoiselle  La  Quintinie.  Les  censeurs 
ont  dĂ©clarĂ©  que  c'Ă©tait  un  chef-d'Ɠuvre  de  la  plus  haute  et  de  la  plus 
saine  moralité,  mais  qu'ils  ne  pouvaient  pas  prendre  sur  eux  d'en 
iv.  as 


GEORGE   SAND 

autoriser  la  représentation.  H  faut  que  cela  aille  plus  haut,  c'est-à-dire 
au  ministre  qui  renverra  au  général  Lnclmirault  ;  c'est  à  mourir  de 
rire.  Mais  je  ne  consens  pas  Ă   tout  cela  et  j'aime  mieux  qu'on  se  tienne 
tranquille  jusqu'à  nouvel  ordre.  Si  le  nouvel  ordre  est  la  monarchie  cléri- 
cale, nous  en  verrons  Uen  d'autres.  Pour  mon  compte,  ça  m'est  égal  qu'on 
m'empĂȘche,  mais  pour  V avenir  de  notre  gĂ©nĂ©ration...  (1). 

Xnhant,  9  janvier  1873. 

H...  (Plauchut)  ne  se  rend  aucun  compte  de  mon  aversion  pour  le 
combat  et  de  mon  absence  d'illusions.  D'aprÚs  ce  qu'il  m'a  raconté 
de  votre  entretien  avec  Duquesnel  et  vous  avant  son  départ  de 
Paris  pour  Gobant,  j'ai  compris  (s'il  a  bien  compris  lui-mĂȘme)  que 
1°  La  Quintinie  ne  pouvait  aboutir  cette  année  et  que  ce  n'était  la 
faute  Ă   personne  de  nous  :  c'est  la  faute  au  parti  sacerdotal.  S'il  y 
avait  devoir  de  lutter  contre  lui  en  ce  moment,  je  lutterais  malgré 
mon  horreur  pour  le  combat.  Le  devoir  jusqu'Ă   la  mort  et  le  repos 
aprĂšs.  Mais,  selon  moi,  mon  devoir  est  de  me  tenir  tranquille.  Que 
dirais-je  à  Jules  Simon?  «  Risquez  tout  pour  me  satisfaire,  b  II  me 
rĂ©pondrait  :  «  Encourager  le  combat  dans  ce  moment  oĂč  nous  tenons 
Ă   un  fil,  c'est  prĂ©cipiter  une  crise  qui  aura  peut-ĂȘtre  pour  dĂ©noue- 
ment le  ministÚre  de  Mgr  Dupanloup.  »  Et  comme  je  lui  dirais,  moi  : 

Ne  risquez  point  cela  pour  moi,  »  notre  explication  serait  parfaitement 
inutile.  Attendons  et  ne  pensons  pas  Ă   La  Quintinie. 

Quant  Ă   la  reprise  de  Mauprat,  c'est  Ă   Duquesnel  de  juger  si  elle 
peut  lui  ĂȘtre  avantageuse  dans  une  situation  oĂč  il  lui  faut  un  grand 
succĂšs  Ă   tout  prix.  S'il  en  juge  autrement  et  qu'il  l'ajourne,  il  fait 
bien,  et  je  l'engage  encore  une  fois  à  sauver  l'Odéon  sans  se  tour- 
menter de  moi.  Si  aprĂšs  lui  avoir  rendu  le  service  de  plaider  sa  cause  (2) 
j'exigeais  qu'il  se  ruinùt  pour  m'en  récompenser,  mon  exigence  serait 
injuste  et  le  service  rendu  ne  serait  qu'un  calcul  Ă©goĂŻste  dont  il  aurait 
le  droit  de  ne  pas  me  savoir  gré...  » 

Un  peu  avant  l'Ă©poque  oĂč  Mme  Sand  Ă©crivit  le  roman  de 
Mademoiselle  La  Quintinie,  vers  1860,  elle  s'Ă©tait  reprise  Ă   cor- 
respondre assidûment  avec  Sainte-Beuve.  D'abord  elle  s'était 

(1)  C'est  nous  qui  soulignons.  —  IF.  K. 

(2)  C'est  aux  démarches  faites  en  1872  par  Mme  Sand  auprÚs  de  Jules 
Simon  en  faveur  de  Duquesnel  et  de  l'Odéon,  alors  à  la  veille  de  la  ruine 
causée  par  les  troubles  de  l'année  terrible,  ainsi  qu'en  faveur  de  Berton 
malade,  que  se  rattache  l'épisode  raconté  dans  notre  volume  I  :  comment 
George  Sand  et  Jules  Sandeau  passĂšrent  une  heure  entiĂšre  dans  l'antichambre 
du  ministre  sans  se  reconnaĂźtre. 


GEORGE  SAND  435 

adressée  a  lui  avec  la  priÚre  de  faire  obtenir  le  prix  Montyon 
Ă   un  certain  Verbet  (1)  et  aussi  Ă   propos  d'une  affaire  toute 
personnelle  :  son  désir  de  publier  sa  correspondance  avec  Musset. 
Sainte-Beuve  se  montra,  en  cette  circontance,  bien  digne  de  la 
confiance  que  son  illustre  amie  avait  en  son  inaltérable  amitié. 
Peu  Ă   peu,  comme  au  bon  vieux  temps,  George  Sand  se  mit  Ă  
parler  à  son  vieil  ami  de  toutes  ses  affaires  littéraires  et  privées 
et  Ă   le  consulter  sur  toute  chose.  Lui,  voyant  combien  cette 
«  illustration  de  son  époque  »  était  obligée  de  travailler  de  façon 
constante,  désireux  de  lui  venir  en  aide  et  d'alléger  un  peu  le 
poids  de  son  fardeau,  eut  l'idée  de  demander  pour  George  Sand 
un  prix  d'Académie,  le  prix  Gobert  (20  000  francs).  Nous 
avons  parlé  de  ces  démarches  au  chapitre  vn  de  notre  premier 
volume.  Nous  avons  signalé  combien  Mérimée  s'était  montré 
chevaleresque  en  lui  donnant  sa  voix,  tandis  que  Sandeau,  diplo- 
matiquement, n'assista  pas  à  la  séance,  et  le  prix  fut  décerné  à 
Thiers.  Tous  les  détails  de  cette  histoire  se  lisent  dans  le  livre  de 
M.  Nisard,  Souvenirs  et  notes  biographiques,  et  dans  le  livre  du 
vicomte  de  Spoelberch  :  la  VĂ©ritable  histoire  de  Elle  et  Lui,  on 
peut  aussi  y  lire  toutes  les  lettres  échangées  à  ce  propos  entre 
Sainte-Beuve,  Sandeau,  Mérimée  et  antres,  et  savoir  quels  aca- 
démiciens étaient  présents  ou  absents  ce  jour-là  (2). 

Il  paraßt  qu'on  fut  trÚs  attristé  à  la  cour  de  Napoléon  III  de 
l'Ă©chec  de  Mme  Sand  ;  on  le  prit  tellement  Ă   cƓur  qu'on  eut 
l'idée  de  l'en  dédommager  en  proposant  à  l'auteur  du  Marquis 
de  Villemer  une  somme  prise  sur  la  cassette  de  l'empereur,  Ă©gale 
à  celle  du  prix  académique.  Le  prince  JérÎme  fut,  paraßt-il, 
l'auteur  de  cette  idée.  Mais  il  se  peut  aussi  qu'elle  lui  fût  soufflée, 
ainsi  qu'Ă   la  princesse  Mathilde,  par  Sainte-Beuve,  l'ami  commun 
de  l'auteur  et  de  ces  princes.  Cet  épisode  se  trouve  relaté  dans  la 
lettre  de  Mme  Sand  à  sa  cousine  Mme  Pauline  Villot,  trÚs  liée 
avec  le  prince  JĂ©rĂŽme  et  sa  famille  grĂące  Ă   la  position  de  son 


(1)  Dans  le  volume  des  Lettres  de  George  Sand  Ă   Musset  et  Ă   Sainte-Beuve 
publiées  en  1897,  ce  Veroet  est  appelé  tout  le  temps  «  Pubet  ».  C'est  une  faute 
d'impression...  Ă   plusieurs  Ă©ditions. 

(2)  Voir  aussi  le  volume  précité  des  Lettres  de  George  Sand  à  Sainte-Beuve. 


436  GEORGE   SAND 

mari.  On  voit  par  la  lettre  suivante  que  George  Sand  refusa 
d'avance,  et  nettement,  la  «  grùce  »  dont  elle  était  menacée.  Elle 
Ă©crivit  Ă   ce  propos  de  Tamaris  : 

ChĂšre  cousine, 

Vous  ĂȘtes  bonne  comme  un  ange  de  vous  occuper  de  moi  si  gracieu- 
sement et  de  vous  tourmenter  de  cette  affaire  qui  me  tourmente  si 
peu.  Lucien  a  dĂ»  vous  dire  pour  combien  de  raisons  trĂšs  vraies  et  trĂšs 
logiques  j'aurais  désiré  qu'il  ne  fût  pas  question  de  moi.  Je  n'ai  pas 
voulu  désavouer  les  amis  qui  m'avaient  portée,  d'autant  plus  que 
j'avais  et  que  j'ai  encore  la  certitude  qu'ils  doivent  Ă©chouer. 

J'ai  trop  fait  la  guerre  aux  hypocrites  pour  que  le  monde  officielle- 
ment religieux  me  le  pardonne.  Et  je  ne  souhaite  pas  ĂȘtre  pardonnĂ©e. 
J'aime  bien  mieux  qu'on  me  repousse  vers  l'enfer,  oĂč  ils  mettent  tous 
les  honnĂȘtes  gens. 

Mais  à  propos  de  cette  affaire  de  l'Académie,  il  en  est  une  autre  dont 
je  veux  vous  parler,  Buloz,  qui  n'a  pas  toujours  un  style  trĂšs  clair, 
m'Ă©crit  que  quelqu'un  est  venu  le  trouver  pour  lui  dire  de  me  sonder 
pour  savoir  si  j'accepterais  de  l'empereur  un  dédommagement,  offert 
d'une  façon  honorable  et  équivalant  au  prix  de  l'Académie,  dani  le 
cas  oĂč  il  ne  me  serait  pas  accordĂ©. 

J'ai  répondu  que  je  ne  désirais  absolument  rien,  mais  j'ai  bien  chargé 
Buloz  de  présenter  mon  refus  sous  forme  de  remerciement  trÚs  sincÚre 
et  trĂšs  reconnaissant;  or,  comme  une  commission  de  cette  nature, 
quelque  explicite  et  franche  qu'elle  soit,  peut,  en  passant  par  plusieurs 
bouches,  ĂȘtre  dĂ©naturĂ©e,  je  vous  demande  de  voir  le  prince,  qui  est 
net  et  vrai,  lui,  et  de  lui  dire  ceci  :  «  Je  ne  mets  aucune  sotte  fierté, 
aucun  esprit  de  parti,  aucune  nuance  d'ingratitude,  Ă   refuser  un  bien- 
fait de  l'empereur.  Si  j'Ă©tais  malade,  infirme  et  dans  la  misĂšre,  je  lui 
demanderais  peut-ĂȘtre  pour  moi  ce  que  j'ai  plusieurs  fois  demandĂ©  Ă  
l'impératrice  et  aux  ministres  pour  les  malheureux.  Mais  je  me  porte 
bien,  je  travaille,  et  je  n'ai  pas  de  besoins.  Il  ne  me  paraĂźt  pas  ho 
d'accepter  une  générosité  à  laquelle  de  plus  à  plaindre  ont  des  droits 
réels.  Si  l'Académie  me  décerne  le  prix,  je  l'accepterai,  non  sans 
chagrin,  mais  pour  ne  pas  me  poser  en  fier-cà-bras  littéraire  et  pour 
laisser  donner  une  consécration  extérieure  à  la  moralité  de  mes  ouvrages 
prétendus  immoraux.  De  cette  façon,  les  généreuses  intentions  de 
l'empereur  à  mon  égard  seront  remplies.  Si,  comme  j'en  suis  bien  sûre, 
je  suis  éliminée,  je  ne  me  regarderai  pas  comme  frustrée  d'une  somme 
d'argent  que  je  n'ai  pas  désirée  et  dont  je  suis  toute  dédommagée  par 
l'intĂ©rĂȘt  que  l'empereur  veut  bien  me  porter.  »  VoilĂ   ! 

A  présent  j'ai  tout  dit  cela  au  cas  que...  car  j'ignore  si  Buloz  a  bien 


GEORGE   SAND  437 

compris  ce  qu'on  lui  a  dit  et  s'il  est  vrai  que  l'empereur  se  serait  Ă©mu 
de  cette  petite  affaire.  Buloz  m'a  dit  que  la  princesse  Mathilde  se 
chargeait  de  tout,  sans  plus  d'explications.  Si  la  princesse  Mathilde  est 
seule  en  cause,  le  prince  le  saura  et  lui  dira  tout  ce  que  dessus,  comme 
disent  Ă©loquemment  les  notaires.  S'il  me  le  conseille,  j'Ă©crirai. Ă   cette 
excellente  princesse  pour  la  remercier  et  Ă   l'empereur,  s'il  y  a  lieu. 
Ajoutez,  pour  le  prince,  que  je  l'aime  de  toute  mon  Ăąme, que  j'irai 
demain  visiter  son  bateau,  dans  la  rade  de  Toulon... 

En  1863  courut  le  bruit,  vrai  ou  faux,  qu'on  se  proposait 
d" Ă©lire  George  Sand  Ă   l'AcadĂ©mie.  Vers  la  mĂȘme  Ă©poque  parut 
une  brochure  intitulée  :  les  Femmes  à  V Académie.  L'auteur,  qui 
se  cachait  sous  la  simple  initiale  S,  y  décrivait  une  prétendue 
sĂ©ance  de  l'AcadĂ©mie,  se  passant,  en  l'an  de  grĂące  ***,  oĂč  une 
certaine  Mme  X...,  unanimement  élue  membre  de  la  vénérable 
compagnie,  échangeait  avec  l'académicien  Y...  d'élégants  dis- 
cours de  réception  obligatoires.  Puis,  l'auteur  anonyme  disait 
qu'il  Ă©tait  bien  temps  d'abolir  la  loi  Chapelain  vieillie,  prohibant 
l'admission  des  femmes  à  l' Académie,  il  prouvait  combien  l'Aca- 
démie gagnerait  à  leur  admission,  car  elles  contribueraient  à 
adoucir  les  opinions  et  y  apporteraient  un  certain  esprit  de 
mansuétude.  Il  prétendait  qu'on  avait  eu  tort  en  n'élisant  pas 
Mmes  de  Staël  et  de  Girardin,  brillants  astres  littéraires,  au  lieu 
d'élire  des  ducs,  souvent  fort  peu  versés  en  littérature. 

Mme  Sand  répondit  immédiatement  à  cette  brochure  par  une 
brochure,  trÚs  remarquable  par  ses  idées,  son  ton  général  et 
mĂȘme  son  titre  :  Pourquoi  les  femmes  Ă   V AcadĂ©mie? 

L'AcadĂ©mie,  —  y  disait  Mme  Sand,  —  est  une  institution  purement 
littĂ©raire,  appelĂ©e  Ă   ĂȘtre  l'arbitre  de  l'art  et  du  bon  goĂ»t.  Ceci  n'Ă©tait 
possible  que  lorsque  les  assises  de  la  loi,  de  la  politique,  de  la  philo- 
sophie et  de  la  morale  étaient  immuables.  A  présent  la  lutte  des  opi- 
nions et  le  doute  ont  envahi  mĂȘme  ce  sanctuaire.  DĂ©sormais  il  est 
impossible  aux  acadĂ©miciens  de  juger  une  Ɠuvre  du  point  de  vue  pure- 
ment littéraire.  Ils  jugent  selon  leurs  opinions  religieuses,  poli- 
tiques, etc.,  etc.  En  ce  moment-ci  leur  critérium  est  conservateur.  Mais 
les  temps  peuvent  changer.  De  nos  jours  la  profession  de  foi  acadé- 
mique rappelle  le  contrat  qu'un  certain  Ă©diteur  (1)  aurait  voulu  faire 

(1)  Il  est  facile  de  deviner  que  l'auteur  entendait  sous  cet  Ă©diteur  son 
ami  Buloz. 


43S  GEORGE   SAND 

signer  à  ses  collaborateur  :  «  Je  souscris  de  ne  toucher  dans  mon 
Ɠuvre  ni  à  la  politique,  ni  à  la  religion,  ni  à  la  famille,  ni  à  la  pro- 
priété. »  L'Académie  dit  :  «  Entez  les  nouvelles  opinions.  »  et  elle 
ajoute  :  «  L'absence  d'opinions  nouvelles,  c'est  là  l'opinion  des 
honnĂȘtes  gens.  »  On  voit  que  quelque  damasquinĂ©es  et  quelque  ornĂ©es 
de  fleurs  oratoires  que  soient  les  lames  à  l'Académie,  on  n'en  porte 
pas  moins  des  coups  fort  rudes,  car  les  gens  qui  ont  des  opinions 
nouvelles  sont  dĂ©clarĂ©s  «  malhonnĂȘtes  ». 

Pourquoi  donc  les  femmes  aspireraient-elles  Ă   faire  partie  de  ce 
corps  illustre?  LĂ ,  comme  partout  ailleurs,  on  lutte,  on  se  bat.  Or,  s'il 
y  a  lutte,  il  n'y  a  plus  d'unité.  Donc  à  l'Académie  les  choses  en  sont 
au  mĂȘme  point  que  dans  toutes  les  autres  institutions  possibles.  A 
présent  quarante  hommes  du  plus  grand  talent  ne  peuvent  ni  faire 
accroĂźtre,  ni  diminuer  la  valeur  d'un  quarante-uniĂšme  talent,  mĂȘme 
secondaire,  s'il  émet,  tant  bien  que  mal,  une  idée  nouvelle  ou  généreuse 
que  la  foule  écoute.  A  présent  chacun  est  son  roi  et  son  pape.  Ne 
voulant  nullement  amoindrir  la  valeur  de  l'Académie,  en  lui  accor- 
dant au  contraire  sans  contredit  le  droit  de  ne  pas  admettre  dans  son 
milieu  d'éléments  en  désaccord  avec  ses  opinions  ;  en  admettant  que 
si  ce  ne  sont  pas  là  quarante  génies,  il  se  trouve  toujours  parmi  eus 
quelques  esprits  de  premier  ordre  et  beaucoup  d'hommes  de  grand 
talent  et  de  grand  savoir,  il  faut  néanmoins  convenir  que  l'Académie 
n'a  plus  sa  raison  d'ĂȘtre.  Chaque  Ă©crivain  a  le  droit  de  discuter  avec 
elle  et  d'en  appeler  à  l'opinion  publique.  A  présent  encore  il  y  a  bon 
nombre  de  gens  qui,  n'Ă©tant  pas  parvenus  Ă   ĂȘtre  admis  Ă   l'AcadĂ©mie, 
s'écrient  :  «  Ces  raisins  sont  trop  verts.  »  Non,  conclut  George  Sand  : 
«  Ces  raisins  sont  déjà  trop  mûrs...  » 

Les  raisons  intéressantes  qui  poussÚrent  George  Sand  à 
répondre  à  l'auteur  anonyme  de  la  premiÚre  brochure  citée, 
sont  données  dans  sa  lettre  à  Sainte-Beuve,  du  16  juin  1863  : 

...J'ai  dit  Ă   Aucante  de  vous  envoyer  une  mince  brochure  que 
j'ai  été  mise  en  demeure  de  faire  en  réponse  à  une  autre  brochure  sur 
l'admission  de  la  femme  à  l'Académie.  J'espÚre  qu'on  ne  verra  là 
aucun  dépit  personnel.  Je  n'ai  pas  le  temps  d'avoir  de  mauvaises  pas- 
sions ;  mais  je  me  devais  de  ne  pas  me  laisser  attribuer  une  brochure 
signée  d'un  S,  et  de  n'avoir  pas  l'air  de  me  laisser  pousser  à  un  hon- 
neur par  trop  invraisemblable.  Déjà,  on  m'en  attribuait  la  pensée,  et 
j'étais  comme  l'homme  qui  reçoit  de  l'ours,  son  ami,  un  pavé  en  pleine 
figure.  Le  pavé  était  trÚs  paré  de  fleurs,  n'importe,  c'était  un  pavé. 

Je  devais  d'ailleurs  dire  ce  que  je  pense  de  toute  situation  de  ce 
genre  et  je  ne  pouvais  le  dire  qu'avec  mon  sentiment  révolutionnaire. 


GEORGE   SAND  439 

Ne  me  grondez  pas  ;  je  suis  sur  une  pente  oĂč  mon  Ăąme  entiĂšre  est 
emportée  et  si  vous  pouviez  lire  en  moi  comme  mes  instincts  sont 
tendres,  vous  ne  me  jugeriez  pas  folle. 

L'apparition  de  cette  brochure  en  la  mĂȘme  annĂ©e  que  Made- 
moiselle La  Quintinie  ne  put  certes  que  renforcer  la  réputation 
de  libre-penseur  et  de  révoltée  qui  était  alors  définitivement 
acquise  à  George  Sand.  M.  Marcel  Prévost  a,  d'ailleurs,  juste- 
ment remarqué  que  dans  sa  jeunesse  George  Sand  était  consi- 
dĂ©rĂ©e comme  un  Ă©crivain  de  V  extrĂȘme  gauche  (1).  Or,  si  cette 
réputation  effrayait  les  dévots  et  le  beau  monde  vertueux,  elle 
exhaussa  extrĂȘmement  le  prestige  de  l'Ă©crivain  aux  yeux  de  la 
jeunesse  et  de  tous  les  représentants  de  l'opposition. 

Sainte-Beuve  en  analysant  le  roman  d'Octave  Feuillet,  Sibylle, 
auquel  Mme  Sand  fait  allusion  dans  sa  lettre  à  Dumas,  citée  plus 
haut,  dit  dans  son  article  quelques  mots  aimables  Ă   l'adresse  de 
l'auteur  de  Mademoiselle  La  Quintinie,  roman  que  tout  le  monde 
considérait  alors  comme  «  une  réponse  donnée  par  George  Sand 
à  Feuillet  ».  George  Sand  écrivait  à  Sainte-Beuve  à  ce  propos 
le  8  juin  1863  : 

...J'ai  lu  un  article  excellent  de  vous  sur  Feuillet  qui  finit  par  un 
mot  trop  brillant  sur  moi.  Je  suis  un  bien  vieux  aigle  pour  emporter 
les  jeunes  talents  et  en  faire  une  bouchée  (2).  Je  regrette  beaucoup 
que  Buloz  n'ait  pas  publié  la  préface  de  mon  livre.  J'y  rendais  justice 

(1)  Marcel  Prévost  :  «  George  Sand,  »  conférence  prononcée  à  Nancy  le 
3  mars  1901,  sur  l'initiative  de  la  Ligue  de  l'Enseignement.  (La  Contem- 
poraine, mars  1901.) 

(2)  Sainte-Beuve  avait  Ă©crit  dans  son  article  qui  parut  lorsque  Made- 
moiselle La  Quintinie  Ă©tait  encore  en  cours  de  publication  Ă   la  Revue  des 
Deux  Mondes  :  «  L'auteur  de  Sibylle...  a  remué  dans  ce  roman  de  grosses  ques- 
tions, plus  grosses  peut-ĂȘtre  qu'il  n'avait  d'abord  pensĂ©  :  questions  thĂ©olo- 
giques, sociales,  questions  de  présent  et  d'avenir.  George  Sand,  on  le  sait, 
s'en  est  émue  ;  V aigle  puissante  s'est  irritée  comme  au  jour  du  premier  essor  : 
elle  a  fondu  sur  la  blanche  colombe,  Va  enlevée  jusqu'au  plus  haut  des  airs,  par- 
dessus les  monts  et  les  torrents  de  Savoie,  et  Ă   l  heure  qu'il  est,  elle  tient  sa  proie 
comme  suspendue  dans  sa  serre.  ThÚse  contre  thÚse,  théologie  contre  théo- 
logie, et  tout  cela  en  roman  ;  c'est  un  peu  rude.  La  rĂ©gion  du  moins  oĂč  le 
débat  s'agite,  s'est  singuliÚreinent  agrandie  et  élargie  ;  on  y  respire.  Leder- 
nier  mot  de  l'Ă©nigme,  la  solution  est  encore,  comme  dit  le  poĂšte,  dans  les 
genoux  de  Jupiter.  Nous  attendons  impatiemment  la  conclusion  de  Made- 
moiselle La  Quintinie,  nous  verrons  bien...  »  (Nouveaux  lundis,  t.  V,  p.  40.) 


440  GEORGE   SAND 

au  talent  et  à  la  bonne  foi  de  l'auteur  de  Sibylle  ;  cette  préface  paraßtra 
du  reste  (1). 

Mais  j'ai  déjà  oublié  Mademoiselle  La  Quintinie  et  j'ai  ce  nouveau 
projet  qui  m'enchante,  comme  tout  ce  qui  ne  s'est  pas  encore  heurté 
aux  difficultés  de  l'exécution.  Si  je  pouvais  en  causer  avec  vous,  cela 
me  ferait  un  bien  immense.  H  est  quelquefois  Ă©touffant  de  se  trouver 
en  face  de  sa  propre  responsabilité... 

Le  «  nouveau  projet  »  auquel  George  Sand  fait  allusion  dans 
les  lignes  précédentes,  était  le  projet  d'écrire  un  roman  dont  le 
héros  fût  «  un  fils  de  Jean-Jacques  »,  l'un  de  ses  enfants  aban- 
donnés, élevé  aux  Enfants  trouvés.  L'action  du  roman  devait 
se  passer  pendant  la  grande  RĂ©volution  et  ce  fils  de  Rousseau 
devait  ĂȘtre  spectateur-  et  acteur  des  Ă©vĂ©nements  dont  son  pĂšre 
était  l'auteur  moral.  Ce  fils  de  Jean-Jacques  aurait  hérité  des 
traits  moraux,  des  aspirations,  des  tendances  et  du  génie  de  son 
pÚre,  sans  son  talent  littéraire  ;  il  penserait  et  il  sentirait  comme 
aurait  senti  et  pensé  Rousseau,  s'il  était  témoin  des  événements 
arrivés  aprÚs  sa  mort.  Selon  l'idée  de  George  Sand  ce  «  fils  » 
aurait  été  profondément  malheureux  en  voyant  à  quelles  hor- 
reurs sanguinaires  auraient  abouti  les  grandes  idées  libératrices 
et  humanitaires  de  son  «  pÚre  »,  le  grand  Jean-Jacques,  dégé- 
nérées entre  les  mains  des  hommes  de  partis  à  vue  basse,  en 
doctrines  extrĂȘmes  (2). 

Si  Rousseau  «  avait  pu  voir  ce  que  l'on  a  regardé  comme  l'applica- 
tion du  Contrat  social  »,  eût-il  déchue  son  livre,  abjuré  sa  croyance? 
Non,  mais  il  se  fût  voilé  la  face  devant  l'échafaud  et  il  eût  dit  :  «  Voilà 
le  contraire  de  ce  que  j'ai  voulu.  »  Ce  qui  me  frappe  et  me  contriste 
quand  je  lis  les  beaux  livres  de  mes  amis  sur  la  RĂ©volution  (3),  c'est 

(1)  Cette  préface  parut  dans  la  premiÚre  édition  de  Mademoiselle  La 
Quintinie  en  volume  et  se  rĂ©imprime  depuis  lors  Ă   la  tĂȘte  du  roman. 

Deux  lettres  de  Mme  Sand  Ă   Octave  Feuillet  se  rapportant  Ă   une  autre 
Ɠuvre  cĂ©lĂšbre  de  l'auteur  de  Sibylle  :  le  Roman  d'un  jeune  homme  pauvre,  sont 
publiées  dans  le  livre  de  Mme  Octave  Feuillet,  Quelques  années  de  ma  vie. 
(Paris,  1894),  p.  213-216. 

(2)  Voir  les  lettres  de  Mme  Sand  du  8,  16  et  23  juin  1863  dans  le  volume 
des  Lettres  de  George  Sand  à  Musset  et  à  Sainte-Beuve,  que  nous  avons  déjà 
cité  plusieurs  fois  et  que  nous  citerons  encore. 

(3)  Nous  avons  dit  ailleurs  (dans  notre  vol.  III,  chap.  vu)  qu'en  1865 
George  Sand  publia  dans  V Avenir  nalioml  un  article  consacré  aux  derniers 


GEORGE   SAND  441 

cette  philosophie  de  parti-pris  qu'on  pourrait  appeler  la  philosophie 
du  destin.  Il  semble  que  la  Révolution  n'eût  pas  pu  se  faire  sans  ses 
fureurs  et  ses  violences.  Je  l'ai  cru  longtemps  et  puis,  dans  le  calme 
de  mon  cƓur,  comme  dans  le  dĂ©chirement  de  mon  cƓur,  aprĂšs  les 
journées  de  Juin,  je  me  suis  demandé  si  le  progrÚs  ne  s'était  pas  fait 
malgrĂ©  et  non  parce  que  et  si  on  ne  pouvait  pas  ĂȘtre  ultra-rĂ©volution- 
naire avec  le  courage  de  dire  aux  siens  :  «  Vous  avez  commis  des  crimes 
et  vous  ĂȘtes  dĂšs  lors  sortis  de  la  doctrine  du  vrai.  » 

H  faut  du  courage  pour  le  leur  dire,  et  il  faut  de  l'habileté  pour  le 
dire  sans  mettre  un  pied  dans  le  camp  opposé.  Du  courage,  j'en  ai  ; 
de  l'habileté  j'en  manque,  mais  Dieu  me  viendra  en  aide,  j'ai  cette 
superstition. 

Mettez-vous  un  peu  avec  le  bon  Dieu  et  dites-moi  que  j'en  viendrai 
Ă   bout  sauf  Ă   me  dire  aprĂšs  que  cela  ne  vaut  pas  le  diable  (1)... 

Sainte-Beuve  apprit  Ă   George  Sand  que  lui  aussi  s'Ă©tait  une 
fois  laissé  inspirer  de  l'idée  de  faire  «  un  fils  à  Jean-Jacques  » 
et  qu'en  1837  déjà  il  avait  publié  dans  son  recueil,  Pensées 
d'août,  une  histoire  en  vers,  «  Monsieur  Jean  »,  qui  n'est  autre 
qu'un  fils  de  Rousseau. 

George  Sand  répondit  au  grand  critique  que  cette  coïncidence 
de  leurs  thĂšmes  et  surtout  la  lecture  de  la  piĂšce  en  vers  ne  l'ar- 
rĂȘteraient nullement  dans  son  projet,  au  contraire  elles  la  for- 
tifiaient dans  sa  résolution,  lui  ouvrant  de  «  vastes  horizons  ». 

Cela  me  fait  réfléchir  beaucoup  et  entrer  avec  confiance  dans  mon 
sujet,  car  c'est  le  propre  des  belles  choses  de  stimuler  et  de  féconder. 

volumes  de  YHistoire  de  la  RĂ©volution  de  Louis  Blanc,  parus  juste  en  1863. 
Probablement  c'est  Ă   cet  ouvrage  que  George  Sand  fait  allusion  en  parlant 
des  «  beaux  livres  de  ses  amis  sur  la  Révolution  »  qu'elle  Usait  alors. 

(1)  Cette  lettre  de  Mme  Sand  à  Sainte-Beuve  est  imprimée  à  la  page  250 
du  volume  des  Lettres  de  George  Sand  Ă   Musset  et  Ă   Sainte-Beuve,  paru  en  1897 
chez  Lévy,  et  y  porte  le  numéro  64.  En  réalité,  c'est  le  numéro  67  de  la  col- 
lection complĂšte  des  lettres  de  George  Sand  Ă   Sainte-Beuve. 

En  général  l'ordre  des  numéros  et  les  dates  sont  absolument  inexacts 
dans  ce  volume.  Par  exemple,  la  lettre  numéro  64,  datée  du  5  avril  1862,  est 
imprimée  comme  le  numéro  69  et  datée  du  «  13  janvier  1864  »  ;  le  numéro  78 
est  en  réalité  le  numéro  63  ;  elle  n'est  pas  de  «  décembre  1866  »,  mais  du 
3  avril  1842  ;  le  numéro  77  est  le  numéro  62  et  non  plus  de  «  décembre  1866  », 
mais  de  mars  1862  ;  le  numéro  62  est  en  réalité  le  numéro  65  ;  le  numéro  63 
le  numéro  64  ;  le  numéro  75  le  numéro  80  ;  le  numéro  81  le  numéro  79  ;  le 
numéro  76  le  numéro  81  ;  elle  n'est  pas  du  «  15  janvier  1869  »,  mais  bien  du 
15  juin  1869,  etc.,  etc.  Bref,  à  partir  de  la  page  247,  tous  les  numéros  sont 
intervertis  et  doivent  ĂȘtre  corrigĂ©s. 


442  GEORGE    SAND 

Elle  voulait  mĂȘme  introduire  dans  son  roman  1* Ă©pisode  que  voici  : 
«  Monsieur  Jacques  rencontrerait  une  fois  dans  son  existence 
monsieur  Jean  »,  son  frÚre  inconnu,  un  autre  fils  de  Rousseau. 
Mais  ce  projet  ne  fut  pas  réalisé,  Mme  Sand  n'écrivit  point  ce 
roman. 

Revenons  Ă   l'Ă©poque  du  mariage  de  Mmuice  Dudevant  et 
au  récit  de  la  vie  de  George  Sand  depuis  1862.  Peu  de  temps 
aprÚs  leur  noce  les  jeunes  mariés  allÚrent  passer  quelque  temps 
chez  le  «  papa  Dudevant  »,  et  George  Sand  alla,  comme  à  l'ordi- 
naire, s'installer  pour  quelques  jours  Ă   Gargilesse  Ă   la  villa 
Hameau  (comme  elle  le  dit  dans  sa  lettre  du  21  juin  1862).  Elle 
y  fut  accompagnée  cette  fois,  outre  Manceau.  par  Dumas  fils. 
Lorsque  Maurice  et  sa  femme  revinrent,  Mnie  Sand  alla  Ă   Pari?. 
Au  commencement  de  1863,  au  contraire,  les  jeunes  Ă©poux  y 
passĂšrent  quelque  temps  et  Mme  Sand  resta  Ă   Xohant.  Elle 
quittait  ainsi  Ponant  de  temps  en  temps  et  y  laissait  Ă   dessein 
le  jeune  couple  tout  seul,  afin  de  les  habituer,  comme  elle 
disait,  «  Ă   se  passer  d'elle  et  Ă   savoir  gouverner  eux-mĂȘmes 
leur  existence  ».  Elle  continuait  donc  à  séjourner  de  temps 
Ă   autre  Ă   Gargilesse,  tantĂŽt  pendant  quelques  jours,  tantĂŽt 
plus.  C'est  ainsi  qu'elle  y  passa  quelques  semaines  du  prin- 
temps 1863  aprĂšs  le  retour  de  ses  enfants  Ă   Paris  et  y 
écrivit  la  délicieuse  bleuette  Ce  que  dit  le  ruisseau,  citée  au 
chapitre  précédent.  Ce  petit  conte,  imbu  d'un  profond  pan- 
théisme, est  tout  aussi  charmant  qu'une  autre  étude,  également 
inspirée  par  le  doux  murmure  de  la  Gargilesse  et  simple- 
ment intitulée  le  Ruisseau  que  nous  avons  aussi  mentionnée 
au  chapitre  xi 

L'auteur,  prenant  encore  une  fois  le  pseudonyme  de  ce  Théo- 
dore (1)  que  nous  connaissons  déjà  par  les  dialogues  Autour  de  la 
table,  rencontre  aux  bords  du  ruisseau  une  nymphe,  qui  lui  défend 


(1)  George  Sand  s'était  déjà  cachée  sous  ce  nom  d'emprunt  dans  la  des- 
cription de  son  arrivée  à  Venise  avec  Musset,  par  laquelle  commençait  ce 
Fragment  d'un  roman  qui  n'a  pas  été  fait,  écrit  en  1S42.  dont  nous  avons 
parlé  dans  nos  deux  premiers  volumes  et  qu'on  peut  lire  aux  p.  137-147 
du  livre  du  vicomte  de  SpƓlberch,  VĂ©ritable  histoire. 


GEORGE   SAND  443 

d'écouter  «  ce  que  dit  le  ruisseau  a.  Mais  Théodore  n'obéit  pas 
Ă   la  nymphe. 

...11  faut  vous  dire  qu'il  eût  été  difficile  de  rencontrer  un  plus  joli 
ruisselet.  Mince  comme  un  fuseau  et  clair  comme  un  diamant,  il  appa- 
raissait tout  Ă   coup,  sortant  des  buissons,  dans  une  superbe  touffe  de 
primevĂšres,  et,  se  laissant  tomber  tout  droit  de  roche  en  roche,  d  se 
cachait  sous  une  pierre  moussue,  doucement  inclinĂ©e,  d'oĂč  il  sortait 
en  bouillonnant,  et  s'en  allait  vite  frissonner  sur  un  ht  de  sable  fin 
qui  le  portait  sans  bruit  dans  la  belle  riviĂšre.  Car  c'est  peut-ĂȘtre  la  plus 
belle  riviĂšre  du  monde  que  la  Creuse  au  mois  d'avril  en  cet  endroit- 
lĂ .  Elle  dessine  de  grandes  courbes  immobiles  et  transparentes  dans 
de  hautes  coupures  taillées  en  amphithéùtre  et  tapissées  de  l'éternelle 
verdure  des  buis.  De  loin  en  loin  elle  rencontre  des  blocs  et  des  gradins 
de  rochers  noms  et  tranchants,  oĂč  elle  mugit  et  se  prĂ©cipite.  LĂ   oĂč 
j'Ă©tais  elle  ne  disait  mot  et  sa  grande  clameur  perdue  ne  m'empĂȘchait 
pas  d'entendre  le  babd  de  la  petite  source. 

De  beaux  chĂȘnes  occupĂ©s  Ă   dĂ©velopper  et  Ă   dĂ©plier  lentement  au 
soleil  leurs  jeunes  feuilles  encore  gommeuses  et  encore  plus  roses  que 
vertes  donnaient  déjà  un  clair  ombrage.  Les  gazons  étaient  littérale- 
ment semés  de  pùquerettes,  de  violettes  blanches  et  bleues,  de  seilles. 
de  saxifrages  et  de  jacinthes.  Dans  le  ht  du  ruisseau,  la  cardamine 
des  prés  attirait  les  charmants  papillons  aurore  qui  portaient  son  nom. 
Partout  sur  les  ùpres  rochers  granitiques  le  lierre  dessinait  de  mysté- 
rieuses arabesques,  et  les  grands  cerisiers  sauvages  tout  en  fleurs 
semaient  de  leur  neige  légÚre  les  petits  méandres  de  l'eau  cornante. 

Mais  au  fait,  que  disait-il  ce  ruisseau  jaseur,  si  gai,  si  pressé,  si  sémil- 
lant dans  son  lit  de  mousse  et  de  cresson  ? 

L'ami  de  Théodore,  Lotario  (c'est-à-dire  Manceau),  un  sage 
naturaliste,  se  moque  de  la  fantasie  de  Théodore  de  vouloir 
comprendre  et  traduire  en  langue  humaine  le  langage  de  la 
nature.  Une  dispute  surgit.  Lotario  prouve  que  l'homme  seul 
donne  un  sens  et  une  expression  Ă   tout  ;  la  nature  est  muette, 
toutes  les  choses  en  ce  monde  sont  silencieuses.  Puis  il  s'enfuit, 
courant  aprÚs  une  libellule,  et  Théodore  continue  à  écouter  le 
murmure  du  ruisseau.  Il  lui  semble  d'abord  que  l'eau  et  les 
pierres  chuchotent  :  Nous  sommes  muets,  muets!  iV entends-tu 
'pas  que  nous  sommes  muets!  ThĂ©odore,  vexĂ©,  est  prĂȘt  Ă   s'en  aller, 
mais  la  nymphe  du  ruisseau  l'a  enchaĂźnĂ©  Ă   la  place  oĂč  il  Ă©tait 
assis,  et  il  ne  peut  la  quitter  avant  d'avoir  deviné  la  voix  mys- 


444  GEORGE   SAND 

térieuse  de  la  nature.  Il  se  rend  trÚs  bien  compte  que  la  nymphe 
et  ses  paroles  ne  sont  qu'une  création  de  sa  fantaisie,  mais  qu'im- 
porte ! 

«  Tous  les  linguistes  et  tous  les  musiciens  de  l'univers  seraient 
ici  Ă   lui  jurer  que  le  langage  de  ce  ruisseau  ne  peut  ĂȘtre  ni  tra- 
duit ni  noté  »,  qu'il  ne  le  croirait  pas. 

Tout  parle  et  chante  sous  le  ciel  et  probablement  dans  le  ciel  ;  qui 
osera  décider  que,  dans  la  nature,  il  y  ait  une  voix  inutile,  un  chant 
qui  n'exprime  rien?  Non,  il  n'y  a  pas  mĂȘme  un  cri,  un  souffle,  un  rugis- 
sement, un  murmure,  une  explosion,  un  bruit  enfin  qui  ne  signale  ou 
ne  traduise  une  action,  un  mode  d'existence  ou  un  accident  logique- 
ment survenu  dans  le  cours  de  la  vie  universelle...  Oui,  tout  chante  et 
tout  parle  dans  l'univers  pour  proclamer  incessamment  l'Ă©ternelle 
vitalité  de  l'univers.  L'homme  seul,  en  ce  monde-ci,  sait  affirmer 
une  existence  par  beaucoup  de  vérités  et  beaucoup  de  mensonges. 
Tout  le  reste  des  ĂȘtres  et  des  choses  exprime  le  fait  de  l'existence  sans 
le  comprendre.  Tout  ce  que  la  terre  fait  dire  aux  innombrables  voix 
qui  Ă©manent  d'elle,  est  donc  pur  et  d'une  logique  indiscutable,  puisque 
c'est  la  logique  mĂȘme  de  son  ordonnance  qui  parle  en  elle.  Nous,  ses 
plus  hardis  enfants,  nous  cherchons  Ă   travers  mille  erreurs  une  affir- 
mation raisonnée  qui  réponde  sciemment  au  sens  profond  et  divin  des 
choses,  une  affirmation  qui  nous  lie  non  seulement  Ă   la  planĂšte  notre 
mĂšre  mais  Ă   l'univers  entier  notre  patrie,  malheureusement  nous 
sommes  encore  loin  de  comprendre  notre  destinée  sublime  tandis  que 
le  monde  des  ĂȘtres  secondaires  et  des  choses  appelĂ©es  Ă   les  constituer 
proclame,  en  dehors  des  combinaisons  de  l'intelligence,  une  vérité  qui 
nous  Ă©crase  par  sa  persistante  splendeur. 

Respectons-les  dans  leurs  profondes  manifestations,  ces  choses  et 
ces  ĂȘtres  qui  ne  comprennent  pas  Dieu  comme  nous  le  comprenons, 
mais  qui  le  sentent  peut-ĂȘtre  mieux  que  nous  ne  le  sentons.  C'est  le 
monde  sans  souillure  et  sans  dĂ©faillance  oĂč  la  mort  n'est  pas  encore 
connue,  puisqu'elle  n'excite  ni  crainte  ni  dĂ©sir,  c'est  le  monde  oĂč  la 
lassitude,  oĂč  le  suicide  ne  sont  jamais  entrĂ©s,  oĂč  l'erreur  et  l'imposture 
n'ont  point  de  place  et  ne  peuvent  rien  changer,  rien  déranger,  rien 
retarder  dans  les  lois  de  la  vie  elle-mĂȘme,  dans  son  dĂ©veloppement 
sans  lacune  et  dans  son  renouvellement  sans  entraves.  C'est  la  pro- 
gression du  grand  tout  qui  s'accomplit  Ă   son  propre  insu,  et  dont  la 
sainte  ignorance  est  la  base  de  toute  sécurité  dans  l'univers. 

Oui,  oui,  petit  ruisseau,  tu  chantes  et  tu  parles,  et  ce  que  tu  dis,  tu 
ne  peux  ni  ne  dois  t'en  rendre  compte  qu'Ă   toi-mĂȘme,  puisque  ton 
moi  est  un  avec  l'infini... 


GEORGE   SAND  445 

...Et  ce  que  tu  dis  dans  une  langue  qui  n'est  pas  une  langue  ne  sera 
jamais  compris  que  de  Dieu  ou  des  anges  ;  mais  l'intelligence  humaine 
peut  sans  audace  le  préjuger,  et  sans  folie  l'interpréter  dans  le  sens  du 
vrai  immuable. 

Et  quel  est-il,  ce  vrai  immuable?  C'est  que  rien  n'est  mort,  c'est  que 
tout  renferme  la  vie  formulée  ou  expectante,  c'est  que  tout  l'exprime, 
la  rumeur  comme  le  silence,  l'activité  comme  le  sommeil,  le  chant 
comme  la  parole,  et  le  simple  bruissement  de  l'onde  comme  la  parole 
du  sage  et  comme  le  chant  du  rossignol. 

Oui,  l'immuable  vrai,  c'est  l'incoercible  mouvement,  c'est  l'Ă©ter- 
nelle mutation  progressive  des  ĂȘtres  et  des  germes  qui  les  contiennent, 
germes  répandus  partout  et  que  nous  appelons  des  choses,  faute  d'un 
nom  qui  caractérise  leurs  fonctions  multiples  et  indiscernables.  Et  ce 
ruisseau  n'est  pas  seulement  une  veine  dans  le  grand  systĂšme  physio- 
logique de  la  terre,  il  est  aussi  une  veine  dans  le  systĂšme  de  toute  l'ani- 
malité terrestre.  Qui  sait  par  quelle  série  de  transformations  il  a  passé 
depuis  le  jour  oĂč,  Ă©manation  gazeuse  du  monde  primitif,  il  est  montĂ© 
et  descendu,  remonté  et  redescendu,  par  d'innombrables  voyages  de 
la  terre  au  ciel  et  du  ciel  Ă   la  terre,  pour  occuper  enfin  cette  petite  place 
oĂč  je  le  vois?  Ruisseau  qui  fus  nuage,  qui  nous  dira  tout  ce  que  tu  as 
fécondé  dans  ta  vie  errante?  Tes  flancs  ont  sans  doute  plus  d'une  fois 
recelé  le  fluide  électrique,  et  la  foudre  déchiré  tes  masses  livides  un 
instant  aprÚs  répandues  en  franges  roses  sous  le  riant  regard  du  soleil. 
Tu  as  vu  passer  dans  le  voile  bienfaisant  de  tes  Ă©panchements  humides 
les  phalanges  altérées  des  oiseaux  voyageurs  ;  tu  étais  alors  l'écho  des 
hautes  régions  de  l'atmosphÚre,  et  tu  nous  renvoyais,  stridente  ou 
plaintive,  la  voix  de  ces  poĂ©tiques  Ă©migrants  agents  eux-mĂȘmes  d'une 
fécondation  sans  limites.  Pluie  secourable,  combien  de  moissons  n'as-tu 
pas  sauvées,  combien  de  fleurs  charmantes  et  suaves  n'as-tu  pas  fait 
revivre,  combien  d'existences  humbles  ou  superbes  n'as-tu  pas  con- 
servées ou  renouvelées  !  Dans  combien  de  poitrines  n'as-tu  pas  fait 
rentrer  la  vigueur,  dans  combien  de  nerfs  l'élasticité,  dans  combien 
de  tissus  la  circulation,  dans  combien  de  cerveaux  la  lucidité,  dans 
combien  de  cƓurs  l'espĂ©rance  !  0  nuage  bĂ©ni  !  si  petit  que  tu  fus,  tu 
as  fait  de  grandes  choses,  et  la  parole  te  serait  refusée  pour  le  dire? 

Théodore  refuse  de  le  croire. 

...Quoi,  n'es-tu  plus  qu'un  mince  filet  d'eau  enchaßné  à  cette  roche, 

contenu  dans  l'urne  de  cette  naïade  et  condamné  à  faire  pousser  un 

tapis  de  jacinthes  ou  à  développer  la  hampe  des  hautes  primevÚres?... 

—  Non  pas  !  non  pas  !  rĂ©pondit  le  ruisseau...  Je  suis  ici  et  je  suis 

ailleurs  !  Je  féconde  ce  qui  vit  sous  tes  pieds,  et  je  suis  fécondé  moi- 


446  GEORGE   SAND 

mĂȘme  Ă   toute  heure  en  remontant  dans  le  libre  domaine  de  l'air.  Mon 
évaporation  est  comme  une  sueur  de  vie  qui  se  répand  sur  tout  ce 
quelle  touche  et  qui  se  reforme  en  nuage  pour  courir  encore  sur  la 
cime  des  grands  chĂȘnes.  Je  ne  puis  dire  oĂč  je  vais  et  oĂč  je  ne  vais  pas, 
soit  que  je  retourne  au  ciel,  soit  que  perdu  dans  les  embrassements  de 
la  belle  riviĂšre,  j'aille  me  dilater  dans  les  bassins  des  grandes  mers  ; 
mais  Dieu  les  connaĂźt,  mes  beaux  voyages,  et  toute  la  nature  en  pro- 
fite ;  et  moi,  je  m'en  réjouis  sans  cesse,  et  toujours  je  ris,  je  cours,  je 
chante,  je  raconte,  je  confie,  je  révÚle,  je  bois  et  donne  à  boire,  je  sÚme 
et  je  rĂ©colte,  je  prends  et  je  donne  ;  tout  me  nourrit,  mĂȘme  ton  haleine, 
et  je  nourris  tout,  mĂȘme  ta  pensĂ©e.  Petit  courant,  je  suis  une  des 
manifestations  particuliĂšres  du  grand  fluide  vital  :  petite  vapeur  je 
suis  aussi  vivant  et  aussi  nécessaire  que  le  grand  fleuve  et  le  grand 
ocĂ©an,  et  que  le  grand  troupeau  des  nuĂ©es  qui  accompagne  et  revĂȘt 
la  terre  dans  son  voyage  Ă   travers  l'infini. 

Et  le  ruisseau  dont  j'avais  traduit  le  langage,  me  fit  connaĂźtre  que 
je  ne  l'avais  pas  fait  mentir,  car  j'entendis  qu'il  disait  distinctement, 
comme  un  résumé  de  mes  hypothÚses  :  Toujours,  toujours  partout, 
dans  tout,  pour  tout,  toujours!  Et  il  recommençait  sans  se  lasser,  car 
c'est  tout  ce  qu'il  pouvait  dire  et  il  ne  pouvait  rien  dire  de  plus  beau... 

On  entend  encore  le  murmure  et  le  clapotis  d'une  eau  qui 
court  «  sans  se  lasser  jamais  »  dans  la  Nouvelle  lettre  à" un  voya- 
geur, dédiée  à  Manceau  et  écrite  également  «  au  mois  d'avril  et 
à  Gargilesse  »  mais  un  an  plus  tard,  en  1864  Seulement  cette 
fois-ci  George  Sand  parle  de  la  Creuse,  dans  laquelle  se  jette  la 
Gargilesse. 

La  Creuse,  notre  grand  torrent,  ne  se  calme  pas  du  tout.  H  gronde 
aujourd'hui,  comme  il  y  a  vingt  ans  et  nous  ne  souhaitons  pas  du  tout 
qu'il  s'apaise.  T^ous  ne  saurions  courir  aussi  rite  que  lui  ;‱  mais  nous 
aimons  passionnément  à  le  regarder  passer. 

Et  à  ce  torrent  fougueux  «  que  ne  saurait  suivre  l'humble  voya- 
geur »  qui,  par  une  belle  journée  d'avril,  dans  un  pays  doux  et 
caché,  se  laisse  paisiblement  aller  à  la  joie  de  vivre,  en  admirant 
et  le  réveil  de  la  nature  et  le  gai  chant  d'un  geai,  et  un  beau 
livre,  et  les  instincts  raisonnables  de  ses  deux  petits  chevaux, 
c'est  Ă   ce  torrent  bouillonnant,  disons-nous,  que  George  Sand 
compare  Victor  Hugo,  dont  le  livre  Sur  Shakespeare,  lu  en  route 
pour  Gargilesse,  l'a  ravie.  Oui,  ce  grand  poÚte  est  aussi  un  élé- 


o 


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f\JĂč  V&\QU%   CLdO    ĂčJ^lA    V/W*uC    kJtXX^-      — 


^.^^  ^1Y^?U;  V-j^Ustdi 


GEORGE   SAND  447 

ment  de  la  nature,  toujours  jeune,  il  ne  s'apaise  jamais,  il  se 
précipite  toujours  en  avant,  il  entraßne  par  son  enthousiasme, 
par  le  feu  inextinguible  qui  brûle  dans  sa  poitrine.  Cette  fois-ci, 
il  a  pris  pour  sujet  Shakespeare  et  il  emporte  le  lecteur  par  l'ad- 
miration naïve  et  sans  bornes  qu'il  professe  pour  le  génie. 

Le  gĂ©nie  est  une  entitĂ©  comme  la  nature,  et  veut,  comme  elle,  ĂȘtre 
accepté  purement  et  simplement...  et  quant  à  moi,  j'admire  tout, 
comme  mie  brute,  dit-il. 

Cette  ravissante  Lettre  d'un  voyageur  dont  le  sous-titre  est 
Impressions  de  lecture  et  de  printemps,  commence  par  quelques 
mots  adressés  à  Manceau  : 

Tu  veux  savoir  l'emploi  de  mes  quatre  journées  de  voyage.  Ce  n'est 
pas  long,  le  récit  d*un  voyageur  qui  ne  voyage  plus,  et  le  mien  pour- 
rait se  résumer  en  quatre  mots  :  j'ai  fait  douze  lieues  en  lisant,  j'ai 
écouté  chanter  un  oiseau,  j'ai  vu  couler  la  Creuse,  j'ai  dormi  à  Gar- 
gilesse,  j'ai  herborisĂ©  un  peu,  je  suis  revenu  par  le  mĂȘme  chemin, 
lisant  le  mĂȘme  livre.  J'ai  fait  halte  sous  le  mĂȘme  arbre  oĂč  chantait  le 
mĂȘme  oiseau... 

...Je  suis  donc  parti  ce  matin,  mercredi,  par  un  temps  magnifique, 
dans  la  petite  voiture  ouverte  que  traĂźnent  les  deux  petits  chevaux 
blancs  conduits  par  le  pacifique  Sylvain,  et  j'ai  ouvert  le  livre... 

Et  alors  commence  une  analyse,  merveilleuse  de  finesse,  de 
toutes  ses  observations  de  la  nature,  des  choses,  gens  et  bĂȘtes 
rencontrés  en  voyage,  ainsi  que  de  toutes  ses  observations  faites 
sur  elle-mĂȘme,  sur  le  dĂ©doublement  de  sa  raison  qui,  simultanĂ©- 
ment, est  entraßnée  par  la  lecture  d'un  livre  extraordinaire  du 
grand  poĂšte,  et  examine  minutieusement  le  monde  ambiant. 

A  la  fin  de  cette  Lettre,  George  Sand  signale  que,  revenue  Ă   la 
maison,  elle  apprend  avec  Ă©bahissement  que  le  banquet  en  l'hon- 
neur de  l' anniversaire  du  troisiĂšme  centenaire  de  Shakespeare 
est  interdit  par  la  police  de  Paris. 

J'apprends,  en  arrivant,  qu'on  a  empĂȘchĂ©  les  gens  de  lettres,  les 
théùtres  et  les  artistes  de  Paris  de  célébrer  l'anniversaire  de  Shakes- 
peare. Qui  a  fait  cela?  Pour  plaire  Ă   qui?  Par  crainte  de  quoi?  Qui  en 
a  eu  l'idée?  Qui  l'a  permis?...  Est-ce  parce  que  Shakespeare  est  pro- 
testant? Ce  doit  ĂȘtre  cela.  L'annĂ©e  prochaine,  il  sera  dĂ©fendu  de  fĂȘter 


44S  GEORGE   SAND 

l' anniversaire  de  MoliĂšre  :  un  comĂ©dien  doit  ĂȘtre  excommuniĂ©;  mais 
Napoléon  aussi  fut  un  grand  homme.  H  a  bien  parfois  contrarié  les 
ultramontains  :  on  avisera  Ă   supprimer  sa  fĂȘte. 

—  Mais  non.  me  dit-on,  c'est  autre  chose.  Vous  ne  devinez  pas? 

Non,  je  ne  devine  pas  le  rapport  qui  peut  exister  entre  Shakespeare 
et  la  police  de  sûreté.  Moi  qui  défendais  le  dix-neuviÚme  siÚcle!  Mon 
Dieu,  mon  Dieu,  qu'elles  sont  longues,  les  racines  du  moyen  Ăąge  ! 
Mais  que  t'importe  le  banquet,  ĂŽ  divin  Shakespeare?  Tu  as  le  livre  de 
Victor  Hugo... 

Et  Mme  Sand  termine  sa  Lettre  par  ce  passage  tout  pareil  Ă  
celui  du  commencement  : 

Moi  je  reviens,  non  d'un  banquet  fameux,  mais  d'un  fameux  ban- 
quet, la  nature  en  fĂȘte,  le  mois  d'avril  dans  une  oasis,  et  j'en  rapporte 
un  grand  bien-ĂȘtre,  beaucoup  de  parfums  dans  la  tĂȘte  et  d'harmonies 
dans  les  oreilles.  H  n'y  a  pas  jusqu'aux  grelots  rythmiques  de  ces 
petits  chevaux  blancs  qui  ne  m'aient  bercé  d'une  riante  chanson.  Au 
fond  de  tout  cela,  sans  doute,  il  y  avait  l'impression  produite  par  le 
livre  ;  je  ne  sais  quoi  de  fort  Ă©mane  pour  moi  de  ces  grandes  audaces 
de  personnalité... 

Cette  Lettre  est  datée  du  25  avril  1864.  Or  le  24  avril  parut, 
dans  le  Temps,  une  lettre  de  Mme  Sand  A  propos  du  banquet 
shakespearien  qui  devait  ĂȘtre  lue  au  banquet,  et  George  Sand 
s'y  adressait  à  ses  «  frÚres  en  Shakespeare  »  qui  avaient  eu  l'ex- 
cellente idĂ©e  de  se  rĂ©unir  pour  fĂȘter  «  un  grand  mort  »,  elle  les 
priait  de 

porter  en  son  nom  la  santé  du  divin  Shakespeare,  celui  de  nous  tous 
qui  se  porte  le  mieux,  car  il  a  triomphĂ©  de  Voltaire  quand  mĂȘme  et  il 
est  sorti  sain  et  sauf  de  ses  puissantes  mains... 

Une  autre  fois  —  continuait  George  Sand  —  nous  fĂȘterons  Voltaire 
quand  mĂȘme,  vu  qu'il  a  triomphĂ©  de  bien  d'autres.  Notre  gloire  Ă   nous 
sera  d'avoir  replacĂ©  nos  maĂźtres  dans  le  mĂȘme  panthĂ©on  et  d'avoir 
compris  que  tout  gĂ©nie  vient  du  mĂȘme  Dieu,  le  Dieu  Ă   qui  tout  beau 
chemin  conduit  et  dont  la  vérité  est  le  temple... 

C'est  ainsi  qu'en  1864  George  Sand  parla  par  deux  fois  de 
Shakespeare,  ce  qui  n'est  point  Ă©tonnant  si  l'on  considĂšre  qu'elle 
avait  toujours  admiré  le  grand  poÚte  britannique.  Rappelons 
qu'en  1837,  presque  au  début  de  sa  carriÚre,  elle  écrivit  une 


GEORGE    SAND  449 

petite  étude  sur  Antoine  et  Cléopùtre  qui  parut  dans  le  recueil 
d'Ă©trennes  les  Femmes  de  Shakespeare  (1),  qu'en  1845  elle  con- 
sacra quelques  pages  Ă©loquentes  Ă   Hamlet  (2)  et  qu'en  1855  elle 
adapta  pour  la  scÚne  française  le  Comme  il  vous  plaira,  dont  le 
héros,  Jacques  le  Mélancolique,  avait,  dÚs  sa  jeunesse,  été  son 
héros  favori  (3). 

Les  lignes  enthousiastes  de  Mme  Sand  sur  le  livre  de  Victor 
Hugo  William  Shakespeare,  venant  à  la  suite  d'un  article  publié 
dans  la  Presse  six  mois  plus  tÎt,  en  août  1863,  et  consacré  au 
livre  de  Mme  Hugo,  Victor  Hugo  par  un  témoin  de  sa  vie,  flat- 
tĂšrent extrĂȘmement  le  grand  exilĂ©.  11  rĂ©pondit  Ă   George  Sand, 
en  liant  à  tout  jamais  par  un  vers  célÚbre  le  nom  de  l'illustre 
femme  Ă   celui  du  ruisseau  sur  les  bords  duquel  elle  avait  lu  le 
livre  sur  Shakespeare.  Notamment  son  morceau  Amour  de  Veau 
(oĂč  il  disait  que  chaque  cours  d'eau  attirait  sur  ses  bords  ceux 
qui  chantent,  oiseaux  et  poĂštes  qui,  comme  l'eau,  courent  devant 
eux  sans  chemin  et  sans  besogne,  mais  vont  toujours  vers  un 
but),  il  le  termine  par  ces  mots  : 

George  Sand  a  la  Gargilesse 
Comme  Horace  avait  l'Anio. 

Ces  deux  vers  attirÚrent  pour  leur  part  une  réponse  de  George 
Sand  Ă   Hugo.  Elle  publia  en  1865  dans  V Avenir  national  un 
petit  article  sur  les  Chansons  des  rues  et  des  bois  (4).  DĂšs  les 
premiĂšres  lignes  elle  y  rejetait  avec  une  douleur  et  une  amertume 
profonde  l'honneur  «  d'avoir  la  Gargilesse  »,  car,  disait-elle  : 

George  Sand  n'a  rien,  pas  mĂȘme  l'eau  courante  et  rieuse  de  la  Gargi- 
lesse, c'est-Ă -dire  le  don  de  la  chanter  dignement,  car  ces  choses  qui 
appartiennent  Ă   Dieu,  les  flots  limpides,  les  forĂȘts  sombres,  les  fleurs, 
les  étoiles,  tout  le  beau  domaine  de  la  poésie,  sont  concédées  par  la 
loi  divine  Ă   qui  sait  les  voir  et  les  aimer.  C'est  comme  cela  que  le  poĂšte 
est  riche.  Mais  moi,  je  suis  devenue  pauvre... 

(1)  Cet  article  est  réimprimé  dans  le  volume  des  Sept  cordes  de  la  lyre. 

(2)  Réimprimé  dans  les  Questions  d'art  et  de  littérature. 

(3)  Voir  notre  vol.  I,  chap.  m,  et  vol.  IV,  chap.  vin  et  x. 

(4)  Voir  ƒuvres  complùtes  de  George  Sand,  vol.  des  Nouvelles  lettres 
d'un  voyageur. 

iv.  29 


450  GEORGE  SAND 

Et  George  Sand  raconte  les  malheurs  et  les  chagrins  qui  plon- 
gÚrent le  pauvre  «  voyageur  »  dans  une  morne  apathie,  firent 
taire  son  humble  voix  qui  avait  jadis  chanté  et  la  Gargilesse  et 
mĂȘme  l'Anio. 

A  la  fin  de  cette  Nouvelle  lettre  d'un  voyageur,  George  Sand 
parle  de  l'influence  bienfaisante  qu'un  poÚte  de  génie  peut 
exercer  sur  ses  lecteurs,  mĂȘme  lorsqu'ils  sont  plongĂ©s  dans  la 
douleur,  par  son  don  divin,  par  le  charme  et  l'harmonie  de  ses 
vers  puissants.  Puis  elle  trace  en  quelques  lignes  symboliques, 
comment  un  soir  qu'elle  rĂȘvait  au  coucher  du  soleil  dans  le 
jardin  du  Luxembourg,  un  lugubre  tour  erre,  les  sons  d'un 
«  tam-tam  sinistre  »,  s'élevant  soudain  des  tours  de  Saint- 
Sulpice,  chassÚrent  sa  douce  méditation.  Les  enfants  jouaient 
et  les  jeunes  gens  se  promenaient  sagement,  car  de  nos  jours 
les  Ă©tudiants  sont  devenus  graves  et  ne  ressemblent  pas  plus 
Ă   l'ardente  et  bruyante  jeunesse  d'autrefois,  que  les  larges 
rues  silencieuses  du  Quartier  Latin  moderne  aux  petites  rues 
tortueuses,  mais  remplies  de  rires  sonores  et  de  gaies  chansons 
de  jadis.  C'est  de  nos  jours  —  ajoute  l'ex-voyageur  d'autre- 
fois, —  de  nos  jours  oĂč  l'on  n'entend  que  la  voix  rauque 
de  l'airain,  «  cloches  et  canons  »,  apportant  la  tristesse  et 
l' effroi  dans  les  cƓurs,  c'est  maintenant  qu'il  nous  faut  surtout 
entendre  la  voix  du  poĂšte  :  cette  voix  cĂ©lĂ©brant  quand  mĂȘme 
et  toujours  la  beauté,  la  nature  ;  gaie  ou  mùle,  elle  nous  rend  la 
vaillance,  le  courage,  nous  appelle  au  combat,  nous  inspire  l'en- 
thousiasme, la  foi  dans  la  victoire  finale  du  beau  et  du  vrai. 

Xous  reviendrons  encore  Ă   certains  passages  de  cette  Lettre 
d'un  voyageur  de  1865,  trĂšs  importants  pour  le  biographe,  mais 
Ă©crits  sous  de  tout  autres  impressions  que  les  gaies  impressiom 
de  lecture  et  de  printemps,  ressenties  aux  bords  de  la  Creuse  et 
de  la  Gargilesse  en  avril  1864.  Durant  cette  année  beaucoup 
d'eau  a  passé,  non  seulement  dans  ces  deux  petites  riviÚres, 
mais  aussi  dans  la  vie  de  l'auteur.  I^ous  allons  conter  les  événe- 
ments qui  causÚrent  ce  changement  d'humeur  du  «  voyageur  ». 

Isotons  en  passant  que  le  dernier  Ă©crit  de  George  Sand  con- 
sacré à  Victor  Hugo,  son  poÚte  préféré  en  tout  temps  (nous 


GEORGE   SAND  45I 

savons  qu'Aurore  Dudevant  se  disait  hugolĂątre  avant  d'ĂȘtre 
George  S  and)  (1),  fut  sa  Lettre  Ă   Victor  Hugo  sur  la  reprise  de 
LucrĂšce  Borgia  en  1870.  L'auteur  y  raconte  comment  trente- 
sept  ans  plus  tÎt  il  avait  assisté  à  la  premiÚre  de  LucrÚce,  assis 
à  cÎté  de  Bocage,  qu'il  ne  connaissait  pas.  «  A  la  fin  du  drame, 
quand  le  rideau  se  baissa  sur  le  cri  tragique  :  «  Je  suis  ta  mÚre  !  » 
nos  mains  furent  vite  l'une  dans  l'autre.  Elles  y  sont  restées 
jusqu'à  la  mort  de  ce  grand  artiste,  de  ce  cher  ami...  »  Puis 
Mme  Sand  conte  ses  impressions  sur  le  jeu  des  artistes  et  surtout 
l'impression  produite  par  l'illustre  Marie  Laurent,  cette  incom- 
parable «  mÚre  tragique  ». 

George  Sand  parla  encore  de  V Année  terrible  de  Hugo  dans  le 
numéro  xiv  de  ses  Impressions  et  souvenirs  (mais  elle  ne  lui  con- 
sacra pas  ce  chapitre  entier,  y  parlant  aussi  des  poésies  de  Bouilhet 
—  l'ami  de  Flaubert  —  et  des  traductions  d'Eschyle,  faites  par 
Leconte  de  Lisle).  Enfin  elle  parla  du  volume  des  Contempla- 
tions dans  ses  articles  Ă ' Autour  de  la  table. 

Revenons  maintenant  Ă   1864-1865. 

Les  événements  arrivés  en  ces  deux  années  sont  si  impor- 
tants qu'il  faut  s'y  arrĂȘter  plus  longuement  :  d'autant  plus  que 
les  lettres  qui  s'y  rapportent  sont  presque  toutes  tronquées  dans 
la  Correspondance  et  quant  Ă   celles  de  1865  elles  y  figurent  Ă  
peine. 

Au  commencement  de  janvier  1864,  Mme  Sand  laissant  Ă  
Nohant  Maurice  avec  sa  femme  et  son  enfant,  alla  habiter  avec 
Manceau  pendant  quelque  temps  «  la  cambuse  »  de  Maurice  à 
Paris,  afin  d'assister  Ă   la  premiĂšre  d'une  petite  piĂšce  de  Manceau  : 
Une  journée  à  Dresde,  puis  aux  répétitions  du  Marquis  de 
Villemer,  et  enfin  pour  s'entendre  avec  quelque  directeur 
de  théùtre  sur  les  piÚces  à  tirer,  en  collaboration  avec  Maurice, 
de  quelques-uns  de  ses  romans,  entre  autres  de  V Homme  de 
neige. 

Une  série  de  lettres  à  Maurice  et  à  d'autres  est  donc  remplie 
de  détails  de  ces  répétitions,  de  changements  survenus  dans  la 

(1)  Voir  notre  vol.  I,  chap.  vi. 


4S2  GEORGE   SAND 

distribution  des  rÎles,  de  récits  sur  les  acteurs  et  les  actrices.  Ces 
lettres  nous  renseignent  aussi  : 

1°  Sur  le  zÚle  déployé  par  Mme  Sand  pour  trouver  un  pasteur 
protestant  dont  la  doctrine  garantisse  la  plus  grande  liberté  de 
conscience  possible  Ă   Maurice  et  Ă   sa  famille,  au  petit  Marc  en 
particulier  ; 

2°  Sur  les  recherches  d'un  pied-à-terre  dans  les  environs  de 
Paris  qui  aboutirent  Ă   l'achat  d'une  maisonnette  Ă   Palaiseau 
et  Ă   l'installation  de  Mme  Sand  dans  ce  petit  village. 

Enfin,  3°  sur  son  changement  d'appartement  :  quittant  le 
numéro  3  de  la  rue  Racine,  Mme  Sand  prit  un  petit  logement 
au  numéro  97  de  la  rue  des  Feuillantines. 

A  monsieur  Edouard  Cadol. 

Nohant  (?)  3  janvier  1864. 

.     .     . ‱ ‱ 

Je  vous  remercie  de  ce  que  vous  me  dites  de  mes  affaires  mais  je 
crois  que  tout  est  arrangé  et  Berton  jouera  ma  piÚce.  S'il  y  avait  un 
empĂȘchement  imprĂ©vu  pour  cette  annĂ©e,  je  remettrais  Ă   l'annĂ©e  pro- 
chaine, car  c'est  une  chose  convenue  entre  lui  et  moi  que  lui  seul 
jouera  ce  rÎle  (1).  M.  Brindeau  m'a  déjà  fait  parler,  mais  trop  tard,  et 
sa  bonne  volonté  pourra  me  rendre  service  une  autre  fois  (2). 

Vous  avez  été  gentil  dans  votre  réponse  à  Manceau,  et  je  m'y  atten- 
dais bien.  Mais  vous  n'ĂȘtes  pas  gentil  de  n'avoir  pas  cru  ce  que  je  vous 
disais  cent  fois  Ă   Xohant,  que  vous  ne  deviez  pas  travailler  la  nuit... 

...Bonne  année,  prompte  guérison  et  bon  courage. 

G.  Sand. 

A  Maurice. 

Paris,  9  janvier  1864. 

Mes  enfants  chéris,  je  vais  trÚs  bien.  Le  changement  d'air  ou  le 
mouvement  m'ont  remise  sur  pied.  Nous  avons  fait  un  excellent 
voyage... 

(1)  Celui  du  duc  d'Aléria, 

(2)  Lorsque  ce  chapitre  fut  dĂ©jĂ   prĂȘt  pour  l'impression,  parurent  dans 
le  Temps  les  «  Souvenirs  »  de  M.  Duquesnel,  ancien  directeur  de  l'Odéon, 
trÚs  intéressants,  mais  trÚs  peu  exacts.  Nous  renvoyons  le  lecteur  à  Y  Appen- 
dice, au  chapitre  xn,  oĂč  il  trouvera  toutes  les  rectifications  nĂ©cessaires  du  rĂ©cit 
de  Duquesnel  sur  la  premiĂšre  de  Vill&mr.  Quant  Ă   Brindeau,  il  joua  effec- 
tivement dans  Villemer,  lorsque  la  piĂšce  fut  reprise  en  l'automne  de  1864. 


GEORGE   SAND  453 

J'ai  vu  Berton,  j'ai  vu  Larounat  (1),  j'ai  vu  mes  acteurs,  j'ai  vu 
l'Odéon  et  voilà  tout  jusqu'à  présent.  On  joue  Manceau  mercredi,  on 
lit  Villemer  aux  acteurs  mardi/Jeudi  je  verrai  probablement  MĂ©lingue 
ou  vendredi.  J'ai  vu  Buloz  qui  est  gentil  pour  moi  autant  qu'un  Buloz 
peut  l'ĂȘtre...  Manceau  vous  envoie  ainsi  qu'Ă   (Marc)  toutes  ses  plus 
belles  amitiés.  Sa  piÚce  est  déclarée  parfaite  à  l'Odéon  par  les  acteurs 
et  tous  les  gens  de  la  maison.  Saint -LĂ©on  y  est  excellent.  Ils  ont  beau- 
coup d'acteurs  à  présent,  quelques-uns  trÚs  drÎles.  J'ai  une  Diane  de 
Saintrailles  charmante  (2).  C'est  toujours  ça... 


A  Maurice. 

Paris,  12  janvier  1864. 

...Souffrez-vous  du  froid?  Ici  je  n'en  souffre  pas  du  tout.  Ma  man- 
sarde Ă   deux  cheminĂ©es  est  trĂšs  chaude,  et  mĂȘme  je  n'y  allume  qu'un 
feu  Ă   la  fois.  Je  sors  trĂšs  peu  le  jour,  on  agit  auprĂšs  de  M.  de  Beau- 
fort  (3),  et  Doucet  (4)  s'en  occupe  avec  zĂšle.  On  me  dit  que  demain 
ce  sera  arrangé,  j'attends  à  domicile  le  résultat  des  négociations.  Man- 
ceau rage  à  ses  répétitions. 

L'Odéon  est  toujours  la  boutique  au  laisser-aller  et  Larounat  est  un 
flĂąneur,  un  enfant. 

C'est  Ă©gal  Marceline  se  joue  aprĂšs-demain  et  ira  bien,  j'espĂšre.  J'ai 
vu  Sainte-Beuve,  Fromentin  (5),  les  Borie,  Cadol,  Gustave  Doré, 
qui  est  trĂšs  gentil  etc.,  etc. 

J'ai  été  deux  fois  à  l'Odéon.  Diane  aux  bois  c'est  trÚs  joli,  et  le  satyre 
joue  d'une  façon  trÚs  originale.  Les  Relais  c'est  spirituel  et  voilà  tout. 

J'ai  été  ce  soir  au  Français.  Penarvan  (6),  c'est  trÚs  mauvais, 
Mme  Plessy  y  est  trÚs  belle.  Nous  avons  été  la  voir  dans  sa  loge. 

Je  pense  que  jeudi  ou  vendredi  nous  n'aurons  plus  d'embargo  pour 
Villemer  et  alors  je  m'occupe  de  MĂ©lingue  (7)  que  je  veux  tenir  en  tĂȘte 


(1)  Directeur  de  l'Odéon. 

(2)  Voir  p.  463.  C'est  Mme  Leprévost  qui  créa  le  rÎle  de  Diane. 

(3)  Directeur  du  Vaudeville. 

(4)  Ministre  des  Beaux-Arts. 

(5)  EugÚne  Fromentin,  célÚbre  peintre  et  écrivain.  Mme  Sand  consacra 
dans  la  Presse  de  1857  et  1859  des  articles  trĂšs  enthousiastes  Ă   ses  livres  : 
Un  été  dans  le  Sahara  et  Une  année  dans  le  Salvel.  Elle  lui  dédia  aussi  son 
roman  de  Monsieur  Sylvestre  en  l'appelant  dans  la  dédicace  «  son  ami  »  : 
A  mon  ami  EugĂšne  Fromentin. 

(6)  PiĂšce  de  Jules  Sandeau. 

(7)  Mme  Sand  voulait  le  consulter  sur  la  possibilité  ou  l'impossibilité 
selon  lui,  de  tirer  une  piĂšce  de  V Homme  de  neige. 


454  GEORGE   SAND 

Ă   tĂȘte  une  demi-journĂ©e.  Bonsoir,  mes  chers  enfants,  je  vous  embrasse 
mille  et  mille  fois.  Amitiés  de  Manceau  et  de  tous, 

G.  S. 

A  Lina. 

Paris,  14  janvier  1864. 

Mes  chers  enfants,  excellent  succĂšs  de  Marceline,  c'est-Ă -dire  Une 
journée  à  Dresde.  Pas  l'ombre  d'un  murmure,  d'une  critique,  d'une 
malveillance  quelconque  dans  le  public,  et  des  salves  d'applaudisse- 
ments Ă   toutes  les  tirades,  des  larmes,  de  l'attendrissement  continuel. 
Ensuite  grand  succÚs  littéraire  dans  les  foyers  et  satisfaction  com- 
plĂšte sur  toute  la  ligne.  Camille  Doucet  n'en  tarissait  pas.  Le  prince 
et  la  princesse  avec  son  monde  avaient  loué  la  loge  des  auteurs,  bien 
que  nous  ne  les  eussions  prévenus  de  rien.  Si  bien  que  Manceau  n'ayant 
plus  de  place,  Ă©tait  un  vrai  cheval  de  trompette  dans  l'orchestre  des 
musiciens,  et  pas  ému  du  tout.  Le  prince  l'y  a  guigné,  l'a  appelé  dans 
la  loge  par-dessus  les  tĂȘtes,  en  bon  bourgeois,  et  l'a  comblĂ©  de  compli- 
ments. Il  m'a  cherché  ensuite  dans  les  couloirs,  mais  j'avais  quitté 
ma  baignoire  et  je  cherchais  Manceau  sur  le  théùtre,  sans  quoi  le 
prince  se  fût  trouvé  nez  à  nez  dans  ma  loge  avec  Popotte  (1).  J'ai  vu 
Marchai  (2),  Dumas  et  ses  dames,  les  dames  Fleury  que  je  n'ai  pu 
joindre,  Arrault  (3),  Gautier  de  loin,  et  tout  le  ban  et  l'arriĂšre-ban  de 
la  critique,  qui,  ces  jours-là,  remplit  le  vaste  Odéon.  Le  personnel  du 
théùtre  était  enchanté  du  succÚs,  car,  avec  les  étudiants,  les  premiÚres 

(1)  Sobriquet  de  Mme  Amould-Plessy.  Nous  avons  déjà  dit  plus  haut 
comment  Mme  Sand  sut  la  consoler  et  la  soutenir  dans  la  terrible  Ă©preuve 
de  sa  vie  lorsque  le  mĂȘme  prince  JĂ©rĂŽme  la  trahit  d'une  maniĂšre  aussi  gros- 
siĂšre que  cynique.  On  connaĂźt  trop  cet  Ă©pisode  pour  que  nous  ayons  besoin 
d'en  parler  encore.  (Voir  entre  autres  Mes  sentiments  et  nos  idées  avant  1870. 
de  Mme  Adam,  p.  280-281,) 

(2)  CĂ©lĂšbre  peintre  et  dessinateur,  grand  ami  de  Dumas  fils,  de  Manceau 
et  de  Mme  Sand.  Elle  l'appelle  dans  l'une  de  ces  lettres  à  Dumas  :  «  Mon 
joli  petit  colibri  Marchai,  »  par  dérision,  Marchai  étant  énorme.  En  1861  il 
avait  fait  un  portrait  de  Mme  Sand.  (V.  plus  haut  p.  406.  ) 

(3)  Henri  Arrault  fut,  encore  avant  Dunant,  le  premier  promoteur  de  l'idée 
de  secourir  les  blessés  au  champ  de  bataille,  c'est-à-dire  le  vrai  créateur  de 
la  Croix-Rouge.  La  lettre  de  Mme  Sand  Ă   Arrault,  dans  laquelle  elle  souligne 
ce  fait  :  la  primauté  de  cette  idée  revenant  à  Arrault  et  non  pas  à  Dunant, 
fut  publiée  en  1865  dans  VOpinion  nationale.  C'est  à  Arrault  aussi  que  se 
rapporte  une  autre  lettre  de  M.  Sand  intitulée  A  propos  du  choléra  et 
imprimée  dans  V Avenir  national.  Mme  Sand  y  fait  appel  à  tous  les  gens  de 
bien  de  s'empresser  de  venir  en  aide  Ă   une  autre  entreprise  d' Arrault,  soit  en 
lui  envoyant  de  l'argent,  soit  des  vĂȘtements,  afin  qu'il  puisse  secourir  les 
familles  des  morts  du  cholĂ©ra,  bonne  Ɠuvre  que  cet  excellent  homme  avait 
entreprise  lors  de  l'épidémie  de  1865. 


GEORGE   SAND  455 

représentations  des  piÚces  en  un  acte  sont  souvent  mal  accueillies.  La 
piÚce  a  été  bien  jouée  sauf  par  Marceline  qui  est  joue  comme  un  ange 
dans  un  costume  empire  exact,  mais  qui  est  trop  nerveuse.  Saint- 
Léon,  Frémann  excellent,  le  héros,  jeune  débutant,  trÚs  joli  garçon, 
bien  costumĂ©  et  trĂšs  Ă©mu  jusqu'Ă   ĂȘtre  sĂ©rieusement  malade,  a  Ă©tĂ©  trĂšs 
applaudi  et  trĂšs  sympathique,  Wagner  trĂšs  bien,  la  gouvernante  trĂšs 
drÎle,  c'est  un  succÚs  trÚs  réel,  autant  qu'une  piÚce  en  un  acte  peut  le 
comporter. 

Mon  affaire  à  moi  n'est  pas  encore  dénouée,  c'est  toujours  pour 
demain. 

Mais  c'est  demain  tout  de  bon  que  j'attends  la  petite  maman  Ă  
Cocote  et  je  vais  bien  parler  de  vous  trois  ;  j'ai  dßné  aujourd'hui  avec 
Alexandre. 

J'ai  vu  M.  Rodrigues,  j'attends  demain  le  prince  avec  qui  je  joue 
aux  barres  et  Emile  que  je  n'ai  pas  encore  vu.  Je  me  porte  trĂšs  bien, 
Manceau  est  enrhumé  comme  un  chien,  mais  il  est  content  et  il  vous 
envoie  ses  amitiés. 

Vous  ne  m'écrivez  pas  souvent,  méchants  enfants,  j'espÚre  que 
vous  allez  bien  et  que  mon  Cocoton  n'est  plus  enrhumé,  je  verrai 
MĂ©lingue,  soyez  tranquilles.  Je  vous  bige  Ă   mort  tous  les  trois.  Avez- 
vous  froid  Ă   Nohant?  Ici  je  n'en  souffre  pas  du  tout,  mais  je  m'em- 
bĂȘte de  ne  pas  avoir  de  solution  pour  Berton  qui  est  aux  prises  avec  son 
brigand  de  directeur  (1). 

Paris,  16  janvier  1864. 


L'affaire  Beaufort,  c'est  le  directeur  du  Vaudeville  qui  nous  empĂȘ- 
chait de  conclure  avec  Berton  pour  le  duc  d'Aléria.  Le  dit  Beaufort 
nous  le  marchandait,  et  enfin  c'est  arrangé  aprÚs  dix  ou  douze  rendez- 
vous  Ă©vasifs  dudit  personnage.  Berton  y  a  fait  de  son  mieux,  il  est  Ă©pris 
de  son  rĂŽle.  Lundi  enfin,  Manceau  va  lire  aux  acteurs,  et  on  commencera 
les  répétitions.  DÚs  lors,  mardi  ou  mercredi  je  m'occupe  de  Mélingue 
et  je  pars  tout  de  suite  aprĂšs  s'il  ne  survient  aucun  embargo  nouveau 
à  l'Odéon. 

...La  piÚce  de  Manceau  va  trÚs  bien,  on  en  est  enchanté  partout, 
c'est  un  trÚs  bon  début  de  jeune  auteur  qui  passe  maßtre  versificateur, 
du  premier  coup.  J'ai  vu  le  prince  qui  va  venir  tout  Ă   l'heure  et  qui 
vient  aussi  passer  la  soirée  dimanche.  Il  m'a  parlé  de  toi  avec  la  plus 


(1)  Berton,  qui  devait  obtenir  la  permission  du  directeur  du  Vaudeville 
de  jouer  le  duc  d'Aléria  dans  la  piÚce  de  Mme  Sand,  ne  parvint  pas  pen- 
dant longtemps  Ă   vaincre  l'obstination  de  M.  de  Beaufort.  Ayant  enfin  obtenu 
cette  permission,  il  eut  dans  ce  rĂŽle  un  Ă©clatant  succĂšs. 


456  GEORGE   SAND 

grande  et  la  plus  aimable  amitié,  beaucoup  de  questions  sur  ton  petiot, 
sur  Lina,  beaucoup  de  compliments  etc.,  il  est  enthousiasmé  de  la 
piÚce  de  Manceau.  H  dit  que  c'est  superbe,  rien  que  ça.  Je  lui  ai  offert 
pour  toi  des  cailloux,  mais  on  nous  a  interrompus  et  je  ne  sais  pas  ce 
qu'il  m'a  répondu,  je  lui  en  reparlerai  aujourd'hui. 

Je  suis  un  peu  grippée,  tout  le  monde  l'est... 

Mancel  est  grippé  aussi  par-dessus  le  marché  et  tousse  affreuse- 
ment (1). 

J'ai  vu  hier  la  petite  mĂšre  Ă   Lina,  toujours  grasse  et  fraĂźche.  Vous 
pensez  bien  que  nous  avons  parlé  de  vous  et  de  Cocoton  deux  heures 
sans  désemparer  ;  elle  revient  dimanche. 


A  Maurice. 

Paris,  20  janvier. 

Mes  chers  enfants,  me  voilĂ   sur  pied.  J"ai  eu  une  crise  de  grippe  trĂšs 
rude  avec  la  fiÚvre  et  les  nerfs  bien  excités,  j'ai  été  bien  soignée,  je  me 
lĂšve.  J'espĂšre  avoir  le  sang  tout  Ă   fait  calme  demain. 

Manceau  a  le  torticolis.  La  piÚce  va  bien.  La  mienne  est  en  répéti- 
tion. J'attends  une  réponse  de  la  Porte-Saint-Martin. 

Je  vous  aime,  je  vous  bige,  je  suis  bien  faible,  demain  ça  ira  bien. 
Je  bige  et  je  rebige  mon  Cocoton.  La  petite  maman  Ă   Lina  va  bien. 

Je  ne  peux  te  rien  dire  encore  du  jour  de  mon  départ.  Trop 
faible. 

Ces  démarches  auprÚs  de  la  Porte-Saint-Martin  et  autres 
théùtres  étaient  trÚs  urgentes,  car  le  budget  de  Mme  Sand  (aprÚs 
sa  maladie  de  1860-61,  le  séjour  à  Tamaris  et  le  voyage  de  Mau- 
rice avec  le  prince  JĂ©rĂŽme)  Ă©tait,  comme  nous  le  verrons  tout 
à  l'heure,  dans  un  état  de  déséquilibre  complet,  son  fonds  d'ar- 
gent épuisé  elle  devait  faire  tous  ses  efforts  pour  ajouter  un  petit 
surplus  Ă   ses  revenus  ordinaires,  ce  qui  correspondait  toujours 
chez  elle  Ă   un  surcroĂźt  de  travail. 

Elle  s'efforçait  donc  alors  à  faire  piÚce  sur  piÚce  et  à  les  placer. 
Elle  voulut  aussi  diminuer  sa  dépense.  C'est  pour  cela  qu'elle 
se  décida  à  quitter  son  logement  de  la  rue  Racine  et  se  mit  à 
chercher  deux  petites  chambres  dans  les  alentours  de  TOdéon. 

(1)  Manceau  était  déjà  atteint  de  la  phtisie  à  ce  moment. 


GEORGE   SAND  457 


Paris,  22  janvier  1864. 


...Moi  je  m'occupe  de  trouver  ici  un  pied-Ă -terre  plus  commode  pour 
plus  tard,  il  paraĂźt  que  c'est  facile... 

...Amitiés  du  pauvre  Mancel  qui  a  passé  deux  nuits  à  me  veiller 
et  qui,  à  son  tour,  est  sur  le  flanc.  Marie  résiste,  bien  qu'elle  tousse, 
son  tour  viendra  quand  nous  aurons  fini... 

...Pour  le  pasteur  Ă   Bourges,  il  faudrait  bien  savoir  s'il  impose  la 
divinitĂ©  de  M.  J.  C.  ou  s'il  laisse  la  libertĂ©  d'y  croire  —  ou  non. 
Je  saurai  ça.  On  dit  que  M.  Coquerel  qui  est  le  pape  du  progrÚs  pro- 
testant irait  Ă   Nohant  trĂšs  bien  pour  une  si  belle  occasion.  Ne  vous 
pressez  pas.  H  est  trÚs  bon  que  ça  se  passe  à  Nohant,  moi  présente  ; 
et  qu'on  sache  bien  qu'on  peut  avoir  une  religion  sans  tomber  sous  le 
joug  du  pape  et  des  jésuites.  Répondez  à  M.  Guy  que  vous  m'attendez 
pour  prendre  une  résolution,  que  mes  affaires  me  retiennent  à  Paris 
quelques  semaines  et  que  vous  lui  ĂȘtes  trĂšs  reconnaissants,  mais  si 
vous  aimez  mieux  que  cela  se  passe  sans  solennité  et  sans  moi,  comme 
venant  de  vous  seuls,  avisez  et  faites  comme  vous  dira  la  conscience. 
Moi  je  trouve  que,  d'une  maniĂšre  ou  de  l'autre,  c'est  un  bon  exemple 
Ă   donner  et  une  chose  sage  Ă   faire,  pourvu  que  vous  n'ayez  pas  affaire  Ă  
une  secte  protestante  intolérante  comme  Rome,  car  il  y  en  a,  et  il 
faut  s'en  méfier,  vous  auriez  alors  tout  le  monde  contre  vous  et  avec 
raison... 

Le  23  janvier  elle  annonce  Ă   ses  enfants  qu'elle  va  mieux, 
mais  que  «  tout  Paris  tousse,  le  public  au  théùtre  et  Berton  y 
compris  »,  ce  qui  retarde  les  répétitions.  D'autre  part  Mme  Sand 
voulait  Ă   cette  Ă©poque  se  faire  faire  un  rĂątelier.  Elle  resta  donc 
à  Paris  pendant  tout  le  temps  que  durÚrent  les  répétitions, 
d'autant  plus  que  sa  grippe  lui  avait  fait  perdre  beaucoup  de 
temps. 

A  Maurice. 

Paris,  25  janvier  1864. 

H  paraßt,  mes  enfants,  que  je  vais  trÚs  bien  ;  je  ne  m'en  aperçois 
pas,  je  me  sens  trĂšs  malade,  un  mal  de  cƓur,  une  dĂ©faillance  con- 
tinuels, lassitude  de  tout  et  envie  de  rien.  J'ai  été  en  voiture  aux 
Champs-Elysées  aujourd'hui.  Je  ne  fais  rien,  je  n'avance  à  rien. 
Patience,  il  faut  que  ce  mal  passe. 


458  GEORGE   SAND 

Je  ne  m'étonne  pas  de  l'imbécillité  de  nos  voisins  devant  le  catho- 
licisme. Je  les  trouve  nature,  c'est-à-dire  crétins.  M'attendez-vous 
pour  votre  cérémonie?  Moi,  je  partirai  quand  je  pourrai,  ce  n'est  pas 
le  plaisir  qui  me  retient  ici.  J'y  suis  dans  un  Ă©tat  de  marasme  complet 
au  moral  et  au  physique...  Puisque  vous  ne  voyez  pas  moyen  de  vivre  ' 
Ă   Nohant  avec  le  revenu  de  la  terre,  nous  allons  aviser  Ă   mettre  un 
gardien  et  Ă   faire  maison  nette  Ă   la  saint  Jean.  Moi  je  cherche  un  coin 
oĂč  je  puisse  vivre  pour  cinq  cents  francs  par  mois.  C'est-Ă -dire  je 
chercherai,  car,  pour  le  moment,  je  ne  cherche  qu'Ă   me  tenir  sur  mes 
deux  jambes. 

26  janvier. 

Mes  chers  enfants,  je  vais  mieux,  puisque  je  n'ai  plus  que  de  courts 
accĂšs  de  fiĂšvre.  Mais  je  ne  suis  bonne  Ă   rien...  Manceau  n'est  pas  plus 
chouette  que  moi...  Ce  n'est  pas  ma  piÚce  qui  me  retient,  j'y  ai  été  voir 
deux  fois  et  je  vois  du  reste  qu'on  n'y  aura  pas  besoin  de  moi  ou  que 
l'on  ne  m' Ă©coutera  guĂšre...  Ce  qiĂč  me  retient  c'est  que  j'ai  quatre  dents 
Ă   faire  arracher  et  que  je  n'ose  pas,  tant  que  j'aurai  des  accĂšs  de  fiĂšvre, 
ce  serait  beaucoup  risquer... 

J'attends  toujours  la  réponse  de  la  Porte-Saint-Martin...  Attendez- 
moi  pour  le  mariage  et  le  baptĂȘme... 

28  janvier  1864. 

Mes  enfants,  je  vais  enfin  mieux  aujourd'hui,  j'ai  dormi  la  nuit 
derniĂšre.  Je  ne  peux  pas  encore  manger  autre  chose  que  du  potage  et 
des  hußtres.  J'ai  la  bouche  toute  malade  et  enflée  en  dedans  et  en 
dehors.  Pas  de  dentiste  possible  encore.  Je  ne  vois  presque  personne... 
Tous  les  autres  me  croient  partie  ou  plus  malade.  Je  me  préserve  de 
l'envahissement.  Dans  le  jour  je  vais  à  la  répétition.  Rien  de  nouveau 
pour  VHonvme  de  neige.  J'en  dois  parler  avec  Berton  demain  si  nous 
pouvons  trouver  un  instant  tranqiûlle  au  théùtre.  Il  m'a  appris  qu'on 
avait  apporté  à  la  Gaßté,  il  y  a  deux  ou  trois  ans  (il  croit)  un  Homme  de 
neige  de  M.  Judicis,  l'auteur  des  Cosaques.  C'Ă©tait  trĂšs  mauvais  ;  on 
a  refusĂ©.  A  prĂ©sent  Berton  est  Ă   la  GaĂźtĂ©,  il  est  seulement  prĂȘtĂ©  Ă  
l'Odéon  jusqu'au  mois  de  novembre  prochain,  et  il  n'a  pas  de  piÚce  de 
rentrée.  D.  ne  serait  pas  impossible  de  s'entendre  avec  lui  pour  qu'il 
jouùt  Waldo,  en  mûrissant  un  peu  le  personnage.  Il  est  toujours  char- 
mant et  il  a  du  talent  comme  il  n'en  a  jamais  eu.  H  a  fait  fureur  dans 
les  Diables  noirs.  C'est  un  charmant  homme,  sans  caprices,  sans  rouerie 
et  de  parole.  Je  verrai  ce  qu'il  me  dira,  tout  en  ne  lui  cachaiit  pas  que 
j'ai  fait  faire  une  démarche  auprÚs  de  la  Porte-Saint-Martin  dont 
j'attends  le  résultat. 


GEORGE   SAND  459 

Quant  Ă   nos  arrangements  futurs,  je  ne  les  vois  pas  possibles  avec 
moi  à  Nohant,  autrement  que  censée  en  visite  ou  à  la  veille  de  voyages  ; 
je  ne  pourrai  jamais  me  dĂ©pĂȘtrer  des  visites  de  longue  durĂ©e,  et  puis 
les  devoirs  sans  nombre  de  ma  situation  en  Berry,  c'est  impossible  Ă  
moins  de  retomber  dans  l'esclavage  des  services  Ă   rendre,  des  lettres 
Ă   Ă©crire  etc.,  etc.  Si  vous  n'ĂȘtes  pas  plus  habiles  que  moi  pour  y  vivre 
en  liberté  et  selon  vos  moyens  actuels,  il  faudra  bien  errer  un  peu  pen- 
dant quelques  années,  jusqu'à  ce  que  je  me  sois  remise  au  niveau  de 
mes  affaires  littĂ©raires.  C'est  dans  votre  intĂ©rĂȘt  autant  que  dans  le 
mien,  et  je  prétends  me  cacher  en  perchant  d'un  heu  à  l'autre,  comme 
cela  m'est  arrivé  plusieurs  fois  dans  un  but  semblable.  Si  vous  voulez 
percher  aussi,  plutĂŽt  que  de  vous  charger  de  Nohant,  vous  vous  rap- 
procherez de  mon  arbre.  Mais  comme  mon  perchage  peut  ne  pas  vous 
plaire,  nous  serons  indépendants  les  uns  des  autres.  Il  faut  cela  avant 
tout.  Qu'est-ce  qu'il  faut  pour  que  j'y  aille  et  vienne  comme  tout  le 
monde?  pour  que  je  retrouve  mes  enfants  et  mon  Cocoton,  n'importe 
oĂč?  —  Un  peu  d'argent  en  dehors  des  dĂ©penses  indispensables,  et 
j'en  aurai,  dĂšs  que  certains  budgets  Ă©crasants  ne  me  seront  plus 
imposés.  Il  est  certain  que  nous  ne  mettrons  pas  l'Océan  entre  nous 
et  que  je  ne  vois  pas  le  rĂȘve  solennel  de  la  sĂ©paration  et  de  l'isolement 
se  dresser  entre  nous,  ce  serait  envenimer  pour  moi  une  situation 
chagrinante  (la  fatigue  actuelle  et  l'équilibre  détruit  dans  mes  pro- 
duits) que  de  montrer  connne  conséquence  la  famille  brisée  et  le  nid 
jeté  au  vent.  Ce  n'est  pas  si  grave  que  cela,  espérons-le,  car  si  je  devais 
le  croire,  j'aurais  plus  de  peine  à  me  rétablir  et  à  reprendre  la  force 
dont  j'ai  besoin.  Donnez-m'en  au  heu  de  m'en  ĂŽter,  vous  qui  ĂȘtes  jeunes 
et  Ă   l'avenir  de  qui  je  travaille  sans  relĂąche.  Je  vous  bige  tendrement, 
mes  enfants  chéris.  Portez-vous  bien... 


A  Mauriee. 

30  janvier  1864. 

Manceau  t'a  Ă©crit  tantĂŽt  un  mot  relatif  Ă   la  jument  et  aussi  pour  que 
tu  ne  sois  pas  inquiet  de  moi,  j'étais  occupée  à  l'heure  de  la  poste  et 
ne  pouvais  t'écrirc.  J'ai  commencé  les  pourparlers  avec  le  baume 
d'acier  du  dentiste...  Ma  piÚce  n'est  pas  enrayée.  Tout  va,  sauf  la 
marquise  qui  n'ira  jamais...  On  m'a  annoncé  aujourd'hui  qu'une  cabale 
religieuse  s'organisait  contre  ma  piĂšce,  et  une  autre  en  sens  contraire 
pour  la  défendre.  Nous  verrons  bien... 

AprĂšs  avoir  parlĂ©  Ă   son  fils  d'un  projet  de  piĂšce  champĂȘtre 
pour  le  Palais- Royal,  dont  Luguet,  gendre  de  Marie  Dorval,  lui 


46o  GEORGE   SAND 

avait  proposé  le  sujet,  Mme  Sand  revient  à  ses  affaires  person- 
nelles. 

Cadol  s'est  trÚs  mal  conduit  avec  Manceau,  je  te  conterai  ça.  L'Odéon 
est  toujours  une...  et  Larounat  une  chiffe  déplorable.  Je  fais  mon  pur- 
gatoire, mes  pauvres  enfants,  et  je  n'ai  pourtant  pas  de  gros  péchés  à 
expier.  Je  patiente  de  mon  mieux.  J'ai  reçu  la  visite  de  M.  Coquerel, 
qui  est  un  homme  charmant  et  trÚs  avancé.  Il  craint  que  vous  ne  vous 
entendiez  pas  avec  le  consistoire  de  Bourges  qui  fait  partie  de  la  vieille 
RĂ©forme.  Nous  parlerons  de  cela,  je  crois  qu'il  serait,  lui,  Ă   notre  dis- 
position, bien  qu'il  ne  me  l'ait  pas  offert.  Mon  Cocoton  se  calme-t-il? 
Je  m'ennuie  bien  de  ne  pas  le  voir.  Bigez  le  mille  fois  pour  moi  et  bigez- 
vous  l'un  l'autre  pour  votre  maman.  Manceau  vous  envoie  respects 
et  amitiés.  Il  va  un  peu  mieux  aujourd'hui.  Marie  est  la  plus  vaillante. 
Elle  nous  fait  de  bons  pots-au-feu,  car  nous  ne  mangeons  que  cela. 
Elle  vous  envoie  toutes  ses  révérences.  Nous  n'allons  pas  au  spectacle. 
Ça  nous  Ă©chine  trop. 

Le  portrait  de  Cocoton  est  superbe  (1). 

Paris,  9  février  1864. 

...Ma  grippe  m'a  rendu  le  service  de  rester  quinze  jours  sans  voir 
personne  et  à  présent  je  jouis  encore  du  bénéfice  de  ce  prétexte.  On 
me  laisse  assez  tranquille,  ruminer  un  roman  au  coin  du  feu,  et  par 
bonheur  mon  grand  atelier-salon  est  trĂšs  chaud,  mais  il  faut  ĂȘtre  au 
théùtre  de  11  heures  à  4  heures,  par  conséquent  ne  pas  trop  veiller. 
Je  n'ai  donc  le  temps  de  rien  Ă©crire  que  des  raccords... 

...Manceau  a  loué  à  Palaiseau  une  maisonnette  toute  petite  avec  un 
jardin  tout  jeune.  Mais-  c'est  joli  et  propre  et  dans  un  pays  délicieux, 
le  chemin  de  fer  Ă   deux  pas,  la  solitude  et  le  silence  tout  d'un  coup. 
H  s'arrange  avec  un  tapissier  ami  de  Maillard  qui  lui  vend  des  meubles 
(il  n'en  faut  guĂšre)  pour  une  petite  somme  Ă   verser  annuellement,  il 
s'arrangera  probablement  de  mĂȘme  pour  la  maison  s'il  voit  qu'il  me 
plaßt  de  l'habiter.  On  trouve  aujourd'hui  des  facilités  étonnantes  pour 
Ă©teindre  son  loyer  par  une  acquisition  lente,  et  tous  les  artistes  se 
casent  ainsi.  Ça  vaudra  mieux  pour  lui,  Ă   coup  sĂ»r,  que  d'engloutir  le 
produit  annuel  de  son  travail  dans  la  dépense  de  Nohant.  Je  prends 
avec  lui  des  arrangements  pour  ne  pas  lui  ĂȘtre  Ă   charge  et  il  y  a  Ă   tout 
cela  pour  moi  une  si  grande  Ă©conomie  que  j'espĂšre  bien  me  remettre 
au  courant  de  mes  affaires  en  peu  d'années  et  avoir  encore  de  quoi 
aller  Ă   Nohant  si  vous  vous  y  fixez. 

(1)  Peint  par  Mme  Calainatta.  Il  est  au  salon  de  Nohant  oĂč  nous  l'avons  vu. 


GEORGE   SAND  461 

Il  n'y  a  guĂšre  plus  loin  de  Paris  Ă   Nohant  par  le  chemin  de  fer 
comme  temps,  que  de  Gargilesse  Ă   Nohant,  et  comme  la  maisonnette  de 
Palaiseau  est  servie  par  le  chemin  de  fer  je  n'aurai  pas  besoin  de  voi- 
ture, de  cheval  et  de  cocher.  Si  je  veux  faire  une  course  dans  les  bois 
environnants,  il  y  a  une  espĂšce  de  Matron  (1)  dans  le  village  avec  des 
carrioles.  Je  me  suis  informée  s'il  y  avait  des  appartements  meublés 
dans  le  cas  oĂč  vous  viendriez  me  voir,  il  y  en  a.  Il  y  a  un  trĂšs  bon 
médecin  à  notre  porte,  boucher,  boulanger  etc.,  la  vie  moins  chÚre 
qu'à  Paris  et  un  pays  de  braves  gens,  pas  dévots  et  par  conséquent 
pas  voleurs  ;  on  vit  les  portes  ouvertes  ;  enfin  de  tout  ce  que  j'ai  vu, 
c'est  le  mieux  et  c'est  mĂȘme  trĂšs  bien... 

Paris,  18  février  1864. 

J'ai  reçu  le  canevas  de  WaMo,  j'attends  M.  Harmant  dimanche. 
Viendra-t-il?  C'est  un  grand  personnage  Ă   prĂ©sent,  il  est  Ă   la  tĂȘte  de 
la  direction  de  quatre  théùtres  réunis  et  il  est  si  occupé  qu'on  ne  sait 
oĂč  le  prendre... 

17  est  question  de  jouer  Villemer  le  26... 

...On  m'annonce  une  cabale  de  jésuites.  Mais  j'ai  aussi  un  public 
pour  moi  Ă   ce  que  l'on  assure  et  un  public  chaud,  nous  verrons  bien. 
Le  prince  et  la  princesse  ont  retenu  la  loge  de  la  direction  et  on  s'ar- 
rache les  places.  C'est  un  événement  que  Villemer. 

Un  autre  événement  c'est  la  vente  de  Delacroix  qui  atteint  des  prix 
fabuleux.  Le  pauvre  homme  qui  nous  donnait  si  généreusement  des 
peintures,  qui  vendait  pour  rien  et  qui  n'avait  pas  de  fortune  en  laisse 
une  à  ses  héritiers.  Certaines  toiles  atteindront  50  000  francs.  Il  y  en 
a  Ă   Nohant  pour  de  l'argent  et  le  tableau  de  fleurs  atteindrait,  dit-on. 
un  beau  prix.  Peut-ĂȘtre  avez-vous  lĂ   de  quoi  compenser  le  mauvais 
cÎté  des  affaires  de  Guillery... 

Effectivement  Delacroix  Ă©tait  mort  peu  auparavant,  en  1863, 
et,  comme  cela  arrive  souvent,  sa  mort  occasionna  une  explo- 
sion de  sympathie  et  d'admiration  générales,  il  devint  soudain 
tellement  en  vogue  que  la  moindre  de  ses  esquisses  se  vendit 
trois  ou  quatre  fois  le  prix  obtenu  de  son  vivant  pour  ses  grandes 
toiles.  La  famille  Sand  Ă©tant  trĂšs  Ă   court  d'argent,  George  Sand 
proposa  Ă   Maurice  de  vendre  plusieurs  peintures  qui  se  trou- 

(1)  Propriétaire  d'un  cheval  et  d'une  carriole,  qui  accompagnait  Mme  Sand 
dans  ses  courses  et  ses  promenades  Ă   Tamaris. 


462  GEORGE   SAND 

valent  à  ?sohant.  Delacroix,  durant  son  séjour  au  chùteau,  y 
avait  laissé  plusieurs  tableaux  représentant  des  sujets  tirés  des 
romans  de  George  Sand  et  d'autres,  des  portraits  et  des  dessins. 
Une  série  de  ses  lettres  datées  de  février  est  consacrée  aux  indi- 
cations données  relativement  aux  tableaux  que  Mme  Sand  vou- 
lait garder.  D'autre  part  Yillemer  Ă©tait  toujours  Ă   la  veille  d'ĂȘtre 
joué,  on  remettait  de  jour  en  jour  la  premiÚre.  Le  21  février 
Mme  Sand  écrit  à  ses  enfants.  (Cette  lettre  est  tronquée  dans  la 
Correspondance.  Ăźsous  donnons  entre  crochets  les  passages 
coupés)  : 

Chtrs  enfants, 

Je  croyais  avoir  répondu  à  votre  question.  Comment,  si  je  veux 
ĂȘtre  marraine  de  mon  Cocoton?  Je  crois  bien  !  Si  c'Ă©tait  comme  catho- 
lique, je  dirais  :  <■  Non  !  ça  porte  malheur.  »  Mais  l'Eglise  libre,  c'est 
différent,  et  vous  ne  deviez  pas  douter  un  instant  de  mon  adhésion. 

On  commence  à  travailler  sérieusement  à  l'Odéon.  Mais  on  a  perdu 
tant  de  temps,  que  nous  ne  serons  pas  prĂȘts  avant  la  fin  du  mois,  et 
peut-ĂȘtre  le  2  ou  le  3  mars.  VoilĂ   ce  qu'ils  reconnaissent  aujourd'hui. 
[Mais  Larounat  est  si  braque  que  demain  ce  sera  peut-ĂȘtre  encore 
changé.  Aujourd'hui  on  a  essayé  un  trÚs  beau  décor,  mais  il  avait  oublié 
de  commander  le  plafond  et  l'antichambre.  Enfin  je  ne  veux  pas  vous 
ennuyer  de  mes  ennuis  ;  ils  ne  sont  pas  minces,  et  vous  seriez  étonnés 
de  la  provision  de  patience  que  je  fais  tous  les  matins  pour  la  journée.] 

J'ai  été  voir  le  prince  hier  matin,  j'ai  demandé  à  von  son  fils  ;  il  a 
fait  due  à  la  bonne  de  l'amener.  L'enfant  est  arrivé  avec  une  personne 
en  petite  robe  de  laine  Ă©cossaise  que  j'ai  failli  ne  pas  regarder,  quand 
je  me  suis  aperçue  que  c'Ă©tait  la  princesse  elle-mĂȘme  qui  m'amenait 
son  jeune  homme,  toute  seule  et  trĂšs  gentiment.  L'enfant  est  trĂšs  beau 
et  trÚs  joli,  avec  un  air  mélancolique  et  timide. 

H  tiendra  de  sa  mÚre  plus  que  de  son  pÚre.  H  est  trÚs  mignon  et  obéis- 
sant comme  une  fille. 

Je  me  porte  bien,  toujours  sans  appétit  ;  ça  ne  pousse  pas  à  Paris. 

[Manceau  va  mieux  malgré  un  froid  de  loup.  J'espÚre  que  vous 
allumez  le  calorifÚre.  Le  café  est  parti.] 

La  vente  de  Delacroix  a  produit  prĂšs  de  200  000  francs  en  deux 
jours.  Les  moindres  croquis  se  vendent,  2,  3  et  400  francs.  Ce  pauvre 
homme  vendait  des  tableaux  pour  ce  prix-lĂ   ! 

Bonsoir,  mes  enfants  chéris  ;  je  vous  bige  bien  tendrement,  [respects 
et  amitiés  de  Manceau. 


GEORGE   SAND  463 


Samedi  soir. 

[J'ai  dû  veiller  à  la  toilette  de  Mlle  de  Saintrailles  qui  aurait  été 
habillée  comme  une  portiÚre.  Je  l'ai  fait  arranger  et  composer  par  une 
couturiĂšre  du  dernier  chic,  et  j'ai  dit  Ă   ma  petite  actrice  de  lever  des 
patrons  de  ses  trois  toilettes,  pour  que  ma  Cocotte  ait  la  derniĂšre  mode 
Ă   consulter.] 

Paris,  23  février  1864. 

Pense  bien  Mauricot  Ă   ce  que  je  vais  te  dire. 

...Les  tableaux  qui  garnissaient  l'atelier  de  Delacroix,  ses  cartons, 
ses  dessins,  le  moindre  chiffon  oĂč  il  a  fait  le  croquis  d'une  tĂȘte  Ă   cĂŽtĂ© 
d'une  note  de  blanchisseuse,  tout  cela  s'arrache  et  fait  fureur.  On  en 
est  Ă   250  ou  300  000  francs  et  il  y  en  a  encore,  et  plus  on  va,  plus  on 
se  dispute  Ă   qui  paiera  plus  cher.  On  dit  que  cette  rage  ne  durera  pas 
et  que  peut-ĂȘtre  tout  cela  tombera  rapidement.  Nous  avons  chez  nous 
des  valeurs  réelles  qu'un  incendie  peut  dévorer  et  qu'aucune  compagnie 
d'assurance  ne  nous  paierait  convenablement.  Si  tu  veux  vendre,  c'est 
l'heure,  ce  n'est  pas  dans  dix  mois,  dans  un  an,  c'est  tout  de  suite. 
Avise.  Je  me  réserverais  le  Centaure,  ma  vie  durant.  C'est  son  dernier 
cadeau,  et  la  Confession  du  Giaour,  c'est  le  premier.  Restent  la  Sainte 
Anne,  les  Fleurs,  la  Cléopùtre,  deux  Lélia,  la  Chasse  au  lion,  les  Car- 
riĂšres, plusieurs  Ă©bauches,  des  chevaux,  des  coins  de  jardin,  des  croquis, 
un  lion  aquarelle,  le  portrait  de  Mickiewicz  etc..  Il  y  a  lĂ   une  somme, 
je  ne  sais  laquelle,  réalisable  tout  de  suite,  qui  peut  mettre  dans  ta 
vie  une  rente  trÚs  agréable,  3  000  francs  s'il  y  en  a  seulement  pour 
60  000  francs,  et  qui  peut  rester  dans  tes  mains  une  richesse  stérile... 

Le  28  février,  Mme  Sand  écrit  encore  : 

Mes  chers  enfants,  c'est  demain  le  grand  jour!  Quand  vous  rece- 
vrez cette  lettre,  j'aurai  des  bravos  ou  des  sifflets,  peut-ĂȘtre  l'un  et 
l'autre.  Ribes  ne  va  pas  mieux;  il  joue  quand  mĂȘme  et  trĂšs  bien.  La 
piÚce  est  mal  sue,  mais  bien  comprise  et  bien  jouée. 

Le  duc,  Berton  ;  Villemer,  Ribes  ;  Caroline,  Thuillier  ;  la  marquise, 
Ramelli  ;  Pierre,  Rey,  sont  excellents.  Diane  de  Saintrailles,  char- 
mante, un  peu  maniérée  ;  Mme  d'Arglade,  un  peu  faible,  et  Clerh, 
Benoit,  qui  dit  quatre  mots,  ne  gĂątent  rien. 

Le  théùtre,  depuis  le  directeur  jusqu'aux  ouvreuses,  dont  l'une 
m'appelle  notre  trésor,  les  musiciens,  les  machinistes,  la  troupe,  les 
allumeurs  de  quinquets,  les  pompiers,  pleurent  à  la  répétition  comme 
un  tas  de  veaux  et  dans  l'ivresse  d'un  succÚs  qui  va  dépasser  celui  de 
Champi.  Tout  ça,  c'est  la  veille,  il  faut  voir  le  lendemain;  s'il  y  a 


464  GEORGE   SAND 

déroute,  ce  sera  autre  chose.  On  annonce  toujours  une  cabale.  Les  uns 
la  disent  formidable  ;  les  autres  disent  qu'ils  n'y  aura  rien  ;  nous 
verrons  bien.  Le  moment  du  calme  est  venu  pour  moi  qui  n'ai  plus 
rien  Ă   faire  que  d'attendre  l'issue.  La  salle  sera  comble  et  il  y  en  aura 
autant  à  la  porte.  De  mémoire  d'homme  l'Odéon  n'a  vu  une  pareille 
rage.  L'empereur  et  l'impératrice  assisteront  à  la  premiÚre  ;  la  princesse 
Mathilde  en  face  d'eux,  le  prince  et  la  princesse  Napoléon  au-dessous. 
M.  de  Morny,  les  ministĂšres,  la  police  de  l'empereur  nous  prennent  trop 
de  place,  et  ce  n'est  pas  le  meilleur  de  l'affaire.  Nous  aimerions  mieux 
des  artistes  aux  avant-scĂšnes  que  des  diplomates  et  des  fonctionnaires. 
Ces  gens-lĂ   ne  crĂšvent  pas  leurs  gants  blancs  contre  une  cabale.  H 
n'y  a  que  le  prince  qui  applaudisse  franchement. 

Enfin,  nous  y  voilà  !  Les  décors  sont  riches  et  laids.  L'orchestre  sera 
rempli  de  mouchards,  rien  ne  manquera  Ă   la  fĂȘte.  Marchai  ne  demande 
qu'à  étriper  les  récalcitrants.  Le  parterre  est  pris  par  des  gens  en  cra- 
vate blanche  et  en  habit  noir.  A  demain  des  nouvelles.  J'ai  vu  enfin 
M.  Harmant  à  l'Odéon.  Il  m'a  dit  qu'il  viendrait  me  voir  aprÚs  la 
piÚce.  Mario  Proth  va  faire  un  article  sur  Caïïirhoé. 

On  voit  déjà  par  cette  lettre  que  les  événements  qui  eurent 
lieu  le  jour  de  la  premiÚre  de  Villemer  se  préparaient  en  grande 
partie  à  l'avance  ;  ils  ne  dépendirent  pas  du  succÚs  ou  des  qua- 
lités de  cette  piÚce,  ils  avaient  leur  source  dans  l'excitation 
générale  de  la  salle,  dans  l'humeur  batailleuse  des  deux  camps 
ennemis,  qui  se-communiqua  Ă   tous  les  spectateurs  et  mĂȘme  Ă   la 
foule  du  dehors.  La  prévision  de  Mme  Sand  se  réalisa  complÚte- 
ment. VoilĂ   ce  qu'elle  Ă©crivit  Ă   son  fils  et  Ă   sa  belle-fille  la  nuit 
du  29  février  au  1er  mars  : 

Paris,  mardi  1er  mars  1864. 
2  heures  du  matin. 
Mes  enfants, 

Je  reviens  escortée  par  les  étudiants  aux  cris  de  :  «  Vive  George 
Sand  !  Vive  Mademoiselle  La  Quintinie!  A  bas  les  cléricaux  !  »  C'est 
une  manifestation  enragĂ©e  en  mĂȘme  temps  qu'un  succĂšs  comme  on 
n'en  a  jamais  vu,  dit-on,  au  théùtre. 

Depuis  dix  heures  du  matin  les  Ă©tudiants  Ă©taient  sur  la  place  de 
l'Odéon,  et,  tout  le  temps  de  la  piÚce,  une  masse  compacte  qui  n'avait 
pu  entrer  occupait  les  rues  avoisinantes  et  la  rue  Racine  jusqu'Ă   ma 
porte.  Marie  a  eu  une  ovation  et  Mme  Fromentin  aussi,  parce  qu'on 
l'a  prise  pour  moi  dans  la  rue.  Je  crois  que  tout  Paris  Ă©tait  lĂ   ce  soir. 


GEORGE   SAND  465 

Les  ouvriers  et  les  jeunes  gens,  furieux  d'avoir  été  pris  pour  des  clé- 
ricaux Ă   l'affaire  de  GaĂ«tana  d'About,  Ă©taient  tout  prĂȘts  Ă   faire  le  coup 
de  poing.  Dans  la  salle,  c'étaient  des  trépignements  et  des  hurlements 
à  chaque  scÚne,  à  chaque  instant,  en  dépit  de  la  présence  de  toute  la 
famille  impériale.  Au  reste,  tous  applaudissaient,  l'empereur  comme 
les  autres,  et  mĂȘme  il  a  pleurĂ©  ouvertement.  La  princesse  Mathilde  est 
venue  au  foyer  me  donner  la  main.  J'Ă©tais  dans  la  loge  de  l'admi- 
nistration avec  le  prince,  la  princesse,  Ferri  (1),  Mme  d'AbrantĂšs. 
Le  prince  claquait  comme  trente  claqueras,  se  jetait  hors  de  la  loge 
et  criait  Ă   tue-tĂȘte.  Flaubert  Ă©tait  avec  nous  et  pleurait  comme  une 
femme.  Les  acteurs  ont  trÚs  bien  joué,  on  les  a  rappelés  à  tous  les  actes. 

Dans  le  foyer  plus  de  deux  cents  personnes  que  je  connais  et  que 
je  ne  connais  pas  sont  venues  me  biger  tant  et  tant  que  je  n'en  pouvais 
plus.  Pas  l'ombre  d'une  cabale,  bien  qu'il  y  eût  grand  nombre  de  gens 
mal  disposĂ©s.  Mais  on  faisait  taire  mĂȘme  ceux  qui  se  mouchaient 
innocemment. 

Enfin,  c'est  un  événement  qui  met  le  Quartier  Latin  en  rumeur 
depuis  ce  matin;  toute  la  journée,  j'ai  reçu  des  étudiants  qui  venaient 
quatre  par  quatre,  avec  leur  carte  au  chapeau,  me  demander  des 
places  et  protester  contre  le  parti  clérical  et  me  donnant  leurs  noms. 

Je  ne  sais  pas  si  ce  sera  aussi  chaud  demain.  On  dit  que  oui,  et, 
comme  on  a  refusé  trois  ou  quatre  mille  personnes  faute  de  place,  il 
est  Ă   croire  que  le  public  sera  encore  nombreux  et  ardent.  Nous  ver- 
rons si  la  cabale  se  montera.  Ce  matin,  le  prince  a  reçu  plusieurs  lettres 
anonymes  oĂč  on  lui  disait  de  prendre  garde  Ă   ce  qui  se  passerait  Ă  
l'Odéon.  Rien  ne  s'est  passé,  sinon  qu'on  a  chuté  les  claqueras  de 
l'empereur  à  son  entrée,  en  criant  :  A  bas  la  claque!  L'empereur  a  trÚs 
bien  entendu  ;  sa  figure  est  restée  impassible. 

VoilĂ   tout  ce  que  je  peux  dire  ce  soir  ;  le  silence  se  fait,  la  circula- 
tion est  rétablie  et  je  vais  dormir. 

Mme  Sand  décrit  la  seconde  de  Villemer  dans  la  lettre  écrite 
Ă©galement  Ă   2  heures  de  la  nuit  du  1er  au  2  mars.  (Cette  lettre 
est  encore  tronquée  et  changée  dans  la  Correspondance.  Nous 
donnons  en  italiques  les  passages  coupés.) 

Mes  enfants, 

La  seconde  de  Villemer  a  été  ce  soir  encore  plus  chaude  que  celle 
d'hier.  C'est  un  triomphe  inouĂŻ,  une  tempĂȘte  d'applaudissements  d'un 
bout  à  l'autre,  à  chaque  mot,  et  si  spontanée,  si  générale,  qu'on  coupe 

(1)  Le  général  Ferri-Pisani,  attaché  à  la  maison  du  prince  JérÎme,  grand 
ami  de  Mmes  Sand  et  Villot. 

iv.  3o 


466  GEORGE   SAND 

trois  fois  chaque  tirade.  Le  groupe  des  claqueurs  quand  il  essaye  de 
marquer  des  points  de  repĂšre  Ă   cet  enthousiasme  ne  fait  pas  phis 
d'effet  qu'un  sac  de  noix.  Le  public  ne  s'en  occupe  pas,  il  interrompt 
oĂč  il  lui  plaĂźt,  et  c'est  le  tonnerre.  Jamais  je  n'ai  rien  entendu  de  pareil 
La  salle  est  comble,  elle  croule  ;  la  tirade  de  Ribes,  au  second  acte, 
provoque  le  délire.  Dans  les  entr'actes,  les  étudiants  chantent  des  can- 
tiques dĂ©risoires,  crient  :  «  EnfoncĂ©s  les  JĂ©suites  !  Hommes  noirs,  d'oĂč 
sortez-vous?  et  Nous  les  fessons,  de  Béranger.  »  On  rappelle  les 
acteurs  Ă   tous  les  actes.  Us  ont  de  la  peine  Ă   finir  la  piĂšce.  Ces  applau- 
dissements les  rendent  ivres.  Berton,  ce  matin,  TĂ©tait  encore  d'hier, 
lui  qui  ne  boit  jamais  que  de  l'eau  rougie.  Ce  soir,  il  me  suivait  dans  les 
coulisses  en  me  disant  qu'il  me  devait  le  plus  beau  succĂšs  de  sa  vie,  et 
le  plus  beau  rÎle  qu'il  eût  jamais  joué  ! 

Thuillier  et  BameUi  étaient  folles.  H  faut  dire  qu'elles  ont  joué  admi- 
rablement. Ribes  n'a  pas  le  mĂȘme  ensemble  :  il  est  laid,  disgracieux, 
pas  cabotin  du  tout  ;  mais  par  moments  il  est  si  sympathique  et  si 
nerveux,  qu'il  Ă©lectrise  le  public  et  recueille  en  bloc  les  bravos  que 
les  autres  reçoivent  en  détail.  Je  vous  raconte  tout  ça  pour  vous 
amuser.  Si  vous  voyiez  mon  calme  au  milieu  de  tout  ça,  vous  en  ririez, 
car  je  n'ai  pas  été  plus  émue  de  peur  et  de  plaisir  que  si  ça  ne  m'eût 
pas  regardé  personnellement,  et  je  ne  pourrais  pas  expliquer  pourquoi. 
Je  m'Ă©tais  prĂ©parĂ©e  Ă   ce  qu'il  y  a  de  pire,  c'est  peut-ĂȘtre  pour  ça  que 
l'inattendu  d'un  succĂšs  si  inconcevable,  en  ce  qiĂč  me  concerne,  m'a 
un  peu  stupéfiée.  H  faut  voir  le  personnel  de  l'Odéon  autour  de  moi. 
Je  suis  le  bon  Dieu.  Je  dois  leur  rendre  cette  justice  que,  tout  le  temps 
des  répétitions,  ils  ont  été  aussi  gentils  que  le  jour  de  la  victoire  ;  que, 
la  veille,  ils  n'ont  pas  été  pris  de  la  panique  ordinaire  qui  fait  qu'on 
veut  mascander  la  piĂšce  parce  qu'on  a  peur  de  tout.  Es  vont  faire  de 
l'argent,  je  l'espĂšre.  En  ce  moment  ils  pourraient  faire  quatre  mille 
francs  par  soirée  ;  mais  ils  tiennent  à  laisser  entrer  les  écoles,  beau- 
coup d'ouvriers,  de  bourgeois  libre  penseurs,  enfin  les  anus  naturels 
et  ceux  qui  lancent  le  succĂšs  par  conviction.  En  cela,  ils  agissent  bien, 
et  ils  sont  hoimĂȘtes  gens. 

Il  y  a  eu  ce  soir  encore  un  peu  de  tapage  sur  la  place.  On  voulait 
recommencer  la  promenade  d'hier  au  soir,  car  je  ne  savais  pas  hier 
quand  je  vous  ai  écrit  tout  ce  qui  s'était  passé.  Six  mille  personnes 
au  moins,  les  Ă©tudiants  en  tĂȘte,  ont  Ă©tĂ©  Ă   la  porte  du  club  catholique 
et  de  la  maison  des  jésuites,  chanter  en  fausset  :  Esprit  saint,  descendez 
en  nous!  et  autres  cantiques,  en  moquerie. 

Ce  n'était  pas  bien  méchant  ;  mais  comme  tous  ces  enfants  s'étaient 
grisés  par  leurs  cris  et  leur  queue  de  douze  heures  sur  la  place,  on  crai- 
gnait de  les  voir  aller  trop  loin,  et  la  police  les  a  dispersés.  Quelques- 
uns  ont  été  bousculés,  déchirés  et  menés  au  poste.  Ni  coups  ni  blés- 


GEORGE   SAND  467 

sures  pourtant,  On  s'attendait  à  du  bruit  et  on  avait  consigné  deux 
rĂ©giments,  avec  l'ordre  d'ĂȘtre  prĂȘts  Ă   monter  Ă   cheval.  Les  jeunes 
gens  avaient  résolu  de  dételer  mes  chevaux  du  sapin  et  de  m' amener 
rue  Racine.  On  a,  Dieu  merci,  empĂȘchĂ©  et  calmĂ©  tout.  On  a  un  peu 
engueulé  l'impératrice  en  lui  chantant  le  Sire  de  Framboisy.  Mais 
l'empereur  a  bien  agi,  il  a  applaudi  la  piĂšce,  il  est  sorti  Ă   pied  jusqu'Ă  
sa  voiture,  que  la  foule  empĂȘchait  d'arriver.  Il  n'a  pas  voulu  que  la 
police  lui  fßt  faire  place.  On  lui  en  a  su  gré  et  on  l'a  applaudi. 

Il  devrait  bien  faire  supprimer  l'escouade  de  mouchards  qui  l'ac- 
clament à  son  entrée,  et  auxquels  les  étudiants  ont  imposé  silence 
hier  ;  je  suis  sûre  que,  sans  elle,  toute  la  salle  l'applaudirait. 

Les  journaux  d'aujourd'hui  racontent  de  mille  maniĂšres  ce  qui  s'est 
passé  hier;  mais  ce  que  je  vous  raconte  à  bùtons  rompus  est  exact. 
Aujourd'hui  il  y  avait  dans  la  salle  pas  mal  de  catholiques  qui  essayaient 
de  prendre  des  airs  dĂ©daigneux  et  embĂȘtĂ©s.  Mais  ils  ne  pouvaient  pas 
seulement  cracher,  et  la  moindre  parole  de  leur  part  eût  fait  éclater 
une  tempĂȘte.  DĂ©cidĂ©ment  tout  le  monde  ne  les  aime  pas,  et  ils  n'ose- 
ront pas  broncher.  Ils  se  vengeront  dans  leurs  journaux,  soit. 

J'ai  encore  un  jour  ou  deux  Ă   donner  Ă   Villemer;  et  puis  j'ai  Ă   voir 
M.  Harmant,  et  puis  la  piĂšce  de  Dumas,  qui  vient  samedi,  et  quelques 
affaires  de  détail  à  terminer  ;  l'impression  de  mon  manuscrit  de  Vil- 
lemer Ă   livrer,  c'est-cĂ -dire  la  correction  d'un  manuscrit  conforme  Ă   la 
mise  en  scĂšne  ;  ma  photographie  chez  Nadar.  J'espĂšre  avoir  fini  tout 
cela  la  semaine  prochaine  et  courir  vers  vous  et  mon  Cocoton  qui 
pousse  bien,  j'espĂšre,  pendant  que  je  pioche,  ce  cher  petit  amour.  Je 
vous  bige  mille  fois.  Parlez-moi  de  vous  et  de  lui. 

J'ai  les  patrons  en  question,  mais  ce  n'est  pas  ce  qu'il  faut  Ă   Cocotte 
pour  le  moment.  Ce  sont  des  choses  d'été,  parce  que  la  piÚce  se  passe  en 
été.  Ce  qu'il  faut  faire  pour  la  robe  de  moire,  c'est  un  corsage  coUant  et 
montant  avec  de  gros  boutons,  pointe  par  devant  et  par  derriĂšre... 


(Vient  une  longue  description  de  la  mode  d'alors  avec  un  dessin 
Ă   la  plume  de  deux  eorsages.) 

Amitiés  de  Monceau  qui  commence  à  se  rassurer  un  peu.  A-t-U-eu 
pmr  Ă   ma  place!  et  le  mal  de  ventre  comme  toujours!  Si  vous  avez  besoin 
d'argent  ou  que  le  temps  radouci  et  la  bonne  santé  de  Cocoton  vous  donnent 
envie  de  voir  le  succĂšs  de  Villemer,  prenez  Ă   Sylvain.  Prenez  en  tout  cas 
si  vous  avez  quelques  dépenses  à  faire.  L'Odéon  ne  m'emïchira  pas,  il 
n'enrichit  personne,  mais  il  me  permettra  de  n'ĂȘtre  plus  si  gĂȘnĂ©e.  Vous 
avez  dĂ»  recevoir  une  dĂ©pĂȘche  de  Manceau  pour  vous  annoncer  le  triomphe. 
Montigny  y  Ă©tait.  Il  est  venu  m'embrasser,  mais  il  avait  la  figure  un 


468  GEORGE   SAND 

peu  allongée.  Je  vais  avoir  beaucoup  à  faire.  Je  ne  vous  écrirai  ces  jours-ci 
que  quelques  petits  bulletins. 

Paris,  2  mars  1864. 

TroisiĂšme  de  Tillemer  aussi  nombreuse,  aussi  excellente  que  les 
deux  autres,  le  succÚs  est  lancé,  constaté,  assuré  ;  une  cabale  ne  ferait 
plus  que  du  bien  si  elle  se  montrait  à  présent.  Le  public  payant  com- 
mence Ă   trouver  place.  Le  premier  jour  on  n'a  fait  que  700  francs 
grùce  aux  entrées  de  faveur,  aux  ministÚres  et  aux  anus  :  le  deuxiÚme 
jour  1  200,  aujourd'hui  3  000,  demain  il  y  a  déjà  4  000  à  la  location  ; 
c'est  un  chiffre  inouï  pour  le  pauvre  Odéon,  et  il  y  a  déjà  pour  samedi 
et  lundi  6  000  francs  de  location. 

Aussi  il  n'y  a  plus  de  place  mĂȘme  pour  moi.  Manceau  qui  n'est  pas 
gros  se  fourre  dans  le  violon  d'Ancessy,  mais  moi  je  suis  libre  d'entrer 
dans  les  coulisses.  J'y  ai  passé  la  soirée  à  écouter  rugir  et  crouler  la 
salle.  Je  vais  courir  un  peu  demain  pour  Ă©chapper  aux  visites,  aux  lettres, 
aux  cartes,  aux  bouquets.  Tout  le  monde  est  charmant  dans  le  succĂšs. 
C'est  toujours  comme  ça.  Le  prince  est  venu  aujourd'hui.  Il  est  dans 
un  enthousiasme  indescriptible.  Il  dit  que  c'est  la  plus  belle  chose  qui 
ait  été  faite  en  ce  siÚcle,  excusez  du  peu... 

Paris,  3  mais  1864. 

Ce  soir  4  300  francs  de  recette  à  l'Odéon,  c'est  fabuleux,  pas  une 
entrĂ©e  de  faveur,  pas  mĂȘme  Ă   moi.  Xous  avions  donc  affaire  au  publie 
payant,  libre  de  toute  influence,  et  nous  n'avons  pas  eu  moins  de 
rappels,  pas  moins  de  bravos,  pas  moins  d'interruptions  enthousiastes. 
Les  claqueurs  sont  impuissants  à  régler  les  répliques  à  effet.  La  salle 
part  comme  un  seul  homme,  Ă   chaque  instant,  et  des  larmes  et  une 
attention  magnifique.  Et  tout  cela  c'est  en  haut,  en  bas  et  au  milieu 
de  la  salle.  Il  y  avait  tant  de  beau  monde  que  les  Ă©quipages  tenaient  de 
l'Odéon  au  boulevard  Sébastopol  et  que  pour  rentrer  chez  moi  il  m'a 
fallu  fane  un  grand  tour.  Ça  n'empĂȘchait  pas  les  derniĂšres  loges  du 
centre  d'ĂȘtre  pleines,  jusqu'Ă   celles  de  cĂŽtĂ©  oĂč  on  ne  voit  absolument 
rien,  et  pleines  de  gens  payants.  L'impératrice  m'a  envoyé  aujourd'hui 
son  secrétaire  des  commandements  pour  me  complimenter. 

La  piÚce  est  jouée  de  mieux  en  mieux,  et  si  elle  se  soutenait  comme 
ça,  Larounat  y  ferait  sa  fortune.  Mais  à  l'Odéon  il  faut  encore  s'es- 
timer heureux  quand  on  fera  une  moyenne  de  1  500  francs... 

...Je  me  lĂšve  Ă   9  heures  demain  pour  ĂȘtre  chez  Nadar  Ă   11  ;  j'ai  Ă©tĂ© 
le  voir  aujourd'hui.  Il  recommencera  mon  portrait  jusqu'Ă   ce  qu'il 
le  réussisse  (1)...  On  imprime  aujourd'hui  le  premier  acte  de  Villemer. 

(1)  Nadar,  célÚbre  photographe,  qui  avait  fait  en  1864  seize  portraits  de 


GEORGE   SAND  469 

Les  journaux  sont  jusqu'ici  trÚs  louangeurs.  J'ai  reçu  vos  lettres  ce 
matin,  je  suis  contente,  chers  enfants,  que  vous  soyez  contents.  Je 
voudrais  que  vous  vissiez  une  de  ces  belles  soirĂ©es  oĂč  je  triomphe  enfin 
sur  toute  la  ligne  Ă   la  barbe  des  cagots,  des  envieux  et  des  gazetiers. 

A  monsieur  Oscar  Cazamajou. 

Paris,     mars  1864. 

...J'ai  eu  un  succÚs  dont  rien  ne  peut  donner  l'idée  et  que  je  ne  croyais 
jamais  avoir  au  théùtre.  La  piÚce  fait  à  présent  un  argent  fou.  Je  ne 
sais  pas  si  ça  durera,  mais  c'est  superbe  pour  le  moment... 

A  Maurice. 

Paris,  5  mars  1864, 

On  n'a  pas  joué  la  piÚce  hier,  à  cause  du  vendredi...  On  la  jouera  le 
dimanche  pour  se  dédommager... 

...Aujourd'hui  on  a  dû  faire  salle  comble,  car  j'ai  demandé  pour  des 
amis  deux  places  qu'on  ne  pourra  pas  me  donner,  mĂȘme  en  payant, 
avant  mercredi.  L'Odéon  est  illuminé  tous  les  soirs...  J'ai  été  hier 
chez  Nadar,  on  m'a  portraiturée  seize  fois,  j'espÚre  que  nous  aurons 
quelques  épreuves  réussies  dans  le  nombre. 

...J'ai  beaucoup  de  choses  Ă   vous  dire  sur  le  protestantisme.  Il  s'y 
passe  une  mauvaise  réaction.  On  vient  de  destituer  Coquerel  qui  pense 
comme  M.  Leblois.  H  y  a  deux  partis  en  guerre.  Les  protestants  de 
M.  Guy  qui  sont  aux  trois  quarts  catholiques  et  ceux  qui  veulent  la 
tolérance.  Il  paraßt  que  le  pasteur  de  Bourges  est  dans  le  parti  arriéré 
et  je  ne  vous  approuverais  pas  de  quitter  le  catholicisme  pour  une  reli- 
gion qui  se  déclare  tout  aussi  intolérante  et  qui  impose  la  divinité  de 

George  Sand,  était  un  républicain  et  ami  de  George  Saud  depuis  1848.  11 
s'intéressait  à  l'aérostatique  et  l'aviation  et  écrivit  un  livre  :  le  Droit  au  vol. 
On  sait  qu'un  décret  datant  de  la  grande  Révolution  interdisait  absolument 
tout  essai  de  vol,  soit  en  ballon,  soit  sur  des  appareils  plus  lourds  que  l'air. 
Or  Nadar  défendait  le  droit  de  chacun  de  voler.  Mme  Sand  écrivit,  en  1865, 
une  Préface  à  son  livre,  qu'il  aurait  été  fort  curieux  de  publier  de  nos  jours 
dans  quelque  revue  d'aviation.  (Cette  préface  est  réimprimée  dans  le  volume 
des  Souvenirs  de  1848.)  Mme  Sand  y  part  d'un  point  de  vue  trÚs  élevé  et  trÚs 
grand  :  il  ne  faut  ni  se  moquer,  ni  mettre  d'entraves  à  une  grande  idée  nou- 
velle, mais  au  contraire  l'accueillir  avec  joie  et  prĂȘter  Ă   son  auteur  aide  et 
secours,  pour  qu'il  la  réalise,  si  cette  idée  est  basée  sur  la  logique  et  provient 
de  la  volonté  de  se  rendre  maßtre  d'une  force  de  la  nature  point  encore 
domptée  ;  l'avenir  justifie  toujours  les  novateurs  et  les  chercheurs  coura- 
geux ;  il  est  impossible,  au  siÚcle  de  la  vapeur  et  de  l'électricité,  de  ne  pas 
avoir  foi  dans  la  victoire  future  de  la  navigation  aérienne.  On  voit  combien 
George  Sand  avait  le  sens  juste. 


470  GEORGE   SAND 

JĂ©sus  sous  peine  de  l'enfer.  Ce  ne  serait  pas  le  moment  de  faire  une 
protestation  en  faveur  de  Calvin  et  du  bûcher  de  Servet.  H  vaudrait 
mieux  faire  venir  M.  Leblois,  et  si  vous  le  voulez,  je  m'en  charge. 

A  l'heure  qu'il  est,  entrer  dans  une  Eglise  qui  persécute  ferait  un 
mauvais  effet  pour  nous  tous.  Ne  vous  pressez  pas.  Tout  viendra  Ă  
point.  Villemer  peut  bien  payer  votre  mariage  et  le  baptĂȘme  de  Marco. 

Paris,  8  mars  1864. 

Villemer  va  toujours  merveilleusement.  La  grande  presse  est  encore 
plus  Ă©logieuse  que  la  petite,  et  cela  sans  restrictions.  Ces  messieurs 
qui  m'avaient  déclarée  incapable  de  faire  du  théùtre,  me  proclament 
trÚs  forte.  L'Odéon  fait  tous  les  soirs  4  000  francs  de  locations  et  de 
5  à  600  francs  de  bureau.  Il  y  a  file  de  voitures  toute  la  journée  pour 
retenir  les  places,  puis  autre  file  le  soir  et  queue  au  bureau. 

L'Odéon  est  illuminé  tous  les  soirs.  La  Rounat  en  deviendra  fou. 
Les  acteurs  sont  toujours  rappelés  entre  tous  les  actes.  C'est  un  succÚs 
splendide,  et  comme  il  n'est  plus  soutenu  par  personne  que  le  public 
payant,  il  est  si  unanime  et  si  chaud  que  jamais  les  auteurs  n'en  ont 
vu,  disent-ils,  de  pareil... 

Les  épreuves  de  ma  photographie  n'ont  pas  encore  trÚs  bien  réussi 
chez  Nadar  :  j'y  retourne  demain.  M.  Harmant  vient  pour  sûr  mer- 
credi. Il  m'a  envoyé  une  loge  pour  ce  jour-là,  car  il  faut  bien  que  je 
connaisse  son  théùtre.  Je  voudrais  aussi  voir  Villemer  que  je  n'ai 
encore  fait  qu'apercevoir-  à  moitié.  J'ai  demandé  hier  trois  places,  pas 
une  qui  ne  soit  louée  jusqu'à  samedi. 

Paris,  9  mars  1864. 

J'ai  enfin  vu  M.  Harmant  deux  fois  aujourd'hui.  Le  succĂšs  crois- 
sant de  Villemer  (nous  arrivons  à  5  000  francs  de  recette)  a  décidé 
ce  potentat  qui  gouverne  tous  les  théùtres  de  drame,  à  faire  les  avances. 
Il  demande  l'Homme  de  neige  pour  le  mois  de  novembre  prochain  au 
plus  tard,  afin  de  le  jouer  en  janvier...  J'ai  encore  été  chez  Nadar, 
je  ne  verrai  le  résultat  que  demain...  La  vente  de  Delacroix  a  produit 
500  000  francs,  on  en  a  pour  70  ou  80  000,  j'en  réponds,  si  la  fiÚvre 
ne  tombe  pas.  mais  il  faudrait  prendre  un  parti  et  pas  trop  tard.  Ça 
en  vaut  la  peine.  Tu  y  songeras...  Le  succÚs  de  Villemer  a  ramené  chez 
moi  la  foule.  Manceau  en  perd  la  tĂȘte.  La  sonnette  ne  s'arrĂȘte  pas.  Je 
me  porte  bien  quand  mĂȘme...  Dis  Ă   Darchy,  Ă   Moulin,  Ă   Mme  Ludre 
que  je  n'ai  pas  le  temps  de  les  remercier.  J'ai  reçu  cinq  cents  lettres 
depuis  Villemer. 

Mercredi  soir. 


GEORGE   SAND  471 


A  Maurice. 

Paris,  10  mars. 

...Le  succĂšs  de  Villemer  va  toujours  crescendo.  La  recette  de  ce  soir 
est  de  5 100  fr.  50.  On  n'a  jamais  fait  de  pareilles  recettes  à  l'Odéon 
depuis  le  temps  de  Robin  des  bois  en  1826  ou  1827.  La  rue  Racine  est 
obstruée  le  soir  par  des  équipages  de  luxe  sur  trois  de  front.  Les  res- 
taurateurs sont  encombrés  ;  on  ne  reconnaßt  plus  le  Quartier  Latin. 
Les  belles  dames  font  queue  dans  le  jour  Ă   la  location.  Il  y  a  des  ser- 
gents de  ville  dÚs  le  matin  au  bureau,  et  toujours  à  la  représentation 
en  entend  les  mĂȘmes  rires,  les  mĂȘmes  bravos,  et  les  nez  qui  se  mouchent, 
parce  qu'on  pleure.  Ce  succÚs  est  tel  que  je  ne  peux  pas  croire  que  ça 
me  regarde. 

Au  mĂȘme. 

Paris,  12  mars. 
Mes  chers  enfants, 

Manceau  vous  a  Ă©crit  ce  matin  aussitĂŽt  que  nous  avons  pu  fixer 
notre  départ  et  je  n'ai  qu'à  vous  répéter  que  nous  partons  mercredi 
matin...  J'ai  encore  passé  la  matinée  chez  Nadar,  afin  d'avoir  une 
bonne  série  de  portraits  et  je  vous  porterai  tout  ça,  les  mauvais  et 
les  bons...  J'ai  Ă©tĂ©  ce  soir  voir  enfin  Villemer  d'une  bonne  place  d"oĂč 
j'ai  pu  saisir  l'ensemble  ;  c'est  trĂšs  bien  mis  en  scĂšne  et  les  acteurs 
jouent  beaucoup  mieux  que  le  premier  jour.  On  a  fait  encore  5  090  francs 
de  recette,  10  francs  de  moins  que  jeudi,  parce  que  j'avais  pris  deux 
places,  c'est-Ă -dire  que  la  salle  fait  tout  ce  qu'elle  peut  faire  et  tient 
tout  ce  qu'elle  peut  tenir.  On  a  supprimé  l'orchestre  et  on  a  renvoyé 
ce  soir  plus  de  quatre  cents  personnes.  C'est  loué  comme  ça  jusqu'à 
PĂąques.  C'est  fabuleux.  Je  vais  demain  dire  adieu  au  prince,  il  Ă©tait 
encore  ce  soir  Ă   Villemer;  je  me  porte  bien,  mais  il  faut  vous  attendre 
à  me  trouver  maigrie.  Je  ne  mange  pas.  L'appétit  ne  reviendra  qu'à 
Nohant.  Je  trouve  superbe  la  négociation  de  Duvernet.  Il  est  un  peu 
arriéré,  le  cher  homme  !  A  Paris,  de  plus  gros  bourgeois  que  lui  lùchent 
les  curés  et  les  jésuites.  Bonsoir,  mes  chéris.  Je  vous  bige  à  mort. 

Samedi  soir. 


Entre  temps  les  recherches  d'un  pasteur  allaient  leur  train. 
Enfin  la  chose  fut  décidée  et  le  10  avril  Mme  Sand  écrivait  à 


472  GEORGE    SAND 

Jules  Boucoiran  qui  devait  ĂȘtre  le  parrain  du  fils  de  son  ancien 
Ă©lĂšve  : 

Nohant,  10  avril  1864. 

Nous  mangeons  les  bonbons.  C'est  moi  qui  les  donnerai  quand 
viendra  le  baptĂȘme.  M.  Guy  a  craint  de  se  compromettre  et  il  n'a  pas 
répondu.  Je  ne  crois  pas  qu'Athanase  Coquerel  (1)  puisse  marier  et 
baptiser  maintenant.  Il  m'a  dit  :  «  Je  ne  suis  plus  pasteur.  »  Mais 
nous  irons  Ă   M.  Peschoux  Ă   Paris,  ou  mes  enfants  iront  Ă   NĂźmes  en 
allant  chez  M.  Dudevant...  Je  serai  toujours  votre  commÚre.  Je  dérange 
sans  la  détruire  ou  plutÎt  je  rar  range  mon  existence  de  Nohant.  J'y 
dépense  trop  et  je  me  fais  vieille.  H  faut  trop  de  travail  pour  maintenir 
une  si  large  installation.  Je  loue  un  petit  pied-Ă -terre,  tout  cela  plus 
Ă©conomique  que  mon  appartement  et  mes  quatre  Ă©tages  de  la  rue 
Racine.  Je  passe  ainsi  une  partie  de  Tannée  à  Paris,  plus  à  portée  des 
affaires  de  théùtre  qui  demandent  une  surveillance,  et  l'autre  partie 
à  Nohant  avec  mes  enfants,  mais  avec  moins  de  visites,  de  dépense 
et  de  personnel.  Je  garde  les  plus  vieux  domestiques,  Marie  et  Sylvain 
entre  autres.  Mais  mon  jardinier  me  demande  trop  cher  pour  rester... 

Nous  savons  que,  rentrée  à  Nohant,  Mme  Sand  alla  passer 
quelques  jours  Ă   Gargilesse  d'oĂč  elle  adressa  sa  Nouvelle  lettre 
d'un  voyageur  datée  du  24  avril,  à  Manceau,  qui  était  reparti 
pour  Paris.  Puis  elle  se  mit  à  faire  les  préparatifs  de  départ  pour 
Palaiseau,  et  dans  sa  lettre  Ă   Charles  Poney,  tout  en  lui  donnant 
sa  nouvelle  adresse  à  Paris,  elle  dit  carrément  que  sa  vraie  rési- 
dence sera  Palaiseau. 

A  monsieur  Charles  Poney. 

Nohant,  4  mai  1864. 

Cher  enfant,  c'est  Ă   Paris  que  nous  nous  verrons.  Il  faut  que  j'y 
6ois  Ă   la  fin  de  ce  mois  ou  au  commencement  de  l'autre,  et  qu'aupa- 
ravant j'aille  Ă   Gargilesse,  car  je  suis,  nous  sommes  tous  Ă   la  veille 
d'un  décampement.  Nous  voulons  nous  rapprocher  et  nous  éloigner 
de  Paris,  c'est-Ă -dire  y  ĂȘtre  un  peu  installĂ©s,  tout  auprĂšs,  sur  un  chemin 
de  fer,  pour  y  faire  nos  affaires  sans  y  demeurer.  Maurice  et  sa  femme 
doivent  aller  d'abord  Ă   NĂ©rac  et  je  ne  crois  pas  que  nous  soyons  de 
retour  Ă   Nohant  avant  l'automne. 

(1)  Auteur  du  livre  les  Forçats  pour  la  foi, 


GEORGE   SAND  473 

Donc  Ă   Paris  informez-vous  de  nous,  rue  des  Feuillantines  97,  oĂč 
j'ai  une  chambre,  et  laissez-y  votre  adresse  pour  que  je  vous  retrouve, 
si  ce  jour-lĂ   je  suis  en  course.  Mon  vrai  pied-Ă -terre  sera  Ă   Palaiseau. 
Mais  j'ignore  si  j'y  serai  installĂ©e  alors...  Peut-ĂȘtre  Lina  sera-t-elle 
Ă   Paris  en  mĂȘme  temps  que  moi  avec  son  poupon  qui  est  ravissant. 
A  vous  de  cƓur,  mes  chers  enfants,  amitiĂ©s  de  Manceau. 

G.  S. 

Si  la  cause  rĂ©elle  de  ce  changement  d'existence  doit  ĂȘtre 
attribuée  au  désir  de  Mme  Sand  de  mettre  le  jeune  ménage  dans 
la  nécessité  de  diriger  seuls  leur  maison  et  leur  propriété,  aussi 
bien  qu'à  son  envie  de  se  créer  un  asile,  de  fuir  Nouant  pour 
travailler  (ainsi  qu'elle  le  fit  en  1840-41,  oĂč  elle  resta  une  annĂ©e 
entiÚre  à  Paris,  sans  aller  à  Nohant,  et  plus  récemment,  en  1858- 
62,  à  Gargilesse),  ce  départ  de  Mme  Sand  fut  amené  aussi  par 
une  circonstance  particuliÚre.  La  santé  de  Manceau  l'inquiétait 
de  plus  en  plus,  les  symptĂŽmes  phtisiques  devenaient  chaque 
jour  plus  évidents.  Les  consultations  des  célébrités  médicales 
de  Paris  s'imposaient.  En  dehors  de  cela  il  y  eut  une  histoire 
assez  désagréable  à  Nohant  :  les  rapports  entre  Maurice  et 
Manceau  —  depuis  longtemps  cordiaux  de  la  part  d'un  seul  — 
s'envenimĂšrent  soudain  tout  Ă   fait.  Marie  Caillaud  fit  naĂźtre 
ce  différend.  Comme  tous  les  serviteurs  trop  gùtés  par  leurs 
maĂźtres,  elle  se  permit  un  jour  de  ne  pas  remplir  un  ordre. 
L'un  des  deux  jeunes  gens  prit  son  parti,  l'autre  se  fĂącha. 
Une  querelle  s'ensuivit,  rappelant  celle  de  Maurice  et  de 
Chopin.  Manceau  quitta  immédiatement  Nohant  et  partit  pour 
Pans.  Si  Mme  Sand  le  suivit  ce  ne  fut  pas,  comme  on  le  pré- 
tendit plus  tard,  par  crainte  qu'on  ne  fĂźt  des  comparaisons 
entre  les  événements  et  les  faits  qui  s'étaient  passés  lors  de  la 
maladie  et  la  mort  de  Chopin,  mais  pour  une  raison  d'un  ordre 
bien  plus  élevé  :  Maurice  était  pÚre  de  famille,  il  n'avait  plus 
besoin  de  sa  mĂšre  comme  autrefois.  Le  pauvre  malade,  au  con- 
traire, avait  besoin  d'elle,  il  était  menacé  de  mourir  seul,  lui  qui 
avait  vouĂ©  sa  vie  au  bien-ĂȘtre  de  Maurice  et  de  Mme  Sand.  Cette 
derniÚre  ne  le  voulut  pas.  Elle  tint  à  ce  que  sa  chÚre  Lina  ne  sût 
pas  la  vraie  cause  de  ce  départ  précipité,  déclara  qu'elle  aban- 


474  GEORGE   SAND 

donnait  Xohant  Ă   ses  enfants  et  alla  s'installer  Ă   Palaiseau  (1). 
Le  départ  de  Mme  Sand  causa  un  étonnement  général  et  cha- 
grina tout  le  petit  monde  de  La  ChĂątre.  On  en  chercha  les  vraies 
raisons,  on  en  trouva  de  tout  Ă   fait  fantastiques.  Mais  aucun 
des  amis  de  Mme  Sand  ne  crut  que  la  seule  raison  financiĂšre 
décida  cet  éloignement  de  sa  maison.  Tous  s'émurent  et  l'acca- 
blÚrent de  questions  :  qu'était-il  arrivé?  quelle  était  la  vraie 
raison  de  son  départ?  Un  malheur?  un  chagrin?  etc.,  etc.  Les 
lettres  publiées  dans  la  Correspondance  (2)  montrent  que  George 
Sand  s'efforça  de  calmer  l'inquiétude  de  ses  amis  de  toutes  les 
maniÚres  possibles,  tantÎt  sérieusement,  tantÎt  avec  ironie.  Elle 
disait  que  «  si  les  gens  de  La  Chùtre  n'avaient  pas  incriminé 
selon  leur  coutume,  c'est  qu'ils  auraient  été  malades  ».  Elle 
assurait  qu'outre  «  son  désir  de  mettre  ]Nohant  sur  un  pied  éco- 
nomique »  et  «  les  scrupules  bons  et  tendres  de  ses  enfants  à 
gouverner  Xohant  tout  seuls  sans  elle  »,  rien  ne  se  cachait  der- 
riÚre sa  décision.  Dans  la  lettre  à  Mme  Augustine  de  Bertholdi, 
Mme  Sand  parlait  mĂȘme  assez  ironiquement  de 

«  ces  bons  Berrichons  qui  la  faisaient  rire  quand  ils  lui  disaient  :  «  Vous 
allez  donc  nous  quitter?  Comment  ferez-vous  pour  vivre  sans  nous?  »  Il  y 
a  assez  longtemps  qu'ils  vivent  de  moi.  Duvernet  sait  bien  tout  cela  et  je 
m'Ă©tonne  qu'il  s'Ă©tonne. 

Le  succÚs  de  Yillemer  me  permet  de  recouvrer  un  peu  de  liberté 
dont  j'étais  privée  tout  à  fait  à  Nohant  dans  ces  derniÚres  années, 
grĂące  aux  bons  Berrichons  qui,  depuis  les  gardes  champĂȘtres  de  tout 
le  pays  jusqu'aux  amis  de  mes  amis,  et  Dieu  sait  s'ils  en  ont  !  voulaient 
ĂȘtre  placĂ©s  par  mon  grand  crĂ©dit.  Je  passais  ma  vie  en  correspondances 
inutiles  et  en  complaisances  oiseuses.  Avec  cela  ces  visiteurs  qui  n'ont 
jamais  voulu  comprendre  que  le  son  était  mon  moment  de  liberté  et 
le  jour  mon  heure  de  travail.  J'en  étais  arrivée  à  n'avoir  plus  que  la 
nuit  pour  travailler  et  je  n'en  pouvais  plus.  Et  puis,  trop  de  dépenses 
Ă   Nohant,  Ă   moins  de  continuer  ce  travail  Ă©crasant.  Je  change  ce  genre 
de  vie,  je  m'en  réjouis  et  je  trouve  drÎle  qu'on  me  plaigne.  Mes  enfants 
s'en  trouvent  bien  aussi,  puisqu'ils  étaient  claquemurés  aussi  par  les 


(1)  Nous  tenons  ces  détails  des  sources  les  plus  autorisées. 

(2)  Voix  Correspondance,  vol.  V,  p.  24-35,  les  lettres  Ă   Duvernet  du 
24  mars  ;  Ă   Mme  de  Bertholdi  du  3  avril  ;  Ă   Mlle  Nancy  Fleury  du  8  mai  ; 
à  M.  Oscar  Cazamajou  de  «  mai  1864  »  et  à  M.  Guillemat  du  11  juin  1864. 


GEORGE   SAND  475 

visites  de  Paris  et...  que  nous  nous  arrangerons  pour  ĂȘtre  tout  prĂšs 
les  uns  des  autres  Ă   Paris,  et  pour  revenir  ensemble  a  Nouant  quand  il 
nous  plaira  d'y  passer  quelque  temps. 

La  veille  de  son  départ  les  ouvriers  de  La  Chùtre  lui  adres- 
sĂšrent une  lettre  collective  oĂč  ils  lui  exprimaient  leur  vĂ©nĂ©ration 
profonde,  leur  gratitude,  leurs  regrets  de  la  voir  partir,  lui  té- 
moignant combien  ils  avaient  apprécié  ses  aspirations  démocra- 
tiques et  libératrices  (1)  : 

Madame, 

ChĂšre  et  illustre  compatriote, 

A  la  nouvelle  de  votre  départ  prochain,  les  ouvriers  de  La  Chùtre 
se  sont  sentis  émus  et  affligés.  Et  ce  n'est  pas  seulement,  croyez-le 
bien,  les  bienfaits  que  votre  main  a  toujours  semés  autour  d'elle,  qui 
leur  rendent  cette  privation  douloureuse. 

Votre  génie  est  une  lumiÚre  qui  brille  sur  le  monde  entier,  mais  votre 
cƓur  a  toujours  su  se  fane  entendre  des  ñmes  simples  et  populaires. 
Unis  Ă   vous  toujours  par  leurs  principes  et  leurs  sentiments  dans  la 
sainte  communion  de  la  démocratie  et  du  progrÚs,  ils  tiennent  à  vous 
exprimer,  Ă   cette  occasion,  leurs  sympathies  et  leurs  regrets. 

Absente,  notre  pensée  vous  suivra  toujours.  Souvenez-vous  aussi 
de  nous.  Que  ces  hommages  ne  soient  pas  des  adieux  ;  qu'Ă   ces  regrets 
se  mĂȘle  l'espĂ©rance  de  votre  retour. 

Si  tous  ne  peuvent  aller  serrer  votre  main  généreuse,  ce  témoignage 
vous  dira  que  vous  ne  laissez  pas  derriÚre  vous  des  indifférents  ou 
des  ingrats.  AgrĂ©ez-le  du  mĂȘme  cƓur  que  nous  vous  l'offrons.  La  rĂ©com- 
pense d'un  devoir  accompli  est  dans  la  conscience  mĂȘme.  Mais  il  est 
doux  aussi  d'apprendre  qu'on  a  été  compris.  Que  ses  efforts  pour 
éclairer  et  servir  le  peuple  n'ont  pas  été  stériles  et  méconnus.  Emportez 
cette  conviction,  madame,  et  pensez  que,  séparés,  nous  vous  aimerons 
encore  et  nous  applaudirons  à  vos  glorieuses  destinées. 

De  tous  ceux  qui  savent  lire,  vos  pages  Ă©loquentes  ont  fait  des  admi- 
rateurs sincĂšres  ou  des  amis  inconnus. 

Aux  Ă©trangers  vous  avez  fait  aimer  et  connaĂźtre  notre  cher  pays. 
Qui  vous  sera  donc  plus  reconnaissants  que  ses  enfants?  Si  votre  nom 
en  est  l'Ă©ternel  honneur,  votre  gloire  se  rattache  au  sien  par  ses  plus 
belles  Ɠuvres.  On  ne  comprend  pas  George  Sand  sans  les  horizons  du 
Berry,  loin  de  Nohant  et  loin  de  nous.  Que  le  souvenir  de  cette  soli- 

(1)  Cette  lettre  est  inédite. 


476  GEORGE  SAND 

darité  intime  vous  accompagne  comme  un  parfum  de  l'air  natal  et 
vous  ramĂšne  bientĂŽt  Ă   vos  amis  anciens. 

Laissez-nous  en  finissant  vous  remercier  de  ce  qu'il  y  a  pour  nous 
de  plus  particulier  dans  vos  Ă©crits.  Nous  y  retrouverons  avec  bonheur 
l'image  fidĂšle  et  cependant  embellie  de  la  terre  de  notre  enfance,  de 
nos  pĂšres,  leur  honnĂȘtetĂ©,  leur  indĂ©pendance,  leurs  vertus  modestes. 
En  la  comprenant  mieux,  nous  l'aimons  davantage  et  par  ce  petit  coin, 
comme  par  le  foyer  de  famille,  nous  nous  attachons  avec  plus  d'ardeur 
Ă   la  grande  patrie. 

Surtout  personne  n'a  su  ainsi  que  vous,  madame,  honorer  le  travail 
et  la  dignité  du  pauvre  aux  champs  ou  à  la  ville,  consoler,  ne  fût-ce 
que  par  de  beaux  rĂȘves,  ceux  qui  portent  courageusement  la  peine 
de  chaque  jour.  Vous  leur  avez  consacré  tout  un  livre,  le  Compagnon 
du  Tour  de  France,  Par  l'enseignement  de  l'exemple  vous  nous 
avez  prĂȘchĂ©  la  sagesse  avec  le  dĂ©vouement,  le  devoir  avec  la  justice. 
Vous  nous  avez  révélé  l'ensemble,  l'humanité  et  la  nature.  Nous  vous 
devons  la  patience  et  l'espoir. 

Fermes  dans  la  mĂȘme  foi,  nous  avons  dans  les  temps  difficiles  suivi 
le  mĂȘme  drapeau.  Aujourd'hui  que,  seul  ou  le  premier,  l'auteur  de 
Mademoiselle  La  Quintinie  lutte  et  triomphe  encore  pour  la  vérité 
contre  les.idées  rétrogrades,  nous  nous  rangeons  de  nouveau  avec  lui 
au  nom  de  la  liberté. 

Pourrions-nous  mieux  faire  que  d'emprunter  vos  propres  paroles 
pour  vous  saluer  de  nos  derniers  souhaits  : 

«  Us  se  souviendront  que  tu  fus  leur  mÚre  féconde,  leur  nourrice 
robuste  et  leur  église  militante.  Us  répandront  ce  baume  sur  tes  bles- 
sures et  ils  te  feront  de  la  terre  rajeunie  et  embaumĂ©e  un  lit  oĂč  tu 
pourras  enfin  te  reposer. 

«  En  attendant  le  jour  du  Seigneur,  torrents  et  forĂȘts,  montagnes 
et  vallées,  landes  qui  fourmillez  de  petites  fleurs  et  de  petits  oiseaux, 
chemins  sablés  d'or  qui  n'avez  pas  de  maßtres,  laissez-la,  laissez-la 
passer  la  bonne  Déesse,  la  Déesse  de  la  pauvreté  (1)  !  » 

Collot,  drapier  ;  Cornette,  ébéniste  ;  Bruneau,  cor- 
donnier ;  Bougeriot,  serrurier  ;  LeliĂšvre,  Edouard  ; 
Vallet  ;  Moreau  ;  Guillemat  ;  Salmon  ;  Lebeau  ; 
Zalade  Lour  ;  Bahuet  ;  Mercier  ;  Renard  ;  Daud  ; 
Frédéric  ;  Pibot,  sabotier  ;  Cluvau  ;  Béjard,  char- 
bonnier; Robin-Le  vert  ;  Pierre  Julot,  sabotier; 
Despruneaux;  Me  Trotignon;  Robin-Petit. 

La  ChĂątre,  6  juin  1864. 

(1)  Paroles  tirées  de  la  ballade  la  Bonne  déesse  de  la  pauvreté,  composée 
par  Consuelo,  (Voir  notre  vol.  III,  chap.  iv.) 


GEORGE   SAND  477 

Mme  Sand  répondit  à  cette  missive  par  la  lettre  de  remercie- 
ments datée  du  11  juin  1864  et  adressée  à  l'un  de  ceux  qui 
avaient  signé  la  lettre  précédente,  M.  Guillemat,  qu'on  peut  lire 
au  volume  V  de  la  Correspondance.  Elle  y  réfutait  une  fois  de 
plus  tous  les  on-dit  Ă   propos  de  chagrins  personnels  qui  lui 
seraient  arrivés  et  promettait  de  ne  point  oublier  La  Chùtre, 
car  elle  avait  l'intention,  disait-elle,  de  souvent  revenir  dans  son 
Berry. 

A  la  mĂȘme  date,  le  11  juin,  elle  annonça  son  dĂ©part  Ă   son 
avoué  à  La  Chùtre,  M.  Ludre  Gabillaud,  et  à  son  ami  Duvernet  : 

Nohant,  11  juin  1864. 

Adieu  et  au  revoir,  mon  bon  Ludre  ;  embrassez  pour  moi  votre 
chĂšre  femme.  J'espĂšre  revenir  cet  automne.  Quand  vous  viendrez  Ă  
Paris,  venez  me  voir,  sachez  d'abord  rue  des  Feuillantines,  97,  si  je 
ne  suis  pas  Ă   Paris.  Je  compte  y  aller  toutes  les  semaines.  Si  je  n'y  suis 
pas,  je  serai  Ă   Palaiseau  (Seine-et-Oise).  Ce  n'est  guĂšre  plus  loin  qu'une 
course  dans  Paris.  Je  reste  à  vous  de  cƓur,  comptant  sur  vous,  comme 
j'espĂšre  que  vous  comptez  sur  moi.  Si  je  peux  faire  quelque  chose  pour 
vous  ou  pour  Antoine  Ă   Paris,  ne  m'Ă©pargnez  pas,  j'en  serai  con- 
tente... » 

A  la  fin  de  cette  lettre  Mme  Sand  donnait  des  indications 
sur  la  maniĂšre  d'agir  envers  son  fermier,  etc.,  etc. 

Et  Ă   Charles  Duvernet,  ne  voulant  pas  lui  dire  les  vraies  causes 
de  son  départ  précipité,  elle  écrit  : 

Nohant,  11  juin. 

Chers  amis,  une  lettre  de  Buloz  avec  qui  j'ai  rendez-vous  car  il 
vient  exprĂšs  de  Savoie,  me  fait  partir  demain  matin.  J'espĂšre  revenir 
Ă   Nohant  cet  automne  et  y  rejoindre  mes  enfants.  Je  vous  bige  tous 
bien  tendrement;  comportez- vous  bien,  comme  on  dit  chez  nous,  en 
mon  absence,  et  que  je  vous  retrouve  tous  frais  comme  des  roses  et 
m' aimant  toujours. 

G.  Sand. 

Palaiseau  (Seine-et-Oise.) 
C'est  le  12  juin  1864  que  Mme  Sand  partit  pour  Palaiseau. 


478  GEORGE   SAND 

Elle  s'empressa  d'annoncer  ce  jour  mĂȘme  son  arrivĂ©e  Ă   bon  port 
Ă   ses  enfants  : 

Mes  chers  enfants,  me  voilà  installée  à  Palaiseau  aprÚs  avoir  bien 
dßné  et  contemplé  la  maisonnette  qui  est  ravissante  de  propreté  et  de 
confortable.  Je  ne  suis  pas  fatiguée  ;  j'ai  une  bonne  chic,  le  jardinet 
est  charmant,  quoi  qu'en  dise  Manceau  :  c'est  une  assiette  de  verdure 
avec  un  petit  diamant  d'eau,  au  milieu,  le  tout  placé  dans  un  paysage 
admirable,  un  vrai  Ruysdael.  C'est  trĂšs  joli  et  la  maison  est  commode 
au  possible.  Je  vous  dirai  les  avantages  et  les  inconvénients  de  la  vie 
ici  quand  je  les  saurai,  mais  l'habitation  est  parfaite.  J'ai  passé  une 
heure  dans  mon  logement  de  Paris  ;  figurez-vous  un  wagon  divisé  en 
trois  piĂšces  ;  mais  c'est  charmant  tout  de  mĂȘme,  une  maison  flambant 
neuve,  propre,  reluisant  comme  une  assiette  qu'on  vient  de  laver.  J'ai  vu 
Maillard  qui  m'attendait  Ă   une  gare  et  qui  m'a  conduite  Ă   l'autre  (peu 
distantes  l'une  de  l'autre)  ;  avec  une  grande  heure  passée  dans  le  loge- 
ment de  Paris  oĂč  j'aurais  eu  le  temps  de  dĂźner,  si  j'avais  eu  faim,  nous 
nous  Ă©tions  rendus  Ă   3  heures  dans  la  cambuse  de  Palaiseau.  Vous 
voyez  que  tout  ça  n'est  pas  loin. 

Maillard  a  reçu  l'argent  de  Maurice  et  lui  a  écrit  ce  matin. 

Dites-moi  si  la  lettre  de  ce  matin  (de  Guillery)  vous  appelle  tout 
de  suite  ou  vous  retarde  de  quelques  jours,  tenez-moi  au  courant... 
Manceau  envoie  ses  hommages  Ă   Mlle  Carabiac  et  bige  Bouli  et  Cocoton. 
Amitiés  à  Marie. 

Palaiseau,  14  juin  1864. 

Je  ne  sais  pas,  mes  enfants,  si  vous  n'ĂȘtes  pas  au  milieu  des  paquets 
jusqu'au  cou.  Je  pense  que  demain  j'aurai  de  vos  nouvelles  et  que  je 
saurai  si  vous  filez  droit  sur  NĂ©rac  ou  sur  NĂźmes. 

Je  ne  peux  encore  rien  vous  dire  de  la  vie  Ă   Palaiseau.  Je  sais  que 
l'endroit  est  charmant,  la  mangeaille  trĂšs  bonne,  la  petite  maison  trĂšs 
commode  et  qu'on  y  a  toutes  ses  aises.  Mais  je  n'ai  encore  fait  que 
déballer  et  ranger.  On  y  dort  bien,  c'est  le  silence  de  Gargilesse  la  nuit 
comme  le  jour...  On  y  héserbe  à  la  main  des  champs  de  légumes  à 
perte  de  vue...  Les  arbres  sont  superbes,  les  prés  et  les  blés  splendides, 
et  la  culture  excessive  n'empĂȘche  pas  que  sur  les  marges  des  sentiers 
et  des  ruisseaux  il  n'y  ait  beaucoup  de  plantes.  J'ai  fait  un  petit  tour 
ce  matin  et  j'ai  déjà  rapporté  des  consoudes  roses,  bleues  et  lilas  que 
nous  n'avons  pas  chez  nous.  Ce  que  je  voudrais  vous  envoyer,  c'est 
une  spirée  rose  de  mon  jardinet,  qui  est  un  arbuste  ravissant... 

Puis  viennent  des  instructions  par  rapport  Ă   un  ananas  qu'on 
devait  ne  pas  trop  laisser  mûrir  dans  les  serres  de  Nouant  pour 


GEORGE   SAND  479 

le  lui  envoyer  Ă   Palaiseau.  Il  est  Ă©vident  que  tenir  Xohant  sur 
un  pied  aussi  large  devait  coûter  pas  mal  de  nuits  de  travail  à 
George  Sand  et  que  rien  que  pour  avoir  la  tranquillité  de  ce  tra- 
vail assuré,  elle  devait  soupirer  aprÚs  le  silence  absolu  de  Gargi- 
lesse  et  de  Palaiseau. 

Dumas  fils  a  écrit  dans  la  préface  de  son  Fils  naturel  une 
magnifique  page  consacrée  au  séjour  de  George  Sand  à  Palai- 
seau. Mais  George  Sand  elle-mĂȘme  dĂ©peignit  dans  le  roman 
Monsieur  Sylvestre  d'une  maniÚre  cent  fois  plus  poétique,  vraie, 
simple  et  touchante  sa  maisonnette  au  haut  d'une  colline,  la 
vue  qui  se  dĂ©couvrait  de  ses  fenĂȘtres  sur  la  vallĂ©e  fleurie  et  cul- 
tivée et  sur  le  versant  opposé  couvert  de  potagers  et  de  vergers, 
ainsi  que  son  existence  rĂȘveuse  dans  le  petit  bourg  tranquille. 
Inoubliables  surtout  les  pages  —  bien  certainement  vĂ©cues  par 
l'auteur  —  oĂč  il  laisse  son  hĂ©ros,  arrivĂ©  Ă   Yaubuisson  (lisez  : 
Palaiseau)  et  récemment  installé  dans  une  maisonnette  «  au  bas 
du  village  »,  apercevoir  tous  les  soirs,  lorsque  tout  dort  autour 
de  lui,  au  haut  de  la  colline  opposée  un  petit  feu  brillant  dans  la 
nuit  noire. 

H  y  a  donc,  dans  cette  maisonnette  inconnue,  quelqu'un 
qui  travaille  oĂč  rĂȘve  aussi?  Les  deux  maisonnettes  semblent 
comme  deux  étoiles,  des  deux  versants  opposés,  se  regarder  par- 
dessus la  vallée.  C'est  là  un  tableau  ravissant,  poétique  :  on  se 
souvient  de  cette  impression  plus  que  du  roman  mĂȘme. 

H  y  a  en  outre  des  descriptions  charmantes  dans  ce  roman, 
l'une  d'elles  fut  mĂȘme  citĂ©e  parle  traducteur  de  Virgile,  M.  Benoist, 
en  guise  de  commentaire  Ă   la  description  de  son  domaine  faite 
par  Virgile,  surtout  comme  un  commentaire  de  lapis  nudus  et 
de  magna  satis  (1)  par  lesquels  l'illustre  poĂšte  romain  peint 
son  pré,  parsemé  de  grandes  pierres  nues. 

Cette  page  de  George  Sand  —  la  description  d'une  prairie 
arrosée  d'un  petit  ruisselet,  parsemée  de  blocs  de   granit  et 

(1)  ƒuvres  de  Virgile,  texte  latin  publiĂ©  d'aprĂšs  les  travaux  les  plus 
récents  de  la  philologie  avec  un  commentaire  critique  et  explicatif  par 
M.  E.  Benoist.  (Voir  Sainte-Beuve,  Nouveaux  lundis,  LĂ©vy,  1869,  t.  XI, 
p.  174.) 


480  GEORGE  SAND 

fleurie  de  cette  mĂȘme  spirĂ©e-reine-des-prĂ©s  Ă   laquelle  Mme  Sand 
fait  allusion  dans  la  lettre  prĂ©citĂ©e  Ă   son  fils  —  se  trouve  au 
chapitre  xxxviii  de  Monsieur  Sylvestre. 

En  me  voyant  il  (M.  Sylvestre)  a  posé  son  attirail  à  terre.  (H  était 
Ă©quipĂ©  pour  la  pĂȘche  Ă   la  ligne,  et  la  pĂȘche  Ă   la  hgne  requiert  la  solitude 
et  le  silence),  et,  s'asseyant  sous  une  saulée  à  la  lisiÚre  d'un  pré,  il  me 
dit  d'un  air  confiant  et  amical  :  «  Causons  !  » 

L'endroit  était  charmant  :  le  pré,  doucement  incliné  vers  l'eau, 
était  tout  parsemé  de  spirée-reine-des-prés  et  de  grandes  salicaires 
pourpres  qui  dépassaient  princiÚrement  la  foule  pressée  des  vulgaires 
plantes  fourragĂšres.  Nous  avions  pour  siĂšges  et  pour  lits  de  repos 
de  larges  blocs  de  grÚs,  masses  hétérogÚnes,  descendues  jadis  de  la 
colline  et  enfouies  dans  la  terre,  que  leur  dos  usé  et  arrondi  perce  de 
place  en  place.  Ces  beaux  grÚs  propres  et  sains  semés  dans  l'herbe, 
sous  un  clair  ombrage,  imitent  au  repos  et  l'ermite  les  connaĂźt  bien. 

—  Voilà,  me  dit-il,  un  des  riches  et  moelleux  boudoirs  que  dame 
Nature  met  à  ma  disposition.  H  faut  aussi  que  j'en  remercie  la  géné- 
reuse hospitalité  de  mes  semblables,  car  tout  le  monde  n'est  pas  auto- 
risé à  pénétrer  dans  ces  herbages.  En  qualité  de  pauvre  discret,  j'ai 
la  permission  d'aller  partout.  On  sait  comme  j'aime  la  beauté  des 
plantes,  comme  je  dirige  et  mesure  mes  pas  pour  ne  pas  fouler  l'herbe, 
et  comme  je  respecte  les  petits  rejets  des  arbres.  N'est-ce  pas  lĂ   un 
privilÚge  quasi  royal?  Toute  la  vallée  m'appartient,  et  quand  le  paysan 
jaloux  et  un  peu  despote  vient  à  moi  d'un  air  menaçant,  sitÎt  qu'il  me 
reconnaßt,  il  sourit  et  me  confirme  mon  droit  en  disant  :  «  Tiens,  c'est 
vous,  monsieur  Sylvestre  (1)?  Alors,  c'est  bon,  c'est  bon,  restez  tran- 
quille, on  ne  vous  dit  rien.  » 

Je  vous  demande  un  peu  quel  est  le  potentat  Ă   qui  Jacques  Bonhomme 
a  jamais  d'aussi  bon  cƓur  prĂȘtĂ©  foi  et  hommage? 

C'est  ici,  continua-t-il,  une  de  mes  retraites  favorites.  Voyez,  Ă   cent 
pas  de  nous,  comme  le  ruisseau  est  gracieux  en  se  laissant  tournoyer 
mollement  dans  cette  déchirure  de  terrain  !  C'est  lui  qui  a  dévasté 
cette  petite  rive  ;  il  lui  a  plu,  aprÚs  avoir  glissé  doux  et  muet  dans  les 
prairies,  de  faire  ici  une  légÚre  pirouette  et  d'y  amasser  un  peu  de  sable 
pour  y  sommeiller  un  instant  avant  de  reprendre  sa  marche  silencieuse 
et  mesurĂ©e.  Tout  s'est  prĂȘtĂ©  Ă   son  innocente  fantaisie  :  la  berge  s'est 
élargie,  les  iris  et  les  argentines  se  sont  approchées  pour  jouer  avec 
l'eau  ;  les  aulnes  se  sont  penchés  pour  l'ombrager,  et  l'homme,  en  éta- 
blissant là  un  gué,  lui  a  permis  de  s'étendre  et  de  repartir  sans  effort. 

(1)  Il  est  évident  qu'il  faut  sous-entendre  par  «  M.  Sylvestre  »  Mme  Sand. 


GEORGE   SAND  481 

Il  y  a  dans  tout  cela  une  mansuétude  que  l'on  ne  trouve  pas  dans  la 
grande  culture  des  plaines  ou  dans  la  lutte  avec  les  grands  cours  d'eau. 
La  petite  culture  a  bien  ses  ennemis  ;  mais  elle  s'arrange  avec  eux  et 
leur  cĂšde  quelque  chose  pour  recevoir  quelque  chose  en  Ă©change.  Si 
ce  ruisseau  était  mieux  réglé  dans  son  cours,  ce  pré  serait  moins  frais 
et  moins  vert,  de  mĂȘme  que,  si  ces  roches  qui  en  mangent  une  partie 
étaient  extirpées  du  sol,  le  sol,  effrondré  par  les  pluies,  s'en  irait  combler 
et  détourner  le  ht  du  ruisseau.  Plus  tard...  (vous  voyez  je  dis  toujours 
ce  mot-là  qui  est  tout  mon  fond  de  réserve  contre  les  choses  mauvaises 
du  présent),  plus  tard,  l'homme  comprendra  qu'il  ne  faut  pas  tant 
dénaturer  la  terre  pour  s'en  servir,  et  que  l'on  pourra  concilier  le  beau 
avec  l'utile  ;  mais  ce  n'est  pas  d'agriculture  que  je  voulais  vous  parler. 
J'ai  en  tĂȘte,  depuis  quelques  jours,  de  savoir  oĂč  vous  en  ĂȘtes,  et  de 
reprendre  avec  vous  notre  discussion  sur  le  bonheur. 

—  En  bien,  monsieur  Sylvestre,  je  crois  Ă   prĂ©sent  que  le  bonheur 
existe... 

Quant  au  roman  mĂȘme,  ce  qui  y  est  surtout  intĂ©ressant  — 
outre  les  rĂ©miniscences  autobiographiques  de  l'auteur  —  ce  sont 
d'abord  les  causeries  et  les  discussions  sur  des  thĂšmes  philoso- 
phiques et  sociaux  entre  le  hĂ©ros  du  roman,  Pierre  SorĂšde,  — 
reprĂ©sentant  la  jeunesse  sceptique  —  et  M.  Sylvestre,  un  vieux 
rĂȘveur,  anachorĂšte  ayant  dĂ©sertĂ©  la  vie  et  par  la  bouche  duquel 
parle  l'auteur  lui-mĂȘme. 

Les  deux  interlocuteurs  tiennent  à  préciser  :  en  quoi  consiste 
le  bonheur  humain? 

L'auteur,  avec  son  ami  Rollinat,  croyait  jadis  que  le  bonheur 
consistait  Ă   ĂȘtre  un  juste  Ă   la  maniĂšre  des  anciens.  A  prĂ©sent  le 
héros  de  son  roman  dit  : 

...Pratiquer  la  justice!  nous  disaient  les  anciens.  Quelle  justice? 
A-t-elle  assez  changé  la  justice  humaine,  depuis  Platon  et  Aristote  ! 
ObĂ©ir  aux  lois?  OĂč  sont-elles  les  lois  durables?  Que  sont  devenus  les 
devoirs  de  l'esclave?  Et  puis  si  vous  parlez  de  justice,  de  morale  et  de 
vertu,  vous  me  parlez  de  toute  autre  chose  que  du  bonheur  :  vous  con- 
fondez le  travail  avec  la  récompense... 

M.  Sylvestre,  lui,  est  contre  la  société  en  général.  Mais  SorÚde 
est  d'un  autre  avis  : 

...Tu  sais,  Ă©crit-il  Ă   son  ami,  que  je  ne  comprends  pas  le  blĂąme 
déversé  à  un  état  général  qui  n'est  que  le  résultat  de  l'imperfection 
iv.  31 


*&2  GEORGE   SAND 

des  individus.  Il  me  semble  que,  pour  rĂ©aliser  le  rĂȘve  de  la  fraternitĂ© 
universelle,  il  faut  commencer  par  inculquer  l'idée  de  fraternité  à  tous 
les  hommes.  C'est  bĂȘte  comme  tout,  mais  je  trouve  encore  plus  bĂȘte 
qu'on  veuille  s"y  prendre  autrement  et  mĂȘme  j'avouai  Ă   M.  Sylvestre 
que  vouloir  imposer  des  lois  idéales  à  un  peuple  positif  me  paraissait 
inique  et  sauvage.  C'est  la  doctrine  du  terrorisme  :  fraternité  ou  la 
mort;  c'est  aussi  celle  de  l'inquisition  :  hors  de  l'Eglise  point  de  salut. 
La  vertu  et  la  foi  décrété  ne  sont  plus  la  foi  et  la  vertu  ;  elles  deviennent 
haĂŻssables.  Il  iaut  donc  laisser  aux  individus  le  loisir  de  comprendre 
les  avantages  de  l'association  et  le  droit  de  la  fonder  eux-mĂȘmes, 
quand  les  temps  seront  venus.  Ceci  ne. fait  pas  le  compte  des  convertis- 
seurs, qui  veulent  .recueillir  le  fruit  personnel,  .gloire,  pouvoir  ou 
influence  ou  qui  se  plaisent  tout  au  moins  Ă   jouer  le  rĂŽle  d'apĂŽtres 
purifiés  au  milieu  d'une  société  souillée...  Il  est  vrai  que  M.  Sylvestre 
répond  à  cela  :  «  On  a  raison  de  se  moquer  des  orgueilleux  et  de  se 
méfier  des  ambitieux,  mais  il  ne  faudrait -pas  regarder  comme  tels 
tous  ceux  qui  demandaient  avec  impatience  le  rÚgne  de  la  vérité.  » 

On  voit  par  ce  dialogue  combien  les  idées  de  l'auteur  ont 
changĂ©  depuis  les  jours,  dĂ©jĂ   lointains,  oĂč  il  adressait  Ă   Rollinat 
la  Lettre  d'un  voyageur  contenant  le  portrait  du  juste  (1),  mais 
surtout  depuis  1848,  lorsqu'il  enseignait  Ă   son  fils,  le  maire  de 
"Sbhant,  comment  il  fallait  «  révolutionner  »  les  habitants  de 
Vie  et  de  iNohant  et  les  exciter  Ă   saluer  l'avĂšnement  bienheu- 
reux de  la  RĂ©publique,  une  et  omnipotente,  et  lorsque  l'auteur 
lui-mĂȘme,  oubliant  tous  ses  malheurs  personnels,  se  dĂ©clarait 
parfaitement  heureux  grùce  à  ce  simple  changement  de  régime, 
et  prĂȘchait  carrĂ©ment  dans  ses  Bulletins  et  dans  ses  articles  une 
politique  rectiligne  et  un  esprit  de  parti  bien  tranché  (2). 

Oh  !  oui,  M.  Sylvestre  ne  cherche  plus  du  tout  son  bonheur 
dans  des  événements  ou  des  doctrines  politiques,  et  les  idé?s  du 
jeune  SorĂšde  Ă   ce  sujet  ne  sont  point  aussi  absolues  que  celles 
de  la  correspondante  de  Unie  d'Agoult  datées  de  1836.  (Voir 
sa  «  Recette  pour  ĂȘtre  heureuse  »)  (.3). 

Je  sens,  dit  Pierre  SorĂšde  —  (il  est  Ă©vident  que  c'est  Mme  Sand, 
l'ermite  de  Palaiseau,  qui  parle  par  sa  bouche)  —  je  sens  dans  la 

(1)  Lettres  d'un  voyageur,  voir  la  lettre  numéro  iv  (à  Néraud  et  Rollinat) 
de  1834,  samedi  (p.  160-163  de  l'Ă©dition  LĂ©vy). 

(2)  Voir  le  chapitre  vm  du  présent  volume. 

(3)  Voir  notre  vol.  II,  p.  311-312. 


GEORGE   SAN'D  483 

prise  de  possession  de  moi-mĂȘme  un  .grand  biemĂȘrre,  une  sorte  de  joie 
douce  et  tranquille.  Je  me  dis  :  VoilĂ   le  bonheur  !  Salut,  hĂŽte  inconnu  ! 
permets-moi  d'examiner  ta  figure,  de  t'interroger,  d'Ă©prouver  ta  puis- 
sance et  ta  durée...  Mais  je  suis  un  enfant  de  mon  siÚcle,  un  chercheur 
et  un  sceptique.  T^e  prends  pas  le  bon  accueil  que  je  te  fais  pour  une 
idolĂątrie  aveugle.  Je  sais  trĂšs  bien  que  tu  es  inconstant  et  que,  comme 
AhasvĂ©rus,  tu  ne  peux  t' arrĂȘter  ni  chez  moi,  ni  chez  le  voisin.  Tu  es 
une  chose  de  ce  monde,  mon  aimable  hĂŽte,  une  chose  humaine,  tu  ne 
peux  pas  me  promettre  le  paradis,  tu  ne  le  connais  pas  mieux  que  moi 
et  prends  garde  que  je  ne  te  connaisse  trop  moi-mĂȘme,  car  je  pourrais 
bien  apercevoir  que  tu  n'es  qu'une  création  de  ma  pensée,  un  état  de 
mon  esprit,  un  souffle,  une  ombre,  un  parfum... 

Et  de  mĂȘme  M.  Sylvestre,  si  croyant  qu'il  soit,  dĂ©fend  le  droit 
à  l'existence  des  athées. 

Place  aux  athées  !  dit-il.  Ne  sont-ils  pas  comme  nous  (spiritualistes) 
tournés  vers  l'avenir?  Ne  combattent-ils  pas  comme  nous  les  ténÚbres 
de  la  superstition?  Et  faut-il  qu'au  lieu  de  terrasser  l'ennemi  commun, 
nous  perdions  le  temps  et  dépensions  l'énergie  à  nous  exclure  les  uns 
les  autres  du  champ  de  bataille?  Non...  les  sceptiques  et  les  athées 
sont  nos  frÚres  ;  ils  apportent  des  matériaux  pour  le  nouveau  temple. 
Ne  dites  pas  que  la  négation  ne  crée  rien.  Elle  crée  la  notion  de  la 
liberté  de  conscience  qui  est  la  base  sans  laquelle  on  ne  constituera 
jamais  rien...  PlutÎt  que  de  croire  à  la  méchanceté  de  Dieu,  nie  son 
existence.  Redeviens  incrédule  plutÎt  que  de  te  faire  égoïste.  Dieu 
n'aime  pas  les  enfants  LĂąches. 

George  Sand  est,  en  disant  tout  cela,  bien  prÚs  de  l'idéal  de 
scepticisme,  d'examen  critique  et  de  doux  Ă©clectisme  que  lui 
prĂȘchait  jadis  Sainte-Beuve.  Il  n'est  point  Ă©tonnant  que  l' auteur 
de  Monsieur  Sylvestre  ait  inscrit  sur  la  couverture'  de  ce  volume 
envoyé  à  Sainte-Beuve  les  paroles  que  nous  avons  déjà  citées 
dans  notre  tome  I  :  A  Sainte-Beuve,  douce  et  précieuse  lumiÚre 
dans  ma  vie. 

Il  est  trĂšs  curieux  de  noter,  aussi,  dans  les  personnages  et  les 
dialogues  du  riche  banquier  espagnol  M.  Gédéon-Nunez  et  le 
pairvre  juif  M.  Diamant  le  reflet  de  la  correspondance  entre 
l'auteur  de  ce  roman  et  le  capitaliste  Israélite  M.  Edouard  Ro- 
drigues,  correspondance  oĂč  les  questions  sociales,  Ă©conomiques, 


484  GEORGE   SAND 

mais  surtout  le  rÎle  bienfaisant  et  néfaste  du  capital  étaient  si 
souvent  débattues. 

Quant  Ă   la  fable  du  roman  et  Ă   ses  autres  personnages  (entre 
autres  la  négresse  Zoé  avec  son  jargon  nÚgre  obligatoire  :  je  vous 
aimer,  la  maßtresse  dormir  etc.,  etc.),  ils  sont  fort  peu  intéres- 
sants. Toutes  les  péripéties  arrivées  aux  héros  sont  oubliées  du 
lecteur  aussi  vite  que  s'oublient  les  histoires  oĂč  quelque  char- 
mante demoiselle  (et  le  lecteur  avec  elle)  doit  ignorer  jus- 
qu'au dernier  chapitre  qu'elle  n'est  pas  la  fille  de  son  pĂšre,  mais 
celle  d'un  autre  homme  et  qu'elle  ne  s'appelle  pas  Mlle  une  telle, 
mais  bien  Mlle  Chose. 

Pierre  SorÚde  ne  peut  pas  définir  en  quoi  consiste  le  bonheur. 
E  le  trouve  finalement  dans  l'amour  d'une  jeune  fille  forte,  pure, 
aimante  et  dévouée.  Le  bonheur  est  en  nous  et  en  dehors  de  nous 
et  au-dessus  de  nous,  dit-il,  et  M.  Sylvestre  lui  conseille  de  ne 
jamais  se  fier  à  son  bonheur  et  de  veiller  à  sa  sécurité.  Pour  con- 
firmer ses  mots  il  assure  que  toutes  les  Ăąmes  se  divisent  en  deux 
catégories  : 

...Ăąmes  actives  qui  cherchent  leur  jouissance  dans  celle  des  autres, 
et  les  ùmes  délicates  et  molles  qui  demandent  le  bonheur  sans  savoir 
le  donner...  La  vie  des  premiers  se  passe  Ă   oublier  de  vivre  afin  d'en- 
tretenir chez  les  autres  l'Ă©clat  et  le  feu  de  la  vie  :  peine  inutile  !  ceux-ci 
acceptent  le  sacrifice  et  n'en  profitent  pas.  VoilĂ   recueil  du  bonheur 
dans  la  région  du  sentiment  :  trop  de  dévouement  d'une  part,  trop 
d'ingratitude  de  l'autre... 

On  devine  derriĂšre  ces  lignes  un  thĂšme  trĂšs  personnel  et  une 
allusion  Ă   la  maniĂšre  de  prendre  la  vie  d'ĂȘtres  trĂšs  proches  de 
l'auteur. 

Monsieur  Sylvestre  et  sa  suite  le  Dernier  amour  parurent  lorsque 
Mme  Sand  était  déjà  bien  loin  des  impressions  douces  et  idyl- 
liques de  son  séjour  à  Palaiseau.  Elle  y  vécut  de  juin  1864  à 
janvier  1867,  ne  quittant  sa  maisonnette  que  de  temps  Ă   autre, 
appelée  à  Paris  pour  ses  affaires  littéraires  ou  désireuse  de  passer 
quelques  semaines  ou  mĂȘme  quelques  jours  Ă   Xohant,  ou  encore 
pour  de  petits  voyages.  Puis,  elle  alla  une  fois  Ă   NĂ©r&e,  dans  la 
résidence  de  son  ex-mari,  M.  Dud?vant,  et  ceci  en  une  triste  cir- 


GEORGE   SAND  485 

constance  :  à  peine  installée  à  Palaiseau,  elle  dut  partir  en  toute 
hĂąte  pour  Guillery  oĂč  venait  de  mourir  le  petit  Marc-Antoine 
emporté  par  une  maladie  cruelle  ;  on  l'enterra  dans  la  tombe  de 
son  arriÚre-grand-pÚre,  le  baron  Dudevant,  à  cÎté  du  tombeau 
de  la  premiĂšre  enfant  de  Solange,  morte  aussi  Ă   Guillery  (1). 

Mme  Sand  envoya  ses  enfants  désespérés  faire  un  tour  dans 
le  Midi,  les  confiant  aux  soins  du  vieil  ami  Boucoiran,  puis  elle 
revint  Ă   Palaiseau.  Elle  alla  en  automne  et  en  hiver  passer 
quelques  jours  Ă   Nohant  avec  Maurice  et  sa  femme,  mais  tou- 
jours elle  retourna  Ă   Palaiseau. 

Le  23  janvier  un  nouveau  coup  la  frappa  :  son  ami  Louis 
Maillard  mourut  presque  subitement,  emporté  en  quelques 
heures  par  une  péritonite.  Cette  mort  fut  un  horrible  chagrin 
pour  Mme  Sand  et  pour  Manceau  qui  Ă©tait  cousin  de  Maillard. 

George  Sand  fit  part  de  ce  malheur  Ă   Maurice  dans  ses  lettres 
du  24  et  25  janvier  1865  (2)  et  cette  seconde  lettre  est  surtout 
importante,  comme  l'expression  de  ses  idées  en  matiÚres  reli- 
gieuses et  relativement  aux  enterrements  civils  : 

Paris,  25  janvier  1865. 

Nous  avons  conduit  aujourd'hui  notre  pauvre  ami  au  PĂšre-Lachaise. 
Nous  Ă©tions  nombreux  et  unanimes  en  affection  et  en  regrets.  La 
cĂ©rĂ©monie  sans  prĂȘtre,  a  Ă©tĂ©  touchante  et  sĂ©rieuse.  Nous  vous  raconterons 
les  détails. 

J'ai  parlé  aussi,  par  l'organe  de  Galle  qui  a  lu  (3).  Que  de  gens  excel- 
lents il  y  avait  lĂ   pour  pleurer.  Mes  amis  y  sont  venus  aussi,  Dumas, 
Lambert,  Borie,  Aucante,  etc.  Cadol  y  est  venu  aussi,  nous  nous 
sommes  embrassés  et  lui  et  Manceau  aussi  (4).  Quelle  rude  journée!... 
Nous  avons  fait  au  moins  deux  lieues...  Nous  voulions  tous  y  ĂȘtre,  et 
véritablement  il  était  aimé.  Nous  repartons  aprÚs-demain  matin 
pour  Palaiseau. 


(1)  Plus  tard  son  corps  fut  transféré  dans  le  cimetiÚre  de  Nohant. 

(2)  Inédites. 

(3)  Ce  discours  est  imprimé  dans  le  volume  des  Nouvelles  lettres  d'un  voya- 
geur parmi  les  nécrologies  des  Amis  disparus. 

(4)  Voir  plus  haut  à  la  p.  460  ce  qui  était  dit  des  procédés  d'Ed.  Cadol 
envers  Manceau  taxés  «  de  mauvais  »  par  Mme  Sand,  lors  des  représentations 
de  la  Journée  à  Dresde. 


466  GEORGE   SAN  D 

Si.  tu  as  quelques  papiers  d'affaires  chez  Maillard  (nous  avons  déjà 
repris  tes  lettre?)  tout  sera  dépouillé  et  restitué  par  Boutet  qui  est  son 
exécuteur  testamentaire.  Bonsoir,  mes  enfants  chéris,  je  vous  bige  mille 
fois;  je  ne  suis  pas  malade,  malgré  beaucoup  de  fatigue,  d'émotion 
et  de  chagrin.  Quel  voyage  !  Manceau  va  bien  aussi,  il  est  soutenu  par 
les  devoirs  qu'il  a  à  remplir.  Mme  Maillard  a  décidé  qu'elle  retrourne- 
rait  à  Bourbon  avec  les  deux  créoles,  c'est  leur  désir  à  tous  trois.  Ce 
sen  peut-ĂȘtre  la  guĂ©rison  de  la  pauvre  petite  qui  a  un  courage  et  un 
dévouement  vraiment  sublimes.  On  s'occupe  dans  la  société  des  Amis 
de.  la  famille  (la  Société  de  Sainte-Colombe)  d'ajouter  à  la  moitié  de 
pension  de  son  mari,  afin  de  lui  laisser  un  peu  d'aisance,  et  sa  résolution 
de  retourner  lĂ -bas  rendra  son  existence  possible.  On  obtiendra  le 
passage  gratuit  avec  les  deux  enfants.  Cette  société  de  débris  saint- 
simoniens  est  chose  touchante  et  respectable.  Tout  le  monde  devrait 
ainsi  s'associer  par  groupes  d'amis  pensant  de  mĂȘme  et  se  passer  des 
bĂ©nĂ©dictions  du  prĂȘtre  et  de  V aumĂŽne  de  VEtat... 

Cette  lettre  est  Ă   retenir.  Un  an  plus  tĂŽt  Mme  Sand  avait 
dĂ©jĂ   Ă©crit,  absolument  dans  le  mĂȘme  ordre  d'idĂ©es,  une  lettre 
Ă   propos  de  l'enterrement  civil  de  Fulbert  Martin,  l'un  des  jeunes 
républicains  que  George  Sand  avait,  comme  nous  l'avons  vu  (1). 
hébergés  et  cachés  à  Nohant  en  1849-51.  Voici  quelques  lignes 
de  cette  lettre  adressée  à  M.  Hippolyte  Magen  qui  avait  envoyé 
un  portrait  de  Fulbert  Martin  Ă   Mme  Sand,  en  lui  faisant  part 
de  la  mort  de  ce  dernier,  survenue  Ă   Madrid,  et  lui  avait  dit  aussi 
que,  connaissant  les  opinions  de  son  ami,  il  avait  insisté  pour 
qu'on  l'enterrĂąt  civilement. 

Xokaut,  24  avril  1864. 

Une  absence  de  quelques  jours  m'a  empĂȘchĂ©e,  monsieur,  de  rĂ©poudre 
Ă   votre  excellente  lettre  et  de  vous  dire  toute  ma  gratitude  pour  les 
détails  que  vous  me  donnez. 

Vous  adoucissez  autant  que  possible  la  douleur  de  l'événement,  en 
me  disant  que  notre  ami  n'a  pas  eu  Ă   lutter  contre  la  crise  finale  et 
que  les  derniers  temps  de  sa  vie  ont  été  heureux.  Sa  compensation  a 
été  bien  courte,  aprÚs  une  vie  de  lutte  et  de  souffrance.  Mais  je  suis 
de  ceux  qui  croient  que  la  mort  est  la  récompense  d'une  bonne  vie,  et 
la  vie  de  ce  pauvre  ami  a  été  méritante  et  généreuse.  Les  regrets  sont 
pour  nous  et  votre  cƓur  les  apprĂ©cie  noblement. 

(1)  Voir  plus  haut,  chap.  vin  &t  ix. 


GEORGE   SAND  487 

J'ai  envoyĂ©  votre  lettre  Ă   Mme  Y...,  sƓur  de  Fulbert,  et  je  lui  ai 
fait  le  sacrifice  du  portrait  photographié.  S'il  vous  était  possible  de 
m'en  envoyer  un  autre  exemplaire  je  vous  en  serais  doublement 
obligée.  Mme  Y...  compte  vous  écrire  pour  vous  remercier  aussi  de 
l'affection  délicate  que  vous  portiez  à  son  frÚre  et  pour  vous  confier, 
je  pense,  la  mission  que  vous  offrez"  si  généreusement  de  remplir. 

Quant  oitx  détails  de  V enterrement  jïgnore  ce  qu'elle  en  pense,  je  la 
connais  fort  peu  ;  mais  je  vous  remercie,  moi,  pour  mon  compte,  de 
la  suprĂȘme  convenance  de  votre  intervention. 

Vous  avez  fait  respecter  le  vƓu  qu'il  eĂ»t  exprimĂ©,  lui,  s'il  eĂ»t  pu  vous 
adresser  ses  derniĂšres  paroles. 

Merci  encore,  monsieur,  et  bien  Ă   vous. 

G.  Saxd. 
Nohant,  par  La  ChĂątre  (Indre). 

II  est  à  regretter  que  cette  seconde  lettre  ne  fut  publiée  qu'aprÚs 
les  funérailles  de  George  Sand  et  que  le  contenu  de  la  premiÚre 
disparut  complÚtement  de  la  mémoire  de  celui  à  qui  elle  avait 
été  adressée.  Mme  Sand  y  exprimait  cependant  d'une  maniÚre 
trÚs  nette  que  «  tout  le  monde  devrait  s'associer  ainsi  par  groupes 
et  se  passer  de  la  bĂ©nĂ©diction  du  prĂȘtre  et  de  l'aumĂŽne  de  l'État». 
On  signala  fort  judicieusement  cet  oubli  des  idées  de  George 
Sand  sur  les  enterrements  civils,  dans  un  article  de  VEvénement 
en  1876,  aprĂšs  l'enterrement  religieux  de  la  femme  illustre.  Les 
amis  de  Mme  Sand  savaient  cet  enterrement  en  contradiction 
directe  avec  ses  opinions.  Sa  rupture  complĂšte  non  seulement 
avec  le  catholicisme,  mais  aussi  avec  tout  culte  officiel,  leur 
Ă©tait  connue.  Or,  tout  ce  qu'elle  disait  dans  ces  deux  lettres 
citées  plus  haut  fut  oublié  ou  négligé  par  son  fils  et  par  sa  fille. 
Et  elle,  qui  avait  si  obstinément  protesté  contre  le  «  dogme 
honteux  de  l'enfer  »,  contre  toute  espÚce  «  d'idolùtrie  »,  contre  le 
clergé,  croyait  le  catholicisme  «  une  religion  finie  »,  fut,  par 
l'inertie  et  le  manque  de  mémoire  des  uns,  l'amour  de  la  pompe, 
l'ostentation  de  piété  et  le  snobisme  des  autres,  enterrée  selon 
le  rite  catholique.  Lorsqu'on  raconte  ce  fait  on  prétend  habi- 
tuellement qu'on  ne  voulut  pas  froisser  la  population  rurale.  En 
disant  cela,  on  oublie  qu'il  fallait  respecter  avant  tout  la  foi  libre, 
la  brave  franchise  de  toute  la  vie  de  George  Sand.  De  nos  jours. 


4S8  GEORGE   SAND 

le  sort  qui  se  montre  généralement  fort  peu  clément  envers  les 
grands  hommes,  rendit  —  de  par  la  docte  voix  du  Saint-Synode 
—  un  grand  service  à  Tolstoï,  et  son  imposant  enterrement 
«  sans  prĂȘtre  »  ne  fut  point  en  dĂ©saccord  avec  sa  foi  et  sa  volontĂ©. 
Si  Mme  Sand  avait  vécu  jusqu'à  ce  jour-là,  elle  eût  certes  con- 
firmé ce  qu'elle  avait  écrit  lors  des  enterrements  civils  de  Mail- 
lard et  de  F.  Martin,  en  y  ajoutant  peut-ĂȘtre  en  toute  prĂ©cision  : 
«  Je  veux  qu'il  en  soit  ainsi  pour  moi-mĂȘme...  b  (1). 

Mais  revenons  à  l'année  1865. 

Presque  immédiatement  aprÚs  la  mort  de  Louis  Maillard  la 
santé  de  Manceau  alla  brusquement  en  décroissant.  DÚs  1861, 
dans  toutes  les  lettres  de  Mme  Sand  Ă   Maillard,  Dumas  fils,  Oscar 
Cazamajou  et  d'autres,  se  trouvent  des  lignes  témoignant  de 
Finquiétude  constante  qu'inspirait  à  Mme  Sand  la  maladie  chro- 
nique de  Manceau.  TantĂŽt  il  y  a  un  peu  de  mieux,  tantĂŽt  la  toux 
et  la  fiÚvre  augmentent.  Perpétuellement  on  consulte  des  méde- 
cins, on  change  de  régime  ou  de  traitement,  on  recourt  à  quelque 
nouveau  remĂšde.  Mais  Mme  Sand  semble  nourrir  l'espoir  que 
tous  les  symptĂŽmes  alarmants  ne  sont  que  passagers,  que  l'orga- 
nisme robuste  de  Manceau,  sa  volonté  de  guérir,  sa  belle  humeur 
constante  et  des  soins  se  rendront  maßtres  du  mal.  Cette  espé- 
rance fut  déçue.  DÚs  le  printemps  de  1865,  Mme  Sand  comprit 
que  son  ami  Ă©tait  condamnĂ©.  H  semble  l'avoir  compris  lui-mĂȘme. 

On  n'a  publié  dans  la  Correspondance  que  quinze  lettres 
de  1865.  On  n'en  trouve  aucune  Ă©crite  entre  le  29  juin  et  le 
27  septembre.  (Celle  qu'on  a  publiée  dans  la  Correspondance 
entre  ces  deux  dates  comme  une  Lettre  Ă   Sainte-Beuve  de  1865 
n'est  point  une  lettre  à  Sainte-Beuve  et  n'est  pas  de  1865,  —  comme 
nous  le  signala  feu  M.  de  SpƓlberch,  —  mais  bien  une  Note  des- 
tinée à  une  revue  avant  1862.  Et  voici  pourquoi  :  il  est  question 
dans  cette  page,  écrite  seulement  d'un  cÎté  du  feuillet,  comme 
on  le  fait  lorsqu'on  Ă©crit  pour  l'impression,  ce  que  George  Sand 
ne  faisait  jamais  dans  ses  vraies  lettres,  —  il  y  est  donc  question 

(1)  En  disant  tout  cela  nous  ne  faisons  que  confirmer  les  idées  de 
Mme  Sand  sur  les  cérémonies  religieuses  et  le  culte.  Nos  croyances  person- 
nelles sont  complÚtement  différentes. 


GEORGE   SAND  489 

d'un  roman  anonyme,  «  Un  amour  du  Midi  »,  paru  en  1860. 
En  1862  ce  roman  parut  chez  Dentu  sous  le  nom  de  l'auteur 
G.  Petano,  et  avec  une  préface  de  Janin.  Donc  en  1862  la  roman 
n"  Ă©tant  plus  anonyme,  la  Note  doit  ĂȘtre  Ă©crite  avant  1862.) 
Eh  bien  !  entre  le  29  juin  et  le  27  septembre  1865  il  n'y  a  pas 
une  seule  lettre  dans  la  Correspondance.  Or,  Mme  Sand  passa 
pendant  ces  trois  mois  par  une  rude  Ă©preuve  :  Manceau  se  mou- 
rait lentement  et  il  mourut  le  21  août.  Et  tandis  que  la  Corres- 
pondance se  tait,  les  lettres  inédites  de  George  Sand  écrites  pen- 
dant cette  période  sont  vibrantes,  pleines  de  douce  pitié, 
d'anxiété,  de  douleur,  de  compassion,  d'angoisse,  de  désespoir, 
puis  d'une  prostration,  d'une  apathie  désolées.  Il  y  a  cinquante- 
quatre  lettres  inédites  copiées,  se  rapportant  à  ces  trois  mois 
d'été  de  1865,  et  en  tout  cent  cinquante-six  lettres  inédites,  for- 
mant le  dossier  de  1865. 

Nous  ne  citerons  intégralement  ni  des  extraits  ni  des  lettres 
de  cet  été,  de  mai  au  21  août,  triste  chronique  du  lent  dépéris- 
sement du  pauvre  Manceau.  Dans  les  premiĂšres  on  lit,  Ă   la  suite 
de  projets  littéraires,  de  discussions  de  scénario  à  tirer  d'un  roman 
de  Mme  Sand  ou  de  l'analyse  des  dĂ©fauts  et  qualitĂ©s  d'une  Ɠuvre 
nouvelle  de  Maurice  Sand,  le  compte-rendu,  jour  par  jour,  des 
progrÚs  de  la  maladie.  Ces  détails  attristants  remplissent  de 
plus  en  plus  les  lettres  de  Mme  Sand  ;  le  ton  devient  toujours 
plus  angoissé,  puis  ce  ne  sont  plus  que  des  billets,  l'état  de  son 
cher  malade  est  désespéré.  Tous  les  efforts  pour  sauver  le 
malheureux  furent  vains,  il  mourut  le  21  août  à  la  premiÚre  heure. 

Xous  trouvons  absolument  indispensable  de  citer  intégrale- 
ment quelques-unes  des  lettres  ultérieures  à  cet  événement  et 
de  donner  des  extraits  de  quelques  autres,  afin  de  mettre  en 
lumiÚre  et  d'apprécier  à  sa  vraie  valeur  cet  épisode  de  l'exis- 
tence de  Mme  Sand.  Il  fut  trÚs  souvent  raconté  avec  des  sous- 
entendus  malveillants,  des  allusions  équivoques.  On  s'efforça 
de  profiter  du  silence  de  la  Correspondance  pour  faire  croire  que 
George  Sand  fit  preuve  d'une  lĂ©gĂšretĂ©  inconcevable  ou  mĂȘme  d'une 
absence  de  tout  sentiment  Ă   l'occasion  de  la  mort  de  son  ami 
dĂ©vouĂ©.  Le  lecteur  jugera  lui-mĂȘme  la  valeur  de  ces  racontars. 


4go  GEORGE   SAXD 

A  Maurice. 

Palaiseau,  21  août  1866. 

iXotre  pauvre  ami  a  cessé  de  souffrir.  H  s" est  endormi  à  minuit  avec 
toute  sa  lucidité.  Toute  la  nuit  il  a  dormi  et  quand  nous  avons  voulu 
l'éveiller  à  5  heures  pour  lui  faire  prendre  quelque  chose  il  a  essayé 
de  parler  sans  suite  comme  dans  un  rĂȘve.  Il  a  tenu  sa  tasse,  il  a  voulu 
ĂȘtre  soulevĂ©  et  il  est  mort  sans  en  avoir  aucune  conscience  et  sans 
paraĂźtre  souffrir.  Je  remercie  Dieu,  au  milieu  de  ma  douleur,  de  lui 
avoir  épargné  les  horreurs  de  l'agonie.  Il  en  a  eu  une  de  quatre  à  cinq 
mois,  c'est  bien  assez.  Il  s'est  bien  senti  mourir  heure  par  heure,  cons- 
tatant chaque  progrĂšs  de  son  mal,  mais  se  faisant  encore  de  temps  en 
temps  des  illusions  et  se  soignant  comme  un  homme  qui  ne  s'abandonne 
pas  un  instant.  Je  suis  brisée  de  toutes  façons,  mais  aprÚs  l'avoir 
habillĂ©  et  arrangĂ©  moi-mĂȘme  sur  son  ht  de  mort,  je  suis  encore  dans 
l'énergie  de  volonté  qui  ne  pleure  pas.  Je  ne  serai  pas  malade,  soyez 
tranquilles,  je  ne  veux  pas  l'ĂȘtre,  je  veux  aller  vous  rejoindre  aussitĂŽt 
que  j'aurai  pris  tous  les  soins  nécessaires  pour  ses  pauvres  restes,  et 
mis  en  ordre  ses  affaires  et  les  miennes  qui  sont  les  vĂŽtres. 

Apprends  avec  ménagement  cette  triste  nouvelle  à  ma  chérie.  Du 
reste  elle  devait  bien  s'y  attendre.  Je  ne  me  faisais  plus  d'illusion  et  je 
vous  le  disais. 

Je  vous  embrasse  mille  fois,  aimez-moi  bien. 

A  monsieur  Oscar  Cazo.majouil). 

Palaiseau,  22  août  1865. 

Cher  enfant,  je  l'ai  perdu,  cet  admirable  compagnon  de  ma  vie  depuis 
quinze  ans,  ce  soutien  dévoué  de  ma  vieillesse.  H  est  mort  hier  matin 
sans  agonie,  et,  je  l'espÚre,  sans  savoir  qu'il  mourait,  quoiqu'il  connût 
et  sentßt  bien  depuis  longtemps  la  gravité  toujours  croissante  de  son 
mal.  Mais  il  avait  encore  beaucoup  de  moments  d'illusion  que  j'ai 
entretenus  avec  tout  le  courage  dont  je  suis  capable.  Il  a  eu  bien  du 
courage  aussi  pour  s'efforcer  de  vivre  ;  il  est  resté  debout  jusqu'à  ce 
qu'il  n'ait  pas  pu  se  porter.  J'ai  pensé  deux  fois  à  t'écrire,  mais  cette 
fin  inévitable  n'avait  pas  de  terme  qu'on  pût  fixer,  et  je  ne  voulais 
pas  t'enlever  Ă   ta  femme  souffrante  (2)  et  Ă   tes  affaires  pour  un  temps 

(1)  Fils  de  la  demi-sƓur  de  Mme  Sand,  Mme  Caroline  Cazamajou.  George 
Sand  avait  intercédé-  pour  lui  auprÚs  des  hauts  fonctionnaires  militaires, 
eu  1852.  (Voir  plus  haut,  chap.  ix.)  Elle  avait  beaucoup  d'amitié  pour  ce 
neveu,  qui  la  lui  rendait  de  son  cÎté. 

(2)  Mme  Herminie  Cazamajou. 


GEORGE   SAND  491 

indéterminé.  J'ai  été  bien  entourée  et  soutenue  par  de  bons  amis. 
Pourtant  ta  présence  m1  eût  fait  plus  de  bien,  et  j'ai  failli  t'envoyer 
un.  tĂ©lĂ©gramme.  Mais  j'ai  craint  d'ĂȘtre  Ă©goĂŻste  et  puis  je  suis  si  Ă©troi- 
tement logée  à  Palaiseau  i  Dormir  plusieurs  nuits  sur  un  canapé  est 
trop  pénible,  j'ai  résisté  à  mon  envie  de  te  voir. 

H  est  lĂ ,  ce  pauvre  ami,  calme,  pĂąle  et  comme  rajeuni  par  la  mort.  Je 
le  garde  jusqu'à  demain  encore.  Je  crains  tant  les  inhumations  préci- 
pitées. Je  l'ai  couvert  de  fleurs.  J'ai  été  choisir  au  cimetiÚre  une  belle 
place.  Je  me  soutiens  par  la  volonté  de  m'occuper  de  lui  jusqu'à  ce 
qu'il  faille  le  perdre  de  vue.  Mais  je  suis  brisée  de  fatigue,  moi  seide  l'ai 
veillé  et  soigné  à  toute  heure  depuis  le  commencement,  depuis  trois 
mois,  et  il  Ă©tait  bien  difficile  Ă   soigner.  Mes  domestiques  auraient  peut- 
ĂȘtre  perdu  patience.  Mais  je  les  ai  soutenus,  ils  ont  Ă©tĂ©  parfaits. 

J'irai  à  Nohant  dans  une  huitaine.  Si  je  ne  suis  pas  trop  fatiguée,  je 
veux  aller  vous  voir  ensuite.  Je  vous  embrasse  tendrement  ainsi  que 
ma  sƓur.  Elle  apprĂ©ciait  cet  excellent  ami  qui  vous  aimait  bien. 

Ta.  tante. 

A  Maurice. 

22  août  1865. 

Quels  tristes  jours,  quels  détails  navrants  !  Dumas,  Marchai, 
Larounat  et  Borie  sont  venus  me  voir  aujourd'hui.  Marchai  a  dßné 
avec  moi  et  m'a  distrait  un  peu.. Francis  est  ici,  il  vient  d'enterrer  sa 
mÚre  à  Nevers.  Il  est  arrivé  comme  notre  pauvre  ami  venait  d'expirer. 
Les  Boutet  sont  excellents  pour  moi  et  m'aident  dans  les  tristes  soins 
Ă   rempb'r.  Nous  le  conduisons  demain  au  cimetiĂšre.  Me  voilĂ   seule 
depuis  deux  nuits  auprÚs  de  ce  pauvre  endormi  qui  ne  se  réveillera 
plus.  Quel  silence  dans  cette  petite  chambre  oĂč  j'entrais  sur  la  pointe  du 
pied  Ă   toutes  les  heures  du  jour  et  de  la  nuit  !  Je  crois  toujours  entendre 
cette  toux  déehirante  ;  il  dort  bien  à  présent,. sa.  figure  est  restée  calme, 
il  est  couvert  de  fleurs.  Ha  l'air  d'ĂȘtre  en  marbre,  lui  si  vivant,  si  impĂ©- 
tueux !  Aucune  mauvaise  odeur,  il  est  pĂ©trifiĂ©.  Son  imbĂ©cile  de  sƓur 
est  venue  ce  matin  et  n'a  pas  voulu  le  voir,  disant  que  cela  lui  ferait 
trop  d'impression.  Elle  m'avait  Ă©crit  pour  le  supplier  de  lui  amener  un 
prĂȘtre.  Tu  penses  bien  que  je  l'ai  reçue  de  la  belle  maniĂšre...  dĂšs  lors 
il  est  damné  et  on  ne  veut  pas  lui  donner  un  dernier  baiser.  La  mÚre 
n'a  pas  paru,  c'est  elle  surtout  qui  voulait  qu'il  se  confessĂąt,  sans 
craindre  de  lui  porter  un  coup  mortel  :  une  mÚre  !  Voilà  les  dévots. 
Nous  ne  le  portons  pas  Ă   l'Ă©glise,  comme  tu  penses  ;  dĂšs  lors  le  bedeau 
nous  refuse  le  brancard  et  le  drap  mortuaire.  Mais  les  ouvriers  du  vil- 
lage, qui  l'adoraient,  veulent  le  porter  avec  un  drap  blanc  et  des 
fleurs.  Nos  amis  de  Paris  viendront.  Si  le  prince  est  de  retour,  connue 


492  GEORGE   SAXD 

on  me  l'a  dit  ce  soir,  il  viendra  certainement.  H  l'aimait  beaucoup 
et  lui  a  tĂ©moignĂ©  dans  sa  maladie  le  plus  grand  intĂ©rĂȘt. 

Moi  je  ne  peux  pas  encore  me  reposer,  j'ai  trop  perdu  le  sommeil 
pour  le  retrouver  tout  de  suite  ;  mais  je  ne  suis  pas  du  tout  malade,  j'ai 
bien  de  la  force.  Je  pense  toujours  vous  aller  voir  dans  huit  jours. 
H  faudra  aprĂšs-demain  que  je  voie  aux  affaires  avec  Boutet.  Tout  est 
en  ordre,  mais  il  faut  prendre  connaissance  de  tout,  et  que  je  sois  mise 
en  possession  du  petit  avoir  qu'il  nous  laisse.  J'y  ai  nus  du  mien  aussi, 
mais  sous  son  nom,  afin  que  ce  soit  bien  Ă   toi,  sans  partage  avec  per- 
sonne. Je  ne  sais  pas  quelles  formalités  il  y  aura  à  remplir,  si  tu  dois 
signer  une  acceptation.  Je  saurai  cela. 

Dis  Ă   Marie  Caillaud  que  j'ai  Ă   elle  des  papiers  qui  constituent  les 
titres  de  propriété  de  ses  petites  économies.  Elle  avait  chargé  Maillard 
de  les  faire  valoir  et  tout  cela  a  dĂ»  ĂȘtre  trĂšs  bien  fait.  A  sa  mort  Man- 
ceau  a  repris  les  titres.  Il  faut  qu'elle  me  dise  ce  qu'il  faut  en  faire. 
Je  ne  peux  pas  me  charger  de  cela,  n'entendant  absolument  rien  aux 
affaires,  et  Boutet,  qui  est  écrasé  d'occupations,  n'a  pas  de  raisons  pour 
prendre  ce  nouveau  soin.  Qu'elle  me  dise  donc  si  elle  a  quelqu'un  Ă  
Paris  Ă   qui  elle  veut  que  je  remette  ses  titres  ou  s'il  faut  les  lui  envoyer. 
Il  faut  qu'au  plus  tĂŽt  ils  soient  dans  les  mains  de  la  personne  qui  sur- 
veille ses  intĂ©rĂȘts. 

Bonsoir,  mes  enfants  chéris,  ne  soyez  pas  inquiets  de  moi,  je  suis  bien 
entourée,  et  j'ai  des  domestiques  d'un  dévouement  parfait.  Je  vous 
aime  et  j'irai  revivre  en  vous  embrassant. 

A  Lina. 

Ma  fille  chérie,  comme  la  vue  de  Maurice  m'a  fait  du  bien!  J'ai 
enfin  pu  pleurer  Ă   cƓur  ouvert,  il  m'a  aidĂ©  Ă   conduire  au  cimetiĂšre  ce 
pauvre  cher  ami  ;  je  m'en  retournerai  avec  lui,  dans  trois  jours,  quatre 
tout  au  plus,  je  compterai  parcimonieusement  les  heures  oĂč  je  tĂš  sĂ©p;j-e 
de  lui  et  oĂč  je  te  laisse  seule,  ma  pauvre  petite  !  Je  suis  si  brisĂ©e  de 
fatigue  et  si  ahurie  d'esprit  que  je  ne  peux  pas  partir  demain,  sans  cela 
je  partirais.  Je  me  dĂ©pĂȘcherai,  sois-en  sĂ»re  ;  c'est  toi  qui,  la  premiĂšre, 
lui  a  dit  :  «  Va  chercher  ta  mÚre  ;  »  je  le  sais,  je  t'en  remercie  et  je  te 
bénis.  Maurice  va  bien. 

A  Lina. 

Palaiseau,  25  août  1866. 

Ma  fille  chérie,  Maurice  t'écrit  de  son  cÎté  à  Paris,  que  nous  par- 
tons pour  te  rejoindre  dimanche  matin  ;  je  ne  pourrai  passer  cette  fois 
avec  vous  qu'une  quinzaine. 


GEORGE   SAND  493 

Je  serais  restée  davantage,  s'il  m'avait  laissée  ici  plus  longtemps, 
mais  il  veut  me  remmener  et  je  ne  veux  pas  que  tu  restes  seule.  Je 
t'embrasse  nulle  fois. 

Ta  mĂšre. 

H  m'a  lu  ta  lettre,  qu'elle  est  gentille  et  bonne  ! 


A  Charles  Poney. 

Palaiseau,  25  août  1865. 

...Il  y  a  quatre  mois  que  nous  n'avons  mis  le  pied  Ă   Paris.  Il  y  a 
quatre  mois  qu'il  se  meurt.  Les  intervalles  d'espérance  étaient  illu- 
soires. Il  y  a  six  semaines  que  je  le  sais,  et  pourtant,  on  espĂšre  jusqu'Ă  
la  derniĂšre  heure. 

A  présent  c'est  fini.  Je  l'ai  conduit  au  cimetiÚre  le  23.  H  est  mort  le  21. 
H  a  eu  une  rapide  agonie  aprĂšs  un  lourd  et  profond  sommeil.  Mais 
pour  en  venir  lĂ ,  comme  il  s'est  vu  mourir,  jour  par  jour,  heure  par 
heure! 

Maurice  est  accouru  pour  m'aider  Ă   l'ensevelir,  et  nous  partons 
ensemble  demain  pour  Nohant  oĂč  je  passerai  quinze  jours.  Je  revien- 
drai pour  affaires.  Je  retournerai  lĂ -bas  pour  les  couches  de  ma  belle- 
fille.  Mais  je  vivrai  Ă   Palaiseau  avec  mon  cher  et  profond  souvenir. 

Je  suis  briséo  de  fatigue.  Que  de  soins,  que  de  veilles,  que  d'angoisses. 
Rien  n'a  pu  le  sauver.  Tout  avait,  tout  a  été  essayé.  L'iode  ne  faisait 
rien.  Rien  ne  faisait...  Vous  qui  savez  ce  que  c'est  que  de  disputer  un 
ĂȘtre  chĂ©ri  Ă   la  mort,  vous  apprĂ©cierez  mon  immense  douleur. 

A  monsieur  André  Boulet. 

Nohant,  28  août  1865. 

Chers  excellents  amis,  je  vous  donne  de  mes  nouvelles,  selon  ma 
promesse.  Je  me  porte  bien.  Je  suis  arrivée  sans  fatigue  de  voyage  ; 
j'ai  dormi,  j'ai  mangé,  j'ai  causé  avec  mes  enfants,  j'ai  repris  la  vie 
comme  si  de  rien  n'était,  je  n'en  suis  pas  moins  brisée  et  j'éprouve  au 
physique  comme  au  moral,  la  lassitude  de  quelqu'un  qui  sortirait  de 
la  torture.  Il  me  faudra,  je  pense,  quelque  temps  pour  me  retrouver  et 
me  reconnaĂźtre. 

A  votre  tour  de  me  parler  de  vous,  des  chers  enfants  et  des  bien- 
aimĂ©s  parents,  chĂšre  famille  qui  s'est  faite  mienne  avec  tant  de  cƓur 


494  GEORGE   SAND 

et  de  bonté.  Je  vous  embrasse  tous  tendrement,  et  mon  BouricoïdÚs  (1) 
aussi. 

G.  S  and. 

Je  prie  Boutet  de  consacrer  une  ou  deux  heures  encore  Ă   l'examen 
de  ce  cabinet  dont  il  a  la  clef...  "S'il  était  nécessaire  de  hùter  mon  retour 
Ă   Paris...  appelez-moi,  sinon  je  reste  jusqu'au  15  septembre... 


A  monsieur  et  Mme  E.  PĂ©rigois. 

Nohant,  2  septembre  1865. 

J'ai  été  soutenue  auprÚs  de  ce  mourant  et  de  ce  mort  par  un  cou- 
rage nécessaire.  A  présent,  je  sens  la  fatigue  du  chagrin  et  des  insom- 
nies. J'ai  un  besoin  de  repos  stupide,  invincible,  je  dormirais  sur  un  tas 
de  pierres.  Je  ne  peux  mĂȘme  plus  parler  de  lui  ;  j'aurai  une  rĂ©action  de 
déchirement,  je  le  sais,  mais  les  bonnes  amitiés  et  la  tendresse  de  mes 
enfants  de  Nohant  me  soutiendront,  j'espĂšre. 

Merci  pour  vos  affectueuses  paroles  et  pour  le  bon  souvenir  que  vous 
gardez  de  mon  pauvre  ami.  Il  vous  aimait  bien  aussi  et  vous  appréciait 
tous  deux.  Je  suis  ici  pour  quinze  jours.  Je  reviendrai  pour  les  couches 
de  Lina  au  mois  de  décembre,  plus  tÎt  si  je  peux.  Au  revoir  donc,  ehers 
amis,  je  vous  aime. 

George  Sand. 

A  monsieur  André  Boutet. 

Nohant,  3  septembre  1865. 

...Ma  santé  se  remet,  le  sommeil  revient,  c'était  la  grande  souffrance, 
l'insomnie.  Mes  enfants  paraissent  tout  Ă   fait  contents  de  leur  exis- 
tence. Ma  petite  Lina  est  une  ménagÚre  modÚle  et  tout  va  au  mieux... 

Au  mĂȘme. 

Nohant,  9  septembre. 

Cher  ami,  je  partirai  d'ici  le  16,  pour  ĂȘtre  Ă   Paris  le  mĂȘme  jour. 


(1)  Sobriquet  de  Francis  Laur  qui,  depuis  la  mort  de  Maillard,  vivait, 
paraĂźt-il,  dans  la  famille  Boutet  aux  vacances. 


GEORGE  5AND  495 

A  monsieur  Charles  Poney. 

Palaiseau,  24  septembre. 

Mon  cher  enfant,  j'ai  été  à  Nohant  passer  trois  semaines  et  me  voilà 
revenue  à  Palaiseau  pour  régler  mes  affaires  que  mon  pauvre  ami  a 
laissées  dans  un  grand  désordre  durant  cette  longue  et  cruelle  maladie. 
Moi,  je  ne  suis  pas  malade,  ne  vous  inquiétez  pas  de  moi. 

Maurice  et  Lina  vont  bien.  Ils  font  marcher  Nohant  on  ne  peut 
mieux.  La  chÚre  petite  femme  est  enceinte,  forte,  active,  bonne  ména- 
gĂšre, aimable  et  charmante.  Maurice  s'occupe  de  ses  terres  tout  en  fai- 
sant de  la  science  et  des  romans.  Il  y  a  donc  du  bonheur  pour  moi  de 
ce  cÎté-là.  Mais  quel  bonheur  est  assuré  sur  la  terre?... 

A  la  fin  de  la  lettre  du  28  août  1865  à  M.  André  Boutet,  que 
nous  venons  de  citer,  Mme  Sand  le  priait  d'examiner  tous  les 
papiers  de  Manceau  et  exprimait  ses  craintes  que  le  testament 
de  Manceau  ne  lui  causĂąt  des  ennuis  au  cas  oĂč  la  famille  de 
Manceau,  surtout  son  pÚre,  réclamerait  une  forte  pension  annuelle 
et  surtout  si  on  allait  attaquer  les  droits  de  Maurice  sur  la  terre 
de  Palaiseau  et  sur  une  partie  de  la  maisonnette,  léguées  à  lui 
par  Manceau.  Toute  une  série  de  lettres  de  Mme  Sand  à  Mau- 
rice, Lina  et  M.  Boutet  (du  3,  9,  17  septembre  —  deux  lettres 
Ă©crites  Ă   la  mĂȘme  date  —  du  21,  23,  24,  29,  30  septembre  2,  3  et 
5  octobre)  sont  consacrées  aux  questions  :  Faut-il  ou  ne  faut-il 
point  accepter  ce  legs?  Comment  parer  aux  exigences  de  la 
iamille  Manceau,  en  cas  de  réclamations  de  leur  part?  Devait-on 
ou  ne  devait-on  pas  consentir  Ă   lui  payer  jusqu'Ă   1  000  francs  par 
an?  (diminués  graduellement  à  500,  300,  200  francs  par  an  et 
enfin  réduits  à  une  proposition  à  Mlle  Laure  Manceau,  de  la 
part  de  Mme  Sand  seule,  de  lui  donner  une  petite  rente  annuelle, 
qui  ne  serait  pas  Ă   la  charge  de  Maurice  aprĂšs  la  mort  de 
Mme  Sand).  Dans  le  cas  oĂč  l'on  refuserait  l'hĂ©ritage,  on  n«  serait 
tenu  de  payer  ni  les  dettes  de  Manceau,  ni  le  médecin,  ni  le  phar- 
macien, etc.,  etc.,  mais  alors  Mms  Sand  risquait  de  perdre  la 
maisonnette  qui  lui  Ă©tait  chĂšre  par  ses  souvenirs  et  lui  permet- 
trait de  travailler  tranquillement  isolée.  On  voit  là  combien 


496  GEORGE   SAND 

Mme  Sand  craignait  que  Maurice  n'acceptùt  point  cet  héritage, 
elle  insistait  pour  qu'il  lui  envoyĂąt  en  toute  hĂąte  une  procura- 
tion ;  sa  lenteur,  son  hésitation  à  faire  un  petit  sacrifice,  afin  de 
terminer  au  plus  vite  cette  affaire  sans  procĂšs,  la  fĂąchaient. 
Mme  Sand  reproche  aussi  à  son  ami  défunt  de  «  n'avoir,  aimé, 
personne  ces  six  derniers  mois  »  et  ne  plus  s'ĂȘtre  inquiĂ©tĂ©  de  son 
avenir  à  elle  et  de  lui  avoir  donné  tant  de  soucis  par  son  testament. 
Toutes  ces  craintes  et  toutes  ces  prĂ©occupations  —  fort 
dĂ©plaisantes  au  fond  —  Ă©taient  vaines.  Les  dames  de  la  famille 
Manceau  ne  demandĂšrent  pour  leur  part  que  quelques  pauvres 
hardes  et  la  montre  de  leur  fils  et  frùre  —  comme  des  reliques  à 
garder  —  et  le  pĂšre  de  Manceau  dĂ©clara  que  Mme  Sand  avait  bien 
assez  fait  pour  eux  et  qu'il  n'avait  aucune  prétention  sur  quoi 
que  ce  soit.  L'affaire  fut  donc  heureusement  terminée  et  le 
30  octobre  Mme  Sand  Ă©crivait  Ă   Maurice  : 

Paris,  3  octobre  1865. 

J'Ă©tais  en  colĂšre  contre  toi,  mais  ta  lettre  m'a  fait  tant  rire  avec  les 
aiguilles  à  tricoter  de  ce  monsieur  de  chaque  cÎté  de  sa  gueule,  que  je 
n'y  pense  plus.  Et  puis  ta  procuration  est  arrivée  à  temps  et  Boutet 
a  signé  pour  toi  ;  c'est  une  affaire  finie.  H  n'a  pas  été  question  de  pen- 
sion ni  de  transaction  d'aucun  genre.  J'ai  accepté  les  dettes  de  la  suc- 
cession qui  ne  dépassent  pas  la  somme  qui  figure  dans  la  note  que  je 
t'ai  envoyée,  et  on  a  compris  que  c'était  bien  assez.  J'ai  donné  la  montre 
Ă   Laure  et  voilĂ .  Le  pĂšre  a  Ă©tĂ©  trĂšs  bien,  il  ne  voulait  mĂȘme  pas  entendre 
la  transaction  ni  le  testament,  disant  qu'il  venait  pour  signer  et  non 
pour  discuter,  qu'il  me  devait  tout  et  n'avait  rien  à  me  réclamer.  C'est 
plutÎt  la  mÚre  qui  aurait  réclamé  quelques  misÚres.  Mais,  en  somme, 
tout  est  terminé,  et  sans  te  coûter,  dans  le  présent  ni  dans  l'avenir, 
un  centime.  Tu  vois  que  les  craintes  de  nos  amis  et  les  nĂŽtres  Ă©taient 
chimériques  et  que  Manceau  connaissait  mieux  que  nous  l'inoffensivité 
de  ses  parents.  Le  danger  d'un  mauvais  conseil  n'en  existait  pas  moins, 
et  il  ne  l'avait  pas  prévu.  Je  redoutais  cela,  j'étais  pressée  d'en  finir. 
La  conclusion  est  excellente  pour  toi,  car  si  j'ai  laissé  gaspiller  beau- 
coup d'argent  il  ne  t'en  reste  pas  moins  un  immeuble  qui  représente 
la  moitié  au  moins  du  produit  de  Villemer,  et  sur  lequel  nous  pourrions 
gagner  en  le  vendant  plus  tard,  si  nous  le  voulons  tous  deux.  Les 
parents  ont  renoncé  purement  et  simplement  à  leur  droit,  sans  autre 
compensation  que  de  n'avoir  pas  Ă   payer  les  quelques  dettes  qui  me 


GEORGE   SAND  497 

restent  Ă   Palaiseau,  et  que  je  vais  acquitter  au  plus  tĂŽt  ;  je  leur  ai 
promis  les  vieux  souliers  et  les  outils  de  graveur!  J'ai  mis  de  cÎté 
pour  toi  les  plus  beaux  burins  et  diverses  choses  qui  pourront  te  servir. 
Enfin  j'ai  cĂ©dĂ©  la  montre  avec  plaisir,  heureuse  d'en  ĂȘtre  quitte  Ă   si 
bon  marché.  Je  ferai  quelque  chose  pour  Laure,  mais  sans  prendre 
aucun  engagement  et  sans  que  cela  te  retombe  sur  le  dos  en  aucune 
façon.  Dors  donc  en  paix  seigneur  de  Nohant,  Palaiseau  et  Gargilesse. 
Prévost  fait  recopier  la  transaction  pour  te  l'envoyer,  tu  verras  qu'elle 
est  trĂšs  bien  faite  et  que  Ludre  l'approuvera  de  tous  points...  J'ai  couru 
hier  toute  la  journée  avec  Alexandre  de  chez  Prévost  au  Sénat,  et 
puis  chez  Jlagny  oĂč  il  m'a  donnĂ©  Ă   dĂźner  ;  je  dĂźne  aujourd'hui  chez 
Popotte,  qui  me  mÚne  au  Français.  Je  retourne  à  Palaiseau  demain. 
Je  me  porte  bien  et  je  vous  bige  mille  fois  tous  deux. 

Mardi  soir. 

A  Lina. 

Palaiseau,  5  octobre  1865. 

Bige  ton  Bouli  pour  moi,  ma  Cocotte,  me  revoilĂ   Ă   Palaiseau.  J'ai 
grñce  à  sa  procuration,  —  pas  la  procuration  de  Palaiseau,  mais  celle 
de  Bouli  —  terminĂ©  pour  le  mieux,  bien  mieux  qu'on  ne  pouvait  l'es- 
pĂ©rer !  —  cette  ennuyeuse  affaire.  Vraiment  ces  gens  ne  sont  pas  de  mau- 
vaises gens,  et  ils  n'ont  pas  conclu  en  se  faisant  tirer  l'oreille,  mais  en 
déclarant  qu'ils  me  devaient  tout  et  que  je  ne  leur  devais  rien.  Ils  ont 
dit  la  vérité  et  fait  leur  devoir,  sans  doute,  mais  ça  n'est  pas  si  répandu 
que  ça  devrait  l'ĂȘtre,  cette  façon  d'agir.  Me  voilĂ   donc  tranquille 
sur  l'avenir  de  ce  petit  coin  oĂč  je  ne  comptais  pas  m'enterrer,  mais  oĂč 
j'ai  été  clouée  par  le  chagrin  et  la  pitié.  Je  ne  sais  pas  si  je  m'y  plairai 
dans  les  conditions  de  solitude  oĂč  me  voilĂ .  Jusqu'Ă   prĂ©sent  j'ai  eu 
tant  d'activité  que  je  ne  sais  guÚre  si  je  suis  en  l'air  ou  sur  terre.  J'ai 
terminé  un  tas  de  choses.  J'ai  renouvelé  pour  cinq  ans  mon  traité  avec 
Buloz  dans  de  bonnes  conditions.  J'ai  tiré  au  clair  la  question  des 
médecins  et  pharmaciens  qui  m'effrayait.  MorÚre,  130  francs  ;  Camille 
ne  veut  rien  ;  l'oxygĂšne  80  ou  100  francs,  c'est  peu,  comme  tu  vois. 
Fustes  voulait  500  francs  pour  une  visite  et  trois  lettres.  Je  lui  don- 
nerai 50  francs  et,  s'il  n'est  pas  content,  il  se  couchera  auprĂšs.  J'ai  vu 
un  tas  d'appartements,  rien  qui  nous  convienne  Ă   moins  de  3  000  francs 
au  moins  dans  les  alentours  de  l'Odéon,  avec  la  rue  du  Luxembourg. 

...Je  me  dĂ©cide  Ă   rester  cette  annĂ©e  oĂč  je  suis,  en  y  ajoutant  un  rez- 
de-chaussée  de  250  francs  ;  juste  au-dessous  de  mon  entresol,  un  salon 
double  du  mien,  une  salle  Ă   manger  idem,  avec  une  grande  alcĂŽve  oĂč 
on  pourrait  mettre  deux  lits,  une  cuisine  double  de  la  mienne,  avec  une 
petite  cour  de  deux  mĂštres  par  derriĂšre.  Je  mangerai  et  je  recevrai 
iv.  32 


49»  GEORGE   SAND 

donc  en  bas  ;  je  dormirai  et  je  travaillerai  Ă   l'entresol.  Quand  Bouli 
viendra  me  voir  je  pourrai  le  loger  et  le  faire  manger,  s'il  ne  veut  pas 
courir  d'un  bout  Ă   l'autre  de  Paris.  Plus  tard,  quand  tu  pourras  y 
venir,  nous  aviserons  Ă   nous  arranger  mieux.  Mais  je  ne  suis  pas  en 
mesure  maintenant  d'avoir  un  loyer  de  1 500  francs,  et  autour  de 
l'Odéon  et  du  Luxembourg  il  faut  1  500  francs  pour  avoir  l'équivalent 
de  ce  que  j'ai  maintenant  rue  des  Feuillantines  pour  850;  pour 
1  500  francs  vous  n'auriez  pas  non  plus  ce  que  vous  avez  maintenant... 
Je  vous  conseillerai  fort  de  vous  loger  dans  ma  maison.  H  y  a  pour 
900  francs  et  1  000  francs  des  appartements  trĂšs  jolis  et  doubles  du 
vĂŽtre. 

...J'ai  été  au  spectacle,  j'ai  vu  l'ouverture  de  l'Odéon...  PiÚce  d'ou- 
verture stupide,  jouée  par  Mme  Doche.  Elle  est  bien  mise,  voilà  tout... 
J'ai  vu  les  Deux  sƓurs  avec  Boutet,  c'est  mauvais,  insensĂ©,  ennuyeux 
à  avaler  sa  langue.  J'ai  vu  hier  au  Français  avec  Sylvanie  le  Supplice 
(Tune  femme  (1),  c'est  émouvant,  c'est  bien  joué,  c'est  d'une  facture 
habile,  et  bien  qu'on  soit  un  peu  en  colĂšre  contre  la  piĂšce  (2)  on  ne 
peut  pas  s'empĂȘcher  de  pleurer  beaucoup.  Je  n'ai  pas  vu  Bulozjesais 
qu'il  n'a  pas   encore  lu   le  Coq  (3),  il  m'Ă©crira...  Je  vais  passer  ici 

(1)  PiĂšce  Ă©crite  en  collaboration  par  Dumas  fils  et  Em.  de  Girardin,  et 
qui  fut  la  cause  d'une  querelle,  d'une  polémique  acharnée  et  finalement  d'une 
inimitié  à  mort  des  deux  ex-amis.  (Voir  à  ce  sujet  les  Entf 'actes,  par  Dumas 
fils,  vol.  IL) 

(2)  Dans  sa  lettre  Ă   Dumas,  Ă©crite  Ă   la  mĂȘme  date  que  ces  lignes,  Mme  Sand 
dit  que  c'est  la  partie  écrite  par  M.  de  Girardin  qui  lui  avait  déplu. 

(3)  Roman  de  Maurice  Sand,  le  Coq  aux  cheveux  d'or.  La  publication  de  ce 
roman  fit  faire  à  Mme  Sand  la  connaissance  du  célÚbre  éditeur  et  critique 
Albert  Lacroix,  qui  devint  bientĂŽt  et  resta  toujours  l'ami  de  tous  les  Sand, 
mĂšre,  fils,  belle-fille  et  petites-filles.  Albert  Lacroix  raconta  l'histoire  de  ses 
rapports  avec  l'illustre  femme  dans  ses  trÚs  intéressants  Mémoires  d'un 
éditeur  publiés  dans  la  Bévue  internationale  de  1898. 

Nous  eûmes  le  plaisir  de  faire  la  connaissance  de  cet  excellent  homme, 
d'un  désintéressement,  d'une  culture  et  d'une  science  vraiment  rares,  ency- 
clopédiques, en  1898,  àNohant.  Il  avait  alors  plus  de  soixante-dix  ans  ;  nos 
relations  furent  d'emblée  trÚs  amicales.  Le  culte  que  nous  professions  pour 
George  Sand  fut  le  point  de  départ  de  cette  amitié,  et  la  généreuse  habitude 
du  charmant  vieillard  de  prendre  Ă   coeur  les  intĂ©rĂȘts  d' autrui,  si  ces  intĂ©rĂȘts 
avaient  quelque  rapport  à  la  littérature  ou  à  la  science,  fit  qu'il  témoigna 
Ă   l'Ă©gard  de  notre  travail  un  intĂ©rĂȘt  et  une  sympathie  vraiment  paternels. 

Plus  tard  nous  eûmes  l'occasion  de  visiter  M.  Lacroix  et  sa  charmante 
famille,  si  laborieuse,  si  éclairée,  dans  son  petit  appartement  de  la  rue  Vergne  ; 
la  modestie  de  cette  demeure  n'empĂȘchait  pas  qu'elle  fĂ»t  toujours  le  point 
de  rĂ©union  d'amis  nombreux  —  portant  la  plupart  des  noms,  connus  de  tout 
homme  instruit  en  Europe  —  ou  bien  leurs  veuves  ou  leurs  soeurs.  Et  c'Ă©tait 
pourtant  un  Ă©diteur!  Mais  cet  Ă©diteur  perdit  toute  sa  fortune  Ă   enrichir  les 
auteurs,  et  cet  Ă©crivain  dut,  jusqu'Ă   la  fin  de  sa  vie,  travailler  pour  ne  pas 
mourir  de  faim.  Ce  fut  un  coup  trĂšs  sensible  pour  nous  lorsque  nous  apprĂźmes 
Ă   Paris,  en  1904,  lors  du  centenaire  de  George  Sand,  que  notre  vieil  ami 


GEORGE   SAND  499 

quelques  jours,  il  est  temps  que  je  me  remette  Ă   travailler.  Je  vais 
me  coucher  d'abord  et  dormir,  car  je  suis  un  peu  lasse.  Mais  j'ai  bien 
employé  mon  temps.  J'ai  parlé  de  toi  tout  plein  avec  Sylvanie  qui 
t'embrasse.  A  présent  parle-moi  de  toi,  mignonne  chérie.  Tu  sais  tout 
ce  qui  me  concerne.  Je  me  porte  bien,  je  dors.  Ma  jambe  marche  un 
peu,  elle  saute  et  veut  danser,  mais  c'est  de  l'inquiétude  plutÎt  que 
de  la  souffrance.  Enfin  je  m'Ă©tourdis  de  mon  mieux  et  il  n'y  a  pas 
d'amertume  dans  mon  regret  de  ce  pauvre  malheureux  qui  m'a  donné 
bien  du  mal,  qui  a  failli  me  laisser  bien  des  ennuis,  mais  qui  vous  aimait 
bien  au  fond  et  qui  croyait  si  bien  faire.  J'ai  bien  fait  mon  possible 
aussi  pour  lui  adoucir  cette  fin  terrible. 

Soyez  heureux,  mes  enfants  chéris.  Je  serai  eontente  encore  de  vivre  ; 
je  voudrais  gagner  de  l'argent  et  vous  ĂŽter  tous  vos  petits  soucis, 
j'espĂšre,  car  j'ai  encore  ma  tĂȘte,  et  je  suis  ton  exemple,  je  me  rends 
compte  de  tous  les  détails  de  la  vie.  Je  vois  qu'on  peut  ne  pas  tout 
dĂ©penser,  c'est  mĂȘme  trĂšs  facile  de  dĂ©penser  peu.  Il  faut  le  vouloir. 
Bige  encore...  Bige  ton  papa  pour  moi  quand  tu  lui  Ă©criras. 

Jeudi  soir. 

Mme  Sand  ne  voulut  donc  pas  ou  ne  put  point  se  décider  à 
quitter  son  Palaiseau  oĂč  l'ombre  de  son  pauvre  ami  semblait 
planer  encore.  Elle  y  retourna,  Elle  y  resta  plus  d'un  an,  jusqu'au 
commencement  de  1867,  passant  quelques  jours  Ă   Paris,  allant 
de  temps  Ă   autre  Ă   Nohant,  mais  revenant  quand  mĂȘme  dans  la 
maisonnette  située  sur  la  colline. 

Le  27  septembre  Mme  Sand  Ă©crivait  Ă   ce  propos  Ă   Louis 
Ulbacli  qui  venait  de  lui  envoyer  son  livre  : 

A  monsieur  Louis  Ulbach,  Ă   Paris. 

Palaiseau,  27  novembre  1865. 

Vos  livres  me  sont  arrivés  dans  un  moment  affreux,  cher  monsieur, 
laissez-moi  plutÎt  dire  ami.  J'ai  été  morte,  je  ne  sais  pas  si  je  suis 
vivante,  bien  que  mon  corps  marche  et  agissse.  Était-ce  une  bonne 
disposition  pour  vous  lire?  Pourtant  je  viens  de  lire  Louise  Tardy... 

Vous  me  traitez  de  maĂźtre,  c'est  vous  qui  passez  maĂźtre,  et,  moi,  je 

n'Ă©tait  plus  de  ce  monde,  qu'il  ne  lirait  plus  les  volumes  III  et  IV  de  notre 
travail.  SittĂŻbi  terra  levis,  cher  excellent  ami  !  Que  ces  lignes  soient  l'expres- 
sion de  notre  gratitude  et  de  notre  vénération  pour  sa  mémoire. 


500  GEORGE   SAND 

passe  je  ne  sais  quoi.  Je  double  le  cap  de  l'amertume,  et  j'entre  dans 
les  mers  inconnues  de  l'Isolement.  N'importe  !  dans  la  douleur  ou  dans 
le  calme,  je  vous  applaudirai  toujours  du  cƓur  et  des  deux  mains. 
Merci  d'avoir  pensé  à  moi  ;  je  lirai  le  Parrain,  bien  sûr.  Cette  femme 
de  lettres  que  vous  peignez  si  bien,  elle  est  jeune,  et  on  peut  s'ima- 
giner, au  premier  abord,  que  son  état  l'a  blasée  sur  les  choses  de  la  vie  ; 
mais,  si  elle  Ă©tait  vieille,  vous  eussiez  pu  la  peindre  tout  de  suite 
comme  aiguisée  et  surexcitée,  et  disposée  à  souffrir  plus  que  les  autres. 
Au  reste,  vous  avez  conclu.  Vous  avez  montré  que  notre  travail  d'ana- 
lyse, Ă   vous,  Ă   moi,  Ă   tous  les  artistes  qui  prennent  leur  tĂąche  au 
sérieux,  pousse  au  besoin  de  se  dévouer  et  de  se  défendre,  deux  solli- 
citations contraires  qui  rendent  la  vie  plus  difficile  Ă   nous  qu'aux  autres. 
Quelle  affaire  que  la  vie  !  et  la  mort,  quel  abĂźme  ! 

A  Flaubert. 

Palaiseau,  22  novembre  1865. 

...Me  voilĂ   toute  seule  dans  ma  maisonnette.  Le  jardinier  et  son 
ménage  logent  dans  le  pavillon  du  jardin,  et  nous  sommes  la  derniÚre 
maison  au  bas  du  village,  tout  isolée  dans  la  campagne  qui  est  une 
oasis  ravissante.  Des  prés,  des  bois,  des  pommiers  comme  en  Nor- 
mandie ;  pas  de  grand  fleuve  avec  ses  cris  de  vapeur  et  sa  chaĂźne  infer- 
nale ;  un  ruisselet  qui  passe  muet  sous  les  saules  ;  un  silence...  Ah  ! 
mais  il  me  semble  qu'on  est  au  fond  de  la  forĂȘt  vierge  ;  rien  ne  parle 
que  le  petit  jet  de  la  source  qui  empile  sans  relĂąche  des  diamants  au 
clair  de  la  lune.  Les  mouches  endormies  dans  les  coins  de  la  chambre 
se  réveillent  à  la  chaleur  de  mon  feu.  Elles  s'étaient  mises  là  pour 
mourir,  elles  arrivent  auprÚs  de  la  lampe,  elles  sont  prises  d'une  gaieté 
folle,  elles  bourdonnent,  elles  sautent,  elles  rient,  elles  ont  mĂȘme  des 
velléités  d'amour;  mais  c'est  l'heure  de  mourir,  et,  paf  !  au  milieu  de 
la  danse,  elles  tombent  raides.  C'est  fini,  adieu  le  bal  ! 

Je  suis  triste  ici  tout  de  mĂȘme.  Cette  solitude  absolue,  qui  a  toujours 
été  pour  moi  vacance  et  récréation,  est  partagée  maintenant  par  un 
mort  qui  a  fini  lĂ ,  comme  une  lampe  qui  s'Ă©teint  et  qui  est  toujours  lĂ . 
Je  ne  le  tiens  pas  pour  malheureux,  dans  la  région  qu'il  habite  ;  mais 
cette  image  qu'il  a  laissée  autour  de  moi,  qui  n'est  plus  qu'un  reflet, 
semble  se  plaindre  de  ne  pouvoir  plus  me  parler. 

N'importe  !  la  tristesse  n'est  pas  malsaine  :  elle  nous  empĂȘche  de 
nous  dessécher.  Et  vous,  mon  ami,  que  faites-vous  à  cette  heure? 
Vous  piochez  aussi,  seul  aussi,  car  la  maman  doit  ĂȘtre  Ă   Rouen.  Ça 
doit  ĂȘtre  beau  aussi,  la  nuit,  lĂ -bas.  Y  pensez-vous  quelquefois  au 
«  vieux  troubadour  de  pendule  d'auberge,  qui  toujours  chante  et 


GEORGE   SAND  5oi 

chantera  le  parfait  amour?  »  Eh  bien,  oui,  quand  mĂȘme  !  Vous  n'ĂȘtes 
pas  pour  la  chasteté,  monseigneur,  ça  vous  regarde.  Moi,  je  dis  qu'elle 
a  du  bon,  la  rosse.  Et  sur  ce,  je  vous  embrasse  de  tout  mon  cƓur  et 
je  vais  faire  parler,  si  je  peux,  des  gens  qui  s'aiment  Ă   la  vieille  mode. 
Vous  n'ĂȘtes  pas  forcĂ©  de  m'Ă©crire  quand  vous  n'ĂȘtes  pas  en  train.  Pas 
de  vraie  amitié  sans  liberté  absolue. 

A  Paris,  la  semaine  prochaine,  et  puis  Ă   Palaiseau  encore,  et  puis 
Ă   Nohant... 

On  voit,  rien  que  par  ces  deux  lettres,  la  douleur  profonde  et 
cachée  de  Mme  Sand.  Mais  cela  peut  se  voir  encore  mieux  si  on 
lit  la  Lettre  dun  voyageur  Ă   propos  des  Chansons  des  rues  et  des 
dois  de  Victor  Hugo,  datée  également  de  «  novembre  1865  », 
dont  nous  avons  déjà  parlé  plus  haut  et  dont  nous  citerons  à 
prĂ©sent  quelques  passages  —  le  lecteur  ne  nous  en  voudra  point, 
car  ce  sont  des  pages  merveilleuses. 


George  Sand  a  la  Gargilesse 
Comme  Horace  avait  VAnio, 

Selon  vous  —  s'adresse-t-elle  au  grand  poĂšte.  —  0  poĂ©sie  !  Horace 
avait  beaucoup  de  choses  et  George  Sand  n'a  rien,  pas  mĂȘme  l'eau 
courante  et  rieuse  de  la  Gargilesse,  c'est-Ă -dire  le  don  de  la  chanter 
dignement...  je  n'ai  plus  à  moi  qu'une  chose  inféconde,  le  chagrin, 
champ  aride,  domaine  du  silence.  J'ai  perdu  en  un  an  trois  ĂȘtres  chers 
qui  remplissaient  ma  vie  d'espérance  et  de  force.  L'espérance  c'était 
un  petit  enfant  qui  me  représentait  l'avenir  (1)  ;  la  force,  c'étaient  deux 
amitiĂ©s,  sƓurs  l'une  de  l'autre  (2),  qui,  en  se  dĂ©vouant  Ă   moi,  ravivaient 
en  moi  la  croyance  au  dévouement  utile.  H  me  reste  beaucoup  pour- 
tant :  des  enfants  adorés,  des  anus  parfaits.  Mais  quand  la  mort  vient 
frapper  autour  de  nous  ce  qui  devait  si  naturellement  et  si  légitime- 
ment nous  survivre,  on  se  sent  pris  d'effroi  et  comme  dénué  de  tout 
bonheur,  parce  qu'on  tremble  pour  ce  qui  est  resté  debout,  parce  que 
le  néant  de  la  vie  vous  apparaßt  terrible,  parce  qu'on  en  vient  à  se 

(1)  Le  petit  Marc- Antoine,  mort  deux  mois  aprĂšs  la  Lettre  d'un  voyageur, 
d'avril  1864,  oĂč  Mme  Sand  «  chantait  »  Gargilesse. 

(2)  Il  ne  faut  pas  oublier  que  Maillard  et  Manceau  Ă©taient  cousins  et  que 
c'est  par  Manceau  que  Mme  Sand  avait  connu  Maillard.  Ces  deux  lignes 
rĂ©vĂšlent  d'une  maniĂšre  parfaitement  explicite  Ă   qui  et  Ă   quoi  doit  ĂȘtre  attri- 
buée la  profonde  douleur  dont  est  empreinte  cette  Lettre  adressée  à  Hugo 
et  qui,  par  son  lyrisme  et  sa  poésie,  égale  les  toutes  premiÚres  Lettres  d'un 
voyageur  datées  de  1834-36. 


5aa  GEORGE   SAXD 

dire  :  Pourquoi  aimer,  s'il  faut  se  quitter  tout  Ă   l'heure.  Qu'e3t-ce  que 
le  dévouement,  la  tendresse,  les  soins,  s'ils  ne  peuvent  retenir  prÚs  de 
nous  ceux  que  nous  chérissons?... 

Oh  !  mairie  poĂšte  !  comme  je  me  sentais,  conmie  je  me  croyais 
encore  riche  quand,  il  y  a  un  an  et  demi,  je  vous  lisais  au  bord  de  la 
Creuse,  et  vous  promenais  avec  moi  en  rĂȘve  le  long  de  cette  Gargilesse 
honorée  d'une  de  vos  rimes,  petit  torrent  ignoré  qui  roule  dans  des 
ravines  plus  ignorées  encore.  Je  me  figurais  vraiment  que  ce  désert 
était  à  moi  qui  l'avais  découvert  à  quelques  peintres  et  à  quelques  natu- 
ralistes qui  s'y  étaient  aventurés  sur  ma  parole  et  ne  m'en  savaient 
pas  mauvais  gré.  Eux  et  moi  nous  le  possédions  par  les  yeux  et  par  le 
cƓur,  ce  qui  est  la  seule  possession  des  choses  belles  et  pures.  Moi, 
j'avais  un  trésor  de  vie,  l'espoir,  l'espoir  de  faire  vivre  ceux  qui  devaient 
me  fermer  les  yeux,  l'illusion  de  compter  qu'en  les  aimant  beaucoup, 
je  leur  assurerai  une  longue  carriÚre.  Et,  à  présent,  j'ai  les  bras  croisés 
comme,  au  lendemain  d'un  désastre^  on  voit  les  ouvriers  découragés 
se  demander  si  c'est  la  peine  de  recommencer  Ă .  travailler  et  Ă   bĂątir 
sur  une  pierre  qui  toujours  tremble  et  s'entr'ouvre  pour  démolir  et 
dévorer. 

A  présent  je  suis  oisif  et  dépouillé  jusqu'au  fond  de  l'ùme.  Non, 
George  Sand  n'a  plus  la  Gargilesse  ;  il  n'a  plus  l'Anio,  qu'il  a  possédé 
aussi  autrefois  tout  un  jour,  et  qu'il  avait  emporté  tout  mugissant  et 
tout  ombragé  dans  un  coin  de  sa  mémoire,  comme  un  bijou  de  plus 
dans  un  écrin  de  prédilection.  H  n'a  plus  rien,  le  voyageur!  H  ne  veut 
pas  qu'on  l'appelle  poĂšte,  il  ne  voit  plus  que  du  brouillard,  il  n'a  plus 
de  prairies  embaumées  dans  ses  visions,  il  n'a  plus  de  chants  d'oiseaux 
dans  ses  oreilles,  le  soleil  ne  lui  parle  plus  ;  la  nature  qu'il  aimait  tant, 
et  qui  Ă©tait  bonne  pour  lui,  ne  le  connaĂźt  plus.  Ne  l'appelez  pas  artiste, 
il  ne  sait  plus  s'il  l'a  jamais  été.  Dites-lui  ami,  comme  on  dit  aux 
malheureux  qui  s'arrĂȘtent  Ă©puisĂ©s,  et  que  l'on  engage  Ă   marcher 
encore,  tout  en  plaignant  leur  peine. 

Marcher!  oui,  on  sait  bien  qu'il  le  faut,  et  que  la  vie  traĂźne  celui 
qui  ne  s'aide  pas.  Pourquoi  donner  aux  autres,  à  ceux  qui  sont  géné- 
reux et  bienfaisants,  la  peine  de  vous  porter?  N'ont-ils  pas  aussi  leur 
fardeau  bien  lourd?  Oui,  amis,  oui,  enfants,  je  marcherai,  je  marche, 
je  vis  dans  mon  milieu  sombre  et  muet  comme  si  rien  n'était  changé. 
Et,  au  fait,  il  n'y  a  rien  de  changé  que  moi  ;  la  vie  a  suivi  autour  de  moi 
son  cours  inévitable,  le  fleuve  qui  mÚne  à  la  mort.  11  n'y  a  d'étrange 
en  ma  destinée  que  moi  resté  debout.  Pourquoi  faire?  pour  chanter, 
cigale  humaine,  l'hiver  comme  l'été. 

Chanter  !  Quoi  donc  chanter?  La  bise  et  la  brume,  les  feuille3  qui 
tombent,  le  vent  qui  pleure?  J'avais  une  voix  heureuse  qui  murmurait 
dans  mon  cerveau  des  paroles  de  renouvellement  et  de  confiance.  Elle 


GEORGE   SAND  503 

s'e3t.  tue,  reviendra-t-elle?  Et  si  elle  revient,  F  entendrai -je?  Est-ce 
bientĂŽt,  est-ce  demain,  est-ce  dans  un  siĂšcle  ou  dans  une  heure  qu'elle 
reviendra?... 

...Au  fort  de  la  bataille  tous  sont  braves  ;  c'est  si  beau  le  courage  ! 
Ayez-en,  vous  dit-on,  tous  en  ont,  il  faut  en  avoir.  Et  on  répond  :  «  J'en 
ai  !  »  Oui,  on  en  a  quand  on  vient  d'ĂȘtre  frappĂ©  et  qu'il  faut  sourire 
pour  laisser  croire  que  la  blessure  n'est  pas  trop  profonde.  Mais  aprĂšs? 
Quand  le  devoir  est  accompli,  quand  on  a  pressé  les  mains  amies, 
quand  on  a  dissipé  les  tendres  inquiétudes,  quand  on  reprend  sa  route 
sur  le  sol  ébranlé,  quand  on  s'est  remis  au  travail,  au  métier,  au  devoir  ; 
quand  tout  est  dit  enfin  sur  notre  infortune  et  qu'il  n'est  plus  délicat 
d'accepter  la  pitiĂ©  des  bons  cƓurs,  est-ce  donc  fini?  Non,  c'est  le  vrai 
chagrin  qui  commence,  en  mĂȘme  temps  que  la  lutte  se  clĂŽt.  On  avance, 
on  Ă©coute,  on  voit  vivre,  on  essaie  de  vivre  aussi  ;  mais  quelle  nuit 
dans  la  solitude  !  Est-ce  la  fatigue  qui  persiste  ou  s'est-il  fait  une  dimi- 
nution de  vie  en  nous,  une  déperdition  de  forces?  J'ai  peine  à  croire 
qu'en  perdant  ceux  qu'on  aime  on  conserve  son  Ăąme  entiĂšre.  A  moins 
que... 

Cet  «  à  moins  que  »  en  dit  tant  !  C'est  comme  le  célÚbre  vers 
coupé  de  Pouchkine  :  «  Mais  si...  »  terminant  sa  merveilleuse 
Epßtre  à  une  Inconnue,  d'une  douleur  si  passionnée  et  d'une 
jalousie  concentrée  et  ardente.  George  Sand  interrompt  par  ces 
mots  le  cours  de  ses  confessions  toutes  personnelles  ;  elle  termine 
cette  Lettre  d'un  voyageur,  comme  nous  l'avons  vu,  par  des 
aperçus  généraux  et  objectifs  sur  la  jeunesse  et  l'état  des  ùmes 
contemporaines,  puis  elle  adresse  à  Victor  Hugo  —  dont  la  mis- 
sion est  en  opposition  directe  avec  le  chauvinisme  et  le  cléri- 
calisme du  moment  —  la  supplique  de  rĂ©veiller  les  idĂ©es  gĂ©nĂ©- 
reuses et  les  sentiments  enthousiastes  par  ses  belles  chansons 
lumineuses. 

Mme  Sand  reçut,  aprÚs  la  mort  de  Manceau,  les  plus  grandes 
marques  de  sympathie  et  un  soutien  tout  fraternel  de  la  part 
de  Flaubert.  C'est  précisément  à  1865-66  que  se  rapporte  l'éclo-  ,  ^^ 
sion  de  cette  illustre  amitié.  Flaubert  avait,  dÚs  1847,  tenté  de 
faire  la  connaissance  de  George  Sand  par  l'intermédiaire  de 
Théophile  Thoré,  la  priant  d'écrire  une  préface  à  un  de  ses 
livres.  Thoré  le  recommandait  à  Mme  Sand  comme  étant  un 
«  neveu  de  Saint-Just  ».  La  réponse  de  George  Sand  à  Thoré  a 


504  GEORGE   SAND 

été  publiée  à  la  page  367  du  volume  II  de  sa  Correspondance. 
Elle  refusa  disant  que  ses  préfaces  n'avaient  jamais  porté  bonheur 
Ă   personne  ;  qu'il  en  serait  de  mĂȘme  pour  Flaubert,  si  son  livre 
est  mauvais  ;  et  que  s'il  est  bon,  il  n'a  besoin  ni  de  sa  recom- 
mandation ni  de  sa  protection.  Leur  rencontre  date  de  1863. 
Us  furent  présentés  l'un  à  l'autre  à  un  des  dßners  Magny,  par 
Dumas  et  Sainte-Beuve.  En  1864,  Flaubert  témoigna  tant  de 
sympathie  chaleureuse  Ă   l'auteur  de  Villemer,  lors  de  la  premiĂšre 
de  cette  piĂšce,  que  ces  relations  se  changĂšrent  vite  en  une  vraie 
amitié.  En  1865,  à  la  mort  de  Manceau,  Flaubert  prouva  que 
cette  amitié  ne  se  bornait  pas  à  des  protestations  ou  de  vaines 
paroles.  TantĂŽt  seul,  tantĂŽt  avec  Lambert  et  Mme  Arnould- 
Plessy,  il  alla  plusieurs  fois  à  Palaiseau.  s'efforçant  sinon  de  con- 
soler, du  moins  de  distraire  Mme  Sand  par  sa  causerie,  ses  récits, 
ses  drĂŽleries  ;  il  lui  fit  promettre  de  venir  lui  faire  une  visite 
dan9  sa  maisonnette  de  Croisset,  oĂč  il  vivait  avec  sa  mĂšre,  et 
il  fit  preuve  Ă   sa  chĂšre  maĂźtre,  comme  il  appelait  toujours  George 
Sand,  de  toutes  les  marques  de  l'admiration  la  plus  respectueuse, 
de  la  sympathie  la  plus  cordiale,  d'un  attachement  trĂšs  sincĂšre. 
A  partir  de  cette  Ă©poque  leur  correspondance  devient  celle  de 
deux  bons  camarades,  avec  une  teinte  de  vénération  enthou- 
siaste de  la  part  de  Flaubert,  de  tendresse  maternelle,  avec  des 
gronderies  et  des  réprimandes  toutes  maternelles  aussi,  de  la 
part  de  George  Sand.  ^sous  n'allons  point  nous  arrĂȘter  ou  nous 
étendre  sur  cette  amitié.  Elle  servit  de  thÚme  à  beaucoup  d'études 
littéraires  et  d'articles  de  critique.  La  correspondance  entre  les 
deux  amis  est  aussi  fort  connue. 

Les  lettres  de  Flaubert  à  Mme  Sand  furent  publiées  deux  fois. 
C'est  Maupassant,  d'abord,  qui  les  fit  paraĂźtre  en  volume, 
en  1892,  avec  sa  superbe  préface.  Les  lettres  de  George  Sand, 
publiées  en  partie  dans  sa  Correspondance  générale,  parurent 
encore  dans  la  Revue  nouvelle.  En  1904  cette  correspondance 
double  parut  en  entier,  avec  une  préface  d'Henri  Amie  et  une 
petite  Notice  de  Paul  Meurice.  Cette  édition  avait  été  préparée 
par  Mme  Maurice  Sand  ;  elle  se  réjouissait  à  l'idée  de  pouvoir 
enfin  publier  intégralement  au  moins  Tune  des  correspondances 


GEORGE   SAND  505 

de  George  Sand  avec  des  réponses  et  des  dates  précises.  Malheu- 
reusement la  mort  l'empĂȘcha  de  mener  Ă   bout  cette  Ă©dition,  et 
cette  correspondance  fut  publiée  d'une  maniÚre  trÚs  désordonnée, 
incomplÚte  et  mal  soignée.  Beaucoup  de  lettres  de  George  Sand 
déjà  imprimées  dans  la  Correspondance  y  manquent  ;  d'autres 
sont  publiées  à  de  fausses  dates  ou  point  à  leur  place  ;  les  réponses 
ne  suivent  pas  les  lettres  auxquelles  elles  se  rattachent  ;  la  pré- 
face de  Maupassant  qui  devrait  Ă   tout  jamais  ne  faire  qu'un 
avec  les  lettres  de  Flaubert  Ă   Mme  Sand  en  est  absente.  Fort 
heureusement  la  préface  d'Henri  Amie  profondément  sentie, 
juste  et  chaleureuse,  dédiée  à  la  mémoire  de  Lina  Sand,  raconte 
au  lecteur  ce  que  Mme  Maurice  avait  voulu  faire  pour  la 
mémoire  de  George  Sand  et  combien  cette  femme  modeste,  si 
prématurément  partie  pour  un  autre  monde,  avait  travaillé  à 
réaliser  son  dessein. 

C'est  à  Flaubert  aussi  que  George  Sand  dédia  le  roman  paru 
en  1866,  le  Dernier  amour,  faisant  suite  Ă   Monsieur  Sylvestre. 
Ou  pour  mieux  dire  :  le  Dernier  amour  dont  M.  Sylvestre  est  le 
héros,  devrait  servir  de  prologue  ou  de  premiÚre  partie  au  roman 
de  ce  nom,  car  les  événements  de  la  vie  précédente  de  M.  Syl- 
vestre y  sont  racontés,  ainsi  que  les  épreuves  qui  firent  de  lui 
un  philosophe  tolérant,  doux  et  plein  de  quiétude.  Or,  à  l'excep- 
tion du  nom  du  héros,  il  n'y  a  aucun  lien  entre  les  deux  romans. 
Il  y  a  dans  le  Dernier  amour  trÚs  peu  de  réflexions  et  beaucoup 
d'action,  et  non  pas  dans  le  sens  d'accumulation  d'aventures 
invraisemblables,  mais  d'un  conflit  psychologique  toujours  crois- 
sant. 

M.  Sylvestre,  homme  déjà  mûr,  épouse  Félicie  Morgeron,  la 
sƓur  coquette  de  son  ami,  propriĂ©taire  alpestre,  Jean  Morgeron, 
une  demoiselle...  ayant  un  certain  «  passé  ».  Félicie  est  troublée 
par  un  excÚs  de  tempérament  ;  depuis  longtemps  elle  se  laisse 
courtiser  par  un  adolescent,  Tonino,  le  filleul  de  son  frĂšre  qui 
l'a  élevé.  Elle  devient  maintenant  la  maßtresse  de  Tonino,  et 
malgré  son  sincÚre  attachement  et  son  respect  pour  son  mari, 
elle  le  trompe  de  la  maniÚre  la  plus  effrontée.  M.  Sylvestre 
découvre  peu  à  peu  la  vérité,  mais  il  maßtrise  son  désespoir  et 


5o6  GEORGE   SAND 

s'efforce  d'empĂȘcher  sa  femme  vicieuse  de  se  perdre  complĂšte- 
ment En  apprenant  que  son  mari  sait  tout,  blessée  dans  sa 
fierté,  incapable  de  supporter  les  remords  de  sa  conscience  et  la 
jalousie  provoquée  par  le  mariage  de  son  amant  avec  une  jeune 
villageoise,  la  Vanina.  elle  meurt,  désespérée. 

Si  Monsieur  Sylvestre  résout  la  question  du  bonheur,  le  Der- 
nier amour  répond  h  celle-ci  :  Comment  venger  V amour  trahi? 
Par  l'amitié  et  l'oubli,  c'est  le  pire  des  chùtiments  pour  le  cou- 
pable. 

Rien  dans  ce  roman,  ni  le  développement  du  sujet,  ni  la  façon 
de  le  traiter,  ni  le  ton  gĂ©nĂ©ral  lui-mĂȘme,  ni  le  sentiment  qui  le 
pĂ©nĂštre,  ne  rappelle  Monsieur  Sylvestre,  ou  la  maniĂšre  mĂȘme  des 
Ɠuvres  de  George  Sand.  La  prĂ©cision  rĂ©aliste  de  la  donnĂ©e  gĂ©nĂ©- 
rale, la  puissante  peinture  du  caractÚre  de  l'héroïne  :  nature 
basse,  mais  point  traitée  en  «  traßtre  de  mélodrame  »  ;  la  maniÚre 
dont  est  campé  son  amant  italien  :  volage,  calculateur,  passionné 
et  rusĂ©  ;  son  frĂšre,  honnĂȘte  mais  bornĂ©  ;  l'Ă©veil  de  la  jalousie, 
les  soupçons  croissants  de  M.  Sylvestre,  si  crédule  d'abord, 
puis  forcé  d'ouvrir  les  yeux,  tout  cela  produit  une  impression 
toute  moderne.  Si  ce  roman  n'était  pas  signé  George  Sand,  nous 
ne  pourrions  dire  quel  fut  son  auteur.  Il  est  dédié  :  à  mon  ami 
Gustave  Flaubert.  Ce  fait,  le  perpétuel  commerce  et  échange 
d'idĂ©es  avec  Fauteur  de  Madame  Bovary,  explique  peut-ĂȘtre 
ce  changement  trÚs  prononcé  dans  la  maniÚre  littéraire  de 
George  Sand.  Il  faut  toutefois  noter  que  dans  Monsieur  Syl- 
vestre, déjà,  on  pouvait  lire  le  passage  que  voici,  trÚs  curieux 
sous  la  plume  de  George  Sand  : 

Laissez-moi  l'inconnu.  Ce  mot  ne  blesse  pas  ma  raison,  et  il  n'en- 
lÚve pas  toute  lueur  de  poésie  à  mon  cerveau.  Voilà  aussi  pourquoi  je 
ne  cĂšde  pas  encore  au  dĂ©sir  de  me  promener  aux  rares  heures  oĂč  le 
soleil  me  convie.  J'ai  peur  de  découvrir  dans  ce  vallon  charmant  des 
détails  laids  ou  ridicules,  et  de  ne  pouvoir  les  oublier,  quand  je  me 
reporterai  Ă   la  vue  de  l'ensemble.  Je  reconnais  que  ce  n'est  point  lĂ  
une  idée  conforme  à  ma  théorie  réaliste.  Il  faudrait  tout  accepter  dans  la 
nature  comme  dons  la  vie,  ne  rien  dédaigner,  et  savoir  peindre  l'horreur 
d'une  voirie  avec  autant  de  plaisir  —  le  plaisir  de  la  conscience  satis- 
faite —  que  la  smvitĂȘ  d'un  jardin  rempli  de  fleurs. 


GEORGE   SAND  507 

Mme  Sand  avait  consacré  quelques  pages  à  l'analyse  de 
Madame  Bovary  dans  ses  Promenades  autour  d'un  village  (1) 
(enlevées  lors  de  la  réimpression  de  ces  articles  en  volume  et 
publiées  dans  le  volume  des  Questions  d'art  et  de  littérature  sous 
le  titre  de  «  Réalisme  »). 

Elle  Ă©crivit  plus  tard  des  articles  sur  SalammbĂŽ  et  sur  V  Edu- 
cation sentimentale,  qui  parurent  dans  la  Presse  en  1863  et  dans 
la  Liberté  en  1869  (2)  et  firent  grand  plaisir  à  Flaubert. 

Les  derniers  chapitres  du  Dernier  amour  parurent  dans  le 
numéro  du  15  août  de  la  Revue  des  Deux  Mondes  et  au  commen- 
cement d'août  Mme  Sand  se  rendit  à  la  priÚre  de  Flaubert  dans 
sa  propriété  de  Croisset  ;  elle  y  passa  quelques  jours  et  y  fit  la 
connaissance  de  Mme  Flaubert  mÚre,  puis  elle  alla,  accompagnée 
de  son  ami,  admirer  tous  les  monuments  et  curiosités  de  Rouen. 

Ce  mĂȘme  automne  George  Sand  mit  Ă   exĂ©cution  son  plan 
depuis  longtemps  projeté,  elle  écrivit  un  roman  se  passant  sous 
la  RĂ©volution.  Cette  Ɠuvre  —  Cadio  —  devait  ĂȘtre  d'abord 
une  piÚce  de  théùtre.  Son  point  de  départ  avait  été  un  drame 
jouĂ©  en  1860  sur  le  thĂ©Ăątre  de  Nohant,  juste  au  moment  oĂč 
Mme  Sand  commençait  sa  grande  maladie.  Cette  piÚce  portait 
le  nom  ultra-romantique  de  Pied  sanglant. 

Le  24  octobre  1862,  Mme  Sand  Ă©crivait  Ă   Maillard  : 

...Nous  jouons  la  comédie,  le  fameux  Pied  sanglant,  anniversaire 
(à  peu  prÚs)  de  ma  maladie  d'il  y  a  deux  ans  et  qui  n'avait  pas  été 
repris  ;  on  le  joue  dimanche  et  mercredi  prochain  (3)... 

Quatre  ans  plus  tard,  de  passage  Ă   Paris,  revenant  de  chez 
Flaubert  Ă   Palaiseau  et  arrĂȘtĂ©e  par  le  mauvais  temps,  Ă   Paris, 
Mme  Sand  écrivit  à  Maurice  qu'elle  songe  à  réaliser  l'idée  de  faire 
une  vraie  piÚce  de  leur  piÚce  mi-improvisée  : 

Paris,  10  août  1866. 

...Je  suis  arrivée  hier  à  4  heures  chez  moi...  Je  n'ai  pas  pu  vous 
écrire  hier  en  arrivant  :  j'ai  trouvé  Couture  qui  m'attendait  chez  mon 
portier  avec  un  manuscrit  sous  le  bras... 

(1)  Voir  plus  haut  le  chap.  xi  du  présent  volume. 

(2)  Réimprimés  également  dans  le  volume  Questions  d'art  et  de  littérature. 

(3)  Inédite. 


50S  GEORGE   SAND 

Nooh  avons  été  dßner  chez  Magny  et,  en  rentrant,  j'ai  avalé  le 
volume...  J'Ă©tais  bien  fatiguĂ©e  tout  de  mĂȘme,  et  aprĂšs  ça,  j'ai  dormi... 
Ah  !  il  faut  vous  dire  que  dĂšs  Ăźe  matin,  j'avais  encore  couru  la  ville 
avec  Flaubert.  Croisset  est  un  endroit  délicieux,  et  notre  ami  Flaubert 
mĂšne  lĂ   une  vie  de  chanoine  au  sein  d'une  charmante  famille. 

...H  fait  un  temps  Ă   ne  pas  mettre  un  chien  dehors,  et  je  ne  songe 
mĂȘme  pas  Ă   aller  Ă   Palaiseau  par  ce  dĂ©luge.  Parlons  donc  de  ce  que 
nous  allons  faire.  Il  faut  faire  ce  Pied  sanglant  (1)  ;  il  faut  le  faire 
ensemble,  d'entrain  et  vite.  Mais  ii  faut  voir  la  Bretagne. 

Dites-moi  tout  de  suite  si  vous  voulez  y  venir;  car  si  c'est  non, 
inutile  que  j'aille  Ă   Xohant  pour  repartir  de  lĂ   et  doubler  la  fatigue  et 
les  frais  de  voyage.  Si  vous  y  venez  avec  moi,  c'est  différent,  j'irai 
vous  prendre. 

Si  vous  ne  voulez  pas,  j'irai  y  passer  huit  jours  et  j'irai  ensuite  Ă  
Nohant  d'oĂč  nous  pourrons  aller  ailleurs... 

Maurice  lui  ayant  signalé  les  difficultés  qu'on  aurait  à  vaincre 
pour  faire  une  piĂšce  dont  l'action  se  passerait  Ă   l'Ă©poque  de  la 
guerre  de  Vendée,  et  surtout  de  faire,  comme  il  l'avait  d'abord 
conseillé,  un  héros  de  Cadio  ou  Cadiou,  une  espÚce  d'innocent 
ou  mĂȘme  de  fou,  Mme  Sand  rĂ©pondit  Ă   son  fils  la  trĂšs  intĂ©res- 
sante lettre  que  voici  ;  nous  trouvons  indispensable  de  la  donner 
presque  intégralement,  quoiqu'elle  soit  imprimée  dans  la  Cor- 
respondance : 

Je  ne  me  décourage  pas  comme  ça,  moi.  Les  difficultés  d'un  sujet 
doivent  ĂȘtre  des  stimulants  et  non  des  empĂȘchements.  Je  ne  suis  pas 
obligée  de  faire  la  peinture  de  la  Kévolution.  H  me  suffit  d'en  tirer  la 
moralité,  et  ça  n'est  pas  malin,  puisque  tout  le  monde  est  d'accord 
sur  89.  En  mettant  les  passions  dans  la  bouche  d'un  fou  que  nous  ren- 
drons intĂ©ressant  quand  mĂȘme,  nous  ne  choquerons  personne* 

Pourquoi  Cadiou  ne  serait-il  pas  une  espĂšce  de  Marat  et  de  Robes- 
pierre en  mĂȘme  temps?  Pourquoi  n'aurait-il  pas  des  instincts  sublimes 
et  nĂčsĂ©rables?  H  faut  voir  ici  les  choses  de  plus  haut  que  l'histoire 
Ă©crite.  Il  y  avait  en  France  alors  des  milliers  de  Bonaparte,  des  milliers 
de  Marat,  des  miniers  de  Hoche,  des  milliers  de  Robespierre  et  de 
Saint-Just,  lequel,  par  parenthĂšse,  Ă©tait  un  fou  aussi.  Seulement  ces 
types,  plus  ou  moins  réussis  par  la  nature,  et  plus  ou  moins  effacés 
par  les  événements,  s'appelaient  Cadiou,  Motus,  ou  Riallo  ou  Gar- 

(1)  On  lit  en  note  Ă   cette  lettre  Ă   la  page  129  dans  la  Correspondance, 
t.  V  :  «  Drame  jouĂ©  plus  tard  Ă   la  Porte-Saint-Martin  sous  le  titre  de  Cadio.  ‱ 


GEORGE   SAND  509 

guiile  ;  ils  n'en  existaient  pas  moins.  Les  idées  et  les  passions  qui 
remirent  un  peuple  en  émoi,  une  société  en  dissolution  et  en  reconstruc- 
tion, ne  sont  pas  propres  à  un  homme  ;  elles  sont  résumées  par  quelques 
hommes  plus  tranchés  que  les  autres.  Tu  m'as  donné  l'idée  de  faire 
de  Cadiou  le  héros  de  la  piÚce,  c'est  une  idée  excellente.  Laisse-moi 
l'envisager  comme  elle  me  vient  et  en  tirer  parti.  Il  sera  l'image  et  le 
reflet  du  passé  et  de  l'avenir,  il  traversera  le  présent  sans  le  comprendre, 
comme  un  homme  ivre.  Ce  sera  trĂšs  original  et  trĂšs  beau.  Je  me  fiche 
bien  de  ce  que  l'auteur  aura  à  expliquer  de  sa  pensée  au  public.  Il  faut 
que  1" auteur  disparaisse  derriĂšre  son  personnage  et  que  le  public  fasse 
la  conclusion.  Tout  le  difficile  est  de  la  lui  rendre  facile  Ă   faire.  Il  faut 
essayer  et  ne  jamais  reculer  devant  ce  qui  vous  a  Ă©mu  et  saisi. 

Aide-moi  pour  le  cadre,  les  événements  nécessaires  à  mon  sujet. 
Un  coin  de  la  Vendée  et  de  la  chouannerie  ensuite,  un  tout  petit  coin  ; 
il  faut  que  le  drame  soit  grand  et  la  scĂšne  petite.  Pioche,  sois  fort  sur 
les  dates,  les  Ă©vĂ©nements  ;  je  prendrai  oĂč  j'aurai  besoin  de  prendre,  et 
tu  m'aideras  pour  arranger  le  scĂ©nario.  Mais  laisse-moi  rĂȘver  et  crĂ©er 
Cadiou.  Pour  ça,  il  faut  que  j'aille  voir  un  petit  coin  de  la  Bretagne: 
réponds  vite,  si  tu  veux  y  aller.  Sinon,  je  pars,  et  je  vais  ensuite  à 
Nohant  du  10  au  15.  VoilĂ   ! 

Je  vous  aime  et  vous  bige. 

Ce  petit  voyage  eut  effectivement  lieu  :  George  Sand  alla  en 
cet  automne  de  1866  «  courir  avec  ses  enfants  »  en  Bretagne,  y 
visitant  les  coins  les  plus  pittoresques  et  les  plus  sauvages  de  ce 
pays  si  curieux,  observant  les  us  et  coutumes,  les  mƓurs,  les 
costumes  et  les  visages  de  ses  habitants. 

Le  21  septembre,  Mme  Sand  écrit  à  Flaubert  :  «  Je  viens  de 
courir  douze  jours  avec  mes  enfants...  Nous  avons  eu  un  beau 
soleil  en  Bretagne.  » 

AprĂšs  cette  petite  excursion  Mme  Sand  se  mit  Ă   Ă©crire  son 
drame  de  verve,  mais  elle  vit  bientÎt  qu'il  y  avait  plus  de  «  déve- 
loppements que  ne  le  comportait  une  piÚce  de  théùtre  »,  trop 
d'analyses  psychologiques  et  autres,  et  ayant  terminé  Cadio 
sous  la  forme  d'un  «  roman  dialogué  »,  avec  la  liste  des  person- 
nages et  la  division  en  actes,  comme  dans  un  vrai  drame,  elle 
le  publia  moins  d'une  année  aprÚs  dans  la  Revue  des  Deux  Mondes 
du  1er  septembre  au  15  novembre  1867.  Un  an  plus  tard  M.  Paul 
Meurice  l'adapta  à  la  scÚne,  et  Cadio  fut  joué  à  la  Porte-Saint- 
Martin  en  1868. 


5io  GEORGE   SAND 

L'action  de  Cadio  se  joue  en  Vendée  et  en  Bretagne,  à  l'époque 
de  la  chouannerie.  Cadio  est  un  «  simple  »,  un  paysan  qui  devient 
à  son  insu  un  héros,  un  vrai  héros,  en  se  sacrifiant.  Il  paraßt  que 
ce  personnage  et  les  principaux  événements  de  sa  vie  furent  ins- 
pirés à  l'auteur  par  les  récits  entendus  dans  la  maison  d'une  de 
ses  amies  de  couvent,  la  comtesse  Louise  de  La  Rochejaquelein, 
dont  la  mÚre,  marquise  de  La  Rochejaquelein,  avait  été  elle- 
mĂȘme  une  hĂ©roĂŻne  des  guerres  vendĂ©ennes.  Veuve  de  son  pre- 
mier mariage  avec  M.  de  Lescure,  et  enceinte  de  deux  enfants, 
au  moment  oĂč  les  bleus  vengeaient  leurs  premiĂšres  dĂ©faites  sur 
les  blancs,  la  marquise  de  La  Roche  jaquelein  dut  se  cacher  sous 
un  costume  de  paysanne  et  le  nom  de  Jeannette  dans  les  hameaux 
et  les  bois.  Un  jour,  sur  le  désir  de  sa  mÚre,  et  pour  échapper 
aux  poursuites  et  à  la  fureur  des  Meus,  elle  fut  forcée  de  conclure 
un  mariage  avec  un  de  ses  ex-vassaux,  le  paysan  Pierre  Riallo. 
Ce  brave  homme  lui  promit  de  détruire  le  contrat  de  mariage 
et  ne  songea  jamais  Ă   faire  valoir  ses  droits  sur  la  personne  de  sa 
femme,  son  ex-suzeraine.  Seulement,  au  moment  de  lui  dire 
adieu,  aprÚs  l'avoir  conduite  en  un  lieu  sûr,  les  larmes  aux  yeux 
il  lui  passa  un  anneau  d'argent  au  doigt  ;  elle  le  garda  toujours 
en  mémoire  de  lui. 

George  Sand  cite  ce  touchant  Ă©pisode  dans  Y  Histoire  de  ma  viej 
elle  raconte  qu'allant  rendre  visite  Ă   son  amie,  elle  trouva  dans 
le  somptueux  salon  de  sa  mÚre  une  nombreuse  et  élégante  com- 
pagnie, trÚs  empressée  auprÚs  de  la  vieille  marquise,  et  au  milieu 
de  ce  beau  monde,  un  simple  paysan  vendéen  qui  se  tenait 
avec  une  parfaite  aisance  et  se  couvrit  de  son  large  chapeau 
avant  d'ĂȘtre  sorti  du  salon,  tandis  que  Louise  de  La  Rocheja- 
quelein  et  sa  sƓur  filaient  ostensiblement  leurs  quenouilles  au 
milieu  de  ces  belles  dames  décolletées.  Mais  l'antichambre  était 
pleine  de  valetaille  et  le  concierge  avait  grossiĂšrement  apos- 
trophé Mme  Aurore  Dudevant  venue  en  simple  fiacre.  Quel 
tableau  de  mƓurs  !  George  Sand  ajoute  : 

...Mais  que  fût-il  arrivé  si  le  mariage  eût  été  conclu  et  que  Pierre 
Riallo  Se  fût  refusé  à  la  suppression  frauduleuse  de  l'acte  civil?  Certes, 
la  noble  Jeannette  fût  morte  plutÎt  que  de  consentir  à  ratifier  cette 


GEORGE   SAND  511 

mésalliance  monstrueuse.  On  était  bien  alors,  par  le  fait,  l'égale, 
moins  que  l'Ă©gale  du  pauvre  paysan  breton.  On  Ă©tait  une  pauvre  bri- 
gande,  bien  heureuse  de  recevoir  cette  généreuse  hospitalité  et  cette 
magnanime  protection.  Sous  la  Kestauration,  on  ne  l'avait  pas  oublié 
sans  doute.  On  recevait  dans  son  salon  le  premier  paysan  venu,  pourvu 
qu'il  eût  au  coude  le  brassard  sans  tache.  On  filait  la  quenouille  des 
bergĂšres,  on  avait  des  touchants  et  affectueux  souvenirs  ;  mais  on  n'en 
était  pas  moins  Mme  la  marquise,  et  cette  fausse  égalité  ne  pouvait 
pas  tromper  le  paysan.  Si  le  fils  de  Pierre  Riallo  se  fût  présenté  pour 
Ă©pouser  Louise  ou  Laurence  de  La  Roche  jaquelein,  on  l'aurait  consi- 
déré comme  fou.  Le  fils  des  croisés,  M.  de  La  Roche  jaquelein,  aujour- 
d'hui orateur  politique,  ne  serait  pas  volontiers  le  beau -frĂšre  de 
quelque  laboureur  armoricain.  Eh  bien,  Pierre  Riallo,  c'est  bien  lĂ  
réellement  comme  un  symbole  pour  personnifier  le  peuple  vis-à-vis  de 
la  noblesse.  On  se  fie  à  lui,  on  accepte  ses  sublimes  dévouements, 
ses  suprĂȘmes  sacrifices,  on  lui  tend  la  main.  On  se  fiancerait  volontiers 
Ă   lui  aux  jours  du  danger,  mais  on  lui  refuse,  au  nom  de  la  religion 
monarchique  et  catholique,  le  droit  de  vivre  en  travaihant,  le  droit 
de  s'instruire,  le  droit  d'ĂȘtre  l'Ă©gal  de  tout  le  monde  ;  en  un  mot, 
la  véritable  union  morale  de  castes,  on  frémit  à  l'idée  seule  de  la 
ratifier  (1). 

Oui,  que  fût-il  vraiment  arrivé  si  l'humble  et  dévoué  paysan 
s'était  indigné  de  cette  maniÚre  de  le  traiter? 

Cette  question  sert  de  thÚme  au  développement  psychologique 
du  caractĂšre  et  des  actes  de  Cadio-Riallo  dans  le  roman  de 
George  Sand.  L'élévation  naturelle  de  son  ùme  se  cache  sous  les 
dehors  d'un  «  simple  »,  quasi  un  niais,  et  fait  de  lui  un  héros  d'ab- 
négation, mais  son  amour  pour  la  jeune  aristocrate  (appelée 
Louise  de  Sauviùres  —  en  souvenir  de  Louise  de  La  Rocheja- 
quelein),  —  et  la  fureur  qu'il  ressent  en  voyant  qu'on  use  de 
lui  — son  sauveur,  lui  qui  a  sacrifiĂ©  sa  vie  pour  cette  jeune  fille,  — 
comme  d'un  moyen  de  salut,  font  de  cet  ĂȘtre  mi-conscient, 
de  ce  doux  innocent,  un  rĂ©publicain  extrĂȘme,  un  fanatique,  un 
ennemi  sanguinaire  et  implacable  de  tous  les  blancs.  Un  autre 
personnage,  au  contraire,  commet  une  série  de  cruautés  et 
court  Ă   sa  perte  parce  qu'au  lieu  d'agir  selon  sa  conscience  il  se 
laisse  guider  par  une  doctrine  politique  aveuglément  acceptée. 

(1)  Histoire  de  ma  vie,  vol.  III,  p.  122-28. 


5i2  GEORGE   SAND 

C'est  le  héros  du  parti  ennemi,  le  chouan  Saint-Gueltas  de  La 
Roche-Brûlée. 

Enfin  George  Sand  peignit  dans  Henri  de  SauviĂšres,  cousin  de 
l'héroïne,  un  jeune  aristocrate,  sincÚre  et  naïf,  généreusement 
enrÎlé  dans  1" armée  républicaine  pour  défendre  sa  patrie.  Ce 
personnage  ressemble  beaucoup  au  pĂšre  de  l'auteur,  ce  fringant 
et  joyeux  officier  des  guerres  de  la  RĂ©publique,  que  les  catas- 
trophes politiques  n'ont  ni  brisé,  ni  endolori,  mais  entraßné  seu- 
lement dans  leur  sillon. 

Dans  ces  trois  représentants  des  groupes  sociaux  et  des  types 
de  l'époque,  George  Sand  montre  l'influence  trÚs  différente  des 
faits  historiques  sur  les  individus.  Elle  montre  aussi  que  dans  la 
tourmente  les  hommes  se  laissent  souvent  emporter  malgré  eux 
par  les  passions  politiques  et  commettent  des  forfaits,  parfois 
mĂȘme  des  crimes,  absolument  en  dĂ©saccord  avec  leur  propre 
nature.  Tel  est  le  double  but  que  l'auteur  se  proposa  en  Ă©cri- 
vant ce  roman.  Il  est  dédié  à  M.  Henri  Harisse. 

George  Sand  dit  dans  la  préface  de  Cadio  qu'elle  s'était  «  dis- 
pensée de  faire  comparaßtre  les  morts  célÚbres  et  de  leur 
attribuer  des  sentiments  et  des  idées  complaisamment  adaptés 
à  sa  fantaisie,  —  ce  qui  est  toujours  d'usage  dans  les  romans 
dits  historiques  »,  et  qu'elle  avait  simplement  «  tùché  de 
reconstituer  par  la  logique  les  émotions  de  l'époque  »,  sous 
une  forme  concise  et  artistique,  de  peindre  les  petits  faits  sou- 
vent horribles  qui  passent  inaperçus  de  l'histoire,  tout  en 
reflétant  la  puissance  néfaste  des  grands  mouvements  historiques. 
Et  pour  souligner  ce  pouvoir  hypnotisant  des  Ă©poques  sangui- 
naires sur  les  particuliers  les  plus  inoffensifs,  elle  cite  comme 
preuve  Ă   l'appui  de  ce  qu'elle  avance,  un  fait  inconnu  s'Ă©tant 
passé  lors  des  terribles  «  journées  de  Juin  ». 

j  Aux  journées  de  Juin  de  notre  derniÚre  révolution,  la  garde  natio- 
nale d'une  petite  ville  que  je  pourrais  nommer,  commandée  par  des 
chefs  que  je  ne  nommerai  pas,  partit  pour  Paris  sans  autre  projet 
arrĂȘtĂ©  que  celui  de  rĂ©tablir  Tordre,  maxime  Ă©lastique  Ă   l'usage  de  toutes 
les  gardes  nationales,  quelle  que  soit  la  passion  qui  les  domine.  Celle-ci 
était  composée  de  bourgeois  et  d'artisans  de  toutes  les  opinions  et  de 


GEORGE   SAND  5,3 

toutes  les  nuances,  la  plupart  honnĂȘtes  gens,  d'humeur  douce,  et  pĂšres 
de  famille.  En  arrivant  Ă   Paris  au  milieu  de  la  lutte,  ils  ne  surent  que 
faire,  Ă   qui  se  rallier  et  comment  passer  Ă   travers  les  partis  sans  ĂȘtre 
suspects  aux  uns,  écrasés  par  les  autres.  Enfin,  vers  le  soir,  rassemblés 
dans  un  poste  qui  leur  était  confié  et  honteux  de  n'avoir  pu  servir  à 
rien,  ils  arrĂȘtĂšrent  un  passant  qui,  pour  son  malheur,  portait  une 
blouse  ;  ils  Ă©taient  deux  cents  contre  un.  Sans  interrogatoire,  sans 
jugement,  ils  le  fusillĂšrent.  Il  fallait  bien  faire  quelque  chose  pour 
charmer  les  ennuis  de  la  veillée.  Ils  étaient  si  peu  militaires,  qu'ils  ne 
surent  mĂȘme  pas  le  tuer  ;  Ă©tendu  sur  le  pavĂ©,  il  rĂąla  jusqu'au  jour, 
implorant  le  coup  de  grĂące. 

Quand  ils  rentrÚrent  triomphants  dans  leur  petite  cité,  ils  avouÚrent 
qu'ils  n'avaient  fait  autre  chose  que  d'assassiner  un  homme  qui  avait 
Vair  d'un  insurgé.  Celui  qui  me  raconta  le  fait  me  nomma  l'assassin 
principal,  et  ajouta  :  a  Nous  n'avons  pas  osĂ©  empĂȘcher  cela.  » 

Voilà  pourtant  un  fait  historique  des  mieux  caractérisés  ;  il  résume 
et  dénonco  une  époque  :  aucun  journal  n'en  a  parlé,  aucune  plainte, 
aucune  réflexion  n'eût  été  admise.  La  victime  n'a  jamais  eu  de  nom  ; 
le  crime  n'a  pas  été  recherché  ;  l'assassin  a  vécu  tranquille,  les  bons 
bourgeois  et  les  bons  artisans  qui  l'ont  laissé  déshonorer  leur  cam- 
pagne à  Paris  se  portent  bien,  vont  tous  les  jours  au  café,  lisent  leurs 
journaux,  prennent  de  l'embonpoint  et  n'ont  pas  de  remords. 

Ceci  est  une  goutte  d'eau  dans  l'océan  d'atrocités  que  soulÚvent  les 
guerres  civiles.  Je  pourrais  en  remplir  une  coupe  d'amertume  ;  mais 
ces  choses  sont  encore  trop  prĂšs  de  nous  pour  ĂȘtre  rappelĂ©es  sans  faire 
appel  aux  passions  et  aux  ressentiments  ;  tel  n'est  pas  le  but  du  tra- 
vail d'un  artiste. 

Cette  Préface  fit  sensation.  Plusieurs  journaux  la  réimpri- 
mĂšrent, entre  autres  le  Nain  jaune  et  le  Soleil.  Un  mandat  a 
été  lancé  contre  les  rédacteurs,  MM.  Castagnary,  Ranc  et  Emile 
Faure,  qui  ont  dĂ»  comparaĂźtre  devant  un  juge  d'instruction. 
Mme  Sand  fit  alors  publier  dans  la  Liberté  (1)  une  «  Lettre  » 
dans  laquelle  elle  protestait  avant  tout  contre  le  fait  que  ce 
n'Ă©tait  pas  elle,  l'auteur  du  roman,  qu'on  poursuivait  judiciaire- 
ment, mais  bien  des  «  journalistes  »  qui  en  avaient  reproduit 
des  fragments.  Puis  elle  disait  : 

Il  est  facile,  en  lisant  toute  la  préface  et  tout  le  roman  de  Cadio, 
de  voir  que  le  but  de  l'ouvrage  est  diamétralement  contraire  à  cette 

(lj  Elle  parut  dans  le  numéro  du  23  septembre  1867. 

lv'  33 


5i4  GEORGE   SAXD 

intention;  que  Fauteur  s'est,  pour  ainsi  dire,  absenté  de  son  travail 
afin  de  laisser  passer  l'histoire,  et  l'histoire  prouve  du  reste  que  les 
plus  saintes  causes  sont  souvent  perdues,  quand  le  délire  de  la  ven- 
geance s'empare  des  hommes. 

Si  jamais  l'horreur  de  la  cruauté,  de  quelque  part  qu'elle  vienne, 
a  endolori  et  troublé  une  ùme,  je  puis  dire  que  le  roman  de  Cadio  est 
sorti  navré  de  cette  ùme  navrée,  et  que  pour  conserver  sa  foi,  l'auteur 
a  dû  lutter  contre  le  terrible  spectre  du  passé.  Il  est  impossible  d'étu- 
dier certaines  Ă©poques  et  de  revoir  les  lieux  oĂč  certaines  scĂšnes  atroces 
se  sont  produites  sans  ĂȘtre  tentĂ©  de  proscrire  tout  esprit  de  lutte  et 
d'aspirir  Ă   la  paix  Ă   tout  prix.  Mais  la  paix  Ă   tout  prix  est  un  leurre 
et  celle  qu'on  achÚte  par  des  lùchetés  n'est  qu'un  écrasement  féroce 
qui  ne  donne  mĂȘme  pas  le  misĂ©rable  bĂ©nĂ©fice  de  la  mort  lente.  Ce  n'est 
donc  pas  par  le  sacrifice  de  la  dignité  humaine  que  l'on  pourra  préparer 
les  hommes  Ă   traverser  les  luttes  sociales  sans  Ă©prouver  l'horrible 
besoin  de  s'Ă©gorger  les  uns  les  autres.  Laissez  donc  la  discussion  s'Ă©ta- 
blir sérieuse  pour  qu'elle  devienne  impartiale.  Tout  refoulement  de 
la  pensée,  tout  effort  pour  supprimer  la  vérité  soulÚveront  des  orages, 
et  les  orages  emportent  tĂŽt  ou  tard  ceux  qui  les  provoquent. 

...Et  puis,  en  somme,  prenez  garde  Ă   des  poursuites  contre  l'his- 
toire, car  en  voulant  empĂȘcher  qu'elle  se  fasse,  vous  la  feriez  vous- 
mĂȘmes  avec  une  publicitĂ©,  un  Ă©clat  et  un  retentissement  que  nous 
n'avons  pas  à  notre  disposition.  Nul  ne  peut  nourrir  l'espérance  de 
supprimer  le  passĂ©  ;  Dieu  mĂȘme  ne  pourrait  le  reprendre.  A  quoi  ont 
servi  les  poursuites  acharnées  de  la  Restauration  contre  vous,  mes- 
sieurs, qui  ĂȘtes  aujourd'hui  au  pouvoir?  Elles  vous  ont  rendu  le  ser- 
vice de  faire  de  vous  des  victimes  et  d'amener  à  vous  le  libéralisme  de 
cette  Ă©poque. 

Ne  faites  donc  pas  de  victimes,  Ă   moins  que  vous  ne  vouliez  vous 
faire  des  amis.  Laissez  l'histoire  se  faire  aussi  d'elle-mĂȘme  par  la  dis- 
cussion et  par  l'enseignement,  par  la  polémique  ou  par  la  littérature  ; 
lĂ   seulement  elle  Ă©clora  avec  le  calme  que  vous  prescrivez.  Ne  l'obligez 
pas  à  sortir  armée  de  chaque  bouche  avec  la  terrible  preuve  à  l'appui. 
Iljy  en  aurait  trop,  et  vous  seriez  effrayĂ©s  vous-mĂȘmes  des  documents 
que  le  présent  a  mis  en  réserve  pour  l'avenir.  L'histoire  se  ferait  trop 
vite  et  nous  sommes  les  premiers  Ă   souhaiter  qu'elle  vienne  Ă   son 
heure,  connue  toute  évolution  sérieuse  de  la  conscience  humaine  (1). 

En  1866,  alors  que  Mme  Sand  travaillait  Ă   Cadio  avec  ardeur, 
elle  quitta  Palaiseau  pour  aller  Ă   Nohant  fĂȘter  NoĂ«l.  Mais  de 

(1)  Lors  de  l'impression  de  cette  lettre  daus  la  Liberté  ces  deux  derniers 
mots  se  Usaient  :  connaissance  humaine, 


GEORGE   SAND  515 

passage  Ă   Paris,  elle  tomba  malade  et  fut  si  longtemps  souffrante 
que  ce  n'est  que  le  10  janvier  1867  qu'elle  arriva  chez  ses  enfants. 
Depuis  ce  moment  Nohant  redevint  sa  résidence  habituelle. 
Maurice,  et  surtout  Lina,  la  suppliĂšrent  de  ne  plus  retourner  Ă  
Palaiseau,  ne  pouvant  supporter  l'idée  qu'elle  pût  retomber 
malade  toute  seule,  privée  des  soins  de  ses  proches,  car  l'état 
de  sa  santé  était  devenu  chancelant  depuis  son  typhus 
de  1860,  et  elle  souffrait  souvent  d'étranges  attaques  entéro- 
gastriques.  Ce  furent,  hélas  !  les  symptÎmes  de  la  maladie 
qui  l'emporta  plus  tard.  Mme  Sand  vendit  sa  maisonnette  de 
Palaiseau,  deux  ans  plus  tard.  Elle  Ă©crit  Ă   Flaubert  le  9  jan- 
vier 1867,  de  Paris  : 


Cher  camarade, 

Ton  vieux  troubadour  a  été  tenté  de  claquer.  Il  est  toujours  à  Paris. 
11  devait  partir  le  25  décembre  ;  sa  malle  était  bouclée,  ta  premiÚre 
lettre  Ta  attendu  tous  les  jours  Ă   Nohant. 

Enfin  le  voilĂ   tout  Ă   fait  en  Ă©tat  de  partir  et  il  part  demain  matin 
avec  son  fils  Alexandre,  qui  veut  bien  l'accompagner.  C'est  hĂȘte  d'ĂȘtre 
jetĂ©  sur  le  flanc  et  de  perdre  pendant  trois  jours  la  notion  de  soi-mĂȘme 
et  de  se  relever  aussi  affaibli  que  si  on  avait  fait  quelque  chose  de 
pénible  et  d'utile.  Ce  n'était  rien,  au  bout  de  compte,  qu'une  impossi- 
bilité momentanée  de  digérer  quoi  que  ce  soit. 

Froid,  ou  faiblesse  ou  travail,  je  ne  sais  pas.  Je  n'y  songe  plus  guĂšre... 
Je  médite  d'aller  un  peu  au  Midi  quand  j'aurai  vu  mes  enfants.  Les 
plantes  du  littoral  me  trottent  par  la  tĂȘte.  Je  me  dĂ©sintĂ©resse  prodi- 
gieusement de  tout  ce  qui  n'est  pas  mon  petit  idéal  de  travail  pai- 
sible, de  vie  champĂȘtre  et  de  tendre  et  pure  amitiĂ©.  Je  crois  bien  que 
je  ne  dois  pas  vivre  longtemps  toute  guérie  et  trÚs  bien  que  je  suis.  Je 
tire  cet  avertissement  du  grand  calme,  toujours  plus  calme,  qui  se  fait 
dans  mon  ùme  jadis  agitée... 

...La  solitude  ne  te  pĂšse  pas.  Je  pense  bien  qu'elle  n'est  pas  absolue, 
et  qu'il  y  a  encore  quelque  part  une  belle  amie  qui  va  et  vient,  ou  qui 
demeure  par  lĂ .  Mais  il  y  a  de  l'anachorĂšte  quand  mĂȘme  dans  ta  vie 
et  j'envie  ta  situation.  Moi,  je  suis  trop  seule  Ă   Palaiseau,  avec 
un  mort  ;  pas  assez  seule  Ă   Nohant  avec  des  enfants  que  j'aime 
trop  pour  pouvoir  m' appartenir  ;  et  Ă   Paris  on  ne  sait  pas  ce  qu'on 
est,  on  s'oublie  entiĂšrement,  pour  mille  choses  qui  ne  valent  pas  mieux 
que  ça... 


5x6  GEORGE   SAND 

Le  15  janvier  elle  Ă©crit  Ă   Barbes,  Ă   La  Haye  : 

...Merci  pour  votre  sollicitude.  Tout  va  bien  autour  de  moi.  Maurice 
vous  aime  toujours  ;  il  est  bien  marié,  sa  petite  femme  est  charmante. 
Us  sont  tous  deux  actifs  et  laborieux.  La  petite  Aurore  est  un  amour 
que  Ton  adore.  Elle  a  eu  un  an  le  jour  de  mon  arrivée  ici,  la  semaine 
derniÚre.  Je  suis  chez  eux  maintenant,  car  je  leur  ai  laissé  toute  la  gou- 
verne du  petit  avoir  et  j'ai  le  plaisir  de  ne  plus  m'en  occuper  ;  j'ai  plus 
de  temps  et  de  liberté.  J'espÚre  guérir  bientÎt,  et  sinon,  je  suis  bien 
soignée  et  bien  choyée.  Tout  est  donc  pour  le  mieux...  ! 

Le  11  avril  1867  Mme  Sand  Ă©crit  Ă   Louis  Viardot  : 

...Me  voilĂ   mieux  et  trĂšs  calme,  Ă   jNohant,  oĂč  j'ai  passĂ©  presque  tout 
l'hiver.  Maurice  est  heureux  en  ménage  ;  il  a  un  trésor  de  femme, 
active,  rangée,  bonne  mÚre  et  bonne  ménagÚre,  tout  en  restant  artiste 
d'intelligence  et  de  cƓur.  2sous  avons  un  seul  petit  enfant,  une  fillette 
de  quinze  mois  qui  s'appelle  Aurore  et  qui  annonce  aussi  beaucoup 
d'intelligence  et  d'attention.  La  gentille  créature  semble  faire  son 
possible  pour  nous  consoler  du  cher  petit  que  nous  avons  perdu.  Mau- 
rice est  devenu  grand  piocheur,  naturaliste,  géologue  et  romancier 
par-dessus  le  marché.  Moi,  j'ai  peu  travaillé  cet  hiver,  j'ai  été  trop 
détraquée... 

Ce  moment  —  le  jour  du  premier  anniversaire  de  la  petite 
Aurore  Dudevant  oĂč  Mme  Sand  revint  Ă   ^ohant  —  doit  ĂȘtre 
considéré  comme  le  début  de  la  plus  heureuse  et  derniÚre  période 
de  la  vie  de  George  Sand. 


APPENDICE  AU  CHAPITRE  XII 

Voici  les  principales  inexactitudes  des  souvenirs  de  Duquesnel 
Ă   noter  et  corriger. 

M.  Duquesnel  dit,  entre  autres  : 

1)  «  A  la  troisiÚme  galerie,  à  cÎté  du  chef  de  claque,  se  trou- 
vait Flaubert  qui  tapait  comme  un  sourd.  »  —  Flaubert  se 
trouvait  Ă   la  premiĂšre  de  Villemer  dans  la  loge  de  l' administra- 
tion, avec  le  prince  JĂ©rĂŽme,  la  princesse  Clotilde,  George  Sand, 
le  général  Ferri-Pisani  et  Mme  d'AbrantÚs,  comme  on  le  voit 
par  la  lettre  du  1er  mars  1864  de  George  Sand  elle-mĂȘme,  que 
nous  donnons  Ă   la  page  464. 

2)  Qu'au  moment  oĂč  Dumas  fils,  en  1863,  aidait  Mme  Sand 
à  tirer  une  piÚce  de  son  roman  le  Marquis  de  Villemer,  «  Mme  Sand 
habitait  encore  les  Feuillantines  ».  —  Mme  Sand  n'alla  habiter 
les  Feuillantines,  c'est-à-dire  s'installer  dans  la  maison  numéro  97 
de  cette  rue,  qu aprĂšs  le  succĂšs  de  Villemer,  en  juin  1864.  L'appar- 
tement minuscule  fut  loué  en  mai  et  ce  ne  fut  que  le  12  juin 
qu'elle  avait,  pour  la  premiÚre  fois,  passé  quelques  heures  dans 
cet  appartement  ;  elle  le  comparait  à  «  un  wagon  divisé  en  trois 
piÚces  ». 

3)  Que  «  le  roman  Marquis  de  Villemer  date  de  1863  ».  —  H 
date  de  1860. 

4)  Les  «  tapisseries  »  que  M.  Duquesnel  vit  dans  le  logement  de 
Mme  Sand  lui  semblĂšrent  ĂȘtre  «  dues  Ă   l'aiguille  de  Solange  ClĂ©- 
singer,  brodeuse  incomparable,  doigts  de  fée  (???)  etc.,  etc.  » 
—  Nous  ne  pouvons  que  mettre  trois  signes  d'interrogation, 
suivis  d'autant  de  points  d'exclamation  en  réponse  à  cette 
assertion,  ainsi???  !  !  !  Solange  détestait  les  ouvrages  de  femme, 
et  jamais,  nulle  part,  nous  n'avons  trouvé  d'indication  qu'elle 


5i8  GEORGE   SAND 

ait,  devenue  adulte,  orodé  quoi  que  ce  fût  pour  sa  mÚre,  si  ce 
n'est  des...  histoires. 

5)  Selon  M.  Duquesnel.  «  Mme  Sand  aurait  lu,  en  1863,  chez 
elle  Ă   Paris,  les  quatre  actes  de  sa  piĂšce,  tels  qu'elle  les  avait 
conçus  ;  la  lecture  dura  toute  la  nuit  »,  etc.,  etc..  —  On  voit 
par  les  lettres  de  Mme  Sand  Ă   Dumas,  et  de  Dumas  Ă   Mme  Sand 
que  c'était  en  septembre  1861,  lors  du  séjour  de  Dumas  àNohant, 
et  pendant  que  Maurice  Sand  voyageait  avec  le  prince  JĂ©rĂŽme, 
que  Dumas  fils  avait  lui-mĂȘme  lu  la  piĂšce  qui  Ă©tait  en  cinq  actes, 
et  qu'en  partant  pour  Paris  il  l'avait  emportée  avec  lui,  et  de 
Paris  il  avait  envoyé  à  Mme  Sand  son  projet  de  changements 
et  de  refonte  complĂšte  de  la  piĂšce,  qui,  aprĂšs  de  nouveaux  change- 
ments faits  par  l'auteur,  devint  enfin  une  piĂšce  en  quatre  actes. 

6)  «  Quand  Dumas  retourna  aux  Feuillantines  avec  le  manus- 
crit mis  au  point  et  copiĂ©,  elle  ne  se  tint  pas  de  joie  »,  etc.  —  On 
voit  par  ce  qui  précÚde  combien  cette  phrase  comporte  d'asser- 
tions fantastiques  de  tous  points. 

7)  «  Lors  de  la  premiÚre  toutes  les  places  avaient  été  prises 
par  les  Ă©tudiants  qui  s'en  donnaient  Ă   cƓur-joie...  »  etc.  —  On 
voit  par-  la  lettre  de  Mme  Sand  du  28  février  que  nous  donnons 
Ă   la  page  463,  que  George  Sand  se  plaignait  que  lors  de  la  pre- 
miĂšre de  Villemer  trop  de  places  Ă©taient  prises  par  la  cour,  la 
police,  les  ministres,  les  employés  de  tous  les  rangs.  Les  ouvriers 
et  les  Ă©tudiants  qui  avaient  fait  du  tapage  et  des  ovations  Ă  
Mme  Sand  se  trouvaient  surtout  en  dehors  de  la  salle,  sur  la  place 
et  dans  les  rues  voisines. 

8)  M.  Fernand  Bourgeat  a  déjà  signalé  que  M.  Duquesnel  a 
encore  avancé  une  assertion  erronée  en  disant  que  «  Dumas  fils 
avait  touchĂ©  un  quart  de  la  part  des  droits  d'auteur  »  —  taDdis 
qu'il  n'avait  effectivement  rien  touché. 

9)  M.  Duquesnel  trouve  que  «  l'invention  (dans  les  romans  de 
George  Sand)  ne  tient  qu'une  place  accessoire...  »  —  Si  le  lecteur 
se  souvient  de  VHomme  de  neige,  de  Pierre  qui  roule,  de  la  Com- 
tesse de  Rudolstadt  et  de  Consuelo,  de  la  Confession  d'une  jeune 
fUle  et  de  Flamarande,  il  se  récriera  contre  cette  remarque.  George 
Sand  a  toujours  péché  dans  ses  romans  par  un  excÚs  d'invention. 


GEORGE   SAND  519 

10)  M.  Duquesnel  prétend  que  «  Cosima  fut  représenté  pour 
la  premiĂšre  fois  le  2  mai  1840  ».  —  Non,  la  premiĂšre  eut  lieu  le 
29  avril  1840.  (Voir  notre  volume  III,  pages  161-166  et  surtout 
le  passage  de  la  Lettre  parisienne  de  Henri  Heine  du  30  avril  et 
la  lettre  de  George  Sand  du  1er  mai  que  nous  y  citons.) 

11)  A  propos  de  le  Roi  attend  M.  Duquesnel  dit  :  «  George 
Sand  qui  vivait  alors  dans  l'intimité  de  Michel  de  Bourges  (  !), 
de  Ledru-Rollin,  de  Jules  Favre  (  !  ),  de  Flocon,  voire  de  Barbes 
et  de  Soorier  (  1  ),  était  éprise  de  l'idée  révolutionnaire...  »  etc.,  etc. 
—  Nous  prions  le  lecteur  de  relire  ce  que  George  Sand  dit  dans 
Y  Histoire  de  ma  vie  des  rapports  presque  hostiles  qui  existaient 
alors  entre  elle  et  son  ex-ami,  ainsi  que  ce  que  nous  disons  aux 
chapitres  x  et  xi  du  volume  II  et  le  chapitre  vin  du  présent 
volume  pour  se  convaincre  que  cette  énumération  de  noms  n'est 
pas  seulement  toute  fortuite,  mais,  qu'en  ce  qui  concerne  les  trois 
noms  soulignés  par  nous,  elle  est  encore  absolument  contraire  à 
la  vérité  historique.  George  Sand  ne  voyait  plus  Michel  de 
Bourges  depuis  1837,  elle  l'attaquait  indirectement  dans  ses 
Bulletins  en  1848,  elle  employa  mĂȘme  son  influence  auprĂšs  du 
gouvernement  provisoire  contre  Michel  lorsqu'il  s'agit  de  le 
déléguer  à  l'Assemblée.  Il  savait  fort  bien  qu'elle  l'avait  desservi 
et  pour  cause  ;  elle  le  trouvait  tiÚde  et  peu  sûr,  ce  n'était  pas  un 
«  républicain  de  la  veille  »,  mais  rien  qu'un  du  lendemain,  selon 
elle. 

12)  M.  Duquesnel  assure  que  le  Marquis  de  Villemer  fut  une 
piÚce  écrite  «  aprÚs  un  silence  de  cinq  ou  six  ans  aprÚs  Maßtre 
Favilla  ».  —  Or  nous  savons  qu'aprĂšs  MaĂźtre  FavĂŻlla,  jouĂ©  le 
15  septembre  1855,  on  joua  la  Lucie  de  Mme  Sand  en  jan- 
vier 1856  ;  Françoise,  le  3  avril  de  la  mĂȘme  annĂ©e  ;  Comme  il 
vous  plaira,  le  18  avril  toujours  de  cette  mĂȘme  annĂ©e  ;  Margue- 
rite de  Saint-  Gemme,  le  23  avril  1859.  S'il  y  eut  en  effet  une  lacune 
de  cinq  ans  entre  la  derniÚre  piÚce  présentée  par  Mme  Sand  aux 
théùtres  de  Paris  et  le  Marquis  de  Villemer,  ce  fut  entre  Mar- 
guerite de  Saint- Gemme  et  Villemer  :  1859-1864;  mais  il  ne  faut 
pas  oublier  en  outre  qu'en  1861  Mme  Sand  imprima  le  Drac 
et  le  Pavé  dans  la  Revue  des  Deux  Mondes  et  que  la  seconde  de 


520  GEORGE   SAND 

ces  deux  piÚces  fut  encore  représentée  en  1862  au  Gymnase, 
sans  la  participation  de  l'auteur. 

13)  Et  pour  finir  remarquons  que  M.  Duquesnel  fait  partout 
précéder  le  nom  de  Mademoiselle  La  Quintinie  d'un  de  :  «  Mlle  de 
la  Quintinie  »,  tandis  que  le  nom  de  cette  demoiselle  —  hĂ©roĂŻne 
du  roman  de  George  Sand  et  de  la  piĂšce  du  mĂȘme  nom  qui  ne 
fut  jamais  jouée  du  vivant  de  T auteur  est  simplement  La  Quin- 
tinie. 


CHAPITRE  XIII 

1867-1876 

Vieillesse  sereine.  —  Les  amis.  —  Les  petites  filles.  —  La  vie  à  Nohant  entre 
1867  et  1876.  —  Les  marionnettes.  —  Les  contes  d'une  graruVmùre.  —  Les 
articles  pĂ©dagogiques.  —  1870.  —  La  Guerre  et  la  Commune.  —  Le  Journal 
d'un  voyageur  ■pendant  la  guerre.  —  Francia.  —  Nanon.  —  Nouvelles  lettres 
d'un  voyageur.  —  Impressions  et  souvenirs.  —  Synthùse  philosophique  et 
religieuse.  —  Les  derniers  romans  :  CĂ©sanne  Dictrich,  Marianne  Cherreuse. 
—  La  sĂ©rie  des  histoires  d'un  enfant  :  la  Filleule,  la  Confession  d'une  jeune 
fille,  V Autre,  Ma  saur  Jeanne.  Flamarande  et  les  Deux  frĂšres,  la  Tour  de 
Percciïiont,  Alhine.  —  La  maladie  et  la  mort.  —  Les  obsùques. 

Cette  derniĂšre  pĂ©riode  —  les  derniĂšres  neuf  annĂ©es  de  la  vie  de  ^  ■  < 
George  Sand  —  peut  ĂȘtre  caractĂ©risĂ©e  en  deux  mots  :  vieil- 
lesse sereine.  Oui,  sereine  et  lumineuse,  elle  le  fut.  Étant,  aprùs 
de  cuisants  doutes,  de  longues  recherches  et  souffrances,  arrivée 
à  une  synthÚse  complÚte  de  l'univers,  à  un  idéal  religieux  précis, 
Mme  Sand  vécut  tranquillement  ses  neuf  années,  de  1867  à  1876, 
entourée  de  la  vénération  générale,  de  l'admiration  de  ses  amis, 
de  l'adoration  de  son  fils,  sa  belle-fille  et  ses  petites-filles  et 
les  adorant  elle-mĂȘme.  Les  amis  de  sa  jeunesse  Ă©taient  Ă   cette 
Ă©poque  tous,  ou  presque  tous,  partis  pour  un  monde  meilleur,  ou 
la  vie  les  avait  éloignés.  Hippolyte  Chatiron  était  mort  en  1848, 
de  Latouche  en  1851,  Planet  en  1853,  Jules  NĂ©raud  en  1855.  Il  lui 
restait  Fleury,  Papet,  Rollinat  et  Duvernet.  Mais  Fleury,  depuis 
son  exil  et  sa  rentrée  en  France,  se  tenait  à  l'écart,  désapprouvant 
les  rapports  de  George  Sand  avec  les  descendants  de  Napoléon  ; 
Rollinat,  depuis  son  mariage,  ne  quittait  guĂšre  ChĂąteauroux  et 
venait  rarement  Ă   Nohant,  quoiqu'il  partageĂąt  comme  par  le 
passé  les  chagrins  et  les  joies  de  son  «  Oreste  »,  il  ne  la  voyait  que 
de  loin  en  loin.  La  mort  de  ce  «  cher  Pylade  »,  arrivée  en  1867, 


522  GEORGE   SAND 

tout  en  portant  un  coup  douloureux  au  cƓur  de  Mme  Sand, 
n'apporta  aucun  changement  visible  dans  son  existence.  Quant  Ă  
Duvernet,  aveugle  depuis  plusieurs  années,  il  ne  pouvait  plus, 
comme  autrefois,  ĂȘtre  un  aide  et  un  soutien  pour  sa  «  vieille  amie 
Aurore  ».  Il  continuait  cependant  Ă   prendre  Ă   cƓur  tous  les  Ă©vĂ©- 
nements de  sa  vie.  Mais  la  mort  l'emporta  en  1874.  Sainte-Beuve 
l'avait  précédé  en  1869,  Barbes,  Mme  Emilie  Chatiron  et 
Mme  Laure  Fleury  en  1870,  Pierre  Leroux  en  1871.  Enfin 
en  1875  mourut  son  vieil  ami  Jules  Boucoiran,  F  ex-précepteur 
de  Maurice,  le  confident  de  jadis.  Mme  Sand  le  connaissait 
depuis  1831,  alors  qu'elle  s'apprĂȘtait  Ă   quitter  le  foyer  con- 
jugal. 

Mais  il  s'était  formé  autour  de  Mme  Sand  un  nouveau  cercle 
de  jeunes  amis  ;  ceux-ci,  de  mĂȘme  que  ses  vieux  amis  d'autre- 
fois, lui  portaient  une  tendre  sollicitude,  un  respect  tout  filial, 
un  dévouement  sans  bornes.  Nous  savons  que  depuis  1850,  ou 
à  peu  prÚs,  des  relations  trÚs  amicales  s'étaient  liées  entre  elle  et 
Emile  Aucante,  Victor  Borie,  EugĂšne  Lambert.  Peu  Ă   peu  s'y 
joignirent  Dumas  fils,  le  prince  Napoléon,  Charles  Edmond 
(ChoĂŻecki),  Edmond  Plauchut,  Mme  Pauline  Villot,  Edouard 
Rodrigues,  Louis  Maillard,  le  gendre  de  Jules  NĂ©raud  —  Ernest 
Périgois,  Flaubert  et  Henry  Harrisse,  un  Américain  naturalisé 
en  France,  auteur  de  plusieurs  ouvrages  sur  Christophe  Colomb, 
et  l'un  des  habitués  des  dßners  Magny  et  du  salon  de  la  princesse 
Mathilde.  Il  faut  y  ajouter  une  sĂ©rie  de  tout  jeunes  —  des  enfants 
et  petits-enfants  —  Lucien  Villot,  Maxime  Planet  ;  les  trois 
petits-fils  d'Hippolyte  Chatiron,  enfants  de  sa  fille  :  René,  Edme 
et  Albert  Simonnet  ;  puis  Francis  Laur,  André  Boutet,  Paul 
Albert,  le  petit-fils  de  l'amie  de  Mme  Sand,  Mme  Lebarbier  de 
Tinan  ;  le  fils  d'un  vieil  ami  des  Dudevant  vers  1830,  M.  de  Vas- 
son,  M.  Paulin  de  Vasson  et  sa  femme  qui  Ă©tait  une  cousine  de 
Papet  et  de  Périgois  ;  et  enfin,  dans  les  derniÚre*  six  années  de 
la  vie  de  Mme  Sand,  le  jeune  Henri  Amie  qui  commençait  alors  à 
peine  sa  carriÚre  d'écrivain  et  dont  il  faudrait  dire,  en  énumérant 
tous  ces  nouveaux  amis  de  Mme  Sand,  le  mot  de  Shakespeare  : 
the  last  but  not  the  least,  car  il  devint  bientĂŽt  l'un  des  plus  fidĂšles 


GEORGE   SAND  523 

et  des  plus  dévoués  amis  de  Mme  Sand  et  de  tous  les  siens  (1). 

Mme  Sand  se  lia  aussi  entre  1860  et  1870  avec  la  jeune  auto- 
resss  Juliette  Lamber,  mariée  en  premiÚres  noces  avec  M.  Lames- 
sine,  puis  ayant  épousé  l'homme  politique  fort  connu,  M.  Edmond 
Adam  et  ayant,  sous  ce  nouveau  nom  de  Mme  Adam,  acquis  une 
célébrité  hors  ligne  comme  écrivain,  maßtresse  d'un  salon  bril- 
lant, politique  et  littéraire,  amie  de  Gambetta,  et  amie  avant  la 
lettre  de  l'alliance  franco-russe. 

Ses  deux  petites-filles  rirent  revivre  Ă   Mme  Sand  comme  une 
seconde  maternité,  avec  toutes  ses  grandes  joies  et  angoisses, 
ses  petits  chagrins  et  ses  triomphes.  Les  lettres  de  George  Sand 
durant  cette  période,  fussent-elles  adressées  au  prince  JérÎme  ou 
Ă   Barbes,  Ă   Sainte-Beuve,  Dumas  fils,  Flaubert  ou  Mme  Adam, 
sans  parler  de  Boucoiran,  de  Poney,  de  Charles  Edmond  ou  des 
acteurs  des  Français  et  de  l'Odéon  sont,  au  beau  milieu  des 
nouvelles  sociales  politiques  ou  littéraires,  des  réflexions  sur 
quelque  discours  Ă   la  Chambre  ou  sur  la  derniĂšre  piĂšce  du  Gym- 
nase, toutes  pleines  d'adorables  mots,  de  rires  et  de  pleurs  enfan- 
tins, de  premiers  pas  ou  des  premiÚres  petites  dents,  de  poupées 
ou  d'arlequins  cassés,  de  détails  sur  la  rougeole,  la  coqueluche  ou 
quelque  autre  petit  bobo,  d'admiration  devant  l'esprit  d'obser- 
vation de  l'une,  sachant  distinguer  une  couleuvre  d'une  vipĂšre  ; 
devant  une  remarque  spirituelle  de  l'autre  Ă   propos  des  actes  san- 
guinaires de  JĂ©hovah  ou  des  fraudes  des  rois  bibliques  ou  grecs. 

Tout  cela  lui  paraissait  «  admirable  »,  «  surprenant  »,  «  merveil- 
leux »,  prouvant  des  capacités  presque  géniales,  ou  du  moins 
les  qualités  morales  incomparables  de  ces  deux  enfants  qu'aucun 
ĂȘtre  au  monde  ne  pouvait  Ă©galer. 

Cette  grand'mÚre-là,  comme  cette  illustre  aïeule  couronnée  qui, 
dans  ses  lettres  Ă   Grimm,  se  pĂąmait  d'admiration  devant  chaque 
fait  et  geste  de  son  adoré  «  Monsieur  Alexandre  »,  ne  se  distin- 
guait en  rien  des  milliers  de  grand'mĂšres  aimantes;  peut-ĂȘtre 
eût-elle  été  capable,  ainsi  qu'une  autre  aïeule,  que  nous  connais- 
sions, de  raconter  Ă   tous  avec  enthousiasme  que  sa  petite-fille 

(1)  Voir  son  charmant  volume,  trÚs  documenté  :  George  Sand,  Mes  sou- 
venirs. 


524  GEORGE   SAXD 

Ă©tait  une  enfant  extraordinaire  parce  qu'elle  pouvait,  toute  seule, 
regarder  une  lampe  ! 

Ces  derniÚres  années  de  la  vie  de  George  Sand  sont  les  mieux 
connues.  Dans  une  quantité  de  livres  consacrés  à  la  «  Bonne 
Dame  de  Nohant  »,  ou  à  «  George  Sand  grand'mÚre  »,  et  dans 
une  masse  de  «  Souvenirs  »  de  tous  les  genres  (1),  nous  avons 
lu  et  nous  lisons  des  descriptions  de  la  vie  Ă   Nohant. 

Levée  tard,  Mme  Sand  ne  descendait  qu'aprÚs  déjeuner,  et 
elle  paraissait  distraite,  un  peu  endormie  aprĂšs  son  long  travail 
de  la  nuit,  comme  demeurĂ©e  encore  dans  son  rĂȘve.  AprĂšs  dĂ©jeuner, 
une  promenade  dans  le  parc  ou  au  verger,  avec  toute  sa  famille^ 
les  amis  ou  les  connaissances  qui  se  succédaient  perpétuellement 
Ă   Nohant. 

Nous  lisons  Ă   ce  propos  dans  les  Souvenirs  de  Mme  Adam  : 
«  AprÚs  le  déjeuner  qui  a  lieu  à  midi,  on  va  au  jardin,  un  jardin 
comme  il  n'y  en  a  nulle  part  au  monde.  Mme  Sand  y  a  fait  des 
«  clans  »  de  plantes  récoltées  partout  au  cours  de  ses  voyages  et 
qu'elle  a  acclimatées  à  Nohant  (2).  Il  n'y  a  pas  une  fleur  de  ces 
plantes  qui  ne  lui  rappelle  une  page  de  sa  vie  et  quel  plaisir  on 
prend  Ă   l'interroger  dans  ce  jardin.  Mme  Sand  ne  permet  pas 
qu'on  cueille  l'une  de  ces  fleurs.  C'est  dehors  qu'on  va  chercher 
celles  qui  ornent  les  grands  vases  de  vieux  Chine  de  la  cheminée. 
La  conversation  de  Mme  Sand  à  Nohant,  dans  l'intimité  de  ceux 
qu'elle  aime  et  connaßt  bien,  est  une  perpétu3lle  surprise  ;  on 
éprouve  pour  elle  une  constante  admiration,  tant  ses  idées  sont 
personnelles  et  élevées.  Les  discussions  approfondies  qu'elle 
appelle  en  riant  creuses,  sont  rares,  parce  qu'elle  préfÚre  les 

(1)  Parmi  tous  ces  volumes,  les  plus  intéressants  sont  :  1°  Henri  Amic  : 
George  Sand,  mes  souvenirs;  2°  Edmond  Plauciiut  :  Autour  de  Nohant; 
3°  Juliette  Lvmuer  (Mme  Adam)  :  Mes  sentiments  et  nos  idées  avant  1870; 
4°  Gabriel  Nigond  :  Les  Contes  de  la  Limousine  ;  5°  Firmin  Roz  et  Hugues 
Lapaire  :  la  Bonne  Dame  de  Nohant  ;  G0  le  Journal  des  Goneourt  (oĂč  l'on 
trouve  entre  autres  un  curieux  récit  de  Théophile  Gautier  sur  son  séjour 
à  Nohant  en  18G9.  Voir  Journal  des  Goneourt,  t.  II,  p.  144)  ;  7°  la  série 
d'innombrables  brochures,  livres  et  articles  qu'on  trouvera  indiqués  dans  la 
Bibliographie  Ă   la  fin  de  ce  volume. 

(2)  Nous  avons  pu  admirer  dans  le  jardin  de  Nohant  plusieurs  arbres  rares 
ou  exotiques,  plantĂ©s  ou  mĂȘme  «  semĂ©s  »  par  Mme  Sand  et  par  Maurice  Sand. 
—  W.  K. 


GEORGE   SAND  525 

dĂ©lassements  de  la  gaietĂ©.  Dehors,  oĂč  l'on  passe  plusieurs  heures 
aprÚs  le  déjeuner  jusqu'au  bain  dans  l'Indre,  la  moindre  bestiole 
intéresse  Mme  Sand,  et  comme  elle  en  parle  !... 

Mme  Sand  adorait  les  bains  froids  jusque  dans  sa  vieillesse, 
et  dÚs  que  le  temps  était  beau,  on  se  baignait  dans  l'Indre.  «  Une 
pĂȘche  dans  l'Indre  agrĂ©mentĂ©e  de  baignade  gĂ©nĂ©rale  dans  des  cos- 
tumes indescriptibles  nous  amuse  follement.  Mme  Sand  est  celle 
qui  prend  le  moins  de  poissons,  mais  qui  «  barbote  »  le  plus  (1)...  » 

Les  jours  ordinaires  et  lorsqu'il  n'y  avait  pas  de  monde  Ă  
^Xohant,  Mme  Sand  remontait  chez  elle  pour  travailler  jusqu'au 
dßner.  Et  l'écrivain-grand'inÚre  n'était  nullement  incommodée 
d'avoir  un  arlequin  sur  chaque  bras  et  un  ménage  de  poupée 
installĂ©  sur  ses  genoux.  Elle  Ă©crivait  tranquillement,  mĂȘme 
lorsque  ses  «  chÚres  adorées  »  interrompaient  son  travail  par  les 
questions  les  plus  diverses,  les  remarques  les  plus  inattendues. 
Bien  plus,  sans  abandonner  le  cours  de  ses  pensées  ou  la  trame  de 
son  roman,  elle  observait  en  mĂȘme  temps  les  jeux  de  ses  petites- 
filles,  trahissant  leur  caractÚre  ou  leur  activité  intellectuelle  (2). 
Puis  venait  un  gai  dĂźner  au  milieu  de  rires  et  de  farces  de  toutes 
sortes  que  les  amis  de  la  maison  et  les  camarades  de  Maurice  se 
faisaient  les  uns  aux  autres.  Ces  farces,  ces  gais  propos,  «  sans 
façons  »,  les  hĂąbleries  les  plus  inimaginables  et  quelquefois  mĂȘme 
d'un  goût  trÚs  douteux,  semblaient  à  beaucoup  de  personnes 
qui  aimaient  et  vénéraient  Mme  Sand  fort  plats  et  insipides. 

On  peut  trouver  quelques  spécimens  de  ces  farces  et  de  ce 
babillage  Ă   outrance  des  Nohantais  dans  les  Souvenirs  de 
Mme  Adam,  seulement  l'auteur  n'a  recueilli  que  les  plus... 
décents  et  innocents.  On  verra  que  Mme  Sand  non  seulement 
y  prenait  souvent  une  part  active,  mais  qu'elle  attribuait  Ă  
la  «  gaieté  »  des  vertus  toniques  pour  l'ùme  et  le  corps.  Voici 
par  exemple  ce  que  nous  lisons  dans  le  livre  de  Mme  Adam  Ă  
propos  d'une  excursion  faite  par  Mme  Sand,  lors  de  son  séjour 

(1)  Mes  sentiments  et  nos  idées  avant  1870,  p.  279. 

;2j  On  trouve  Ă   ce  propos  des  pages  extrĂȘmement  curieuses  dans  la  Nou- 
velle lettre  d'un  voyageur  «  A  propos  de  botanique»  adressée  à  Maurice  Sand 
et  publiée  dans  la  Renie  des  Deux  Mondes  en  1863,  ainsi  que  dans  plusieurs 
lettres  de  Mme  Sand  Ă   Flaubert. 


526  GEORGE   SAND 

au  golfe  Juan,  Ă   l'abbaye  de  Mont-Rieux  oĂč  l'on  dĂ©jeuna  sur 
l'herbe. 

...La  troupe  se  compose  d'Edmond  Adam,  de  Maurice  Sand,  du 
capitaine  Talnia  (1),  d'Edmond  Plauchut,  de  Planet,  de  Mme  Sand, 
de  Topaze  et  de  moi. 

Mme  Sand  a  toute  sa  verve.  Elle  constate  que  notre  union  est  com- 
plÚte, que  nous  pouvons  devenir  le  noyau  d'une  abbaye  de  ThélÚme, 
et  cette  abbaye,  elle  la  construit  en  imagination  semblable  Ă   celle  de 
Mont-Rieux.  On  discute  sur  les  heures  du  lever,  du  coucher,  sur  ce  que 
chacun  fera  et  à  quoi  il  est  propre.  On  me  confiera  le  ménage,  le  bien 
manger. 

«  Et  le  bien  boire  »,  ajoute  Maurice  sensible  au  bon  vin  français. 

Planet,  Plauchut,  le  capitaine  Talnia  approuvent.  Ma  fille,  qui  fait 
merveilleusement  le  «  pifferaro  »,  distraira  la  société  par  ses  danses  et 
arrangera  les  fleurs,  ait  dans  lequel  elle  excelle.  Maurice  installera  les 
marionnettes  et  fera  une  collection  de  papillons,  que  nous  vendrons 
trĂšs  cher  aux  Anglais.  Adam  lira  les  journaux  pour  tenir  l'abbaye  au 
courant  des  choses  du  dehors  et  fera  oua  !  oua  !  pour  nous  garder  des 
intrus  quĂŻl  n'aime  guĂšre.  Plauchut  voyagera  pour  nous  rapporter 
des  Ă©pices  rares,  pour  nous  gagner  de  l'argent  par  ses  trafics,  mais  il 
ne  fera  plus  naufrage  !  ajoute  Adam  (2). 

Le  capitaine  fournira  le  poisson.  Planet  s'occupera  de  vĂȘtir  la  com- 
munauté à  la  condition  qu'il  ne  nous  habille  pas  couleur  tabac,  sa  cou- 
leur favorite,  et  qu'il  n'oblige  aucun  des  membres  masculins  de  l'ordre 
Ă   porter  des  pantalons  Ă   petit  ponts  et  des  cravates  mirifiques. 
Mme  Sand  «  propre  à  tout  »,  dit-elle,  ne  fera  plus  d'écritures  mais 
beaucoup  d'essais  pour  transformer  les  plantes  sauvages  en  plantes 
potagĂšres. 

Comment  l'abbaye  de  ThélÚme  s'évanouit-elle  en  fumée  et  com- 
ment à  la  fin  du  déjeuner  s'était-elle  transformée  en  une  roulotte  avec 
laquelle  nous  visitions  la  France  tout  entiÚre  et  donnions  des  représen- 
tations de  piÚces  inédites  portant  tour  à  tour  les  noms  des  auteurs  : 
George  Sand,  Maurice  Sand  et  Juliette  Lamber?  L'explique  qui 
pourra  ! 

On  parle  de  gaieté  et  Mme  Sand  déclare  qu'il  est  urgent  de  créer  des 
cours  de  gaieté  pour  les  générations  nouvelles,  que  les  jeunes,  comme 
Planet,  se  portent  mal  parce  qu'ils  ne  sont  pas  assez  gais. 

(1)  Mme  Sand  avait  fait  sa  connaissance  lors  de  son  séjour  à  Tamaris. 
C'était  le  fils  du  célÚbre  artiste. 

(2)  Adam  s'était  moqué  de  Plauchut  à  propos  de  son  naufrage  aux  ßles 
du  Cap- Vert,  dont  nous  avons  parlé  dans  le  premier  chapitre  de  notre  premier 
volume,  et  l'appelait  par  dérision  «  le  naufragé  des  salons  ». 


GEORGE   SAND  527 

La  gaieté  est  la  meilleure  hygiÚne  de  l'esprit  et  du  corps,  dit 
Mme  Sand  ;  se  porter  bien  n'a  pas  d'autre  raison  que  la  gaieté. 

Et  la  discussion  commence  pour  n'en  finir  plus.  Le  capitaine  Talma 
et  Edmond  Adam,  tous  deux  mélancoliques,  protestent  contre  la 
gaieté  perpétuelle.  L'un  des  deux,  approuvé  par  l'autre,  a  l'imprudence 
de  dire  que  V extrĂȘme  gaietĂ©  comme  Ventendent  parfois  Mme  Sand  et 
Maurice  «  entame  la  dignité  ».  C'est  un  haro,  un  tollé. 

Mme  Sand  devient  tout  à  coup  trÚs  sérieuse.  Elle  est  éloquente  et 
prouve  qu'il  n'y  a  de  bonté  durable  qu'alimentée  par  la  gaieté,  que 
les  tristes  ne  sont  pas  fonciĂšrement  bons. 

—  La  gaietĂ©  c'est  comme  la  bontĂ©,  dit  Talma,  pas  trop  n'en 
faut! 

—  Mais,  malheureux  !  sans  bontĂ©  les  sociĂ©tĂ©s  se  rongent,  se 
dévorent. 

—  Les  sociĂ©tĂ©s  vivent  par  l'intelligence. 

—  L'intelligence  sans  bontĂ©  fait  des  brutes,  des  plus  brutes  que  mon 
chien  Fadet  qui  est  bon. 

—  Et  que  fait  la  bontĂ©  sans  intelligence? 

—  H  n'y  en  a  pas  ;  n'est  pas  bon  qui  n'est  pas  intelligent. 

—  Mais  votre  chien  Fadet? 

—  Il  est  comme  moi  ;  bon  d'abord,  intelligent  ensuite.  La  bontĂ©, 
ajoute  Mme  Sand,  c'est  l'atmosphĂšre  dans  laquelle  se  vivifient  les 
sociétés,  c'est  l'attirance  du  divin  sur  la  terre.  Il  n'y  a  que  bonté  dans 
les  voies  de  la  vie  supérieure.  Si  l'on  étudiait  les  lois  de  la  bonté, 
on  y  trouverait  jusqu'aux  attractions  des  mondes  les  uns  pour  les 
autres.  Il  me  semble  qu'ils  s'entr'aident  avec  bonté  entre  eux,  pour 
maintenir  les  Ă©quilibres  et  l'ordre  dans  la  matiĂšre,  ajoute-t-elle  en 
riant. 

—  Oh  !  ça,  c'est  trop  fort,  c'est  du  charabia,  s'Ă©crie  le  capitaine. 

—  C'est  de  la  noyade,  ajoute  Adam.  Voilà  ce  qui  arrive  à  ceux  qui 
piquent  des  tĂȘtes  dans  l'universel. 

—  Que  ces  gens-lĂ ,  dit  Maurice,  en  dĂ©signant  le  capitaine  et  Adam, 
ont  comme  qui  dirait  leurs  crĂąnes  trop  Ă©troits  pour  avoir  celui  de  s'in- 
gurgiter les  idées  de  la  colonelle  ;  pour  quoique  l'un  est  marsouin  et 
l'autre  pékin?  Fusilier  Plauchut,  ajouta  le  sergent,  fusilier  Planet, 
cantiniĂšre  Juliette,  saluez  notre  chef,  George  Sand,  et  un  pied  de  nez 
Ă   ces  autres-lĂ   ! 

Le  tout  fut  fait  en  trois  mouvements. 

Puis  Maurice  nous  donna,  Ă   Mme  Sand,  Ă   Alice,  Ă   moi  un  panier  vide, 
tandis  qu'il  chargea  outre  mesure  celui  des  fusiliers  Plauchut,  Planet  et 
le  sien.  La  colonelle  me  prit  le  bras,  tandis  que  Talma  et  Adam  cau- 
saient en  arriĂšre,  que  Topaze  et  Maurice  conversaient  en  langage 
a  pioupiou  ». 


528  GEORGE   SAXD 

Un  peu  plus  loin,  Mme  Adam  raconte  comment  ce  mĂȘme  jour, 
George  Sand  ayant  approuvé  l'une  des  idées  que  Juliette  Adam 
avait  émises  et  l'ayant  embrassée  tandis  qu'Adam  roucoulait 
et  disait  des  phrases  vraiment  «  sucrées  »  à  sa  femme,  Maurice 
l'avait  promue  de  cantiniĂšre  qu'elle  Ă©tait  au  grade  de  lieutenant- 
colonel. 

Ce  fut  le  signal  des  goguenardises  de  Maurice  qui  déclara  que  puisque 
la  colonelle,  lui,  le  sargent,  les  fusiliers  Plauchut  et  Planet,  mĂȘme  le 
capitaine  marsouin  Talma  et  le  pékin  Adam  avaient  pour  ainsi  dire 
connue  une  satisfaction  de  la  conduite  de  la  cantiniĂšre  Juilliette  (on 
m'appelle  «  Juilliette  »),  il  la  proposait  à  l'avancement  comme  lieute- 
nant-colonel... 

Nous  lisons  dans  le  livre  de  Mme  Adam  Ă   propos  des  farces 
que  les  habitués  de  Nouant  se  jouaient  les  uns  aux  autres,  encore 
ceci  : 

DÚs  que  l'un  de  nous  est  envoyé  ici  ou  là  pour  chercher  quelque  chose, 
il  peut  ĂȘtre  certain  qu'on  trame  une  farce  contre  lui. 

Nous  nous  y  prĂȘtons  tous  avec  belle  humeur,  sauf  Adam  que  les 
farces  horripilent,  la  nuit  surtout  quand  on  le  réveille. 

Un  soir  on  a  mis  un  coq  dans  le  coffre  Ă   bois  de  notre  chambre.  Je 
le  savais  ;  voilà  qu'à  une  heure  ou  deux,  le  matin,  ce  satané  coq  chante. 
Adam  allume  sa  bougie. 

—  Bien  sĂ»r  ce  coq  est  dans  notre  cheminĂ©e,  s'Ă©crie-t-il,  mais  par  oĂč 
a-t-il  passé? 

Alice,  dont  la  chambre  donne  dans  la  nĂŽtre,  et  moi,  nous  nous  cachons 
sous  les  draps  pour  ne  pas  trop  rire  bruyamment.  Adam  continue  Ă  
regarder  dans  la  cheminée,  mais  avec  prudence,  craignant  que,  passé 
par  le  toit,  le  coq  ne  lui  tombe  sur  la  tĂȘte. 

Le  coq  recommence  :  Cocorico  !  Mme  Sand,  Lina,  Maurice,  Plauchut, 
Planet  sont  derriÚre  la  porte,  entendent  les  réflexions  d'Adam  ;  ils  le 
voient  se  promener  en  simple  costume  de  nuit,  se  pencher  dans  la 
cheminée.  Mais  tout  à  coup,  furieux,  Adam  lance  un  juron  formi- 
dable et  s'Ă©crie  : 

—  Il  est  dans  le  coffre  à  bois.  Je  parie  que  c'est  Maurice  qui  l'y  a 
mis. 

Il  ouvre  le  coffre.  Le  coq,  pas  content  d'avoir  été  enfermé,  lui  saute 
Ă   la  poitrine.  Nouveau  juron,  plus  violent  encore.  Il  tente  d'attraper 
ce  maudit  coq,  tandis  que  je  m'enfonce  de  plus  en  plus  sous  mes  draps. 
Enfin,  le  coq,  las  de  voler,  se  perche  sur  le  bois  de  la  tĂȘte  du  lit  d'Adam, 


GEORGE   SAND  529 

qui  a  toutes  les  peines  du  monde  Ă   le  saisir.  H  l'attrape,  toujours 
sacrant  et  va  le  jeter  par  la  fenĂȘtre  qu'il  a  ouverte,  lorsque  le  coq  en  se 
débattant  éteint  la  bougie,  s'échappe  et  vole  dans  la  cour. 

Est-ce  lui,  est-ce  Maurice  qui  chante  Ă   nouveau  :  Coricoco  ! 

—  Que  le  diable  emporte  l'idiot  qui  a  inventĂ©  cette  farce  !  s'Ă©crie 
Adam. 

Les  rires  derriĂšre  la  porte  redoublent.  Adam  la  ferme  Ă   clef  et  se 
recouche. 

Il  ne  m'a  pas  adressé  la  parole,  soupçonnant  bien  que  je  suis  complice. 

L'Ă©glise  est  en  face  de  notre  chambre.  Je  dors  volontiers  le  matin 
et  je  parierais  que  Maurice  ou  Plauchut  ont  payé  le  pÚre  Carnat  (1) 
—  le  sonneur-fossoyeur  —  pour  qu'il  sonne  l'angĂ©lus  Ă   toute  volĂ©e. 
Adam  Ă   cette  heure-lĂ   fait  sa  toilette.  C'est  Ă   mon  tour  de  grogner. 
Je  donne  5  francs  au  pĂšre  Carnat  pour  qu'il  sonne  moins  fort.  Maurice 
ou  Plauchut  lui  persuade  qu'il  doit  sonner  plus  fort  et  plus  longtemps 
pour  que  je  lui  donne  davantage. 

Le  lendemain  Adam  demande  à  Plauchut  de  lui  céder  son  pavillon 
au  fond  du  parc.  H  dit  qu'il  s'y  barricadera,  achĂštera  un  revolver  Ă  
La  Chùtre  et  recevra  les  farceurs  «  à  balle  ».  Quand  ce  sont  les  autres 
qu'on  berne,  Adam  trouve  les  farces  drĂŽles,  mais  il  n'admet  pas  qu'on 
lui  en  fasse,  parce  qu'il  n'en  fait  pas  lui-mĂȘme. 

Le  docteur  Pestel  qui  soigna  Mme  Sand  dans  sa  derniĂšre 
maladie  et  laissa  des  Notes  trÚs  intéressantes  sur  la  maladie  et 
la  mort  de  Mme  Sand  et  sur  les  MĂ©decins  de  Nohant,  dit  entre 
autres,  dans  ce  dernier  Ă©crit, 

«  qu'Ă   l'encontre  de  ce  qui  existe  dans  beaucoup  de  maisons  oĂč  le 
médecin  finit  par  vieillir  avec  les  membres  de  la  famille,  dont  il  devient 
quelquefois  l'ami  et  le  confident,  les  médecins,  à  Nohant,  du  temps  de 
George  Sand,  ne  vivaient  pas  longtemps»,  un  médecin  suivait  un  autre. 

Et  pour  expliquer  cette  circonstance  le  docteur  Pestel  dit  une  chose  qui 
donnera  peut-ĂȘtre  la  clef  du  fait  qu'il  s'Ă©tait  intronisĂ©  Ă   Nohant,  on  ne  sait 
trop  quoi  :  une  vraie  gaieté,  une  hilarité,  une  verve  faisant  faire  des  farces 
sans  fin,  ou  bien  simplement  l'habitude  de  débiter  des  hùbleries  perpé- 
tuelles, des  blagues  les  plus  incroyables,  tantĂŽt  pleines  d'esprit,  tantĂŽt 
absolument  plates  et  niaises  : 

a  Mme  Sand  ne  portait  pas  en  elle  un  grand  fond  de  gaieté,  elle 
Ă©prouvait  le  besoin  d'ĂȘtre  Ă©gayĂ©e.  Lorsqu'elle  quittait  son  cabinet  de 
travail,  il  lui  fallait  du  monde,  du  bruit,  des  rires,  au  besoin  des  hom 
mages,  et  mĂȘme  de  la  flatterie  auxquels  elle  Ă©tait  fort  sensible.  SĂ©rieuse, 

(1)  Ce  nom  est  imprimé  :  «  Carnat  »  dans  lo  livre  de  Mme  Adam  ;  il  est  évi- 
dent que  ce  n'est  qu'une  faute  d'impression. 

,v-  34 


530  GEORGE   SAND 

causant  peu,  elle  aimait  les  causeurs,  voire  mĂȘme  les  bavards.  Les 
histoires  les  plus  folles,  les  plus  impossibles,  racontées  avec  verve,  la 
faisaient  rire  aux  larmes,  et  les  conteurs  de  ces  blagues  insensées 
Ă©taient  de  tous  ceux  qui  avaient  auprĂšs  d'elle  le  plus  de  succĂšs.  Chez 
Mme  Sand  l'impression  premiĂšre  Ă©tait  toute  puissante.  A  premiĂšre 
vue,  on  lui  plaisait  ou  on  lui  déplaisait.  C'est  ainsi  que  le  plus  souvent 
elle  jugeait  son  monde.  Bien  rarement  revenait-elle  sur  ses  jugements 
ainsi  portés.  Cette  maniÚre  d'apprécier  ses  semblables  expose  à  bien 
des  erreurs,  car  outre  que  les  apparences  sont  trompeuses  chez  un 
grand  nombre  d'individus,  celui-lĂ   mĂȘme  qui  procĂšde  ainsi  jugera  diffĂ©- 
remment un  jour  qu'un  autre  la  mĂȘme  personne  suivant  qu'il  sera  plus 
ou  moins  lucide,  ou  qu'il  sera  sous  l'impression  de  la  souffrance,  de 
la  contrariĂ©tĂ©,  du  bien-ĂȘtre,  de  la  joie,  etc.. 

Ce  n'est  pas  trop  sa  faute,  aprĂšs  tout,  si  elle  Ă©tait  ainsi  faite,  elle 
agissait  d'instinct  et  en  quelque  sorte  malgré  elle.  Dans  une  organisa- 
tion aussi  Ă©minemment  impressionnable  que  l'Ă©tait  la  sienne,  l'impres- 
sion Ă©tait  maĂźtresse  du  raisonnement  de  mĂȘme  que  le  sentiment  devait 
l'emporter  quelquefois  sur  la  raison.  » 

Nous  nous  contentons  de  citer  cette  observation  du  Dr  Pestel, 
nous  abstenant  de  la  contredire  ou  de  la  confirmer. 

AprĂšs  le  dĂźner  tous  les  habitants  de  Xohant  se  rendaient  dans 
le  vaste  salon  Louis  XVI  gardé  tel  qu'il  était  au  temps  de  l'aïeule 
de  Mme  Sand,  et  s'asseyaient  «  autour  de  la  table  »,  énorme  table 
ovale,  confectionnée  par  Pierre  Bonnin  (1).  Les  uns  faisaient  une 
partie  de  dominos,  les  autres  jouaient  aux  Ă©checs,  d'autres  encore 
dessinaient  ou  peignaient  à  la  détrempe.  On  parlait  du  nouveau 
roman  de  Flaubert,  de  la  derniĂšre  piĂšce  de  Dumas  ou  de  Cadol, 
du  livre  de  Darwin  ou  de  Renan.  Et  des  discussions  ardentes  et 
bruyantes  s'élevaient,  tandis  que  Mme  Sand,  aidée  de  L'mn, 
cousait  des  robes  d'enfants  ou  des  costumes  pour  les  marionnettes. 
Durant  toute  sa  vie,  jusqu'Ă   son  dernier  jour,  Mme  Sand  garda 
l'habitude  de  ne  jamais  rester  oisive  ;  d'autre  part  elle  conserva 
aussi  cette  adresse  des  maim,  héritée  de  sa  mÚre,  pour 
toutes  sortes  de  petits  travaux  et  de  procédés  manuels.  Elle 
faisait  beaucoup  de  broderies  (2),  aidait  Maurice  Ă   classer  ses 

(1)  Voir  plus  haut,  chap.  xi. 

(2)  Nous  possédons  une  pelote  brodée  par  George  Sand  et  représentant, 
sur  un  fond  rose,  une  chimĂšre  —  la  devise  de  Nouant  —  le  «  chĂąteau  de  la 
ChimÚre  ».  (Voir  plus  haut  chap.  xi.) 


GEORGE   SAND  53i 

collections  minéralogiques  ou  entomologiques,  faisait  des  her- 
biers, découpait  à  la  main  des  silhouettes  de  plantes  ou  de 
fleurs,  petits  chefs-d'Ɠuvre  d'adresse  et  de  finesse  qui  ne  peuvent 
ĂȘtre  comparĂ©s  qu'Ă   des  ouvrages  chinois  ou  japonais.  Elle  faisait 
encore  des  dendrites.  On  sait  qu'on  nomme  dendrites,  en  minéra- 
logie, des  empreintes  de  plantes  dans  des  cassures  de  pierres, 
ou  mĂȘme  des  restes  de  plantes  pĂ©trifiĂ©es.  En  examinant  un  beau 
soir  un  dessin  fantastique,  créé  par  le  hasard  d'un  pùté  de  cou- 
leur, qu'on  avait  écrasé  par  mégarde  entre  deux  feuilles  de  papier, 
George  Sand  remarqua  que  ce  dessin  reproduisait  merveilleuse- 
ment une  pareille  dendrite.  Elle  voulut  répéter  cet  essai,  et, 
ayant  écrasé  ainsi  plusieurs  pùtés  de  couleur  entre  deux  feuilles 
de  papier,  elle  tĂącha  de  faire  ce  que  chacun  avait  fait  dans  son 
enfance  :  de  compléter  et  de  préciser  par  quelques  traits  de 
crayon  ou  de  pinceau  les  images  qui  se  présentent  dans  un  pùté 
d'encre  écrasé.  H  en  résulta  un  petit  tableau,  un  paysage  avec 
des  figures  fantastiques.  Mme  Sand  s'engoua  de  ce  genre  de 
peinture  et  on  lui  prépara  d'avance  des  pùtés  de  couleurs  écrasées 
sur  des  feuilles  de  papier,  afin  qu'elle  s'amusĂąt,  le  soir,  Ă   peindre 
ses  dendrites,  soit  Ă   l'huile,  soit  Ă   l'aquarelle  (1).  ...Quelquefois 
on  lisait  Ă   haute  voix  un  conte,  Ă©crit  la  veille  par  George 
Sand  pour  l'une  de  ses  petites-filles,  car,  comme  une  vraie 
grand'mĂšre,  c'est  pour  ses  petites-filles  qu'elle  semble  avoir 
écrit  alors  de  préférence.  C'est  ainsi  qu'entre  1872  et  1875  elle 
Ă©crivit  treize  contes  :  le  ChĂąteau  de  Pictordu,  la  Reine  Coax, 
le  Nuage  rose,  les  Ailes  du  courage,  le  GĂ©ant  JĂ©ous,  le  ChĂȘne  par- 
lant, le  Chien  et  la  fleur  sacrée,  V Orgue  au  Titan,  Ce  que  disent 
les  fleurs,  le  Marteau  rouge,  la  FĂ©e  poussiĂšre,  le  Gnome  des 
huĂźtres  et  la  FĂ©e  aux  gros  yeux  (2).  George  Sand  s'essaya  donc, 
outre  le  roman,  le  théùtre,  les  articles  de  politique  ou  de  critique, 

(1)  Nous  possédons  une  de  ces  dendrites,  dessinée  pour  amuser  les  petites 
Aurore  et  Gabrielle  ;  elle  nous  a  été  donnée  par  Edmond  Plauchut.  Elle 
reprĂ©sente  un  paysage  fantastique  —  un  golfe  au  milieu  de  collines,  tapissĂ©es 
de  broussailles  et  d'arbustes,  et,  sur  l'une  de  ces  collines,  deux  petites  filles 
et  un  chien,  voire  :  «  Lolo  et  Titite  avec  Fadet  »,  le  légendaire  chien  de  No  haut. 
Les  portraits  des  deux  petites  filles  et  du  chien  Ă©taient  sa  signature  de  peintre. 

(2)  Huit  de  ces  contes  sur  treize  et  Gribouille  ont  été  traduits  en  russe  par 
Mme  Tolivérow,  en  1893.  (Devrienne,  Saint-Pétersbourg,  in-18.) 


532  GEORGE   SAND 

à  ce  nouveau  genre  littéraire  :  la  littérature  pour  enfants,  ou 
mĂȘme,  proprement  dit  :  aux  contes  d'enfants.  Du  reste  elle  avait 
dĂ©jĂ   Ă©crit  plusieurs  Ɠuvres  dans  ce  genre.  En  1837  elle  Ă©crivit 
pour  Solange  le  Roi  des  neiges,  conte  resté  inédit.  En  1850, 
comme  nous  l'avons  indiqué  plus  haut  (1),  elle  usa  du  dicton 
populaire  sur  Gribouille  qui  se  jette  Ă   Veau  de  peur  d'ĂȘtre  mouillĂ© 
comme  d'un  thÚme  pour  écrire  son  Histoire  du  véritable  Gri- 
bouille (2).  En  1859,  George  Sand  publia,  dans  le  Figaro,  encore 
un  petit  conte,  la  Fée  qui  court.  Et  enfin  en  1865  elle  dédia  à 
Manceau  un  grand  conte  fantastique  et  symbolique,  la  Coupe. 

D'autre  part,  voulant  créer  à  l'usage  de  la  petite  Aurore  la 
meilleure  méthode  possible  pour  apprendre  à  lire  et  à  écrire, 
Mme  Sand  remania  pour  elle  le  systÚme  tiré  par  Jules  Boucoiran 
de  la  célÚbre  méthode  Laffore,  pour  l'enseignement  de  Maurice. 
Mme  Sand,  avec  infiniment  d'esprit  et  un  tact  pédagogique  admi- 
rable, sut  encore  faciliter  et  simplifier  cette  méthode.  De  plus, 
elle  trouvait  nécessaire  que  l'enseignement  de  la  lecture  marchùt 
de  front  avec  les  premiÚres  connaissances  enseignées  à  l'enfant 
sur  toutes  choses.  H  est  trÚs  instructif  de  lire  ses  réflexions  et  ses 
observations  sur  ce  sujet  dans  les  chapitres  xi,  xn  et  xin  de  ses 
Impressions  et  souvenirs,  ayant  pour  sous-titre  :  «  Pensées  d'un 
maßtre  d'école  ».  «  Le  maßtre  d'école,  c'est  moi  »,  dit-elle,  car 
durant  toute  sa  vie  elle  a  toujours  eu  quelques  Ă©lĂšves  Ă   qui  elle 
enseignait  l'a  b  c  :  ses  enfants,  sa  niĂšce,  ses  petits-enfants  et  des 
filles  de  village  adultes,  des  servantes  et  des  sénateurs,  bref  des 
Ă©lĂšves  de  tout  Ăąge  et  de  toute  condition  ;  ces  pages  sont  donc  le 
résultat  de  son  expérience  et  de  ses  observations.  Quand,  dans 
sa  jeunesse,  elle  apprit  Ă   lire  Ă   ses  enfants,  George  Sand  ignorait 
encore  beaucoup  de  choses  en  matiĂšre  d'Ă©ducation  qui  ne  lui 
devinrent  claires  qu'avec  l'expérience  et  le  raisonnement,  et 


(1)  Voir  plus  haut,  chap.  vin. 

(2)  Histoire  du  véritable  Gribouille,  vignettes  par  Maurice  Sand,  gravures 
de  Delaville  (Petite  BibliothĂšque  blanche.  Éducation  et  rĂ©crĂ©ation.  Hetzel 
et  O,  Paris,  1850.)  Cette  histoire  est  dédiée  à  la  fille  du  vieil  ami  de  l'auteur, 
Alphonse  Fleury,  Mlle  Valentine  Fleury  (plus  tard  Mme  Engelhardt). 

Ce  conte  fut  traduit  en  russe  en  1851  par  Mme  Ogarew.  Il  parut  avec  une 
préface  de  Herzeu,  à  Londres. 


GEORGE  SAND  533 

surtout  la  patience  ;  elle  dit  avoir  commis  alors  beaucoup  de 
fautes,  dont  elle  se  préserva  plus  tard.  Ces  trois  articles  présentent 
effectivement  une  série  d'observations  infiniment  précieuses  pour 
tout  pédagogue,  comme  pour  toute  personne  s'intéressant  aux 
questions  d'enseignement  et  d'Ă©ducation  primaires.  Quand  on  les 
lit,  on  ne  peut  pas  ne  pas  ĂȘtre  d'accord  avec  l'auteur  sur  lef  ond 
des  choses.  Le  premier  de  ces  articles  est  consacré  non  pas  pré- 
cisément à  l'enseignement  de  la  langue,  mais  bien  à  ces  exercices 
préparatoires  qui  devraient  précéder  toute  étude.  On  y  trouve,  de 
plus,  une  foule  de  conseils  inappréciables  sur  l'éducation  en 
général.  Cet  article  devrait  servir  de  manuel  à  tous  les  péda- 
gogues, psychologues,  parents,  et  Ă   tous  ceux  qui  osent  entre- 
prendre cette  Ɠuvre  sacrĂ©e  :  l'Ă©ducation  d'un  homme.  En  lisant 
ces  fines  observations  et  ces  remarques  psychologiques  pro- 
fondes, qui  respirent  une  pénétration  infinie  de  l'ùme  humaine 
en  général  et  de  l'ùme  enfantine  en  particulier,  on  s'explique 
parfaitement  l'amour  que  Mme  Sand  inspira  Ă   tous  les  enfants 
dont  elle  s'était  tant  occupée,  et  l'influence  qu'elle  exerça  tou- 
jours sur  ceux  d'entre  eux  à  qui  elle  avait  voué  une  attention 
particuliÚre  :  la  petite  Jeanne  Clésinger,  Aurore,  Gabrielle,  les 
petits  Simonnet,  Oscar  Cazamajou,  les  enfants  de  Mme  Ber- 
tholdi,  le  jeune  Francis  Laur,  etc.,  etc.  Quelle  connaissance  de 
l'ùme  enfantine,  de  ses  capacités,  de  ses  défaillances  se  laisse 
deviner  dans  ces  pages  !  Combien  humaine  la  maniĂšre  de  traiter 
l'enfant,  et  quel  extraordinaire  savoir-faire  pour  s'identifier  Ă  
lui,  pour  profiter  de  chaque  petit  fait,  afin  de  gagner  de  l'auto- 
ritĂ© sur  cet  ĂȘtre  impressionnable  !  Quelle  profondeur  d'amour 
pour  tous  ces  petits  hommes  !  George  Sand  rejette,  cela  se  com- 
prend, non  seulement  toute  brutalité,  toute  punition  et  toute 
privation  pour  l'enfant,  mais  elle  Ă©rige  tout  son  systĂšme  suivant 
les  grandes  lois  psychiques  en  général,  en  les  appropriant  aux 
exigences  et  au  caractĂšre  de  chaque  enfant  en  particulier.  Elle 
parle  de  l'art  de  diriger  Yesprit,  le  cƓur  et  la  volontĂ©  de  l'enfant 
vers  un  seul  but  :  lui  apprendre  Ă   aimer  le  travail,  Ă   aimer  le  savoir 
et  Ă   aimer  dans  le  strict  sens  du  mot.  George  Sand  donne  une 
série  de  conseils  fort  utiles  à  ce  propos  ;  on  voit  qu'en  vrai  vir- 


534  GEORGE   SAND 

tuose,  elle  savait  jouer  sur  les  cordes  les  plus  tendres  du  cƓur 
enfantin,  les  faisant  toujours  vibrer  le  plus  harmonieusement 
possible. 

Les  deux  autres  articles  sont  consacrés  à  l'analyse  de  la 
«  méthode  lafßorienne  »,  créée  et  publiée  dÚs  1826  par  M.  de  Bour- 
rousse  de  Laffore,  ainsi  que  de  la  méthode  employée  par  George 
Sand  elle-mĂȘme  pour  fane  apprendre  Ă   lire  et  Ă   Ă©crire  Ă   ses  Ă©lĂšves. 

La  lettre  à  Charles  Edmond  sur  la  ponctuation  (le  numéro  VI 
des  Impressions  et  souvenirs)  se  rattache  Ă   ces  deux  articles  et 
présente  aussi  une  série  de  pensées  trÚs  intéressantes  sur  l'ensei- 
gnement de  la  langue  et  de  la  grammaire. 

Les  contes  de  George  Sand  ont  aussi  une  signification,  surtout 
pédagogique  ;  ils  ne  se  distinguent  pas  tant  par  leurs  qualités 
poétiques  que  par  la  moralité  qu'ils  renferment  :  ils  tendent,  avant 
tout,  par  des  allégories  et  des  symboles  transparents,  à  inculquer 
aux  enfants  les  mĂȘmes  principes  et  Ă   diriger  leur  activitĂ©  psyclĂč que 
vers  les  trois  mĂȘmes  buts  :  V amour  pour  le  travail,  le  dĂ©sir  d'ap- 
prendre et  l'amour  du  prochain,  George  Sand  conseillait  de  les 
développer  chez  tout  élÚve,  avant  de  lui  enseigner  à  lire. 

Au  risque  d'ĂȘtre  taxĂ©  d'hĂ©rĂ©tique  littĂ©raire,  nous  dĂ©clarons 
que  ces  contes  manquent  de  vraie  poésie,  surtout  si  on  les  com- 
pare aux  contes  d'Andersen  ou  aux  contes  des  Ă©crivains  allemands 
et  slaves.  La  plupart  d'entre  eux  sont  eu  outre  peu  faits  pour 
ĂȘtre  compris  des  enfants  ou  leur  faire  plaisir.  Notre  critique 
s'adresse  surtout  au  plus  long  de  ces  contes  :  le  ChĂąteau  de  Pic- 
tordu.  Au  fond  c'est  lĂ   simplement  un  petit  roman,  peignant, 
sous  une  forme  fantastique,  le  réveil  et  l'éclosion  d'un  talent  inné, 
ce  thĂšme  ne  convient  pas  Ă   un  conte  d'enfants.  George  Sand 
l'avait  déjà  plusieurs  fois  traité  :  dans  la  Fille  d'Album),  Cari, 
Consuelo,  etc.,  etc.  Le  Chùteau  de  Pictordu  contient  un  trÚs  inté- 
ressant et  trĂšs  remarquable  caractĂšre,  celui  du  pĂšre,  un  peintre  Ă  
la  mode  peignotant  de  petits  portraits  bien  léchés;  et  à  cÎté  de  ce 
pÚre  grandit  et  se  développe  le  talent  prime-sautier  et  original  de 
sa  fille,  une  fillette  rĂȘveuse,  maladive,  mais  poursuivant  Ăąprement 
la  vérité  dans  l'art,  aspirant  à  y  atteindre  la  perfection,  y  cher- 
chant son  propre  chemin  et  finissant  par  arriver  à  la  célébrité. 


GEORGE   SAND  535 

ÉbauchĂ©  en  deux  ou  trois  traits  de  plume,  le  portrait  de  la 
seconde  femme  du  peintre,  Mme  Laure,  une  coquette  fanfre- 
luchĂ©e,  ruinant  son  mari  et  s'apprĂȘtant  Ă   vivre  aux  dĂ©pens  de  sa 
belle-fille,  est  également  trÚs  réussi.  Cette  Mme  Laure  nous  paraßt 
une  vraie  héroïne  du  second  Empire,  trÚs  ressemblante  à  ses 
sƓurs  les  hĂ©roĂŻnes  de  Zola,  Daudet,  etc.  George  Sand  sut  saisir 
et  peindre  en  peu  de  mots,  avec  un  art  extraordinaire,  ce  nouveau 
type,  ressemblant  si  peu  aux  héroïnes  de  sa  jeunesse.  Les  «  grandes 
coquettes  »  et  les  dissipatrices  ont  existé  de  tous  les  temps,  George 
Sand  les  a  peintes  dans  ses  premiers  romans,  mais  Mme  Laure 
possÚde  un  si  naïf  cynisme,  elle  bat  monnaie  avec  une  facilité 
merveilleuse  qui  ne  se  voyait  que  chez  les  petites  dames  con- 
temporaines de  Mlle  de  Montijo.  Intéressants  et  trÚs  bien  peints 
Ă©galement,  le  vieux  comte  de  Pictordu  et  sa  fille.  Ces  deux  per- 
sonnages reflĂštent  le  monde  de  vieilles  comtesses  oĂč  Aurore  Dupin 
vécut  sa  toute  premiÚre  jeunesse,  et  de  celui  de  ses  aristocratiques 
amies  de  couvent.  TrĂšs  curieux  type  aussi  le  docteur,  ami  des  arts, 
il  est  le  porte-parole  de  l'auteur  lui-mĂȘme.  Il  estime  qu'un  vrai 
talent  fera  toujours  son  chemin,  qu'il  ne  faut  que  le  diriger,  mais 
point  le  cultiver  comme  une  fleur  de  serre.  Il  est  partisan  de  l'élé- 
ment fantastique  dans  l'existence  de  l'enfant  (1).  C'est  pour  cela 
qu'il  laisse  la  jeune  artiste  se  libĂ©rer  peu  Ă   peu  elle-mĂȘme  de  sa 
croyance  aux  visions  fantastiques  —  aux  apparitions  de  la 
«  muse  de  Pictordu  »,  etc.  La  fillette  devine  que  toutes  ses 
visions  n'étaient  que  de  vagues  élans  de  sa  fantaisie  créatrice  : 
elle  ne  savait  pas  encore  la  maniÚre  de  les  réaliser  en  une  forme 
plastique.  Tout  cela  est  entremĂȘlĂ©  de  descriptions  adorables  du 
vieux  chĂąteau  et  du  jardin,  ce  qui  permet  Ă   George  Sand  de 
briller,  comme  toujours,  par  ses  connaissances  botaniques.  Et 
«  l'élément  fantastique  »,  toutes  ces  apparitions  de  la  fée  du 
chùteau,  de  la  statue  parlante,  sont  si  poétiquement  vagues,  et 
plus  tard  se  laissent  s'expliquer  d'une  maniĂšre  si  naturelle, 
qu'elles  ravissent  le  lecteur  le  plus  «  rationnel  »,  aussi  bien  que 
les  enfants. 

(1)  A  comparer  avec'  ce  que  George  Sand  dit  dans  YHistoire  de  ma  rie 
(vol.  II,  p.  156-160)  du  merveilleux  dans  la  vie  de  l'enfant. 


536  GEORGE   SAND 

Mais  nous  le  répétons,  le  Chùteau  de  Pictordu  n'est  point  une 
histoire  pour  de  petits  lecteurs,  mais  un  roman  minuscule,  ou 
mĂȘme  une  Ă©tude  psychologique,  basĂ©e  sur  des  observations  et 
des  remarques  si  fines  qu'elles  ne  peuvent  ĂȘtre  comprises  que  par 
des  adultes. 

Les  soirĂ©es  oĂč  Maurice  donnait  Ă   Nohant  ses  reprĂ©sentations 
de  marionnettes  Ă©taient  de  vraies  petites  fĂȘtes.  On  en  a  des 
descriptions  pleines  de  verve  et  de  couleur  dans  les  livres  de 
MM.  Amie,  Mes  Souvenirs,  Plauchut,  Autour  de  Nohant  et  dans 
le  volume  II  des  Souvenirs  de  Mme  Adam,  dont  nous  avons  déjà 
citĂ©  mainte  page,  et  enfin  dans  l'article  de  Mme  Sand  elle-mĂȘme  : 
les  Marionnettes  de  Maurice  Sand  (le  dernier  article  publié  du 
vivant  de  George  Sand),  que  nous  avons  cité  au  chapitre  x. 

Tout  ce  qu'on  raconte  sur  l'impression  produite  par  ces  repré- 
sentations sur  les  spectateurs  nous  semble  —  ainsi  qu'à  tous 
ceux  qui  n'y  ont  point  assistĂ©  —  si  inexplicable  et  si  peu  probable 
que  nous  emprunterons  encore  au  livre  de  Mme  Adam  la  des- 
cription de  l'une  de  ces  soirées.  Le  témoignage  d'une  personne 
y  ayant  assistĂ©  pourra  peut-ĂȘtre  faire  comprendre  au  lecteur 
quelle  était  la  cause  mystérieuse  de  l'action  incompréhensible 
exercée  par  ces  fantoches  sur  ous  les  habitués  de  Nohant.  En 
racontant  comment  on  fĂȘta  l'anniversaire  de  Mme  Sand  en  1868, 
—  et  selon  les  traditions  non  pas  le  1er,  mais  le  5  juillet,  — 
Mme  Adam  dit  : 

On  déjeune  gaiement,  on  se  promÚne  toute  l'aprÚs-midi,  on  goûte 
et  l'on  ne  dĂźne  pas,  car  on  doit  souper  aprĂšs  les  marionnettes. 

Enfin  nous  allons  assister  à  une  représentation  de  ces  marionnettes 
qui  passionnent  tant  notre  curiosité.  Nous  connaissons  par  leurs 
noms,  avant  de  les  voir  :  Balandard,  Coq-en-Bois,  le  capitaine  délia 
Spada,  Isabelle,  Rose,  CĂ©leste,  Ida,  et  tous,  toutes.  Alice  rĂȘve  du 
monstre  vert,  Belsébuth.  Elle  demande  qu'il  apparaisse. 

Nous  sommes  en  costume  de  grande  premiÚre,  décolletées.  Le  pro- 
gramme de  la  soirée  est  affiché  partout.  Les  marionnettes  jouent  Alomo- 
Alonzi  le  bĂątard  ou  le  brigand  de  las  Sierras.  Maurice  passe  vingt  nuits 
pour  amuser  une  heure  son  adorée  mÚre.  Notre  impatience  est  grande. 
Mme  Sand  n'est  pas  la  moins  occupée  de  cette  «  premiÚre  ».  Elle  ques- 
tionne Maurice  curieusement.  Il  reste  muet. 


GEORGE   SAND  537 

—  Songez,  me  dit-il,  comme  le  risque  d'une  chute  est  grand  pour 
celui  qui  tient  le  rĂŽle  des  acteurs  au  bout  de  ses  doigts,  qui  est  l'auteur 
de  la  piÚce,  le  décorateur,  le  machiniste,  le  directeur.  Et  si  Adam  allait 
faire  oua  !  oua  !  Si  Topaze  et  sa  mÚre  étaient  comme  qui  dirait  rasées  1 

—  Ce  sera  exĂ©crable  !  marmotte  le  fusilier  Plauchut. 
Mme  Sand  se  fùche,  presque  sérieusement. 

—  Trente  jours  d'arrĂȘts  au  fusilier  Plauchut,  en  rentrant  Ă   Paris, 
prononce  avec  dignité  le  sargent. 

—  EndossĂ©s,  les  trente  jours,  Ă   la  condition  que  tu  viennes  me  les 
faire  faire,  sargent,  répond  le  fusilier. 

Enfin,  le  moment  solennel  arrive.  Nous  défilons  gravement,  selon 
le  rang  que  Mme  Sand  nous  assigne.  Nous  entrons  dans  la  salle  de 
théùtre  que  nous  ne  connaissons  pas  encore  et  qui  est  brillamment 
Ă©clairĂ©e.  A  gauche,  la  grande  scĂšne,  oĂč  l'on  joue  la  grande  comĂ©die,  en 
face,  le  théùtre  des  marionnettes  avec  un  rideau  étonnant,  peint  par 
Maurice,  bien  entendu. 

Le  rideau  se  lĂšve  ;  la  toile  de  fond  a  des  perspectives  extraordinaires. 
Nous  voilà  transportés  en  Espagne  dans  las  Sierras. 

Nous  sommes  prĂ©venus  qu'il  est  pernĂčs  d'interpeller  les  acteurs, 
que  l'action  et  le  dĂ©nouement  lui-mĂȘme  peuvent  ĂȘtre  influencĂ©s  par 
les  spectateurs.  Maurice  n'ayant  de  respect  que  «  pour  ce  genre  de 
suffrage  universel  ». 

Balandard,  directeur  de  la  troupe,  entre  et  nous  apprend  ce  que  je 
viens  de  dire  :  le  personnage  à  la  fois  gourmé  et  sympathique  ajoute  : 
«  On  va  s'amuser.  » 

Oh!  Balandard!  sa  redingote,  son  gilet  blanc  impeccable,  son 
immense  chapeau  qui  le  couvre  ou  qu'il  tient  Ă   la  main  avec  tant  de 
dignité  !  C'est  George  Sand  qui  est  son  tailleur,  et  il  s'en  vante  à  tout 
propos. 

Dans  la  crainte  que  nous  ne  sachions  pas  lire  les  affiches,  Balandard 
est  venu  nous  répéter  le  titre  de  la  piÚce.  «  Je  compte,  ajoute-t-il, 
que  vous  m'honorerez  de  votre  indulgence  ;  je  vous  la  rends.  » 

—  Ban  tan  plan  !  rĂ©pond  Plauchut  qui  continuerait  si  un  vigoureux  : 
«  Silence  dans  les  rangs  tan  plan  !  »  ne  l'arrĂȘtait. 

La  piĂšce  commence.  Elle  est  abracadabrante.  Les  spectateurs 
demandent  des  explications.  On  dénonce  les  traßtrises  à  la  victime 
menacée.  Le  public  s'impatiente  de  ses  propres  interruptions  et  s'em- 
porte. Maurice  répond  à  qui  l'interroge,  réenchaßne  l'action,  impro- 
vise, fait  tĂȘte  Ă   tous  les  imprĂ©vus. 

Est-ce  la  merveille  des  physionomies  des  marionnettes,  taillées  et 
peintes  presque  toutes  par  Maurice?  Est-ce  l'art  avec  lequel  il  les  fait 
mouvoir,  les  met  en  lumiÚre?  Sont-ce  leurs  gestes  stupéfiants  de  réa- 
lité, la  promptitude  qu'elles  mettent  à  aller,  à  venir,  à  entrer,  à  sortir, 


538  GEORGE  SAND 

à  rentrer,  est-ce  la  merveilleuse  réalité  avec  laquelle  elles  sont  habillées 
dans  le  plus  petit  détail  par  Mme  Sand,  est-ce  le  tout?  Mais  ces  poupées 
parlantes  auxquelles  on  s'adresse,  qui  vous  répondent,  prennent  à  tel 
point  les  apparences  de  la  vie  qu'au  bout  d'un  temps  trĂšs  court  on  les 
croit  réelles. 

Les  «  habitués  »  du  théùtre  qui  connaissent  les  personnages  pour 
ainsi  dire  en  dehors  de  leurs  rĂŽles  ou  dans  l'ensemble  de  ces  rĂŽles,  dans 
leur  caractĂšre  que  Maurice  respecte,  dans  leur  genre,  car  ils  ont  chacun 
leur  emploi  déterminé  et  ne  jouent  jamais  un  rÎle  en  désaccord  avec 
leur  talent,  avec-  leur  moralité  ou  leurs  vices  ;  les  habitués,  dis-je, 
accordent  déjà  une  part  de  vie  à  ces  personnages  dÚs  qu'ils  appa- 
raissent. Chacun  a  ses  préférences,  voire  ses  faiblesses  pour  tel  ou  tel. 
On  sait  que  Plauchut  ne  peut  voir  Mlle  Olympia  Nantouillet  sans  un 
plaisir  qu'il  manifeste.  Lina  chérit  Balandard.  Mme  Sand  a  un  goût 
marquĂ©  pour  le  doge  de  Venise  et  Gaspardo,  le  meilleur  pĂȘcheur  de 
l'Adriatique.  Planet  courtise  Mlle  Ida.  Pour  moi,  un  choix  s'impose. 
Coq-en-Bois  n'a  jamais  aimé  personne.  Il  dédaigne  le  sexe  et  lui  manque 
souvent  de  respect.  Nous  avons  le  coup  de  foudre  l'un  pour  l'autre.  Je 
lui  fais  une  déclaration  publique,  il  y  répond. 

—  Comment,  toi,  Coq-en-Bois,  jusqu'ici  fidùle  à  ton  nom,  toi  aussi, 
malheureux,  te  voilà  pincé  !  s'écrie  Lina. 

Et  Coq-en-Bois,  aprÚs  une  déclaration  brûlante,  m'invite  à  souper 
«  à  nous  deux  »  chez  Brébant,  en  cabinet  particulier. 

Adam  proteste  et  s'écrie  :  «  Ah  !  non,  par  exemple  !  » 

Nous  éclatons  de  rire.  Mme  Sand,  ravie,  déclare  qu'Adam  s'est  laissé 
prendre,  que  c'est  l'un  des  plus  grands  succĂšs  de  Maurice. 

Plus  tard,  Ă   souper,  la  piĂšce  finie  au  milieu  de  bravos,  de  rappels, 
Mme  Sand  interroge  Ă   nouveau  Adam  sur  son  interruption. 

—  Je  n'ai  pas  cm  Coq-en-Bois  vraiment  en  vrai,  nous  dit-il,  mais 
pourtant  sa  déclaration  et  sa  proposition  m'ont  em...nuyé  ! 

Le  lendemain  nous  visitons  le  théùtre,  les  costumes  d'une  vérité 
infinie  auxquels  Mme  Sand  travaille  depuis  plus  de  vingt  ans.  Elle  est 
une  costumiĂšre,  une  habilleuse  incomparable. 

Les  marionnettes  n'ont  pas  un  mĂštre  de  hauteur,  Edouard  Cadol 
et  EugÚne  Lambert  ont  seuls  aidé  Maurice  ;  le  premier  à  les  sculpter, 
le  second  Ă   les  peindre.  Leur  visage,  leur  buste  (1),  leurs  bras,  sont 
garnis  de  peau,  les  femmes  peuvent  ĂȘtre,  dĂ©colletĂ©es  et  les  hommes 
lutter  à  demi  nus.  Elles  ont  des  cuirasses  en  carton  de  façon  à  ce 
qu'elles  se  tiennent  ferme,  tantÎt  assises,  tantÎt  posées  sur  des  supports. 


(1)  On  sait  par  le  livre  de  M.  Plauchut  que  les  «  dames  »  de  la  troupe,  grùce 
Ă   des  «  toupies  ->  placĂ©es  sous  la  peau  qui  couvrait  leur  buste  pouvaient  mĂȘme 
charmer  les  spectateurs  par  un  décolletage...  assez  décent. 


GEORGE   SAND  539 

Ces  supports  trĂšs  curieux  sont  des  tiges  de  fer  avec  un  bouchon  au 
bout,  ce  qui  fait  que  la  moindre  chiquenaude  de  Maurice  les  agite  et 
que  lorsqu'il  y  a  un  grand  nombre  de  personnages  en  scĂšne  tous  ont 
l'air  d'écouter  et  de  tressaillir  au  besoin  à  un  récit. 

Dans  certaines  piĂšces  militaires,  Maurice  met  en  ligne  avec  un  art 
de  perspective  inimaginable,  des  milliers  d'hommes  qui  manƓuvrent. 
Quant  à  la  pluie,  à  l'orage,  c'est  à  s'y  méprendre,  et  la  réalité  en  est 
complĂšte,  il  tonne,  des  Ă©clairs  sillonnent  la  scĂšne,  l'eau  tombe. 

Ces  centaines  de  marionnettes,  on  voudrait  les  nommer  toutes,  car 
toutes,  à  un  moment,  on  les  a  aimées  ou  détestées.  H  y  a  des  traditions 
pour  plusieurs.  Ainsi  les  entrées  en  scÚne  du  facteur  sont  toujours  déso- 
pilantes. Dans  les  moments  les  plus  dramatiques,  il  raconte  ses  peines 
de  cƓur.  Et  Bassinet,  le  garde  champĂȘtre  !  Et  Purpurin,  et  le  comte 
des  Andouilliers  et  Mlle  Eloa  !  Et  Chalumeau,  et  Friturin  :  quelle  pléiade 
de  comiques  !  Et  la  comédie  italienne  au  complet,  et  Bamboula,  la 
négresse,  Bosalie,  la  femme  de  chambre  qu'on  retrouve  sans  cesse,  le 
colonel  Vertébral,  la  comtesse  de  Bombricoulant.  J'en  oublie  la  moitié  ; 
qu'ellesme  pardonnent  !  Les  trucs  du  théùtre  des  marionnettes  de  Mau- 
rice Sand  ont  étonné  tous  les  directeurs  des  plus  grandes  scÚnes  de  Paris. 

Tous  les  hivers,  ou  plutĂŽt  au  commencement  du  printemps, 
Mme  Sand  allait  à  Paris  pour  voir  ses  amis  aux  célÚbres  dßners 
Magny  ou  pour  placer  une  piĂšce  nouvelle.  On  trouve  dans  le 
Journal  des  Goncourt  ainsi  que  dans  le  livre  de  Mme  Adam  pas 
mal  de  croquis  pleins  de  coloris,  dépeignant  l'apparition  de 
Mma  Sand  à  ces  dßners,  sa  sauvagerie  et  son  air  dépaysé  au  milieu 
de  tous  ces  Ă©crivains  naturalistes  et  gens  de  lettres  par  excel- 
lence (1),  ses  idées  et  ses  discours  ressemblant  si  peu  à  ce  qui 
s'y  disait,  lorsqu'elle  ouvrait  la  bouche,  et  son  silence  au  milieu 
d'eux,  le  plus  souvent.  Us  notent  mĂȘme  ses  toilettes  :  un  jour 
Mme  Sand  apparut  au  dĂźner  Magny  en  robe  «  fleurs  de  pĂȘcher,  une 
toilette,  je  crois  bien,  tout  en  V honneur  de  Flaubert  »,  comme  le 
remarquent  les  Goncourt  avec  malice  (2). 

Presque  tous  les  ans  Mme  Sand  entreprenait  quelque  petit 
voyage.  C'est  ainsi  qu'en  1866  elle  alla,  comme  nous  l'avons  vu, 
«  courir  avec  ses  enfants  »  en  Bretagne,  pour  peindre  sur  nature 
des   esquisses    pour   Cadio.   Avant   cette   excursion   et   aprĂšs, 

(1)  Voir  surtout  la  page  21  du  troisiĂšme  volume  du  Journal  des  Concourt. 

(2)  Journal  des  Goncourt,  t.  III,  p.  51,  21  mai  1866. 


540  GEORGE  SAND 

Mme  Sand  alla  par  deux  fois  en  Normandie,  Ă   Croisset,  chez 
Flaubert  qui  désirait  lire  à  sa  «  chÚre  maßtre  »  quelques  cha- 
pitres nouveaux  de  son  SaM  Antoine-,  et  chez  les  Lambert  et  les 
Dumas  à  Saint- Valéry. 

C'est  au  commencement  de  1868  que  Mme  Sand  séjourna 
quelques  semaines  avec  Maurice,  Plauchut  et  Maxime  Planet  au 
Golfe  Juan  chez  Mme  Adam.  Lorsque  Mme  Sand  se  disposait  Ă  
partir  pour  BruyÚres,  elle  mit  une  «  condition  »  à  Mme  Adam  : 
c'était  de  n'y  rencontrer  ni  Solange,  ni  Mérimée.  Mérimée  qui 
vivait  à  proximité  et  venait  souvent  aux  BruyÚres,  dÚs  qu'il  sut 
que  George  Sand  allait  venir,  pria  avec  beaucoup  de  tact 
Mme  Adam  de  le  prévenir,  afin  de  se  tenir  à  distance.  Quant  à 
Solange,  Mme  Sand  avait,  à  cette  époque,  refusé  de  voir  et  de 
recevoir  sa  fille.  Voici  ce  que  Mme  Maurice  Sand  nous  avait  dit 
Ă   ce  propos  : 

«  Lorsque  je  n'étais  pas  encore  mariée,  je  voyais  quelquefois 
Solange,  parce  que  mon  pĂšre  la  connaissait  dĂšs  son  enfance. 
Mais  quand  j'ai  épousé  Maurice,  Mme  Sand  me  dit  :  «  Mon 
enfant,  tu  ne  dois  pas  la  voir,  parce  que  si  elle  vient  chez  toi, 
cela  voudra  dire  qu'elle  nous  fĂąchera  tous  les  uns  contre  les 
autres,  c'est  ainsi  qu'elle  est.  »  Je  ne  la  voyais  donc  pas,  d'au- 
tant plus  que  Maurice  me  l'avait  défendu  (1).  Il  ne  la  voyait 
pas  alors,  non  plus.  On  ne  se  vit  qu'en  1870,  au  moment  de  la 
guerre...  »  Et  lorsque  la  jeune  Mme  Lina  avait  prié  Mme  Sand 
de  recevoir  Solange,  disant  qu'elle  avait  peut-ĂȘtre  changĂ©  en 
mieux  et  n'Ă©tait  peut-ĂȘtre  «  pas  si  mauvaise  »  qu'on  le  croyait, 
George  Sand  refusa  longtemps  d'acquiescer  Ă   cette  priĂšre,  disant  : 
«  Prends  garde,  il  n'en  résultera  rien  de  bon,  mais  sûrement 
beaucoup  d'ennuis...  » 

AprĂšs  la  mort  de  Mme  Emilie  Chatiron,  Solange  acheta  Ă   sa 


(1)  Mine  Lina  ignorait  Ă   cette  Ă©poque  que  son  mari  voulait  la  tenir  Ă   dis- 
tance de  sa  sƓur,  Ă   cause  des  principes  immoraux  de  cette  derniĂšre,  et  mĂȘme 
plus  tard,  en  1873,  lorsque  Mnie  Lina  Sand  avait  fait  un  court  séjour  à  Paris, 
George  Sand  lui  avait  Ă©crit  le  19  janvier  :  i  VoilĂ   Sol  aprĂšs  Plauchut  qui  ne 
saura  pas  dire  que  tu  n'es  pas  Ă   Paris,  et  alors  elle  se  mettra  aprĂšs  toi.  Ne  te 
laisse  pas  envahir  ni  ennuyer.  D'autant  plus  que  toutes  ses  tendre  - 
servent  qu'à  mieux  nous  cracher  au  visage  plus  tard.  » 


GEORGE   SAND  541 

fille,  Mme  Simonnet,  Montgivray  et  s'y  installa  à  proximité  de 
Nohant.  Ce  voisinage  inquiéta  beaucoup  Mme  Sand.  Effective- 
ment, Solange  apparaissait  de  temps  en  temps  Ă   Nohant  et 
chacune  de  ces  «  apparitions  »  était  signalée  par  quelque  ennui. 
Elle  critiquait  tout  ce  qui  se  faisait  Ă   Nohant,  trouvait  mauvais 
tout  ce  que  faisait  sa  mĂšre  :  tout  le  monde  Ă©tait  sur  le  qui-vive 
quand  elle  était  là.  Les  années  suivantes  elle  prit  l'habitude 
de  venir  de  grand  matin,  elle  passait  par  l'entrée  de  service  et 
s'introduisait  auprĂšs  de  sa  mĂšre  endormie,  lui  disant  plus  tard  : 
«  Ah  !  maman,  tu  es  bien  mal  gardée,  je  suis  venue  t'embrasser, 
mais  on  aurait  pu  t'assassiner  que  tu  ne  l'aurais  pas  entendu.  » 
Mme  Sand  avait  en  effet  un  sommeil  trĂšs  durt  Ces  propos  lui 
étaient  trÚs  désagréables.  De  plus,  elle  était  trÚs  confiante,  ne 
cachait  rien,  et  Solange,  en  entrant  chez  elle,  lisait  ce  qu'il  y  avait 
sur  la  table.  Les  domestiques  laissaient  passer  Mme  Clésinger, 
comment  ne  pas  laisser  passer  la  fille  de  la  maison  qui  vient 
embrasser  sa  mĂšre?  1  Et  comment  dire  aux  servantes  de  ne 
pas  la  laisser  entrer?  Mme  Sand  était  trÚs  mécontente,  et  d'autre 
part  c'était  trÚs  désagréable  pour  Maurice  et  pour  Lina.  Afin 
de  remédier  à  cela,  la  petite  Aurore  se  levait  de  trÚs  grand 
matin,  s'asseyait  prĂšs  de  la  porte  de  sa  bonne  mĂšre  et  ne  lais- 
sait entrer  personne  chez  elle,  pas  mĂȘme  Solange,  malgrĂ©  toutes 
ses  instances... 

En  1868,  George  Sand  avait  donc  refusé  de  voir  sa  fille. 
Mme  Adam  ne  la  frĂ©quentait  pas,  mais  au  moment  oĂč  Mme  Sand 
allait  arriver  aux  BruyÚres,  Solange  vint  à  Cannes  «  en  bonne 
fortune  »,  c'est-à-dire  accompagnée  d'un  monsieur  qui  la  «  pro- 
menait ».  Mme  Adam  s'empressa  de  tranquilliser  Mme  Sand. 

Pour  Solange,  je  l'ai  en  sainte  horreur,  car  c'est  elle  qui  répand  le 
plus  d/3  calomnies  sur  vous  et  qui  se  plaßt  avec  un  art  de  méchanceté 
inouïe,  à  les  faire  rebondir  quand  elles  sont  lancées.  Pour  Mérimée  je 
sais  qu'il  vous  Ă©vitera  avec  plus  de  soin  que  vous  n'en  mettrez  Ă   l'Ă©viter. 

Mais  Solange  s'empressa  de  déclarer  à  l'un  des  amis  de 
Mme  Adam  qu'elle  saurait  bien  empĂȘcher  sa  mĂšre  de  venir  chez 
Mme  Adam,  Mme  Sand  refusant  de  la  voir  depuis  une  année,  il 


542  GEORGE   S  AND 

lui  Ă©tait  impossible  d'admettre  qu'elle  lui  infligeĂąt  ici  cette 
humiliation. 

Mme  Sand,  ajoute  Mme  Adam,  aprĂšs  avoir  transcrit  ces  mots, 
m'avait  parlé  plus  d'une  fois  de  sa  fille.  Elle  souffrait  cruellement  de 
sa  conduite.  Le  pire  est  que  des  questions  d'argent  Ă©taient  parfois 
mĂȘlĂ©es  Ă   ses  liaisons.  Mme  Sand  qui  Ă©tait  rien  moins  que  riche,  ayant 
toujours  tout  donné  et  si  peu  gardé,  lui  faisait  une  rente  de  6  000  francs 
pour  qu'elle  n'ait  pas  le  prétexte  de  la  pauvreté  pour  commettre  cer- 
tains actes.  J'ai  plusieurs  fois  rencontré  Mme  Clésinger.  Elle  est  grande, 
trĂšs  belle  personne,  avec  des  traits  masculins  ;  elle  ne  peut  passer  ina- 
perçue tant  elle  frappe  par  quelque  chose  de  personnel,  d'original,  de 
particulier.  Elle  a  beaucoup  d'esprit,  trop  cru,  dit-on.  L'intelligence 
Ă©clate  dans  sa  physionomie  et  la  hardiesse  dans  ses  yeux...  AprĂšs  sa 
séparation,  Solange,  qui  n'avait  jamais  été  bonne,  était  devenue  mau- 
vaise. 

Chaque  fois  qu'elle  arrivait  Ă   Xohant,  me  disait  Mme  Sand,  il  ne  lui 
fallait  pas  huit  jours  pour  nous  rendre  Ă   tous  la  vie  impossible.  Elle 
entre-croisait  de  façon  si  perfide  et  si  habile  ses  dénonciations  de  chacun 
à  chacun  que  l'on  finissait  par  se  détester  sans  pouvoir  en  trouver  une 
raison  majeure.  Jusqu'aux  coqs  devenaient  plus  batailleurs,  jusqu'aux 
chiens  étaient  plus  hargneux  durant  le  séjour  de  Solange... 

Cela  fait  que  le  12  janvier  1868  George  Sand  Ă©crivit  Ă   Mme  Adam 
qu'outre  le  grand  froid  et  le  désir  de  ne  point  abandonner  seule 
h  Nohant  sa  Lina  (qui  attendait  alors  la  venue  de  son  troi- 
siÚme (1)  enfant,  Gabrielle),  il  y  avait  encore  une  raison  spéciale 
qui  retardait  le  voyage  aux  BruyĂšres  : 

«  ...H  y  a  quelqu'un  à  Cannes  (une  personne  qui  me  touche  de  prÚs) 
et  prĂšs  de  qui  je  n'aime  pas  Ă   me  trouver  en  province.  Vous  me  com- 
prenez. J'attends  donc  qu'elle  parte,  que  chez  moi  on  se  porte  bien  et 
que  moi-mĂȘme  je  sois  en  Ă©tat  de  partir  sans  maux  d'entrailles,  chose 
trÚs  grave  pour  moi.  Tout  cela  n'est  pas  ma  faute  et  mon  désir  d'aller 
Ă   vous  n'est  pas  moins  vif,  au  contraire.  J'irai,  mais  fixer  le  jour  est 
encore  impossible.  J'ai  fort  Ă   faire  Ă   Paris  et  je  ne  puis  m'y  rendre... 

...La  personne  dont  je  vous  parlais  m'a  Ă©crit  pis  que  pendre  sur  votre 
climat,  sur  votre  habitation  perchée  dans  les  airs,  etc..  N'allez  pas 
croire  que  je  me  soucie  de  cela.  S'il  fait  froid  aussi  dans  le  Midi  —  et  je 

(1)  Mme  Adam  par  erreur  dit  dans  son  livre  que  c'était  le  «  second  »  enfant 
de  Maurice  et  Lina  ;  elle  oublie  sans  doute  le  petit  Marc-Antoine. 


GEORGE   SAND  543 

m'y  suis  toujours  attendue  —  je  m'en  moquerai  bien  quand  je  me 
porterai  bien...  » 

Mme  Sand  va  enfin  venir.  Elle  me  prie  de  m'informer  de  la  personne 
qui  accompagne  Mme  Clésinger.  Je  lui  écris  que  c'est  le  prince  X...  qui 
la  «  promÚne  ».  Et  elle  me  répond  : 

«  Justement  le  promeneur  actuel  de  cette  dame  est  le  plus  grand  fou 
et  le  plus  grand  sot  qui  existe,  malgré  beaucoup  d'esprit,  de  talent  et 
de  bonté...  En  outre  il  n'a  aucune  idée  des  convenances  morales  quel- 
conques et  ne  manquerait  pas  de  venir  me  parier  comme  si  de  rien 
n'Ă©tait.  Il  faut  absolument  qu'ils  soient  partis  pour  que  je  parte.  Mes 
paquets  sont  toujours  lĂ   qui  me  regardent  d'un  air  d'impatience. 
Avertissez-moi,  chĂšre  enfant,  dĂšs  que  ces  voyageurs  seront  en  route. 
Je  vous  aime  et  je  vous  embrasse  tous  les  trois...  » 

Je  confesse  que  j'aurais  volontiers  envoyé  au  diable  Solange  et  son 
«  promeneur  ». 

Enfin  la  difficulté  fut  levée  :  Lina  Sand,  malgré  sa  grossesse 
avancée,  insista  pour  que  Maurice  accompagnùt  sa  mÚre.  Mau- 
rice «  au  besoin  saurait  empĂȘcher  les  persĂ©cutions  et  les  bra- 
vades ».  Et  puis  il  se  trouva  que  «  le  monsieur  »  n'était  pas  celui 
qu'on  pensait  »,  disait  George  Sand  dans  sa  lettre  du  7  février  1868. 

C'est  ainsi  que  vers  la  mi-février  George  Sand  put  se  rendre 
aux  BruyĂšres,  avec  Maurice  et  Maxime  Planet.  Plauchut,  qui 
séjournait  chez  son  frÚre  à  Nice,  les  rejoignit  chez  Mme  Adam. 

On  lit  avec  un  plaisir  extrĂȘme  la  description  de  ce  sĂ©jour  de 
George  Sand  au  Golfe  Juan  dans  le  livre  de  Mme  Adam  :  Mes 
sentiments  et  nos  idées  avant  1870,  dont  nous  avons  cité  tant  de 
belles  pages.  On  y  apprend  non  seulement  tout  l'historique  des 
relations  entre  les  deux  femmes  illustres,  on  y  lit  encore  une 
quantité  de  lettres  inédites  de  George  Sand  des  plus  curieuses, 
des  résumés  presque  sténographiques  des  causeries  entre  George 
Sand  et  Juliette  Adam  ou  Juilliette  des  BruyĂšres,  soit  chez  elle, 
soit  à  Nohant,  durant  les  séjours  qu'elle  et  sa  famille  y  firent 
en  1868,  69  et  70.  On  y  trouve  aussi  de  magnifiques  pages  Ă©mues 
et  profondément  senties,  caractérisant  George  Sand  comme  écri- 
vain et  comme  femme,  «  bienfaitrice  et  bienfaisante  »  par  ses 
idées,  ses  tendances,  aspirant  toujours  à  s'élever  plus  haut  et 
à  aider  les  autres  à  acquérir  une  plus  haute  conception  de  la  vie. 
Enfin  on  lit  dans  ce  livre  charmant  le  récit  d'un  voyage  que 


544  GEORGE   SAND 

M.  et  Mme  Adam  et  Mlle  Alice  Lamessine  firent  avec  Mme  Sand 
et  Plauclmt  dans  les  Ardennes,  Ă   la  frontiĂšre  belge,  oĂč  ils  visi- 
tÚrent les  célÚbres  grottes  de  Han,  le  champ  de  Waterloo  et  les 
Dames  de  Meuse.  George  Sand  plaça  dans  ce  pays  l'action  de  son 
roman  M alg rétout. 

Puis,  Mme  Sand  revisita  encore  une  fois  l'Auvergne  et  la  Savoie, 
toujours  en  vue  de  chercher  un  cadre  pour  ses  nouveaux  romaûs. 
En  1872  elle  alla  à  Cabourg  afin  «  d'y  plonger  »  un  reste  de  coque- 
luche dont  ses  petites-filles  et  elle-mĂȘme  avaient  Ă©tĂ©  atteintes 
cet  été. 

Nous  avons  déjà  dit  (voir  notre  volume  Ier)  que  ces  paysages, 
ces  montagnes,  ces  vallées  et  ces  hameaux  consciemment  «  pris 
sur  nature  »  tout  à  fait  comme  par  un  adepte  de  l'école  natura- 
liste ne  produisent  jamais  l'impression  ineffaçable  laissée  par 
les  descriptions  du  Berry  ou  de  Venise,  qui  s'étaient  imprégnées 
inconseiemmmt  dans  le  souvenir  de  la  grande  romanciĂšre. 

La  vie  paisible  Ă   Nouant,  vouĂ©e  exclusivement  aux  intĂ©rĂȘts 
scientifiques  et  artistiques,  fut  brusquement  interrompue  par 
la  guerre  de  1870  et  les  horreurs  de  la  Commune  et  de  sa  répres- 
sion. 

Mme  Sand  accueillit  l'ouverture  des  premiÚres  hostilités  avec 
un  sentiment  de  révolte  et  de  profonde  indignation. 

Je  trouve  cette  guerre  infĂąme,  —  Ă©crit-elle  le  26  juillet  Ă   Flaubert, 
—  cette  Marseillaise  autorisĂ©e,  un  sacrilĂšge.  Les  hommes  sont  des 
brutes  féroces  et  vaniteuses  ;  nous  sommes  dans  le  deux  fois  moins  de 
Pascal  ;  quand  viendra  le  plus  que  jamais?  (1). 

Nous  avons  ici  40  et  45  degrés  de  chaleur  à  l'ombre.  On  incendie  les 
forĂȘts  :  autre  stupiditĂ©  barbare  !  Les  loups  viennent  se  promener  dans 
notre  cour,  oĂč  nous  les  chassons  la  nuit,  Maurice  avec  un  revolver,  moi 
avec  une  lanterne.  Les  arbres  quittent  leurs  feuilles  et  peut-ĂȘtre  la  vie. 
L'eau  à  boire  va  nous  manquer  ;  les  récoltes  sont  à  peu  prÚs  nulles,  mais 
nous  avons  la  guerre,  quelle  chance!  L'agriculture  périt,  la  famine 
menace,  la  misĂšre  couve  en  attendant  qu'elle  se  change  en  Jacquerie  ; 
mais  nous  battrons  les  Prussiens.  Malborough  s'en  va-t-en  guerre  ! 

(1)  Mme  Sand  adorait  ces  ligues  de  Pascal  :  «  La  nature  agit  par  progrÚs 
itus  et  redilus...  Elle  passe  et  revient,  puis  va  plus  loin,  puis  deux  fois  moins, 
puis  plus  que  jamais...  »  Elle  avait  copié  et  collé  cette  phrase  sur  son  bureau 
de  travail  Ă   Nohant.  Ce  bureau  appartient  maintenant  Ă   M.  Henri  Amie. 


GEORGE   SAND  545 

Tu  disais  avec  raison  que,  pour  travailler,  il  fallait  une  certaine  allé- 
gresse ;  oĂč  la  trouver  par  ce  temps  maudit?  Heureusement,  nous  n'avons 
personne  de  malade  Ă   la  maison.  Quand  je  vois  Maurice  et  Lina  agir, 
Aurore  et  Gabrielle  jouer,  je  n'ose  pas  me  plaindre,  de  crainte  de 
perdre  tout. 

Je  t'aime,  mon  cher  vieux,  nous  t'aimons  tous... 

C'est  absolument  la  mĂȘme  indignation  douloureuse,  le  mĂȘme 
regret  de  voir  deux  peuples  chrétiens  piétiner  toutes  les  lois 
humaines  et  divines,  qui  se  laissent  voir  dans  les  notes  de  George 
Sand  journellement  jetées  sur  le  papier  du  15  septembre  1870  au 
10  février  1871,  tantÎt  une  page,  tantÎt  rien  que  quelques  lignes  ; 
elles  furent  imprimées  en  1871  dans  la  Revue  des  Deux  Mondes, 
puis  en  volume  sous  le  titre  de  Journal  d'un  voyageur  pendant  la 
guerre.  George  Sand  Ă©crivit  ce  journal  tant  Ă   Nohant  qu'Ă   La 
ChĂątre  et  Ă   Boussac  oĂč  elle  avait  emmenĂ©  sa  petite  famille,  une 
épidémie  de  petite  vérole  noire  ayant  éclaté  alors  à  Nohant, 
comme  en  beaucoup  d'autres  endroits  de  France. 

H  est  trĂšs  curieux  de  confronter  la  premiĂšre  partie  de  ce 
Journal  avec  le  roman  de  Nanon  paru  en  1872.  H  est  trĂšs  pro- 
bable que  Nanon,  ébauchée  en  1868  et  dont  l'action  se  passe  à 
la  mĂȘme  Ă©poque  que  celle  de  Cadio,  prit  sa  forme  dĂ©finitive, 
sous  l'influence  des  observations  faites,  en  1870.  On  y  retrouve 
le  reflet  de  la  guerre  aux  Allemands,  projeté  sur  le  paisible  Berry 
éloigné  des  hostilités.  Car  nous  voyons  dans  Nanon,  à  rencontre 
de  ce  qui  se  passe  dans  Cadio,  comment  dans  un  coin  du  Berry 
éloigné  du  théùtre  de  la  guerre  (guerre  civile  ici),  les  événements 
agissent  indirectement  sur  la  vie  de  la  population,  comme  s'ils 
ne  l'effleuraient  que  légÚrement  de  leurs  ailes  noires,  sans  changer 
le  cours  paisible  de  l'existence  laborieuse  de  ces  humbles  et  simples 
gens.  Et  cependant  ces  grands  cataclysmes  sociaux  ont  leur  contre- 
coup dans  la  conscience  et  la  raison  des  personnes  demeurées 
tout  Ă   fait  Ă   l'Ă©cart  de  toute  politique,  de  toute  participation  Ă  
la  vie  publique. 

C'est  cette  mĂȘme  idĂ©e  qui  dicta  Ă   George  Sand  le  dĂ©but  de 
son  Journal  d'un  voyageur  pendant  la  guerre.  Elle  envisage  les 
événements  qui  viennent  d'éclater,   trÚs  impartialement,  elle 

,v-  35 


546  GEORGE   SAND 

s'indigne  de  voir  d'eux  peuples  civilisés,  laborieux,  -vivant  pai- 
siblement cĂŽte  Ă   cĂŽte,  se  ruer  soudain  l'un  contre  l'autre  comme 
deux  bĂȘtes  fĂ©roces,  parce  que  la  volontĂ©  de  leurs  gouvernements, 
la  politique  personnelle  de  leurs  chefs,  les  intrigues  diplomatiques 
auxquelles  ils  restent  Ă©trangers  Font  voulu  ainsi.  Puis  le  cours 
des  événements  empoigne  l'écrivain,  son  ton  devient  d'abord 
patriotique,  puis  chauvin  et  ses  articles  prennent  un  caractĂšre 
belliqueux  propre  aux  Ă©crivains  de  tous  les  pays  et  de  tout  peuple- 
en  temps  de  guerre,  et  surtout  de  guerre  malheureuse  ! 

La  voix  indignée  de  George  Sand  fut  entendue  non  seulement 
de  ses  compatriotes,  mais  aussi  des  ennemis  de  la  France,  et, 
en  1871,  en  réponse  à  ses  lignes  dénonçant  certaines  actions  des 
Prussiens,  il  parut  à  Mayence  une  brochure  allemande  intitulée  : 
Franzosische  Stossseufzer  und  deutsche  Reftexionen.  Eine  Aniwort 
an  Qeorge  Sand  Aurora  Dudevant.  (Soupirs  français  et  réflexions 
allemandes.  Une  réponse  à  George  Sand,  Aurore  Dudevant.) 
L'auteur,  M.  Ferdinand  Haas,  y  soumettait  Ă   une  rude  critique, 
quelquefois  assez  bien  fondée,  mais  le  plus  souvent  tout  aussi 
chauvine,  et  en  tout  cas  trĂšs  dĂ©sobligeante  comme  ton,  —  cĂŽtoyant 
l'indĂ©cent  et  le  comique,  —  les  idĂ©es  et  les  sentiments  que  George 
Sand  Ă©mettait  dans  son  Journal. 

Nous  ne  nous  arrĂȘterons  point  sur  ces  articles  de  la  grande 
femme,  ils  portent  trop  l'empreinte  de  leur  Ă©poque,  ce  qui  rend 
leur  signification  temporaire  (1).  La  seconde  partie,  Ă©crite  aprĂšs 
la  guerre  de  Prusse  et  la  guerre  civile,  présente  une  bien  autre 
valeur.  Toutes  les  péripéties  de  la  guerre  des  partis,  toutes  les 
teintes  des  opinions  politiques  se  reflĂštent  dans  ces  derniers 
chapitres  du  Journal  d'un  voyageur,  ainsi  que  dans  les  Impres- 
sions et  souvenirs  qui  lui  font  suite. 

L'invasion  Ă©trangĂšre  de  1870  inspira  encore  une  Ɠuvre  Ă  
George  Sand.  C'est  son  roman  Francia  dont  l'action  se  passe 
lors  de  l'invasion  des  «  alliés  »  en  1815.  On  y  voit  apparaßtre  une 
espÚce  de  général  russe  caricaturé  de  la  façon  la  plus  singuliÚre,. 

(1)  Ces  lignes  huent  Ă©crites  avant,  1914.  En  relisant  ces  articles  de  George 
Sand  au  moment  de  la  grande  guerre,  elles  nous  produisirent  une  toute 
autre  hnpressioni 


GEORGE   SAND  547 

—  quelque  chose  entre  le  «  russe,  mangeur  de  chandelles  »  si 
rĂ©pandu  dans  les  feuilletons  d'il  y  a  un  siĂšcle,  —  et  le  a  gĂ©nĂ©ral 
Dourakine  »  de  la  «  BibliothÚque  rose  ».  Comment  George  Sand, 
amie  de  Louis  Viardot,  qui  non  seulement  voyagea  en  Russie, 
mais  encore  traduisit  si  bien  Gogol  et  Pouschkine,  l'amie  de 
Charles  Rollinat,  le  traducteur  de  Tolstoï  et  Tourguéniew,  enfin 
l'amie  de  TourguĂ©niew  lui-mĂȘme,  qui  vint  plusieurs  fois  Ă   Nohant 
et  dont  Mme  Sand  admirait  tant  les  RĂ©cits  d'un  chasseur,  la 
Nichée  de  gentilshommes,  la  Fumée,  Roudine  (1),  PÚres  et 
enfants  etc.,  etc.,  comment  George  Sand  put-elle  peindre  cet 
incroyable  général  Ogokskoï  (le  nom  à  lui  seul  fait  rire  de 
pitiĂ©  tout  vrai  Russe  !)  vĂ©ritable  enluminure  d'Épinal  !  — 
l'oncle  du  prince  Diomyde  Diomyditch  Moursakine  (nous  le 
disions,  cela  devait  rimer  Ă   Dourakine  !)  non  moins  gro- 
tesque, et  pour  comble  appelé  au  cours  du  roman  Diomyditch 
tout  court  1  Nous  ne  disons  pas  cela  par  chauvinisme  ou  patrio- 
tisme mal  entendu,  mais  pour  constater  que  George  Sand  avait, 
en  cette  occasion,  fait  preuve  de  cette  mĂȘme  incapacitĂ©  que  par- 
fois les  auteurs  Ă©prouvent  Ă   rendre  d'une  maniĂšre  vraie  des 
types  Ă©trangers.  C'est  pour  cela  que  les  Japonais  s'indignent 
eontre  Pierre  Loti  et  sa  façon  de  peindre  la  vie  et  les  femmes 
japonaises  dans  Madame  ChrysanthĂšme-,  les  Italiens,  contempo- 
rains de  Mme  Sand,  s'étaient  révoltés  de  sa  maniÚre  de  peindre 
les  types  italiens  dans  Daniella.  Les  Russes  ne  feront  que  rire 
en  voyant  comment  George  Sand  avait  portraituré  en  guignols 
grotesques  nos  héros  de  1812-1815. 

(1)  Par  amour  de  la  vérité  nous  devons  toutefois  noter  ici  que  dans  Francia 
nous  trouvons  un  jugement  de  Mme  Sand  sur  Roudine,  prouvant  que  si  elle 
admirait  ce  roman  avec  enthousiasme,  elle  comprenait  fort  mal  le  caractĂšre 
du  héros  de  Tourguéniew.  AprÚs  avoir  écrit  :  «  C'est  un  trait  fort  répandu  parmi 
les  Russes  (!!!)  d'opprimer  les  faibles  et  de  se  prosterner  devant  les  puis- 
sants »  —  [trait,  hĂ©las,  notĂ©  par  Tacite,  Machiavel  et  La  Rochefoucauld,  donc 
un  peu  partout,  ajouterons-nous  !  W.  K  /]  —  George  Sand  fait  cette  singu- 
liÚre1 remarque  :  «  Ivan  Tourguéniew,  qui  connaßt  bien  la  France,  a  créé  en 
maĂźtre  le  personnage  du  Russe  intelligent,  qui  ne  peut  rien  ĂȘtre  en  Russie, 
parce  qu'il  a  la  nature  du  Français.  Relisez  les  derniÚres  pages  de  l'admi- 
rable roman  Dimitri  Roudine...  »  Or,  on  sait  que  dans  Roudine  Tourguéniew 
a  voulu  peindre  un  type  trÚs  répandu  en  tous  pays,  celui  d'un  parleur  ne 
trouvant  nulle  part  de  champs  à  sou  activité,  par  excÚs  de  réflexion  et  par 
manque  de  volonté. 


548  GEORGE   SAND 

Les  Impressions  et  souvenirs  qui  se  publiaient  dans  le  Temps 
du  22  août  1871  au  30  janvier  1875  sous  le  titre  d'Impressions 
et  souvenirs  et  RĂȘves  et  souvenirs,  parurent  plus  tard  sous  le  seul 
titre  d'Impressions  et  souvenirs.  Mais,  d'une  part,  quelques-uns 
de  ces  articles  furent  ensuite  —  on  ne  sait  trop  pourquoi  — 
insérés  dans  le  volume  des  DerniÚres  pages  et  dans  celui  des 
Questions  politiques  et  sociales,  tandis  que  logiquement  et  chro- 
nologiquement ils  ne  devraient  former  qu'une  partie  intégrale 
et  la  conclusion  du  volume,  consacré  aux  événements  politiques 
de  1870-73. 

C'est  ainsi  que  les  articles  écrits  sous  l'impression  du  désastre 
de  Sedan  et  de  la  proclamation  de  la  troisiĂšme  RĂ©publique  : 
Lettre  Ă   un  ami  du  5  septembre  1870  et  Post-scriptum  Ă   cette 
lettre,  du  7  septembre  1870,  un  alléluia  enthousiaste  de  La  voir 
enfin  triompher  et  ressusciter,  aprĂšs  vingt-deux  ans  de  sommeil 
léthargique,  ces  deux  lettres,  disons-nous,  qui  ne  peuvent  faire 
qu'un  avec  le  Journal  d'un  voyageur  pendant  la  guerre,  sont 
réimprimées  dans  le  volume  des  Questions  politiques  et  sociales 
dont  la  plus  grande  partie  se  rapporte  Ă   1848-49  (sauf  deux  ou 
trois  articles  consacrés  aux  événements  de  la  guerre  pour  la 
liberté  italienne  de  1859),  donc  il  n'existe  entre  ces  deux  lettres 
et  la  totalité  du  volume  aucun  lien  chronologique. 

D'autre  part  :  1°  l'article  écrit  en  août  1871  :  A  propos  de  la 
nouvelle  lettre  de  Junius  (Alexandre  Dumas)  à  son  ami  A.  D.,  — 
polémique  contre  les  opinions  de  Dumas  sur  les  événements  de 
1871  —  qui  doit  ĂȘtre  de  tout  point  rapprochĂ©  du  chapitre  iv  des 
Impressions  et  souvenirs,  Ă©crit  Ă   la  mĂȘme  date  d'aoĂ»t  1871  ; 
2°  l'article  sur  Napoléon  III,  écrit  aprÚs  une  excursion  hivernale 
Dans  les  bois,  aprĂšs  la  mort  de  l'empereur,  exposant  le  bilan  de 
toute  l'époque  napoléonienne,  jusqu'à  Sedan  inclusivement  (nous 
en  avons  parlé  au  chapitre  ix)  ;  3°  la  Lettre-Préface,  publiée  en 
1873  dans  le  Rappel  et  rĂ©imprimĂ©e  Ă   la  tĂȘte  du  volume  VOffrande, 
recueil  publié  par  la  Société  des  gens  des  Lettres  en  faveur  des 
Alsaciens-Lorrains  restés  sans  pain  et  sans  abri  aprÚs  la  guerre, 
ces  trois  articles  sont  réimprimés  dans  le  volume  des  DerniÚres 
pages.  Donc,  pour  se  faire  une  idée  complÚte  des  jugements  de 


GEORGE   SAND  549 

George  Sand  sur  les  événements  et  ses  écrits  politiques  en  1870- 
73,  on  doit  consulter  :  le  Journal  d'un  voyageur  pendant  la  guerre, 
les  Impressions  et  souvenirs,  les  DerniĂšres  pages  et  les  Questions 
politiques  et  sociales. 

Enfin,  dans  le  volume  des  Impressions  et  souvenirs,  cinq 
chapitres  seulement  sur  vingt-deux  (les  chapitres  n,  rv,  vu, 
xv  et  xxn  et  le  chapitre  xvi,  ce  dernier  consacré  en  partie 
à  la  question  féministe)  se  rapportent  aux  questions  politiques 
et  sociales  et  aux  années  1870-73,  tandis  que  quatre  chapitres 
(i,  m,  vin  et  xvn)  exposent  la  doctrine  panthéiste  et  les  idées 
religieuses  de  George  Sand  ;  quatre  (les  numéros  vi,  xi,  xn  et  xm) 
sont  consacrés  aux  questions  d'enseignement  et  de  linguistique  ; 
trois  chapitres  (xiv,  xvm  et  xxi)  sont  des  articles  de  critique 
sur  les  livres  de  Victor  Hugo  (1),  de  Mme  Prudence  Saman 
et  les  romans  de  Maurice  Sand  ;  le  chapitre  xix,  dédié  à  Tour- 
guéniew,  présente  une  esquisse  littéraire  sous  forme  de  récit, 
sur  Pierre  Bonnin;  le  chapitre  xx  est  une  réponse  à  une  épßtre 
collective  des  artistes  et  des  Ă©crivains  sur  la  conservation  de  la 
forĂȘt  de  Fontainebleau,  et  enfin  trois  articles  (v  (2),  ix  et  x) 
et  deux  Lettres  Ă   Rollinat,  (racontant  la  maladie  de  Mme  Sand 
en  1860,  ses  rĂȘves,  son  dĂ©lire,  son  sĂ©jour  Ă   Tamaris)  —  sont 
véritablement  des  «  Souvenirs  »,  surtout  les  deux  derniers 
articles.  Par  leur  date,  leur  fond  et  leur  forme  ils  devraient 
prendre  place  parmi  les  Nouvelles  lettres  d'un  voyageur  (tout 
comme  la  Lettre  d'un  voyageur  de  1864  Ă   Manceau,  Ce  que  dit 
le  ruisseau  et  A  propos  des  Charmettes  —  rĂ©cit  d'une  visite  Ă   la 
maison  de  Kousseau  (3).  Et  tandis  que  les  vraies  Nouvelles 
lettres  d'un  voyageur  ne  font  pas  toutes  partie  du  volume  de 
ce  nom,  on  y  a  réimprimé  une  série  de  nécrologies  d'Amis 
disparus  (NĂ©raud  pĂšre,  Gabriel  de  Planet  :  un  article  et  une 
piĂšce  de  vers  en  son  honneur  ;  Carlo  Soliva,  la  traduction  d'un 
sonnet  italien  dédié  à  la  mémoire  de  ce  pianiste  (4)  ;  le  comte 

(1)  L'Année  terrible  (?). 

(2)  Dont  nous  avons  citĂ©  le  premier  —  sur  MicMewicz,  Chopin  et  Delacroix, 
dans  le  chap.  n  de  notre  IIIe  vol. 

(3)  Tous  les  trois  sont  réimprimés  dans  le  volume  Laura. 

(4)  Ce  musicien  était  un  ami  de  Chopin,  il  avait  été  professeur  au  Conser- 


550  GEORGE   SAND 

d'Aure,;  Louis  Maillard;  Ferdinand  Pajot;  Patureau-FraneƓm; 
Mme  Lame  Fleury  morte  au  moment  de  la  guerre  avec  la 
Prusse;  etc.,  etc.),  ainsi  qu'une  série  d'articles  de  critique  sur 
la  Langue  d'oc,  de  préfaces  (aux  livres  de  Maillard),  et  enfin 
plusieurs  articles  datant  d'années  diverses  (la  Foire  de  La  Berfhe- 
noux,  la  Princesse  Anna  Czartoryska,  Utilité  d'une  école  normale 
d'équilaUon,  A  propos  du  choléra  de  1865)  (1)  et  ainsi  de  suite. 

Pour  quelle  raison  tous  ces  articles  et  tous  ces  souvenirs  sont- 
ils  ainsi  dispersés  à  travers  ces  quatre  volumes,  sans  aucun  ordre, 
sans  aucun  lien  logique?  C'est  tout  à  fait  incompréhensible.  Il 
serait  trĂšs  facile  de  classer  toutes  ces  lettres  et  tous  ces  articles 
et  souvenirs  en  quatre  groupes  :  1°  les  articles  de  critique  litté- 
raire et  les  lettres  sur  l'enseignement  trouvent  leur  place  natu- 
relle dans  les  Questions  d'art  et  de  littérature  ;  2°  tout  ce  qui  se 
rapporte  Ă   1870-73  dans  un  deuxiĂšme  volume  soit  de  Questions 
politiques  et  sociales,  soit  du  Journal  d'un  voyageur  pendant  la 
guerre;  3°  toutes  les  Nouvelles  lettres  d'un  voyageur  ainsi  que  les 
numéros  ix  et  x  des  Impressions  et  souvenirs  dans  le  volume  des 
Nouvelles  lettres  d'un  voyageur;  4°  tous  les  Souvenirs  proprement 
dits,  ainsi  que  tous  les  articles  philosophiques  et  toutes  les  nécro- 
logies dans  le  volume  des  Impressions  et  souvenirs. 

Xous  avons  parlé  des  chapitres  des  Impressions  et  souvenirs 
ayant  trait  aux  questions  particuliÚres  ou  spéciales  dans  maints 
endroits  de  nos  trois  premiers  volumes  et  dans  le  volume  pré- 
sent; nous  nous  tournerons  maintenant  vers  les  articles  poli- 
tiques et  les  articles  philosophiques.  Donc  nous  parlerons  des 
chapitres  n,  iv,  vi,  xv,  xxn  pour  analyser  les  idées  politiques 
de  George  Sand  et  des  chapitres  i,  in,  vin,  ix  et  x  pour  con- 
naĂźtre sa  doctrine  religieuse  et  philosophique. 

Les  deux  lettres  politiques  formant  les  numéros  iv  et  vu  des 
Impressions,  dont  l'une  a  pour  sous-titre  :  «  Réponse  à  un  ami  » 
et  l'autre  :  «  Réponse  à  une  amie  »,  s'accordent  parfaitement 

vateire  de  Varsovie,  avait  sĂ©journĂ©  Ă   Saint-PĂ©tersbourg  oĂč  il  avait  eatre 
autres  enseigné  le  piano  à  la  grande-duchesse  Alexandra  Nikolaievna,  et 
avait  Ă©crit  plusieurs  opĂ©ras!  (La  Testa  di  bronza,  Elena  MaliÀne,  «te.) 
(1)  Voir  plus  haut,  chap.  xu. 


GEORGE  SAND  55! 

avec  les  idées  émises  dans  les  derniers  chapitres  du  Journal  d'un 
voyageur  fendant  la  guerre.  Elles  sont,  de  fait,  adressées  la  pre- 
miĂšre Ă   Flaubert,  la  seconde  Ă   Mme  Adam,  mais  toutes  les  deux 
sont  une  réponse  aux  magnifiques  lettres  indignées  de  Flaubert 
des  6  et  8  septembre  et  12  octobre  1871  qu'on  peut  lire  dans  le 
volume  de  la  Correspondance  S  and- Flaubert.  Si  on  lit  ces  lettres 
et  ces  réponses,  on  n'a  qu'à  dire  d'elles  ce  que  les  enfants  disent 
des  gĂąteaux  :  c'est  les  deux  qui  sont  meilleurs.  Ou  plutĂŽt  :  tous 
les  deux  ont  raison.  Oui,  combien  a  raison  Flaubert  dans  son 
indignation,  dans  son  courroux  contre  la  stupidité,  la  lùcheté  de 
la  bourgeoisie,  l'ignorance,  la  grossiÚreté,  la  brutalité  du  peuple 
ret  des  soldats,  contre  l'immense,  la  Jormidable  «  bĂȘtise  univer- 
‱selle  »,  contre  l'influence  «  hĂ©bĂ©tante  »  de  la  presse  «  qui  est  une 
école  d' abrutissement  »  :  elle  «  dispense  de  penser  »  ;  contre  le 
«  pouvoir  du  nombre  qui  domine  l'esprit,  l'instruction,  la  race  et 
mĂȘme  l'argent,  qui  vaut  mieux  que  le  nombre  »  ;  le  suffrage  uni- 
versel tel  qu'il  est  constitué  ne  sera  jamais  que  «  la  honte  de 
l'esprit  humain,  la  foule,  le  troupeau,  seront  toujours  haïssables...  » 
«  Tout  le  rĂȘve  de  la  dĂ©mocratie  est  d'Ă©lever  le  prolĂ©taire  au  niveau 
de  bĂȘtise  du  bourgeois.  Le  rĂȘve  est  en  partie  accompli...  H  lit 
les  mĂȘmes  journaux  et  il  a  les  mĂȘmes  passions.  »  PrĂȘcher  l'amour 
aux  uns  comme  aux  autres  est  inutile.  «  Tant  que  le  suffrage 
universel  sera  ce  qu'il  est  rien  ne  changera.  Tout  homme  si  infime 
qu'il  soit  a  droit  Ă   une  voix,  la  sienne,  mais  cela  ne  veut  pas  dire 
qu'il  soit  l'Ă©gal  de  son  voisin  lequel  peut  le  valoir  cent  fois.  Dans 
une  entreprise  industrielle  chaque  actionnaire  vote  en  raison 
de  son  apport.  Il  en  devrait  ĂȘtre  ainsi  dans  le  gouvernement  d'une 
nation.  Je  vaux  bien  vingt  Ă©lecteurs  de  Croisse!  L'argent, 
l'esprit  et  la  race  mĂȘme  doivent  ĂȘtre  comptĂ©s,  bref,  toutes  les 
forces.  Or,  jusqu'à  présent  je  n'en  vois  qu'une  :  le  nombre...  » 
«  L'instruction  gratuite  et  obligatoire  achÚvera  le  «  bon  peuple  » 
en  faisant  augmenter  «  le  nombre  des  imbéciles.  »  «  Tant  qu'on 
ne  s'inclinera  pas  devant  les  mandarins,  tant  que  l'Académie 
des  Sciences  ne  sera  pas  le  remplaçant  du  pape  »,  c'est-à-dire 
tant  que  les  prérogatives  de  la  science,  de  l'instruction  ne  seront 
pas  reconnues,  le  mal  «  est  irrémédiable  »  et  aucune  république 


552  GEORGE   SAND 

ne  servira  à  rien.  Or,  à  présent  dans  la  littérature,  le  théùtre, 
partout,  au  lieu  de  critiquer,  de  juger  les  qualités  ou  les  défauts 
intrinsÚques  des  choses,  on  ne  parle  que  de  leur  «  morale  »  ou  de 
leur  «  utilité  ».  «  L'idée  d'égalité  (qui  est  toute  la  démocratie 
moderne)  est  une  idée  essentiellement  chrétienne  et  qui  s'oppose 
à  celle  de  justice.  Regardez,  comme  la  grùce  maintenant  prédo- 
mine. Le  sentiment  est  tout,  la  justice  n'est  rien.  On  ne  s'indigne 
mĂȘme  plus  contre  les  assassins,  et  les  gens  qui  ont  incendiĂ©  Paris 
sont  moins  punis  que  les  calomniateurs  de  M.  Favre.  » 

«  La  premiÚre  injustice  est  pratiquée  dans  la  littérature  qui 
n'a  souci  de  l'esthétique  laquelle  n'est  qu'une  justice  supérieure. 
Les  romantiques  auront  de  beaux  comptes  Ă   rendre  avec  leur 
sentimentalité  immorale,  car  eux,  comme  tout  le  monde  con- 
temporain, ont  oublié  la  justice  dans  l'éternelle  poursuite  de  la 
réhabilitation  de  la  pitié  «  humanitaire  »,  on  a  fini  par  expliquer 
et  excuser  tous  les  crimes,  toutes  les  lùchetés.  Dans  une  piÚce 
de  Victor  Hugo  un  sultan  est  sauvé  parce  qu'il  a  eu  pitié  d'un 
cochon  ;  «  c'est  toujours  l'histoire  du  bon  larron,  béni  parce 
qu'il  s'est  repenti.  Le  repentir  est  bien,  mais  ne  pas  faire  de  mal 
est  mieux.  L'école  de  réhabilitation  nous  a  amenés  à  ne  voir 
aucune  diffĂ©rence  entre  un  coquin  et  un  honnĂȘte  homme.  On 
s'Ă©meut  sur  les  larrons  en  oubliant  qu'il  serait  mieux,  au  lieu 
de  se  repentir,  simplement  de  ne  pas  ĂȘtre  larron.  Mais  non  !  on 
est  tendre  pour  les  chiens  enragés  et  point  pour  ceux  qu'ils 
ont  mordus.  » 

«  Du  reste  de  tout  temps  l'humanitĂ©  Ă©tait  la  mĂȘme.  Le  monde 
doit  ĂȘtre  haĂŻ.  Son  irrĂ©mĂ©diable  misĂšre  m'a  rempli  d'amertume 
dÚs  ma  jeunesse.  Aussi  maintenant  n'ai-je  aucune  désillusion.  » 

George  Sand  comprenait  parfaitement  que  «  tous  les  deux  ils 
avaient  raison  »,  car  Flaubert  avait  pour  lui  la  vérité  de  cette 
raison  et  elle  la  vérité  du  sentiment. 

«  Mais  la  France,  hélas  !  n'est  ni  avec  elle,  ni  avec  lui  ;  elle  est 
avec  l'aveuglement,  l'ignorance  et  la  bĂȘtise.  »  Elle  ne  pouvait 
le  nier,  mais  c'est  cela  justement  ce  qui  la  désolait.  C'estepour  cela 
qu'elle  répondit  à  Flaubert  non  seulement  par  quelques  lettres 
privées,   mais   encore  par  les  deux  lettres   publiées  dans   le 


GEORGE   SAND  553 

Temps,  Ă©crites  sous  forme  de  RĂ©ponses  Ă   un  ami  et  Ă   une  amie 
anonymes. 

Eh  quoi,  tu  veux  que  je  cesse  d'aimer?  Tu  veux  que  je  dise  que  je  me 
suis  trompée  toute  ma  vie,  que  l'humanité  est  méprisable,  haïssable, 
qu'elle  a  toujours  été,  qu'elle  sera  toujours  ainsi?  Et  tu  me  reproches 
ma  douleur  comme  une  faiblesse,  comme  le  puéril  regret  d'une  illusion 
perdue.?  Tu  affirmes  que  le  public  a  toujours  Ă©tĂ©  fĂ©roce,  le  prĂȘtre  tou- 
jours hypocrite,  le  bourgeois  toujours  lĂąche,  le  soldat  toujours  bri- 
gand, le  paysan  toujours  stupide?  Tu  dis  que  tu  savais  cela  dĂšs  ta 
jeunesse  et  tu  te  réjouis  de  n'en  avoir  jamais  douté,  parce  que  l'ùge 
mûr  ne  t'a  apporté  aucune  déception  :  tu  n'as  donc  pas  été  jeune.  Ah  ! 
nous  diffĂ©rons  bien,  car  je  n'ai  pas  cessĂ©  de  l'ĂȘtre  si  c'est  ĂȘtre  jeune  que 
d'aimer  toujours. 

Et  George  Sand  dit  qu'elle  ne  comprend  pas  comment  vivre 
en  dehors  de  la  vie  générale  ;  les  malheurs,  les  désastres  publics 
ne  peuvent  pas  ne  pas  se  refléter  sur  l'existence  de  chaque 
famille,  de  chaque  homme  isolé. 

Est-ce  qu'on  peut  s'endormir  paisiblement,  quand  on  sent  la  terre 
Ă©branlĂ©e,  prĂȘte  Ă   engloutir  ceux  pour  qui  on  a  vĂ©cu?... 

Non,  non,  on  ne  s'isole  pas,  on  ne  rompt  pas  les  liens  du  sang,  on  ne 
maudit  pas,  on  ne  méprise  pas  son  espÚce.  L'humanité  n'est  pas  un 
vain  mot.  Notre  vie  est  faite  d'amour  et  ne  plus  aimer,  c'est  ne  plus 
vivre. 

Le  peuple,  dis-tu?  Le  peuple  c'est  toi  et  moi  ;  nous  nous  en  défen- 
drions en  vain.  Il  n'y  a  pas  deux  races,  la  distinction  des  classes  n'Ă©ta- 
blit plus  que  des  inégalités  relatives  et  la  plupart  du  temps  illusoires... 

...Ce  n'est  pas  en  méprisant  notre  misÚre  que  j'en  contemple  l'étendue. 
Je  ne  veux  pas  croire  que  cette  sainte  patrie,  que  cette  race  chérie 
dont  je  sens  vibrer  en  moi  toutes  les  cordes  harmonieuses  et  discor- 
dantes, dont  j'aime  les  qualitĂ©s  et  les  dĂ©fauts  quand  mĂȘme,  dont  je 
consens  à  accepter  toutes  les  responsabilités  bonnes  ou  mauvaises 
plutÎt  que  de  m'en  dégager  par  le  dédain,  non,  je  ne  veux  pas  croire 
que  mon  pays  et  ma  race  soient  frappés  à  mort.  Je  le  sens  à  ma  souf- 
france, Ă   mon  deuil,  Ă   mes  heures  mĂȘme  de  pire  abattement  ;  j'aime, 
donc  je  vis,  aimons  et  vivons... 

George  Sand  prend  à  cƓur  tout  ce  qui  se  passe  en  France,  elle 
souffre,  se  désole,  s'indigne,  se  révolte,  s'exaspÚre.  Elle  avait 
prévu  ce  désastre,  elle  savait  qu'une  terrible  expiation  des  jours 
de  folie  et  d'abaissement  attendait  la  France,  mais  cette  pré- 


554  GEORGE   SAND 

voyance  ne  Tend  son  chagrin  ni  moins  vif,  ni  moins  grand.  Elle 
donne  cours  à  son  indignation  excitée  par  la  vue  des  cruautés 
commises  par  les  Allemands  vainqueurs  et  prédit  que  cette  vic- 
toire sera  nuisible,  nĂ©faste  pour  l'Allemagne  elle-mĂȘme,  car  ses 
triomphes  amÚneront  le  rÚgne  de  la  force  matérielle  primant 
l'idéal,  c'est-à-dire  la  pourriture,  la  décomposition  et  la  défaite 
morale  des  vainqueurs.  C'est  contre  cette  mĂȘme  force  matĂ©rielle 
primant  la  justice  que  George  Sand  proteste,  lorsqu'elle  pro- 
teste contre  les  faits  qui  se  sont  produits  dans  son  propre  pays, 
contre  les  personnes  qui  y  attisent  les  passions  populaires  au  profit 
de  leurs  intĂ©rĂȘts  et  de  leur  esprit  de  parti.  Et  l'Ă©crivain  s' adressant 
Ă   tous  ses  concitoyens  leur  prĂȘche  ardemment  l'union  et  l'amour  : 

Français,  aimons-nous,  mon  Dieu,  mon  Dieu  !  Aimons-nous  ou  nous 
sommes  perdus.  Tuons,  renions,  anéantissons  la  politique,  puisqu'elle 
nous  divise  et  nous  arme  les  uns  contre  les  autres  ;  ne  demandons  Ă  
personne  ce  qu'il  Ă©tait  et  ce  qu'il  voulait  hier.  Hier  tout  le  monde 
s'est  trompé,  sachons  ce  que  nous  voulons  aujourd'hui. 

Si  ce  n'est  pas  la  liberté  pour  tous  et  la  fraternité  envers  tous,  ne 
cherchons  pas  à  résoudre  le  problÚme  de  l'égalité,  nous  ne  sommes  pas 
dignes  de  la  définir,  nous  ne  sommes  pas  capables  de  le  corrtprendre. 
L'égalité  est  une  chose  qui  ne  s'impose  pas,  c'est  une  libre  plante  qui 
ne  croĂźt  que  sur  des  terrains  fertiles,  dans  Vair  salubre.  Elle  ne  pousse 
pas  de  racines  sur  les  barricades,  nous  le  savons  maintenant.  Elle  y  est 
immédiatement,  foulée  aux  pieds  du  vainqueur,  quel  qu'il  soit.  Ayons 
le  dĂ©sir  de  l'Ă©tablir  dans  nos  mƓurs,  la  volontĂ©  de  la  consacrer  dans  nos 
■idĂ©es.  Donnons-lui  pour  point  de  dĂ©part  la  charitĂ©  patriotique,  Vamour. 
C'est  ĂȘtre  fou  que  de  croire  qu'on  sort  d'un  combat  avec  le  respect  du 
droit  humain.  Toute  guerre  civile  a  enfanté  et  enfantera  le  forfait... 

Malheureuse  Internationale,  est-il  vrai  que  tu  croies  Ă   ce  mensonge 
de  la  force  primant  le  droit?  Si  tu  es  aussi  nombreuse,  aussi  puissante 
qu'on  se  l'imagine,  est-il  possible  que  tu  professes  la  destruction  et  la 
haine  comme  un  devoir?... 

George  Sand  exige  instamment  une  réponse  à  cette  question, 
disant  qu'avec  toute  la  France  elle  l'a  vainement  attendue. 

Tout  en  blùmant  les  moyens,  je  ne  voulais  pas  préjuger  le  but.  Il 
y  en  a  toujours  dans  les  révolutions  et  celles  qui  échouent  ne  sont  pas 
toujours  les  moins  fondĂ©es  (1).  Un  fanatisme  patriotique  a  semblĂ©  ĂȘtre 

(1)  On  voit  comment  Mme  Sand  n'avait  pas  changé  dans  ses  sympathies 


GEORGE   SAND  555 

le  premier  sentiment  de  cette  lutte...  La  désillusion  fiùt  terrible. 
Le  premier  acte  de  la  Commune  est  d'adhérer  à  la  paix  et  dans  tout 
le  cours  de  sa  gestion  elle  n'a  pas  une  injure,  pas  une  menace  pour 
l'ennemi  ;  elle  conçoit  et  commet  l'insigne  lùcheté  de  renverser  sous 
ses  yeux  la  colonne  qui  rappelle  ses  défaites  et  nos  victoires.  C'est  au 
suffrage  universel  qu'elle  en  veut  et  cependant  elle  invoque  ce  suffrage 
à  Paris  pour  se  constituer.  Il  est  vrai  qu'il  lui  fait  défaut  ;  elle  passe 
par-dessus  l'apparence  de  légalité  qu'elle  a  voulu  se  donner  et  fonctionne 
de  par  la  force  brutale,  sans  invoquer  d'autre  droit  que  celui  de  la 
haine  et  du  mépris  de  tout  ce  qui  n'est  pas  elle.  Elle  proclame  la  science 
positive,  dont  elle  se  dit  dépositaire  unique,  mais  dont  elle  ne  laisse 
pas  échapper  un  mot  dans  ses  délibérations  et  dans  ses  décrets.  Elle 
déclare  qu'elle  veut  délivrer  l'homme  de  ses  entraves  et  de  ses  préjugés 
et  tout  aussitĂŽt  elle  exerce  un  pouvoir  sans  contrĂŽle  et  menace  de 
mort  quiconque  n'est  pas  convaincu  de  son  infaillibilitĂ©.  En  mĂȘme 
temps  qu'elle  prétend  reprendre  la  tradition  des  jacobins,  elle  usurpe  la 
papauté  sociale  et  s'arroge  la  dictature.  Quelle  république  est-ce  là? 
Je  n'y  vois  rien  de  vital,  rien  de  rationnel,  rien  de  constitué,  rien  de 
eonstituable.  C'est  une  orgie  de  prétendus  rénovateurs  qui  n'ooit  pas 
une  idée,  pas  un  principe,  pas  la  moindre  organisation  sérieuse,  pas  la 
moindre  solidarité  avec  la  nation,  pas  la  moindre  ouverture  vers 
l'avenir.  Ignorance,  cynisme  et  brutalité,  voilà  tout  ce  qui  émane  de 
cette  prétendue  révolution  sociale.  Déchaßnement  des  instincts  les 
plus  bas,  impuissance  des  ambitions  sans  pudeur,  scandale  des  usur- 
pations sans  vergogne,  voilĂ   les  spectacles  auxquels  nous  venons  d'as- 
sister. Aussi  cette  Commune  a  inspiré  le  plus  mortel  dégoût  aux  hommes 
politiques  les  plus  ardents,  les  plus  dĂ©vouĂ©s  Ă   la  dĂ©mocratie—  ils  se 
sont  retirés  d'elle  avec  consternation,  avec  douleur,  et  le  lendemain 
la  Commune  les  déclarait  traßtres  et  décrétait  leur  arrestation.  Elle  les 
eût  fusillés,  s'ils  fussent  restés  entre  6es  mains. 

Et  toi,  mon  ami,  tu  veux  que  je  voie  les  choses  avec  une  stoĂŻque 
indifférence.  Tu  veux  que  je  dise  :  l'homme  est  ainsi  fait  ;  le  crime  est 
son  expression,  l'infamie  est  sa  nature  !  Non,  cent  fois  non  !  L'humanité 
est  indignée  en  moi  et  avec  moi.  Cette  indignation  est  une  des  formes 
les  plus  passionnées  de  l'amour,  il  ne  faut  ni  la  dissimuler,  ni  essayer  de 
l'oublier.  Nous  avons  à  faire  les  immenses  efforts  de  la  fraternité  pour 
réparer  les  ravages  de  la  haine.  Il  faut  conjurer  le  fléau,  écraser  l'infamie 
sous  le  mépris  et  inaugurer  par  la  loi  la  résurrection  de  la  patrie- 
An  miiie u  de  sa  lettre  Mme  Sand  faisait  une  petite  allusion  Ă   ceux  qui 
se  seraient  étonnés  des  opinions  émises  par  elle  ou  qui  les  auraient  expli- 

pourla  révolution  de  1848,  malgré  toutes  les  erreurs  auxquelles  elle  avait 
abouti. 


556  GEORGE    SAND 

quées  par  un  revirement  survenu  dans  ses  idées,  par  sa  «  désertion  de 
la  cause  de  l'avenir  ».  Ayant  une  place  de  libre  discussion  dans  un 
grand  journal,  elle  se  doit  de  dire  sincĂšrement  son  opinion  Ă   cette  heure 
terrible,  sans  se  préoccuper  de  l'impression  produite  sur  ses  amis,  ses 
ennemis  ou  sur  ses  lecteurs.  Quant  Ă   ces  derniers  ils  n'ont  qu'Ă   la  lire 
en  entier  et  à  ne  pas  la  juger  sur  des  fragments  cités  par  des  journaux. 
Elle  ne  fait  pas  métier  de  ses  opinions  et  ne  se  cache  derriÚre  aucun 
drapeau  de  parti.  L'opinion  de  ceux  qui  en  font  métier  n'a  aucune  valeur. 

«  Je  n'ai  pas  Ă   me  demander  oĂč  sont  mes  amis  ou  mes  ennemis. 
Ils  sont  oĂč  la  tourmente  les  a  jetĂ©s.  Ceux  qui  ont  mĂ©ritĂ©  que  je  les 
aime  et  qui  ne  voient  pas  par  mes  yeux  ne  me  sont  pas  moins  chers. 
Le  llùme  irréfléchi  de  ceux  qui  me  quittent  ne  me  les  fait  pas  consi- 
dérer comme  ennemis.  Toute  amitié  injustement  retirée  reste  intacte 
dans  le  cƓur  qui  n'a  pas  mĂ©ritĂ©  l'outrage.  Ce  cƓur-lĂ   est  au-dessus  de 
Vamour  propre,  il  sait  attendre  le  réveil  de  la  justice  et  de  Vaffec- 
tion...  » 


Ce  dernier  passage  a  une  signification  particuliĂšre.  Plusieurs 
amis  de  George  Sand,  et  Fleury  Ă   leur  tĂȘte,  sans  parler  de  Quinet 
et  d'autres  républicains  radicaux,  virent  dans  le  jugement  porté 
par  George  Sand  sur  les  Ă©vĂ©nements  de  1871  la  Commune  —  et 
la  lutte  des  partis  politiques  —  une  apostasie,  et  lui  exprimùrent 
fort  manifestement  leur  indignation  et  leur  désapprobation. 
Quant  à  nous,  tout  en  ayant  souligné  dans  cette  lettre  le  passage 
démontrant  que  George  Sand  avait  en  effet  perdu  sa  foi  de  jadis 
en  l'action  bienfaisante  des  barricades  pour  la  cause  de  la  liberté 
et  qu'elle  savait  trop  combien  les  droits  de  l'homme  Ă©taient  peu 
respectés  au  lendemain  d'un  combat  et  «  l'égalité  foulée  aux 
pieds  du  vainqueur  quel  qu'il  fĂ»t  »,  nous  voyons  en  mĂȘme  temps 
dans  cette  lettre  une  absolue  identité  avec  les  opinions  et  les 
sentiments  de  Mme  Sand  exprimés  en  1848-49  et  professés  durant 
toute  sa  vie. 

Mme  Sand  se  souvient  dans  cet  article  des  paroles  prononcées 
dit-on,  à  son  lit  de  mort,  par  saint  Jean  —  son  apître  favori,  celui 
qu'elle  cita  tant  de  fois  dans  ses  Ɠuvres  et  dont  l'esprit  remplit 
bien  des  pages  de  Spiridion  et  de  Consuelo  :  «  FrÚres,  aimons-nous 
les  uns  les  autres.  »  Cette  parole  est  le  point  de  départ  d'Aurore 
Dupin,  c'est  le  point  d'arrivée  de  George  Sand  à  la  fin  de  sa  vie. 
DÚs  qu'elle  toucha  aux  grandes  questions  d'humanité,  de  foi,  du 


GEORGE   SAND  557 

bien  et  du  mal,  Aurore  Dupin  se  pénétra  de  la  doctrine  de  saint 
Jean  et  l'opposa  à  celle  de  saint  Pierre,  l'apître  de  l'Église  mili- 
tante, intolérante  (1).  A  la  fin  de  sa  carriÚre,  aprÚs  toutes  les 
épreuves  de  son  existence  privée  et  sociale,  aprÚs  avoir  passé 
par  tant  de  doctrines,  de  systĂšmes  philosophiques  les  plus  divers 
et  traversé  tant  de  cataclysmes  politiques,  George  Sand  resta 
fidĂšle  Ă   l'enseignement  de  saint  Jean  et  ce  sont  les  paroles  de 
cet  évangéliste  qu'elle  adresse  à  ses  concitoyens  à  l'heure  ter- 
rible de  la  folie  générale  et  de  l'effondrement  social.  C'est  comme 
le  Rie  jacet  de  Spiridion,  c'est  ici  que  se  trouve  la  clef  de  toutes 
ses  opinions  politiques,  de  toutes  ses  théories  sociales.  Elle  dit 
dans  la  lettre  à  Flaubert,  et  nous  avons  déjà  cité  ces  mots  dans 
le  chapitre  sur  1848  : 

Plus  que  jamais  je  sens  le  besoin  d'Ă©lever  ce  qui  est  bas  et  de  relever 
ce  qui  est  tombĂ©.  Jusqu'Ă   ce  que  mon  cƓur  s'Ă©puise,  il  sera  ouvert 
à  la  pitié,  il  prendra  le  parti  du  faible  et  réhabilitera  le  calomnié.  Si 
c'est  aujourd'hui  le  peuple  qui  est  sous  les  pieds,  je  lui  tendrai  la  main  ; 
si  c'est  lui  qui  est  l'oppresseur  et  le  bourreau,  je  lui  dirai  qu'il  est  lĂąche 
et  odieux.  Que  m'importent  tels  ou  tels  groupes  d'hommes,  tels  noms 
propres  devenus  drapeaux,  telles  personnalités  devenues  réclames? 
Je  ne  connais  que  des  sages  et  des  fous,  des  innocents  et  des  cou- 
pables... 

Ceci  explique  ses  agissements  en  1848-49,  les  espérances  qu'elle 
fondait  sur  Louis-NapolĂ©on  Bonaparte  —  le  rĂ©formateur  social  — 
et  son  horreur  devant  le  coup  d'État  et  le  rĂ©gime  de  NapolĂ©on  III  ; 
son  enthousiasme  Ă   l'avĂšnement  de  la  RĂ©publique  en  1870  et 
son  horreur  devant  la  Commune  de  1871.  George  Sand  resta 
fidĂšle  Ă   elle-mĂȘme.  Elle  se  dĂ©clarait  alors  un  ennemi  jurĂ©  de  la 
politique.  Elle  le  dit  sans  ambages  dans  sa  RĂ©ponse  Ă   une  amie, 
le  numéro  vu  des  Impressions  et  souvenirs  qui  est  une  suite  et 
une  conclusion  de  sa  Réponse  à  un  ami  :  «  Je  méprise  profondé- 
ment la  politique.  » 

La  question  principale  que  George  Sand  examine  dans  cet 
article  c'est  ce  mĂȘme  suffrage  universel  qui  excitait  VHhhindi- 

(1)  Voir  notre  vol.  I,  chap.  iv,  et  le  présent  vol.,  chap.  ix. 


553  GEORGE   SAND 

gnation  furibonde  de  Flaubert  (1).  George  Sand,  elle,  est  brave- 
ment pour  ce  suffrage  universel  et  elle  appuie  son  point  de  vue 
par  l'exposition  de  toutes  ses  croyances,  si  largement  démocra- 
tiques et  humanitaires.  Elle  ne  se  cache  pas  que  le  suffrage 
universel  est  bien  le  pouvoir  de  tous,  c'est-Ă -dire  de  la  masse 
du  peuple,  encore  grossiĂšre,  inculte,  sauvage,  qui  comprend  mal 
mĂȘme  ses  intĂ©rĂȘts  directs  et  se  laisse  entraĂźner  par  le  premier 
aventurier  venu  ;  Mme  Sand  sait  que  cette  majorité  sera  toujours 
inférieure  par  son  niveau  intellectuel  et  moral  au  petit  nombre 
intelligent,  liais  que  faire?  On  ne  peut  donc  pas  revenir  en  arriĂšre 
ou  mĂȘme  ne  se  prĂ©occuper  que  du  prĂ©sent  sans  songer  Ă   l'avenir. 
Ce  qui  est  fait  est  fait.  Le  suffrage  universel  est  un  fait  de  la 
nécessité  historique.  Faire  un  pas  en  arriÚre  ce  serait  donner  des 
armes  à  tous  les  aventuriers  dans  le  genre  de  Louis-Napoléon 
qui  arriva  au  pouvoir  par  le  plébiscite.  On  ne  peut  plus  reculer. 
H  faut  marcher  de  l'avant. 

Le  suffrage  universel,  c'est-à-dire  l'expression  de  la  volonté  de  tous, 
bonne  ou  mauvaise,  est  la  soupape  de  sûreté  sans  laquelle  vous  n'aurez 
plus  qu'explosions  de  guerre  civile.  Comment?  ce  merveilleux  gage 
de  sécurité  vous  est  donné,  ce  grand  contrepoids  social  a  été  trouvé 
et  vous  voulez  le  restreindre  et  le  paralyser?  Vous  représentez  l'intel- 
ligence et  vous  en  rejetez  la  base  qui  est  le  bon  sens?  Non,  vous  croyez 
sincĂšrement  qu'un  Ă©chelonnage  de  votes  partant  de  l'ignorance  arri- 
verait à  nous  donner  la  prépondérance  du  savoir.  Vous  en  avez  fait 
l'expérience  sous  le  rÚgne  bourgeois  de  Louis-PhiUppe.  L'éligible 
privilégié  vous  a  donné  une  suite  d'assemblées  contre  lesquelles  je  vous 
ai  vue  aussi  irritĂ©e  que  vous  l'ĂȘtes  contre  celle  d'aujourd'hui... 

En  protestant  contre  ceux  qui  voudraient  que  la  minorité 
intelligente  fût  considérée  l'égale  en  nombre  de  voix  de  la  masse 
inculte,  ce  qui  dépouillerait  de  tout  droit  la  plÚbe  rurale,  en  n'at- 
tribuant ce  droit  qu'aux  habitants  des  villes,  George  Sand  trouve 
que  les  rĂ©publicains  qui  conseillent  ceci  ne  sont  dignes  que  d'ĂȘtre 
relégués  avec  les  légitimistes.  Ce  ne  sont  pas  de  vrais  républicains. 

Nos  principes,  Ă   nous,  ne  sont  entre  leurs  mains  que  des  armes  de 
guerre  civile.  Ds  appellent  leurs  compromis  et  leurs  fluctuations  moyens 

(1)  Flaubert  écrit  dans  sa  lettre  du  8  septembre  :  «  Le  premier  remÚde 
serait  d'en  finir  avec  le  suffrage  universel,  la  honte  de  l'esprit  humain.  » 


GEORGE   SAND  559 

politiques.  Je  l'ai  dit  tout  Ă   l'heure,  je  maintiens  le  mot  brutal  :  la 
politique  n'est  plus  de  nos  jours  que  l'art  de  parvenir.  J'ai  pour  elle  le 
plus  profond  mépris  qui  soit  jamais  entré  dans  une  ùme  humaine... 

Puis,  revenant  aux  opinions  d'un  ami,  un  trùs  grand  esprit  — 
c'est-à-dire  à  celles  de  Flaubert  —  qui  lui  reproche  de  ne  pas 
sentir  assez  vivement  le  principe  de  la  justice,  elle  proteste  contre 
Tidée  de  pouvoir 

par  des  moyens  légaux  assurer  le  rÚgne  de  l'intelligence  au  nom  de 
la  justice  qui  veut  le  pouvoir  entre  les  mains  des  plus  capables. 

...Je  nie  que  la  loi  ait  mission  d'imposer  ses  moyens.  Si  l'État  doit 
prononcer  la  valeur  des  individus,  nous  voici  en  pleine  théocratie. 
L'État  punissant  le  crime  et  rĂ©compensant  la  vertu,  ce  n'est  plus  le 
rĂšgne  des  lois,  c'est  la  dictature,,  c'est  la  terreur,  c'est  un  homme  ou 
un  groupe  d'hommes  décidant  de  ce  qui  est  mal  et  de  ce  qui  est  bien  à 
son  point  de  vue,  imposant  ses  croyances,  décrétant  un  culte  de  sa 
façon  ou  s'opposant  avec  violence  à  toute  espÚce  de  culte  ;  c'est  la 
Commune  de  1791  ou  celle  de  1871.  C'est  aussi  la  royauté  de  droit  divin 
mettant  à  mort  les  hérétiques.  C'est  enfin  la  suppression  absolue  de 
l'État,  c'est-Ă -dire  de  la  base  des  sociĂ©tĂ©s  et  de  ce  qui  constitue  le  droit 
de  tous  et  le  droit  de  chacun. 

En  passant,.  George  Sand  rejette  Ă©galement  la  doctrine  de 
Louis  Blanc,  «  utopie  de  jeunesse  que  j'ai  partagée  et  je  ne  m'en 
repens  certes  pas  »,  exigeant  de  la  part  des  capacités  «  les  devoirs 
plus  étendus  qu'au  vulgaire  ». 

L'État  ne  peut  obliger  personne  à  faire  le  bien.  L'État  n'est  pas 
une  personne  meilleure  et  plus  sage  qu'une  autre  ;  c'est  un  contrat 
qui  doit  prévoir  tous  les  cas  d'empiétement  des  droits  réciproques  et 
il  ne  faut  pas  que  sous  le  titre  honorable  de  devoir,  le  droit  de  chacun 
dépasse  le  droit  de  tout  autre,  quel  qu'il  soit. 

George  Sand  arrive  donc  Ă   conclure  ceci  : 

Laissons  faire  le  droit  naturel  ;  c'est  bien  assez,  car  l'inégalité  de  fait 
est  monstrueuse  et  repose  principalement  sur  l'inégalité  de  l'éduca- 
tion. L'État  doit  dĂ©crĂ©ter  l'Ă©ducation  gratuite,  je  ne  dirai  pas  tout  Ă  
fait  obligatoire,  mais  inĂ©vitable.  L'État,  qui  consacre  la  libertĂ©  absolue 
pour  le  travail  matériel,  ne  peut  refuser  à  l'homme  les  moyens  d'ac- 
quérir l'emploi  de  ses  facultés  intellectuelles,  ce  serait  lui  enlever 
l'exercice  d'un  droit  naturel.  L'État  a  pleinement  mission  de  nous 
rendre  tous  propres  Ă   devenir  Ă©gaux  en  fait,  mais  il  ne  peut  faire  que 


560  GEORGE   SAND 

nous  le  devenions,  et  s'il  crée  des  inégalités  sociales,  celles  de  la  nature 
aidant,  il  consacre  le  plus  effroyable  despotisme  et  recommence  le 
passé. 

Faisant  une  allusion  aux  paroles  de  Flaubert  (sur  les  <<  man- 
darins »  devant  lesquels  il  faudrait  qu'on  «  s'inclinùt  »,  sur  l'Aca- 
démie qui  devrait  «  remplacer  le  pape  »  et  sur  l'assertion  que  la 
grande  Révolution  avait  «  avorté  »  parce  qu'elle  provenait  du 
christianisme  du  moyen  ùge  et  que  l'idée  de  l'égalité  était  con- 
traire à  l'idée  de  justice  »),  donc,  lançant  une  pierre  dans  le 
jardin  de  Flaubert,  George  Sand  continuait  ainsi  : 

Je  ne  veux  pas  plus  laisser  dire  à  l'Académie  des  Sciences  qu'à 
Louis  XIY  :  «  L'État,  c'est  moi.  »  La  tyrannie  de  l'intelligence  n'auto- 
rise certes  pas  celle  de  la  bĂȘtise,  mais  elle  la  rend  inĂ©vitable,  elle  l'ap- 
pelle irrésistiblement,  car  tout  abus  engendre  un  abus  contraire.  L'his- 
toire nous  le  démontre  à  chacune  de  ses  pages  et  c'est  le  cas  de  dire  avec 
les  bonnes  gens  :  Nous  sortons  d'en  prendre. 

Puis,  développant  la  pensée  qu'elle  avait  émise  dÚs  1848,  dans 
la  préface  de  la  Petite  Fadette  (et  que  Tolstoï  avait  de  nos  jours 
proclamée  dans  son  article  «  les  Sciences  et  les  arts  »)  et  poursui- 
vant mentalement  sa  polémique  contre  Flaubert,  George  Sand 
proteste  en  mĂȘme  temps  contre  l'aristocratie  intellectuelle  des 
poĂštes  et  des  savants,  contre  tous  ceux  qui  trouvent  que  : 

Raisonner  avec  l'ignorant  c'est  perdre  un  temps  précieux,  travailler 
Ă   Ă©clairer  le  premier  venu,  c'est  se  rendre  ridicule  ;  nous  causons  pour 
les  érudits,  nous  écrivons  pour  les  lettrés,  nous  sommes  aristocrates  des 
pieds  Ă   la  tĂȘte,  nous  dirons  Ă   la  sociĂ©tĂ©  :  «  DĂ©livrez-nous  de  ces  goujats 
qui  ne  sauraient  nous  comprendre,  faites-nous  une  représentation 
comme  celle  d'avant  89  oĂč  l'on  dĂ©libĂ©rerait  par  ordre  et  non  par 
tĂȘte...  »  George  Sand  se  moque  donc  de  tous  ceux  qui  trouvent  que  cet 
ordre  de  choses  serait  «  trÚs  équitable  et  trÚs  républicain.  »  Non,  cette 
opinion-là  ne  vaut  rien  !  Le  plus  simple  serait  «  de  confier  au  progrÚs 
des  mƓurs  et  au  dĂ©gagement  de  l'opinion  le  soin  de  dĂ©cider  des  choses 
dont  seuls  ils  sont  les  maßtres  et  les  juges.  » 

Ce  que  vous  voulez,  ce  droit  de  l'intelligence  Ă   la  direction  sociale, 
personne  n'a  le  droit  de  l'imposer,  mais  tous  ont  le  pouvoir  de  l'appli- 
quer et  ceci  vous  regarde,  rois  de  l'esprit,  prĂȘtres  de  la  science,  artistes 
et  lettrés,  favoris  du  public,  élite  de  la  France  !  Imposez-vous  !  Soyez 


GEORGE   SAND  561 

plus  forts  que  l'ignorance  et  prouvez  que  vous  l'ĂȘtes.  Artistes,  faites 
des  chefs-d'Ɠuvre,  savants,  faites  des  dĂ©couvertes  sĂ©rieuses,  Ă©vi- 
dentes ;  économistes  et  législateurs,  portez  la  lumiÚre  dans  notre  chaos 
politique  et  financier  ;  qui  donc  se  refuse  aux  bienfaits  que  vous  tenez 
dans  vos  mains? 

Quant  aux  plaintes  de  ceux  qui,  comme  Flaubert,  disent  qu'il 
est  difficile  de  faire  n'importe  quoi,  car  on  se  butte  Ă   chaque  pas 

à  l'indifférence  d'une  nation  plongée  dans  les  préjugés  et  les  rou- 
tines de  l'ignorance,  Mme  Sand  leur  répond  :  «  Donc,  il  faut  lui  donner 
le  plus  d'instruction  possible.  Aidons-la,  c'est  nous  aider  nous-mĂȘmes.  » 

George  Sand  s'étonne  que  les  gens  développés  et  intelligents 
éprouvent  un  dégoût  invincible  pour  les  ignorants  et  les  nuls, 
tandis  que  tout  dans  la.  nature  se  complĂšte  et  s'Ă©quilibre,  et  elle 
revient  à  l'idée  qu'elle  avait  émise  dans  sa  Réponse  à  un  ami, 
ainsi  qu'au  commencement  de  sa  Lettre  Ă   une  amie  : 

Oui,  aimer  quand  mĂȘme,  je  crois  que  c'est  le  mot  de  l'Ă©nigme  de 
l'univers.  Toujours  repousser,  toujours  surgir,  toujours  renaĂźtre,  tou- 
jours chercher  et  vouloir  la  vie,  toujours  embrasser  son  contraire  pour 
se  l'assimiler,  faire  à  toute  heure  le  prodige  des  mélanges  et  des  com- 
binaisons d'oĂč  sort  le  prodige  des  productions  nouvelles,  c'est  bien  la 
loi  de  la  nature. 

Et  tout  en  conseillant  Ă   chacun  de  toujours  tendre  Ă   s'Ă©lever, 
à  s'améliorer,  elle  croit  encore  que 

tout  homme  qiĂč  sait  quelque  chose  devrait  essayer  de  l'apprendre 
Ă   un  autre  homme  qui  ne  sait  rien.  Ce  serait  trĂšs  facile,  Ă   la  condition 
d'aimer  cet  ignorant,  parce  qu'il  est  homme  et  non  de  le  mépriser 
parce  qu'il  est  ignorant.  En  instruire  plusieurs,  en  instruire  beaucoup 
est  difficile.  C'est  la  plus  belle  des  professions  et,  quand  mĂȘme  on 
peut  s'y  consacrer  tout  entier,  les  effets  sont  lents,  la  tùche  pénible. 
Mais  quelle  est  la  chose  utile  qui  ne  soit  pas  longue  et  difficile  Ă  
réaliser?... 

George  Sand  appelle  donc  tous  les  hommes  de  bonne  volonté 
à  cette  tùche  d'amour  et  de  justice.  Puis  lançant  un  nouveau 
trait  contre  Flaubert,  elle  déclare  :  «  Quoi  de  plus  monstrueux, 
de  plus  injuste,  de  plus  grossier,  de  plus  contraire  au  sentiment 
que  le  sentiment  qui  vous  porte  à  réclamer  contre  la  prépondérance 

iv.  36 


562  GEORGE   SAND 

du  nombre?  »Elle  remarque  qu'il  serait  impossible  aprÚs  la  Révo- 
lution  qui  proclama  les  droits  de  l'homme,  aprÚs  la  révolution 
de  février  qui  renversa  le  pouvoir  de  l'argent,  de  revenir  à  l'essai 
manqué  de  V adjonction  des  capacités. 

On  reconnut  que...  l'État  n'avait  ni  le  droit  ni  le  pouvoir  de  faire  un 
choix,  de  favoriser  des  classes,  des  corps,  de3  professions.  H  n'y  avait 
qu'une  solution  possible,  Ă©quitable  et  large  :  le  droit  de  tous,  et  il  fut 
consacré  avec  tous  ses  inconvénients,  tous  ses  périls,  toutes  ses  menaces. 

La  situation  n'a  pas  changé  depuis  ces  jours  et  quoique  alors 
c'avait  été  une  grande  faute  politique  de  proclamer  le  suffrage 
universel,  les  amis  de  la  République  doivent  maintenant  «  en- 
dosser »  cette  noble  faute  : 

Avec  toutes  ses  conséquences  et  tous  ses  inconvénients  et  dans  le 
prĂ©judice  mĂȘme  qu'elle  avait  portĂ©  jadis  au  gouvernement  rĂ©publi- 
cain ils  doivent  voir  sa  nécessité  historique,  l'inéluctable  puissance  et 
la  vĂ©ritĂ©,  plus  forte  que  ce  gouvernement  mĂȘme.  C'est  pour  cela  que 
tout  le  monde  doit  se  séparer  de  l'idée  politique,  abandonner  tous  les 
intĂ©rĂȘts  de  partis  et  s'unir  au  nom  de  l'idĂ©al  rĂ©publicain  parce  que  «  la 
forme  républicaine  est  la  seule  qui  convienne  à  une  nation  qui  se  res- 
pecte »,  l'opinion  républicaine  fait  de  grands  progrÚs  en  France,  «  elle 
se  répandra  et  croßtra  d'année  en  année,  les  erreurs  et  les  fautes  adhé- 
rentes à  cette  forme,  au  contraire,  décroßtront.  » 

Mine  Sand  conseille  Ă   tout  le  monde  d'imiter  l'exemple  de 
M.  Thiers  qui,  avec  une  force  de  caractÚre  étonnante,  a  adopté 

la  forme  républicaine  comme  nécessaire  et  respectable,  contrai- 
rement Ă   ses  sentiments  personnels.  C'est  la  premiĂšre  fois  qu'on  a 
vu  au  pouvoir  un  homme  faisant  abnégation  de  ses  opinions  et  de  ses 
sympathies,  non  pour  plaire  à  un  parti,  mais  pour  se  dévouer  au  salut 
d'une  nation... 

Et  Mme  Sand  clÎt  sa  lettre  en  répétant,  encore  une  fois,  qu'il 
faut  Ă©clairer  l'ignorance  et  lui  pardonner  au  lieu  de  la  punir. 

Ces  deux  lettres  de  George  Sand  n'Ă©branlĂšrent  certes  point 
l'opinion  de  Flaubert,  tout  comme  les  lettres  et  les  réponses  de 
Flaubert  ne  changÚrent  ni  les  sentiments  ni  les  idées  de  Mme  Sand. 
Chacun  resta  fidÚle  à  sa  pensée.  D'autre  part,  cette  polémique 
n'altéra  pas  les  relations  des  deux  amis.  Ces  articles  de  George 
Sand  accueillis  par  les  républicains  avec  une  chaude  approbation, 


GEORGE   SAND  563 

soulevÚrent  une  véhémente  indignation  parmi  les  radicaux  intran- 
sigeants. Mme  Sand  ne  s'en  Ă©mut  point,  et  dans  le  chapitre  xv 
de  ses  Impressions  et  souvenirs  elle  revint  encore  aux  idées  émises 
à  la  fin  de  la  lettre  numéro  vu. 

Ce  chapitre  xv,  intitulé  «  Révolution  pour  l'idéal  »,  renferme 
cetts  pensée  :  Chaque  parti  a  du  bon  et  beaucoup  de  mauvais, 
d'Ă©troit  et  de  mesquin,  d'Ă©goĂŻste  et  de  personnel;  chaque  parti 
a  sa  raison  d'ĂȘtre  Ă   un  certain  moment  donnĂ©,  mais  il  n'a  aucune 
raison  de  devenir  un  parti  prédominant.  AprÚs  les  horreurs 
de  1870-71  le  cléricalisme  sembla  à  beaucoup  de  gens  salutaire, 
parce  qu'il  promettait  la  paix  Ă   tous  ceux  qui  avaient  soif  de 
calme,  de  repos  intérieur.  Mais  gare  !  S'il  arrive  au  pouvoir  ! 
Le  radicalisme  a  pour  lui  une  énorme  majorité  en  France,  parce 
qu'il  a  le  plus  de  points  de  rapport  avec  l'idée  républicaine,  mais 
lui  aussi,  il  doit  rejeter  beaucoup  d'erreurs  passées,  d'exeÚs  et 
de  traditions  qui  révoltent  la  conscience  du  présent,  il  doit  s'ap- 
pliquer surtout  Ă   ne  plus  ĂȘtre  l'antithĂšse  du  clĂ©ricalisme  par  ses 
«  passions  et  son  intolérance  ».  Fraternité  ou  la  mort,  cette  pensée 
est  jusqu'à  présent  encore  comprise  par  beaucoup  de  gens  non 
pas  dans  le  sens  «  combattre  pour  la  fraternité  ou  mourir  »r  mais 
bien  dans  celui  :  «  Soyez  nos  frÚres  ou  mourez  »,  ce  qui  présente 
un  attentat  Ă   la  conscience  humaine.  Il  n'y  a  dans  ces  mots 
ainsi  compris  ni  fraternité,  ni  égalité,  ni  liberté,  mais  uniquement 
violence  et  étroitesse  de  principes  de  parti.  L'adhésion  de  beau- 
coup de  radicaux  au  libéralisme  représenté  par  Thiers,  prouve 
à  l'auteur  que  ceux-là  ont  compris  la  nécessité  de  reconnaßtre 
leurs  anciennes  erreurs  et  de  travailler  au  salut  de  la  France. 

Quant  Ă   la  Commune,  George  Sand  ne  la  considĂšre  pas  comme 
un  parti,  parce  qu'elle  ne  présente  point  une  idée  formulée,  un 
principe  commun  à  tous  ses  adeptes,  mais  rien  qu'im  «  fait  maté- 
riel »  ;  elle  «  ne  se  discute  donc  pas  ».  C'est  dans  le  parti  républi- 
cain modéré  que  George  Sand  voit  uniquement  un  élément  vital 
et  durable  de  la  France  contemporaine.  Lorsque  le  centre  gauche 
et  le  centre  droit  se  fondront  ensemble,  alors  seulement  entrera 
en  scĂšne  la  vraie  question,  la  question  sociale.  Mme  Sand  Ă©tablit 
les  étapes  principales  de  cette  véritable  «  égalité  républicaine  », 


564  GEORGE  SAND 

vers  laquelle  doivent  tendre  tous  les  amis  du  peuple.  C'est 
d'abord  : 

L'instruction  gratuite  et  laïque  pour  tous,  c'est-à-dire  libérale. 
L'égalité  consistera  donc  à  donner  à  tous  les  moyens  de  développer 
leur  valeur  personnelle,  quelle  qu'elle  soit,  pourvu  que  ce  soit  une  valeur 
et  non  une  inertie...  Cela  implique  aussi  la  lutte  «  contre  la  misÚre  qui 
subjugue  toutes  les  capacités  du  travailleur,  l'excÚs  de  travail  ne  lui 
permet  pas  de  développer  ses  facultés  ». 

L'auteur  prĂ©voit  que  la  classe  infĂ©rieure,  en  quĂȘte  de  ses  droits, 
Ă©tant  ignorante,  se  portera  peut-ĂȘtre  encora  Ă   des  excĂšs  ;  mais 
il  y  a  des  moyens  de  combattre  ce  mal  :  l'organisation  du  travail 
et  des  tribunaux  de  travail  qui  examineront  les  différends  entre 
travailleurs  et  propriétaires  et  rendront  inutiles  toutes  les  grÚves. 

George  Sand  voudrait  enfin  qu'on  organisĂąt  une  grandiose 
souscription  nationale  ou  qu'on  décrétùt  un  impÎt  pour  fonder 
quelque  magnifique  institution  destinée  à  émanciper  le  peuple, 
à  l'arracher  à  l'ignorance  et  à  la  misÚre.  On  a  trouvé  cinq  milliards 
pour  payer  l'ennemi  ;  on  doit  trouver  dix  fois  plus  pour  accomplir 
l'Ɠuvre  sociale  indispensable  :  l'Ă©tablissement  de  la  vĂ©ritable 
égalité.  Ceci  serait  le  commencement  d'une  nouvelle  révolution 
pacifique,  la  révolution  pour  V idéal. 

Le  chapitre  xxn  et  final  des  Impressions  et  souvenirs  est  aussi 
consacré  à  cette  lutte  des  partis  politiques  qui  trouva  son  expres- 
sion dans  les  orageuses  séances  de  la  Chambre  du  6  novembre  au 
2  décembre  1872  et  se  termina  enfin  par  l'inauguration  définitive 
de  la  Képublique  et  de  la  présidence  de  Thiers. 

Ce  chapitre  xxn  commence  par  un  ravissant  morceau  auto- 
biographique :  la  description  d'une  excursion  hivernale  entre  deux 
nuages,  en  compagnie  de  Maurice,  des  deux  petites  filles  et  de 
Sylvain,  le  vieux  cocher,  entreprise  pour  chercher  dans  la 
forĂȘt  des  chenilles  et  de  rares  fleurs  tardives.  Et  tout  Ă   coup, 
Ă   propos  d'oiseaux,  George  Sand  passe  aux  querelles  parlemen- 
taires des  derniÚres  semaines,  soudain  apaisées  (c'est  pour  cela 
que  tout  ce  chapitre  porte  avec  raison,  au  propre  comme  au 
figuré,  le  titre  d'Entre  deux  nuages).  Selon  l'auteur  toute  cette 
lutte  parlementaire  se  résume  par  la  lutte  de  deux  opinions  : 


GEORGE  SAND  565 

«  L'une  affirme  que  l'homme  doit  se  soumettre  à  un  principe 
d'autorité  placé  en  dehors  de  l'homme  ;  l'autre  que  l'homme 
doit  tirer  son  autoritĂ©  de  lui-mĂȘme.  »  Il  est  Ă©vident  que  George 
Sand,  sans  broncher,  se  range  parmi  les  champions  de  cette 
derniÚre  opinion.  Elle  réfute  fort  spirituellement  les  prétentions, 
alors  renaissantes,  des  monarchistes  ;  elle  reproche  aux  «  gauches  » 
leurs  querelles  et  leur  manque  d'union,  et  encore  une  fois  elle  cite 
l'exemple  de  Thiers,  qui  présente  l'image  d'un  entier  désintéres- 
sement, sait  «  dans  sa  probité  politique  »  et  par  «  respect  de  la 
liberté  humaine  sacrifier  sa  personnalité,  ses  sympathies  et  ses 
croyances  au  salut  général  et  à  l'amour  du  pays  »,  et  ne  songe 
Ă   aucun  parti. 

...Donc  ce  matin  la  brise  est  pour  nous  à  l'espérance,  continue  George 
Sand  en  mĂȘlant  dans  une  phrase  les  deux  sujets  de  sa  narration,  et 
nous  arrivons  au  bord  de  l'Ă©tang  qui  est  pour  nous  le  but  de  notre 
course  de  deux  heures... 

...A  peine  en  voiture,  les  petites  filles  s'Ă©tendent  sur  leur  banquette, 
on  les  enveloppe  et,  tenant  leurs  poupées  dans  leurs  bras,  elles  ne  font 
qu'un  somme  jusqu'au  gßte.  Mais  quel  appétit  et  quel  bal  le  soir  jusqu'à 
neuf  heures  !  —  Ă©crit  plus  loin  Mme  Sand,  en  redevenant  bonne  mĂšre. 

Puis  de  nouveau,  sans  aucune  transition,  elle  reparle  de 
«  l'horizon  politique  ». 

Il  avait  été  sombre  et  couvert  de  nuages  comme  le  ciel  réel,  mais  voici 
qu'au  1er  décembre  il  y  a  un  jour  d'éclaircie  dans  la  nature  comme 
dans  la  politique.  Il  faut  savoir  goûter  ces  moments  de  calme  et  de 
repos. 

VoilĂ   comme  nous  avons  fĂȘtĂ©  le  1er  dĂ©cembre  et  la  fin  d'une  crise 
qui  ne  fait  que  commencer.  Serons-nous  gais  dans  trois  jours?  La  vie 
coule  ainsi  entre  deux  rives  menaçantes  et  quand  on  a  savouré  un  jour 
de  repos,  de  soleil  et  d'espérance  on  se  dit  que  c'est  toujours  cela  de 
pris.  N'est-ce  pas  l'image  de  la  situation  générale?  Prenons-les  ces 
jours  de  grĂące  et  de  merci.  C'est  Dieu  qui  nous  les  donne,  puisqu'il 
nous  a  donné  une  ùme  pour  en  apprécier  la  beauté  et  un  corps  pour  en 
apprécier  la  bénigne  influence... 

Et  jusqu'Ă   la  fin  de  cette  Lettre  se  suivent  et  s'enchaĂźnent 
tantĂŽt  des  pages  peignant  les  douces  nuits  tiĂšdes,  les  Ă©toiles 
filantes,  tantÎt  des  passages  consacrés  à  la  politique,  puis  des 


566  GEORGE   SAND 

lignes  sur  Sylvain,  le  cocher  «  qui  est  dans  la  maison  depuis  1845 
et  qui  est  plutÎt  le  maßtre  que  le  valet  de  la  famille  »,  tous  ces 
morceaux  enchaßnés  au  gré  de  quelque  expression  venue  sous 
la  plume,  d'une  comparaison  heureuse,  d'un  mot  ! 

À  travers  tout  ce  babillage  d'apparence  lĂ©gĂšre,  Ă   travers  tout 
ce  philosophique  quiétisme  de  la  vieillesse,  luit  comme  un  rayon 
entre  deux  nuages,  la  seule  et  mĂȘme  pensĂ©e  :  la  libertĂ©,  l'Ă©galitĂ©, 
l'amour  de  tous  les  hommes  les  uns  pour  les  autres,  voilĂ   les 
vérités  éternelles.  Et  quelque  lent  que  soit  leur  avÚnement, 
quels  que  soient  les  nuages  qui  assombrissent  l'horizon,  elles  bril- 
leront enfin  un  jour,  elles  ne  périront  point,  comme  le  soleil 
aussi  ne  périt  jamais  ;  il  n'est  que  caché  et  invisible,  mais  il  est 
et  il  sera,  il  luira! 

George  Sand  commence  plusieurs  chapitres  de  ses  Impressions 
et  souvenirs  par  quelque  morceau  tiré  de  son  journal  datant  de 
jours  passés,  ou  par  quelque  page  de  mémoires  écrits  autrefois. 
C'est  ainsi  que  le  chapitre  vin  est  daté  de  1841  ;  le  chapitre  iv 
renferme  un  jugement  sur  le  rÚgne  de  Napoléon  III  et  sur  l'im- 
pératrice Eugénie,  soi-disant  écrit  dÚs  1860;  les  chapitres  ix 
et  x  sont  deux  Lettres  d'un  voyageur  adressées  à  KoUinat  en  1860- 
61,  lors  du  voyage  de  Mme  Sand  Ă   Tamaris  ;  le  chapitre  in  repro- 
duit la  Lettre  écrite  de  Fontainebleau  en  1837,  déjà  publiée  t-n  1855 
dans  le  volume  Fontainebleau  (1). 

Nous  présumons  que  l'auteur  publiait  ces  morceaux  de  sou- 
venirs non  seulement  en  qualité  d'entrées  en  matiÚre  alléchantes, 
pour  Ă©mettre  ses  opinions  philosophiques,  psychologiques  et 
religieuses,  mais  encore  pour  démontrer  le  lien  existant  entre 
ses  idées  présentes  et  les  idées  de  sa  jeunesse,  ainsi  que 
leur  Ă©volution  progressive.  En  effet,  si  on  lit  attentivement 
les  pages  philosophiques  des  Impressions  et  souvenirs,  on 
doit  constater  comment  l'esprit  profond,  avide  de  vérité  de 
George  Sand  ne  s'arrĂȘta  oas  Ă   mi-chemin  mais  l'amena,  en 
élargissant  et  en  creusant  toujours  plus  avant  sa  pensée  reli- 
gieuse, à  cette  conception  de  l'univers,  pénétrée  d'im  panthéisme 

(1)  V.  notre  vol.  n.  p.  48-49. 


GEORGE   SAND  567 

calme  et  d'un  doux  et  chaud  amour  pour  tous  les  hommes  (1). 

En  dehors  de  certains  passages  de  ses  lettres  particuliĂšres 
pouvant  nous  Ă©clairer  lĂ -dessus,  les  chapitres  i,  ni,  ix  et  x,  mais 
surtout  le  chapitre  vin  des  Impressions  et  souvenirs  sont  des 
documents  curieux  pour  Ă©tudier  la  synthĂšse  philosophique  et 
religieuse  de  George  Sand  dans  les  dix  derniÚres  années  de  sa  vie. 
(Nous  avons  déjà  parlé  ailleurs  (2)  du  chapitre  xvni,  consacré 
Ă   l'analyse  des  opinions  du  pĂšre  Hyacinthe  Loyson.) 

Les  chapitres  i  et  m,  tous  les  deux  datés  de  1863,  sont  comme 
la  suite  naturelle  aux  discussions  philosophiques  et  psycholo- 
giques de  Mme  Sand  avec  Manceau  Ă   Gargilesse  et  aux  bords  de 
la  Creuse,  qui  trouvĂšrent  leur  Ă©cho  dans  la  Nouvelle  lettre  d'un 
voyageur  de  1864.  D'autre  part,  ce  chapitre  ni  traite  encore  la 
question  des  songes,  du  travail  inconscient  de  la  pensée  et  du 
libre  arbitre,  et  se  rattache  en  partie  aux  Lettres  ix  et  x,  adressées 
à  Rollinat,  spécialement  consacrées  à  des  observations  et  des 
rĂ©flexions  sur  les  rĂȘves.  Nous  pouvons  donc  considĂ©rer  ces  quatre 
chapitres  comme  une  seule  Ɠuvre. 

Le  premier  chapitre,  daté  du  23  janvier  1863  (une  petite  pré- 
face adressée  à  Charles  Edmond  et  datée  de  juillet  1871  ne  sert 
que  d'entrée  en  matiÚre  à  cette  série  de  lettres),  ce  premier  cha- 
pitre commence  par  la  peinture  d'une  soirée  d'hiver  à  Nohant. 
En  la  lisant  on  croit  voir  ce  coin  paisible,  éclairé  par  les  rayons 
orangés  du  couchant  qui  traversent  la  dentelle  noire  des  tilleuls 
effeuillés  ;  le  ciel,  encore  rouge  à  l'ouest,  tandis  que  la  lune  est 
déjà  au  zénith,  derriÚre  elle  monte  dans  le  bleu  froid  toute  la 
constellation  d'Orion,  brillante  comme  un  diamant,  et  plus 
bas  Ă©clate  le  blanc  Sirius,  palpitant  dans  l'Ă©ther  ;  il  nous 
semble  aspirer  cet  air  frais  et  immobile  tout  imprégné  de 
l'arĂŽme  des  violettes  tardives  ;  nous  Ă©prouvons  ce  calme  que 
Mme  Sand  ressentait  de  tout  son  ĂȘtre,  au  point  de  «  craindre  » 
de  remuer,  de  «  s'entendre  marcher  »,  afin  de  ne  pas  «  déran- 


(1)  Nous  en  avons  déjà  parlé  dans  le  tout  premier  chapitre  de  notre  pre- 
mier volume,  ainsi  que  dans  le  chapitre  rv(Ă   propos  de  l'Ă©closion  premiĂšre  des 
sentiments  religieux  dans  l'Ăąme  de  la  petite  Aurore  Dupin). 

(2)  Voir  plus  haut,  chap.  ix. 


568  GEORGE   SAND 

ger  quelque  chose  dans  la  nature  »  :  le  charme  serait  rompu. 
Plus  tard,  Ă   minuit,  elle  est  encore  devant  sa  fenĂȘtre  ouverte. 
Alexandre  Manceau  la  gronde,  craignant  de  la  voir  prendre  froid. 
Puis  il  la  presse  de  lui  expliquer  à  quoi  servent  ces  «  muettes 
contemplations  ».  Elle  assure  ressentir  au  milieu  de  la  nature  de 
si  indécises,  de  si  mystérieuses  et  vagues  perceptions  qu'il  lui 
semble  se  détacher  de  son  individualité,  vivre  de  la  vie  commune 
avec  toute  la  nature,  mais  de  ne  pouvoir  ni  les  définir,  ni  les 
transporter,  en  les  formulant,  dans  le  domaine  de  Fart.  Manceau, 
adepte  de  Fart  plastique,  ne  la  comprend  pas.  H  va  se  coucher. 
RestĂ©e  seule,  George  Sand  s'efforce,  quand  mĂȘme,  de  prĂ©ciser, 
d'expliquer  sa  «  joie  mystérieuse  ».  Il  lui  semble  découvrir  que  cela 
provient  de  son  «  instinct  de  la  vie  universelle  »,  de  la  parenté 
ressentie  par  elle  avec  le  monde  matĂ©riel,  les  choses  et  les  ĂȘtres. 
Peu  Ă   peu  elle  formule  sa  conception  de  l'univers,  nette  et  com- 
plÚte, sa  cosmogonie  dans  le  sens  précis  du  mot.  H  est  trÚs  inté- 
ressant de  comparer  ces  pages  de  George  Sand  avec  les  Senilia 
de  Tourguéniew.  Les  deux  auteurs  ont  évoqué  l'impression  de 
l'homme  devant  la  nature.  Mais  quelle  différence  entre  les  sen- 
timents exprimés  en  présence  de  cette  grande  Verte  insensible! 
Tourguéniew  est  torturé  par  F  effroi  de  la  mort.  Cette  note  résonne 
presque  dans  toute  la  série  de  ses  petits  «  poÚmes  en  prose  ».  La 
destruction  de  son  ĂȘtre  individuel  le  dĂ©sespĂšre  et  la  loi  de  la  mort 
universelle  l'exaspĂšre.  Cette  nature  insensible,  qui 

Brille  de  la  beauté  éternelle  au  seuil  des  tombes  (1) 

et  qui  est  tout  autant  préoccupée  des  «  muscles  d'une  cheville 
de  puce  »  que  de  l'existence  de  l'homme,  roi  de  l'univers  (2),  le 
révolte,  il  se  récrie  contre  cette  impassibilité,  cette  indifférence, 
cette  imperturbabilité. 

George  Sand,  elle,  se  réjouit  au  contraire  de  cette  marche  de 
la  nature,  indiffĂ©rente,  incessante,  de  ce  travail  sans  trĂȘve  par- 
tout sensible,  de  cette  joie  exultante,  de  ce?  triomphes,  de  ces 
victoires  continues,  non  seulement  «  au  seuil  de  notre  tombe  », 

(1)  Vers  de  Pouchkine. 

(2)  Tourguéniew,  Senilia. 


GEORGE   SAND  569 

mais  dans  cette  tombe  mĂȘme.  Dans  la  mort,  dans  la  destruction, 
elle  constate  le  travail  naturel,  la  reconstruction,  la  création 
incessante,  le  mouvement  Ă©ternel,  donc  la  vie,  Ă©ternelle  aussi,  de 
tous  les  éléments  de  son  propre  corps,  son  entiÚre  fusion,  dans  la 
vie  comme  dans  la  mort,  avec  tout  l'univers.  Et  ces  mĂȘmes  pattes 
d'un  insecte  si  soigneusement  créées  par  la  nature,  si  parfaites 
dans  leur  destination  (ce  ne  sont  pas  les  pattes  d'une  puce,  mais 
d'une  sauterelle  dont  parle  Mme  Sand),  la  portent  non  pas  Ă   des 
pensées  désespérées,  mais  à  une  contemplation  joyeuse,  pleine 
de  douce  lumiĂšre,  la  font  se  sentir  une  part  indivisible  de  la  vie 
universelle. 

Les  moments  oĂč,  saisi  et  emportĂ©  hors  de  moi  par  la  puissance  des 
choses  extérieures,  je  puis  m'abstraire  de  la  vie  de  mon  espÚce,  sont 
absolument  fortuits,  et  il  n'est  pas  toujours  en  mon  pouvoir  de  faire 
passer  mon  Ăąme  dans  les  ĂȘtres  qui  ne  sont  pas  moi.  Quand  ce  phĂ©no- 
mĂšne naĂŻf  se  produit  de  lui-mĂȘme,  je  ne  saurais  dire  si  quelque  circons- 
tance particuliÚre,  psychologique  ou  physiologique  m'y  a  préparé. 
Cela  arrive  certainement  Ă   tout  le  monde,  mais  je  voudrais  rencontrer 
quelqu'un  qui  pĂ»t  me  dire  :  «  Cela  m' arrive  aussi  de  la  mĂȘme  maniĂšre. 
Il  y  a  des  heures  oĂč  je  m'Ă©chappe  de  moi,  oĂč  je  vis  dans  une  plante,  oĂč 
je  me  sens  herbe,  oiseau,  cime  d'arbre,  nuage,  eau  coulante,  horizon, 
couleur,  forme  et  sensations  changeantes,  mobiles,  indéfinies  ;  des 
heures  oĂč  je  cours,  oĂč  je  vole,  oĂč  je  nage,  oĂč  je  bois  la  rosĂ©e,  oĂč  je 
m'Ă©panouis  au  soleil,  oĂč  je  dors  sous  les  feuilles,  oĂč  je  plane  avec  les 
alouettes,  oĂč  je  rampe  avec  les  lĂ©zards,  oĂč  je  brille  dans  les  Ă©toiles  et 
les  vers  luisants,  oĂč  je  vis  enfin  dans  tout  ce  qui  est  le  milieu  d'un  dĂ©ve- 
loppement qui  est  comme  la  dilatation  de  mon  ĂȘtre.  »  Je  n'ai  pas 
rencontré  cet  interlocuteur,  ou  je  l'ai  rencontré  sans  le  connaßtre... 
J'aurais  voulu  le  rencontrer  partout  à  la  condition  qu'il  fût  plus  savant 
que  moi  et  qu'il  pût  me  dire  si  ces  phénomÚnes  sont  le  résultat  d'un 
Ă©tat  du  corps  ou  de  l'Ăąme,  si  c'est  l'instinct  de  la  vie  universelle  qui 
reprend  physiquement  ses  droits  sur  Vindividu,  ou  si  c'est  une  plus  haute 
parenté,  une  parenté  intellectuelle  avec  Vùme  de  l'univers  qui  se  révÚle 
à  Vindividu  délivré  à  certaines  heures  des  liens  de  la  parenté.  M'est  avis 
qu'il  y  a  de  l'un  et  de  l'autre...  (1). 

...Nous  ne  sommes  pas  des  ĂȘtres  abstraits  et  mĂȘme  rien  n'est  abs- 
trait en  nous.  Notre  existence  s'alimente  de  tout  ce  qui  compose  notre 
milieu,  air,  chaleur,  humidité,  lumiÚre,  électricité,  vitalité  des  autres 

(1)  C'est  nous  qui  soulignons.  —  W.  K. 


5/0  GEORGE   SAND 

ĂȘtres,  influences  de  toutes  sortes  (1).  Ces  influences  ont  Ă©tĂ©  nĂ©cessaires 
à  l'éclosion  de  notre  vie,  elles  sont  encore  nous  pendant  sa  durée.  Nous 
sommes  terre  et  ciel,  nuage  et  poussiĂšre,  ni  anges,  ni  bĂȘtes,  mais  un 
produit  de  la  bĂȘte  et  de  l'ange  avec  quelque  chose  de  plus  intense  dans 
la  pensée  de  l'un  et  dans  l'instinct  de  l'autre  ;  nous  ne  sommes  pas  des 
ĂȘtres  ravis  dans  l'idĂ©al  au  point  d'y  perdre  la  volontĂ©  et  la  libertĂ©.  Nous 
ne  sommes  pas  non  plus  des  ĂȘtres  absorbĂ©s  uniquement  par  le  soin  de 
la  conservation  de  l'espÚce  et  soumis  à  des  procédés  invariables... 
Nous  Ă©tudions  l'ange,  c'est-Ă -dire  la  partie  sereine  et  divine  de  l'Ăąme 
universelle  ;  nous  observons  la  bĂȘte,  y  compris  la  plante,  qui  est  un 
ĂȘtre  sans  locomotion  apparente  ;  et  Ă   la  suite  d'une  vive  attention 
donnée  à  cet  examen,  nous  arrivons  à  sentir  matériellement  et  intellec- 
tuellement., V action  que  nos  gĂ©nĂ©rateurs  multiples,  ĂȘtres  ou  corps,  exercent 
encore  sur  nous. 

Je  ne  rĂȘve  donc  pas  quand,  devant  le  spectacle  d'un  grand  Ă©difice 
de  roches,  je  sens  que  ces  puissants  ossements  de  la  terre  sont  miens 
et  que  le  calme  de  mon  esprit  participe  de  leur  apparente  mort  et  de 
leur  dramatique  immobilité.  La  lune  ronge  les  pierres,  au  dire  du 
paysan  ;  je  dirai  volontiers  qu'elles  boivent  la  lumiĂšre  froide  de  la  lune 
et  se  désagrÚgent  sourdement  la  nuit  aprÚs  avoir  subi  l'action  dévo- 
rante du  soleil.  Je  songe  au  travail  occulte  qui  s'opÚre  dans  leurs  molé- 
cules et  je  me  sens  portĂ©  Ă   leur  attribuer  le  genre  de  bien-ĂȘtre  qui  se 
fait  en  moi  plus  rapide,  sous  l'empire  de  circonstances  analogues.  Et 
moi  aussi  je  suis  une  pierre  que  le  temps  désagrÚge,  et  la  tranquillité 
de  ces  blocs,  dont  toute  l'affaire  est  de  subir  l'action  des  jours  et  des 
nuits,  me  gagne,  me  pénÚtre,  me  calme  et  endort  ma  vitalité.  A  quoi 
bon  vouloir  tant  de  choses  inutiles  Ă   la  tĂąche  quotidienne?  L'Ă©ternelle 
destruction,  qui  préside  à  la  reconstruction  sous  un  autre  mode,  est 
plus  active,  puisqu'elle  est  incessante,  que  ne  le  sera  jamais  ma  volonté 
qui  procĂšde  par  bonds.  Mourir,  ce  n'est  pas  devenir  mort,  puisque  c'est 
servir  Ă   faire  autre  chose.  Mourir,  c'est  changer  d'action,  et  si  l'action 
continue  dans  la  pierre,  dans  l'ossement  qui  paraĂźt  ce  qu'il  y  a  de  plus 
insensible  et  de  plus  mort  sur  la  terre,  pourquoi  me  tourmenterai-je 
du  changement  inévitable  de  ma  patience  sentie  en  une  patience 
inerte?  Ce  sera  bien  plus  facile,  et,  Ă   supposer  que  je  n'aie  point  d'Ăąme, 
c'est-à-dire  qu'une  vitalité  capable  de  me  reconstruire  à  l'état  humain 
ne  me  survive  pas,  je  suis  sûr  de  laisser  ma  pierre  sous  le  sable,  c'est-à- 
dire  un  ossement  tranquille  qui  deviendra  un  élément  quelconque  de 
vitalité.  Les  influences  naturelles  s'en  chargeront.  Si  la  pierre  qui  a 
contribué  à  mon  ossature  en  me  fournissant  la  partie  calcaire  qui  est 

(1)  Cf.  avec  ce  que  George  Sand  disait  dans  son  Ă©tude  Ce  que  dit  le  ruisseau. 
(Voir  plus  haut,  p.  442-446.) 


GEORGE   SAXD  571 

ma  base  est  uue  aĂŻeule  que  je  ne  puis  renier  et  que  je  regarde  avec 
un  certain  respect  poétique  et  raisonnable,  la  plante  qui  est  un  orga- 
nisme, un  ĂȘtre  bien  antĂ©rieur  Ă   moi  sur  la  terre,  a  droit  Ă   mon  admira- 
tion, non  seulement  par  sa  grùce  ou  sa  beauté,  mais  encore  par  le  rÎle 
qu'elle  joue  dans  mon  existence.  Elle  vit  d'ailleurs,  jusqu'Ă   un  certain 
point,  d'une  vie  analogue  Ă   la  mienne.  Elle  ne  remue  pas  par  elle-mĂȘme, 
mais  elle  agit  par  sa  croissance,  elle  opĂšre  son  mouvement  par  une  action 
qui  est  en  mĂȘme  temps  une  production.  Si  elle  a  besoin  d'aller  trouver 
un  sol  plus  propice,  une  lumiĂšre  plus  ou  moins  vive,  elle  tire  de  sa  propre 
substance  des  branches,  des  vrilles  ou  de  puissantes  racines  qui  sont 
en  mĂȘme  temps  action  et  moyens  d'action  (1)... 

Et  en  continuant  la  revue  des  ĂȘtres  dans  la  nature,  admirant 
l'action  de  toutes  sortes  d'animaux,  George  Sand  déclare  que  : 

Comme  tous  ces  ĂȘtres  sont  beaux  ou  intĂ©ressants  dans  leur  mode 
d'existence,  on  se  transporte  involontairement  dans  -cette  existence 
qui  a  l'air  de  nous  enlever  au  sentiment  de  la  nĂŽtre,  mais  qui,  au  con- 
traire la  complĂšte  et  le  confirme.  Qui  n'a  rĂȘvĂ©  les  ailes  d'un  oiseau? 
Je  me  contenterais  plus  modestement  des  pattes  du  liĂšvre,  ou  des  bonds 
relativement  immenses  de  la  sauterelle.  Je  songe  aussi  au  petit  bien- 
ĂȘtre  cachĂ©  du  grillon  des  champs,  dont  l'appartement  est  si  chaud,  si 
propre,  et  le  masque  d'arlequin  si  sérieux  et  si  comique.  Il  a  un  tam- 
bour de  basque  sous  les  ailes  et  il  paraĂźt  heureux  comme  un  sauvage  de 
rĂ©pĂ©ter  toujours  la  mĂȘme  note.  Quelle  gaietĂ©,  quelle  folie,  le  soir,  dans 
un  pré  fleuri  quand  toutes  les  bestioles  de  l'herbe,  rendues  à  la  sécurité 
par  l'absence  de  l'homme,  s'Ă©gosillent  en  conversations  dans  tous  leurs 
idiomes  !  NVt-on  pas  besoin  de  se  taire  pour  les  «coûter,  faute  de  pou- 
voir chanter  et  causer  avec  elles?  Mais  comme  pour  décrire  l'action 
incessante  et  féconde  de  tout  ce  qui  compose  le  charme  de  la  nature, 
il  faudrait  plus  de  temps  qu'il  n'en  faut  pour  l'apprécier  et  le  sentir,  ; 
j'oserai  dire  demain  Ă   mon  ami  [Alexandre  Manceau]  que  les  des- 
criptions littéraires  sont  de  pauvres  paroles  qui  n'expriment  pas  la 
milliĂšme  partie  de  ce  qu'on  sent  et  qu'il  y  a  plus  de  bonheur  Ă   ne  rien 
faire  qu'Ă   Ă©crire... 

Le  chapitre  ni  continue  le  colloque  interrompu  de  l'auteur 
avec  son  «  ami  A.  ».  Manceau  a  trouvé  les  pages  de  la  Lettre 
écrite  par  Mme  Sand  en  1837  de  Fontainebleau,  commençant  par 

(1)  George  Sand  était  trÚs  portée  à  admettre  une  ùme  de  plante,  surtout 
depuis  qu'elle  avait  lu  le  livre  de  M.  Boscowicz  :  VAme  de  la  plante.  Elle  en 
parle  flans  l'une  des  Nouvelles  lettres  d'un  voyageur,  intitulée  :  De  Marseille 
Ă   Menton. 


573  GEORGE   SAND 

les  mots  :  «  Me  voilĂ   encore  une  fois  dans  la  forĂȘt,  seule  avec 
mon  fils...  »  Dans  cette  lettre  de  1837,  en  se  souvenant,  au  milieu 
des  rochers  et  des  arbres  gigantesques  de  la  forĂȘt,  des  pages  de 
Senancour  consacrées  à  la  description  de  Fontainebleau  et  en 
notant  la  tendance  de  Senancour,  commune  Ă   beaucoup  de  per- 
sonnes, de  toujours  ĂȘtre  mĂ©content  de  la  nature  qu'on  voit,  de 
ne  pas  la  trouver  assez  belle,  de  toujours  comparer  quelque  chose 
de  minuscule,  de  gracieux,  de  doux,  au  grandiose,  au  vaste,  au 
heurté,  de  s'attendre  au  futur,  ou  de  se  rappeler,  au  passé,  des 
impressions  extraordinaires,  et  de  laisser  passer  inaperçu,  sans 
l'admirer  durant  la  minute  prĂ©sente,  le  vrai  beau,  —  on  se  prive 
ainsi  de  vraies  jouissances,  on  gĂąte  la  fraĂźcheur  de  ses  impres- 
sions, —  George  Sand  reconnaĂźt  pourtant  qu'elle  a  toujours  aimĂ© 
Obermann  et  Senancour,  «  ce  génie  malade  »  : 

«  Je  l'aime  encore  ce  livre  étrange,  si  admirablement  mal  fait  ! 
Mais  j'aime  encore  mieux  un  bel  arbre  qui  se  porte  bien.  Il  faut 
de  tout  cela  :  des  arbres  bien  portants  et  des  livres  malades,  des 
choses  luxuriantes  et  des  esprits  désolés  !  H  faut  que  ce  qui  ne 
pense  pas  demeure  Ă©ternellement  beau  et  jeune,  pour  prouver 
que  la  prospérité  a  des  lois  absolues  en  dehors  de  nos  lois  relatives 
et  factices  qui  nous  font  vieux  et  laids  avant  l'heure.  H  faut  que 
ce  qui  pense  souffre,  pour  prouver  que  nous  vivons  dans  des  con- 
ditions fausses,  en  désaccord  avec  nos  vrais  besoins  et  nos  vrais 
instincts.  Aussi  toutes  ces  choses  magnifiques  qui  ne  pensent  pas 
donnent  beaucoup  à  penser...  » 

Un  peu  plus  haut,  elle  raconte  que,  passant  des  journées 
entiĂšres  au  grand  air,  elle  n'avait  plus  que  la  nuit  pour  Ă©crire  et 
elle  ajoute  : 

Pour  le  reste  je  vis  de  la  vie  rationnelle.  Je  vis  dans  les  arbres,  dans 
les  bruyĂšres,  dans  les  sables,  dans  le  mouvement  et  le  repos  de  la 
nature,  dans  l'instinct  et  dans  le  sentiment,  dans  mon  fils  surtout  qui 
était  malade  et  qui  guérit  à  vue  d'oeil... 

Ayant  donc  relu  avec  Manceau  cette  page  vieille  de  vingt-six 
ans,  George  Sand  reprend  sa  dispute  avec  lui  : 

Croire  que  l'on  puisse,  par  la  force  de  sa  volonté  et  de  son  esprit,  se 
séparer  de  la  vie  universelle,-  se  mettre  au-dessus  des  passions,  des 


GEORGE  SAND  573 

liens  de  sentiments,  des  vices,  ne  vivre  que  par  la  pensĂ©e,  ĂȘtre  «  le 
roi  de  la  création  »,  c'est,  selon  George  Sand,  «  le  plus  grand  non-sens 
qui  se  puisse  dire  ».  Nous  ne  sommes  ni  rois,  ni  esclaves  :  nous  sommes 
les  membres  d'une  grande  association  qui  s'appelle  le  monde,  rien  de 
plus,  rien  de  moins. 

«  Le  monde  extérieur  a  toujours  agi  sur  moi  »,  dit-elle  plus  loin, 
toutes  mes  impressions,  mes  pensĂ©es,  mes  rĂȘves  mĂȘme  dĂ©pendent  de 
lui  :  comment  peut-on  donc  parler  du  libre  arbitre  absolu?  » 

DĂšs  que  la  toute  jeune  Aurore  Dupin  Ă©tait  devenue  consciente 
de  sa  vie  religieuse,  elle  avait  toujours  été  préoccupée  du  pro- 
blÚme du  libre  arbitre,  de  la  responsabilité  de  l'ùme  devant  la  loi 
humaine  et  devant  Dieu.  George  Sand  avait  mainte  fois  soulevé 
cette  question  dans  ses  Ɠuvres  (1).  Aprùs  cinquante  ans  de  re- 
cherches et  de  réflexions,  elle  se  croit  encore  dans  l'impossibilité 
de  la  résoudre  définitivement. 

Peut-on  assurer  que  nous  soyons  absolument  libres  lorsque  nous 
passons  plus  d'un  tiers  de  notre  vie  en  dormant,  et  qu'en  dormant 
nous  voyons  des  rĂȘves  qui  ne  dĂ©pendent  pas,  eux  aussi,  de  notre  dĂ©sir 
de  voir  ceci  ou  cela,  mais  laissent  apparaĂźtre  des  choses  qui,  sous  l'in- 
fluence de  notre  organisme,  dépendent  encore  du  monde  extérieur,  ont 
Ă©tĂ©  tirĂ©es  de  ce  mĂȘme  monde  extĂ©rieur,  se  sont  gardĂ©es  dans  notre 
cerveau  et  se  sont  combinées  d'une  certaine  façon,  sans  aucune  par- 
ticipation de  notre  volontĂ©?  Les  gens  bien  portants  voient  des  rĂȘves 
périodiquement,  les  fous  toujours,  les  gens  nerveux,  les  enfants,  tous 
ceux  chez  qui  l'imagination  prédomine,  trÚs  souvent.  Et  lorsque  nous 
veillons  est-ce  que  nous  pouvons  toujours  ĂȘtre  maĂźtres  du  cours  de  nos 
pensées  et  partant  de  nos  actions,  est-ce  que  ces  pensées  ne  changent 
pas  parfois  entiĂšrement  ou  ne  changent  pas  de  direction,  sous  l'action 
du  monde  extérieur?  La  volonté,  la  volonté  guidée  par  la  raison  peut 
certainement  faire  beaucoup.  Mais  tout  le  monde  possĂšde-t-il  cette 
volonté  raisonnable?  Est-il  juste  de  croire  qu'une  volonté  raisonnable 
existe  chez  tout  le  monde  au  mĂȘme  degrĂ©?  Chez  les  hommes  instruits 
intelligents,  bien  Ă©duquĂ©s,  autant  que  chez  des  ĂȘtres  vivant  entiĂšre- 
ment en  proie  à  leurs  instincts  et  sous  l'influence  du  monde  extérieur? 
D'autre  part,  comment  distinguer  le  moi  du  non-moi,  le  moi  et  Yuni- 
vers?  Une  fois  que  je  suis  une  partie  indivisible  du  tout  et  subis  l'action 
des  Ă©toiles  et  de  l'air,  des  plantes  et  des  bĂȘtes,  j'agis  aussi  d'une  maniĂšre 
et  à  un  degré  inconnus,  mais  certain  sur  cet  air,  sur  ces  plantes,  ces 

(1)  Voir  par  exemple  YHistoire  de  ma  vie. 


574  GEORGE   SAND 

étoiles  ou  tout  ce  qui  est  (1).  Il  faut  eu  déduire  sans  aucun  doute 
d" abord  qu'il  ne  faut  demander  Ă   personne,  et  moins  qu'Ă   qui  ce  soit, 
au  poÚte,  l'homme  porté  à  vivre  sous  l'empire  de  son  imagination  et 
chez  qui  la  rĂȘverie  prĂ©domine  sur  les  pensĂ©es  et  les  actions,  de  toujours 
pouvoir  gouverner  ces  pensées. 

H  est  trop  naturel  que  le  poĂšte,  fort  souvent,  ne  fasse  que 
s'abreuver  inconsciemment  d'impressions,  il  s'en  pénÚtre,  il  vit 
en  dehors  de  son  moi,  il  ne  peut  concentrer  toutes  les  forces  de 
son  ĂȘtre  moral,  et  ceci  lui  est  tout  aussi  nĂ©cessaire,  lui  est  aussi 
adhérent  que  la  capacité,  le  savoir  et  la  nécessité  de  concentrer, 
de  spécialiser  le  cours  de  ses  pensées  sont  le  trait  adhérent  de 
l'homme  voué  à  quelque  autre  spécialité,  la  science,  les  arts  plas- 
tiques, la  technique. 

Puis,  il  faut  en  déduire  que  moins  un  homme  est  conscient,  moins 
il  est  développé,  plus  il  est  dominé  par  ses  instincts  et  moins  il  est 
libre  par  rapport  à  l'action  du  monde  extérieur  sur  lui,  moins 
est  libre  sa  volonté  et,  partant,  sa  responsabilité  devant  Dieu, 
les  hommes  et  le  jugement  des  hommes. 

H  faut  donc  que  notre  jugement  soit  développé  par  l'éducation,  afin 
que  nous  échappions  à  cette  sorte  de  fatalité  qui  pÚse  sur  la  vie  de 
l'ignorant  ;  mais  il  ne  faudrait  pas  que  cette  Ă©ducation  trop  stoĂŻque  ou 
trop  idéaliste  nous  conduisßt  à  vouloir  rompre  absolument  avec  l'in- 
fluence de  ce  qui  n'est  pas  nous-mĂȘmes.  Ce  serait  un  essai  insensĂ©  qui 
nous  conduirait  à  la  folie,  au  fanatisme  ou  l'athéisme,  à  la  haine  de 
Dieu  ou  de  nos  semblables,  à  l'orgueil  démesuré  qui  n'est  autre  chose 
qu'une  privation  de  nos  rapports  avec  la  vie  universelle,  par  consé- 
quent une  Ă©troitesse  de  conception.  H  n'y  a  rien  de  ce  qui  paraĂźt  ĂȘtre 
en  dehors  de  nous,  qui  ne  soit  nous.  Le  non-moi  n'existe  pas  d'une 
maniÚre  absolue,  par  conséquent  le  moi  absolu  est  une  notion  fausse. 
Toute  la  terre  et  tout  le  ciel  agissent  sur  nous  Ă   toute  heure,  et,  Ă   toute 
heure,  nous  réagissons  sur  toute  la  terre  et  sur  tout  le  ciel  sans  nous 
en  apercevoir.  Tout  ce  qui  est,  est  réceptacle  ou  effusion,  élément  ou 
aliment  de  vie.  Il  faut  la  respiration  de  tous  les  ĂȘtres  pour  que  chacun 
de  nous  ait  sa  dose  d'air  respira ble.  Les  nuages  sont  la  sueur  de  la 

(1)  Cf.  avec  ce  que  nous  avions  dit  plus  haut  en  analysant  Ce  que  dit  le 
ruisseau,  Ă©crit,  notons-le  en  passant,  en  cette  mĂȘme  annĂ©e  1863  que  les  deux 
dialogues  avec  Manceau  formant  les  numéros  1  et  3  des  Impressions  et  sou- 
venirs. 


GEORGE   SAXD  575 

terre,  il  faut  que  tout  y  transpire  pour  que  cous  ne  soyons  pas  dessé- 
chés. Il  faut  que  le  petit  astre  de  la  voie  lactée  fonctionne  dans  le  mode 
d'existence  qui  lui  est  départi  pour  que  l'univers  subsiste.  Comme  la 
goutte  d'eau  que  le  soleil  irise,  nous  avons  des  reflets,  des  projections 
immenses  dans  l'espace.  Et  moi,  pauvre  atome,  quand  je  me  sens 
arc-en-ciel  et  voie  lactĂ©e,  je  ne  fais  pas  un  vain  rĂȘve.  Il  y  a  de  moi  en 
tout,  il  y  a  de  tout  en  moi.  Et  je  n'ai  pas  la  liberté  de  me  séparer  de  ce 
qui  constitue  ma  vie.  La  mort  ne  m'en  séparera  pas.  Ma  volonté  ne 
peut  pas  m' anéantir... 

Le  chapitre  vin  des  Impressions  et  souvenirs  est  surtout  impor- 
tant sous  le  rapport  autobiographique,  parce  que  George  Sand 
y  raconte  les  étapes  consécutives  de  sa  pensée  religieuse  et  qu'elle 
y  peint  sa  conception  religieuse  définitive.  Il  est  intéressant  sous 
ce  dernier  rapport,  aussi,  c'est-Ă -dire  qu'il  permet  de  nous  rendre 
compte  de  la  synthĂšse  religieuse  de  George  Sand  dans  la  derniĂšre 
période  de  sa  vie.  On  voit  aussi  comment  elle  avait  marché  et  à 
quoi  elle  était  arrivée. 

Les  deux  premiĂšres  pages  de  cette  HuitiĂšme  Lettre  sont  une 
vraie  merveille  de  poésie  descriptive.  Mme  Sand,  par  un  beau 
clair  de  lune,  allume  un  fagot  ;  puis,  assise  au  coin  du  feu  dans 
sa  petite  chambre  bien  chaude  et  confortable,  elle  voit  et  sent 
«  que  derriÚre  les  vitres  passe  la  premiÚre  gelée  de  l'année,  non 
pas  l'inoffensive  gelée  blanche,  mais  la  vraie,  l'implacable,  qui 
fauche  tout  en  une  nuit  ». 

Puisque  ce  premier  froid  et  ce  premier  feu,  dit-elle  plus  loin,  m'au- 
torisent Ă   une  nuit  de  paresse,  j'en  profite  pour  refaire  connaissance 
avec  une  personne  longtemps  oubliée  de  moi  dans  ce  dernier  temps  et 
qui  n'est  autre  que  moi.  Cette  personne  qui  vit  loin  du  mouvement  et 
du  bruit,  a  des  occupations  qui  l'absorbent  souvent  et  ses  récréations 
appartiennent  Ă   une  chĂšre  famille  oĂč  elle  n'a  aucun  besoin  de  se  sentir 
vivre  pour  exister  pleinement.  C'est  par  hasard  qu'elle  se  recueille  et 
s'interroge  aprÚs  avoir  souvent  évité  l'occasion  de  le  faire  en  se  disant  : 
a  A  quoi  bon?  »  A  quoi  bon  en  effet?  Mais  qui  sait?  Peut-ĂȘtre  doit-on 
de  temps  Ă   autre  regarder  en  soi?  On  oublierait  peut-ĂȘtre  ce  qui  doit  y 
demeurer  intact.  Il  ne  faut  pas  trop  se  fier  à  la  santé  apparente  de 
l'Ăąme... 

Et  alors  l'Ă©crivain  repasse  mentalement  la  route  parcourue  par 
sa  pensée  et  ses  croyances. 


576  GEORGE   SAND 

Jeune  fillette,  complĂštement  confiĂ©e  Ă   elle-mĂȘme,  elle  passait 
des  nuits  entiĂšres  Ă   lire  dans  cette  mĂȘme  chambre,  et,  aprĂšs  avoir 
lu,  elle  se  chauffait  un  peu  —  ce  qui  n'Ă©tait  pas  facile  alors  —  et 
résumait  ses  lectures,  en  s'efforçant  de  concilier  dans  son  esprit 
les  contradictions  existant  entre  les  idées  des  grands  écrivains 
ou  leurs  pensées  et  ses  propres  croyances. 

ÉlevĂ©e  au  couvent  et  enivrĂ©e  de  dĂ©votion  poĂ©tique,  elle  lisait  tran- 
quillement les  philosophes,  croyant  d'abord  qu'elle  les  réfuterait  faci- 
lement dans  sa  conscience  ;  mais  elle  se  prenait  Ă   aimer  les  philosophes 
et  Ă   voir  Dieu  plus  grand  qu'il  ne  lui  Ă©tait  encore  apparu. 

Elle  croyait  trouver  chez  ces  philosophes  la  réponse  à  ses  doutes 
et  Ă   ses  incertitudes,  mais  insensiblement  ses  croyances,  d'or- 
thodoxes qu'elles  Ă©taient,  devenaient  individuelles,  plus  pro- 
fondes, s'Ă©largissaient. 

C'Ă©tait  trĂšs  vague,  mais  trĂšs  grand  et  chaque  fois  que  revenait  la 
vision,  elle  se  présentait  agrandie,  comme  si  la  sÚve  eût  augmenté  dans 
l'ensemble  et  dans  le  détail. 

Mais  dans  cette  conception  spiritualiste  manquait  le  sentiment 
personnel  envers  Dieu. 

L'Ăąme  rĂȘveuse  voulait  aimer  et  la  toute-puissance,  objet  de  son  admi- 
ration, ne  suffisait  pas  à  contenter  son  cƓur.  Il  fallait  l'infini  de  l'amour 
dans  cette  crĂ©ation  exubĂ©rante  oĂč  la  force  des  renaissances  est  inĂ©pui- 
sable, et  le  monde  qui  nous  sert  de  milieu  ne  manifeste  que  la  lutte 
des  existences  empiétant  les  unes  sur  les  autres... 

...Alors  l'ùme  pensive  dont  je  cherche  à  ressaisir  la  trace  et  qui  déjà 
en  ce  temps  cherchait  à  se  ressaisir  dans  le  passé  religieux,  voulait  se 
relever  par  la  priĂšre.  Elle  dĂ©pouilla  la  forme  arrĂȘtĂ©e  du  catholicisme,  elle 
se  fit  protestante  sans  le  savoir  ;  et  puis,  elle  alla  plus  loin  et  improvisa 
son  mode  d'entretien  avec  la  divinité.  Elle  se  fit  une  religion  à  sa  taille, 
Ă   la  mesure  de  son  entendement.  Ce  n'Ă©tait  probablement  pas  une 
grande  conception.  C'était  sincÚre  et  indépendant,  voilà  tout  le 
mérite. 

Ce  qui  surnagea  sur  cette  houle,  ce  qui  plus  tard  et  Ă   tous  les  Ăąges 
de  la  vie  a  surnagé  et  nagé  vraiment  sans  lassitude,  c'est  le  besoin  de 
croire  Ă   l'amour  divin...  J'aime  mieux  croire  que  Dieu  n'existe  pas 
que  de  le  croire  indifférent... 


GEORGE   SAND  577 

Quand  elle  se  laissait  parfois  persuader  par  ses  lectures  qu'H 
l'était,  elle  «  devenait  athée  quelquefois  pendant  vingt-quatre 
heures  ». 

Pendant  de  longues  années  elle  ne  parvint  pas  à  résoudre  ces  pro- 
blÚmes, mais  parfois  elle  eut  le  bonheur  de  sentir  «  le  vol  de  la  divinité 
maternelle  passer  sur  sa  tĂȘte»,  elle  eut  «  le  sentiment,  presque  la  sensa- 
tion de  la  présence  divine... 

Puis  la  vie  extérieure,  les  préoccupations  et  les  bouleversements  de 
toutes  sortes  refoulĂšrent  ces  recherches  philosophiques,  ces  doutes  et 
ces  Ă©lans. 

Voulant,  à  présent,  renouer  le  lien  entre  ses  croyances  d'antan  et 
les  croyances  de  sa  vieillesse,  elle  dit  qu'au  fond,  ce  lien  n'a  jamais  été 
rompu,  il  n'était  que  relùché. 

H  est  lĂ ,  je  le  tiens,  et  le  dialogue  avec  l'inconnu  recommence,  mais 
sans  que  je  puisse  dire  oĂč  il  en  Ă©tait  restĂ©,  ni  quelle  fut  la  derniĂšre  parole 
échangée... 

Mais  dans  ce  dialogue  avec  l'Être  suprĂȘme  il  n'y  a  plus  rien  qui  res- 
semble Ă   une  oraison  rĂ©glĂ©e  et  dans  la  conception  de  cet  Être  il  n'y  a 
aucun  trait  ressemblant  Ă   celui  qu'adoraient  le3  anciens,  HĂ©breux  ou 
Grecs,  ni  à  celui  qu'on  nous  enseigne  de  croire.  «  Il  faut  donc  ne  rien 
croire  de  Dieu,  ou  changer  toutes  les  notions  qui  nous  ont  été  données 
de  lui.  Il  faut  renoncer  à  l'interpréter  avec  nos  appréciations,  avouer 
que  notre  bonté  n'est  pas  sa  bonté,  que  notre  justice  n'est  pas  sa  jus- 
tice et  qu'il  nous  a  remis  le  soin  de  veiller  sur  nous-mĂȘmes,  sans  jamais 
alléger  au  dehors  des  lois  naturelles,  les  difficultés  et  les  périls  de  notre 
existence. 

Elle  est  en  son  lieu,  elle  fait  elle-mĂȘme  sa  place  et  sa  destinĂ©e.  Nulle 
compassion,  nulle  assistance  visible.  C'est  Ă   nous  d'arracher  Ă   la  nature 
ses  secrets,  c'est  Ă   la  science  et  Ă   l'industrie  humaines  de  trouver  ce 
qu'il  leur  faut  dans  l'inĂ©puisable  rĂ©servoir  oĂč  s'Ă©laborent  les  conditions 
de  la  vie  universelle. 

...Ces  dieux  de  l'antiquitĂ©,  ce  JĂ©hovah  lui-mĂȘme  qui  les  rĂ©sume  tous 
et  qui  donne  une  plus  grande  idée  de  la  puissance  de  la  nature  con- 
centrée dans  ses  mains,  ce  sont  les  forces  et  les  vertus  de  la  matiÚre.  H 
faut  une  religion  matérielle  pour  se  les  rendre  favorables,  pour  les 
empĂȘcher  de  se  mettre  en  colĂšre  et  de  dĂ©chaĂźner  les  flĂ©aux  qu'elles 
tiennent  en  réserve  pour  le  chùtiment  des  impies.  Cette  notion  enfan- 
tine et  barbare  entre  dans  le  cerveau  humain;  elle  s'y  incruste  en 
passant  du  pĂšre  au  fils,  elle  y  est  encore  et  toujours  la  mĂȘme,  avec  le 
ciel  et  l'enfer  pour  couvrir  les  manifestations  illogiques  des  intentions 
apparentes  de  la  divinité  à  notre  égard. 

Ainsi  toujours  un  Dieu  fait  Ă   notre  image,  bĂȘte  ou  mĂ©chant,  vain 

,v-  37 


578  GEORGE  SAND 

ou  puéril,  irritable  ou  tendre  à  notre  maniÚre  ;  fantasque,  si  son  caprice 
agit  sur  notre  monde,  sophistique  et  casuiste  s'il  nous  attend  aprĂšs  la 
mort  pour  nous  indemniser  du  tort  qu'il  nous  a  fait  durant  la  vie.  Le 
dialogue  avec  ce  Dieu-là  m'est  impossible,  je  l'avoue.  H  est  effacé  de 
ma  mémoire,  je  ne  saurais  le  retrouver  dans  aucun  coin  de  ma  chambre. 
H  n'est  pas  dans  le  jardin  non  plus.  H  n'est  ni  dans  les  champs,  ni  sur 
les  eaux,  ni  dans  l'azur  plein  d'Ă©toiles,  ni  dans  les  Ă©glises  oĂč  les  hommes 
se  prosternent  ;  c'est  un  verbe  éteint,  une  lettre  morte,  une  pensée 
finie.  Bien  de  cette  croyance,  rien  de  ce  Dieu  ne  subsiste  plus  en  moi. 
Et  pourtant  tout  est  divin.  Ce  beau  ciel,  ce  feu  qui  m'Ă©claire,  cette 
industrie  humaine  qui  me  permet  de  vivre  humainement,  c'est-Ă -dire 
de  rĂȘver  paisiblement  sans  ĂȘtre  gelĂ©  comme  une  plante,  cette  pensĂ©e 
qui  s'Ă©labore  en  moi,  ce  cƓur  qui  aime,  ce  repos  de  la  volontĂ©  qui  m'in- 
vite à  aimer  toujours  davantage  :  tout  cela,  esprit  et  matiÚre,  est  animé 
de  quelque  chose  qui  est  plus  que  l'un  et  plus  que  l'autre,  le  principe 
inconnu  de  ce  qui  est  tangible,  la  vertu  cachée  qui  fait  que  tout  a  été 
et  sera  toujours.  Si  tout  est  divin,  mĂȘme  la  matiĂšre,  si  tout  est  sur- 
humain, mĂȘme  l'homme,  Dieu  est  dans  tout,  je  le  vois  et  je  le  touche,  je 
le  sens  puisque  je  l'aime,  puisque  je  l'ai  toujours  connu  et  senti,  puis- 
qu'il est  en  moi  à  un  degré  proportionné  au  peu  que  je  suis.  Je  ne  suis 
pas  Dieu  pour  cela,  mais  je  viens  de  lui  et  je  dois  retourner  Ă   lui,  il  ne 
m'a  ni  quitté,  ni  repris,  et  ma  vie  d'à  présent  ne  me  sépare  de  lui  que 
dans  la  limite  oĂč  je  dois  ĂȘtre  tenu  par  .l'Ă©tat  d'enfance  de  la  race 
humaine... 


C'est  là  une  théorie  parfaite  du  panthéisme.  Selon  George 
Sand,  ce  n'est  nullement  «  une  perte  du  sens  religieux  comme 
l'affirment  les  idolùtres  persistants  ».  Au  contraire,  c'est  un  pas 
en  avant.  C'est  une  «  restitution  de  la  foi  à  la  vraie  divinité  »... 
«  C'est  une  abjuration  des  dogmes  qui  lui  faisaient  outrage.  » 
Ce  n'est  ni  par  des  visions,  ni  par  des  miracles,  que  l'homme 
entre  en  rapports  avec  Dieu,  ni  par  l'extase,  «  état  maladif  »  de 
notre  Ăąme  (1). 

Non,  c'est  la  partie  la  plus  subtile  et  la  plus  exquise  de  notre  ĂȘtre 
qui  tressaille  à  l'idée  de  Dieu.  L'usage  trop  répété  de  cette  faculté 
nous  rendrait  fous,  les  pratiques  journaliĂšres  dans  des  formules  con- 

(1)  TrĂšs  curieux  Ă   confronter  ces  lignes  avec  ce  que  George  Sand  disait 
de  l'extase  en  1840,  Ă   propos  de  Mickiewicz,  (Voir  notre  vol.  III,  p.  201 
et  suiv.) 


GEORGE   SAND  579 

sacrées  nous  abrutissent  et  nous  rendent  incapables  de  saisir  la  moindre 
parcelle  de  l'idéal  divin. 

George  Sand  espĂšre  qu'il  viendra 

un  temps  oĂč  nous  ne  parlerons  plus  de  Dieu  inutilement,  oĂč  nous 
en  parlerons  mĂȘme  le  moins  possible  ;  nous  ne  l'enseignerons  plus 
dogmatiquement,  nous  ne  disputerons  plus  sur  sa  nature,  nous  n'im- 
poserons Ă   personne  l'obligation  de  le  prier... 

Alors  il  n'y  aura  plus  ni  disputes,  ni  persécutions  religieuses  » 

La  prétention  d'affirmer  une  religion  formulée  sera  considérée 
comme  un  blasphÚme.  Toute  intolérance,  tout  culte  extérieur,  héri- 
tage du  paganisme,  disparaĂźtra,  chacun  adorera  Dieu  en  esprit  et  en 
vérité  dans  le  sanctuaire  de  sa  conscience  selon  l'idée  qu'il  s'en  fait 
et  selon  le  degré  de  son  développement. 

Et  dÚs  aujourd'hui,  le  penseur  isolé,  inoffensif  en  présence  des  cultes 
vieillis,  tolérant  envers  tous  par  respect  de  la  liberté  humaine,  mais 
libre  dans  la  sphÚre  de  sa  méditation  et  ne  relevant  dans  l'essor  de  sa 
pensée  que  de  l'esprit  qui  parle  en  lui,  se  sent  affranchi,  paisible, 
attendri  par  la  conquĂȘte  patiente  de  sa  foi  personnelle.  C'est  son  trĂ©sor 
intérieur,  c'est  sa  confiance  modeste,  son  humble  et  inviolable  séré- 
nité... 

Et  à  présent,  conclut  ce  «  penseur  »  qui,  au  déclin  de  son  ùge, 
voulut  faire  un  examen  de  conscience  de  son  moi  moral  et  intel- 
lectuel, 

A  présent  que  ma  veillée  s'achÚve  et  que  mon  moi  délaissé  se  retrouve 
et  me  parle,  je  sens  Dieu,  j'aime,  je  crois...  tĂȘte  Ă   tĂȘte  avec  le  principe 
supérieur  qui  l'anime,  ce  moi  n'est  point  seul,  et  son  monologue  est 
un  hymne  intérieur  dont  l'écho  affaibli  d'une  lointaine  et  mystérieuse 
réponse  prouve  qu'il  n'est  point  perdu  dans  le  vide. 

Et  le  chapitre  vin  se  termine  par  cette  page  magnifique, 
oraison  mentale  adressée  à  la  Divinité  : 

toi  que  profane  et  méconnaßt  la  priÚre  égoïste  de  l'idolùtre,  toi  qui 
entends  le  cri  du  cƓur  auquel  les  hommes  sont  sourds,  toi  qui 
ne  réponds  pas  comme  eux  à  qui  t'invoque  le  non  impie  de  la  raison 
pure,  toi,  la  source  inépuisable  qui  seule  répond  à  la  soif  inextinguible 
du  beau  et  du  bien,  à  qui  se  rapportent  toutes  les  meilleures  pensées 
et  les  meilleures  actions  de  la  vie,  la  peine  endurée,  le  devoir  accompli, 


5So  GEORGE   SAND 

tout  ce  qui  purifie  l'existence,  tout  ce  qui  réchauffe  l'amour,  je  ne  te 
prierai  pas.  Je  n'ai  rien  Ă   te  demander  dans  la  vie  que  la  loi  de  la  vie 
ne  m'ait  offert,  et  si  je  ne  l'ai  point  saisi,  c'est  ma  faute  ou  celle  de 
l'humanité  dont  je  suis  un  membre  responsable  et  dépendant.  Mon 
Ă©lan  vers  toi  ne  saurait  ĂȘtre  le  marmottage  du  mendiant  qui  demande 
de  quoi  vivre  sans  travailler.  Ce  qui  m'est  tracé,  c'est  à  moi  de  le  voir, 
ce  qui  m'est  commandé,  c'est  à  moi  de  l'accomplir.  Le  miracle  n'inter- 
viendra pas  pour  me  dispenser  de  l'effort.  Point  de  supplication,  point 
de  patenÎtres  à  l'esprit  qui  nous  a  donné  l'étincelle  de  sa  propre 
flamme  pour  tout  utiliser.  Le  dialogue  avec  toi  ne  s'exprime  pas  en 
paroles  que  l'on  puisse  prononcer  ou  écrire  ;  la  parole  a  été  trouvée 
pour  échanger  la  pensée  d'homme  à  homme.  Avec  toi  il  n'y  a  point  de 
langage,  tout  se  passe  dans  la  rĂ©gion  de  l'Ăąme  oĂč  il  n'y  a  plus  ni  rai- 
sonnements, ni  dĂ©ductions,  ni  pensĂ©es  formulĂ©es.  C'est  la  rĂ©gion  oĂč 
tout  est  flamme  et  transport,  sagesse  et  fermeté.  C'est  sur  ces  hauteurs 
sacrées  que  s'accomplit  l'hyménée,  impossible  sur  la  terre,  du  calme 
délicieux  et  de  l'ineffable  ivresse... 

Lorsqu'on  a  lu  ce  chapitre  vin  des  Impressions  et  souvenirs, 
on  comprend  encore  mieux  l'état  de  désespérance  et  d'efßroi 
reflété  par  Lélia  et  Spiridion  et  auquel  était  livrée  l'ùme  de  la 
malheureuse  ex-Ă©lĂšve  du  Couvent  des  Anglaises,  alors  que  ses 
croyances  anciennes  s'Ă©croulĂšrent,  et  la  nouvelle  foi  n'Ă©tait  point 
encore  éelose  en  son  ùme.  A  présent,  cette  ùme  bouleversée,  cet 
esprit  ayant,  jadis,  combattu  contre  JĂ©hovah  et  les  hommes,  a 
retrouvé  son  calme  ! 

Lo  thĂšse  et  Y  antithĂšse  se  sont  fondues  dans  leur  synthĂšse.  Et  ces 
neuf  derniÚres  années  peuvent  ainsi,  à  l'exception  de  Vannée 
terrible  (1870-71),  ĂȘtre  considĂ©rĂ©es  au  double  sens  de  la  vie  fami- 
liale et  de  la  sérénité  de  l'ùme  comme  les  années  les  plus  heu- 
reuses de  la  vie  de  George  Sand. 

En  cette  derniÚre  période  de  sa  vie  George  Sand  continuait, 
comme  par  le  passé,  d'écrire  au  moins  un  roman  par  an.  quelque- 
fois deux  ou  trois.  Outre  les  romans  déjà  mentionnés  en  diffé- 
rents endroits,  plus  haut  (Malgrétout,  1869,  Mademoiselle  Mer- 
qiien,  Cadio,  1868,  et  Nanon,  1872),  elle  Ă©crivit  en  ces  derniĂšres 
dix  annĂ©es  :  CĂ©sarine  Dietrich,  Ma  sƓur  Jeanne,  Flamarande, 
les  Deux  FrĂšres,  Marianne  Chevreuse,  la  Tour  de  Percemord. 

Si  le  petit  volume  de  Césarine  Dietrich  n'était  pas  signé,  si 


GEORGE   SAN'D  581 

quelques  traits  et  quelques  détails  ne  trahissaient  pas  trop  leur 
auteur,  nous  aurions  hésité  à  l'attribuer  à  Mme  Sand,  le  carac- 
tÚre de  cette  Césarine,  son  impénitence  persistante  sont  choses 
peu  habituelles  à  la  maniÚre  de  George  Sand.  Nous  avons  déjà 
remarquĂ©  que  dans  certaines  Ɠuvres  de  George  Sand  de  Y  avant- 
derniÚre  et  de  la  derniÚre  période  de  sa  vie  on  sent  une  puissante 
influence  du  réalisme,  qui  comptait  ses  premiÚres  victoires. 

Le  lecteur  se  rappelle  peut-ĂȘtre  aussi  que  nous  avions  signalĂ© 
dans  Rose  et  Blanche,  Valentine,  Pauline,  que  si  George  Sand 
s'était,  dÚs  ses  débuts,  abandonnée  à  sa  propre  maniÚre  et  ne 
se  fût  point  efforcée  de  s'approprier  «  le  genre  sublime  »,  alors  à  la 
mode,  elle  eût  été  plutÎt  une  adepte  de  l'école  sobre  de  Balzac  que 
de  l'école  romantique  et  échevelée  d'Henri  de  Latouche.  Césarine 
Dietrich  occupe  donc  une  place  Ă   part  parmi  ses  derniers  romans, 
et  ce  qui  est  surtout  remarquable,  nous  le  répétons,  c'est  que 
l'hĂ©roĂŻne  demeure  la  mĂȘme  jusqu'Ă   la  fin,  ce  qui  est  contraire  Ă  
la  poétique  de  George  Sand,  elle  ne  devient  ni  tendre,  ni  désin- 
téressée, ni  moins  égoïste.  Césarine  ne  ressemble  donc  en  rien 
aux  autres  dames  et  demoiselles  de  George  Sand  transformées 
par  la  puissance  du  vrai  amour.  CĂ©sarine  n'aime  qu'elle-mĂȘme. 
C'est  une  toute  jeune  personne,  presque  une  enfant  dont  la  narra- 
trice de  cette  histoire,  une  pauvre  vieille  demoiselle  noble,  doit 
faire  l'éducation.  Césarine  est  la  fille  gùtée  et  capricieuse  d'un 
riche  commerçant  ;  elle  n'a  plus  de  mÚre,  et  veut  non  seulement 
arranger  sa  propre  vie  Ă   sa  guise,  mais  encore  faire  la  loi  Ă   cette 
gouvernante,  Ă   son  pĂšre,  Ă   tous  ses  parents  et  adorateurs. 
L'aplomb  et  la  suffisance  ne  lui  manquent  pas  plus  que  l'adresse 
et  l'habileté  à  se  tirer  d'affaire.  Elle  a  toujours  le  dernier  mot, 
ne  se  laisse  jamais  surprendre  ni  attraper.  Sa  marche  victorieuse 
Ă   travers  la  vie  rencontre  toutefois  un  obstacle  inattendu  dans 
la  personne  du  neveu  de  sa  gouvernante.  Ce  jeune  homme,  que 
Césarine  veut  compter  au  nombre  de  ses  adorateurs,  décline  cet 
honneur  et  lui  témoigne  de  l'indifférence.  Césarine  offensée 
entreprend  une  attaque  en  rĂšgle  contre  le  jeune  stoĂŻcien,  mais  le 
jeune  homme  la  repousse,  bien  qu'il  soit,  au  fond  de  l'Ăąme,  sub- 
jugué par  son  charme  ;  il  ne  veut  ni  se  laisser  écarter  du  droit 


532  GEORGE   SAND 

chemin,  ni  manquer  Ă   ses  principes.  CĂ©sarine  trahit  involontaire- 
ment devant  sa  gouvernante  sa  vraie  nature,  elle  révÚle  sa  faus- 
seté, sa  sécheresse,  l'absence  de  toute  morale.  Puis  elle  pousse 
à  la  démence,  à  la  fureur  le  plus  humble  de  ses  adorateurs,  le 
marquis,  qui  provoque  en  duel  le  fils  de  sa  gouvernante.  A  la  fin, 
ayant  manqué  son  but  et  désirant  donner  le  change  à  ses  proches 
par  dépit,  par  amour-propre,  par  désir  vaniteux  de  faire  admirer 
la  grandeur  de  sa  conduite,  elle  Ă©pouse  ce  marquis,  demi-fou, 
espérant  étonner  tout  le  monde.  Cependant  immédiatement  aprÚs 
son  mariage,  dame  CĂ©sarine  s'efforce  de  faire  la  conquĂȘte  de  son 
ennemi  le  plus  acharné,  l'ami  du  marquis.  Et  l'auteur  laisse 
entendre  que  ce  nouveau  flirt  va  trop  loin.  H  est  Ă©vident  que 
CĂ©sarine,  mariĂ©e,  continuera  ses  manƓuvres,  ses  «  campagnes  », 
ses  triomphes  et  ses  «  captures  »,  que,  par  la  logique  mĂȘme  des 
choses,  les  amusements  de  cette  coquette  Ă   froid  ne  seront  plus 
les  innocents  romans  de  CĂ©sarine  jeune  fille. 

Ce  roman  eut  le  malheur  de  paraĂźtre  dans  la  Revue  des  Deux 
Mondes  du  15  août  au  1er  octobre  1870.  L'attention  publique 
prise  par  la  guerre  fie  que  peu  de  personnes  l'ont  lu  lors  de  cette 
premiĂšre  publication,  c'est  le  roman  le  moins  connu  de  George 
Sand.  Chose  curieuse  :  CĂ©sarine,  son  pĂšre  sympathique  et  bonasse 
et  toute  leur  parenté  sont  justement  des  Alsaciens  allemands 
naturalisĂ©s  Ă   Paris,  se  considĂ©rant  eux-mĂȘmes  comme  des  Alle- 
mands. 

Le  petit  roman,  ou  plutĂŽt  la  nouvelle  Marianne  Chevreuse  a 
aussi,  mais  pour  une  autre  raison,  sa  place  à  part  dans  l'Ɠuvre 
de  la  derniÚre  période  de  George  Sand  :  par  sa  fraßcheur,  par  son 
ton,  sa  maniĂšre,  son  coloris,  elle  rappelle  les  toutes  premiĂšres 
Ɠuvres  :  Valentine,  AndrĂ©  ou  Lavinia.  George  Sand  semble  avec 
intention  avoir  marqué  de  quelques  traits  autobiographiques  son 
hĂ©roĂŻne  et  le  milieu  oĂč  elle  Ă©volue.  Cette  Marianne  Chevreuse, 
petite  brune  aux  grands  yeux  noirs,  à  la  figure  pensive  et  mélan- 
colique, chevauche  une  petite  jument  maigre  autour  de  sa  pro- 
priété. L'originalité  et  l'indépendance  de  sa  conduite  la  font  dé- 
crier par  les  commĂšres  de  la  ville  voisine.  Cette  ville  voisine  porte 
avec  ostentation  le  nom  de  Faille  sur  Gouvre,  dans  laquelle  les 


GEORGE   SAND  583 

braves  Lachùtrois  avaient  déjà  une  fois  reconnu  leur  bourg 
bienheureux  (1).  L'expérience  littéraire  et  le  savoir-faire  magis- 
tral de  l'écrivain,  son  mépris  de  tout  inutile  détail  font  de  ce 
petit  conte  une  Ɠuvre  vraiment  classique  digne  d'ĂȘtre  comparĂ©e 
Ă   Werther  ou  Hermann  et  DorothĂ©e  de  GƓthe.  Flaubert  Ă©crivait  Ă  
Mme  Sand  Ă   propos  de  ce  roman  : 

...Je  trouve  cela  parfait,  deux  bijoux  !  Marianne  m'a  profondément 
ému  et  deux  ou  trois  fois  j'ai  pleuré.  Je  me  suis  reconnu  dans  le  per- 
sonnage de  Pierre.  Certaines  pages  me  semblaient  des  fragments  de 
mes  mémoires,  si  j'avais  le  talent  de  les  écrire  de  cette  maniÚre.  Comme 
tout  cela  est  charmant,  poétique  et  vrai!  La  Tour  de  Percemont  m'avait 
plu  extrĂȘmement.  Mais  Marianne  m'a  littĂ©ralement  enchantĂ©  (2).  Les 
Anglais  sont  de  mon  avis,  car  dans  le  dernier  numĂ©ro  de  YAthenƓum 
on  vous  a  fait  un  trĂšs  bel  article.  Saviez-vous  cela?  Ainsi  donc  pour  cette 
fois  je  vous  admire  pleinement  et  sans  la  moindre  réserve... 

Cette  derniĂšre  phrase  renferme  une  allusion  aux  quelques 
remarques  faites  par  Flaubert  et  citées  plus  loin  à  propos  de 
Flamarande,  paru  six  mois  avant.  Mais  avant  d'en  parler, 
ainsi  que  du  tout  dernier  roman  de  George  Sand,  la  Tour  de  Per- 
cemont, aussi  vanté  par  Flaubert,  nous  devons  dire  quelques 
mots  d'une  série  de  romans  de  cette  derniÚre  période  et  de  Y  avant- 
derniĂšre  pĂ©riode  de  George  Sand,  —  c'est-Ă -dire  de  l'Ă©poque 
dĂ©cennale  de  thĂ©Ăątre.  —  Ils  se  rattachent  les  uns  aux  autres  par 
une  idĂ©e  commune,  et  traitent  le  mĂȘme  thĂšme  gĂ©nĂ©ral.  Cette  sĂ©rie 
commence  par  la  Filleule  écrite  en  1853,  l'année  des  Maßtres 
sonneurs,  oĂč  l'on  voit  dĂ©jĂ   BrĂ»lette  Ă©lever  l'enfant  naturel  de  la 
Mariton.  Ce  thÚme  général  est  ceci  :  Un  enfant  disparu,  enlevé, 
sauvé  et  élevé  soit  par  une  amie  de  l'héroïne,  soit  par  un  ver- 
tueux serviteur,  soit  par  quelque  homme  du  peuple  —  l'homme 
du  peuple  est  de  rigueur  !  L'action  se  complique  tantĂŽt  par  la 
faute  de  la  mĂšre,  tantĂŽt  par  une  accusation  injuste,  etc.,  etc.  On 
trouve  des  variations  sur  ce  sujet  dans  la  Filleule,  dans  Narcisse, 

(1)  Voir  plus  haut  ce  qui  a  été  dit  à  propos  de  Narcisse  et  de  Jean  de  la 
Roche,  vol.  IT,  chap.  vin,  p.  113,  et  dans  le  présent  volume,  chap.  x. 

(2)  La  Tour  de  Percemont  parut  dans  les  livraisons  du  1er  et  15  dé- 
cembre et  Marianne  dans  celles  du  1er  et  15  août  1875  de  la  Revue  des 
Deux  Mondes. 


584  GEORGE   SAND 

l'Homme  de  neige,  le  Marquis  de  Villemer,  la  Confession  d'une 
jeune  fille,  V Autre,  drame  tirĂ©  de  ce  dernier  roman,  Ma  sƓur 
Jeanne,  Flamarande,  les  Deux  FrĂšres  et  la  Tour  de  Percemoni. 

Souvent  cette  histoire  d'un  enfant  sauvé,  ou  retrouvant  heu- 
reusement la  maison  paternelle,  s'embarrasse  de  tant  de  combi- 
naisons et  d'accidents  invraisemblables,  qu'il  est  tout  Ă   fait 
impossible  de  les  raconter  ou  mĂȘme  de  les  retenir.  Parfois  mĂȘme 
ces  complications  nuisent  Ă   l'intĂ©rĂȘt  psychologique  du  roman. 

Dans  la  Filleule  un  lecteur  de  goût  aurait  pu  se  contenter  de 
ce  thĂšme  :  l'Ăąme  inquiĂšte  d'une  jeune  fille  qui  devient  femme, 
et,  par  besoin  instinctif  d'aimer  et  impossibilité  d'analyser  ses 
aspirations,  s'amourache  de  son  tuteur  et  parrain.  Et,  comme 
ceci  arrive  souvent  Ă   de  jeunes  personnes  de  cet  Ăąge,  tantĂŽt  elle 
s'imagine  le  détester  et  tantÎt  elle  en  est  jalouse,  son  humeur 
devient  fantasque  et  l'emporte  dans  des  rĂȘves  irrĂ©alisables,  mais, 
en  fait,  elle  commet  des  enfantillages  stupides,  une  série  d'actes 
dépourvus  de  sens  commun.  Ces  pages  fines,  véridiques,  intéres- 
santes au  possible  auraient  infiniment  gagné  si,  les  retranchant 
de  ce  roman  d'intrigue,  George  Sand  les  avait  prises  pour  thĂšme 
d'un  nouveau  roman,  roman  de  mƓurs  rĂ©aliste,  peignant  l'Ă©veil 
d'une  ùme  féminine.  Cela  aurait  été  trÚs  attachant  et  trÚs  vrai. 

Mais  cette  étude  psychologique  est  noyée  dans  un  chaos  d'ac- 
cidents invraisemblables,  de  vertus  plus  invraisemblables  encore, 
de  grands  d'Espagne,  de  gitanos,  d'enlĂšvements  d'enfants,  d'ap- 
paritions d'un  personnage  sous  des  noms  divers  et  autres  inven- 
tions du  plus  mauvais  goût  littéraire,  ou  plutÎt  du  goût...  du 
théùtre  de  Nohant.  Or,  quand  George  Sand  reste  dans  sa  propre 
maniĂšre,  ainsi  qu'elle  nous  apparaĂźt  dans  sa  Correspondance, 
dans  Y  Histoire  de  ma  vie,  dans  ses  Préfaces,  dans  les  meilleures 
pages  de  ses  romans  champĂȘtres  ou  de  quelques-uns  de  ses  der- 
niers romans  mi-réalistes  (comme  dans  les  tout  premiers  aussi, 
par  exemple  dans  Valentine),  lorsqu'elle  ne  s'efforce  pas  de  peindre 
des  «  ruines  »  obligatoires,  des  souterrains  ou  des  chùteaux  roman- 
tiques, mais  dessine  d'aprĂšs  nature  des  tableaux  de  son  cher 
Berry,  simples  et  réels,  d'un  seul  coup  elle  s'élÚve  trÚs  haut. 
Ses  peintures  ont  un  charme  d'une  beauté  inoubliable  et  restent 


GEORGE   SAND  585 

à  tout  jamais  dans  la  mémoire  du  lecteur  comme  des  paysages 
de  Ruysdael  ou  de  Millet  et  en  mĂȘme  temps  elles  sont  harmonieuses 
comme  une  musique.  C'est  ainsi  que  dans  la  Filleule  on  peut 
constater  simultanément  le  mauvais  goût  assez  habituel  au  théùtre 
de  Nouant  —  c'est  le  galimatias  romanesque,  qui  en  forme  la 
fable,  et  le  talent  —  par  la  maniùre  trùs  personnelle  qu'avait 
George  Sand  de  voir  la  nature.  Cette  maniĂšre  apparaĂźt  surtout 
dans  l'épisode  psychologique  cité  plus  haut  et  dans  une  page 
lyrique  d'un  caractĂšre  tout  autobiographique  (quoiqu'elle  soit 
écrite  comme  une  page  de  Journal  de  Stéphen,  héros  du  roman). 
Nous  trouvons  indispensable  de  citer  ce  morceau  intégralement  : 

...Me  voilà  donc  enfin  dans  ma  chÚre  vallée,  sous  mon  ciel  pùle, 
dans  une  atmosphÚre  appropriée  à  mon  organisation  physique  et 
morale... 

Il  fait  depuis  avant-hier  une  chaleur  exceptionnelle  dans  la  saison 
de  notre  climat.  On  se  croirait  aux  premiers  jours  d'août.  AprÚs  avoir 
fermé  et  scellé  mes  derniers  cahiers,  je  me  suis  senti  un  besoin  d'enfant 
de  courir  seul  dans  la  campagne,  sans  volonté,  sans  but,  comme  autre- 
fois. 

...J'ai  pris  la  rive  gauche  de  ma  petite  riviĂšre  et  je  l'ai  suivie  en  her- 
borisant. Il  n'y  a  pas  ici  un  pauvre  brin  d'herbe  que  je  ne  regarde  avec 
plaisir,  comme  un  vieux  ami.  Au  lieu  de  ces  noms  barbares  que  la 
science  leur  donne,  je  pourrais  les  baptiser  tous  de  quelque  mot  char- 
mant qui  serait  un  souvenir  de  ma  vie  intime. 

Au  bout  d'une  heure  de  marche,  je  suis  revenu  sur  mes  pas,  ne  voulant 
pas  perdre  de  vue  ce  cher  manoir  de  Briolé  dont  j'ai  été  bien  assez 
séparé  par  des  horizons  sans  nombre.  J'étais  content  de  me  voir  assez 
prĂšs  pour  me  dire  que  si  je  voulais,  d'un  trait  de  course,  en  quelques 
minutes,  je  serais  lĂ .  Mais  j'avais  la  riviĂšre  Ă   traverser  et  plus  d'une 
heure  de  marche  sans  passerelle.  Pour  n'avoir  pas  cet  obstacle  qui 
gĂȘnait  dĂ©jĂ   la  libertĂ©  de  mes  rĂȘves,  j'ai  fait  un  paquet  de  mes  habits 
et  j'ai  traversé  à  la  nage  le  ruisseau,  calme  et  profond  à  cet  endroit- 
là.  L'eau  était  encore  si  agréable,  que  j'y  suis  resté  dix  minutes,  aprÚs 
quoi,  à  demi  rhabillé  sur  l'autre  rive,  étendu  sur  le  sable  tiÚde  que 
perçaient  de  vigoureuses  touffes  de  brome,  j'ai  goûté  un  indescriptible 
bien-ĂȘtre,  et  j'ai  dĂ©pensĂ©  lĂ ,  complĂštement  inerte,  complĂštement 
heureux,  les  douces  heures  qui  me  restaient. 

0  douceur  infinie  de  l'air  natal  !  placidité  des  eaux  paresseuses,  com- 
plaisant silence  du  vent  dans  les  arbres,  dĂ©bonnaire  majestĂ©  des  bƓufs 
couchés  sur  l'herbe  courte  et  brûlée  des  prairies,  jeux  naïfs  des  cane- 


586  GEORGE   SAND 

tons  que  la  poule  veut  ramener  au  rivage,  pays  simple  et  bon,  prose 
charmante  de  la  poésie  rustique  ! 

Je  n'Ă©tais  pas  loin  du  moulin.  J'entendais  le  cri  plaintif  et  doux  de 
la  roue  vermoulue  qui  semble  se  plaindre  du  travail  et  pleurer  avec 
l'eau  qui  l'entraĂźne.  Les  jeux  des  enfants  et  le  chant  des  coqs  envoyaient 
de  temps  en  temps  une  fusée  de  gaieté  dans  l'air  somnolent.  Une  fraß- 
cheur molle  pénétrait  dans  tous  mes  pores.  L'arÎme  des  plantes  aqua- 
tiques planait  sur  moi  sans  chercher  Ă   m'Ă©craser.  Rien  de  violent,  rien 
de  sublime  dans  cette  nature  paisible.  LĂ   oĂč  j'Ă©tais  couchĂ©,  je  n'avais 
rien  à  admirer  :  l'horizon  était  fermé  pour  moi  d'un  cÎté  par  les  buis- 
sons Ă©pais  de  la  rive  gauche,  au  bout  d'un  travers  de  ruisseau  qui  n'a 
pas  vingt  pieds  de  large  ;  de  l'autre  par  le  terrain  qui  se  relevait  en 
talus  inĂ©gal  Ă   deux  mĂštres  au  dessus  de  ma  tĂȘte.  Par  une  Ă©chancrure 
j'apercevais  seulement  la  cime  de  quelques  arbres  et  un  pan  de  toit, 
dont  les  ardoises  se  confondaient  avec  la  végétation  bleuùtre  des 
saules.  C'était  Briolé,  mon  nid,  mon  asile,  mon  Eden,  là  tout  prÚs  pour 
ainsi  dire  de  ma  main. 

Que  pouvais-je  dĂ©sirer?  Une  forĂȘt  vierge?  des  prĂ©cipices?  une  vĂ©gĂ©- 
tation hérissée  qui  déchire  les  regards?  les  vents  maritimes  qui  abru- 
tissent, les  abĂźmes  qui  donnent  le  vertige?  les  cataractes  qui  Ă©branlent 
les  nerfs?  Non,  non  !  Je  ne  regrettais  rien  de  tout  cela,  je  ne  voulais 
rien  de  mieux,  rien  de  plus  que  cet  horizon  de  pauvres  herbes  ;  ce  ruis- 
seau sablonneux,  ce  gloussement  de  la  poule,  cette  apathie  des  bƓufs 
qui  venaient  tremper  leurs  genoux  cagneux  dans  la  vase  à  mes  cÎtés,  et 
qui,  en  se  dérangeant  fort  peu  pour  moi,  ne  me  dérangeaient  pourtant 
nullement. 

De  quoi  l'homme  pensant  a-t-il  besoin,  pour  ĂȘtre  heureux?  De  spec- 
tacles, d'Ă©motions,  de  surprises,  de  dĂ©couvertes,  de  conquĂȘtes?  Non, 
il  a  besoin  d'ĂȘtre  aimĂ©  d'abord,  et  puis  de  quelques  instants  de  repos 
absolu  aprĂšs  son  travail. 

Ce  repos  de  l'Ăąme  et  du  corps  n'est  pas  l'oubli  de  la  vie.  Ce  n'est  pas 
la  végétation  de  la  plante  ni  la  digestion  de  l'animal  ;  c'est  quelque 
chose  qui  participe  de  ces  mornes  extases  de  la  matiĂšre,  mais  qui 
n'empĂȘche  pas  le  principe  divin  de  se  sentir  en  possession  de  soi-mĂȘme... 

Pendant  des  heures  de  cette  complĂšte  inaction,  je  n'eus  pas  une 
seconde  d'ennui,  et  il  me  semble  pourtant  qu'elles  ont  duré  deux  siÚcles. 
Je  ne  sais  si  je  pensais,  je  ne  songeais  pas  Ă   penser  :  j'ai  pourtant  trĂšs 
bien  vu  et  entendu  toutes  choses  autour  de  moi.  Les  myriades  d'ablettes 
argentées  qui  s'ébattaient  au  soleil  dans  les  petits  lacs  creusés  sur  le 
sable  de  la  rive  par  le  pied  des  bƓufs  ;  la  gourmandise  capricieuse  du 
chevreau  qui  est  venu  goûter  à  toutes  les  plantes  et  qui  a  fini  par 
s'accommoder  d'une  Ă©corce  Ă   ronger  ;  le  sillage  muet  de  la  loutre  le 
long  des  roseaux,  la  chasse  ardente  de  la  fauvette  qui  a  guetté  et  pour- 


GKORGE   SAXD  537 

suivi  la  mĂȘme  mouche  pendant  un  quart  d'heure  entier,  au  milieu  de 
mille  autres  qu'elle  dédaignait  ;  le  niveau  de  la  riviÚre  qui  a  baissé,  à 
mesure  que  s'ouvraient  les  déversoirs  des  moulins  et  qui  a  laissé  les 
mousses  inondées  de  ses  marges  bùiller  au  soleil;  l'ombre  des  arbres 
qui  Ă©tait  Ă   mes  pieds  et  qui,  passant  sur  moi,  a  fui  derriĂšre  ma  tĂȘte... 
OĂč  est  le  plaisir  de  contempler  ou  seulement  de  remarquer  tout  cela? 
Ce  n'est  ni  un  plaisir  de  savant,  ni  mĂȘme  un  plaisir  de  poĂšte.  Tous  deux 
sont  difficiles  Ă   satisfaire.  Il  faut  Ă   l'un  du  beau,  Ă   l'autre  du  rare.  Ma 
jouissance  s'accommodait  de  ce  qu'il  y  avait  de  moins  insolite,  de  plus 
vulgaire  dans  le  premier  milieu  venu,  un  coin  d'herbe  et  de  sable  au 
revers  d'un  fossé,  un  réseau  de  ronces  pour  cadre  et  quelques  ardoises 
pour  lointain... 

L'admirable  impression  de  calme  dans  la  nature  rendue  par 
ces  lignes,  la  finesse  et  la  précision  de  l'observation  rappellent 
les  paysages  de  l'Ă©cole  hollandaise  oĂč  la  poĂ©sie  de  l'ensemble  et 
le  réalisme  des  détails  sont  si  harmonieusement  fondus.  Mais  cette 
page  leur  est  supérieure,  plus  captivante  par  le  sentiment  tout 
subjectif  de  Y  union  avec  la  nature,  par  le  panthéisme  sain  et 
puissant,  presque  paĂŻen,  par  cette  joie  de  vivre  qui  emplit 
l'Ăąme  de  l'auteur  et  se  transmet  au  lecteur.  Et  cette  page  est  la 
perle  de  ce  roman. 

Une  donnée  psychologique  presque  identique  à  celle  de  la 
Filleule  aurait  pu  former  l'intĂ©rĂȘt  principal  d'un  roman  Ă©crit 
onze  ans  plus  tard,  la  Confession  d'une  jeune  fille,  publié  en  1864. 
Mais,  hélas  !  ce  roman  n'est  encore  qu'une  variante  de  Y  Histoire 
d'un  enfant!  Cette  fois  c'est  l'histoire  d'une  enfant  adultérine 
que  son  pÚre  légal  fait  enlever  et  veut  faire  disparaßtre  au  moment 
oĂč  il  l'envoie  chez  sa  prĂ©tendue  grand' mĂšre.  Mais  la  petite  a  Ă©tĂ© 
sauvée  par  une  brave  femme  du  peuple,  Jenny,  et  par  son  mari, 
et,  au  bout  de  quelques  années,  elle  est  ramenée  chez  l'aïeule  et 
y  est  élevée  comme  sa  petite-fille.  Devenue  jeune  fille  elle  est 
menacée  de  perdre  ses  droits  à  l'héritage,  son  nom  et  sa  situation. 
La  seconde  femme  de  son  prétendu  pÚre  veut  les  lui  disputer. 
L'avocat  auquel  cette  créature  confie  son  procÚs  devient  amou- 
reux de  la  jeune  fille  et  dĂ©fend  ses  intĂ©rĂȘts.  Quant  Ă   elle,  elle 
s'amourache  tour  à  tour  de  son  précepteur,  un  cuistre,  puis  de  son 
cousin,  un  petit  hobereau  infatué  de  sa  personne,  Marius  de 


5SS  GEORGE   SAND 

Mérangis,  qu'elle  doit  épouser.  Celui-ci  s'étant  ruiné  rompt 
d'abord  avec  elle,  sa  fierté  ne  lui  permettant  pas  de  refaire  sa 
fortune  par  ce  mariage;  puis  c'est  elle  qui  lui  rend  sa  parole 
lorsqu'elle  apprend  qu'elle  n'est  pas  l'héritiÚre  légitime  de  sa 
grand'mÚre;  elle  souffre  d'avoir  involontairement  usurpé  un 
nom  et  une  parenté  qui  ne  lui  appartiennent  point.  Enfin,  ce  qui 
met  le  comble  à  cet  imbroglio,  la  jeune  fille  persécutée  s'éprend 
de  l'avocat,  Mac-Allan.  Elle  est  sur  le  point  de  le  soupçonner 
d'avoir  Ă©tĂ©  l'amant  de  sa  mĂšre,  d'ĂȘtre  peut-ĂȘtre  son  vrai  pĂšre  ; 
heureusement,  elle  apprend  qu'il  n'a  été  que  l'amant  de  la 
seconde  femme  de  son  pÚre.  La  jeune  demoiselle  découvre  aussi 
que  sa  gouvernante,  Jenny,  aime  son  précepteur,  Frumence, 
mais  qu'elle  est  toute  prĂȘte  Ă   sacrifier  son  bonheur,  croyant  que 
sa  pupille  l'aime  aussi  et  souffre  de  cet  amour.  La  grand'mĂšre 
meurt,  sans  avoir  appris  que  la  jeune  fille  n'est  point  sa  petite- 
fille,  mais  aussi  sans  avoir  signé  son  testament  en  sa  faveur,  ni 
une  lettre  demandant  Ă   son  fils  l'autorisation  de  marier  la  jeune 
fille  ;  de  plus,  ce  fils  meurt  aussi  subitement,  avant  sa  mĂšre.  La 
jeune  fille  chassée  par  sa  marùtre  s'en  va  avec  Jenny  vivre  dans 
les  Alpes,  dans  une  petite  maison  de  campagne,  appartenant  Ă  
Mac-Allan...  Tout  se  termine  au  mieux,  grĂące  Ă   l'apparition, 
comme  d'un  Deus  ex  machina,  du  prétendu  demi-frÚre  de  la  jeune 
fille.  Ce  fils  du  second  mariage  de  M.  de  MĂ©rangis,  plein  de  nobles 
sentiments,  se  dédit  de  ses  droits  à  l'héritage  et  termine  à 
l'amiable  le  procÚs  contre  celle  qui  porte  le  nom  prétendu  de 
Jeanne  de  Mérangis.  Enfin  Mac-Allan  se  disculpe  d'avoir  été 
l'amant  de  la  seconde  femme  de  M.  de  MĂ©rangis  pĂšre,  et  Ă©pouse 
la  jeune  fille. 

A  peine  a-t-on  terminé  ce  roman  qu'on  s'embrouille  déjà 
dans  tout  cet  imbroglio  de  personnages  et  de  faits.  Et  pourtant 
il  aurait  pu  ĂȘtre  tout  Ă   fait  intĂ©ressant  par  sa  donnĂ©e  psycholo- 
gique, ces  fins  changements  d'impressions,  ces  passages  d'un 
sentiment  Ă   un  autre  d'un  jeune  cƓur  qui  s'Ă©veille  prĂ©sentent 
une  donnĂ©e  littĂ©raire  du  plus  grand  intĂ©rĂȘt  pouvant  devenir  sous 
la  plume  de  George  Sand  d'un  attrait  enchanteur.  L'héroïne,  au 
lieu  de  passer  par  toutes  ces  péripéties  inutiles,  aurait  bien  pu, 


GEORGE   SAND  589 

comme  une  certaine  Aurore  Dupin,  vivre  tranquillement  Ă   la 
campagne,  dans  une  solitude  absolue,  en  compagnie  seulement 
d'une  aĂŻeule  qui  s'Ă©teint  doucement  et  d'un  cousin,  petit  gen- 
tillùtre  campagnard  trÚs  médiocrement  éveillé,  la  traitant  des- 
potiquement  (1);  elle  aurait  pu  aller  les  dimanches  entendre 
la  messe  dite  par  un  vieux  curé  ami,  dans  une  petite  église  de 
campagne,  déjeuner  chez  lui  puis  prendre  des  leçons  de  son 
neveu,  jeune  rustre  fort  savant  (2)  ;  elle  aurait  pu  ĂȘtre  fiancĂ©e  Ă  
un  autre  cousin,  petit  aristocrate,  Ă©goĂŻste  et  raisonneur  (3).  Mais 
l'auteur,  Ă   l'instar  des  piĂšces  nohantaises,  et  pour  complaire  au 
goĂ»t  de  l'Ă©poque,  mais  peut-ĂȘtre  aussi  par  tendance  naturelle  de 
son  imagination,  voulut  faire  entrer  ce  simple  motif  psycholo- 
gique et  ces  premiers  chapitres,  si  finement  tracés,  si  pleins  de 
réminisceuces  biographiques,  dans  le  cadre  d'une  fable  abracada- 
brante !  La  fine  étude  psychologique  fut  noyée  dans  ce  scénario  de 
marionnettes,  et  un  roman,  qui  aurait  pu  ĂȘtre  des  plus  intĂ©ressants, 
est  devenu  l'un  des  plus  insipides  et  des  plus  faciles  Ă   oublier. 
Plus  tard,  George  Sand  tira  de  ce  roman  une  piĂšce  en  quatre 
actes,  V Autre.  La  comédie  est  supérieure  au  livre,  contrairement 
Ă   ce  qui  arrive  presque  toujours.  Et  pourtant,  il  ne  reste  rien  de 
l'intéressant  thÚme  psychologique  mentionné  plus  haut.  L'his- 
toire de  l'enfant  illégitime  exilée  de  la  maison  paternelle  par 
l'époux  offensé,  puis  élevée  par  sa  prétendue  aïeule,  demeure  seule. 
Cette  donnée  est  trÚs  simplifiée  et,  vers  la  fin  ,  tout  à  fait  changée. 
L'Écossais  qui  arrive  dans  la  maison  de  la  grand'mĂšre  est  un  mĂ©- 
decin, le  pĂšre  vĂ©ritable  de  la  jeune  fille.  L'intĂ©rĂȘt  de  l'action  n'est 

(1)  Comme  Hippolyte  Chatiron  traitait  sa  demi-sƓur  Aurore. 

(2)  Voir  notre  vol.  Ier,  p.  196,  198,  et  YEistoire  de  ma  vie,  t.  III,  p.  327, 
330-334. 

(3)  George  Sand  dit,  en  passant,  Ă   la  page  391  du  volume  II  de  son  His- 
toire de  ma  vie,  que  lorsqu'elle  était  toute  petite,  on  avait  projeté  de  la  marier 
Ă   un  de  ses  cousins  de  Villeneuve  (ou  plutĂŽt  Ă   l'un  de  ses  neveux),  le  froid 
Septime  ou  le  moqueur  Léonce  et  que,  petite  fille  de  sept  ans,  elle  avait  été 
trÚs  chagrinée  à  l'idée  de  ce  mariage.  En  fondant  dans  le  personnage  de 
Marius  ces  deux  prétendus  prétendants,  George  Sand  ne  manquera  pas  de  se 
rappeler  les  sentiments  d'une  fillette,  à  laquelle  on  veut  suggérer  l'obliga- 
tion d'Ă©pouser  un  jour  son  cousin.  Ce  n'est  point  non  plus  par  hasard  que  le 
cousin  de  Jeanne  de  MĂ©rangis  porte  un  nom  romain  :  Septime  dans  la  vie 
réelle,  il  s'appelle  Marius  dans  le  roman.  C'est  à  noter. 


59o  GEORGE   SAND 

plus  dans  l'amour  d'HélÚne  pour  son  précepteur,  puis  pour  son 
cousin  (qui  ne  s'appelle  plus  Marius,  mais  Marcus),  mais  dans 
la  douleur  du  docteur  Maxwell  qui  ne  peut  reconnaĂźtre  son  enfant 
qu'en  souillant  l'honneur  de  sa  bien-aimée,  la  mÚre  de  sa  fille. 
Il  risque  en  outre  de  ravir  à  HélÚne  le  nom,  l'héritage  de  la 
famille  étrangÚre  qui  l'a  protégée,  et  enfin  il  ne  se  reconnaßt  pas 
le  droit  de  porter  un  coup  mortel  au  cƓur  de  la  vieille  dame 
qui  a  toujours  adoré  cette  prétendue  fille  de  son  fils  comme 
sa  vraie  petite-fille.  L'action  est  trÚs  serrée.  L'abbé  Costel  est 
changé  en  un  maßtre  de  musique,  Castel  (1),  maniaque  et  bourru, 
excellent  rĂŽle  pour  un  acteur  de  caractĂšre.  Son  neveu,  Fru- 
mence,  malpropre  et  distrait,  mais  trÚs  réussi  dans  le  roman, 
est  changé  en  Césaire,  son  fils  naturel  qu'il  élÚve  comme  un 
orphelin  adopté  ;  ce  Césaire  est  tout  aussi  distrait  et  vertueux 
que  son  prototype,  mais  plus  comique,  plus  réel  et  rendu  tout  à 
fait  sympathique  par  sa  timide  modestie.  La  vieille  marquise, 
aprÚs  avoir  été  en  proie  à  un  sommeil  quasi  léthargique,  se 
réveille  au  dernier  acte  pour  pardonner  à  Vautre,  c'est-à-dire, 
au  vrai  pÚre  de  sa  prétendue  petite-fille;  Marcus-Marius,  qui, 
dans  le  roman,  finit  par  faire  un  mariage  d'argent  en  Ă©pousant 
une  pécore  provinciale,  se  transforme  dans  la  piÚce,  sous  l'action 
de  l'amour  et  de  la  jalousie,  et  se  fait  aimer  de  sa  cousine.  La  seule 
«  jeune  fille  »  (qui  ne  s'appelle  plus  Jeanne,  mais  HélÚne  de 
Mérangis)  n'a  point  gagné  au  changement  subi  par  tous  les  per- 
sonnages. De  fillette  fantasque,  peu  équilibrée  encore,  passant 
d'un  rĂȘve  Ă   un  autre,  de  projets  raisonnables  et  bien  intentionnĂ©s 
aux  actes  les  plus  irréfléchis,  du  désir  de  se  sacrifier  à  un  égoïsme 
juvĂ©nile,  bref,  de  cet  ĂȘtre  intĂ©ressant  et  vĂ©ridique  elle  est  trans- 
formée en  une  jeune  premiÚre  aux  nobles  sentiments.  Toute- 
fois, au  dire  des  journaux  et  des  assistants,  Mme  Sarah  Bernhardt 
a  été  adorable  dans  ce  rÎle. 

Cette  piÚce,  jouée  à  l'Odéon  en  février  1870,  eut  un  grand 
succĂšs.  Des  piĂšces  parues  aprĂšs  le  Marquis  de  Villemer,  c'est  la 
seule  que  Mme  Sand  Ă©crivit  sans  collaboration. 

(1)  Tout  comme  don  Basile  de  la  piĂšce  de  Beaumarchais  est  devenu  un 
«  maßtre  de  musique  »  dans  l'opéra  de  Rossini 


GEORGE   SAND  591 

Quoique  dans  cette  derniÚre  période  décennale  George  Sand 
se  soit  souvent  appliquée  à  tirer  un  drame  ou  une  comédie  de 
l'un  de  ses  romans,  elle  ne  consacrait  plus  son  temps  Ă   ce  genre 
de  travail  aussi  souvent  que  durant  les  quinze  années  précé- 
dentes. Et  la  plupart  des  piĂšces  qu'elle  fit  entre  1866-1876 
(VEomme  de  neige,  Cadio,  les  Don  Juan  de  village,  Mademoiselle 
La  Quintinie,  les  Beaux  Messieurs  de  Bois-Doré,  la  LaitiÚre  et  le 
pot  au  lait,  Un  bienfait  n'est  jamais  perdu,  ou  ne  furent  pas  mises 
Ă   la  scĂšne  par  elle  seule  ou  bien  ne  virent  jamais  la  rampe,  ou 
ne  se  maintinrent  que  fort  peu  sur  l'affiche. 

Ma  sƓur  Jeanne,  publiĂ©  dix  ans  aprĂšs  la  Confession  d'une 
jeune  fille  (1),  est  Ă©galement  l'histoire  d'une  enfant.  Quoique 
l'hĂ©roĂŻne  soit  appelĂ©e  «  ma  sƓur  »  par  le  hĂ©ros  du  roman,  elle 
ne  l'est  point  et  se  trouve  ĂȘtre  la  fille  illĂ©gitime  de  la  malheu- 
reuse marquise  de  Mauville  et  de  son  amant,  le  noble  et  non  moins 
infortuné  sir  Richard  Brudnel.  Jeanne  a  été  soustraite  à  la  ven- 
geance du  marquis  de  Mauville,  un  fou  méchant,  puis  sauvée 
d'une  mort  certaine,  aprĂšs  la  fin  soudaine  de  la  marquise,  par 
l'amie  d'enfance  de  cette  derniĂšre,  AdĂšle  Moessart,  bien  entendu 
une  femme  du  peuple,  plus  tard  mariée  à  Moreno  Bielsa,  un 
«  vertueux  contrebandier  ».  Jeanne  s'Ă©prend  —  ceci  va  sans 
dire  —  de  son  prĂ©tendu  frĂšre  Laurent  Bielsa.  Mais,  en  vraie  fille 
d'Eve,  elle  comprend  d'abord  trĂšs  vite  quel  genre  de  sentiment 
elle  éprouve  pour  ce  «  frÚre  »,  puis  trÚs  promptement  aussi  se 
renseigne  sur  sa  généalogie.  Tandis  qu'il  faut  au  simple  fils 
d'Adam  —  c'est-Ă -dire  Ă   Laurent  —  un  temps  Ă©norme  pour 
débrouiller  cet  écheveau  de  suppositions  et  d'hypothÚses  et 
éclaircir  le  mystÚre  de  sa  vie.  Il  découvre  peu  à  peu  que  Jeanne 
n'est  pas  sa  sƓur,  ni  une  fille  illĂ©gitime  de  son  pĂšre,  ni  le  fruit 
d'un  amour  criminel  de  sa  mĂšre,  et  enfin  que  leur  fortune  est  le 
résultat  des...  opérations  soi-disant  commerciales  de  son  pÚre. 
Celui-ci  est  bien  contrebandier,  mais  aussi  noble  qu'un  contre- 
bandier romantique  peut  l'ĂȘtre.  Quant  Ă   sa  femme,  la  belle-mĂšre 
de  Laurent,  elle  personnifie  le  sacrifice.  Laurent  découvre  aussi 

(1)  Dans  la  Revue  des  Deux  Mondes  du  1er  janvier  au  1er  mars  1874. 


592  GEORGE   SAND 

que  ce  n'est  point  un  amant  que  Jeanne  voit  mystérieusement 
à  la  nuitée  au  jardin,  au  su  de  sa  mÚre  adoptive,  mais  bien  son 
vrai  pĂšre,  sir  Brudnel.  Ce  n'est  pas  tout  :  sur  cette  histoire  vient 
se  greffer  l'aventure  de  la  courtisane  Manoela  entretenue  par  sir 
Brudnel...  par  pur  désintéressement,  car  quoiqu'il  l'entretienne 
et  la  promĂšne  Ă   travers  l'Europe,  il  la  traite  comme  sa  fille,  ce 
qui  la  désespÚre,  la  jette  d'abord  dans  les  bras  de  Laurent,  puis 
dans  ceux  de  son  ami  le  docteur  Viane,  avec  lequel  elle  s'enfuit. 
Heureusement  tout  se  termine  par  le  mariage  de  Laurent  et  de 
Jeanne.  Mais  quel  chaos  ! 

Et  voici  encore  une  histoire  d'un  enfant,  Flamarande,  avec 
sa  suite,  les  Deux  FrĂšres.  Cette  fois  c'est  l'histoire  d'un  enfant 
prétendu  adultérin,  en  réalité  parfaitement  légitime  ;  cruellement 
chassé  du  chùteau  paternel  par  un  pÚre  dénaturé  et  jaloux  qui 
le  voue  à  la  mort,  il  est  sauvé  par  un  valet  de  chambre,  par  la 
bouche  duquel  l'auteur  raconte  toute  cette  histoire.  Ce  bon 
serviteur  place  l'enfant  dans  un  hameau  situé  aux  environs 
d'un  autre  chùteau  de  son  pÚre.  Plus  tard  Gaston  caché  sous  le 
nom  d'Espérance,  protégé  par  son  prétendu  pÚre,  M.  de  SalcÚde, 
l'homme  injustement  soupçonné  d'avoir  été  l'amant  de  sa  mÚre, 
est  conduit  dans  un  endroit  sauvage.  C'est  lĂ   que  M.  de  Sal- 
cÚde, adonné  aux  sciences  naturelles,  surveille  l'éducation  de 
l'enfant  de  celle  qu'il  aime.  La  mÚre  aussi  prend  soin  d'Espé- 
rance. Elle  a  un  second  fils,  mais  celui-ci  accepté  par  le  pÚre. 
Mais  tandis  que  dans  la  Confession  d'une  jeune  fille,  dans 
V Autre  et  Ma  sƓur  Jeanne  on  parvenait  à  arranger  les  choses, 
à  ne  pas  priver  une  pauvre  petite  fille  illégitime  de  la  famille 
qui  l'avait  recueillie,  dans  Flamarande  l'affaire  se  complique. 
Le  fils  légitime  élevé  dans  une  famille  de  paysans  passe  pour 
mort  grùce  à  une  déclaration  de  son  pÚre  faite  sur  les  registres 
de  sa  paroisse.  La  vraie  mÚre  et  le  frÚre  d'Espérance-Gaston, 
aprĂšs  la  mort  du  jaloux  furieux,  veulent  lui  rendre  sa  place 
dans  la  famille.  Cet  acte  risque  de  compromettre  la  réputation 
de  Mme  de  Flamarande  et  de  diminuer  les  droits  de  Roger,  le 
second  frÚre,  sur  l'héritage  paternel.  Un  doute  s'éveille  alors 
dans  le  cƓur  du  vieux  valet  de  chambre.  Gaston  est  peut-ĂȘtre 


GEORGE   SAND  593 

un  bĂątard.  Si  cela  Ă©tait,  lui  qui  devait  veiller  sur  les  intĂ©rĂȘts  du 
second  enfant,  doit  le  laisser  déposséder.  Gaston  ne  peut  donc  ni 
rentrer  en  possession  de  l'hĂ©ritage  paternel,  ni  ĂȘtre  adoptĂ©  par 
M.  de  SalcĂšde,  le  chevaleresque  ami  de  sa  mĂšre  :  cette  adoption 
porterait  atteinte  Ă   la  vertu  de  la  comtesse  de  Flamarande. 
Gaston  le  comprend  et  se  résout  à  rester  paysan.  Roger,  qui 
l'adore,  continuera  à  le  considérer  comme  son  frÚre  et  à  l'aider, 
mais  lui  seul  portera  le  nom  de  Flamarande.  Ce  n'est  pas  tout 
encore.  La  comtesse  de  Flamarande,  bien  qu'elle  aime  tou- 
jours M.  de  SalcÚde,  qui  n'a  pas  cessé  de  l'aimer,  le  cÚde  à  son 
ex-rivale,  son  amie  désintéressée,  la  baronne  de  Montespar.  Tous 
s'embrouillent  dans  des  finesses  exquises  d'une  sollicitude 
extrĂȘme  pour  sauvegarder  Ă   la  fois  l'honneur  du  feu  comte  de 
Flamarande,  ce  fou  stupidement  jaloux,  et  la  réputation 
immaculée  de  la  comtesse.  Gaston,  resté  au  village  sous  son 
ancien  nom  d'Espérance,  épouse  la  fille  de  Michelin,  le  paysan 
qui  l'avait  jadis  recueilli.  Seul  le  vieux  valet  est  puni.  Ce  M.  Chariot 
qui  avait  commencĂ©  par  n'ĂȘtre  que  l'agent  docile  des  volontĂ©s 
du  vieux  Flamarande  et  qui  finit  par  vouloir  s'instituer  juge 
et  arbitre  du  sort  de  Mme  de  Flamarande,  de  Gaston  et  de 
M.  de  SalcÚde,  poussé  par  un  sentiment  personnel  dont  il  ne  veut 
pas  se  rendre  compte,  Ă©veille  le  dĂ©goĂ»t  et  le  mĂ©pris  dans  le  cƓur 
de  Roger.  Ce  malheureux  valet,  animé  des  intentions  les  meil- 
leures, comprend,  trop  tard,  qu'en  Ă©coutant  aux  portes,  en  se 
mĂȘlant  des  affaires  sentimentales  qui  ne  le  regardaient  pas,  il 
n'a  fait  que  se  rendre  haĂŻssable  et  n'a  plus  qu'Ă   disparaĂźtre. 
Et  ce  n'est  que  justice. 

On  lit  dans  la  Correspondance  entre  G.  Sand  et  G.  Flaubert  les 
lignes  suivantes  Ă©crites  au  printemps  de  1876,  aprĂšs  la  lecture 
de  ces  deux  volumes  (1)  : 

«  Parlons  de  vos  livres...  Ils  m'ont  amusé  et  la  preuve  c'est 
que  j'ai  avalé  d'un  trait  et  l'un  aprÚs  l'autre  Flamarande  et 
les  Deux  FrĂšres.  Quelle  charmante  femme  que  Mme  de  Flama- 
rande et  quel  homme  que  M.  de  SalcÚde  !  Le  récit  du  rapt  de 

(1)  Flamarande  fut  publié  dans  la  Revue  des  Deux  Mondes,   en   1875. 
iv.  3S 


594  GEORGE   SAND 

l'enfant,  la  course  en  voiture  et  l'histoire  de  Zamora  (1)  sont  des 
endroits  parfaits.  Partout  l'intĂ©rĂȘt  est  soutenu  et,  en  mĂȘme 
temps,  progressant.  Enfin,  ce  qui  me  frappe  dans  ces  deux 
romans,  comme  dans  tout  ce  qui  est  de  vous  d'ailleurs,  c'est 
l'ordre  naturel  des  idées,  le  talent  ou  plutÎt  le  génie  narratif. 
Mais  quel  abominable  coco  que  votre  sieur  de  Flamarande! 
Quant  au  domestique  qui  conte  l'histoire  et  qui  Ă©videmment  est 
amoureux  de  madame,  je  me  demande  pourquoi  vous  n'avez 
pas  montré  plus  abondamment  sa  jalousie  personnelle.. 

«  A  part  M.  le  comte  tous  sont  des  gens  vertueux  dans  cette 
histoire  et  mĂȘme  d'une  vertu  extraordinaire.  Mais  les  croyez- 
vous  bien  vrais?  Y  en  a-t-il  beaucoup  de  leur  sorte?  Sans  doute, 
pendant  qu'on  vous  lit,  on  les  accepte  à  cause  de  l'habileté  de 
l'exécution,  mais  ensuite  (2)?...  » 

Si  la  premiĂšre  moitiĂ©  de  ces  lignes  doit  ĂȘtre  mise  sur  le  compte 
de  la  partialité  amicale  de  Flaubert  pour  Mme  Sand,  on  est  de 
tout  point  d'accord  avec  lui  quant  Ă   la  seconde  partie  de  son 
jugement. 

C'est  encore  une  histoire  d'un  enfant  que  le  dernier  roman  de 
George  Sand,  la  Tour  de  Percemoni  (3).  L'héroïne,  une  toute  jeune 
fille,  Marie  de  Mves,  est  persécutée  par  sa  belle-mÚre  qui,  par 
cupidité,  veut  la  priver  de  son  nom,  de  son  héritage,  l'enfermer 
dans  un  couvent,  la  calomnier  et  la  perdre.  L'avocat,  M.  Chan- 
tebel  (qui  raconte  cette  histoire),  s'emploie  à  déjouer  toutes  les 
machinations  de  la  belle-mĂšre,  Ă   dĂ©couvrir  le  lieu  oĂč  s'est  rĂ©fugiĂ©e 
la  jeune  personne  persécutée  aprÚs  la  fuite  du  couvent,  et  à  la 
sauver,  tandis  que  son  fils  Henri,  auquel  son  pĂšre  vient  d'acheter 
une  terre  (oĂč  il  y  a  un  parc  et  la  tour  de  Percemont),  son  neveu 
et  sa  niĂšce,  Miette  et  Jacques  Ormonde,  aident  Marie  de  Nives 
Ă   se  cacher  dans  cette  tour  de  Percemont. 

Tout  se  termine  par  un  double  mariage  entre  Jacques  et 
Marie,  Miette  et  Henri,  et,  pour  comble,  on  sauve  en  mĂȘme 

(1)  Coursier  magnifique  que  M.  Chariot  laisse  courir  jusqu'Ă   ce  qu'il  tombe 
épuisé,  la  nuit  de  l'enlÚvement  de  l'enfant. 

(2)  Correspondance  entre  G.  Sand  et  G.  Flaulert,  p.  455. 

(3)  La  Tour  de  Percemont  fut  publiée  dans  la  Revue  des  Deux  Mondes 
du  1er  décembre  1875  au  1er  janvier  1876  inclusivement. 


GEORGE   SAND  595 

temps  que  Marie  de  Nives  un  autre  enfant  encore,  la  toute  petite 
Ninie,  la  propre  fille  de  la  froide  et  cupide  intrigante  comtesse 
Alix  de  Nives.  On  la  recueille  pour  l'Ă©lever,  en  indemnisant  sa 
nourrice  et  la  malfaisante  comtesse.  (On  sait  que  dans  les  romans 
on  dispose  de  milliers  de  francs  avec  la  plus  grande  facilité.) 
Donc,  c'est  l'histoire  du  sauvetage  de  deux  enfants  ! 

Il  n'est  pas  sûr,  mais  on  peut  admettre,  par  certains  indices, 
que  le  roman,  Aloine,  derniĂšre  Ɠuvre  de  George  Sand,  commencĂ©e 
en  mai  1876  et  point  finie,  devait  encore  ĂȘtre  Vhistoire  d'un  enfant, 
la  jeune  Fiorina,  danseuse  élevée  par  son  prétendu  pÚre,  un 
comédien,  mais  en  réalité  fille  d'un  pÚre  trÚs  noble.  George  Sand 
n'en  Ă©crivit  que  six  chapitres  et  demi  ou  lettres  (c'est  un  roman 
par  lettres).  Le  29  mai  elle  s'est  arrĂȘtĂ©e  Ă   la  moitiĂ©  du  chapitre  vii 
et  le  30  mai  elle  s'alita  pour  ne  plus  se  relever. 

Sa  maladie  dura  dix  jours  et  malgré  toutes  les  mesures  prises, 
les  soins  attentifs  et  dévoués  des  médecins  :  MM.  Papet,  Pestel, 
Chabenat,  Darchy,  Favre  et  le  célÚbre  chirurgien  M.  Péan,  appelé 
de  Paris,  rien  ne  put  sauver  la  malade  :  aprĂšs  dix  jours  de  souf- 
frances elle  mourut  le  8  juin,  Ă   9  heures  et  demie  du  matin,  d'une 
occlusion  de  l'intestin,  selon  le  procÚs-verbal  des  médecins. 
Quelques-uns  d'entre  eux,  plus  portés  que  les  autres  à  tirer  une 
conclusion  précise  de  leurs  observations,  crurent,  d'aprÚs  cer- 
tains indices  sérieux,  que  cette  occlusion  de  l'intestin,  une  espÚce 
de  miserere,  était  le  résultat  d'un  cancer  à  l'état  latent  depuis 
plusieurs  années. 

Nous  avons  pris  copie  d'une  série  de  documents  se  rapportant 
aux  derniers  jours,  Ă   la  maladie,  la  mort  et  l'enterrement  de 
Mme  Sand,  écrits  pour  la  plupart  sous  l'impression  immédiate, 
ou  le  jour  mĂȘme,  et  donnant  ainsi  la  possibilitĂ©  de  raconter  l'Ă©pi- 
logue de  la  vie  de  l'illustre  écrivain  et  d'en  fixer  tous  les  détails, 
sans  y  mĂȘler  aucune  espĂšce  de  lĂ©gende  ou  de  racontars,  si  frĂ©- 
quents en  pareils  cas.  Ces  documents  sont  : 

1°  Notes  et  impressions  écrites  lors  de  la  mort  de  Mme  Sand, 
par  Mme  Nannecy  de  Vasson. 

2°  Sur  la  maladie  et  la  mort  de  George  Sand,  par  M.  Paulin  de 
Vasson. 


596  GEORGE   SAND 

3°  Lettre  de  M.  Charles  Moulin,  notaire,  à  M.  P.  de  Vasson. 

4°  Notes  sur  la  maladie  et  la  mort  de  Mme  Sand,  par  le  docteur 
Chabenat. 

5°  Lettre  de  M.  le  pasteur  Louis  Leolois  à  M.  de  Vasson. 

6°  Récit  fait  par  Henry  Barrisse  :  Sur  la  maladie  et  la  mort  de 
Mme  Sand. 

Nous  avons  copié  le  manuscrit  autographe  de  M.  Henry  Har- 
risse,  écrit  la  nuit  précédant  l'enterrement  d'aprÚs  les  récits  des 
témoins  oculaires  et  des  médecins  qui  soignaient  ]\Ime  Sand  ;  ce 
manuscrit  est  comme  un  procĂšs-verbal  des  derniers  moments  et 
de  la  mort.  Un  peu  plus  tard,  en  septembre  1876,  M.  Henry  Har- 
risse  donna  cet  Ă©crit  Ă   Mme  Lina  Sand;  celle-ci,  ainsi  que  le 
docteur  Pestel,  y  ajoutĂšrent  des  notes  et  des  rectifications.  Ce 
manuscrit  est  extrĂȘmement  prĂ©cieux  et  quoiqu'il  s'y  trouve 
certaines  inexactitudes  et  quelques  erreurs,  l'auteur  s'est  néan- 
moins attaché  à  ne  transcrire  que  la  vérité,  rien  que  des  faits 
vérifiés  de  la  maniÚre  la  plus  scrupuleuse. 

En  1904,  lors  du  centenaire,  M.  Harrisse  publia  ce  manuscrit 
sous  forme  d'une  plaquette  élégante  tirée  à  cinquante-deux 
exemplaires  numérotés,  destinés  «  à  la  famille  et  à  quelques 
amis  »  (1).  Malheureusement,  le  texte  de  cette  brochure  diffÚre 
beaucoup  de  celui  du  manuscrit  primitif.  Des  corrections  de 
style  enlevÚrent  la  fraßcheur  et  la  spontanéité  des  traies  expres- 
sions, exactes  et  précises,  et  des  locutions  prime-sautiÚres  sans 
recherches.  Mais  ce  manuscrit  subit  encore  d'autres  change- 
ments, c'est  ainsi  qu'outre  les  notes  mentionnées,  qui  corrigeaient 
fort  judicieusement  quelques  faits  inexacts  peu  nombreux  et 
expliquaient  quelques  détails,  on  y  a  intercalé,  encore,  des  correc- 
tions et  des  changements,  évidemment  empruntés  aux  documents 
que  nous  avons  mentionnés  plus  haut  et  que  nous  citerons  plus 
loin  ;  c'est  comme  une  déposition  ayant  subi  l'influence  d'autres 
tĂ©moignages.  Enfin,  —  et  ceci  est  dĂ©jĂ   tout  Ă   fait  triste  —  on  y  a 
visiblement  fait  entrer  aussi,  à  une  époque  beaucoup  plus  récente, 

(1)  Nous  possédons  l'un  de  ces  exemplaires  avec  un  trÚs  amicai  envoi  de 
l'auteur.  HĂ©las  !  cet  excellent  arni  ne  lira  plus  le  dernier  volume  de  notre 
travail,  lui  qui  tenait  tant  à  le  voir  terminé  ! 


GEORGE   SAND 


597 


des  changements  provenant  de  quelqu'un  qui  se  croyait  sans 
doute  trÚs  compétent,  mais  qui  souvent  était  trÚs  mal  renseigné 
et  apporta  dans  ces  changements  un  élément  d'inexactitude, 
d'incertitude  tout  arbitraire,  des  plus  déplorables.  Donc,  la  ver- 
sion manuscrite  et  la  version  imprimée  de  notre  ami  défunt 
sont  toutes  différentes  comme  texte  et  comme  valeur  historique. 

7°  Note  du  docteur  Pestel  intitulée  :  les  Médecins  de  Nohant. 

8°  Notes  du  mĂȘme  auteur  :  Sur  la  maladie  et  la  mort  de 
Mme  8 and. 

9°  Notes  et  remarques  du  mĂȘme  auteur  et  de  Lina  Sand  se 
rapportant  Ă   certaines  expressions  et  certains  passages  du  manus- 
crit de  M.  Harrisse. 

10°  Note  de  Lina  Sand  sur  l'enterrement  religieux  de  George 
Sand. 

GrĂące  Ă   tous  ces  documents  nous  pouvons  suivre  heure  par 
heure  l'histoire  de  la  maladie  de  Mme  Sand  et  tout  ce  qui  arriva 
dans  les  derniers  dix  jours  de  sa  vie,  du  28  mai  au  8  juin,  et  dans 
les  jours  suivants,  jusqu'Ă   l'enterrement  inclusivement.  Nous 
n'omettrons  que  certains  détails  médicaux,  par  trop  spéciaux, 
dans  les  notes  des  docteurs  Chabenat  et  Pestel, 

Depuis  sa  maladie  de  1860  Mme  Sand  souffnit  fort  souvent 
de  coliques  intenses,  accompagnées  de  déviations  subites  de 
l'intestin  ou  de  constipations  prolongées.  On  lit  trÚs  souvent 
dans  ses  lettres  des  phrases  comme  celle-ci  :  «  Je  suis  dans  l'im- 
possibilité de  digérer  quoi  que  ce  soit...  »  «  J'ai  de  nouveau  été 
sur  le  flanc,  souffrant  mort  et  martyre...  »  «  J'ai  eu  des  coliques 
de  tous  les  diables.  »  Puis  ces  accÚs  passaient,  Mme  Sand  n'y 
prĂȘtait  plus  attention  et,  remise  sur  pieds,  se  remettait  Ă   tra- 
vailler, Ă   se  promener,  Ă   prendre  des  bains  froids  dans  la  riviĂšre. 
H  est  trĂšs  malheureux  que  le  docteur  Favre,  ami  de  Mme  Sand 
et  de  sa  famille,  ne  sut  prĂȘter  Ă   ces  accĂšs  pas  plus  d'attention  que 
la  malade  elle-mĂȘme.  Elle  croyait  en  lui  aveuglĂ©ment,  tandis 
que  selon  certains  de  ses  amis  et  au  dire  de  médecins  sérieux, 
c'Ă©tait  un  docteur  fantaisiste,  beau  parleur,  mais  nullement  un 
homme  de  science  pratique,  un  «  faux  savant  ». 


598  GEORGE   SAND 

Mais  tant  que  l'organisme  robuste  de  Mme  Sand  domina  son 
mal,  le  «  traitement  fantaisiste  »  du  docteur  Favre  sembla  lui 
faire  du  bien.  Mme  Sand  prétendait  que  son  médecin  «  connais- 
sait son  organisme  »,  et  elle  suivait  toutes  les  prescriptions  de  ce 
docteur,  sans  consulter  quelque  célébrité  parisienne,  son  vieil 
ami  Papet  ou  les  docteurs  Pestel  et  Darchy,  qui  avaient  Ă   plu- 
sieurs reprises  soigné  ses  petites-filles. 

A  partir  de  mai  1876  «  toutes  les  fonctions  de  l'estomac  avaient 
complÚtement  cessé  »;  Mme  Sand  éprouvait  aprÚs  avoir  mangé 
des  coliques  horribles  ;  le  ballonnement  du  ventre  lui  rendait  la 
marche  pénible.  Mais  cette  fois  encore,  Mme  Sand  ne  fit  pas 
attention  à  son  mal  et,  ne  voulant  pas  causer  d'inquiétude  à  sa 
famille,  n'en  dit  mot  et  ne  fit  venir  aucun  médecin. 

Le  20  mai  toutefois,  lorsque  le  docteur  Chabenat,  appelé  pour 
la  premiĂšre  fois  Ă   Nohant  pour  donner  des  soins  Ă   Maurice  qui 
souffrait  d'une  névralgie,  vit  Mme  Sand,  elle  lui  dit,  en  passant, 
qu'elle  «  était  atteinte  depuis  quinze  jours  d'une  constipation 
opiniĂątre,  mais  que  son  cerveau  Ă©tait  aussi  libre  qu'auparavant, 
qu'elle  ne  souffrait  pas,  elle  avait  bon  appétit,  «  cet  état  était 
plutĂŽt  une  gĂȘne  qu'une  maladie  »,  elle  ne  s'en  «  prĂ©occupait  pas 
autrement  ».  Depuis  deux  ans  elle  suivait,  disait-elle,  un  régime 
que  le  docteur  Henri  Favre  avait  prescrit,  et  voulait  cette  fois 
encore  lui  Ă©crire.  Cependant  elle  demanda  un  conseil  au  docteur 
Chabenat.  Celui-ci  conseilla  des  pilules  purgatives  fort  bénignes. 

Le  23  mai,  appelé  de  nouveau  pour  Maurice,  le  docteur  Cha- 
benat vit  Mme  Sand  qui  lui  dit  qu'elle  se  sentait  mieux,  les  pilules 
lui  ayant  fait  du  bien. 

Le  23  mai  Mme  Sand  Ă©crivait  au  docteur  Favre  : 

Merci  de  votre  bonne  lettre,  cher  ami  !  Je  suivrai  toutes  vos  pres- 
criptions. Je  veux  ajouter  à  mon  compte-rendu  d'hier  la  réponse  à  vos 
questions  d'aujourd'hui.  L'état  général  n'est  pas  détérioré,  et,  malgré 
l'Ăąge  (soixante-douze  ans  bientĂŽt)  je  ne  sens  pas  les  atteintes  de  la 
sénilité. 

Les  jambes  sont  bonnes,  la  vue  est  meilleure  qu'elle  n'a  été  depuis 
vingt  ans,  le  sommeil  est  calme,  les  mains  sont  aussi  sûres  et  aussi 
adroites  que  dans  la  jeunesse.  Quand  je  ne  souffre  pas  de  ces  cruelles 
douleurs,  il  se  produit  un  phénomÚne  particulier,  sans  doute,  à  ce  mal 


GEORGE   SAND 


599 


localisĂ©  :  je  me  sens  plus  forte  et  plus  libre,  dans  mon  ĂȘtre,  que  je  ne 
l'ai  peut-ĂȘtre  jamais  Ă©tĂ©.  J'Ă©tais  lĂ©gĂšrement  asthmatique  :  je  ne  le 
suis  plus  ;  je  monte  des  escaliers  aussi  lestement  que  mon  chien. 

Mais,  une  partie  des  fonctions  de  la  vie  Ă©tant  presque  absolument 
supprimĂ©es,  je  me  demande  oĂč  je  vais  et  s'il  ne  faut  pas  s'attendre 
à  un  départ  subit,  un  de  ces  matins.  J'aimerais  mieux  le  savoir  tout 
de  suite  que  d'en  avoir  la  surprise.  Je  ne  suis  pas  de  ceux  qui  s'affectent 
de  subir  une  grande  loi  et  qui  se  révoltent  contre  les  fins  de  la  vie  uni- 
verselle ;  mais  je  ferai  pour  guérir  tout  ce  qui  me  sera  prescrit  et  si 
j'avais  un  jour  d'intervalle  dans  mes  crises,  j'irais  Ă   Paris  pour  que  vous 
m'aidiez  Ă   allonger  ma  tĂąche  ;  car  je  sens  que  je  suis  encore  utile  aux 
miens. 

Maurice  va  mieux... 

Il  est  trÚs  intéressant  de  constater  que,  n'ayant  point  fait 
d'études  médicales,  mais  étant  par  vocation  une  fine  observa- 
trice des  choses  de  la  vie,  Mme  Sand  donne  dans  cette  lettre 
des  indications  fort  précieuses  pour  un  médecin  et  des  indices 
trÚs  précis  sur  la  nature  de  son  mal.  Il  est  à  croire  que  si  cette 
lettre  était  tombée  entre  les  mains  de  quelque  autre  docteur  qui 
n'aurait  pas  mĂȘme  Ă©tĂ©  mis  au  courant  de  la  maladie  de  Mme  Sand 
par  ses  «  comptes-rendus  »  précédents  et  par  ses  récits  oraux,  il 
se  serait  empressé  de  prendre  des  mesures  énergiques,  jusqu'à 
conseiller  peut-ĂȘtre  une  opĂ©ration  chirurgicale. 

D'autre  part,  George  Sand  semble  avoir  eu  le  pressentiment 
de  la  gravité  de  ce  «  mal  localisé  »,  la  sensation  que  la  mort  était 
déjà  là,  toute  proche,  au  seuil  de  la  porte. 

Ce  mĂȘme  jour,  le  28  mai,  vinrent  Ă   Nohant,  de  La  ChĂątre  des 
amis  des  Sand  :  M.  et  Mme  Paulin  de  Vasson  (apparentés  avec 
les  Papet,  les  PĂ©rigois  et  la  famille  de  Jules  NĂ©raud).  Tous  deux 
ont  décrit  leur  derniÚre  visite  et  leur  causerie  avec  Mme  Sand  ; 
ils  le  firent  immédiatement  aprÚs  sa  mort  :  l'une  le  11  juin,  l'autre 
le  12  juin.  Ces  deux  récits  ont  donc  une  valeur  particuliÚre. 

Mme  Nannecy  de  Vasson  Ă©crit  dans  ses  Notes,  trĂšs  attrayantes 
par  leur  simplicité  et  l'absence  de  tout  artifice  : 

Notes  et  impressions  Ă©crites  aprĂšs  la  mort  de  Mme  Sand. 

Le  dimanche  28  mai  j'ai  été  à  Nohant  passer  la  journée  avec  Ninie 
pendant  que  Paulin  Ă©tait  au  Coudray  avec  ses  parents.  Nous  y  avons 


600  GEORGE   SAND 

déjeuné  sans  Mme  Sand  ;  comme  toujours,  elle  était  un  peu  souffrante, 
mais  rien  d'extraordinaire,  elle  ressentait  depuis  longtemps  des  douleurs 
assez  vives  qui  n'inspiraient  presque  plus  d'inquiétudes.  AprÚs  déjeuner 
nous  nous  sommes  promenés,  Lina  et  moi,  dans  l'allée  du  jardin  potager 
oĂč  nous  avons  parlĂ©  longtemps  de  choses  et  d'autres.  Nous  longions 
le  mur  du  cimetiĂšre  et  je  regardais  l'if  qui  est  au-dessus  du  caveau  de 
la  famille  Dupin,  bien  loin  de  penser  que  quinze  jours  aprĂšs,  pas  plus 
tard,  nous  serions  nous-mĂȘmes  sous  cet  if  !...  Nous  sommes  revenus  dans 
le  parc  et  peu  aprĂšs  Mme  Sand  est  descendue.  Nous  avons  fait  quelques 
pas  avec  elle,  admirant  toutes  les  fleurs  des  champs,  qu'elle  aimait 
tant,  dont  le  gazon  Ă©tait  rempli  ;  elle  nous  a  mĂȘme  emmenĂ©s  dans  un 
rond-point  du  petit  bois  pour  nous  faire  admirer  un  orchis  trĂšs  rare. 
Puis  nous  sommes  revenus  nous  asseoir  trĂšs  prĂšs  de  la  maison. 

Mme  Sand  a  parlé  du  voyage  à  Paris  qu'elle  projetait.  La  conversa- 
tion languissait  un  peu  ;  elle  n'Ă©tait  jamais  trĂšs  vive  avec  Mme  Sand, 
qui  avait  mille  pensées  dans  l'esprit.  Elle  a  dit  une  chose  qui  m'a 
frappée  :  elle  admirait  un  oiseau  qui  marchait  devant  elle  et  elle  a 
ajouté  :  c'est  singulier,  ma  vue  est  en  train  de  revenir,  je  vois  bien 
mieux  qu'avec  mes  lunettes. 

Sur  les  cinq  heures  Paulin  est  arrivé  avec  ses  parents,  puis  nous 
sommes  partis  pour  La  ChĂątre. 

Le  lundi  29  mai,  Lina  est  venue  au  spectacle  avec  nous,  je  n'ai  pu 
lui  dire  adieu  étant  rentrée  chez  moi  à  cause  de  ma  fille.  Le  lendemain, 
mardi  30,  elle  m'Ă©crivait  ce  qui  suit  : 

Ma  chĂšre  Nannecy,  je  ne  vous  ai  pas  dit  adieu  hier  pensant  que 
vous  alliez  venir  nous  rejoindre  au  théùtre  et  aussi  pour  que  votre 
fillette  ne  s'aperçoive  pas  que  j'y  retournais.  Peut-ĂȘtre  y  avez-vous  Ă©tĂ© 
aprĂšs  moi.  Tout  mon  grand  monde  va  un  peu  mieux  par  ce  temps-ci. 
Mes  petites  guettent  en  ce  moment  l'arrivée  d'une  riche  mariée  qui  va 
venir  se  faire  bénir  par  mon  mari.  En  aura-t-il  des  unions  sur  la 
conscience!  A  bientĂŽt,  n'est-ce  pas? 

Lina. 

Je  recevais  cette  lettre  mercredi  matin  et  Ă   midi  31  mai  on  venait 
me  dire  que  Mme  Sand  se  mourait... 

Paulin  est  revenu  de  l'audience  pour  monter  en  voiture  et  y  courir, 
le  soir  il  y  est  resté.  AprÚs  dßner  j'ai  été  lui  porter  quelques  objets  dont 
il  avait  besoin.  J'ai  trouvé  Lina  dans  le  jardin,  nous  nous  sommes 
embrassées  en  pleurant.  Lina  m'a  dit  :  «  Ma  pauvre  Nannecy,  on  a  bien 
du  chagrin.  »  Pauvre,  pauvre  Lina  !  et  cependant  le  danger  n'était  pas 
aussi  imminent  que  je  l'avais  cru.  Je  suis  montée  avec  Lina  dans  le 
cabinet  de  travail  de  Mme  Sand  attenant  Ă   sa  chambre  Ă   coucher, 
puis  je  suis  entrée  chez  elle  un  instant  et  là  je  l'ai  vue  et  entendue 


GEORGE   SAND  601 

parler  pour  la  derniĂšre  fois.  Je  suis  partie  pour  La  ChĂątre,  Paulin  est 
resté,  il  a  passé  la  nuit  dans  le  cabinet  prÚs  de  Mme  Sand. 

Le  jeudi  1er  juin  j'ai  passé  la  journée  [à  Nohant],  on  avait  un  léger 
espoir,  un  peu  de  mieux  s'était  produit  dans  la  nuit.  Lina  a  déjeuné 
avec  nous,  j'avais  Ninie  avec  moi.  Paulin  plaidait  ce  jour-lĂ ,  il  Ă©tait  Ă  
La  ChĂątre  depuis  le  matin.  Il  Ă©tait  venu  le  matin  un  docteur  Favre, 
médecin  à  Paris,  sans  clientÚle,  offrant  peu  de  garantie  et  n'inspirant 
aucune  confiance  excepté  à  la  malade  et  à  sa  famille  engouée  fort 
malheureusement  de  sa  personne.  Mon  mari  est  venu  me  retrouver  le 
soir,  il  est  encore  resté  passer  la  nuit  pendant  que  je  retournais  à  La 
ChĂątre. 

Samedi  3  juin.  —  Paulin  a  Ă©tĂ©  le  soir  Ă   Nohant  ;  il  a  rapportĂ©  de 
mauvaises  nouvelles. 

Dimanche  4  juin.  —  Sylvain,  vieux  domestique  de  Mme  Sand,  est 
venu  Ă   une  heure  nous  dire  qu'elle  Ă©tait  au  plus  mal.  Nous  sommes 
partis  Paulin  et  moi  avec  Sylvain,  nous  avons  trouvé  en  arrivant 
Maurice  tout  en  larmes,  jusque-lĂ   il  s'Ă©tait  fait  des  illusions.  Lina  est 
descendue,  elle  a  pleuré  en  poussant  des  cris  nerveux.  C'est  elle  entre 
tous  qu'il  faut  plaindre. 

Les  médecins,  M.  Papet,  ami  d'enfance  de  Mme  Sand,  Pestel  et 
Darchy,  médecin  de  Mme  Sand,  sont  trÚs  effrayés.  Pendant  notre 
visite  un  mieux  trÚs  sensible.  Je  pars  presque  rassurée.  Paulin  reste 
passer  la  nuit. 

Lundi  5  juin.  —  Paulin  revient  à  4  heures  du  matin,  les  nouvelles 
sont  moins  bonnes  que  je  ne  l'espérais.  Je  pars  à  8  heures  pour  une 
absence  de  toute  la  journée,  je  reviens  le  soir.  Paulin  est  retourné  à 
Nohant  dans  la  journée,  les  nouvelles  ne  sont  pas  bonnes. 

Mardi  6  juin.  —  Mme  Sand  est  au  plus  mal. 

Mercredi  7  juin.  —  Paulin  va  Ă   Nohant.  Mme  Sand  est  condamnĂ©e. 

Jeudi  8  juin  1876.  —  Mme  Sand  est  morte  à  9  heures  du  matin.  Elle 
a  fait  ses  adieux  à  toute  la  famille.  Ses  idées  ont  été  parfaitement 
lucides  jusqu'au  dernier  moment.  Paulin  a  été  à  Nohant  passer  la 
nuit,  il  est  allé  dans  la  chambre  mortuaire  ;  il  a  vu  le  corps  de 
Mme  Sand,  la  figure  Ă©tait  sereine.  On  avait  couvert  son  corps  de 
fleurs. 

Vendredi  9  juin.  —  Nous  avons  Ă©tĂ©  Ă   Nohant  Paulin  et  moi.  Pauvre 
Lina,  elle  a  tout  perdu. 

Samedi  10  juin  1876.  —  Nous  avons  Ă©tĂ©  accompagner  George  Sand 
à  sa  derniÚre  demeure,  sous  cet  if  que  je  regardais  avec  indifférence 
moins  de  quinze  jours  ayant.  En  arrivant  nous  avons  trouvé  le  cer- 
cueil à  l'entrée  de  la  maison,  il  était  couvert  de  deux  magnifiques  cou- 
ronnes de  fleurs  blanches  et  violettes,  l'une  faite  Ă   Nohant,  l'autre 
envoyée  de  Paris  par  une  corporation  d'ouvriers.  Nous  avons  suivi 


6o3  GEORGE   SAND 

le  cercueil  Ă   l'Ă©glise.  Les  coins  du  drap  mortuaire  Ă©taient  tenus  par 
MM.  Oscar  Cazaniajou  et  René  Simonnet,  neveux  de  Mme  Sand, 
Alexandre  Dumas  fils  et  le  prince  Napoléon-JérÎme  Bonaparte, 
dĂ©putĂ©  de  l'AssemblĂ©e  nationale.  ArrivĂ©s  au  cimetiĂšre  le  prĂȘtre  s'est 
retiré  et  la  véritable  cérémonie  a  commencé. 

Un  discours  a  été  prononcé  par  mon  oncle  M.  Ernest  Périgois,  gendre 
de  Jules  NĂ©raud,  le  Malgache  des  Lettres  d'un  voyageur.  M.  Paul  Meu  ‱ 
rice  a  lu  une  lettre  envoyée  le  matin  par  Victor  Hugo.  On  avait  dis- 
tribué aux  assistants  des  branches  de  laurier  pour  jeter  sur  le  cercueil 
de  George  Sand.  Je  garde  une  parcelle  de  la  mienne  aprĂšs  l'avoir  fait 
toucher  au  cercueil.  Ce  sera  pour  moi  et  les  miens  non  seulement  un 
souvenir  de  la  plus  grande  illustration  du  dix-neuviĂšme  siĂšcle,  mais 
encore  le  souvenir  d'une  amie  que  nous  avons  aimée  pour  sa  bonté, 
encore  plus  que  nous  ne  l'avons  admirée  pour  son  sublime  talent. 

Kannecy  de  Vasson. 
Le  11  juin  1876  (dimanche). 

Ces  Notes  et  impressions  simples  et  spontanées  furent  évidem- 
ment jetées  sur  le  papier  précisément  le  11  juin,  et  non  pas  aprÚs 
coup.  Elles  sont  précieuses  par  leur  ton  de  franchise  et  de  vérité. 
C'est  pour  cette  raison  que  nous  les  citons  intégralement.  Celles- 
ci  nous  serviront  d'entrée  en  matiÚre  pour  citer  des  extraits 
d'autres  Ă©crits  sur  le  mĂȘme  sujet. 

Si  je  laisse  s'Ă©couler  le  temps  sans  transcrire  les  impressions  que  j'ai 
ressenties  depuis  quinze  jours,  Ă©crit  M.  Paulin  de  Vasson  Ă   la  date  du 
12  juin  1876,  je  ne  serai  peut-ĂȘtre  plus  Ă   mĂȘme  de  rappeler  en  dĂ©tail 
le  fait  douloureux,  l'événement  mémorable  que  je  viens  de  tra- 
verser... 

Le  dimanche  28  mai  j'étais  allé  déjeuner  au  Coudray  chez  Mme  Du- 
vernet,  la  veuve  de  ce  bon  et  aimable  homme  (encore  un  que  j'ai 
pleuré).  J'avais  laissé  Nannecy  et  sa  fille  déjeuner  à  Nohant.  Dans  la 
journée  nous  passons  à  Nohant,  espérant  peu  y  voir  Mme  Sand  qui, 
généralement,  ne  descendait  pas  avant  l'heure  du  dßner.  La  journée 
était  chaude,  c'était  la  premiÚre  de  l'année.  Nous  l'avons  trouvée 
dans  le  jardin  avec  ses  enfants,  Nannecy,  ma  fille  et  M.  Sagnier  (1), 

(1)  MM.  Sagnier  et  de  Vasson  furent  ainsi  les  derniers  visiteurs  Ă   Nohant 
qui  virent  Mme  Sand  bien  portante.  L'un  des  derniers  visiteurs  de  Nohant 
fut  aussi  un  certain  M.  Gotilieb  Ritier  qui  décrivit  sa  «  Visite  chez  George 
Sand  »  dans  les  numéros  31-32  de  la  Garlenlaule  de  1876.  A  l'exception  de  ce 
fait,  c'est-à-dire  d'avoir  été  le  dernier  des  étrangers  qui  vit  Mme  Sand  peu 


GKORGE   SAND  603 

jeune  homme  de  NĂźmes  qui  venait  souvent  Ă   Nohant.  Je  me  souviens 
que  j'ai  donné  à  Mme  Sand  des  nouvelles  du  docteur  Darchy,  son 
ancien  médecin  préféré,  que  j'avais  vu  un  mois  avant  à  Chamoon. 
Mme  Sand  s'est  écriée  :  «  Pauvre  Darchy,  s'il  était  encore  à  La  Chùtre 
je  ne  serais  pas  malade.  »  Je  n'ai  pas  fait  grande  attention  à  cette 
exclamation,  ne  trouvant  rien  d'inquiétant  dans  son  aspect.  J'ai  dit 
alors  :  «  Le  brave  Darchy  est  trÚs  absorbé  par  ses  courses  et  sa  clien- 
tĂšle et  il  m'a  dit,  madame,  qu'il  ne  viendrait  Ă   Nohant  que  si  vous 
aviez  besoin  de  lui,  ce  qui,  ai-je  ajouté,  ne  se  produira  pas  de  si  tÎt.  » 
(Quatre  jours  aprÚs  Darchy  était  appelé  et  nous  déclara  qu'elle  était 
perdue.) 

*;  Pour  en  revenir  à  cette  journée  du  28  mai,  il  fut  question  d'un  voyage 
à  Paris.  Je  dis  à  Mme  Sand  :  «  Voulez-vous  que  je  vous  accompagne?» 
Ma  femme  ajouta  :  «  Je  vous  donne  mon  mari.  »  Elle  était  peu  décidée 
à  faire  ce  voyage.  Cependant  le  lendemain  29  elle  se  déterminait  à  le 
faire  accompagnée  de  Sagnier.  En  vue  de  son  départ  elle  voulut  prendre 
une  précaution  de  santé  nécessitée  par  l'état  latent  de  la  maladie,  qui 
est  devenue  fatale... 

Le  29  mai,  ayant  l'occasion  de  passer  Ă   Nohant,  j'entrai  prendre  des 
nouvelles  de  M.  Maurice  —  Ă©crit  le  docteur  Chabenat  dans  ses  Notes  sur 
la  maladie  de  Mme  Sand.  —  Mme  Sand  apprenant  ma  prĂ©sence  au 
chùteau  me  fit  demander  par  l'aßnée  de  ses  petites-filles,  Aurore  ;  je 
montai  dans  son  cabinet  ;  elle  Ă©tait  assise  devant  son  bureau,  une  ciga- 
rette Ă   la  bouche  et  la  plume  Ă   la  main. 

Elle  me  dit  qu'il  n'y  avait  pas  eu  de  selles  depuis  le  23  et  me  fit 
remarquer  que  son  ventre  avait  augmenté  de  volume.  (Regardez  donc 
cette  panse,  docteur,  me  dit-elle.)  Malgré  cela  elle  travaillait  avec  autant 
de  facilité  que  par  le  passé,  mais  le  volume  énorme  de  son  abdomen, 
la  fatigue  qu'elle  Ă©prouvait  dans  la  marche,  les  coliques  qu'elle  avait 
aprÚs  les  repas,  l'inquiétaient. 

Je  me  réservais  de  faire  un  autre  jour  un  examen  direct...  parce  que 
cet  Ă©tat  me  semblait  assez  grave,  mais  ce  jour-lĂ   Mme  Sand  n'Ă©tait 
pas  alitée,  et,  nouveau  médecin  dans  la  maison,  j'aurais  pu  paraßtre 
bien  audacieux. 

Je  crus  qu'il  était  prudent  de  combattre  immédiatement  la  cons- 
tipation et  je  prescrivis  pour  le  lendemain  matin,  30  mai,  30  grammes 
d'huile  de  ricin  avec  30  grammes  de  sirop  d'orgeat.  Je  choisis  de  pré- 
férence un  purgatif  doux  agissant  plutÎt  mécaniquement  qu'en  irri- 
tant l'intestin,  parce  que  je  croyais  avoir  affaire  à  un  intestin  ulcéré. 
Le  purgatif  fut  pris  le  mardi  30  mai  h  10  heures  du  matin. 

avant  sa  mort,  cet  article  ne  se  distingue  par  aucun  mérite  et  contient  une 
série  d'erreurs  et  d'inexactitudes.  C'est  ainsi  par  exemple  que  M.  Ritter 
assure  que  Solange  demeurait  chez  sa  mĂšre  Ă   Nohant,  etc.,  etc. 


6o4  GEORGE   SAND 

Le  médicament  ne  produisit  aucun  effet,  l'occlusion  de  l'in- 
testin étant  déjà  absolue  alors. 

BientÎt  Mme  Sand  fut  prise  de  coliques.  D'abord  «  elle  s'en  plaignit 
avec  un  certain  engouement  »,  dit  M.  Paulin  de  Vasson  dans  ses  notes. 
«  J'ai  le  diable  dans  le  ventre  »,  disait-elle.  Vers  les  3  trois  heures  de 
l'aprĂšs-midi  Mme  Sand  se  sentit  trĂšs  mal.  Appelant  sa  femme  de 
chambre  elle  lui  dit  d'aller  chercher  Maurice,  qu'elle  n'en  pouvait  plus 
et  souffrait  horriblement.  Son  fils  la  trouva  étendue  sur  le  canapé,  en 
proie  Ă   de  vives  douleurs  (1). 

Ce  jour-lĂ ,  dit  le  docteur  Pestel  dans  ses  notes,  Mme  Maurice  et  ses 
filles  étaient  allées  dÚs  le  matin  à  une  noce  de  village  avec  Sagnier, 
son  mari  était  resté  à  la  maison.  A  4  heures  aprÚs-midi,  quand  elle 
rentra,  elle  trouva  Mme  Sand  trÚs  fatiguée.  Elle  éprouvait  des  coliques, 
des  nausées,  des  envies  fréquentes  d'aller  à  la  garde-robe,  qu'elle  ne 
pouvait  satisfaire.  Ces  symptĂŽmes  allĂšrent  en  augmentant. 

Dans  la  soirĂ©e,  —  Ă©crit  le  docteur  Chabenat,  —  la  malade  fut  prise 
de  vomissements  noirĂątres  et  de  coliques  atroces.  On  courut  chercher 
M.  Papet,  le  médecin  le  plus  proche,  ami  intime  de  Mme  Sand.  H 
ordonna  de  la  glace  à  l'intérieur,  de  grands  bains,  des  onctions  sur  le 
ventre  avec  la  pommade  mercuriale  simple.  Les  vomissements  s'arrĂȘ- 
tĂšrent, mais  le  ventre  resta  douloureux... 

Depuis  le  moment  de  l'arrivée  du  docteur  Papet  jusqu'à  4  heures 
du  matin,  —  raconte  le  docteur  Pestel,  d'aprĂšs  le  rĂ©cit  de  son  collĂšgue 
M.  Papet,  —  la  malade  souffrit  horriblement,  poussant  des  cris  aigus 
qu'on  entendait  de  l'extrémitité  du  jardin.  Les  nausées  étaient  conti- 
nuelles (il  y  eut  plusieurs  vomissements),  les  coliques  trĂšs  violentes,  le 
ventre  trĂšs  sensible  Ă   ce  point  qu'il  ne  pouvait  supporter  le  poids  d'un 
cataplasme.  A  partir  de  4  heures  du  matin  il  y  eut  une  légÚre  rémission 
dans  l'intensité  des  douleurs... 

Le  docteur  Papet  trouva  l'Ă©tat  de  la  malade  plus  qu'alarmant. 
DÚs  qu'il  l'eut  examiné,  il  dit  à  Maurice  :  «  Elle  est  perdue  (2)...  » 

Le  lendemain  matin  on  envoya  chercher  le  docteur  Pestel  Ă  
Saint-Chartier  et  le  docteur  Chabenat  Ă   La  ChĂątre. 

Le  31  mai,  je  fus  applĂ©  Ă   Nohant  oĂč  j'arrivais  Ă   8  heures  du  matin, 
—  Ă©crit  le  docteur  Pestel.  —  Je  trouvais  en  arrivant  le  docteur  Papet 
qui  y  avait  passé  la  nuit  et  qui  m'attendait... 

(1)  Texte  imprimé  de  M.  Henry  Harrisse  dans  les  Derniers  moments  et 
les  obsÚques  de  George  Sand,  souvenirs  d'un  ami,  publié  à  l'occasion  du  cente- 
naire de  l'illustre  Ă©crivain,  1er  juillet  1904. 

(2)  Texte  imprimé  de  M.  Henry  Harrisse. 


GEORGE   SAND  605 

H  me  mit  au  courant  de  ce  qu'il  avait  observé  la  veille  et  me  montra 
les  vomissements  et  les  urines  de  la  malade,  que,  suivant  sa  recomman- 
dation, on  avait  conservés.  Les  matiÚres  vomies...  identiques  quant  à 
l'aspect  cà  celles  qu'on  observe  dans  le  cancer  de  l'estomac  arrivé  à  la 
pĂ©riode  de  l'ulcĂ©ration...  H  Ă©tait  Ă©vident  que,  de  mĂȘme  que  les  matiĂšres 
vomies,  elles  contenaient  du  sang  en  assez  grande  quantité.  Je  me 
rendis  alors  auprĂšs  de  la  malade... 

Mme  Sand  était  alitée,  elle  souffrait  beaucoup  du  ventre  ;  elle  me 
raconta  dans  de  grands  détails  et  d'une  voix  haletante  ce  qui  s'était 
passé  la  veille,  elle  insista  surtout  sur  la  purgation  qu'elle  avait  prise, 
m'interrogeant  du  regard  comme  pour  surprendre  sur  ma  physionomie 
ce  que  j'en  pensais.  Pour  répondre  à  sa  pensée,  je  lui  dis  que  cette 
purgation  était  parfaitement  indiquée  ;  que  l'huile  de  ricin  était  le 
purgatif  le  plus  doux  et  le  plus  inoffensif  qu'on  peut  employer  ;  que 
tout  médecin  y  aurait  eu  recours  ;  que  si  elle  n'avait  pas  produit  l'effet 
qu'on  en  espérait,  cela  tenait  certainement  non  à  l'administration 
intempestive  de  ce  médicament,  mais  à  la  nature  de  la  maladie  ;  qu'il  y 
avait  dans  l'intestin  un  obstacle  au  cours  des  matiÚres  que  le  médi- 
cament n'avait  pas  pu  vaincre,  mais  que  c'Ă©tait  chose  qu'on  ne  pou- 
vait deviner;  que  l'eût-on  deviné  d'ailleurs,  il  aurait  fallu  chercher 
Ă   le  faire  disparaĂźtre,  et  qu'alors  l'huile  de  ricin  Ă©tait  le  meilleur  moyen 
qu'on  pût  employer  dans  ce  but. 

Malgré  ce  raisonnement  qui,  du  reste,  était  trÚs  juste,  je  m'aperçus 
qu'elle  n'Ă©tait  pas  le  moins  du  monde  convaincue. 

...Le  pouls  Ă©tait  large  et  plein,  battant  88  fois  par  minute  (ce  qui 
Ă©tait  pour  Mme  Sand  de  la  frĂ©quence  —  elle  n'avait  que  50  Ă   55  pul- 
sations en  état  de  santé),  elle  avait  presque  constamment  envie  de 
vomir,  la  langue  Ă©tait  blanchĂątre,  large  et  humide,  le  faciĂšs  nullement 
altéré,  soif  vive. 

Prescription  :  glace,  fomentations  sur  le  ventre  avec  l'huile  de 
camomille  camphrée,  cataplasmes  émolhents  ;  bains  de  siÚge  ;  lave- 
ments Ă©molhents.  La  femme  de  chambre  (ancienne  nourrice  d'Aurore) 
que  nous  avons  interrogée  nous  a  dit  que  depuis  deux  ans  qu'elle 
était  au  service  de  Mme  Sand,  elle  avait  remarqué  que  presque  cons- 
tamment il  y  avait  du  sang  dans  les  garde-robes  ;  que  ce  sang  se 
montrait  sous  la  forme  de  caillots  noirs. 

Ce  renseignement  nous  fit  supposer,  au  docteur  Papet  et  Ă   moi,  qu'il 
existait  dans  le  gros  intestin  une  ou  plusieurs  ulcérations  anciennes... 

On  vint  me  chercher  quelques  instants  aprĂšs  la  visite  de  ces  mes- 
sieurs —  Ă©crit  le  docteur  Chabenat,  —  mais  je  ne  pus  me  rendre  Ă  
Nohant  que  vers  les  3  heures.  Je  fus  trĂšs  surpris,  en  arrivant,  de 
trouver  les  visages  consternés  et  de  voir  là  réunis  les  amis  de  la  maison  : 
M;  Sagnier,  M.  Charles  Moulin,  M  -de  Vasson,  M.  et  Mme  Gabillaud. 


6oĂŽ  GEORGE   S  AND 

M.  Papet  était  là  aussi,  et  ni  "apprit  les  événements  de  la  veille.  Nous 
attendßmes  l' arrivée  de  M.  Pestel  pour  nous  rendre  auprÚs  de  la  malade. 
Il  arriva  bientĂŽt  et  nous  montĂąmes  dans  la  chambre  de  Mme  Sand. 
Mme  Maurice  Ă©tait  auprĂšs  de  sa  belle-mĂšre  avec  la  Thomas  et  la.  Nounou. 
(Toutes  les  trois  ont  veillé  et  soigné  l'illustre  écrivain  jusqu'à  son  der- 
nier soupir.) 

Nous  constatùmes  que  le  ventre  était  ballonné,  trÚs  douloureux,  et 
qu'Ă   chaque  instant  il  y  avait  des  Ă©ructations.  Le  pouls  Ă©tait  toujours 
à  88  ;  la  malade  était  trÚs  altérée  et  ne  prenait  aucune  nourriture.  Le 
traitement  prescrit  la  veille  par  M.  Papet  fut  continué... 

A  8  heures  nous  Ă©tions  tous  les  trois  prĂšs  de  Mme  Sand...  L'Ă©tat  de 
la  malade  n'avait  pas  changé,  elle  se  plaignait  toujours  du  ventre... 

Je  passai  la  nuit  dans  le  cabinet  de  travail  de  Mme  Sand,  attenant 
à  sa  chambre  et  me  rendis  prÚs  d'elle  chaque  fois  que  ma  présence  était 
nécessaire. 

Mme  Maurice  ne  quitta  pas  sa  belle-mĂšre  un  seul  instant. 

M.  de  VasBon  resta  avec  M.  Maurice  une  partie  de  la  nuit  et  quand 
M.  Maurice  fut  couché,  il  monta  dans  le  cabinet  de  travail  avec  moi. 

H  y  eut  cette  nuit-lĂ   une  garde-robe,  c'Ă©tait  la  premiĂšre  depuis  le 
23  mai.  Elle  n'amena  aucun  soulagement  ;  le  ballonnement  du  ventre 
resta  le  mĂȘme... 

Mme  Sand  fatiguĂ©e  d'ĂȘtre  couchĂ©e  sur  le  dos  se  fit  transporter  sur 
son  canapé. 

Au  moment  oĂč  nous  la  transportions,  M.  de  Va-sson  qui  croyait  qu'on 
avait  besoin  de  son  aide  se  montra  Ă   la  porte  de  la  chambre  ;  Mme  Sand 
l'aperçut  et  demanda  qui  était  là  ;  quand  on  eut  nommé  M.  de  Vasson,  elle 
s'écria  :  «  Non,  non,  n'entrez  pas,  c'est  une  horreur,  c'est  une  infection  !  » 

Ces  mots  revinrent  souvent  dans  sa  bouche  jusqu'au  dernier 
moment... 

Nous  jugeĂąmes  la  situation  tellement  grave,  —  Ă©crit  le  docteur 
Pestel  dans  l'une  de  ses  Notes  ajoutĂ©es  au  manuscrit  de  M.  Harrisse,  — 
que  nous  priùmes  M.  Maurice  de  télégraphier  pour  faire  venir  un  mé- 
decin de  Paris.  H  nous  répondit  :  «  Je  vais  télégraphier  à  Favre  de 
venir.  »  Nous  lui  dßmes  :  «  Soit,  mais  qu'il  en  amÚne  un  autre  avec  lui, 
nous  voulons  un  médecin  d'une  science  pratique  incontestée.  »  Et  comme 
M.  Maurice  nous  dit  ne  connaßtre  à  Paris  d'autre  médecin  que  Favre, 
nous  lui  désignùmes  Barth  ou  Jaccoud.  Le  lendemain  1er  juin  M.  Favre 
arrivait  seul  à  8  heures  du  matin,  n'ayant  pu  amener  un  des  médecins 
désignés.  Il  repartait  pour  Paris  à  10  heures  et  demie  avec  le  mandat 
d'envoyer  de  suite  au  chĂąteau  M.  PĂ©an  ou  un  autre.  Ce  mĂȘme  jour 
Mme  Maurice  avait  télégraphié  à  Darchy  (ancien  médecin  de  Mme  Sand 
qui  habite  Chambon,  Creuse)  de  venir.  La  veille  déjà  nous  avions  fait 


GEORGE   SAND  607 

appeler  Chabenat,  de  La  ChĂątre,  avant  de  quitter  Nohant.  M.  Favre 
voulut  que  nous  rédigions  une  note  explicative  de  la  maladie  afin  qu'il 
la  remßt  à  Paris  à  Péan.  C'est  moi  qui  rédigeai  cette  note  qui  fut  signée 
Ă©galement  de  Papet  et  de  Chabenat... 

M.  Paulin  de  Vasson  Ă©crit  dans  sa  note  Sur  la  maladie  et  la 
mort  de  Mme  Sand  : 

Le  docteur  Papet,  appelé  le  premier,  craignit  une  paralysie  des 
intestins.  Pestel  de  Saint-Chartier,  appelĂ©  de  suite,  avait  la  mĂȘme 
pensée  et  sa  physionomie  n'était  pas  rassurante.  H  avait  des  hoche- 
ments de  tĂȘte  significatifs.  Chabenat  Marc,  en  Ă©tait  pour  prendre  des 
mesures  immédiates.  Mais  Mme  Sand  avait  un  médecin,  un  certain 
docteur  Favre,  qui  m'a  toujours  produit  une  déplorable  impression. 
Malheureusement  Ă   Nohant  on  croyait  en  lui.  Je  ne  veux  pas  dire  que 
le  pauvre  cher  homme  ait  causé  par  son  incapacité  la  moindre  catas- 
trophe. Non  ;  mais  étant  donné  la  possibilité  (à  laquelle  je  ne  croyais 
pas)  de  sauver  la  malade,  le  docteur  Favre,  faux  savant,  bavard  et 
sans  pratique  mĂ©dicale,  ne  pouvait  ĂȘtre  qu'un  obstacle. 

Les  trois  docteurs  :  Papet,  Pestel  et  Chabenat  ont  demandé  l'appel 
d'une  célébrité  de  la  médecine.  Prévoyant  l'intention  par  la  famille 
d'appeler  le  docteur  Favre,  ils  ont  demandé  deux  médecins  et  désigné 
Barthe  et  Jaccoud. 

On  a  télégraphié  (malheureusement)  au  docteur  Favre  en  lui  don- 
nant commission  d'amener  ces  messieurs.  Nous  attendions  avec  anxiété. 
Le  pauvre  Maurice  Ă©tait  en  proie  Ă   une  agitation  extraordinaire  pen- 
dant toute  la  nuit  oĂč  je  l'assistais. 

Or,  Ă   8  heures  du  matin  arrive  le  docteur  Favre  seul,  J'Ă©tais,  je 
l'avoue,  exaspéré.  J'ai  eu  la- patience  cependant  d'écouter  ses  expli- 
cations prolixes  et  détaillées,  desquelles  on  comprenait  qu'il  n'avait  pu 
amener  aucun  de  ces  messieurs.  Alors,  mon  homme,  en  présence  des 
trois  médecins,  et  avant  d'avoir  vu  la  malade  (1),  fait  des  discours  sur 
sa  maladie  :  «  C'était  la  dyssenterie,  ou  bien  c'est  une  hernie,  je  la  fric- 
tionnerai, etc.  » 

Pestel  tapait  du  pied. 

Enfin  il  s'est  décidé  à  entrer  dans  la  chambre  de  Mme  Sand.  H  en 
redescend  et  alors,  jusqu'à  son  départ,  on  n'entend  que  le  docteur 
Favre  avec  son  flux  de  paroles  inutiles  et  cette  faconde  intempestive. 


(1)  Mme  Lina  Sand  avait  mis  en  note  Ă   ces  mots  : 

«  Je  ferai  remarquer  que  Favre  soignait  Mme  Sand  depuis  des  années  et 
connaissait  beaucoup  mieux  que  ces  messieurs  l'Ă©tat  de  la  malade,  puisqu'ils 
ne  l'avaient  jamais  soignée,  sauf  Darchy. 

«  Lina.  » 


6o3  GEORGE   SAND 

H  insista  auprÚs  des  autres  médecins  pour  faire  valoir  son  avis,  qui 
consistait  Ă   retourner  Ă   Paris,  lui  Favre,  aller  trouver  un  chirurgien, 
lui  faire  connaütre  la  maladie  de  Mme  Sand  et  rinstruire  sur  l'Ɠuvre 
chirurgicale  Ă   accomplir. 

Pour  cela  il  décida  ces  messieurs  à  faire  un  procÚs-verbal  qui  fut  rédigé 
par  Chabenat.  Muni  de  ce  document  Favre  repartit. 

Le  docteur  Chabenat  continue  son  récit  : 

Le  jeudi  matin  1er  juin,  MM.  Pestel  et  Papet  vinrent  Ă   Nohant  vers 
S  heures.  On  attendait  M.  Barthe  ou  M.  Jaccoud  mandés  la  veille  par 
une  dĂ©pĂȘche  envoyĂ©e  Ă   M.  le  docteur  Favre.  Xotre  dĂ©sappointement 
fut  grand  quand  nous  vĂźmes  ce  dernier  sans  ces  messieurs. 

H  était  accompagné  de  M.  Sagnier  (1)  (de  Xßmes)  qui  était  allé  l'at- 
tendre Ă   ChĂąteauroux.  Xous  causĂąmes  longtemps  avec  M.  Favre  qui 
vint  avec  nous  dans  la  chambre  de  Mme  Sand.  La  sonde  Ɠsophagienne 
fut  de  nouveau  introduite  sans  plus  de  résultat  que  la  veille.  M.  Favre 
nous  pria  de  rédiger  une  note  (ce  qui  fut  fait  par  M.  Pestel)  qu'il  remet- 
trait au  chirurgien,  M.  PĂ©an.  H  repartit  pour  Paris  Ă   10  heures  et 
demie  pour  prévenir  l'opérateur. 

Dans  la  matinĂ©e  du  mĂȘme  jour,  M.  Cazamajou,  neveu  de  Mme  Sand, 
arriva  Ă   Xohant  et  fut  jusqu'au  dernier  soupir  de  sa  tante  admirable 
de  dévouement. 

M.  Papet  resta  une  partie  de  la  journée  prÚs  de  la  malade.  M.  Peste 
et  moi  nous  restùmes  le  soir.  Rien  ne  fut  modifié  dans  le  traitement. 
La  situation  Ă©tait  toujours  la  mĂȘme.  Je  restai  jusqu'Ă   une  heure  du 
matin. 

Le  vendredi  2  juin  nous  Ă©tions  Ă   8  heures  du  matin  Ă   Xohant.  Xous 
trouvĂąmes  en  arrivant  un  autre  confrĂšre,  M.  Darchy  de  Chambon 
(Creuse),  ami  de  Mme  Sand,  arrivé  dans  la  nuit  pour  lui  donner  ses 
soins.  Inous  attendĂźmes  M.  PĂ©an  que  M.  Favre  devait  envoyer.  Il 
arriva  vers  9  heures  avec  M.  René  Simonnet,  substitut  à  Chùteauroux, 
neveu  de  la  malade.  M.  PĂ©an  examina  Mme  Sand  et  aprĂšs  cet  examen 
il  fut  décidé  que  l'on  ne  pouvait  avoir  recours  à  l'entérotomie  et  que 
l'on  se  contenterait  d'injecter  à  l'aide  de  la  sonde  Ɠsophagienne, 
introduite  le  plus  loin  possible,  une  certaine  quantité  d'eau  de  Seltz. 
On  aurait  recours  ensuite  Ă   la  ponction  abdominale  dont  nous  avons 
déjà  parlé  avec  M.  Papet  et  Pestel  dÚs  le  31  mai.  La  petite  opération 
fut  remise  aprĂšs  le  dĂ©jeuner,  M.  PĂ©an  voulant  repartir  le  soir  mĂȘme 
pour  Paris... 

A  midi  et  demi  environ,  M.  Péan,  assisté  des  confrÚres  dont  j'ai 

(1)  Charles  Sagnier. 


GEORGE   SAND  609 

parlé  (et  en  présence  de  Mme  Lina,  de  M.  Cazamajou,  des  deux  domes- 
tiques), pratiqua  l'opération.  Mme  Sand  eut  d'horribles  souffrances 
pendant  l'opération;  elles  furent  suivies  d'un  soulagement  notable 
ensuite...  La  soirée  fut  plus  calme. 

Mme  ClĂ©singer,  prĂ©venue  par  une  dĂ©pĂȘche,  Ă©tait  arrivĂ©e  de  Paris  et 
resta  jusqu'Ă   la  fin  Ă   Nohant  pour  veiller  sa  mĂšre  et  lui  donner  ses  soins. 

La  journée  du  samedi  3  juin  fut  relativement  meilleure  sans  qu'il  y 
eût  cependant  aucune  rémission  dans  les  symptÎmes.  H  y  avait  bien 
quelques  selles  mais  le  ballonnement  du  ventre,  les  douleurs,  le  pouls 
ne  changeaient  pas.  La  malade  causait  un  peu  mieux  ;  elle  demanda  Ă  
voir  ses  deux  petites-filles  et  son  chien  Fadet,  elle  prit  un  peu  de  gelée 
de  viande.  Rien  à  signaler  dans  la  soirée.  M.  Darchy  restait  à  Nohant 
ce  qui  nous  permit  de  nous  retirer  vers  11  heures. 

Le  lendemain  matin  4  juin  l'état  s'était  aggravé,  le  pouls  était  à 
100  pulsations,  la  respiration  plus  difficile  par  suite  de  la  distension 
des  intestins  par  les  gaz.  A  chaque  instant  la  malade  demandait  Ă  
changer  de  place  ;  elle  se  plaignait  sans  cesse  et  exprimait  le  dégoût 
que  lui  inspirait  sa  maladie.  On  recommença  l'opération  que  M.  Péan 
avait  faite  l' avant-veille,  mais  sans  obtenir  plus  de  succĂšs...  [Vient 
l'énumération  des  symptÎmes  qui  s'étaient  aggravés.]  La  journée  fut 
plus  calme  que  la  matinée. 

On  télégraphia  à  M.  Favre  de  revenir  à  Nohant.  La  soirée  et  la  nuit 
n'apportĂšrent  aucun  changement. 

Lundi  5  juin.  —  M.  Favre  et  M.  Plauchut  arrivent  le  matin  et  se 
rendent  dans  la  chambre  de  Mme  Sand  oĂč  nous  Ă©tions  rĂ©unis,  Papet, 
Pestel,  Darchy  et  moi.  La  malade  était  encore  plus  affaissée  que  la 
veille,  elle  avait  cependant  son  entiĂšre  connaissance  et  embrassa  avec 
effusion  MM.  Favre  et  Plauchut.  On  ne  prescrivit  rien  de  nouveau. 
Le  ballonnement  du  ventre  était  toujours  considérable,  le  pouls  à  100... 
l'occlusion  persistait. 

M.  Darchy  quitta  Nohant  dans  l'aprĂšs-midi.  Nous  nous  retrouvĂąmes 
le  soir,  et  M.  Pestel  resta  passer  la  nuit.  Nous  constatĂąmes  ce  soir-lĂ  
un  épiphénomÚne  grave.  La  bouche  et  le  pharynx  étaient  remplis  de 
muguet. 

Mme  Simonnet  passa  la  journée  du  5  à  Nohant,  elle  repartit  le  len- 
demain matin  et  revint  le  soir.  M.  Cazamajou,  M.  René  Simonnet, 
Mmes  Lina  et  Clésinger  ne  quittaient  pas  Mme  Sand. 

Mardi  6  juin.  —  Les  symptîmes  s'aggravent  encore;  la  malade 
conserve  cependant  sa  connaissance.  Les  amis  arrivent  pour  assister 
aux  derniers  moments  de  l'illustre  Ă©crivain.  M.  et  Mme  Boutet  sont 
lĂ ,  MM.  Emile  Aucante,  Plauchut,  Amie  ;  MM.  de  Vasson,  Gabillaud, 
Moulin  viennent  passer  la  soirée  avec  M.  Maurice  et  prendre  des  nou- 
velles de  sa  mĂšre. 

iv.  39 


6io  GEORGE  SAND 

Mercredi  7  juin.  —  Le  muguet  augmente.  La  soif  est  atroce.  La 
malade  change  de  place  Ă   chaque  instant  ;  elle  se  plaint  du  ventre, 
trĂšs  distendu,  et  des  reins.  Elle  a  horreur  de  sa  position  ;  elle  demande 
la  mort. 

Vers  9  heures  du  matin  elle  fait  appeler  ses  petites-filles,,  les  embrasse 
toutes  les  deux,  les  appelle  ses  chĂšres  adorĂ©es  et  leur  recommande  d'ĂȘtre 
bien  sages.  Tous  les  assistants  ont  les  larmes  aux  yeux. 

La  journée  et  la  soirée  n'apportent  aucun  changement.  On  continue 
Ă   faire  des  onctions  sur  le  ventre  avec  la  pommade  mercurielle  bella- 
doaaée... 

Vient  une  énumératioii  des  symptÎmes  dont  les  uns  s'ag- 
gravent, les  autres  restent  alarmants  comme  au  premier  jour. 

Le  soir  on  transporte  Mme  Sand  sur  un  lit  de  fer,  afin  de  changer 
ses  draps  et  de  la  délasser  un  peu. 

M.  Papet  s'en  va  vers  9  heures,  je  reste  jusqu'Ă   11  heures.  M.  Pestel 
malgré  la  présence  du  docteur  Favre,  veille  jusqu'à  4  heures  du  matin. 
Au  moment  de  son  dĂ©part  l'Ă©tat  de  la  malade  Ă©tait  toujours  le  mĂȘme  (1). 

Jeudi  8  juin.  —  A  5  heures  du  matin,  une  heure  aprĂšs  le  dĂ©part  de 
M.  Pestel,  Mme  Sand  perd  connaissance  ;  son  agonie  dure  quatre 
heures  et  demie,  elle  expire  Ă   9  heures  et  demie... 

«  Ces  lignes  ne  sont  pas  destinées  à  la  publicité,  écrit  le  docteur 
Pestel  dans  sa, Note.  Elles  n'ont  été  écrites  que  dans  le  but  de  fixer  mes 
souvenirs  personnels.  Quand  on  se  fie  à  sa  mémoire,  le  temps  efßaee  les 
impressions,  dénature  les  faits,  il  engendre  la  légende  avec  ses  exagé- 
rations et  ses  erreurs.  Quand  on  prend  le  soin  de  noter  ses  impressions 
du  moment,  ce  que  l'on  a  vu,  ce  qu'on  a  entendu,  l'Ă©crit  reste  et  avec 
lui.  la  vérité.  Voilà  pourquoi  j'ai  écrit  ces  notes...  » 

Ces  mots  du  docteur  Pestel  qui  servent  d'épilogue  à  ses  ré- 
flexions sur  les  médecins  de  Nohant,  pourraient  parfaitement 
servir  d'Ă©pigraphe  aux  Notes  qu'il  ajouta  au  manuscrit  de 
M.  Henry  Harrisse.  En  effet  leur  bonne  foi,,  leur  vérité  et  leur 
exactitude  ne  peuvent  Ă©veiller  le  moindre  doute.  C'est  pour  cela 
qu'Ă   l'exception  de  deux  passages  que  nous  empruntons  au  petit 
opnseule  de  M.  Harrisse  trĂšs  bien  Ă©crit  et  plein  de  sentiment, 
mais  malheureusement  comportant  les  ajoutés  mentionnés  plus 

(1)  M,  Pestel  écrit  :  «  Quand  je  quittai  Nohant  le  8  juin  à  quatre  heures  du 
matin,  le  pouls  de  la  malade  avait  encore  une  force  telle  que  je  devais  sup- 
poser que  l'existence  se  prolongerait  pendant  vingt-quatre  heures  environ.  » 


GEORGE  SAND  6n 

haut,  et  du  reste  imprimé,  de  sorte  que  chaque  lecteur  peut  le 
parcourir,  nous  allons  raconter  les  derniers  moments  de  Mme  Sand 
en  nous  tenant  surtout  Ă   la  version  du  docteur  Pestel  : 

Ce  qui  la  prĂ©occupait,  l'humiliait  mĂȘme,  —  lisons-nous  dans  le 
manuscrit  de  M.  Harrisse,  —  c'Ă©tait  la  nature  de  sa  maladie.  Gomme 
Fherniine,  elle  serait  morte  d'une  tache.  Aussi,  quoique  absolument 
docile  entre  le*  mains  des  médecins,  les  effets  de  son  mal  la  navraient 
et  c'Ă©tait  pour  que  ses  enfants  et  ses  amis  ne  pussent  en  voir  les  traees 
qu'elle  les  Ă©loignait...  Pendant  sa  maladie  elle  parla  trĂšs  peu... 

Dans  la  nuit  du  4  au  5  juin,  vers  11  heures  du  soir,  quand  Mme1  Sand 
me  vit  prĂšs  de  son  lit  —  Ă©crit  le  docteur  Pestel  dans  ses  Notes  ajoutĂ©es 
au  manuscrit  de  M.  Harrisse  —  elle  me  dit  :  «  Mon  pauvre  petit  docteur, 
que  tu  es  bon  ;  je  te  remercie,  pourquoi  rester?  Une  si  vilaine  maladie.  » 

Le  7  juin  à  9 "heures  du  matin  Mme  Sand  dit  :  «  Adieu,  mes  chÚres 
petites-filles.  »  Mme  Maurice  lui  dit  :  «  Veux-tu  qu'on  aille  les  chercher?  — 
Oui.  » 

Les  petites  vinrent  et  s'approchÚrent  du  ht.  «  Mes  chÚres  petites, 
leur  dit-elle,  que  je  vous  aime.  Regardez-moi,  mes  enfants:  Oh!  mes  chĂšres 
adorées,  que  je  vous  aime!  Embrassez-moi,  soyez  bien  sages.  » 

Une  autre  fois  précédemment,  elle  avait  demandé  à  voir  ses  petites- 
filles  ;  ce  devait  ĂȘtre  le  3  juin. 

...Je  suis  resté  prÚs  d'elle  de  10  heures  du  soir  (7  juin)  jusqu'à4  heures 
du  matin  ;  il  n'y  avait  avec  moi  pendant  ce  temps  que  Mme  Solange 
et  la  bonne  des  enfants  (la  nourrice  de  Gabrielle).  La  malade  souffrit 
beaucoup.  H  fallait  Ă   tout  instant  la  relever  dans  son  lit  et  la  changer 
dû  position  ;  nous  ne  sommes  jamais  restés  plus  de  deux  minutes  sans 
ĂȘtre  occupĂ©s  soit  Ă   la  mouvoir,  soit  Ă   la  faire  boire.  Elle  buvait  avec  une 
grande  difficulté,  en  raison  surtout  d'une  couche  de  muguet  qui  tapis- 
sait la  bouche,  l'arriĂšre-bouche  et  probablement  aussi  une  grande  partie 
du  tube  digestif.  C'est  la  présence  du  muguet  et  la  sécheresse  de  la 
boucha  qui,  en  gĂȘnant  les  mouvements  de  la  langue,  empĂȘchait 
Mme  Sand  d'articuler  nettement  les  mots.  TrĂšs  souvent  elle  nous  a  dit  : 
Ă   boire  ou  tout  simplement  boire.  Mais  souvent  aussi  elle  faisait  signe 
avec  son  bras  sans  rien  dire. 

Bien  des  fois  elle  prononça  des  mots  inintelligibles  ;  on  lui  demandait 
alors,  si  elle  voulait  ĂȘtre  tournĂ©e  Ă   gauche,  Ă   droite,  ou  relevĂ©e  ;  elle 
faisait  un  signe  de  tĂȘte  pour  nous  rĂ©pondre.  Trois  ou  quatre  fois,  elle 
m'appela  distinctement  par  mon  nom,  c'Ă©tait  pour  boire  ou  ĂȘtre  changĂ©e 
de  position. 

Vers  une  heure  du  matin,  son  lit  Ă©tant  souillĂ©,  elle  voulut  ĂȘtre  lavĂ©e. 
En  vain  on  lui  représenta  que  ce  serait  une  secousse  inutile  pour  elle, 
qu'on  pourrait  se  borner  Ă   lui  passer  des  serviettes  ;  elle  insista  avec 


6i3  GEORGE    SAXD 

une  sorte  d'entĂȘtement  puĂ©ril,  rĂ©pĂ©tant  continuellement  :  «  Lavez- 
moi,  lavez-moi  »,  etc.,  jusqu'à  ce  qu'on  lui  obéßt. 

A  plusieurs  reprises  elle  nous  dit  :  «  Ayez  pitié,  mes  enfants,  ayez 
pitié  !  » 

Vers  2  heures  elle  répéta  six  ou  sept  fois  de  suite  :  «  La  mort,  mon 
Dieu,  la  mort  !  » 

A  3  heures  du  matin,  marchant  sans  bruit,  M.  Maurice  se  présenta 
sur  le  seuil  de  la  porte  qui  sépare  le  cabinet  de  la  chambre  à  coucher,  la 
porte  restée  ouverte,  sa  mÚre  le  vit  aussitÎt  et  lui  dit  :  «  Non,  non, 
va-t'en,  va-t'en  !...  » 

Cette  nuit-là  Mme  Sand  l'a  passée  sur  un  ht  de  fer  placé  au  milieu 
de  sa  chambre  vis-à-vis  la  cheminée.  Vers  6  heures  du  matin,  la  ma- 
lade cherchant  du  regard  la  lumiĂšre,  Mme  Solange  changea  la 
direction  du  ht  de  façon  que  sa  mĂšre  eĂ»t  la  fenĂȘtre  en  face.  C'est  sur 
ce  ht  qu'elle  est  morte.  Ce  changement  de  ht  avait  été  nécessité  par 
les  manoeuvres  incessantes  qu'on  était  obligé  de  faire  pour  la  changer 
de  position. 

...  Le  8  juin,  vers  6  heures  du  matin,  j'Ă©tais  sorti.  Il  y  avait  prĂšs 
d'elle  Mme  Maurice,  Mme  Solange,  René  Simonnet,  Oscar  Cazamajou 
et  le  docteur  Favre  (1).  Elle  dit  :  «  Adieu,  adieu,  je  vais  mourir,  adieu 
Lina,  adieu  Maurice,  adieu  Lolo,  ad...  »  Elle  voulait  ajouter  certaine- 
ment :  «  Adieu  Titite  »,  mais  elle  ne  put  et  ce  furent  ses  derniÚres 
paroles.  (Je  me  le  rappelle  fort  bien,  car  cela  m'a  beaucoup  frappée  : 
elle  entra  tout  de  suite  aprÚs  en  agonie  »,  ajouta  à  ces  mots  Lina 
Sand.) 

Plus  tard  on  raconta  —  (malheureusement  Henry  Harrisse 
a  cru  pouvoir  intercaler  ce  brin  de  légende  dans  sa  narration 
manuscrite  si  exacte)  —  donc,  plus  tard  on  prĂ©tendit  que  les 
toutes  derniÚres  paroles  de  Mme  Sand  furent  :  «  Laissez  verdure.  » 
Ceci  est  faux.  Le  docteur  Pestel  et  Mme  Lina  Sand  assurent 
dune  maniÚre  catégorique  que  ces  mots  ne  furent  point  pro- 
noncés le  jour  de  sa  mort,  mais  la  veille,  à  9  heures  du  soir,  lors- 
qu'il y  avait  prĂšs  de  Mme  Sand,  Mmes  Solange  et  Lina.  Le  doc- 

(1)  Aurore  et  Gabrielle  —  dit  M.  Harrisse  dans  une  note  à  la  p.  16  de  sa 
plaquette  —  n'Ă©taient  pas  prĂ©sentes  ;  lorsqu'ayant  Ă©tĂ©  appelĂ©es,  elles  s'ap- 
prochÚrent du  chevet  de  leur  grand'mÚre,  celle-ci  avait  cessé  de  vivre.  Maurice 
dormait  dans  sa  chambre  accablé  de  chagrin  et  de  fatigue.  Ce  furent  ses 
fillettes  qui  vinrent  lui  apprendre  la  mort.  Il  s'assit,  puis  il  s'abĂźma  dans 
son  désespoir.  Il  répétait  au  milieu  de  ses  sanglots  :  «  Ma  mÚre,  ma  mÚre  !  La 
vie  pour  nous  est  finie  !  » 


GEORGE   SAND  613 

teur  Pestel  dit  par  deux  fois  dans  ses  Notes,  ajoutées  au  manus- 
crit de  M.  Harrisse,  dans  la  Note  4  : 

Note  4  :  «  C'est  le  7  juin,  vers  9  heures  du  soir.  El  n'y  avait  prÚs  d'elle 
que  sa  fille  et  sa  bru  lorsqu'elle  prononça  ces  mots  qu'on  prit  tout 
d'abord  pour  du  délire,  mais  auxquels  on  attribua  plus  tard  leur  signi- 
fication vraie.  » 

Et  dans  la  note  0  :  «  Ces  deux  mots  ont  été  prononcés  le  7  juin  au 
son,  comme  je  l'ai  indiqué  plus  haut.  Je  le  tiens  de  Mme  Maurice, 
que  fai  interrogĂ©e  Ă   cet  Ă©gard  aujourd'hui  mĂȘme,  3  juillet  1876.  » 

On  dirait  que  M.  Harrisse  ne  pût  pas  se  résoudre  à  faire  jus-, 
tice  de  cette  version  accréditée  et  si  bien  arrangée  pour  plaire 
Ă   tous  ceux  qui  aiment  que  les  toutes  derniĂšres  paroles  des  grands 
hommes  mourants  soient  toujours  «  belles  ».  Donc,  au  lieu  de 
corriger  dans  son  texte  imprimé  cette  erreur,  en  biffant  à  la  date 
du  8  juin  ce  qui  se  rapportait  au  7,  il  arrangea  son  texte  de 
maniÚre  que,  selon  lui,  George  Sand  prononça  ces  mots  non  pas 
une  fois,  mais  trois  fois!  une  fois  la  veille,  et  deux  fois  le  jour 
de  sa  mort.  Ceci  est  une  pure  légende.  Mais  transcrivons  l'expli- 
cation véridique  et  logique  qu'il  donne  à  cette  phrase  de  Mme  Sand 
en  intercalant  dans  son  texte  imprimé  la  note  de  M.  Pestel  (sans 
le  citer). 

Le  7  juin,  vers  9  heures  du  soir  il  n'y  avait  prĂšs  d'elle  Ă   ce  moment 
que  sa  fille  et  sa  bru,  lorsqu'elles  l'entendirent  prononcer  ces  mots 
«  Adieu,  adieu,  je  vais  mourir  »,  puis  plusieurs  paroles  inintelligibles 
finissant  par  :  «  Laissez  verdure.  » 

Solange  regarda  Mme  Lina,  comme  pour  lui  dire  que  sa  pauvre  mĂšre 
n'avait  plus  ses  facultés  ;  mais  en  y  réfléchissant  voici  l'interprétation 
qu'elles  donnĂšrent  Ă   ces  deux  mots. 

H  y  a  dans  le  cimetiÚre  de  Nohant,  à  l'angle  de  droite,  appuyé  au 
mur  mitoyen  qui  le  sépare  du  chùteau,  un  petit  enclos  réservé,  tout 
recouvert  de  broussailles  et  de  plantes  folles,  qui  cachent  la  tombe  du 
pĂšre  et  de  la  grand'mĂšre  de  Mme  Sand.  Quand  on  entre  dans  cet  enclos 
on  remarque  une  croix  en  marbre  blanc  sans  aucune  inscription  et, 
derriĂšre  cette  croix,  une  stĂšle  aussi  de  marbre  blanc.  Ces  deux  petits 
monuments  funéraires  furent  érigés  par  Maurice  et  par  Mme  Clésinger 
lorsqu'on  y  inhuma  les  restes  de  son  enfant,  transférés  de  Paris 
vers  1855  pendant  un  voyage  que  fit  Mme  Sand  (1).  A  son  retour  elle 

(1)  Ceci  est  inexact  :  ces  deux  monuments  sont  celui  de  Jeanne  Clésinger 


6i*  GEORGE  SAXD 

exprima  ses  regrets  qu'on  eißt  érigé  ces  cénotaphes,  préférant,  dit-eile, 
une  simple  couche  de  verdure  (1). 

C'est  alors  qu'elle  déclara  sa  volonté  de  n'avoir  sur  sa  tombe  que  de 
la  verdure,  comme  il  y  en  avait  sur  celle  de  sa  grantTmĂšre  (2).  Elle 
m'en  dit  autant  Ă   moi-mĂȘme  un  jour  qu'en  rentrant  au  chĂąteau  nous 
passions  prĂšs  du  cimetiĂšre... 

M.  Paulin  de  Yasson  décrit  de  la  maniÚre  suivante  les  jours 
qui  succédÚrent  à  la  mort  de  Mme  Sand. 

J'apprends  la  mort  de  Mme  Sand  au  moment  d'aller  Ă   l'audience 
oĂč  j'ai  plaidĂ©  trois  affaires  dont  une  demande  de  filiation  naturelle 
basĂ©e  sur  la  possession  d'Ă©tat  et  je  cite  l'arrĂȘt  du  Parlement  concernant 
Aurore  de  Saxe  que  j'avais  lu  l' avant-veille,  en  veillant  sa  petite-fille. 
J'étais  profondément  ému.  L'audience  finie  je  dßne  à  la  hùte  avec 
Nannecy  aussi  triste  et  silencieuse  que  moi,  et  ma  fille  qui  n'Ă©tait  pas 
d'Ăąge  Ă   comprendre.  Je  pars  pour  Nouant  Ă   7  heures. 

Je  trouve  dans  la  salle  Ă   manger  et  dĂźnant  plusieurs  personnes  tout 
en  noir,  Maurice, suffoquant  (et  moi  aussi).  La  place  de  Mme  Sand 
était  occupée  par...  Solange.  Puis  Mme  Simonnet,  ses  trois  fils,  M.  Caza- 
majou,  Aucante,  M.  et  Mme  Boutet,  Amie,  Plauchut,  Papet,  Lina  et 
ses  deux  filles.  Maurice  avait  des  effusions  nerveuses. 

Solange  paraissait  avoir  pris  la  maĂźtrise.  J'oubliais  de  mentionner 
comment  dans  la  nuit  de  mercredi  au  jeudi  (3)  une  décision  avait  été 
prise  Ă   son  sujet. 

Solange  avait  été  bannie  de  Xohant.  Elle  vivait  à  Montgivray,  pro- 
priĂ©tĂ© achetĂ©e  aux  Simonnet.  Elle  Ă©tait  lĂ   toute  prĂȘte  Ă   manƓuvrer 
contre  son  frùre  et  surtout  contre  sa  belle-sƓur.  Mme  Sand  avait  fait 
une  faute  en  lui  retirant  sa  pension  et  en  attisant  ainsi  sa  haine.  En 
l'Ă©tat  si  grave  de  Mme  Sand  il  fallait  .prendre  un  parti  et  c'est  pour  cela 
que  j'avais  dicté  à  Mauriee  un  billet  ainsi  conçu  :  «  Notre  mÚre  est 
malade  et  son  Ă©tat  est  grave.  Les  docteurs  Papet,  Pestel  et  Chabenat 
attendent  deux  médecins  de  Paris  qui  arriveront  demain  matin.  Viens, 

transférée  de  Paris  effectivement  lors  du  voyage  de  George  Sand  en  Italie 
et  érigé  par  Solange,  et  celui  de  Marc-Antoine  Dudevant.  transféré  de  Guil- 
lery  vers  1865  et  érigé  par  M.  et  Mme  Maurice. 

(1)  Nous  citons  d'aprÚs  le  texte  manuscrit  ;  le  texte  imprimé  est  malheu- 
reusement tout  à  fait  changé  à  cet  endroit  de  la  narration  de  M  Harrisse. 

(2)  Le  docteur  Pestel  a  ajouté  en  noie  à  ce  passage  :  «  Mme  Sar.d  n'a  jamais 
exprimé  de  désir  ni  de  volonté  formels  au  sujet  de  sa  sépulture  ;  elle  a  plu- 
sieurs fois  manifesté  son  goût  et  notamment  à  l'occasion  des  monuments 
funĂšbres  de  sa  petite-fĂźlle  d'abord,  de  son  petit-fils  ensuite,  disarnt,  dans  ces 
circonstances,  qu'elle  aurait  préféré  au  marbre  de  la  verdure.  > 

(3)  Du  1"  au  2  juin. 


GEORGE   SAND  615 

si  tu  veux.  —  Maurice.  »  Je  me  souviens  que  Lina  entra  au  moment 
oĂč  nous  composions  ce  court  avertissement,  plusieurs  fois  recom- 
mencé et  qu'elle  dit  à  Maurice  :  «  Tu  fais  ce  que  j'allais  te  demander.  » 
Le  billet  fut  porté  à  Montgivray  ;  Solange  qui  était  à  Paris  et  qui  avait 
donné  ses  instructions  prévoyantes  à  ses  domestiques,  fut  de  suite 
avisée.  Elle  vint  le  lendemain  à  10  heures,  aprÚs  avoir  humblement 
demandé  de  lui  fixer  l'heure.  A  son  arrivée  Maurice  la  prit  dans  ses 
bras.  Pour  Lina  c'était  plus  délicat.  Lina,  nature  droite,  franche  et  sin- 
cĂšre, qui  avait  tant  de  motifs  de  mĂ©priser  sa  belle-sƓur,  fut  glaciale. 
Solange  l'appela  :  madame.  Alors  Maurice  prit  sa  sƓur  et  sa  femme  par 
la  main  et  les  força  à  s'embrasser.  La  glace  était  rompue.  Néanmoins 
Solange  ne  s'enhardissait  pas  encore.  Elle  monta  voir  sa  pauvre  mĂšre 
qui  gémissait  et  souffrait.  L'entrevue  n'eut  rien  de  mémorable. 
Mme  Sand  au  surplus,  jusqu'à  ses  derniers  moments,  est  restée  ce 
qu'elle  était  toujours,  une  femme  de  génie  dont  l'intelligence  et  le 
cƓur  faisaient  leur  travail  sans  autre  manifestation  que  les  admirables 
pages  qu'elle  Ă©crivait.  Que  pensait-elle  en  voyant  sa  fille  prĂšs  d'elle? 
Elle  n'a  pas  dit  un  mot  qui  fĂźt  connaĂźtre  son  sentiment.  C'Ă©tait  Ă   ce 
moment  comme  toujours,  car  que  pensait  Mme  Sand  pour  ceux  qui 
la  voyaient?  11  y  avait  parfois  dans  son  regard,  dans  un  serrement  de 
main,  dans  son  accueil  quelque  chose  de  bienveillant  et  de  tendre, 
mais  on  ne  savait  pas  facilement  reconnaßtre  les  pensées  de  tendresse 
qu'elle  vous  accordait.  Elle  restait  le  plus  souvent  muette  et  paraissait 
distraite.  Elle  me  paraissait,  Ă   moi  du  moins,  avoir  l'impuissance  abso- 
lue de  l'expansion  verbale  (1).  Et  pourtant  j'ai  assisté  une  ou  deux 
fois  Ă   de  ces  abandons  qui  nous  Ă©lectrisent  et  Ă©ternisent  son  souvenir. 
A-t-elle  été  effrayée  de  la  vision  de  cette  fille  indigne?  C'est  comme  si 
on  demandait  si  la  mort  l'effrayait.  Ma  conviction  est  qu'elle  Ă©tait 
absorbée  par  la  sensation  physique  du  malaise  et  de  la  douleur,  et  que 
le  dénouement  ne  lui  causait  pas  de  l'effroi,  mais  simplement  une  préoc- 
cupation de  l'avenir  de  ceux  qu'elle  aimait,  ses  petites-filles,  Maurice 
et  Lina,  sa  véritable  fille,  si  digne  d'une  bonne  place  dans  ce  grand 
cƓur.  Pour  Lina  la  mort  de  Mme  Sand  est  un  malheur  immense. 

Mais  toute  cette  digression  Ă©tait  pour  arriver  Ă   dire  qu'aprĂšs  le  der- 
nier soupir  de  la  bonne  mÚre  une  question  s'est  présentée.  Comment 
devaient  s'accomplir  les  funérailles?... 

(11  Un  ami  fidĂšle  de  Mme  Sand  nous  a  dit  Ă   propos  de  cette  remarque  de 
M.  Pestel  que  Mme  Sand,  réservée  et  parfois  absolument  silencieuse  en  pré- 
sence de  plusieurs  personnes,  ne  TĂ©tait  nullement  lorsqu'elle  se  trouvait  en 
tĂȘte  Ă   tĂȘte  avec  une  personne  qui  lui  Ă©tait  sympathique,  disant,  qu'on  ne 
pouvait  jamais  parler  qu'A  un  seul  interlccuteur  de  maniĂšre  Ă   pouvoir  ĂȘtre 
compris,  mais  point  à  plusieurs  à  la  fois,  tous  trop  différents  les  uns  des 
autres.  —  W.  K. 


616  GEORGE   SAXD 

En  effet,  à  peine  George  Sand  avait-elle  fermé  les  yeux  que 
surgit  cette  question.  Du  reste  ceci  n'est  pas  exact  :  elle  Ă©tait 
encore  vivante  lorsque  Solange  souleva  la  question  :  Comment 
enterrera-t-on  sa  mÚre?  Seront-ce  des  funérailles  catholiques  ou 
un  enterrement  civil?  Voici  en  quels  termes  s'expriment  lĂ -dessus 
le  docteur  Peste! ,  M.  Paulin  de  Vasson,  Henry  Harrisse  et  Lina 
Sand  : 

«  Le  6  juin  au  soir  le  curé  de  Vicq  était  dans  la  cour  ;  M.  Plauchut 
alla  lui  dire  que  s'il  désirait  avoir  des  nouvelles  de  la  malade,  il  avait 
le  regret  de  lui  apprendre  qu'elle  n'Ă©tait  pas  mieux,  que  s'il  Ă©tait  venu 
dans  l'espoir  d'exercer  prĂšs  d'elle  son  ministĂšre,  il  pensait  que  sa 
démarche  était  inutile,  parce  que  certainement  Mme  Sand  ne  le  rece- 
vrait pas.  A  cet  instant  Mme  Solange  apprenant  la  présence  du  curé, 
descendit  pour  lui  parler.  Plauchut  lui  dit  :  «  C'est  inutile  de  le  chercher, 
«  je  viens  de  lui  donner  congé.  »  Néanmoins  Mme  Solange  se  rendit 
dans  la  cour,  demanda  si  le  curé  était  parti,  elle  le  vit  qui  se  prome- 
nait dans  la  grande  allée  du  jardin.  Elle  fut  le  trouver  et  le  remercia 
de  sa  bontĂ©  d'ĂȘtre  venu  savoir  des  nouvelles  de  sa  mĂšre.  Le  curĂ©  lui  dit  : 
«  Mais  j'étais  venu  aussi  dans  l'espoir  d'apporter  à  Mme  Sand  le  secours 
«  de  la  religion.  »  Mme  Solange  lui  répondit  que  sa  mÚre,  quoique  bien 
souffrante,  n'en  Ă©tait  pas  lĂ ,  qu'elle  craindrait  en  introduisant  prĂšs 
d'elle  un  prĂȘtre  de  lui  causer  une  Ă©motion  fĂącheuse,  que  le  lendemain 
elle  lui  ferait  porter  des  nouvelles  et  que  si  l'Ă©tat  s'aggravait  elle  le 
ferait  prévenir.  » 

Dans  ce  peu  de  lignes  Solange  est  reflétée  ressemblante  de 
tous  points,  allures,  maniÚres  et  parler  ;  c'est  un  vrai  instantané. 
Solange  n'est  préoccupée  que  d'une  chose  :  que  tout  soit  «  con- 
venable »,  que  «  les  apparences  soient  sauvées  »  ;  c'est  pour  cela 
qu'elle  parle  fort  aimablement  au  curé,  tout  en  lui  mentant  en 
disant  que  «  sa  mÚre  n'en  était  pas  là  »  ;  elle  le  détourne  de  l'in- 
tention de  revenir  le  lendemain  en  lui  donnant  le  conseil  déguisé 
de  ne  pas  se  déranger,  lui  promettant  de  lui  envoyer  des  nou- 
velles de  la  malade  et  de  «  le  prévenir  si  son  état  s'aggravait  », 
tout  cela  «  le  6  juin  oĂč  Mme  Nannecy  de  Vasson  mettait 
dans  son  journal  :  Mme  Sand  est  au  plus  mal  »,  la  veille  du  jour 
oĂč  elle  Ă©crivait  :  «  Mme  Sand  est  condamnĂ©e  »,  et  le  jour 
mĂȘme  oĂč  le  docteur  Chabenat  inscrivait  dans  ses  feuillets  :  «  Les 
symptĂŽmes  s'aggravent  encore,  la  malade   cependant   conserve 


GEORGE   SAND  617 

la  connaissance  ;  les  amis  arrivent  pour  assister  aux  derniers 
moments...  »  etc.,  etc. 

Mais  reprenons  le  récit  du  docteur  Pestel  : 

Déjà  le  7  juin,  dans  la  soirée,  Mme  Solange,  prévoyant  la  fin  prochaine 
de  la  malade,  avait  consulté  Simonnet,  puis  Cazamajou  sur  le  mode 
d'enterrement  ;  ils  répondirent  tous  deux  :  «  Mais  je  pense  que  ce  sera 
un  enterrement  civil.  »  Mme  Solange  n'était  pas  de  cet  avis.  Plauchut 
lui  dit  que  Mme  Sand  devait  ĂȘtre  enterrĂ©e  civilement,  que  ses  opinions 
l'exigeaient,  que  faire  autrement  serait  lui  aliéner  tout  le  parti  répu- 
blicain ;  que  du  reste  Mme  Sand  étant  allée  à  l'enterrement  civil  de 
Sainte-Beuve  et  y  étant  la  seule  femme  qui  y  fût,  c'était  là  de  sa  part 
une  sorte  de  déclaration.  Mme  Solange  répondit  que  Mme  Sand  n'était 
pas  la  seule  femme  qui  se  fût  rendue  à  cet  enterrement  et  que  si  elle  y 
était  allée,  c'était  à  cause  de  Sainte-Beuve  et  non  dans  l'idée  d'adhérer 
Ă   un  enterrement  civil,  ajoutant  que,  dans  bien  des  circonstances,  elle 
s'était  moquée  (??)  des  gens  qui  se  faisaient  enterrer  civilement,  et 
tout  derniùrement  encore  à  l'occasion  de  Patureau-FrancƓur... 

Mme  Solange  ne  se  gĂȘnait  pas  pour  altĂ©rer  la  vĂ©ritĂ©  et  cela 
avec  un  aplomb  digne  d'un  meilleur  usage.  Elle  prétendait 
que  sa  mÚre  s'était  «  moquée  »  d'enterrements  civils  «  en  bien  des 
circonstances  »,  tandis  que  justement  en  bien  des  circonstances 
George  Sand  avait  exprimé  ses  sympathies  pour  des  enterrements 
«  sans  prĂȘtre  »  et  le  dĂ©sir  qu'elle  et  ses  proches  fussent  inhumĂ©s 
de  cette  maniÚre-là.  Mme  Solange  cette  fois  encore  a  fardé  la 
vérité. 

Il  faut  se  rappeler  la  lettre  de  George  Sand  Ă©crite  en  1864  Ă  
l'occasion  de  la  mort  de  Fulbert  Martin,  ses  réflexions  lors  de 
l'enterrement  civil  de  Maillard,  en  janvier  1865  (1),  et  le  fait  que 
malgré  les  terreurs  de  la  famille  de  Manceau,  elle  fit  enterrer 
elle-mĂȘme  ce  vieil  ami  sans  aucune  espĂšce  de  cĂ©rĂ©monie  reli- 
gieuse. Quant  à  la  présence  de  Mme  Sand  à  l'enterrement  civil 
de  Sainte-Beuve  en  1869  (et  Ă   celui  de  Pierre  Leroux  en  1871), 
il  est  vrai  qu'elle  y  avait  été  «  non  par  désir  d'adhérer  »  à 
des  opinions  quelconques,  mais  par  simple  amitié  pour  les  défunts. 

(1)  Voir  plus  haut,  chap.  xn,  p.  485-487. 


6i3  GEORGE   SAND 

Il  nen  est  pas  moins  certain  que  la  maniÚre  dont  elle  décrivit 
cet  enterrement  de  Sainte-Beuve  et  la  silencieuse  ovation  dont 
elle-mĂȘme  y  fut  l'objet,  marquait  clairement  Ă   quoi  elle  avait 
attribué  cette  manifestation  respectueuse.  Mme  Sand  y  souligne 
trÚs  nettement  que  cette  manifestation  était  «  un  mouvement 
général  d'estime  pour  le  caractÚre  plus  que  pour  la  réputation.,.», 
c'est-à-dire  qu'il  s'adressait  à  son  courage  et  à  la  dignité  de  sa 
conduite  habituels  la  faisant  toujours  bravement  agir  d'accoTd 
avec  ses  opinions  et  sa  foi  (1). 

...Je  me  suis  levée  à  8  heures  pour  aller  enterrer  le  pauvre  Sainte- 
Beuve. 

Tout  Paris  Ă©tait  lĂ ,  les  lettres,  les  arts,  les  sciences,  la  jeunesse  et  le 
peuple  ;  pas  de  sĂ©nateurs  ni  de  prĂȘtres.  J'y  ai  vu  Girardin  qui  a  dit  Ă  
Solange  que  son  roman  était  trÚs  bien,  et  qui  l'a  beaucoup  encouragée 
à  continuer  ;  Flaubert  qui  était  trÚs  affecté  ;  Alexandre  ;  son  pÚre 
qui  ne  marche  plus  ;  Berton,  Adam,  Borie,  Nefftzer,  Taine,  Trélat,  le 
vieux  Graymala,  Prévost-Paradol,  Batisbonne,  Arnaud  (de  l'AriÚge), 
catholique.  Des  athées,  des  croyants,  des  gens  de  tout  ùge,  de  toute 
opinion,  et  la  foule. 

La  chose  finie,  j'ai  quitté  tout  ce  monde  officiel  pour  aller  trouver 
ma  voiture  ;  alors  en  rentrant  dans  la  vraie  foule  j'ai  été  l'objet  d'une 
manifestation,  dont  je  peux  dire  que  j'ai  été  reconnaissante,  parce 
qu'elle  Ă©tait  tout  Ă   fait  respectueuse  et  pas  enthousiaste  :  on  m'a 
escortée  en  se  reculant  pour  me  faire  place  et  en  levant  tous  les  chapeaux 
en  silence.  La  voiture  a  eu  peine  à  se  dégager  de  cette  foule  qui  se  reti- 
rait lentement,  saluant  toujours  et  ne  me  regardant  pas  sous  le  nez,  et 
ne  disant  rien.  Adam  et  Plauchut  qui  m'accompagnaient  pleuraient 
presque  et  Alexandre  était  tout  étonné. 

J'ai  trouvé  cela  mieux  que  des  cris  et  des  applaudissements  de 
théùtre,  et  j'ai  été  seule  l'objet  de  cette  préférence.  Il  n'y  avait  pour 
les  autres  que  des  témoignages  de  curiosité.  Plauchut  m'a  fait  promettre 
de  te  raconter  cela  bien  exactement,  disant  que  tu  en  seras  content, 
parce  que  c'était  comme  un  mouvement  général  d'estime  pour  le  carac- 
tÚre plus  que  pour  la  réputation  (2)... 

(1)  Dans  le  \oL  Y  de  la  Correspondance,  p.  323,  la  lettre  de  George  Sand. 
décrivant  cet  enterrement  civil  de  Sainte-Beuve  est  faussement  datée  du 
«  17  octobre  »,  elle  est  du  5  octobre  1869.  '  3 

(2)  Feu  notre  ami  H.  Plauchut,  en  nous  racontant  cette  manifestation,  r* 
pouvait  retenir  ses  larmes,  Ă   tel  point  les  impressions  ressenties  '  ce  jour-lĂ  
l'émouvaient  encore.  Il  répétait  :  «  Jamais  je  n'ai  rien  vu  de  pareil;  de  ma 
vie  je  n'ai  rien  vu  de  pareil.  » 


GEORGE   SAND  619 

Quant  Ă   Patureau-FrancƓur,  la  NĂ©crologie  (1)  que  Mme  Sand 
lui  consacra  aprÚs  sa  mort  témoigne  de  l'estime  de  Mme  Sand, 
de  sa  chaude  sympathie,  de  son  enthousiasme  pour  l'héroïsme 
de  ce  simple  vigneron  au  cƓur  ardent,  rĂ©publicain  inĂ©branlable 
qui  supporta  des  persécutions  injustes  et  sut,  exilé  en  Afrique, 
ne  point  se  laisser  abattre  par  l'infortune,  mais  y  servir  encore 
sa  patrie  par  son  labeur  d'agriculteur  honnĂȘte  et  sans  trĂȘve.  Mais 
ni  dans  cette  NĂ©crologie,  ni  dans  toutes  les  lettres  oĂč  Mme  Sand 
parle  de  FrancƓur,  nous  n'avons  lu  un  seul  mot  ironique  ou 
moqueur.  Notons  aussi  que  FrancƓur  Ă©tait  mort  dĂšs  1868,  juste 
une  année  avant  Sainte-Beuve,  ce  qui  n'était  plus  si  «  récemment  » 
en  1876.  Mais  quand  Mme  Solange  voulait  arriver  Ă   ses  fins  les 
inexactitudes  et  les  inventions  ne  l'arrĂȘtaient  pas. 

Revenons  au  récit  de  M.  Pestel  et  à  ceux  des  autres  témoins 
oculaires  des  événements  : 

AprĂšs  la  mort  (de  Mme  Sand)  Mme  Solange  agita  cette  question  de 
l'enterrement.  Mme  Lina  lui  répondit  :  «  Mme  Sand  n'a  jamais  exprimé 
devant  moi  d'intention  Ă   ce  sujet.  J'ai  fait  enterrer  civilement  mon 
pĂšre,  parce  que  cela  me  regardait  ;  Mme  Sand  est  votre  mĂšre,  arrangez- 
vous  avec  Maurice,  c'est  votre  affaire,  je  ne  veux  pas  m'en  mĂȘler.  » 
M.  Maurice  inclinait  pour  un  enterrement  civil;  sa  sƓur  lui  demanda 
s'il  avait  des  instructions  de  sa  mÚre,  il  répondit  que  non.  Mme  Solange 
avait  trouvé  quelques  jours  auparavant  dans  un  petit  sachet  de  satin 
bleu  un  écrit  de  sa  mÚre,  daté  de  1857  ou  1858  qui  commençait  ainsi  : 
«  Ceci  est  l'expression  de  mes  derniÚres  volontés.  La  mort  n'étant  pas 
un  malheur,  mais  une  délivrance,  je  ne  veux  sur  ma  tombe  aucun 
emblÚme  de  deuil,  je  désire  au  contraire  qu'il  n'y  ait  que  des  fleurs,  des 
arbres  et  de  la  verdure  »,  puis  elle  indiquait  des  détails  relatifs  à  son 
enterrement,  mais  il  n'Ă©tait  nullement  question  d'enterrement  civil. 
A  cette  Ă©poque  elle  voulait  ĂȘtre  enterrĂ©e  dans  le  cimetiĂšre  de  Caulmont 
prĂšs  Gargilesse.  Plus  tard,  paraĂźt-il,  elle  avait  voulu  l'ĂȘtre  Ă   Palaiseau. 

Mme  Solange  insista  pour  que  sa  mÚre  fût  enterrée  religieusement, 
disant  que  si  elle  avait  voulu  un  enterrement  civil,  elle  n'aurait  pas 
manquĂ©  de  le  dire.  Simonnet,  Cazamajou  pensaient  de  mĂȘme.  M.  Favre, 
qu'elle  supposait  libre-penseur,  accepta  avec  enthousiasme  un  enter- 
rement religieux.  Alors  Mme  Solange  s'adressa  Ă   M.  Maurice  pour  le 
décider.  Ce  dernier  ne  fit  pas  d'objection  et  y  consentit  volontiers. 

(1)  Cette  NĂ©crologie  parut  en  1868  dans  V Avenir  national;  elle  fait  partie 
des  Amis  disparus,  imprimés  dans  le  volume  des  Nouvelles  lettres  d'un  voyageur. 


620  GEORGE   SAXD 

Papet  avait  été  aussi  consulté.  H  avait  dit  à  Mme  Solange  :  «  Je  vous 
déclare  que  s'il  y  a  un  enterrement  civil,  ni  moi,  ni  ma  famille  n'y  vien- 
drons... » 

Si  toute  cette  histoire  du  «  sachet  bleu  »  n'est  point  une  inven- 
tion ad  hoc  de  cette  dame  qui  sut  combiner  avec  une  adresse 
infinie  les  derniÚres  paroles  de  sa  mÚre  sur  la  «  verdure  »  et  des 
jugements  entendus  jadis  sur  son  dĂ©sir  d'ĂȘtre  enterrĂ©e  Ă   quelque 
cimetiĂšre  rural  —  avec  sa  propre  assertion  qu'il  n'y  avait  Ă©tĂ©, 
dans  ce  sachet,  «  nullement  question  d'enterrement  civil  »  —  si 
tout  cela,  disons-nous,  n'est  point  une  invention,  si  ce  papier 
dans  un  sachet  a  réellement  existé,  il  doit  avoir  été  écrit  non  pas 
vers  1858,  mais  en  1863  peut-ĂȘtre,  mĂȘme  en  1865,  et  nous  croyons 
que  les  «  quelques  détails  sur  son  enterrement  »  que  Solange 
semble  avoir  oubliés  étaient  justement  des  indications  sur  un 
enterrement  Ă   Palaiseau,  oĂč  Manceau  avait  Ă©tĂ©  enseveli  «  sous 
des  fleurs  et  sans  cérémonie  religieuse  ».  (Voir  plus  haut,  cha- 
pitre XII.) 

On  lit  dans  la  brochure  de  M.  Harrisse  qui  cite  Ă   la  suite  de 
son  explication  des  mots  :  «  Laissez  verdure  »,  tout  le  passage 
précédent  des  souvenirs  du  docteur  Pestel  (sans  le  nommer  )  : 
«  Cet  écrit  (le  papier  du  sachet)  aurait  été  déchiré  peu  aprÚs.  Je 
n'ai  pu  contrÎler  ces  détails.  »  M.  Harrisse  a  eu  bien  raison  d'ajouter 
cette  clause  sceptique,  de  dire  «  aurait  été  »  et  de  citer  tout  ce 
racontar  au  conditionnel!  Il  nous  semble  que  le  petit  papier 
dĂ©chirĂ©  n'aurait  pu  ĂȘtre  «  retrouvĂ©  »  que  «  dans  l'imagination  de 
Mme  Solange  »,  ou,  s'il  eût  été  retrouvé...  on  y  aurait  lu  tout 
autre  chose! 

M.  Paulin  de  Vasson  raconte  comme  suit  les  débats  qui  eurent 
lieu  à  Xohant  aprÚs  le  dernier  soupir  de  la  «  bonne  mÚre  ». 

...La  question  fut  débattue,  hors  ma  présence,  j'ai  su  presque  aussitÎt 
ce  qui  s'était  passé.  La  famille,  c'est-à-dire  Solange  et  René  Simonnet 
voulaient  un  enterrement  catholique.  Maurice  fut  facilement  per- 
suadé, mais  non  sans  une  grande  agitation  de  sa  conscience.  Maurice, 
homme  intelligent,  bien  doué,  érudit,  artiste,  est  un  pitoyable  psycho- 
logue. H  vénérait  sa  mÚre.  H  ne  s'est  jamais  assimilé  ses  hautes  idées 
philosophiques.  En  politique  il  pensait  comme  un  fermier  rural.  Et  il 


GEORGE   SAND  621 

a  eu  une  certaine  influence  sur  l'esprit  mĂȘme  de  sa  mĂšre,  faible  malgrĂ© 
son  génie,  et  s'illusionnant  quelquefois  sur  les  gens,  témoin  la  confiance 
qu'elle  avait  dans  un  Simonnet. 

On  disait  à  Maurice  :  «  L'enterrement  civil  est  le  signe  de  ralliement 
des  communards.  »  On  lui  disait  aussi  :  «  Les  gens  du  pays  n'aiment 
pas  qu'on  enterre  un  chrétien  comme  un  chien,  ce  serait  un  déshonneur 
pour  le  maire  de  Nohant.  »  Solange  et  Simonnet  insistaient.  Bref, 
Solange  sollicita  l'enterrement  religieux  par  télégramme  à  l'arche- 
vĂȘque. Mais  le  problĂšme  a  trĂšs  rudement  secouĂ©  le  pauvre  Maurice 
qui  revenait  toujours  sur  la  question  et  me  demandait  ce  que  je  ferais 
à  sa  place.  Je  lui  répondais  invariablement  :  «  Il  faut  consulter 
Mme  Sand.  Elle  est  morte,  mais  les  immorteb  laissent  leurs  Ɠuvres 
et  la  réponse  aux  questions  qu'on  peut  leur  poser.  »  C'est  ce  que  Mau- 
rice n'a  pas  su  faire.  H  disait  toujours  :  «  Cela  me  serait  égal,  mais  la 
famille???  » 

Quelle  famille?  Solange,  les  Simonnet?... 

Enfin  elle  a  été  enterrée  religieusement.  Je  l'ai  écrit  au  pasteur 
Leblois. 

Nuit  du  8  au  9.  —  Nous  avons  Ă©tĂ©  assistĂ©s  jusqu'Ă   minuit  par  MM.  Au- 
cante,  Amie  et  Plauchut.  Pendant  que  je  causais  avec  Aucante  qui  me 
parlait  de  mon  pÚre,  de  ses  écrits  ignorés,  de  son  ami  de  Laprade,  de 
la  petite  RĂ©publique  de  La  ChĂątre,  j'entendais  Maurice  discuter  avec 
Amic(l).  H  s'agissait  toujours  de  l'enterrement  civil,  a  Je  me  suis  fait 
protestant,  disait-il,  pour  sortir  du  catholicisme.  Ma  mÚre  a  refusé  de 
me  suivre.  Donc  elle  est  restée  catholique.  Car,  disait-il,  on  appartient 
forcément  à  tel  ou  tel  culte.  Autrement  on  est  dans  V illégalité...  »  Que 
venait  faire  la  question  de  légalité?  Voilà  à  quoi  peut  arriver  un  esprit 
intelligent,  mais  étranger  aux  pensées  philosophiques  et  qui  confond 
tout,  la  loi  civile,  la  liberté  religieuse,  la  liberté  de  conscience  et  le  gen- 
darme. Quand  ces  messieurs  se  sont  retirés,  j'ai  eu  à  subir  tout  seul 
l'assaut  de  ce  pauvre  Maurice  tournant  toujours  dans  le  mĂȘme  cercle. 
Cette  épreuve  a  été  pour  moi  la  plus  pénible  de  toutes.  Pour  le  calmer 
je  lui  proposai  de  demander  Ă   Moulin  s'il  y  avait  dans  le  testament  de 
Mme  Sand  des  dispositions  relatives  aux  funérailles  (2).  Alors  il  s'est 

(1)  Voici  ce  dialogue  tel  que  M.  Amie  en  a  gardé  le  souvenir  exact  : 

—  Je  ne  veux  pas,  me  dit  M.  Maurice,  que  ma  mĂšre  soit  enterrĂ©e  comme 
un  chien. 

—  Mais  vous  n'avez  pas  Ă   vouloir,  rĂ©pliquai-je,  mais  Ă   observer  la  volontĂ© 
de  Mme  Sand  exprimĂ©e  ici  mĂȘme  devant  tous  lors  de  l'enterrement  de 
M.  Duvernet. 

—  C'est  bien,  me  dit-il,  on  consultera  le  testament,  et  si  ma  mĂšre  a  exprimĂ© 
sa  volonté,  je  m'y  conformerai. 

(2)  La  lettre  de  M.  Moulin  à  M.  de  Vasson  est  justement  une  réponse  à 
cette  question.  C'est-Ă -dire  M.  Moulin  annonce  que,  n'ayant  aucune  espĂšce 


633  GEORGE   SAXD 

calmé  et  a  consenti  à  aller  se  coucher,  et  j'ai  pu  retourner  à  La  Chùtre. 

Le  9  (juin.)  Moulin  est  venu  dans  la  journée  à  Xohant  consulter 
Maurice  et  Solange  pour  savoir  s'il  devait  faire  ouvrir  le  testament  de 
suite.  En  mĂȘme  temps  il  leur  demandait  s'ils  consentaient  Ă   ce  que 
M>  Périgois  fit  un  discours  d'adieu  au  nom  du  Berry.  Les  deux  démarches 
étaient  délicates,  la  seconde  surtout,  à  cause  des  dispositions  hostiles 
Ă   M.  PĂ©rigois  que  l'on  croyait  capable  de  faire  un  discours  de  sectaire, 
ce  qui  était  bien  peu  le  connaßtre,  comme  les  faits  l'ont  démontré. 

Le  9,  pendant  la  conférence  de  Moulin,  nous  circulions  dans  la 
maison,  Nannecy  et  moi.  J'ai  vu  la  pauvre  morte  et  cette  pauvre  Lina 
qui  pleurait  si  amĂšrement  avec  Xannecy. 

Plauchut  se  renfermait  dans  le  pavillon,  loin  de  ces  débats  sur  l'en- 
terrement de  sa  grande  amie.  Je  me  suis  promené  avee  Albert  Si- 
monnet,  le  plus  sympathique  des  trois,  qui  m'a  dit  beaucoup  de  choses 
sensées,  en  manifestant  ses  alarmes  à  l'encontre  de  Solange  qu'il 
connaĂźt  bien.  Quant  Ă   elle,  on  la  voyait  gesticuler,  commander.  La  bĂȘte 
s'était  déchaßnée.  Lina  au  contraire  abdiquait.  Il  est  impossible  d'avoir 
été  plus  digne... 

«  J'étais  à  mille  lieues  de  penser  que  Mme  Sand  passerait  par  l'église  «, 
écrit  Lina  Sand  dans  sa  Note  manuscrite,  je  fus  donc  stupéfaite  quand, 
dans  la  matinée  qui  suivit  la  mort,  je  fus  appelée  par  Solange,  Simonnet 
et  Cazamajou,  qui  me  prouvĂšrent  qu'il  valait  mieux  enterrer  religieu- 
sement Mme  Sand.  Je  regimbai  violemment,  mais,  tout  entiĂšre  Ă   mon 
chagrin,  je  leur  répondis  de  s'adresser  à  Maurice,  que  cela  le  regardait, 
que  de  son  vivant  j'avais  le  droit  de  la  protéger,  qu'aprÚs  sa  mort  cela 
regardait  les  enfants.  Je  comptais  sur  Maurice,  loin  de  croire  qu'il  accé- 
derait aux  raisonnements  de  Solange  et  de  Simonnet  Ce  dernier,  pour 
me  faire  céder,  m'assura  que  mes  filles  ne  se  marieraient  pas,  si  je  faisais 
obstacle  à  l'acte  religieux.  Je  suis  persuadée  que  George  Sand  qui  avait 
un  Ă©crit  lorsqu'elle  Ă©tait  chez  des  amis,  n'a  pas  voulu  en  avoir  Ă   Nohant, 
de  peur  d'un,  conflit  entre  Solange  et  son  frĂšre  (1). 

Lina. 

P.-S.  —  Le  docteur  Favre  a  du  dire  à  Maurice  ce  qu'il  m'a  dit  à  moi- 
mĂȘme  Ă   propos  du  reporter  du  Figaro  :  «  Laissez-moi  faire,  recevez 
bien  les  catholiques,,  c'est  ce  parti-là  qui  a  le  plus  injurié  votre  mÚre, 

d'ordres  ou  de  recommandations  de  Mme  Sand  Ă   ce  sujet,  il  est  prĂȘt,  si  tel 
est  le  désir  de  Maurice  et  de  Solange,  à  immédiatement  remettre  le  testament 
au  président,  afin  de  le  faire  ouvrir. 

(1)  Mc  Adrien  Gnédon,  avoué  que  Mme  Sand  avait  consulté  ponr  la  rédac- 
tion de  son  testament,  lui  avait  conseillé  d'éviter  tout  conflit  avec  sa  fille, 
que  Mme  Sand  devait  réduire  à  la  quotité  disponible  afin  d'avantager  son 
fils  et  ses  petites- filles.  —  W.  K. 


GEORGE   SAND  623 

désarmez-le,  afin  qu'on  parle  bien  d'elle  aprÚs  sa  mort  C'est  de  la 
diplomatie  qu'il  faut  faire,  sinon  gare  (1)...  » 

Donc,  lorsque  le  8  juin  1876  la  question  de  l'enterrement  de 
Mme  Sand  fut  soulevée,  les  uns  gardÚrent  le  silence,  les  autres 
ne  furent  pas  entendus.  Maurice  oublia  toutes  les  lettres  de  sa 
mÚre  mentionnées  plus  haut  et,  quand  il  apprit  qu'elle  n'avait 
rien  déclaré  formellement  à  ce  sujet  dans  son  testament,  il  se  mit 
Ă   demander  Ă   tout  le  monde  ce  qu'il  fallait  faire. 

Maurice  se  rendait  si  peu  compte  que  c'Ă©tait  Ă   lui  seul  qu'in- 
combait le  devoir  d'agir  suivant  la  volonté  et  les  idées  de  sa 
mÚre  qu'il  demanda  à  Papet  aprÚs  l'enterrement  :  «  Es-tu  content? 
Les  choses  se  sont-elles  passées  selon  ton  désir?  A  quoi  il  lui  fut 
répondu  :  Oui,  trÚs  content,  je  trouve  que  tout  s'est  passé  pour  le 
mieux.  » 

Solange  qui  se  souciait  des  croyances  de  sa  mĂšre  comme  des 
neiges  d'antan,  mais  qui  respectait  beaucoup  tous  les  qu'en  dira- 
Uon,  profita  immédiatement  de  ces  circonstances  pour  échanger 
des  dĂ©pĂȘches  avec  l'archevĂȘque  de  Bourges,  M.  de  la  Tour  d'Au- 
vsrgne,  et  obtint  l'autorisation  d'enterrer  Mme  Sand  selon  le 
rite  catholique. 

Empruntons  maintenant  Ă   M  Harrisse  le  compte-rendu  des 
jours  qui  suivirent  le  décÚs  de  Mme  Sand,  et  les  détails  à  propos 
des  funérailles  : 

Dimanche,  11  juin  1870. 

Nous  Ă©tions  tous  trĂšs  inquiets,  nous  communiquant  les  nou- 
velles que  le  docteur  Favre  envoyait  Ă   Dumas  et  celles  qu'Au- 
di Le  docteur  Favre  parait  avoir  été  trÚs  porté  à  toutes  sortes  d'  «  appa- 
rences »,  de  «  poses  »  et  de  phrases.  C'est  ainsi  qu'au  dire  de  M.  Pestel,  lorsque 
la  question  de  l'enterrement  fut  décidée,  le  docteur  Favre  alla  à  Ars  voir 
Papet  et,  en  parlant  des  derniers  instants  de  Mme  Sand,  il  dit  que  «  la  voyant 
prĂšs  d'expirer,  il  se  jeta  Ă   genoux  et  adressa  Ă   Dieu  une  invocation,  pour 
qu'il  reçût  dans  sa  miséricorde  l'ùme  du  grand  écrivain  ».  Dans  sa  brochure, 
mais  point  dans  son  manuscrit,  M.  Harrisse  raconte,  sans  indiquer  La  source 
de  te  racontar,  que  «  dÚs  que  la  malade  eut  rendu  le  dernier  soupir,  le  doc- 
teur Favre  se  redressa  et,  levant  la  main  au-dessus  du.  corps  de  George  Sand, 
il  dit  avec  force  :  Tant  que  je  vivrai,  votre  mémoire  ne  sera  jamais  souillée.  » 
Quelle  misĂšre  que  cet  amour  indestructible  de  phrases  et  de  poses,  dont  on  ne 
peut  se  dĂ©partir  mĂȘme  vis-Ă -vis  de  cette  chose  grande  et  simple  qu'est  la  mort  ! 


624  GEORGE   SAXD 

cante  adressait  Ă   Calmann  LĂ©vy,  nos  seules  sources  d'information. 
Le  jeudi  8  juin  1876,  en  revenant  d'accompagner  Flaubert,  chez 
qui  nous  avions  trouvé  une  lettre  de  la  pauvre  Martine  (1)  et 
une  copie  au  crayon  d'une  dĂ©pĂȘche  de  M.  Plauchut,  laissĂ©e  par 
Lambert,  annonçant  que  Mme  Sand  était  au  plus  mal,  je  reçus 
vers  les  6  heures  un  télégramme  ainsi  conçu  : 

La  ChĂątre,  4  h.  46  du  soir. 

Ma  mĂšre  est  morte. 

Maurice  Sand. 

J'allai  immédiatement  communiquer  cette  triste  nouvelle  à 
Dumas  ;  il  l'avait  également  reçue.  Nous  convßnmes  de  nous  pré- 
venir mutuellement  de  l'heure  et  du  lieu  des  obsĂšques  afin  d'y 
aller  ensemble. 

Le  lendemain  matin,  9  juin,  plusieurs  journaux,  les  DĂ©bats  entre 
autres,  annonçaient  que  Mme  Sand  serait  inhumée  à  Paris.  Cette  nou- 
velle me  parut  invraisemblable.  Effectivement,  Ă   8  heures,  un  mot  de 
Mme  Dumas  me  faisait  prévenir  que  c'était  à  Nohant  qu'auraient  lieu 
les  funérailles  et  que  son  mari  m'attendrait  à  la  gare  du  chemin  de  fer 
d'OrlĂ©ans,  le  jour  mĂȘme,  Ă   10  heures  du  matin.  Je  fis  prĂ©parer  ma 
valise  à  la  hùte  ;  le  temps  était  abominable,  une  pluie  fine,  serrée, 
froide,  des  rafales  d'un  vent  Ăąpre,  on  se  serait  cru  en  octobre.  A  la  gare 
je  trouvai  sept  personnes  parmi  lesquelles  Lambert,  Cadol,  M.  Borie  et 
Calmann  LĂ©vy.  Dumas  arriva  quelques  instants  aprĂšs.  Dumas,  Cadol, 
Paul  Meurice,  LĂ©vy  et  moi  nous  occupions  le  mĂȘme  compartiment. 

Nous  arrivĂąmes  Ă   ChĂąteauroux  Ă   3  heures  un  quart  ;  la  pluie  ne 
cessait  de  tomber,  le  sol  était  complÚtement  détrempé.  Il'  n'y  avait  à 
la  gare  que  la  diligence  et  les  deux  petites  pataches  qui  desservent 
habituellement  la  route  de  La  ChĂątre.  GrĂące  Ă   un  ami  de  collĂšge  de 
Dumas,  capitaine  de  hussards,  je  trouvai  chez  un  carrossier  une  espĂšce 
de  berline  que  je  louai  pour  deux  jours,  et  Ă   4  heures  nous  nous  mĂźmes 
en  route  pour  Nohant,  avec  l'intention  de  coucher  Ă   La  ChĂątre  dans  une 
auberge  de  rouliers,  faute  de  mieux. 

A  7  heures  du  soir  nous  Ă©tions  Ă   Nohant,  on  finissait  le  dĂźner.  Nous 
attendĂźmes  dans  le  jardin.  Favre  vint  Ă   nous  et,  prenant  Dumas  Ă  
l'écart,  il  lui  raconta  dans  les  plus  grands  détails  ia  maladie  et  la  mort 
de  notre  illustre  amie. 

(1)  Femme  gardant  le  logement  de  Mme  Sand  Ă   Paris,  elle  Ă©tait  ouvreuse 
à  l' Opéra-Comique. 


GEORGE   SAN'D  625 

Maurice  ne  tarda  pas  ;  il  se  jeta  dans  mes  bras.  Je  le  trouvai  changé, 
grossi,  vieilli,  les  cheveux  presque  blancs,  s'exprimant  avec  difficulté. 
«  C'est  plus  que  la  moitiĂ©  de  moi-mĂȘme  que  je  perds  »,  me  dit-il. 

Mme  Maurice  nous  avait  fait  servir  Ă   dĂźner.  Pendant  que  nous  Ă©tions 
à  table,  Maurice,  en  voyant  Dumas,  Vembrassa.  Dumas  reçut  cette 
caresse  avec  froideur,  ne  croyant,  mais  Ă   tort,  ni  Ă   son  affection  ni  Ă   son 
chagrin,  pour  des  raisons  qui  datent  de  plusieurs  années  (1).  A  ce  moment 
on  apporta  une  dĂ©pĂȘche  de  Paris.  C'Ă©tait  la  SociĂ©tĂ©  des  gens  de  Lettres 
qui  priait  Dumas  de  profiter  de  l'occasion  pour  faire  un  discours  au 
nom  de  la  Société.  Il  déclara  n'en  vouloir  rien  faire,  n'étant  pas  membre 
de  cette  association  et  pensant  avec  raison  qu'elle  aurait  pu  envoyer 
une  délégation  spéciale  ou  tout  au  moins  un  représentant. 

Étaient  installĂ©s  au  chĂąteau,  en  plus  de  la  famille  habituelle,  Solange, 
que  Maurice  avait  prévenue  par  une  lettre  envoyée  à  Paris,  mais  sans 
l'inviter  à  venir,  qui  était  venue  néanmoins  (2)  et  n'avait  cessé  de  veiller 
au  chevet  de  sa  mĂšre  avec  sollicitude  ;  le  docteur  Favre,  Oscar  Caza- 
majou,  René  Simonnet,  Edme  et  Albert  Simonnet,  Mme  Simonnet 
leur  mĂšre,  Aucante,  MM.  Amie  et  Plauchut. 

Boutet,  le  factotum  de  Mme  Sand  à  Paris  (3),  et  qui  était  casé  dans 
les  environs,  voulut  m'emmener,  mais  Mme  Maurice  avait  eu  la  bonté 
de  demander  au  docteur  Pestel  de  vouloir  bien  m'accueilhr  dans  sa 
belle  habitation  de  Saint-Chartier.  A  10  heures,  par  une  nuit  noire  et 
une  pluie  battante,  je  m'y  rendis  en  compagnie  de  Paul  Meurice  et 
de  LĂ©vy  qui  devaient  y  demeurer  Ă©galement. 

Nous  fûmes  admirablement  accueillis  par  le  docteur  et  sa  femme. 
Nous  restĂąmes  Ă   causer  jusqu'Ă   11  heures  et  demie,  et  comme  notre 
hÎte  avait  constamment  soigné  Mme  Sand  pendant  sa  maladie,  je  lui 
fis  raconter,  en  présence  de  mes  compagnons,  les  derniers  moments  de 
cette  femme  aussi  bonne  qu'illustre  (4)... 

(1)  Nous  faisons  remarquer  une  fois  de  plus  que  le  texte  imprimé  diffÚre 
en  beaucoup  d'endroits  du  manuscrit  autographe  de  M.  Harrisse  ;  ces  lignes 
y  manquent  et  le  commencement  de  la  phrase  est  changé. 

(2)  Dans  le  texte  imprimé  on  lit  :  «  Etaient  installés  au  chùteau  outre  les 
hÎtes  habituels,  Mme  Clésinger  (Solange  Sand)  qui,  prévenue  de  Vétat  désespéré 
de  sa  mĂšre  par  une  dĂ©pĂȘche  de  son  notaire,  Ă©tait  venue  de  Paris  en  toute  hĂąte; 
des  parents  :  Oscar  Cazamajou,  le  docteur  Faire,  etc.,  etc.  » 

On  voit  par  ce  qui  précÚde  que  tout  ceci  n'est  pas  tout  à  fait  exact. 

(3)  C'était  un  ami  de  Mme  Sand.  surtout  depuis  son  séjour  de  Palaiseau, 
et  nullement  son  factotum.  —  W.  K. 

(4)  Ce  passage  est  changé  dans  la  plaquette  imprimée  ;  les  trois  passages 
qui  y  suivent  manquent  dans  l'autographe.  Ils  sont  inexacts  comme  chrono- 
logie et  comme  faits,  se  rapportant  Ă   la  maniĂšre  dont  ce  manuscrit  fut  muni 
de"  notes  par  le  docteur  Pestel,  renvoyé  à  M.  Harrisse,  puis  corrigé  et  com- 
plété par  ce  dernier.  Nous  avons  dit  plus  haut  comment  tout  cela  s'était 
passé. 

iv.  40 


6-6  GEORGE   SAND 

Le  samedi  10  juin  je  descendis  de  bonne  heure  au  salon  de  M.  Pestel 
et  j'eus  avec  lui  une  nouvelle  conversation.  Je  l'engageai  vivement  Ă  
mettre  par  écrit  tout  ce  qui  s'était  passé  sous  ses  yeux  pendant  la 
maladie  de  Mme  Sand.  Il  me  le  promit.  A  10  heures  mes  compagnons 
et  moi  nous  reprĂźmes,  par  une  pluie  battante,  la  route  de  Nohant  oĂč 
nous  déjeunùmes  en  compagnie  du  prince  Napoléon,  de  Renan  et  de 
Flaubert,  arrivĂ©s  le  matin  mĂȘme... 

Lorsque  nous  arrivùmes  au  chùteau,  les  restes  de  l'illustre  défunte 
étaient  exposés  sur  son  lit  dans  sa  chambre  à  coucher,  au  premier 
Ă©tage,  le  visage  tout  eouvert  de  rieurs.  Dumas,  qui  la  vit.  me  dit  que 
la  main  droite,  mignonne  et  polie  comme  de  l'ivoire,  seule  n'Ă©tait  pas 
recouverte... 

Les  trois  passages  suivants  Ă©tant  inexacts  dans  le  texte 
manuscrit  aussi  bien  que  dans  le  texte  imprimé  de  M.  Barrisse, 
nous  leur  substituons  (comme  suite  au  passage  qu'on  vient 
de  lire)  la  note  que  M.  Pestel  a  jointe  à  cet  endroit  du  récit  de 
11  Harrisse  : 

Ce  fut  Mme  Solange  qui,  seulement  aidée  des  femmes  de  la  maison, 
donna  aux  restes  de  sa  mĂšre  les  derniers  soins.  Elle  passa  dans  la 
chambre  mortuaire  toute  ou  presque  toute  la  nuit  du  8  au  9  juin.  Avec 
elle  s'y  rendirent  successivement  les  deux  jeunes  Simoimet,  MM.  Amie, 
PlanchĂąt,  Favre  et  Aucante.  La  nuit  suivante  les  servantes  seules  veil- 
lĂšrent, elles  se  tinrent  dans  le  cabinet  de  travail  adjoint  Ă   cause  de  la 
mauvaise  odeur.  La  mentonniÚre  ne  fut  placée  que  dans  le  but  de 
maintenir  la  bouche  fermée.  Les  enfants  qui  virent  leur  grand' mÚre 
morte  rirent  cette  remarque  que  sa  figure  était  bien  moins  changée 
qu'elle  ne  l'Ă©tait  la  veille... 

Reprenons  le  récit  de  M.  Harrisse  : 

...Les  amis,  les  eurieux,  les  invités,  des  reporters  envoyés  par  le 
Figaro  et  le  Bien  public  se  promenaient  dans  le  jardin,  ils  discutaient 
la  nouvelle  qui  venait  de  nous  ĂȘtre  communiquĂ©e  que  Mme  Sand  serait 
enterrée  selon  les  rites  de  la  religion  catholique.  Tout  le  monde  était 
étonné  et  se  demandait  à  qui  il  fallait  attribuer  l'initiative  de  cette 
cérémonie  assez  inattendue.  J'allai  aux  renseignements. 

On  pensait  généralement  que  le  testament  de  Mme  Sand  contenait 
une  clause  formelle  ordonnant  qu'elle  fût  enterrée  civilement.  Dumas 
et  Aucante  à  qui  Mme  Sand  avait,  de  son  vivant,  confié  la  mission 
de  garder  tous  ses  papiers,  ayant  eu  à  interroger  M.  Ludre,  son  avoué 
Ă   La  ChĂątre  ou  M.  Moulin,  son  notaire,  de  ses  derniĂšres  dispositions 
touchant  ses  lettres  et  ses  manuscrits,  apprirent  que,  par  un  codicille, 


GEORGE   SAXD  627 

la  garde  leur  en  Ă©tait  maintenue,  et  en  mĂȘme  temps  que  le  testament 
ne  contenait  aucune  clause  déterminant  la  maniÚre  dont  elle  voulait 
ĂȘtre  inhumĂ©e. 

Lorsque  la  question  de  l'enterrement  fut  agitée,  Mme  Clésinger,  la 
famille  Simonnet,  M.  Cazamajou,  le  docteur  Favre  se  prononcĂšrent 
Ă©nergiquement  pour  un  enterrement  religieux  (1). 

Papet  et  Solange  furent  d'avis  qu'il  ne  fallait  pas,  par  un  enterre- 
ment civil,  choquer  les  sentiment?  religieux  de  la  population  au  milieu 
de  laquelle  Mme  Sand  avait  toujours  vécu  et  allait  avoir  sa  derniÚre 
demeure.  Lina  et,  paraĂźt-il,  Maurice,  qui  est  protestant,  y  Ă©taient 
opposés,  mais  ils  se  soumirent  (2).  L'abbé  Villemont,  curé  de  Vie, 
connaissait  Mme  Sand  personnellement,  il  avait  mĂȘme  dĂ©jeunĂ©  et 
passé  toute  une  aprÚs-midi  au  chùteau  derniÚrement  et  pendant  sa 
maladie  il  était  venu  chaque  jour  (3)  demander  de  ses  nouvelles,  espé- 
rant sans  doute  qu'au  moment  suprĂȘme  elle  le  ferait  demander.  I! 
n'en  fut  rien  ;  Mme  Sand  n'a  dit  jamais  un  mot  Ă   ce  sujet,  et  Plauchut 
et  Aucante  de  leur  chef  mĂȘme  l'Ă©loignĂšrent,  pensant  que  sa  prĂ©sence, 
si  elle  Ă©tait  connue  de  notre  pĂąmas  malade,  ne  pourrait  que  l'attrister, 
sans  la  décider  jamais  à  recourir  h  ses  bons  offices  (4).  Aussi  lorsque 
Solange,  aprÚs  qu'elle  lui  eut  fermé  les  yeux,  demanda  à  l'abbé  de 
Villemont  l'entrée  de  l'église  pour  le  corps  de  sa  mÚre,  celui-ci  crut  ne 
pas  devoir  raccorder  avant  d'avoir  obtenu  la  permission  de  l'arche- 
vĂȘque de  Bourges.  De  lĂ   un  Ă©change  de  dĂ©pĂȘches  tĂ©lĂ©graphiques  entre 
Solange  et  M.  de  la  Tour  d'Auvergne  qui  n'hésita  pas  à  accorder  l'au- 
torisation demandée.  Il  y  a  eu  quelque  retard  dans  les  obsÚques  à  c«use 
de  la  biĂšre  qu'on  avait  fait  venir  de  Paris  et  qui  Ă©tait  trop  petite... 

Il  n'y  eut  pas  de  retard,  Ă©crit  le  docteur  Pestel  en  note.  Il  se  pro- 
duisit seulement  ce  contretemps  que  la  biĂšre  en  plomb,  qu'on  avait 
fait  venir  de  Paris,  se  trouva  trop  petite  en  raison  du  volume  excessif 
de  l'abdomen,  et  qu'on  fut  obligé  d'en  faire  venir  une  autre.  Ce  der- 
nier cercueil  arriva  à  Xohant  une  heure  environ  avant  l'instant  fixé 
pour  les  obsĂšques. 

Vers  les  11  heures,  continue  M.  Barrisse,  le  cercueil  fut  descendu 
dans  le  vestibule  et  exposé  en  cet  endroit  pendant  une  heure  environ, 

(1)  Note  D  du  docteur  Peste], 

(2)  Inexact. 

(3)  Inexact. 

(4)  Tout  ce  passage  est  complÚtement  changé  dans  le  texte  imprimé,  il 
renferme  (sans  indication  de  l'auteur)  entre  autres  un  morceau  emprunté  aux 
souvenirs  de  M.  P.  de  Vasson  que  nous  avons  donné  plus  haut,  et,  ajouterons- 
nous,  nullement  connu  de  M.  Barrisse  en  1876.  ni  lorsqu'il  donna  le  manuscrit 
Ă   Mme  Maurice,  ni  enfin  en  1894  lorsqu'il  nous  permit  d'en  prendre  copie  et 
en  parla  avec  nous  de  vive  voix.  11  ne  put  consulter  ces  souvenirs  de  M.  de 
Vasson  qu'aprĂšs  la  mort  de  Mme  Maurice  Sand. 


62S  GEORGE   SAND 

recouvert  d'un  drap  mortuaire  Ă   croix  d'argent.  Je  crois  qu'il  y  avait 
aussi  un  bénitier.  Lorsque  je  m" approchai,  la  cour  était  presque  remplie 
de  paysannes  recouvertes  de  leur  capuchon  et  je  crois  en  avoir  vu 
plusieurs  asperger  la  biÚre  d'eau  bénite.  Marie  Caillaud  se  trouvait  à 
la  gauche  du  corps,  tenant  dans  une  de  ses  mains  de  petits  rameaux 
verts,  non  de  buis,  mais  de  laurier,  et  en  donnant  un  brin  Ă   tous  ceux 
qui  s'approchaient  (1).  Entre  midi  et  demi  et  une  heure  le  corps  fut 
enlevĂ©  et  portĂ©  Ă   bras  dans  la  petite  Ă©glise  par  des  paysans  vĂȘtus  d'un 
sarrau  bleu,  prĂ©cĂ©dĂ©s  du  prĂȘtre,  homme  encore  jeune,  Ă   la  physionomie 
commune  et  peu  intelligente,  ayant  derriĂšre  lui  un  vieillard  en  blouse 
(le  pĂšre  Carnat)  qui  tenait  un  cierge  et  psalmodiait.  Le  prince  Napo- 
lĂ©on tenait  d'une  main  un  des  cordons  du  poĂȘle,  et  de  l'autre  une  des 
petites  branches  de  laurier.  Le  convoi  entra  dans  la  modeste  Ă©glise, 
mais  comme  elle  était  déjà  presque  remplie  par  des  paysannes,  ceux 
qui  suivaient  ne  purent  s'y  placer,  et  refluant  du  dehors,  vinrent  se 
mĂȘler  aux  invitĂ©s,  aux  curieux,  aux  paysans  Ă   quelques  ouvriers  de 
La  ChĂątre  et  de  ChĂąteauroux  qui  se  trouvaient  sur  la  place,  tĂȘte  nue 
par  la  pluie  et  le  vent.  Il  y  avait  en  tout  environ  deux  cents  personnes 
Nous  remarquĂąmes  l'absence  de  Marchai,  de  Duquesnel  (le  directeur 
de  l'Odéon),  de  Hetzel  et  de  Charles-Edmond  Choiecki  (du  Temps),  le 
fait  est  que  ce  sont  tous  les  quatre  de  prodigieux  Ă©goĂŻstes. 

La  pluie  ne  cessait  de  tomber.  On  entendait  de  la  place  les  chants  et 
le  service  religieux  qui  ne  dura  pas  longtemps.  Les  cloches  sonnĂšrent. 
Sans  attendre  la  sortie  j'allai  au  cimetiÚre,  le  caveau  était  béant.  Com- 
mencé seulement  la  veille,  il  était  à  peine  terminé.  Le  constructeur  et 
des  paysans  en  admiraient  la  solidité  et  le  ciment.  C'est  une  simple 
voûte  en  briques,  construite  au  milieu  du  terrain  réservé  et  dont  le 
sommet  ne  dépasse  pas  le  niveau  du  sol  (2)  ;  à  la  gauche  de  l'entrée 
dudi  caveau,  cachées  sous  des  broussailles,  sont  cÎte  à  cÎte  les  dalles 
qui  recouvrent  les  restes  du  pĂšre  et  de  la  grand'mĂšre  de  Mme  Sand. 
Sa  mÚre  est  enterrée  à  Paris,  je  crois  (3).  Une  de  ces  tombes  s'étend 
un  peu  sous  le  mur  qui  sépare  la  cour  du  chùteau  du  cimetiÚre.  Un  trÚs 
bel  arbre,  espĂšce  de  cyprĂšs,  couvre  toutes  ces  tombes  de  ses  rameaux. 
La  porte  de  communication  pratiquée  dans  le  mur  mitoyen  et  qui  est 
de  fraĂźche  date  Ă©tait  ouverte. 

Vers  les  une  heure  la  procession  funÚbre  précédée  d'un  enfant  de 

(1)  C'est  prĂšs  do  la  tombe  ouverte  que  Marie  Caillaud  distribuait  ces  brins 
de  laurier  pour  les  jeter  sur  le  cercueil  comme  un  dernier  adieu.  Ce  fut  lĂ  
une  idĂ©e  de  Mme  Lina  Sand.  —  W.  K. 

(2)  M.  Harrisse  a  dessiné  sur  une  feuille  de  papier  la  coupe  de  cette  voûte 
en  briques  dépassant  à  peine  le  sol  et  il  nous  a  donné  ce  dessin,  alors  qu'il 
nous  raconta  de  vive  voix  les  funérailles  de  George  Sand. 

(3)  Elle  avait  été  enterrée  au  PÚre-Lachaise,  maintenant  (1924)  son  corps 
est  transportĂ©  daus  ce  mĂȘme  cimetiĂšre  de  Nohant. 


GEORGE   SAND  629 

chƓur  qui  portait  la  croix  et  du  prĂȘtre  revĂȘtu  d'une  Ă©tole  violette  trĂšs 
usĂ©e,  s'avança  vers  le  caveau.  Les  assistants  se  placĂšrent  oĂč.  ils  purent, 
mais  les  places  les  plus  proches  Ă©churent  Ă   des  gens  complĂštement 
Ă©trangers. 

AprĂšs  quelques  courtes  priĂšres  le  prĂȘtre,  son  enfant  de  chƓur  et  son 
chantre  se  retirĂšrent.  Un  vieillard  (1)  que  j'appris  ĂȘtre  M.  PĂ©rigois, 
avocat  et  conseiller  général  de  l'Indre,  républicain  trÚs  avancé,  de  cette 
voix  dolente  qui  est  le  trait  distinctif  de  Félocution  française  et  qui, 
à  nous  autres  Anglais  et  Américains,  semble  si  étrange  et  si  factice  (2). 
lut  un  discours,  retraçant  en  termes  dignes  et  parfois  touchants,  la 
vie  de  l'illustre  défunte.  Paul  Meurice  à  son  tour  lut  lentement  et  d'une 
façon  solennelle  la  tirade  que  Victor  Hugo  avait  envoyée.  Ce  style 
boursouflé,  ces  phrases  toutes  faites  qui  ne  signifient  absolument  rien, 
produisirent  un  médiocre  effet.  Flaubert,  lui,  trouvait  cette  prosopopée 
sublime  et  il  m'avoua  l'avoir  déjà  lue  trois  fois  en  y  découvrant  de 
nouvelles  beautés  (3).  Le  prince,  avec  un  grand  bon  sens,  et  Renan 
qui  s'y  connaßt,  n'hésitÚrent  pas  à  déclarer  que  ce  style  amphigourique 
n'était  qu'une  affaire  de  cliché,  de  procédé,  à  la  portée  de  tous  et  de 
chacun  (4).  Le  prince  avait  d'abord  songé  à  parler,  et  Dumas  avait 
passé  une  partie  de  la  nuit  dans  la  chambre  de  Favre  (5)  à  préparer 
un  discours  (6).  Ils  pensÚrent  qu'entre  le  clergé  et  Victor  Hugo  il  n'y 
avait  pas  de  place  pour  eux  et  ils  se  turent. 

Ce  cimetiĂšre  inculte,  cette  foule  de  paysannes  recouvertes  de  leurs 
capelines  de  drap  foncé,  agenouillées  dans  Therbe  humide,  le  ciel  gris, 
la  pluie  fine  et  froide  qui  nous  fouettait  le  visage,  le  vent  bruissant  Ă  
travers  le  cyprĂšs  et  se  mĂȘlant  aux  litanies  du  vieux  chantre,  me  tou- 
chĂšrent bien  autrement  que  toute  cette  Ă©loquence  de  convention.  Et 
cependant  je  ne  pouvais  m'empĂȘcher  de  penser  que  la  nature,  en  ce 
moment  solennel,  devait  bien  Ă   George  Sand  un  dernier  rayon  de  soleil. 

J'allai  faire  mes  adieux  Ă   Maurice  et  Ă   Lina.  Me  pressant  les  mains 
elle  me  dit  :  «  Bien,  qu'eue  ne  soit  plus,  vous  nous  restez,  vous,  n'est-ce 

(1)  M.  Pestel  et  Mine  Maurice  avaient  été  choqués  du  fait  que  M.  Harrisse 
avait  nommé  «  vieillard  »  un  homme  de  cinquante  et  un  ans  et  avaient  ajouté 
une  note  Ă   ces  lignes.  Nous  croyons  devoir  laisser  les  expressions  du  texte 
primitif  de  M.  Harrisse  telles  que.  Nous  les  préférons  franchement. 

(2)  Tout  ce  passage  est  atténué  et  changé  dans  le  texte  imprimé. 

(3)  La  phrase  la  plus  connue  de  ce  discours  est  :  «  Je  pleure  une  morte  et 
je  salue  une  immortelle.  »  —  W.  K. 

(4)  Ce  passage  est  également  changé. 

(5)  Dumas  avait  été  installé  pour  la  nuit  non  dans  la  chambre  de  M.  Favre, 
mais  dans  celle  de  Mme  Maurice,  qui  alla  loger  dans  la  chambre  de  ses  enfants. 
(Note  du  docteur  Pestel.) 

(6)  Qu'il  ne  prononça  pas,  mais  que  publiÚrent  en  1879  le  Figaro 
(11  juin),  et  le  Temps  (12  juin),  puis  VOrdre  républicain,  journal  d'Indre- 
et-Loire. 


630  GEORGE   SAND 

pas?...  »  De  grand  cƓur  je  le  lui  promis.  Je  cherchais  Aurore  et  Gabrielle 
pour  les  embrasser  avant  de  partir,  personne  ne  put  me  dire  oĂč  elles 
Ă©taient.  Je  trouvai  enfin  les  pauvres  petites  Ă   la  grille  du  chĂąteau  au 
milieu  d'une  foule  de  pauvres,  distribuant  des  aumînes  selon  leur  cƓur 
et  selon  le  touchant  usage  du  pays.„ 

Enfin  citons  la  lettre  que  le  pasteur  Leblois  avait  Ă©crite  Ă  
M.  de  Vasson  Ă   propos  de  l'enterrement  religieux  de  George  Sand, 
qui  causa  tant  d'Ă©tonnement  Ă   beaucoup  de  ses  admirateurs. 

Cher  monsieur, 

Votre  bonne  lettre  que  je  reçois  Ă   Finstant  mĂȘme,  est  pour  moi  un 
véritable  soulagement,  dans  un  sens  du  moins,  et  je  vous  en  remercie 
plus  que  je  ne  saurais  dire.  Lorsque  Mme  de  Vasson  a  eu  l'obligeance  de 
m'annoncer  la  maladie  subite  de  Mme  George  Sand,  bien  qu'elle  n'ait 
point  dissimulé  les  inquiétudes  sérieuses  qu'inspirait  son  état,  j'ai  gardé 
l'espoir  du  mieux  et  j'aurais  considéré  comme  indiscret  d'écrire  et  de 
donner  des  conseils  dans  l'hypothĂšse  d'une  mort  prochaine-.  Aussi  bien 
j'étais  convaincu  que  la  famille,  pénétrée  de  ce  qu'elle  devait  à  la  mé- 
moire de  son  illustre  chef,  ne  prendrait  d'autres  dispositions  que  celles 
que  George  Sand  elle-mĂȘme  eĂ»t  approuvĂ©es.  H  ne  m'appartientpas 
d'émettre  ici  un  jugement  sur  ce  qui  s'est  passé.  Pour  juger  avee  équité 
il  faut  connaßtre  tous  les  éléments  d'une  cause.  Mais  la  confidence  que 
vous  avez  bien  voulu  me  faire,  m'enhardit  Ă   vous  parler  comme  Ă   un 
ami  intelligent  et  impartial,  auquel  je  porte  la  plus  profonde  estime. 

D'aprĂšs  ma  conviction,  l'auteur  qui  a  Ă©crit  Mademoiselle  La  Quin- 
tinxie  ne  pouvait,  ne  devait  pas  ĂȘtre  enterrĂ©e  selon  le  rite  catholique.  Je 
comprends  les  considérations  de  famille,  lorsqu'il  s'agit  d'individus 
obscurs  qui  n'appartiennent  qu'Ă   la  famille.  Devant  le  eercuetl  d'un 
personnage  historique,  des  considérations  d'un  ordre  supérieur  doivent 
prévaloir.  La  famille  alors,  c'est  le  pays,  bien  plus,  c'est  l'humanité. 
On  doit  à  l'humanité  de  ne  rien  faire  qui  la  blesse  ou  qui  la  fasse 
douter.  «  J'aime  ma  patrie  plus  que  ma  famille,  disait  Fénelon,.  et 
l'humanité  plus  que  ma  patrie.  »  Mme  Sand,  née  dans  le  catholicisme 
comme  son  pĂšre,  avait  compris  que  le  catholicisme  a  cessĂ©  d'ĂȘtre 
une  religion,  une  lumiĂšre,  un  principe  de  vie.  Ce  n'est  plus  qu'un  sys- 
tĂšme politique,  un  Ă©teignoir.  C'est  encore  une  puissance,  il  est  vrai, 
une  puissance  formidable,  et  voilĂ   pourquoi  la  foule  s'incline  devant 
les  symboles  qui  le  représentent.  Mais  ce  qui  distingue  les  esprits 
élevés,  c'est  qu'à  l'exemple  de  Guillaume  Tell,  ils  passent  debout  devant 
le  chapeau  de  Gessler.  Mme  Sand  l'a  fait  et  ce  sera  pour  elle  un  titre 
de  gloire  impérissable. 


GEORGE   SAND  631 

Encore  une  fois,  je  ne  veux  juger  personne,  mais  ceux  qui  ont  con- 
seillĂ© de  livrer  la  dĂ©pouille  de  George  Sand  au  prĂȘtre,  me  paraissent 
n'avoir  compris  ni  la  grandeur  de  son  esprit,  ni  les  obligations  qu'en 
présence  d'une  telle  mémoire  on  doit  à  la  religion,  à  la  France,  à  l'hu- 
manité. Un  juge  disait  :  «  Quoi  que  tu  fasses,  n'oublie  pas  que  tu  donnes 
un  exemple.  »  Ce  qui  a  été  fait  n'est  pas  seulement  la  condamnation 
de  l'Ɠuvre  de  G.  Sand,  c'est  la  tristesse  jetĂ©e  dans  le  cƓur  de  ceux 
qui  croient  au  respect  des  principes  et  au  progrÚs  des  idées,  c'est  encore 
et  surtout  l'encouragement  donné  aux  représentants  du  despotisme 
spirituel.  Parlez,  Ă©crivez,  agissez  contre  nous,  diront-ils,  quand  vous 
mourrez,  vous  n'en  serez  pas  moins  notre  proie  ! 

Recevez,  cher  monsieur,  l'expression  de  mes  meilleurs  sentiments. 

L.  Leblois. 

La  lettre  de  faire-part,  envoyée  lors  de  la  mort  de  George  Sand, 
est  curieuse  sous  plus  d'un  rapport.  Elle  est  ainsi  conçue  : 

M. 

Monsieur  Maurice  Sand,  baron  Dudevant,  chevalier  de  la  LĂ©gion 
d'honneur,  et  Madame  Maurice  Sand  ;  Monsieur  Clésinger  et  Madame 
Solange  Clésinger-Sand  ;  Mesdemoiselles  Aurore  et  Gabrielle  Sand- 
Dudevant  ;  Madame  Cazamajou  ;  Monsieur  et  Madame  Oscar  Caza- 
majou  ;  Madame  veuve  Simonnet  ;  Monsieur  René  Simonnet,  substitut 
du  procureur  de  la  RĂ©publique  Ă   ChĂąteauroux;  Monsieur  Edme 
Simonnet,  employé  de  la  Banque  de  France  à  Limoges  ;  Monsieur  Albert 
Simonnet,  employé  de  la  Banque  de  France  à  Bourges  ;  Monsieur  et 
Madame  de  Bertholdi  ;  Monsieur  Georges  de  Bertholdi  ;  Mademoiselle 
Jeanne  de  Bertholdi  ;  Monsieur  et  Madame  Camille  Villetard  et  leurs 
enfants 

Ont  l'honneur  de  vous  faire  part  de  la  perte  douloureuse  qu'ils 
viennent  d'Ă©prouver  en  la  personne  de 

Madame  GEORGE  SAND 

Baronne  Dudevant 

NĂ©e  Lueile-Aurore-Amantine  Dupin 

leur  mùre,  belle-mùre,  grand'mùre,  sƓur,  tante,  grand'tante  et  cousine, 
décédée  au  chùteau  de  Nohantle  8  juin  1876,  dans  sa  soixante-douziÚme 
année. 

Nohant  (Indre),  le  8  juin  1876. 


CHAPITRE  XIV 

LE  CENTENAIRE  DE  GEORGE  SAND 


Quelques  pages  de  souvenirs  personnels  sur  les  fĂȘtes  du  centenaire  (30  juin, 
rr  juillet  et  10  juillet  1904).  —  L'exposition  et  les  galas,  l'inauguration 
de  la  statue  au  jardin  du  Luxembourg,  les  fĂȘtes  Ă   Nohant  et  La  ChĂątre. 


Maurice  Sand  n'a  survécu  à  sa  mÚre  que  treize  ans,  il  est  mort 
en  septembre  1889.  Solange  Clésinger  est  morte  en  mars  1899, 
Mme  Maurice  Sand  en  1901  et  sa  fille,  Gabrielle.  qui  avait  été 
mariée  à  M.  Roméo  Palazzi.  mais  s'était  séparée  de  lui  et  vivait 
auprùs  de  sa  mùre,  la  plupart  du  temps  à  Xohant,  en  19ÎÔ.  En 
ce  moment  la  famille  des  Sand  n"est  représentée  que  par  l'aßnée 
des  petites-filles  de  George  Sand,  Mme  Aurore  Lauth. 

En  1884  on  inaugura,  avec  grande  pompe,  Ă   La  ChĂątre,  un 
monument  de  George  Sand  dû  au  ciseau  d"Aimé  Millet.  En  1901 
il  y  eut  Ă   Xohant  et  Ă   La  ChĂątre  des  fĂȘtes  plus  grandioses  encore, 
des  cortÚges,  des  processions,  des  représentations,  des  discours 
et  des  séances  commémoratives  à  l'occasion  du  vingt-cinquiÚme 
anniversaire  de  sa  mort. 

Et  enfin,  en  1904,  Paris.  Xohant  et  La  ChĂątre  fĂȘtĂšrent  solen- 
nellement le  centenaire  de  sa  naissance.  Un  comité  d'honneur 
fut  organisé  (parmi  les  membres  duquel  l'auteur  de  ce  livre 
avait  aussi  été  nommé).  Une  exposition  sandienne  fut  ouverte 
dans  les  salles  de  l'Odéon,  c'est-à-dire  une  exposition  de  choses 
ayant  appartenu  Ă   George  Sand,  de  ses  portraits,  de  ceux  de 
ses  aĂŻeux  et  de  ses  parents,  de  toutes  sortes  d'objets  se  rappor- 
tant à  l'illustre  femme  ou  à  ses  Ɠuvres.  M.  X.-M.  Bernardin 
fit  les  samedis,  dans  ce  mĂȘme  local,  une  confĂ©rence  sur  l'auteur 
de  Coiisuelo.  On  y  joua  encore,  à  l'Odéon,  le  Démon  du  foyer. 
su 


GEORGE   SAND  633 

La  statue  de  George  Sand  sculptée  par  Sicard  fut  -solennelle- 
ment inaugurĂ©e  le  1er  juillet  au  jardin  du  Luxembourg  —  avec 
force  discours  et  couronnes  —  et  le  soir  ds  ce  mĂȘme  jour  on  joua 
Claudie  au  Théùtre-Français.  Et  enfin  les  solennités  furent 
closes  par  une  fĂȘte  grandiose  Ă   Nohant  et  Ă   La  ChĂątre. 

Nous  n'avons  pu  malheureusement  arriver  Ă   temps  pour  voir 
l'exposition  faite  à  l'Odéon  et  assister  à  la  reprise  du  Démon  du 
foyer.  Mais  le  1er  juillet  nous  étions  à  Paris  et  pûmes  prendre  part 
Ă   toutes  les  autres  fĂȘtes  du  centenaire.  Nous  publiĂąmes  Ă   notre 
retour  en  Russie  nos  «  Impressions  et  souvenirs  »  dans  la  Rousskaya 
Mysl.  Nous  nous  permettrons  de  clore  notre  travail  par  ce  cha- 
pitre de  nos  mémoires  personnels  : 

LE  CENTENAIRE 

Le  jour  mĂȘme  oĂč  les  derniĂšres  Ă©preuves  du  chapitre  George 
Sand  et  les  poÚtes  prolétaires  (1)  furent  signées  d'un  bon  à  tirer, 
le  rapide  m'emporta  vers  Paris,  et  il  Ă©tait  grand  temps  !  Nous 
Ă©tions  le  lundi,  et  le  1er  juillet,  centiĂšme  anniversaire  de  George 
Sand,  tombait  un  vendredi.  On  devait  inaugurer,  ce  jour-lĂ , 
sa  statue  au  Luxembourg,  et  jouer  le  soir  Claudie  à  la  Comédie- 
Française.  J'arrivai  à  temps  pour  assister  à  la  répétition  générale 
le  jeudi  matin. 

Il  est  peu  probable  que  beaucoup  de  mes  compatriotes  aient  pu 
voir  la  maison  de  MoliĂšre  non  pas  aux  jours  de  spectacle,  mais 
dans  «  sa  mise  de  tous  les  jours  »,  en  costume  de  travail,  et  encore 
moins  d'y  pénétrer  par  une  issue  autre  que  les  grandes  portes 
ouvertes  au  public.  Or,  le  30  juin,  l'entrée  en  était  particuliÚre- 
ment restreinte  :  Ă   l'exception  de  la  famille  de  George  Sand,  de 
ses  amis  les  plus  proches,  d'une  vingtaine  d'artistes  en  fonction 
ou  en  retraite  et  de  quelques  Ă©crivains,  on  ne  laissait  entrer  per- 
sonne. J'avais  une  carte  oĂč  on  lisait  :  «  Service  de  l'auteur  », 
et  ces  mots  usitĂ©s  me  donnaient  un  petit  serrement  de  cƓur. 

Par  des  couloirs  et  des  escaliers  qui  me  parurent  presque  mys- 

(1)  Cette  partie  du  chapitre  m  de  notre  IIIe  volume  parut  peu  de  jours 
avant  le  centenaire  dans  le  Mir  Bogi,  une  revue  russe. 


634  GEORGE    SAND 

térieux  on  me  conduisit  au  foyer  des  acteurs.  Nous  traversons 
use  galerie  dont  les  murs  sont  ornés  de  portraits  d'acteurs  en 
d'Ă©normes  perruques  Louis  XIII  et  Louis  XIV,  puis  en  petites 
perruques  Ă   queue  du  temps  de  Louis  XV  et  Louis  XVI  faisant 
suite,  puis  Ă   toupets  et  Ă   cravates  extra-hautes  de  1815,  et 
d'actrices  poudrĂ©es  Ă   frimas,  Ă   tailles  de  guĂȘpe,  aux  corsages 
trÚs  franchement  décolletés,  ou  bien  aux  coiffures  soi-disant 
«  romaines  »,  et  vĂȘtues  de  blanches  robes,  ceintes  de  rubans  sous 
les  aisselles.  Nous  passons  aussi  devant  des  personnages  cos- 
tumés pour  leurs  rÎles.  En  une  rapide  vision  passent  les  traits 
si  connus  de  Talma  et  de  Mlle  Mars,  les  bustes  de  Poquelin  et 
de  Racine,  devenus  si  familiers  grĂące  aux  nombreuses  gravures 
tant  de  fois  vues  dĂšs  notre  enfance. 

J'aurais  beaucoup  aimĂ©  m'arrĂȘter  et  examiner  tout  cela.  Non, 
impossible,  le  temps  presse.  Ah  !  le  voilĂ ,  ce  foyer  des  artistes, 
si  célÚbre  !  ce  foyer  que  nous  sommes  habitués  de  ne  voir  qu'au 
théùtre  ou  au  second  acte  &  Advienne  LecouvreurI  C'est  donc 
vraiment  ici  que  se  tenaient,  causaient,  attendaient  leurs  entrées 
ou  mĂȘme  rĂ©pĂ©taient  leurs  rĂŽles  Talma  et  Mlle  Clairon, 
Mlle  Georges  et  Marie  Dorval,  Coquelin  et  Sarah  Bernhardt! 
J'ai  beau  me  raidir  contre  le  sentiment  d'un  involontaire  res- 
pect, je  dirais  de  vénération  profonde.  Je  ne  peux  pas  m'en 
aller...  Non  !  non  !  le  temps  presse  !  Tous  les  artistes  sont  déjà 
derriĂšre  le  rideau.  Encore  des  portes,  des  marches  Ă   descendre 
dans  l'obscurité,  j'ouvre  une  derniÚre  porte  et  me  voici  dans  la 
salle.  Demi-obscurité.  La  rampe  des  loges  et  du  balcon  et  les 
rangées  de  siÚges  en  bas  sont  recouverts  de  toile  bise  ;  il  n'y  a 
que  quelques  rangs  de  fauteuils,  tout  en  avant,  oĂč  les  housses 
sont  enlevées,  et  on  y  aperçoit  confusément  des  chapeaux 
d'hommes  et  les  taches  claires  des  toilettes  de  femmes.  Dans 
l'une  des  loges  latérales  se  laissent  voir  des  espÚces  d'énormes 
ballons  ou  de  parachutes  gris  :  ce  sont  les  appareils  d'un  photo- 
graphe qui  va  photographier  des  scĂšnes  et  des  groupes  d'ac- 
teurs au  magnésium. 

On  m'appelle  du  parterre.  Je  descends  en  hĂąte.  Ma  place  se 
trouve  juste  derriÚre  la  nounou  de  l'aßnée  des  petites-filles  de 


GEORGE   SAN'D  635 

George  Saiid  ;  assise  toute  seule,  au  milieu  du  premier  rang,  elle 
attire  tous  les  regards  par  sa  coiffe  berrichonne.  A  peine  suis-je 
Ă   ma  place  que  le  rideau  se  lĂšve. 

La  scÚne  représente  la  cour  d'une  grande  ferme,  appartenant 
à  une  riche  paysanne,  la  Grand'Rose,  et  gérée  par  le  pÚre  Fauveau, 
son  métayer.  Le  pÚre  Fauveau  est  en  train  de  régler  ses  comptes 
avec  les  journaliers.  Il  est  rusé,  finaud  et  un  peu  avare,  le  pÚre 
Fauveau,  il  sait  compter  son  argent  ;  il  l'aime,  mais  il  est  surtout 
vaniteux,  il  espĂšre  marier  un  jour  son  fils  Sylvain  avec  l'alerte 
et  coquette  «  patronne  »,  d'autant  plus  facilement  que  cette 
jolie  veuve  voit  d'un  fort  bon  Ɠil  ce  beau  garçon  si  brave  tra- 
vailleur. C'est  en  vain  que  la  mĂšre  Fauveau  conseille  Ă   son  mari 
de  ne  pas  se  laisser  emporter  par  ses  rĂȘves  vaniteux  et  lui  dĂ©montre 
que  Sylvain  a  bien  autre  chose  en  tĂȘte.  Le  pĂšre  Fauveau  est 
tĂȘtu.  Non  seulement  il  ne  change  pas  d'avis,  mais  Ă   la  premiĂšre 
occasion  venue,  il  insinue  Ă   la  Grand'Rose  que  son  gas  (c'est  gas 
en  berrichon)  est  épris  d'elle  et  qu'il  serait  bien  aisé  de  conclure 
cette  affaire. 

C'est  juste  Ă   ce  moment  que  Sylvain  revient  des  champs. 
Deux  moissonneurs  le  suivent,  c'est  un  ancien  soldat  octogé- 
naire, le  pĂšre  RĂ©my,  et  sa  petite-fille  Claudie. 

Je  n'ai  jamais  eu  l'occasion  de  voir  auparavant  Mlle  Leconte, 
qai  jouait  Claudie,  et  je  confesse  mon  absolue  ignorance,  je  ne 
sais  pas  parmi  les  astres  de  quelle  grandeur  elle  est  classée  par 
les  critiques  en  titre.  Je  puis  néanmoins  assurer  que  son  entrée 
en  scĂšne,  sa  pose  et  l'expression  de  sa  figure  au  moment  oĂč, 
tenant  par  la  main  son  vieux  grand-pĂšre,  elle  se  montre  au  seuil 
de  la  porte,  resteront  toujours  gravés  dans  ma  mémoire,  comme 
certaines  poses  ou  certaines  entrées  des  plus  grands  artistes. 
Jamais  je  n'oublierai  ce  regard  suppliant  et  douloureux,  cette 
douce  figure  humble,  ces  mouvements  timides  et  toute  cette 
petite  personne  si  pauvrement  vĂȘtue,  si  effacĂ©e,  comme  ternie 
par  le  chagrin  et  la  misÚre.  Mais  pendant  la  durée  de  toute  la 
piÚce  aussi,  par  la  simplicité,  l'absence  de  tout  artifice,  la  tou- 
chante sincérité  de  son  jeu,  Mlle  Leconte  attira  toute  mon  atten- 
tion, toute  ma  sympathie  et  je  lui  fis  une  place  Ă   part  au  milieu 


636  GEORGE   SAND 

des  autres  interprĂštes  de  Claudie  qui  tous  ont,  certes,  beaucoup 
de  talent,  mais  qui  jouent  —  un  peu  trop  tien  —  comme  on  joue 
à  la  Comédie-Française  !  Nous  autres  Russes,  nous  préférons 
qu'on  chante  à  un  diapason  moins  élevé.  Donc  Claudie  et  son 
aĂŻeul  sont  venus  pour  recevoir  leurs   salaires  de  journaliers. 

Le  pĂšre  Fauveau,  vieux  tire-sous,  ne  veut  les  payer  que  comme 
un  seul  travailleur;  le  vieillard  et  la  pauvre  jeunesse  n'ont  pas 
fait  grand'chose,  selon  lui,  et  ont  plus  empĂȘchĂ©  qu'aidĂ©  les 
autres.  Sylvain  insiste  pour  qu'ils  soient  payés  comme  un  et 
demi,  le  vieux  RĂ©my  consent  Ă   ne  recevoir  que  le  salaire  d'un 
seul  journalier,  il  assure  qu'ils  n'ont  à  eux  deux  «  tenu  qu'une 
rĂšge  »,  s'y  succĂ©dant  Ă   tour  de  rĂŽle.  On  finit  par  ĂȘtre  d'accord  : 
le  pĂšre  Fauveau  les  paiera  Ă   raison  de  trois  francs  par  jour  pour 
les  deux  !  La  mĂšre  Fauveau  invite  RĂ©my  et  sa  petite-fille  Ă   se 
reposer  chez  elle  jusqu'au  soir  et  Ă   prendre  part  Ă   la  fĂȘte  de  la 
Gerbaude.  Claudie,  prompte  Ă   la  besogne,  se  met  de  suite  Ă   aider 
la  mÚre  Fauveau  dans  les  soins  du  ménage  ;  elle  puise  de  l'eau, 
lave  la  vaisselle,  tandis  que  les  vieux  s'en  vont  aux  champs,  Ă   la 
rencontre  des  moisonneurs.  Sylvain  s'attarde  ostensiblement 
auprĂšs  de  Claudie  et  essaie  de  l'aider,  de  lui  parler,  mais  elle  lui 
répond  si  sÚchement,  avec  tant  de  retenue,  par  monosyllabes, 
qu'il  s'en  va  aussi. 

Cette  scÚne  est  délicieusement  jouée  par  Mlle  Leconte.  Ce 
mélange  de  dignité  sévÚre,  de  chasteté  innées  à  Claudie  et  de  mé- 
fiance acquise  au  prix  de  l'expérience  et  du  malheur  est  inter- 
prétée par  l'artiste  avec  une  simplicité  et  une  finesse  admirables. 

Claudie,  restée  seule,  est  affairée  prÚs  du  puits.  Entre  Denis 
Ronciat,  fils  de  riche  paysan  parvenu,  don  Juan  du  village  et 
vaurien  accompli,  ayant  ses  vues  sur  la  Grand' Rose. 

«  Hé  !  il  y  a,  paraßt-il,  une  nouvelle  servante  à  la  ferme.  Si  on 
lui  causait  un  brin?  »  se  dit-il,  et  il  se  dirige  vers  Claudie.  Elle  lÚve 
les  yeux...  tous  les  deux  restent  pétrifiés  !  Ronciat  a  jadis  séduit 
Claudie.  c'Ă©tait  alors  une  pauvre  fillette  de  quinze  ans,  elle  devint 
mĂšre  et  il  l'abandonna  avec  son  enfant  !  Elle  lui  avait  d'abord 
Ă©crit,  lui  demandant  des  secours,  puis  elle  s'Ă©tait  tue.  Il  ne  chercha 
pas  Ă   savoir  la  cause  de  son  silence  :  l'enfant  Ă©tait  mort  de 


GEORGE   SAND  637 

misĂšre  et  de  privations.  Denis  Ronciat  est  aussi  poltron  qu'il  est 
effronté  ;  il  veut  au  plus  vite  se  tirer  d'affaire  :  si  Rose  allait 
apprendre  quelque  chose.  Il  craint  quelque  scandale.  Il  est  donc 
tout  interdit  et  trÚs  ravi  lorsque  Claudie  lui  déclare  qu'elle  ne 
veut  rien  de  lui,  qu'elle  a  «  tout  oublié  »  !  Ronciat  s'imagine 
qu'elle  a  tout  aussi  légÚrement  pris  leur  amourette  que  lui.  Il  en 
est  enchanté.  Ce  n'est  pas  lui  qui  peut  comprendre  quel  martyre 
de  désespoir  a  traversé  la  pauvre  délaissée,  comment  elle  a  passé 
de  l'amour  à  la  haine,  puis  au  mépris,  puis,  aprÚs  la  mort  de  son 
enfant,  à  une  morne  indifférence  ;  elle  n'a  rien  oublié,  mais  en 
enterrant  son  petit,  la  consolation  et  le  déshonneur  de  sa  pauvre 
vie,  elle  a,  aussi,  enterré  son  amour  pour  l'homme  indigne.  Liais 
comment  ce  grand  bĂȘta  de  Ronciat,  suffisant  et  brutal,  aveuglĂ© 
par  son  argent  et  ses  faciles  victoires,  pourrait-il  comprendre  tout 
cela?  Il  voit  les  choses  plus  simplement.  On  ne  lui  demande  rien. 
L'affaire  est  donc  bùclée  !  On  entend  des  cris,  des  chants  et  le 
son  des  cornemuses  :  c'est  la  Gerlaude  qu'on  amĂšne  des  champs. 

Lors  de  la  premiĂšre  de  Claudie  Ă   la  Porte-Saint-Martin,  en  1851, 
un  Ă©norme  chariot  berrichon,  attelĂ©  de  bƓufs  et  chargĂ©  de  gerbes, 
exécuté  d'aprÚs  un  dessin  de  Maurice  Sand,  arrivait  réellement 
sur  la  scÚne  et  triomphalement  on  enlevait  une  gerbe  ornée  de 
fleurs  selon  le  vieil  usage.  Cette  fois-ci  on  se  borna  Ă   apporter 
sur  la  scÚne  une  énorme  gerbe  enrubannée  et  fleurie,  on  la  plaça 
au  milieu  de  la  scĂšne,  et  la  fĂȘte  de  la  Gerlaude  commença. 

Selon  l'antique  usage  on  donne  cette  gerbe  au  plus  vieux  ou 
au  plus  jeune  des  moissonneurs,  ou  bien,  s'il  n'est  pas  de  force 
Ă   l'emporter  chez  lui,  on  la  lui  rachĂšte  :  chacun  doit  lui  faire  un 
petit  présent  selon  ses  moyens.  Les  uns  lui  donnent  de  l'argent, 
les  autres  quelque  objet  utile  ;  le  possesseur  de  la  gerbe  doit 
chanter  une  chanson  ou  prononcer  un  discours  en  l'honneur  de 
la  Gerbaude  et  des  travailleurs.  Personne  n'a  le  droit  de  l'in- 
terrompre, ce  soir-lĂ ,  tous  les  honneurs  lui  reviennent.  Il  est 
évident  que  Rémy  est  le  plus  ùgé  de  tous  ;  il  est  unanimement 
Ă©lu  orateur  et  «  lieutenant  »  de  la  fĂȘte. 

Rémy  entonne  alors  ce  lugubre  quatrain  en  vieux  français, 
si  semblable  au  berrichon,  que  George  Sand  avait  jadis  trouvé 


638  GEORGE  SAND 

au  bas  d'une  gravure  de  Holbein  —  l'un  de  ses  Simulacres 

de  la  mort,  —    reprĂ©sentant    la    Mort    et    un    paysan   Ă    la 

charrue  : 

A  la  sueur  de  ton  visaige 
Tu  gagneras  ta  pauvre  vie. 
ApTĂšs  long  travail  et  usaige, 
Voicy  la  mort  qui  te  convie. 

George  Sand  avait  placé  ce  quatrain  en  guise  d'épigraphe  à 
sa  Mare  au  Diable.  Elle  le  changea  un  peu  dans  Claudie  : 

A  la  sueur  de  ton  visage 
Tu  gagneras  ton  pauvre  sort. 
AprĂšs  grand'peine  et  grand  effort. 
AprĂšs  travail  et  long  usage, 
Pauvre  paysan,  voici  la  mort  ! 

«  Voiei  la  mort!  »  chante  le  vieux  Rémy.  «  Pauvre  paysan, 
voici  la  mort  »,  rĂ©pĂštent  en  chƓur  les  moissonneurs. 

«  Assez  !  assez  !  »  crie  la  Grand'Rose,  je  ne  veux  plus  de  cette 
chanson,  une  autre  !  » 

Il  est  douteux  qu'au  temps  de  Mme  Sand  les  Berrichons  aient 
ehanté  pareilles  choses.  Il  est  douteux  qu'eux,  ou  n'importe  quels 
paysans  au  monde,  chantent  ou  pensent  de  cette  façon-là.  Mais 
ces  paroles,  dans  la  bouche  d'un  ex-soldat  napoléonien,  ayant 
toute  sa  vie  travaillé  et  peiné  pour  les  autres,  et  la  profonde 
pénétration  de  George  Sand  dans  le  tragique  de  l'existence 
des  paysans  dont  elle  fait  preuve  dans  cet  Ă©pisode,  produisent 
une  immense  impression.  On  dirait  que  le  souffle  de  l'antique 
Destin  traverse  soudain  la  paisible  ancienne  fĂȘte  villageoise. 

Eh  bien!  le  Destin  est  réellement  là,  il  a  étendu  son  sceptre 
au-dessus  de  tous  ceux  qui  se  sont  rassemblés  dans  la  cour  du 
pĂšre  Fauveau  !  Le  pĂšre  RĂ©my,  au  lieu  d'une  nouvelle  chanson 
—  elles  ne  sont  plus  de  son  ñge  vraiment  —  demande  la  per- 
mission de  prononcer  un  discours  et  il  débite  la  consécration  de 
la  gerbe.  Il  bénit  le  travail,  le  soleil,  le  blé.  les  pauvres  qui  peinent 
et  les  bons  riches  qui,  comme  Rose,  leur  donnent  du  pain  —  une 
piÚce  de  poésie  en  prose  de  toute  beauté  et  écrite  par  George 
Sand  avec  verve  et  chaleur  —  (mais  peu  naturelle  dans  la  bouche 
d'un  laboureur,  selon  notre  opinion). 


GEORGE    S  AND  639 

A  ce  moment,  tandis  que  Rémy  présente  un  bouquet  à  la 
Grand' Rose,  et  que  tout  le  monde  commence  Ă   apporter  son 
offrande,  à  mettre  par  terre  à  cÎté  de  la  gerbe,  qui  cinq  francs, 
qui  un  sou,  celle-ci  son  dé  pour  Claudie,  celui-là  sa  montre  pour 
le  vieux  RĂ©my,  jusqu'Ă   un  marmot  qui  apporte  candidement 
une  pomme  verte,  s'approche  aussi  Ronciat.  RĂ©my  le  remarque 
et  repousse  sa  main  qui  tendait  de  l'argent  :  il  a  reconnu  le  séduc- 
teur de  sa  petite-fille.  Il  est  bouleversé,  il  chancelle,  le  courroux 
lui  coupe  la  voix,  il  avale  de  l'eau-de-vie  pour  se  donner  du  cou- 
rage et  il  se  déchaßne  en  malédictions  contre  les  mauvais  riches 
qui  vivent  du  travail  des  pauvres,  qui  sont  la  cause  de  leurs 
malheurs,  qui  leur  ravissent  plus  que  la  vie,  l'honneur.  C'est  ea 
vain  que  Ronciat  s'efforce  d'Ă©touffer  les  paroles  du  vieillard  en 
ordonnant  aux  musiciens  de  jouer.  Le  pĂšre  RĂ©my  ne  se  laisse 
pas  interrompre.  Mais  les  forces  lui  manquent.  «  Voici  la  mort  !  » 
s'écrie-t-il,  et  il  tombe  foudroyé  sur  la  Genbaude.  -Confusion 
générale,  cri  déchirant  de  la  pauvre  Claudie,  et  le  rideau  tombe. 

RĂ©my  n'est  pas  mort,  ce  n'Ă©tait  qu'une  congestion  dont  il  se 
remit  peu  Ă   peu  dans  la  maison  des  Fauveau  qui  lui  donnĂšrent 
hospitalité  ainsi  qu'à  Claudie.  Il  arrive  ce  qui  doit  arriver.  Syl- 
vain s'Ă©prend  de  plus  belle  de  Claudie,  elle  l'aime  aussi  en  secret  ; 
la  mÚre  Fauveau  le  voit,  elle  est  toute  portée  à  consentir  an 
mariage  de  son  fils  avec  la  douce,  modeste  et  laborieuse  Claudie, 
mais  le  pĂšre  Fauveau  a  bien  autre  chose  en  tĂȘte.  Il  ne  veut  pas 
entendre  parler  d'une  alliance  avec  une  déshéritée,  et,  afin  d'ac- 
célérer les  choses,  il  s'adresse  directement  à  dame  Rose.  Or 
Ronciat,  qui  a  aussi  des  vues  sur  Rose  et  vient  Ă   la  ferme  en 
qualité  de  prétendant,  demande  une  réponse  décisive. 

La  Grand'Rose,  tout  écervelée  et  légÚre  qu'elle  paraisse,  est 
toutefois  trĂšs  bonne  observatrice  et  trĂšs  intelligente.  Elle  a 
remarqué  ce  que  les  autres  n'avaient  point  vu  ;  elle  a  vu  que  le 
pÚre  Rémy  avait  repoussé  la  main  de  Ronciat,  elle  a  comprfe 
l'allusion  aux  «  mauvais  riches  qui  ravissent  plus  que  la  vie, 
l'honneur  »,  elle  demande  à  son  tour  une  réponse  précise  à  Ron- 
ciat :  qu'y  a-t-il  sur  sa  conscience?  Et,  sans  attendre  cette 
réponse,  elle  lui  refuse  catégoriquement  sa  main,  lui  disant 


640  GEORGE   SAND 

qu'elle  sait  à  présent  quel  homme  il  est.  Roneiat  est  furieux.  H 
est  sûr,  malgré  toutes  les  négations  de  Rose,  que  c'est  Claudie 
qui  a  soufflé  un  mot  à  Rose,  il  se  trahit  donc  complÚtement. 
Pour  se  venger,  il  insinue  Ă   la  Grand' Rose  que  Sylvain  ne  la 
regarde  mĂȘme  pas,  occupĂ©  qu'il  est  de  Claudie  seule.  La  Rose  le 
renvoie  quand  mĂȘme,  et  il  s'en  va  ruminant  des  plans  de  ven- 
geance. 

Cette  scÚne  est  jouée  avec  beaucoup  de  verve  et  d'entrain 
comique  par  Mme  Delvair  et  Georges  Berr.  La  belle  fermiĂšre 
délurée  (Mme  Delvair  est  réellement  jolie  comme  tout),  sachant 
s'apprécier  à  sa  juste  valeur,  mais  n'ayant,  à  son  dire  jamais  fait 
par  sa  conduite  évaporée  de  mal  à  personne,  si  ce  n'est  à  elle- 
mĂȘme,  veut  tirer  l'affaire  au  clair  et  exĂ©cuter  celui  qui  a  fait 
un  mal  irréparable  aux  autres.  Avec  une  adresse  et  une  dextérité 
surprenantes,  elle  fait  jaser  Roneiat,  puis  le  foudroie  par  ses  dis- 
cours francs  et  sincĂšres.  Oh  !  elle  n'est  pas  longue  Ă   chercher  ses 
paroles,  la  belle  Rose  !  Quant  Ă   Roneiat,  il  est  moins  lĂąche  et 
vil  qu'il  n'est  ridicule  dans  son  aveuglement  de  parvenu  cossu, 
dans  sa  poltronnerie  et  son  effronterie.  M.  Berp  sait  parfaitement 
nuancer  ceci  par  son  jeu  fin  et  observé. 

Denis  Roneiat  tĂąche  donc  d'Ă©veiller  la  jalousie  de  Rose.  Puis, 
ayant  rencontré  le  pÚre  et  le  fils  Fauveau,  il  leur  dit  qu'ils  ont 
donné  l'hospitalité  à  une  fille  perdue,  qui  avait  eu  un  enfant. 
Tout  le  monde,  alors,  perd  la  tĂȘte.  La  Grand' Rose,  furieuse, 
maltraite  Claudie  et  conseille  ironiquement  au  pĂšre  Fauveau 
de  presser  le  mariage  de  son  fils  avec  une  «  servante  »,  lui  insi- 
nuant, de  plus,  qu'il  paraĂźt  ne  pas  ĂȘtre  maĂźtre  dans  sa  maison, 
puisque  tout  le  monde  méconnaßt  ses  volontés.  Sylvain,  dévoré 
de  jalousie,  s'Ă©lance  vers  Claudie  et  veut  lui  demander  des  expli- 
cations. Mais  fiÚrement  et  froidement,  elle  refuse  de  lui  répondre, 
elle  prĂ©sume  que  si  elle  a  Ă©tĂ©  fautive,  elle  s'est  chĂątiĂ©e  elle-mĂȘme, 
s'étant  pour  toujours  refusé  tout  bonheur,  tout  amour,  toute 
amitié  ;  personne  n'a  le  droit  ni  de  la  questionner,  ni  de  la  plaindre, 
parce  qu'elle  ne  se  plaint  pas,  ni  de  l'accuser  de  mensonge,  parce 
qu'elle  ne  dit  rien.  Elle  s'empresse  de  rassembler  ses  pauvres 
hardes  pour  quitter  au  plus  vite  la  demeure  hospitaliĂšre  de  la 


GEORGE   SAND  641 

mĂšre  Fauveau.  Malheureusement  pour  elle,  et  pour  le  vieux 
Rémy  qui  reste  des  heures  entiÚres  comme  hébété  au  coin  du 
feu,  elle  ne  parvient  pas  à  s'en  aller  avec  lui,  de  son  propre  gré. 
Le  pÚre  Fauveau  exaspéré  par  le  fiasco  de  son  projet,  aiguillonné 
aussi  par  Rose  et  par  Ronciat,  la  chasse  de  sa  maison,  lui  lançant 
Ă   la  figure  l'accusation  qu'il  vient  d'apprendre.  Elle  est  la  mĂšre 
d'un  bĂątard  ! 

C'est  alors  que  la  raison  se  rallume  soudain  dans  le  vieux 
Rémy,  il  semble  se  réveiller  et,  d'abord  timidement,  puis  s'ani- 
mant  de  plus  en  plus,  tremblant  de  colĂšre  et  d'indignation,  il 
s'avance  comme  le  défenseur  redoutable  de  sa  petite-fille. 

—  Ah  !  On  nous  chasse?  On  accuse  ma  fille  d'ĂȘtre  une  malheu- 
reuse, une  menteuse?  Sachez  donc  la  vérité  !  Elle  n'est  ni  une 
menteuse,  ni  une  malheureuse,  c'est  vous  qui  ĂȘtes  des  malheu- 
reux !  Vous  ĂȘtes  plus  malheureux  que  nous.  Elle  est  une  enfant 
trompée  et  abandonnée  par  un  vaurien  ;  à  peine  sortie  de  l'en- 
fance elle  devint  mĂšre  elle-mĂȘme,  mais  elle  agit  honnĂȘtement 
envers  son  enfant,  elle  le  nourrit  et  l'Ă©leva,  elle  souffrit  et  tra- 
vailla, elle  se  cachait  du  monde,  mais  elle  ne  trompa  personne, 
ni  ne  demanda  jamais  rien  Ă   personne.  Quant  Ă   Ronciat  c'est 
lui  qui  est  un  menteur,  il  l'a  séduite,  puis  délaissée,  lorsqu'il 
apprit  que  la  tante  dont  Claudie  devait  hériter  s'était  remariée 
et  que  Claudie  n'avait  pas  le  sou  ;  il  lui  avait  promis  de  l'Ă©pouser  : 
elle  n'avait  Ă©tĂ©  fautive  d'aucun  crime  envers  lui,  si  ce  n'est  d'ĂȘtre 
pauvre.  Lui,  il  avait  indignement,  craintivement  caché  son 
crime  Ă   tout  le  monde,  et  c'est  lui  qui,  maintenant,  lui  jette  une 
pierre,  c'est  lui  qui  dévoile  son  malheur.  Et  vous,  vous  la  chassez 
et  vous  ne  chassez  pas  Ă   coups  de  fourche  et  de  fourchĂąt  cet 
infĂąme?  Jamais  elle  n'a  fait  entendre  aucune  plainte,  aucun 
reproche,  aucune  bassesse,  et  vous  osez  dire  qu'elle  veut  se  fane 
épouser  par  votre  garçon!  Est-ce  qu'il  est  digne  d'elle,  votre 
garçon?...  Qu'il  soit  honnĂȘte  homme  et  bon  ouvrier  tant  qu'il 
voudra,  est-ce  qu'il  a  montré  sa  vertu  par  des  épreuves  comme  les 
nÎtres?  Est-ce  qu'il  a  été  foulé  de  misÚre  et  de  chagrin  comme 
nous?  Est-ce  qu'il  connaĂźt  comme  nous  la  patience  et  la  sou- 
mission aux  volontés  du  bon  Dieu?...  Non,  non,  ne  soyez  pas  si 

IV.  4| 


64»  GEORGE  SAND 

fiers,  vous  ĂȘtes  plus  aisĂ©s  que  nous...  voilĂ   tout  ce  que  vous  avez 
de  plus  que  nous  dans  ce  monde.  Mais  nous  verrons  lĂ -haut, 
nous  autres,  qui  sera  le  plus  prĂšs  du  Dieu  juste...  Viens,  ma  fille, 
allons-nous-en  dans  notre  pauvre  cabane  oĂč  je  veux  mourir  en 
paix!...  Retirez-vous  tous!  J'ai  assez  de  force  pour  défendre 
ma  fille  !  essayez-y  un  peu  !... 

Nous  citons  de  mémoire  cette  apostrophe  passionnée  du  pÚre 
Rémy,  prononcée  avec  force  et  vigueur  par  Paul  Mounet.  (Il 
m'avait  médiocrement  plu  au  premier  acte  et  me  parut  manquer 
de  simplicité  ayant  trop  déclamatoirement  débité  la  consécra- 
tion de  la  Gerbaude.)  Cette  diatribe  bouleverse  tous  les  habitants 
de  la  métairie  Fauveau...  et  toute  la  salle  avec  eux  !  C'est  ainsi 
que  se  termine  le  second  acte. 

L'intérieur  des  Fauveau  est  devenu  sombre  et  triste.  Le  pÚre 
Fauveau  a  perdu  son  calme  et  son  appétit,  il  a  conscience  d'avoir 
fait  quelque  chose  qui  n'est  pas  bien,  mais  il  ne  veut  pas  en 
convenir.  Sylvain  est  au  désespoir,  dévoré  de  jalousie,  s'imagi- 
nant  que  Claudie  ne  l'aime  point,  il  a  mĂȘme  tentĂ©  de  se  suicider 
n'ayant  que  grùce  à  la  présence  d'esprit  du  bouvier  échappé 
au  danger  d'ĂȘtre  Ă©crasĂ©  par  le  chariot  sous  les  roues  duquel  il 
s'était  laissé  tomber,  volontairement.  La  mÚre  Fauveau  pleure 
sur  son  fils  et  sur  la  pauvre  Claudie.  Heureusement  que  chez 
la  Grand' Rose,  la  colĂšre  comme  le  repentir,  les  larmes  et  le  sou- 
rire se  suivent  de  prĂšs...  Elle  est  prompte  en  paroles,  mais  c'est 
une  bonne  ùme.  L'idée  que  de  pauvres  malheureux  avaient  été 
chassés  à  cause  d'elle  lui  est  insupportable  <  elle  s'élance  aprÚs  le 
chariot  emmenant  le  pĂšre  RĂ©my  avec  sa  petite-fille,  les  rattrape, 
met  tout  en  Ɠuvre  :  priùres,  raisonnements,  supplications, 
enfin  presque  de  force  elle  les  ramĂšne  Ă   la  ferme.  C'est  elle, 
n'est-ce  pas,  qui  est  la  vraie  maßtresse  de  céans,  le  pÚre  Fauveau 
n'est  que  son  métayer  ! 

Mme  Delvair  est  ravissante  dans  cette  scĂšne  oĂč  d'abord  elle 
arrive,  tout  essoufflée,  pour  annoncer  qu'elle  est  parvenue  à 
faire  revenir  les  deux  malheureux,  puis,  aidée  de  la  mÚre  Fau- 
veau, emmĂšne  par  ruse  le  pĂšre  RĂ©my,  afin  que  le  jeune  couple 
puisse  s'expliquer.  Ils  ne  parviennent  pas  Ă   s'expliquer,  toute- 


GEORGE  SAND  643 

fois  ;  Sylvain  est  torturé  par  la  jalousie  et  par  l'amour-propre 
froissé,  il  aurait  voulu  voir  Claudie  repentante  ;  mais  elle  se 
renferme  dans  son  désespoir  et  sa  fiÚre  résignation  ;  elle  veut  se 
punir  elle-mĂȘme  pour  sa  faute,  en  ne  se  permettant  plus  d'aimer. 
En  ce  moment  réapparaßt  Denis  Ronciat.  Il  manque  de  dignité, 
mais  il  a  un  amour-propre  immense.  H  veut  donc  avant  tout 
sortir  de  la  position  ridicule,  oĂč,  selon  lui,  il  se  trouve,  grĂące  Ă  
la  Grand' Rose.  Toute  la  paroisse  est  en  Ă©moi,  on  le  montre  au 
doigt,  les  enfants  lui  crient  :  «  Ah  !  coquin  !  tu  as  fait  chasser  le 
pÚre  Rémy,  mais  voilà  Mme  Rose  qui  le  ramÚne  en  triomphe  !...  » 
Ronciat  s'imagine  reconquérir  sa  réputation,  en  étonnant  tout 
le  monde.  Il  veut  «  trouver  quelque  chose  »  à  quoi  personne  ne 
s'attend  ;  il  ne  sait  pas  encore  lui-mĂȘme  ce  qu'il  fera  (tout  son 
naturel  de  fanfaron  imbécile  se  trahit  dans  ses  paroles),  mais  il 
veut  Ă©pater  son  monde.  Et  Ă   cette  fin,  il  offre  soudain  sa  main  Ă  
Claudie.  Elle  la  refuse.  Rémy  qui,  pendant  tant  d'années,  ne 
s'était  pas  vengé  sur  Ronciat,  craignant  que  sa  petite-fille  con- 
tinue à  l'aimer  en  secret,  voyant  à  présent  qu'elle  a  vraiment 
abjuré  son  ancien  amour,  s'avance  droit  sur  lui.  Il  n'avait 
attendu  que  le  moment  oĂč  Ronciat  aurait  expiĂ©  ses  torts  envers 
elle,  à  présent  il  sait  ce  qu'il  a  à  faire.  Il  le  prend  au  collet,  le 
secoue  durement,  puis  le  chasse  de  sa  présence. 

Maintenant  c'est  le  tour  de  Sylvain  de  se  repentir  de  sa  jalousie 
et  de  sa  brutalité  ;  il  demande  à  Claudie  de  devenir  sa  femme. 
Mais  elle,  malgré  toutes  ses  priÚres,  celles  de  la  Grand' Rose,  de 
la  mĂšre  Fauveau  et  mĂȘme  celles  du  pĂšre  Fauveau,  refuse.  Elle 
a  juré  de  ne  jamais  se  marier.  C'est  seulement  lorsque  son  aïeul 
la  libĂšre  de  son  serment,  qu'elle  donne,  en  pleurant,  son  consen- 
tement. A  ce  moment  on  entend  le  son  de  la  cloche.  «  A  genoux, 
dit  le  pÚre  Rémy,  c'est  l'Angélus  qui  sonne.  C'est  l'heure  du 
repos,  qu'il  descende  dans  nos  cƓurs,  le  repos  du  bon  Dieu,  à  la 
fin  d'une  journée  d'épreuves...  Demain  cette  cloche  nous  réveillera 
pour  nous  rappeler  au  travail,  nous  serons  debout  avec  une  face 
joyeuse  et  une  conscience  Ă©panouie.  Car  le  travail  ce  n'est  point 
la  punition  de  l'homme...  c'est  sa  récompense  et  sa  force...  c'est 
sa  gloire  et  sa  fĂȘte...  Je  suis  guĂ©ri  et  je  vais  donc  enfin  pouvoir 


644  GEORGE    SAND 

travailler;  je  n'ai  pas  eu  ce  contentement-lĂ   depuis  la  Ger- 
baude...  Je  sens  maintenant  que  je  deviendrai  centenaire...  » 
Tous  s'agenouillent.  Et  le  rideau  tombe  sur  une  impression  qui 
rappelle  celle  du  délicieux  tableau  de  Millet  :  un  Angélus  pieu- 
sement récité  par  de  simples  enfants  de  la  terre,  aprÚs  une 
journée  de  labeur. 

Toute  la  piĂšce  laisse  l'impression  d'un  hymne  au  travail,  au 
rude  travail  de  la  terre,  d'un  hymne  du  bon  laboureur  et  au  bon 
blé  qui  nous  nourrit  tous,  riches  et  pauvres.  Sans  ce  blé,  sans  ce 
travail  du  laboureur,  il  n'y  aurait  rien  eu,  ni  personne  de  nous, 
mĂȘme  dans  cette  belle  salle  oĂč  nous  voilĂ .  Gloire  donc  au  blĂ©  ! 
A  la  gerbe  !  à  la  gerbaude  !  comme  disait  le  pÚre  Rémy...  «  Oh  ! 
gerbe  de  blé,  si  tu  pouvais  parler,  si  tu  pouvais  dire  combien  il 
t'a  fallu  de  gouttes  de  notre  sueur  pour  t'arroser,  pour  te  lier 
l'an  passé,  pour  séparer  ton  grain  de  la  paille  avec  le  fléau,  pour 
te  préserver  tout  l'hiver,  pour  te  remettre  en  terre  au  printemps, 
pour  te  faire  un  lit  au  tranchant  de  l'arrau,  pour  te  recouvrir, 
te  fumer,  te  herser,  te  désherber  et  enfin  pour  te  moissonner  et 
te  lier  encore  et  pour  te  rapporter  ici,  oĂč  de  nouvelles  peines  vont 
recommencer  pour  ceux  qui  travaillent...  Oh  !  gerbe  de  blé  !  tu 
fais  blanchir  et  tomber  les  cheveux,  tu  courbes  les  reins,  tu  uses 
les  genoux!  Le  pauvre  monde  travaille  quatre-vingts  ans  pour 
obtenir  Ă   titre  de  rĂ©compense  une  gerbe  qui  lui  servira  peut-ĂȘtre 
d'oreiller  pour  mourir  et  rendre  à  Dieu  sa  pauvre  ùme  fatiguée...  » 

Et  ce  sentiment,  dominant  toute  la  piùce,  —  la  glorification 
du  travail  qui  n'est  point  une  punition,  mais  un  bienfait  pour 
nous,  —  se  communique  si  fort  aux  spectateurs  que  ce  jour-là, 
aprÚs  la  répétition  générale,  et  le  lendemain,  aprÚs  la  soirée  du 
spectacle,  tous,  nous  sortions  du  théùtre  avec  une  sensation  de 
fraßcheur,  de  courage  pour  travailler.  Et  nous  y  avons  vécu  des 
moments  de  gai  entrain,  lors  des  scĂšnes  de  Rose  et  de  Ronciat, 
des  moments  d'Ă©motion  profonde,  par  exemple  pendant  le  pre- 
mier dialogue  entre  Claudie  et  Sylvain,  ou  l'explication  entre 
le  pĂšre  et  la  mĂšre  Fauveau  au  dernier  acte,  et  enfin  des  moments 
dramatiques  vraiment  bouleversants,  comme  lors  du  grand  mono- 
logue de  RĂ©my.  Et  les  sceptiques,  parmi  nous,  avaient  complĂš- 


GEORGE  SAND  645 

tement  oublié  que  beaucoup  de  choses  dans  la  piÚce  étaient  vieil- 
lottes, que  le  pÚre  Fauveau,  malgré  toute  sa  ruse  berrichonne, 
et  son  amour  de  la  monnaie,  Ă©tait  quand  mĂȘme  Ă©normĂ©ment 
idéalisé  en  comparaison  de  quelque  vrai  tire-sous  des  environs 
de  Nohant  ou  d'Aigurandes,  que  Sylvain,  aussi,  avait  les  sen- 
timents trop  délicats,  mais  surtout  un  parler  trop  raffiné  pour 
un  gars  qui  est  «  le  premier  à  la  rÚge  »,  que  le  vieux  Rémy,  bien 
qu'  «  ancien  sous-officier  et  ayant  reçu  de  l'éducation  »,  rappelle 
trop  «  les  pĂšres  nobles  »,  de  mĂȘme  Rose,  la  mĂšre  Fauveau  et 
Ronciat,  ces  trois  personnages  les  plus  naturels,  les  plus  vrais 
et  les  plus  réalistes  de  la  piÚce  sont  aussi  trop  conventionnels, 
Mais,  nous  le  répétons,  les  sceptiques  avaient  oublié  tout  cela, 
le  soir  du  spectacle.  C'est  ainsi  que  nous  avons  vu  par  hasard 
deux  jeunes  snobs,  venus  entendre  Claudie  «  pour  tuer  leur 
soirĂ©e  »,  s'Ă©crier  en  s'asseyant  :  «  On  va  s'embĂȘter  !  On  dit  que 
cette  George  Sand  est  une  raseuse  I...  On  ferait  peut-ĂȘtre  bien 
de  filer  avant  que  la  piÚce  commence?  »  Cependant  ils  étaient 
restés,  mais  ils  avaient  commencé  par  écouter  d'un  air  distrait, 
se  communiquant  Ă   haute  et  intelligible  voix  des  remarques  sur 
les  personnes  connues  qu'ils  apercevaient  dans  la  salle;  puis, 
peu  Ă   peu,  ils  devinrent  attentifs,  ils  applaudirent  et  s'Ă©criĂšrent  : 
«  Mais  c'est  trÚs  bien,  c'est  tout  à  fait  bien!  »  Et  aprÚs  la  scÚne  de 
RĂ©my  et  de  Ronciat,  ils  criaient  de  toute  la  force  de  leurs  pou- 
mons :  «  Bravo  !  Bravo  !  »  Rs  trouvaient  que  ça,  c'était  vraiment 
fort/ 

Mais  rétablissons  l'ordre  chronologique,  négligé  par  nous, 
pour  parler  du  spectacle  du  1er  juillet.  Or  donc,  ce  mĂȘme 
1er  juillet  1904,  Ă   10  heures  du  matin,  au  jardin  du  Luxembourg, 
du  cĂŽtĂ©  de  ce  boulevard  Saint-Michel  oĂč  George  Sand  avait 
demeuré  au  début  de  sa  carriÚre  littéraire,  eut  lieu  l'inauguration 
de  la  statue  de  George  Sand,  sculptée  par  M.  Sicard.  L'artiste, 
fort  heureusement,  représenta  l'illustre  femme  non  pas  sous  les 
traits  d'une  matrone,  habillée  et  coiffée  selon  l'horrible  mode  du 
milieu  du  dix-neuviÚme  siÚcle  comme  l'avaient  portraiturée  Aimé 
Millet  et  Carrier-Belleuse.  R  s'était  inspiré  de  Charpentier,  du 
dessin  de  Calamatta  et  se  servit  tant  des  indications  Ă©crites  des 


646  GEORGE   SAND 

contemporains  de  la  jeunesse  de  Mme  Sand  que  des  renseigne- 
ments oraux  que  lui  donnĂšrent  quelques-uns  de  ses  amis  vivants. 
On  a  donc  devant  soi  une  petite  femme  fluette,  aux  trĂšs  grands 
yeux  rĂȘveurs,  coiffĂ©e  de  grands  bandeaux  plats  qui  lui  couvrent 
les  oreilles  ;  elle  s'appuie  Ă   un  bloc  de  pierre  et  semble  songer, 
comme  George  Sand  dut  le  faire  au  moment  de  la  création  de  ses 
premiùres  Ɠuvres,  celles  qui  firent  sa  gloire. 

La  fĂȘte  du  centenaire  fut  ouverte  par  un  discours  de  M.  Jules 
Claretie  remplaçant  le  président  du  comité,  M.  Paul  Meurice, 
qui  se  trouvait  bien  lĂ   sur  l'estrade,  mais  s'abstint  de  prononcer 
un  discours  public,  vu  son  grand  Ăąge.  En  remettant  Ă   la  ville 
de  Paris,  de  la  part  du  comité  et  de  la  famille,  le  monument  de 
George  Sand,  M.  Jules  Claretie  caractérisa  sommairement  les 
grandes  idées  généreuses  et  profondément  humanitaires  de  F  écri- 
vain. AprĂšs  lui  parla  au  nom  du  ministre  de  l'Instruction  publique 
le  directeur  des  Beaux-Arts,  M.  Henry  Marcel,  qui,  en  un  dis- 
cours extrĂȘmement  simple,  serrĂ©  et  puissant,  retraça  le  dĂ©voue- 
ment de  George  Sand  aux  meilleures  aspirations  libérales  du 
siÚcle  dernier,  sa  croyance  profonde  à  la  perfectibilité  de  tous  les 
hommes  individuels  et  de  l'humanité  entiÚre,  la  foi  dont  elle  fit 
preuve  dans  toutes  ses  Ɠuvres  au  triomphe  de  cet  idĂ©al  de  libertĂ© 
démocratique  et  de  liberté  de  conscience,  qui  est  proclamé  par 
le  gouvernement,  représenté  par  l'orateur.  A  la  suite  de  M.  Marcel 
parla  M.  Marcel  Prévost,  président  de  la  Société  des  Gens  de 
Lettres.  Il  prononça  un  trÚs  beau  discours,  avec  une  pointe  de 
polémique  à  l'adresse  du  discours  précédent  ;  il  évoqua  les  épi- 
sodes principaux  et  les  Ɠuvres  les  plus  importantes  de  George 
Sand,  qui  sont  si  organiquement  liées  les  unes  aux  autres.  Puis, 
Mme  Worms-Barretta  déclama  une  poésie  écrite  par  une  dame 
et  couronnée  par  un  journal  dirigé  par  des  dames,  Fémina. 
M.  Fenoux,  acteur  et  poĂšte,  lut  aussi  une  piĂšce  de  vers  :  les 
Épis  du  Berry.  Et  finalement  la  si  justement  cĂ©lĂšbre  Mme  SĂ©- 
verine adressa  à  George  Sand  une  allocution  improvisée.  Je 
dois  confesser  que  j'ai  une  antipathie  insurmontable  pour  les 
dames-orateurs,  je  dois  néanmoins  avouer  que  Mme  Séverine 
parla  admirablement  bien  :  simplement,  avec  chaleur,  avec 


GEORGE   SAND  647 

verve,  en  vrai  maßtre,  et  son  discours  fut  magnifique.  «  George 
Sand  fut  trÚs  grande  »  par  son  talent,  par  son  esprit  ;  «  elle  fut 
trÚs  audacieuse  »  par  ses  aspirations  et  les  problÚmes  qu'elle 
tùchait  de  résoudre  ;  «  elle  fut  trÚs  bonne  »  dans  sa  vie  et  dans 
ses  Ɠuvres.  «  Et  elle  fut  trĂšs  insultĂ©e  !  »  dit  Mme  SĂ©verine.  «  Oh! 
la  trÚs  grande,  la  trÚs  bonne,  la  trÚs  audacieuse  et  la  trÚs  insultée!  » 
On  l'a  tant  insultée  de  son  vivant  et  aprÚs  sa  mort  que  ce  mo- 
nument ne  paraĂźt  rien  qu'une  amende  honorable  :  si  on  avait 
ramassé  toutes  les  pierres  qu'on  lui  jeta  de  son  vivant,  on 
aurait  un  haut  piĂ©destal  tout  prĂȘt  pour  ce  monument.  A  la  fin 
de  son  discours  Mme  Séverine  déposa,  comme  Mme  Barretta,  une 
grande  gerbe  de  roses  au  pied  de  la  statue. 

Mais  tout  au  commencement  déjà,  avant  les  discours,  on  avait 
apporté  une  énorme  couronne  de  roses  ornée  de  rubans  aux  cou- 
leurs de  la  BohĂȘme  :  c'Ă©taient  les  frĂšres  moraves  qui  l'envoyaient 
de  Prague  sur  la  tombe  de  l'inoubliable  auteur  de  Consuelo  et 
de  Jean  Ziska.  Et  vraiment  ce  témoignage  muet  de  gratitude  et 
de  vénération,  envoyé  au  grand  écrivain  par  ses  lointains  et 
reconnaissants  admirateurs  slaves,  qui  appréciaient  chaudement 
sa  profonde  pénétration  dans  l'esprit  de  leur  histoire,  sa  sym- 
pathie pour  leurs  luttes  religieuses  et  leurs  aspirations  sociales, 
sa  maniÚre  de  traiter  leur  plus  grand  héros  national,  m'émut 
plus  que  toutes  les  belles  paroles  et  tous  les  discours  brillants. 
Et  je  songeais  que,  pour  George  Sand,  aussi,  ayant  toute  sa  vie 
rĂȘvĂ©  la  fraternitĂ©  des  peuples,  cette  simple  expression  de  l'union 
entre  l'écrivain  et  ses  lecteurs,  entre  le  génie  français  et  les  ùmes 
slaves  aurait  Ă©tĂ©  plus  Ă   son  grĂ©  que  tout  le  reste  de  la  fĂȘte,  comme 
toujours  assez  officielle. 

Ce  fut  de  mĂȘme  le  soir,  aprĂšs  la  reprĂ©sentation  de  gala  de 
Glaudie,  jouée  devant  un  public  élégant  et  brillant,  émaillé  de 
toutes  sortes  de  célébrités  et  de  «  notoriétés  »,  lorsque  le  rideau 
se  leva  une  fois  de  plus  et  lorsque,  vĂȘtus  de  fracs.  M.  Sylvain 
lut  le  discours  connu  de  Victor  Hugo  sur  l'enterrement  de 
Mme  Sand,  et  Mounet-Sully  le  morceau  non  moins  connu 
d'Alexandre  Dumas  fils,  Palaiseau,  Mme  Segond-Weber,  belle 
comme  un  marbre  antique,  déclama  d'un  contralto  profond  les 


643  GEORGE   SAND 

vers  de  Judith  Gautier  A  George  Sand  et  Mme  Amel,  habillée 
en  Berrichonne,  chanta  d'une  voix  fluette  une  ancienne  Chanson 
à  Claudie  écrite  par  Dupont,  et  lorsque  tous  les  sociétaires  de 
la  Comédie  se  rassemblÚrent  sur  la  scÚne,  comme  cela  est  de 
rigueur  en  pareille  occurrence,  les  uns  costumés,  les  autres  en 
tenue  de  ville,  et  se  mirent  à  «  déposer  les  couronnes  »,  c'est-à-dire 
que  tous  les  artistes  agitĂšrent  pendant  quelques  secondes  et 
d'un  air  assez  confus,  devant  le  buste  de  George  Sand,  des 
branches  de  palmiers  et  de  lauriers,  tout  cela  parut  une  chose 
officielle  aussi  mutile  que  ressassée  et  d'un  manque  de  goût 
conventionnel,  sentant  à  dix  lieues  cette  banalité  routiniÚre  dont 
George  Sand  s'Ă©loigna  toute  sa  vie.  Elle  la  craignait  dans  ses 
piĂšces  mĂȘmes,  elle  tĂąchait  de  l'Ă©viter,  ce  dont  Zola  l'avait  louĂ©e 
plus  tard,  tandis  que  plusieurs  de  ces  piĂšces  parurent  d'une  nou- 
veauté déconcertante  à  ses  contemporains.  C'est  ainsi  que 
lorsque  parut  Claudie  les  critiques  les  plus  sympathiques  pour 
l'auteur,  tels  que  Sainte-Beuve  et  Gustave  Planche,  trouvĂšrent 
que  cette  piÚce,  paraissant  si  idéaliste  de  nos  jours,  était  écrite 
dans  une  langue  trop  simple,  trop  vulgaire,  était  trop  réaliste, 
que  George  Sand  aurait  mieux  fait  si,  en  laissant  les  mĂȘmes  sen- 
timents et  les  mĂȘmes  idĂ©es  Ă   ses  personnages;  elle  les  avait  fait 
s'exprimer  en  un  langage  plus  élégant,  et  surtout,  oh  !  surtout  ! 
si  elle  ne  s'Ă©tait  pas  permis  d'y  intercaler  des  locutions  locales. 
Car  George  Sand  avait  commis  en  1851  le  mĂȘme  crime  que  les 
uns  avaient  tant  reproché  à  Tolstoï  aprÚs  les  Fruits  de  la  science 
et  la  Puissance  des  ténÚbres,  tandis  que  d'autres  y  avaient  cru 
voir  une  révélation  d'art.  Chacun  des  personnages  de  Claudie 
a  sa  propre  maniĂšre  de  parler,  ses  locutions  favorites.  Ainsi  par 
exemple  Denis  Konciat  dont  tout  le  parler  dénonce  le  paysan 
parvenu  voulant  faire  parade  de  son  «  éducation  »,  assaisonne, 
de  plus,  tous  ses  discours  du  mot  :  «  Et...  et  différemment...  » 
C'est  tout  comme  le  paysan  de  Tolstoï  avec  son  :  Et  vérita-ole- 
nieint. 

Donc,  toutes  ces  couronnes  et  lauriers,  et  tous  ces  discours, 
prose  et  poésie,  auraient,  à  mon  avis,  bien  pu  briller  par  leur 
absence.  L'impression  emportée  dans  l'ùme  aprÚs  Claudie  avec 


GEORGE   SAND  649 

sa  note  finale  :  le  doux  Angélus  aprÚs  une  dure  journée  de  labeur 
et  de  douleur,  n'en  aurait  été  que  plus  profonde,  et  plus 
puissant  aurait  vibré  le  ton  général  de  la  piÚce  :  la  profonde  pitié 
pour  le  sort  tragique  de  ceux  qui  peinent  sans  trĂȘve  et  l'enthou- 
siaste glorification  du  travail! 

Le  10  juillet,  de  grand  matin,  nous  tous  amis  et  proches  de 
la  famille  Sand  qui,  depuis  quelques  jours  déjà,  étions  réunis 
sous  le  toit  hospitalier  de  Nohant  et  y  jouissions  du  calme  et  de 
la  fraßcheur  de  ses  ombrages,  ainsi  que  tous  les  académiciens, 
artistes  et  littérateurs  arrivés  la  veille  de  Paris  (il  y  avait  M.  André 
Theuriet,  M.  et  Mme  Marcel  Prévost,  M.  et  Mme  Rocheblave, 
Me  FĂ©lix  Decori,  le  vieil  acteur  Sully-LĂ©vy,  Mme  SĂ©verine,  et 
d'autres  encore),  nous  fûmes  réveillés  par  des  pétards  et  des 
coups  de  fusil.  A  peine  avaient-ils  cessé  que  j'entendis  Y  Angélus; 
cette  fois  le  doux  son  venait  du  clocher  de  la  rustique  petite 
église  de  Nohant  située  à  deux  pas  du  chùteau.  Il  fallait  se  lever, 
le  curé  ayant  prévenu  la  veille  que  la  messe  pour  «  la  bonne 
dame  de  Nohant  »  —  c'est  ainsi  qu'on  appelle  ici  la  grande 
George  Sand  —  serait  dite  Ă   7  heures...  L'Ă©glise  est  pleine  de 
paroissiens,  et  surtout  de  paroissiennes  venues  du  bourg  de 
Nohant  et  des  environs  ;  presque  toutes  portent  le  blanc  petit 
bonnet  carré,  quelques-unes  sont  enveloppées  de  leurs  capelines 
ou  capuches.  Nous  ne  sommes  pas  nombreux,  nous  qui  sommes 
venus  prier  avec  ces  bonnes  Ăąmes  :  l'heure  est  matinale,  et,  de 
plus,  presque  tous  les  hÎtes  de  Nohant  sont  des  «  libres  pen- 
seurs »  et  croient  bien  sûr  que  leur  présence  à  l'église  serait  en 
désaccord  avec  leurs  opinions.  Mais  ici,  à  cette  messe  solennelle 
pour  le  repos  de  l'ùme  de  la  «  bonne  dame  »,  il  importe  peu  de 
savoir  si  elle  avait  été  célÚbre  ou  non,  si  elle  avait  appartenu  à  tel 
ou  tel  parti,  on  ne  se  souvient  que  du  bien  qu'elle  avait  fait  tout 
autour...  Comment  donc  ne  pas  prier  pour  elle?...  Et  de  nouveau 
il  me  semble  que  c'est  juste  et  bien  que  l'Ă©glise  soit  pleine  de  ces 
simples  femmes  Ă   bonnets  blanc,  de  noir  vĂȘtues,  et  que  nous  ne 
soyons  que  trois  ou  quatre  parmi  elles  :  un  abbé  de  Paris,  admi- 
rateur des  Ɠuvres  de  George  Sand,  homme  d'un  rare  esprit; 
un  autre  admirateur  encore,  capitaine  d'artillerie  de  Poitiers  ; 


650  GEORGE   SAND 

un  écrivain  parisien  et  votre  serviteur,  fraßchement  arrivé  de 
la  lointaine  Russie  !  Au  moment  du  prÎne,  lorsque  l'abbé  adresse 
la  parole  aux  humbles  ouailles  rassemblĂ©es,  il  leur  dit  que  l'Église 
doit  prier  pour  Mme  Sand,  parce  qu'elle  possédait  deux  grands 
dons  de  Dieu  :  le  génie  et  la  bonté.  H  se  souvient  aussi  d'une 
autre  Ăąme  disparue  encore,  de  cette  admirable  Lina  Sand  qui 
se  dévoua  à  servir  sa  belle-mÚre.  Plusieurs  des  hÎtes  de  Nohant 
se  montrent  à  l'entrée  de  l'église  ;  ils  écoutent,  puis  s'en  vont 
de  nouveau.  Quant  Ă   nous,  nous  restons  jusqu'Ă   la  fin  et  ne  sor- 
tons qu'avec  les  bonnes  vieilles  Ă   bonnets  et  les  vieux  paysans 
en  blouses  et  Ă   grands  chapeaux. 

Entre  temps,  les  allées  du  parc  fourmillent  déjà  de  figures 
inconnues  :  ce  sont  des  visiteurs  de  La  ChĂątre  et  des  environs 
venus  pour  voir  la  vieille  maison,  le  parc,  et  pour  saluer  la  tombe 
de  George  Sand.  Cette  tombe  se  trouve  dans  un  enclos  réservé 
du  cimetiÚre,  et  n'est  séparée  du  jardin  que  par  un  mur  mitoyen. 
Les  visiteurs  affluent  peu  Ă   peu,  mais  ils  sont  relativement  peu 
nombreux;  tout  à  coup,  du  cÎté  de  la  grand'route,  on  entend 
une  musique  Ă©trange,  quelque  chose  comme  des  pifferari  italiens, 
du  bruit,  le  trépignement  sourd  d'une  foule,  des  centaines 
d'hommes  qui  s'approchent...  Et  voici  qu'un  cortĂšge  entre  dans 
la  cour  du  chĂąteau  :  ayant  Ă   sa  tĂȘte,  son  bĂąton  de  commande- 
ment haut  levé,  M.  Augras,  le  président  de  la  Société  des  gas  du 
Ben  y.  H  porte  Ă   sa  blouse  une  cocarde  aux  couleurs  du  Berry, 
vert,  rouge,  blanc.  DerriĂšre  lui  deux  hommes  portent  les  enseignes 
de  la  société  :  des  écussons  de  France  et  du  Berry  entourés  de 
guirlandes  de  verdure  et  portant  les  mots  :  Société  des  gas  du 
Berry,  puis,  en  haut,  les  devises  ;  on  lit  sur  l'une  :  Notre  pain  est 
maigre,  ma:s  je  le  trempons  quand  mĂȘme  dans  notre  Ă©cuelle,  et 
sur  l'autre  :  Quoi  qu'on  dise,  quoi  qu'on  fasse,  fresterons  Berrichons 
quand  mĂȘme. 

DerriĂšre  ces  enseignes  marchaient,  portant  des  emblĂšmes  et 
des  rubans,  les  représentants  des  différents  corps  de  métiers,  et 
d'anciennes  loges  maçonniques.  C'est  ainsi  que  nou3  vßmes 
s'avancer  un  Compagnon  jnenuisier  du  devoir  de  Salomon  qui 
nous  fit  nous  souvenir  du  Compagnon  du  tour  de  France.  Et  der- 


GEORGE   SAND  651 

riÚrc  eux  marchaient,  en  rangs  serrés,  les  vrais  gas  du  Berry, 
cornemuseux  et  vielleux,  jouant  de  leurs  antiques  instruments. 
Us  portaient  tous  de  longues  blouses  bleues  brodées  de  blanc  au 
col  et  aux  Ă©paules,  des  foulards  rouges  autour  du  cou,  de  grands 
nƓuds  tricolores  sur  la  poitrine  et  sur  leurs  chapeaux  à  bords. 
Jouant  sans  s'arrĂȘter  d'anciennes  marches  et  bourrĂ©es,  ils 
entrĂšrent  majestueusement  dans  la  maison,  traversĂšrent  le  ves- 
tibule, la  grande  salle  Ă   manger,  sortirent  par  l'autre^  porte  sur 
la  terrasse,  au  jardin,  contournĂšrent  le  potager,  passĂšrent  par 
la  petite  porte  ouverte  du  cimetiĂšre  et  revinrent  de  nouveau 
dans  la  cour.  Une  Ă©norme  foule  de  LachĂątrais,  de  tous  les  Ăąges, 
de  toutes  les  classes,  de  toutes  les  positions  sociales  les  suivait, 
solennellement,  en  un  profond  silence.  Il  est  impossible  de  rendre 
l'impression  produite  par  le  passage  muet,  solennel  et  pieux 
—  oui,  pieux  !  —  de  cette  Ă©norme  foule. 

Puis  les  musiciens  se  groupĂšrent  et  on  les  photographia.  Tou- 
jours fidÚles  à  leur  consigne,  lentement,  posément,  jouant 
toujours  leurs  gais  airs  berrichons,  ils  s'en  allĂšrent  comme  ils 
Ă©taient  venus.  Mais  la  foule  affluait  et  affluait  encore,  elle  se 
répandait  par  les  allées  du  parc,  dans  les  appartements  du  chù- 
teau, admirait  le  vieux  salon  Louis  XV  aux  murs  ornés  des 
portraits  des  aĂŻeux  de  George  Sand,  de  ceux  de  ses  enfants  et 
petits-enfants,  et  remplis  de  meubles  et  d'objets  qui  lui  avaient 
appartenu,  Ă   elle,  ainsi  qu'Ă   sa  grand'mĂšre,  Marie-Aurore  de 
Saxe.  AprÚs  on  montait  le  grand  escalier  de  pierre,  en  hémicycle, 
Ă©clairĂ©  d'un  Ɠil-de-bƓuf,  on  longeait  de  longs  couloirs  Ă   plan- 
cher briqueté,  pour  arriver  à  deux  chambres  :  le  cabinet  de  tra- 
vail et  la  bibliothĂšque  de  George  Sand,  oĂč  la  chĂątelaine  de 
Nohant,  Mme  Gabrielle  Sand,  avait  exposé  dans  des  vitrines  une 
foule  de  précieuses  reliques  :  le  moulage  de  la  main  de  George 
Sand  et  son  ombrelle,  et  un  bracelet  qu'elle  portait  toujours,  fait 
avec  les  cheveux  de  ses  enfants,  et  ses  dessins,  et  ses  découpures 
de  fleurs  et  de  plantes,  faites  Ă   la  main,  d'une  finesse  inouĂŻe,  et 
des  marionnettes  habillées  par  elle,  et  encore  une  quantité  de 
toutes  sortes  d'ouvrages  et  d'objets  Ă   elle.  Ensuite,  la  foule 
redescendait,  visitait  la  salle  de  thĂ©Ăątre,  oĂč  avait  jouĂ©  toute  la 


65a  GEORGE  SAND 

famille  de  Nohant  et  Bocage,  et  des  artistes  de  tous  les  théùtres 
de  Paris,  et  des  Ă©crivains  les  plus  connus,  et  toujours  silencieuse- 
ment, presque  sans  faire  de  bruit,  en  Ă©changeant  Ă   peine  quelque 
remarque  à  voix  basse,  en  saluant  des  connaissances,  on  se  répan- 
dait de  nouveau  dans  le  parc  ou  on  se  dirigeait  vers  la  petite 
station  de  Nohant- Vicq,  d'oĂč  des  trains  spĂ©ciaux  emmenaient 
la  foule  vers  La  ChĂątre.  Mais  ce  n'Ă©taient  pas  seulement  des  La- 
chĂątrais  :  il  y  avait  des  gens  venus  de  tous  les  points  du  Berry, 
illustrés  par  la  plume  de  George  Sand.  E  y  avait  parmi  eux  des 
Berrichons  trĂšs  connus  :  tel  un  jeune  substitut  du  procureur, 
connu  à  Paris  comme  critique  littéraire  et  musical  sous  le  pseu- 
donyme de  Stéfane-Pol,  puis  le  poÚte  local,  M.  Hugues  Lapaire, 
l'un  des  organisateurs  les  plus  Ă©nergiques  de  la  fĂȘte,  auteur  du 
livre  La  Bonne  dame  de  Nohant,  Ă©crit  en  collaboration  avec 
M.  Firmin  Boz;  puis  un  autre  poĂšte,  M.  Gabriel  Nigond,  et 
le  jeune  journaliste,  M.  L.  Lumet,  le  fils  du  vieil  ami  de  Mme  Sand, 
un  paysan  républicain  de  1848.  Nous  remarquons  aussi,  dans  cette 
foule,  le  vieux  Sylvain,  le  cocher  de  Mme  Sand,  ùgé  de  quatre- 
vingt-dix-huit  ans,  dont  elle  a  tant  parlé  dans  ses  Souvenirs,  et 
le  docteur  qui  l'avait  soignée  dans  sa  derniÚre  maladie.  Le  défilé 
de  la  foule  a  duré  si  longtemps  que  nous  eûmes  à  peine  le  temps 
de  déjeuner  avant  de  partir  en  grande  hùte  pour  La  Chùtre,  pour 
assister  à  la  solennité  qui  devait  y  avoir  lieu.  Il  fait  trÚs  chaud. 
Le  ciel  est  sans  nuage  et  le  soleil  brûle  sans  merci,  tandis  que 
nous  roulons  par  la  monotone  chaussée  grise,  au  milieu  de  rares 
noyers  et  chĂątaigniers,  vers  la  pittoresque  petite  ville  de  La  ChĂątre, 
située  sur  les  bords  escarpés  de  l'Indre  et  que  je  connais  déjà 
depuis  mes  autres  séjours  en  Berry.  H  ne  fait  pas  moins  chaud 
dans  les  rues  Ă©troites  de  La  ChĂątre,  mais  l'air  y  paraĂźt  moins  brĂ»- 
lant, et  puis  on  oublie  le  soleil,  on  regarde  la  foule  des  citadins 
endimanchés  qui  envahit  tous  les  trottoirs,  les  maisons  couvertes 
de  tapis,  de  draperies  et  de  drapeaux,  ornées  de  transparents  et 
d'Ă©criteaux  mirifiques,  les  rues  au-dessus  desquelles  des  guir- 
landes de  verdure  et  de  lanternes  flottent  dans  l'air  bleu. 

Nous  voici  sur  la  place  oĂč,  au  milieu  d'un  square,  se  laisse 
apercevoir  la  statue  de  George  Sand  érigée  en  1884,  et  devant 


GEORGE   SAND  .  653 

laquelle  on  va  prononcer  les  discours,  aujourd'hui.  Le  monument 
n'est  pas  rĂ©ussi.  De  certains  points  de  la  place  d'oĂč  la  silhouette 
de  Mme  Sand  (représentée  assise,  un  livre  à  la  main,  et  les 
jambes  croisées)  se  laisse  voir  de  profil,  la  pointe  de  son  pied 
levé  se  dessinant  nettement  sur  le  fond  de  verdure,  la  statue 
produit  mĂȘme  une  impression  comique. 

Le  soleil  darde  d'une  maniĂšre  insupportable.  Le  petit  square 
encombré  par  la  foule,  en  habits  de  gala,  est  tout  blanc  de 
lumiÚre  ;  on  ne  pourrait  se  cacher  que  sur  la  petite  tribune  ré- 
servée aux  orateurs  qui  ressemble  à  un  corbillard,  ou  à  l'ombre 
des  buissons  tout  prÚs  de  la  grille.  Or,  MM.  Theuriet,  Prévost 
et  Bouchard,  les  membres  du  Comité  local,  et  Mme  Séverine,  ont 
seuls  aujourd'hui  le  droit  de  profiter  de  ce  petit  refuge  d'ombre, 
—  et  ils  y  prononcĂšrent  une  sĂ©rie  de  beaux  discours  ;  mais, 
comme  il  Ă©tait  tout  Ă   fait  impossible  de  les  Ă©couter  au  milieu 
de  cette  chaleur  brûlante  et  de  cette  foule  mobile,  affluant, 
refluant,  nous  eûmes  recours  à  une  petite  ruse,  un  artiste  trÚs 
spirituel,  et  moi  :  nous  prßmes  le  parti  de  nous  asseoir  à  l'entrée 
du  square  ;  de  là,  ce  que  nous  pûmes  entendre,  nous  l'enten- 
dßmes ;  le  reste,  nous  le  lûmes  le  lendemain  dans  les  journaux 
locaux  et  parisiens  !  Et  cette  petite  ruse  nous  profita  beau- 
coup, nous  occupions  une  place  trĂšs  favorable  pour  voir  ce 
qui  se  passait  sur  la  place  qui  entoure  le  square.  Or,  cette 
place  et  toutes  les  rues  voisines  Ă©taient  envahies  par  des 
habitants  des  environs,  paysans  des  hameaux  suburbains,  ou 
mĂȘme  venus  de  fort  loin,  car  tout  le  Berry  fĂȘtait  lĂ   le  cen- 
tenaire de  sa  grande  compatriote.  Voici  que  subitement  cette 
foule  s'ébranle,  on  entend  les  sons  déjà  amis  des  villes  et  des 
cornemuses,  les  rangs  des  gas  du  Berry  défilent  en  mesure,  les 
corps  de  métiers  les  suivent,  et  puis  voici  que  s'avance  toute  une 
procession,  une  procession  symbolisant  le  travail  champĂȘtre  sous 
toutes  ses  formes,  et  les  personnages  champĂȘtres  chantĂ©s  par 
George  Sand.  C'est  la  réalisation  du  discours  du  vieux  Rémy  ! 
D'Ă©normes  bƓufs  blancs  traĂźnent  une  charrue  ornĂ©e  de  fleurs, 
ils  sont  suivis  de  semeurs,  de  moissonneurs,  de  faucheurs,  vĂȘtus 
de  blouses  bleues  ou  de  chemises  blanches,  et  de  bonnes  vieilles 


6S4  GEORGE   SAND 

filant  leurs  quenouilles  en  marchant,  selon  l'antique  usage. 
Puis,  voici  d'énormes  chariots  attelés  également  de  grands  et 
doux  bƓufs  blancs  couplĂ©s,  chargĂ©s  de  gerbes  enrubannĂ©es. 
Sur  l'un  de  ces  chariots,  on  voit  perchés  deux  garçonnets,  sur 
l'autre,  c'est  Claudie  en  personne  !  Une  jolie  petite  paysanne, 
toute  confuse  d'attirer  l'attention  générale.  Elle  abrite  son  petit 
bonnet  blanc  sous  une  ombrelle  fort  moderne,  cela  manque  un 
peu  de  couleur  locale,  mais  la  chaleur  est  si  accablante  que  l'on 
n'ose  protester  contre  cette  liberté  qui  nuit  un  peu  à  l'ensemble 
du  tableau.  Et  ce  tableau  est  ravissant  !  Cela  rappelle  un  peu 
les  Moissonneurs  de  Léopold  Robert,  mai  scela  est  mieux.  «  C'est 
du  vrai  »,  comme  disent  les  enfants,  c'est  typique,  c'est  local, 
une  vĂ©ritable  scĂšne  d'un  des  romans  champĂȘtres  de  George  Sand. 
Lentement,  accompagné  d'une  foule  énorme,  le  cortÚge  défile 
autour  du  square,  puis  s'Ă©loigne  par  l'une  des  rues  avoisinantes. 
Le  son  des  cornemuses  devient  plus  sourd,  et  peu  Ă   peu  se  perd 
tout  Ă   fait.  Mais  Ă   peine  l'orateur  qui  parle  sous  le  corbillard 
rouge  et  or  a-t-il  terminĂ©  son  discours,  ou  plutĂŽt  —  Ă   peine  est-il 
sur  le  point  de  le  terminer  —  que  les  sons  des  cornemuses  reten- 
tissent de  nouveau  et  nous  arrivent  par  une  autre  rue,  Claudie 
et  sa  suite  font  de  nouveau  irruption  sur  la  place,  aux  exclama- 
tions joyeuses  de  la  foule. 

De  grands  applaudissements  retentissent  Ă   ce  moment  autour- 
du  baldaquin  rouge;  on  acclame  Mme  SĂ©verine,  si  populaire 
en  Berry,  et  qui  ne  manque  Ă   aucune  fĂȘte  en  l'honneur  de  George 
Sand.  Mais  alors  que  tous  nous  nous  tournons  de  ce  cÎté,  mes 
yeux  sont  frappés  par  un  tableau  symbolique,  d'une  rare 
beauté  artistique  :  sur  un  fond  de  sombre  verdure,  au-dessus 
d'une  foule  bariolée  qui  l'entoure  de  toutes  parts,  cachée  jus- 
qu'aux Ă©paules  par  des  centaines  d'ombrelles,  de  chapeaux  de 
femmes  et  de  noirs  chapeaux  d'hommes,  on  aperçoit  la  blanche 
silhouette  de  la  Grand'MĂšre,  elle  tient  un  livre  Ă   la  main  et 
semble  sourire  (c'est  un  effet  de  lumiÚre  changée),  et  elle  semble 
raconter  une  histoire  Ă   cette  foule  de  grands  enfants.  La  laideur 
du  monument  est  cachée  par  la  foule,  on  ne  voit  que  la  noble 
tĂȘte  blanche  et  la  main  qui  tient  le  livre,  et  autour  d'elle  ce  millier 


GEORGE   SAND  655 

de  figures  levées,  écoutant  attentivement.  Et  voici  que  de  toute 
cette  solennité  devant  la  statue  de  La  Chùtre,  l'impression  de 
cette  minute  demeure  seule  dans  ma  mémoire  :  la  vision  de  cette 
blanche  statue  racontant  une  de  ses  fables  Ă   cette  foule  qui 
l'écoute  avidement,  tandis  que  défilent  autour  d'elle  lentement, 
posément,  les  types  immortels  du  doux  Berry  laborieux,  chantés 
par  cette  muse  aux  simples  histoires... 

Les  discours  sont  terminés  :  la  foule  nous  entraßne;  nous 
gagnons  une  autre  place  de  la  ville  oĂč  doit  avoir  lieu  la  fĂȘte 
populaire.  H  y  a  des  carrousels,  des  balançoires,  des  gondoles 
russes  (il  fallait  venir  Ă   La  ChĂątre  pour  apprendre  que  nous  avons 
en  Russie  des  gondoles  de  ce  genre  !)  et  de  la  musique,  et  des 
drapeaux,  et  un  guignol,  et  des  boutiques,  et  des  baraques,  le 
tout  agrémenté  par  un  écrasement  infernal,  et  une  chaleur  !  H 
y  avait  lĂ   de  tout  !  C'est  ici  que  devait  aussi  avoir  lieu  la  distri- 
bution des  prix  pour  les  «  coiffes  »,  les  danses  et  les  chants  berri- 
chons, prix  fondés  par  les  petites-filles  de  George  Sand  en  l'hon- 
neur de  leur  aĂŻeule  qui  adorait  toutes  les  vieilles  coutumes  du 
pays.  C'est  Ă   grand'peine  que  nous  parvĂźnmes  Ă   nous  faufiler  Ă  
travers  un  écrasement  incroyable  jusqu'à  l'estrade  d'honneur  ré- 
servée au  jury  et  à  la  famille.  Le  cortÚge  devait  repasser  devant 
cette  estrade,  mais  cela  fut  jugé  impossible.  M.  Hugues  Lapaire, 
vĂȘtu  d'une  blouse  bleue,  grimpa  seulement  au  haut  d'un  chariot 
de  gerbes  et  prononça  de  là  la  consécration  de  la  Geroaude  du 
pĂšre  RĂ©my,  aprĂšs  quoi  les  gas  du  Berry  jouĂšrent  quelques  piĂšces 
devant  l'estrade. 

Alors  commença  le  «  concours  des  coiffes  ».  Il  consistait  en  ce 
qu'on  appela  sur  l'estrade  toutes  les  propriétaires  de  coiffes 
anciennes.  AprĂšs  d'incroyables  efforts  pour  se  frayer  un  passage, 
des  vieilles  et  des  jeunes,  des  grandes  et  des  petites  Berrichonnes 
Ă   bonnets  arrivĂšrent  devant  l'estrade  et  se  placĂšrent  sous  les 
yeux  du  jury  qui  adjugea  des  prix  aux  coiffes  les  plus  anciennes 
et  les  plus  typiques.  Ce  furent  d'abord  trois  antiques  bonnes 
vieilles  qui  les  reçurent,  puis  une  trÚs  jolie  et  trÚs  modeste  jeune 
fille,  et  enfin  une  adorable  enfant  aux  yeux  noirs  qui  charma  tout 
le  monde  par  son  petit  air  posé  et  plein  de  dignité. 


656  GEORGE   SAN'D 

Le  concours  des  chants  et  des  danses  devait  aussi  avoir  lieu 
immédiatement  aprÚs,  mais  il  était  si  tard  déjà,  tout  le  monde 
était  tellement  exténué  par  la  chaleur  et  l'écrasement  qu'on  les 
remit  au  soir. 

Les  gas  du  Berry  reformĂšrent  leurs  rangs,  attaquĂšrent  leur 
marche  traditionnelle,  les  petites-filles  de  George  Sand  —  leurs 
prĂ©sidentes  d'honneur  —  prirent  avec  gentillesse  les  bras  de 
deux  gas  du  premier  rang,  et  en  avant  !  aux  sons  des  gais  motifs 
berruyers,  nous  nous  dirigeĂąmes  tous  Ă   leur  suite,  par  les  petites 
rues  et  ruelles  de  La  ChĂątre,  vers  l'Ă©tablissement  de  M.  Descosses. 
Là.  les  gas  du  Berry  burent  un  verre  à  la  santé  de  leurs  présidentes 
et  les  remerciĂšrent  d'avoir  assistĂ©  Ă   la  fĂȘte.  Puis,  laissant 
Mme  SĂ©verine  Ă   La  ChĂątre,  parce  qu'elle  avait  consenti  Ă   prendre 
part  au  banquet  donné  par  les  notoriétés  de  la  ville,  nous  nous 
empressĂąmes  de  repartir  pour  Xohant,  afin  de  dĂźner  et  de  changer 
nos  fracs  et  nos  robes  d'apparat  pour  de  plus  simples  toilettes, 
mieux  appropriées  à  notre  excursion  du  soir.  C'est  alors  que 
nous  eûmes  tous  une  charmante  surprise  :  les  petites-filles  de 
George  Sand  descendirent  pour  dßner  déguisées  en  Berrichonnes  : 
robes  de  couleur  sombre  demi-courtes,  froncées  à  la  taille  et 
échancrées  en  carré,  tabliers  de  soie  à  bavette,  sombres  aussi, 
fichus  croisés  sur  la  poitrine  et  la  coiffe  traditionnelle  ;  Gabrielle 
en  portait  une  selon  la  mode  d'il  y  a  cinquante  ans,  et  Aurore 
en  portait  une  comme  on  en  portait  il  y  a  trente  ans  de  cela. 

Xous  voici  de  nouveau  sur  la  route  de  La  ChĂątre.  Il  fait  encore 
chaud,  mais  la  chaleur  semble  moins  Ă©touffante,  des  Ă©toiles 
s'allument  dans  le  ciel  sombre.  Au-dessus  de  La  ChĂątre,  on  voit 
une  pĂąle  lueur.  C'est  le  reflet  des  lanternes  :  toute  la  ville  est 
illuminée,  et  combien  c'est  gentil,  cette  illumination  !  Chacun  se 
donna  de  la  peine,  chacun  fait  ce  qu'il  peut,  l'ensemble  est  pit- 
toresque, sans  prétention,  c'est  simple,  spontané  et  grandiose, 
oui,  grandiose,  car  toutes  les  maisons  sont  illuminées.  Ici  on  a 
tendu  une  corde  au-dessus  de  la  rue,  et  au  milieu  on  a  suspendu 
une  Ă©norme  lanterne  en  papier  avec  les  mots  :  Honneur  Ă   George 
Satid.  LĂ ,  c'est  toute  une  arcade  rouge  en  lanternes  chinoises, 
suspendues  Ă   d'invisibles  fils  de  fer.  A  cĂŽtĂ©,  on  voit  une  fenĂȘtre 


GEORGE   SAND  657 

enguirlandée  de  petites  lanternes  confectionnées  à  la  maison; 
plus  loin,  on  a  simplement  placé  des  lampes  et  des  bougies  sur 
toutes  les  fenĂȘtres.  Voici  la  prĂ©fecture  inondĂ©e  de  lumiĂšres  Ă©lec- 
triques, tandis  que  notre  square  est  semé  de  centaines  de  petites 
lanternes  de  toutes  les  couleurs  ;  elles  sont  suspendues  aux 
branches  des  arbres,  elles  se  cachent  dans  les  buissons,  elles 
ornent  les  grilles  et  s'accrochent  aux  mĂąts  pavoises  ;  quant  Ă   la 
grande  place,  on  a  tendu  au-dessus  comme  une  tente  en  lignes  de 
feu,  en  lanternes  de  papier  jaunes,  rouges,  vertes  et  bleues  par- 
tant de  tous  les  cÎtés  et  venant  se  réunir  au  centre. 

Des  guignols  piaulent  ;  des  sirĂšnes  poussent  des  sons  stridents  ; 
les  gondoles  russes  volent  dans  les  airs  ;  sur  des  théùtres  ouverts 
des  pierrots  jouent  des  scĂšnes  quelconques  ;  partout  on  voit  des 
baraques,  des  tentes  dressĂ©es  oĂč  l'on  vend  des  pains  d'Ă©pice  et 
de  la  limonade  ;  un  orchestre  s'Ă©vertue  Ă   jouer  un  pot-pourri  de 
Faust,  un  autre,  à  cÎté,  cingle  mesurément  une  bourrée,  un 
troisiĂšme  tonne  la  Marche  de  Tannhauser;  on  entend  enfin  arriver 
de  pas  bien  loin  les  sons  connus  de  la  Marche  des  gas  du  Berry.  Et 
la  foule,  cette  foule  si  gaie  et  si  sensible,  comme  ne  le  sont  que 
les  foules  de  race  latine,  flue  et  reflue  comme  un  lac  balancé  par 
la  tempĂȘte.  On  nous  bouscule,  et  nous  bousculons  aussi.  Il  est 
Ă©vident  qu'au  bout  de  cinq  minutes  nous  nous  perdons  tous  de 
vue  dans  la  cohue,  et  voici  que  chacun  flĂąne  Ă   sa  guise,  tantĂŽt 
attiré  par  le  guignol,  tantÎt  par  les  gondoles,  jusqu'au  moment 
oĂč  les  sons  de  la  Marche  du  Berry  et  le  pas  cadencĂ©  de  la  foule  qui 
s'Ă©loigne  dans  une  direction  quelconque  nous  rassemble  tous 
vers  un  seul  et  mĂȘme  point.  Ce  sont  les  gas  du  Berry  qui  s'en  vont 
chez  Descosses  oĂč  les  concours  auront  lieu.  Nous  courons  aprĂšs 
eux,  nous  nous  écrasons  encore  une  fois  à  la  porte  d'entrée,  mais 
nous  parvenons  quand  mĂȘme  Ă   nous  frayer  un  passage  et  nous 
entrons  dans  une  grande  salle  basse.  M.  Descosses,  épouvanté, 
s'attendant  à  voir  démolir  tout  son  «  établissement  »,  déclare 
qu'il  ne  laissera  plus  entrer  personne  et  ordonne  de  fermer  les 
portes.  Ceux  qui  restent  dehors  n'ont  rien  d'autre  Ă   faire  qu'Ă   se 
presser  aux  fenĂȘtres  ouvertes. 

Les  musiciens  qui  se  massent  dans  un  coin  de  la  salle,  prĂšs 

iv.  42 


658  GEORGE  SAND 

d'une  table  et  dessus,  jouent  une  espĂšce  de  ritournelle  se  termi- 
nant par  une  longue  note  filĂ©e.  Les  «  cavaliers  »,  vĂȘtus  pour  la 
plupart  de  blouses  et  portant  des  foulards  ou  des  rubans  rouges 
autour  du  cou,  s'approchent  des  «  dames  »,  les  saluent,  leur  tendent 
la  main,  puis,  à  la  note  filée,  les  embrassent.  C'est  la  bigeade  tra- 
ditionnelle. Certaines  jeunes  villageoises  protestent,  mais  les 
vieilles,  et  il  y  en  a  pas  mal  qui  sont  venues  pour  prendre  part 
aux  danses,  se  déclarent  pour  le  vieil  usage  ;  les  cavaliers  aussi 
y  tiennent  ;  on  appelle  le  président,  M.  Augras,  et  il  laisse  infail- 
liblement entendre  que  tels  sont  les  vieux  us,  il  n'y  a  qu'Ă   s'y 
conformer.  Puis,  voici  que  les  premiÚres  mesures  de  la  bourrée, 
nettes  et  précises,  se  font  entendre.  La  bourrée  est  bien  certai- 
nement une  aĂŻeule  de  nos  contredanses  ;  on  la  danse  toujours  Ă  
deux,  soit  à  quatre  paires,  et  on  ne  voit  que  des  «  en  avant  en 
quatre  »  et  des  «  balancez  »  et  des  «  changez  vos  dames  »  et  des 
«  premiÚres  figures  ».  Lorsque  ce  sont  quatre  paires  qui  dansent, 
les  danseurs  exécutent  souvent  une  figure  que  nous  voyons  dans 
nos  grandes  mazurkas,  appelée  «  à  quatre  coins  »  :  les  dames 
passent  successivement,  parcourant  ainsi  les  quatre  coins  du 
carré,  d'un  cavalier  à  un  autre,  et  aprÚs  chaque  passage  les  quatre 
paires  changent  de  vis-Ă -vis.  D'autre  part,  la  maniĂšre  de  danser 
des  femmes  ressemble  beaucoup  Ă   celle  de  nos  jeunes  paysannes  : 
les  pieds  doivent  glisser  le  plus  imperceptiblement  possible;  le 
corps  reste  immobile  ;  les  bras  pendants  et  serrés  aux  hanches 
sont  aussi  immobiles  ;  les  physionomies  sévÚres  et  sérieuses  ;  les 
yeux  —  surtout  chez  les  jeunes  —  baissĂ©s.  Quant  aux  hommes, 
ils  tapent  du  talon,  se  dandinent,  exécutent  des  pas  et  des  soli 
de  cavaliers,  ressemblant  aussi  beaucoup  aux  soli  de  nos  coqs 
de  village  ;  mais  le  plus  drĂŽle  c'est  que  tout  le  temps,  du  bout 
des  doigts,  ils  relĂšvent  fort  gracieusement  leurs  longues  blouses 
des  deux  cÎtés,  tout  comme  autrefois  les  maßtres  de  danse 
faisaient  relever  leurs  robes  aux  jeunes  filles.  Chaque  bourrée 
dure  longtemps  ;  on  rĂ©pĂšte  Ă   satiĂ©tĂ©  les  mĂȘmes  figures.  A  la  fin 
revient  la  ritournelle  du  commencement  et  avec  elle  la  bigeade. 
On  remarqua  dÚs  le  début  parmi  les  danseuses  deux  petites 
vieilles  qui  glissaient  et  se  tournaient  avec  une  agilité  et  une  grùce 


GEORGE   SAND  659 

incomparables.  Bien  sûr  que  ç'avaient  été  de  fiÚres  danseuses  au 
temps  de  leur  jeunesse,  c'est  Ă   elles  qu'Ă©churent  les  deux  premiers 
prix.  Le  troisiÚme  fut  octroyé  à  une  ravissante  jeune  paysanne. 
Elle  n'était  pas  précisément  jolie,  mais  vraiment  adorable  avec 
sa  coiffe  blanche,  abritant  sa  pure  et  candide  figure  d'une  expres- 
sion sévÚre,  pensive  et  innocente.  Plusieurs  d'entre  nous  lui  trou- 
vaient une  ressemblance  avec  une  madone  pré-raphaëlite.  Je 
trouvai  que  c'était  Jeanne  personnifiée,  et  pendant  que  je  l'exa- 
minais, ce  type  créé  par  l'imagination  de  George  Sand,  une  ber- 
gĂšre sauvageonne,  plongĂ©e  dans  des  rĂȘveries  mi-conscientes, 
prit  soudain  à  mes  yeux  le  caractÚre  de  vérité  et  de  réalité.  Et 
les  Berrichons  cultivés,  tel  M.  Hugues  Lapaire,  m'assurÚrent 
qu'on  trouve  encore  beaucoup  de  jeunes  filles  de  ce  type  et  de  ce 
genre  en  Berry,  dans  des  coins  sauvages.  Ma  «  Jeanne  »  avait  à 
peine  seize  ans,  elle  Ă©tait  grande,  un  peu  fluette,  sa  taille  sem- 
blait encore  ne  pas  ĂȘtre  faite  ;  lorsqu'elle  dansait,  elle  baissait  ses 
grands  yeux  songeurs,  et  lorsque  venait  la  bigeade,  elle  devenait 
confuse,  non  pas  par  bienséance,  mais  trÚs  réellement,  et  se 
détournait  avec  mécontentement,  ne  laissant  embrasser  qu'un 
bout  de  sa  joue  hùlée. 

On  dansa  longtemps,  malgré  la  chaleur  tropicale  de  la  salle. 
Des  valses  succédÚrent  aux  bourrées,  puis  de  nouveau  des 
bourrées  aux  valses,  enfin  commença  le  «  concours  des  chan- 
teurs ».  D'abord  ils  se  rirent  longtemps  prier,  surtout  les  femmes, 
personne  ne  voulait  commencer.  Puis,  tout  le  monde  chanta, 
hommes  et  femmes,  jeunes  et  vieux,  jusqu'Ă   MM.  Augras  et 
Lapaire  qui  dirent  chacun  une  vieille  chanson.  Finalement  il 
fallut  mĂȘme  modĂ©rer  le  zĂšle  de  ceux  qui  voulaient  «  concourir  » 
avec  les  autres. 

Toutes  ces  chansons,  quoique  quelques-unes  d'entre  elles 
datent  de  plusieurs  siÚcles,  ne  sont  pas  précisément  ce  que  nous 
appelons  des  chansons  populaires.  Ce  sont  des  chansons  devenues 
populaires  ou  plutÎt  recueillies  et  gardées  par  le  peuple,  alors 
que  les  classes  supérieures  les  oublient.  Et  les  paroles,  et  la 
mélodie  portent  l'empreinte  trÚs  caractérisée  de  l'époque  des 
trois  derniers  Louis.  Les  mélodies  sont  tristes  et  sentimentales, 


66o  GEORGE   SAND 

avec  une  teinte  de  grùce  maniérée,  et  le  texte  parle  d'une  «  ber- 
gÚre gardant  ses  blancs  moutons  »,  et  rencontrant  un  «  beau 
cavalier  »  ou  «  un  berger  »  qui  lui  demande  un  baiser,  puis  l'oublie 
et  l'abandonne,  ou  qu'elle  oublie  elle-mĂȘme,  fort  lĂ©gĂšrement, 
dans  les  bras  de  Jeannot  ou  de  Colin.  TantĂŽt  c'est  elle  qui  se  plaint 
Ă   sa  mĂšre  de  l'infidĂšle  qui  brisa  son  «  pauvre  cƓur»  ;  tantĂŽt  c'est 
le  berger  qui  se  désole  parce  que  Xannette  l'a  oublié  pour  les 
riches  présents  de  quelque  beau  cavalier.  Le  texte  de  quelques- 
unes  de  ces  chansons  est  assez  grivois,  rappelant  de  banales 
chansonnettes  de  café-concert  contemporaines,  mais  les  paroles 
restent  sentimentalement  maniérées,  comme  les  poses  des 
bergers  de  Watteau,  et  la  musique  sentimentalement  mélanco- 
lique, comme  les  romances  du  siĂšcle  de  Mme  de  Pompadour  et 
de  Marie-Antoinette,  avec  leurs  couplets  répétés,  leurs  cadences 
finales  et  leurs  modulations  caractéristiques. 

La  distribution  des  prix  pour  les  chansons  les  plus  intéres- 
santes et  les  mieux  dites  et  une  bourrée  finale  à  laquelle  prirent 
part,  Ă   la  joie  unanime  de  tous  les  assistants,  les  petites- filles  de 
George  Sand,  terminĂšrent  les  fĂȘtes  en  son  honneur  Ă   La  ChĂątre. 
Le  lendemain,  devait  encore  avoir  lieu  une  conférence  sur  George 
Sand  au  théùtre  de  la  ville,  mais  je  voulais  garder  en  leur  entiÚre 
intégrité,  toutes  brillantes,  les  impressions  vraiment  berri- 
chonnes, emporter  avec  moi  des  souvenirs  d'un  caractĂšre  local 
et  non  pas  du  genre  de  tout  ce  que  l'on  voit  et  entend  dans 
toutes  sortes  de  fĂȘtes  commĂ©moratives  et  littĂ©raires.  Il  manqua 
donc  à  cette  conférence  un  auditeur  qui  passa  toute  cette  journée 
du  lendemain  dans  le  cabinet  de  travail  de  George  Sand  et  dans 
son  petit  bois  favori.  Le  soir,  il  quitta  la  chĂšre  grande  maison 
en  compagnie  de  tous  ceux  qui,  comme  lui,  vinrent  en  pĂšlerinage 
Ă   Nohant  pour  le  centiĂšme  anniversaire  de  George  Sand. 


APPENDICES 


LES  ÉDITIONS  DES.  ƒUVRES  COMPLÈTES 
ET   LA  CORRESPONDANCE  DE   GEORGE   SAND 

En  188Î-86  parut  la  Correspondance  de  George  Sand  en  six  volumes, 
publiĂ©e  par  son  fils.  Un  peu  auparavant,  en  cette  mĂȘme  annĂ©e,  parurent 
dans  la  Nouvelle  Revue  les  chapitres  de  son  roman  inachevé,  Albine, 
ouvrant  ainsi  la  sĂ©rie  de  ses  Ɠuvres  posthumes,  il  serait  plus  exact 
cependant  de  compter  comme  sa  premiùre  Ɠuvre  posthume- un  article 
sur  les  Mélanges  et  fragments  philosophiques  de  Kenan,  publié  dans  le 
Temps  le  16  juin  1876.  Si  on  ne  le  considÚre  pas  comme  «  posthume  », 
c'est  que  ce  fut  encore  Mme  Sand  qui  l'envoya  à  la  rédaction  du  journal. 

Toutes,  ou  presque  toutes  les  Ɠuvres  de  George  Sand  aprùs  leur 
premiÚre  publication  dans  les  revues,  paraissaient  en  volumes  séparés. 
H  existe  cinq  ou  six  Ă©ditions  plus  ou  moins  «  complĂštes  »  des  Ɠuvres  de 
George  Sand,  —  en  mettant  certes  à  part  toutes  les  contrefaçons,  belges 
et  autres,  trÚs  répandues  en  dehors  de  la  France,  malheureusement. 

La  premiÚre,  en  24  volumes  in-8°,  parut  entre  1836-1840  chez  Bon- 
naire  (avec  portrait  de  l'auteur  gravĂ©  par  Calamatta,  le  mĂȘme  qui  avait 
paru  dans  la  Revue  des  Deux  Mondes). 

En  1841,  Magen  y  avait  ajouté  un  vingt-cinquiÚme  volume  qui 
contenait  les  Mississipiens  et  Pauline.  ,  '} 

La  deuxiÚme,  éditée  en  16  volumes  in-16,  parut  chez  Perrotin 
entre  1842-1844,  elle  réapparut  en  1847  chez  Garnier.  llf/*. 

La  troisiÚme,  en  9  volumes  in-4°,  en  deux  colonnes,  avec  illustrations 
de  Maurice  Sand  et  Tony  Johannot,  parut  chez  Hetzel  entre  1851-56. 
Cette  Ă©dition  des  Ɠuvres  complĂštes  est  incomplĂšte.  Il  y  manque  des 
Ɠuvres  dĂ©jĂ   parues  dans  les  Ă©ditions  prĂ©cĂ©dentes,  telles  :  les  Lettres 
d'un  voyageur,  les  Sept  cordes  déjà  lyre,  les  Lettres  à  Marcie.  Elle  con-', 
tient  par  contre  des  préfaces  ßnÚmtes  nombreuses  écrites  par  George; 
Sand  pour  cette  Ă©dition. 

La  quatriÚme,  in-12,  commencée  par  Hetzel  et  Lecou  en  1852,  fut 
menée  par  ces  éditeurs  jusqu'au  volume  21,  puis  cédée  à  Michel  Lévy 
qui  la  continua  jusqu'au  volume  77  (sans  tomaison). 

La  cinquiÚme  et  derniÚre  édition  est  une  répétition  et  une  suite  de 


66a  GEORGE   SAND 

la  quatriÚme,  elle  est  continuée  par  Calmann  Lévy  jusqu'à  nos  jours 
et  sïmprime  sur  des  clichés  de  la  précédente.  Elle  contient  non  seule- 
ment toutes  les  Ɠuvres  de  George  Sand  publiĂ©es  dans  des  Ă©ditions  qui 
parurent  durant  sa  vie,  sans  en  excepter  celles  qui  manquaient  dans  la 
troisiĂšme  Ă©dition,  mais  encore  :  toutes  les  Ɠuvres  des  derniĂšres  annĂ©es, 
les  six  volumes  de  la  Correspondance,  le  volume  des  Lettres  de  George  Sand 
Ă   Sainte-Beuve,  la  Correspondance  avec  Flaubert  et  le  volume  posthume 
des  Souvenirs  et  idées  (mentionné  dans  les  vol.  III,  chap.  vi  et  le 
vol.  IV,  chap.  ix  et  xi).  A  ce  moment  cette  édition  présente  un  total 
de  111  volumes. 

En  1904,  ML  FĂ©lix  Decori  publia  la  Correspondance  complĂšte  entre 
George  Sand  et  Alfred  de  Musset,  que  tous  les  amis  de  Mme  Sand  et 
tous  les  admirateurs  de  son  talent  avaient  depuis  si  longtemps  impa- 
tiemment attendue. 

Mais  il  existe  encore  une  masse  énorme  de  lettres  inédites  de  George 
Sand.  Lina  Sand,  à  elle  seule,  a  copié,  classé  et  préparé  pour  l'im- 
pression la  Correspondance  inédije  de  George  Sand  de  1821  à  1876.  Une 
masse  de  lettres  se  trouve  encore  dans  la  collection  de  manuscrits 
du  vicomte  de  SpƓlberch  de  Lovenjoul,  lĂ©guĂ©e  par  lui  avec  toute  sa 
précieuse  bibliothÚque  à  l'Institut  de  France. 

De  plus,,  une  foule  de  lettres  de  George  Sand  est  disséminée  dans 
divers  journaux,  gazettes,  revues  et  livres. 

Nom  connaissons  Ă   peu  prĂšs  cinq  cents  de  ces  gazettes,  journaux, 
livres  et  revues,  oĂč  parurent  des  lettres  sĂ©parĂ©es  ou  des  sĂ©ries  de 
lettres  de  George  Sand,  qui  ne  furent  pas  réimprimées  et  ne  font  pas 
partie  de  sa  Correspondance  publiée. 

Il  est  inutile  de  dire  combien  il  serait  à  désirer  que  toute  la  corres- 
pondance de  George  Sand  fût  publiée  intégralement,  c'est-à-dire  : 
1°  qu'on  réimprimùt  sans  passages  tronqués,  sans  omission  et  change- 
ments pratiqués  et  sans  erreurs'  (volontaires  et  involontaires  des 
rédacteurs)  les  six  volumes  de  la  Correspondance  et  les  trois  volumes 
des  Lettres  Ă   Flaubert,  Ă   Musset  et  Ă   Sainte-Beuve. 

2°  Qu'on  réimprimùt  toutes  les  lettres  disséminées  dans  les  revues, 
journaux,  etc.,  etc. 

Et  enfin,  3°  que  la  Correspondance  inédite,  préparée  avec  tant  de  soin 
et  tant  de  peine  par  Lina  Sand,  vĂźt  enfin  le  jour. 

Nous  ne  disons  déjà  point  que,  depuis  que  la  collection  Lovenjoul 
est  ouverte  pour  les  travailleurs,  il  est  devenu  possible  de  compléter 
la  Correspondance  inédite,  préparée  par  Lina  Sand,  par  beaucoup  de 
lettres  séparées  et  de  séries  de  lettres  et  de  correspondances  entiÚres 
qui  lui  manquaient  encore  (et  dont  une  notable  partie  a  été  copiée  par 
nous  chez  le  vicomte  de  SpƓlberch,  à  Xohant  et  ailleurs). 


ICONOGRAPHIE  DE  GEORGE  SAND 

Sans  prétendre  à  dresser  une  iconographie  complÚte  de  George 
Sand,  notons  tous  ses  portraits  et  statues  que  nous  connaissons  : 

1)  Portrait  d'Aurore  Dupin  enfant,  par  Deschartres.  (Appartient 
Ă   M.  Raymond  LĂ©cuyer.) 

2)  Aurore  Dupin  enfant,  par  La  Michellerie  (pastel). 

3)  Aurore  Dudevant  aquarelle  par  Blaize,  reprĂ©sentant  G.  Sand  vĂȘtue 
et  coiffée  à  la'  mode  de  la  Restauration,  manches  à  gigot  et  cocardes 
de  cheveux  triples.  (A  Nohant.  Appartient  Ă   Mme  Lauth-Sand). 

4)  Portrait  au  crayon,  dessiné  par  Aurore  Dudevant  en  1831,  pour 
ĂȘtre  envoyĂ©  Ă   sa  mĂšre.  (Appartient  Ă   Mme  Georges  LĂ©cuyer.) 

5)  Portrait  à  l'huile  peint  en  1835  par  Delacroix,  représentant 
George  Sand  jusqu'Ă   mi-corps,  en  costume  masculin,  redingote  de 
velours,  cravate  lùche  et  cheveux  retombant  des  deux  cÎtés  de  la 
figure.  (Appartient  Ă   Mme  M.-L.  Pailleron.) 

6)  Gravure  de  Calamatta,  faite  d'aprÚs  le  portrait  précédent 
en  1836.  Il  existe  des  exemplaires  : 

a)  Avant  toute  lettre,  sur  grand  papier  de  Chine,  extrĂȘmement  rare. 

b)  Avant  la  lettre,  aussi  sur  papier  de  Chine,  avec  les  noms  Ă   la 
pointe  :  Disegnato  e  inciso  da  me  Calamatta,  Paris,  1836. 

c)  Les  épreuves  publiées  dans  le  volume  de  la  Revue  des  Deux  Mondes 
en  1836.  (4e  série,  t.  VII,  juillet  à  septembre.) 

d)  Les  mĂȘmes  Ă©preuves  publiĂ©es  en  tĂȘte  du  volume  d'Indiana, 
avec  la  lettre,  sur  papier  blanc,  trÚs  inférieures. 

«  Calamatta  inciso,  Paris,  1837.  —  George  Sand.  » 

7)  Portrait  au  crayon  dessiné  par  Calamatta  en  1837  représentant 
George  Sand  vĂȘtue  d'une  robe  Ă   amples  manches  grecques,  coiffĂ©e  de 
Dandeaux  plats,  avec  ferronniùre  et  nƓuds  de  rubans  couvrant  les 
oreilles. 

o)  Ce  portrait  fut  gravé  par  Calamatta  et  publié  en  1840  chez  Rit- 
terer  et  Goupil.  (Musée  Carnavalet.  Don  de  Mme  Lauth-Sand.) 

c)  Plus  tard,  il  fut  encore  publié  chez  Jourdan,  mais  avec  un  chan- 
gement :  les  nƓuds  de  la  coiffure  y  manquent. 

8)  Portrait  de  Delacroix,  que  le  comte  R.  de  Montesquiou  décrit 
ainsi  :  «  Un  bout  d'esquisse,  mais  à  quel  point  pénétrante  et  résurrec- 


664  GEORGE   SAND 

trice  de  Mme  Sand,  abritant  sous  un  chapeau  rond  d'amazone  au  voile 
de  gaze  deux  yeux  ardents  et  veloutés,  deux  charbons  cabochons 
d'un  jais  voluptueux  et  plein  de  flammes...  »  Fait  partie  de  la  collec- 
tion de  la  marquise  de  Ganay. 

9)  Une  pochade  du  mĂȘme  artiste. 

9  bis)  Portrait  par  Ary  SchefĂźer;  la  tĂȘte  seule,  les  yeux  demi- 
baisses. 

10)  La  série  de  caricatures  et  de  dessins  d'Alfred  de  Musset  repré- 
sentant George  Sand  sous  divers  aspects,  souvent  trĂšs  suggestifs. 
Quelques-uns  de  ces  dessins  furent  reproduits  dans  la  Correspondance 
de  George  Sand  et  de  Musset  (1904)  et  dans  plusieurs  ouvrages  traitant 
du  roman  de  Venise.  Ces  dessins  se  trouvent  dans  les  albums  ayant 
appartenu  :  1°  à  George  Sand,  actuellement  dans  la  collection  SpƓl- 
berch  de  Lovenjoul  à  Chantilly  ;  2°  à  Musset,  chez  sa  sƓur,  Mme  Lardin 
de  Musset. 

11)  Trois  portraits -caricatures  dessinés  par  Tony  Johannot,  pour  le 
livre  d'Ad.  Pictet  :  Une  course  Ă   Chamounix  1838,  titre,  p.  118 
et  156.  (Voir  notre  vol.  II,  chap.  xn.) 

12)  Une  autre,  dessinée  à  la  plume  sur  un  exemplaire  de  Valentine. 
12  bis)  Portrait  inachevé  à  l'huile,  par  Delacroix  (1838)  :  Mentionné 

dans  Delacroix  et  son  Ɠuvre  par  Adolphe  Moreau  (Paris,  1873),  sous 
ce  titre  :  «  Mme  George  Sand  et  Chopin.  »  La  toile  appartint  ensuite 
Ă   la  famille  Dutilleux,  qui  la  coupa  en  deux  :  Chopin  passa  aux 
mains  de  M.  Marmontel  qui  le  légua  au  Musée  du  Louvre  ;  G.  Sand 
passa  dans  la  Collection  Chéramy,  puis  fut  acquise  par  M.  Georges 
Viau  et  se  trouve  actuellement  Ă   Copenhague  aux  mains  de  M.  Hensen 
(Cf.  A.  de  Rothmaler.  Les  portraits  de  George  Sand  par  Delacroix, 
Gazette  des  Beaux-Arts,  juillet-août  1926,  p.  70-78.) 

13)  Portrait  Ă   l'huile  par  Charpentier  (1838)  ;  ce  portrait,  d'abord 
carré,  était  en  pied,  représentant  Mme  Sand  en  costume  espagnol, 
avec  une  touffe  de  fleurs  sur  l'oreille,  une  main  sur  la  hanche, 
l'autre,  ornée  de  bagues,  appuyée  sur  le  dos  d'une  chaise.  Il  avait 
appartenu  à  Solange  Clésinger  et  fut,  dit-on,  plus  tard,  pour  des  raisons 
d'ameublement,  coupé  en  ovale.  (Appartient  à  Mme  Lauth-Sand.) 

a)  Ce  portrait  a  été  gravé  par  Robinson  en  1843,  pour  l'édition 
d'Aubert  :  les  Femmes  de  George  Sand. 

b)  Il  en  existe  une  lithographie  trÚs  répandue,  par  Lassalle. 

c)  H  a  été  gravé  par  Rifßaut. 

d)  Et  enfin  Desmadryl,  pour  V Artiste,  l'a  agrandi  et  gravé  à  la 
maniĂšre  noire. 

14)  Caricature  de  Lorentz,  parue  dans  le  Charivari  en  1840,  dans  la 
série  :  «  Miroir  drolatique.  » 

15)  Un  autre  portrait  par  Charpentier,  représentant  Mme  Sand 


GEORGE   SAND  665 

vĂȘtue  d'une  robe  Ă   chemisette  blanche.  La  tĂȘte  seulement.  Ovale. 
(Musée  du  Louvre.  Legs  Joseph  Reinach,  1921,  n°  3068.) 

16)  Portrait  à  l'huile  par  Eug.  Isabey,  vers  1840,  représentant 
Mme  Sand  en  une  élégante  robe  de  soie  noire,  avec  une  cravate  bleue 
et  un  fouillis  de  dentelles  autour  du  cou.  (Nous  en  avons  donné  une 
reproduction  dans  notre  volume  III.  ) 

Avait  été  à  Bruxelles  chez  le  baron  Lambert  de  Rothschild,  appar- 
tient actuellement  Ă   M.  Jean  Stern,  Ă   Paris. 

17)  Portrait  au  crayon  par  Thomas  Couture,  dessiné  en  1844. 
L'original  se  trouve  au  Musée  Carnavalet. 

17  bis)  Alexandre  Manceau  en  a  donné  une  admirable  gravure 
en  1850.  C'est  peut-ĂȘtre  le  plus  beau  portrait  de  George  Sand  et  le 
plus  connu. 

18)  Portrait  Ă   l'huile  par  Alliod,  peint  en  1848. 

19)  Petit  portrait-croquis  par  Maurice  Sand  (en  pied),  1858. 

20)  Portrait  au  crayon  dessiné  par  Le  Faivre,  à  Nohant,  en  1859. 

21)  Portrait  au  crayon  dessiné  par  Maurice  Sand.  Mme  Sand  a  des 
fleurs  dans  les  cheveux  et  sa  toilette  est  trÚs  recherchée. 

22)  Portrait  au  crayon  dessiné  par  Charles  Marchai  en  1861  à 
Nohant.  Il  en  existe  une  photographie  faite  par  Bingham  en  1862. 

23)  Une  série  d'aquarelles  et  de  dessins  de  Maurice  Sand  dans  ses 
deux  albums  le  Théùtre  de  Nohant,  et  un  troisiÚme  album  consacré  à 
Ă©terniser  les  hĂŽtes  de  Nohant,  des  scĂšnes  de  la  vie  du  chĂąteau,  des 
incidents  notables,  etc.,  etc.  Renferment  plusieurs  portraits  de  George 
Sand,  costumée  pour  la  scÚne. 

24)  Un  éventail  dessiné  par  Charpentier  en  1838  et  représentant 
«  le  salon  de  George  Sand  »,  —  une  collection  de  croquis  de*  Mme  Sand, 
de  ses  enfants  et  de  ses  amis  d'alors. 

Un  dessin  de  Maurice  Sand  dans  l'album  ci-dessus  nommé,  est  une 
copie-charge  de  cette  peinture  ;  il  porte  la  légende  :  Salon  de  George 
Sand,  1838.  Pour  plus  de  détails,  voir  V éventail  de  Charpentier...  »  Or, 
cet  éventail  a  figuré  à  l'Exposition  du  centenaire  de  George  Sand,  à 
l'OdĂ©on,  en  1904,  en  qualitĂ©  d'une  peinture  de  George  Sand  elle-mĂȘme. 
C'est  une  erreur. 

24  Us)  Un  dessin  de  Grandsire  :  George  Sand  Ă   Gargilesse,  en 
pied,  chapeau  Ă   voile  sur  la  tĂȘte.  Croquis  d'aprĂšs  nature  vers  1860. 

Un  autre  dessin  du  mĂȘme  reprĂ©sente  un  dĂ©jeuner  sur  l'herbe  au 
bord  de  la  riviĂšre,  vers  1860. 

25)  Caricatures  et  charges  par  Gavarni,  Lorentz,  etc.,  parues  en  1844, 
1848  et  1854  dans  le  Panthéon-charge,  le  Grand  chemin  de  la  postérité, 
le  Charivari,  la  Chambre  drolatique,  et  autres. 

26)  Portrait  aux  trois  crayons,  dessiné  d'aprÚs  nature  par  Boilly, 
en  1835.  Représente  Mme  Sand  à  mi-corps,  assise  de  trois  quarts,  face 


666  GEORGE   SAND 

à  droite,  en  une  robe  à  dessins,  une  croix  attachée  par  un  velours  au 
cou,  cheveux  courts,  la  main  au  menton,  l'air  étonné.  (Appartient  à 
M.  Joseph  Thibault.)  Ce  portrait  a  été  gravé  (face  à  gauche)  par 
Montferrand,  lithographie  Thierry  frĂšres. 

27)  Portrait  lithographie  par  Jean  Gigoux.  Imprimerie  Lemercier, 
BĂ©nard  et  Cie.  ReprĂ©sente  Mme  Sand  vĂȘtue  d'une  robe  Ă   corsage 
échancré.  garni  de  boutons,  à  manches  étroites  :  la  main  sur  la  hanche. 

28)  Le  portrait  de  Charpentier,  gravé  par  Henriot  et  lithographie. 
(La  tĂȘte  du  portrait  de  Charpentier  seulement,  tournĂ©e  en  sens 

ir  verse,  les  fleurs  se  trouvant  Ă   gauche  du  spectateur.) 

29)  Lithographie  par  Ate  Legrand,  édité  par  Auguste  Bry  avec  un 
fac-similé  de  George  Sand  au  bas. 

(George  Sand  porte  un  corsage  à  triple  rangée  de  boutons,  collerette 
noire,  broche,  cheveux  courts.) 

[Îs.-B.  Tous  les  portraits  Ă   cheveux  courts  doivent  dater  des  annĂ©es 
1834-1838.] 

30)  Le  mĂȘme  portrait  par  GrĂ©goire  et  Deneux. 

31)  Il  faut  citer  également  une  série  de  portraits  imités  de  Legrand 
et  de  Calamatta  (celui  de  1837),  par  exemple  les  portraits  publiés 
dans  le  Journal  des  femmes  de  1842  et  dans  El  Correo  de  Ultramar 
en  1843.  Ces  portraits  empruntent  la  coiffure  Ă   Calamatta  et  certains 
détails  de  costume  à  Legrand,  ou  encore  à  Charpentier. 

32)  Lithographie  d'aprÚs  un  dessin  de  Gerlier,  imprimé  par  Ed.  Rigo. 
(Costume  masculin,  cravate  nouée  comme  dans  le  portrait  par  Dela- 
croix, de  1836  ;  les  bras  croisés.) 

33)  Portrait  dessiné  et  gravé  par  Gervais,  paru  dans  la  Galerie  des 
contemporains. 

34)  Lithographie  par  Gillot,  d'aprÚs  le  dessin  de  A.  Collette.  (Repré- 
sente George  Sand  vĂȘtue  d'une  robe  Ă   corsage  serrĂ©,  manches  larges. 
La  tĂȘte  et  la  coiffure  d'aprĂšs  Couture.) 

35)  Portrait  gravé  par  J.  Ballin. 

(George  Sand  porte  une  collerette,  une  croix  au  cou,  une  ferronniĂšre 
au  front,  type  Couture.) 

36)  Portrait  lithographie,  dessiné  par  Gilbert. 

37)  Portrait  lithographie,  dessiné  par  Bocourt  d'aprÚs  Richebourg 
(photographe  Ă   Toulouse). 

38)  Lithographie  de  1840,  imprimée  par  Bineteau  (Galerie  des  con- 
temporains illustres),  reprĂ©sentant  George  Sand  la  tĂȘte  tournĂ©e  Ă  
droite,  cheveux  courts,  fichu,  petit  collier  au  cou,  corsage  serré,  cein- 
ture avec  une  boucle. 

39)  Portrait-miniature,  représentant  George  Sand  en  un  élégant 
costume  masculin  (mi-corps),  reproduit  dans  Vlllastrazione  Italiana 
du  28  mai  1905  et  décrit  par  M.  David-Henry  Prior. 


GEORGE   SAND  667 

40)  Une  lithographie  de  Pol  Justus  d'aprÚs  le  médaillon  de  Mercier. 

41)  Lithographie  par  Julien,  publiée  dans  le  Voleur  (1838). 

42)  Une  petite  photographie  faite  Ă   ChĂąteauroux,  par  Verdot, 
en  1875,  trĂšs  curieuse  et  trĂšs  peu  connue.  Mme  Sand  a  l'air  d'une  gou- 
vernante vieille  fille,  on  dirait  le  portrait  de  l'institutrice  par  la  bouche 
de  laquelle  l'auteur  raconte  la  Confession  d'une  jeune  fille. 

43)  Une  photographie  de  Nadar,  représentant  Mme  Sand  en  pied, 
une  ombrelle  ouverte  Ă   la  main. 

44)  Une  photographie  rarissime  représentant  George  Sand  avec 
une  grande  perruque  bouclée  Louis  XIV  et  un  manteau  de  velours 
drapé  sur  les  épaules.  Appartient  à  M.  Henri  Amie.  Nous  ne  savons 
pas  s'il  existe  d'autres  exemplaires  de  cette  photographie. 

45)  Le  portrait  photographié  trÚs  connu  de  Nadar,  représentant 
Mme  Sand  coiffĂ©e  de  larges  bandeaux  ondulĂ©s  et  vĂȘtue  d'une  large  robe 
rayée,  selon  l'horrible  mode  de  1864.  Il  fut  reproduit  dans  divers  pé- 
riodiques, notamment  dans  V Illustration  de  cette  année. 

46)  Une  photographie  moins  connue,  faite  par  Nadar  Ă   la  mĂȘme 
époque.  Mme  Sand  porte  une  élégante  robe  de  moire,  à  corsage  col- 
lant, garni  de  passementeries.  La  coiffure  est  la  mĂȘme  que  dans  le 
portrait  précédent. 

47)  Une  photographie  de  Nadar  tout  à  fait  peu  connue  représen- 
tant Mme  Sand  trĂšs  vieille,  bouffie  et  trĂšs  laide  ;  mise  d'une  maniĂšre 
épouvantablement  vulgaire,  elle  est  assise  accoudée  à  une  table. 

48)  Une  photographie  de  Richebourg,  Ă   Toulouse. 

49)  Ulric  Richard-Desaix  indique  une  autre  photographie  par  ce 
mĂȘme  Richebourg,  d'aprĂšs  Louis  Romain,  de  1862,  et  une  lithographie 
de  Chalaniel  de  1840,  que  nous  ne  connaissons  pas. 

50)  Portrait  de  profil,  au  crayon,  par  Félicien  Rops,  croquis  exé- 
cuté d'aprÚs  nature,  le  7  février  1866,  à  Paris,  au  dos  d'un  programme 
du  Quatuor  Armingaud.  Ce  croquis  a  été  reproduit  dans  le  Bulletin 
de  la  vie  artistique,  15  mars  1924,  p.  125.  Paris,  Bernheim  jeune,  in-8°. 
(Appartient  Ă   Mme  Rorcourt,  Ă   Bruxelles.) 


En  fait  de  statues  de  George  Sand  nous  ne  connaissons  que 
celles-ci  : 

1)  MĂ©daillon,  par  Mercier. 

2)  Petit  buste  en  terre  cuite,  par  Pollet. 

3)  MĂ©daillon  par  David  d'Angers  (1833).  Un  exemplaire  en  bronze 
avait  appartenu  à  Mme  Sand.  H  fut  reproduit  d'aprÚs  le  procédé 
Colas  en  1838  et  lithographie  par  Marc  en  1856  pour  la  collection  des 
Ɠuvres  de  David  d'Angers. 


668  '  GEORGE   SAND 

4)  Buste  en  marbre,  par  Clésinger  (1847).  Il  est  à  Nohant  et  avait 
appartenu  à  Gabrielle  Sand.  Un  exemplaire  en  plùtre  fut  acheté  par 
le  Louvre  le  26  février  1923  à  la  vente  Clésinger  (n°  53). 

5)  Statue  par  le  mĂȘme  artiste,  reprĂ©sentant  la  LittĂ©rature  sous  les 
traits  de  Mme  Sand,  vĂȘtue  du  costume  classique  et  pieds  nus.  Elle 
avait  appartenu  Ă   Emile  de  Girardin  ;  elle  orne  maintenant  le  vesti- 
bule de  la  Comédie-Française. 

6)  Buste  par  CanĂŻer-Belleuse  ;  autrefois  ce  buste  se  trouvait  au 
foyer  de  l'Odéon,  il  se  trouve  à  présent  au  musée  de  Versailles. 

7)  Buste  en  terre  cuite  par  Aimé  Millet,  qui  se  trouve  actuellement 
à  l'Odéon. 

Buste  en  terre  cuite  par  Leroux  (Salon  de  1879).  Offert  en  1882 
par  Talien,  artiste  dramatique,  au  Musée  de  Chùteauroux. 

8)  Statue  en  marbre,  par  Aimé  Millet  (inaugurée  à  La  Chùtre  'le 
10  août  1884). 

9)  Statue  sur  l'HĂŽtel  de  Ville  de  Paris,  pavillon  S.  0.  (sur  le  quai), 
façade  en  retour,  rez-de-chaussée.  Statue  de  deux  mÚtres,  en  pierre, 
par  Bourgeois. 

10)  Statue  par  Sicard,  érigée  en  1904  au  Jardin  du  Luxembourg,  à 
Paris. 


\1 


BIBLIOGRAPHIE  («) 


A.  1)  Jean  Valreg  et  la  jeunesse  fran- 
çaise. —  2)  A  propos  de  Daniella. 
—  3)  Martre  Favilla.  —  4)  Lucie, 
piùce  de  George  Sand.  —  5)  Comme 
il  vous  plaira,  par  George  Sand.  — 
6)  A  propos  du  livre  de  Skalkovsky 
surles  femmes  Ă©crivains  (Oletchest- 
vennya  Zapiski,  1855,  1856,  t.  V, 
mai  1857,  1865,  en  russe). 

ACADEMY  {THE).  Vol.  II,  April 

1871,  p.  193.  Literary  Notes  on 
George  Sand' s  Journal  d'un  voya- 
geur pendant  la  guerre. 

ACADEMY  (THE).  Vol.  III,  March 

1872,  n°  43.  The  Proverb  of  George 
Sand  (Reine  des  Deux  Mondes, 
of  the  15  February). 

ACADEMY  (THE).  Vol  XV.  April 
12, 1879,  p.  322.  On  George  Sand's 
Homme  de  Neige  (f  rom  the  Swedish 
Journal  Upsala). 

A.  D.  Article  sur  George  Sand  (avec 
portrait)  dans  la  Galerie  de  la 
Presse,  de  la  Littérature  et  des 
Beaux-Arts,  rédigée  par  Charles 
Philipon  et  Louis  Huart.  Pre- 
miÚre série,  sixiÚme  livraison. 
Paris,  1839. 

Adam  (Juliette  Lamber,  Mme  Ed- 
mond). MĂ©moires  des  hommes  du 
temps  présent.  (Figaro,  10  sept. 
1893.) 


Adam  (Juliette  Lamber,  Mme  Ed- 
mond). 1)  Mes  premiĂšres  armes 
littéraires  et  politiques.  Paris,  Le- 
merre,  1904,  in-12.  —  2)  Mes 
sentiments  et  nos  idées  avant  1870. 
Paris,  Lemerre,  1905,  in-12. 

Aderer  (Adolphe).  1)  Souvenirs 
inédits  de  Chopin.  (Le  Temps, 
ThĂ©Ăątres,  28  janvier  1903.)  — 
2)  George  Sand  et  Marie  Dorval. 
(Le  Temps,  Théùtres,  19  et  21  fé- 
vrier 1903.) 

Ageorges  (Joseph).  1)  George  Sand 
paysan.  Paris,  Picard,  1908.  — 
2)  V Enclos  de  George  Sand.  Paris, 
Bernard  Grasset,  1910. 

Albert  (Paul).  La  Littérature  fran- 
çaise au  dix-neuviÚme  siÚcle.  Paris, 
Hachette  et  Cle,  1885. 

Allart  (Mme  Hortense).  Lettres 
inédites  à  Sainte-Beuve  (1841- 
1848),  avec  une  introduction  et 
des  notes  par  Léon  Séché.  Por- 
trait et  autographe.  Paris,  Mer- 
cure de  France,  1908,  in-8°. 

ALMANACH  POPULAIRE  DE 
LA  FRANCE  POUR  1849. 

AMATEUR  D'AUTOGRAPHES 
(V).  Revue  rétrospective  et  con- 
temporaine, 15  janvier  1900.  p.  15- 
16.  (Lettre  de  George  Sand  sur  la 
tolérance  religieuse.) 


(1)  Les  articles  anonymes  ont  été  placés  dans  l'ordre  alphabétique  des  périodiques 
dans  lesquels  ils  ont  paru. 

669 


670 


GEORGE   SAXD 


Amic  (Henri).  1)  George  S  and.  Mes 
souvenirs.  Paris,  Calrnann  LĂ©vy, 
1893.  —  2)  La  DĂ©fense  de  George 
Sand.(LeFigaro,2novembrel8dQ) 
('avec  fragments  de  lettres  de 
George  Sand  à  Emile  Regnault).  — 

3)  Préface  de  la  Correspondance 
de  George  Sand  et  de  Flaubert. 
Paris,   Calrnann  LĂ©vy,  1904.   — 

4)  Une  grande  passion  d'un  grand 
Ă©crivain,  par  Charles  Cornuault. 
Préface  de  M.  Henri  Amie.  Aix- 
en-Provence.  Aux  Éditions  de  la 
Victoire. 

Amic  (Henri)  et  Lecomte  du 
Nouy  (Mme).  5)  Jours  passés. 
Paris,    Calrnann  LĂ©vy,  1904. 

Amic  (Henri)  et  Lecomte  du 
Nouy  (Mme).  6)  En  regardant 
passer  la  vie.  Paris,  Calrnann  LĂ©  w. 
1905. 

Amiel  (Henri-Frédéric).  Fragments 
d'un  journal  intime  précédés  d'une 
Ă©tude  par  Edmond  Scherer.  7e Ă©di- 
tion, GenĂšve,  1897. 

Ancona  (Al.  d').  Per  le  nozze  de 
Mlle  Dejob.  Pisa,  Mariotti,  1901. 

Axdrieu  (Jules).  Mme  Sand  et  les 
Dudevant.  {L'Echo  de  Gascogne, 
20  octobre  1899.) 

Anglais  (Un)  a  Paris.  Notes  et 
souvenirs.  Paris,  Plon-Nourrit  et 
Cle,  1894.  2  vol.  :  I.  (1835-1848)  ; 
IL  (1848-1871). 

ANNALES  POLITIQUES  ET  LIT- 
TÉRAIRES,  26   juin   1904. 

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ibidem,  les  n03  des  12  et  14  août 
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tice biographique  par  Mme  Laure 
Surville.  Calrnann  Lévy ,  1882, in-8°. 
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George  Sand  —  A  RĂ©cognition. 
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Benoist  (M.  E.).  (ƒuvres  de  Virgile, 
texte  latin  publié  d'aprÚs  les  tra- 
vaux les  plus  récents  de  la  phi- 
lologie avec  un  commentaire  cri- 
tique et  explicatif  par).  [Une  page 
sur  G.  Sand.] 

Benson  (E.).  a)  George  Sand  and 
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—  b)  Mu  private  grief  against 
George  Sand  (The  Galaxy,  1874, 
XVII). 

Bentzon  (Mme  Th.).  1)  Notable 
Women  :  George  Sand  with  letters 
and  personal  recollections  (and 
portrait).  (TheCeniury,  Illustrated 
Monthly  Magazine,  January,  1894). 

—  2)  Une  correspondance  inĂ©dite 
(Ă   propos  du  centenaire  de  George 
Sand).  (Sup.  du  Journal  desDĂ©lats, 
1"  juillet  1904.) 


C'7- 


GEORGE   SAND 


BĂ©ranger.  Correspondance  recueillie 
par  Paul  Boiteau.  4  vol.  Paris, 
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14  juin  1904.) 

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et  la  comtesse  Belgiojoso.  (Le  Moni- 
teur, 15  janvier  1881.) 

Bernard  (Charles  de).  Nouvelles 
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Bernardin  (X.  M.).  George  Sand. 
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du  centenaire.  (Revue  des  Cours  et 
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Berr  (Emile).  Article  dans  Le  Figaro 
du  16  décembre  1896. 

Bessonet-Favre  (Mme).  Les  MOI 
multiples  de  Geo  ge  Sand.  Docu- 
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mentés. (La  Revue,  15  juillet  1908.) 

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1895,    in-8°,    464    pages. 

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d'Amsterdam.  Catalogue  de  la 
collection  Diederichs.  3  lettres  de 
George  Sand. 

BIBLIOTHÈQUE  DE  LA  LEC- 
TURE [revue  russe].  Vol.  I, 
sect.  II,  p.  76.  (Indiana,  Yalenline, 
DĂ©lia.)  Vol.  II,  sect.  VII,  p.  83. 
[G.  Sand  prétendu  collaborateur 
du  Journal  des  femmes.]  Vol.  III, 
sect.  VII,  p.  123.  (Valentine,  mélo- 
drame en  cinq  actes,  par  MM.  Guil- 
bert  de  Pixérécourt  et  Francis,  tiré  du 
roman  de  G.  Sand.  [Diatribe  contre 
l'immoralité  de  G.  Sand.]  P.  129 
[diatribe  contre  la  R.  d,  d.  M.  et 


G.  Sand].  Vol  IV,  sect.  VII,  p.  48, 
(Secrétaire  intime  et  Lélia).  Vol.  VI. 
sect.  VII,  p.  75.  (Jacques.)  Vol.  VII, 
sect.  VII,  pp.  64-69.  [L'article 
de  Granier  de  Cassagnac  sur 
Jacques.]  vol.  VIII,  sect.  VIII, 
p.  48.  Vol.  IX,  sect.  VIL  p.  42. 
[G.  Sand  et  Gustave  Planche.] 
P.  15.  (La  Marquise,  opéra  de 
Saint-George,  musique  de  Adam.) 
p.  127  (André).  Vol.  XVII,  sect. 
VIII,  p.  6-10.  [Xotice  sur  la  vie  de 
G.  Sand.]  p.  24  [Pierre  Arnaud, 
imitateur  de  G.  Sand].  Vol.  XXI, 
sect.  VI,  p.  16.  [Sur  la  traduction 
en  russe  du  Secrétaire  intime.] 
Vol  XXII,  sect.  VII,  p.  105. 
(Leone  Léoni  arrangé  pour  le 
théùtre  par  Hab'vy,  tiré  du  roman  de 
Mme  (TU devant  [sic].)  VoL  XXX, 
sect.  VII,  p.  44.  [George  Sand  et 
Alex.  Dumas.]  Vol.  LIX,  1843. 
George  Sand-Madame  Dudexant 
[traduction  de  l'article  de  Lcménie 
de  la  Galerie  des  contemporains 
illustres  par  un  homme  de  rien,  et 
références  sur  le  Compagnon  du 
Tour  de  France,  Consuelo,  Spiri- 
dion,  Un  hiver  au  Midi  et  Co- 
sima]. 

BIBLIOTHÈQUE-  UNIVER- 
SELLE DE  GENÈVE,  1837. 
Encore  LĂ©lia. 

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de  George  Sand.  (Le  Soleil,  3  juil- 
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dem  XIX  Jahrhundert.  2.  Au- 
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3)  George  Sand  und  Alfred  de 
Musset.  (Conférence  faite  à  Saint- 
Pétersbourg  et  publiée  dans  le 
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de  Lovenjoul.  (Le  Temps,  4  no- 
vembre 1896.)  —  2)  Article  sur 
Gabrielle  Sand.  (Annales  poli- 
tiques et  littéraires,  iS  juillet  1904.) 
—  3)  Portraits  intimes. 

Brunetiùre  (F.).  1)  Balzac.  —  2)  Le 
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littérature.  (Revue  des  Deux  Mondes, 
15  octobre  1882.)  —  3)  Histoire  et 
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LĂ©vy.  —  4)  Questions  de  critique. 
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Alfred  de  Musset,  (Intermédiaire  des 
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roman  vécu  à  trois  personnages, 
Alfred  de  Musset,  George  Sand, 
Pagello.  (Revue  hebdomadaire, 
l«r  aoĂ»t  1896.)  —  3)  Une  visite 
au  docteur  Pagello.  La  DĂ©claration 
d'amour  de  George  Sand.  (Revue 


hebdomadaire,  24  octobre  1896.)  — 
4)  Elle  et  Lui,  leur  carrespondance. 
Une  enquĂȘte.  (Suppl.  littĂ©raire  Ă  
L'Indépendance  belge,  8  décembre 
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volume  le  RĂ©alisme  paru  chez 
Michel  LĂ©vy  en  1857,  sous  le 
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cription de  la  collection  d'auto- 
graphes   et    d'estampes    appar- 


tenant au  baron  de  Trémont,  une 
notice  de  ce  dernier  sur  George 
Sand,  des  vers  par  M.  de  Jouy 
sur  George  Sand  et  un  billet  de 
la  romanciĂšre   Ă   Buloz.] 

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George  Sand,  BĂ©ranger,  O. 
Barrot,  Louis  Blanc,  Le  National 
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2)  Revue  théùtrale  (sur  la  biographie 
d'Alfred  de  Musset,  par  Paul 
de  Musset,  comparée  à  celle  de 
Paul  Lindau).  (La  Presse,  16  avril 
1877.)  —  3)  La  Vie  à  Paris  (Cor- 
respondance Sand-Musset.)  (Le 
Temps,  11  janvier  1881  et  L'Echo 
du  Parlement,  15  janvier  1881.)  — 
4)  Le  Mariage  de  CUsinger.  (Le 
Figaro,  8  janvier  1883.)  —  5)  Ar- 
ticle (dans  le  numéro  du  Temps 
du  21  fĂ©vrier  1895).  —  6)  La  Vie 
Ă   Paris  (article  contenant  un 
triolet  de  Valade  sur  la  mort  de 
Mme  Sand).  (Le  Temps,  11  mars 
1904.  )— 7)  Mm*,  Dorval.(Le  Temps, 
1er   avril   1904.) 


676 


GEORGE   SAND 


Claretie  (Jules).  8)  Centenaire  de 
George  Sand.  {Le  Temps,  13  mai 
1904.)  —  9)  La  Vie  à  Paris  (Cen- 
ienaire  de  George  Sand.)  (Le  Temps, 
1«  juillet  1904.)  10)  (Discours 
prononcé  lors  de  l'inauguration 
de  la  statue  de  George  Sand  dans 
le  jardin  du  Luxembourg  le  1er  juil- 
let 1904).  (Le  Petit  Temps,  2  juil- 
let 1904.)  —  11)  Feuilleton  [con- 
tenant deux  lettres  inédites  de 
George  Sand  Ă   Michiels  et  au  peintre 
Lorentz  et  une  lettre  d'EugĂšne 
Pelletan].  (Le  Temps,  18  avril 
1909.)  —  12)  Wormes.  [Collection 
de  lettres  léguées  par  Charles- 
Edmond,  une  lettre  de  Mme  Pasca, 
de  Russie,  Ă   George  Sand.]  (An- 
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bozzetti,  produzioni  drammatiche, 
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1882.  (Vol.  I,  p.  155-188.)  — 
2)  Nohant,  tocchi  pittoreschi.  Tre- 
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Victor  Hugo,  Ledni-Rollin,  le 
baron  Haussmann,  Louis  Blanc, 
Sainte-Beuve.  Mazzini,  George 
Sand,  Garibaldi,  Em.  Ollivier, 
F.  de  Lesseps,  Canrobert,  Pie  IX, 
Barbes,  Em.  de  Girardin,  Prim, 
Bismark.  L'article  sur  G.  Sand 
est  orné  de  son  portrait  par  Gil- 
bert, gravé  par  J.  Robert.  V.  p.  73- 
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[Ces  articles  contiennent  des  lettres 
et  des  fragments  de  lettres  de  G. 
Sand  Ă   E.  Regnault,  Louis  Ul- 
bach  et  Ed.  Plauchut  et  sont  ornés 
du  portrait  de  G.  Sand  par  Cala- 
matta,  des  vues  du  salon  de 
Nohant  et  du  tombeau  de  George 
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Paul-Gabriel,  vicomte  de  Clé- 
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Wolff.  Breslau.  Schottlaender,  1893 
—  3)  Brieje  von  Heinrich  Heine 
herausgegeben  von  Strodtmann. 

Heine  (Heinrich  und  Gustav).  Ein 
Brief  an  Heinrich  Heine  datiert 
aus  Wien  den  28  August  1855  und 
Ein  Brief  von  Heinrich  an  Gustav 
Heine  datiert  :  Pans  August,  1855. 
(Fremdenblatt,  29  August  1855.) 

Heine  (Maximilian).  Erinnerungen 
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2)  Lettres  Ă   un  jeune  homme. 
(Nouvelle  Revue,  1er  octobre  1908.) 

Herwegh  (Georg)  (Briefe  von  und 
an).  Miinchen.  Albert  Lanzen, 
1898. 

Herzen  (Alexandre).  1)  ƒuv)-es 
complùtes.  Genùve,  1875.  —  2)  Jour- 
nal intime.  —  3)  Lettres. 

Heylli  (Georges  d').  [Edmond 
Poinsot.]  1)  A  propos  de  la 
publication  des  lettres  de  George 
Sand.  (Gazette  anecdotique,  15  jan- 
vier 1881.)  —  2)  Lettres  inĂ©dites 
de  George  Sand  Ă   M.  et  Mme  Bas- 
eans.  Brochure  autographiée  tirée 
à  12  exemplaires,  1881.  —  3)  La 
Fille  de  George  Sand.  Lettres 
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Paris,  1900.  Petit  m-8°  tiré  à 
200  exemplaires  et  non  mis  dans 
le  commerce,  orné  de  deux  por- 
traits (de  Mme  Bascans  et  de  sa 
fille,  Mme  Edmond  Poinsot)  gravés 
par  Lalauze. 

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George  Sand  et  sur  Françoise. 
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M.  de  Persigny.] 

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1)  George  Sand  dans  la  Creuse.  — 
(10  octobre  1895,  Ă©dition  du  soir.) 
—  2)  Correspondance  d'Ă©crivains  : 
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DE  UINDRE.  FĂȘte  en  l'honneur 
de  George  Sand,  16  et  17  sep- 
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février,  mars,  avril,  mai-juiu, 
1er  août,  15  septembre.  [Le  numéro 
de  janvier  contient  une  préface 
par  M.  Karlowicz.]  —  3)  Le  Temps, 
10  mars  1903  (des  extraits  des 
articles  précédents). 

Karlowicz  (Mieczyslaw)  [en  polo- 
nais]. 4)  Niewydane  dotychezas 
Pamiatki  po  Chapienie  Listy  Cho- 
pina  do  radziny  i  radziny  do  niego. 
Listy  pani  Sand  i  jej  corki,  Listy 
Wodzinskich.  Listy  uczenic  i  zna- 
jomych  Chopina.  Korrespondencja 
panny  Sterling.  Rozmaitosci.  Wars- 
zawa,  1904.  Wydawnictwo  sekcji 
Imenia  Chopina  przy  Warszaws- 
kiem    towarzystwie    Muzycznem. 

—  5)  La  traduction  française  de 
cet  ouvrage  sous  le  titre  de  Sou- 
venirs inédits  de  Frédéric  Chopin. 
(Paris,  Leipzig,  1904.)  [porte  sur 
la  couverture  une  Note  disant  qu'on 
avait  enlevé  à  l'édition  française 
les  douze  lettres  de  George  Sand, 
ainsi  que  cinq  lettres  de  Solange 
Clésinger,  dont  la  publication 
est  interdite  en  France]. 


Katscher  (LĂ©enold).  1)  George 
Sand.  (Unsere  Zeit,  1876,  XII.)  — 

2)  George  Sa>ufs  life  and  uritings. 
(International  Review,   1879.)   — 

3)  Charaklerbilder  aus  dem  19 
Jahrhundert.  Berlin,  1884.  Ferd. 
Durnmler.  —  4)  George  Sand. 
(Internationale  Literaturberichte, 
1901,  VIL) 

Kexnaxd  (Mrs).  Flaubert  and  George 
Sand.  (Nineteenth  Century.  1886, 
XX.) 

Kératry  (comte  de).  Lettres  iné- 
dites de  George  Sand.  (Le  Figaro, 
28  septembre  1888.) 

Kertbexy.  Préface  des  poésies  de 
Musset  publiées  à  Berlin  par  les 
frĂšres    Paetel. 

Kirpitchxikow  (le  professeur  A. 
L).  1)  Deux  vies  :  George  Sand  et 
Heine.  (Conférences  faites  à  1" Uni- 
versité d'Odessa  [en  russe].)  Mos- 
cou, 1886,  in-16,  83  pages.  — 
2)  Histoire  de  la  littérature  univer- 
selle (par  plusieurs  savants  russes, 
publiée  sous  la  direction  de  V.  Th. 
Korsch,  terminée  sous  la  direction 
de  A.  J.  Kirpitchnikow),  [en  russe]. 
Saint-PĂ©tersbourg,  1892. 

Kleczyxski  (Jean).  Frédéric  Chopin, 
de  V interprĂ©tation  de  ses  Ɠuvres. 
Trois  conférences  faites  à  Varso- 
vie. 

Kleix  (H.).  Flaubert  in  seinen  Brie- 
fen  an  George  Sand.  (Unsere  Zeit, 
1884.) 

KlƓsser  (A.).  George  Sand.  (Sonn- 
tagsbeilage  zur  Yossisclien  Zei- 
tung,  n°  27,  1904.) 

Knosp  (Gaston).  Le  Journal  de  Cho- 
pin. (Le  Guide  musical,  8  et  17  sep- 
tembre 1907.) 

Kreyssig  (Friedrich).  1)  Studien  zur 
franzĂŽsischen  Kuliur  und  Lite- 
raturgeschichte.  Berlin,  1865.  — 
2)  Ueber  die  franzĂŽsische  Geistesbe- 
wegung  im  19.  Jahrhundert.  Berlin, 
1873.  —  3)  Trois  siùcles  de  la  lit- 
térature française  illustrés  par 
des  morceaux  de  leurs  meilleurs 
auteurs,  accompagnés  d'introduc- 


BIBLIOGRAPHIE 


6S5 


tion  littéraire  et  de  notices  bio- 
graphiques. Anthologie  française 
destinée  à  l'usage  des  classes 
supérieures  de  nos  écoles  secon- 
daires, vol.  I  et  II,  2e  Ă©dit.  Berlin, 
1876.  —  4)  Literarische  Studien 
and  Charakteristiken.  Berlin,  1882. 
Nachgelassenes  Werk.  (ƒuvre  pos- 
thume.) —  5)  Geschichte  der 
franzĂŽsischen  Nationalliteralur  von 
ihren  AnfĂ ngen  bis  auf  die  neueste 
Zeit.  Berlin,  1889.  6te  Auflage, 
2  Bande. 

Kroneberg  (A.  L).  Les  Derniers 
Romans  de  George  Sand.  (So- 
vrémennik  [revue  russe],  1847, 
vol.  I.) 


La  Bastide  (A.).  Correspondance 
de  George  Sand.  (Le  Parlement, 
27   août  1882.) 

Lacroix  (Albert).  Souvenirs  d'un 
Ă©diteur  :  George  Sand.  (Nouvelle 
Revue  internationale,  22  septembre, 
1er  octobre,  1er  novembre  1897.) 

Lacroix  (Paul).  Les  Femmes  de 
George  Sand.  Paris,  Aubert,  1843. 

Laimé.  Article,  dans  la  Revue  de 
VArmorique  de  1842. 

Laisnel  de  la  Salle  (A.).  1)  An- 
ciennes mƓurs,  scùnes  et  tableaux 
de  la  vie  provinciale  aux  dix-neu- 
viĂšme et  dix-huitiĂšme  siĂšcles.  La 
Chñtre,  1899.  —  2)  Croyances  et 
LĂ©gendes  du  centre  de  la  France. 
Paris,    Chaix,    1875. 

La  Mara  [Marie  Lipsius].  1)  Franz 
Liszt's  Briefe.  —  2)  Briefe  hervor- 
ragenden  Zeitgenossen  an  Franz 
Liszt.  (Herausgegeben  von  La 
Mara.)  Leipzig,  Breitkopf  und 
Haertel,  1895.  —  3)  Liszt  und  die 
Frauen.  Leipzig,  Breitkopf,  1910. 
in-16  [avec  plusieurs  portraits, 
entre  autres  celui  de  George  Sand]. 

Lamartine  (M.-A.  de).  Cours  fami- 
lier de  littérature,  t.  III,  p.  456- 
459. 


Lanfrey  (P.).  Lettre  Ă   Mme  d'Agoult. 

(Revue  des  Deux  Mondes,  1880, 

1er  octobre.) 
Lapaire  (Hugues).  Devant  la  statue 

de  George  Sand  (piĂšce  de  vers). 

(Revue  du  Berry,  janvier  1902.) 
Lapaire  (H.)  et  Roz  (Firmin).  La 

Bonne  Dame   de   Nohant.    Paris, 

Francis  Laur,  1898. 
Laprade  (Victor  de).  Le  Sentiment 

de   la  nature   chez   les  modernes. 

(Le  Parfait  du  paysage  chez  George 

Sand.)  Paris,  1870.  Didot,  t.  II, 

p.  435-44.  [Voir  :  L.  V.] 
Larchey  (Lorédan).  Supplément  au 

dictionnaire  d'argot.  Paris,  1880, 

Dentu,  in-12.  [Lettres  inédites  de 

George  Sand  Ă   Marchai] 

Larochefoucauld  (vicomte  Sos- 
thĂšnes  de).  (Aide  de  camp  du  feu 
roi  Charles  X.)  MĂ©moires  (1814 
à  1836)  [avec  10  lettres  inédites 
de  George  Sand].  Paris,  Allardin, 
1837. 

La  Rounat  (Charles).  Causerie  dra- 
matique sur  le  Marquis  de  Ville- 
mer.  (Dix-neuviĂšme  siĂšcle,  1877, 
12  et  26  juin.) 

Larousse.    Grande  Encyclopédie. 

Larroumet  (Gustave).  1)  Confes- 
sions et  correspondances.  (Le  Fi- 
garo, mardi  27  octobre  1896.)  — 
2)  Le  Théùtre  romantique  :  George 
Sand.  (Etudes  de  critique  drama- 
tique.) 

Lataye  (Eug.).  Les  LĂ©gendes  rus- 
tiques de  George  Sand.  (Revue  des 
Deux  Mondes,  15  décembre  1858.) 

Latreille.  George  Sand  et  Shake- 
speare. (Ann.  d'histoire  comparée, 
1900.) 

Laube  (Heinrich).  1)  Besuch  bei 
George  Sand.  (AUgemeine  Augs- 
burger  Zeitung,  1839.)  —  2)  Laubes 
Gesammelte  Schriften  Erinneran- 
gen  :  1  Band.  1810-1840, 16  Band. 
1840-1881.  Wien.  Wilhelm  Bau- 
muller,    1875-1882. 

Laur  (Francis).  Les  Beaux  Mes- 
sieurs'de  Bois-Doré,  1863. 


6S6 


GEORGE   SAND 


Lebloxd  (Marius-Ary).  1)  Eivlution 
du  genre  Ă©pistolaire.  (BĂ©vue  bleue, 
1900.)  —  2)  George  Sand  et  la 
démocratie.  (Revue  de  Paris,  1er  juil- 
let 1904.)  —  3)  Xotes  sur  George 
Sand  socialiste.  (La  BĂ©vue  socia- 
liste, juillet-aoĂ»t  1901.)  —  4)  Le 
Génie  de  Végalité  (à  propos  du 
centenaire  de  George  Sand).  (Re- 
vue  lieue,  1904.) 

Lecherboxxier(C.  Alexandre.  )Com- 
raent  la  BĂ©publique  de  1792  est 
revenue  dans  le  Berry  en  1848. 
L'immortelle  George  Sand.  Issou- 
dun,  1885,  in-8°,  31  pages. 

Ledos  de  Beaufort.  Letters  of 
George  5and  translated  and  edited 
\vith  prĂ©face  and  biograplĂčcal 
sketch.  3  volumes. 

Legouvé  (Et.).  Soixante  ans  de  sou- 
venirs :  J.  Reynaud.  (BĂ©vue  bleue, 
19  mars  1887.) 

Lemaitre  (Jules).  1)  Histoire  litté- 
raire. Les  Femmes  de  France 
poĂštes  et  prosateurs,  par  Jacquimt. 
(BĂ©vue  bleue,  8  janvier  1887.)  — 

2)  Impressions  de  théùtre,  lr«-  série. 
Paris,  LecĂšne  et  Oudin,  1888,  ki-12. 
—  3)  Bilan  des  derniùres  divulga- 
tions littéraires.  (Le  Figaro,  mer- 
credi 25  novembre  1896.)  —  4)  Le 
Théùtre  de  Musset  comparé  à  celui 
de  George  Sand.  (Le  Gaulois  du 
dimanche,  27-28  janvier  1900.)  — 
5)  (Annales  politiques  et  littéraires, 
11  décembre  1910.) 

Lexiext.  La  Comédie  en  France  au 
dix-neuviĂšme  siĂšcle.  2  volumes,  t.  II, 
p.  268-298.  Paris,  Hachette,  1898. 

Lexz  (W.  vox).  Die  grossen  Piano- 
fortevirtuosen  unserer  Zeit  aus  per- 
sĂŽnlicher  Belannischaft  ;  Liszt, 
Chopin,  Tausig,  Henselt.  Berlin, 
Behr's  Buchhandlung  (E.  Bock), 
1879. 

Lermixier.  1)  Au  delĂ   du  Rhin. 
(BĂ©vue  des  Deux  Mondes,  1er  juin 
1835.)  —  2)  Du  radicalisme  Ă©van- 
gĂȘlique.  Le  Livre  du  peuple  de 
M.  de  Lamennais.  (BĂ©vue  des  Deux 
Mondes,    1838,    15    janvier.)    — 

3)  BĂ©ponse   Ă     George   Sand  au 


sujet  du  Livre  du  peuple.  (BĂ©vue 
des  Deux  Mondes.  1838, 15  février.) 
—  4)  De  la  poĂ©sie  de  M.  de  Lamen- 
nais Amshaspands  et  Darvands. 
(Revue  des  Deux  Mondes.  1844, 
n°  1.)  —  5)  Poùtes  et  romanciers 
contemporains  :  Mme  Sand.  (Re- 
vue des  DeuxMondes,  1844.  leravril. 

Leroi  (Paul).  Trois  nouveaux  livres 
de  M.  de  SpƓlberch  de  Lovenjoul. 
(L'Art.,  1897.) 

Leroy  (A.).  1)  Souvenirs  d'Alfred 
de  Musset.  (Le  Parlement,  28  oc- 
tobre 1881.)  —  2)  George  Sand, 
Liszt  et  Chopin.  (La  Revue,  15  jan- 
vier 1905.) 

Leroy  (Albert).  George  Sand  et 
ses  amis.  Paris,  1903,  Ollendorff. 
[Eug.  Gilbert  dans  la  Revue  gé- 
nérale de  1903  et  Pierre  Wein- 
berg  dans  le  Xov.  Yrémia  ont 
prouvé  que  ce  livre  était  de  point 
en  point  une  redite  abrégée  de 
nos  deux  premiers  volumes.] 

Le  Roux  (Hugues).  1)  Les  Beaux 
Messieurs  de  Bois-Doré.  (Revue 
bleue,  7  mai  1887.)  —  2)  Claudie. 
(Revue   bleue,   14  mai  1887.) 

Leroux  (Pierre).  Notes  et  lettres  Ă  
son  disciple  Baussy.  (SĂ©jour  en 
Provence.  Tentative  de  souscrip- 
tion en  sa  faveur  dans  le  monde 
maçonnique,  etc.).  (Nouvelle  Revue 
rétrospective,  n°  77,  10  novembre 
1900.) 

Leroux  ([Pierre  et]  Achille).  Vérité 
sur  un  procĂšs  oĂč  l'on  examine  des 
théories  qui  outragent  la  nature  et 
renversent  les  prescriptions  fonda- 
mentales du  Code,  1845,  in-8°. 
Leroux. 

Leroux.  Pamphlet  pam  en  1848. 

Lescure  (M. -A.  de).  Eux  et  Elles, 
histoire  d'un  scandale.  Paris,  Pou- 
let-Malassis  et  de  Broise,  1860, 
in-18. 

Lessmaxn  (Otto).  Chopins  Tage- 
buch  —  eine  Faelschung  (mit  Aus- 
siigen  aus  2  Briefen  von  Morilz 
Rosenthal).  (Allgemeine  Musik- 
Zeitung,  1er  novembre  1907.) 


BIBLIOGRAPHIE 


63  7 


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fille  d'Alfred  de  Musset  Ă   La 
Rochelle.  (Bull,  de  la  Soc.  arch. 
de  H.  S.  et  Aunis.) 

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Gustave  Planche,  George  Sand. 
Souvenirs  littéraires.  (Revue  bleue, 
19  janvier  1895.) 

LIBÉRAL  (LE)  DE  VINDRE. 
22  septembre  1901. 

Limayrac  (P[aulin]).  Du  roman 
actuel.  (Revue  des  Deux  Mondes, 
1er  septembre  1845.) 

Lindau  (Paul).  1)  Alfred  de  Musset. 
Berlin,  1879.  Hoffmann  und  O, 
III  Ausgabe.  —  2)  Ans  dem  lite- 
rarischen  Frankreich. 

Liszt  (Franz).  1)  Lettres  d'un  bache- 
lier es  musique.  Gazette  musicale, 
1835-38.  —  2)  FrĂ©dĂ©ric  Chopin. 
Paris,  Escudier,  1852.  —  3)  FrĂ©- 
déric Chojrin  (en  allemand).  Leipzig. 
Breitkopf  und  Haertel,  1879.  — 

4)  Gesammelte  Schriflen  heraus- 
gegeben  von  Lina  Ramann.  6  Bande 
Leipzig,  Breitkopf  und  Haertel.  — 

5)  Briefe.  herausgegeben  von  La 
Mara,  3.  Band. 

Loménie  (Charles  de).  Deux  lettres 
de  George  Sand  Ă   Sainte-Beuve. 
(Nouvelle  Revue,  1er  mai  1895.) 

Loménie  (Louis  de).  Galerie  des 
contemporains  illustres  par  un 
homme  de  rien.  Paris,  1840-1847. 
10  volumes. 

Loudtjn.  Claudie.  (Le  Correspon- 
dant, 25  janvier  1851.) 

Lovenjoul  (vicomte  Charles  de 
Spoelberch  de).  1)  Etudes  balza- 
ciennes :  Un  roman  d'amour. 
Paris,    Calmann  LĂ©vy,  1896.    — 

2)  Autour  de  Honoré  de  Balzac. 
Paris,    Calmann  LĂ©vy,    1897.  — 

3)  Histoire  des  Ɠuvres  de  H.  de 
Balzac.  Paris,  Calmann  LĂ©vy,  1879. 
—  4)  Lettres  inĂ©dites  de  George 
Sand.  (Revue  du  Berry,  janvier 
1902.)  —  5)  Une  page  perdue  de 
Balzac.  Paris,  Ollendorff,  1903. 
[V.  plus  loin  Ă   Spoelberch.] 


Lucas  (Hippolyte).  1)  Portraits  et 
souvenirs  littéraires.  Paris,  Pion, 
1890,  in-12.  —  2)  Les  Correspon- 
dants d' Hippolyte  Lucas.  (Lettres 
inédites  de  George  Sand.)  Annales 
romantiques,  1905. 

Lumbroso  (A.).  Nuptiis  Paraut- 
Peyre.   Roma.   Forzani. 

Lumbroso,  (il  conte  Alberto.)  1)  Gli 
amanti  di  Venezia.  (Rivista  d'Ita- 
lia,  1902,  aprile,  1903,  febrajo.) 
—  2)  Pagine  veneziane.  Roma. 
Forzani,  1905.  Edizione  non  vé- 
nale. 

M 

M.  (journal  du  docteur).  (Revue 
hebdomadaire,  1902,  n°  8.) 

Mac  Carthy.  George  Sand.  (The 
Galaxy,   1874,   IX.) 

MAGASIN  (LE)  PITTORESQUE, 
1878,  juin. 

Mages  (A.  de).  George  Sand  en  Rus- 
sie.  (Nouvelle  Revue,   1899.) 

Magu  (tisserand  Ă   Lizy-sur-Ourcq). 
Poésies,  avec  une  préface  par 
George  Sand.  Paris,  Charpentier, 
1845.  (Entré  à  la  bibliothÚque 
royale  en  1844.) 

Maigron.  George  Sand  et  les  mƓurs. 
(Revue  de  Paris,  1er  et  15  décembre 
1903,  1«  et  15  janvier  1904.) 

Mulloux.  Une  fille  d'Alfred  de 
Musset  et  de  George  Sand  [apo- 
cryphe]. 

Mainov  (Wladirnir).  La  Secte  des 
morts  vivants.  (Revue  du  ministĂšre 
de  l'Instruction  publique,  1881.) 
[en  russe.] 

Mallefille  (FĂ©licien).  Lettre  Ă   De- 
launay  (directeur  de  l'Artiste)  sur 
le  Dernier  Sauvage  [Ă©crit  par 
Mallefille,  signé  par  George  Sand 
au  profit  de  Mallefille]  (27  juil- 
let 1838). 

Mann  (H.).  Eine  Freundschaft  : 
Flaubert  und  G.  Sand.  Munchen. 
Schwabinsr. 


6SS 


GEORGE   SAND 


Mardoche  et  Desgenais.  Les  Se- 
maines de  deux  Parisiens.  Préface 
par  BĂ©rardi.  Paris,  1881.  E. 
Dentu. 

Mardoche  (Jacques).  Le  Mouve- 
ment parisien.  (Indépendance  belge, 
15  octobre  1882.) 

Mariéton  (Paul).  1)  L'Histoire  véri- 
dique  des  Amants  de  Venise.  (Le 
Gaulois,  16  et  17  octobre  1896.) 

—  2)  La  Vie  de  George  S  and  et 
du  docteur  Pagello  Ă   Veyxise  et 
Sand-Musset-Pagello  :  le  retour 
en  France.  (Echo  de  Paris,  20  et 
21  octobre  1896.)  —  3)  Une  his- 
toire d'amour.  George  Sand  et 
Alfred  de  Musset,  documents  iné- 
dits. Lettres  de  Musset.  Paris. 
Havard  fils,  1897,  20e  Ă©dition.  — 
‱1)  Les  Amants  de  Venise.  Paris, 
Ollendorff,  1903,  édit,  définitive. 

—  5)  Encore  George  Sand  et  Mus- 
set (inédits).  (La  Revue  latine, 
15  juillet). 

Mariéton  et  Maurras  [polémique 
entre].  (Le  Gil  Bios,  9  juin  1904.) 
(Le  Gaulois,  14, 17  et  20  juin  1904.) 

Marillier  (Léon).  La  Sensibilité 
et  Vimagination  chez  George  Sand. 
Champion,  1896. 

Marin  (Auguste).  Un  amour  de 
Musset.   Un  acte  en  vers,  1879. 

Marmontel  (Antoine).  Les  Pia- 
nistes célÚbres.  Paris,  1878,  Heu- 
gel  et  O,  in-12. 

Martin  (Alexis).  1)  Quelques  dédi- 
caces inconnues.  (LeLivre  moderne, 
I,  vol.  15.)  —  2)  Etude  sur  les 
ex-dono  et  dédicaces  autographes. 
Baur,  1877,  in-8°. 

Martintille.  Théùtre  français  t 
la  Nuit  d'octobre  [compte  rendu 
d'une  représentation].  (Gazette  de 
France.  27  mai  1883.) 

Massias  (baron).  Coups  de  pinceau 
historiques.  Strasbourg,  Derivaux. 
1837,  in-8°. 

Mathieu  (Alexandrine).  Causeries 
sur  les  femmes   célÚbres,   1876. 


Maugras  (Gaston).  Les  Demoiselles 
de  VerriĂšres.  Paris,  Calmann  LĂ©vy, 
1890,  in-8°  avec  deux  portraits. 

Mourras  (Charles).  1)  Petits  mé- 
nages romantiques.  (Gazette  de 
France,  15  octobre  1896.)  — 2)  Les 
Amants  de  Venise.  George  Sand 
et  Alfred  de  Musset.  Paris,  Albert 
Fontemoing,  1903,  5e Ă©dit.  (d'abord 
publié  dans  Minena,  Revue  des 
lettres  et  des  arts,  1902,  t.  III, 
juillet-août). 

Maurras  (Charles).  3)  Les  Amants 
de  Venise.  (Le  Gaulois,  14  et 
20  juin  1904.)  (V.  Mariéton  et 
Maurras). 

Maury  (Fernand).  Etude  sur  la 
vie  et  les  Ɠuvres  de  Bernardin  de 
Saint-Pierre.  Paris,  Hachette,  1892. 

M^zade  (Charles  de).  George  Sand. 
ses  mémoires  et  son  théùtre.  (Revue 
des  Deux  Mondes,  15  mai  1857. 

Mazzini  (Guiseppe).  1)  Préface  des 
Lettres  d'un  Voyageur  traduites  eu 
anglais  et  parues  à  Londres.  — 
2)  Article  (dans  The  Peoptës  Jour- 
nal de  1847).  —  3)  Article  (dans  le 
Monthly  Chronicle.  July,  1847).  — 
4)  Lettere  inédite  :  n°  1  à  Giorgio 
Sand.  (Rivista  d'Iialia.  Anno  III, 
15  marzo  1900.) 

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(The    Academy,    17    juin    1876, 
vol.  IX,  p.  583.)  —  2)  Compte 
rendu  des  livres  de  Maurras  et  de 
Lumbroso   (dans   les   SĂ©ances   et 
travaux  de  V Académie  des  sciences, 
morales  et  politiques.  Janvier  1903, 
p.  128).  —  3)  Lettres  de  George 
Sand  et  de  Michelet,  Documents 
inédits.  (Revue  de  Paris,  1904,  VI.) 
Monprofit  (0.).  George  Sand,  dans 


le  Panthéon  républicain  (le).[  Bro- 
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Grande  Ă©dition  in-4°  des  Ɠuvres 
complĂštes    d'Alfred    de    Musset, 
vol.  des  Ɠuvres  posthumes.  Paris, 
Charpentier,  1865-66.  —  2)  Lui 
et  Elle.  Charpentier,  1860,  in-12.  — 
3)  AprÚs  la  lecture  d'«  Indiana  »,  par 
Alfred  de  Musset.  (Revue  des  Deux 
Mondes,  1er  novembre  1878  [non 
signĂ©].  —  4)  Biographie  d'Alfred 
de  Musset.  Paris,  1877,  Charpen- 
tier, in-12. 
Muther   (Richard).    Geschichte  der 
Malerci    im    XIX    Johrhundert. 
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44 


tgo 


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N 

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une  Préface  de  Mme  Séverine.  Pe- 
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—  1)  George  Sand  (p.    98-121). 

—  2)  Mauprat  par  George  Sand 
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3)  Articles  en  1853,  1854  et  1857 
(dans  la  mĂȘme  revue). 

Platjchut  (Edmond).  1)  Le  Tour 
du  monde  en  120  jours.  — 
2)  George  Sand.  (Galerie  contem- 
poraine littéraire  et  artistique.  2«  sé- 
rie, n°  37.)  —  3)  Article  (dans  Le 
Temps    du   12    aoĂ»t    1884).    — 

4)  Autour  de  Nohant.  (Le  Temps, 
1891.  3  N~.)  —  5)  SMoss  Nohan- 
und  seine  Marionnetten.  (Deut 
sche  Rundschau,  1898,  Febxur. 
269-27a)  —  6)  Autour  de  Nohant, 
Lettres  de  George  Sand  Ă   Barbes. 
Paris,   Calmann  LĂ©vy,  1898.   — 


692 


GEORGE   SAND 


7)  George  Sand  Ă   Gargilesse.  (Le 
Temps,  13  aoĂ»t  1901.)  —  8)  Les 
FĂȘtes  en  l'honneur  de  George 
Sa7id.  (Le  Temps,  17  et  19  sep- 
tembre 1901.  ) 

Plestchéßev  (A.  N.).  Poésies  : 
MoĂŻ  znakonuy.  [Une  de  mes  con- 
naissances.] 

PoirĂ©e  (Élie).  Chopin.  (Collection 
Les  Musiciens  célÚbres.)  Paris, 
Laurens,  1907,  in-8°. 

Pompéry  (Edouard  de).  1)  Lettre 
à  George  Sand  sur  sa  polémique 
avec  M.  Lerminier  Ă   l'occasion 
de  M.  de  Lamennais,  1838.  — 
2)  Nouvelle  Préface  d'Indiana  et 
nouveaux  griefs  des  moralistes 
contre  George  Sand,  (La  Phalange, 
14  aoĂ»t  1842.)  —  3)  Quintessences 
féminines.  Paris,  C.  Reinwold 
et  Cie,  1893. 

Ponroy  (Alphonse).  Extraits  Ă©du- 
catifs de  George  Sand.  (Revue  du 
Berry,  15  mars  1903.) 

Pons.  1)  Lettre  (dans  le  Figaro  du 
12  janvier  1881).  2)  Coups  de 
plume  indépendants,  1  vol.  in-12°. 

Ponsonby  (Lady).  George  Eliot  and 
George  Sand.  (The  Nineteenth 
Century,  1901.) 

Pontmartin  (Armand  de).  1)  Lu- 
crezia  Fhriani,  (Revue  des  Deux 
Mondes,  1er  mai  1847.)  —  2)  A 
propos  de  Mme  Sand.  (Revue  des 
Deux  Mondes,  1848.)  —  3)  Les 
Vacances  de  Pandolphe.  (Revue  des 
Deux  Mondes,  1852.)  —  4)  Poùtes 
contemporains  ;  Mme  Sand  (Revue 
des  Deux  Mondes,  1854.)  —  5)  Les 
MĂ©moires  de  Mme  Sand.  (Revue 
critique  (?),   1855,   XVIII.)      — 

6)  Elle  et  Lui,  Lui  et  Elle.  (Le  Cor- 
respoïidant,   25  juillet  1859.)   — 

7)  Nouveaux  Samedis,  11e  série, 
6  septembre  1874, 16e  série,  11  no- 
vembre 1877.  —  8)  Vieux  papiers, 
vieilles  amours.  (La  Gazette  de 
France,  16  janvier  1881.)  — 
9)  Souvenirs  littéraires.  George 
Sand.  Correspondance,  t.  III. 
(Gazette  de  France,  3  sep- 
tembre, 12  et  19  novembre  1882.) 


V.  aussi  :  Causeries  littéraires, 
Nouvelles  Causeries  littéraires  et 
DerniÚres  Causeries  littéraires(18b±- 
56).  LĂ©vy.  Causeries  du  samedi, 
Nouvelles  Causeries  du  samedi  et 
DerniĂšres  causeries  du  samedi(18Ă l- 
1860).  Nouveaux  Samedis,  lre  et 
2e  séries  (1865)  et  les  Semaines  litté- 
raires, Nouvelles  Semaines  litté- 
raires et  DerniÚres  Semaines  litté- 
raires (1861,  1863,  1864). 
Poradovska  (Mme  Marguerite). 
1)  Les  Derniers  mois  de  la  vie  de 
Chopin,  (Revue  bleue,  4  no- 
vembre 1899.)  —  2)  Lettres  inĂ©- 
dites de  Frédéric  Chopin  au  com- 
positeur Fontena.  (Revue  hebdoma- 
daire, 25  janvier  1902.) 

P-ou-w.  (Pierre  Lavrov).  Sainte- 
Beuve,  Vhomme.  [En  russe.]  (Otet- 
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Sand,  sa  vie,  son  Ɠuvre.  (La  Con- 
temporaine, mars  1901.)  —  3)  Notre 
patronne.  (Le  Figaro,  22  mai  1904.) 
—  4)  Deux  discours  prononcĂ©s 
lors  du  centenaire  de  George  Sand, 
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—  1)  Article >  sur  YBistoire  de  ma 
vie.  —  2)  Article  sur  les  ƒuvres 
complùtes  de  George  Sand  (1890).  — 
3)  The  French  DĂ©cadence  (1890). 

Quérard  (J.-N.).  Les  Supercheries 
littéraires  dévoilées,  Galerie  des 
Ecrivains  français  de  toute  VEu- 
rope  qui  se  sont  déguisés.  Paris, 
Paul  Doffis.  MDCCCLXX. 

Quidam.  George  Sand.  (Le  Figaro, 
1«  août  1884.) 

Quinet  (Mme  Edgard).  Edgard 
Quinet  avant  Vexil.  Paris,  Cal- 
mann  LĂ©vy,  1887,  in-12. 


Rabou  (Charles).  Article  sur  le 
Compagnon  du  Tour  de  France. 
(Le  Messager.) 

Racot  (Adolphe)  1)  Le  Critique 
maudit,  Gustave  Planche.  (Le 
Livre,  t.  VII,  10  aoĂ»t  1885.)  — 
2)  Courrier  de  Paris  [signé  :  Dau- 
court.]  (La  Gazette  de  France, 
13  janvier  1881.) 

Ramann  (Lina).  Franz  Liszt,  als 
Kunstler    und    Mensch.    Leipzig, 


Breitkopf  und  HĂąrtel,  1880-1887. 
3  Bande. 

Rattazzi  (Mme).  [Rattazzi  de  Rute], 
George  Sand.  1858,  Bruxelles, 
MĂ©line,  Gans  et  Cle.  [V.  Salms- 
Bonaparte-  Wyse.  ] 

Ratisbonne  (Louis  de).  1)  Lettre 
au  directeur  de  la  Revue  moderne. 
[Sonnets  de  George  Sand  et  d'Al- 
fred de  Musset  Ă   Alfred  de  Vigny.] 
(Revue  moderne,  1865, 1er  juin.)  — 
2)  Morts  et  vivants,  1860,  Michel 
LĂ©vy,  grand  in- 18. 

Rebell  (Hugues  Grossal,  dit).  Ins- 
piratrices de  Balzac,  Stendhal, 
Mérimée.  Paris,  Dujerric,  1902. 

Reichardt-Stromberg  (Frau  Ma- 
thilde).  Frauenrecht  und  Frauen- 
pflicht.  Eine  Antwort  an  Fanny 
LewaWs  Briefe.  Fur  und  aider 
die  Frauen.  Bonn,  1871,  2te  Au- 
flage. 

Renan  (Ernest).  Feuilles  détachées. 
Paris,  Calmann  LĂ©vy,  1894. 

Renan  (Ernest).  Lettres  Ă   Berthelot. 
(Revue  de  Paris,  1897, 1er  août.) 

Revon  (Michel).  1)  George  Sand. 
Indépendance  &eZ^e,1896,n°14  juil- 
let et  suivants.)  —  2)  George  Sand. 
(Prix  d'éloquence  de  l'Académie 
française.)  Paris,  Ollendorff,  1898, 
in-16. 

REVUE  DES  AUTOGRAPHES, 
des  curiosités  de  l'Histoire  et  de 
la  Littérature,  fondée  en  1866  par 
Gabriel  Charavay,  puis  dirigée  par 
EugĂšne  Charavay. 

REVUE  DU  BERRY.  Revue  men- 
suelle d'Archéologie,  d'Histoire,  de 
Science  et  de  Littérature.  (1905, 
32e  année.) 

REVUE  DE  BIBLIOGRAPHIE 
ET  D'ICONOGRAPHIE  (1904, 
juin).  La  Correspondance  Sand- 
Musset. 

REVUE  BLEUE  (la).  Lettres  iné- 
dties  de  George  Sand  Ă   M.  Ro- 
drigues.  (7  janvier,  28  janvier  et 
11  février  1899.) 

REVUE  BRITANNIQUE  (la). 
1)  1836  avril  [Ă   propos  d'un  article 


694 


GEORGE   SAND 


de  la  Quarteriy  Rariew  contre  les 
écrivains  français  contemporains 
et  surtout  contre  G.  SancL]  2)  Août 
1877. 

REVUE  DES  DEUX  MOXDES. 
1881.  Correspondance  de  George 
Sand. 

REVUE  DES  DEUX   MOXDES. 

1)  Article  sur  le  Mariage  de  Vie- 
tonne    (15    dĂ©cembre    1851).    — 

2)  Article  sur  /es  Vacantes  de  Pan- 
dolplxe  (15  isars  1852).  —  3)  Ar- 
ticle sur  Mauprat  (piĂšce)  (1er  jan- 
vier 1S54).  —  4)  Article  sur  Fla- 
minio  (15  novembre  1854). 

REVUE  ENCYCLOPÉDIQUE. 
1)  1891.  p.  167.  —  2)  1896.  Trois 
portraits  de  George  Sand,  nos  62. 
66  et  67.  —  3)  p.  612.  Article  sur 
Alfred  de  Musset. 

REVUE  HEBDOMADAIRE.  Les 
débuts  de    George    Sand  (1902). 

REVUE  DES  GRAXDS  PROCÈS 
COXTEMPORAIXS.  (1897, 
mars,  n0*  3  et  4.  Paris.  Chevalier- 
Marescq  et  CK)  (^es  lettres  d'Al- 
fred de  Musset  et  de  George  Sand, 
propriété  littéraire,  missives,  re- 
production non  autorisée,  droit 
de  citation  et  de  critique.  Mus- 
setistes  et  Sandisfes.  Une  histoire 
d'amour.) 

REVUE  ILLUSTRÉES).  Lettres 
de  femme.  [Lettres  de  George  Sand 
Ă   Miehel  de  Bourges.]  1890,  n<*118. 
119.  120;  121  et  123. 

REVUE  UNIVERSELLE  ILLUS- 
TRÉE. 1. 1.  livraison  lre.  1er  juil- 
let 1888.  [Trois  lettres  de  George 
Sand  Ă    Lambert.] 

REVUE  XOUVELLE.  AlUne,  cor- 
respondance de  G.  Sand  avec 
Mme  d'Asoult.  (1er  et  15  mars 
1881,  1er  et  15  mai  188L.) 

NOUVELLE  REVUE  RÉTROS- 
PECTIVE.  Lettres  de  G.  Sand  Ă  
Raelxel,    1903. 

NOUVELLE  REVUE  RÉTROS- 
PECTIVE. 2e  série,  novembre 
1900,  p.  337...  SĂ©jours  de  Pierre 


Leroux  en  Provence.  Notes  et  lettres 
Ă   son  disciple  Baussy.  (V.  plus 
haut,  Ă   Pierre  Leroux.) 

REVUE  DE  PARIS.  Le  Roman 
social  :  «  Consuelo  »  de  George 
Sand  (1843.) 

REVUE  DE  PARIS.  Lettre»  de 
G.  Sand  Ă   EugĂšne  Fromentin, 
(1909). 

REVUE  DE  PARIS.  Lettres  (T Au- 
rore Dv.pin  et  Emilie  de  Wtrmer. 
(1911). 

Ret  (Achille).  Agricol  Perdiguier, 
pacificateur  du  compagnonnage, 
représentant  du  peuple  à  la  Cons- 
tituante en  1848  et  à  l'Assemblée 
lĂ©gislative  de  1849.  —  Sa  vie,  son 
Ɠuvre,  avec  dessin  original  de 
J.-P.  Gras,  auteur  du  monument, 
accompagné  cFune  gravure  du 
projet  FĂ©lix  Devoux...  ‱  [Avec  un 
épigraphe  tiré  d'une  lettre  de  George 
Sand.]  Avignon,  1904.  Chapelle, 
brochure  de  28  pages. 

ReyĂźtcoĂŻd  (William).  Etudes  sur  la 
littérature  du  second  Empire  fran- 
çaisr  depuis  le  coup  dEtat  du 
deux  décembre.  Berlin,   A.  Charf- 

siusT  1861. 

Reyxaud  (FĂ©lix).  La  Revanche  de 
George  Sand.  (Le  Petit  Marseillais, 
28  mars  1894.) 

Reyssié  (Félix).  George  Sand  dans 
la  Creuse.  (Journal  des  DĂ©bats, 
1er  octobre  1895.) 

Root  (Th.).  La  Psychologie  des  sen- 
timents. Paris,  FĂ©lix  Alcan,  1896. 

Richepix  (J.).  DĂ©shabillages  pos- 
thumes. (Gil  Blas,  26  janvier  1881.) 

Ris  (Clément  de).  Portraits  à  la 
plume.  Paris»,  EugÚne  Didier, 
MDCCCLin. 

Ritteb.  (Gottlieb).  Ein  Besuch  bei 
George  Sand.  (Die  Gartenlaube, 
1876T  n°»  31  et  32.) 

Robin  (Octave).  Lettre»  de  George 
Sand  à  M.  le  comte  René,  de  Ville- 
neuve. (Le  Voltaire,  8  mai  1889.) 

Rochebxave  (Samuel).  1)  Pages 
choisies  de  George  Sand.  Préface. 


BĂźBLIOGRAPHfE 


695 


(Pages  choisies  des  grands  Ă©cri- 
vains.) Paris,  Armand  Colin,  1894. 

—  2)  Une  amitiĂ©  romanesque  : 
Gforge  Sand  et  Mmed'Agoult.  (Re- 
vue de  Pari»,  15  décembre  1894.) 

—  3)  George  Sand  avant  George 
Sand.  (Revue  de  Paris, 
15  mars  1896.  —  4)  Fin  d'une  lĂ©- 
gende. (Revue  de  Paris,  1897.)  — 
5)  Ce  mĂȘme  article  servant  de 
préface  aux  Lettres  de  George  Sand 
Ăą  Alfred  de  Musset  et  Sainte- 
Beuve,  parues  en  volume  chez 
LĂ©vy.  Paris,  1897.  —  6)  George 
Sand  et  sa  fille,  d'aprĂšs  leur  cor- 
respondance inédite.  (Revue  des 
Deux  Mondes,  1905,  février,  mars. 
mai.  —  7)  Lettres  de  George  Sand 
à  Cliarles  Poney.  Littérature  pro- 
létaire. (Revue  des  Deux  Mondes, 
1909.) 

Rod  (Ed.).  George  Sand  et  le  public 
d 'aujourd'hui.  (Le  Figaro,  10  jan- 
vier 1909.) 

Rodays  (Fernand  de).  Le  ProcĂšs 
en  séparation  de  corps  de  George 
Sand.  Supplément  du  Figaro,  2  no- 
vembre 1876. 

Rodenbach  (Georges).  1)  Lettres 
parisiennes.  Journal  de  Bruxelles, 
28  mai  1892.  —  2)  Femmes  de 
lettres.  (Le  Figaro,  28  juillet  1892.) 

Ronchaud  (Louis  de).  Chroniques 
littéraires,  Confession  dune  jeune 
fille.  (Revue  moderne,  1er  juil- 
let 1865.) 

Rothmaler  (A.  de).  Les  Prétendus 
portraits  de  George  Sand.  (Mercure 
de  France,  15  juin  1924.) 

Roujon  (Henry).  Article  contenant 
une  lettre  de  Sainte-Beuve  de  1861. 
(Le  Figaro,  11  juin  1904.) 

Roujon  (Henrv).  Encore  Lui  et  Elle. 
(Le  Temps,  11  juin  1904.) 

Roz  (Firmin).  et  Lapaire  (Hugues). 
La  Bonne  Dame  de  Nohant.  Paris, 
Francis  Laur,  1898. 

Ruge  (Arnold).  Souvenirs  de  Ba- 
kounine.  (Neue  FrĂšte  Presse, 
1878.) 


S 


Saches.  EncydopĂ disches  WĂŽrter- 
buch  der  franzĂŽsischen  und  deuts- 
chen  Spracke,  1899.  Nachtrog  1900. 

Sack  (Eduard).  George  Sand,  Joseph 
Dessauer  imd  Remrich  Heine. 
Frankfurter  zeiiung,  von  12  Au- 
gust  1904,  n°  223. 

Sainte-Beuve.  1)  Article  sur  Ya- 
lentineet  Indiana,  le  National,  5  oc- 
tobre et  31  dĂ©cembre  1832.  — 
2)  Article  sur  LĂ«lia,  29  sep- 
tembre 1833.  —  3)  VoluptĂ©,  ro- 
man. —  4)  Article  sur  Cosima  (Re- 
vue desDeux  Mondes,  1er  mai  1840.) 
—  5)  Causeries  du  lundi.  Paris, 
MDCCCLI.  —  6)  Cahiers  de  Sainte- 
Beuve.  —  7)  Portraits  contempo- 
rains, t.  I,  t.  II.  —  8)  Portraits 
de  femmes.  —  9)  Nouveaux  lundis, 
t.  XL 

Saint-Marc  Girardin.  Cours  de 
littérature  dramatique,  voh  III, 

Saint-René  Taillandier.  Simples 
essais  d'histoire  littéraire.  La  Lit- 
térature et  les  écrivains  en  France 
depuis  dix  ans.  (Revue  des  Deux 
Mondes,  15  juin  1847.) 

Salomon  (A.  C).  L'Amitié  de  George 
Sand.  (Revue  lieue,  1903.) 

Saltykov  [Stchédrine]  (M.  E.). 
ZaroubégeÎme  (Au  delà  de  la  fron- 
tiùre.) (ƒuvres  complùtes.)  Saint- 
PĂ©tersbourg,  1891-92. 

Salvandy.  Préface  du  roman  Na- 

tiialie. 

Sand  (Maurice).  1)  Masques  et  bouf- 
fons. (Comédie  italienne.)  Texte  et 
dessins  par  Maurice  Sand,  gravures 
par  Manceau.  Préface  par  George 
Sand.  Paris,  Michel  LĂ©vy,  1860. 
[L'avant-propos  de  Pauteur  con- 
tient des  détails  biographiques, 
trĂšs  curieux  sur  la  vie  Ă   Nohant 
entre  1846-1850.)  —  2)  Lettres  à 
propos  de  la  Correspondance  de 
George  Sand.  (Le  Figaro,  8  et 
31  janvier  1881.) 


696 


GEORGE   SAND 


Sandeau  (Jules)  et  Houssaye  (Ar- 
sĂšne). Les  Revenants.  (V.  Hous- 
saye.) 

Sandeau  (Jules).  Marianm.  Paris, 
Charpentier,  1885.  Nouv.  Ă©dit. 

Saphik  (M.  G.).  1)  Ein  gral  und  ein 
Bett  in  Paris,  oder  :  Ein  Besuch 
bei  Borne  und  bei  Heine.  (Pariser 
Briefe.)    Der    Humorist,    4    und 
5  August  1855.  —  2)  Der  Des- 
souer     Marsch.     Der     Humorist. 
26  August  1855. 
Sarcey  (Francisque).  1)  Femmes  de 
lettres.  (La  France,  14  avril  1888.) 
—   2)   Quarante   ans   de   thĂ©Ăątre, 
vol.  IV.  —  3)  Le  plus  sage  des  trois. 
(Revue  hebdomadaire,  1898,  n°  14, 
pages  134-142.) 
Schmidt    (Julian).    Geschichte    der 
franzĂŽsischen    Literaiur    seit    der 
RĂ©volution  1789.  2  Bande.  Leipzig 
1858. 
Schsudt-Weissexfels.  Frankreiéhs 
moderne  Literatur  seit  der  Restau- 
ration. 
Schucht    (docteur    J.).    Friedrich 
Chopin  und  seine  Werke,  publié 
d'abord  dans  la  1)  Neue  zutscltrift 
fur  Musik,  puis  en  volume  :  — 
2)   Leipzig.   Verlav  von   Kahut, 
1880. 
Séché  (Léon).  1)  Sainte-Beuve,  son 
esprit,  ses  idĂ©es,  ses  mƓurs.  2  vol.  in- 
8°,  illustrés  de  nombreux  portraits 
et  autographes.  (Société  du  Mer- 
cure de  France,  1904.)  —  2)  Cor- 
respondance   inédite    de    Sainte- 
Beuve  avec  M.  et  Mme  Juste  Olivier 
de  Lausanne,  1  vol.  in-8°.  Mercure 
de  France,  1904.  —  3)  Alfred  de 
Musset,  V Homme,  Vƒuvre,  les  Ca- 
marades, les  Femmes.  2  vol.  in-8°, 
illustrés  de   nombreuses  planches 
dont  deux  en  héliogravure,  1907. 
—  4)  Correspondance  d'Alfred  de 
Musset  (1827-1857)  recueillie  et 
annotée.   Portrait  de  Musset  en 
héliogravure  et  reproduction   de 
dessins  à  la  plume  inédits  et  d'au- 
tographes   de    Musset.    (Mercure 
de  France,  1907,  in-80.)  — 5)  Hor- 
iense  Allart  de  MĂ©ritens  dans  ses 


rapports  avec  Chateaubriand,  BĂ©- 
ranger,  Lamennais,  Sainte-Beuve, 
George  Sand,  Mme  d'Agoult.  Do- 
cuments inédits.  Portraits  et  auto- 
graphes. (Les  Muses  romantiques, 
Mercure  de  France  1908,  in-8°.)  — 

6)  Hortense  Allart  de  MĂ©ritens, 
Lettres  inédites  à  Sainte-Beuve. 
(1841-48)  avec  une  introduction, 
et  des  notes  par  LĂ©on  SĂ©chĂ©.  — 

7)  Delphine  Gay  dans  ses  rapports 
avec...  George  Sand.  (Muses  roman- 
tiques, Mercure  de  France,  1900, 
in-8°.) 

Séché  (L.)  et  Beißtaut  (J).  George 
Sand.  42  portraits  et  documents. 
(La  vie  anecdotique  et  pittoresque 
des  grands  Ă©crivains.)  Grand 
Montrouge,  Louis  Michaud,  1909. 

Sécrétai*  (E.-A.).  Eléments  cFes- 
tMtique.  Essai  sur  V imagination 
suivie  d'une  critique  du  «  Spiridion  » 
de  George  Sand,  d'une  Ă©tude  sur  le 
«  Phédoyi  »  et  de  quelques  morceaux 
détachés.  Paris,  F.  Didot,  1841. 

SeilliĂšre  (le  baron  Ernest). 
1)  George  Sand  mystique  de  la 
passion,  de  la  politique  et  de  Vart. 
Paris,  1920,  in-18.  —  2)  Nouveaux 
Portraits  de  femmes,  Paris,  Emile- 
Paul  frĂšres,  1923. 

Sexkovski  (Joseph)  [ou  Osip].  Ar- 
ticles dans  la  Sevcmaya  Ptchela 
(russe)  signés  0  :  1833,  n°«  24  et 
284  [sur  Indiana,  Valentine,  Lclia. 
Jacques  et  la  traduction  d'  «  In- 
diana  »  en  russe.]  1834  :  n°  221, 
Ernest  Fouinet  et  George  Sand. 
1836  :  n°  66.  Les  Ecrivains  aristo- 
crates en  France,  n°  158  [sur  la 
traduction  en  russe  du  Secrétaire, 
n°»  182-183.  Deux  articles  si- 
gnés NN,  intime].  [Défense  de 
G.  Sand  contre  les  critiques  de 
la  BibliothÚque  de  lecture.]  N°  187 
[sur  G.  Sand.] 

Serao  (Matilde).  Giorgio  Sand.  (Ca- 
pitan  Fracassa,  10  Agosto  1884.) 

Serov  (Alexandre).  Lettres  Ă   sa 
sƓur  Sophie  Dutour.  (Gazette  mu- 
sicale russe.)  1894,  n08  3,  4  et  11 


BIBLIOGRAPHIE 


697 


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prononcés  à  La  Chùtre  en  1900 
et  Ă   Paris  et  Ă   La  ChĂątre  en  1904. 
—  2)  L'Ombre  s'efface  (à  propos  de 
la  mort  de  Lina  Sand).  [Le  Journal, 
16  novembre  1901.) 

Skalkovski  (Constantin).  Femmes 
Ă©crivains  du  dix-neuviĂšme  siĂšcle. 
J.  I  :  Femmes  écrivains  françaises 
[en  russe].  Saint-PĂ©tersbourg,  1865. 

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tiques français.  —  2)  George  Sand, 
(en  russe).  (Otéichestvennya  Za- 
piski)  1880  et  1881. 

Slowacki  (Julius  Z.).  Lisly  do 
matki  (1830-1848).  2  tomy  (en 
polonais).  Lwow,  Gubrinowicz  i 
Schmidt,  1875-76. 

Solms  (Marie  de).  [Ratazzi  de 
Rute,  Bonaparte-Wyse.]  George 
Sand.  Bruxelles,  MĂ©line,  Gans 
et  C'e,  1858. 

Soloviev  (EugĂšne).  Esquisses  du 
mouvement  démocratique  en  Occi- 
dent :  George  Sand.  Revue  scienti- 
fique [russe]  4e  année,  1897,  9  sep- 
tembre et  11  novembre. 

Soumtzov  (prof es.  N.  M.).  Influence 
de  George  Sand  sur  Tourguéniew. 
Cahiers  de  la  Niedéla,  1897,  jan- 
vier. 

Souriau  (Maurice).  Les  lettres  de 
G.  Sand  Ă   sa  fille.  (La  Revue  la- 
tine 1905.) 

SOVREMENNIK(le)  [revue  russe] 
1851.  Avril  :  Claudie  [article  de 
G.  Planche  sur]. 

1854,  n"  XII  et  1855,  n°«  I,  II 
et  III  : 

Traduction  des  premiers  chapitres 
de  VHistoire  de  ma  vie. 
1856.  Mars,  avril,  mai  juin,  juillet, 
août  : 

La  Vie  de  George  Sand. 
1856.  Avril  :  Françoise  à  la  Co- 
médie-Française. 

Septembre  :  George  Sand  et  Bal- 
zac. 

Spoelberch  de  Lovenjoul  (vi- 
comte Charles  de).  [Voir  :  Biblio- 
phile Isaac  et  Lovenjoul,  Charles]. 


1)  Les  Lundis  d'un  chercheur. 
Paris,   Calmann  LĂ©vy,   1894.   — 

2)  Histoire  véritable  de  «  Elle  et 
Lui  ».  (Cosmopolis,  1er  mai  et 
1er  juin  1896.)  —  3)  Lettres  inĂ©. 
dites  de  George  Sand  Ă   Dudevant. 
(Cosmopolis,  fĂ©vrier  1897.)  — 
4)  Lettres  Ă   Sainte-Beuve.  (Revue 
de  Paris,  1896.)  —  5)  La  VĂ©ri- 
table histoire  d'  «  Elle  et  Lui  ». 
Notes  et  documents.  1  vol.,  in-18. 
Calmann  LĂ©vy,  1897.  —  6)  His- 
toire des  Ɠuvres  de  H.  de  Balzac. 
Paris,  Calmann  Lévy,  1879,  in-8°. 
—  7)  Le  mĂȘme  ouvrage,  3e  Ă©dition, 
entiÚrement  revu  et  corrigé  à 
nouveau,  par  l'auteur.  Ouvrage 
couronné  par  l'Académie  française. 
Paris,  Calmann  LĂ©vy,    1888. 

Spuller  (E.).  Lamennais.  Paris, 
Hachette,  1892. 

Stahl  (P.-J.).  Le  Diable  Ă   Paris. 
Paris,  Jules  Hetzel.  J.  I.  1845, 
t.  II,  1846. 

Stankevitch  (N.  W.).  Correspon- 
dance [en  russe]. 

Stassov  (V.  V.).  1)  ƒuvres  com- 
plĂštes, 4  volumes,  [en  russe], 
Saint-PĂ©tersbourg,  1886-1894, 
vol.  III.  Trois  articles  sur  George 
Sand,  Elle  et  Lui  et  Jean  de  La 
Roche.  —  2)  Nadejda  WassiliĂ©ivna 
Stas6ow,  Souvenirs  et  esquisses 
[du  mouvement  féministe  en  Rus- 
sie]. 1  vol.  in-16,  Saint-PĂ©ters- 
bourg, 1899,  507  pages  (d'abord 
publié  dans  les  Cahiers  de  la 
Niedéla). 

Stavenow  (Bernhardt).  Schbne  Geis- 
ler  :  Der  Zieblingsschiiler  Chopin's. 
Bremen,  1879. 

Stéfane  Pol.  1)  Trois  grandes 
figures  ;  George  Sand,  Flaubert, 
Michelet.  Paris,  Flammarion,  1898, 
in-12.  Préface  d'Armand  Sil- 
vestre.  —  2)  George  Sand,  (à  pro- 
pos du  centenaire  de),  La  ChĂątre, 
1904. 

Stein  (W.).  George  Sand,  esquisse 
biographique.  (Collection  Ma  Bi- 
bliothÚque, édit.  par  Léderlé,  [en 
russe].)  Saint-PĂ©tersbourg,  1895. 


698 


GEORGE  SAND 


Daniel  Sterx  (comtesse  Marie 
d' Agoult).  1)  Histoire  de  1848, 3  vo- 
lumes. —  2)  NĂ©lida.  — -  3)  Mes 
Souvenirs  (MĂ©moires). 

Stow  (Francis).  Dudevant  (George 
Sand).  Encyclopédie  Britanica, 
voL  7. 

S-ya  (Mme  0.).  Frédéric  Chopin, 
Rousskya  Viédomosti,  1er  et  15  juil- 
let 1889. 

Sully.  Studies  in  Childhood,  Lon- 
don.  Longman's,  Greeu. 

Sylvestre  (Théophile).  Histoire  des 
artistes  vivants,  français  et  étran- 
gers, illustrée  de  11  portraits  pris 
au  daguerréotype  et  gravés  sur 
acier.  Introduction  et  catalogue 
par  M.  L.  de  Vermond.  2e  livrai- 
son :  Delacroix.  Étude  d'aprùs 
nature  par  Th.  Sylvestre,  Blan- 
chard, in-8°,  1855-56. 

Szule  (M.  A.).  Fryderick  Chopin  i 
Utwory  jejo  muzyczne  [en  polo- 
nais]. Poznan.  1873. 


TAGEBLATT  (BERLINER) 
8  juin  1904.  Elle  et  Lui  (Ă   propos 
de  la  correspondance  Sand-Mus- 
set). 

Tadje  (Hip.).  Derniers  essais  de 
critique  et  d'histoire.  Paris,  Ha- 
chette, 1894. 

Tarbé  (Edmond).  Lettres  inédites 
de  George  Sand  sur  le  christianisme, 
annotées  et  commentées  (parues 
dans  :  En  Pique-Nique.  Publica- 
tion annuelle  de  la  société  de  gens 
de  lettres.  Armand  Colin  et  Cle, 
1895,  p.  277.) 

Taylor  (Mary).  In  a  famous  French 
home,  Atlantic  Monthley,  1896. 

Teeling  (Mrs).  George  Sand  in  her 
old  Ăąge.  The  GenUemans  Maga- 
sine, 1900. 

TEMPLE  BAR.  LXXIII,  1885, 
George  Sand. 

TEMPS  (le).  1)  13  novembre  1901. 
Les  papiers  de  George  Sand.  — 


2)  16  novembre  1902,  Lettres  de 
George  Sand  à  Musset,  14  lé- 
vrier 1903.  —  3)  Vente  du  portrait 
de  George  Sand  par  Couture  Ă   VhĂŽtel 
Drouot—4)  10  mars  1903,  Lettres 
de  Chopin.  —  5)  10  aoĂ»t  1909. 
sur  la  publication  des  lettres  de 
George  Sand  à  Poney.  —  6)  2  sep- 
tembre 1909,  la  Maison  de  Pc- 
geĂŻĂŻo  Ă   BeĂŻluno. 

Theuriet  (André).  1)  Impressions 
et  souvenirs.  (Le  Parlement,  24  dé- 
cembre 1884.)  —  2)  Contes  de  la 
PrimevĂšre.  Paris,  Charpentier  ,1897. 
—  3)  Jours  d'Ă©tĂ©.  Souvenirs  de  jeu- 
nesse. (La  Grande  Revue,  1er  sep- 
tembre et  1er  octobre  1899.)  — 
4)  Discours  prononcé  à  La  Chùtre 
le  10  juillet  1904  lors  des  fĂȘtes  du 
centenaire  de  George  Sand.  (Jour- 
nal des  DĂ©bats,  11  juillet  1904.)  et 
Institut  de  France,  Aeadémie  fran- 
çaise, FĂȘtes  du  centenaire  de  George 
Sand  Ă   la  ChĂątre  le  10  juillet  1904. 
Discours  prononcé  par  M.  André 
Theuriet,  de  V Académie  française. 
Paris,  Firmin  Didot  et  Cle,  1904, 
in-4°. 

Thilda  (Mme  Stevens).  George 
Sand  et  Musset,  (La  France,  24  jan- 
vier 1881.) 

Thomas  (Miss  Bertha).  George  Sand. 
(Eminent  Women  séries  édited  by 
J.  Ingram)  1889. 

Thomas  (P.  F.).  1)  Pierre  Leroux  en 
exil  (1851-60).  (La  Revue  de  Paris, 
1"  dĂ©cembre  1903,  p.  623-649.)  — 
2)  Pierre  Leroux,  sa  vie,  son  Ɠuvre, 
sa  doctrine.  Contribution  Ă   Vhis- 
toire  des  idées  au  dix-neuviÚme 
siĂšcle.  Paris,  FĂ©lix  Alcan,  1904, 
in-8°. 

Thoré  (Théophile).  Notes  et  souve- 
nirs (1807-1869).  (Nouvelle  Revue 
rétrospective,  dirigée  par  Paul  Cot- 
tin,  t.  IX,  juillet-décembre  1898.) 

Tiersot.  Histoire  de  la  chanson  popu- 
laire en  France.  Paris,  1889,  in-8°. 

TIROIR  DU  DIABLE  (le),  et  LE 
DIABLE  A  PARIS,  PARIS  ET 
LES  PARISIENS,  1857.  Édition 
en  2  volumes  in-12  de  l'ouvrage 


BIBLIOGRAPHIE 


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eu  1845,  sous  le  titre  de  LE 
DIABLE  A  PARIS,  in-4°,  Paris 
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Paris,  Calmann  LĂ©vy,  1893. 

Topin  (Marius).  Romanicus  contem- 
porains. 1  vol.,  ĂŻn-12". 

Tour  (Eugénie).  [Comtesse  Saxias 
de  Tournemire.]  La  Vie  de  George 
Sand.  (Rousski  Vestnik,  1856.) 

Tourgueniev  (Ivan).  1)  Corres- 
pondance [en  russe].  1er  vol.  édité 
par  le  fonds  littéraire  de  Saint-Pé- 
tersbourg, 1884,  in-8°.  —  2)  George 
Smd...  Lettres  Ă   Flaubert  et  Ă  
.  Mme  Viardot  dans  le  volume  : 
Tourguéniew  et  ses  amis  français. 
Paris,  Hachette,  1901. 

Troubat  (Jules).  1)  Lettres  (dans 
le  Figaro  des  5,  8,  12  et  14  jan- 
vier 1881).  —  2)  Souvenirs  du  der- 
nier secrétaire  de  Sainte-Beuve. 
Paris,  Calmann  LĂ©vy,  1890,  2e  Ă©di- 
tion. 


U 


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Ă©tude,  Leipzig.  F.  A.  Broekhaus, 
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TJlbach  (Louis).  1)  Article  dans  la 
Vie  littĂ©raire  (15  juin  1876).  — 
2)  Nos  contemporains.  Paris,  Cal- 
mann LĂ©vy,  1883.  —  3)  Article 
(dans  le  Rappel  du  14  février  1887). 
[Voir  Ferragus  plus  haut.] 

UlmĂšs  (Tony  d").  La  MĂšre  de 
George  Sand.  (La  Revue,  1er  dé- 
cembre 1902.) 

UNIVERS  ILLUSTRÉ  (V).  Deux 
lettres  de  George  Sand.  3  juin  1882. 
(Voir  aussi  les  n09  des  :  17  j  uin  1876, 
9  août  1884  et  16  août  1884. 

UPSALA  (journal  suédois)  de  1879. 
Article  sur  VHomme  de  neige  de 
George  Sand. 

Uzanne  (Octave).  1)  La  Vie  mo- 
derne, Paris,  Quantin.  —  2)  Le 


Livre,  Revue  du  monde  littéraire. 
Paris,  A.  Quantin. 


Vapereau,  L'Année  littéraire.  1860. 
1  vol.,  in-12°. 

Varagnac  (BĂ©rard)*  Les  publications 
posthumes.  Paris,  1887,  in-8°. 

VĂ©ron  (le  docteur  L.).  MĂ©moires 
d'un  bourgeois  de  Paris.  Paris. 
Librairie  nouvelle,  1856. 

VĂ©rgn  (Pierre).  Elle  et  Lui.  (La  Pe- 
tite Presse,  8  janvier  1881.) 

VESTNIK  INOSTRANNOI  LITE- 
RATURY.  Centenaire  de  George 
Sand,  Chronique  Ă©trangĂšre  [en 
russe].  (8  août  1904.) 

Veuillot  (Louis).  Les  Odeurs  de 
Paris.  Paris,  Palmé,  1867,  9e  édi- 
tion. 

Veyrat  (G.).  Les  statues  de  l'hĂŽtel 
de  ville,  illustrations  de  D.  Cau- 
caunier  et  G.  Mauber. 

Vicaire  (Georges).  Manuel  de  r ama- 
teur des  livres  au  XIXe  siÚcle.  Pré- 
face de  Maurice  Tourneux.  7  vol., 
t.  VII,  p.  193-330. 

Viel-Castel  (comte  Horace  de). 
MĂ©moires  sur  le  temps  de  Napo- 
léon III  (1851-1864).  Paris,  1883. 

L.  V.  (Victor  de  Laprade).  Article 
sur  George  Sand  (dans  le  numéro 
du  1er  juillet  1876  de  la  Vie  pari- 
sienne [avec  une  lettre  de  George 
Sand  Ă   un  ami  de  1847]. 

VIE  PARISIENNE  (la)  du  2  juil- 
let 1904.  Les  Petites  Filles. 

VIE  PÉTERSBOURGEOISE  IL- 
LUSTRÉE (la)  (18  et  25  aoĂ»t 
1896).  [La  véritable  histoire  de 
Elle  et  Lui.]  2)  n°du  4  juillet  1904. 

Villart  (Adrien).  Des  autographes. 
(Journal  de  Saint-Quentin,  3  oc- 
tobre 1901.) 

Villeneuve  (comte  A.  de).  Lettre 
(dans  le  Figaro  du  1er  février  1881), 

Vinçard  (Pierre)  [aßné].  Mémoires 
Ă©pisodiques  d'un  vieux  chansonnier 


700 


GEORGE  SAND 


saint-simonien.    Paris,   Dentu  et 
Grassart,  1878,  in-18. 
Vincent  (L.).  1)  La  Langue  et  le 
style  de  George  Sand  dans  les  ro- 
mans champĂȘtres.  Paris,  1916,in-8°. 

—  2)  George  Sand  et  le  Berry. 
2  vol.  in-8°.  Paris,  Champion.  — 
3)  George  Sand  et  Vamour. 

Vinet.  1)  Etudes  sur  la  littérature- 
française  au  dix-neuviÚme  siÚcle, 
t.  III.  PoĂštes  et  prosateurs  :  George 
Sand  [Ă   propos  du  livre  de  M.  le 
comte  de  Walsh],  2e  Ă©dition,  1857. 

—  MĂ©langes.  Articles  paras  an- 
térieurement sous  le  titre  d'Es- 
sais de  philosophie  morale  et  de 
morale  religieuse  en  1837.)  Paris, 
1869. 

Viscoxti  (Mme  Arconati).  Alph. 
Peyrat  et  sa  correspondance  (1862- 
1870).  [Contenant  des  lettres  de 
George  Sand.] 

Vitet.  Discours  prononcé  à  la  ré- 
ception à  l'Académie  française 
de  Alf.  de  Musset. 

VOLTAIRE  (le).  Elle- Lui -Nous, 
(14  janvier  1881).  [Article  non  si- 
gné, écrit  par  le  gendre  de  Th.  Gau- 
tier.] 

Vos  (L.  de).  George  Sand  journaliste. 
(Nouvelle    Revue,    1896.) 

W 

Valiszewski.  A  History  of  Rus- 
sian  literature.  London,  1900, 
p.  266. 

Walsh  (comte  Theobald).  George 
Sand  (strictures  on  the  morality 
of  Jacques,  LĂ©lia,  etc.).  Paris, 
HevĂ©rt,  1837,  in-8°.  (Le  mĂȘme  ou- 
vrage parut  en  français.) 

Walter  (Konrad).  Alfred  Musset 
im  Urtheile  George  Sand.  Eine 
Kritische  Untersuchung  uber  den 
historischen  Werth  von  George 
Sands  roman  «  Elle  et  Lui  »,  Ber- 
lin. "Weidemann  in-8°,  Marburger 
Dissertation. 

Wedrowiec.  Pysmo  Tygadniowe 
Illustrowane.  '  Nicznony     porlret 


Chopina  —  Felixa  Ilupslnego,  ma- 
lowonyw  roku  1896,  i  Ostatnie 
chuili  Chopina  Barrias  'a  23  Zu- 
tego  (8  marca)  1902. 

Weixberg  (Pierre).  1)  George  Sand. 
(SĂ©verny  Yestnik  1894.)  —2)  Sur 
George  Sand  (Ă   propos  des  Souve- 
nirs de  Henri  Amie),  (Novosti. 
10  aoĂ»t  1894.)  —  3)  Encore 
George  Sand-,'  (Ibidem.)  —  4)  Un 
plagiaire  [Ă   propos  du  livre  d'Al- 
bert Leroy  et  du  travail  de  Wl.  Ka- 
rénine]. Lettre  au  rédacteur  du 
Novoyé  Wrcmie,  1903. 

Weixdel  (Henri  de).  Les  Théùtres 
Ă   Paris.  [Le  DĂ©mon  du  foyer  de 
George  Sand  à  l'Odéon.]  (Indé- 
pendance belge,  4  juin  1904.). 

"Willeby.  Frédéric-François  Chopin, 
London.  Samson  Law,  Marston 
et  Cie. 

\Viville  (Jean  de  Nivelle).  Lettres 
(V Alfred  de  Musset.  (Le  Soleil, 
12  janvier  1881.)  (V.  Charles  Can- 
nivet.) 

Wodzinski  (comte).  Les  trois  ro- 
mans de  F.  Chopin.  Paris,  Cal- 
mann  LĂ©vy,  1886,  2e  Ă©dition. 

YroHL  (Yanka).  Franz  Liszt,  Erin- 
nerungen  einer  Londsmannin.  Jena 
Hermann  Costenoble. 

Wolf  (Albert).  L'Incident  Sand- 
Mmset.  (6  janvier  1881.  Courrier 
de  Paris  et  Figaro,  7  janvier  1881.) 

Wood  (Charles).  Lettres  from  Ma- 
jorka.  (Tue  Argozy.  April  1888. 
n°269.) 

Wurzbach  (W.  von).  1)  George 
Sand  und  ihre  Freunde.  (NatĂ o- 
nalzutung,  1903,  n°*  448-450.)  — 
2)  George  Sand  und  Musset.  (Bei- 
lage  zur  Allgemeinem  Zictung  1904, 
n°  149.) 


X.    George   Sand.   (L'Echo,   n°  du 

10  juin  1876.) 
X.  Article  nécrologique  sur  George 

Sand.  (La  Petite  Presse,  11  juin 

1876.) 


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X.  George  Sand  intime,  documents 
inédits.  (Le  Voltaire,  8  mai  1882.) 

X.  A  propos  de  l'absence  d'Alexandre 
Dumas  Ă   l'inauguration  de  la  sta- 
tue de  George  Sand  Ă   La  ChĂątre 
(Le  Gaulois,  12  et  13  août  1884.) 

X.  Inauguration  de  la  statue  de  George 
Sand.  (Le  Temps,  12  août  1884.) 

X.  Inauguration  de  la  statue  de 
George   Sand.    (Le   Mot   d'ordre, 

14  août  1884.) 

X.  La  statue  de  George  Sand.  (Le 
Monde  illustré,  16  août  1884.) 

X.  Lettre  de  George  Sand  Ă   M.  Le- 
Mois.  (Journal  des  DĂ©lais,  3  sep- 
tembre 1884.) 

X.  V Angleterre  jugée  par  George 
Sand.  (La  France,  21  août  1884) 

X.  Nohant.  (Le  Petit  Journal,  8  sep- 
tembre  1889.) 

X.    Marie    Dorval.    (L'Evénement, 

15  octobre  1890.) 

X.  Petites  questions  littéraires  [Rose 
et  Blanche].  (Supplément  du  Fi- 
garo, 4  mars  1893.) 

Xi  FĂ©licien  Mallefille.  (Le  Gaulois, 
25  septembre  1885.) 

X.  George  Sand  et  Mallefille.  (Le 
Temps,  30  octobre  1884. 


X.  HĂŽtel  de  George  Sand  et  de  Fou- 

cot.  (Le  XIXe  SiĂšcle,  17  mars  1895.) 
XX.  Chronique  théùtrale  (à  propos  de 

Claudie).  (LeTemps,  4  juillet  1904.) 
X.  La  Maison  oĂč  est  nĂ©e   George 

Sand.  (Les  Annales  romantiques, 

1909,  VI.) 


YoRicK  [Edmond  HĂ©douin].  Deux 
articles  :  (L'Homme  libre, 
14  avril  1877,  et  le  Figaro, 
28    avril   1882.) 

Y.  Y.  George  Sand,  Joseph  Dessauer 
und  Heinrich  Heine.  (Frankfur- 
ter Zeitung,  vom  26  juni  1904.) 


Zebrikov  ([ou  Tzebrikov]  (Mme  Ma- 
rie). George  Sand.  (Otetcheslvennya 
Zapiski,  1877,  juin-juillet.) 

Zola  (Emile).  1)  Nos  auteurs  dra- 
matiques. —  2)  Documents  littĂ©- 
raires, Etudes  et  portraits.  —  3)  Les 
Romanciers  naturalistes.  Paris, 
Charpentier,  1890. 

***  Article  sur  George  Sand  dans  le 
Dictionnaire  de  la  Conversation  te 
de  lalecture,  t.  XLVIII.  Paris,  18387 
p.  184-190. 


INDEX 
DES  ƒUVRES  DE  GEORGE  SAND  CITÉES 


A  propos  de  botanique  [Nouvelles 
lettres  d'un  voyageur],  IV,  625. 
A  propos  de  l'Ă©lection  de  Louis- 
Napoléon  à  la  présidence  de  la 
RĂ©puMique,  III,  394;  IV,  166- 
1675 

A   propos   de   Madelon   d'Edmond 

About,  IV,  426. 
A  propos  des  Idées  de  Mme  Aubray, 

IV,  75. 
A  propos  du  banquet  shakespearien, 

IV,  448. 

A  propos  du  choléra,  IV,  454,  550. 

Adieux  par  De  Latouche  (article 
sur  les)  I,  439  ;  III,  268,  639. 

Adriani,  IV,  170,  272,  314. 

Ailes  (les)  du  courage,  IV,  531. 

Aimée,  I,  303,  324. 

Albine,  IV,  595,  661. 

Aldo  le  Rimeur,  II,  14,  35, 108, 119, 
138-143,  147. 

Allart  (article  sur  Mme  Hortense) 
de  Meritens,  III,  281  ;  IV,  384, 
549. 

Amis  disparus  (articles  nécrologiques 
sur  des)  :  NĂ©raud  pĂšre,  Gabriel 
de  Planet,  Carlo  Soliva,  le  comte 
d'Aure,  Louis  Maillard,  Ferdi- 
nand Pajot,  Patureau  Francceur, 
Mme  Laure  Flcury,  IV,  238,  485, 
549,  619. 

Amschaspands  et  Darvands  de  La- 
7°3 


mennais  (article  sur  les)  II,  229, 
395  ;  III,  237,  268. 
André,  II,  62,  119,  152,  166,  243, 
420  ;  III,  234,  IV,  582. 

Antoine  et   Cléopùtre  (article  sur), 

IV,  449. 
Antonia,   IV,  315,  356,   357,   399, 

401,  404. 
AprÚs  la  mort  de  Jeanne  Clésinger, 

III,  617  ;  IV,  348. 
Arts,  IV,  62,  75. 
Au  jour  d'aujourd'hui  [Le  Meunier 

d'AngibauĂźt]  III,  402,  646,  648, 

650,  651,  653-654. 
Autour  de  la  table,  IV,  374,  384, 

442,  451. 

Autre  (1'),  IV,  242,  315,  584,  589, 
590,  592. 


Balzac  (article  sur  H.  de),  H,  452  ; 
IV,  384. 

Barbes,  IV,  124, 125. 

Baronnie  de  Muldorp  (la).  V.  Nello 
et  MaĂźtre  Favilla. 

Beau  (le)  Laurence,  II,  293;  IV, 
272,  311. 

Beaux  (les)  Messieurs  de  Bois- 
Doré,  IV,  306,  307,  364,  365, 
384,  396. 

Beaux  (les)  Messieurs  de  Bois-Doré 
(piĂšce),  IV,  75,  315,  591. 


704 


GEORGE  SAND 


BĂ©ranger  (article  sur),  IV,  384. 
Berthenoud  (la),  III,  476,  636  ;  IV, 

550. 
Bigarrure,  I,  309,  330,  331. 
Blonde  PhƓbĂ©  (la),  I,  73  ;  IV,  336. 
Bois  (les),  IV,  357,  359.. 
Bonne  déesse  de  la  pauvreté  (la). 

[V.  la  comtesse  de  Rudolstadt], 

III,  357  ;  IV,  476,  518. 
Bords  de  la  Creuse  (les),  III,  476, 

636. 
Botanique  de  l'enfance  (article   sur 

la),  I,  362  ;  III,  388,  397. 
Bulletins    de    la  RĂ©publique,    III. 

391,   694;   IV,  2,  5.   30,  41,  42, 

45  46,  48,  51.  52,  53,  56-62.  68- 

71,  73,  74,  79,  80.  85.  91,  94,  96, 

114-119,  123,  482,  519. 


Cadio,  II,  424  ;  IV,  315,  507-509, 

510,  511,  512,  513,  514,  539,  545, 

560,  591. 
Cari,  I,  359  ;  II,  252,  393  ;  III,  104, 

159-161  ;  IV,  534. 
Cause  du  Peuple  (la).  III.  550  ;  IV, 

2  3,  5,  30,  50,  51,  60-63,  66,  68, 

70,  71,  72,  74,  75,  77,  85,  91,  94, 

97,  98,  99,  101. 
Ce  que  disent  les  fleurs,  IV,  531. 
Ce  que  dit  le  ruisseau,  IV,  375,  442- 

446,  549,  570,  574. 
Cercle    hippique    de    MĂ©ziĂšres    en 

Brenne  (article  sur  le),  III,  388, 

397,  476,  501,  502,  503,  636. 
CĂ©sarine  Dietrich,  IV,  580-581. 
Charaiettes  (les),  I,  361  ;  IV,  549. 
ChĂąteau  de  Pictordu  (le),  I,  359; 

II,  252,  393  ;  III,  160  ;  IV,  531, 

534-536. 
ChĂąteau  des  DĂ©sertes  (le),  I,  359; 

II,  252,  393;  III,  36,  104,  212, 

525,  547,  553-554,  555-556,  564; 

IV,  266,  268,  271,  298,  301,  306, 

339,  382. 
Chñteau   des   Étoiles   (le),   premier 

titre   de  VHomme   de   neige,  IV, 

305,  306,  382. 


ChĂȘne  (le)  parlant,  IV,  531. 
Chien  (le)  et  la  fleur  sacrée,  IV,  531. 
Circulaire    pour    la    fondation    de 
VÉclaireur  de  V Indre,   III,  386, 
387, 
Claudie,   III,  Avant-propos,  I.  III, 
327,  671,  678,  679,  680,  685  ;  IV, 
139,  140,  168,  272,  275,  276,  277, 
285,  291,  292,  297,  633,  635-645, 
647,  648. 
Comme  il  vous  plaira,  IV,  275,  295, 

296,  298,  300,  449,  519. 

Compagnon  du  tour  de  France  (le), 

II,  125;  III,  17,  173,  174,  244, 

248-256,  332,  635  ;  IV,  476,  650. 

Complainte  sur  la  mort  de  François 

Luneau,  II,  121. 
Comtesse  de  Rudolstadt  (la),  1, 169  ; 
II,  125.  252,  393  ;  III,  17,  59, 132, 
268,  322,  350-358.  365,  369,  384, 
445,  470,  IV,  476. 
Conchvliologie  de  l'Ăźle  de  la  RĂ©union, 
IV,  404. 
!  Confession  d'une  jeune  fille  (la),  IV, 
518,  584,  587-590,  591,  592. 
Constance  Verrier,  I,  359  ;  IV,  313, 

314,  384. 
Consuelo,  I,  62,  124,  169,  194,  336, 
!       359;  II,  14,  159,  252,  344,  391, 
393;  III,   avant-propos,  m,   12, 
17,  32,  33,  36,  88,  104,  132,  216, 
218,  268,  322-366,  369,  370,  402, 
403,  469,  470,  635,  684;  IV,  237, 
304,  476,  518,  534,  556,  647. 
I  Contes  (les)  d'une  grand'mĂšre,  IV, 
531. 
Contrebandier   (le),    II,    324,   340 

341  ;  III,  32. 
Cora,  I,  384,  447-448. 
Correspondance,  I.  116,  196,  224, 
256  260,  264,  277.  311,  314,  324, 
330,  331,  334,  335,  340  ;  II,  52, 
64  78,  83,  105,  117,  153,  178, 
181,  188.  214,  256,  257,  262,  266, 
283,  295,  298,  299,  303,  310,  313, 
322  323  324,  333,  353.  355,  365, 
378',  395,  398,  428,  431,  432,  440, 
442  452;  III,  13,  15,  31,  40, 
57  59,  60,  62-63,  66,  67,  68,  78, 79, 
80,  81,  82,  84,  92,  94,  95,  97,  98, 


INDEX    DES   ƒUVRES   CITÉES 


705 


99,  102,  108, 
162,  163,  165, 
211,  215,  217, 
299,  300,  301, 
307,  379-380, 
386,  387,  394, 
419,  437-438, 
458,  461,  477, 

487,  489,  498, 
573,  582,  587, 
687  ;  IV,  5,  7, 
19,  21,  22,  30 
45,  47,  49,  50, 
121,  132,  145, 
179,  184,  186, 
238,  239,  244, 
317,  318,  347, 
403,  406,  418, 
432,  433,  451, 

488,  489,  504, 


110,  118,  125,  133, 
168,  171,  172,  173, 
218,  219,  231,  238, 
302,  303,  304,  305, 
382-383,  384-385, 
402,  405,  408,  410, 

444,  445,  455,  456, 
478,  479,  485,  486, 
502,  537,  544,  563, 
598,  630,  631,  686, 

8,  12,  14, 16,  17, 18, 

,  34,  36,  37,  39,  40, 
74,  92,  94,  99,  116, 
158,  159,  176,  177, 
189,  190,  192,  208, 
257,  303,  307,  308, 
350,  362,  377,  381, 
419,  420,  424,  428, 
462,  465,  474.  477, 
508,  584,  618. 


Correspondance  de  George  Sand  et 

de  Flaubert,   IV,  278,  279,  418, 

419,  504,  551,  593,  594. 
Cosima,  II,  371,  375  ;  III,  109,  136, 

161-166,  177,  211,  679  ;  IV,  168, 

264,  519. 
Coup  d'oeil  général  sur  Paris,  I,  1-8  ; 

III,  17,  369-370. 
Coupe  (la),  IV,  532. 

Courrier  du  village,  [premier  titre 
des  Promenades  autour  d'un  vil- 
lage], IV,  373,  375. 

Croyances  et  légendes  du  centre  de 
la  France,  par  M.  Laisnel  de  la 
Salle  (article  sur  les),  III,  665. 


Dames  (les)  vertes,  IV,  355,  384. 
Daniella  (la),  I,  143  ;  IV,  239,  357, 
360-371,  377,  384,  547. 

Dans  les  bois,  IV,  210,  250,  548. 
De  la  littérature  slave,  article,  III, 

191-198,  268,  361,  369. 
Deburau,  II,  46  ;  IV,  75. 
D«'mon  (le)  du  fover,  IV,  275,  280, 

281,  282,  283,  284,  317,  632,  633. 
Dernier  Amour  (le),  IV,  484,  505- 

:,07. 


DerniĂšre  Aldini  (la),  I,  359  ;  II,  14, 
48,  108,  119,  143,  152,  252,  393, 
432  ;  III,  120,  665. 

DerniĂšres  Pages,  III,  509  ;  IV,  121, 
210,  250,  301,  548,  549. 

Deux  frĂšres  (les).  (V.  Flamarande.) 

Deux  jours  dans  le  monde  des  papil- 
lons (préface  à),  IV,  341. 

Devant  l'HĂŽtel  de  Ville,  IV,  97,  99-. 

Diable  (le)  aux  champs,  IV,  148- 
154,  271,  300,  301,  321,  339,  340, 
354. 

Dialogues  familiers  sur  la  poésie  des 
prolétaires,  III,  268,  295-297,  377» 

Dieu  inconnu  (le),  II,  285. 

Don  Juan  (les)  de  village,  IV,  691» 

Drac  (le),  IV,  315,  384,  398,  519. 

Droit  (le)  au  vol  (préface  au  livre  de 
Nadar),  IV,  469. 


Education  sentimentale  (article  sur 
l'),II,  507. 

Elle  et  Lui,  I,  54  ;  II,  13, 16,  36,  41- 
42,  69,  70,  111,  113,  130-131, 134, 
135-137  ;  IV,  312,  321,  355,  384, 

Engelwald,  II,  352  ;  III,  227. 

Evenor  et^Leucippe,  IV,[296,  351- 
355. 


Famille  de  Germandre  (la),  IV,  384, 
396-397, 

Fanchette,  III,  268,  294,  369,  374- 
384,  467,  486,  678. 

Fauvette  du  docteur  (la),  II,  433; 
IV,  322, 

FĂ©e  aux  gros  yeux  (la),  IV,  531. 

FĂ©e  PoussiĂšre  (la),  IV,  531. 

FĂ©e  qui  court  (la),  IV,  532. 

Fenimore  CoopĂšre  (article  sur),s  IV 
384.  '-     * 

Fille  d'Albano  (la),  I,  309,f39l  344 
345,  359,  366;  III,  160  ;  IV,  534^ 

Filleule  (la),  IV,  314,  583,  584,  585, 
687, 


45 


706 


GEORGE  SAND 


Flamarande,  IV,  518,  580,  583,  584, 

592,  593. 
Flaminio,  IV,  275,  286,  405. 
Flavie,  IV,  356,  357,  384,  387-389, 

399. 
«  Fragment  d'un  roman  qui  n'a  pas 

été  fait  »,  I,  73  ;  II,  137  ;  IV,  442. 
Francia,  IV,  315,  546,  547. 
François  le  Champi,  III,  636,  637, 

638,  662,  669-676,  680,  687  ;  IV, 

127,  129,  270. 
François  le  Champi  [piÚce],  III,  625, 

679-680;  IV,  112,  168,  269,  275, 

285,  289,  297,  298,  463. 

Françoise  (ou  l'Irrésolu),  IV,  275, 
296,  297,  300,  519. 

G 

Gabriel-Gabrielle,  I,  194;  II,  14, 
108, 119, 138-139, 143, 452  ;  111,96, 
98,  231  ;  IV,  262,  263,  264. 

Garibaldi,  IV,  369. 

Garnier,  I,  384,  447,  448. 

GĂ©ant  Yeous  (le).  (Contes  d'une 
grand'mĂšre),  III,  678  ;  IV,  531. 

Giovanni  Freppa  et  les  MaĂŻoliques 
florentines,  IV,  357. 

Gnome  (le)  des  huĂźtres,  IV,  531. 

GƓthe,  Byron  et  Mickiewicz,  III, 
81,  178,  186-188,  217,  230,  234. 

Gribouille  (histoire  du  véritable),  III, 
369;  IV,  532. 

Guerre  (la),  IV,  370, 

H 

Hamlet  (article  sur),  IV,  449. 

Henri  De  Latouche  (Notice  sur),  I, 
437,  439  ;  III,  668. 

Histoire  de  dix  ans  (article  sur  1'), 
III,  388,  394,  510. 

Histoire  de  France..;  Ă©crite  sous  la 
dictée  de  Biaise  Bonnin  (P),  III, 
294,  678;  IV,  30,  41,  53-55,  56, 
57,60. 

Histoire  de  la  RĂ©volution  par  Louis 


Blanc  (articles  sur),  III,  394, 510  ; 
IV,  440-441. 
Histoire  de  ma  vie,  1,42, 56-58, 62-63, 
66-67,  73,  75,  77,  81-82,  83,  89, 
91,  93-94,  95,  96,  102-103,  107, 
108,  109.  116,  122,  125,  132,  159, 
164,  174,  181,  183,  189,  191,  196, 
201,  202,  216,  220,  222,  223,  230, 
231,  232,  235,  238,  242,  244,  248, 
254,  255,  258,  259,  261,  264.  267, 
268,  277,  280,  281,  286,  289,  290, 
291,  292,  293,  295,  296,  300,  302, 
307,  310,  312,  321,  324,  325,  326, 
332-333,  341,  349,  361,  384,  385, 
394,  395,  396,  414,  415,  421,  437, 
438,  439;  II,  12,  46,  55,  61,  74, 
77,  83,  84,  85,  92,  95,  156,  166, 
177,  183,  184,  186,  188,  189,  210, 
211,  250,  262,  295,  299,  315,  322, 
378,  394,  395,  428,  430,  432  ;  III, 
13,  28,  34,  55,  58.  77,  82,  86-88, 
90-91,  92,  95,  102-103,  105-106, 
111,  112,  125,  146,  223-225,  281, 
413,  418,  449,  457,  465,  469,  476, 
477,  481,  497,  510-511,  512-513, 
514,  515,  520,  527.  528-529,  531, 
534,  543,  582,  588,  589,  593,  594, 
599,  618,  620-621,  624,  643,  656, 
678,  690,   692;  TV,  4,  5,  10-11, 

16,  18,  89,  148,  236,  302,  312, 
321,  322,  324,  327,  328,  329,  331, 
332,  333,  334-339,  350,  401,  610, 
511,  519,  535,  573,  584,  589. 

Histoire  du  grillon,  I,  294. 

Homme  (P)  de  neige,  IV,  271,  301- 
304,  305,  306-309  310,  311,  339, 
380,  382,  384,  387,  451,  453,  458, 
461,  470,  518,  584,  591. 

Horace,  1, 27, 28  ;  III,  avant-propos  i, 

17,  125,  128,  256,  265,  267,  268, 
271-292,  321,  322,  332.  368,  369, 
635  ;  W,  142. 


Impressions  et  souvenirs,  I,  73,  169, 
297,  415;  II,  48-49;  III,  105, 
±01-208,  215,  281,  469,  524;  IV, 
82,  210,  246,  247,  249,  250,  429, 
251,  532,  534,  546,  548,  549,  660, 
551,  552-560. 

Indiana,  I,  27,  265,  303,  309,  340, 
341,  344,  359-360,  362,  371,  372- 


INDEX    DES  ƒUVRES  CITÉES 


707 


374,  377,  388,  393,  407,  416,  436, 
441  ;  II,  17,  39, 123,  404  ;  III,  166, 
268,  288,  333  ;  IV,  263,  321,  326. 

Ingres  et  Calamatta,  II,  398,  399. 

Introduction  Ă   la  Cause  du  peuple, 
IV,  61. 

Isidora,  II,  250  ;  III,  268,  369,  397, 
461-465,500;  IV,  321. 


Jacques,  I,  27,  265,  377  ;  II,  62,  81, 

119, 146,  166,  317,  404,  413  ;  IV, 

390,  391. 
Jardins  (les)  en  Italie,  IV,  357,  359. 
Jean  de  la  Roche,  1, 143,  338  ;  II,  71, 

108,  113  ;  IV,  312,  355,  356,  384, 

389-390,  399,  583. 
Jean  Ziska,  1, 169  ;  III,  17,  268,  363, 

369,  445;  IV,  647. 
Jeanne,  1, 127  ;  II,  309  ;  III,  17,  369, 

402,  404,  476,  478.  488,  509,  635- 

648,  651,  653,  661,  662,  671,  677  ; 

IV,  237. 
Joconde  (la),  gravée  par  Calamatta 

(article  sur),  II,  399  ;  IV,  384. 
Journal  d'un  voyageur  pendant  la 

guerre,  I,  73  ;  IV,  545,  546,  548, 

549,  550,  551. 
Journal  de  1848  et  Journal  du  coup 

d'État  de  1851,  IV,  17, 18,  35,  48, 

89,  91-93,  96,  168-174,  384. 
Journal  du  docteur  Piffoël,  II,  249, 

269,  324,  356;  III,  1,  127,  128, 

200-204,  215,  231-233,  278,  279, 

280-283,  284.  359-361,  454,  461  ; 

IV,  287,  321,  327,  334. 
Journal  intime  et  }ournal  Ă   Musset, 

III,  33, 124  126. 
Journée  du  16  avril,  IV,  61,  91. 
Journée  du  20  avril,  IV,  61,  91. 


K 


Kourroglou,  III,  268,  369. 


LaitiĂšre  (la)  et  le  pot  au  lait,  IV, 
315,  591. 


Lamartine  utopiste  (article  sur),  III, 
267,  295. 

Laura  ou  Voyage  dans  le  cristal, 

I,  362  ;  IV,  417,  649. 

Laure  et  Adriani.  V.  Adriani. 

Lavinia,  I,  256,  262,  384,  445-446  ; 

II,  34  ;  IV,  582. 

LĂ©gendes  rustiques,  1, 137  ;  III,  377, 
665. 

LĂ©lia,  I,  27, 112, 156, 169,  336,  344, 
371,  377,  384,  386,  398,  403,  417, 
421  et  suiv.,  449;  II,  13,  17,  39, 
125  ,152,  168,  183,  255.  309-311, 
353,  404,  413  ;  III,  1,  13,  80,  81, 
84-85, 121,  166,  210,  217-218,  224, 
231,  234  ;  IV,  264,  321,  323,  327, 
331,  580. 

Leone  Leoni,  II,  62,  108,  119,  146' 
213. 

Lettre  Ă   Henri  Arrault  (premier 
promoteur  de  la  Croix-Rouge), 
IV,  454. 

Lettre  Ă   la  classe  moyenne,  IV,  22, 
23,  30,  32,  33,  53. 

Lettre  Ă   Lamartine,  III,  268,  386. 

Lettre  Ă   Lamennais,  IV,  101,  102. 

Lettres  Ă   Marcie,  II,  262,  398,  401- 
413. 

Lettres  Ă   M.  de  Lerminier,  II,  395  ; 

III,  220  ;  IV,  322. 

Lettre  à  Théopliile  Silvestre,  III, 
125. 

Lettre  à  Théophile  Thoré  (sur  la 
mise  en  accusation  de  LouisBlanc), 

IV,  124. 

Lettre  Ă   Victor  Hugo  sur  la  re- 
prise de  LucrĂšce  Borgia,  IV,  75, 
451. 

Lettre  au  pape  (de  Mazzini)  traduite 
par  George  Sand,  IV,  11,  12,  15, 
16,  145. 

Lettre  au  rédacteur  de  la  Réforme 
(contenant  une  prétendue  «  Lettre 
de  mon  village  »),  III,  394. 

Lettre  au  rédacteur  de  la  Réforme 
[datée  du  21  mars  1848],  IV,  36- 
39. 


708 


GEORGE  SAND 


Lettre  au  rédacteur  de  la  Vraie  Ré- 
publique  du  8  avril  1848,  IV,  82. 

Lettre  aux  modérés,  IV,  145. 

Lettre  aux  rédacteurs  de  VEclaireur 
de  F Indre,  III,  386-387,  388,  389. 

Lettre  aux  riches,  III,  671  ;  IV,  3, 
30,  31,  33,  42. 

Lettre  d'Antoine  G.  et  réponse  de 
Gabrielle  G.  Ă   son  mari  Antoine  G, 
ouvrier  carrossier  Ă   Paris.  (Feuil- 
letons populaires),  IV,  109,  121. 

Lettre  d'introduction  aux  fonda- 
teurs de  VEclaireur  de  V Indre,  III, 
388. 

Lettre  d'un  boulanger  Ă   sa  femme, 

III,  678. 

Lettre  d'un  oncle,  IV,  322. 

Lettre   d'un   pavsan   de   la   Vallée 

Noire,  III,  294,  388,  390-391,  643, 

652,  678  ;  IV,  30. 
Lettre  d'un  vovageur  (Ă   Manceau, 

en  1864),  IV,"  446-448,  549. 
Lettre  d'un  vovageur  (de  1865),  IV, 

501-503. 
Lettre  de  Biaise  Bonnin  Ă   Claude 

Germain.  (V.  Lettre  d'un  paysan 

de  la  Vallée  Noire  et  Fanchette.) 
Lettre  Ă©crite  de  Fontainebleau  en 

1837,  IV,  566. 
Lettre  sur  Emile  Aucante,  IV,  342. 
Lettres  au  peuple,  2,  23,  24,  25,  26, 

29,  36,  42,  58,  60,  61. 
Lettres  d'un  vovageur,  I,  54,  73; 

II,  14,  62,  69,"  84,  109,  118,  152. 
159,  161,  173,  189-210,  252,  269, 
324,  335,  390  ;  III,  121,  209,  278  ; 

IV,  16,  287,  321,  322.  334,  481. 
482,  501,  602. 

Lis  (le)  du  Japon  (tiré  d'Antonia), 

IV,  315,  357. 
Loges  (les)  de  Raphaël,  IV,  357. 
Louis  Blanc   au  Luxembourg,   IV, 

124. 
Lucie,  IV,  275,  296,  298,  519. 
Lucrezia  Floriani,  I,  62, 359  ;  II,  262  ; 

III,  134,  470,  501,  504,  515-537, 
543,  554,  559,  567,  570,  574,  582, 
653  ;  IV,  321. 

Lupo  Liverani,  IV,  299,  315. 


M 


Ma  sƓur  Jeanne,  580,  584,  591,  592. 

Mademoiselle  La  Quintinie,  I,  21, 
143  ;  IV,  315,  401,  425,  427,  429, 

430,  439,  440,  464,  630. 

Mademoiselle  La  Quintinie  [piĂšce], 
IV,  315,  429,  431-434,  520,  591. 

Mademoiselle  Merquem,  1, 143,  338  ; 
III,  545,  566-567,  583;  IV,  580. 

Maison  (la)  déserte,  II,  250  ;  IV,  288, 
372. 

MaĂźtre  Favilla,  III,  140,  159;  IV, 
272,  287,  288,  289,  291,  292,  296, 
297,  300,  316,  317,  318,  519. 

MaĂźtres  mosaĂŻstes  (les),  II,  108,  119, 

152,  159,  354,  399,  422. 
MaĂźtres    sonneurs    (les),    II,    424; 

III,  672,  680-687  ;  IV,  275,  354, 

583. 
Malgrétout,  IV,  240-241,  243,  244, 

246,  544,  580. 
Mare  au  diable  (la),  I,   139,  374; 

III,  410,  488,  504,  549,  636,  637, 

638,  661-664,  668,  669,  671,  672 

677,  680,  687  ;  IV,  6,  17,  129,  237, 

638. 
Marguerite  de  Sainte-Gemme,   IV, 

300,  314,  384,  519. 

Mariage  (le)  de  Victorine,  IV,  168, 

170,  171,  173,  274,  275,  276,  278, 

279,  282. 
Marianne  Chevreuse,  IV,  580,  582, 

583. 
Marie  Dorval,   I,  394-396;  IV,  75, 

313,  335. 
Marielle  (v.  Théùtre  de  Nohant),  IV, 

271,  275,  287. 
Marionnettes  de  Nohant  (les),  III, 

509,  546  ;  IV,  301,  536. 
Marquis  de   Villemer  (le),   I,   124; 

II,  146;  IV,  315,  384,  392-394, 

429,  517,  584. 

Marquis  de  Villemer  (le)  [piĂšce],  IV, 
297,   315,  394-396,  405-407,  426, 

431,  435,  471,  474,  496,  517,  519, 
590. 


INDEX   DES   ƒUVRES   CITÉES 


709 


Marquise  (la),  I,  124,  309,  341,  344, 
346,  349,  359,  416  ;  II,  34. 

Marraine  (la),  I,  294,  303,  343. 

Mars  et  Dorval,  IV,  75. 

Marteau  (le)  rouge,  IV,  531. 

Mattea,  II,  14,  62,  108,  119,  152, 
154,  159,  IV,  321. 

Mauprat,  I,  27,  124,  338;  II,  263- 
264,  354,  362,  413,  422,  424-427. 

Mauprat  (piĂšce),  IV,  144,  170,  275, 
284,  285,  286,  287,  297,  433,  434. 

MĂ©langes  et  fragments  philosophi- 
ques de  Renan  (article  sur  les), 
IV,  661. 

Melchior,  I,  341,  344,  359,  379. 

MĂšres  de  famille  dans  le  grand 
monde  (les),  III,  369,  370,  465- 
467. 

Meunier  d'Angibault  (le),   I,   374  ; 

III,  17,  394,  404,  452,  488,  635, 
637,  639,  648-658,  661,  677. 

Mississipiens  (les),  I,  124  ;  III,  161  ; 

IV,  263,  264. 

MƓurs    et    coutumes    du    Berrv, 

III,  665,  678. 
MoliĂšre,  III,  627  ;  IV,  168,  270,  271, 

275,  276,  287. 
Molinara  (la),  I,  309,  330. 
Mon  grand-oncle,  I,  73  ;  IV,  336. 
Monsieur   Jacques,    IV,    440,   441, 

442. 
Monsieur  Maillard  et  ses  travaux  sur 

l'Ăźle  de  la  RĂ©union,  IV,  404. 
Monsieur  Rousset,  I,  127  ;  III,  510, 

637. 
Monsieur  Sylvestre,  II,  166  ;  IV,  453, 

479-484,  505,  506. 
Mont-RevĂȘche,  IV,  280-281. 
Mouny    Robin,    I,    127;   II,   377; 

III,  636,  637. 


N 


Nanon,  II,  424  ;  III,  510  ;  IV,  545, 

680. 
Narcisse,   IV,  272,  311,  312,  384, 

683. 


Nello  le  violoniste  (v.  MaĂźtre  Favilla), 
IV,  274,  275,  284,  286,  287. 

Noce  de  campagne  (la)  ou  les  Noces 
de  campagne,  III,  636,  664,  665- 
669,  670. 

Nouvelle  (la)  lettre  de  Junius,  IV, 
548. 

Nouvelles  lettres  d'un  voyageur, 
I,  73  ;  II  ;  III,  397  ;  IV,  238,  367, 
446,  447,  449,  450,  472,  485,  601, 
525,  549,  550,  667,  571,  619. 

Nuage  rose  (le).  (Contes  d'une 
grand'mùre),  III,  678  ;  ÎV,  531. 

Nuit  (la)  de  Noël,  imitée  d'Hoff- 
mann, IV,  315,  316. 

Nuit  d'hiver  (la),  I,  73  ;  IV,  336. 


ƒuvres  complùtes,  III,  369, 386,610  ; 

IV,  661. 
Orco  (1'),  II,  14,  108,  119,  152,  158, 

159;  III,  231. 
Orgue  (1')  du  Titan,  IV,  531. 
Ouvriers  boulangers  de  Paris  (les), 

III,  388-390. 


Paroles  de  Biaise  Bonnin  aux  bons 

citoyens,  III,  294,  678  ;  IV,  2,  30, 

69. 
Pauline,  I,  314,  344,  350,  358,359; 

III,  231  ;  IV,  681. 
Pauline  Garcia  et  le  théùtre  italien, 

(article),  III,  215. 
Pavé  (le),  IV,  315,  384,  619. 
Péché  de  M.  Antoine  (le),  I,  124, 

336,  338,  374  ;  III,  17,  476,  635, 

637,  639,  658-661,  677,  678. 
Pensées  d'un  maßtre  d'école,  IV,  632- 

534. 
PĂšre  (le)  Communisme,  IV,  107, 113- 

114. 
PĂšre-Va-tout-seul  (le),  III,  636,  678, 
Petite   Fadette  (la),   I,   137,   374; 

III,  637,  638,  672,  676-678,  680; 

IV,  45,  302,  660. 


7io 


GEORGE  SAND 


Petite  Fadette  (la)  [piĂšce],  III,  678- 
679. 

PĂ©tition  pour  l'organisation  du  tra- 
vail (article  sur  la),  III,  388, 391- 
392,  393,  394,  396. 

Peuple  (le)  et  le  président  (V.  A 
propos  de  l'Ă©lection  de  Louis- 
Napoléon). 

Piccinino  (le),  III,  609-510,  559, 
687,  690-696  ;  IV,  8,  16,  53,  132. 

Pierre  Bonnin,  III,  636,  678  ;  IV, 
549. 

Pierre  qui  roule  (v.  Le  beau  Lau- 
rence), IV,  271,  272,  311,  518. 

Plutus,  IV,  316,  316,  317. 

PoĂšme  de  Myrza  (le),  II,  285  ;  IV, 
321. 

Politiques  et  socialistes,  III,  388, 
394-396. 

Pourquoi  les  femmes  à  l'Académie, 
IV,  437. 

Pourquoi  nous  sommes  revenus  Ă  
nos  moutons  (préface  de  la  Petite 
Fadette),  premier  titre  de  :  A  propos 
de  la  Petite  Fadette,  IV,  45,  127- 
129. 

Préface  aux  Conteurs  ouvriers,  III, 
297,  321-326. 

Préface  aux  Masques  et  Bouffons  de 
Maurice  Sand,  IV,  271,  343,  384. 

Préface  aux  Poésies  de  Magu.  III, 
297,  317-319. 

Préface  aux  Six  mille  lieues  à  toute 
vapeur  de  Maurice  Sand,  IV,  258, 
359. 

Préface  VObermann,  I,  384,  398, 
447,  448  ;  II,  400. 

Préface  de  Werther,  traduit  par  Le- 
roux, III,  178,  369. 

Préface  des  Chansoyis  de  chaque  mé- 
tier de  Poney,  III,  297,  308. 

PrĂ©face  des  Ɠuvres  complĂštes  (pour 
l'Ă©dition  Perrotin,  1843),  III,  268. 

Préface  des  Travailleurs  et  Proprié- 
taires, de  Victor  Borie,  I,  16  ;  III, 
550  ;  IV,  3,  4,  146. 

Préface  du  Bouquet  de  marguerites 
de  Poney,  III,  297. 


Préface  du  Chantier  de  Poney,  III, 

297,  305,  307,  308. 
Pressoir  (le),  III,  678,  679;  IV,  275, 

284,  285,  297. 
PriĂšre,  II,  314. 
Prima  Donna  (la),  I,  331,  344-345, 

359. 
Princesse    Anna    Czartorvska   (la), 

III,  199  ;  IV,  550. 
Proclamation   de  la   RĂ©publique  Ă  

Nouant- Vie.  (V.  La  Lettre  au  ré- 
dacteur de  la  Réforme  datée  du 

21  mars  1848). 
Procope  le  Grand,  I,  169;  III,  17, 

268,  363-365,  369,  445, 
Promenades    autour    d'un    village 

(v.   Courrier  de   village),   I,   63; 

III,  476,  665  ;  IV,  373.  374,  375, 

377,  378,  384,  396,  507. 


Question  (la)  de  demain,  IV,  107. 
Question  (la)  sociale,  IV,  99,  100, 

101,  104. 
Questions   d'art  et   de  littérature, 

II,  46  ;  III,  318  ;  IV,  5,  75,  375, 
404,  426,  449,  507,  550. 

Questions    politiques    et    sociales, 

III,  386,  394  ;  IV,  3,  5,  99,  101, 
548,  549,  550. 


RĂ©alisme  (le),  IV,  375,  507. 

RĂ©ception  de  Sainte-Beuve  Ă   l'Aca- 
démie (article  sur  la),  III,  394. 

Réflexions  sûr  J.-J.  Rousseau,  I, 
361  ;  III,  196,  370-373. 

Reine  Coax  (la),  IV,  531. 

Reine  Mab  (la),  I,  309,  341,  344, 383  ; 

II,  120. 

Relation  d'un  voyage  chez  les  sau- 
vages de  Paris,  I,  362  ;  III,  369, 
370,  B73-374. 

RĂ©ponse  Ă   diverses  objections  s 
(V.  La  poUtique  et  le  socialisme), 

III,  388,  395-396. 


INDEX    DES   ƒUVRES   CITÉES 


711 


Réponse  à  un  ami  et  réponse  à  une 

amie,  IV,  557,  562. 
Reprise  de  LucrĂšce  Borgia.  (V.  Lettre 

Ă   Victor  Hugo). 
République  et  royauté  en  Italie  de 

Mazzini  (préface  et  traduction  de), 

IV,  145. 
RĂȘves  et  souvenirs.  (Premier  titre 

d'Impressions  et  souvenirs). 
Revue  politique  et  morale  de  la  se- 
maine, IV,  83,  105. 
Roi  (le)  attend,  IV,  62,  75,  77,  168, 

269,  270,  519. 
Roi    (le)    des    neiges,    conte    Ă©crit 

en  1839  et  resté  inédit,  IV,  532. 
Rose  et  Blanche,  I,  336-340,  344, 

346,  359  ;  III,  288-289  ;  IV,  312, 

581. 
Rues  (les)  de  Paris,  IV,  61,  71,  107. 
Ruisseau  (le),  II,  375,  442. 


S 


SalammbĂŽ  (article  sur),  IV,  507. 
Secrétaire  intime  (le),   II,  14,   62, 

108,  119,  149,  152,  450,  IV,  287. 
Sept  cordes  de  la  Lyre  (les),  II,  48, 

125,  324,  378-390,  392:  III,  17, 

188,  230,  234  ;  IV,  263,  391,  449. 
Simon,  I,  362;  II,  249,  366,  369, 

413,  416  ;  III,  130,  234,  278,  285, 

610. 
Sketches  and  Hints,  I,  420,  429. 
Socialisme,  IV,  3,  51,  60,  62,  63-64, 

65,  66,  67,  68,  72,  104. 
Sonnet  sur  Chatterton  d'Alfred  de 

Vigny,  II,  120. 
Souvenirs  de  1848,  I,  73,  362,  439  ; 

IV,  5,  107,  121,  124,  469. 
Souvenirs  de  Mme  Merlin  (article 

sur  les),  IV,  156. 

Souvenirs  et  idées,  III,  547,  548, 
617  ;  IV,  3,  18,  82,  89,  169-173, 
348. 

Spiridion,    I,    169,    377;    II,    458; 

III,  12,  17,  18,  66,  67,  80,  81,  86, 
137,  187,  217-230,  237,  242,  244  ; 

IV,  321,  421,  430,  556,  557,  580. 


Sur  le  drame  fantastique  (V.  Goethe, 
Byron  et  Mickiewicz),  III,  186- 
187,  217. 

Sur  le  général  Cavaignac.  (Voir  le 
Peuple  et  le  Président  et  A  propos 
de  l'élection  de  Louis-Napoléon 
à  la  présidence  de  la  République.) 

Sur  les  poĂštes  populaires,  III,  267, 
292,  293-295. 


Tamaris,  I,  143  ;  IV,  398. 
Tapisseries  du  chĂąteau  de  Bonssac 

(article  sur  les),  III,  476,  636. 
Théùtre  de  Nouant,  IV,  398. 
Teverino,  I,  359  ;  II,  62  ;  III,  687- 

690.  IV,  275,  286. 
Toast  (le),  I,  309,  341,  344,  359,  379  ; 

IV,  321. 
Tour  (la)  de  Percemont,   IV,   580, 

583,  584,  594. 


U 


Un  bienfait  n'est  jamais  perdu,  IV, 

315,  591. 
Un  coin  de  la  Marche  et  du  Berry, 

III,  476. 

Un  cyclone  Ă   l'Ăźle  de  la  RĂ©union, 
IV,*  404. 

Un  été  dans  le  Sahara,  de  Fromentin 
(article  sur),  IV,  384,  453. 

Un  hiver  Ă   Majorque,  I,  57,  58  ; 
III,  55,  56,  59,  60,  64,  69,  70,  72, 
73-76,  77,  80,  82-86,  87,  125. 

Un  voyage  chez  M.  Biaise,  IV,  121, 
336. 

Un  voyage  en  Auvergne  et  en 
Espagne,  I,  73,  92,  197,  279,  294, 
297,  338,  343  ;  IV,  323-333. 

Une  année  dans  le  Sahel,  de  Fro- 
mentin (article  sur),  IV,  384,  453. 

Une  lettre  Ă©crite  de  Fontainebleau 
en  1837,  II,  48-49,  432  ;  IV,  566. 

Une  visite  aux  Catacombes,  II,  398, 
400. 


7»3 


GEORGE   SAND 


Uscoque  (1'),  I,  33,  362  ;  II,  14, 108, 
119,  152,  157,  159,  422;  III, 
avant-propos  iv,  231. 

Utilité  d'une  école  normale  d'équi- 
tation,  III,  397  ;  IV,  550. 


Vacances  (les)  de  Pandolphe  ;  IV, 
271,  274,  275,  279,  280,  282. 

Valentine,  I,  27,  124,  201,  309,  341, 
344,  359,  373-374,  377,  388, 
416,  441  ;  II,  17,  404  ;  III,  676, 
€77  ;  IV,  321,  581.  582,  584. 

Vallée  noire  (la),  III,  476,  636. 

ValvĂšdre,  II,  424  ;  IV,  256,  356,  384, 
390-392,  399. 


Veillées  du  chanvreur  (les),  III,  638, 
662,  666,  687  ;  IV,  129. 

Victor  Hugo  par  un  témoin  de  sa  vie 
(article  sur  le  livre  de  Mme  Hugo), 
IV,  449. 

Vierge  (la)  à  la  chaise,  gravée  par 
Calamatta,  II,  399. 

Villa  (la)  Pamphili,  IV,  357,  359. 

Ville  noire  (la),  III,  311  ;  IV,  384, 
399. 

Vision  (la),  I,  309,  330. 

Visions  de  nuit  Ă   la  campagne,  I, 
137  ;  III,  636,  665,  678  ;  IV,  378, 
384. 

Voyage  au  Mont  Dore.  (V.  Voyage 
en  Auvergne  et  en  Espagne.) 


INDEX  DES  NOMS  CITÉS 


A 


Abbatucci  (Jacques  -  Pierre  -  Charles 
d'),  IV,  157,  172,  194,  218,  219, 
220. 

AbrantĂšs  (la  duchesse  d'),  IV,  465, 

517. 
Accolas,  avoué,   I,  276,  287,  292; 

II,  291. 
Accursi  (M.),  IV,  10,  16. 
Achille,  III,  284. 
Adam  (Edmond),  IV,  523,  526,  527- 

529,  537,  538,  618. 

Adam  (Mme),   IV,   419,  427,  523, 

524,  525,  526-529,  536-540,  541, 

542-544,  551,  553,  557. 
AĂąrienne,  par   De    Latouche.    III, 

654. 
Affaire  (F)  Clemenceau,  par  Dumas 

fils,  IV,  406. 

Affaires  de  Rome,  de  Lamennais, 
II,  228. 

Ageorges  (Joseph),  III,  388. 

AgnĂšs  Sorel  et  Charles  VII,  IV,  351. 

AgnĂšs  de  MĂ©ranie.  de  Ponsard,  III, 
552. 

Agoult  (Marie  de  Flavignv,  com- 
tesse d')  =  Daniel  Stem,  I,  70,  72, 
403  ;  II,  49-50,  105,  108,  146,  152, 
161,  209-211,  213,  239-241,  243- 
244,  246-248,  251-253,  256-257, 
259,  263,  264,  266-267,  295,  298- 
299,  310-311,  324-326,  328,  329- 
330,  333,  337,  339,  344-347,  349- 
350,  353,  362;  II,  367-369,  371, 

715 


373,  378,  395,  399-416,  420,  427, 
428,  433,  442,  457;  III,  14,  16, 
11,  22,  28,  36,  95,  127,  128,  164, 
275,  182,  183,  184,  186,  191,  202, 
236,  259,  265,  269,  278-286,  291, 
449,  465;  IV,  2,  31,  42,  52,  73, 
76,  81,  85-87,  93,  98,  99,  287, 
313,  482. 

Agrestes  (les),  de  De  Latouche,  III, 
652. 

Aguado  (Alexandre-Marie),  III,  366, 
368. 

Ajasson  de  Grandsaigne  ou  de 
Grandsagne  (Stéphane),  I,  196- 
197,  286,  289,  361  ;  II,  148  ;  IV, 
325,  351. 

Albert  (Mme),  artiste  dramatique, 
IV,  170. 

Albert  (Paul),  IV,  522. 

Albert,  membre  du  gouvernement 
provisoire,  IV,  49,  92. 

Albin  (SĂ©bastien)  —  Mme  Hortense 
Cornu,  III,  178  ;  IV,  163. 

Albrecht,  III,  65 

Alcan,  III,  119. 

Alexandra  Nicolaiewna,  grande-du- 
chesse, IV,  549-550. 

Alexandre  I",  IV,  165,  335,  623. 

Alicia  (mĂšre),  I,  160,  178,  180. 

Allan  (Mme),  artiste  dramatique,  IV, 
170. 

Allart  (Mme  Hortense),  I,  244; 
II,  346;  III.  120,  128,  280,  281, 
282,  461,  465  ;  IV,  549. 


714 


GEORGE   SAND 


Almanach   du   Bonhomme   Richard, 

II,  174. 

Almanach  populaire   de   la   France 

.    pour  1849,  IV,  158. 

Alton-Shée  (comte  d1),  II,  55. 

Ambert  (Jean-Jacques),  I,  227-228. 

Ame  (V)  de  la  plante,  par  M.  Bos- 
cowicz,  IV,  571. 

Amel  (Mme),  de  la  Comédie-Fran- 
çaise, IV,  648. 

Amélie,  princesse  de  Prusse,  III, 
346,  351. 

Ami  (V)  du  peuple,  journal  de  Cabet. 
IV,  98,  99. 

Amie  (Henri),  I,  préface,  2,  70,  76, 
113,  311,  315,  388  ;  II,  60,  147  ; 

III,  Avant-propos,  IV,  262,  356, 
404,  504,  505,  522,  523,  524,  536, 
544,  609,  614,  621,  625,  626. 

Amour  de  Veau,  par  Victor  Hugo, 

IV,  449. 

Amouroux  (J.-A.).  IV,  230. 

AmpĂšre  (Jean-Jacques),  III,  192. 

Amshaspands  et  Darvands,  de  La- 
mennais, II,  229,  395. 

Ancelot  (Jacques),  III,  164. 

Ancessy,  IV,  467. 

Andersen  (Hans-Christian),  111,338  ; 
IV,  279,  534, 

André,  petit  groom  d'Aurore  Du- 
pin,  I,  192,  193,  208  ;  IV,  329. 

Andrezel  (d'),  I,  122. 

Angélus  (/'),  de  Millet,  IV,  644. 

Anna  Iwanowna,  impératrice  de 
Russie,  I,  81. 

Anna  Karénine,  de  Tolstoï,  I,  377  ; 
II,  158,  230  ;  III,  496. 

Année  (V)  terriile,  IV,  451,  549. 

Années  de  pÚlerinage,  de  Liszt,  II, 
253. 

Annenkow  (P.  W.),  I,  30  ;  III,  267, 
IV,  129, 

Antoine  et  Cléopùtre,  I,  395  ;  IV,  351. 

Antonini  (Mme),  II,  88. 

Apollon,  III,  131. 

Apollonius  de  Tyane,  III,  8,  203. 


A  qui  la  faute,  roman  de  Herzen, 

II,  82. 

Arago  (Emmanuel),  I,  72  ;  II,  184, 
188,  243,  339,  351  ;  III,  79,  103, 
108,  120,  122,  130,  131,  271-272, 
288,  328,  454.  500,  501.  509,  510, 
549,  585.  586.  695;  IV,  12,  16, 
45,  50,  171,  265,  266. 

Arago  (Etienne),  III,  272,  328,  392, 

398  ;  IV,  2,  42,  44,  45,  80,  86,  94, 

141,  237. 
Arago  (François),  III,  120,  292,  293, 

294,  328,  392,  398  ;  IV,  2,  93. 
Arago  (Lovely),  IV,  172. 
Aragon  (Charles  d'),  II,  338;  III, 

609,  619,  620. 
Arimane,  III,  11. 
Aristophane,  IV,  316,  317. 
Aristote,  I,  188  ;  III,  11,  239  ;  IV, 

481. 
Arles  (l'archevĂȘque  d'),  I,  198-200, 
Arpentigny  (capitaine  d'),  III,  500, 

501,  549  ;  IV,  112. 
Arnaud,  de  l'AriĂšge,  IV,  618. 
Arnault,  imprimeur,  III,  380. 
Arnold  (M.)  =  Pierre  Leroux,  III, 

416  ;  IV,  221. 
Amould-Plessy  (Mme  Sylvanie),  I, 

12;  IV,  255-258,  269,  296,  356, 

417,  429,  453,  497-499,  504. 
Arrault  (Henri),  IV,  454. 
Arséniew  (Constantin),   I,   26,  27  ; 

III,  645. 

Art  (V),  III,  646. 

Artiste  (V),   I,  330;   II,  399,  445; 

IV,  76. 

Ashurst  (Mrs),  IV,  6,  9. 

Askenazy  (Szimon),  III,  186. 

Assas  (d'),  III,  426. 

Association  (V),  journal  de  Nevers, 
II,  434. 

Astrée  (V),  par  Durfé,  IV,  296. 

Astres  (les),  par  Schubert,  III,  97. 

Atelier  (V),  journal,  III,  320,  491. 

Athanase  (saint),  III,  11. 

Auberge  (V)  du  crime,  piĂšce  impro- 
visée, III,  533,  555,  589. 


INDEX   DES    NOMS   CITES 


715 


Aubertin,  III,  549. 

Aubon  (docteur),  IV,  411. 

Aucante  (Emile),  I,  50,  70  ;  II,  17, 
71,  116-118;  III,  avant-propos,  i, 
328,  398,  405,  406,  407,  416  ;  IV. 
139,  143,  150,  151,  174,  185,  186, 
191,  196,  209,  218,  221,  229,  230, 
237,  308,  340,  342,  344,  363,  368, 
376.  379,  380,  382,  383,  385,  387, 
438,  455,  485,  522,  609,  614,  621, 
624-627. 

Audley  (Mme),  II,  379. 

Auersperg  (comte  Alexandre-An- 
toine) [en  littérature  :  Anastasius 
Grun],  III,  136,  146,  147,  151, 
153,  154,  155,  156,  157. 

Augras,  président  de  la  société  des 
Gas  du  Berry,  IV,  650,  658,  659. 

Augsourger  allgemeine  Zeitung  (Ga- 
zette universelle  d'Augsbourg),  II, 
313. 

Auguste  II,  roi  de  Pologne,  Ă©lecteur 
de  Saxe,  I,  78,  80-81,  89,  91. 

Auguste  III,  roi  de  Pologne,  I,  80^ 

Augustin  (saint),  I,  13,  161. 

Augustin  (saint),  par  Leroux,  III, 
11. 

Aulard  (Alfred),  IV,  38. 

Aulard  (M.),  maire  de  Nohant-Vic, 
IV,  38,  184  185-186,  229,  235. 

Aure  (comte  d'),  III,  397-398;  IV, 
369,  550. 

Auteurs  dramatiques,  d'Emile  Zola, 
IV,  319. 

Aux  Femmes,  par  TolstoĂŻ,  II,  407. 

Avenir  (V),  II,  226. 

Avenir  national  (V),  journal,  III, 
394  ;  IV,  440,  449,  454,  619. 

AventuriĂšre  (V),  par  E.  Augier,  IV, 
75. 


Babou  (Hippolyte),  II,  13. 

Bacon,  I,  188. 

Bach  (Jean-SĂ©bastien),  III,  34,  73, 

104,  212. 
Bahuet,  habitant  de  La  ChĂątre.  IV, 

476. 


Baillot,  II,  208. 

Bakounine  (Michel),  I,  72  ;  III,  398  ; 

IV,  19,  129-140,  144. 
Balakirew  (Mili),  III,  35. 
Balbo  (comte  de),  I,  195. 
Ballade  (la  lre)  de  Chopin,  III,  24, 

487. 

Ballade  (la  2e)  de  Chopin,  III,  66, 

89. 

Ballades  et  chants  populaires  anciens 
et  modernes  de  V Allemagne,  pal 
SĂ©bastien  Albin,  IV,  163. 

Ballanche,  I,  440  ;  II,  186-187,  219, 
345,  355. 

Balzac  (Honoré  de),  I,  1,  4,  25,  43, 
98,  180,  311,  322,  336-337,  339' 
437,  448;  II,  15,  145,  151,  369, 
445-447,  451-454;  III,  116-117, 
120,  129,  133,  170,  173,  177,  220, 
234,  283,  291,  292,  420,  422,  426- 
427,  449,  480,  646,  653  ;  IV,  262, 
263,  302,  581. 

Baptiste,  IV,  39. 

Baraguay  d' libers  (général  comte 
Achille),  194,  204,  205,  206,  216, 
217,  220. 

Barbançois  [Brabançoisr],  III,  383; 

BarbeguiĂšre  (Arnaud  Germain),  I, 
228. 

Barbes  (Armand),  I,  20, 71  ;  III,  398  ; 
IV,  46,  86,  87,  90,  91,  98,  122, 
123,  124-129,  180,  415,  516,  519, 
522,  523. 

Barbey  d'Aurevilly  (Jules),  II,  13, 

Barbier  de  SĂ©ville  (le),  IV,  277,  590, 

Barbiera  (Rafaello),  176  ;  II,  68,  78, 
96. 

Barcarolle  (la)  de  Chopin,  III,  487| 

Barchon  de  Penhoën  (baron  Auguste- 
Théodore-Hilaire),  II,  332,  345. 

Baretta  (Mme  Worms),  IV,  646. 

Barine  (ArvĂšde),  I,  45,  51-52,  70-72  ; 
II,  13,  15,  16,  37,  39,  49-51,  53, 
65,  72,  78,  80-81,  83,  90,  93,  96, 
97,  102,  106,  120,  132-133;  III, 
124. 

Barré  (Léopold),  IV,  289. 

Barrot  (Odilon),  II,  186  ;  IV,  12, 19, 


/i6 


GEORGE   SAND 


Barth.  docteur,  IV,  606,  608. 

Barza  Breiz  (les),  III,  665. 

Bascans  (Mme),  II,  441;  III,  118, 
431,  451,  452.  456. 

Bascans  (M.).  III,  118.  452,  456, 
457,  462,  563,  591,  597,  602  ;  IV, 
422. 

Basile,  auteur  dramatique,  III,  659, 

Bassompierre,  II,  33,  43. 

Bastide,  IV,  46. 

Baudelaire  (Charles),  IV.  292.  293- 
295. 

Bauernfeld,  III,  140,  141. 

Bayreuth  (la  margrave  de),  III,  348. 

Bazard  (Armand),  II,  225  ;  III,  5. 

Bazouin  (Mlles  Jane,  Aimée  et  Ché- 
rie), I,  12,  180,  250.  253-254,  259, 
294,  303,  316  ;  IV,  326. 

Beaufort  (de),  directeur  de  l'Odéon, 
IV,  453,  455. 

Beaumarchais,  IV,  78,  590. 

Beauplan  (de),  IV,  277. 

Beaumont  (abbé  de),  I,  122,  216, 
223. 

Beaune  (la  famille),  III,  398. 

Beauvallet,  de  la  Comédie-Fran- 
çaise, IV,  48. 

Beauvau  (la  princesse  de),  III,  120. 

Beauvau  (hĂŽtel  de),  III,  94. 

Bedeau  (général).  IV.  272. 

Beethoven.  II.  163.  214,  358  :  III,  34, 
35,  105,  207.  408,  420.  478,  517, 
529  ;  IV,  401. 

BĂ©jard,  charbonnier  Ă   La  ChĂątre, 
ÏV.  476. 

Belcikowski,  III,  182. 

Belgiojoso  (princesse  Christine  de), 
I,  53  ;  II,  188  ;  III,  129,  283. 

Bellerophon,  III,  258. 

Bellini  (Vincent),  III,  41. 

Bénédictins  (les),  III,  221. 

BenoĂźt  (saint),  III,  11. 

Bentzon  (Mme  Th.),  III,  397. 

Beolco,  IV,  271. 

BĂ©ranger  (Mme  de),  I,  122  ;  II,  401. 


BĂ©langer  (P.  J.).  III,  138,  259,  260, 

295,  299,  305,  306-308,  314-315, 

316  ;  IV,  466. 
BĂ©rangĂšre,   IV,  269.  289,  372,  373, 

376,  379. 
Bereer  (M.),  préfet  du  Cher.  IV,  185, 

198,  235. 
Berlioz  (Hector),  1, 121  ;  11,204-205  ; 

III,  33,  105,  421  ;  IV.  321. 
Bernard  (saint),  III,  329. 
Bernardin  (N.-M.'.i.  IV,  632. 
Bernhardt  (Sarah),   IV,    262.    315, 

590,  634. 
Berquin,  I,  104. 
Berr  (Georges),  IV,  640. 
Berry  (duc  de),  I.  177. 
Berryer,  II,  106,  347. 
Bertall,  I,  1. 
Berthé  (M.),  III,  596. 
Berthelot,  III,  221. 
Bertholdi    (Mme    Augustine    de)« 

V.  Brault  (Augustine). 
Bertholdi  (M.).,  III,  588,  600.  601f 

605,  614,  619  ;  IV,  17,  631. 
Bertholdi  (Georges  de),  IV,  631. 
Bertholdi  (Jeanne  de),  IV,  631. 
Bertin.  III,  653. 
Berton     (Charles-Francisque),     IV, 

242,  297,  311,  433,  434,  452.  455, 

457.  458.  463,  406.  618. 
Berton  (Pierre).  IV,  242. 

Bethmann  (la  famille),  II,  239; 
III,  279,  283. 

Bethmont,  membre  du  gouverne- 
ment provisoire,  IV,  42,  93. 

Bettiiia  (Elisabeth  Brentano,  com- 
tesse Arnim,  dite  la),  III,  177- 
178. 

Beucher-Defant,  IV.  230. 

Beuzeville    (poĂšte    populaire),    III, 

293,  295,  317. 
Beyle  (Henry)  [Stendhal],  I,  52. 
Biaud,  IV.  40. 

Bibliophile  Isaac,  pseudonyme  du 
vicomte  Charles  de  Spoelberch  de 
Lovenjoul. 


INDEX    DES    NOMS   CITÉS 


717 


Bidault,  II,  18G. 

Bidou  (H.),  III,  80. 

Bielinski  (V.  G.)..  I,  23-26,  31,  177  ; 
IV,  129. 

Bien  de  MĂącon  (le),  journal,  III,  385, 
386. 

Bien  (le)  public,  III,  491  ;  IV,  626. 

Biergel  (Alexandre),  III,  198. 

Bignon,  IV,  170. 

Bignon  (M.  et  Mme  Albert),  IV,  269. 

Billaut  (Me  Adam),  III,  293,  296, 
297. 

Birch-Pfeiffer  (Mme),  III,  678. 

BjĂŽrnson,  I,  443;  II,  422. 

Blanc  (FĂ©lix),  IV,  216. 

Blanc  (Louis),  I,  26,  31,  72  ;  II,  176  ; 
III,  102,  328,  391,  392,  393,  394, 
396,  404.  409,  501,  509,  510,  537, 
645,  653,  658,  695.  696  ;  IV,  2, 12, 
20,  42,  43,  85,  86,  91,  92,  93,  110, 
114,  123,  124,  126,  127,  141,  156, 
157,  174,  251,  559. 

Blanchard,  Ă©diteur,  III,  113;  IV, 
40. 

Blanqui,  IV,  85,  87,  91,  122. 

Blavoyer,  II,  326,  377. 

Blaze  de  Bury  (Henri),  I,  81. 

Blessington  (lady),  IV,  232. 

Bocage,  II,  355,  451  ;  III,  120,  122, 
137,  161,  190,  191.  197,  269,  274, 
275,  276,  284,  286,  291,  317,  451, 
652. 

Boerne  (Ludwig),  III,  147. 

Boissy  (M.  de),  III,  122. 

Boldakow  (Innocent),  I,  préface  2. 

Bonaparte.  V.  Napoléon  Ier. 

Bonaparte  (Louis).  F.  Napoléon  III, 
III,  398. 

Bonaparte  (la  famille),  IV,  250. 

Bonhomme  (François),  IV,  119. 

Bonnaire,  Ă©diteur,  II,  374  ;  III,  369. 

Bonnechose  (M.  de),  III,  79,  120, 
122,  551. 

Bomiechose  (Mme  de),  III,  551. 

Bonnin  (Biaise  ou  Gustave)  =  pseu- 
donyme de  George  Sand. 


Bonnin  (Pierre),  menuisier  Ă   Nohant, 
IV,  374,  530,  549. 

Borie  (Victor),  I,  16  ;  III,  386,  388, 
398,  688,  590  ;  IV,  14,  16,  19,  29, 
33,  34,  41,  47,  50,  103,  132,  140, 
146.  147,  174,  237,  266,  340,  349, 
390,  453,  485,  491,  522,  610,  624. 

Born  (Max),  III,  687. 

Bossuet,  I,  188  ;  III,  239. 

Botkine  (Basile),  I,  30  ;  IV,  129. 

Boubée  (Simon),  I,  13. 

Bouchard  (M.),  IV,  653. 

Boucoiran  (Jules),  I,  50,  52,  72,  284, 
300,  303-305,  307,  312,  314,  315, 
325,  329,  369,  384,  443;  II,  45, 
61-62  64-65,  77-78,  83,  94-95,  97- 
98, 100-103,  295,  296  ;  III,  56,  57, 
59,  62,  65, 173,  269,  448,  598  ;  IV, 
410,  411,  416,  420,  430,  472,  485, 
522,  523,  532. 

Boudin,  candidat  dans  l'Indre,  IV, 
46. 

Bouffé,  III,  78  ;  IV,  286. 

Bougeriot,  IV,  476. 

Bouilhet  (Louis),  IV,  451. 

Bouilloud  (Mlle  de),  I,  195. 

Boulgarine,  I,  14,  15. 

Boullé,  éditeur,  IV,  640,  654. 

Bourdet,  III,  612  ;  IV,  170, 

Bourdet  (Mme),  III,  612  ;  IV,  170. 

Bourgeat  (Fernand),  IV,  518. 

Bourgeois  (Anicet),  III,  678. 

Bourgoing      (Rozanne),      devenue 

Mme  de  Curton,  II,  291,  296  ;  IV, 

171,  235,  337. 

Boursault  (le  docteur),  III,  374,  382, 

Boutet  (André),  II,  280. 

Boutet  (Mme),  II,  280. 

Bouyer  (le  commissaire),   III,  382. 

Bouzemont,  III,  603,  604. 

Bovet,  III,  602,  603. 

Boyer  (poĂšte  populaire),  III,  293, 
296. 

Brandes  (Georges),  I,  59,  202,  403  ; 
II,  13,  38,  124-125,  129. 

Brault  (AdĂšle),  III,  505,  506. 


7i8 


GEORGE   SAND 


Brault  (Augustine),  V.  Bertholdi 
(Mme  de),  III,  118, 397.  418,  459, 
495,  496,  500,  501,  504,  505,  508, 
509,  510,  512,  546,  550,  553,  554, 
558,  559,  568,  572,  576,  577,  578, 
581,  582,  583.  588,  592,  597,  600, 
601,  613.  614,  618,  619,  620,  621, 
622,  626  ;  IV,  10,  20,  28,  37,  50, 
87,  88,  140,  257,  266,  272,  273, 
276,  298,  349,  474,  533,  631 

Brault    (pĂšre),   III,    505-507,    619, 

620,  621. 
Brentano  (Clément),  III,  178. 
Blinde  au,  IV,  462. 
Brisson  (Adelphe),  II,  13. 
Broadwood,  III,  37. 
Broca  (Paul),  III,  365. 
Brohan  (Madeleine),  IV,  48,  75. 
Brothier,  ingénieur  à  Montluçon,  IV, 

399.     . 
Browning-Barrett   (Mrs   Elisabeth), 

III,  428-429. 
Browning  (Robert),   poĂšte   anglais, 

III,  428. 

Bruckmann  (Friedrich),  III,  130. 

Bruneau,  cordonnier  Ă   La  ChĂątre, 

IV,  476. 

Bruno  (saint),  III,  72. 

Bulletins  de  la  République  (préface 

aux),  IV,  52. 
Bulow  (Mme  Cosima  von),  plus  tard 

Mme  Richard  Wagner,  II,  371. 

Buloz  (François),  I,  443  ;  II,  38,  67, 
61-62,  64,  66-67,  101-103,  124, 
136,  213,  249,  263,  264,  352-353, 
374;  III,  avant-propos,  40,  65, 
66,  68,  95,  98,  123, 130,  161,  162, 
165,  170,  174,  175,  176,  217,  218, 
230-234,  235,  244,  256-258,  266, 
267,  648,  659;  IV,  294,  322,  387, 
399,  430,  436,  437,  439,  453,  477, 
497,  498. 

Bulwer  (Edward),  III,  281, 

Buononcini,  III,  348. 

Burgaud  des  Marets,  III,  188. 

Byron,  1, 11,  46, 189, 240,  317  ;  II,  9, 
30-31,  136,  157,  169,  163,  330; 


III,  122, 186,  193,  310,  524,  691  ; 

IV,  170,  232. 


Cabanes  (docteur),  I,  11  ;  II,  2,  13, 
15,  68-69, 118. 

Cabarus,  IV,  232,  265. 

Cabet,  I,  26;  IV,  33,  71,  72,  91,  92, 
93,  94.  98.  99,  105. 

Cadol  (Edouard),  IV,  315,  316,  416, 
452,  453,  460,  485,  530,  538,  624. 

Caffariello  (le  sopraniste),  III,  348. 

Cagliostro,  III,  351. 

Caillaud  (Marie),  IV,  386,  387,  460, 
464,  472,  473,  478,  492,  628. 

Calamatta  (Anne-Joséphine),  née 
Raoul-Rochette,  IV,  421,455,  466, 
460. 

Calamatta(Cajroline-Marceline),  Lina, 
plus  tard  Mme  Maurice  Sand. 

Calamatta  (Luigi),  II,  153,  338, 
398-399  ;  III,  117,  122,  123,  166, 
599  ;  IV,  205,  207,  301,  365,  411, 
412,  415,  421,  427,  499,  645. 

Calas  (Jean),  III,  374. 

Caldéron,  III,  295. 

Caïïirhoé,  par  Maurice    Sand,  IV, 

464. 
Calmette  (Fernand),  IV,  673. 
Calvin,  IV,  470. 

Camus,  fermier  de  Nohant,  IV,  150. 
Canning  (Mme),  I,  174-175,  176. 
Canonge  (Jules),  III,  299. 
Canova,  III,  655. 

Canrobert  (maréchal),  IV,  209,  211* 
Canuet,  av.  lie,  IV,  230. 
Capinera  (la),  I,  171. 
Capo  de  Feuillide,  I,  12,  442-443; 

II,  80, 121, 
Caponi  (Gino),  III,  281. 
Caribert,  II,  280. 
Cardozzo  de  Mello  (Francisco),  1, 18, 

19. 
Carissimi  (Giacomo),  III,  212. 


INDEX    DES    NOMS   CITÉS 


719 


Carlier  (Pierre),  IV,  176,  194,  204, 

276. 
Carlo-Alberto,  III,  620  ;  IV,  8. 
Carnat  (le  pĂšre),  sonneur-fossoyeur 

de  Nohant,  IV,  529,  628. 
Carné  (M.),  III,  257. 
Carnot  (Hippolyte),  IV,  2,  35,  42, 

93. 
Carnot  (Mme),  IV,  172. 
Caro  (Elme),  I,  10,  11,  13,  14,  41, 

43  ;  III,  250,  251  ;  IV,  263,  264. 
Caron  (M.),  I,  72,  217,  235-237,  241, 

243,  260,  279,  281,  282,  285,  288, 

293,296,338,  III,  296. 
Carpentier  (Mme  Marie  Pape),  III, 

292,  293,  294,  307. 
Carraud  (Mme  Zulma),  II,  448. 
Carrel  (Armand),  IV,  335. 
Carrier-Belleuse,  IV,  645. 
Carteret,  IV,  86. 
Caseau  (Virginie),  IV,  336. 
Cassiodore,  III,  102. 
Cassandie,  IV,  71. 
Castagnary,  IV,  513. 
Castellane  (maréchal  de),  IV,  112. 
Catalani  (la),  III,  27. 

Catherine  II,  I,  66  ;  III,  112  ;  IV, 
165,  623. 

Catherine  de  MĂ©dicis,  III,  427. 

CaussidiĂšre,  IV,  86,  91, 92,  95, 120, 
133. 

CauviĂšres  ou  CauviĂšre  (Le  dr),  III, 
93,  94,  96,  218,  244,  264,  266. 

Cavaignac  (Godef roy),  1, 19  ;  II,  434  ; 

III,  392. 

Cavaignac  (gé  aérai)  (Louis-EugÚne), 

IV,  50,  144,  167,  172. 

Cavet,  secrétaire  du  ministre  de 
l'Intérieur,  IV,  184,  194,  216. 

Cazamajou  [«  Cajou  »],  III,  110. 

Cazamajou  (Caroline,  sƓur  d'Aurore 
Dupin),  I,  88,  93,  97, 115, 120-122, 
128-129,  235;  II,  322;  III,  107, 
110-118,  616,  677  ;  IV,  415,  490, 
491,  631. 


Cazamajou  (Oscar),  III,  118  ;  IV, 
217,  469,  474,  488,  490,  491,  533, 
602,  608.  609.  612,  614,  617,  619. 
622,  625,  627,  631. 

Cazamajou  (Mme  Oscar)  [Hermiuie], 

I,  préface  2  ;  IV,  490,  631. 
Celliez  (l'avocat  Henri),  III,  323. 
Century  (The),  journal,  III,  397. 
Chabenat    (Marc),    docteur    Ă     La 

ChĂątre,  IV.  595-598,  603-609,  614, 

616,  652. 
Chaix  d'Est-Ange,  II,  322  ;  III,  605, 

507,  619,  620  ;  IV,  17. 
Chambolles  (M.),  IV,  12.. 
Chamisso,  I,  246. 

Chansons  des  rues  et  des  bois,  de 
Victor  Hugo,  IV,  419,  501. 

Chant  (Le)  du  DĂ©part,  de  MĂ©hul,  IV, 
75. 

Charavav  (Etienne),  IV,  673,  678, 

693. 
Charavav  (EugĂšne),  II,  445,  693. 
Charavay  (Gabriel),  IV,  693. 
Charavay  (Noël),  IV,  425. 
Charles  I«,  I,  153. 
Charles  VII,  III,  503. 

Charles  X,  1, 125,  148  ;  II,  247  ;  III, 

695. 

Charles  Edmond .  V.  ChoĂŻecki. 
Charpentier  (peintre),  II,  457  ;  IV, 
645. 

Charpentier  (l'Ă©diteur),  III,  319, 
369. 

Charton  (Edouard),  IV,  35,  290,318, 
347,  349. 

Chartres  (duc  de),  II,  27. 

Chateaubriand,  I,  12,  185-187,  189  ; 

II,  217  ;  III,  281  ;  IV,  331. 

Chùtelain,  républicain,  IV,  230. 

Chatiron  (Hippolyte),  I,  72-73,  86, 
95,  102,  103,  110,  112,  128,  130- 
131,  136,  146,  181,  196,  216,  246, 
251,  252,  271-272,  282,  286-287, 
306,  311,  319,  333,  404  ;  II,  63,  65, 
178,  183,  267,  288,  292-293,  295, 
303,  305,  323  ;  III,  102-103,  144, 
154,  161,  162,  166,  167-169,  170, 
211,  212,  440-441,  444,  445,  476, 


720 


GEORGE   SAND 


477,  478,  489,  490,  494,  545,  618, 
626  ;  IV,  121,  150,  332,  339,  S50, 
521,  522,  589. 
Chatiron  (Emilie),  I,  282,  283,  303, 
307-308,  404;  II,  288;   IV,   105, 
622,  540. 
Chatiron  (LĂ©ontine),  fille  d'Hippo- 
lyte,  I,  283,  332  ;  III,  455,  489, 
490,  491,  584,  619.  V.  plus  bas  Ă  
Simonnet  (Mme  LĂ©ontine). 
Chauvet  (Jean),  chanteur  et  maçon, 

III,  685,  686  ;  IV,  139. 
Chauvet  (Mme),  III,  375,  376. 
Chaworth  (miss  Mary),  II,  30. 
Chénier  (André),  I,  320,  436. 
Chérémeteß  (la  comtesse  Anna),  III, 

120. 
Chéri  (Rose),  IV,  170,  172. 
Chevreuil  (Mme),  III,  278. 
Chewtchenvko,  I,  65. 
Chézy  (Mme  de),  III,  178. 
Chilly,  IV,  315. 
Chodzko  (Alexandre),  III,  193,  194, 

195,  197,  198. 
Chodzko  (Ignace),  III,  193. 
Chodzko  (LĂ©onard),  III,  193. 
ChoĂŻecki  (Charles  Edmond),  III,  40  ; 
IV   249,  257,  258,  304,  305,  308, 
309,  310,  363,  365,  368,  379,  380, 
382,  432,  433,  434,  522,  523,  534, 
567,  628. 
Choisnard  (colonel  Paul),  IV,  649. 
Chopin  (Érnilie),  III,  26,  76. 
Chopin    (Isabelle)    =    Mme    Bar- 

cinska,  III,  26,  472,  623. 
Chopin  (Justine),  III.  26,  471,  472, 

473,  623. 
Chopin  (Louise)  =  Mme  JedrzeĂŻe- 
wicz,  III,  26,  472,  473,  474,  475, 
480  486,  487,  489,  497,  498,  499. 
505,  508,  511,  512,  539,  540,  550, 
559,  576,  594,  623,  625,  629,  637, 
Chopin  (Nicolas),  III,  26,  420,  470, 

496. 
Chopin  (Frédéric),  I,  12,  42-44,  47- 
48,  55-57,  62,  71-72, 113, 127,  293, 
444  ;  II,  6, 13,  60,  72,  87, 124, 143, 
145,  212,  216-217,  247,  323,  344- 


346,  348,  355,  369,  370,  375,  377, 
387,  392,  458  ;  III,  avant-propos, 
p.  n,  m,  16,  23,  24-32,  34,  35,  36- 
43,  44-53,  54,  56,  57,  68,  61-68, 
69,  71,  73,  75-80,  81,  82,  86-92, 
93,  94,  95,  96-100,  101,  102-  107, 
108-113,  116,  117,  119-120,  121, 
122,  123,  126,  127,  131,  133,  134, 
136,  137,  138,  139,  140,  141,  144, 
145,  159.  163,  167,  169,  171,  172, 
173,  174,  181,  184,  185,  187,  188, 
189,  190,  198,  199,  200,  201,  204, 
205-208,  211,  212,  219,  235,  244, 
255,  262,  263,  264,  267,  270,  281, 
325,  333,  334,  336-337,  374,  400, 
404,  408,  418-443,  446,  447,  454- 
460,  465-468,  475-478,  480,  481- 
495,  496-501,  504,  506-508,  511, 
512,  513-537,  539,  640-546,  548, 
549,  551-553,  556-561,  565,  568- 
576,  578-582,  584-599,  602,  604," 
605,  621,  622-628,  633.  640,  "652, 
664,  696  ;  IV,  7, 11,  130,  264,  265, 
333,  339,  350,  391,  473,  549. 

Chopin  (le  poĂšte  Charles-Auguste), 
III,  314,  315,  316,  317,  384,  385. 

Christian  (Margrave  de  Bayreuth), 
I,  80. 

Chronique  de  Paris,  II,  256. 

Cid  (le),  IV,  248,  273. 

Clairon  (Mlle),  IV,  634. 

Claretie  (Jules),  III,  19, 653  ;  IV,  646. 

Clarisse  (Mlle),  actrice,  IV,  287. 

Clary  (vicomte),  IV,  194,  197,  209, 
220, 

Claudine  ou  les  Avantages  de  Vincon- 
duite,  par  Giraudin  et  de  Beau- 
plan,  IV,  277. 

Claudius,  v.  Ajasson  de  Grandsagne» 

Clavelot,  IV,  230. 

Clément  d'Alexandrie,  III,  102. 

Clerh,  acteur,  IV,  269,  316,  463. 

Clermont-Tonnerre  (Mme  de),  II, 
254. 

Clésinger  (  Auguste- Jean-Baptiste  ) , 
III,  556,  557-565,  567,  569,  570, 
573,  574,  575,  577,  578-581,  583, 
584,  590,  591,  593,  598,  599,  600, 
602,  603,  606,  607,  608,  611,  614, 


INDEX    DES   NOMS   CITES 


721 


615,  617  ;  IV,  7,  11,  17,  76,  170, 

171,  231,  233,  631. 
ClĂ©singer  (Jeanne)  —  Nini,  IV,  171, 

304,  308,  339,  340,  347,  348,  350, 

533,  613,  614. 
Clésinger  (Solange).    V.   Dudevant 

(Solange), 
détienne,  éditeur,  III,  188. 
Clotilde  (piincesse),  IV,  398,  454, 

462,  464,  465,  517. 
Clouard  (Maurice),  I,  51  ;  II,  2,  13, 

39,  73-77, 101,  111, 118,  122. 
Cluveau,  habitant  de  La  ChĂątre,  IV, 

476. 
Codemo  (Mme  Luigia),  II,  68. 
Coëssin,  II,  181. 
Colet  (Mme  Louise),  I,  53,  54  ;  II,  13, 

60, 133  ;  III,  129. 
Collet,  drapier  Ă   La  ChĂątre,  IV,  476. 
Collier,  III,  255  ;  IV,  290,  351. 
Collin,  III,  605. 
Colomb  (Christophe),  III,  413  ;  IV, 

522. 
Combes,  III,  592  ;  IV,  20. 
Commedia  delVarte,  I,  176,  177. 
Comédie  (la)  Française,  IV,  48,  275, 

277,  278,  295,  297,  298,  453,  477, 

490,  523,  633. 
Comédie  infernale  (la),  de  Krasinski, 

III,  190-195. 
Comédie  italienne  (personnages  de 

la),  71,  271,  279. 
Comme  il  vous  plaira,  I,  202  ;  IV, 

295-298. 
Comment  faire,  roman  de  Tcherni- 

chewski,  II,  82. 
Commune  (la)  de  Paris,  journal  de 

Cahaigne  et  Sobrier,  IV,  98,  99. 
Condé  (princesse  de),  I,  254. 
Condillac,  I,  188,  311. 
Confédérés  de  Bar  (les),  III,  182-186, 

190-191. 
Confoulant  (docteur),  IV,  230. 
Conneau  (docteur),  IV,  215. 
Considérant  (Victor),   I,    402;    IV, 

101,  103. 
Constantin  (le  grand-duc),  III,  27. 


Constitutionnelle),  II,  46;  III,  404, 
640,  641,  642,  643,  646,  651,  653, 
655,  656,  685  ;  IV,  14. 

Constructeur  (Solness  le),  II,  387. 

Contades  (comte  de),  IV,  170. 

Contades  (comtesse  de),  IV,  369. 

Contemplations  (les),  IV,  451. 

Contes  de  la  mer  Baltique,  de 
E.  Meyer,  IV,  304. 

Contrat  social  (le),  III,  13,  240  ;  IV, 

440. 
Cooper  (Fenimore),  III,  691. 
Coq  (le)  aux  cheveux  d'or,  par  Maurice 

Sand,  IV,  498. 
Coquelin,  IV,  634. 
Coquerel  (Athanase),   pasteur,   IV, 

424,  457,  460,  469,  472. 
Corbin,  II,  319. 
Cormenin  (Louis  de),  IV,  90. 
Corneille,  I,  347. 
Corner    (ambassadeur    vénitien    à 

Vienne),  III,  340,  348. 
Cornette,  ébéniste  à  La  Chùtre,  IV, 

476. 
Cornu  (Mme  Hortense),  née  Lacroix, 

IV,  163,  164,  240,  241,  242. 
Cornu  (SĂ©bastien-Melchior),  IV,  163. 
Correspondance  de  Heine,  III,  133* 
Corsaire  (le),  IV,  44. 
Cortez  (Femand\  III,  413. 
Cotta  (M.  de),  III,  365. 
Courdonau,  IV,  411. 
Courrier  (le)  français,  III,  488,  515, 

640,  653  ;  IV,  373,  375,  379. 
Courvoisier  (Mme  Louise),  II,  157. 
Cousin  (Victor),  I,  442. 
Couture  (Thomas),  peintre,  II,  34; 

IV,  171,  346,  507,  558,  630. 
Cozmian  ou  Kozmian  (André),  III, 

37,  186. 
Cramer  (Jean-Baptiste),  III,  421. 
Cramer  (Sophie),  II,  266-267. 
Crédit  (le),  IV,  45,  127. 
Crémieux  (Adolphe),    II,   219,   IV, 

42. 
Crepet  (EugĂšne),  IV,  294. 
46 


722 


GEORGE  SAND 


Crishni    (sobriquet    de    Dessauer), 

III,  141, 142,  144. 
Cristal  (Maurice)  =  Maurice  Germa, 

1,144. 
Crombach  (Mlle),  I,  12;  III,  293, 

430. 
Cromwell  (de  V.  Hugo),  III,  410. 
Cruchon  («  la  mÚre  »),  III,  376. 
Culmbach  (la  princesse  de),  III,  348. 
Curie  (docteur),  II,  283. 
Custine  (marquis  de),  II,  348,  350, 

372  ;  III,  27. 
Cuvillier-Fleury,  I,  78. 
Czartorvska    (la    princesse    Anna), 

III,  120,  199,  488,  568,  570,  571, 

594;  IV,  650. 
Czartoryska  (la    princesse    Marce- 
line), III,  119,  622. 
Czartorvski  (le  prince  Adam),  III, 

120,  i99,  200,  552. 

CzartorysM  (le  prince  Alexandre), 
III,  488,  622.- 

Czartoryski  (le  prince  et  la  prin- 
cesse), III,  501,  558. 

Czerniszeff  (la  comtesse),  III,  120. 

Czerniszeff  (Mlle  Elisabeth  de),  III, 
120. 

Czosnowska  (comtesse  Laure),  III, 
501,  538-541. 


Daiguzon,  II,  296. 

Daiguzon,   fils   du   précédent,    IV, 
235. 

Damas-Hinard,  IV,  239,  240,  369. 

Danse  Macabre  de  Liszt,  II,  341. 

Dantan  (Antoine),  111,422,  423,  434, 
435. 

Danton,  III,  426. 

Dante,  I.  188,  267;  II,  187,  238, 
338,  370  ;  III,  203,  389. 

Daphnis  et  ChloĂȘ,  IV,  352. 

Da  Ponte,  III,  553. 

DarantiĂšre,  Ă©diteur,  III,  165. 


Darchy  (docteur).  IV,  470,  595,  598, 

601,  603,  606-609. 
Darmesteter,  III,  686 
Darnand  (M.),  111,253. 
Darwin  (Charles),  IV,  351,  413,  530. 
Daubigny,  I,  1. 
Daubrun  (Marie),  IV,  291,  292,  294, 

295. 
Daud.  habitant  de  La  ChĂątre,  IV 

476. 
Daudet  (Alphonse),  IV,  535. 
David,  I,  317. 
David  (l'avocat),  III,  323. 
Davydow,  I,  32. 
Dayot  (Armand),  IV,  175. 
Deburau,  II,  46,  75. 
Deceriz  (docteui),  I,  235,  284. 
Decerfz  (Laure),  I,  149,  306. 
Decori  (FĂ©lix),  IV,  649. 
Defressine  (J.-B.),  [ou  Israël],  IV 

215,  230. 

Degeorges  (Frédéric),  II,  184  ;  III, 
398  ;  IV,  157,  158. 

Delaborde  (Sophie).  Voir  Dupin 
(Sophie- Antoinette- Victoire). 

Delaborde  (Marie  Lucie).  V.  Maié- 
chal  (Marie  Lucie). 

Delacroix  (EugĂšne),  I,  43,  71,  447  ; 
II,  121,  208,  398,  441  ;  III,  117, 
118,  119, 123-126,  145,  173,  174, 
201-208,  274,  280, 419,  428,  443, 

469,  480,  488,  501,  609,  549  ;  IV, 
171,  284,  297,  318,  341,  461-463, 

470,  549. 

Delangle,  IV,  238. 

Delauche-PĂ©juge.  IV.  185. 

Delaunay,  II,  445. 

Delaveau  (Charles),  maire  de  La 
ChĂątre,  II,  226;  III,  376,  377, 
378,  382,  IV,  49,  112,  113,  150. 

Delavigne  (Ă©diteur),  III,  19. 

Delaville,  IV,  532. 

De  V esclavage  moderne,  par  Lamen- 
nais, IL  229. 

De  la  religion,  par  Lamennais,  II, 
228,  230. 


INDEX    DES   NOMS   CITÉS 


723 


Delgaben  (Charles),  I,  80. 
Delvair  (Mme),  IV,  640,  642. 
Demai  (M.),  III,  666. 
DĂ©mon  (le),  II,  140-141. 
DembowsM  (l'astronome?),  III,  79. 
Denis  (Ferdinand),  III,  296. 

Depardieu  (Etienne,  chanvreur),  I, 
137  ;  III,  666,  672,  681. 

Depuiset,  naturaliste,  IV.  372,  373, 
377. 

Dernier  Sauvage  (le),  de  Mallefille, 
II,  445, 

Desages  (M,),  III,  405,  406  ;  IV,  218, 
219. 

Desages  (Luc),  III,  263,  328,  398, 
405,  406,  407,  415  ;  IV,  174,  193, 
200,  203,  204,  216,  218,  219,  221. 

Deschartres,  I,  84,  86, 103, 114, 119, 
130,  138,  139,  147,  180-182,  185, 
190,  192-195,  198,  202,  204,  206, 
209-211,  234-235,  250,  405;  II, 
148  ;  IV,  332,  337. 

Descosses,  restaurateur  Ă   La  ChĂątre, 
IV,  656,  657. 

Desgrang-s,  I,  275-276,  287,  389. 

Desmoulins  (Auguste),  [gendre  de 
Pierre  Leroux],  III,  415. 

Desmousseaux,  républicain  de  Chù- 
teauroux,  IV,  192. 

Des  Préaulx  (Femand),  III,  539, 
545,  552,  556,  557,  566  ;  IV,  6, 
266, 

Despruneaux,  habitant  de  La  ChĂątre, 
IV,  476. 

Desroys  (le  cocher),  III,  375,  376, 

Dessauer  (Joseph),  I,  72  ;  III,  119, 

123,  135-161,  178  ;  IV,  287,  316., 
Deux  SƓurs  (les),  piĂšce  de  l'OdĂ©on, 

IV,  498. 
Devieur  (sieur)  =  Robelin,  III,  322- 

323. 
Diable  (le),  III,  491. 
Diables  (les)  noirs,  IV,  458. 
Diane  aux  Bois,  IV,  453. 

Dickens  (Charles),  III,  353;  IV, 
298. 

Diderot,  II,  319;  III,  5;  IV,  354. 


Didier  (Charles)  =  [Herbert),  II,  185, 

255,  269,  324,  345,  351  ;  III,  107, 

128,  280;  IV,  321,  322. 
Didier   (Mme    Charles),    III,    128, 

280, 
Didon  (le  PĂšre),  I,  13. 
Dieulafoy  (Mme),  I,  318. 
Dilloye  (libraire),  III,  312. 
Doche  (Mlle),  actrice,  IV,  498. 
Dodecaton  (le),  II,  123, 
Dohler  (Herr),  III,  592. 
Doinet  (Alexis),  II,  13. 
Donizetti,  III,  686. 
Don  Juan,  de  MoliĂšre,  III,  553,  554, 

679, 
Don  Juan,  opéra  de  Mozart,  III,  140, 

212. 
Don  Quichotte,  IV,  254. 
Doré  (Gustave),  IV,  453. 
Dorval  (Marie),  I,  72,  310,  393-396, 

398,  401,  424;  II,  12,  78,  116, 

119,  451  ;  III,  52,  103,  120,  161, 

162,  164,  166,  280  ;  IV,  239,  459, 

634. 
DostoĂŻevski,  I,  14,  27,  31,  34,  35, 

37,  307,  432  ;  II,  162,  426  ;  III, 

avant-propos,  iv. 
Doucet  (Camille),  453,  454. 
Drouginine,  I,  29  ;  II,  82. 
Droit  (le)  au  vol,  de   Nadar,   IV, 

469. 
Du  Camp  (Maxime),  I,  349  ;  II,  13, 

37,  63,  97, 116,  180. 
Duchauffour,  soldat,  IV,  199. 
Dudevant   (Jean-François,    baron), 

I,  217,  227,  228,  276-277  ;  IV,  259, 

485. 

Dudevant  (Augustine,  baronne),  née 
Soûls,  I,  227,  278;  II,  51,  179, 
305  ;  IV,  400. 

Dudevant  (Casimir),  I,  43,  52,  71- 
73,  108,  205,  217,  220-228,  230- 
233,  235-242,  244-247,  251-253, 
257,  262,  270-271,  278-292,  304- 
308,  333,  338,  369,  386,  390,  406, 
408  ;  II,  46,  51,  57,  59,  84,  92,  94, 
180,  250,  288-296,  313,  315-324, 
350,  430,  432-433,  442;  III,  36, 


724 


GEORGE   SAXD 


42,  116,  126,  130,  173,  448,  449, 
460,  453,  489,  490,  500,  561,  564, 
566,  568,  572,  573,  575.  584,  588, 
619,  695;  IV,  235,  259-260,  340, 
349,  376,  442,  472,  484. 

Dudevant  (Maurice),  I,  72, 115, 177, 
235,  236,  241,  248-249,  252,  279, 
282-283,  293,  305,  306,  332,  386, 
428,  440  ;  II,  48,  51,  65,  101,  152, 
266,  281,  288-289,  292,  294,  297, 
320-323,  329,  350,  352,  355,  364, 
365,  371,  430-431,  440-441,  457; 
III,  16,  21,  23,  42,  53,  54,  60,  63, 
67,  68,  69,  75,  78,  80,  87, 101, 102, 
111,  112,  117,  118,  122,  125,  126, 
144,  145.  167,  169,  171,  172,  173- 
174,  206,  219,  244,  245,  249,  262, 
263,  264.  267,  298,  325,  330,  382, 
383,  384,  385,  386,  408-409,  419, 
420,  428,  434,  439,  443-448,  449, 
450,  455,  457,  458,  467,  477,  478- 
480,  483-491,  493,  494-496,  500, 
501,  504,  507-509,  512,  513,  515, 
525,  528,  529.  533,  534,  539,  542, 
554,  555,  558-563,  568,  569,  576, 
578,  580,  581,  583,  584,  588, 
589,  591,  593,  598,  606,  607-609, 
612-615,  620-622,  626,  636,  640, 
654.  665,  675,  686,  695  ;  IV,  16- 
19,  26,  29,  34.  36-40,  49,  51.  52, 
73,  74,  76,  87,  88,  92,  95.  97,  111, 
113,  121,  132,  139,  140.  144,  150, 
151,  186,  255,  258,  265,  266-269, 
271-273,  284,  286,  289,  301,  303, 
307-309,  311,  315,  318,  326,  332, 
337,  340,  341-347,  348,  349,  352, 
356-360,  372,  373,  376,  377-381, 
383-385.  390,  397,  398,  404,  406, 
408,  41Ô-418,  420.  421,  424,  427, 
430,  442,  451-467,  458,  459,  460- 
463,  467,  469,  470-473,  478,  485, 
489,  490,  491-493,  495-498,  507, 
515,  516,  518,  522,  523,  526-530, 
532,  536-541,  543-545,  549,  564, 
598,  599,  601,  602-604,  606,  609, 
611,  613-615,  619,  621-625,  627, 
629,  631,  632,  637. 

Dudevant  (Solange)  =  Mme  Clé- 
singer,  I,  123,  283,  287-288,  296, 
299,  306,  311,  332,  385  ;  II,  34,  51, 
266,  281,  290-295,  297,  320-324, 
329,  352,  355,  364,  430,  432-433, 
440-441,  450,  457  ;  III,  60,  63,  67, 


69,  78,  80. 101, 102, 104. 107,  111, 

117,  118,  119,  145,  167.  169,  172, 
173,  174,  175,  209,  232-233,  262, 
264,  298,  325,  397,  419.  420,  430, 
434,  437,  448-461,  465,  475,  478, 
479,  482,  484,  488,  490,  491,  495, 
496,  500-502,  504,  506-510,  512, 
528,  529,  ÂŁ37,  538,  539,  542,  544- 
546,  556,  557,  559-603,  608-609, 
619,  621,  625,  626,  632,  633,  654, 
658,  696  ;  IV,  6,  7,  10,  11,  17,  76, 
150,  170,  171,  190,  231,  233,  255, 
266,  273,  280,  281,  313,  337,  340, 
346,  348,  356,  360,  382,  383,  421- 
423,  485,  517,  532,  540-543,  603, 
609,  611-623,  625,  627,  631,  632, 

DufaĂź  (Alexandre),  II,  13. 

Dufraisse  (Abel),  IV,  222. 

Dufraisse  (Marc),  III,  328,  398,  600, 
601  ;  IV,  49,  174,  193,  195,  196, 
197,  199,  203,  207,  222-229,  231, 
237. 

Dumas  (Alexandre)  pĂšre,  I,  71,  72, 
322,  395,  399  ;  II,  37,  117,  453  ; 
III,  627,  628,  629,  630,  632,  641, 
646  ;  IV,  297,  618. 

Dumas  fils  (Alexandre),  III,  460, 
604,  627-633  ;  IV,  255,  300,  315, 
341,  346,  391,  394,  401,  404-409, 
430,  439,  442,  454,  455,  467,  479, 
485,  488,  491,  497,  498,  504,  515, 
517,  518,  522,  523,  530,  540,  602, 
618,  623,  624-626,  629,  647. 

Dumesnil  (Alfred),  III,  192. 

Dunant,  IV,  454. 

Dupanloup  (Mgr),  IV,  334. 

Dupin  (Amcmdine- Lucie- Aurore)  = 
George  Sand  =  Mme  Dudevant. 

Dupin  de  Francueil,  I,  83,  90,  117- 

118,  195. 

Dupin  de  Francueil  (Marie-Aurore 
de  Saxe,  en  premier  mariage  com- 
tesse de  Horn),  I,  80-83,  84-89,  90, 
102,  103,  107,  109,  112,  114,  118, 

119,  125-128,  146,  148,  152-153, 
181-183,  185,  195,  198-200,  205- 
206,  236,  326,  379  ;  III,  334,  448, 
531  ;  IV,  263,  328,  329,  336,  393, 
400,  613,  614,  628,  659. 


INDEX    DES   NOMS   CITÉS 


725 


Dupin  (Maurice-François),  I,  76,  80, 
84-88,  90,  93,  99,  103,  110,  114, 
174,  216,  227  ;  II,  290  ;  III,  489  ; 
IV,  18. 

Dupin  (Sophie-Antoinette-Victoire) 
[femme  du  précédent  et  mÚre  de 
George  Sand].  V.  Delaborde  (So- 
phie-Antoinette-Victoire), I,  72. 
76,  85,  93,  96,  99,  102,  103,  105- 
108,  112,  114-124,  126  et  suiv., 
177,  179,  188,  205-207,  211,  213, 
215-216,  218,  224-228,  277,  279, 
334,  338;  II,  51,  156,  305,  429- 
430  ;  III,  162,  448,  450,  489,  504, 
505  ;  IV,  308,  324,  325,  328,  329, 
628. 

Duplan,  II,  436-437. 

Duplessis  (James  Roetiers  du  Plessis 
ou),  I,  216,  219-220,  240,  242, 
243,  247  277,  369  ;  III,  57  ;  IV, 
325. 

Duplessis  (Mme  AngĂšle),  I,  216,  219- 
221,  279  ;  III,  57. 

Duplomb      (Adolphe),     surnommé 

HydrogĂšne,  IV,  121,  336. 
Duplomb  (Charles),  IV,  121. 
Dupont  (général),  I,  85. 
Dupont  (Pierre),   chansonnier,  IV, 

48,  76,  648. 
Dupont-White,  III,  17. 
Dupuy,  Ă©diteur,  II,  62-63,  66  ;  III, 

65  ;  IV,  49. 
Duquesnel  (FĂ©lix),  IV,  432-434,  452, 

517-520,  628. 
Durand  (poĂšte-menuisier),  III,  293, 

312,  313,  317. 
Durante,  III,  212. 
Duris-Dufresne,   I,   280,   284,   320, 

324-326;  II,  178. 

Durmont,  III,  640. 

Du  Roure  (Scipion),  II,  263,  264, 
346,  353. 

Duse  (ÉlĂ©onore),  I,  395. 

Dutheil  (Adolphe),  III,  555;  IV, 
325. 

Dutheil  ou  Duteil  (Alexis  Pouradier), 
I,  72,  281,  284,  286,  306;  II,  101, 
183,  267,  293-295,  303-304,  309, 


313,  315,  353,  428,  436  ;  III,  87, 
163,  167,  262,  381,  383,  384,  555; 
IV,  265. 

Dutheil  (Mme  Agasta),  II,  267,  294, 
297-298,  300. 

Dutheil  (Edouard),  III,  555. 

Duvernet  (Mlle  Berthe),  IV,  265. 

Duvernet  (Chailes),  I,  12,  149,  174, 
176,  284,  311,  312-314,  319,  325, 
327,  330-332,  334.  405,  419  ;  II,  94, 
447  ;  III,  13,  102,  163,  239,  267, 
270,  271,  288,  379-380,  381,  383, 
384,  385,  386,  419.  501,  555,  584, 
593,  600-602,  605,  606,  618,  619, 
639,  685  ;  IV,  17,  33,  34,  36,  88, 
139,  140,  143,  176-178,  183,  195, 
197,  258,  265,  269,  273,  308,  348, 
403,  410,  411,  471,  474,  477,  521, 
522,  621. 

Duvernet  (Mme  Eugénie),  I,  326, 
327,  328;  III,  501,  584,  592,  593, 
600,  601  605,  685;  IV,  17,  20, 
87,  88,  197,  265,  269,  273,  298, 
602. 

Dziady  (les)  de  Mickiewicz,  III,  81, 
186,  187,  188,  203. 


Eckstein  (baron  d'),  II,  346. 

Eclaireur  deV Indre  (V),  III,  241, 294, 
381-394,  396,  397,  398,  408,  652, 
695  ;  IV,  2,  157,  185. 

Education  sentimentale,  de  Flaubert, 
IV,  243,  507. 

Egger  (agent  de  la  Société  des  gens 
de  lettres),  III,  316. 

El  Condenado  por  disconfiado,  IV,  299. 
El  Contraoandista,  rondo  de  Liszt, 

II,  339-341. 

Elena  e  Malvina,  opéra  de  Soliva, 

IV,  550. 
Elisabeth  (sainte)  de  Hongrie,   IV, 

261. 
Elisabeth  Pétrowna,  impératrice  de 

Russie,  I,  81. 
El-Mallorquin,  paquebot  majorquin, 

III,  59-60,  92,  93. 


726 


GEORGE  SAND 


Elsner  (Joseph),  III,  27. 

Emile,  1, 108,  136. 

Encyclopédie  (V)  [de  Leroux  et  Rey- 

naud],  III,  102,  223. 
Engelhardt   (Mme),    née    Valentine 

Fleury,  IV,  532. 
Engelson  (M.),  III,  6. 
Engelson  (Mme  Alexandra),  femme 

du  précédent,  III,  6. 
Enault  (Louis),  II,  349  ;  III,  468. 
Enfantin  (le  PĂšre),  II,  225,  279. 
Entractes,  de  Dumas  fils,  IV,  498. 
Epinay  (Mme  d'),  I,  198. 
Epoque  (V),  III,  488,  659,  662. 
Erdan  (Alexandre),  IV,  216. 
Eschyle,  IV,  78,  451. 
Esquisse  d'une  philosophie,  II,  230- 

236,  258. 

Essai  sur  Vindifßérence,  de  Lamen- 
nais, II,  228. 

Essai  sur  la  tolérance,  de  Schaeffer, 

IV,  425. 
Estafette  (V),  IV,  233,  234. 
Esterhazy  (prince),  II,  214. 
EtĂšve,  IV,  40. 
Eugénie  (impératrice),  née  comtesse 

de  Montijo,  IV,  238,  241-244,  248, 

258,  369,  418  («  Euphémie  »),  436, 

464,  467,  468,  506,  535. 
Euripide,  IV,  78. 
Evénement  (F)  IV,  145,  269,  487. 
Everard,  II,   135;  III,   660.   Voir 

Michel  de  Bourges. 
Extinction  du  paupérisme  (Sur  V),  I, 

20;  IV,  254. 


Fabas,  III,  243,  260. 
Faguet  (Emile),  I,  41,  42, 
Falempin    (homme     d'affaires     de 

G.  S.),  III,  267,  404,  485,  590,  631, 

632,  640  ;  IV,  290. 

Fallier,  II,  85. 

Fanchette    (l'orpheline),    III,    374- 
383,  467, 


Faujoux,  IV,  177. 
Faure  (Emile),  IV,  513. 
Faust,  III,  186  ;  IV,  126, 137. 
Faute  (la)  de  Vallé  Mouret,  I,  428; 
Favre  (docteur),  IV,  595,  597,  598, 

601,  606,  607-610,  612,  619,  622- 

627,  629. 
Favre  (Jules),  IV,  42-45,  80,  86,  94, 

115,  117,  335,  519,  552. 

FĂ©mina,  IV,  646. 

Femmes  (les)  à  l'Académie,  par  S., 
IV,  437. 

FĂ©nelon,  III,  320,  IV,  630. 

Fenoux,  IV,  646. 

Fenoyl  (comte  de),  I,  294. 

Fernand  (Mlle),  artiste  dramatique, 

IV,  170. 
Ferri-Pisani  (général),  R7,  465,  517. 
FerriĂšres  (Mme  de),  I,  122. 
Feuillet  (Octave),  ĂŻ,  1  ;  IV,  430, 439, 

440. 
Fidao  (M.)  ,111,  17» 
Fieltsch,  III,  119. 
Figaro  (le),  I,  319,  325,  330,  331, 

336,  341;  II,  230;  IV,  43,  141, 

296,  323,  532,  622,  626,  629. 
Filon  (Augustin),  I,  399-400. 

Fils  (le)  naturel,  d'Al.  Dumas  fils, 
IV,  479. 

Flaubert  (Gustave),  I,  71  ;  II,  60  ; 
IV,  240-243,  278,  279,  300,  302, 
413,  418,  427,  429,  432,  434,  451, 
465,  500,  501,  503-509,  615,  617, 
522,  523,  525,  530,  539,  540,  544, 
545,  551,  552,  553-556,  657-563, 
593,  618,  624,  626,  629. 

Flaubert  (Mme),  IV,  600,  507. 

Flaugergues  (Mlle  Pauline),  I,  439. 

Flavigny  (Mme  de),  III,  282. 

Flavigny  (M.  de),  III,  283. 

Flayner  (la  famille),  III,  218. 

Fleury  (Alphonse)   =   [le  Gaulois], 

I,  284.  312-315,  319,  327,  405; 

II,  94,  210,  315;  III,  102,  163, 
380,  381,  383,  384,  603,  639  ;  IV, 
39,  40,  41,  44.  49,  140,  174,  183, 
185,  186,  189,  191,  195,  197,  215, 
521,  536. 


INDEX    DES   NOMS   CITES 


727 


Fleury  (Laure)  née  Decwf z,  II,  267  ; 

IV,  221,  454,  522,  550. 
Fleury  (Nancy),  IV,  427,  454,  474. 
Fleury   (Valentine).    V.   Mme   En- 

gelhardt. 
Flocon  (Ferdinand),  III,  392  ;  IV,  2, 

42,  91,  92,  133. 
Flotow  (von),  II,  349. 
Foë  (Daniel  de),  II,  409. 
Fontana  (Jules),  III,  54,  58,  61, 62, 

73,  77,  79,  89,  108,  109,  119, 171, 

181,  434-437,  438,   522,  622-624. 
Forçats  (les)  pour  la  foi,  par  Atha- 

nase  Coquerel,  IV,  472. 

Fortoul,  IV,  194. 

Foucher  (Paul),  II,  28-29  ;  IV,  274. 

Fourier,  I,  26  ;  III,  115,  241. 

Fournie!  (docteur),  I,  141, 

Fournier  (Marc),  IV,  274, 

Foy  (général),  I,  254. 

Français,  1, 1. 

France  (Anatole),  I,  141, 

Franchomme  (le  violoncelliste),  II, 
349  ;  III,  119,  488,  492,  558,  624. 

François  (Ferdinand),  III,  197,  369, 
383,  384,  401,  402,  403,  406  ;  IV, 
216. 

Frankfurter  Zeitung  (Gazette  de 
Francfort),  III,  135, 136. 

Franklin  (Benjamin),  I,  159,  412; 

II,  174  ;  III,  7. 

Frankl  (Auguste),  III,  146,  147. 

Frankl-Hochwart  (docteur  Bruno), 

III,  147,  152,  154,  155,  156-157. 

Franzos  (Charles-Emile),  III,  157. 

Frédéric- Adolphe,  roi  de  SuÚde,  IV, 
305. 

FrĂ©dĂ©ric-Guillaume  (le  grand  Élec- 
teur), I,  80. 

Frédéric-Guillaume  II,  I,  80. 

Frédéric-Guillaume  III,  I,  80. 

Frédéric-Guillaume  IV,  IV,  138. 

Frédéric  I"  (roi  de  Prusse),  I,  80. 

Frédéric  II,  III,  132,  346,  350,  351, 
352  ;  IV,  304. 


Frédéric,  habitant  de  La  Chùtre,  IV, 
476. 

Frédérique  -  Sophie,  princesse  de 
Prusse,  IV,  304. 

FreiziĂšre  (M.),  [gendre  de  Pierre  Le- 
roux], III,  414. 

Frémann,  acteur,  IV,  455. 

Fromenteau  (C),  républicain  d'L> 
soudun,  IV,  215,  230. 

Fromentin  (EugĂšne),  415,  453. 

Fromentin  (Mme),  IV,  469. 

Fruits  (les)  de  la  science,  par  TolstoĂŻ, 
IV,  648. 

Fumée  (la),  par  Tourguéniew,  IV, 
547. 


Gaëtana,  par  About,  IV,  465. 
Gaillard,  I,  251, 

Gaßté  (théùtre  de  la),  IV,  168,  275, 

292,  458. 
Galitzine  (les  princes),  I,  195* 
Galitzine  (princesse),  III,  562,  565. 
Gall,  II,  250  ;  III,  210, 
Galle  ( Julien),  II,  280  ;  IV,  485, 
Gambetta,  IV,  523, 
Garcia  (Manuel),  II,  339,  343. 
Garcia  (Mme),  femme  du  précédent, 

mĂšre  de  Mmes  Malibran  et  Viardot, 

III,  213-214,  491, 
Garcia  (Maria)  =  la  Malibran8 
Garcia  (Pauline),  v.  Mme  Viardot 

(Pauline), 

GarczynsM,  III,  195,  197. 
Garibaldi  (Guiseppe),  III,  222  ;  IV, 

369. 
Garibaldi-Locatelli,  II,  68,  74,  78, 

86,  88,  92, 
Garnier-Pagùs    (Étienne-Joseph- 

Louis),  III,  394  ;  IV,  42,  93. 
Garrik,  IV,  326. 
Gaubert  (le  D'),  III,  95, 
Gaubert  (le  Dr)  [jeune],  III,  163. 
Gautier  (Judith),  IV,  648. 
Gautier  (Théophile),  I,  1;  II,  15; 

IV,  454,  524. 


728 


GEORGE   SAN'D 


Gavarni,  1, 1. 

Gay  (Delphine)  [v.  Mme  de  Girar- 

din). 
Gay  (Mary),  III,  281. 
Gay  (Sophie),  III,  281. 
Gayard,  I,  131. 
Gaymaxd,  III,  300. 
Gazette    de    Saint-PĂ©terslourg    (la), 

III,  211. 
Gazette  Oderoise,  IV,  136. 
Gazette  Rhénane  (Nouvelle),  IV,  133, 

134,  135,  136. 
Gazonneau  (la  dame),  III,  375,  376. 
Général  (le)  Dourakine,  de  Mme  de 

SĂ©gur,  IV,  547. 
GeneviĂšve  (sainte),  III,  592. 
GĂ©nie  du  Christianisme  (le),  I,  184, 

187. 
Genlis  (Mme  de),  I,  105,  175. 
Geoffroy,  acteur,  III,  592  ;  IV,  171. 
Georges  (Mlle),  IV,  634 
Georges  -  Guillaume     (Ă©lecteur     de 

Brandebourg),  I,  80. 
Geraldi,  chanteur,  IV,  333. 
Gerbet  (abbé),  II,  226. 
Germaine  (la),  par  Ed.  Cadol,  IV, 

416. 
Gerson,  1, 186-187,  428. 
Gessler,  IV,  630. 
GĂ©vaudan  (Gustave   de),   II,   267, 

325,  355,  364,  367. 
Gilland  (JĂ©rĂŽme-Pierre),  I,  72  ;  III, 

102,  293,  297,  298,  309,  314,  316, 

319-331  ;  IV,  35,  49,  88,  89,  103. 
Gilland  (FĂ©licie).  V.  Magu  (FĂ©licie). 
Girardin  (Emile  de),  I,  78  ;  II,  372  ; 

III,  283  ;  IV,  10,  243,  255,  290, 
498,  618. 

Girardin  (Mme  Delphine  de),  I,  326  ; 

II,  372  ;  III,  128,  129,  280,  281, 

612  ;  IV,  437. 
Giraud,  dessinateur,  III,  503. 
Girault  (docteur),  IV,  230. 
Girerd  (Frédéric),  II,  184,  186,  265, 

267,  431,  434-437  ;  III,  110,  323  ; 

IV,  21,  26,  27,  51,   58,  60,  80, 
116,  118,  124. 


Girerd  (Cyprien),  fils  du  précédent, 

II,   435. 
Giroux,  I,  294. 

Glazounow  (Alexandre),  III,  35. 
Glinka  (Michel),  I,  63. 
Glole  (le),  II,  179. 
Gluck  (Christophe  Willibald),  III, 

212,  215. 
Glûmmer  (Mme  Charlotte),  III,  146. 
Gobert  (prix),  IV,  435. 
Godefroy,  III,  686. 
Godoy,  prince  de  la  Paix,  I,  101. 
Goethe,  I,  46,  65,  134.  403,  429  ;  II, 
9-10,  22,  163,  452  ;  III,  178,  186, 
187,  631. 
Goethe    et    Bettina,    par   SĂ©bastien 

Albin,  IV,  163. 
Goetz  de  Berlichingen,  II,  141  ;  III, 

186,  187. 
Gogault,  I,  130. 
Gogol,  I,  27,  352;  IV,  547. 
Golovine  (ambassadeur  russe  Ă   Ber- 
lin), III,  351. 
Golovine,  révolutionnaire,  IV,  133. 
Gomez  (senor),  III,  60,  69. 
Goncourt  (Edmond  et  Jules  de),  I, 

71,  349  ;  IV,  346,  539. 
Goniec  polski,  journal  polonais,  IV, 

276. 
Gorki  (Maxime),  III,  389,  684. 
Gossot  (Emile),  III,  307. 
Gouin,  IV,  44,  411. 
Gounod  (Charles),  IV,  274 
Gozlan  (LĂ©on),  I,  1. 
Grammont  (Mlle  de),  IV,  393. 
Grandeffe  (M.  de),  III,  564 
Grandsaigne  (v.  Ajasson  de  Grand- 

saigne). 
Grenier  (Edouard),  I,  51,  389,  410  ; 
II,  15,  16,  93,  97,  116  ;  III,  121- 
122,  466;  IV,  391. 
Greppo,  IV,  174,  193, 196,  197, 199, 

203. 
Gresset,  I,  311. 
Grévy  (Jules),  II,  110. 
GriboĂŻedow  (Alexandre),  I,  271. 


INDEX    DES    NOMS   CITÉS 


729 


Grigorowitch  (Dmitri  Wassiliéwitch) 

I,  27  ;  III,  335,  636. 
Grimm,  IV,  523. 

Groiselliez  (Mme  de),  II,  28,  30,  33. 
Gros  (Antoine-Jean),  III,  320. 
Grûn    (Auastasius)    =    [le    comte 

Alexandre  d'Auersperg,  dit]. 
Grzymala  (Albert),  I,  72  ;  II,  346, 

355,  387,  392  ;  III,  43-53,  58,  62, 

79,  93, 103, 108, 116, 117, 119, 181, 

184,  185-186, 188,  191,  198,  199, 

488,  493,  507,  518,  549,  550,  558, 

569,  570,  571,  594,  622  ;  IV,  618. 
Grzyniala  (François),  II,  387  ;  III, 

181,  188. 
Gnerazzi,  II,  89. 
Guerre  (la)  et  la  Paix,  par  TolstoĂŻ], 

1,174;  IV,  393. 
Guiccioli  (la  comtesse  de),  III,  122. 
Guérin  (Georges-Maurice  de),  II.  400. 
Guéroult  (Adolphe),  I,  72  ;  II,  122, 

179,  180,  183,  243,  278,  280,  283, 

298. 
Guibert  (la  famille  de),  1, 195. 
Guilbert  (Anaxagore),  III,  619. 
Guillaume  I",  I,  80. 
Guillaume  Tell,  IV,  630. 
Guillemat,  habitant  de  La  ChĂątre, 

474,  476,  477. 
Guillemin,  soldat,  IV,  199. 
Guillon  (ou  Guillot),  III,  241-242, 

386,402. 
Guizot,  I,  26  ;  III,  179  ;  IV,  9,  19, 

20. 
Gurowski  (M.),  III,  116. 
Gustave  III,  IV,  306. 
Gutmann  (Adolphe),  II,  349  ;  III,  89, 

117,  119  ;  593,  594,  625. 

Gutzkow  (Karl),  I,  349,  441;  III, 
113-115,  174-180,  420. 

Guy,  pasteur  Ă   Bourges,  IV,  424, 
457,  469,  472. 

Gymnase  (théùtre  du),  IV,  168,  170, 
171,  275,  284,  297,  523. 

Gyp  (comtesse  de  Martel,  née  Mira- 
beau =  en  littérature),  I,  321  ; 
IV,  389. 


Haas  (Ferdinand),  IV,  540. 
Hachette  (l'Ă©diteur),  III,  307. 
Haendel  (Georges  Frédéric),  III,  212, 

IV,  288. 
Hahn-Hahn  (comtesse),  I,  441. 
Halévy,  III,  160. 

HalpĂ©rine-Kaminsky  (Élie),  III,  40. 
Hanslick  (Edouard),  III,  35. 
Eamlet,  III,  534;  IV,  75. 
Hanska    (Mme    Eve)    [V EtrangĂšre], 

II,  131,  370,  447,  452  ;  III,  116- 

117,  283,  426,  427. 
Harmand,   directeur   des    théùtres, 

IV,  461,  464,  467,  470. 
Harrisse  (Henry),  I,  préface  2  ;  III, 

575;  IV,  3,  512,  522,  596,  597, 

604,  606,  610-613,  616,  620,  623- 

629,  630. 
Hasse,  III,  335. 
Hatin  (EugĂšne),  IV,  88. 
HatrfekL  III,  686. 
Hausmann  (baron),  II,  432. 
Haussonville  (vicomte  d'),  I,  14,  43 

262-295  ;  II,  161,  378  ;  III,  672, 

673. 
Hautpoul  (le  général),  IV,  216. 
Havin,  directeur  du  SiĂšcle,  IV,  363, 

364. 

Haydn  (Joseph),  II,  214  ;  III,  212, 

334,  335,  346-350. 
Hays  (miss),  IV,  6,  15. 
HĂ©douin  =  Yorich,  II,  95,  104 . 
Hegel,  I,  24,  25  ;  II,  332  ;  III,  222. 

Heine  (Henri),  I,  4,  11,  46,  71,  246, 
349,  427;  II,  34,  132,  142,  188. 
211,  213,  315-346,  350,  441  ;  III, 
avant-propos,  1,  28, 104, 119, 123, 
126-158,  163-164,  165,  178,  280, 
283,  284,  285  ;  IV,  107.  153,  264, 
452,  519. 

Heine  (Gustave),  III,  135,  148,  149- 
152,  153,  156,  157. 

Heine  (Maximilien),  III,  134. 

Héloïse  et  Abélard,  IV,  351,  355. 


73» 


GEORGE    SAND 


Hennicke,  accordeur  de  Chopin,  III, 

623. 
Hennequin,  II,  267. 
Henri-Auguste  (prince  de  Prusse), 

1,80. 
Henri  V,  IV,  210. 
Henri  (prince  de  Prusse),  IIL  351. 
Henselt  (Adolphe),  III,  421. 
Herbert  [voir  Didier]. 
Herbet,  III,  624. 
Hermann  et  Dorothée,  IV,  583. 
Hernani,  I,  100. 
HĂ©roĂŻde  funĂšbre  de  Liszt,   II,   222, 

388-390,  393. 
Heneau  (Mme),  III,  751. 
Herwegh  (Georg),  III,  178  ;  IV,  132, 

133,  135,  141-143. 
Herzen  (Alexandre),  I,  30,  II,  44, 
82  ;  III,  avant-propos,  i,  6  ;   IV, 
15,  129,  130,  133,  135,  140,  141- 
144,  397,  532. 
Herzen  (Mme  Nathalie),  IV,  141. 
Herzen  (Nicolas),  III,  6. 
Hetzel  (Jules)  [P.  J.  Stahl],  I,  1,  3, 
4;  II,  48,  445  ;  III,  369-370,  596; 
IV,  171,  174,  201,  202,  203-205, 
274,  287,  314,  532,  628. 
Heylli    (Georges    d').    V.    Poinsot 

(Edmond). 
Hiller  (Ferdinand),  III,  28. 
Histoire  d'Italie,  IV,  173. 
Histoire  d'un  crime,  IV,  155. 
Histoire  de  dix  ans,  II,  176;  III, 

394,  510,  695. 
Histoire  d'un  cheval  de  TolstoĂŻ,  I, 

61. 
Histoire  de  Jules  CĂ©sar,  I,  20  ;  IV, 

254. 
Histoire  de  la  RĂ©volution,  par  Louis 

Blanc,  III,  394,  510. 
Histoire  de  la  RĂ©volution  de   1848, 
par  Daniel  Stern,  II,  241  ;  IV,  2, 
31,  42,  81,  85,  86,  93,  98. 

Hoche,  IV,  508. 

Hoditz  (le  comte),  ni,  346,  348, 
349,  350. 


Hoesick  (Ferdinand),   III,  28,  32, 

40,  41,  54,  62,  171, 186,  336,  434- 

435,  520,  523,  622. 
Hoffmann  (A.-Th.),  II,  150, 355, 358, 

360,391;  111,178;  IV,  139,  287- 

290,  315.  316. 
Hoffmann  et  Kampe,  III,  138* 
Holbein,  HI,  663  ;  IV,  638. 
Hotebauer(le  compositeur),  111^347, 

348. 
Homme  {un)  daffaires,   de  Balzac, 

IV,  480. 
Horace,  le  poĂšte,  IV,  449,  501, 
Horace  (les),  IV,  75. 
Horn  (comte  de),  I,  81-82  ;  IV,  336, 
Hortense  de  Cerny,  IV:  171. 
Hostein  (Jules- Jean-Baptiste-Hippo- 

lyte),  IV,  293. 
HĂŽtel  de  Beauvau,  ITI,  94. 
Houdon,  IV,  412. 
Houssaye  (ArsĂšne),  I,  1,  309-310, 

337  ;  III,  288,  565. 
Hubert  (saint),  IV,  225. 
Hue  (Stanislas),  I,  216,  221. 
Hugo  (Victor),  I,  71,  100,  313,  320, 

322,  332,  375  ;  II,  140,  162,  355  ; 

III,  138,  283,  414  ;  IV,  241,  253, 

264,  446-451,  501,  503,  549,  552, 

602,  629,  647. 
Humboldt  (Alexandre  de),  III,  365. 
Huss  (Jean),  II,  221,  227  ;  III,  364, 
Huteau  (comtesse  Fanny  d'),  née  de 

La  MarliĂšre,  IV,  336. 


IUcus  (les  grues  d),  376. 
Ibsen,  I,  443  ;  II,  387. 
Icarie  (V),  par  Cabet,  IV,  71. 
Idées  (les)  napoléoniennes,  IV,  156, 

254. 
Iliade  (V),  I,  133. 
Illustration  (V),  III,  476,  665;  IV, 

343,  345. 
Impromptu  (V)  de  Versailles,  IV,  77, 


INDEX    DES    NOMS   CITÉS 


73» 


Impromptu  en  la  bémol  de  Chopin, 

II,  387. 

Indépendance  (V)  belge,  IV,  233,  234, 

317. 
Ingres,  II,  207  ;  III,  205,  283. 
Invitation  Ă   la  valse  (V)  [de  Weber], 

III,  423-424,  440. 


Jaccoud  (docteur),  IV,  608,  608. 

Jacqueminot,  II,  303. 

Jamet,  républicain  d'Issoudun,  IV, 
215,  230. 

Janin  (Clément),  III,  165. 

Janin  (Jules),  II,  258,  263,  340,  353, 
397,  399,  IV,  291,  317,  489. 

Januszkiewicz,   III,   200. 

Janzé  (vicomtesse  de),  I,  46,  47  ;  II, 
13,  19,  77. 

Jasmin  (poĂšte),  III,  293. 

Jaubert  (Mme  Caroline),  I,  52,  73  ; 
II,  108. 

Jaubert  (comte),  III,  686,  687. 

Jean  (saint),  I,  168-169;  III,  203, 
228,  229,  243  ;  IV,  148  ;  556,  557, 

Jean  Chrysostome,  III,  243, 

Jean  de  Parme,  III,  228. 

Jean,  domestique  de  Chopin,  III, 
493,  508,  541. 

Jean-Georges  (Ă©lecteur  de  Brande- 
bourg), I,  80. 

Jean-Georges  III  (Ă©lecteur  de  Saxe), 
1,80. 

Jean-Sigismond  (Ă©lecteur  de  Bran- 
debourg), I,  80. 

Jeanne  d'Arc,  III,  203,  476,  635, 
644,  646,  662  ;  IV,  261. 

Jedrzeiewiz  (Joseph  Kalasante),  III, 
473,  474,  486,  487,  508,  540. 

Jedrzeiewiz  (Mme).  V.  Chopin 
(Louise). 

JĂ©rĂŽme  de  Prague,  III,  364. 

Jérusalem  délivrée  (la),  I,  133. 

Jewsbury  (miss),  IV,  6. 

Joachim  de  Flore,  III,  228, 


Joachim-Frédéric  (électeur  de  Bran- 
debourg), I,  80. 

Jocelyn,  II,  255,  258. 

Johannot  (Tony),  I,  428;  II,  48; 
III,  249. 

Joly  (Anténor),  III,  488,  640,  653. 

Jomelli  ou  Jommelli  (Nicolas),  III, 
212. 

Josquin  de  Pré,  III,  212. 

Josse  (Ursule),  I,  104,  140;  II,  329; 

III,  209. 

Joukovsky  (W.  A.),  II,  452. 
Journal  de  la  Cour,  IV,  233,  235, 

236. 
Journal  des  DĂ©bats,  II,   179,  397, 

399  ;  III,  398,  637,  670  ;  IV,  16- 

21. 

Journal  des  Goncourt,  IV,  259,  524, 

539. 
Journal  du  Cher,  IV,  233. 
Journal  du  Loiret  (supplément  du), 

IV,  14,  30. 

Judicis,  auteur  dramatique,  IV,  458. 

Juif  (le)  errant,  par  Edouard  Gre- 
nier, IV,  391. 

Juif  (le)  errant,  par  EugĂšne  Sue,  III, 
641,  646,  647-649. 

Jules  CĂ©sar  de  Shakespeare,  II,  141, 

Julot  (Pierre),  sabotier  Ă   La  ChĂątre, 
IV,  476. 


K 


Kalergis  (Mme),  I,  53. 

Kampe  (Jules),  III,  138,  150,  157, 

Kant  (Emmanuel),  III,  222. 

Karasowski  (Maurice),  II,  349  ;  III, 
27,  28,  54,  62,  78,  171,  471,  594, 
622. 

Karlowicz  (Meczislas),  III,  26,  28, 
419.  472,  474,  480,  497,  498,  499, 
505,  522,  581,  584,  621,  625. 

Karpeles  (Gustave),  III,  avant-pro- 
pos, il,  133,  137. 

Karr  (Alphonse),  1, 1. 

Kaunitz  (le  comte),  III,  348. 

Keepseake  (le),  IV,  375. 


732 


GEORGE   SAND 


Keinpis  [A]  (Thomas),  I,  13. 
KĂ©ratry  (comte  de),  I,  309,  324. 
KĂ©ratrv  (comte  Em.   de),  [fils  du 

précédent],  I,  325. 
Kertbeny,  II,  13,  107. 
Kinkei,  IV,  142. 
Kirpitchnikow  (le  professr  A.-L),  I, 

188. 
Kisselew  (comte),  IV,  130. 
Kjerkegaard  (SĂŽren),  I,  59,  60,  63, 
Kiiigge  (l'Illuminé),  III,  357. 
Koch  (le  Dr),  III,  69. 
KƓnigsmark  (Aurore,  comtesse  de), 

I,  80-81,  IV,  303. 
Kollar  (Jan),  III,  195. 
Kologrivoff  (Mlle  VĂ©ra  de),  III,  119. 
Komar  (Mine  la  comtesse  de),  III 

120. 
Koni  (Anatole  Th.),  III,  459. 
Kosciuszko  (Thadée),  III,  181. 
Kossuth,  IV,  145. 
Kotzébue,  I,  341. 
Kourroglou,  III,  268. 
Krasinski    (Sigismond),    III,    181, 

190,  191,  195,  197. 
Kreyssig,  I,  43. 
Krzyzanowska  (Justine),  V.  Chopin 

(Justine). 
Kury&r  Warszawski,  III,  594,  625, 


LabruyĂšre,  I,  188. 

La  Chapelle,  Ă©diteur,  III,  640,  648. 

Lacordaire  (le  PĂšre),  II,  226. 

Lacouture  (Mme),  II,  122, 

Lacoux  (de),  I,  181. 

Lacroix  (Albert),  I,  préface,  2  ;  III, 

avant-propos,  i  ;  IV,  498. 
Lacroix  (Clarisse),  I,  242. 
Ladmirault  (général),  IV,  432,  434. 
Ladvocat  (l'Ă©diteur),  III,  413  ;  IV, 

330. 
Laffore  (de  Bourousse  de),  IV,  532, 

534. 


La  Fontaine  (Jean   de),   III,   311, 

317  ;  IV,  335. 
Lafontaine,  artiste  dramatique,  IV, 

284,  433. 
LaiorĂȘt,  IV,  78. 
La  Forge  (Anatole  de),  IV,  363,  364, 

365,  369,  370. 
Lagrange  (comtesse  de),  II,  109. 
LahautiĂšre  (M.),  III,  386. 
Laisné  (Alfred),  III,  384. 
Laisnel  de  la  Salle,  III,  665. 
Lalauze,  III,  451. 
La-Mara  (Mme),  I,  11  ;  II,  211,  242, 

349,  373,  375. 

La  MarliĂšre  (Mme  de),  1, 122. 

Lamartine  (Alphonse  de),  I,  317  ; 
II,  219,  255,  258,  347;  III,  13, 
240,  267,  268.  295,  310,  369,  385, 
386,  413  ;  IV,  20,  42,  72,  74,  93, 
108,  336. 

Lamber  (Juliette).  V.  Adam  (Mme). 

Lambert  (Alexandre),  III,  328,  386, 
398;  IV,  49,  88,  174,  192,  195, 
196,  209,  215,  221,  230,  235,  236. 

Lambert  (EugĂšne-Louis),  III,  419, 
478,  501,  509,  512,  546,  589,  590, 
592,  681  ;  IV,  46,  88,  89,  96,  140, 
150,  186,  231,  232,  266,  267,  268, 
273,  287,  340,  358,  360,  485,  504, 
522,  538,  540,  624. 

Lambert  (Marie)  [femme  d'Al.  Lam- 
bert], IV,  221. 

Lambert  (Marie),  actrice,  IV,  269, 
405. 

Lamberto,  II,  88. 

Lamennais  (Félicité  de),  1, 41, 43,  71, 
166,  168,  169,  417,  434;  II,  161, 
175,  181,  186-187,  212,  216,  219, 
225, 227, 228, 230-231, 232-234, 235, 
236-240,  243,  250,  309,  345,  346, 

350,  370,  394-395,  397,  399,  401, 
405,  417,  451,  455  ;  III,  2,  7,  14, 
31,  81,  95, 104, 120,  123, 129, 137, 
219-222,234,  235,  236-237,  238, 
242,  257,  268,  306,  333,  337,  368, 
369  ;  IV,  362. 

La  Messine  (Alice),  dite  Topaze,  de- 
venue Mme  Paul  Segond,  IV,  419, 
526,  527,  528,  536,  537,  544. 


INDEX    DES    NOMS   CITÉS 


733 


La  Messine  (M.),  IV,  523. 
LamoriciÚre  (général),  IV,  172. 
Lancosme  BrĂšves  (le  comte  Savary- 

de),  III,  501,  503. 
Landrin,  IV,  86. 
Landolphe,  III,  237, 
Langhans  (docteur  W.),  I,  54. 
Lapaire  (Hugues),  IV,  524,  652,  655, 

659. 
Laperrine  (L.),  IV,  230. 
Lapointe  (Savinien),  III,  268,  292, 

295,  297,  317. 
Laprade  (Victor  de),  III,  262,  263, 

501,  502-504,  538,  539;  IV,  621. 

Laprade  (Mlle  de),  III,  504. 
Lardin  de  Musset  (Mme  Hermmie), 

I,  50  ;  II,  212. 

La  RiviĂšre  (docteur  de),  I,  81,  82. 

Laroche  (Hermarm),  III,  35. 

La  Roche-Aymon  (la  famille  de),  I, 

195. 
La  Rochefoucauld  (François  de),  IV, 

547. 
La    Rochefoucauld  (SosthĂšnes  de), 

II,  57,  188,  254  ;  III,  137. 

La  Rochejaquelein   (Laurence  de), 

IV,  510,  511. 
La  Rochejacquelein  (Louise  de),  IV, 

395,  510,  511. 

La  Rochejacquelein  (marquise  de), 

IV,  510,  511. 
La    Rochejacquelein   (M.    de),    IV, 

511. 
La  Rounat,  IV,  453,  460,  462,  468, 

470,  491. 

Lasnier,  II,  186. 

Lassalle  (graveur),  II,  34. 

Lasso  (Orlando),  III,  212. 

Latouche  (Alexandre  -  Hyacinthe 
Thabaud,  dit  Henri  de),  1, 72,  194, 
309,  319,  320,  324-329,  330,  333, 
339-341,  384,  393,  435-439,  440, 
447;  II,  13,  17,  165;  III,  102, 
268,  280,  281,  369,  386,  404,  452, 
454,  492,  501,  537,  538,  639,  640, 
641,  642,  650,  651,  652-655,  660, 
663,  668,  670  ;  IV,  521,  581. 


Latour,  I,  349. 

La  Tour  d'Auvergne-Lauraguais(  de), 
archevĂȘque  de  Bourges,  IV,  623, 
627. 

La  Treyche  (abbé  de),  I,  441-442. 

Latte  (Bernard),  IV,  243. 

Laube  (Henri),  II,  213;  III,  129, 
132,  133,  134,  137,  138,  153,  420. 

Laur  (Francis),  IV,  304,  356,  403, 
404,  423,  491,  497,  522,  533. 

Laurent  (Marie),  IV,  289,  295,  415. 

Lauth  (Mme  Aurore)  [V.  Sand  (Au- 
rore)], I,  préface,  3, 349  ;  III,  avant- 
propos,  i. 

Lauzun,  II,  33,  43. 

Lavallée,  I,  1. 

Lavater,  IL  250  ;  III,  210  ;  IV,  321, 
322. 

Laville-au-Roy,  IV,  215. 

La  Villemarqué  (M.  de),  III,  665. 

Law  (JohnĂŻ,  IV,  263. 

Lebarbier  de  Tinan  (Mme),  IV,  522. 

Lebeau,  habitant  de  La  ChĂątre,  IV, 
476. 

Lebert,  notaire,  républicain,  IV,  174, 
186,  191,  230. 

Leblois  (Louis),  pasteur,  IV,  420, 
424,  469,  470,  596,  621,  630,  631. 

Leblond  (Marius-Ary),  IV,  3. 

LĂšbre  (M.),  III,  197. 

Lebreton  (poĂšte),  III,  293,  312,  313, 
317. 

Lecomte  (Jules),  IV,  281,  282,  283, 
284,  317. 

Leconte  (Marie),  IV,  635,  636. 

Leconte  de  Lisle,  IV,  451. 

Lecordier,  I,  228. 

Lecou,  Ă©diteur,  IV,  661. 

Lecouvreur  (Adrienne),  I,  81,  149  ; 
IV,  634. 

LĂ©cuyer  (Raymond),  IV,  663. 

Ledieux  (F.),  III,  503. 

Ledru-Rolnn  (Alexandre),  I,  15  ; 
III,  328.  391,  392,  396  ;  IV,  2,  26, 
35,  40,  42,  43,  44,  46,  47,  50,  63, 
74,  76,  80,  86,  89,  90,  91,  92,  114, 


734 


GEORGE   SAND 


115,  116,  118,  119,  141,  145,  167, 
174,  519. 

Legouvé  (Ernest),  IV,  81. 
Leibnitz,  1, 188, 190, 240, 249  ;  III,  2, 

10,  11,  178,  456  ;  IV,  350. 
Leleux  (Adolphe),  peintre,  IV,  269. 
LeliĂšvre  (Edouard),  habitant  de  La 

ChĂątre,  230,  476. 
Lemaßtre  (Frédéric),  I,  322  ;  IV,  284, 

286. 
Lenau  (Nicolas  von  Strélénau,  dil), 

11,  343  ;  III,  139. 
Leneveux,  IV,  35. 

Lenz  (Wilhelm  von),  I,  349  ;  III.  171, 
420-427,  522. 

LĂ©o  (Auguste),  III,  65,  66, 120,  150. 

LĂ©on  X,  IV,  366. 

LĂ©on  XIII,  II,  229. 

LĂ©opold  Ier,  roi  des  Belges,  IV,  223. 

Leprévost,  actrice,  IV,  453,  463. 

Lerminier,  I,  169  ;  II,  46,  395  ;  III, 

210,  220,  237,  293,  312,  313. 
Lermontow  (Michel),  I,  46,  54,  256  ; 

II,  9.  134,  140,  164. 

Leroux  (Achille),  III,  322,  323,  324, 
325. 

Leroux  (Pierre).  I,  14,  22,  72,  166, 
168,  169,  417,  434;  II,  124,  163, 
346,  374,  392,  440,  442-444,  457, 
458  ;   III,   avant-propos,  n,   in  ; 

III,  2-23,  68,  80,  81.  86,  95,  96, 
102,  120,  123,  136,  138,  181,  182, 
187,  189,  196,  202,  217-221,  226, 
230,  231,  235,  236-245,  255,  256- 
272.  293,  297,  322,  323,  324,  325, 
329,  332,  333,  337,  357,  358,  359, 
361,  362,  366,  367,  368,  369,  370, 
386,  396,  398-417,  426,  428.  456. 
470,  475,  478,  482,  492,  521,  538, 
624,  626,  645,  649,  663,  671  ;  IV, 
14,  33,  81,  90,  91,  93,  107,  111, 
132,  174,  197,  200,  216,  217,  360, 
522,  617.   - 

Leroux  (Jules),  III,  260,  409,  412, 

413,  414. 
Leroux    (Charles),    III,    414;    IV 

174. 
Leroy  (Zoé),   I,  72,  205,  254-255, 

258,  269,  273-274,  277,  279,  294, 


296-298,  300,  310,  344,  404-406, 

407  ;  II,  315  ;  IV,  323,  325,  326, 
Leroy  (le  préfet  de  l'Indre),  III,  387, 
Leroyer  de  Chantepie  (Mlle),  II,  311  ; 

III,  240  ;  IV,  349,  427,  428. 
Lescure  (de),  II,  13  ;  IV,  510. 
Lessing,  I,  169;  III,  9,  221,  223, 

226. 
Lettres  d'un  Bachelier  Ăšs-Musique,  II, 

244,  245,  251,  266,  367,  393. 

Lettres  républicaines  de  Daniel  Stem, 

II,  241. 

Lettres  sur  l'Espagne  de  Charles  Di- 
dier, II,  185. 

LĂ©vy  (Calmann),  I,  42, 189  ;  IV,  624, 
625. 

LĂ©vy  (Michel).  IV,  339. 

Levallois  (Jules),  I,  410  ;  II,  38. 

Lewald  (Auguste),  III,  28,  127,  131. 

Lewald  (Fanny),  IV,  693. 

Lhomond  (H.),  IV,  336. 

Liberté  (la),  journal,  IV,  243,  507, 

513,  514. 
Ligier.  delà  Coniédie-Française,  IV, 

48. 
Liniayrac  (Paulin),  IV,  351,  354. 

Lindau  (Paul),  I,  7,  41,  46,  48,  51, 
53-55,  59;  II,  6,  13,  20,  25,  26, 
29-30,  40-45,  52-53.  58.  68-69, 
71-72,  77,  93,  96,  107,  117,  120, 
125,  128-129,  130,  132-134,  137- 
138. 

Liotard,  curé,  IV,  174,  215. 

Liprandi,  I,  32. 

Liszt  (Franz),  I,  12,  43,  70,  72,  169, 
321,  403,  434,  444;  II,  124,  135, 
146,  152,  161,  175,  184,  186-188, 
209-211,  216-227,  230,  236-260, 
263,  266,  267,  300,  309,  324  et 
suiv.  Ă   346,  349-353, 356.360, 362- 
363,  367-369,  370,  372-378,  388, 
390-393,  394-395,  401,  427,  451  ; 

III,  2,  6,  28,  29,  32.  33,  36, 37. 38, 
39, 89,  96, 137,  138,  139,  143,  164, 
184,  202,  204,  269,  278,  282,  283, 
291,  333,  421,  422,  423,  424,  425, 

‱  441,  442,  449,  513,  520,  522,  524  ; 

IV,  232,  287,  321,  322,  337. 


INDEX    DES   NOMS   CITÉS 


735 


Liszt  (Mme),  IL  188  ;  III,  282. 
Livre  (le)  de  V Humanité,  par  Pierre 

Leroux,  III,  7-10,  Il  ;  IV,  423. 
Livre  (le)  du  peuple,  par  Lamennais, 

II,  229,  395. 
Locke,  I,  188-190,  240. 
Lockroy  (Paul),  IV,  46. 
Lointier,  II,  38. 
Lombroso  (CĂ©sar),  IV,  15. 
Loménie  (Charles  de),  I,  180,  411. 
Loménie  (Louis  de),  I,  41,  42,  245, 

249,  261,  288  ;  H,  170  ;  III,  115- 

116,  208-211,  420. 
London  Telegraph  (the),  IV,  240. 
Loti  (Pierre),  IV,  547. 
Louis  XIII,  I,  175;  IV,  355. 
Louis  XIV,  IV,  560. 
Louis  XV,  I,  81-82. 
Louis  XVI,  I,  253  ;  IV,  57. 
Louis  XVIII,  I,  125,  146,  148. 
Louis-Philippe,  I,  26  ;  II,  226,  303  ; 

III,  389,   693  ;   IV,  33,   54,  156, 
166,  253,  558. 

Louise  Tardy,  par  Louis  Ulbach,  IV, 
499. 

Lowicz  (Jeanne,  comtesse  de),  III, 
27. 

Loyson  (le  PĂšre  Hyacinthe),  III, 
443  ;  IV,  256,  257,  429,  467. 

Lucas  (Hippolyte),  III,  192. 

Lucas  (Jean-CĂ©sar),  soldat,  IV,  199. 

Luce,  jeune  Berrichonne,  III,  600, 
558,  559,  641. 

LucrĂšce  de  Ponsard,  III,  552. 

Ludre-Gabillaud  (Antoine),  IV,  477. 

Ludre-Gabillaud,  avoué  à  La  Chùtre, 

IV,  411,  477,  497,  605,  609,  626. 
Ludre-Gabillaud   (Mme),    IV,    470, 

477. 

Luguet  (famille),  IV,  239. 
Luguet  (Mme),  II,  116. 
Luguet,  IV,  469. 
Lumet  (J.-B.),  vigneron  d'Issoudun, 

III,  328,  398  ;  IV,  174,  192,  209, 

230,  231,  235,  238,  652. 
Lumet  (H.  ou  L),  IV,  652. 


Lumet  (Mme),  IV,  221,  222, 
Luneau  (François),  dit  Michaud,  II, 

121. 
Luther,  III,  239. 
Lyell,  célÚbre  géologue,  IV,  413. 
Lyon,  piĂšce  de  Liszt,  II,  239. 


Mably,  1, 188, 190,  311. 

Machiavel,  IV,  547. 

Macready   (W.-L.),    III,    555;    IV, 

298,  299. 
Madame  Bovary,  IV,  242,  278,  375, 

507. 
Madame  Sans- GĂȘne,  I,  111. 
Madeleine-Sybille  (Ă©lectrice  de  Saxe), 

I,  80. 

Madonna  délia  sedia,  III,  693. 
Maderolle,  républicain  de  Chùteau» 
roux,  IV,  215. 

Magasin  pittoresque,  IV,  288,  357, 

372. 
Magen  (Hippolyte),  IV,  486. 
Magendie,  I,  254. 
Magnitsky,  I,  32. 
Magny,  restaurateur,  IV,  497,  504, 

508,  522,  539. 
Magu,  I,  72  ;  III,  102,  293,  296,  297, 

298,  305,  308-319,  320,  321,  326, 

330,  652  ;  IV,  239,  3S9. 
Magu  (FĂ©licie,  dame  Gilland),  III, 

309,  314,  321,  322,  329,  330. 
Magu  («  la  mÚre  »),  III,  308,  309,  314, 

320. 

Mahomet  II,  III,  476. 

Maillard  (Louis),  II,  117  ;  IV,  403, 
404,  417,  423,  460,  478,  485,  486, 
488,  492,  494,  501,  507,  522,  660, 
617. 

Maillard  (Mme),  IV,  423,  486. 

Maillaud,  peintre,  IV,  653. 

MaĂŻnow  (Wladimir),  III,  364-365, 

Maistre  (Joseph  de),  IV,  167,  295, 

MaĂźtre  Floh,  par  Hoffmann,  IVf 
316. 


73<5 


GEORGE   SAND 


Majorque  (l'Ăźle),  III,  55-100. 
Malade  (le)  imaginaire,  I,  174;  IV, 

75. 
Maleteste  (de),  I,  122. 
Malibran  (Mme),  I,  321;  II,  339; 

III,  139,  176  ;  IV,  299. 
Mallefille   (FĂ©licien),   II,   267,   355, 
369,  431,  432,  438,  442-445,  447, 
457  ;  III,  43,  45,  48,  50,  51,  53, 
182,  184,  245,  287, 
Malus  (baron),  I,  247. 
Manceau    (Alexandre-Damien),    II, 
34,   353;  III,  630,  686;  IV,  89, 
140,  149,  150,  151.  171,  172,  186, 
232,  233,  255,  273,  289,  290,  30/, 
308,  316,  340,  341-347,  349,  356, 
360,    371-373,    375-380,   385-387, 
397-399,  403-408,  411,  420,  431, 
442-443,   446,  447,   452,  453-460, 
462,  467,  468,  470-473,  478,  485, 
486,  488,  489,  490-504,  532,  549, 
567,  568,  571,  572,  574,  617,  620. 
Manceau  (Laure).  IV,  491,  495,  496, 

497. 
Manceau  (pĂšre),  IV,  495,  496. 
Manfred,  II,  141  ;  III,  186. 
Manin,  IV,  363,  364,  365,  366,  368. 
Manon  Lescaut,  II,  196. 
Manzo,  II,  31. 

Manzoni  (Alexandre),  III,  222. 
Mara  (Élisabeth-Gertrude),  III,  333. 
Marat,  IV,  94,  508. 
Marc-AurĂšle,  III,  320. 
Marceau,  III,  427,  557. 
Marcel  (Henry).  IV,  646. 
Marceline,  voir  Une  journée  à  Dresde. 
Marcello  (Benedetto),  III,  212,  335. 
Marchai  (Charles),  I,  72,   IV,  405, 

406,  454,  464,  491,  628. 
MarcJiand  (le)  de  Venise,  II,  426. 
Marche  funĂšbre,  de  Chopin,  III,  35, 

90;  IV,  286. 
Maréchal   (Armand-Jean-Louis),    I, 

76,  93,  209,  223,  228. 
Maréchal(Mme  Marie-Lucie),  née  De- 
laborde,  I,    76,    223,   250;    IV, 
350.  [Voir  Delaborde.] 


Maréchal  (Clotilde),  fille  de  la  précé- 
dente, I,  94,  97.  99,  250;  IV.  169, 
171. 

Margollé   (les),  IV,  411. 

Maria-Antonia,  ménagÚre  à  Ma- 
jorque, III,  74,  84. 

Mariage  (le)  de  Figaro,  de  Beaumar- 
chais, IV,  277. 

Marie,  avocat,  membre  du  gouver- 
nement provisoire,  III,  323,  324, 
325  ;  IV,  42. 

Marie-Amélie,  reine  de  France,  III, 
313. 

Marie-Antoinette,  reine  de  France, 

I,  84  ;  II,  307.  319,  IV,  660. 
Maiie-Josepha    de   Saxe,   la   Dau- 

phine,  I,  80. 

Marie  Stuart  et  Rizzio,  IV,  357. 

Marie-ThérÚse,  impératrice  d'Au- 
triche, III,  348. 

Mariéton  (Paul),  I,  47,  51,  70,  72  ; 

II,  2,  13,  16,  68,  74,  88,  97,  102, 
118,  122-123,  125,  136. 

Marion  de  Lorme,  III,  464, 
Marivaux,  IV,  78. 

Marliani  (Mme  Charlotte),  II,  346- 
370-371,  432,  438,  457;  III,  16, 
21  22  23,  42,  53,  58,  60,  62,  78, 
79',  80,  93,  94,  95,  96,  97, 101, 102, 
103,  104,  107,  109.  120,  121,  122, 
163,  172,  211,  217,  218,  219,  230, 
231,  233-234,  235,  236,  237,  238, 
243  244,  245,  259,  260,  261,  262, 
263,  265,  282,  325,  361,  381,  405, 
408,  418,  419,  420,  422,  423,  425, 
426,  430,  455,  466,  467,  475,  477, 
478-481,  483-487.  489,  490,  492, 
493,  494,  498,  499,  501.  507,  529, 
537,  544,  545,  549,  551,  552,  563, 
567,  585.  591-593,  600,  625  ;  IV, 
19,  82,  112,  113,  313. 

Marliani  (Manoel),  III,  56,  63,  67, 
79,  482,  484,  490,  492. 

Marliani  (Enrico),  III,  56,  79,  483, 
485,  490,  492. 

Marinier,  IV,  306. 

Marmontel  (Antoine-François),  III, 
522. 


INDEX   DES   NOMS   CITÉS 


737 


Marrast,  IV,  93,  108. 

Mars  (Mlle),  I,    394;  III,  1G2.  IV, 
634. 

Mars  (M.  de),  III,  158. 
Marseillaise    (la    Nouvelle)    ou    La 
Jeune  RĂ©publique.  IV.  76. 

Martin  (Alexis),  II,  166. 
Martin,  d'EugĂšne  Sue,  III,  503. 
Martin  (Fulbert),  III,  328,  398  ;  IV, 

139,  150,  174,  191,  197,  204.  215, 

218,  221,  235,  340,  344,  486,  487, 

488,  617. 
Martin  (de  Strasbourg),  IV,  197. 
Martin  (Henri),  III,  328,  398,  445, 

635  ;  IV,  32,  363,  364,  367. 
Martin  (avoué),  II,  323. 
Martin  V  (le  pape),  III,  363,  365. 
Martin  ou  Martins  (les  demoiselles). 

III,  118,  449. 
Martine  (Mme),  ouvreuse,  IV,  624. 
Martineau-Deschenez  (Auguste),  II, 

339,  347,  439. 
Martini  (padre),  III,  212. 
Martinowiez  (L'illuminé),  III,  357. 
Martins  (M.),  III,  491. 
Marx  (Karl),  IV,  133,  135. 
Masséna,  I,  85. 
Mathé  (Mme),  IV,  197. 
Mathilde  (princesse).  IV.   255,  346, 

435,  437,  464,  465,  522. 
Matron,  cocher,  IV,  461. 
Matron  (Mme),  IV,  197. 
Matuszinski  (le  Dr  Jean),  III,  58, 

62,  64,  65,  66,  111, 119,  181,  470, 

497,  623. 
Maugras  (Gaston),  I,  83. 
Maupas  (Alexandre),  IV,  177,  186, 

235. 
Maupassant  (Guy  de),  I,  142,  180, 

433  ;  II,  3,  461  ;  IV,  504-505. 

Maurice  de  Saxe,  I,  80-81,  89,  90, 
149  ;  III,  454  ;  IV,  112,  335,  336. 

Maury,  IV,  243. 

Mayeux  (le),  bateau,  IV,  151. 

Mazade  (Charles  de),  1, 12  ;  IV,  322, 
337. 


Mazgana  (l'Ă©diteur),  III,  369,  40?i 

Mazzini  (Giuseppe),  III,  398,  410, 

573;  IV,  6,  7,  8,  9-16,  20,  112, 
132,  141,  142,  145. 

Mazurka  (la)  en  mi  mineur,  de  Cho- 
pin, III,  89. 

Mazurkas  op.  41  de  Chopin,  III,  104. 

Mazurkas  (Trois)  de  Chopin,  op. 
63,  III,  501. 

Meck  (Mme  N.  de),  III,  204. 

MĂ©dard  (saint),  III,  203. 

Meillant,  fermiers  de  Nohant,  III, 
383,  487. 

Meillant  (Françoise),  III,  478,  507, 
508,  609,  559. 

Méléagre  (le),  navire  français,  III, 
93. 

MĂ©lingue,  IV,  453,  455. 

MĂ©moires  de  Duquesnel,  IV,  406. 
517-520. 

MĂ©moires  de  Herzen,  IV,  135,  140. 
Mendelssohn  (FĂ©lix),  III,  37. 
Mendizabal,  III,  57,  65,  480. 
Ménélas,  III,  284. 
Mercadet,  de  Balzac,  IV,  263. 
Mercier,  II,  339,  441. 

Mercier,  habitant  de  La  ChĂątre,  IV, 
476. 

MercƓur  (Élisa),  III,  293. 

Mercuri,  II,  153,  399. 

Mérimée  (Prosper),  I,  384,  397,  399- 

403,  410  ;  II,  41, 169,  387  ;  IV,  101, 

102,  103,  111,  435,  540,  541. 
MĂ©ritens  (Louis  de),  III,  281. 
MĂ©ritens  (Mme  Horteuse  Allart  de) 

[v.  Ă   ce  nom],  III,  281. 
Merlin  (comtesse),  III,  129  ;  IV,  156, 
Merruau,  III,  659. 
MĂ©ry  (Joseph),  I,  1. 
Messager  de  VEurope,  IV,  170. 
MĂ©tastase  ou  Metastasio  (Pierre-Bo- 

naventure),  III,  334,  335,  348. 
Meure,   procureur    Ă   Clamecv.    IV, 

336. 

Meurice  (Paul),  IV,  315,  318,  504, 
509;  602,  624,  629,  646. 

47 


733 


GEORGE   SAND 


Meyerbeer  (Giaconio),  I,  72  ;  II,  135, 
252,  339,  350,  390;  III,  33,  39, 
119,  135,  140,  143,  157,  421,  592  ; 
IV,  321,  322. 

Meyrueis  (l'Ă©diteur),  III,  306. 

Michaux  (procureur  Ă   Fontaine- 
bleau), III,  313. 

Michel-Ange,  III,  205,  524,  688. 

Michel  de  Bourges,  I,  44,  71,  72, 166, 
168,  223,  226,  233,  251,  264-265, 
276,  361,  417,  434  ;  II,  124,  161, 
175-210,  242,  243,  246,  249-250, 
260-267  et  suiv.,  295,  305-309, 
315-320,  345,  353-355,  367,  379, 
392,  395,  417,  419,  420,  431,  433, 
435-439  ;  III,  2,  14,  15,  245  ;  IV, 
27,  28,  51,  321,  322,  519. 

Michelet  (Jules),  III,  192. 

Michiels  (Alfred),  II,  365. 

MicMewicz  (Adam),  I,  169  ;  II,  164, 
345-346,  350  ;  III,  avant-propos,  i, 
81,  119,  181-204,  208,  268,  333, 
371,  425,  469  ;  IV,  463,  578. 

MicMewicz  (Mme  CĂ©line),  III,  185. 

Mickiewicz  (Ladislas),  III,  avant- 
propos,  ii,  182, 183,  190,  191,  192, 
202  ;  IV,  276. 

Mignet,  I,  402  ;  IV,  101. 

Mignon,  aux  Variétés,  IV,  171. 

1870  [Mil  huit  cent  soixante-dix, 
piÚce  du  théùtre  des  marionnettes 
de  Maurice  Sand],  IV,  418. 

Mill  (John  Stuart),  III,  5,  6. 

Mille  (Pierre),  III,  441-442. 

Millet  (Aimé),  IV,  632,  645,  667. 

Millet  (Jean-François),  IV,  585,  644. 

Milton,  I,  188-189. 

Minoret,  II,  76. 

Miou-hu-shi-Kaou  (chef  des  Joways), 
III,  373-374. 

Mirabeau,  II,  318. 

Mir  Bogy,  revue  russe,  IV,  633. 

Mirecourt  (EugĂšne  Jacquot,  dit  Eu- 
gĂšne de),  I,  41,  42,  47, 390  ;  II,  13, 
107  ;  III,  31,  238,  255  ;  IV,  6. 

Mirés  (Jules-Isaac),  banquier,  IV, 
290. 


Misanthrope  (le),  I,  202. 
Mode  {la),  I,  330,  331. 
MoĂŻse,  III,  9,  203,  239. 
MoĂŻse,  de  Rossini,  I,  322. 
Moissonneurs  (les),  tableau  par  LĂ©o- 

pold  Robert,  IV,  654. 
MoliĂšre,  I,  174-176,  189,  342  ;   III, 

105,  553,  554,  679  ;  IV,  78,  266, 

269,  270,  271,  448,  634. 
Mollier  (FĂ©licie),  I,  283,- 
Mondange,  soldat,  IV,  199. 
Monde  (le),  II,  185,  397,  398. 
Monde  (le)  illustré,  IV,  355. 
Mongolfier  (Mme),  III,  59,  269.- 
Monin  (Hippolyte),  IV,  4,  5,  6,  18, 

30,  31,  36-38,  42,  43,  45,  51,  52, 

56,  71,  74,  75,  79,  80,  81,  82,  84, 

93,  99,  102,  104,  107,  109,  120. 
Monkton  Milnes  (lord  Hougton),  I, 

402  ;  IV,  101,  103,  111,  124, 
Montaigne,  1, 188,  248  ;  II,  219  ;  IV, 

88. 
Montalembert  (comte  Charles  de), 

II,  226  ;  III,  192  ;  IV,  13, 

Montaud  (Théophile  de),  IV,  194, 
195,  196,  218,  220, 

Montégut  (Emile),  II,  120. 

Montesquieu,  I,  188,  269,  270  ;  III, 
239,  266  ;  IV,  332. 

Monthyon  (prix),  III,  691  ;  IV,  435. 
Montigny,  IV,  170, 173,  318,  407. 
Montijo  (comtesse  de),  I,  402  ;  IV, 
102, 

Montmorency-Fosseux  (famille  de), 
IV,  396,  397. 

Monvel,  IV,  170. 

Mooser,  II,  335-336,  338, 

Moreau,  conseiller  de  préfecture, 
IV,  185. 

Moreau,  habitant  de  La  ChĂątre,  IV, 
176. 

Moreau  (Eliza),  III,  293. 

Moreau  (Hégésippe),  III,  293. 

Moreau  de  Neuvy-Pailloux  (Ma- 
thieu), IV,  215,  230. 

Moreau  du  Pin,  IV ,  373,  377,  378. 


INDEX    DES   NOMS  CITES 


739 


Moreni  (Ercole),  I,  préface,  n  ;  II,  68, 

74-75,  77,  84. 
Morgan  (John  Minter),  IV,  9. 
Momy  (comte,  puis  duc  de),   IV, 

165,  166,  464. 
Mort  (la)  d'Iseult,  IV,  286. 
Moscheles  (Ignace),  III,  37,  65, 119. 
Moulin  (Charles),  notaire,  III,  590, 

604  ;  IV,  470,  596,  605,  609,  621, 

622,  626. 
Mounet  (Paul),  IV,  642. 
Mozart,  II,  163,  336  ;  III,  33,  34,  35, 

36,  40,   105,  131,  140,  207,  212, 

553,554;  IV,  401. 
Muette  (la)  de  Portici,  IV,  75,  77. 
Mugnier  (abbé),  I,  156  ;  IV,  649. 
Muller  (Mlle),  III,  119. 
Muller-Strubing  (docteur  Hermann), 

I,  72  ;  III,  178,  685  ;  IV,  132, 133, 

138-141,  142,  143,  144,  174. 

MurĂąt,  I,  85,  93,  97,  99-102, 193. 

Musset  (Mme  Edmée  de)  [mÚre  d'Al- 
fred], II,  64,  77,  87. 

Musset  (Alfred  de),  1, 1,  4,  7,  12,  41, 
44-45,  47-55,  70-72,  73,  127,  189, 
233,  390,  397,  400,  403-404,  411, 
434-435,  443,  449;  II,  1,  6,  12, 
14  et  suiv.,  152,  154,  164,  166, 
168-170,  175,  211-214,  242,  283, 
289-290,  433,  439,  449;  III, 
avant-propos,  iv-v,  29, 35,  65,  96, 
123,  124,  126,  127,  138,  213,  238, 
255,  275,  428  ;  IV,  175,  264,  321, 
322,  333,  355,  357,  403,  435,  436, 
442. 

Musset  (Paul  de),  I,  7,  45,  48,  73, 
389  ;  II.  13,  18-20,  21,  23,  25,  28, 
31-33,  38-39,  45-47,  52,  70-73, 
74,  77,  87,  93,  102,  104, 106,  108- 
110,  113,  118,  122-123,  132-133  ; 
IV,  355. 


M 


Nadar,  IV,  378,  467,  468,  409,  470, 
471. 

Nadaud  (Gustave),  III,  328. 

‱  Nain  (le)  jaune,  IV,  513. 


Nakwaska  (Mme),  III,  436. 

Napoléon,  I,  93,  97,  98,  122,  125, 
126,  133  ;  II,  27,  226  ;  III,  196, 
230,  259,  260,  261,  372,  645  ;  IV, 
21,  54,  201.  251.  259,  261,  341, 
344,  448,  508. 

Napoléon,  par  Al.  Dumas,  I,  322. 

Napoléon  III,  I,  20, 166  ;  III,  avant- 
propos,  i,  398  ;  IV,  145,  155-167, 
170,  172,  175,  177,  178-185,  188, 
189,  191-194,  196,  198-201,  204- 
205,  208-210,  214,  215,  219,  220, 
222,  226,  227,  231-234,  236,  238, 
241,  247-249,  250-254,  259,  261, 
418  («  Isidore  »),  435,  436,  437, 
464,  465,  467,  548,  557,  558,  566, 
572. 

Napoléon  le  Petit,  IV,  155. 

Napoléon  (prince  JérÎme),  IV,  170, 
183,  189.  190,  199,  232,  249-250, 
255.  257,  258,  300,  304,  348,  380, 
398,  420,  427,  435,  437,  454-456, 
461,  462,  464,  465,  468,  471,  491, 
492,  517,  518,  522,  523,  602,  626, 
628,  629. 

Narbonne  (hĂŽtel  de),  II,  292,  322; 

III,  108;  IV,  17. 
Narischkine  (Mme)  devenue  Mme  A. 

Dumas,  IV,  405,  454,  624. 
Narischkine  (Olga),  IV,  405,  454. 
Narrey  (Charles),  IV,  292,  293. 

Naufrage  de  la  Méduse  (le),  mélo- 
drame, III,  173. 

Nauroy  (Charles),  I,  87. 

Nelida,  par  Daniel  Stern,  II,  241, 
248. 

Nefftzer,  IV,  368,  618, 

NĂ©raud  (Jules)  [Malgache],  I,  72, 
284,  289,  361,  379,  408  ;  II,  94-95, 
135,  174,  296,  315,  367  ;  III,  102, 
128,  280,  370,  373,  381,  383,  384, 
388,  397  ;  IV,  150,  321,  322,  350, 
358,  482,  521,  522,  599,  602, 

NĂ©raud  (pĂšre),  IV,  549. 

Nerval  (GĂ©rard  de),  I,  1. 

Nettement  (Alfred),  I,  12,  43. 

Neue  freie  Presse  (la),  III,  133  ;  IV, 
130. 

New  York  Evening  Post,  IV,  243.- 


740 


GEORGE   SAND 


Niboyet  (Mme),  IV,  81,  82. 

Nicolas  Ier,  empereur  de  Russie,  I, 
22,  31  ;  III,  186,  424,  426. 

Nicolas  (Auguste),  I,  273. 

Kiecks  (Frédéric),  I,  42,  48,  55-57, 
64  ;  II,  13,  72,  344,  349  ;  III,  28, 
29,  32,  33,  34,  35,  37,  38,  40,  41, 
58,  89,  90,  468,  469,  471,  493, 
522,  551,  622,  628. 

Nemcewicz  (Julien  Ursyn),  II,  350  ; 

III,  119, 181. 
NiMtenko  (Alexandre),  I,  25. 
Nigond  (Gabriel)  ;  IV,  524,  652. 
Nisard  (Désiré),  1, 345,  483  ;  II,  135  ; 

IV,  321,  322,  436. 
Noailles  (Mlle  de),  III,  120. 
Nocturne  (en  sol  mineur)  de  Chopin, 

III,  104. 

Nodier  (Charles),  I,  1,  440. 

Norblin,  III,  624. 

Nourrice  (la)  d'Aurore,  IV,  605, 
606,  634. 

Nourrit  (Adolphe),  le  célÚbre  chan- 
teur, II,  186-187,  345-347,  391- 
392  ;  III  97,  339  ;  IV,  314. 

Nowakowski  (Joseph),  III,  119, 

Nufiez  (banquier),  III,  68. 


Obermann,  I,  398  ;  IV,  572. 

Odéon  (théùtre  de  1')  ;  III,  551,  679  ; 
IV,  168,  275,  287,  290,  292,  293, 
434,  452-454,  458,  460,  462,  464- 
467,  468-471,  498,  523,  590,  632, 
633. 

Offrande  (V),  IV,  548. 

Ogarew  (Mme),  IV,  532. 

Ogarew   (N.-R),  IV,  129. 

Oliveira,  I,  18,  19. 

Olivier  (Juste),  III,  128. 

Olivier  (Mme  Juste),  III,  128,  188- 
190,  192. 

Ollivier  (Emile),  IV.  232. 

Ollivier  (Mme  Blandine,  née  Liszt), 
II,  371. 


O'Meara  (Mlle),  III,  119. 
Onslow  (George),  III,  422. 
Opinion  (V)  des  femmes,  IV,  81. 
Opinion  (V)  nationale,  II,  180,  185  ; 

IV,  454. 
Ordre  (F)  républicain,  IV,  629. 
Oribeau  (Mme  d'),  III,  59, 118,  493 
Orléans   (square   d'),  III,  418-425. 

426,  427. 
Ormuzde,  III,  11. 
Orsay   (comte    Gédéon-Gaspard-Al- 

fred  d'),  III,   591,  592,  bl2  ;  IV, 

169,  170,  171,  189,  190,  191,  20:3. 

231,  232,  233,  255,  280,  281,  34. 
Orsini,  IV,  238. 
Orthez  (d'),  III,  427. 
Ortolan  (M.),  III,  299. 
Ostrowski  (Christian),  III,  192. 
Othello,  I,  61,  III,  295. 
Othello,  de  Rossini,  I,  322. 
Ourousof  (prince   Alexandre).    III. 

674. 
Ovide,  III,  8, 185. 
Ozenne  (Mme  Marie,  née  Meurice), 

III,  avant-propos,  n. 


Paesiello  (Giovanni),  III,  212. 
Paganini,  II,  497  ;  III,  164. 
Pagello  (Pietro),  I,  52,  71  ;  II,  1, 16. 

67-69,  71,   73-79,  80,  81,  83-9r., 

131,  147,  152,  154,  290,  439  ;  IV, 

403. 
Pailleron  (Marie-Louise),  IV,  382. 
Pajot  (Ferdinand),  IV,  550. 
Palazzi  (Roméo),  IV,  632. 
Palestrina  (Giovanni  Pierluigi,  dit) 

III,  212. 
PanaĂŻew  (J.  J.),  I,  24. 
Panckouke,  Ă©diteur,  IV,  330. 
PanoptÚs,  critique  de  la  Liberté,  IV. 

244. 
Papet  (Gustave),  I,  72,  284,  312. 

390,  405;   II,  94,   109-110,  122. 

183,  295-296,  315,  431,  436  ;  III, 


INDEX    DES    NOMS   CITÉS 


741 


101,  102,  108,  110,  130,  161,  162, 

170,  212,  380,  381,  450,  498,  544, 

605,  618  ;  IV,  269,  325,  521.  522, 

595,  598,  599,  601,  604-609,  610, 

614,  620,  623,  627. 
Pardaillan  ((Mme  de),  I,  122,  349. 
Parfait  (Noël),  II,  117. 
Parfums  (les)  de  Borne,  par  L.  Veuil- 

lot,  IV,  431. 
Paris,  III,  284. 
Paroles  d'un  croyant,  II,  226.  227, 

229,  230. 
Parrain  (le),  IV,  500. 
Pascal,  I,  188.  272  ;  III,  239,   IV, 

544. 
Passaglia  (le  PĂšre),  IV,  431. 
Pasta  (la),  III,  176  ;  IV,  333. 
Patureau-FrancƓur,  III,  328,  398; 

W,  174,  184,  192,  209.  215,  219, 

221,  231,  238,  255,  550,  617,  619. 
Paul  (saint),   II,   411  ;  III,  8  ;   IV, 

496. 
Paulin-Meuier,  IV,  287. 
Paul  et  Virginie,  III,  631,  632. 
Pauline  Sax,  par  Drouginine,  II,  82. 
Pauvres  Gens,  de  DostoĂŻevski,  I,  27. 
Pays  (le)  et  le  Gouvernement,  II,  229, 
Pays  (le),  IV,  280. 
Paysans  (les),  par  H.  de  Balzac,  TV, 

375. 
PĂ©an  (docteur),  IV,  595,  608,  607, 

608. 
Pecht  (Frédéric),  III,  129,  130. 
Pelée,  III,  284. 
PĂ©lissier  (L.  G.),  III,  124. 

Pelletan     (EugÚne-Pierre-Clément), 

II,  267,  354,  364-365,  399,  439; 

III,  287,  443,  449  ;  IV,  379. 

Penarvan,   ou    La  Maison   de   Pe- 
narvan,  IV,  417,  453. 

Pensées  S  Août  :  Monsieur  Jean,  par 
Sainte-Beuve,  IV,  441. 

Pensées,  maximes   et  réflexions,   de 
Daniel  Stern,  II,  241. 

PeopWs  Journal,  IV,  7. 

Pepe  (général),  IV,  112. 


Perdiguier  (Agricol),  I,  72  ;  III,  102, 

245-255,  256,  293,  298,  314  ;  D7, 

351. 
Perdiguier  (Lise),  III,  245, 253,  321  ; 

IV,  198,  221. 
PÚres  et  enfants,  par  Tourguéniew; 

I,  63  ;  TV,  547. 
PĂ©rigny,  I,  281,  322. 
PĂ©rigois  (Ernest),  III,  328,  398  ;  IV, 

174,  185,  186.  191,  196,  205,  209, 

215,  221,  230,  237,  238,  255,  350, 
378,  382,  494,  522,  599,  602,  622, 
629. 

Périgois  (Mme  AngÚle),  née  Néraud, 

IV,  350,  378,  494. 
Pernet  (Emile),  III,  369. 
Pernet  (Jules),  III,  367,  384,  402. 
Perrault,  I,  104. 
Perrens  (F.-T.),  IV,  369. 
Perret,  II,  446. 
Perrichet,  III,  603. 
Perrotin  (l'Ă©diteur),   III,  170,    174, 

244,  256,  268,  313,  315,  316,  317, 

369,  402,  403,  626. 

Persigny  (comte,  puis  duc  Jean-Gil- 
bert Fialin  de),  IV,  165,  169,  183, 
184,  186,  187-191,  194,  197,  198, 

216,  220,  233-237,  338. 

PĂ©rugin  (le),  II,  163. 

Peschoux  (pasteur),  IV,  472. 

Pestel  (docteur),  IV,  529,  530,  695- 
598,  601,  604,  605-617,  619-621, 
623,  625-627,  629. 

PĂ©tano  (G.),  IV,  489. 

Pététin  (Anselme),  III,  79,  328,  367, 
398,  454,  490  ;  IV,  82,  103. 

Petiet  (baron),  IV,  336. 

Petiet  (général),  IV,  336. 

Petit  (le)  Courrier  des  Dames,  I,  282. 

Petite  (la)  Tonkinoise,  IV,  286. 

PĂ©trarque,  III,  57. 

Peuple  (le),  journal  de  Proudhon,  IV, 

233. 
Peyrat  (Alphonse),  IV,  239. 
Peyrat  (Napoléon),  II,  401,  III,  306. 
Phénicien  (le),  navire,  III,  59,  93. 


742 


GEORGE   SAND 


Philosophe  (le)  sans  le  savoir,  par 
Sedaine,  IV,  277,  278. 

Piaron  de  Serennes,  I,  84. 

Pibot,  sabotier  Ă   La  ChĂątre,  IV,  476. 

Pictet  (Adolphe),  II,  326,  329-331, 
333,  339,  355,  392  ;  III,  23,  278. 

Pied  (le)  sanglant,  piÚce  au  théùtre 
deNohant,  IV,'  507,  508. 

Pierre  (baron  de),  IV,  369. 

Pierre,  domestique  français  de  Cho- 
pin, III.  500,  549,  550. 

Pierre,  vieux   jardinier  Ă   Nohant, 

III,  508,  509. 

Pierre  (saint),  1, 168;  II,  444;  III, 

620;  IV,  557. 
Pierret  (Louis  Mammes),  I,  93,  97» 

223,  228  ;  II,  421  ;  III,  161,  489  ; 

IV,  336. 

Pietri  (J.),  IV,  194. 

Pietri  (Pierre-Marie),  IV,  194,  204, 
238. 

Pigalle  (rue),  III,  108, 110,  111, 112, 
113-119,  418. 

Pilules  (les)  du  dialle,  IV,  272. 

Pinson,  restaurateur,  IV,  36,  37,  40, 
171. 

Planche  (Gustave),  I,  311,  320,  370, 
384,  410,  437-439,  440-441,  443; 
II,  17,  38,  80,  120,  121.  165,  169, 
369;  III,  671,  679,  680,  686;  IV, 
277,  282,  648. 

Planet  (Gabriel),  I,  284,  312;  II, 
184,  204,  295,  315  ;  III,  13,  102, 
381,  383,  384,  386,  388,  410,  639  ; 
IV,  17,  44,  222,  350,  521,  549. 

Planet  (Maxime),  IV,  522,  526,  527, 
528,  538,  540,  543. 

Plater  (comte),  111,201. 

Plater  (comtesse  Emilie),  III,  120, 
199. 

Platon,  III,  7,  8,12,  219,  239;  IV, 
481. 

Plauchut  (Edmond),  I,  préface,  2, 
16-19,  385  ;  II,  60-63.  ;  III,  avant- 
propos,  i,  iv,  40, 100, 251, 398  ;  IV, 
300,  398,  434,  522,  524,  526-529, 
531,  536-538,  540,  543,  544,  609, 
614,  616-618,  621,  622,  624-627. 


Plaute,  IV,  78. 

Plestchéïew  (Alexis  Nicolaïewitch), 

I,  21. 
Pleyel  (Camille),  III,  37,  62,  65,  74, 

107,  119,  492,  550. 
Pleyel  (salle),  III,  211. 
Plutarque,  II,  310. 
Plutus,  d'Aristophane,  IV,  316,  317. 
Podiebrad  (la  famille  royale  des), 

III,  380. 

Poinsot  (Edmond),  III,  118,  451, 
456,  563,  565,  572,  597,  607. 

Poinsot  (Mme),  née  Bascans,   III, 

451. 
Poléjaiew  (Nicolas),  I,  65. 
Politique  (la)  des  femmes,  IV,  81. 
Politique  (la)  nouvelle,  III,  510. 

Polonaises  (les)  en  la  et  en  ut  mi- 
neur, III,  89. 

Pompadour  (Mme  de),  IV,  660. 

Pompéry  (Edouard  de),  IV,  82,  103. 

Poney  (Charles),  I,  283;  III,  241, 
249,  292,  293,  294,  295,  297,  298- 
305,  315,  316,  317,  326,  478,  479, 
507,  541,  544,  546,  556,  561,  562, 
573,  582,  583,  687,  598  ;  IV,  10, 
14,  21,  29,  34,  35,  43,  58,  60,  109, 
110,  239,  240,  368,  371,  387,  411, 
419,  472,  493,  495,  528, 

Poney  pésirée),  III,  298,  573,  582, 
587. 

Poney  (Solange),  III,  298. 

Poniatowski  (Joseph),  III,  186. 

Ponsard  (Francis),   III,  651,  552; 

IV,  171,  274. 

Pontcarré  (Pauline  de),  I,  178,  181. 
Pontmartin  (Armand  de),  II,  13  ;  IV, 

156. 
Ponty  (poĂšte  populaire),  III,  293. 
Pope,  I,  188. 
Poquelin,  IV,  636. 
Porpora  (Nicolo),  III,  212,  334,  335, 

337-340,   346-347,   348-349,   350. 
Portalis,  IV,  86,  94. 
Porte  Saint-Martin  (théùtre  de  la), 

IV,  168,  275,  286,  287,  292,  456, 

458,  508,  509,  637. 


INDEX    DES   NOMS   CITÉS 


743 


Potocka(comtesse  Claudine),  III,  199. 
Potocka   (comtesse   Delphine),   née 

Komar,  III,  120,  469,  558,  624. 
Potter  (l'Ă©diteur),  III,  369,  411,  485. 
Pouchkine  (Alexandre),  I,   46,   65' 

66,  74,  245,  253,  256  ;  II,  135-136* 

164,  452  ;  III,  78,  106,  193  ;  IV> 

503,  547,  568. 
Pradon,  II,  338. 
Prairie  (la)  Bégine  (ou  Biégine  Long) 

de  Tourguéniew,  I,  136. 
Préludes  (les),  de  Chopin,  III,  62) 

64,  66,  87-89. 
Prémord  (l'abbé),  I,  162,  170-173, 

178,  187-188. 
Presse  (la),  II,  179  ;  III,  329,  413» 

415  ;  IV,  234,  239,  243,  271,  275, 

282,  304,  306,  307,  342,  354,  357. 

362,  363,  369,  374,  380,  382,  426* 

453,  507. 
Prévost,  homme  de  loi,  IV,  497. 
Prévost  (Marcel),  IV,  389,  439,  646, 

649,  653. 
Prévost  (M.  et  Mme  Marcel),  IV,  649. 
Prévost-Paradol,  IV,  618. 
Priam,  III,  284. 
Procope  le  Grand,  III,  228,  363. 
Prométhée,  III,  416. 
Proth  (Mario),  IV,  464. 
Proudhon  (Pierre-Joseph),  142,  220, 

233. 
Puget  (Lolsa),  I,  216,  241. 
Puisaye  (de). 
Puissance    (la)    des    ténÚbres,    par 

TolstoĂŻ,  IV,  648. 
Puzzi  (Hermann  Cohen,    dit),    II, 

256,  259,  328-329,  394. 
Pyat  (FĂ©lix),  I,  309-310,  312,  319, 

328. 
Pypine  (Alexandre),  I,  24. 
Pythagore,  III,  8,  12,  239. 


Quarré  (Antoinette),  III,  293,  307. 

Quelques   années    de    ma    vie,    par 

Mme  Octave  Feuillet,  IV,  440. 


Quinet  (Edgar),  II,  374;  IV,  237, 

556. 
Quiquisolles  (le  PĂšre),  IV,  239,  240. 


R 


Raabe  (Hedwighe),  célÚbre  actrice 

allemande,  III,  679. 
Rabbe  (Alfred),  I,  440  ;  III,  193. 
Rabelais,  III,  189,  234,  588,  652, 

672  ;  IV,  16. 
Rachel  (Elisa  FĂ©lix,  dite  Mlle),  I,  53  ; 

IIÏ,  166,  213  ;  IV,  46,  48,  75,  76, 

77,  78,  255. 
Raoine,  I,  347  ;  IV,  634. 
Racot  (Adolphe),  I,  438. 
Radcliffe  (Anna),  III,  284. 
Radetzki,  maréchal,  III,  620. 
Radziwill  (prince  Antoine  de),  III, 

26,  27. 
Rafin,  I,  20. 
Ramann  (Lina),   II,  216,  220-221, 

240,  241,  247,  253,  339-340,  343- 

344,  364,  366-368,  377;  III,  32- 

33. 

Ramelli,  actrice,  IV,  463,  466. 

Ranc,  rédacteur  du  Soleil,  IV,  513. 

Raousset  (le  comte  de),  III,  413,  415. 

Raphaël,  I,  318,  322  ;  II,  163,  207, 
399  ;  III,  131,  210,  688. 

Rappel  (le),  IV,  548. 

Rapsodies  (les)  de  Liszt,  II,  253. 

Raspail,  IV,  83,  91,  98,  99. 

Ratisbonne  (Louis),  II,  120;  IV, 
618. 

Rebizzo  (docteur),  II,  75,  85. 

Reboul  (poĂšte-boulanger),  III,  293* 

RĂ©camier  (Mme),  I,  326. 

Récits  d'un  chasseur,  de  Tourgué- 
niew, I,  27  ;  III,  636  ;  IV,  547. 

RĂ©flexions  sur  F  Ă©tat  de  F  Église,  de 
Lamennais,  II,  228. 

RĂ©forme  (la),  journal,  III,  391-394, 
396,  653,  658  ;  IV,  2,  13,  36,  37, 
40,  41,  46,  51,  82,  83,  134,  166, 


744 


GEORGE    SAND 


RĂ©fraclaires  (les),  par  Jules  VallĂšs, 

I,  438. 
RĂ©geni  (le)  Mustel.lll,  631. 
Regnault  (Elias),  IV,  115,  116,  117, 

119. 

Regnault  (Emile),  I,  70,  315,  316, 
384,  389  ;  II,  315  ;  III,  289. 

Reichel  (Adolphe),  IV,  131.  134. 
135. 

Reignier  (Th.),  IV,  215,  230. 

Reigoier  (Mme),  III,  605. 

Reisebilder  de  Heine,  III,  131,  132. 

Relais  (les),  IV,  453. 

Remisa  (M.),  III,  68. 

Renaissance  (théùtre  de  la),  III, 
640. 

Renan  (Ernest),  II,  162  ;  III,  220- 
222:  IV,  1,  413,  421,  530.  62  5. 
629. 

Renard,  habitant  de  La  ChĂątre,  IV, 
476. 

Renduel  (Ă©diteur),  III,  138. 
René,  I,  189,  202. 
Renouard  (Ă©diteur),  III,  129. 
RĂ©publique  (la),  II,  179. 
RĂ©publique  (1er)  des  femmes,  IV,  81. 
Requiem  (le),  de  Mozart,  III,  140. 
RĂ©viseur  (le),  de  Gogol,  I,  352. 

Revue  des  Deux  Mondes,  I,  388,  4M, 
447  ;  II,  113.  118,  185.  316,  34ĂŽ! 
372,  374  ;  III,  130,  244,  256,  257, 
267,  290,  312,  313,  370,  456,  573, 
610,  737;  IV,  190,  241,  300,  306, 
317,  321,  322,  355,  375,  382,  399, 
404,  439,  507,  509,  519,  525,  545. 
582,  583,  591,  593,  594. 

Revue  de  Paris.  I,  52,  327,  328,  330, 
331,  388,  397,  422,  437  ;  IV,  109. 
287,  317,  322,  341,  349.  404. 

Revue  hebdomadaire,  III,  670. 

Revue  indépendante,  I.  439  ;  III, 
avant-propos,  i,  235-271, 293,  305, 
306,  329,  366-384,  398,  639,  640, 
652  ;  IV,  2. 

Revue  musicale,  II,  245.  251  ;  III, 
474. 

Revue  'nouvelle,  IV,  604. 


Revue  sociale  (la),    III,   410,    637, 

661  ;  IV,  14. 
RestiĂź    de    La    Bretonne  (Nicoks- 

Edme),  III,  236. 
Rey  (Achille),  III.  255. 
Rey,  acteur  de  l'Odéon,  IV,  463. 
Rey  (colonel),  IV,  126. 
Rey  (Alexandre).  II,  355  ;  III,  96, 

173,  245,  252,  449. 
Rey  (Maria),  IV,  284. 
Reybaud  (Louis),  I,  32. 
Reynaud  (Jean),  III.  2,  5,  13,  81, 

219,  243-244,  260,  635;  IV,  35, 

40,  350,  351. 

Riallo  (Pierre),  IV,  510,  511. 

Ribes,  IV,  463,  466. 

Richard  (David),  II,  338. 

Richardot  (Mme),  I,  247. 

Rinteau  (Marie)  [dite  Mlle  de  Ver- 
riĂšres], I,  80,  81,  83,  89, 149,174; 
IV,  266. 

Ris  (Clément  de),  IV.  269. 

Ritter  (Gottlieb),  IV,  G02,  603. 

La  RiviĂšre,  I,  81-82. 

Robelin  (M.).  V.  Devieur,  III,  323. 

Robert  (Cyprien),  III,  193. 

Robert  (le  peintre  LĂ©opold),  IV, 
333,  654. 

Robert  (agent  de  la  Société  des  gens 
de  lettres),  III,  316. 

Robespierre  (Maxirnilien),  III,  228  ; 
IV,  108,  508. 

Robin  des  Bois,  IV,  471. 

Robin-Levert.  habitant  de  La 
ChĂątie,  IV.  476. 

Robin-Petit,  habitant  de  La  ChĂątre, 
IV,  476. 

Robinson  Crusoé,  II,  255. 

Robinson  (le  graveur),  II,  34. 

Rocheblave  (Samuel),  I,  préface,  2, 

41.  70,  72,  228,  260,  314  ;  II,  2, 
13,  78,  102,  118,  125,  164,  243- 
246,  299;  III,  456-458,  460,557, 
561,  570,  573,  575,  604,  607,  628- 
630,  633. 

Rocheblave  (M.  et  Mme),  IV,  649. 


INDEX    DES   NOMS   CITÉS 


745 


Rochemurc  (Mme  de),  II,  347  ;  III, 

464-465. 
Rochery,  journaliste,  IV,  172,  344, 

345.  " 
Rochet  (abbé),  I,  71  ;  II,    300-301, 

454-456  ;  III,  53. 
Rochette  (Raoul),  IV,  412. 
Rochoux  (le  procureur),   III,  377- 

379,  382,  384. 
Rodrigues  (Edouard),  IV,  317,  391, 

401-404,  417,  431,  455,  483,  522. 
Rodrigues  (Olinde),  III,  292. 
Rogat,  soldat,  IV,  199. 
Roger,  de  l'Opéra,  IV,  76. 
Roguet  (général-comte  Christophe- 
Michel),  IV,  194,   199,  201.  208, 

210,  213,  214,  215,  220. 
Roguet  (François),  IV,  201. 
Roland  (républicain  berrichon),  III, 

398. 
Roland  (Mme  Pauline),  femme  du 

précédent,  III,  398  ;  IV,  82,  174, 

197,  204,  216,  217,  231. 
Rollinat  (Charles,   dit  le  Bengali), 

III,  38,  39,  40,  102  ;  IV,  547. 
Rollinat  (François),  I,  72,  284,  361, 

384,  387,  417-419,  423,  429,   432  ; 

II,  92, 101, 110, 135, 173, 175,  210, 

267,  295,  300-301,  315,  355,  415, 

443-444  ;  III,  55,  81,  84,  92,   102, 

104,  163,  173,  235,  381,  450,  461. 

603,  662,  669,  671,  682  ;  IV,  127, 

209,  321,  322,  481,  482,  521,  549, 

566,  567. 
Rollinat    (Mlle     Marie- Louise     = 

«  Mlle  TempĂȘte  »),  IL  355  ;  III, 

81. 

Rollinat  (Maurice),  III,  40. 
Rollinat  (pĂšre),  III,  102. 
Roly  (poĂšte  populaire),  III,  293. 
Roman  (le)  d'un  jeune  homme  pauvre, 

par  O.  Feuillet,  IV,  440. 
Rome  au  siĂšcle  d'Auguste  IV,   IV, 

357. 

Rome  souterraine,  II,  185. 
Roméo  et  Juliette,  II,  104  ;  IV,  355. 
Ronchaud  (Louis  de),  II,  266,  345, 
365. 


Roret  (Alfred). 
Rosalie  (Mme),  IV,  376. 
Rossignol,  républicain  du  Blanc,  IV, 

215,  230, 
Rossini  II,  212. 
Rothschild,  baron,  III,  487. 
Rothschild  (les),  III,  120. 
Roudine.  par  Tourguéniew,  II,  439  ; 

IV,  547. 
Rouget  (poĂšte-tailleur),  III,  293. 
Rouget  de  Lisle,  III,  330. 
Rougon-Macquart  (les),  I,  91. 
Rouher  (EugĂšne),  IV,  165. 

Rcusseau  (Jean-Jacques),  I,  5,  64, 
83,  84, 107, 108, 166, 189, 190-191, 
202,  240,  249,  311,  362,  436  ;  II, 
219,  256,  330,  423  ;  III,  196,  239. 
258,  320,  330,  370,  371,  373,  395, 
422,  692  ;  IV,  78,  147,  247,  335, 
338,  440,  442.  549. 

Rousseau,  fils  de  Jean- Jacques,  par 
Sainte-Beuve,  IV,  441. 

Rousseau  (Théodore),  III,  576,  583. 

Rousset  (Alexis),  III,  180. 

Rousskaya  Mysl,  IV,  275,  633. 

RouviĂšre.  III,  159;  rV,  284,  287, 
289,  2S0,  292.  295,  2ÂŁ6. 

Rover,  IV,  293. 

Roz  (Firmin),  IV,  524,  652. 

RoziĂšres  (Mlle  de),  II,  323  ;  III,  119. 

430-441,  450,  478,  484,  486,  488, 
490,  491,  493,  500,  506,  508,  512, 
525,  526,  531,  540,  541,  542,  545, 
546,  550,  558,  568,  569,  573,  577, 
578,  580,  581,  582,  589,  590,  591, 
594,  613. 

Rubens  (P.  P.),  III,  172,  524. 

Rubio  (Mme).  V.  Kologrivoff  (VĂ©ra 
de). 

Rubinstein  (Antoine),  III,  90. 

Ruge  (Arnold),  IV,  130. 

Rumf  ort  (Mme),  I,  254. 

Ruysdaël,  IV,  585. 

Ryszczewska  (Mme),  III,  558. 

Rzewuski  (Adam),  III,  116. 


GEORGE  SAND 


746 

Rzewuski  (LĂ©once),  III,  116. 
Rzewuski  (Vitold),  III,  116. 


Sachs,  III,  286,  287. 

Sachs  (Hans),  III,  245. 

Sack  (Edouard),  III,  135, 136, 143, 

149,  152,  155. 
Sagnier  (Charles),  IV,  602,  603,  604, 

605,  608. 
Saint-Agnan,  I,  70,  293. 
Saint-Agnan  (FĂ©licie   de),   I,   216, 

241,  242,  293  ;  II,  295. 
Saint-Agnan      ou     Saint -Aignan 
(Mme  Gondoin  de),  I,  216,  219, 
238,  260,  283,  285,  293,  294  ;  II, 
178,  298. 
Sainte-Beuve  (Charles-Augustin  de), 
I,  43,  50,  52,  70,  71, 189,  244,  313, 
320,  339,  384,  397-399,  401,  404, 
410-411,   422,    437-439,    440-441, 
443,  446-447,  449  ;  II,  13,  15-17, 
37-39,  40,  50-51,  71,  98, 109, 116- 
117,  120,  149-150,  161,  166,  167- 
170,  175,  183,  187,  200,  219,  255, 
258,  268  ;  III,  6,  13,  17,  128, 165, 
189, 192,  281  ;  IV,  434,  435,  438- 
441,  453,  479,  483,  488,  504,  522, 
523,  617,  618,  648. 
Saint-Criq  (Caroline   de),    II,   217" 

220. 
Saint-Germain  (le  comte  de),   III, 

351. 
Saint-Graal  (les  chevaliers  du),  III, 

352. 
Saint-Hilaire  (Geoffroy),  I,  72,  411; 

II,  167. 
Saint-Just,  IV,  503,  508. 
Saint-LĂ©on  (Charles-Victor-Arthur, 
Michel,  dit),  chorégraphe  et  musi- 
cien, IV,  453,  455. 
Saint-Martin  (Norbert  de),  I,  216* 
Saint-RenĂȘ-Taillandier,  III,  158, 
Saint-Saëns,  III,  35. 
Saint-Simon,  I,  26;  II,  179-180,  220» 
391  ;  III,  12,  292. 


Saint-Simoniens,  I,  319,  322,  335, 
391  ;  II,  181,  216,  223-225  ;  III,  5, 
337. 

Saint-Simonisme,  III,  7. 

Saint- Victor  (Paul  de),  IV,  379. 

Salle  (Lucas).  IV,  230. 

Salmigondis  {le),  I,  445. 

Salmon,  banquier,  II,  65. 

Salmon,  habitant  de  La  ChĂątre,  IV, 
476. 

Saltvkow  (M.  E.),  =  Stchédrine,  I, 
26,  27. 

Salvandy  (Achille,  comte  de),  III, 
192. 

Saman  L'Esbatx  (Prudence)  = 
Mme  Allart  de  MĂ©ritens.  [Y.  Ă   ce 
nom.] 

Samson,  de  la  Comédie-Française, 
IV,  48,  75. 

Sand  (Aurore),  fille  de  Maurice  Sand, 
=  Lauth  (Mme  Aurore),  I,  pré- 
face, m,  349  ;  III,  avant-propos,  1  ; 
IV,  258,  418,  427,  498,  516,  523, 
531,  533,  541,  544,  545,  564,  565, 
603,  609-612,  614,  622,  626,  630- 
632,  656,  660. 
Sand  (Gabrielle),  I,  préface,  ra  ;  III, 
avant-propos,  1  ;  IV,  427,  498,  523, 
531,  533,  544,  545,  564,  565,  609, 

610,  611,  612,  614,  622,  626,  630, 
631,  632,  &51,  656,  660. 

Sand  (Mme  Maurice),  née  Lin  a 
Calamatta.  I,  préface,  2;  II, 
324;  III,  avant-propos,  1,  n,  39- 
40,  159;  IV.  17,  168,  316,  411, 
412-414,  416,'  417-421,  451,  452, 
454,  455,  456,  458,  459,  460,  462, 
463,  467,  470,  471,  472,  473,  473, 
485,  490,  492,  493,  494,  495,  497, 
498,  504,  505,  515,  516,  528,  530, 
638,  540,  541,  542,  543,  545,  596, 
597,  600,  601,  602,  606,  607,  609, 

611,  612,  613,  615,  616,  619,  622, 
625,  627-629,  631,  632. 

Sand  (Marc-Antoine),  IV,  417,  418, 
420,  426,  451,  452,  453,  455,  456, 
459,  460,  462,  467,  470,  473,  478, 
485,  501,  542,  614. 

Sand  (Maurice),  V.  Dudevant  Mau- 
rice. 


INDEX    DES   NOMS   CITÉS 


747 


Sand  (Karl),  I,  341. 

Sandeau  (Jules-LĂ©onard-Sylvain-Ju- 
lien), I,  44,  293,  309-316,  319,  327, 
330,  332,  333,  335-337,  340-341, 
343,  384-390,  393-394,  396,  402- 
405,  409-410  ;  II,  41,  59, 123,  165, 
289,  315,  446-447,  449  ;  III,  255, 
273,  277,  287,  288,  289,  535  ;  IV, 
434,  435,  453. 

Sandeau  (FĂ©licie),  I,  72,  390. 

Sandre  (EugĂšne),  I,  217. 

Sandre  (Gustave),  III,  411. 

Santini  (docteur),  II,  75. 

Sapieha  (princesse),  III,  501, 

Saphir  (G.),  III,  136,  147,  148,  149, 
150,  151,  153,  154,  156,  157. 

Sardanapale,  IV,  247. 

Sartoris  (Mme  Adélaïde),  née  Kern  - 
ble.  IV,  299. 

Saulat  (Jacques),  grenadier,  IV,  39. 

ScÚnes  de  la  vie  dalécarlienne,  par 
Frédérique  Brémer,  IV,  304. 

Schaeffer,  pasteur,  IV,  424. 

Scheffer  (Ary),  III,  558;  IV,  363- 
366,  368. 

Scheffer  (les  frĂšres),  IV,  299. 

Schelling,  I,  24. 

Scherzo  (le  3e),  de  Chopin,  III,  89. 

Schiavoni  (Felice),  II,  85. 

Schiller,  I,  24,  29  ;  II,  355,  452  ;  III, 
150,  177,  178,  624,  644. 

Schlesinger  (Maurice),  Ă©diteur  de 
musique,  III,  150. 

Schmidt  (Julien),  1, 10,  12,  32,  442  ; 

III,  3,  220,  687. 
Schcelcher  (Victor),  II,  345-346. 
Schottlander,  III,  132. 
Schubert  (Franz),  II,  360  ;  III,  139. 
Schulhoff  (Jules),  III,  522. 
Schumann  (Robert),  III,  89,  522. 
Schwindt  (Moritz),  III,  140. 
Sciences  (les)  et  les  arts,  par  TolstoĂŻ, 

IV,  560. 

Scott  (Walter),  I,  359  ;  II,  150  ;  IV, 

503. 
Scribe  (EugĂšne),  III,  161,  164,  176, 

177. 


Scudéry  (Mlle  de),  IV,  354. 
Séché  (Léon),  III,  189. 
Sedaine,  IV,  277-279. 
Segond-Weber  (Mme),  actrice,  IV 

647. 
SĂ©gur  (de),  1, 195. 
Semet,  III,  679. 
Senancour,  I,  447  ;  IV,  572. 
Senilia,  de  Tourgueniew,  IV,  668. 
Senkovsky,  I,  14,  34;  III,  166;  IV, 

264. 
Sept  infants  (les)  de  Lara,  de  Mal- 

lefille,  II,  355. 
Servet,  IV,  470. 
SĂ©verine  (Mme),  IV,  420,  646,  647, 

649,  653,  654,  656, 
Sévigné  (Mme  de),  III,  627.- 
Seynes  (Théodore  de),  III,  59,  269. 
SÚze  (Aurélien  de),  I,  71,  72,  113, 

205,  253,  260,  262-265,  269-274, 

293,  295-297,  299-300,  333,  343- 

344,  360,  391,  405-406,  409,  446  ; 

II,  165,  178,  289,  316,  433  ;  IV, 
323,  325,  326,  332. 

SĂšze  (Romain- Raymond  de),  111,253, 

Shakesoeare,  1, 60, 188-189,  202, 372, 

395  ;  H,  120,  140,  254,  355,  426; 

III,  177,  184,  524;  IV,  78,  275, 
295,  296,  298,  446,  447,  448,  449, 
522, 

Sheppard  (Mme,  née  de  Brissac),  III, 

549. 
Sheppard  (M.),  IV,  171. 
Sibylle,  par   Octave   Feuillet,    IV, 

430,  439,  440. 
Sicard,  sculpteur,  IV,  633,  645. 
SiĂšcle  (le),  journal,  I,  437  ;  III,  394  ; 

IV,  12,  13,  14,  314,  363,  364,  365, 
367,  369. 

SiĂšge  (le)  de  Florence,  II,  89. 
Sigismond,  roi  de  Pologne,  III,  363, 

365. 
Silvestre  (Théophile),  III,  125. 
Siméon  le  Stylite,  I,  161, 
Simon  (Jules),  IV,  432,  433,  434. 
Simonnet   (Albert),    IV,  522,   633, 

614,  615,  617,  622,  625,  631. 


74s 


GEORGE   SAND 


Simonnet  (Edme),  IV,  427,  522,  533, 

614,  625,  626,  631. 
Simonnet  (La  famille),  IV,  627. 
Simonnet  (Henri),  mari  de  LĂ©ontine 

Chatiron),  III,  584,  604,  618,  619. 
Simonnet  (Léontine),  née  Chatiron, 

[Voir  Ă   ce  nom],  IV,  403,  424,  522, 

541,  609,  614,  625,  631. 
Simonnet  (René),  IV,  424,  522,  533, 

€02,  608,  609,  612,  614,  619,  620, 

621,  625,  626,  631. 
Simulachres   (les)  de   la  Mort,    de 

Holbein,  III,  662  ;  IV,  638. 
Siraudin  (Paul),  IV,  277. 
Sirven,  III,  374. 

Six  mille  lieues  Ă   toute  vapeur,  de 

Maurice  Sand,  IV,  258. 
SkabitchewsM,  (A.)  I,  27,  250,  377, 

422  ;  III,  220,  250. 
Skalkovski,  II,  153. 
Skarbek  (comte  Frédéric),  III,  26. 
Slowacki  (Jules),  III,  32,  181,  195, 

200,  201. 
SobansM,  III,  623. 
Sobolstchikow  (Mme),  III,  551. 
Sobrier,  IV,  98,  99. 
Société  de  la  Sainte  Colombe,  IV, 

486. 
Société   des   gens   de  lettres,    III, 

5S0  ;  IV,  17,  625. 
Socrate,  III,  8,  12,  203,  220,  426. 
Soirées  (les)  littéraires  de  Paris,  I, 

379. 
Solange.  V.  Dudevant  (Solange)  et 

Clésmger  (Mme). 
Soleil  (le).  IV,  513. 
Soliva  (Carlo).  III,  119. 
Son  Excellence  EugĂšne  Bougon,  par 

Zola,  IV,  278. 
Sonate  Ă   Kreutzer,  de  TolstoĂŻ,  I,  61, 

445  ;  II,  40o. 
Sonate  (la),  en  si  bémol  mineur,  de 

Chopin,  III,  90,  104. 
Sonate  pour  violoncelle,  de  Chopiu, 

III,  488. 
Sophocle,  IV,  78. 
Souchois  (Mlle),  IV,  272. 


Soulié  (Frédéric).  I,  1  ;  III,  653. 

Soumet  (Gabrielle),  IV,  83. 

Soumtsow  (le  professeur),  I,  27. 

Scuvestre  (Emile).  III,  177. 

Souvorine  (Alexis),  I,  29  ;  III,  267. 

SowinsM,  III,  624. 

Spassowicz  (Wladiniir),  III,  182, 193. 

Spectateur  (le)  républicain,  IV,  127. 

Spoelberch  de  Lovenjoul  (le  vi- 
comte Charles  de),  I.  préface,  i. 
1,  51,  70-72,  156,  189,  270, 
303,  323-325,  331,  337.  345,  397, 
398,  400,  402,  411,  435,  440  ;  II,  2, 
13,  15-16,  37,  51,  71,  84,  100-102, 
106,  111,  118,  123,  137,  139,  168, 
178,  445  ;  III,  avant-propos,  i, 
124,  131.  570,  646,  653  ;  IV,  5, 
112,  435,  442,  488.  [Voir  aussi 
Bibliophile  Isaac] 

Spurzheim,  II,  250,  359  ;  III,  285. 

Staël  (Mme  de),  I,  441  ;  II,  45,  430  ; 
LV,  179,  226,  261,  437. 

Stassow  (Wiadimir),   III.  105,  551. 

Stassow  (Dmitri),  I.  DĂ©dicace. 

Statler  (Adalbert  ou  Wovciech),  III, 
200. 

Stavenow  (Bernard).  III,  117. 

Stéfane-Pol,  IL  314  ;  IV,  652. 

Sterne  (Laurence).  III,  128. 

Stern  (Daniel)  =  pseudonyme  de  la 
comtesse  d'Agoult. 

Stock  ou  Stoss,  III,  132. 
Stockhausen  (baron  de),  III,  120, 

487. 
Stockhausen  (Mme  la  baronne  de), 

111,487. 
Stradella  (Alessandro),  III,  41. 
Strauss  (David),  III,  222. 
Struensé,  par  E.  Meyer;  IV,  304. 
Subervie  (général)  ;  IV,  50. 
Sue  (EugĂšne),  I,  19;  II,  346;  III. 

641,  646,  652  ;  IV,  232. 

et  NorvĂšge,  par  Le  Bas,  IV, 

304. 
Suez  (Mie),  III,  450. 
Suin  (le  procureur),  III,  326. 
Sully-LĂ©vy,  IV,  140,  269,  347,  649. 


INDEX    DES    NOMS   CITÉS 


749 


Supplice  (le)  d'une  femme,  par  A.  Da- 
mas et  E.  de  Girardin,'  IV,  498. 

Sur  Veau,  de  Maupassant,  I,  433. 

Sur  l'extinction  du  paupérisme,  I, 
20  ;  IV,  156, 165. 

Sur  le  service  militaire,  de  TolstoĂŻ, 
II,  229. 

Surville  (Mme  Laure),  II,  447,  452, 
Suzanne,  III,  500,  508. 
Swedenborg  (Emmanuel),  III,  203. 
Sylvain,  IV,  647. 
Sylvain,  cocher,  III,  659  ;  IV,  309, 

383,  406,  412,  447,  467,  472,  564, 

G01,  652. 
Symphonie  (la)   pastorale,  de  Bee- 

.thoven,  III,  207. 

Symphonie  (la)  fantastique,  de 
Berlioz,  II,  204. 

Symphonie  (la)  révolutionnaire,  de 
Lizst,  II,  221-222. 

Szimanowska  (Mlle  CĂ©line),  III,  185. 

Szimanowska  (Mme  Marie),  III,  185. 

Szulc,  II,  355  ;  III,  37. 


Taborites  (les),  III,  363-365. 

Tacite,  IV,  547. 

Taine  (Hippolyte),  II,  21  ;  IV,  618. 

l'aima,  IV,  526,  634. 

Talma  (capitaine),  IV,  526,  627,  528. 

Talleyrand-PĂ©rigord  (de),   IV,  322. 

Tallmeyer,  III,  353. 

Taming  of  the  shrew  de  Shakespeare, 

III,  676. 
Tardieu  (Ă©diteur),  III,  299. 
Tarnow  (Fanny),  III,  178. 
Tasse  (le),  II,  31. 
Tastu  (M.),  III,  84. 

Tastu  (Mme  Amable),  III,  292,  293, 
294. 

Tattet  (Alexandre),  I,  52,  71  ;  II,  56, 
77,  98-99. 

Tausig  (Karl),  III,  421. 

TchaĂŻkowski  (Modeste),  III,  204. 


TchaĂŻkowski  (Pierre  Ilitch).  III,  oĂŽ. 

204,  IV,  315. 
Tchernichevski      (Nicolas      Gavri- 

lowitch),  II,  82. 
Templiers  (les),  III,  445, 
Temps  (le).  II,  49,  61,  179  ;  III,  665  ; 

IV,  82,  246,  249,  300,  304,  429, 

448,  548,  553,  628,  629. 
Tennyson,  II,  21. 

Tentation    (la)   de   saint    Antoine. 
IV,  540. 

Térage  (Aimée),  III,  322-323. 
TĂ©rence,  IV,  78. 

Terre  (la),  par  Zola,  I,  141  ;  IV,  375. 
Terre  et  ciel,  par  Jean  Reynaud,  IV, 

350,  351. 
Terre  (la)  promise,  IV,  357. 
Tesi  (la  cantatrice),  III,  348,  349. 
Testa  (la)  di  bronzo,  IV,  550. 
Testament  Johannis,  I,  169. 
Texier,   I,   403. 

Thabaud   (Mme),  femme  de    Henri 

Delatouche,  III,  652,  654, 
Thackeray,  III,  676. 

Théùtre  artistique  de  Moscou,  IV, 

260. 

Théùtre  des  arts  à  Bruxelles.   IV, 

315, 
Théùtre  (le)  italien,  IV,  271. 
ThérÚse  (sainte),  III,  264. 
Theuriet  (André),  IV,  649,  653, 
Thiéblin,  chef  de  cabinet  du  préfet 

de  police,  IV,  194,  218. 
Thiers  (Adolphe),  III,  179,  310  ;  IV, 

19,  435,  562,  565. 
Thies  (Alexandre),  III,  498. 
Thio-Varennes,  II,  315-317,  319. 
Thiron,  IV,  269. 

Thomas  («  la  mÚre  »),  III,  374,  376. 
Thomas  (miss  Bertha),  I,  39,  40,  42, 

44,  307  ;  II,  13. 

Thomas  (FĂ©lix),  III,  5,  19,  259,  412, 
416. 

Thomas,  restaurateur,  IV,  172. 
Thomas  (la),  nourrice  de  Gabrielle 
Sand,  IV,  606,  611. 


75° 


GEORGE   SAND 


Thoré  (Théophile),  ni.  199,  200, 
236.  328,  428;  IV,  98,  99,  108, 
109,  110,  113,  114,  123,  124,  503. 

Thucydide,  III,  78. 

ThuiÛier  (Mlle),  actrice,  IV,  463, 
466. 

Tintoret  (le),  II,  363. 

Tirso  de  Molina,  IV,  299. 

Titien,  1, 161  ;  II,  363. 

Tocqneville  (Alexis  de),  I.  402  ;  IV, 
101,  102-105,  112. 

Toliverow  (Mme),  IV,  531. 

TolstoĂŻ  (le  comte  LĂ©on).  I,  61,  141, 
142.174.372.  377.  443;  II,  158, 
229-230,  406  ;  III,  292,  332,  663, 
672  ;  IV,  488,  547,  560. 

Tosti  (le  PĂšre),  III,  222. 

Touchet.  républicain  de  La  Chùtre, 
IV,  49. 

Touraugin  (Mme  FĂ©lix),  II,  267,  313. 

Tourguéniew.  I.  27-29,  63,  65,  66, 
TlTlSG.  141. 142  ;  IL  439  ;  III,  38, 
40,  «336,  670,  671,  678,  679,  686, 
693;  IV,  13,  138,  139,  144,  300, 
547,  549. 

Tourneux  (Maurice),  III,  avant-pro- 
pos, i. 

TowiansM  (André),  III,  195.  196. 
198. 

Travailleur  (le),  III,  550. 

Trélat,  II,  176;  IV,  618. 

Tremblay,  ouvrier  typographe,  IV, 
231. 

Trenk  (baron  de).  III,  346,  348,  350, 
351,  352. 

Trenk(lepandourbaronde),  111,348. 

Tronchet  (rue),  III,  108. 

Trémoville  (de),  I,  181. 

Trotignon,  avocat  hé.  à  La  Chùtre  ; 
FC476, 

Trucy  (Mme  et  M.),  IV,  411. 

Tsébrikow  (Mme),  I,  11,  23. 


U 


Ulbach  (Louis  ).  I,  42  ;  II,  63  ;  IV, 
339,  499. 


Ulloa  (général),  IV,  363,  364,  365, 
366. 

Ulriqne,  reine  de  SuĂšde,  IV,  304, 
305, 

Un  Amour  du  Midi,  par  Georges 
PĂ©tanc,  IV,  489, 

Une  journée  à  Dresde,  par  Manceau, 
IV,  451,  453,  454,  455,  456, 

Une  nichée  de  gentilshommes,  IV, 
547. 

Une  nuit  Ă   Florence,  piĂšce  impro- 
visée, IV,  266. 

Une  vie,  de  Maupassant,  I,  ISO, 

Une  voix  de  prison,  II,  229. 

Unger-Sabatier  (Mme),  III,  139. 

Upsala,  journal  suédois,  IV,  303. 

Urhan,  II,  208. 


Vaez  (Gustave),  IV,  289,  292,  29a 

Vaillant,  IV,  49. 

ValchĂšre  (Mme  Caroline),  III,  180. 

Valdemosa  (M.),  un  ami  do  la  famille 
Marliani,  III,  56,  60,  63, 

Valdemosa  de  couvent  de),  III,  62- 
92. 

Valentino  (la  salle).  III,  373. 

Valette  d'Issoudun,  IV,  215. 

VallĂšs  (Jules),  I,  438,  443  ;  III,  416. 

Vallet.  habitant  de  La  ChĂątre,  IV, 

435. 
Vallet  de  Villeneuve.  I.  195. 

Vallette,  charpentier,  Ă   La  ChĂątre, 
IV,  192. 

«  Valse  (la)  du  petit  chien  »,  de  Cho- 
pin, III,  469, 

Variétés  (théùtre  des),  IV,  286,  287, 

Varnhagen   (Charles-AugusteĂŻ,    III, 
133. 

Vasson  (Mme  de),  mĂšre,  IV,  600, 

Vasson  (M.  de),  IV,  522,  600,  621, 

Vasson  (Xannecv  de),  IV,  522,  595, 
599,  600-602,  614,  616,  622,  630. 


INDEX   DES   NOMS   CITÉS 


751 


Vasson  (Paulin  de),  IV,  522,  595, 
596,  599-607,  609,  614,  615,  616, 
620-622,  627,  630. 

Veille  (la),  de  Touigueniew,  I,  63* 

Véléda  la  dniidesse,  III,  662. 

Verbet,  IV,  435. 

Verga,  I,  171. 

Vergne  (docteur),  II,  305  ;  IV,  386, 
407. 

Vernet  (Horace),  III,  320. 

VĂ©ron  (le  docteur  Louis),  I,  327, 
328;  III,  369,  404,  489,  640-642, 
646-653,  656,658;  IV,  16, 

VĂ©ron,  peintre,  IV,  405,  406. 
VerriĂšres  (Mlle  de),  1, 83.  [Voir  Rin- 

teau.] 
Veuve  (la)  joyeuse,  IV,  286. 
Vevey,  ami  d'Em.  Arago,  IV,  45. 
Veyret  (Charles),  III,  398-405. 

Viardot  (Louis),  II,  432;  III,  14, 
97,  120,  122,  128,  140,  141,  142' 
211,  212,  214,  258,  260,  263,  265, 
266,  267,  268,  343,  362-363,  366, 
367,  368,  408,  480,  501,  595-597, 
621,  670,  679  ;  IV,  46,  143,  144, 
274,  418,516,  547. 

Viardot  (les),  III,  489,  626, 

Viardot  (Mnie  Pauline,  née  Garcia), 
I,  53,  72;  II,  17-18,  391;  III, 
avant-propos,  n,  32, 33,  37,  38,  39, 
81,  102,  117,  119,  122,  123,  139, 
140  141,  142,  170,  171,  172,  211- 
216,  333-336,  339,  340,  348,  357, 
362,  363,  384,  397,  408,  419,  422, 
423,  424,  453,  469,  478,  480,  482, 
501,  507,  538,  549,  561,  566,  595, 
596,  697,  599,  621,  626,  670,  679  ; 
IV,  13,  36,  37,  41,  46,  48,  76, 132, 
138,  139,  143,  144,  171,  273,  278, 
299. 

Victor  Hugo  par  un  témoin  de  sa  vie. 
IV,  449. 

Victor  (prince),  IV,  462, 

Vieillard  (N.-H.),  IV,  220,  236, 

Viel-Castel  (comte  de),  I,  260,  273. 

Vigny  (Alfred  de).  I,  394  ;  II,  120, 
206  ;  III,  182,  191. 


VillĂšle  (Monseigneur  de),  I,  338. 
Villemont  (abbé  de),  curé  de  Nohant, 

IV,  616,  627, 
Villeneuve  (comte  René  de),  I,  70, 

146,  184,  195,  196,  206-208,  210- 

212,  220,  294,  342,  562  ;  IV,  43, 

174,  178,  235,  393, 
Villeneuve  (comtesse  Apolline  de), 

IV,  175,  177,  184. 
Villeneuve  (Auguste  de),  1, 195,  212. 
Villeneuve  (Emma  de),  I,  195,  210. 
Villeneuve  (Septime  de),  IV,  589. 
Villeneuve  (LĂ©once  de),  IV,  589. 
Villetard  (Camille),  IV,  631, 
Villetard  (Clotilde),  née   Maréchal, 

IV,  169,  171.  328,  631. 
Villevieille  (LĂ©on),  dit  le  Paloignon, 

IV,  273, 
Villon  (François),  III,  245. 
Villot  (Frédéric),  IV,  238. 
Villot  (Lucien),  IV,  397,  398,  406, 

436,  522. 
Villot  (Pauline),  IV,  378,  379,  397, 

435,  436,  465,  522. 
Vinçard  (le  chansonnier),  II,  105- 

106,  280  ;  III,  293. 
Vincent  de  Paul  (saint),  III,  320, 
Vinci  (Leonardo  de),  II,  399, 
Virgile,  1, 188  ;  III,  8,  IV,  479, 
Vitrolles  (de),  III,  31,  235,  368, 
Voix  (h)  des  femmes,  IV,  81! 
Volcan  (le),  W,  81. 
Voltaire,   I,  74,  84,  105-161,  178, 

188  ;  II,  219  ;  III,  130,  239,  370, 

374,  404  ;  IV,  78,  247,  448. 

Vote  universel  (le),  III,  326, 

Voyage  dans  les  mers  du  Nord,  par 
Charles  Edmond,  IV,  304. 

Vraie  (la)  RĂ©publique,  IV,  2,  83,  97, 
98,  99,  105,  106,  109,  110,  113, 
115,  121,  123,  124,  125. 

W 

Wagner  (Mme  Cosima),  I,  préface,  2, 
Wagner,  actrice,  IV,  455. 


75» 


GEORGE    SAN'D 


Wagnien  (Ferdinand),  III,  296. 

Waldau  (Max),  I,  441. 

Waldo  (Pierre),  chef  des  Vaudois, 

IV,  305. 
Walsh  (le  comte  Théobald),  1, 12. 
Watteau,  IV,  660. 
Weber  (Charles-Marie),  I,  101  ;  III, 

34,  104, 105, 140,  423. 
Weber  (David),  II,  85. 
Weisshaupt  (Adam),  III,  357. 
Werther,  III,  631,  632  ;  IV,  583. 
Wilhelm  Meister.  de  Goethe,  I,  44, 

317,  429  ;  III,  554, 
William    Sliakespeare,    par    Victor 

Hugo,  IV,  446-449. 
Wills,  IV,  299. 
Wittgenstein  (princesse  Caroline  de 

Seyn),  II,  240. 
Wismes  (Mlle  Emilie  de),  I,  72, 180. 
Witwicki  (Etienne),  III,  181,  188, 

576,  623. 
Wodzinska   (Marie,    comtesse),    II, 

217  ;  III,  31,  32,  43,  201,  435,  438. 
WodzinsM  (les  comtes),  II,  349,  355  ; 

III,  27,  31,  37,  435. 
WodzinsM    (Antoine,    comte),   III, 

119,  431,  432,  433,  434-436,  437, 

438,  439,  623. 
Wodzinski  (comte),  auteur  des  Trois 

romans  de  Chopin,  III,  439-441. 
Wojciechowski  (Titus),  III,  623. 
Wolff  (EugĂšne),  III,  132,  133,  134. 

153. 


Worcel,  TV,  142. 
World  {the),  III,  628. 

Wurtemberg  (la  princesse  de),  III, 

558. 


X...  (le  PĂšre),  III,  242,  243-244. 


Y.  Y.,  III,  135. 


Zajaczek  (le  général),  III,  186. 
Zajaczek  (Mme),  III,  116,  117, 180. 

Zalade  Lour,  habitant  de  La  ChĂątre. 

IV,  476. 
Zaleski  (Bohdan),  III,  195. 
Zirardini,  III,  443. 

Ziskaou  Ziszka  (Jean),  111,228,  351, 
363. 

Ziwny  (Adalbert),  III,  26. 

Zizime,  fils  de  Mahomet  II,  III,  476. 

Zola  (Emile),  1, 12, 13,  77, 141  ;  III. 

650  ;  IV,  278,  279,  318,  319,  535, 

648, 

Zûroastre,  III,  239. 

Zur  Stellung  der  Kunstler  (A  propos 
de  la  position  des  artistes),  article 
de  Liszt,  II,  238. 


TABLE   GÉNÉRALE   DES  ILLUSTRATIONS 


TOME  PREMIER 

Aurore  Dupin  enfant  (pastel) Frontispice. 

Aurore  Dupin  dessinĂ©e  par  elle-mĂȘme  (1831) 304 

TOME  II 

George  Sand,  d'aprĂšs  le  dessin  de  L.  Calamatta  (1837) Frontispice. 

George  Sand,  par  Charpentier,  d'aprĂšs  la  gravure  de  Robinson  (1838).     224 
Fac-similé  d'une  page  du  Journal  de  Piffoël 368 

TOME  III 

George  Sand,  par  Isabey Frontispice. 

Portrait  de  Chopin,  par  George  Sand 205 

Fac-similé  du  programme  manuscrit  de  UOberge  du  Querime 588 

TOME  IV 

George  Sand,  par  Marchai Frontispice. 

George  Sand  en  Pielro  Colonna 266 

Fac-similé  de  la  derniÚre  page  de  Ce  que  dit  le  ruisseau 446 


IV.    —   753  4S 


TABLE  DES  MATIERES 


CHAPITRE  VIII 

LA  RÉVOLUTION  DE  1848 

La  veille.  Mazzini.  —  Enchantemente  de  la  premiùre  heure.  —  Lettres  au 
Peuple,  Bulletins  de  la  RĂ©publique,  Paroles  de  Biaise  Bonnin  et  La  Cause 
du  Peuple.  —  Le  15  mai.  —  Ledru-Rollin,  la  Commission  d'enquĂȘte, 
Jules  Favre  et  Etienne  Arago.  —  ThĂ©ophile  ThorĂ©  et  La  Vraie  RĂ©pu- 
blique. —  Louis  Blanc  et  Barbes.  —  Herzen  et  Bakounine.  —  Le  Diable 
aux  champs 1 

CHAPITRE  IX 

GEORGE  SAND  ET  NAPOLÉON  ni 

Le  prisonnier  de  Ham.  —  Lettre  sur  VĂ©lection  de  Louis-NapolĂ©on  Ă   la  prĂ©si- 
dence de  la  RĂ©publique.  —  Le  coup  d'État  de  1851.  —  Les  dĂ©marches  de 
George  Sand  pour  les  victimes.  —  Les  relations  de  George  Sand  avec  les 
malheureux  et  leurs  familles.  —  Les  rĂ©publicains  intransigeants.  —  L'im- 
pĂ©ratrice EugĂ©nie  et  NapolĂ©on  III  jugĂ©s  par  George  Sand.  —  Le  prince 
NapolĂ©on.  —  Mme  Arnould-Plessy.  —  MalgrĂ©tout.  —  Impressions  et  Sou- 
venirs et  article  sur  V Histoire  de  Jules  CĂ©sar.  —  Une  lettre  vaudevillesque. 
—  La  consolatrice  des  malheureux 155 


CHAPITRE  X 

LE  THÉAT.BE  DE  GEORGE  SAND 

Gabriel.  —  Les  Mississipiens.  —  Cosima.  —  François  le  Champi,  —  La 
Commedia  dell'arte  et  les  Marionnettes  Ă   Nohant.  —  Le  ChĂąteau  des  DĂ©sertes. 
— L'Homme  de  Neige  et  Narcisse.  —  Le  Roi  attend.  —  Moliùre  et  Mariette,  — 
Claudie.  —  Le  Pressoir.  —  L'Ă©poque  thĂ©Ăątrale  Ă   Nohant  (1850-1856).  — 
Maütre  Favilla  et  deux  lettres  de  Charles  Baudelaire.  —  Le  Mariage  de  Victo- 
rine.  —  Les  Vacances  de  Pandolphe.  —  Mont-RevĂȘche  et  le  DĂ©mon  du  foyer,  — 
Françoise.  —  Comme  il  vous  plaira  et  RouviĂšre.  —  Lucie.  —  PiĂšces  tirĂ©es 
de  romans  :  Mauprat,  Flaminio,  Les  Beaux  Messieurs  de  Bois-DorĂ©.  —  Le 

755 


756  GEORGE   SAND 

PavĂ©.  —  Le  Drac.  —  La  Nuit  de  NoĂ«l.  —  Marguerite  de  Sainte- Gemme. 
—  La  Laitiùre  et  le  pot  au  lait.  —  Un  bienfait  n'est  jamais  perdu.  — 
L'Autre 262 


CHAPITRE  XI 
1855-1862 

ƒuvres  autobiographiques  de  George  Sand.  —  Le  plan  primitif  des  Lettres 
d'un  voyageur.  —  Le  Journal  de  PiffoĂ«l.  —  La  Lettre  d'un  oncle.  —  Un 
Voyage  au  Mont-Dore  et  l'Histoire  de  ma  vi°.  —  Existence  à  Nouant  de 
1849  Ă   1855.  —  Alexandre  Manceau.  —  Noni  ClĂ©singer.  —  Terre  et  Ciel 
de  Jean  Reynaud  et  Evenor  et  Leucippe.  —  Voyage  en  Italie  en  1855. 

—  Impressions  italiennes  et  la  Daniella.  —  Charles  Edmond  et  la  Presse. 

—  Les  Beaux  Messieurs  de  Bois-DorĂ©,  les  Daines  vertes.  —  Gargilesse  et 
La  Villa  Algira.  —  Labeur  sans  trĂȘve.  —  Entomologie,  botanique  et  minĂ©- 
ralogie. —  Jean  de  la  Boclie.  —  Maladie  et  voyage  à  Tamaris  en  1861. 

—  Valvùdre,  FJavie,  Antonia  et  M.  Rodrigues.  —  M.  Francis  Laur  et  Louis 
Maillard.  —  Le  Marquis  de  Villemer.  —  Tamaris  et  Edmond  Plauchut.  — 
Autour  de  la  table  et  Promenades  autour  d'un  village.  —  La  Famille  de 
Germandre.  —  Alexandre  Dumas 320 


CHAPITRE  XII 
1862-1866 

Mariage  de  Maurice,  —  Lina  Sand.  —  Protestantisme.  —  Mademoiselle  La 
Quintinie.  —  Le  Marquis  de  Villemer  au  thĂ©Ăątre.  —  Palaiseau.  —  Mort 
de  Manceau.  —  Monsieur  Sylvestre.  —  Le  Dernier  amour.  —  Sainte-Beuve. 
—  L'AcadĂ©mie.  —  Flaubert.  —  Cadio.  —  RĂ©installation  Ă   Nohant. . .     410 


CHAPITRE  XIII 
1867-1876 

Vieillesse  sereine.  —  Les  amis.  —  Les  petites- filles.  —  La  vie  à  Nohant  entre 
1867  et  1876.  —  Les  marionnettes.  —  Les  contes  d'une  grand'mùre.  —  Les 
articles  pĂ©dagogiques.  —  1870.  —  La  guerre  et  la  Commune.  —  Le  Journal 
d'un  voyageur  pendant  la  guerre.  —  Francia.  —  Nanon.  —  Nouvelles  lettres 
d'un  voyageur.  —  Impressions  et  souvenirs.  —  Synthùse  philosophique  et 
religieuse.  —  Les  derniers  romans  :  CĂ©sarine  Dietrich,  Marianne  Chevreuse. 
—  La  sĂ©rie  des  histoire  d'un  enfant  :  la  Filleule,  la  Confession  d'une  jeune 
fille,  l'Autre,  Ma  sƓur  Jeanne,  Flamarande  et  les  Deux  Frùres,  la  Tour  de 
Percemont,  Albine.  —  La  maladie  et  la  mort.  —  Les  obsùques 621 


CHAPITRE  XIV 

LE  CENTENAIRE  DE  GEORGE  SAND 

Quelques  pages  de  souvenirs  personnels  (30  juin,  l"r  et  10  juillet  1904)  : 
l'exposition  et  les  galas  à  l'Odéon  et  au  Théùtre-Français,  l'inauguration 


TABLE    DES    MATIÈRES  757 

de  la  statue  au  Jardin  du  Luxembourg  ;  les  fĂȘtes  Ă   Nohant  et  Ă   La 
ChĂątre 632 


APPENDICES 

Les  Ă©ditions  des  ƒuvres  complĂštes  et  la  Correspondance  de  George  Sand.  661 

Iconographie  de  George  Sand 663 

Bibliographie 669 

Index  des  Ɠuvres  de  George  Sand  citĂ©es 703 

Index  des  noms  cités 713 

Table  des  illustrations 753 

Table  des  matiĂšres 755 


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triotique et  l'héritage  de  Napoléon  (1812-1816).  III.  La  Faillite  d'un  régime  et 
le  premier  assaut  révolutionnaire.  Trois  vol.  in-8°.  Prix  de  chaque  vol.     32  fr. 


PARIS.  TYPOGRAPHIE   PLON,    8,    RDE   GARANCIÈRE.    —    31 179-XXVII-4 . 


■WLADIMIR 


KARENINE 


GEORGE  SAND 

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1848-1876 


LIBRAIRIE 

PLON 


12-I92G 


Prix  :  60  fr. 


La  BibliothĂšque 

Université  d'Ottawa 

Echéance 


The  Library 

University  of  Ottawa 

Date  due 


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