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WLADIMIR KARENINE
GEORGE SAND
SA VIE ET SES ĆUVRES
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1848-1876
PARIS
LIBRAIRIE PLON
LES PETITS-FILS DE PLON ET NOURRIT
IMPRIMEURS-ĂDITEURS â 8, RUE GARANCIĂRE, 6e
192fi
2" Ă©dition
GEORGE SAND
SA VIE ET SES OEUVRES
âą * âą âą
1848-1876
DU MĂME AUTEUR
Ă LA MĂME LIBRAIRIE
George Sand. Sa vie et ses Ćuvres.
Tome I. â 1804-1833.
Tome II. â 1833-1838.
Tome III. â 1838-1818.
Ce volume a été déposé à la BibliothÚque Nationale en 1926.
GEORGE SAND, l'Ai; CHARLES MARCHAL
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WLADIMIR KARENINE
GEORGE SAND
SA VIE ET SES ĆUVRES
* * * *
1848-1876
PARIS
LIBRAIRIE PLON
LES PETITS-FILS 'DE PLON ET NOURRIT
IMPRIMEURS-ĂDITEURS â 8, RUE GARANCIĂRE, 6e
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BIBLIOTHECA
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Droits de reproduction et de traduction
cfi-Tp! nmip tnns navfi.
réservés pour tous pays
AVANT-PROPOS
Ce dernier volume de notre travail â terminĂ© avant la guerre
â n'aurait jamais vu le jour si trois bonnes fĂ©es, ou trois bons
parrains n'avaient présidé à sa naissance et ne l'avaient protégé
contre toutes les intempéries et toutes les puissances néfastes.
C'est d'abord notre cher Ă©diteur, M. J. Bourdel (de la Maison Plon-
Nourrit), qui, ne sachant pas mĂȘme si l'auteur Ă©tait encore de
ce monde dans sa lointaine patrie, avait soigneusement gardé
depuis 1914 manuscrit et chapitres déjà mis en composition.
C'est ensuite notre vieil et fidĂšle ami M. Henri Amie qui nous a
fraternellement aidé à relire et à corriger la copie et les épreuves.
C'est enfin M. Marcel Bouteron dont l'affectueux concours a
remplacé pour nous celui de nos chers amis défunts le vicomte de
SpĆlberch de Lovenjoul et M. Georges Vicaire. Que tous ces
amis de notre livre trouvent ici l'expression de notre gratitude
la plus profonde et la mieux sentie.
W. K.
GEORGE SAND
SA VIE ET SES ĆUVRES
CHAPITRE VIII
LA RĂVOLUTION DE 1848 (1)
La veille. Mazzini. â Enchantements de la premiĂšre heure. â Lettres au
Peuple, Bulletins de la RĂ©publique, Paroles de Biaise Bonnin et la Cause
du Peuple. â Le 15 mai. â Ledru-Rollin, la Commission d'enquĂȘte,
Jules Favre et Etienne Arago. â ThĂ©ophile ThorĂ© et la Vraie RĂ©publique.
â Louis Blanc et Barbes, â Herzen et Bakounine. â Le Diable aux
champs.
Nous avons prouvé dans le chapitre vu de notre volume III
combien il était inexact que George Sand ne se fût mise à peindre
la douce vie champĂȘtre qu'aprĂšs sa fuite de Paris, Ă la suite des
sanglantes journées de Juin ; il est tout aussi faux de prétendre
qu'elle se soit, tout à coup, immiscée dans les affaires politiques
en 1848, et s'en soit aussi subitement détachée et éloignée.
Quelques lignes suffiront pour expliquer les causes qui pous-
sĂšrent George Sand Ă consacrer son temps, son travail et son
talent au service de la République nouvellement née et pour
expliquer non pas tant son horreur devant les événements san-
glants de 1848 et 1849, envisagés par elle, comme de malheureux
accidents advenus à la révolution, que sa désillusion de la révolu-
tion mĂȘme.
(1) No; s prions avant tout nos lecteurs, en Usant ce chapitre, de se
rappeler les mots de Renan que nous avons mis comme Ă©pigraphe Ă notre
travail : Le devoir de la critique ne saurait ĂȘtre de regretter que les hommes
ne fussent autres qu'ils ne furent, mais d'expliquer ce qu'ils furent. Nous nous
permettrons d'y ajouter : le devoir du lecteur Ă©quitable ne saurait ĂȘtre d'attri-
buer au critique toutes les opinions de l'auteur qu'il explique et qu'il tĂąche de
rendre fidĂšlement.
a GEORGE SAND
George Sand fut toujours un socialiste et non pas un poli-
tiqueâ nous le rĂ©pĂ©tons (1). â Nous avons dit dans le chapitre iv
du volume III que tous les Ă©crits politiques et sociaux de George
Sand, à partir de 1841, tous ses articles dans la Revue indé-
pendante, dans la RĂ©forme et VEclaireur de VIndre, Ă©taient
remplis des mĂȘmes idĂ©es, des mĂȘmes croyances et des mĂȘmes
opinions qui parurent une nouveauté inattendue, lorsqu'elles
se firent jour dans les Bulletins de la RĂ©publique, dans les Paroles
de Biaise Bonnin aux Ions citoyens, dans les Lettres au Peuple
et enfin dans les articles parus, soit dans son propre journal, la
Cause du Peuple, soit dans la Vraie République, de Théophile Thoré.
Nous avons noté que le comité de la Réforme, en invitant
Mme Sand en 1844, par l'intermédiaire de Louis Blanc, à devenir
collaboratrice du journal, l'avait attirée justement par la décla-
ration que « la politique » n'était pour eux que le levier qui les
aiderait à soulever la « cause du peuple », la défense des masses
obscures et opprimĂ©es, voire cette mĂȘme « Ćuvre sociale » que
George Sand devait considérer comme sienne. A présent, en
1848, presque tout ce comité de la Réforme (qui, selon l'auteur
de Y Histoire de 1848, « avait été fondée dans le dessein formel de
renverser la dynastie d'Orléans (2) »), était au pouvoir : Ledru-
Rollin était ministre de l'intérieur, François Arago, ministre de
la marine, Carnot, de l'instruction publique, Etienne Arago,
directeur des postes, Flocon et Louis Blanc, secrĂ©taires d'Ătat,
en mĂȘme temps ce dernier, en sa qualitĂ© de chef du parti socia-
liste et de reprĂ©sentant des intĂ©rĂȘts des travailleurs, fut Ă©lu prĂ©-
sident de la commission pour V organisation du travail, et quoique
le ministÚre du progrÚs, sur la création duquel il insistait, ne fût
pas institué par le gouvernement provisoire, il n'en était pas
moins presque un ministre par l'indépendance et la significa-
tion de son rĂŽle. Le rĂȘve Ă©bauchĂ© en 1844 devait Ă prĂ©sent ĂȘtre
mis en Ćuvre par les mĂȘmes collaborateurs de la RĂ©forme.
George Sand, dans tous ses articles et dans toutes ses lettres
(1) V. George Sand, sa vie et ses Ćuvres, t. Ier, chap. m, p. 106-169,
(2) V. Daniel Stern, Histoire de la révolution de 1848, t. Ier, Introduction,
p. LXVI.
GEORGE SAND 3
aux journaux en 1848, dĂ©clare sans ambages ĂȘtre un « socia-
liste », et dit à tout propos : « nous autres socialistes », « nous
qui sommes socialistes (1) », etc. Et lorsqu'on commença Ă
qualifier tous les socialistes de « communistes », elle prit ouverte-
ment le parti de ces derniers, si décriés qu'ils fussent, et se déclara
non moins ouvertement « communiste ». Elle se mit à expli-
quer ce que c'est que le « vrai communisme », différent de celui
que peignaient les bourgeois effrayés, et à prouver le caractÚre
social et sociable du premier et le caractĂšre anarchique et anti-
social du second (2).
La reconstitution sociale de la société, voici le but de toutes
les aspirations et de toutes les pensées de George Sand. Elle-
mĂȘme le rĂ©suma d'une maniĂšre absolument prĂ©cise dans l'un de
ses articles de 1848, dont nous parlerons tout Ă l'heure, en
écrivant : « le socialisme est le but, la république est le moyen, telle
est la devise des esprits les plus avancĂ©s et en mĂȘme temps les
plus sages. La réforme sociale, tel est donc l'exercice du devoir
du citoyen » (3)...
Et elle redit la mĂȘme chose, presque textuellement, lorsqu'elle
écrivit, vingt et un ans plus tard, le 6 août 1869, à Henry Harrisse :
« Pourtant, si vous dites vrai, si c'est une Révolution sociale, ça
m'intéressera quand j'en serai sûre. Il me semble, au reste, que c'est
la seule possible; tout mouvement purement politique me semble
tourner dans un cercle vicieux, insoluble » (4).
George Sand espĂ©rait que la RĂ©publique mettrait en Ćuvre
la réforme sociale, ou plutÎt accomplirait une révolution so-
(1) Nous sommes trÚs heureux de noter que par rapport au « socialisme »
et au « communisme » de George Sand, nous sommes du mĂȘme avis que
MM. Marius-Ary Leblond, émis dans leurs si intéressants articles, George
Sand et la démocratie {Revue de Paris, juillet 1904) et Notes sur George Sand
socialiste (Revue socialiste, juillet et août 1904.)
(2) Voir plus loin l'analyse des articles de George Sand : Lettre aux riches
(Revue politique de la semaine) et la Préface au livre de M. Borie, Travailleurs
et Propriétaires.
(3) Le Socialisme, quatre articles parus en avril 1848 dans le journal de
George Sand, la Cause du peuple, et rĂ©imprimĂ©s dans ses Ćuvres complĂštes
dans le volume des Questions politiques et sociales. (V. p. 276.)
(4) Souvenirs et Idées, p. 171,
4 GEORGE SAND
ciale, qu'elle constituerait non pas en paroles, mais en fait l'Ă©ga-
lité et la fraternité, que le peuple, devenu libre, saurait créer
lui-mĂȘme son propre bonheur et le bonheur gĂ©nĂ©ral.
Au lieu de tout cela, elle vit la lutte des classes et de petits
groupes politiques les uns contre les autres, elle vit la « poli-
tique » engloutir le « socialisme ». Elle dut se convaincre que non
seulement la rĂ©volution sociale, mais mĂȘme certaines rĂ©formes
sociales, ne pourraient ĂȘtre acquises que par les efforts de toute
une génération, lorsque les esprits et les ùmes auraient changé,
et non pas la seule forme de gouvernement ; lorsque les masses
seraient moins aveugles et sauraient mieux distinguer leurs
ennemis de leurs vrais amis ; lorsque les meneurs politiques
seraient moins occupés de leurs querelles personnelles et de leurs
intĂ©rĂȘts de partis, et plus adonnĂ©s Ă la cause du peuple.
George Sand ne se sauva pas devant les horreurs de la guerre
civile, comme on le dit généralement (phrase plus emphatique
qu'exacte), mais elle se détacha des hommes politiques et de leur
activité, parce que les uns n'avaient pas justifié ses espérances
et que l'autre ne correspondait pas Ă ses aspirations et Ă ses
croyances intimes.
Quant Ă ces croyances mĂȘmes, elle ne les perdit pas et garda
sa foi dans le socialisme et dans la RĂ©publique.
Xon seulement elle ne renia pas ce qu'elle avait Ă©crit, dans
ses articles politiques de 1848, mais elle continua en 1849 et
1850 à dire carrément ses opinions, alors que la réaction
triomphante fit taire tant d'autres voix. H suffit, pour s'en
convaincre, de relire ce qu'elle dit de ses opinions politiques et
de ses amis politiques dans la préface au livre de Victor Borie
ou encore dans YHistoire de ma vie, parus entre 1850-1855,
c'est-à -dire au plus fort de la réaction
AprÚs avoir expliqué ce qui fit accourir George Sand à Paris,
en février de 1848, nous allons montrer ce qui l'en fit partir
désillusionnée, non du fait, mais des faiseurs.
M. Hippolyte Monin, dans un long et trÚs intéressant article,
paru dans la Révolution française de 1899-1900, a narré, avec
beaucoup de précision et de détails, la part qu'avait prise George
GEORGE SAND 5
Sand aux événements de 1848. Il étudia et compara ses écrits
politiques tels qu'ils parurent dans les périodiques de l'époque
et tels qu'ils sont rĂ©imprimĂ©s dans ses Ćuvres complĂštes. Il
retrouva un article qui n'y fut pas réimprimé (1). Enfin il essaya
de donner des preuves Ă l'appui de sa supposition que c'est George
Sand encore qui fut l'auteur d'un pamphlet politique de 1848
fort oublié et signé du nom d'un révolutionnaire peu connu de
nos jours. Les opinions personnelles et les remarques critiques
de M. Monin rendent son article digne de la plus grande atten-
tion : il est du plus haut intĂ©rĂȘt.
Mais, comme M. Monin le remarque fort judicieusement :
« H a plu à George Sand, dans YHistoire de ma vie, de jeter
un voile sur cette période, alors trop récente, de son existence.
Certes, elle ne l'a pas désavouée ; mais, étourdie comme tant
d'autres par le dénouement, elle a enfoui dans de vagues déve-
loppements, et parfois idéalisé, donc dénaturé des souvenirs
qui lui pesaient. La Correspondance de 1848 et mĂȘme des annĂ©es
suivantes est plus explicite : mais que de lacunes, et surtout
que d'obscurités ! Les opuscules ou articles les plus caractéris-
tiques, reproduits sans commentaires, sans indication de source,
souvent mĂȘme sans date, dans les Ćuvres complĂštes (2), ne sont
pas non plus exempts de coupures judicieuses au sens de l'Ă©di-
teur, mais non au point de vue de l'histoire. Personne enfin
ne s'est donné la peine de déterminer ce qui, dans les Bulletins
de la RĂ©publique, appartient Ă George Sand. Aussi les biographes
ont-ils imité, sur la crise de février, son silence prudent : ils ne
l'ont pas tous fait par discrĂ©tion.» â (M. Monin note Ă ce propos
(1) Nous devons remarquer toutefois que cet article avait déjà été signalé
par notre ami, le bibliophile Isaac (le vicomte de Spoelberch) dans Y appen-
dice manuscrit Ă son Essai bibliographique sur les Ćuvres de George Sand,
que nous avons cité avec reconnaissance à la page 345 de notre premier vo-
lume.
(2) M. Monin cite en note Ă ces mots le volume des Souvenirs de 1848,
mais nous pouvons encore renforcer sa désapprobation, en ajoutant que,
sans aucune raison logique, on avait séparé une partie de ces articles pour
les insérer dans le volume des Questions politiques et sociales, et un autre
article encore, arbitrairement retiré de l'ordre chronologique de la série,
dans le volume des Questions d'art, quoique tous ces articles proviennent des
mĂȘmes numĂ©ros du journal de George Sand, la Cause du Peuple,
6 GEORGE SAND
les Ă©crits Ă©quivoques d'EugĂšne de Mirecourt dont nous avons
maintes fois cité les lignes indignes sous tous les rapports.)
Et M. Monin remarque que le plus sûr est encore de baser
sa narration sur les lettres de George Sand imprimées dans la
Correspondance et sur ses articles, pour lui donner la parole Ă
elle-mĂȘme. Toutes ses remarques sont parfaitement justes, sa
méthode est celle d'un véritable historien, et nous devons dire
que tout ce qu'il a été possible de faire d'aprÚs les documents
imprimés, M. Monin l'a fait. Mais comme il ne pouvait pas
consulter la correspondance inédite de George Sand, ainsi que
d'autres documents non publiés, des journaux intimes, etc.,
tout en rendant pleine justice à cette étude sérieuse et con-
sciencieuse et en la suivant parfois de prĂšs, nous arrivons Ă des
conclusions trÚs différentes ; à propos d'autres faits, nous serons
en état de répondre aux questions qu'il pose, nous raconterons
des choses tout à fait ignorées jusqu'à présent et enfin nous
fixerons quelques dates précises.
Ayant ainsi tracé briÚvement la ligne générale des événe-
ments de 1848 d'une part, et les exigences morales de George
Sand envers la révolution et la République, de l'autre, nous
allons maintenant raconter quel fut son rÎle dans les événe-
ments de 1848 et analyser ses Ă©crits politiques.
Pour cela, revenons un peu en arriĂšre.
DÚs son séjour à Paris au carnaval de 1847, lorsque Mme Dude-
vant et sa fille y étaient occupées du trousseau de Solange, en
vue de son mariage projeté, puis rompu avec Fernand de
Préaulx, George Sand fit la connaissance de Giuseppe Mazzini.
Ils se virent assez souvent et il promit mĂȘme devenir Ă Nohant.
En ce mĂȘme printemps, Mazzini, revenu Ă Londres, Ă©crivit un
petit article sur George Sand pour servir de préface à la traduc-
tion anglaise de la Mare au Diable et de quelques autres Ćuvres
de la grande romanciĂšre, entreprise par des amies de Mazzini,
Mmes Ashurst et Hays (1). Mazzini envoya son article Ă George
Sand ainsi que celui d'une certaine miss Jewsbury, paru dans
(1) L'orthographe de ce nom nous paraĂźt douteuse, nous Usons ailleurs
dans les lettres de George Sand miss Haivkes,
GEORGE SAND 7
le Peuple' s Journal. Le grand patriote italien y parlait de George
Sand avec une vive sympathie et une chaude amitié, l'appelait
sa sĆur et son amie, et cela la toucha, comme elle le lui avoua,
plus que toutes les louanges venant d'hommes Ă©minents. Elle crut
deviner en Mazzini une « ùme parente » de la sienne par son entiÚre
sincérité, et lorsqu'elle lui répondit le 22 mai 1847, au lendemain
du mariage de Solange avec Clésinger, elle lui donnait dans sa
lettre ces mĂȘmes titres d'ami et de frĂšre, lui racontait toutes
ses affaires de famille, comme au plus grand ami de la maison (l)t
et lui rappelait sa promesse de venir la voir Ă la campagne, oĂč,
selon son dire, elle Ă©tait plus elle-mĂȘme qu'Ă Paris, oĂč elle Ă©tait
toujours malade au moral et au physique.
En réponse à cette lettre, Mazzini renouvela sa promesse,
puis envoya Ă Mme Sand, au nom de ses traductrices, leur tra-
vail, ainsi qu'une brochure de sa façon, comme en témoigne
une autre lettre de George Sand à Mazzini, imprimée dans le
volume II de sa Correspondance et datée du 28 juillet 1847.
Elle lui dit, entre autres :
Cette annĂ©e 1847, la plus agitĂ©e et la plus douloureuse peut-ĂȘtre
de ma vie sous bien des rapports, m'apportera-t-elle au moins la con-
solation de vous voir et de vous connaĂźtre? Je n'ose y croire, tant le
guignon m'a poursuivie ; et pourtant vous le promettez, et nous
approchons du terme assigné...
Elle lui ajoute que le chemin de fer arrivera bientĂŽt Ă ChĂą-
teauroux, ce qui rendra le trajet de Paris Ă Nohant rapide et
facile. Puis elle continue :
Que votre lettre est bonne et votre cĆur tendre et vrai ! Je suis
certaine que vous me ferez un grand bien et que vous remonterez mon
courage, qui a subi, depuis quelque temps, bien des atteintes dans des
faits personnels...
(Viennent des plaintes trÚs claires pour nous, quoique voilées
et vagues, sur tout ce qu'elle eut Ă supporter de la part de So-
lange, de Clésinger et de Chopin, sur la corruption et l'impu-
(1) Nous avons déjà cité cette lettre dans le tome II de notre ouvrage
(chap. xi), et dans le chapitre vi du volume IIL
8 GEORGE SAND
dence d*un cÎté, sur la folie et la faiblesse de l'autre, qu'elle
explique du reste comme le reflet sur la « vie personnelle de la
corruption et de la folie de 1* époque ».)
Venez rue donner la main un instant, vous, éprouvé par tous les
genres de martyre. Quand mĂȘme vous ne me diriez rien que je ne sache,
il me semble que je serais fortifiée et sanctifiée par cette antique for-
mule qui consacre l'amitié entre les hommes.
J'ai reçu une de vos brochures, mais non la lettre à Carlo-Alberto,
Ă moins que vous ne l'ayez envoyĂ©e aprĂšs coup et qu'elle ne soit Ă
Par?. Les traductions me sont venues aussi. Remerciez pour moi...
Mazzini donna suite Ă sa promesse et en l'automne de 1847,
il séjourna quelque temps à Xohant. Au moment de partir, il
oublia dans sa chambre mie bague qui lui avait été donnée par
sa mĂšre.
Les trois lettres de George Sand Ă Mazzini qui sont impri-
mées dans le volume III de la Correspondance aux dates de
« novembre 1850 ». « 24 décembre 1850 » et « 22 janvier 1851 »,
sont en rĂ©alitĂ© d'avant la rĂ©volution et doivent ĂȘtre datĂ©es de
novembre 1847. du 24 décembre 1847 et du 22 janvier 1848. Elles
se rattachent justement à cet épisode du court séjour de Maz-
zini à iXohant. Quoiqu'elles soient imprimées, nous citerons ces
trois lettres d'abord pour que le lecteur puisse se convaincre lui-
mĂȘme que leur ton gĂ©nĂ©ral, l'absence des nouvelles politiques
qui faisaient les frais de toutes les lettres ultérieures de George
Sand à Mazzini entre 1848-1853, ainsi que les détails person-
nels, prouvent que ces lettres se rapportent Ă l'hiver de 1847-
1848. Puis, elles nous renseignent d'une maniÚre trÚs précise
sur le caractÚre quelque peu mystique de l'amitié et des
causeries de George Sand et de Mazzini. Enfin, ces lettres pei-
gnent Ă merveille l'Ă©tat d'Ăąme de George Sand Ă la veille des
événements et rappellent singuliÚrement, comme on le voit
déjà par les vagues allusions de la lettre du 28 juillet, les pages
du Pkcinino que nous avons citées (1). Elles sont comme le
prologue de tout ce que Mme Sand Ă©crivit et fit en 1848.
(1) Voir vol, III,
GEORGE SAND
Nohant, novembre (1847),
Mon ami,
Je suis bien paresseuse pour répondre à toutes ces formules qui
s'adressent au nom plus qu'Ă l'Ăąme, et j'y rĂ©ponds si bĂȘtement, que je
ferais mieux de me taire. Mais vous l'avez voulu et, comme je donnerais
mon sang pour vous, je ne me fais pas un mérite de répandre un peu
d'encre. Cela me fait penser que vous ne m'avez jamais demandé
d'Ă©crire Ă Mme Ashurst, et que, celle-lĂ , vous la nommez toujours
votre amie. Elle doit donc ĂȘtre meilleure que toutes les autres, et,
en ce cas, parlez-lui de moi et dites-lui pour moi tout ce que je ne
sais pas Ă©crire. Vous le lui direz mieux et elle le comprendra. Ce
que vous estimez, ce que vous aimez, je l'aime et je l'estime aussi.
Quant Ă l'honorable John Minter Morgan, je lui fais un grand salut ;
mais en parcourant son ouvrage, je suis tombée sur un éloge si naïf
de M. Guizot et du Kwg of ihe French, que je n'ai pu m' empĂȘcher
de rire.
C'est assez vous parler des autres. Permettez-moi de vous parler
de vous et de vous dire tout bonnement ce que j'en pense, à présent
que je vous ai vu. C'est que vous ĂȘtes aussi bon que vous ĂȘtes grand,
et que je vous aime pour toujours. Mon cĆur est brisĂ©, mais les mor-
ceaux en sont encore bons, et, si je dois succomber physiquement Ă
mes peines, avant de vous retrouver, du moins j'emporterai dans ma
nouvelle existence, aprĂšs celle-ci, une force qui me sera venue de vous.
Je suis fermement convaincue que rien de tout cela ne se perd, et qu'Ă
l'heure de mon agonie, votre esprit visitera le mien, comme il l'avait
déjà fait plusieurs fois avant que nous eussions échangé aucun rap-
port extérieur.
Tout ce que vous m'avez dit sur les vivants et sur les morts est
bien vrai, et c'est ma foi que vous me résumiez. A présent que vous
ĂȘtes parti, quoique nous ne nous soyons guĂšre quittĂ©s pendant ces
deux jours, je trouve que nous ne nous sommes pas assez parlé!
Moi surtout, je me rappelle tout ce que j'aurais voulu vous de-
mander et vous dire. Mais j'ai été un peu paralysée par un sentiment
de respect que vous m'inspiriez avant tout. Croyez pourtant que
ce respect n'exclut pas la tendresse et que, excepté votre mÚre,
personne n'aura désormais des élans plus fervents envers vous et
pour vous.
J'espĂšre que vous me donnerez des nouvelles de Paris, si vous en
avez le temps. Je suis en dehors des conditions de l'activité, je ne puis
rien pour vous que vous aimer; mais Dieu Ă©coute ces priĂšres-lĂ et
elles ne sont pas sans fruit.
,0 GEORGE SAND
Adieu, mon frĂšre. Quand vous souffrez, pensez Ă moi et appelez
mon Ăąme auprĂšs de la vĂŽtre. Elle ira.
Ma famille d'enfants et d'amis vous envoie ses vĆux sincĂšres.
George.
Nohant, 24 décembre 1847,
Mon ami,
Je crois que je vais vous faire plaisir en vous disant qu'on a retrouvé,
dans un coin de la chambre que vous avez habitée ici, une bague qui
doit vous appartenir et vous ĂȘtre chĂšre. Si j'en juge par la devise :
Ti conforti amor makmo, ce doit ĂȘtre un don de votre mĂšre, et vous
croyez sans doute l'avoir perdue. Je l'ai serrée précieusement, et
quand vous m'indiquerez une occasion sûre, je vous l'enverrai. Faut-il,
en attendant, la faire remettre Ă M. Accursi?
J'ai reçu votre lettre au pape (1), elle est fort belle. Mais votre voix
sera-t-elle écoutée? N'importe, aprÚs tout ! D'autres que le pape liront
cette lettre et ranimeront leur zĂšle et leur patriotisme pour entraĂźner
ou combattre le zÚle ou la tiédeur des princes. Les bonnes pensées
sont déjà de bonnes actions, et vous n'avez que de ces pensées-là .
Je suis vivement touchée de tout ce que vous me dites de bon et
d'affectueux de la part de vos amis. Kemerciez-les pour moi de leur
affectueuse hospitalité. J'y répondrais avec empressement si j'étais
libre. Mais avant de l'ĂȘtre, il faut que je passe toute une annĂ©e dans
les chaßnes. J'ai conclu un marché, un véritable marché pour travailler
un an entier et recevoir une somme (2). Je jouissais depuis quelques
années d'une sorte d'indépendance ; mais, l'ùge d'établir les enfants
Ă©tant venu (3), et moi n'ayant jamais su Ă©pargner en refusant d'assister
autant de gens qu'il m'était possible, je me suis vue dans la nécessité
de penser sérieusement au prix matériel du travail de l'art. Comme,
au reste, ce travail dont je vous ai parlé me plaßt, et était depuis long-
temps un besoin moral pour moi (4), j'aurais mauvaise grĂące Ă me
(1) V. plus loin.
(2) Il s'agissait de son traité avec M. de Girardin, directeur de la Presse.
Selon ce traité, George Sand devait livrer le manuscrit de ses Mémoires en
l'espace d'une année, et M. de Girardin devait la rembourser dans la somme
de 11 000 francs. (Cf. avec ce que George Sand dit Ă Poney dans sa lettre
du 14 décembre 1847, que nous avons citée dans le chapitre vi et avec une
lettre inédite à son fils du 10 avril que nous citons plus loin.)
(3) Le sort de ses « deux filles », Solange et Augustine Brault, ne pouvait
plus inquiéter Mme Sand en 1850, l'une étant mariée depuis 1847, el l'autre
depuis 1848. H est Ă©vident que ce fut Ă©crit avant, en 1847.
(4) Nous montrerons dans l'un des chapitres suivants comment les Ă©preuves
de 1847 provoquÚrent chez Mme Sand ce « besoin moral » de récapituler
GEORGE SAND il
plaindre, tandis que des millions d'hommes accomplissent des travaux
rebutants et antipathiques pour une rétribution insuffisante à leurs
premiers besoins. Je regarde mĂȘme ce que je fais, au point de vue de
l'argent, comme un devoir que je continue Ă remplir pour soulager
des gens plus pauvres que moi, puisque jusqu'Ă ce jour, je leur ai tout
donné, sans penser à ma propre famille ; et, pour cela, je suis blùmée
par les esprits positifs. Je vais donc réparer mes fautes, qui n'étaient
pourtant pas grandes, à mon sens, puisque j'avais réussi à donner
cent cinquante mille francs Ă ma fille. Et il me semblait qu'avec cela
on pouvait vivre (1).
Tout cela n'est rien, mon pauvre ami ; c'est pour vous dire seule-
ment que je ne bougerai pas de ma campagne que je n'aie accompli ma
tĂąche et satisfait Ă toutes les exigences justes ou injustes.
Je me porte bien maintenant, et, si je suis triste, du moins je suis
calme. J'ai appris Ă ĂȘtre gaie Ă la surface ; ce qui, en France, est comme
une question de savoir-vivre. Quelle Ă©trange Ă©poque que celle oĂč tout
est sur le point de se dissoudre de fond en comble, et oĂč c'est ĂȘtre
blessant et cruel de s'en apercevoir (2) !
Parlez-moi de temps en temps, mon ami. Votre voix me soutiendra,
et la vibration en est restĂ©e dans mon cĆur bien pure et bien conso-
lante (3). Vous, vous n'avez pas besoin qu'on vous recommande le
courage et la patience, vous en avez pour nous tous. Vous avez besoin
d'ĂȘtre aimĂ©, parce que c'est un besoin des Ăąmes complĂštes, et comme
un instinct de justice religieuse qui leur fait demander aux autres
l'Ă©change de ce qu'elles donnent. Comptez que, pour ma part, je suis
portée autant par la sympathie que par le devoir à vous aimer comme
un frĂšre.
A vous,
G. S...
George Sand traduisit la Lettre de Mazzini au Pape, et au com-
mencement de janvier, l'ayant munie de commentaires et de
toute sa vie, d'analyser le passé. C'est ainsi que naquit l'idée de VHistoire
de ma vie.
(1) Il est encore une fois Ă©vident que ces lignes sont Ă©crites en 1847, lorsque
la dot de Solange et ses prétentions ridicules à « ne pouvoir vivre » avec
150 000 francs furent un fait de fraĂźche date, ce qui serait tout autre chose
en 1850, lorsqu'il ne restait de cette dot presque rien déjà et que Solange
elle-mĂȘme Ă©tait sur le point de se sĂ©parer de son mari.
(2) C'est encore lĂ une remarque qui se rapporte Ă l'Ă©poque d'Ă©bullition
générale précédant la catastrophe de 1848.
(3) Encore une allusion à son état d'ùme déprimé, à ce grand décourage-
ment qui l'envahit en 1847, à la suite de sa rupture récente avec Chopin et
Solange.
12 GEORGE SAND
notes, elle l'expédia à Louis Blanc, en le priant de l'insérer dans
le SiÚcle. Toutefois, le rédacteur de ce journal, dont la couleur
< était, selon Louis Blanc, celle de M. Odilon Barrot », refusa d'in-
sérer l'article de Mazzini, tout en répondant de la maniÚre la
plus aimable, « qu'il n'était pas de journal pour lequel un peu de
prose de George Sand ne fût une bonne fortune », mais trouvant
que « dans le moment actuel il n'était pas utile de critiquer
trop vivement la conduite du pape (1) ».
C'est de ces pourparlers Ă propos de l'impression de la Lettre
au Pape que George Sand parle dans sa lettre Ă Mazzini du 22 jan-
vier 1848, écrite surtout pour le remercier de son désir de lui
voir garder, en souvenir de lui, la bague qu'elle avait retrouvée.
Nohant, 22 janvier 1848.
Oui, mon ami, je la reçois avec reconnaissance et avec bonheur
cette chĂšre bague dont je n'ai pas besoin pour penser Ă vous tous les
jours de ma vie, mais qui sera pour moi une relique sacrée dont mon
fils héritera. H en est digne ; car il a la religion des souvenirs comme
vous.
En disant que j'ai pensé à vous tous les jours de ma vie, ce ne sera
pas une formule vaine. Je mentirais si je disais que je pense tous les
jours à tous mes amis. Mais comme les chrétiens ont certains bien-
heureux de préférence auxquels ils s'adressent chaque soir dans leurs
priÚres, je puis dire que j'ai certaines affections sérieuses sur cette terre
et ailleurs, dont la commémoration se fait naturellement dans mon ùme
chaque fois qu'elle s'Ă©lĂšve vers Dieu, dans la douleur et dans la foi.
Oui, je vois bien qu'il faut que vous alliez en Italie (2), tĂŽt ou tard.
Je sais bien que vous lui devez votre vie ou votre mort. C'est notre
(1) Expressions d'une lettre inédite de Louis Blanc à George Sand.
Nous avons retrouvé dans les papiers de George Sand des lettres inédites
et iort intéressantes de Louis Blanc se rapportant à ses démarches pour
placer l'article de George Sand. Elles sont datées des 5 et 22 janvier 1848.
Louis Blanc joignit Ă cette derniĂšre lettre celle qu'Emmanuel Arago lui avait
adressĂ©e Ă la mĂȘme date, et la lettre de M. Chambolles, rĂ©dacteur du SiĂšcle,
datée du 16 janvier.
(2) Ces mots encore ne pouvaient ĂȘtre Ă©crits nullement en 1851, comme
le prétend la date dans la Correspondance, lorsque Mazzini était déjà revenu
à Londres aprÚs la défaite de la révolution en Italie, mais bien alors qu'il
était encore à Londres. On sait que Mazzini avait quitté cette ville et se rendit
tn Italie en février 1848 pour n'en revenir qu'en 1850.
GEORGE SAND i3
lot Ă tous de vivre ou de mourir pour nos principes. Pour vous, l'Ă©ven-
tualité est plus prochaine en apparence que pour nous. Ce n'est pas
moi qui vous dirai de craindre la souffrance, de reculer devant les
périls et d'éviter la mort. Je vous le dirais d'ailleurs sans vous ébranler.
La douleur et l'effroi qui me serrent le cĆur Ă cette idĂ©e, je ne dois
mĂȘme pas vous en parler ; mais vous seriez mon propre fils, que je
ne vous détournerais pas de votre devoir. Que nos amis soient parmi
nous ou dans une meilleure vie, nous les sentons toujours en nous
et nous les aimons de mĂȘme ; nous nous sommes dit cela l'un Ă l'autre
et nous le pensons bien profondément. Pourtant cette idée de sépa-
ration ici-bas rĂ©pugne Ă la nature, et le cĆur saigne malgrĂ© lui. Que
Dieu nous donne la force de croire assez pour que cette douleur ne
soit pas le désespoir!... Mais enfin, fût-elle le désespoir, acceptons
tout. L'Ăąme a des agonies et doit subir ses tortures, comme le corps.
H faut que je vous dise maintenant que, depuis trois semaines,
je suis fort tourmentée et indignée à cause de vous. Imaginez-vous
que j'ai traduit en français votre lettre au pape, et que je l'ai accom-
pagnĂ©e de rĂ©flexions qui, loin d'ĂȘtre violentes et subversives, sont,
au contraire, chrétiennes et vraies. J'ai envoyé tout cela à Paris,
pour que mes amis le fissent publier dans un journal. Je croyais que
la Réforme, qui est dans nos idées plus que les autres, l'aurait accepté
sans objection ; mais la RĂ©forme n'a qu'un petit nombre de lecteurs,
et je tenais à ce que votre lettre eût un répertoire de retentissement
en France, surtout dans un moment oĂč notre AssemblĂ©e vient de dis-
cuter si pauvrement la question italienne (1), et oĂč le jĂ©suite Monta-
lembert et autres cerveaux despotiques et Ă©troits vous ont personnelle-
ment lancé leur anathÚme méprisable (2).
Je tenais beaucoup à montrer que ces beaux chrétiens étaient des
hérétiques et vous un chrétien beaucoup plus sincÚre et plus ortho-
doxe. Eh bien, le SiÚcle a gardé mon manuscrit quinze jours et a fini
(1) Lors de la discussion de l'adresse au roi en janvier 1848, la Chambre
des députés a voté pour approuver la conduite du cabinet par rapport aux
affaires d'Italie et de Suisse, conduite trÚs désapprouvée par l'opinion
publique.
(2) Allusion au célÚbre discours prononcé par Montalembert le 15 janvier
1848 à la Chambre des pairs. Il est trÚs intéressant de confronter ces lignes
et celles de la lettre précédente sur la « décomposition générale » avec celles que
TourguĂ©niew adressait presque Ă la mĂȘme date, le 17 janvier 1848, Ă Mme Viar-
dot : « Paris a été mis en émoi pendant quelques jours par le discours fana-
tique et contre-révolutiannaire de M. de Montalembert; la vieille pairie a
applaudi avec rage aux invectives que l'orateur adressait Ă la Convention.
Encore un symptĂŽme â et des plus graves â de l'Ă©tat des esprits. Le monde
est en travail d'enfantement... Il y a beaucoup de gens intéressés à le faire
avorter. Nous verrons... » (V. la Revue hebdomadaire du 1er octobre 1898,
n° 44, p. 37-39.)
i4 GEORGE SAND
t
par le rendre en disant qu'il manquait de place pour le publier ; ce
qui n'est qu'un prétexte pour éviter de se compromettre dans l'esprit
des bourgeois voltairiens. On a porté votre lettre et mes réflexions au
Constitutionnel, qui a promis de les insérer, mais qui les tient depuis
plusieurs jours sans en rien faire. De sorte que j'ignore si, comme le
SiĂšcle, il ne se ravisera pas. J'ai Ă©crit hier pour leur dire que, s'ils Ă©taient
effrayés de mes idées, je les autoriserais à les supprimer entiÚrement,
pourvu quĂŻls publiassent ma traduction de votre lettre. Nous verrons
s'ils amont un peu de cĆur et de courage ; mais je suis honteuse pour
la presse française non seulement que vous n'y ayez pas un défenseur
spontané, mais encore qu'on ait tant de peine à laisser entendre une
voix qui s'Ă©lĂšve dans le dĂ©sert pour dire que vous n'ĂȘtes ni'un jacobin
ni un impie. Au reste, notre ami Borie, que vous avez vu chez moi, a
pris plusieurs fragments de cette traduction et a fait de son cÎté un
bon article qu'il a envoyĂ© au Journal du Loiret, en mĂȘme temps que
j'envoyais le mien avec la traduction complÚte à Paris. Il a mieux réussi
que moi. Cet article a été publié, il y a quelques jours (1), et j'attends,
pour vous l'envoyer, que j'y puisse joindre le mien.
J'ai vu aujourd'hui Leroux, Ă qui j'ai remis un exemplaire de votre
texte italien, et qui va s'en occuper sérieusement dans la Revue so-
ciale (2). H ne sera pas autant que moi de votre avis. H rendra justice
à la pureté et à l'élévation de vos idées et de vos sentiments ; mais il
est possédé aujourd'hui d'une rage de pacification, d'une horreur pour
la guerre, qui va jusqu'Ă l'excĂšs et que je ne saurais partager.
Blùmer la guerre dans la théorie de l'idéal, c'est tout simple ; mais
il oublie que l'idĂ©al est une conquĂȘte et qu'au point oĂč en est l'huma-
nitĂ©, toute conquĂȘte demande notre sang (3).
Il vous envoie probablement ses travaux quotidiens. Le voilĂ qui
(1) L'article de Borie sur la Lettre au Pape parut le samedi 15 janvier
1848, dans le Supplément du Journal du Loiret. Comme nous le savons déjà ,
Victor Borie avait été l'hÎte de Nohant de l'automne de 1846 à février
1848. B passa 1848 à Paris et à Orléans. En 1849, pour un article paru dans
ce mĂȘme Journal du Loiret, il fut condamnĂ© Ă la prison, se sauva Ă
l'étranger et vécut en Belgique et à Londres. Dans la lettre du 25 dé-
cembre 1850, imprimĂ©e dans ce mĂȘme tome III de la Correspondance,
George Sand écrit à Poney : « Borie est en Angleterre. Mais nous n'avons
pas de ses nouvelles depuis assez longtemps... » Et deux pages plus loin on
a pourtant imprimĂ© cette lettre prĂ©tendue du 22 janvier 1861 oĂč se
trouvent les mots auxquels nous ajoutons cette note.
(2) La Revue sociale cessa de paraĂźtre dĂšs 1848. En 1861 elle n'existait
plus.
(3) Depuis les sanglantes journées de Juin, George Sand n'avait plus
jamais pensĂ© ni Ă©crit rien de pareil Ce fut Ă©crit Ă un moment oĂč les flots de
sang versés pour la liberté ne se voyaient encore qu'en imagination et parais-
saient alors quelque chose de « beau », hélas !
GEORGE SAND 15
croit tenir la science religieuse, politique et sociale, et qui s'annonce
avec beaucoup d'audace coinnie possédant un dogme, une organisation,
un principe de subsistance; c'est beaucoup dire ! Cette admirable cer-
velle a touché, je le crains, la limite que l'humanité peut atteindre.
Entre le génie et V aberration, il n'y a souvent que Vépaisseur d'un che-
veu (1). Pour moi, aprÚs un examen bien sérieux, bien consciencieux,
avec un grand respect, une grande admiration, et une sympathie
presque complÚte pour tous ses travaux, j'avoue que je suis forcée de
m'arrĂȘter, et que je ne puis le suivre dans l'exposĂ© de son systĂšme.
Je ne crois pas d'ailleurs aux systĂšmes d'application a priori. Il faut
le concours de l'humanité et l'inspiration de l'action générale (2).
Enfin, Usez et dites-moi si j'ai tort et si vous me croyez dans le vrai.
Je tiens beaucoup Ă votre jugement. J'en ai mĂȘme besoin pour sonder
encore le mien propre. Je vous demande donc de donner deux ou trois
heures Ă cette lecture et d'en consacrer encore une ou deux s'il le faut
à résumer pour moi votre opinion. Ne craignez pas de me faire payer
un gros port de lettre. Je n'ai pas encore discuté avec Leroux, j'étais
tout occupée de l'écouter et de le faire expliquer. Et puis il était au-
jourd'hui dans une sorte d'ivresse métaphysique, et il n'eût rien
entendu.
Adieu, mon ami ; permettez-moi d'affranchir ce paquet, que je vais
grossir de ma réponse à miss Hays. Je ne me souciais pas de répondre,
je l'avoue. Une personne qui avait débuté par des altérations ne me
paraissait pas trÚs bien venue à me demander une consécration de la
fidélité de sa traduction. Et puis, il me semblait que mistress Ashurst,
votre amie, ayant traduit aussi quelque chose, je ne devais pas créer
Ă une autre un monopole. Je conclus de votre lettre que mistress
Ashurst a renoncé à ce travail et je fais ce que vous me dites. Mais
je vous envoie une lettre à miss Hays, pour que, réflexion faite,
vous en agissiez comme vous trouverez bon.
Adieu encore, mon ami et mon frĂšre. BĂ©nissez-moi, j'en vaudrai
mieux.
George.
L'affaire de la Lettre au Pape traĂźna donc en longueur, et
c'est aprÚs de nombreuses délibérations et démarches que, grùce
(1) C'est nous qui soulignons cette pensée que George Sand émit ainsi
bien avant Lombroso et presque simultanément avec Herzen (dans ses
MĂ©moires du docteur Krowpow), VoilĂ le cas de dire : les grands esprits se
rencontrent I
(2) Encore quelque chose que George Sand n'a pu Ă©crire qu'Ă un
moment oĂč la foi à « l'action gĂ©nĂ©rale » vivait encore en son Ăąme avant que
l'épreuve néfaste ne la détruisßt.
i6 GEORGE SAN D
à l'aide d'Emmanuel Arago, elle fut enfin acceptée par Véron
et insérée dans le Constitutionnel, à la date du 7 février 1848.
George Sand s'empressa de l'annoncer Ă Mazzini. La lettre
est inédite.
FĂ©vrier 1848.
Enfin, mon ami, j'ai la satisfaction d'avoir pu publier votre lettre
en France, et je prie M. Accursi de vous envoyer le journal et l'article
de mon ami Borie, paru longtemps avant le mien : j'ai déjà reçu,
avant mĂȘme que votre lettre soit publiĂ©e par le Constitutionnel, des
remerciements de plusieurs personnes de Paris, pour leur avoir fait
lire ce noble écrit qui a toutes leurs sympathies et toute leur adhésion.
C'est moi qui ai à vous remercier pour cette belle préface que vous
avez faite aux Lettres d'un voyageur. Votre cĆur vous inspire et, je
vous le répÚte, ennuyée comme je le suis des éloges autant que des
critiques des faiseurs de jugements, je n'ai de plaisir et d'encouragement
vrai que quand c'est vous qui me jugez et me consolez.
Que dites-vous des événements de Naples et de Sicile? C'est un grand
pas de fait, peut-ĂȘtre, mais c'est le rĂ©gime constitutionnel Ă la place
du despotique, et en France, nous avons l'expérience du juste milieu.
Nous savons que les hommes s'y corrompent davantage, et qu'il vaut
mieux souffrir en commun que d'ĂȘtre Ă l'aise chacun chez soi (1). Si
le peuple fatigué d'un grand effort se repose comme nous pendant
vingt ans, nos idées seront bien loin ! Et puis les Débats donnent la
main à cette révolution, ce n'est pas bon signe.
Adieu, cher et noble ami. A vous de toute mon Ăąme.
George.
George Sand passa donc les mois de décembre 1847 et de jan-
vier 1848 Ă Nohant, travaillant Ă Y Histoire de ma vie, Ă l'Ă©di-
tion de Rabelais « expurgée de ses obscénités », et enfin à cette
traduction de la Lettre au Pape.
(1) Intéressant à confronter avec ce que nous avons dit dans le vol. III
Ă propos de Piccinino et avec les citations de ce roman que nous y donnons.
A confronter aussi avec le passage soi-disant de la lettre du 18 fĂ©vrier Ă
Maurice Sand. imprimée à la page 3 du tome III de la Correspondance, et
qui est, en réalité, du 7 février 1848 : « Au reste, l'Italie est sens dessus dessous...
Seulement, tout ce qu'ils y gagneront, c'est de passer du gouvernement des-
potique au gouvernement constitutionnel, de la brutalité à la corruption », etc.
GEORGE SAND \7
Elle était en outre préoccupée et fort inquiÚte de ses affaires
pécuniaires.
H lui fallait venir à bout des difficultés que lui avaient créés
Solange et son mari, se mettre en mesure de satisfaire leurs
créanciers, sauver de la vente l'hÎtel de Narbonne ; puis, pour-
voir au cautionnement de Bertholdi et pour cela endosser de
nouvelles dettes et une nouvelle responsabilité vis-à -vis des
amis qui trouvĂšrent de l'argent pour elle (1), escompter des lettres
de change, en payer d'autres, et tout cela au milieu de la crise
financiÚre générale. Et pour comble d'ennuis, la Société des
Gens de lettres intenta et gagna contre George Sand un procĂšs
Ă propos de l'Ă©dition de la Mare au Diable. C'est Chaix d'Est-
Ange qui plaida pour Mme Sand, dans la seconde moitié de ce
procĂšs qui dura plus de deux ans, jusqu'au 20 juillet 1849 et ne
donna à George Sand que des ennuis. Ce procÚs lui coûta beau-
coup d'argent, et il y eut mĂȘme un moment oĂč elle fut menacĂ©e
de la vente de tout son mobilier de Paris et de Nohant. C'est
pour cela qu'une grande partie de ses lettres inédites de 1848
sont, à cÎté des questions politiques, remplies de questions
financiĂšres.
Ce sont encore ces questions qui la préoccupaient surtout
dans les deux premiÚres décades de février, lorsqu'elle s'ennuyait
seule Ă Nohant, tandis que Maurice prolongeait, plus qu'elle
n'avait compté, son séjour à Paris au milieu des réjouissances
du carnaval. Et dans ses lettres George Sand lui parle sur-
tout de son procÚs avec la Société et d'autres questions non
moins fastidieuses ; elle ne fait allusion aux Ă©vĂ©nements dĂ©jĂ
trÚs avancés, et aux hommes politiques que trÚs légÚrement, ce
qui prouve qu'elle ne se rendait nul compte de la gravité de
l'heure.
Et là -dessus éclatÚrent les journées de Février.
Dans l'une des pages non brûlées de son Journal de 1848 (2) (en
(1) Charles Duvernet, sa femme et Gabriel Planet lui Ă©taient venus en
aide en cette affaire.
(2) Nous devons à l'amitié de notre inoubliable amie, Mme Lina Sand,
d'avoir pu copier sur l'autographe le Journal de 1848 et le Journal du coup
i8 GEORGE SAND
prévision d'une descente domiciliaire, George Sand le brûla en
grande partie, aprĂšs le 15 mai, avec un tas d'autres papiers et
lettres), nous lisons les lignes que voici sur l'engouement uni-
versel pour les questions politiques et sociales, observé à Paris
en avril 1848 :
Partout on parle et on s'occupe des affaires publiques toute la jour-
née. Nous nous plaignions de l'indifférence générale il y a trois mois,
c'est un grand pas de fait. Les ouvriers nous répondaient alors : « La
politique n'est pas faite pour nous. Que nous importe un changement
de ministĂšre, cela nous donnera-t-il du travail? Toutes vos discus-
sions ne nous regardent pas (1) !... »
Ces paroles, George Sand aurait pu les Ă©crire en son nom,
parce que, autant elle rĂȘvait, Ă l'instar de tous ses coreligion-
naires poétiques, à l'avÚnement de la souveraineté du peuple,
autant la date de cet avÚnement lui restait vaguement voilée.
Les journées de Février furent une surprise absolue pour elle (2).
Le sens du mouvement populaire et des agitations qui suivirent
de prÚs la prohibition du célÚbre banquet du XIIe arrondisse-
ment parisien, n'Ă©tait pas plus clair pour elle que pour les tra-
vailleurs dont elle parle dans les lignes précitées. Dans sa
lettre à son fils, du 18 février, qui commence par la demande de
lui envoyer tout de suite les Ă©tats de service de son pĂšre,
le colonel Dupin, dont elle avait besoin pour son Histoire, et
qui raconte plus loin et avec maints détails une histoire plus
intime d'un vol arrivé à Nohant (3), George Sand parle ainsi
des événements parisiens (ces mots viennent immédiatement
aprÚs le passage omis dans la Correspondance : « Voilà le résumé
de ce procÚs à huis-clos et le tribunal secret a prononcé qu'il
d'Ătat de 1851. Dans le volume des Souvenirs et IdĂ©es paru en 1904, l'un et
l'autre sont imprimés avec des lacunes, des changements et des mots tron-
qués.
(1) Souvenirs et Idées, p. 17.
(2) M. Monin dit, à ce propos en toute justesse, que « George Sand prédisait
plus qu'elle ne prévoyait », comme du reste cela arriva à la plupart des
politiques de profession, en 1848, conservateurs et radicaux.
(3) Nous avons déjà dit en note, à la page 589 du vol. III, comment les
sept lettres de février 1848 étaient « arrangées » dans le tome III de la Cor-
respondance.
GEORGE SAND 19
ne fallait pas déshonorer la coupable, vu qu'elle est assez punie
en perdant sa place ») :
Borie est sens dessus dessous à l'idée qu'on va faire une révolution
dans Paris. Mais il n'y voit pas de prétexte raisonnable dans l'affaire
des Banquets. C'est une intrigue entre ministres qui tombent et mi-
nistres qui veulent monter. Si l'on fait du bruit autour de leur table,
il n'en résultera que des horions, des assassinats commis par les mou-
chards sur des badauds inoffensifs et je ne crois pas que le peuple prenne
parti pour la querelle de M. Thiers contre M. Guizot. Thiers vaut mieux,
à coup sûr, mais il ne donnera pas plus de pain aux pauvres que les
autres. Ainsi, je t'engage Ă ne pas aller flĂąner par lĂ , car on peut y
ĂȘtre Ă©charpĂ© sans profit pour la bonne cause. S'il fallait que tu te
sacrifies pour la Patrie, je ne t'arrĂȘterais pas, tu le sais. Mais se faire
assommer pour Odilon Barrot et compagnie, ce serait trop bĂȘte.
Ăcris-moi ce que tu auras vu de loin, et ne te fourre pas dans la bagarre
si bagarre il y a, ce que je ne crois pourtant pas (1).
Donc, au premier moment, Mme Sand fut surtout inquiĂšte
pour son fils, effrayée à l'idée de le voir « fourré dans quelque
bagarre ». C'est pour cela qu'elle lui écrivit de revenir au plus
vite Ă Nohant.
Mais, ne le voyant pas revenir, elle alla elle-mĂȘme le chercher
Ă Paris.
Alors ce que George Sand vit, ou plutĂŽt ce qu'elle crut voir
Ă Paris, la transporta d'un tel enthousiasme, qu'elle se crut
obligée de rester dans la fournaise et de vouer toutes ses forces
au triomphe définitif de la République.
Elle imagina que l'heure de la liberté était arrivée, que le
peuple Ă©tait prĂȘt, que tout le peuple s'Ă©tait levĂ© en toute cons-
cience, qu'il comprenait ses droits politiques, ses devoirs sociaux
et deviendrait maßtre de ses destinées ; que la révolution ac-
complie serait la base inébranlable sur laquelle s'élÚverait rapi-
(1) Les lignes qui, dans la Correspondance, suivent celles-ci, se rapportant
à Bakounine et aux événements d'Italie, appartiennent à la lettre inédite
du 7 février. Nous les donnerons plus loin lorsque nous parlerons des rela-
tions entre George Sand et le célÚbre anarchiste. Dans la lettre autographe
du 18 février nous lisons, immédiatement aprÚs les mots « pourtant pas »,
l'annonce d'une lettre reçue de Mme Marliani et quelques mots sur sa curio-
sitĂ© excessive. Nous les avons citĂ©s dans le chapitre vi du volume IIIĂ
20 GEORGE SAND
dément l'édifice grandiose des droits et des libertés du peuple,
et, qu'aprĂšs cela, le renouveau social marcherait aussi d'un
pas franc et alerte. Telles furent les premiĂšres impressions de
George Sand. Durant les premiers jours de la révolution ses
lettres sont remplies d'exclamations, d'espérances et de des-
criptions enthousiastes. Ses articles datant de cette lune de
miel de la RĂ©publique sont Ă©galement pleins de foi coura-
geuse, mĂȘme de tĂ©mĂ©raire confiance : tout Ă©tait fait, Ă de petites
exceptions prÚs, tout le peuple était pour les meneurs de la révo-
lution. H est fort aisé aux personnes se trouvant au milieu des
délibérations des leaders de partis, de tomber dans cette erreur.
A ce moment, le présent et l'avenir apparaissent à George
Sand sous les couleurs les plus roses ; elle en parle en des
termes d'ode triomphale, sous l'impression de la proclamation
de la République qui eut lieu le 27 février.
Voici ce qu'elle écrit à Aille Augustine Brault, laissée à la
Chùtre sous la garde de Mme Eugénie Duvernet :
... J'ai vu tout le monde. Louis Blanc, en son palais du Luxembourg,
me demandait ce soir de tes nouvelles ; il persiste Ă t' appeler Mlle Graf-
femĂŻed. J'ai vu passer le cortĂšge ce matin de la fenĂȘtre de Guizot,
tout en causant avec Lamartine. H Ă©tait beau, simple et touchant
(le cortÚge), quatre cent mille personnes pressées depuis la Madeleine
jusqu'Ă la colonne de Juillet; pas un gendarme, pas un sergent de
ville, et cependant tant d'ordre, de décence, de recueillement et de
politesse mutuelle qu'il n'y a pas eu un pied foulé, pas un chapeau
cabossé. C'était admirable. Le peuple de Paris est le premier peuple
du monde!
Elle Ă©crit Ă la mĂȘme le 5 mars (1) :
... J'ai vu Mazzini, Combes, mes connaissances de GenĂšve. Toute
la terre est Ă Paris, et pendant ce temps-lĂ , il y a des belles dames
qui s'enfuient sous des déguisements et qui se croient aux jours de
la Terreur, lorsque personne ne pense Ă elles...
... J'aurais bien des choses Ă te raconter. Tout va ici aussi bien que
possible. Le gouvernement est bon et honnĂȘte, le peuple excellent.
La bourgeoisie a peur et fait semblant d'ĂȘtre enchantĂ©e. L'Europe
(1) Nous avons cité une partie de cette lettre dans le chapitre vi. Elle
est également inédite.
GEORGE SAND ai
n'a point envie de nous attaquer, et de ce cÎté-là , nous sommes bien
forts. Je vois tous les jours nos gouvernants. Us ont bien de V embarras,
comme on dit chez nous ; mais la plupart ont envie de bien faire...
Vive la RĂ©publique ! â Ă©crit-elle Ă Poney, le 9 mars. â Quel rĂȘve,
quel enthousiasme et en mĂȘme temps quelle tenue, quel ordre Ă Paris !
J'en arrive, j'y ai couru, j'ai vu s'ouvrir des derniĂšres barricades
bous mes pieds. J'ai vu le peuple grand, sublime, naïf, généreux, le
peuple français rĂ©uni au cĆur de la France, au cĆur du monde ; le
plus admirable peuple de l'univers ! J'ai passé bien des nuits sans dor-
mir, bien des jours sans m' asseoir. On est fou, on est ivre, on est heu-
reux de s'ĂȘtre endormi dans la fange et de se rĂ©veiller dans les cieux.
Que tout ce qui vous entoure ait courage et confiance !
La République est conquise, elle est assurée ; nous y périrons tous
plutÎt que de la lùcher. Le gouvernement est composé d'hommes
excellents pour la plupart, tous un peu incomplets et insuffisants Ă
une tĂąche qui demanderait le gĂ©nie de NapolĂ©on ou le cĆur de JĂ©sus.
Mais la réunion de tous ces hommes qui ont de l'ùme ou du talent,
ou de la volonté, suffit à la situation. Us veulent le bien, ils le cherchent,
ils l'essayent. Es sont dominés sincÚrement par un principe supérieur
à la capacité individuelle de chacun, la volonté de tous, le droit du
peuple. Le peuple de Paris est si bon, si indulgent, si confiant dans sa
cause et si fort, qu'il aide lui-mĂȘme son gouvernement.
La durée d'une telle disposition serait l'idéal sociaL II faut l'en-
courager.
... Tous mes maux physiques, toutes mes douleurs personnelles
sont oubliés. Je vis, je suis forte, je suis active, je n'ai plus que vingt
ans.
... Allons, j'espĂšre que nous nous retrouverons tous Ă Paris, pleins
de vie et d'action, prĂȘts Ă mourir sur les barricades si la RĂ©publique
succombe. Mais non ! la RĂ©publique vivra ; son temps est venu. C'est
à vous, hommes du peuple, à la défendre jusqu'au dernier soupir (1).
Trois jours plus tĂŽt, le 6 mars, elle Ă©crit Ă son vieil ami Girerd
qui venait d'ĂȘtre nommĂ©, grĂące Ă elle (quoiqu'elle le nie), com-
missaire du gouvernement provisoire, et le ton de sa lettre
dĂ©note le mĂȘme optimisme dĂ©bordant :
... Tout va bien. Les chagrins personnels disparaissent quand la vie
publique nous appelle et nous absorbe. La RĂ©publique est la meilleure
(1) Correspondance, t. III, p. 9-12.
aa GEORGE SAND
des familles, le peuple est le meilleur des amis. H ne faut pas songer
Ă autre chose.
... Le peuple a prouvé qu'il était plus beau, plus grand, plus pur
que tous les riches et les savants de ce monde (1).
Le mĂȘme ton enthousiaste rĂšgne dans ses premiers articles de
1848.
La révolution est accomplie : la République est conquise... (c'est
ainsi que commence sa Lettre Ă la classe moyenne). La RĂ©publique
est la plus belle et la meilleure forme des sociétés modernes...
Les républiques du passé ont été des ébauches incomplÚtes. Elles
ont péri parce qu'elles avaient des esclaves.
La RĂ©publique que nous inaugurons n'aura que des hommes libres,
égaux en droits... Avec le régime que nous venons de détruire par
l'aide de Dieu et la volonté de la Providence, le riche était aussi
malheureux que le pauvre. Ces deux classes se sentaient dangereuses,
hostiles l'une Ă l'autrt. Le pauvre craignait la trahison et la tyrannie
du riche ; le riche craignait la colĂšre et la vengeance du pauvre...
Cet Ă©tat de choses contre nature doit cesser prochainement, et il
cessera nécessairement aussitÎt que des lois sages et grandes assure-
ront l'existence et le travail à tous les Français...
Selon son idée les classes riches doivent prendre l'initiative ;
la classe moyenne s'est dignement conduite, en prenant cou-
rageusement le parti du peuple; elle possĂšde la science; le
peuple a la force et ce n'est que grĂące Ă cette union de la
science et de la force qu'ils ont vaincu. H faut maintenir
cette union, car autrement, la cause de la liberté sera perdue.
H faut donc se tendre la main et avoir confiance de part et
d'autre.
Le peuple, continue Mme Sand, investi d'une puissance dont il n'a
jamais fait usage et dont il ne comprendra la portée que dans quelques
jours, est disposé à accorder toute sa confiance à la bourgeoisie. La bour-
geoisie n'en abusera pas. Elle ne se laissera point Ă©garer par de perfides
conseils, par des alarmes vaines, par de faux bruits, par des calomnies
contre le peuple. Le peuple sera juste, calme, sage et bon, tant que la
classe moyenne lui en donnera l'exemple. S'il Ă©tait trahi, si on faisait
servir le premier exercice de ses droits politiques Ă le tromper ; si, par
(1) Correspondance, t. TTT, p. 6-8.
GEORGE SAND 23
d'indignes manĆuvres et de coupables influences, on lui faisait Ă©lire
des représentants qui abandonneraient sa cause, l'union serait détruite.
Le peuple irritĂ© violerait peut-ĂȘtre le sanctuaire de la reprĂ©sentation
nationale, et nous verrions recommencer les luttes d'un passé que
peuple et bourgeoisie condamnent et repoussent Ă l'heure qu'il est-
Cette Lettre Ă la classe moyenne se termine par l'expression de
l'assurance que tous ces conseils sont de trop, la bourgeoisie
comprenant parfaitement que la renaissance du pays est la
question qui se dresse devant la future Assemblée, ne voudra
pas en faire l'arĂšne de la lutte entre les classes.
La premiĂšre Lettre au peuple, quoique Ă©crite Ă Paris, mais
datée du 7 mars, donc du jour de la rentrée de George Sand
Ă Nohant, exprime la mĂȘme pensĂ©e et les mĂȘmes sentiments :
d'une part l'enthousiasme devant la générosité, la grandeur du
peuple et le sentiment d'une entiÚre solidarité avec lui ; de
l'autre, le désir de maintenir avant tout la bonne entente
entre les deux classes : la bourgeoisie intellectuelle et le peuple.
Ce peuple est grand, il est héroïque, il est bon, il est généreux,
c'est la voix de Dieu et le bras de la Providence... On a eu tort
de le redouter, quoique vraiment les fautes commises contre
lui auraient pu faire craindre sa juste vengeance. Mais il « a
prouvé une fois de plus au monde, et d'une maniÚre plus écla-
tante qu'en aucun des jours consacrés par l'histoire, qu'il était
la race magnanime par excellence ».
Doux comme la force ! 0 peuple, que tu es fort, puisque tu es si
bon ! Tu es le meilleur des amis, et ceux qui ont eu le bonheur de te
préférer à toute affection privée, de mettre en toi leur confiance, de te
sacrifier, quand il l'a fallu, leurs plus intimes affections, leurs plus chers
intĂ©rĂȘts, exposer leur amour-propre Ă d'amĂšres railleries, ceux qui
ont prié pour toi et souffert avec toi, ceux-là sont bien récompensés,
aujourd'hui qu'ils peuvent ĂȘtre fiers de toi, et voir ta vertu proclamĂ©e
enfin Ă la face du ciel...
Et la lettre se termine par l'exclamation :
A toi, ĂŽ peuple ! aujourd'hui comme hier !
Mais outre ces sentiments d'admiration et d'adoration pour
le peuple, cette Lettre exprime encore, comme celle Ă la classe
»4
GEORGE SAND
moyenne, la conviction de la nécessité de Vunion entre les deux
classes qui accomplirent la révolution. C'est le peuple, qui a le
droit et la force, la bourgeoisie a la science sociale. Isolés, ni
l'un ni l'autre ne peuvent atteindre à la lumiÚre et à la liberté.
L'imion est le gage du succÚs. « L'homme isolé n'est rien »...
L'isolement social est la source de toutes les erreurs.
Aussi l'auteur espÚre-t-il que « l'union fraternelle détruira
toutes les fausses distinctions et rayera le mot mĂȘme de classes
du livre de l'humanité nouvelle... »
Nous vivions comme une flotte naufragĂ©e que la tempĂȘte a dispersĂ©e
sur des récifs, et dont les passagers meurent séparés par des abßmes, en
se tendant les bras, sans pouvoir se porter secours les uns aux autres.
Oui, le sort de l'humanitĂ©, divisĂ©e de droits et d'intĂ©rĂȘts, est aussi
horrible que cela, c'est la prison cellulaire, oĂč l'on devient stupide
et insensé.
Une vie nouvelle commence ; nous allons nous connaĂźtre, nous allons
nous aimer, nous allons chercher ensemble et trouver la vérité sociale ;
elle est au concours...
La vérité sociale n'est pas formulée. Tu voudrais en vain l'arracher
de la poitrine des mandataires que tu as Ă©lus dans un jour de victoire.
Us la veulent à coup sûr, puisque tu as cru en eux, et tu ne te trompes
jamais dans tes grandes heures de libre inspiration.
Mais ils sont hommes, et leur science ne peut déroger à la loi de l'hu-
manité.
La loi de l'humanité est que la vérité ne se trouve pas dans l'isole-
ment et qu'il y faut le concours de tous.
L'isolement Ă©tait le rĂ©gime de sĂ©paration des intĂ©rĂȘts et des droits.
Ce régime tombe à jamais devant ce mot sacré de République !
La Seconde lettre au peuple (1), datĂ©e du 19 mars, diffĂšre dĂ©jĂ
beaucoup de la premiÚre comme ton général et quoiqu'elle se
termine aussi par l'exclamation « A toi, Î peuple, aujourd'hui
comme demain ! », cette assurance mĂȘme que « demain » encore
l'auteur ne renierait pas son entier dévouement, semble révéler
qu' « aujourd'hui » ce peuple n'était plus aussi maßtre de la posi-
tion qu'il l'Ă©tait hier. Dans le texte mĂȘme de la lettre l'auteur
(1) Les deux Lettres au peuple portent les sous-titres : Hier et Aujour-
d'hui â Aujourd'hui Demain et parurent en brochures avec indication
qu'elles se vendaient « au profit des ouvriers sans travail ».
GEORGE SAND 25
fait réellement des excuses au peuple d'avoir commis l'erreur de
trop avoir espéré en un subit amour pour lui de la part d'autres
classes et d'avoir cru au retour sincĂšre et complet de ses ennemis.
Eh bien ! quelques jours se sont Ă©coulĂ©s et mon rĂȘve n'est pas encore
réalisé. J'ai vu la méfiance et l'affreux scepticisme, funeste héritage
des mĆurs monarchiques, s'insinuer dans le cĆur des riches et y
Ă©touffer l'Ă©tincelle prĂȘte Ă se ranimer ; j'ai vu l'ambition et la fraude
prendre le masque de V adhésion, la peur s'emparer d'une foule d'ùmes
Ă©goĂŻstes, les amers ressentiments se produire par de lĂąches insinua-
tions ; ceux-ci cacher et paralyser leurs richesses, ceux-lĂ calomnier
les intentions du peuple, faute de pouvoir condamner ses actes ; j'ai
vu le mal enfin, moi qui n'avais vu que le bien, parce que j'avais tenu
mes regards attachés sur toi ; j'ai vu des choses que je ne pouvais
pas prévoir, parce que, aujourd'hui encore, je ne peux pas les com-
prendre...
Toute cette Lettre apparaßt comme une consolation adressée
au peuple encore obligé d'attendre et de patienter, elle n'est plus
l'hymne de fĂ©licitĂ© mĂȘlĂ©e d'une espĂšce de crainte sacrĂ©e qui
résonne dans la PremiÚre lettre.
Cette différence de ton des deux Lettres devient parfaite-
ment compréhensible, si l'on se rappelle que le 17 mars eut lieu
la démonstration réactionnaire de la garde nationale qui, il est
vrai, fut noyée dans une grandiose manifestation populaire,
mais qui montra néanmoins que non seulement il n'existait
aucune solidarité entre le peuple et la bourgeoisie, mais encore
qu'il s'accumulait sinon parmi les couches intellectuelles, du
moins parmi la classe moyenne dans le vrai sens du mot, des
sentiments d'animosité rentrée et de haine sourde, et qu'il ne
suffisait pas de prononcer « le mot sacré de République » pour que
toutes les classes se missent Ă s'aimer et que des intĂ©rĂȘts con-
traires et hostiles devinssent Ă©galement chers Ă tous.
Mais outre cette marche générale des événements, il y eut
encore des faits privés qui inaugurÚrent vers la mi-mars une
nouvelle phase dans les relations de George Sand avec la jeune
République. Les enchantements poétiques firent place à un
jugement plus clairvoyant de la politique courante d'autant
plus que George Sand prit désormais une part active dans
26 GEORGE SAND
la lutte pour la stabilité de cette République. Le fait est
qu'Ă la fin de la premiĂšre semaine de mars (1), George Sand alla
passer quelques jours en Berry, afin darranger ses affaires
pécuniaires ; les événements publics, ayant privé d'honoraires
la romanciÚre, exigeaient encore un travail littéraire gratis de
la part de l'Ă©crivain politique; puis pour installer Ă Nouant
Maurice nommé maire, certainement encore grùce aux rela-
tions de Mme Sand avec le gouvernement provisoire et quoi-
qu'il n'eût pas encore ses vingt-cinq ans révolus; enfin pour
revoir Augustine.
Mais surtout, avant de dĂ©cider ce qu'elle-mĂȘme aurait Ă
entreprendre en faveur de la RĂ©publique, elle voulait se rendre
compte de ce qui se faisait Ă la campagne. Elle voulait con-
sulter le baromĂštre politique de la province, qui, mĂȘme de loin,
ne lui paraissait pas ĂȘtre au beau fixe.
... La République est sauvée à Paris ; il s'agit de la sauver en pro-
vince, oĂč sa cause n'est pas gagnĂ©e, â Ă©crit-elle Ă Girerd la veille de
son départ à Paris.
... Je serai demain soir, 7 mars, Ă Nohant pour une huitaine de jours ;
aprĂšs quoi je reviendrai probablement ici pour m'y consacrer entiĂšre-
ment aux nouveaux devoirs que la situation nous crée.
Quelques jours plus tÎt, George Sand s'était procurée un
laissez-passer de la part du gouvernement provisoire, que nous
avons retrouvé dans ses papiers et qui est libellé ainsi :
o Veuillez laisser circuler librement et donner accĂšs auprĂšs de
tous les membres du gouvernement provisoire Ă la citoyenne
George Sand. »
Le 2 mars 1848.
Ledru-Rollin.
Le timbre apposé porte :
République française
Gouvernement provisoire.
(1) Elle écrit à Augustine Brault (lettre inédite du 5 mars) et à Girerd
(lettre imprimée du 6 mars) qu'elle sera à Nohant mardi, le 7.
GEORGE SAND 27
Mme Sand resta Ă Nohant du 7 au 20-21 mars et sa belle
assurance et son optimisme y furent singuliÚrement ébranlés.
Ce séjour à la campagne la persuada que la province en géné-
ral, et la ville de La ChĂątre ainsi que les bourgs de Nohant et
de Vie en particulier, étaient trÚs arriérés et d'une humeur fort
peu républicaine. Mme Sand ne s'effraya pas d'abord, elle crut
qu'il ne fallait que réchauffer, animer, révolutionner un brin
cette province, qu'agir par des mesures tant soit peu artifi-
cielles, alors elle se mettrait vite au niveau du magnifique
peuple de Paris et tout marcherait Ă souhait.
Avant mĂȘme d'avoir pris connaissance sur place de l'humeur
des provinciaux, George Sand avait, dĂšs les premiers jours de
la République, commencé à « agir ». Elle avait recommandé
au gouvernement provisoire des agents sûrs de la République
et fait un peu Ă©loigner les personnes suspectes ou qui ne
s'étaient ralliées qu'au dernier moment. C'est dans ce sens
qu'elle écrivait le 6 mars dans la lettre à Girerd déjà citée en
partie :
... Ce n'est pas moi qui ai fait faire ta nomination : mais c'est moi
qui l'ai confirmée ; car le ministre m'a rendue en quelque sorte respon-
sable de la conduite de mes amis, et il m'a donné plein pouvoir pour
les encourager, les stimuler et les rassurer contre toute intrigue de la
part de leurs ennemis, contre toute faiblesse de la part du gouver-
nement. Agis donc avec vigueur, mon cher frĂšre. Dans une situation
comme celle oĂč nous sommes, il ne faut pas seulement du dĂ©vouement
et de la loyauté, il faut du fanatisme au besoin. Il faut s'élever au-
dessus de soi-mĂȘme, abjurer toute faiblesse, briser ses propres affec-
tions si elles contrarient la marche d'un pouvoir Ă©lu par le peuple
et réellement, fonciÚrement révolutionnaire. Ne t'apitoie pas sur le
sort de Michel (1) : Michel est riche, il est ce qu'il a souhaité, ce qu'il
a choisi d'ĂȘtre. H nous a trahis, abandonnĂ©s, dans les mauvais jours.
A présent, son orgueil, son esprit de domination se réveillent. H faudra
qu'il donne à la République des gages certains de son dévouement
s'il veut qu'elle lui donne sa confiance. La députation est un honneur
qu'il peut briguer et que son talent lui assure peut-ĂȘtre. C'est lĂ qu'il
montrera ce qu'il est, ce qu'il pense aujourd'hui. Il le montrera Ă la
(1) Michel de Bourges. V. les chapitres x et xi du tome II de cet ouvrage.
2S GEORGE SAND
nation entiÚre. Les nations sont généreuses et pardonnent à ceux
qui reviennent de leurs erreurs.
Quant au devoir d'un gouvernement provisoire, il consiste Ă choisir
des hommes sûrs pour lancer l'élection dans une voie républicaine et
sincÚre. Que l'amitié fasse donc silence, et n'influence pas imprudem-
ment l'opinion en faveur d'un homme qui est assez fort pour se relever
lui-mĂȘme, si son cĆur est pur et sa volontĂ© droite.
Je ne saurais trop te recommander de ne pas hésiter à balayer tout
ce qui a l'esprit bourgeois. Plus tard, la nation, maĂźtresse de sa marche,
usera d'indulgence, si elle le juge Ă propos, et elle fera bien si elle prouve
sa force par la douceur. Mais, aujourd'hui, si elle songe Ă ses amis,
plus qu'à son devoir, elle est perdue, et les hommes employés par elle
à son début auront commis un parricide.
Tu vois, mon ami, que je ne saurais transiger avec la logique. Fais
comme moi. Si Michel et bien d'autres déserteurs que je connais
avaient besoin de ma vie, je la leur donnerais volontiers, mais ma
conscience, point. Michel a abandonné la démocratie, en haine de la
démagogie. Or il n'y a plus de démagogie. Le peuple a prouvé qu'il
Ă©tait plus beau, plus grand, plus pur que tous les riches et les savants
de ce monde. Le calomnier la veille pour le flatter le lendemain m'ins-
pire peu de confiance, et j'estimerais encore mieux Michel s'il pro-
testait aujourd'hui contre la République. Je dirais qu'il s'est trompé,
qu'il se trompe, mais qu'il est de bonne foi.
Peut-ĂȘtre croit-il, dĂ©sormais, travailler pour une RĂ©publique aris-
tocratique oĂč le droit des pauvres sera refoulĂ© et mĂ©connu. S'il agit
ainsi, il brisera l'alliance qui s'est cimentée d'une maniÚre sublime,
sur les barricades, entre le riche et le pauvre. H perdra la RĂ©publique
et la livrera aux intrigants ; et le peuple, qui sent sa force, ne les sup-
portera plus. Le peuple tombera dans des excĂšs condamnables si on
le trahit; la société sera livrée à une épouvantable anarchie, et ces
riches qui auront détruit le pacte sacré deviendront pauvres à leur
tour dans des convulsions sociales oĂč tout succombera.
Ils seront punis par oĂč ils auront pĂ©chĂ© ; mais il sera trop tard pour
se repentir. Michel ne connaĂźt pas et n'a jamais connu le peuple ;
que ne le voit-il aujourd'hui! H jugerait sa force et respecterait sa
vertu.
Courage, volonté, persévérance à toute épreuve...
Nous avons transcrit cette lettre presque en entier, quoiqu'elle
soit imprimée. Elle est trop significative. Elle renferme en germe
les éléments des cinq premiers articles politiques de George
Sand de cette année, et nous dévoile les causes qui la firent
GEORGE SAND 29
descendre en personne dans l'arĂšne politique. Bien plus, cer-
taines locutions et certains mots, par exemple sur les amis de la
veille d'une révolution et ceux du lendemain, devinrent des mots
courants et des mots transportés dans les circulaires ministé-
rielles, ils jouĂšrent un grand rĂŽle dans le flux et reflux du
mouvement social.
Le 9 mars, Mme Sand Ă©crit encore Ă Poney.
... D'un bout de la France Ă l'autre, il faut que chacun aide la RĂ©pu-
blique et la sauve de ses ennemis. Le dĂ©sir, le principe, le vĆu fervent
des membres du gouvernement provisoire est qu'on envoie Ă l'Assem-
blée nationale des hommes qui représentent le peuple et dont plu-
sieurs, le plus possible, sortent de son sein.
Ainsi, mon ami, vos amis doivent y songer et tourner les yeux sur
vous pour la députation. Je suis bien fùchée de ne pas connaßtre les
gens influents de notre opinion dans votre ville. Je les supplierais de
vous choisir et je vous commanderais, au nom de mon amitié mater-
nelle, d'accepter sans hésiter. Voyez : faites agir; il ne suffit pas de
laisser agir. Il n'est plus question de vanité ni d'ambition comme on
l'entendait naguĂšre. H faut que chacun fasse la manĆuvre du navire
et donne tout son temps, tout son cĆur, toute son intelligence, toute
sa vertu Ă la RĂ©publique...
Je repars pour Paris dans quelques jours probalement, pour faire
soit un journal, soit autre chose. Je choisirai le meilleur instrument
possible pour accompagner ma chanson. J'ai le cĆur plein et la tĂȘte en
feu.
... Je suis revenue ici aider mes amis, dans la mesure de mes forces,
à révolutionner le Berry, qui est bien engourdi. Maurice s'occupe de
révolutionner la commune. Chacun fait ce qu'il peut...
Borie sera probablement député pour la CorrÚze.
En attendant, il m'aidera Ă organiser mon journal...
Le 16 mars, elle Ă©crit encore au mĂȘme Poney (la lettre est
inédite) :
Nohant, 16 mars.
Je vous envoie une Lettre au peuple, qui a paru Ă Paris. Si vous
croyez qu'elle soit utile Ă Toulon, je vous autorise Ă la reproduire,
ainsi que tout ce que je vous enverrai. Cette brochure est trop longue
pour un journal. Vous pourriez la faire réimprimer sur papier commun
et la répandre. Les frais sont peu de chose ; vous trouveriez quelques
3o GEORGE SAND
amis du peuple qui les feraient. Reste Ă savoir si cette lettre, qui n'est
pas trop avancée pour la population intelligente et instruite des fau-
bourgs de Paris, ne serait pas inintelligible ailleurs. Vous verrez. J'en
ai fait une autre pour les paysans de la langue cToĂ», qui est sous presse.
Adieu, Ă©crivez-moi.
La premiĂšre des deux Lettres dont parle Mme Sand est la
PremiÚre lettre au peuple, datée du 7 mars, et parue à Paris dans
la huitaine suivante, comme on peut le conclure de ce que le
Bulletin de la République, n° 3, du 17 mars, la cite comme « pu-
bliée (1) ». Quant à la lettre, écrite en langue d'oil, c'est-à -dire
en berrichon, c'est VHistoire de France racontée au peuple et
Ă©crite sous la dictĂ©e de Biaise Bonnin, vrai chef-d'Ćuvre, par son
style populaire soutenu et par le rĂ©cit extrĂȘmement clair, et Ă
la portée de chacun, des faits historiques, exposés au point de
vue socialiste et républicain s'entend. Cette histoire est aussi
signée à la maniÚre des campagnards : Sur la paroisse de Nohant-
Vic, le quinziÚme du mois de mars de Vannée 1848. Elle parut
sous forme de brochure ce mĂȘme 15 mars, Ă La ChĂątre (2).
Une semaine plus tĂŽt, le 8 mars, parut, dans les colonnes du
Journal du Loiret, la Lettre à la classe moyenne, analysée plus
haut ; elle fut aussi immédiatement réimprimée en brochure,
et le 12 mars, parut Ă La ChĂątre, en brochure Ă©galement, la Lettre
aux riches,
Cette Lettre aux riches précise la position bravement prise
par George Sand, dĂšs les premiers jours de la seconde RĂ©pu-
blique, au milieu des partis politiques. Soutenir l'union entre les
(1) Voir la collection complĂšte des Bulletins de la RĂ©publique, p. 19. Il parut
en avril une seconde Ă©dition de cette Lettre au peuple, sernble-t-il, parce que,
dans la Bibliographie de la France, nous la trouvons enregistrée à la date
du 1er avril. De plus, les deux lettres furent réimprimées dans le journal de
George Sand, la Cause du peuple, comme on verra plus loin.
(2) Dans la Correspondance de George Sand (t. III, p. 14), il est dit que
le Biaise Bonnin promis par George Sand Ă son fils en guise de thĂšme pour
ses causeries futures avec les paysans de sa commune, c'était « la Lettre d'un
paysan de la Vallée Noire, écrite sous la dictée de Biaise Bonnin », erreur que
M. Monin répÚte aprÚs les éditeurs de la Correspondance. C'est de l'His-
toire de France Ă©crite sous la dictĂ©e de Biaise Bonnin, que Mme Sand parle Ă
son fils dans sa letre du 24 mars, tandis que la Lettre d'un paysan de la Vallée
Noire parut dĂšs 1843, et les Paroles de Biaise Bonnin, dont nous parlons plus
loin, ne furent écrites qu'à la fin d'avril de cette année 1848.
GEORGE SAND 31
intellectuels qui avaient applaudi à la révolution, et le peuple
qui l'avait faite; réconcilier et tranquilliser la bourgeoisie
alarmée ; chasser « le fantÎme rouge », objet permanent de sa
terreur â voilĂ les idĂ©es de cette lettre. Mais la profession
de foi de George Sand devait certes effrayer beaucoup de lec-
teurs de ses brochures et affermir cette réputation de commu-
niste dangereuse que Daniel Stem tĂącha de souligner dans son
Histoire de 1848, et que M. Monin trouve imméritée. La comtesse
d'Agoult ne prend George Sand Ă partie que par un sentiment
d'inimitié et de parti pris un peu trop féminin, lorsqu'elle la
rend responsable de tous les Ă©crits, circulaires et bulletins com-
munistes fatals Ă la RĂ©publique. Nous aurons mainte occasion,
au cours de notre narration, de signaler combien ces réquisitoires
de Daniel Stem, par rapport à des faits, sont hasardés et mal
fondés. Mais quant aux idées de George Sand, il est évident qu'en
1848 elles Ă©taient bien proches de celles des communistes et que
sur ce point-là Daniel Stern est plus prÚs de la vérité que
M. Monin, qui nie catégoriquement le communisme de Mme Sand.
La grande crainte, ou le grand prétexte de l'aristocratie, à l'heure
qu'il est, â c'est ainsi que George Sand commence sa Lettre aux riches,
â c'est l'idĂ©e communiste. S'il y avait moyen de rire dans un temps si
sérieux, cette frayeur aurait de quoi nous divertir. Sous ce mot de
communisme, on sous-entend le peuple, ses besoins, ses aspirations. Ne
confondons point : le peuple, c'est le peuple; le communisme, c'est
l'avenir calomnié et incompris du peuple.
La ruse est ici fort inutile ; c'est le peuple qui vous gĂȘne et voua
inquiÚte ; c'est la République dont vous craignez le développement ;
c'est le droit de tous que vous ne supportez pas sans malaise et sans
dépit...
... Vous voilà donc épouvantés d'un fantÎme créé par une panique
dont tout Français devrait rougir, car la France est vaillante, héroï-
que...
Ce fantĂŽme, que vous n'osez mĂȘme pas regarder en face, il vous
plaßt de l'appeler communisme. Vous voilà terrifiés par une idée, parce
qu'il existe des sectes qui croient à cette idée, parce que c'est une
croyance qui doit un jour se répandre et modifier peu à peu l'édifice
social. En supposant que son triomphe soit prochain, savez-vous que,
si vous lui montrez tant de couardise ou d'aversion, si vous mettez
vos mains devant vos yeux pour ne pas le voir, de mĂȘme que si, vous
32 GEORGE SAND
armant de résolution, vous provoquez contre lui des haines aveugles,
vous allez lui donner une importance, un ensemble, une lumiĂšre qu'il
ne se flatte pas encore de possĂ©der? Vous ĂȘtes toujours les hommes
d'hier, vous croyez toujours que c'est par la lutte hostile et amĂšre
que vous pouvez sauver votre opinion. Vous ĂȘtes dans une erreur
inconcevable. Vous ne voyez donc pas que l'égalité à laquelle vous
avez droit comme le peuple ne s'établira que par la liberté?
J'invoquerais aussi la fraternité, si je pouvais croire qu'il existùt
parmi vous un cĆur assez dessĂ©chĂ© pour que ce mot ne portĂąt pas
lui-mĂȘme toute sa dĂ©finition, la santĂ© de l'Ăąme.
J'augure mieux de vos sentiments, mais je crains pour vos idées,
je ne les trouve ni logiques ni rassurantes. Si vous ne les transformez
pas, elles amĂšneront l'anarchie ; non pas une anarchie sanglante : si
elle Ă©clatait sur quelques points, le peuple, tout le premier, ce peuple
généreux et ami de l'ordre, que vous ne connaissez pas encore, vous
sauverait des fureurs du peuple ; mais une anarchie morale qui para-
lysera les travaux de la nouvelle Constitution et, par conséquent,
la vie morale et matérielle de la France.
Vous avez vu cette vertu, cette grandeur du peuple ; et, comme il
vous est impossible de les mer, vous motivez votre rĂ©pugnance Ă
proclamer son droit, sur la crainte qu'il ne soit communiste. HĂ©las 1
non, le peuple n'est pas communiste, et cependant la France est appelée
Ă VĂȘtre avant un siĂšcle. Le communisme dans le peuple, c'est l'infini-
ment petite minorité ; or vous savez que, si les majorités ont la vérité
du présent, les minorités ont celles de l'avenir. C'est pourquoi il faut
témoigner aux minorités de l'estime, du respect et leur donner de la
liberté. Si on leur en refuse, elles deviennent hostiles, elles peuvent
devenir dangereuses, on est réduit à les contenir par la force, elles
subissent le martyre ou exercent des vengeances. Le martyre tue
moralement ceux qui l'infligent, comme la vengeance tue physique-
ment ceux qui la subissent. Laissez donc vivre en paix le communisme «
Mais il existe quelque part, dit-on, des communistes immédiats qui
veulent, par le fer et le feu, dĂ©truire la propriĂ©tĂ© et la famille. OĂč
sont-ils? Je n'en ai jamais vu un seul, moi qui suis communiste (1).
(1) C'est nous qui soulignons.Xous avons retrouvé dans les papiers de
George Sand une lettre d'Henri Martin écrite pour accuser réception de
cette brochure de George Sand, comme un peu ultérieurement U l'avait
déjà fait pour la Lettre à la classe moyenne. Henri Martin écrit donc, à la
date du 18 mars :
« Je reçois à l'instant votre second envoi : je vous avoue qu'il y a des
choses qui m'inquiĂštent quant Ă l'effet politique, des choses qui demande-
raient un grand dĂ©veloppement pour ĂȘtre comprises et qui surtout, dans
un Ă©crit si concis et si rapide, me semblent bien hasardeuses. Le temps me
manque pour en causer avec vous ; mais pourquoi prendre ainsi le mot
GEORGE SAND 33
H y en a donc bien peu, ou leurs théories sont bien inconciliables avec
celles de la majorité communiste. S'il existe une poignée de pauvres
fanatiques qui ne se rattachent ni au plan inachevé, et essentiellement
pacifique de Pierre Leroux, ni Ă l'utopie romanesque et non moins
pacifique de M. Cabet, n'existe-t-il pas aussi parmi vous des fana-
tiques de la richesse, des monarchistes exaltés qui auraient applaudi
à un massacre général du peuple le 24 février?...
Tranquillisez-vous donc! Le communisme ne nous menace point.
H vient de donner des preuves signalĂ©es de sa soumission lĂ©gale Ă
l'ordre établi, en proclamant son adhésion à la jeune République. Il
a beaucoup d'organes différents, car c'est à l'état d'aspiration qu'il a
le plus d'adeptes ; il en a jusque parmi les riches ; il en a chez toutes
les nations et à tous les étages de la science et de la hiérarchie sociale ;
il y en a qui ne sont point enrégimentés sous une banniÚre d'organisa-
tion, qui ne font partie d'aucune secte (1), parce qu'ils n'en trouvent pas
la formule satisfaisante, et qu'ils aiment mieux conserver dans leur
Ăąme un idĂ©al pur, que de l'exposer Ă des essais infructueux ; ceux-lĂ
aussi ont une foi inébranlable, et, s'ils avaient encore cent ans à vivre,
sous un Louis-Philippe, ils mourraient avec la mĂȘme conviction ;
car le communisme, c'est le vrai christianisme, et une religion de frater-
nité ne menace ni la bourse, ni la vie de personne.
Eh bien, de tous les organes de la foi communiste, pouvez-vous en
citer un seul qui ait protesté contre les lois qui régissent la propriété
légitime et la sainteté de la famille?
Qu'ont-ils donc fait pour vous épouvanter? Rien, en vérité, et vous
ĂȘtes troublĂ©s par un cauchemar !
Quant au peuple, vous le calomniez en disant qu'il penche vers le
communisme immédiat. Le peuple, plus sage et plus brave que vous,
ne s'alarmerait pas de quelques démonstrations coupables, il les répri-
merait, et, loin de perdre sa foi dans l'avenir, il tirerait de ces excĂšs
une patience plus belle et une justice plus ferme... »
Ces Lettres et brochures ne furent publiées que grùce au secours
actif que Charles Duvernet et Victor Borie prĂȘtĂšrent Ă George
Sand; le premier dirigeait le groupe républicain de la Chùtre,
et tous les deux Ă©taient alors des compagnons d'armes et les
qui effraie? Et ce mot d'ailleurs est-il, sera-t-il le mot de l'avenir? D n'em-
brasse qu'un cÎté du problÚme, l'unité, mais il laisse entiÚrement dans l'ou-
bli l'autre l'individualité, la liberté. Se dire communiste, c'est bien grave.
Je regrette b aucoup que vous ayez pris cette détermination 1 Quelle arme
aux adversaires !... »
(1) Ces encore nous qui soulignons.
34 GEORGE SAXD
aides politiques les plus actifs, les plus fervents de Mme Sand.
Us portÚrent immédiatement la peine encourue pour une opi-
nion aussi répréhensible au point de vue des bons bourgeois
provinciaux. A la Chùtre tous les réactionnaires et ceux qu'on
nommait les modérés, c'est-à -dire tous ceux qui étaient immo-
dérément horripilés par les événements, commencÚrent à remuer
et à agir : à préparer le terrain pour faire élire à l'Assemblée
nationale des députés désirables, c'est-à -dire les moins dange-
reux, et aussi à faire répandre des calomnies sur le compte des
progressistes et Ă exciter tout doucement la population contre
eux.
« ... Braver des criailleries n'est rien du tout, pas plus pour un homme,
je pense, que pour une femme », écrit Mme Sand le 14 mars, à la
Chùtre (1) à Charles Duvemet, auquel les réactionnaires promet-
taient de faire entendre un charivari, ainsi qu'à Victor Borie. « Mais
je trouve que, pour le moment, il n'y a rien Ă faire, parce que le
peuple est mis hors de cause Ă la ChĂątre, que le club devient une
question de personnes, et qu'on ne pourrait prendre le parti du
principe sans avoir L'air, d'agir pour des noms propres. Bonsoir, mon
ami, courage quand mĂȘme ! la BĂ©pubhque n'est pas perdue, parce
que la ChĂątre n'en veut pas !
Mme Sand concluait donc que ses amis ne devaient pas
prendre la dĂ©fense de Leur parti, ne pas se mĂȘler des tripotages
de cette aimable petite ville et la laisser faire.
Mais cette prétendue indifférence pour les petites intrigues
locales ne signifiait aucunement que George Sand avait con-
senti à voir marcher les choses au gré des conservateurs de la
ChĂątre ou de toute autre ville de la France. Bien au con-
traire ! Elle décida d'agir sur l'esprit des masses et des
Ă©lecteurs.
A cette fin elle se mit primo Ă faire, de toutes ses forces et le
plus réellement du monde, par Maurice, par Charles Poney et
par une foule d'autres adeptes, de la propagande des idées poli-
tiques et sociales les plus avancées et à préparer les élections,
(1) Cette lettre est datĂ©e de â Paris » dans la Correspondance. Mais le 14 mars
elle Ă©tait encore Ă Xohant ; c'est donc le 14 mars, NoJiant ou le 24 mars.
Paris, qu'il faut lire.
GEORGE SAN'D 35
en agissant en faveur des députés les plus radicaux... en éloi-
gnant les douteux. Puis, elle décida de mettre son travail lit-
téraire et son talent au service du mouvement politique, en
publiant et en Ă©ditant des brochures diverses et son propre jour-
nal exclusivement politique. Elle décida, de plus, de prendre une
part active aux faits et gestes du gouvernement provisoire ;
c'est donc en trois directions qu'elle se mit d'emblée à travailler.
Pour atteindre le premier but proposé, elle écrivit de Nohant,
en dehors des lettres Ă Poney et Ă d'autres amis, une lettre au
ministre de l'Instruction publique sur la nécessité d'envoyer en
province d'énergiques et sûrs agents qui secoureraient l'inerte et
obscure populace, contrecarreraient les éléments réactionnaires
et aideraient à faire élire des députés désirables.
... C'est moi qui ai eu cette idée d'envoyer des ouvriers faire de
la propagande dans les dĂ©partements, â inscrit George Sand sur une
feuille de son Journal Ă la date du 31 mars, en racontant une entre-
vue entre Ledru-Kollin et des ouvriers qu'elle lui avait présentés.
Gilland et Leneveux Ă la tĂȘte. â Je me suis d'abord adressĂ©e au
ministĂšre de l'Instruction publique, dans les attributions duquel serait
naturellement rentrée cette fonction d'instituteur des masses. Ma
lettre écrite de Nohant (1) a été communiquée au gouvernement pro-
visoire, qui l'acceptait d'abord. Mais Camot ne s'en est plus occupé.
Ni lui, ni J. Reynaud, ni Charton, ne connaissent les bons ouvriers de
Paris. AprÚs plusieurs jours de prédication de ma part, l'idée a enfin
pĂ©nĂ©trĂ© la « volumineuse » de ce bon Ledru-Rollin. Il s'est mis Ă l'Ćuvre
avec son entrain et son Ă©tourderie habituels ; il a cent mille francs Ă
consacrer Ă cette Ćuvre. Bien entamĂ©e, elle amĂšnera, j'en suis sĂ»re,
d'excellents résultats. Mais que de fautes il va faire ! et s'il envoie,
comme il est fort à craindre, d'aprÚs les premiers choix, de médiocres
sujets, des parleurs, des braillards, des hommes violents, manquant de
tact et d'intelligence, il donnera une trĂšs fĂącheuse opinion des ouvriers
de Paris et le mal sera plus grand qu'avant cette démarche. Il paraßt
sentir la vérité de cette observation ; mais, dans Faction, les bonnes
intentions souvent s'Ă©vanouissent !...
La veille de quitter Nohant, George Sand y organisa, le di-
manche 19 mars, une petite fĂȘte patriotique : celle de la procla-
(1) Mme Sand répÚte ainsi ce qu'elle dit, à propos de ces commissaires,
dans la lettre à son fils datée du 25 mars, écrite à sa rentrée à Paris.
36 GEORGE SAND
mation de la RĂ©publique Ă Nohant-Vie, et le lendemain de sa ren-
trée à Paris elle la décrivit dans une lettre pleine de verve au
Rédacteur de la Réforme, lettre non signée, parue dans ce
journal le 23 mars. En reproduisant dans son article la des-
cription de cette petite fĂȘte naĂŻve, mais fort ingĂ©nieusement
mise en scĂšne, M. Monin dit que la fĂȘte mĂȘme n'aurait pas eu
lieu le 19, comme on aurait pu le croire d'aprĂšs la date du
numéro de la Réforme, mais bien « dimanche le 12 mars »,
parce que George Sand l'aurait décrite le samedi 18 mars, « en
déjeunant chez Pinson». En avançant cela, M. Monin devait bien
involontairement se fier aux dates des lettres imprimées dans
le volume III de la Correspondance de George Sand : « Paris.
14 mars » en tĂȘte de la lettre Ă Duvernet, et « Paris, 18 mars » en
tĂȘte de celle Ă Maurice Sand. Mais ces dĂ©signations sont tout
aussi fausses que les dates mises au bas des Lettres au
Peuple : « Paris, 7 mars » et « Paris, 19 mars ». La lettre Ă
Duvernet, comme nous venons de le dire, fut Ă©crite de Nohant,
ainsi que la Seconde Lettre au Peuple, et la lettre Ă Maurice,
de Paris, mais aprÚs le 19 mars, comme on peut aisément
le von par la lettre inédite que voici, adressée à Mme Viardot :
Nohant, 17 mars 1848.
Ma fille chérie, dans quelques jours je vous serrerai dans mes bras.
Oui, je suis heureuse, malgré mes cruels embarras de finances qui
allaient finir et qui renaissent sous le coup de cette crise, malgré les
montagnes de difficultés misérables auxquelles on se heurte en pro-
vince, malgré les dangers que nous suscitent les poltrons. Si je ne re-
tournais Ă Paris, oĂč le contact de ce pauvre peuple si grand et si bon
m"Ă©lectrise et me ranime, je perdrais ici, non la foi, mais l'enthousiasme.
Ah ! nous serons rĂ©publicains quand mĂȘme, fallĂ»t-il y pĂ©rir de fatigue,
de misĂšre, ou dans un combat. C'est la pensĂ©e, le rĂȘve de toute ma vie
qui se réalise, et je savais bien qu'elle ferait tressaillir votre généreux
cĆur.
Mes chagrins personnels, qui étaient arrivés au dernier degré d'amer-
tume, sont comme oubliés ou suspendus...
Mais ne parlons pas de nous-mĂȘmes, chacun a son ver rongeur et
doit se laisser ronger sans y songer, car il va de grands devoirs qui
réclament tout notre temps, toutes nos forces, toute notre ùme. Vous
GEORGE SAND 37
allez bientĂŽt nous ramener, j'espĂšre, les consolations de l'art, remĂšde
divin et force bienfaisante. Vous me direz tout ce que vous allez faire,
car je compte sur vous pour faire dans l'art la révolution que le peuple
vient de faire dans la politique. A bientĂŽt donc, ma Paulita, je vous
chéris et vous embrasse mille fois.
Maurice est aux prises avec ses fonctions de maire délégué du gou-
vernement. La commune de Nohant ne lui offre qu'amitié et con-
fiance. Mais il faut que, dans son petit coin, il travaille Ă Ă©clairer l'es-
prit de 900 administrés et de 200 électeurs qui disent tous : Vive la
république, à bas l'impÎt! et qui ne veulent pas entendre à autre chose.
Dimanche nous faisons une cĂ©rĂ©monie champĂȘtre, garde nationale
en sabots, cornemuse en tĂȘte, et lundi ou mardi, je pars.
A vous, chĂšre fille, toujours, toujours. Maurice et Augustine baisent
vos belles mains et vous aiment avec vénération.
George.
Donc la fĂȘte eut effectivement lieu le dimanche 19 mars.
Lundi, le 20 mars, Mme Sand partit pour Paris, et mardi, le
21, elle Ă©crivit chez Pinson la lettre qui parut le surlendemain,
le 23 mars, dans la RĂ©forme, ainsi que la lettre Ă Maurice qui
est imprimée dans la Correspondance à la fausse date de 13 mars,
Nous allons citer des extraits de toutes ces lettres, ainsi que
la description de la FĂȘte. Quoique chacun puisse la lire dans
l'excellent article de M. Monin, nous devons quand mĂȘme la
réimprimer encore une fois ici, parce qu'elle contient des lignes
qu'il nous faut absolument noter et confronter avec d'autres
Ă©crits de George Sand ; nous tenons aussi Ă mettre au point
certaines allusions qu'elle contient.
« La commune de Nohant- Vie (Indre) a proclamé la République
dimanche dernier (19 mars) dans une cĂ©rĂ©monie champĂȘtre Ă la fois
simple et touchante. Les habitants de cette commune, tous agri-
culteurs, ont demandé au curé de leur chef-lieu paroissial un service
funĂšbre particulier dans leur petite Ă©glise, trop petite surtout ce jour-
là , pour contenir l'affluence des fidÚles. Ce temple rustique, à défaut
d'ornements somptueux, était paré de feuillages, de branches de
cyprĂšs, de mousse et de blanches primevĂšres. Le catafalque en l'hon-
neur des martyrs de la République était couronné d'une splendide
guirlande de pĂąles violettes, et les Ă©tendards tricolores qui l'ombra-
geaient avaient pour hampes des tiges de lauriers fraßchement coupées
et garnies de leurs feuilles. La garde nationale s'était organisée et
3S GEORGE SAN'D
rassemblée spontanément sur la simple invitation du nouveau maire,
M. Maurice Sand. DÚs le matin, tous ces braves gens étaient arrivés
du fond de leurs terres, montés sur leurs petits chevaux, enveloppés de
leurs manteaux bleus, le bout du fusil passant sur le flanc du cheval.
On eût dit d'une petite Vendée. Ces hommes ont le sang-froid et la
bravoure des partisans. Mais aujourd'hui il n'y a plus de partis con-
traires Ă la grande unitĂ© nationale ; une mĂȘme pensĂ©e rassemble tous
les habitants du sol ; et si l'accoutrement pittoresque de nos gens de
campagne rappelle les apprĂȘts mystĂ©rieux de la guerre civile, leur
physionomie enjouée, l'esprit de fraternité qui s'éveille à leur approche.
les cris de : Vive la RĂ©publique! qui les saluent sur leur passage, et le
concours de toutes les sympathies Ă un triomphe dont la France entiĂšre
veut ĂȘtre solidaire, annoncent qu'Ă la poĂ©sie des temps passĂ©s ils
savent joindre la vive notion du présent et de l'avenir. Soixante-dix
paysans, armés de fusils de chasse, se trouvÚrent ainsi réunis à deux
cents non armés, qui demandaient avec enthousiasme des armes à la
BĂ©publique (1). Les femmes et les enfants portant des banniĂšres, les
vieillards, les voisins des campagnes environnantes formĂšrent bientĂŽt
un nombreux cortÚge, qui assista religieusement à l'office et à la béné-
diction des drapeaux. La garde nationale armée s'était exercée seu-
lement une heure avant la messe, et pourtant elle y rendit les honneurs
militaires avec l'ensemble et la bonne tenue de soldats éprouvés. Elle
était commandée fraternellement par des officiers improvisés, jeune?
gens rĂ©cemment sortis du service et revĂȘtus de leurs uniformes des
différents corps. Un soldat de marine revenu de la Martinique, un
artilleur revenu d'Alger, un lancier qui avait parcouru la France, un
fantassin qui avait tenu garnison Ă Paris, de jeunes et de vieux mili-
taires, tels sont les éléments qui se retrouvent dans les campagnes
r-ous les nouvelles banniĂšres de la garde civique, et qui aiment ci confier
leurs drapeaux à de vieux héros de l' Empire ou de la République.
Le porte-drapeau de Xohant-Vic Ă©tait un grenadier de la vieille garde,
tout couvert de blessures, revĂȘtu de la grande tenue de l'Empire, et
fier de pouvoir raconter Ă ses jeunes et vaillants camarades les jours
de Leipzig et la glorieuse campagne de 1814.
Un objet d'art tiré du cabinet d'un amateur obligeant (2), jouait
son rÎle dans la rustique solennité. C'était une petite couleuvrine du
seiziÚme siÚcle, toute fleurdelisée, et qui n'en célébrait pas moins d'une
(1) Comme on le verra tout à l'heure par sa lettre inédite du 25 mars,
George Sand prit sur elle de faire des démarches pour faire distribuer des
armes aux campagnards de Xohant-Vic.
(2) M. Monin dit qua cet amateur fut le grand-pĂšre paternel de M. Alfred
Aulard, grand ami de George Sand et de sa famille et plus tard maire de
Xohant, Nous parlons de lui dans le chapitre ix
GEORGE SAND 39
voix bruyante et généreuse le triomphe du peuple. Montée sur son
petit affĂ»t, elle fut joyeusement traĂźnĂ©e par de beaux enfants en tĂȘte
du cortÚge. Le curé et le maire conduisirent ce cortÚge nombreux au
hameau de Vie, annexe de Nohant, oĂč le drapeau tricolore fut plantĂ©,
au bruit du canon et de la mousqueterie, au son du tambour et de la
cornemuse, instrument guerrier d'un nouveau genre en France, et
qui ne messied pas plus aux gardes civiques de nos campagnes qu'aux
bandes de montagnards Ă©cossais. Tout le monde Ă©tait dans l'ivresse.
Parmi les vivats patriotiques, il y en a un qui paraĂźtra bizarre, si on
le rapproche de ce qui venait de se passer Ă Paris. Le grenadier de la
vieille garde (1), faisant allusion à sa coiffure criblée de balles ennemies,
provoqua le cri de : Vivent les bonnets à poil! Et chacun de lui répondre
cordialement : Vivent les bonnets Ă poil de la vieille, garde! VoilĂ les
honneurs que nul ne refusera jamais Ă la vĂ©ritable bravoure. Quant Ă
la gloriole des oursons parisiens, nos bons paysans, qui ne savent
pas le fait, eussent eu grand'peine Ă le comprendre (2).
En se sĂ©parant, ces braves gens exprimĂšrent un vĆu qui mĂ©rite-
rait bien d'ĂȘtre encouragĂ© : « Pourquoi, disaient-ils, nous a-t-on laissĂ©
prendre le pli de regarder comme rivaux et presque comme ennemis
les habitants des communes environnantes? N'est-ce pas le moment
d'oublier toutes les fĂącheuses divisions d'amour-propre (3)? Vienne
(1) Ce vieux brave s'appelait Jacques Saulat et on peut voir par la fin
inédite de la lettre du 17 avril, imprimée dans la Correspondance, que George
Sand étendit sa protection sur lui aussi et s'empressa de le faire récompenser
par le gouvernement provisoire.
(2) Allusion aux événements du 17 mars à Paris : la manifestation des
â bonnets Ă poil » et la contre-manifestation du prolĂ©tariat.
(3) Il est trÚs intéressant de confronter ce passage avec les lettres inédites
de George Sand à son fils, datées du 2Î mars et du 20 avril, dans lesquelles
elle sermonne vertement le nouveau maire de Nouant- Vie de vouloir i scinder «
les deux communes. On lira dans le texte la premiĂšre de ces deux lettres.
Voici le passage de la seconde qui s'y rapporte :
« Tu as tort de t'obstiner à vouloir sci ider ta commune, nous ne l'obtien-
drions pas, et les raisons qu'on nous donnerait seraient justes. C'est que
l'association diminue de moitié les dépenses et qu'en outre, les bons citoyens
doivent tendre à détruire l'esprit de localité au lieu de l'augmenter. S'U y
a difficulté pour un maire à administrer deux communes, le zÚle doit aug-
menter et ne pas songer à faire disparaßtre la difficulté. Tu n'es pas dans les
bo7is principes à cet égard, tu te laisses impressionner par les préjugés et les
petites passions de tes administrés. Il faut te montrer ferme, juste et dévoué
à tous. Sois sûr que tu concilieras tout si tu t'en domies la peine, et si ton
cĆur vient un peu en aide Ă tes actes par de bonnes paroles. Je crois que tu
as bien fait d'ĂȘtre ferme pour ton conseil municipal. Il faut que Fleury ratifie
bien vite ce que tu as fait, et s'U y mettait de la négligence, il faudrait ne pas
t'endormir, enfourcher ta blanche ou la patache et aller chercher à la préfec-
ture la sanction de ta conduite, autrement tu trouverais chez les mécontents
une résistance fùcheuse. On est tranquille comme Baptiste ici, malgré la
40 GEORGE SAND
vite le soleil du printemps, et si la RĂ©publique veut nous donner des
fusils et le mot d'ordre, nous inviterons les autres communes Ă un grand
rendez-vous, dans quelque bel endroit, oĂč nous viendrons tous fra-
terniser avec elles sous les grands arbres. »
C'était une belle et bonne pensée. Oui, qu'on nous seconde, qu'on
rĂ©ponde Ă notre appel amical, disaient-ils, et, dans de belles fĂȘtes
champĂȘtres, nous sentirons grandir en nous le sentiment rĂ©publicain,
nous oublierons l'augmentation de l'impĂŽt qui, en ce moment, chagrine
un peu les pauvres, et nous nous aiderons les uns les autres Ă com-
prendre la nécessité des sacrifices patriotiques.
Cela est bien nécessaire, en effet. Les bourgeois, en général, décla-
ment piteusement devant les paysans, Ă propos de ces sacrifices. Au
heu de les encourager et de leur donner joyeusement le bon exemple, ils
travaillent, par leur tristesse et leurs murmures, Ă maintenir le rĂšgne de
l'Ă©goĂŻsme. Le peuple comprendrait pourtant les grandes choses, au fond
des campagnes comme sur le pavé brûlant des villes, si de bons citoyens
s'efforçaient de l'initier Ă la connaissance de ses vĂ©ritables intĂ©rĂȘts. »
Revenue à Paris et ayant passé la nuit dans une chambre
meublée, parce que le concierge de son fils était allé à son
club, Mme Sand alla déjeuner chez Pinson et c'est là qu'elle écrivit
et l'article pour la RĂ©forme et la lettre Ă son fils, oĂč elle lui disait
entre autres :
... J'irai ce soir loger chez toi (1), en attendant que je m'installe un
gnmd'peur de ces derniers jours. Les mesures un peu révolutionnaires que
vient de prendre le gouvernement provisoire vont te venir en aide. Il faudra
te hùter d'en donner la premiÚre nouvelle à tes administrés et leur faire com-
prendre que si on n'a pas eu plus tÎt ces heureuses améliorations, c'est qu'il
y a Ă Paris, comme Ă Nohant, des ĂtĂšve, des Biaud, des Blanchard, etc., qui
ne veulent pas qu'on adoucisse le sort du peuple et qui créent mille embarras
à la République. Accuse-moi réception des deux mille francs. Bonsoir, mm
enfant, attache-toi Ă montrer une sollicitude Ă©gale Ă tes deux communes et
en prouvant que tu n'as pas de préférences, tu auras la confiance à Vie
comme à Xohant. »
Dans la lettre du 21 avril imprimée dans la Correspondance, en peut lire
les lignes suivantes :
« Xe t'inquiÚte pas. Tu ne m'as pas dit quelles raisons tu avais eues pour
casser ton conseil, mais il aurait fallu commencer par lĂ . Quoi qu'il en soit,
je te réponds que tu n'auras pas le dessous, j'ai parlé de cela à Ledru-
Rollin, qui m'a dit que probablement tu n'avais pas agi par caprice, que
sans doute il y avait nĂ©cessitĂ©, et que tu devais ĂȘtre appuyĂ© et soutenu. Je
viens d'Ă©crire Ă Fleury un peu ferme lĂ -dessus ; ne te laisse pas Ă©mouvoir par
ks récriminations et les menaces...
On voit que Mme Sand menait Ă la baguette le maire de Xohant-Vic et
gouvernait fort Ă©nergiquement sa commune.
(1) Rue de Condé, 8.
GEORGE SAND 41
peu mieux, s'il y a lieu. Mais je ne veux pas encore louer pour un mois
avant de savoir si je pourrai faire quelque chose ici. Je vais aller voir
Pauline. Je viens de faire, en dĂ©jeunant, le rĂ©cit de la fĂȘte de Nohant
pour la Réforme. Borie en a fait un en déjeunant à Chùteauroux.
pour le journal de Fleury. Tu les recevras l'un et l'autre et tu feras
bien de les lire dimanche, Ă haute et intelligible voix, Ă tes gardes
nationaux. Ăa les flattera. Tu dĂ©velopperas ces articles par des con-
versations dans les groupes. Tu feras sentir la nécessité de l'impÎt
pour ce moment de crise. Tu diras que nous sommes trĂšs contents
d'en payer la plus grosse part et que ce n'est pas acheter trop cher
les bienfaits de l'avenir. VoilĂ ton thĂšme, que tu traduiras en berrichon...
Travaille Ă prĂȘcher, Ă rĂ©publicaniser nos bons paroissiens. Nous ne
manquons pas de vin cette année, tu peux fane rafraßchir ta garde
nationale armée, modérément, dans la cuisine, et, là , pendant une
heure, tu peux causer avec eux et les Ă©clairer beaucoup. Je t'enverrai
du Biaise Bonnin (1), qui te servira de thĂšme. Seulement, mets de l'ordre
maintenant dans ces réunions, et, s'il le faut, forme une espÚce de
club, d'oĂč seront exclus les flĂąneurs et les buveurs inutiles, les enfants
et les femmes, qui ne songent qu'Ă crier et Ă danser. Pour le moment,
c'est tout ce qu'on peut faire. »
Ayant ainsi mis en bon train (le croyant du moins) la pro-
pagande dans sa localité, par la voix de son fils, par celle des
commissaires envoyés de Paris et enfin par les brochures édi-
tées à la Chùtre et à Orléans, George Sand ne tarda pas, à Paris,
Ă agir sur un plus vaste auditoire : elle fonda son propre
journal hebdomadaire et promit définitivement son aide au
gouvernement provisoire pour la rédaction des Bulletins de la
RĂ©publique.
Ces Bulletins, le gouvernement décida de les faire afficher
périodiquement à Paris et dans les grandes villes ainsi que dans
les communes rurales, afin de « donner non seulement une aide
matérielle, mais mieux encore un aliment spirituel » à ces habi-
tants des campagnes et ouvriers des cités industrielles pour
lesquels commençait une vie nouvelle, « avec sa morale, ses
lois et ses obligations », auxquels n'arrivaient jusqu'à ce jour
« ni enseignement, ni conseils, ni sympathies, ni leçons et pour
lesquels la presse mĂȘme... Ă©tait muette » ; Ă prĂ©sent le gourer*
(1) V. plus haut la note Ă la p. 30.
42 GEORGE SAND
nenient voulait entrer en relations directes avec ce peuple, parce
que « le plus solide lien entre un gouvernement et le peuple était
un perpétuel échange d'idées et de sentiments », car si « la royauté
qui dédaignait le peuple n'avait pas besoin de lui parler, la Ré-
publique... doit lui parler sans cesse pour l'Ă©clairer, car l'Ă©clairer
c'est le rendre meilleur et le rendre meilleur, c'est le rendre
plus heureux (1)... »
Dans deux Bulletins dĂ©jĂ , rĂ©digĂ©s par Ledru-Rollin lui-mĂȘme
et par Jules Favre, sous-secrĂ©taire d'Ătat, avaient paru des
extraits des écrits de George Sand : dans le numéro 3, une page
de sa PremiÚre Lettre au peuple, et dans le numéro 4, un passage
de sa Lettre aux riches. Mais le 15 mars, lorsque Mme Sand Ă©tait
encore à Nohant, il fut décidé en un conseil du gouvernement
provisoire de mettre ordre dans la publication des Bulletins,
et à cette fin « le ministre de l'Intérieur fut autorisé à s'entendre
avec Mme George Sand pour fournil- des articles au Bulletin de
la République (2) ». « H fut encore décidé qu'à partir du numéro 3,
le Bulletin ne paraßtrait désormais que sur le bon à tirer d'un
des membres du gouvernement provisoire » et on établit une
liste des douze signataires responsables dans l'ordre suivant :
Crémieux, Garnier-PagÚs, Lamartine, Marie, Louis Blanc, Arago,
Albert, Jules Favre, Flocon, Ledru-Rollin, Bethmont, Carnot ;
il ne fut toutefois pas stipulĂ© que le mĂȘme roulement repren-
drait avec le numéro 14 et ce point, on le verra, a quelque
importance » (3). Jules Favre affirma plus tard que ce fut par
l'entremise d'Etienne Arago que le gouvernement provisoire
invita George Sand à prendre part à la rédaction du Bulletin.
D'autres prĂ©tendirent que Mme Sand avait elle-mĂȘme offert ses
services. Nous avons tout lieu de croire que ce fut, comme en
1844, au nom du comitĂ© de la RĂ©forme, se trouvant Ă prĂ©sent Ă
(1) Expressions du Bulletin n° 1.
(2) Cette phrase empruntĂ©e au rapport de la commission d'enquĂȘte sur
l'affaire du 15 mai (t. II, p. 30), fait, comme on le sait, par Jules Favr \ est
citée par Daniel Stern (Histoire de la Révolution de 1848, t. II, p. 292) et
par M. Monin.
(3) M. Monin, George Sand et la révolution de 1848. (La Révolution fran-
çaise, 14 décembre 1899, p. 544-545.)
GEORGE SAND 43
la tĂȘte du gouvernement, au nom de Ledru-Rollin et du sien
propre que Louis Blanc s'adressa Ă Mme Sand (avec laquelle
il avait beaucoup correspondu, en l'hiver de 1847-48).
Mais M. Monin remarque en toute justesse que quel que fût
l'intermédiaire entre George Sand et le gouvernement provi-
soire, l'important est que ce fut « tout le gouvernement provi-
soire, modérés, radicaux et socialistes, qui a officiellement
accepté sa collaboration».
Or, la calomnie ne manqua pas de trouver lĂ encore sa pĂąture ;
Jules Eavre prétendit, plus tard, que George Sand fut payée
par le gouvernement provisoire. Et lorsque dans les cercles
réactionnaires se propagÚrent sciemment des fables sur le
luxe effréné, « les repas de Lucullus » et le train magnifique
des membres du gouvernement provisoire, ces fables s'Ă©ten-
dirent Ă George Sand : beaucoup crurent que se trouvant au
faĂźte du pouvoir, elle puisait Ă pleines mains l'or et les hon-
neurs, et que sa vie à Paris ne fut qu'une série ininterrompue
de triomphes. Son cousin René de Villeneuve le crut aussi, et
elle l'en dissuada par les lignes suivantes, empreintes d'une
souriante bonhomie :
Ces récits sont romans d'un bout à l'autre. Mes triomphes à Paris
ont consisté à vivre dans une mansarde de cent écus par an, à dßner
pour trente sous, Ă payer mes dettes et Ă travailler gratis pour
la RĂ©publique. VoilĂ les honneurs, les profits et les grandeurs que
j'ai brigués jusqu'à ce jour. Aimez-moi, je le mérite toujours et je vous
aime toujours... (1).
Elle Ă©crit encore Ă Poney sur le mĂȘme sujet :
Pour mon compte, je vous assure que, physiquement mĂȘme, je ne
m'aperçois pas que la pauvreté soit un malheur. H est vrai que ma
pauvreté est relative et que ce n'est pas la misÚre. Mais enfin, j'ai
changé un appartement de trois mille francs pour un appartement de
trois cents, et la mĂȘme diminution s'est opĂ©rĂ©e dans tous les dĂ©tails
de mon existence matérielle. Or, je ne comprends pas que cela soit
(1) La correspondance inédite de George Sand avec René de Villeneuve
et sa famille, comprenant 89 lettres, existe ; quelques lettres seulemeut ont
paru dans le Figaro, 16 janvier 1881.
44 GEORGE SAND
une souffrance, et je pense maintenant que le luxe est un besoin de
la vanité plus qu'un appétit véritable de la mollesse...
Les amis de George Sand ne purent toutefois pas accepter
aussi bénignement ces calomnies et lorsque Jules Favre crut
possible de proclamer hautement dans son rapport Ă la Commis-
sion cV EnquĂȘte que Mme Sand avait reçu de l'argent du gou-
vernement provisoire et des ministres, l'un des membres de ce
gouvernement, un Vieil ami de Mme Sand, Etienne Arago,
en fut indigné et crut devoir réfuter sérieusement ce mensonge.
Xous avons retrouvé dans les papiers de George Sand deux
lettres de ce vieux républicain accompagnées de deux versions
d'une réfutation adressée par lui à la rédaction du Corsaire. Il
nous semble suffisant d'en donner une seule.
Cabinet du directeur général des postes.
1848, Paris.
Ma chĂšre amie,
Cette lettre vous va-t-elle? J'allais l'envoyer à la rédaction du Cor-
saire, lorsque Gouin m'a apporté le petit mot qu'il vous adresse en
réponse à une demande que vous lui avez faite. Si ma lettre vous va,
dites-le-moi, et le Corsaire l'insérera de gré ou de force :
« Monsieur le rédacteur, dans un de vos numéros du mois dernier,
vous demandiez à connaßtre la somme que Mme Sand aurait reçue
du gouvernement provisoire pour la rédaction de ses bulletins. C'est
Ă moi peut-ĂȘtre qu'il appartient de rĂ©pondre Ă cette question puisque
dans une de ses insinuations inexactes M. Jules Favre a prétendu
devant messieurs de l'enquĂȘte que c'Ă©tait moi qui avais conseil!'.- Ă
M. Ledru-RolHn d'employer la plume de Mme Sand. Je puis donc vous
dire, monsieur le rédacteur, que je mets au défi le plus grand fureteur
de trouver dans les comptes du gouvernement provisoire et du minis-
tÚre de l'intérieur autre chose que la preuve du désintéressement com-
plet de l'illustre écrivain si injustement soupçonné. Agréez, etc..
Etienne Arago.
Cela vous va-t-il? Si oui, la lettre part, si non, je la déchire. Ecrivez-
moi donc bien vite. J'ai vu ces jours passés MM. Planet et Fleury,
nous avons parlé de vous : c'était toujours cela ; mais quand nous rever-
rons-nous? On m'a parlé d'une charmante préface que vous écrivez
GEORGE SAND 45
en tĂȘte d'un nouveau chef-d'Ćuvre, cette prĂ©face aurait pour titre
Comme quoi je suis revenue Ă mes moutons (1). Heureuse au moins, vous
qui ne les tondez pas, de vivre avec ces douces bĂȘtes. Nous autres, nous
vivons au milieu des loups de l'état de siÚge. Qui l'eût dit?
J'ai reçu bien des nouvelles d'Emmanuel, à qui j'avais écrit en lui
envoyant les articles de son ami Vevey. Le bel indiffĂ©rent consent Ă
se dĂ©fendre contre une pĂ©tition qui va ĂȘtre lue Ă la tribune et qui arrive
de Lyon (2). C'est son pĂšre sans doute qui lira la justification. L'accu-
sation tombera, puisqu'on accuse le proconsul d'avoir mis dans sa
poche cinq cent nulle francs. L'ambassadeur pourrait faire bonne mine
à Berlin avec cette somme, mais il se contente de dépenser du talent (3).
Bastide m'a dit hier que ses dĂ©pĂȘches Ă©taient excellentes.
Ăcrivez-moi, vous qui n'ĂȘtes pas occupĂ©e comme je le suis.
Mille amitiés profondes.
Etienne Arago.
Le contenu de ces deux lettres non seulement réfute brillam-
ment les calomnies répandues par Jules Favre et par d'au-
tres pĂȘcheurs en eau trouble, sur le prĂ©tendu argent reçu par
Mme Sand, mais nous laisse conclure que la célÚbre femme
paraĂźt avoir voulu sacrifier quelques mille francs pour cette
Ă©dition des Bulletins et nous montre encore combien M. Mo-
nin avait raison de dire : « Elle ne demanda ni ne reçut d'argent
pour sa peine : elle devait ĂȘtre abondamment payĂ©e en outrages. »
Nous avons anticipé sur les faits et devons revenir au
moment oĂč George Sand ne faisait que commencer Ă aider le
gouvernement provisoire de sa plume et s'apprĂȘtait gaie-
ment à agir dans les trois directions désignées, qui toutes devaient
aboutir à un seul but : la gloire et la durée de la République.
Elle écrit à son fils le 23 mars : (La lettre est datée du 24 dans
la Correspondance.)
Me voilĂ dĂ©jĂ occupĂ©e comme un homme d'Ătat. J'ai fait deux cir-
culaires gouvernementales aujourd'hui, une pour le ministĂšre de l'Ins-
(1) Ces mots se rapportent, il est évident, à la préface de la Petite Fadette,
qui avait commencé à paraßtre le 1er décembre 1848 dans le Crédit. V.
notre vol. III, p. 638.
(2) A ce moment de réaction croissante, il y eut des déclarations et
des poursuites contre tous les acteurs des premiers mois de la RĂ©publique,
entre autres contre Emmanuel Arago, envoyé en mars à Lyon, en qualité
de commissaire du gouvernement provisoire.
(3) Emmanuel Arago Ă©tait alors ambassadeur Ă Berlin.
46 GEORGE SAND
truction publique et une pour le ministÚre de lïntérieur. Ce qui m'amuse
c'est que tout cela s'adresse aux maires, et que tu vas recevoir par la
voie officielle les instructions de ta mĂšre.
Ah ! ah ! monsieur le maire, vous allez marcher droit, et pour com-
mencer, vous lirez chaque dimanche un des Bulletins de la RĂ©publique
à votre garde nationale réunie. Quand vous l'aurez lu, vous l'expli-
querez, et, quand ce sera fait, vous afficherez ledit Bulletin Ă la porte
de l'Ă©glise. Les facteurs ont l'ordre de faire leur rapport contre ceux
des maires qui y manqueront. 2se néglige pas tout cela, et, en lisant
ces Bulletins avec attention, tes devoirs de maire et de citoyen te
seront clairement tracĂ©s. Il faudra faire de mĂȘme pour les circulaires
du ministre de l'Instruction publique. Je ne sais auquel entendre.
On m'appelle Ă droite, Ă gauche. Je ne demande pas mieux.
Pendant ce temps, on imprime mes deux Lettres au peuple. Je vais
faire une revue avec Viardot, un prologue pour Lockroy. J'ai persuadé
Ă Ledru-Rollin de demander une Marseillaise Ă Pauline. Au reste,
Rachel chante la vraie Marseillaise tous les soirs aux Français d'une
maniĂšre admirable, Ă ce qu'on dit J'irai l'entendre demain.
Mon éditeur commence à me payer. Il s'est déjà exécuté de trois
mille francs et promet le reste pour la semaine prochaine ; nous nous
en tirerons donc, j'espĂšre. Tu entends bien que je n'ai pas dĂ» demander
un sou au gouvernement. Seulement, si je me trouvais dans la débine,
je demanderais un prĂȘt, et je ne serais pas exposĂ©e Ă une catastrophe.
Tu entends bien aussi que ma rédaction dans les actes officiels du gou-
vernement ne doit pas ĂȘtre criĂ©e sur les toits. Je ne signe pas. Tu dois
avoir reçu les six premiers numéros du Bulletin de la République,
le septiĂšme sera de moi. Je te garderai la collection : ainsi affiche le
tiens, et ficJie-toi de les voir détruits par la pluie.
Tu verras dans la RĂ©forme d'aujourd'hui (1) mon compte rendu
de la fĂȘte de Gobant- Vie et ton nom figurera au milieu. Tout va aussi
bien ici que ça va mal chez nous. J'ai prévenu Ledru-Rollin de ce qui
se passait à la Chùtre. H va y envoyer un représentant spécial. Garde
ça pour toi encore. J'ai fait connaissance avec Jean Reynaud, avec
Barbes, avec M. Boudin, prétendant à la dépuration de l'Indre;
celui-ci m'a paru un républicain assez crùne, et il est en effet ami
intime de Ledru-Rollin. Il nous faudra peut-ĂȘtre l'appuyer. Je crois
que les élections seront retardées. fl ne faut pas le dire et il ne faut pas
négliger l'instruction de tes administrés. Tu as ton bout de devoir
h remplir, chacun doit s'y mettre, mĂȘme Lambert, qui doit prĂȘcher
la RĂ©publique sur tous les tons aux habitants de Ponant.
(1) Le compte rendu de la fĂȘte du 19 mars parut dans la RĂ©forme, comme
nous l'avons dit, le 23 mars, ce qui prouve que la lettre est bif-n du 23 mars.
GEORGE SAND 47
Je suis toujours dans ta cambuse, et j'y resterai peut-ĂȘtre. C'est
une Ă©conomie, et le gouvernement provisoire vient m'y trouver tout
de mĂȘme.
Le gouvernement et le peuple s'attendent à de mauvais députés,
et ils sont d'accord pour les ficher par les fenĂȘtres. Tu viendras, nous
irons, et nous rirons. On est aussi crĂąne ici qu'on est lĂąche chez non?.
On joue le tout pour le tout ; mais la partie est belle...
(Nous omettons les lignes qui suivent et qui se rapportent Ă
Borie, surnommé « le Potu » ; natif du Limousin, il était un objet
constant de moqueries de la part de Mme Sand et de son fils
sur son accent limougis et son flegme d'Auvergnat.)
... Ne manque pas de dire Ă ta garde nationale qu'il n'est question
que d'elle Ă Paris. Ăa la flattera un peu...
La fin de cette lettre, imprimée dans la Correspondance, y
est arbitrairement ajoutée et appartient en réalité à la lettre
inédite du 25 mars. Quant à celle du 23 mars, nous l'avons citée
presque en entier, quoiqu'elle soit publiée dans la Correspon-
dance, pour- la raison qu'on y voit se suivre et s'entrelacer,
presque sans aucune transition, toute une série de nuances
d'humeurs, de faits et d'idĂ©es d'ordres trĂšs divers et tous extrĂȘ-
mement importants pour le biographe. D"abord, le ton de la
lettre est gai, alerte, moqueur, on y sent la confiance dans sa
cause et dans le triomphe de la RĂ©publique. Puis, nous y
voyons narrée la part la plus directe que prenait l'auteur aux
agissements du gouvernement, aussi bien que ses propres pro-
jets littéraires et autres. On y voit encore échapper à la plume
de l'amie de Ledru-Rollin des indications fort intéressantes con-
cernant messieurs les républicains : ils devaient à Paris ainsi
qu'en province avoir recours Ă de petites ruses ; taire cela,
chauffer artificiellement ceci, et en particulier on voit comment
George Sand conseillait Ă son fils de recourir mĂȘme Ă de petits
trucs aussi peu... sages que d'assurer sa garde nationale, « qu'il
n'était question que d'elle à Paris. » Et enfin nous y voyons
annoncer la décision prise dÚs lors, probablement pendant l'une
de ces séances privées du gouvernement provisoire dans la
« cambuse » de la rue de Condé, d'ajourner les élections, dont
4S GEORGE SAND
les radicaux et les républicains « purs » appréhendaient les
résultats ; or, cet ajournement fut, comme on le sait, une erreur
fatale et fit grand tort Ă la deuxiĂšme RĂ©publique. Comme suite
à cette premiÚre décision, il en surgit une seconde : dans le
cas de l'insuccÚs de ces élections ajournées, déclarer nulle l'As-
semblée nationale pouvant se trouver réactionnaire ou modérée,
la dissoudre et obtenir par force une majorité désirable. C'est
une chose qu'il faut noter, surtout en vue des accusations ulté-
rieures portées contre George Sand d'avoir pris part à la cons-
piration, accusations qui se trouvent ainsi avoir sinon une
raison réelle, au moins une raison morale, puisque nous voyons
Mme Sand, déjà vers la fin de mars, applaudir à ce qu'on « fiche
par la fenĂȘtre les mauvais dĂ©putĂ©s ». Le fameux Bulletin n° 16,
n'est qu'une conséquence directe de ce fait moral.
Et voici maintenant la lettre inédite, du 25 mars, mentionnée
plus haut :
Mon enfant,
J'ai reçu tes lettres. Le temps me manque pour t'écrire longuement
et souvent comme je le voudrais. J'ai fait une circulaire pour l'Instruc-
tion publique. Elle n'a pas encore paru, ils n'en finissent pas. Ce mi-
nistÚre est le palais du sommeil. Tai fait le. numéro 1 et S du « Bulletin
de la République ». Ceux-là marchent bien. J'ai demandé grùce pour
le numéro 9 (1), parce que le temps me manque.
J'ai fait un prologue pour l'ouverture gratis du Théùtre français
(vieux style : lisez Théùtre de la République), au populaire de Paris
et de la banlieue. Ce sera une représentation superbe. Le gouver-
nement provisoire y sera, Rachel, Samson, Ligier, Beauvallet,
Mlle Brohan jouent mon prologue, et les comparses mĂȘme y seront
reprĂ©sentĂ©s par de premiers sujets. H y aura des chĆurs, Pauline
fait une Marseillaise nouvelle, dont Dupont a fait les paroles : c'est
moi qui mĂšne tout cela. Pauline chantera sa composition en tĂȘte des
chĆurs du Conservatoire. Rachel chantera la vraie Marseillaise qu'elle
chante tous les soirs avec une voix de bois (sans calembour), mais avec
un accent, un geste, une tĂȘte vraiment admirables.
Si tu veux venir passer trois jours pour voir cela et le Salon, tu vien-
(1) C'est nous qui soulignons, et nous prions le lecteur de noter ces indi-
cations des numĂ©ros des Bulletins, elles nous seront de toute utilitĂ© tout Ă
l'heure.
GEORGE SAND 49
dra?. Je t'Ă©crirai le jour de la piĂšce, et m'assurerai d'abord si tu pourras
entrer par le théùtre, car, ce jour-là , il n'y aura point d'entrées de fa-
veur, comme tu penses. Dupuy m'a payé. Je t'envoie cinq cents francs.
J*ai vu hier M. Marc Dufraisse, qui part pour l'Indre ce matin
comme commissaire général. H va aider Fleury à se débarrasser d'un
faux commissaire nommé Vaillant qui révolutionne Chùteauroux tout
de travers. Il y a beaucoup de ces gens-lĂ qui courent Paris et les
départements, et qui sont des échappés du bagne; si tu en vois, il
faut leur demander la preuve de leur mandat et les faire arrĂȘter s'ils
font du mal. Quant Ă M. Marc Dufraisse, il est excellent, il ira te voir.
Je lui ai dit que la maison et toi Ă©taient Ă sa disposition. Tu l'ins-
truiras de tout ce que tu sais de la ville et de la campagne, tu le mettras
en rapport avec Touchet et les bous de la ChĂątre. Vois Touche t d'avance
pour l'en prévenir. Dis à Touchet cependant de ne pas le voir trop
ni d'une maniÚre trop évidente pour ne pas faire naßtre l'idée d'uns
prévention exclusive de la part de ce commissaire pour notre opinion.
H va remuer la ChĂątre, contenir les veaux de Delaveau (1), casser
tout ce qui ne marchera pas. Fais-lui casser ton conseil municipal,
si celui-ci ne veut pas te seconder franchement. Ce M. Dufraisse est
un homme grave, fin, Ă©nergique et doux de formes. Tu en seras content.
De plus, je vais envoyer Gilland et un de ses amis nommé Lambert, qui
est comme lui excellent (2). Ceux-lĂ auront aussi une mission pour
révolutionner et catéchiser les paysans et les ouvriers. Reçois-les,
aide-les, mets-les en rapport avec le curé, Touchet, etc..
Cette lettre, ainsi que la page du Journal intime de Mme Sand,
citée plus haut, prouve combien était injuste la boutade de
Ledru-Rollin qui disait ironiquement plus tard que « Mme Sand
avait fait l'importante auprÚs du berceau menacé de la jeune Répu-
blique ». H est évident que brouillé ou refroidi à l'égard de son
ex-amie, Ledru-Rollin oublia trop vite que Mme Sand n'avait
pas fait l'importante, mais qu'elle avait effectivement joué un
rĂŽle important sous son propre ministĂšre et pris une part active
aux mesures qui en Ă©manĂšrent. Dans cette mĂȘme lettre, Mme Sand
signale Ă son fils la direction qu'il doit faire suivre aux affaires
(1) Charles Delaveau Ă©tait alors maire de la ChĂątre et le chef du parti
des modérés réactionnaires. BientÎt il prit ouvertement parti contre George
Sand. La lettre que Mme Sand lui adressa Ă cette occasion est trĂšs curieuse
sous tous les rapports. On peut la lire dans le tome III de la Correspon-
dance.
(2) C'est nous qui soulignons.
5Ă» GEORGE SAKD
<;!.:⹠sa localité : dïneuïquer lïdée de la solidarité de toutes les
communes, si importante pour faire prospérer la souveraineté
du peuple et si facile Ă compromettre par les jalousies de clo-
cher. Elle y revient souvent encore, tant dans ses lettres Ă son
fils que dans ses Ă©crits politiques. Cette fois, elle lui Ă©crit Ă ce
propos :
Je n'approuve pas ton idée de séparer Vie de Notant Cette rivalité
est à détruire et non à encourager. Ces petites communes isolées ne
pourront rien, elles ne pourront pas l'une sans l'autre faire les dé-
penses nécessaires à leur bonne gestion : c'est comme un ménage qui
dépense double en se divisant eu deux individus. Etant maire à Gobant,
tu reprends la part d'autorité que NÎhant avait perdue, c'est à toi
de maintenir l'égalité des pouvoirs des deux communes en prenant
tes conseillers Ă©galement dans l'une et dans l'autre, et en tenant ferme,
sans préférence et sans faiblesse.
Je ferai l'impossible pour vos fusils. C'est bien difficile, Snbervie
n'étant plus là (1), j'agirai par Ledru-Roilin, qui est tout à nous»
e'est-Ă -dire tout au peuple.
Embrasse Titine pour moi, impossible de lui Ă©crire, mais dis-lui
qu'elle m'Ă©crive de temps en temps et que je l'embrasse, et que je
pense Ă elle. Dis-lui tout ce que je fais, sans lui parler des commissaires
et missionnaires que je fais envoyer. Cela est pour toi seul... Borie t'a
acheté pour quarante sous quatre bretelles de fusil. Il ne part pas
encore, les Ă©lections Ă©tant retardĂ©es. Ma Revue est toute prĂȘte,
seulement, je n'ai pas encore le temps de la commencer. VoilĂ
tout, je crois. Je t'embrasse mille fois, prends courage, nous allons
ferme !...
Jusqu'à cette ligne, toute la lettre est inédite, la fin est impri-
mée clans la Correspondance, en qualité de fin de la lettre du
23 mars et se rapporte aux dangers encourus par Emmanuel
Arago Ă Lyon. Elle se termine par des paroles toujours enthou-
siastes encore :
Nous l'aurons, va, la République ! en dépit de tout. Le peuple est
debout et diablement beau, ici !
(1) Le général Subervi*1 avait été nommé ministre de la Guerre le 24 février,
mais bientĂŽt la commission de la DĂ©fense se mit Ă agir Ă son insu, on se mit
à l'accuser d'inertie et de lenteur, et bien vite on nomma à sa place le général
EugĂšne Cavai&nac.
GEORGE SAND 51
Tous les projets dont Mine Sand parle dans cette lettre,
elle les réalisa effectivement.
En se basant sur une lettre de Mme Sand Ă Girerd, dans
laquelle elle dit qu'entre le 22 mars et le 15 avril, elle avait Ă©crit
en outre du Bulletin n° 16 encore cinq ou six bulletins,
M. Mania croit qu' « examinés ou non, amendés ou non, par le
ministre ou par son secrétaire, à la plume de George Sand,
appartiennent les nos 7, 9, 10, 12, 15 et 16 et qu'il faut Ă©li-
miner, en tout, du n° 7 au n° 16 inclusivement, trois ou quatre
bulletins... Le n° 8, trÚs mal écrit et rempli de fautes typogra-
phiques (on connaĂźt Ă cet Ă©gard la scrupuleuse minutie de
George Sand) ; le n° 11, extrĂȘmement court, sur la suppression
des droits d'exercice ; le n° 13, circulaire administrative, adressée
aux commissaires ; et le n° 14, qui reproduit un article de polé-
mique financiÚre de la Réforme... » Mais nous avons vu par la
lettre de Mme Sand Ă son fils que c'est elle, justement, qui Ă©crivit
le n° 8 ; que pour le n° 9 elle avait par contre « demandé grùce ».
D'autre part, quoique le n° 13, daté du 8 avril, soit une circu-
laire du gouvernement provisoire adressée aux commissaires et
leur enjoignant à travailler l'élection de vrais républicains et
de contrecarrer celle des adeptes du régime déchu, ou des
tiĂšdes, nous y voyons beaucoup de passages qui ne sont que
des variations tant soit peu développées des lignes de George
Sand, adressées à Girerd sur Michel de Bourges, sur les amis de
la veille de la RĂ©publique et ceux du lendemain. Quant Ă son
contenu, ce bulletin se rattache Ă©troitement aux Bulletins n M 8
et 10 et présente, avec ce dernier, comme le programme abrégé
des quatre articles de George Sand, intitulés Socialisme et
imprimés dans sa Cause du Peuple* En ce qui regarde le n° 12
(sur la défense de la femme et la cessation du trafic des malheu-
reuses filles du peuple), que, grĂące Ă son thĂšme mĂȘme, Fauteur
de la Préface à la collection des Bulletins de la République (1),
(1) La collection originale des vingt-cinq Bulletins de la Ré-publique pré-
sente an rassemblement d'affiches et de placards de formats et de caractĂšres
divers, imprimés dans quatre typographies différentes. Dans la seconde
moitié de 1848, un « haut fonctionnaire en activité » réimprima les Bulletins
52 GEORGE SAND
ainsi que M. Monin attribuent Ă Mme Sand, il nous semble par
contre qu'il n'est pas entiĂšrement dĂ» Ă sa plume, que des
locutions, des tours de phrase et leur rythme mĂȘme, ne nous
produisent pas l'effet d'ĂȘtre sortis des « griffes » â ex ungue â
de George Sand. En tout cas, ce Bulletin ne doit pas avoir
été écrit par elle seule.
Nous croyons donc que Mme Sand Ă©crivit les ncs 7, 8,
10, 12 (?), 13, 15, 16, et certains passages des n0*3 19 et
20 (?).
Dans sa premiÚre lettre à son fils, à sa rentrée à Paris, Mme Sand
conseillait Ă Maurice, comme nous venons de le voir, de faire
comprendre aux paysans « la nécessité d'un nouvel impÎt »,
et le premier Bulletin écrit par elle (le n° 7), a également pour
but de justifier aux yeux du peuple le malencontreux impĂŽt
de 45 centimes dĂ©crĂ©tĂ© par ce mĂȘme gouvernement provisoire qui
venait si imprudemment de déclarer, dans son Bulletin n° 2,
qu'il considérait comme l'un de ses premiers devoirs de « réduire
les impÎts, ou du moins de les répartir avec plus d'équité »,
George Sand tente d'expliquer au peuple que cette nouvelle
charge est causĂ©e par le dĂ©sordre financier oĂč se trouvait la
France aprÚs dix-huit années d'absence de contrÎle sous le ré-
gime précédent. Mais le nouveau régime ne donne pas seulement
de nouveaux droits, il impose encore de nouveaux devoirs. L'au-
teur du Bulletin parle donc aux habitants des campagnes presque
en un minuscule in-8° recouvert de papier jaune, et les fit précéder d'une
Préface. Nous avons eu la chance d'acquérir ce curieux et rarissime petit
livre dont le titre exact est : Bulletins de la République émanés du ministÚre de
V Intérieur du 13 mars au 6 mai 1848. Collection complÚte avec une Préface,
par un haut fonctionnaire en activité. Prix : 3 francs 50 centimes. Paris. Au
bureau central, 6, rue de Bussy. 1848.
M. Monin, qui doit avoir aussi eu en mains ce livret, dit avec raison que,
malgré le mot de « complÚte », cette collection ne l'est point, mais que la
Préface en est curieuse. Remarquons de notre cÎté que le « haut fonction-
naire » avait indubitablement profité d'une part des indications faites par
la comtesse d'Agoult, trĂšs au courant de l'histoire intime et de tous les faits
et gestes du gouvernement provisoire ; d'autre part, il avait dû posséder
des données assez précises sur les actes de George Sand, en général, et en par-
ticulier sur la part qu'elle eut dans l'envoi des commissaires et dans les ins-
tructions qu'ils reçurent de « républicaniser, agiter et démocratiser la pro-
vince ».
GEORGE SAND 5i
dans les mĂȘmes termes qu'employait Fra Angelo dans le Pic-
cinino, pour caractériser le régime bourgeois :
... Habitants des campagnes, connaissez vos vĂ©ritables intĂ©rĂȘts, et
repoussez les fatales suggestions de l'Ă©goĂŻsme et de la peur. Habituez-
vous à comprendre la vérité sociale. La vérité sociale est que lorsque
chacun pense exclusivement Ă son propre intĂ©rĂȘt, sans tenir compte
de celui de tous, il marche Ă sa ruine. Le gouvernement qui vient de
s'Ă©crouler sans retour prĂȘchait la doctrine du chacun pour soi. Vous
avez vu oĂč il nous a conduits, et les maux dont vous sourirez aujour-
d'hui sont encore son ouvrage...
Quant au Bulletin n° 8, c'est en mĂȘme temps un exposĂ©
un peu Ă©tendu d'une phrase de la Lettre Ă la classe moyenne, et
une périphrase de Y Histoire de France écrite sous la dictée de
Biaise Bonnin.
« Pour que les élections satisfassent le peuple, il est de toute
nécessité que le peuple soit personnellement représenté... par
deux citoyens au moins par département, choisis dans le sein
mĂȘme du peuple : un ouvrier des villes et un paysan r> â avait
dit George Sand dans sa Lettre Ă la classe moyenne.
Et Biaise Bonnin, ce prétendu auteur de la Lettre en langue
d'oil (autrement dite Histoire de France racontée au peuple),
dit fort spirituellement que lorsqu'il avait lu « sur les jour-
naux que le monde de Paris avaient tous fait la paix, les riches
comme les malheureux... » et qu'on avait aussi « mis sur les
journaux que le seul moyen de s'accorder c'Ă©tait de se mettre
en République, ça l'avait fait se souvenir
... du temps que j'Ă©tais jeune et quasiment un enfant tout au
juste en Ă©tat de mener mes bĂȘtes aux champs. Et dans ce temps-lĂ ,
on se disait aussi citoyens, et on jurait la RĂ©publique. Mais ils s'en
sont fatigués, à cause que les riches trompaient toujours les pauvres,
ce qui Ă©tait une chose injuste ; et Ă cause aussi que les pauvres
avaient fait mourir ou ensauver beaucoup de riches pour en tirer une
vengeance, ce qui n'Ă©tait pas juste non plus. Alors on s'est mis en
guerre avec les Autrichiens, Prussiens, Russiens et autres mondes
étrangers, et la République a fini connue une nuée d'orage qui s'est
tout égouttée...
Mais, â dit plus loin Biaise Bonnin, â on s'est imaginĂ© quĂŻl fallait
un homme tout seul au gouvernement et on en a pris un qui n'Ă©tait
54 GEORGE SAND
pas sot : l'empereur Napoléon. Il a bien fait tout ce qu'il a pu... mais
l'empereur NapolĂ©on, en se mettant la grande couronne sur la tĂȘte,
avait perdu la moitié de son esprit. A ce qu'il paraßt que la couronne
de roi dérange l'esprit de tous ceux qui la mettent, et que, quand un
homme se trouve le maĂźtre de tous les autres, quand mĂȘme ça serait
l'homme le plus sage de toute la chrétienté, il faut qu'il perde sa raison
et sa justice. Ăa ne fait pas plaisir au bon Dieu de voir des millions
d'hommes baptisés se soumettre à un homme, comme s'il était le bon
Dieu lui-mĂȘme. Cette coutume-lĂ retire un peu des paĂŻens, qui ont
commencé à servir leurs rois et à se mettre esclaves pour leur faire
plaisir. On a continué la chose aprÚs avoir renvoyé les païens, sans
faire attention que Notre-Seigneur JĂ©sus-Christ avait dit aux hommes
qu'ils Ă©taient tous frĂšres et qu'ils avaient devoir de ne plus ĂȘtre esclaves.
Biaise Bonnin raconte aprÚs cela comment Napoléon, ainsi que
les Bourbons revenus en France qui lui ont succédé, tombÚrent
parce qu'ils avaient manqué à cette loi divine et qu'ils ne pro-
tégeaient que les nobles et le clergé, tandis que le peuple était
opprimé ; comment Louis-Philippe, « caponné auprÚs des bour-
geois pour faire accroire qu'il était brave homme », n'eut pas
meilleur sort, parce que, « comme ce roi-là aimait grandement
son profit... les bourgeois s'en sont dégoûtés aussi et ont laissé
le peuple le mettre à la ports sans un sou vaillant... »
A prĂ©sent, â dit Biaise Bonnin â il n'y a ni rois, ni empereurs,
ni Ă©trangers, ni nobles, ni prĂȘtres, ni bourgeois, qui soient capables
d'enlever au peuple la RĂ©publique... Les rois sont tous partis ou
prĂȘts Ă partir. Dans les pays Ă©trangers, les autres rois et les autres
empereurs ont bien du mal Ă rester maĂźtres chez eux, et ils n'osent
pas se mettre en guerre avec nous, parce que leurs peuples veulent
aussi la RĂ©publique, et qu'ils ont peur que leurs soldats ne refusent
de marcher contre les Français...
AprÚs cet aperçu historique, Biaise Bonnin se met en devoir
d'instruire ses bons voisins sur le compte des bourgeois ç[ui con-
tinuent Ă craindre le peuple et la RĂ©publique, sur ceux qui font
mine de l'avoir acceptée et enfin sur ceux qui lui sont sincÚre-
ment dévoués ; quant aux gens du peuple, dit-il :
... Nous ne sommes pas si bĂȘtes qu'on nous croit et, dans peu de
temps, nous connaĂźtrons mieux que les bourgeois ce que c'est que la
RĂ©publique...
GEORGE SAND 55
Le peuple saura aussi ce qu'il a Ă attendre de la RĂ©publique.
Qu'un peu de temps passe, il saura se rendre compte des affaires,
mûrira un peu et choisira sagement ses élus, ceux de sa
localité, comme ceux qui iront voter pour lui à l'Assemblée natio-
nale ; dans peu d'amiées, lorsque le peuple saura lire, ce ne sera
plus si difficile que ça, mais à présent, dit Biaise, « nous serions
bien pris si, croyant envoyer à l'Assemblée des amis du peuple,
nous envoyions des ennemis qui aideraient Ă faire des lois contre
nous ».
... Or, cela arriverait infailliblement, si chaque commune ne choi-
sissait que des gens de sa localité, diviserait ainsi les voix et n'agirait
pas d'accord avec les autres communes, ou si eUe se fiait Ă des bour-
geois qui, par de vaines paroles, sauraient accaparer les voix Ă leur
profit ou Ă celui de leurs amis et puis ne dĂ©fendraient pas les intĂ©rĂȘts
du peuple. Je ne vois qu'un moyen pour empĂȘcher ça, c'est que nous
exigions d'abord qu'on donne Ă des gens comme nous, Ă des ouvriers
des villes et Ă des gens de campagne une partie des voix...
L'ami Biaise trouve de toute justice que les bourgeois jouissent
Ă©galement de ce droit.
... Mais, conclut-il, nous examinerons la conduite de ceux qu'on
nous proposera. Nous n'Ă©couterons pas leurs belles paroles, et nous
nous défierons surtout de ceux qui n'étaient pas de la République la
semaine passée, et qui seront pour elle la semai/ne qui vient. Nous savons
bien que la jappe ne leur manque pas et qu'il y en a qui font contre
fortune bon cĆur. Mais nous consulterons leur comportement dans
le passé et nous saurons bien s'ils étaient durs pour nous ou s'ils assis-
taient dans nos peines, s'ils ont eu peur de nous au premier mot de
République qui a sonné, ou s'ils ont confiance en nous ; nous verrons
bien s'ils nous insultent en disant tout bas que nous ne sommes pas
capables de nous gouverner, ou s'ils nous ont toujours eu en estime,
en disant, de tout temps, qu'on devait nous donner la liberté et l'égalité.
Nous verrons tout cela, braves gens, et nous sommes assez fins pour
nous méfier des cafards.
... Ce sera Ă nous de nous souvenir comment ces gens-lĂ nous ont
traitĂ©s avant la RĂ©volution. Ăa ne sera pas si vieux, nous n'aurons pas
eu le temps de l'oublier...
Le dernier paragraphe, comme on peut le voir, parle en toute
clartĂ© et mĂȘme presque dans les mĂȘmes termes que la lettre
56 GEORGE S AND
Ă Girerd, des hommes de la veille et de ceux du leMemain.
Or, tout cela, seulement en changeant les locutions popu-
laires contre des expressions convenant aux articles politiques,
l'auteur le redit dans le 8e Bulletin qui peut se diviser en deux
parties (1). Dans la premiÚre, le ministre de l'Intérieur, au
nom duquel se publiaient les Bulletins de la RĂ©publique,
notifiait aux « citoyens » que le gouvernement et le peuple
devaient se communiquer réciproquement leurs intentions, leurs
aspirations et leurs espérances, le gouvernement voudrait
entendre la voix du peuple, c'est pour cela qu'il s'adresse Ă lui.
... Ouvriers des villes et des manufactures, généreux enfants de la
République, c'est vous qui formez la majorité des électeurs dans les
vastes et nombreux foyers de l'industrie. Il importe que vous vous
rendiez compte de vos souffrances, de vos droits et de vos justes pré-
tentions. Faites-les connaĂźtre, parlez Ă vos candidats, parlez Ă la France
ce langage éloquent et simple de la vérité que la France n'a jamait
entendu encore d'une maniĂšre officielle. Le temps de la plainte est
passé ; celui de la vengeance ne viendra plus jamais, parce que celui
du droit rĂšgne dĂšs aujourd'hui...
Quand vous aurez dit ce que vous avez souffert, ce que vous ne devez
plus souffrir, votre tĂąche ne sera pas encore remplie. H faudra veiller
Ă ce que tout ce qui est possible soit fait, veiller Ă ce que rien de possible
ne soit omis, veiller à ce que rien d'impossible ne soit exigé...
... H importe que la classe la plus nombreuse et la plus utile, celle
des travailleurs, révÚle ses souffrances, il importe, pour qu'elle les
révÚle avec fruit, qu'elle les révÚle avec noblesse, avec fermeté, avec
la volonté solennelle de donner au monde un grand exemple de la
dignité humaine, reprenant la place qui lui était due. H faut que le
peuple ait la majestĂ© qu'on croyait jadis ĂȘtre l'apanage des roi? ; la
violence était celui des tyrans. Le peuple a prouvé que l'heure de son
rÚgne avait enfin sonné ; car le peuple est calme, patient et ferme.
Le peuple n'est pas un souverain absolu, Ă la maniĂšre des rois ; c'est
la vérité qui seule est absolue. Les rois sont tombés pour n'avoir pas
compris que Dieu Ă©tait au-dessus d'eux. Le peuple ne tombera pas,
parce qu'il puise sa force dans la loi divine (2).
(1) M. Monin observe que dans les Bulletins, ce n'est que la premiĂšre
partie imprimée généralement en plus gros caractÚres qui est due à la plume
de George Sand L'observation est exacte. Mais quant au Bulletin n° 8, il
nous paraĂźt certain que Mme Sand en a Ă©crit les deux parties.
(2) On voit que l'auteur du Bulletin ;.° 8 est d'accord avec Biaise Bonnin.
GEORGE SAND 57
Travailleurs, venez dire ce que vous avez souffert... La société vous
doit désormais de sonder vos plaies et d'y porter remÚde... La société,
vous allez y porter la main. Travailleurs, c'est un Ă©difice que vous allez
construire pour la postérité. Ne souffrez pas qu'il soit bùti pour quel-
ques-uns seulement, tandis que l'humanité resterait à la porte, nue,
affamée, avilie, désespérée...
Dans la seconde partie de ce Bulletin, l'auteur met tout d'abord
les citoyens en garde contre des « hommes qui ne craignent pas
de répéter que la République va couvrir la France d'échafauds,
porter atteinte à la propriété, provoquer des guerres achar-
nées ».
Biaise Bonnin se souvenait de la chute de la monarchie de
Louis XVI et de la proclamation de la premiĂšre RĂ©publique,
dont il avait été témoin dans sa jeunesse, puis des guerres « avec
les Autrichiens, Prussiens et autres mondes étrangers », provo-
quées par les émigrés, il dit qu'à présent ce danger-là n'existe
plus. Et l'auteur du Bulletin n° 8 demande à ses lecteurs s'il
doit leur rappeler ces évévements, « dont quelques-uns de
vous ont été les acteurs et les témoins », et dont « vos anciens
peuvent encore raconter les héroïques phases »; puis il passe
à l'exposé des faits historiques et de la position internatio-
nale présente, en suivant exactement le contexte de Biaise
Bonnin :
... La résistance obstinée des castes privilégiées a seule fait couler
les larmes et le sang de la France. Propriétaires exclusifs du sol, exempts
de l'impÎt, accaparant toutes les faveurs, la noblesse et le clergé vou-
laient conserver un monarque absolu pour abriter derriĂšre son des-
potisme leur unique domination. Quand, éclairée par ses écrivains,
la nation revendiqua l'égalité pour tous les citoyens, ces deux puis-
santes corporations prĂ©tendirent arrĂȘter son essor. Elles compro-
mirent la royauté en l'associant à leurs intrigues et à leurs aspirations...
L'émigration commença. Plus attachés à leurs titres qu'à leur pays,
les nobles et les prĂȘtres coururent en foule Ă l'Ă©tranger, sollicitant l'in-
tervention des rois voisins et s'offrant eux-mĂȘmes Ă dĂ©chirer de leurs
mains impies le sein de la patrie menacée...
Jadis effectivement, tout le Nord marcha contre la France ;
mais cette derniĂšre remporta la victoire quand mĂȘme. A prĂ©-
5S GEORGE SAND
sent, il n'y a plus Ă craindre aucun danger, ni au dedans, ni au
dehors.
Jetez donc les yeux sur l'Europe ; partout oĂč vous voyez un trĂŽne,
vous entendez le bruit des combats. Attendez un peu, ce sera le chant
de la victoire populaire. L'Ă©toile des tyrans pĂąlit...
Les rois seuls pouvaient ĂȘtre vos ennemis ; les peuples sont nos amis
et nos frÚres. Encore un peu, fuyant la justice de Dieu et la légitime
colĂšre des nations, ceux qui s'appelaient les maĂźtres du monde iront
finir leur vie dans l'oubli et saintement unies par des relations paci-
fiques, toutes les grandes familles de l'Europe abjureront leurs riva-
lités et leurs haines ; la guerre, ce redoutable fléau, aura fini avec les
monarchies.
Si nous ne sommes menacés ni au dedans ni au dehors, nous n'au-
rons donc point à traverser cette Úre de calamités qui a marqué
l'établissement de la premiÚre république...
Toutefois, â dit l'auteur du Bulletin, et il revient encore une
fois à la charge, en parlant de ce qui avait déjà servi de thÚme
Ă ses deux Lettres au peuple et ses lettres privĂ©es Ă Poney et Ă
Girerd,
Toutefois, il est une faute qui pourrait nous perdre ; ce serait la
division. Si, au heu de se rallier sans arriÚre-pensée à la République,
quelques-uns d'entre nous choisissaient, pour les représenter, des
hommes douteux, l'anarchie et la guerre civile pourraient sortir des
déchirements de l'Assemblée nationale. Cette Assemblée ne peut
nous prĂ©server de ce malheur qu'Ă la condition d'ĂȘtre composĂ©e
d'éléments tout à fait républicains. Eepoussez donc les tiÚdes, les
indiffĂ©rents, les fauteurs d'intrigue ; choisissez les cĆurs honnĂȘtes et
ardents, ceux qui aiment vraiment le peuple, ceux qui n'ont jamais
pactisé avec les mensonges et la corruption du pouvoir déchu.
C'est avec intention que nous nous sommes si longuement
arrĂȘtĂ©s sur ce 8e Bulletin, afin de prouver par le texte mĂȘme et
par les arguments employés que les deux parties de ce Bulletin
sont bien, comme le disait George Sand, dans sa lettre Ă son fils,
Ă©crites par elle-mĂȘme.
Le Bulletin n° 13, répÚte et développe les idées émises dans
le n° 8 et celles que nous avons vues dans les lettres à Girerd
et Ă Poney. C'est une circulaire adressĂ©e aux commissaires, Ă
ces mĂȘmes commissaires que Mme Sand avait conseillĂ© au gou-
GEORGE SAND 59
v ornement d'envoyer ; Ă la veille des Ă©lections, le gouvernement
de la RĂ©publique, qui personnifie la victoire du peuple, se croit
obligé de donner encore une fois des indications précises à ses
commissaires. Les voici : Ils ne doivent nullement ĂȘtre de
passifs spectateurs des Ă©lections qui approchent; sans tomber
clans les fautes du rĂ©gime prĂ©cĂ©dent et sans avoir recours Ă
ses procédés indignes, le gouvernement de la République doit
prendre ses mesures pour que les élections, dont dépend tout
l'avenir du pays, soient favorables Ă la RĂ©publique et pour que
la population choisisse de dignes représentants.
... SincÚrement républicaines, elles lui ouvrent une Úre brillante de
progrĂšs et de paix ; rĂ©actionnaires ou mĂȘme douteuses, elles le con-
damnent à de terribles déchirements. Votre constant effort a donc été,
doit ĂȘtre encore, d'envoyer Ă l'AssemblĂ©e nationale des hommes hon-
nĂȘtes, courageux et dĂ©vouĂ©s jusqu'Ă la mort Ă la cause du peuple...
Pénétrez-vous de cette vérité que nous marchons vers l'anarchie,
si les portes de l'Assemblée sont ouvertes à des hommes d'une
moralité et d'un républicanisme équivoques.
Ceux qui ont accepté l'ancienne dynastie et ses trahisons, ceux qui
limitaient leurs espérances à d'insignifiantes réformes électorales,
ceux qui prétendaient venger les mùnes des héros de Février en cour-
bant le front glorieux de la France sous la main d'un enfant, ceux-lĂ
peuvent-ils ĂȘtre Ă©lus du peuple victorieux et souverain, les instruments
de la RĂ©volution?
Ne regarderaient-ils pas eux-mĂȘmes comme un dĂ©fi Ă la rĂ©volution
que des hommes qui ont attaqué, calomnié la révolution, devinssent
aujourd'hui les organisateurs de la constitution républicaine?
Eh bien, puisque le choc impétueux des événements leur a subite-
ment dessillé les yeux, soit ! Qu'ils entrent dans nos rangs, mais qu'ils
n'aspirent ni Ă nous commander ni Ă nous conduire. Qu'ils marchent
Ă l'ombre du drapeau du peuple, mais qu'ils ne songent pas Ă le porter.
A la moindre secousse, leur ùme se troublerait et, revenant malgré eux
aux engagements de leur vie entiÚre, ils affaibliraient la représenta-
tion nationale de toutes les incertitudes, de toutes les transactions
familiÚres aux opinions chancelantes et aux dévouements d'apparat.
Que le peuple s'en défie donc et les repousse ; mieux vaudrait
des adversaires déclarés que ces amis douteux.
Citoyen commissaire, ce qui fait la grandeur du mandat de repré-
sentant, c'est qu'il investit celui qui en est revĂȘtu du pouvoir souverain
d'interprĂ©ter et de traduire l'intĂ©rĂȘt et la volontĂ© de tous.
60 GEORGE SAN D
Or, celui-lĂ seul eu usera dignement, qui ne reculera devant aucune
de; conséquences du triple dogme de la liberté, de l'égalité, de la fra-
ternité.
La liberté, c'est l'exercice de toutes les facultés que nous tenons de
la nature, gouvernées par notre raison.
L'égalité, c'est la participation de tous les citoyens aux avantages
sociaux, sans autre distinction que celle de la vertu ou du talent.
La fraternité, c'est la loi d'amour unissant les hommes et de tous
faisant les membres d'une mĂȘme famille.
De là découlent : l'abolition de tout privilÚge, la répartition de
l'impĂŽt en raison de la fortune, un droit proportiomiel et progressif
sur les successions, une magistrature librement Ă©lue et le plus com-
plet développement de l'institution du jury, le service militaire pesant
Ă©galement sur tous, une Ă©ducation gratuite et Ă©gale pour tous, l'ins-
trument du travail assuré à tous, la reconstitution démocratique de
l'industrie et du crédit, l'association volontaire partout substituée
aux impulsions désordonnées de légoßsme...
Il suffit de lire ces deux Bulletins, nos 8 et 13, aprĂšs les lettres
de George Sand Ă son fils, Ă Girerd Ă Poney et entre les Lettres
au Peuple et Y Histoire de France, pour se dire : « C'est la mĂȘme
plume qui les a écrits ».
Mais cette impression devient une conviction inébranlable si,
immédiatement aprÚs ces deux Bulletins, on lit le Bulletin n° 10
et les quatre articles intitulés Socialisme, mentionnés plus haut.
Ces articles parurent dans le journal hebdomadaire de George
Sand, qui portait un nom trÚs caractéristique pour sa couleur
politique : la Cause du Peuple.
« De nouveaux rapports vont s'établir entre ce qu'on a appelé
jusqu'ici les gouvernants et les gouvernés. Il importe que les
droits et les devoirs soient définis d'une maniÚre nette et loyale... . »
lisons-nous dans le Bulletin n° 10.
»
« ^sen seulement le droit public existe, mais encore le droit divin.
Dieu veille sur les destins de l'humanitĂ© ; il a confĂ©rĂ© le droit divin Ă
tout homme venant dans le monde ; mais aucun homme ne doit et ne
peut exercer isolément le droit divin. La royauté est une idolùtrie.
Le droit divin est dans l'humanité collective, il est dans la société qui
consaere les droits et qui trace les devoirs de tous.
Mais l'humanité est soumise à la loi du progrÚs et les sociétés, qui
ne tiennent pas compte de cette loi, ne représentent pas le droit divin.
GEORGE SAND 61
Le jour oĂč elles restent en arriĂšre du progrĂšs, leur droit n'existe plus ;
elles le sentent parce qu'elles ne peuvent plus fonctionner. Elles se
brisent d'elles-mĂȘmes pour se reconstituer.
C'est alors qu'il faut les reconstruire et, dans ce moment de travail
et d'attente oĂč la sociĂ©tĂ© se reforme sur de nouvelles bases, oĂč est le
droit divin, oĂč est le principe de lĂ©gitimitĂ©, oĂč est l'autoritĂ© souve-
raine?... Cherchez tant que vous voudrez, inventez tout ce qui vous
plaira, vous ne le trouverez pas ailleurs que dans le peuple...
L'auteur du 10e Bulletin ajoute qu'il ne faut point craindre
les erreurs possibles.
... Une fois que la vérité existe et qu'existe le progrÚs, il est clair
que la vĂ©ritĂ© doit ĂȘtre de plus en plus avec les hommes, avec le plus
grand nombre des hommes et qu'elle doit donner au principe de majo-
rité une sanction absolue dans l'avenir...
H est fort probable que, tant que ce jour bienheureux n'est pas
arrivĂ©, le libre vote de tous les citoyens va vous donner peut-ĂȘtre
une représentation nationale qui protégera, à la majorité des voix,
les intĂ©rĂȘts exclusifs de la majoritĂ© des citoyens.
... Nul n'a pouvoir de retirer le droit, pour chĂątier le mauvais
usage du droit ; autant vaudrait dire à l'enfant : « Tu as trop mangé,
tu as choisi une mauvaise nourri ture et tu ne mangeras plus. »
... Le peuple sera toujours la majoritĂ© et le temps oĂč la majoritĂ©
était condamnée à se tromper d'une maniÚre durable est passé sans
retour. Si la majorité s'égare, elle n'en est pas moins le souverain
lĂ©gitime des temps oĂč nous vivons, puisqu'elle est irrĂ©sistiblement
emportĂ©e par la loi du progrĂšs dans la voie oĂč l'appelle la vĂ©ritĂ©...
... Il vient d'ĂȘtre versĂ©, en France et dans toute l'Europe, des flots
de sang pour le salut de la plus nombreuse portion du genre humain,
il ne faut pas que ce sang généreux ait été répandu pour le triomphe
d'une minorité.
Les trois uniques numéros de la Cause du Peuple, parus les
9, 16 et 23 avril, furent presque entiĂšrement Ă©crits par George
Sand, Ă l'exception de quelques articles insignifiants de ses
co-rédacteurs, MM. Rochery et Borie, et de quelques poésies
de Pierre Dupont. Notamment, elle y réimprima ses deux Lettres
au Peuple; elle Ă©crivit une Introduction servant de prospectus
du journal ; trois descriptions : des Rues de Paris (pour le n° 1)>
de la Journée du 16 avril et de celle du 20 avril (pour le n° 3) ;
elle y publia deux articles de critique théùtrale intitulés les
62 GEORGE SAND
Arts, son prologue, « le Roi attend » et enfin les quatre arti-
cles sur le Socialisme.
Les trois premiers articles sur le Socialisme portent les sous-
titres : 1° La souveraineté, c'est T 'égalité; 2° V application de la
souveraineté, c'est V application de Végalité; 3° V application de
Végalité, c'est la fraternité. George Sand y revient encore à l'idée
mÚre du 10e Bulletin et, en la développant, elle énonce les thÚses
Ă©mises dans les Bulletins nos 8 et 13. Dans le quatriĂšme
article, la Majorité et V unanimité, imprimé dans le troisiÚme
numéro, on entend déjà clairement l'écho du 15e et du trop
célÚbre 16e Bidletin. C'est pour cette raison que nous trouvons
nécessaire de placer l'analyse de ces quatre articles entre les
deux groupes des Bulletins.
H faut noter, en outre, que les deux premiers numéros de la
Cause du Peuple diffĂšrent beaucoup par leur ton du troisiĂšme
et dernier. Le fait est que le n° 2 parut juste le 16 avril, jour oĂč,
selon la propre expression d'une lettre de George Sand Ă son
fils, « la République a été tuée ». Ce jour-là , Mme Sand vit et
comprit certaines choses, elle réfléchit... et son enthousiaste
confiance, ses espérances des premiers jours se transformÚrent
en pensées pessimistes sur la marche et la fin probable des
événements. Inous pensons que cette impression chagrine la fit
passer de l'activité militante à l'observation contemplative et
critique ; ce changement se produisit un mois avant le 15 mai.
Donc, le n° 3 du journal, paru le 23 avril, fut dans sa plus
grande partie Ă©crit sous une tout autre impression que les deux
numéros précédents.
Xous avons un peu anticipé sur les événements, mais cela
Ă©tait indispensable pour expliquer pourquoi nous analyserons
d'abord les numéros 1 et 2 de la Cause du Peuple et passerons
ensuite aux Bulletins nos 15 et 16 ; alors seulement nous nous
tournerons vers le dernier numéro de ce journal.
Dans son introduction Ă la âŹmsĂȘ du Peuple George Sand
revient aux idées émises dans ses lettres au peuple : « l'homme
isolé ne compte point devant Dieu », la « vérité sociale ne peut
ĂȘtre acquise que par les efforts de tous » ; et elle dĂ©clare que le
GEORGE SAND 63
but de son journal sera de contribuer, selon ses forces et ses
moyens, à la découverte de cette vérité appartenant à tout le
monde. Mais, en outre â et ceci est de toute signification et
doit ĂȘtre notĂ©, â George Sand y dit encore qu'une circulaire
récente de Ledru-Roilin a éveillé des discussions générales et
soulevé les questions capitales du droit social, ce sont ces
questions-lĂ que la Cause du Peuple veut traiter.
Effectivement, dans le premier article sur le Socialisme, ayant
[:our sous-titre : la Souveraineté, c'est V égalité, George Sand pose
la question :
... Un ministre, un membre du gouvernement révolutionnaire
a-t-il le droit, lorsque nous sommes encore en pleine révolution, de
prendre des mesures exceptionnelles et de déranger l'ordre établi,
auquel un nouvel ordre succĂšde?
Elle y répond :
Sans aucun doute selon nous ; la voix du peuple a prononcé pour
l'affirmative, puisque l'adhésion des candidats à la circulaire a été
regardée comme une garantie pour le peuple. Mais, continue-t-elle,
pour prononcer sur ce droit, il faut soulever tout le problĂšme du
droit social ; il faut admettre ou rejeter le principe de la souveraineté
du peuple...
Alors, elle s'adresse aux adversaires du suffrage universel et
leur dit :
... Eh bien! il faut vous répondre au nom du peuple, il faut vous
dire oĂč le peuple puise son droit de souverainetĂ©, quelle puissance
supérieure à lui et à vous le lui concÚde et veille sur lui, pour le lui con-
server malgré vous.
La source de ce droit est en Dieu, qui a créé les hommes parfaite-
ment égaux et qui les conserve tels, en dépit des erreurs des sociétés
et de la longue consécration d'un abominable systÚme d'inégalité ;
vous avez entassé sophisme sur sophisme, pour prouver que l'égalité
n'est pas dans la nature et que, par conséquent, Dieu ne Fa pas con-
sacrée... Vous cherchez vainement à confondre le mot égalité avec
celui d'identité. Non, les hommes ne sont pas identiques l'un à l'autre ;
la diversité de leurs forces, de leurs instincts, de leurs facultés, de leur
aspect, de leur influence est infinie. H n'y a aucune parité entre un
homme et un autre homme; mais ces diversités infinies consacrent
64 GEORGE SAND
l'égalité au lieu de la détruire. H y a des hommes plus habiles, plus
intelligents, plus généreux, plus robustes, plus vertueux les uns que
les autres ; il n'y a aucun homme qui, par le fait de sa supériorité
naturelle, soit créé pour détruire la liberté d'un autre homme et pour
renier le lien de fraternité qui unit le plus faible au plus fort, le plus
infirme au plus sain, le plus borné au plus intelligent. Une grande intel-
ligence crée des devoirs plus grands à l'homme qui a reçu du ciel ce
don sacré d'instruire et d'améliorer les autres ; mais elle ne lui donne
point des droits plus larges et, comme la récompense du mérite n'est
pas l'argent, comme l'homme intelligent n'a pas des besoins physi-
ques différents de ceux des autres hommes, il n'y a aucune raison
pour que cet homme devienne l'oppresseur, le maßtre et, par consé-
quent, l'ennemi de ses semblables.
La morale évangélique est éternellement vraie... C'est vraiment
la doctrine de l'égalité... La véritable loi de nature, la véritable loi
divine, c'est donc l'égalité...
... L'égalité est donc une institution divine, antérieure à tous les
contrats rédigés par les hommes...
... Le peuple est souverain, parce que tous les hommes ont un droit
égal à la souveraineté ; et tous les actes de cette souveraineté, nou-
vellement reconnue et proclamée, sont légitimes devant Dieu et de-
vant les hommes, quand mĂȘme ils ne datent que d'une heure.
... Ce droit est illimité, en ce sens qu'il n'a de limite que dans le
devoir. Le devoir est facile Ă Ă©tablir sur un principe aussi net et aussi
sûr que le droit, c'est que chaque homme a des devoirs envers tous et
tous envers chacun...
Le second article Application de la souveraineté, c'est V applica-
tion de l'égalité commence par une récapitulation de la thÚse du
premier.
La souveraineté, c'est l'égalité ; donc, la souveraineté réside dans
le peuple et ne peut résider ailleurs que dans le peuple... La souverai-
neté, c'est le gouvernement de tous. Voilà pour le droit...
Le devoir, c'est l'exercice du droit, et, comme on ne peut concevoir
un droit sans usage, le droit et le devoir sont inséparables et indivi-
sibles...
Puis l'auteur continue à développer cette thÚse, ainsi que suit :
... La vérité n'est pas modifiable et relative; elle est avant nous
et hors de nous plus brillante qu'en nous. Elle est en Dieu, elle est la
loi de l'univers... Mais, si la vérité est immuable, si elle est debout
dans l'éternité, le sentiment que nous avons de cette vérité est éter-
GEORGE SAND 65
nellement modifiable et relatif. Le progrĂšs est notre Ćuvre ; Dieu,
qui nous l'a donné pour loi, nous a rendus propres à le créer en nous-
mĂȘmes et dans nos sociĂ©tĂ©s... Le progrĂšs de l'homme est une course
ardente, pénible et continue vers un but... Nous voyons la révolte
élever, de siÚcle en siÚcle, sa voix sacrée et proclamer le droit éternel
dans la religion, dans la politique, dans la science, dans Fart. La notion
du vrai n'a donc jamais disparu parmi nous ; elle s'Ă©tend, elle lutte,
elle grandit, elle combat, elle triomphe et aujourd'hui enfin elle est
proclamée... La notion de la vérité, nous l'avons conquise ; elle nous
a coûté du sang et des pleurs. Dieu bénit notre persévérance et nous
donne cette notion plus vaste et 'plus claire qu'Ă aucune autre Ă©poque
de notre vie antérieure. Il ne la donne pas seulement à quelques élus,
il la donne Ă tous les hommes...
... Le principe du devoir est identique au principe du droit; il
s'appelle égalité. Et, pourtant, nous avons le droit aujourd'hui et il
nous faut trouver le devoir demain. Nous avons le fait, nous voulons
la conséquence ; le fait, on le trouve dans le combat ; la conséquence,
on ne la trouve que dans la réconciliation. Il y avait un ennemi hier,
aujourd'hui il y a un vaincu...
En rassurant tous ceux qui auraient pu trembler pour le
sort de ce vaincu, l'auteur dit qu'à présent, l'ennemi n'a plus
à craindre de représailles comme dans l'antiquité ; mais immé-
diatement aprĂšs, ayant toujours en vue les Ă©lections prochaines,
il met en garde contre une trop grande confiance envers cet
ennemi tombĂ©, ce qui pourrait ĂȘtre dangereux pour la cause
de la liberté :
... S'il abuse de notre générosité; si, au nom de l'égalité, il veut
rĂ©tablir l'inĂ©galitĂ©, dĂ©jĂ il nous trahit, nous calomnie et cherche Ă
nous entraßner dans l'abßme. Que ferons-nous?... Serons-nous géné-
reux et oublieux de nos injures personnelles, jusqu'Ă lui permettre
d'étouffer la vérité dans ses perfides embrassements?...
C'est le troisiÚme article : V Application de l'égalité, c'est la
fraternité, qui sert de réponse à cette question, et c'est le plus
important de tous les quatre, pour nous fixer sur le dogme
socialiste de George Sand :
... Ce serait dire un lieu commun, grùce au ciel, que de déclarer
notre révolution non pas seulement politique, mais sociale. Le socia-
lisme est le but, la RĂ©publique est le moyen; telle est la devise des esprits
les plus avancĂ©s et, en mĂȘme temps, les plus sages.
IV. c
66 GEORGE SAND
La réforme sociale, tel est donc l'exercice du devoir du citoyen. H
s'agit de faire succéder le régime de l'égalité au régime de la caste,
l'association à la concurrence et au monopole, fléaux distincts dans le
principe, fléaux identiques dans ces derniers temps. H ne s'agit pas
d'écrire le principe de l'égalité comme épigraphe à notre nouveau
Code, pour qu'ensuite tous les articles du Code en détruisent l'appli-
cation.
C'est donc un devoir nouveau, un devoir mûri pendant plus d'un
demi-siÚcle, que la République de 1848 implante sur celui qui a été
proclamé en 1789...
Puis, démontrant que malgré toute la différence des époques
et la prétendue différence entre les partis d'alors et ceux
du prĂ©sent, au fond ce sont toujours les mĂȘmes intĂ©rĂȘts
Ă©goĂŻstes contre lesquels il faut lutter, George Sand trace d'une
maniÚre ferme et concise la limite qui sépare les dangers que
couraient jadis les partisans de l'ancien régime et ceux qui
menacent, à présent, les ennemis de la liberté. A présent, la
révolution étant surtout sociale, ils n'ont rien à craindre ; plus
de sang versĂ©, pas de pillage ni de vol ! Ils peuvent ĂȘtre absolu-
ment tranquilles lĂ -dessus.
... Alors que craignent-ils?... L'impÎt progressif, l'atteinte portée
à l'héritage indirect, les mesures révolutionnaires, les contributions
forcées, la socialisation des instruments de travail ; enfin, tous nos
besoins, toutes nos infortunes, auxquels il leur faudra porter remĂšde
par de grands sacrifices. Ils craignent de devenir pauvres Ă leur tour,
car ils voient bien que nous ne les laisserons pas jouir en paix d'un luxe
qui nous affame et d'une sécurité qui nous expose à mourir de faim.
Et le rĂ©dacteur de la Cause du Peuple â socialiste de la plus
pure espĂšce â rĂ©pond :
Si c'est lĂ ce que vous craignez, vous avez quelque sujet de ne
pas dormir bien tranquilles car, certainement, il vous faudra faire
des sacrifices. Vous n'avez pas des droits seulement, vous avez des
devoirs ; et nous, nous n'avons pas seulement des devoirs, nous
avons des droits. C'est vous qui avez profité du passé, vous seuls !
C'est vous aussi qui avez provoquĂ©, par votre entĂȘtement et vos
mĂ©fiances, la crise oĂč nous sommes, et le prĂ©sent ne pĂ©rira pas avec
l'avenir, pour laisser le passé vivre impunément sur leurs cadavres.
Oui, les hommes du passé doivent bien s'attendre à payer les frais
de la guerre qu'ils nous ont suscitée...
GEORGE SAND 67
Et, en posant la question : Que serait-il juste d'exiger des
riches? l'auteur s'empresse encore une fois de les tranquil-
liser:
MalgrĂ© qu'il semble Ă©quitable, au premier coup d'Ćil, de tout re-
prendre à celui qui a tout pris, malgré toute l'indignation qu'on sent
bouillonner en soi, quand on entend le cri de la veuve et de l'orphelin,
quand on voit, Ă tous les carrefours, le vieillard et l'enfant tendre la
main aux passants, et malgré tout le désir de mettre le riche à la place
du pauvre, les législateurs du présent, les initiateurs de l'avenir, nous
ne pouvons pas appliquer la peine du talion.
Toutefois Vavenir détruira entiÚrement la richesse individuelle; il
créera la richesse sociale. L'avenir n'aura plus de pauvres, il n'aura
que des Ă©gaux dans toute la force du terme...
Ceci ne se fera pas d'emblée, ni par violence, mais par transition.
...Voici quelle sera la transition : l'homme avide et habile n'aura
plus les moyens de faire ces fortunes scandaleuses, qui, en se dévorant
les unes les autres, dévoraient en somme la subsistance du peuple.
La sociĂ©tĂ© doit rendre ces moyens impossibles et empĂȘcher que les
hommes du passé n'accaparent encore une fois l'avenir à leur profit.
Plus d'agioteurs, plus de spéculations sur la fatigue, la résignation et
la misĂšre de l'homme, plus de sacrifices humains ; poursuivons ce trafic
sauvage jusque dans ses plus mystérieux retranchements.
Quant aux fortunes dĂ©jĂ faites, laissons-les s'Ă©puiser d'elles-mĂȘmes ;
imposons-leur les sacrifices que la situation exigera. La situation
n'exige pas que les riches soient réduits à la misÚre qu'ils nous ont
fait subir, ou qu'ils ont contemplée avec indifférence.
Quand la RĂ©publique pourra fonctionner sans leur rĂ©clamer au delĂ
des sommes nécessaires à ses premiers besoins, méprisons leur superflu,
n'en soyons pas jaloux, nous sommes trop fiers pour cela!...
... S'il faut souffrir encore un peu de temps pour traverser une crise
qui nous promet tous ces biens, nous souffrirons patiemment, Ă la
condition que nous verrons le gouvernement choisi par nous s'occuper
activement de mettre tout en Ćuvre pour abrĂ©ger notre sublime
Ă©preuve...
Et l'auteur, optimiste, croit que si le gouvernement parvient
Ă accomplir cette tĂąche et si le peuple sait attendre patiemment,
alors
...peu à peu, nous passerons de la pauvreté à l'aisance, et de l'aisance
Ă la richesse sociale sans nous heurter violemment aux obstacles que
le devoir nous ordonne de tourner.
63 GEORGE SAND
Voilà , je crois, notre devoir tout tracé, relativement aux droits du
passé...
Trois jours avant l'apparition du n° 2 de la Cause du Peuple
le 13 avril, parut le Bulletin n° 15, et la veille, le 15 avril, le Bulle-
Un n° 16. Tous les deux répÚtent à satiété ie conseil de n'élire
que de vrais républicains.
Le n° 15 déclare simplement et catégoriquement :
... H importe que chaque citoyen, se recueillant en lui-mĂȘme, soit
pénétré de la grandeur du devoir qu'il va remplir... les députés ne doi-
vent plus ĂȘtre les hommes d'affaires de leur dĂ©partement, mais les
nterprÚtes de la volonté souveraine de la France. Il faut donc les cher-
cher parmi les hommes doués au plus haut degré de qualités généreuses
iet de nobles sentiments...
Pour ĂȘtre dĂ©putĂ©, ce n'est point assez d'ĂȘtre honnĂȘte, il faut ĂȘtre
républicain sans réserve et sans arriÚre-pensée...
Puis, nous lisons dans ce Bulletin des lignes qui semblent
tirées de la lettre de Mme Sand à propos de Michel de Bourges :
... Vous entendrez beaucoup de candidats célébrer la chaleur et
la sincérité de leurs opinions ; mais si déjà vous les avez vus, engagés
dans la carriĂšre politique, accepter comme chefs et comme maĂźtres
les hommes que nous avons renversés, défiez-vous de leur changement
subit, et avant de les exposer à l'épreuve périlleuse de l'Assemblée
na.ionale, laissez-les affermir dans la vie privée leur prompte et mira-
eulcuse conversion... Or, celui-là qui défendait sous la monarchie les
principes mis en poussiÚre par la Kévolution, ne peut obéir à un sen-
tirent d'abnégation. H cÚde au vain désir d'associer son nom à un
grand fait lĂčstorique, peut-ĂȘtre Ă l'amour des distinctions et du pou-
voir. Mais la pensĂ©e du sacrifice est loin de son cĆur. Il ne voit dans
la députation qu'un piédestal ou un moyen de fortune.
De tels hommes compromettraient bien vite l'Assemblée en la con-
duisant dans des voies hostiles aux intĂ©rĂȘts de la nation... Cette assem-
blée doit incessamment travailler à fonder solidement l'édifice de la
société démocratique. Elle doit porter une main hardie sur les insti-
tutions oppressives et condamnées, ne recaler devant aucune des con-
séquences de la révolution, entraßner le pays par la grandeur de ses
résolutions, et, s'il le faut, briser sans ménagement toutes les résis-
tances. Le salut de la France est Ă ce prix. Quiconque n'est pas con-
vaincu que la République ne peut pas périr ne sera qu'un député
dangereux. Il sera disposé aux transactions et aux demi-mesures, et
GEORGE SAND 69
par ses hésitations il deviendra une cause de graves embarras. ArriÚre
les indifférents et les ambitieux, la patrie a besoin de foi et d'abné-
gation...
H dut probablement arriver jusqu'Ă l'oreille de l'auteur du
Bulletin n° 15, que presque partout le peuple ne témoignait
aucun désir de choisir des gens qui « porteraient une main hardie
sur les institutions oppressives et condamnées » (par exemple :
sur la « richesse individuelle », comme le prétendait l'auteur du
troisiĂšme article socialiste de la Cause du Peuple.) H dut
apprendre aussi que les paysans Ă©taient tout autrement dis-
posés que les ouvriers des villes, qu'on ne voterait pas exclusi-
vement pour ceux qui croient en la RĂ©publique comme en une
espÚce de divinité dont il n'est pas permis de douter. Et le Bul-
letin n° 16 laisse alors entendre une menace non déguisée :
... Une heure d'inspiration et d'héroïsme a suffi au peuple pour con-
sacrer le principe de la vérité. Mais dix-huit ans de mensonge opposent
au régime de la vérité des obstacles qu'un souffle ne renverse pas;
les élections, si elles ne font pas triompher la vérité sociale, si elles
sont l'expression des intĂ©rĂȘts d'une caste, arrachĂ©es Ă la confiante
loyautĂ© du peuple, les Ă©lections, qui devaient ĂȘtre le salut de la RĂ©pu-
blique, seront sa perte, il n'en faut pas douter. H n'y aurait alors
qu'une voie de salut pour le peuple qui a fait des barricades, ce serait
de manifester une seconde fois sa volonté et d'ajourner les décisions
d'une fausse reprĂ©sentation nationale. Ce remĂšde extrĂȘme, dĂ©plorable,
la France voudrait-elle forcer Paris Ă y recourir? A Dieu ne plaise L,
A la fin de ce Bulletin la population des campagnes est exhortée
à faire cause commune avec celle des cités, parce que « partout
la cause du peuple est la mĂȘme, partout les intĂ©rĂȘts du pauvre
et de l'opprimĂ© sont solidaires ; si la RĂ©publique succombait Ă
Paris, elle succomberait non seulement en France mais dans
tout l'univers... »
Et, aprĂšs cela, il ne semble pas que l'auteur s'exprime en toute
sincérité, en disant :
... Citoyens, il ne faut pas que vous en veniez Ă ĂȘtre forcĂ©s de violer
vous-mĂȘmes le principe de votre propre souverainetĂ©. Entre le danger
de perdre cette conquĂȘte par le fait d'une assemblĂ©e incapable ou par
celui d'un mouvement d'indignation populaire, le gouvernement pro-
70 GEORGE SAND
visoire ne peut que vous avertir et vous montrer le péril qui vous
menace. H n'a pas le droit de violenter les esprits et de porter atteinte
au principe du droit public. Elu par vous, il ne peut ni empĂȘcher le
mal que produirait l'exercice mal compris d'un droit sacrĂ©, ni arrĂȘter
votre Ă©lan, le jour oĂč, vous apercevant vous-mĂȘmes de vos
méprises, vous voudriez changer, dans sa forme, l'exercice de ee droit.
Mais ce qu'il peut, ce qu'il doit faire, c'est vous Ă©clairer sur les
conséquences de vos actes...
On sent dans ces mots, surtout si on les rapproche des Bul-
letins nc> 13 et 15, une indication nullement Ă©quivoque : ou bien
choisissez des députés radicaux, républicains; ou bien, si les
Ă©lections sont rĂ©actionnaires, risquez un coup d'Ătat et renversez
l'AssemblĂ©e nationale qui pourrait ĂȘtre ni dĂ©mocratique ni rĂ©pu-
blicaine.
Simultanément, avec ces deux derniers Bulletins, George Sand
Ă©crivit ses cinq Paroles de Biaise Bonnin. Les sous-titres seuls
prouvent combien la différence qui s'accentuait entre les aspira-
tions et les dispositions des ouvriers des villes et celles des gens
de la campagne, jointe au mécontentement général suscité par le
nouvel impÎt, inquiétaient George Sand et lui donnaient de justes
craintes. Les deux premiĂšres Paroles de Biaise Bonnin aux bons
citoyens sont intitulées : VImpÎt et Encore VimpÎt. Notre vieil
ami Biaise, toujours dans son simple et clair langage, qui cette
fois pourtant n'est point la langue d'oïl, mais le bon français de
tout le monde, l'ami Biaise, disons-nous, y exhorte le peuple Ă
o encore patienter un peu », à faire encore un nouveau sacrifice
que les circonstances exigent de lui sous la forme de cet impĂŽt
de 45 centimes. Mais il l'exhorte aussi Ă mettre la main Ă la
pĂąte pour que de meilleurs temps arrivent plus vite, et, Ă cette
fin, il lui conseille de choisir « une bonne Assemblée ».
Les trois derniers numéros des Paroles de Biaise Bonnin sont
intitulés : V Ouvrier des villes et V Ouvrier des campagnes, V Agri-
culteur et V Artisan, et enfin, les Villes et les Campagnes, et
sont consacrĂ©s au dĂ©veloppement de la mĂȘme idĂ©e du Bulletin
n° 16 sur la solidaritĂ© des intĂ©rĂȘts du prolĂ©tariat des villes et des
campagnes.
GEORGE SAND 71
Or, le mĂȘme jour oĂč parut le n° 2 de la Cause du Peuple et au
lendemain de celui oĂč avait paru le Bulletin n° 16, eut lieu la
célÚbre manifestation contre-révolutionnaire qui fut comme une
contre-partie de la manifestation prolétaire du 17 mars. Les
socialistes et les radicaux ayant tenté de renverser le gouverne-
ment provisoire à leur profit, cet essai de sédition fut trÚs adroi-
tement déjoué par tous ceux qu'on traitait railleusement de
« bourgeois », en leur opposant « le peuple ». C'étaient les bourgeois
aisĂ©s, tremblant devant ces mesures socialistes rĂȘvĂ©es par le rĂ©-
dacteur de la Cause du Peuple, et la petite bourgeoisie propre-
ment dite, la garde nationale, tous ceux que ruinaient la
crise financiĂšre et le chĂŽmage dans les affaires et qui Ă©taient
déprimés et effrayés par les processions et les manifestations
populaires en permanence, le bruit dans les rues devenant chro-
nique ; enfin tous les modestes citadins avides de silence et de
repos, dont George Sand s'était si cruellement moquée dans
son article « Les Rues de Paris » (1), en comparant ces bons-
hommes pacifiques au Cassandre de la vieille comédie (2),
le symbole de la poltronnerie, de l'inertie stupide et bornée, eux
tous, disons-nous, exécutÚrent la contre-manifestation restée
célÚbre et dirigée trÚs explicitement contre les socialistes, les
communistes, contre tous ceux que les pauvres bourgeois apeurés
et les libéraux modérés personnifiaient également sous les traits
du « spectre rouge ». C'est pendant cette manifestation que des
cris : Ă 1 A las les communistes! A la lanterne! Mort Ă Cabet(3)\
(1) Dans le n° 1 de la Cause du Peuple.
(2) H est évident qu'il s'agit de ce personnage de la Comédie dans l'article
de George Sand. Nous savons que l'on Ă©tait alors trĂšs Ă©pris de la Commedia
deW arte Ă Nohant, et on avait l'habitude d'employer dans la conversation
courante les noms de ses personnages, symbolisant des caractĂšres et des
travers convenus : c'est ainsi que de vieux poltrons hargneux et bougon-
nants y étaient appelés des Cassandre, les jeunes fats des Léandre, les ser-
viteurs des Pedrilh ou Leporello, les militaires des Capiton ou des Mata-
mores, etc., etc. Il est Ă©vident aussi que c'est un simple lapsus de la part de
M. Monin, lorsqu'il croit que George Sand fait dans cet article allusion Ă la
prophétesse grecque.
(3) Il est tout à fait incompréhensible aujourd'hui pour quelle raison le
nom de Cabet, le moins fanatique de tous les utopistes socialistes et le moins
militant des politiciens, devint en cette journée du 16 avril le symbole de
l'anarchie la plus dangereuse, de sorte que le pauvre auteur de Ylcarie ne
72 GEORGE SAND
Mort aux communistes! se firent entendre une premiĂšre fois.
Et voici que le quatriĂšme article du Socialisme, paru dans le
dernier numéro de la Cause du Peuple, proclame quelque chose
de nouveau. Ce n'est plus la majorité qui est la voix du peuple
par laquelle la divinitĂ© elle-mĂȘme prononce les arrĂȘts de la
vérité accessible à l'humanité; il est certain qu'en pratique
l'expression de la souveraineté du peuple se fait voie par la
majorité, mais, dit l'auteur de ce quatriÚme article intitulé « la
Majorité et V Unanimité » :
... H faut toujours avoir l'idéal devant les yeux...
Or, l'idéal de l'expression de la souveraineté de tous, ce n'est pas
la majoritĂ©, c'est l'unanimitĂ©. Un jour viendra oĂč la raison sera si
bien dégagée de voiles et la conscience si parfaitement délivrée d'hé-
sitations, que pas une voix ne s'élÚvera contre la vérité dans les con-
seils des hommes... Oui, Ă toutes les Ă©poques de l'histoire, il y a de ces
heures dĂ©cisives oĂč la Providence tente une Ă©preuve et donne sa sanc-
tion à la véritable aspiration, au consentement électrique des masses.
H y a des heures oĂč l'unanimitĂ© se produit Ă la face du ciel, et oĂč la
majorité ne compte plus devant elle...
De telles heures furent, selon l'auteur de l'article, les journées
du 24 fĂ©vrier et du 20 avril, celle de la FĂȘte de la fraternitĂ©. Si
cette unanimitĂ© avait pu ou pouvait encore ĂȘtre brisĂ©e ou altĂ©-
rée, la vérité n'en cessera pas moins d'exister. Donc, quoiqu'on
dise que «la France va nous envoyer, le 5 mai, l'expression de ses
diverses majorités locales » et que « la souveraineté de ces majo-
rités fractionnées sera inviolable », l'auteur proteste contre cette
opinion.
... La Chambre des députés a été violée le 24 février au nom du prin-
cipe de la majorité contre la minorité, dit-il. Si l'Assemblée du 5 mai
se trouve ĂȘtre l'expression d'une majoritĂ© abusĂ©e, si elle est rĂ©solue Ă
reprĂ©senter encore les intĂ©rĂȘts d'une minoritĂ©, cette assemblĂ©e ne rĂ©gnera
point ; l'unanimitĂ© viendra casser les arrĂȘts de la majoritĂ©...
George Sand s'empresse de tranquilliser d'avance les repré-
sentants de cette majorité abusée, en niant que le parti répu-
parvint Ă se soustraire Ă la fureur que grĂące Ă Lamartine qui le cacha dans
son hĂŽtel.
GEORGE SAND 73
blicain puisse appeler la guerre civile ou que « par d'odieuses
provocations il réveille le souvenir de Fructidor... ».
H faut noter ces mots, parce que nous verrons tout Ă l'heure
par une page de Mme Sand, non destinée à l'impression, qu'elle-
mĂȘme, ainsi que le « parti rĂ©publicain » avaient justement
débattu l'opportunité d'un « Fructidor ».
Donc, continue Mme Sand dans ce quatriĂšme article :
... il n'y aura pas d'Ă©meutes, le peuple n'en veut plus. Il u'y aura
pas de conspirations, le peuple les déjoue. H n'y aura pas de sang
versé, le peuple en a horreur. Il n'y aura pas de menaces, le peuple
n'a pas besoin d'en faire...
Et alors, Mme Sand trace un projet grandement fantastique :
dans le cas oĂč l'AssemblĂ©e se trouverait rĂ©actionnaire ou tiĂšde,
en un mot, point démocratique, le peuple tout en respectant
extérieurement son inviolabilité, « s'en ira au Champ de Mars, et
lĂ , avec la France entiĂšre, il votera sa constitution, en appe-
lant à ce vote l'humanité tout entiÚre, qui lui répondra par
un courant électrique ».
... Alors nous te porterons en souriant cette constitution Ă signer
et tu la signeras avec empressement, heureuse d'ĂȘtre dĂ©livrĂ©e du mal
affreux de l'abandon et de l'impuissance ; nous te couronnerons de
feuilles de chĂȘne et nous te porterons en triomphe (1)...
Donc, d'une part, la journĂ©e du 16 avril avait laissĂ© voir Ă
George Sand que la « République sociale » n'était nullement
le rĂȘve de la « majoritĂ© ». D'autre part, le Bulletin n° 16 provoqua
une explosion d'indignation et d'horreur de la part de la bour-
geoisie et des modérés (2), et quoique cet épisode ne se dénoua
(1) Il est hors de doute que Daniel Stern visait bien ces lignes de George
Sand en disam. Ă la page 8 de son tome III :
« Chaque jour on répétait dans les journaux, comme une chose toute
simple, que si l'Assemblée ne se hùtait d'exécuter les volontés du peuple,
il chasserait cette fausse représentation nationale, ou bien on disait encore
que les ouvriers de Paris apporteraient aux représentants une constitution
toute faite, proclamée au Clmmp de Mars et qu'il les forcerait à la voter
séance tenante. »
(2) a Pour un Bulletin un peu raide que j'ai fait, il y a un déchaßnement
incroyable de fureur contre moi dans toute la classe bourgeoise », écrit George
Sand Ă son fils, le 19 avril.
74 GEORGE SAND
que plus tard et que la question de savoir qui avait Ă©crit ce Bul-
letin ou signé un ion à tirer ne fut vidée définitivement qu'aprÚs
la journée du 15 mai dont il fut considéré comme le prodrome
et la cause, néanmoins, Ledru-Roilin qui s'était rapproché, dÚs
le 16 avril, des modérés et de Lamartine en particulier, s'empressa
de renier ce Bulletin, et George Sand elle-mĂȘme fut probablement
reconnue pour une collaboratrice incommode. H s'ensuivit un
froid entre les alliés de naguÚre, et quoique George Sand ne
renia point « son parti », elle n'écrivit plus de Bulletins pour
Ledru-Rollin, et il lui arriva p ai-fois de qualifier celui-ci du
nom de : « le gros Ledru ». Il est probable toutefois que la des-
cription de la FĂȘte de la fraternitĂ© du 20 avril, dans le Bulletin
n° 19, est due à sa plume, comme le suppose aussi M. Monin, et
comme on peut le conclure par les lignes de la lettre Ă Mau-
rice :
« Il me faudrait t'écrire vingt pages pour te raconter tout ce qui
s'est passé, et je n'ai pas cinq minutes. Tu en trouveras une relation
bien abrégée dans le Bulletin de la République et dans la Cause du
Peuple (1).
Mais nous nous empressons de remarquer que les descriptions
de la Journée du 20 avril, celle qui parut dans la Cause du Peuple
et celle que contient le Bulletin n° 19, sont différentes, quoique
trĂšs ressemblantes : la seconde n'est nullement « empruntĂ©e » Ă
la Cause du Peuple, comme le prétend M. Monin.
Le Bulletin n° 16, publié le 15 avril, est comme le dernier acte
de la participation littéraire de George Sand aux affaires du
gouvernement provisoire. Le 16 avril fut aussi, paraĂźt-il, le
dernier jour de sa participation active dans ces affaires, du
moins, depuis ce jour, la part qu'elle prit anx événements eut
un autre caractĂšre.
Avant de parler de cette mémorable j ournée, disons quelques
mots sur le Bulletin n° 12, dont nous n'avons rien dit encore
(quoiqu'il soit considéré comme le plus sûrement dû à la plume
(1) Correspondance, t. III, p. 46, lettre du 21 avril.
GEORGE SAND 75
de George Sand), ainsi que sur les autres articles, non encore
mentionnés, de la Cause du Peuple.
La Cause du Peuple, â disait Mme Sand, dans le premier article
paru sous le titre d'Arts dans le n° 1 du journal, â n'Ă©tant pas une
revue, ne s'engageait pas à faire des comptes rendus systématiques,
sur le théùtre, la musique et les arts, quoique l'art comme toute autre
manifestation de l'esprit humain soit une expression de la vérité,
mais... en temps de révolution, les artistes et les poÚtes ne peuvent,
pour formuler cette vérité en marche, que procéder par de rapides
improvisations. Or, l'art Ă©tant le travail de l'esprit sur le sentiment et
pour ainsi dire de l'enthousiasme réfléchi, demande du calme et un
peu de latitude, pour se raviser.
Le chroniqueur de la Cause du Peuple n'aura donc pas grand' -
chose Ă enregistrer, George Sand ne donne le compte rendu que
de trois représentations théùtrales : de la premiÚre de V Aven-
turiÚre d'Augier (à laquelle elle sait avec une grande perspicacité
et un flair artistique parfait prédire un glorieux avenir) (1), et
de deux représentations gratuites pour le peuple : la Muette de
Portici à l'Opéra et la solennelle ouverture de la Maison de
MoliÚre, rebaptisée sous le nom de « Théùtre de la République ».
On y donna les Horace (un acte), avec Rachel, et le Malade
imaginaire avec Madeleine Brohan, Samson et d'autres célébrités
de l'Ă©poque, et en guise de Prologue, une petite piĂšce de circons-
tance de George Sand elle-mĂȘme, le Roi attend. Le spectacle fut
ouvert par le Chant du dĂ©part de MĂ©hul, chantĂ© par les chĆurs
(1) M. Monin remarque fort judicieusement que George Sand fit preuve,
dans ces remarquables pages de critique dramatique, de beaucoup de goût,
de finesse et d'une grande compétence pour cette critique ; il exprime son
étonnement de ce que lorsqu'on réimprima le Prologue de George Sand dans
ses Ćuvres complĂštes, « le mĂȘme honneur n'a pas Ă©tĂ© fait Ă ces pages », â et
il le trouve d'autant plus regrettable, que « George Sand n'a guÚre abordé
que là ce genre littéraire ». Les deux derniÚres indications sont inexactes :
les deux articles de la Cause du Peuple, intitulés Arts, sont bel et bien réim-
primés dans les volumes des Questions d'art et de littérature. Quant à l'asser-
tion que George Sand n'ait plus jamais « abordé ce genre littéraire », elle
est rĂ©duite Ă nĂ©ant par le fait que, dans ce mĂȘme volume, ainsi que dans
d'autres volumes de ses Ćuvres, on peut lire une sĂ©rie de ses articles de cri-
tique dramatique et artistique, tels sont : Mars et Dorval, Marie Dorval,
Debureau, Hamlet, A propos des idées de Mme Aubray, les Beaux Messieurs
de Bois-Doré au théùtre de VOdéon, Reprise de Lucresia Borgia, etc., etc. Tous
ces articles avaient paru dans les périodiques de 1836 à 1873.
76 GEORGE SAN D
du Conservatoire, puis Roger chanta Ă leur tĂȘte une cantate de
Mme Viardot, sur des paroles de René Dupont, la Jeune Répu-
blique (1), et le tout fut clos par la Marseillaise, mélodie déclamée
par Rachel, que l'orchestre accompagnait en sourdine (2). Mais
George Sand s'occupa bien moins de la représentation, que de
ceux Ă qui on la donnait, des spectateurs populaires. Lorsqu'on
ordonna ces représentations gratuites, il y eut certaines voix qui
s'écriÚrent : « Margaritas ante porcos! Ces spectateurs « barbares »
ne sauront apprĂ©cier ni le jeu de Rachel, ni les Ćuvres de MoliĂšre
et de Racine ; les possesseurs loqueteux des billets s'empres-
seront de les revendre, et prĂ©fĂ©reront naturellement un dĂźner Ă
une reprĂ©sentation, » etc. Tels devaient ĂȘtre les discours qui
précédÚrent ces représentations, à en juger par le ton mi-
polémique, mi-enthousiaste dont George Sand relate qu'il
n'y eut que fort peu de billets revendus, qu'on ne comptait
pas plus de cinquante messieurs dans la salle, que, du com-
mencement jusqu'à la fin de l'opéra et de la tragédie, chaque
mot des acteurs et chaque son de musique fut écouté dans un
« silence religieux », qu'il « n'y eut dans les loges ni pelure de
pomme, ni d'orange » ; que ces prétendus barbares qui, disait-on,
ne valaient pas la peine qu'on jouĂąt devant eux des chefs-
(1) Nous avons vu que c'est à George Sand qu'était due l'idée de demander
la nouvelle Marseillaise Ă Mme Viardot et l'autre Ă Rachel.
L'Intermédiaire des chercheurs et curieux de 1874 contenait l'indication
que c'est encore George Sand qui avait donné l'idée de frapper une médaille
de la République et avait conseillé à un artiste de s'inspirer des poses de Rachel
chantant la Marseillaise. Les citations que les collaborateurs de V Intermé-
diaire des chercheurs et curieux donnent Ă l'appui de cette assertion ne sont
toutefois pas de George Sand, mais présentent des passages assez inexacts
de deux pages de Daniel Stern (t. II, p. 311-312). Or, l'acharnement qu'y
met Stern Ă critiquer ces poses de Rachel et son air belliqueux et farouche,
ainsi que la critique extrĂȘme que Daniel Stern fait de toutes les statues et
médailles présentées aux deux concours ordonnés par Ledru-Rollin, nous
prouvent, comme toujours, qu'il dut y avoir de l'influence de Mme Sand dans
tout cela. Effectivement, le programme que le ministre avait fait commu-
niquer aux artistes et qui fut publié dans VArtiste du 9 avril, n'est
que l'extrait d'une lettre de George Sand à Clésinger. Quant à la statue
projetée du Champ-de-Mars, c'est encore elle qui la fit commander à ce sculp-
teur. Elle écrit à son fils, le 28 avril (la lettre est inédite, et écrite la nuit des
élections à Paris) : « Solange se porte comme le Pont-Neuf ; son mari, grùce
à moi, fait la statue du Champ-de Mars. »
(2) V. Daniel Stern, t. II, p. 309-310.
GEORGE SAND 77
d' Ćuvre de littĂ©rature ou d'art lyrique, avaient Ă©tĂ© vivement
impressionnés par le sujet et la musique de la Muette, qu'ils
avaient applaudi toujours Ă propos, aux passages les plus tou-
chants ou les plus dramatiques de la tragédie ; comment enfin
le peuple s'était cotisé pour offrir « un bouquet à Mlle Rachel,
qu'on ne le jeta pas brutalement sur la scĂšne, comme le font
de prétendus dandies, mais un ouvrier monta sur la scÚne et,
en présentant respectueusement le bouquet à la grande artiste,
lui exprima la gratitude de l'auditoire populaire et lui demanda
de vouloir bien redire le dernier couplet de la Marseillaise, » au
lieu de le lui réclamer grossiÚrement à grands cris, comme le
fait le soi-disant public cultivé. Enfin, à la sortie, le peuple ne
voulut pas profiter gratuitement du divertissement que l'Ătat
lui offrait, et, se souvenant que tandis qu'il « s'amusait d'autres
souffraient », chacun fit une offrande pour les pauvres. Plus
on avait décrié ces représentations, plus George Sand mit de
joie ironique à constater combien on s'était trompé.
Ces deux articles de critique furent insérés dans les nos 1 et
2 de la Cause du Peuple, parus les 9 et 16 avril. Et dans le mĂȘme
n° 2 parut le Prologue â le Roi attend (1). George Sand confesse
candidement dans la premiÚre de ses critiques de théùtre que ce
prologue Ă©tait une espĂšce de pastiche oĂč l'auteur faisait preuve
de bons sentiments et dont l'idée est empruntée à Y Impromptu
de Versailles de MoliĂšre. Ici comme lĂ , MoliĂšre se trouve dans
l'embarras : il faut commencer, le roi va venu: et la piĂšce
n'est pas encore Ă©crite et les acteurs n'en savent pas un
mot. Accourent l'un aprÚs l'autre sept « nécessaires » en criant :
Messieurs, commencez donc ! Le roi risque d'attendre I... Le
roi attend !... Le roi a attendu !... » Les acteurs horripilés se
sauvent, MoliÚre, resté seul, dit qu'il se sent, malgré tout, pur
de tout reproche, parce qu'il a toujours honnĂȘtement fait
(1) La reprĂ©sentation gratuite, oĂč on avait jouĂ© ce Prologue, eut lieu
le 7 avril, comme on le voit, par la lettre inédite de George Sand à son fils,
datée du 8 avril, et fut « magnifique » ; dans cette lettre, Mme Sand parle du
public qui fut pour elle ce qu'il y avait de plus intéressant dans ce spectacle,
dans des termes tout aussi enthousiastes que ceux de son article de la Cause
du Peuple.
7S GEORGE SAND
son devoir, a tùché de corriger le vice, a toujours dit la
vérité ; s'il a aimé le roi c'est parce que le roi était bon, il l'a
employé à chùtier sa cour et l'a défendue, simple petit rotu-
rier, contre les grands auxquels il s'attaquait. Puis, fatigué,
MoliĂšre s'endort. Des nuages l'enveloppent et quand ils se dis
sipent apparaßt la Muse (Rachel), entourée des ombres des grands
poĂštes, antiques et modernes : Eschyle, Sophocle, Euripide,
Plaute, TĂ©rence, Shakespeare, Voltaire, Rousseau, Beaumar-
chais, Marivaux, etc. Chacun d'eux, selon son genre et sa
nature, prédit la victoire définitive de la vérité, de la justice
et de la tolérance sur les abus, les vices et les iniquités des siÚcles
passés. (Par exemple : Voltaire dit : « J'ai fait une grande révo-
cution, mais Rousseau en a fait une seconde. » â Celle de 1848, la
sociale, et démocratique, s'entend!) Puis la Muse proclame en
belles et sonores paroles que les maux et les erreurs d'autrefois
sont vaincus, que la raison triomphe, que les temps de la ven-
geance sont révolus et qu'à présent, les poÚtes des temps nou-
veaux, en continuant l'Ćuvre de leurs grands prĂ©dĂ©cesseurs,
créeront aussi un art nouveau « qui va naßtre au souffle de la
libertĂ© ». La vision disparaĂźt. LaforĂȘt vient rĂ©veiller MoliĂšre,
lui dit que le roi attend toujours et conseille de regarder dans
la salle. MoliĂšre s'approche de la rampe en priant LaforĂȘt
de ne point l'Ă©veiller, parce qu'il rĂȘve encore, et, en rĂȘvant, il
« voit bien le roi; mais il ne s'appelle plus Louis XIV, il
s'appelle le peuple, le peuple souverain... Ce souverain est grand
aussi, plus grand que tous les rois, parce qu'il est bon, parce
qu'il n'a pas d'intĂ©rĂȘt Ă tromper, parce qu'au lieu de courtisans,
il a des frÚres..., etc. » Et MoliÚre s'adresse à ce peuple en
disant :
« Messieurs !... »
« Il faut dire citoyens Ă cette heure » ! â lui souffle LaforĂȘt.
Et MoliÚre invite les « citoyens » à franchir trÚs souvent les
portes du théùtre de la République, qui leur sont « toutes
grandes ouvertes ».
H n'y a pas à dire, quel que soit le « souverain » du moment,
GEORGE SAND 79
les poÚtes, lorsqu'ils s'adressent à lui, sont toujours obligés de...
l'aduler, et George Sand ne put se soustraire à la rÚgle générale,
quoique « des temps nouveaux » fussent arrivés !
Examinons maintenant le Bulletin n° 12, que nous n'avons
pas analysé à son numéro d'ordre, justement à cause de son
thÚme spécial. Son idée principale est celle-ci : parmi toutes
sortes de pétitions et de résolutions votées en ce dernier temps,
on a vu quelques femmes « réclamer les privilÚges de l'intelli-
gence », voire : des droits politiques égaux à ceux de l'homme.
L'auteur du Bulletin trouve que la question ainsi posée manque
d'actualité et prouve l'égoïsme des femmes privilégiées. Il faut,
d'abord, que tous les hommes acquiĂšrent et affermissent les
droits de V homme, s'affranchissent du joug de l'ignorance et de
la misĂšre. Puis il faut que les femmes qui jouissent de tous les
privilÚges de l'instruction et de l'aisance matérielle « oublient
leur personnalitĂ© » et s'occupent du sort de leurs sĆurs malheu-
reuses ne possédant aucun droit ou privilÚge, les ouvriÚres
opprimées par la misÚre et l'ignorance, les misérables filles du
p euple qui gagnent leur existence en se prostituant. Les unes et
les autres sont les parias, les esclaves blanches du régime social
actuel, elles ne parviendront pas par leurs propres efforts Ă
s'affranchir de leur horrible Ă©tat. C'est Ă les aider en cette tĂąche,
à alléger leur sort que doivent tendre les efforts des femmes.
C'est aux mĂšres surtout qu'il incombe de prĂȘcher Ă leurs Ă©poux,
à leurs frÚres, à leurs fils, « l'affranchissement sérieux et moralisa-
teur de la femme ».
M. Monin, en parlant de ce Bulletin, ajoute avec une ironie
bien fondée : « On peut se figurer l'effet que produisit ce dou-
ziÚme Bulletin sur les murs des communes rurales » (au milieu
des paysans qui sont, en général, si sainement sages et si sévÚres
pour tout ce qui est prostitution, ajouterons-nous).
Puis M. Monin cite un menu fait d'histoire d'un comique
achevé :
« A Paris, le triste monde de la prostitution patentée fut inquiet,
mais non terrifié. H existe une circulaire signée, « convoquant les maß-
tresses », pour le 11 avril, à une assemblée générale, afin de défendre les
So GEORGE SAND
intĂ©rĂȘts menacĂ©s de leurs « maisons ». L'histoire ne dit pas si ce syn-
dicat d"un nouveau genre envoya une députation à l'HÎtel de ville. »
L'auteur anonyme delà Préface des Bulletins de la République,
dont il a été plus d'une fois question dans ces pages, trouve que
ee Bulletin « trahit une origine particuliÚre ».
... On y reconnaßt sans peine les idées, le style et la touche habituelle
d'un bas bleu célÚbre, voué, depuis quelques années, à la défense de
son sexe ; l'auteur de LĂ©lia et de Valentine se laisse deviner Ă chaque
ligne, George Sand y occupe une chaire de morale Ă l'usage des femmes...
M. Monin réfute en toute justesse cette prétendue défense
exclusive de son sexe de la part de George Sand et démontre,
en quelques lignes probantes, qu'en 1848, comme toujours,
George Sand s'intéressait bien plus aux questions générales et
humaines qu'au féminisme. Le Bulletin n° 12 confirme ce fait
de tous points. Bien plus, nous y trouvons plusieurs phrases
redondantes, des locutions qui ne sont pas propres Ă George
Sand, et qui, selon nous, doivent avoir été écrites par un
homme, et non pas par une femme. Nous ne pouvons pas dire
qui avait revu ou corrigé ce Bulletin, si ce fut Jules Favre,
Arago ou Ledru lui-mĂȘme, mais nous sommes convaincus que
George Sand ne l'avait pas Ă©crit seule (1).
Or, ce n'est pas seulement dans ce bulletin-lĂ , mais deux
fois encore que George Sand se prononça dans la presse contre
les réclamations féminines, hors de propos, lorsque les droits
de l'homme ne sont pas encore conquis, et en particulier contre
le point pour lequel, de nos jours, les suffragettes anglaises
combattirent avec une Ă©nergie extravagante : contre la par-
ticipation des femmes aux élections et à la députation. Voici les
deux cas oĂč George Sand eut Ă se prononcer.
(1) Dans sa lettre du 7 août à Girerd, George Sand dit au sujet de la ma-
niÚre dont étaient rédigés, corrigés et imprimés les Bulletins qu'elle avait
« accepté la censure du ministre ou des personnes qu'il commettait à cet
examen », qu'elle « ignorait si les cinq ou six Bulletins qu'elle avait envoyés
au ministre ont été « examinés » et qu'elle « ne revoyait jamais les épreuves ».
Ceci rend probable notre supposition que le Bulletin n° 12 a été retouché
par quelqu'un des membres du gouvernement.
GEORGE SAND 81
D'abord, au commencement d'avril des clubs fĂ©minins â et en
particulier celui qui siégeait au boulevard Bonne-Nouvelle et
publiait sous la direction de aime Mboyet son propre journal :
la Voix des femmes, avec le sous-titre (1) : Journal social et poli-
tique, organe des intĂ©rĂȘts de toutes (sic), â dĂ©cidĂšrent de prendre
part aux Ă©lections (quoique les femmes n'eussent pas le droit
d'élire), et proposÚrent deux candidats : Ernest Legouvé, le
Bayard du féminisme, et George Sand (quoiqu'elle n'eût pas
le droit, comme femme, d'ĂȘtre Ă©lue). Vers la mĂȘme Ă©poque, on
put lire dans ce mĂȘme journal de dames, dans un petit entrefilet,
à propos de Pierre Leroux jugé par George Sand, que chaque
parole de George Sand était considérée par ces dames comme
« religieuse et sainte ». Puis, quelques jours plus tard, il parut
dans la Voix des femmes un petit article, signé des initiales
0. S. et qui exhortait pathétiquement la société à restituer la
loi du divorce au nom de la morale publique, Ă l'appui de quoi
l'article faisait allusion au récent assassinat de la duchesse de
Praslin, tuée par son mari outragé. Le gros public crut que les
initiales 0. S. signifiaient George Sand.
C'est alors que cette derniĂšre, gĂ©nĂ©ralement si indiffĂ©rente Ă
la calomnie qui la touchait personnellement, ne voulut ni souf-
frir qu'on abusĂąt de son nom d'auteur, ni permettre qu'on
importĂąt de la mauvaise marchandise sous le couvert d'un
beau pavillon. Et puis elle comprenait tout le ridicule de cette
escarmouche féminine, brandissant sa candidature comme une
banniÚre. On a retrouvé dans les papiers de George Sand une
lettre inachevée adressée aux dames qui avaient proposé cette
candidature. Elle s'y prononce d'une maniÚre trÚs sérieuse et
trÚs convaincue sur la question féminine ou plutÎt sur l inutilité
de la participation des femmes Ă la lutte et aux droits poli-
tiques. Selon nous, mĂȘme de nos jours il serait difficile de dire
quelque chose de plus raisonnable et de plus sage. La lettre
(1) H y avait alors plusieurs clubs féminins et plusieurs journaux rédigés
par des dames, par exemple : la RĂ©publique des femmes, la Politique des femmes,
l'Opinion des femmes, le Volcan, etc., etc. (Voir l'article de M. Monin et V His-
toire de 1848, par Daniel Stern.)
82 GEORGE SAND
e6t trop longue pour ĂȘtre citĂ©e en entier et des pensĂ©es dĂ©tachĂ©es
de l'ensemble perdraient de leur suite et de leur force de con-
viction. Cette lettre plairait peu aux féministes actuels, elle
prouverait aussi leur erreur Ă ceux qui prennent George Sand
pour l'apologiste et l'avocat des femmes ; mais il est fort douteux
d'autre part que des personnes sérieuses et réfléchies, ceux qui
en principe ne mettent pas en doute les droits humains et
l'égalité morale de la femme, ne soient entiÚrement d'accord
avec cette lettre de George Sand (1). On peut la lire dans le
volume paru en 1904, intitulé : Souvenirs et Idées et présentant
un recueil de morceaux et de pages posthumes (nous l'avons
mentionnĂ© dĂ©jĂ ), oĂč cette lettre parut sous le titre arbitraire
de : A propos de la Femme dans la société politique (2). Mais
s'étant ravisée, George Sand, au lieu de cette longue réponse
traitant le fond de la question, préféra se dégager formellement
de toute solidarité avec les femmes qui eurent la fantaisie de
mettre son nom sur la liste des candidats, et en mĂȘme temps
elle renia les initiales G. S. qu'on lui attribuait dans le journal
« rédigé par des dames ». Dans ce but, elle envoya une lettre à la
rédaction de la Vraie Bépv.olique de Thoré et à celle de la Ré-
forme, Ă©crite dans les termes que voici :
Monsieur,
Un journal rĂ©digĂ© par de* dames a proclamĂ© ma candidature Ă
l'Assemblée nationale. Si cette plaisanterie ne blessait que mon amour-
propre, en m'attribuant une prétention ridicule, je la laisserais passer,
comme toutes celles dont chacun de nous en ce monde peut devenir
(1) D est trÚs intéressant de confronter cette lettre de George Sand avee
la lettre publiée par M. Edouard de Pompéry (fouriériste, ami de Mme Mar-
liani, de M. Anselme Pététin et de Mme Pauline Roland, auteur des livres :
Démocratie pacifique et Quintessences féminines), lettre dont M. Monin cite
un extrait, ainsi qu'avec l'article de George Sand, THomme et la Femme,
Ă©crit le 20 aoĂ»t 1872, publiĂ© dans le Temps du 4 septembre de cette mĂȘme
année et réimprimé dans le volume des Impressions et Souvenirs. Toutes
ces lettres et articles ne laissent subsister aucun doute sur le fait que la
question féminine proprement dite « n'existait pas » pour George Sand : elle
ne s'intéressait qu'aux questions humaines, et ne partageait nullement
les aspirations du féminisme contemporain.
(2) Souvenirs et Idées, p. 19-38.
GEORGE SAND S3
l'objet Mais mon silence pourrait faire croire que j'adhĂšre aux prin-
cipes dont ce journal voudrait se faire l'organe. Je vous prie donc de
recevoir et de vouloir bien faire connaßtre la déclaration suivante :
1° J'espÚre qu'aucun électeur ne voudra perdre son vote en prenant
fantaisie d'Ă©crire mon nom sur son billet.
2° Je n'ai pas l'honneur de connaßtre une seule des dames qui
forment des clubs et rédigent des journaux.
3° Les articles qui pourraient ĂȘtre signĂ©s de mon nom ou de mes
initiales dans ces journaux ne sont pas de moi.
Je demande pardon à ces dames qui, certes, m'ont traitée avec
beaucoup de bienveillance, de prendre des précautions contre leur
zĂšle.
Je ne prétends pas protester d'avance contre les idées que ces dames,
ou toutes autres dames, voudront discuter entre elles ; la liberté d'opi-
nions est Ă©galement pour les deux sexes, mais je ne puis permettre
que, sans mon aveu, on me prenne pour l'enseigne d'un cénacle fémi-
nin avec lequel je n'ai jamais eu la moindre relation agréable ou fù-
cheuse.
Agréez, monsieur, l'expression de mes sentiments distingués.
George Sand.
8 avril 1848.
La lettre parut le 9 et 10 avril dans la Vraie RĂ©publique et
dans la Réforme. Le lendemain elle fut réimprimée par divers
autres journaux, et celui de Mme Niboyet dut confesser, hélas 1
que les initiales G. S. n'appartenaient pas Ă George Sand, mais
bien... Ă Mme Qabr telle Soumet!
HĂ©las ! dirons-nous encore, parce qu'il nous faut chagriner
une fois de plus toutes les féministes françaises, russes et autres,
toutes les suffragistes et suffragettes, en citant, immédiatement
aprĂšs cette lettre, une autre page encore de George Sand, Ă©crite
contre les réclamations féminines. Un mois plus tard, le 7 mai,
George Sand publia dans la mĂȘme Vraie RĂ©publique, une trĂšs
intéressante Revue politique et morale de la semaine, et c'est
dans cet article que nous trouvons les lignes suivantes :
La question des femmes est venue mĂȘler, cette semaine, un peu de
gaieté au sérieux des événements et des préoccupations. Certains
clubs sont envahis ou menacent de l'ĂȘtre par les dames socialistes.
Ces dames ont raison de s'occuper du progrĂšs que la RĂ©publique
S4 GEORGE SAND
promet de faire entrer dans les mĆurs, dans la lĂ©gislation, dans la
condition morale et matérielle des femmes du peuple, dans l'éduca-
tion de l'un et de l'autre sexe. Mais ces dames ont tort de vouloir se
jeter de leurs personnes dans le mouvement. On ne leur conteste
point le droit de lire, de penser, de raisonner et d'Ă©crire ; mais quel
que soit l'avenir, nos mĆurs et nos habitudes se prĂȘtent peu Ă voir
les femmes haranguant les hommes et quittant leurs enfants pour
s'absorber dans les clubs.
Je ne vois point que dans l'Ă©tat actuel des choses, les femmes doivent
ĂȘtre si pressĂ©es de prendre une part directe Ă la vie politique. H n'est
point prouvé qu'elles y apportent un élément de haute sagesse et de
dignité bien entendue ; car si une grande partie des hommes est inex-
pĂ©rimentĂ©e encore dans l'exercice de cette vie nouvelle oĂč nous entrons,
une plus grande partie des femmes est exposée à cette inexpérience,
et l'essai compliquerait d'une maniĂšre fĂącheuse les embarras de la
situation.
Il ne nous est point prouvé d'ailleurs que l'avenir doive transformer
la femme à ce point que son rÎle dans la société soit identique à celui
de l'homme. Il nous semble que les dames socialistes confondent
V égalité avec Videntité, erreur qu'il faut leur pardonner; car, en ce
qui les concerne eux-mĂȘmes, les hommes tombent souvent dans cette
confusion d'idées. L'homme et la femme peuvent remplir des fonctions
différentes sans que la femme soit tenue pour cela dans un état d'in-
fériorité. Nous n'avons point trouvé jusqu'ici la prétention de ces
dames assez significative pour qu'il soit nécessaire de les contrarier
en la discutant. Si elle se formulait d'une maniÚre plus sérieuse, nous
consacrerions un travail particulier Ă l'examen de leurs droits et de
leurs devoirs dans le présent et dans l'avenir. »
Il est curieux de noter dans la Lettre et dans la page préci-
tées que George Sand y parle à plusieurs reprises avec une
certaine ironie des dames socialistes, ce qui porta probablement
M. Monin à nier catégoriquement son « socialisme » ou son
a communisme » à elle. Or, George Sand était trÚs consciente
de sa solidarité morale avec les républicains socialistes, qualifiés
de « communistes » en 1848, comme le lecteur l'a déjà pu voir
et commr il le Terra encore. Cette expression de son article
doit donc ĂȘtre comprise dans le sens de reniement formel
de toute participation Ă quelque parti ou coterie socialiste,
parce que George Sand tenait Ă n'ĂȘtre enrĂŽlĂ©e sous aucune
banniĂšre, Ă n'appartenir Ă aucune secte (qu'elle opposait Ă une
GEORGE SAND 85
Ă©cole). C'esx pour cette raison qu'elle qualifiait du nom de
« dame; socialistes » les membres des clubs féminins socia-
listes, tout comme un peu plus tard elle disait trĂšs explici-
tement en parlant d'elle-mĂȘme :
... Si, par le communisme, on entend l'adhésion à quelque groupe
précis, à quelque secte définie, nous ne sommes pas communistes ;
mais si on entend par ce terme la sympathie pour certaines idées,
certaines aspirations, certaines croyances, oui, alors, nous sommes
communistes.
George Sand croyait nuisible Ă la cause de la RĂ©publique le
socialisme et le communisme, et n'importe quelle autre secte
vouĂ©e Ă quelque unique idĂ©e, ne voyant rien ni Ă droite, ni Ă
gauche, des gens aveugles pour tout ce qui n'est pas leur clan,
voulant exhausser leur secte au détriment de la grande cause de
la liberté et de l'égalité, bref, des hommes de parti dans le sens
exact du mot. C'est à leur myopie qu'elle attribua la défaite
du peuple au 16 avril. Dans la description de cette journée
parue dans le dernier numéro de la Cause du Peuple et ressem-
blant beaucoup à la version donnée à cet épisode dans le
Bulletin n° 20, que nous serions fort portés à lui attribuer,
quoiqu'il n'y ait aucune preuve du fait (1), George Sand dit
ceci : La secte (c'est-à -dire : Blanqui, Raspail et C°, et Louis
Blanc lui-mĂȘme, tous ceux qui portĂšrent audacieusement leurs
réclamations à l'hÎtel de ville dans le but secret de forcer le
gouvernement provisoire Ă n'Ă©couter qu'eux) et la caste (c'est-Ă -
dire la bourgeoisie effrayée outre mesure et la Garde nationale
qui s'y élancÚrent également afin de défendre ce gouvernement),
avaient failli tuer la jeune RĂ©publique. Mme Sand assure y avoir
assisté en simple spectateur et vu que les deux foules, l'une
armée, l'autre désarmée, chacune croyant qu'on voulait égorger
une partie du gouvernement provisoire, accoururent des deux
(1) Si l'on ne compte pas pour une telle preuve le fait que Daniel Stern lui
attribue ce Bulletin (Histoire de 1848, t, II, p. 305) dont elle cite un passage
effectivement trÚs ressemblant, comme style et idée, aux écrits de Mme Sand.
Or, comme nous l'avons dit maintes fois et comme nous allons le répéter
plusieurs fois encore, Daniel Stern était à ce moment précis, on ne sait pas
trop comment, trĂšs au courant des faits et gestes de son ancienne amie,
S6 GEORGE SAND
cÎtés vers l'HÎtel de Ville. H s'en fallut de peu qu'une san-
glante guerre civile n'Ă©clatĂąt, mais le peuple comprit le malen-
tendu et les deux ondes populaires, s'Ă©tant mĂȘlĂ©es en une seule,
quittĂšrent la place et s'en allĂšrent aux cris de Vive la RĂ©pu-
blique/ aprĂšs que le gouvernement provisoire au grand complet
eut tranquillisé le peuple alarmé.
On sait que les choses ne se passĂšrent point tout Ă fait ainsi.
Et d'abord George Sand ne fut pas un simple spectateur, et ce
« malentendu » populaire, l'égoïsme de la secte et de la caste ne
la surprirent pas. Elle avait eu une part dans la préparation
de l'Ă©vĂ©nement. Puis, â et c'est lĂ l'important, â elle avait
trÚs bien vu et compris que la journée du 16 avril signifiait
quelque chose de bien pire pour l'avenir de la RĂ©publique
qu'un malentendu. Daniel Stem dit dans son Histoire de la
RĂ©volution de 1848 :
Par malheur, l'entourage du ministre de l'Intérieur était possédé
d'ambitions plus impatientes ; on y rĂȘvait pour lui la dictature, on
voulait avec lui et par lui gouverner révolutionnairement la France.
Ce rĂȘve de quelques hommes passionnĂ©s prenait chaque jour plus de
consistance par l'intervention trĂšs directe et trĂšs efficace de M. Caus-
sidiĂšre. Peu Ă peu, il se transformait en projet ; du projet au complot,
il n'y avait pas loin pour des hommes habitués aux pratiques des
sociétés secrÚtes. Sans y tremper d'une maniÚre active, M. Ledru-
Rollin prĂȘtait une oreille quelquefois distraite, mais souvent complai-
sante aux discours des conspirateurs ; tout en agissant contre eux...
en pressant la rentrée des troupes, il ne les dissuadait pas de leur
entreprise et laissait faire leur zĂšle.
... Mme Sand était l'un des agents les plus animés de la conspiration,
moins dans l'intĂ©rĂȘt de Ledru-Rollin que dans celui de M. Louis Blanc.
Elle y avait amené Barbes et travaillait dans ce sens l'esprit des ou-
vriers qu'elle réunissait tous les soirs dans un petit logement voisin
du Luxembourg, oĂč elle Ă©tait descendue. Vers la fin de la soirĂ©e, elle
allait rejoindre au ministÚre de l'Intérieur le petit cercle des invités,
parmi lesquels on comptait habituellement MM. Jules Favre, Landrin,
Portalis, Carteret, Etienne Arago, Barbes, etc. Là , soit en présence
de M. Ledru-Rollin, soit en son absence, on discutait les moyens de
remettre entre ses mains le sort de la RĂ©publique. Ces moyens, depuis
le succĂšs de la manifestation du 17 mars, paraissaient trĂšs simples.
Provoquer, sous un prétexte quelconque, une réunion générale de
GEORGE SAND 87
prolĂ©taires, tenir des armes et des munitions prĂȘtes, ce qui Ă©tait d'au-
tant plus facile qu'on avait pour soi le préfet de police, entrer à l'hÎtel
de ville, en chasser ceux du gouvernement provisoire qui déplairaient,
quoi de plus élémentaire et d'une exécution plus prompte (1)...
Et cette page de Daniel Stem est en tous points confirmée
par les indications que nous trouvons dans les propres lettres
de George Sand. C'est ainsi qu'elle Ă©crit Ă Maurice et Ă
Mme Duvernet les 15 et 16 avril :
Au citoyen Maurice Sand, Ă Nohant.
Paris, le 15 avril 1848.
Pour toi seul.
Cher Bouli, j'allais partir dans quelques heures. Mais cela devient
tout Ă fait impossible. H se prĂ©pare une mam'festation politique Ă
laquelle je dois assister absolument. Manifestation toute pacifique,
mais qui doit réparer bien des sottises et bien des actes coupables.
Sois en paix, s'il y avait quelque chose d'intéressant, je t'appellerais.
Mais c'est une affaire de conciliaoules. Au reste, quand tu t'ennuieras
trop, tu sais que tu n'es pas forcé de garder la maison. Je t'écrirai
plus en détail demain.
Je te bige mille fois. Représente-moi auprÚs de notre fille Titine
pour la marier Ă l'Ă©glise.
Bonsoir, je t'aime.
A Madame Eugénie Duvernet.
Paris, 16 avril 1848.
ChÚre mignonne, je ne peux plus partir. Les affaires se présentent
sous un aspect auquel il faut absolument ma présence pendant quelques
jours. Mais je ne peux pas laisser mes amoureux dans l'attente. Je
leur Ă©cris donc de se marier sous ton patronage, si tu peux y assister,
(1) Daniel Stern raconte plus loin que la seule chose qui inquiétait les
conspirateurs, c'Ă©tait l'intervention possible de Blanqui qui faisait de la cons-
piration à ses risques et périls et pouvait tout gùter au dernier moment ;
puis elle relate comment la découverte inattendue de papiers, relatifs à la
conspiration de 1839, leur délia les mains à l'égard de Blanqui, ayant permis
de constater qu'il avait joué envers son associé Barbes un rÎle qui ne laissait
subsister aucun doute sur ses relations avec la police et sa provocation.
88 GEORGE SAND
et sous celui de Maurice qui me représentera. Je leur dis aussi de venir
me retrouver ici tout de suite aprĂšs. Je leur envoie donc une petite
somme en papier pour leur voyage. TĂąche de faire remettre les deux
lettres ce soir Ă Nohant. Tu devrais te faire accompagner par quel-
qu'un de nos amis Ă ChĂąteauroux et aller coucher Ă Nohant.
Adieu, adieu, j'ai un gros chagrin de ne pas partir avec toi. J'em-
brasse Charles.
George (1).
Le 16 avril, au matin, George Sand Ă©crit encore Ă son fils les
lignes plus que significatives que voici :
L'affaire est avortée ou la partie est remise. H n'y aura rien aujour-
d'hui. Je suis doublement fùchée à présent de ne pas avoir été à Nohant.
Je m'y serais remise d'une toux qui me fend le corps en quatre. Mais
on ne sait plus oĂč on en est, et rien ne ressemble plus aujourd'hui Ă
la vie d'hier. J'espĂšre pourtant bien me sauver au premier rayon de
soleil et aller me reposer un peu prĂšs de toi. Tu ne me dis rien de ce
qui se passe chez nous. Avez-vous un sous-commissaire? Que disent
les paysans de Nohant? Que fais-tu? J'ai eu des détails du mariage
par Eugénie, j'ai su que Gilland et son ami (2) y assistaient. Probable-
ment je vais voir arriver Titine aujourd'hui qui me racontera tout
ce que tu ne me dis pas.
Ici, tout va de travers, sans ordre et sans ensemble. H y aurait pour-
tant de belles choses à faire en politique et en morale pour l'humanité.
Malgré les bourgeois, il y aurait mille moyens de sauver le peuple.
Mais l'homme, dit Montaigne, est ondoyant et divers. H faudra que
j'aille te raconter tout le détail de cela. C'est bien curieux, c'est sou-
vent triste, souvent bĂȘte, et c'est pourtant avec tout cela que le pro-
grĂšs marche et que l'histoire se fait..
(Viennent des lignes consacrées à des conseils maternels à Mau-
rice et à EugÚne Lambert de travailler sérieusement, ainsi que
des détails sur leurs tableaux et dessins exposés au Salon. Puis
Mme Sand revient Ă ses affaires et Ă ses projets personnels) :
... Ăcris-moi donc, puisque je suis en prison ici. Je tente de trouver
un gagne-pain et un moyen d'ĂȘtre utile dans ce journal que j'ai crĂ©Ă©.
Ăa prendra-t-il, oui ou non? Je ne sais encore. Mais si ça ne prend
pas, je ferai autre chose. Enfin, il faut trouver ici un moyen de faire
(1) Ces deux lettres sont inédites.
(2) Alexandre Lambert, ouvrier et publiciste prolétaire, puis rédacteur
de journal Ă la ChĂątre ; cf, les chapitres rv (vol. III) et ix (vol. IV).
GEORGE SAND 89
honneur Ă ses affaires et de vivre, c^r, aprĂšs les onze mille francs qu'on
me payera au mois de mai pour les deux premiers volumes de Ma
Vie, il y aura une grande lacune avant de faire paraĂźtre et avant d'en
payer d'autres, on me l'annonce (1).
Bonjour, mon enfant, je te bige mille fois. Si tu vois Gilland, dis-lui
mille choses pour moi, bonjour Ă Lambrouche (2).
Et dans le Journal de 1848., mentionné plus haut, et dont il
ne reste, comme nous l'avons dit, que quelques feuillets, se
trouvent les pages suivantes trÚs importantes : elles nous révÚlent
combien, dans la huitaine qui précéda ce 16 avril, George Sand
était au courant des choses qui se préparaient. Il faut noter
préalablement que le morceau imprimé dans le volume Souvenirs
et Idées, sous la date du « 17 avril », se trouvait dans le manus-
crit autographe placé aprÚs ce qui était écrit à la date du
26 avril, c'est-à -dire qu'il présente un essai rétrospectif de
repasser en mémoire tout ce qui avait précédé la manifestation
contre-révolutionnaire du 16 avril. Il explique et résume
tous les faits qui aboutirent en cette journée à des résultats par-
faitement inattendus pour les meneurs de la conspiration : la
fusion trÚs visible de tous les éléments réactionnaires. Et au
milieu de cet exposé en traits sommaires des événements,
du 24 février au 16 avril, nous trouvons des indications trÚs
précieuses sur la participation personnelle de George Sand aux
conspirations des partis :
... Le 17 mars, aprĂšs une manifestation faite la veille par quatorze
mille garde nationaux de Paris et de la banlieue, sur le motif apparent
du maintien des compagnies d'élite et en réalité contre le citoyen
Ledru-Rollin et la portion véritablement républicaine du gouverne-
ment provisoire, eut heu une manifestation imposante du peuple de
Paris, Ă laquelle prirent part plus de cent cinquante mille hommes.
Hier, la contre-révolution a tenté de prendre sa revanche. Le fait
(1) La publication de VHistoire de ma vie fut arrĂȘtĂ©e par les Ă©vĂ©nements
politiques, et Mme Sand, pour sa part, abandonna ce travail en 1848, pour
ne le reprendre qu'en 1853. Nous lisons dans l'un de ses carnets, Ă©crits de
la main de Manceau : « AprÚs la lecture de tout, Madame se remet sérieuse-
ment à VHistoire de ma vie, le 22 avril 1853. » L'ouvrage parut en 1854.
(2) EugĂšne Lambert*
9o GEORGE SAND
qui s'est passé est diversement interprété. Je vais tùcher de le consigner
ici aussi exactement que possible et en toute sincérité.
Voici quelle Ă©tait la situation de la France avant le 17 avril :
DÚs le lendemain de la révolution de février tout le monde se disait
républicain ; cependant il était facile de voir qu'au premier jour un
dissentiment profond séparait en deux partis nettement tranchés les
républicains de la veille et ceux du lendemain. En effet, le gouvernement,
la presse, la France entiÚre fut bientÎt divisée en républicains pure-
ment politiques, auxquels se ralliĂšrent aussitĂŽt les hommes de la mo-
narchie déchue, et en républicains socialistes, qui comprenaient dans
leur sein la majeure partie des ouvriers de Paris.
Avant-hier, ils pouvaient encore ĂȘtre confondus; aujourd'hui un
abĂźme les divise. Demain peut-ĂȘtre le sort des armes dĂ©cidera entre
eux.
Depuis plusieurs jours, la réaction contre l'esprit démocratique d'une
portion du gouvernement provisoire Ă©tait devenue ostensible. Les
commissaires du ministre de F Intérieur étaient repoussés dans plusieurs
dĂ©partements, particuliĂšrement Ă Bordeaux, oĂč le fĂ©dĂ©ralisme s'avouait
hautement. Les Ă©lections paraissaient devoir se faire sous l'influence
d'une réaction aveugle contre les républicains socialistes, que l'on
cherchait à flétrir par l'appellation de communistes (la bourgeoisie
appelle communistes des sectes purement chimériques qui voudraient
la loi agraire, la destruction de la famille, le pillage, le vol, etc.). Il
était évident pour tous que, sous prétexte de communisme, on écarte-
rait violemment de la représentation tous les républicains sincÚres,
ceux qui avaient combattu et souffert, depuis huit ans, pour la cause
de la démocratie, de là l'irritation contre la bourgeoisie et contre la
fraction du gouvernement provisoire qui paraĂźt faire cause commune
avec elle ; des projets de fructidorisation existaient, mais Ă l'Ă©tat de
tendance seulement (1).
Les Ă©lections approchaient cependant, les manoeuvres et la con-
fiance des réactionnaires augmentaient. Les vices de la loi d'élection,
faite par M. de Cormenin, et qui rétablit, en fractionnant le vote par
département, les fùcheuses influences de clocher, étaient hautement
signalés. Jeudi (2), vers minuit, en sortant du club de la RévolutioD,
Leroux et Barbes se rendent chez moi sans aucune arriÚre-pensée. La
question est cependant soulevée et aprÚs un entretien de trois heures,
il est décidé qu'on tentera d'en finir avec la situation et que l'on essayera
d'obliger la majorité du gouvernement à donner sa démission.
Vendredi, un projet de loi sur les finances est soumis Ă Ledru-Rollin
(1) Cf. aux pages 69-70 et 72-73.
(2) Le 13 avril 1848.
GEORGE SAND 91
afin d'inaugurer par des mesures significatives le nouveau pouvoir.
Samedi, un projet de loi Ă©lectorale, un projet de gouvernement pro-
visoire autour duquel se rallierait un Conseil d'Etat formé de larges
bases et oĂč toutes les opinions figureraient, est prĂ©parĂ©.
Dans une rĂ©union secrĂšte chez Ledru-Rollin, oĂč assistaient Louis
Blanc, Flocon, Barbes et CaussidiĂšre, on discute la question du 18 fruc-
tidor sans pouvoir s'entendre.
Samedi, quelques vagues rumeurs transpirent Un élément nouveau
intervient. Un rapprochement aurait eu lieu entre Blanqui et Cabet
et peut-ĂȘtre aussi Raspail. (Leroux a rencontrĂ© Blanqui chez Cabet
vendredi.) Us ont des projets pour le dimanche. On nous menace
d'un triumvirat dictateur, les clubs de ces citoyens s'empareraient
d'une manifestation assez équivoque, provoquée par Louis Blanc
(une grande ambition dans un petit corps), sous le prétexte de la nomi-
nation de treize capitaines d'Ă©tat-major de la garde nationale pris
dans les corporations d'ouvriers.
Le soir du mĂȘme jour le club de la rĂ©volution reçoit avis de tous
ces bruits. L'inquiétude s'empare de tous. On aime mieux maintenir
le gouvernement provisoire tout entier que de s'exposer Ă im coup de
main de Blanqui et d'autres. Mais comme l'incertitude est grande,
le club décide qu'il se tiendra en permanence le lendemain dÚs sept
heures du matin...
LĂ , s'arrĂȘte le rĂ©cit dans le Journal, c'est-Ă -dire juste au mo-
ment de Ventrée en matiÚre. Plus loin (dans le livre), ou plutÎt
avant cela (dans le manuscrit autographe), George Sand expose
son opinion sur la signification de l'événement du 16 avril,
c'est-Ă -dire qu'elle tire des conclusions des choses accomplies
déjà .
Dans le Journal nous trouvons donc une narration suivie
des préparatifs de la mémorable journée et de ses suites.
Mais la description de cette journĂ©e elle-mĂȘme et celle
du 20 avril (FĂȘte de la FraternitĂ©), se trouve dans le troisiĂšme
numéro de la Cause du Peuple, dont elles forment l'épilogue.
Et dans la premiĂšre de ces deux descriptions George Sand
s'efforce, tout comme l'auteur anonyme du 19e et 20e Bulletin
de la RĂ©publique, de paraĂźtre trĂšs optimiste, de ne voir dans
l'incident survenu qu'une preuve de ce que le peuple est
pour la RĂ©publique et ne veut souffrir aucune usurpation
de pouvoir de la part des meneurs de ces sectes. Dans le second
93 GEORGE SAND
article, George Sand peint avec un sincĂšre enthousiasme la gram
diose fĂȘte du 20 avril, qui devait symboliser la fraternitĂ© du
peuple et de l'armĂ©e. Or, cette fĂȘte fut une dĂ©monstration assez
artificielle et officielle. Et quoique le beau spectacle ait pu aveu-
gler George Sand. lui cacher la cruelle réalité en lui faisant
croire au républicanisme vital des masses et en lui faisant
attribuer la manifestation contre-révolutionnaire aux menées
de la bourgeoisie seule, néanmoins Mme Sand comprit presque
immédiatement qu'il n'existait plus dans le peuple ni vraie
concorde, ni vraie union. Elle se rendit un compte exact des
causes profondes et gĂ©nĂ©rales qui amenĂšrent, le 16 avril, Ă
des résultats qu'on voulait croire « inattendus ». Dans sa lettre
du 17 avril à son fils (imprimée dans la Correspondance), et
dans les pages du Journal, Ă©crites non plus post-facto, mais
bien réellement le 26 avril, aprÚs les événements du 16 et
du 20, on sent la conviction que la cause des socialistes répu-
blicains est perdue, ou pour le moins fort menacée, qu'on a fait
un faux pas et que ses suites sont déplorables pour la Répu-
blique démocratique et la cause de la liberté.
Paris, 17 avril 1848.
Mon pauvre Bouli,
J'ai bien dans l'idée que la République a été tuée dans son principe
et dans son avenir, du moins dans son prochain avenir. Aujourd'hui
elle a été souillée par des cris de mort. La liberté et l'égalité ont été
foulées aux pieds avec la fraternité, pendant toute cette journée.
C'est la contre-partie de la manifestation contre les bonnets Ă poil.
Aujourd'hui, ce n'Ă©taient plus seulement les bonnets Ă poil, c'Ă©tait
toute la bourgeoisie année et habillée ; c'était toute la banlieue qui
criait en 1832 : Mort aux républicains! Aujourd'hui elle crie : Vive
la RĂ©publique! mais Mort aux communistes! Mort Ă Cabet! Et ce cri
est sorti de deux cent mille bouches dont les dix-neuf vingtiĂšmes le
répétaient sans savoir ce que c'est que le communisme ; aujourd'hui,
Paris s'est conduit comme la ChĂątre.
H faut te dire comment tout cela est arrivé ; car tu ny comprendrais
rien par les journaux. Garde pour toi le secret de la chose.
H y avait trois conspirations, ou plutĂŽt quatre, sur pied depuis
huit jours.
D'abord, Ledru-Rollin, Louis Blanc, Flocon, CaussidiĂšre et Albert
GEORGE SAND 93
voulaient forcer Marrast, Garni er-PagĂšs, Carnot, Bethmont, enfin
tous les juste-milieu de la RĂ©publique, Ă se retirer du gouvernement
provisoire. Es auraient gardé Lamartine et Arago, qui sont mixtes et
qui, préférant le pouvoir aux opinions (qu'ils n'ont pas), se seraient
joints à eux et au peuple. Cette conspiration était bien fondée. Les
autres nous ramĂšnent Ă toutes les institutions de la monarchie, au
rĂšgne des banquiers, Ă la misĂšre extrĂȘme et Ă l'abandon du pauvre,
au luxe effréné des riches, enfin à ce systÚme qui fait dépendre l'ou-
vrier, comme un esclave, du travail que le maĂźtre lui mesure, lui chi-
cane et lui retire à son gré. Cette conspiration eût donc pu sauver la
RĂ©publique, proclamer Ă l'instant la diminution des impĂŽts du pauvre,
prendre des mesures qui, sans ruiner les fortunes honnĂȘtes, eussent
tiré la France de la crise financiÚre ; changer la forme de la loi électo-
rale, qui est mauvaise et donnera des Ă©lections de clocher ; enfin, faire
tout le bien possible, dans ce moment, ramener le peuple Ă la RĂ©pu-
blique, dont le bourgeois a réussi déjà à le dÎgoûter dans toutes les
provinces, et nous procurer une Assemblée ndionale qu'on n'aurait
pas été forcé de violenter. »
Ce passage de sa lettre à son fils n'est pas seulement fort inté-
ressant à confronter avec la page du Journal précitée, mais il
est encore plein de signification, parce qu'il est Ă©vident que cette
premiÚre conspiration « bien fondée », jouissait de toutes les
sympathies de l'auteur de la lettre et lui semblait parfaitement
légitime et désirable. Quant aux derniÚres lignes du paragraphe,
soulignées par nous, elles confirment encore une autre indica-
tion de Daniel Stern (1).
(1) On lit aux pages 7 et 8 du tome III de l'Histoire de la RĂ©volution de 1848 :
... Nous avons vu aussi que les principaux chefs révolutionnaires s'étaient
étonnés et alarmés sans mesure du tour que prenaient les élections. Lors-
qu'ils entrevirent le résultat du suffrage universel, ils s'excitÚrent l'un l'autre
à n'en tenir aucun compte et se répandirent à l'avance contre l'Assemblée
nationale en menaces insensées. Malheureusement, quelques hommes d'un
esprit supérieur et qui auraient dû se montrer plus sages, encouragÚrent ou
tolérÚrent ces tendances dangereuses et laissÚrent se former autour d'eux des
foyers d'une opposition préconçue qui touchait à la sédition.
... DÚs le 16 avril au soir, M. Louis Blanc et ses adhérents décidaient.dans
une réunion au Luxembourg, qu'il fallait incessamment réparer l'échec de
la journée en reprenant l'offensive. A la vérité, on ne s'était entendu ni sur
l'occasion, ni sur le mode d'une nouvelle intervention du prolétariat, mais
on s'était quitté en se payant de l'assurance que si l'Assemblée ne se mon-
trait pas docile aux volontés du peuple, on ferait bonne et prompte justice
de ces mandataires infidĂšles, A quelques jours de lĂ , MM. Pierre Leroux et
Cabet proposaient de leur cÎté au gouvernement provisoire de s'adjoindre
94 GEORGE SAND
Nous arrĂȘterons lĂ la citation de cette lettre, renvoyant le lec-
teur au tome III de la Correspondance. Nous nous bornons Ă
reproduire l'avis de M. Monin sur cette lettre qui constate que
« l'histoire a peu de chose à rectifier au récit de cette journée
fait par George Sand ».
Quelques jours plus tard, le 19 avril, Mme Sand revient Ă
la charge et parle Ă son fils d'un ton plus ironique de ce que
tout Paris est effrayĂ©, tous ont peur de tous, et s'attendent Ă
quelque chose d'horrible, comme en l'année de la peur (1793).
Puis elle dit encore qu' « il ne tiendrait qu'à elle de se poser
aussi en victime », à cause du « déchaßnement de fureur » contre
le malheureux Bulletin n° 16, qu'elle était pourtant « fort tran-
quille toute seule dans la cambuse » de Maurice, mais « il ne
tiendrait qu'Ă elle d'Ă©crire demain dans tous les journaux,
comme Cabet ou comme défunt Marat, qu'elle n'avait plus une
pierre pour reposer sa tĂȘte ».
Mais à la fin de cette lettre elle ajoute sérieusement déjà que
sa Revue ne prend guÚre, tout le monde étant trop préoccupé et
vivant au jour le jour, puis elle semble faire un dernier effort
pour rester... ou paraĂźtre optimiste :
Demain, le gouvernement publie les grandes mesures qu'il a prises
hier sur l'impÎt progressif, la loi des finances, l'héritage collatéral, etc.
Ce sera sans doute la fin de cette panique et d'une bĂȘtise gĂ©nĂ©rale
sortira un bien général. J'espÚre aussi que ce sera la fin de la crise
financiÚre. Ainsi soit-il ! Ce sera un premier acte de joué dans la grande
piÚce dont personne ne sait le dénouement
Dans sa lettre du 21 avril George Sand prĂȘche la nĂ©cessitĂ©
pour tous de s'habituer Ă une espĂšce d'Ă©tat de guerre permanent.
... Ne te laisse pas émouvoir par les récriminations et les menaces.
Tout homme qui agit révolutionnairement en ce moment-ci, qu'il
un comité permanent composé des hommes les plus avancés de la démocratie,
afin de rentrer par leur influence et par leurs conseils, malgré l'Assemblée
et sans elle, dans les voies de la révolution sociale.
Enfin, dans le mĂȘme temps, il se tenait au ministĂšre de l'IntĂ©rieur des
conciliabules oĂč MM. Portalis, Landrin, Jules Favre, Etienne Arago, Mme Sand
agitaient la question de savoir si l'on se débarrasserait de l'Assemblée le
j our mĂȘme de son ouverture ; trop souvent cette question absurde se tran-
chait d'une maniÚre affirmative... »
GEORGE SAND 95
soit membre du gouvernement provisoire ou maire de Nohant-Vic,
trouve la résistance, la réaction, la haine, la menace. Est-ce possible
autrement, et aurions-nous grand mĂ©rite Ă ĂȘtre rĂ©volutionnaires si
sout allait de soi-mĂȘme, et si nous n'avions qu'Ă vouloir pour rĂ©ussir?
Non, nous sommes et nous serons peut-ĂȘtre toujours dans un combat
obstiné.
Ai- je vécu autrement, depuis que j'existe, et avons-nous pu croire
que trois jours de combat dans la rue donneraient à notre idée un rÚgne
tans trouble, sans obstacle et sans péril? Nous sommes sur la brÚche
à Paris comme à Nohant. La contre-révolution est sous le chaume
comme sous le marbre des palais. Allons toujours ! Ne t'irrite pas,
tiens ferme, et surtout habitue tes nerfs Ă cet Ă©tat de lutte qui devien-
dra bientĂŽt un Ă©tat normal. Tu sais bien qu'on s'accoutume Ă dormir
dans le bruit. H ne faut jamais croire que nous pourrons nous arrĂȘter.
Pourvu que nous marchions en avant, voilĂ notre victoire et notre
repos...
Et quoique les deux lettres, l'inédite du 20 avril et la publiée
du 21, se terminent, l'une par l'assurance que Mme Sand« allait
se coucher pour aller demain matin au grand défilé de trente
mille hommes armés de la garde nationale et de la ligne », par le
regret que Maurice « n'avait pas vu les Montagnards de Caussi-
diÚre, une garde urbaine superbe », et par le conseil de s'ar-
ranger de maniÚre à pouvoir venir à l'ouverture de l'Assemblée,
Ă Paris, et l'autre, par la description brĂšve, mais exultante
de la FĂȘte de la FraternitĂ©, du coup d'Ćil grandiose du
haut de rArc de Triomphe, de l'illumination splendide, de la
foule enthousiaste fraternisant avec l'armée, etc... on y sent
derriĂšre cette foi optimiste en la victoire du peuple, comme un
vague pressentiment de luttes prochaines, un besoin de cacher
à ses propres yeux, par la beauté du spectacle, la réalité alar-
mante.
Sa lettre du 23 avril accentue encore cette note inquiĂšte :
Au citoyen Maurice Sand, Ă Nohant
Paris, 23 avril 1848.
Arrive donc, mon Bouli, puisque tu n'y tiens plus. Tu ne trouveras
pas mieux ici, car le moment des Ă©lections a fait Ă©clater les rancunes,
les propos, les haines, les ruptures que la fĂȘte du 20 avait endormies.
96 GEORGE SAND
Mais au moins nous serons ensemble et nous nous consolerons l'un par
l'autre. C'est une triste chose que ces alternatives d'Ă©lan fraternel
et de mĂ©fiance haineuse qui agitent le cĆur et la bile de tous Ă des
moments données. N'importe, l'avenir viendra et l'humanité fera
son progrÚs. J'ai besoin de la gaieté de Lambrouche pour me remonter.
Apporte Cocoton et viens.
Comme elle est loin, Mme Sand, de la belle assurance
avec laquelle elle dĂ©clarait dans son 15e Bulletin, il y a Ă
peine huit jours, « que quiconque ne sera pas convaincu que
a République ne peut pas périr, ne sera qu'un député dan-
gereux » 1
Mais dans le dernier feuillet qui reste du Journal de 1848 (il
porte la date du 26 avril mais doit, en réalité, avoir été écrit
entre le 16 et le 20, on ne peut pas dire au juste quand), George
Sand se prononce encore plus sérieusement :
Je crois qu'on demandait au peuple plus qu'il ne pouvait donner ;
il y a autant de danger Ă vouloir faire marcher une nation trop rapi-
dement dans la voie du progrĂšs qu'Ă vouloir l'arrĂȘter. Le peuple est
plus sage que ses gouvernants.
Le 16 avril la réaction contre les idées socialistes nous avertissait
qu'il ne fallait pas aller trop loin dans le domaine des faits, au risque
de faire proscrire Vidée; la bourgeoisie s'est emparée de cette expres-
sion du sentiment populaire pour frapper à mort toutes les idées pro-
gressives. Elle a pu croire vingt-quatre heures Ă son triomphe. Les
socialistes, les républicains avancés étaient menacés, pourchassés,
traqués sous l'accusation de communisme (loi agraire, égalité de
salaire, icarisme, abolition de la famille, etc., tout Ă©tait confondu
sous le nom de communisme). Si, dans un groupe, un citoyen avait Ă
se rĂ©crier, mĂȘme timidement contre l'espĂšce de terreur dont les idĂ©es
sociales, comme idées, étaient l'objet, il était battu, injurié et sou-
vent mis en prison. Cela se passait ainsi lundi.
Mardi, on arrĂȘtait encore.
Mercredi, c'Ă©tait plus rare : un ou deux exemples ; jeudi, Ă la fĂȘte
de la fraternité, tout était oublié. Au commencement du défilé, la
banlieue pousse quelques cris isolés : « A bas le communisme ! »
Le soir, il n'en Ă©tait plus question.
Depuis ce jour, une réaction se manifeste paisiblement. Non seule-
ment on ne menace plus, on n'injurie plus, on n'arrĂȘte plus les citoyens
suspectés de socialisme, mais tout le monde discute avec eux.
GEORGE SAND 97
En décrivant l'animation avec laquelle on débattait, dans
les groupes populaires, la question sociale et en se réjouissant
de cet Ă©veil gĂ©nĂ©ral pour les intĂ©rĂȘts publics, George Sand se
laisse encore aller Ă son optimisme habituel, qui s'explique cette
fois encore par la fĂȘte du 20 avril, toute rĂ©cente. Mais le ton
de la premiĂšre page de ce morceau est la note dominante, on y
entend la conscience réveillée d'une faute politique commise
par les socialistes intransigeants, ses propres amis, Ă elle, la
constatation du fait que leurs affaires ne sont pas brillantes ; en
un mot le ton est le mĂȘme que celui de ses lettres imprimĂ©es du 17
et du 19 avril et de toutes ses lettres inédites.
Une seule journée encore, le 28 avril, jour des élections pari-
siennes, arracha Ă la plume de George Sand des lignes presque
aussi enthousiastes que la journée du 20 avril. Dans sa lettre
inédite à Maurice, elle peint avec une verve extraordinaire,
une excitation nerveuse entraßnante, l'attente du résultat des
votes, la nuit du 28, et dans son article Devant VHĂŽtel de
Ville elle transcrit les discussions et les débats entendus dans
les masses populaires, attendant ce résultat des votes. Toutes
ses lettres ultérieures et tous ses autres articles de cette
année ne sont dictés tantÎt que par le désir de prévenir le
peuple (et en particulier les habitants des campagnes) de ne pas
croire aux épouvantails inventés par la bourgeoisie, de ne pas
perdre la cause de la liberté par crainte du « fantÎme du commu-
nisme », de ne pas sĂ©parer ses intĂ©rĂȘts de ceux du prolĂ©tariat des
villes. Et tantÎt par le désir de prévenu la bourgeoisie de ne pas
exaspérer le peuple par des mesures rétrogrades ou hypocrites,
de ne pas le pousser Ă la guerre civile. Ou encore par celui de
dĂ©fendre ses amis politiques et elle-mĂȘme contre la rĂ©action de
plus en plus triomphante, de se disculper de certains mensonges
et de certaines calomnies répandus sur elle qui pouvaient tous
amener des suites fort tristes pour Mme Sand, un procĂšs, la
prison, ou mĂȘme la dĂ©portation.
La Cause du Peuple ayant cessé d'exister, George Sand donna
tous ses articles, Ă commencer par la description de l'attente
Devant VHÎtel de Ville, à la Vraie République, journal de Théo-
qS GEORGE SAND
phile Thoré, auquel elle promit sa collaboration exclusive. Il
faut noter à ee propos que la prétendue collaboration de George
Sand à différentes publications révolutionnaires de l'époque, et
entre autres au journal de Cahaigne et Sobrier. la Commune de
Paris, n'a été confirmée par aucun document, et que non seule-
ment nous n'avons pu trouver la moindre indication dans quelque
lettre de Mme Sand sur ses relations avec Sobrier et son manque
de parole à Thoré, mais encore que la plupart des auteurs
l'ont affirmé sans aucune preuve à l'appui, sur la foi seule
de deux brĂšves remarques de Hatin, aux pages 448 et 449
de sa Bibliographie historique et critique de la presse pério-
dique française. Or, nous avons pu nous convaincre que
I* opinion de Hatin émise à la page 449 n'était basée que sur le
titre d*un pamphlet d'un certain Leroux (sans prénoms), paru
en 1849, sous le titre de La Commune de Paris par Barbes,
Sobrier, George Sand et Caliaigne; il est toutefois avéré qu'il
n'existait aucun rapport entre Barbes et cette feuille, et que
cette rĂ©union de noms fortuits n"est qu'une maniĂšre de mĂȘler
ensemble tous les gauches, maniÚre fort usitée dans les pam-
phlets réactionnaires de toutes les époques. Dans le premier
cas (page 448), Hatin ne se base que sur une phrase de Daniel
Stern. Or, cette phrase [une note Ă la page 8 du volume III de
l'Histoire de 1848 se rapportant au passage que nous avons cité
plus haut (1)] disait textuellement : « Voir VAmi du Peuple, la
Vraie RĂ©publique, la Commune de Paris, la Cmse du Peuple,
journaux rédigés par MM. Raspail, Thoré, Sobrier, Mine Sand, etc.
Numéros du 16 avril au 4 mal » Il est évident que cette phrase
doit ĂȘtre commentĂ©e. Dans le mĂȘme ordre que sont nommĂ©s les
journaux, Daniel Stern avait nommé leurs rédacteurs respec-
tifs : Raspail rédigeait (avec Cabet) VAmi du Peuple ; Thoré, la
Vraie RĂ©publique; Sobrier, la Commune de Paris ; Mme Sand,
la Cause du Peuple. Nous avons vu plus haut que les derniĂšres
lignes de Daniel Stern, auxquelles cette note se rapporte, vi-
saient justement l'article n° 4 sur le « Socialisme » dans la Cause
(1) Voir plus haut, p. 93.
GEORGE SAN D
du Pmtple. l>a note de Daniel Sfern ne peut donc nullement
ĂȘtre comprise dans le sens que HumĂ© prenait part, Ă VJnĂ
du Peuple, Mme Sand au journal de SobĂŽer, ou ce dernier au
journal de Kaspail, etc.
M. Mnnin cite ilans son article la liés intéressante, lettre de
George Sand à Thoré, parue dans la Proie EéptMigw du 2 mai
et point réimprimée dans la Gorrwpondcmee, Elle est importante
et décisive pour Ja question qui nom occupe.
m "H cin'i ThorĂ©, puisque vous voulez la vraie RĂȘptĂȘN/iftu tomme
je l'entends, avec toutes ses conséquences ei ta iÚVetappameit,
i ;irci'|iic l'offre que von-: me faites de participer à la collaboration «le
votre journal, et je vous autorise .1 regarder oette collaboration eouune
exclu ive de toute autre Ăźle ma part dans ke jomnauz et quoti-
dien 1.
Tout Ă , \ oeur.
Gh >re;e Sand.
Doue, nous devons nous lier Ă cette promesse formelle de
Mme Sand el ni- pouvons que nous joindre Ă l'opinion de M. Mo
mu (jiii du : g .lu qn a preuve du contraire, et nous nVn voyon :
aucune, il tout croire George S;md sur parole, loisipTell-
rantit au citoyen Tnoré sa collaboration exclusive. »
Le premier article de George Sand dans la Vraie RĂ©publique
tĂȘt l'article dĂ©jĂ , mentionnĂ© : bconnt Vllnlii de Ville, qui parut
dans ce journal le : mai. Le second iuliliilé // O/ hnn sociale.,
fut inséré le 1 mai, juste le jour de rotrverture de l'Assemblée
nationale. Il est trĂšs remarquable, parer qu'fl est comme une
priÚre et un avertissement adressés à la majorité de cette assem-
blée, aux modelé. ;, c'est-à -dire les conscrvaleurs et républioaifl
non soriali les : elle les prie de prĂȘter une attention particuliĂšre
aux questions qui agitent surtout les masses et dont, la résolu-
tion par l'Assemblée nationale est passionnément attendue, el
elle les avertit de ne pas pousner ces masses et le paysan ':
pou- ei Ă une catastrophe, Oal cent ires boti est bcUesD ni sigai-
liealif cl exprime si jusleineiit la position que GtOfJge Sand
occupait alors par rapport à la n majorité », cl à la i minorité p de
ick, GEORGE SAND
l'Assemblée, que nous ne pouvons nous abstenir d'en citer, ne
fût-ce que le commencement.
â Fuyez, fuyez, citoyen, la maison brĂ»le!
â Xon, la maison ne brĂ»le pas. Je ne vois ni feu ni fumĂ©e. Vous
voulez entrer dans ma maison pour la piller quand j'en serai sorti.
â Dieu me garde d'entrer dans votre maison quand vous en serez
sorti ! car, Ă ce moment, elle s'Ă©croulera dans les flammes. Sortez,
vous dis-je, car vous ĂȘtes perdu, si vous tardez.
â En effet, je sens maintenant rĂŽdeur de la fumĂ©e, et il me semble
que la maison craque par la base. Aidez-moi Ă sortir.
â Il est trop tard. Le premier Ă©tage est en feu. Il ne vous reste
qu'Ă sauter par la fenĂȘtre.
â Comment, sauter par la fenĂȘtre? Je vais me tuer sur le pavĂ©.
â Probablement, mais il n*y a pas d'autre moyen.
â HĂ©las ! hĂ©las ! une corde, une Ă©chelle, ou je suis perdu
L'homme qui veut rester dans sa maison et qui ne se décide à en
sortir qu'en la sentant craquer sous ses pieds, c*est l'esprit du passé,
qui ne voudrait rien changer Ă ses habitudes et qui s'est trop endormi
dans une confiance trompeuse.
Le pavĂ© qui s'offre Ă lui comme un abĂźme oĂč la mort l'attend, c'est
]a conséquence funeste de l'aveuglement, c'est l'avenir inconnu que
le passé n'a jamais voulu mesurer du regard.
La voix qui crie au passĂ© : « Sautez par la fenĂȘtre, ou vous allez brĂ»ler
avec votre maison ! » c'est le présent qui constate le danger sans s'oc-
cuper de le prévenir. La corde, l'échelle, que l'on demande à grands
cris pour descendre sans catastrophe dans la rue, c'est la solution
de la question sociale.
Oui, oui, hĂątez-vous d'apporter l'Ă©chelle si vous ne voulez pas que
les intĂ©rĂȘts du passĂ© succombent violemment sans profit pour l'avenir.
Et vous, insensés, qui croyez votre maison incombustible et qui ne
vovez pas que vous y avez mis le feu vous-mĂȘmes, vous qui avez
mĂ©prisĂ© l'Ă©chelle, unique moyen de salut, hĂątez-vous de nous aider Ă
la placer sous vos pieds ; car nous autres, socialistes tant raillés et tant
repoussés par vous, nous n'avions qu'une pensée, c'était de sauver
cet édifice social que vous avez laissé périr ; et maintenant qu'il va
crouler, par suite de votre imprévoyance, nous voudrions vous sauver
et vous recueillir avant que le désastre s'accomplisse.
L'Assemblée nationale du 4 mai fut, comme on le sait, non
pas réactionnaire, comme le prétendaient les amis de George
Sand, mais trÚs modérée et les radicaux et socialistes s'y trou-
vaient en minorité fort négligeable. Le lendemain de l'ouverture
GEORGE SAND 101
de cette Assemblée, le 5 mai, George Saud adressait dans le
journal de Thoré une Lettre au citoyen Lamennais, dans laquelle
elle protestait avec une perspicacité presque prophétique contre
son projet de constitution et surtout contre le paragraphe qui
confiait le pouvoir exécutif à un président élu pour trois ans :
L'autorité d'un seul serait contraire aux sentiments et aux idées
des masses populaires et serait le signal d'une guerre civile... le présU
dent serait forcé de devenir dictateur, et tout dictateur serait forcé
de marcher dans le sang !...
Mme Sand revient encore Ă la thĂšse de son quatriĂšme article
de la Cause du Peuple : l'idéal serait la volonté du peuple par
Y unanimité et, en pratique, c'est la majorité qui en approche le
plus ; mais il est des heures terribles dans la vie des peuples
oĂč la majoritĂ© chancelle et vacille, il serait sage alors de faire
attention à la minorité. Mme Sand tùche de défendre aux yeux
de Lamennais les utopistes qu'il traite trop sévÚrement selon
elle, tandis qu'à son dire ce ne sont que des « somnambules »
qu'il est dangereux de réveiller trop brusquement à la réalité.
Quant à la minorité, elle deviendra d'autant plus redoutable qu'elle
sera plus fractionnée et plus impuissante en apparence, elle jettera
la confusion dans Tordre de la marche, elle excitera toutes les passions,
elle forcera la majoritĂ© Ă ĂȘtre agressive, violente et impitoyable.
H est fort Ă©difiant et plus que eurieux de confronter ces mots
avec ce que M. de Tocqueville avait entendu de la bouche de
Mme Sand.
Nous avons promis dans la premiĂšre partie de notre ouvrage
(vol. Ier, page 402) de citer Ă sa place la page 204 des Souvenirs
d'Alexis de Tocqueville, racontant la conversation qu'il eut
avec Mme Sand à un dßner ou déjeuner chez M. Monkton-Milnes,
plus tard lord Houghton, oĂč se trouvaient en outre Mignet,
Mérimée, Considérant et deux dames.
Nous y avons dit aussi que, tandis que chez Tocqueville,
l'Ă©poque de ce dĂźner se trouvait ĂȘtre indiquĂ©e d'une maniĂšre assez
indĂ©cise, â entre la fĂȘte de la Concorde du 21 mai et les jour-
nĂ©es de Juin, â ce dĂźner devait, en rĂ©alitĂ©, avoir eu lieu le 6 mai
,03 GEORGE SAND
ou quelques jours avant le 6 mai, car la lettre de Mérimée à la
comtesse de Montijo, mĂšre de la future ImpĂ©ratrice,, oĂč il dĂ©cri-
vait ce mĂȘme dĂźner, Ă©tait datĂ©e du 6 mai 1848. Donc ee dĂźner
devait avoir lieu le surlendemain de l'ouverture de l'Assemblée
et le lendemain du jour oĂč George Sand disait, dans sa Lettre
au citoyen Lamennais, qu'il ne fallait pas pousser la minorité au
désespoir parce qu'elle deviendrait « redoutable » et forcerait
la majorité à devenir « impitoyable ».
M. Monin dit en toute justesse que les pages oĂč M. de Toeque-
ville nous conte son entrevue avec Mme Sand sont placées aprÚs
le récit de l'élection du 5 juin (1), elles précÚdent immédiatement
le récit des journées de Juin, mais qu'il fallait « considérer le
mode de composition des souvenirs, leur caractĂšre Ă la fois phi-
losophique et anecdotique », ce qui ne permettrait, selon
If. Monin. d'en tirer « qu'une conclusion » : « que le dßner
en question a eu lieu aprĂšs le 15 mai, dont George Sand tirait
en quelque sorte la morale politique à l'usage de tous les partis ».
M. Monin vient à conclure que « malgré la lettre de Mérimée
qui lui assigneiait la date du 6 mai, d'aprĂšs l'Ă©crit de M. Filon
(Mérimée et ses amis, p. 194-195), le 6 juin lui paraissait plus
probable ».
Quant à la remarque que c'est de l'événement du 15 mai que
Mme Sand avait tiré une espÚce de « morale politique à l'usage
de tous les partis », nous avons vu qu'elle l'avait tirée dÚs le 1< i
et que, dans la Question sociale et dans sa Lettre Ă Lamemiais,
publiĂ©es les 4 et 5 mai, George Sand prĂȘchait dĂ©jĂ cette morale,
en avertissant la majorité qu'il ne fallait pas exaspérer la mino-
rité, ni pousser à bout les masses, parce que le peuple avait
encore confiance en l'Assemblée. C'est justement ce qu'elle
dit Ă Tocqueville. Enfin, des pages 194 et 19ĂŽ du livre de
M. Filon (que nous avons aussi citées en leur lieu dans notre
premier volume, en parlant de l'épisode Sand-Mérimée), on ne
peut nullement tirer la conclusion que le dĂźner avait eu lieu le
6 juin ; bien au contraire, aprÚs la lettre de Mérimée du G mai,
(1) Celle de l'Assemblée constituante.
GEORGE SAND 103
M. Filon parle de F ouverture de l'Assemblée du 4 mai et puis
de l'événement du 15 mai ; et il ne s'y trouve rien qui puisse
faire croire que le dĂźner en question eut lieu aprĂšs ce der-
nier événement. Nous croyons qu'il y a une simple erreur de
mĂ©moire de la part de M. de Tocqueville ; au Heu de la « FĂȘte
de la Concorde » (le 21 mai), il faudrait lire : « fĂȘte de la Fra-
ternité » (20 avril), et cela mettrait immédiatement de l'ordre
dans les dates et cadrerait parfaitement avec la date de la lettre
de MĂ©rimĂ©e : le dĂ©jeuner eut lieu entre la FĂȘte de la Fraterniti
d les Ă©lections; donc entre le 20 avril et le 5 juin. Mais laissons
la parole Ă M. de Tocqueville lui-mĂȘme :
... Je ne doutais pas, pour mon compte, que nous ne fussions Ă la
veille d'une lutte terrible ; toutefois, je n'en compris bien les périls
que par une conversation que j'eus vers cette époque avec la célÚbre
Mme Saud. Je la vis chez un Anglais de mes amis, Mines, membre
du Parlement, qui était alors à Paris. Milnes était un garçon d'esprit
qui faisait et â ce qui est plus rare â qui disait beaucoup de bĂȘtises.
Combien ai-je vu de ces figures dans ma vie, dont on peut affirmer que
les profils ne se ressemblent pas ; hommes d'esprit d'un cÎté et sots
de l'autre?... Je n'ai jamais vu Milnes qu'engoué de quelqu'un ou de
quelque chose. Cette fois-là , il était épris de Mme Sand et, malgré la
gravité des événements, il avait voulu donner à celle-ci un déjeuner
littéraire ; j'assistai à ce déjeuner et l'image des journées de Juin, qu
suivirent presque aussitÎt aprÚs, au lieu d'en effacer de mon récit le
souvenir, l'y réveille.
La société était fort peu homogÚne ; indépendamment de Mme Sand,
j'y trouvai une jeune dame anglaise, fort modeste et trÚs agréable,
qui dut trouver assez singuliĂšre la compagnie qu'on lui donnait,
quelques Ă©crivains assez obscurs et MĂ©rimĂ©e (1). Milnes me plaça Ă
cĂŽtĂ© de }.[me Sand : je n'avais jamais parlĂ© Ă celle-ci, je crois mĂȘme que
je ne l'avais jamais vue, car j'avais peu vécu dans le monde d'aventu-
riers littéraires qu'elle fréquentait. Un de mes amis lui ayant demandé
un jour ce qu'elle pensait de mon livre sur l'Amérique : Monsieur, lui
dit-elle, je suis habituée à ne lire que les livres qui me sont offerts par
leurs mtems. J'avais de grands préjugés contre Mme Sand, car je dé-
(1) Nous avons vu par la lettre de Mérimée que, parmi ces écrivains, il
y avait Victor Considérant et « quelques fouriéristes ». Nous présumons que
c'étaient Pététin, Pompéry et Victor Borie, quoique ce dernier ne fût nulle-
ment « fouriériste ».
io4 GEORGE SAND
teste les femmes qui écrivent, surtout celles qui déguisent les faiblesses
de leur sexe en systÚme, au lieu de nous intéresser en nous les faisant
voir sous leurs véritables traits ; malgré cela, elle me plut. Je lui trou-
vai des traits assez massifs, mais un regard admirable ; tout l'esprit
semblait s'ĂȘtre retirĂ© dans ses yeux, abandonnant le reste du visage Ă
la matiĂšre. Ce qui me frappa surtout fut de rencontrer en elle quelque
chose de l'allure naturelle des grands esprits ; elle avait, en effet,
une vĂ©ritable simplicitĂ© de maniĂšres et de langage, qu'elle mĂȘlait
peut-ĂȘtre Ă quelque peu d'affectation de simplicitĂ© dans ses vĂȘte-
ments. Je confesse que, plus ornée, elle m'eût paru encore plus
simple.
Nous parlĂąmes une heure entiĂšre des affaires publiques ; on ne pou-
vait guĂšre parler d'autre chose dans ce temps-lĂ , D'ailleurs, Mme Sand
Ă©tait alors une maniĂšre d'homme politique ; ce qu'elle me dit me frappa
beaucoup. C'Ă©tait la premiĂšre fois que j'entrais en rapport direct et
familier avec une personne qui pût et voulût me dire ce qui se passait
dans le camp de nos adversaires.
Les partis ne se connaissent jamais les uns les autres ; ils s'appro-
chent, ils se pressent, ils se saisissent : ils ne se voient pas. Mme Sand
me peignit trÚs en détail et avec une vivacité singuliÚre l'état des ou-
vriers de Paris, leur organisation, leur nombre, leurs armes, leurs pré-
paratifs, leurs pensées, leurs passions, leurs déterminations terribles.
Je crus le tableau chargé et il ne l'était pas ; ce qui suit le montra
bien. Elle parut s'effrayer pour elle-mĂȘme du triomphe populaire et
prendre en grande commisération le sort qui nous attendait
« Tùchez d'obtenir de vos amis, monsieur, me dit-elle, de ne point
pousser le peuple dans la rue en l'inquiĂ©tant ou en l'irritant ; de mĂȘme
que je voudrais pouvoir inspirer aux miens la patience, car, si le com-
bat s'engage, croyez que vous y périrez tous. »
AprÚs ces paroles consolantes, nous nous séparùmes et, depuis,
je ne l'ai jamais revue...
En citant aussi cette page de M. de Tocqueville, M. Monin
remarque que George Sand ne se serait « nulle part exprimée
publiquement avec l'effrayante lucidité qui étonna Tocque-
ville » et qu'il était « évident qu'elle se ménageait et ménageait
ses amis et mĂȘme ses ennemis dans tout ce qu'elle a signĂ© »,
Or, nous avons vu ce qu'elle disait dans l'article : la Question
sociale, dans sa Lettre Ă Lamennais, et dans le dernier article sur le
Socialisme. Nous ne voyons aucune différence entre ses paroles
à Tocqueville et ses écrits signés ; l'amie de Gilland et des
GEORGE SAND 105
autres ouvriers devait posséder cette « effrayante lucidité » dans
les journées qui séparaient le 16 avril du 15 mai.
Le lendemain de cette conversation avec M. de Tocqueville,
le 7 mai 1848, parut dans le journal de Thoré une Revue poli-
tique de la semaine, par Mme Sand, Ă©crit remarquable et remar-
quablement écrit; Mme Sand y précise encore une fois, avec
une netteté parfaite, sa position à l'égard des partis politiques
du moment et Ă l'Ă©gard de leurs tendances. Elle y professe des
sympathies pour les prétendus « communistes », c'est-à -dire
les rĂ©publicains socialistes qui rĂȘvent des rĂ©formes sociales et,
en mĂȘme temps, elle trace une ligne nette et ferme qui la sĂ©pare
de toute fraction ou coterie de communistes ou socialistes mili-
tants.
Les deux événements qui, à part l'ouverture de l'Assemblée natio-
nale, ont ému, durant cette semaine, l'ùme généreuse du peuple
de Paris, dit-elle, ce sont les événements de Rouen et ceux de Limoges.
A Rouen, un prétendu complot communiste que le parti bourgeois
a noyé dans le sang ; à Limoges, un prétendu complot communiste
que le peuple des travailleurs Ă©touffe dans un embrassement fraternel
de toutes les classes, de tous les citoyens, de toutes les opinions.
En exprimant l'espoir que l'Assemblée nationale se pronon-
cera ouvertement contre les répressions à outrance et les per-
sécutions, George Sand revient encore une fois aux vraies aspi-
rations qui animaient les soi-disant communistes, c'est-Ă -dire
les partisans d'une république vraiment sociale, et aux pré-
tendues doctrines exterminatrices qui leur étaient attribuées
par la bourgeoisie, sous le titre sommaire de « communisme ».
... Le peuple a compris aujourd'hui ce que c'est que le véritable
communisme ; il sait que M. Cabet n'est pas l'inventeur de cette doc-
trine, car elle est aussi ancienne que le monde. Il sait que le roman inti-
tulé Icarie n'est point le code du communisme, parce que le véritable
code c'est l'Evangile quant au passé et au présent, c'est l'Evangile
introduit dans la vie réelle sous le nom de République quant au pré-
sent et à l'avenir. Le peuple sait aussi que le communisme immédiat,
dont on s'est tant effrayĂ© et qui n'existe peut-ĂȘtre que dans l'imagi-
nation troublĂ©e de quelques hommes, est la nĂ©gation mĂȘme du com-
munisme, puisqu'il voudrait procéder par la violence et par la destruc-
tion du principe évangélique et communiste de la fraternité.
io6 GEORGE SAND
Le peuple sait enfin que ce malheureux mot de eommunisme, tant
jeté à la face des républicains-socialistes depuis quelques années par
les conservateurs de la monarchie, n'a point l'acception qu'on lui
prĂȘte et ne se localise dans aucune secte.
Quant à nous, voici ce que nous répondrions à des questions faites
de bonne foi, car nous ne saurions répondre à des questions de mauvaise
foi. Si, par le communisme, vous entendez telle ou telle secte, nous ne
sommes point communistes parce que nous n'appartenons Ă aucune
secte ; si, par le communisme, vous entendez la volonté aveugle et
orgueilleuse de combattre toute forme de progrĂšs qui ne serait pas
Fapplication exacte ou immédiate du communisme, nous ne sommes
pas des communistes ; parce que le communisme est un contrat de
fraternité idéale, pour lequel nous savons bien que les hommes ne sont
pas mûrs et auquel ils ne sauraient consentir, librement et sincÚrement,
du jour au lendemain. Si, par le communisme, vous entendez une
conspiration disposée à tenter un coup de main pour s'emparer de la
dictature, comme on le disait au 16 avril, nous ne sommes point com-
munistes, car une pensée d'avenir ne s'impose que par la conviction
et on ne se bat que pour faire triompher un principe immédiatement
réalisable : l'institution républicaine, par exemple.
Mais si, par le communisme, vous entendez le désir et la volonté que,
grùce à tous les moyens lésitimes et avoués par la conscience publique,
l'inĂ©galitĂ© rĂ©voltante de l'extrĂȘme richesse et de l'extrĂȘme pauvretĂ©
disparaisse dĂšs aujourd'hui pour faire place Ă un commencement
d'égalité véritable : oui, nous sommes communistes et nous osons
vous le dire, Ă vous qui nous interrogez loyalement, parce que nous
pensons que vous l'ĂȘtes autant que nous. Si, par le communisme,
vous entendez qu'Ă nos yeux le seul moyen d'arrĂȘter l'Ă©lan dĂ©sor-
donné de la richesse pour développer l'élan sacré du travail, c'est la
protection accordée par l'Etat à l'association vaste et toujours pro-
gressive des travailleurs ; oui, nous sommes communistes et vous le
serez aussi dĂšs que vous aurez pris la peine d'examiner le problĂšme
qui menace l'existence de la société. Si, par le communisme, vous en-
tendez une direction éclairée, consciencieuse, ardente et sincÚre, donnée
par l'Etat au principe protecteur de l'association, Ă l'examen de la
forme la plus applicable, la plus étendue, la plus préservatrice de toutes
les libertĂ©s individuelles et de tous les intĂ©rĂȘts lĂ©gitimes ; oui, nous
sommes communistes et chaque jour vous prouvera que vous ĂȘtes
forcĂ©s de l'ĂȘtre vous-mĂȘmes...
L'article suivant de George Sand, dans le journal de Thoré,
parut dans les numéros des 11, 12 et 13 mai et l'auteur tùche,
pendant que « neuf cents législateurs s'agitent dans une grande
GEORGE SAND 107
boĂźte de papier peint, pour savoir quelle forme de gouverne-
ment va ĂȘtre improvisĂ©e, Ă la plus grande satisfaction des plus
petites idées de trente-cinq millions de Français... », de définir
quelle est la religion actuelle de la France, quel est son dogme
et quel culte serait Ă ce moment l'expression de cette religion
et de ce dogme (1). Mme Sand croit pouvoir conclure qu'il n'y
a plus en France de religion dans le sens qu'on donnait autre-
fois à ce mot. Le christianisme, tel que l'entend le elergé, ne
satisfait plus, selon elle, aucun homme pensant ; le peuple eroit
encore, mais ce n'est plus aux dogmes et aux miracles d'autre-
fois... il ne garde que le sens général de la doctrine chrétienne.
Et Fauteur de ces trois articles formule le petit catéchisme sui-
vant :
Mais oĂč est le Dieu?... H nTest plus enfermĂ© dans un calice dTor ou
d'argent; son esprit plane librement dans le vaste univers et toute
ùme républicaine est son sanctuaire. Comment s'appelle la religion?...
Elle s'appelle RépuUiquc. Quelle est sa formule?... Libellé, Egalité,
Fraternité. Quelle est sa doctrine?... L1 Evangile, dégagé des surcharges
et des ratures du moyen Ăąge ; l'Evangile, librement compris et inter-
prĂ©tĂ© par le bon sens du peuple. Quels sont ses prĂȘtres?... Nous les
sommes tous. Quels sont ses saints et ses martyrs?... JĂ©sus et tous
ceux qui, avant et aprĂšs lui, depuis le commencement du monde jus-
qu'à nos jours, ont souffert et péri pour la vérité.
(1) Ces trois articles sont réimprimés dans le volume des Souvenirs de
1848, sous le titre général de Question de demain ; lors de leur premiÚre appa-
rition, ce titre manquait et les articles portaient simplement les titres de
la Religion de la France, le Dogme de la France, le Culte de la France, qui leur
servent à présent de sous-titres. M. Monin observe avec raison que, lors
de la réimpression du premier article, on en a retranché tout un passage,
Ă la page 100 du volume des Souvenirs de 1848, qui, du reste, n'ajoutait rien
à la gloire de l'écrivain. C'est un essai peu réussi de faire de l'esprit à propos
du « manque d'actualité de la question de l'existence de Dieu » (allusion
à la réponse célÚbre de Bul'oz à Pierre Leroux). Seulement M. Monin a tort
& croire que ce fut la seule fois que George Sand ait essayé de l'ironie ; son
article les Rues de Paris est plein d'ironie et de sarcasmes, nous ne dirons pas
fort réussis, à l'adresse des bourgeois horripilés et poltrons, et l'article le
PĂšre Communisme, dont nous parlons plus loin, est Ă©crit dans le but
de s'égayer aux dépens de la grand' peur de cette bourgeoisie et aux dé-
pens des calomnies rĂ©pandues sur le compte de la romanciĂšre elle-mĂȘme ;
mais il faut convenir que Henri Heine avait trois fois raison en décrétant que
George Sand « manquait d'esprit» : il perce, sous son ironie, ce que les com-
patriotes de Heine appellent le galgenlmmor (ironie du gibet), le rire Ă tra-
vers les larmes, le désir de faire bonne mine à mauvais jeu.
icS GEORGE SAND
Voilà pourtant tout le dogme dont la France éclairée et tout ce qui
est éclairé dans L'univers se contente depuis longtemps. Pourquoi ne
s'en contenterait-on pas toujours?... Il est simple et court...
Oh ! pour court, il Test ! Quant au culte, Mme Sand croit que
l'institution des FĂȘtes populaires symboliques, fĂȘtes oĂč trouve-
raient leur expression les sentiments d'égalité, de fraternité et
d'amour, conviendrait Ă l'Ă©tat actuel des Ăąmes. En somme,
quelque chose de mixte entre la fĂȘte de la FraternitĂ© du 20 avril
et le Culte de la Raison de Robespierre ; or, on sait combien la
fĂȘte de la Concorde, organisĂ©e le 21 mai, fut une chose avortĂ©e !
Sur ces entrefaites Ă©clata la tempĂȘte du 15 mai. La tenta-
tive des ultra-révolutionnaires, Barbes et autres, de profiter
d'une démonstration en faveur de la Pologne, pour renverser
l'Assemblée nationale, pas assez démocratique, leur marche sur
l'HĂŽtel de Ville, l'envahissement par les factieux d? la salle des
séances, se terminÚrent par la défaite des démocrates, et ce fut
le signal d'un revirement général et décisif vers la réaction.
Lamartine, Marrast et les autres modérés crurent la répu-
blique sauvée : elle s'acheminait à grands pas vers l'empire.
Considérant la cause de la république sociale perdue et esti-
mant que sa présence à Paris n'était plus d'aucune utilité, ayant
été prévenue qu'elle était menacée d'une descente domiciliaire,
d'une arrestation et peut-ĂȘtre de quelque chose de pire, George
Sand s'empressa de brûler tous ses papiers, son journal intime,
passa un jour sans sortir de la maison (1), puis partit pour
Xohant.
On a fait de nombreuses recherches sur la date exacte Ă
laquelle George Sand quitta Paris. D'aucuns prétendent qu'elle
est simplement restée à Paris entre le 15 mai et les journées de
Juin, se tenant prudemment cachée ; d'autres qu'elle a fui aprÚs
ces journées ; d'autres encore qu'elle a, en toute hùte, quitté
Paris aprÚs le 15, mais ne se voyant pas en sûreté à Xohant non
plus, serait partie pour Bourges ou Orléans. Il est vrai que les
articles imprimés de George Sand, entre le 13 mai et le 7 juin, ne
(1) Elle avait déjà quitté la rue de Condé et demeurait rue d'Antin, n° 14.
GEORGE SAND 109
portent que la date du jour, sans indication du lieu oĂč ils furent
Ă©crits. La seule Lettre d'un ouvrier carrossier Ă sa femme, pre-
miĂšre partie de l'article Paris et la province, quoiqu'elle portĂąt
en tĂȘte : Paris, le 21 mai, et surtout la RĂ©ponse de la femme ,
trahissent leur provenance berrichonne. Les autres articles ne
portent aucune indication précise du lieu; aussi le meilleur
chroniqueur du rÎle de George Sand en 1848, M. Monin, déclare
que la date de son départ est une question fort intéressante,
mais qu'elle n'est pas résolue.
Or, George Sand est partie le 17 mai au soir; cette date de son
départ de Paris appert des deux lettres inédites à Thoré, d'une
lettre inédite à Poney, de la lettre à Barbes imprimée dans la
Correspondance et enfin des lignes de sa Lettre à Thoré, publiée
dans le numéro du 27 mai de la Vraie République :
Nohant, 18 mai 1848.
Mon cher ami,
Je vous envoie un mot dont vous ferez usage si vous le jugez utile.
Ecrivez-moi ; envoyez-moi le journal Ă la ChĂątre (Indre), Ă partir du
numéro 18. Donnez-moi des nouvelles. Continuons-nous? D'ici, je
vous enverrai du travail tant que vous en voudrez. Les Ă©lections
communales nous forcent d'y passer quelques jours. Je ne sais ce que
vous déciderez à l'égard du sous-titre. Il faut retrancher tous les noms
ou pas un seul. C'est Ă vous de tĂąter les faits et de voir ce qui convient
dans l'intĂ©rĂȘt de celui qui nous intĂ©resse le plus. Un mot, je vous en
prie.
A vous de cĆur.
George.
On me dit qu'on a publié dans un journal, je ne sais lequel, que j'avais
de ma personne joué un rÎle dans cette affaire. Veuillez y faire ré-
pondre au besoin, dans la Vraie RĂ©publique. En passant entre trois et
quatre heures dans la rue de Bourgogne, le 15, j'ai vu Ă la fenĂȘtre d'un
café une dame fort animée qui haranguait la manifestation. Des hommes
du peuple, qui Ă©taient autour de moi, me dirent que c'Ă©tait George
Sand ; or, je vous assure que ce n'Ă©tait pas moi.
A cette premiĂšre lettre en Ă©tait jointe une seconde, Ă©crite
ostensiblement pour ĂȘtre montrĂ©e au besoin.
GEORGE SAND
18 mai 1818.
Mon cher Tlioré,
Trouvez-vous utile que je constate votre oliM, lors de la scĂšne de
l"HÎteldeVille,le 15 mai?... Vous vous rappelez que nous avons causé
ensemble et avec deux autres personnes au coin de la rue du Bac et
du quai d'Orsay pendant qu'Ă votre insu, on vous proclamait maire
de Paris. Mon témoignage est à votre disposition, vous le savez.
Tout Ă vous.
George Sur».
Thoré ne profita pas de cette lettre et préféra la version qui
constatait son alibi indirectement et se trouvait dans les pre-
miĂšres lignes de l'article de George Sand Ă©crit de Nohant le
24 mai et qui parut Je 27 mai dans la Vraie RĂ©publique sous
le titre d'une Lettre à Théophile Thoré.
Mon cher Thoré,
Je ne suis qu'Ă dix heures de Paris, et je vous enverrai mes articles
comme à 1" ordinaire. Lorsque je vous ai rencontré, le 15, au quai
d'Orsay, ignorant comme vous ce qui se passait au mĂȘme moment Ă
l'HĂŽtel de Ville, je vous ai dit que je partais, que j'avais toujours
dĂ» partir le lendemain ; mais il se faisait tant de bruit autour de nous,
que vous ne m'avez pas entendu apparemment. Je ne suis cependant
parti que le 17 au soir, parce qu'on me disait que je devais ĂȘtre arrĂȘtĂ© ;
et, naturellement, je voulais donner Ă la justice le temps de me trouver
sous sa main, si elle croyait avoir quelque chose Ă dĂ©mĂȘler avec moi.
Cette crainte de mes amis n'Ă©tait guĂšre vraisemblable, et j'aurais pu
faire l'important à bon marché, en prenant un petit air de fuite,
pendant que personne ne me faisait l'honneur de penser Ă moi, si ce
n'est quelques messieurs de la garde nationale qui s'indignaient de
voir oublier un conspirateur aussi dangereux. Es n'ont pourtant pas
été jusqu'à dire que j'avais un dépÎt de fusils et de cartouches dans
ma mansarde.. ..
... J'Ă©tais si peu du prĂ©tendu complot, â Ă©crit-elle Ă Poney Ă la
mĂȘme date, â que je jurerais presque qu'il n'y a pas eu complot,
mais coup de tĂȘte et enivrement imprĂ©vu. De la part de Barbes et
Louis Blanc, j'ai la complĂšte certitude de l'absence de connivence et je
crois encore que le Moniteur, qui n'est pas un Ă©vangile, n'a pas rendu
un compte fidÚle des paroles qu'ils ont prononcées dans le tumulte. En
GEORGE SAND m
attendant, ils sont insultĂ©s et menacĂ©s comme des bĂȘtes fĂ©roces. Barbes,
ce héros, ce martyr, est en prison. Pierre Leroux aussi. J'ai été menacée,
mais on s'est arrĂȘtĂ©, je pense, devant l'absurditĂ© d'un pareil soupçon.
Pourtant, comme je craignais une visite domiciliaire qui n'eût en rien
compromis ni mes amis, ni moi, mais qui eût mis du désordre et le
coup d'oeil du premier venu dans mes papiers de famille, aprĂšs deux
jours passés sans eneombre à Paris, j'ai quitté ma mansarde le 17 et
je suis venue ici me mettre en mesure d'attendre sans inquiétude cette
vexation qui n'a point eu lieu et qui n'aura point lieu probablement
Ne vous inquiétez point de moi au milieu de tout cela, je ne suis pas
malade, et les rudes fatigues que j'ai éprouvées sont dissipées depuis
que j'ai revu mon cher Nohant...
... Je ne sais par quel caprice, â Ă©crit-elle le 10 juin Ă Barbes, dĂ©jĂ
incarcĂ©rĂ© Ă Vincennes, â il paraĂźt qu'on voulait me faire un mauvais
parti et mes amis me conseillaient de fuir en Italie. Je n'ai pas entendu
de cette oreille-là . Si j'avais espéré qu'on me mßt en prison prÚs de vous,
j'aurais erié : Vive Barbes! devant le premier garde national que j'au-
rais trouvĂ© nez Ă nez. H n'en aurait peut-ĂȘtre pas fallu davantage.
... Mais, comme femme, je suis toujours forcée de reculer devant la
crainte d'insultes pires que des coups, devant ces sales invectives que
les braves de la bourgeoisie ne se font pas faute d'adresser au plus
faible, à la femme, de préférence qu'à l'homme.
J'ai quitté Paris, d'abord parce que je n'avais plus d'argent pour
y rester, ensuite pour ne pas exposer Maurice Ă se faire empoigner;
ce qui lui serait arrivé s'il eût entendu les torrents d'injures que l'on
exhalait contre tous ses amis et mĂȘme contre sa mĂšre, dans cet immense
corps de garde qui avait remplacé le Paris du peuple, le Paris de
Février. Voyez quelle différence ! Dans tout le courant de mars, je
pouvais aller et venir seule dans tout Paris, Ă toutes les heures, et
je n'ai jamais rencontré un ouvrier, un voyou qui, non seulement ne
m'ait fait place sur le trottoir, mais qui encore ne l'ait fait d'un air
affable et bienveillant. Le 17 mai, j'osais Ă peine sortir en plein jour
avec mes amis : l'ordre régnait!...
Toutes ces lettres nous permettent de préciser avec une abso-
lue exactitude le jour du départ de George Sand pour Nohant
(tout en ne nous laissant point convaincre sur son prétendu calme
devant les répressions qui la menaçaient). Toutes les autres lettres
inédites permettent aussi de constater qu'à partir du 18 mai (1),
(1) Nous pouvons ainsi confirmer en passant l'absolue exactitude de l'in-
dication de Mérimée que le dßner chez Monkton-Milnes auquel assistÚrent
ii2 GEORGE SAND
George Sand resta invariablement Ă Xohant et ne le quitta point
jusqu'au mois de décembre 1849 (1).
Mais Mme Sand tomba de Charybde en Scylla. La réaction
s'en donnait Ă cĆur joie en Berry, « dans ceBerry si romantique,
si doux, si bon, si calme ». Les « veaux de Delaveau » avaient
évidemment réussi non seulement à profiter du mécontentement
Mine Sand et M. de Tocqueville eut effectivement lieu non le 6 juin, man
le 6 mai.
(1) Elle alla à Paris au commencement de ce mois de décembre 1849,
pour assister à la seconde représentation de François le Champi. C'est à ce
séjour de décembre 1849 à Paris que se rapporte sa rencontre avec son vieil
ami, le célÚbre général Pepe. ainsi qu'une rencontre fortuite avec le maréchal
de Castellane. Ce dernier écrit dans son Journal à la date du 16 décembre 1849 :
« 16 dĂ©cembre 1849. â Dans la mĂȘme maison que moi loge une Mnie Mar-
liani, femme d'esprit, qui reçoit une foule de libéraux ; elle est fort polie pour
moi et m'a beaucoup engagé à aller chez elle. J'y vais de temps en temps
avant de sortir. J'y suis monté ce soir. J'y ai vu une femme paraissant assez
jeune ; il n'y avait pas beaucoup de lumiĂšre, et je n'ai pu bien voir son visage ;
elle fumait une cigarette. Mme Marliani m'a bientĂŽt, en parlant de Maurice
de Saxe, dont George Sand descend du cÎté gauche, fait comprendre que
c'Ă©tait elle. George Sand aussitĂŽt une cigarette finie en prenait une autre.
Il y avait là un monsieur de beaucoup d'esprit qu'on appelait « le capitaine »
et dont je ne sais pas encore le nom. (C'Ă©tait le capitaine d'Arpentigny,
dont nous avons parlé dans notre vol. III. TT7. K.) Démocrate enragé, il disait
que les démocrates étaient les plus forts, mais il s'affligeait, ainsi que George
Sand et un autre jeune homme, de leurs divisions en différentes sectes, ce
qui les perdrait. Sur ces entrefaites est entré un monsieur assez grand, gras,
l'air commun. George Sand s'est avancée vers lui, l'a embrassé en lui disant :
* Il y avait longtemps que je ne vous avais vu. » C'était le fameux général
Pepe... » (Journal du maréchal de Castellane, t. IV, p. 201-202.)
C'est à cet épisode aussi que se rapportent les lignes d'une lettre inédite de
George Sand Ă Mazzini, datĂ©e du 30 janvier (sans millĂ©sime, que mĂȘme le
vicomte de Spoelberch était indécis de dater de 1849 ou 1850 et que nous
pouvns, à présent, dater en toute conscience de 1850) :
« Le général Pepe est un vieux ami à moi, un homme de bien, je vous
assure. Que ses idées aient de l'étroitesse et son caractÚre de la timidité, je
ne le nie pas. On accepte les imperfections de ses amis, mais je n'aurais pas
songé à traduire son travail s'il m'eût paru possible que vous y fussiez contre-
dit ou attaqué d'une façon quelconque.
« J'ai vu Pepe à son retour à Paris derniÚrement. Je l'ai trouvé bien changé
d'esprit et de santé. Vieux, éteint en apparence, mais voyant bien plus juste,
et parlant des rois et des peuples comme jamais je ne l'aurais cru capable de
le faire ; cela ressemblait Ă l'oracle d'un mourant qui voit clair au moment
de quitter la vie.
« Vous me dites et on me dit qu'il subit des influences fĂącheuses, voilĂ
ce que j'ignore. Mais soyez tranquille. Si son Ćuvre n'est pas ce qu'elle
doit ĂȘtre, je m'abstiendrai et lui en dirai franchement et amicalement la
raison.
« Je n'ai pas le temps de vous écrire aujourd'hui, je vous ai écrit une
énorme lettre hier. Je vous embrasse et vous aime de toute mon ùme. »
GEORGE SAND 113
des paysans contre l'impĂŽt de 45 centimes et contre le chĂŽmage
des affaires, mais ils parvinrent à répandre parmi la popula-
tion obscure des renseignements les plus exacts sur l'ennemi
juré du peuple et de la bourgeoisie, l'horrible vieillard appelé
le PĂšre Communisme qui, aidĂ© par M. le Duc Rollin, s'apprĂȘtait
Ă s'approprier et Ă donner Ă Mme Sand toutes les terres et toutes
les vignes du paysan, et, ayant ainsi introduit la loi agraire
sui generis, et fait table rase de la religion, du mariage, de la fa-
mille, il fera en outre, « tuer tous les enfants en bas ùge et tous
les vieillards au-dessus de soixante ans (1) ». Quant à la dame de
Nouant, elle s'est spécialement rendue à Paris pour se joindre par
ses Ă©crits Ă ces deux abominables ennemis du genre humain (2)(
et leur prĂȘter aide et secours. Ainsi donc, lorsque cette bonne
dame est revenue au Berry, la population des campagnes envi-
ronnantes, les mĂȘmes braves indigĂšnes qu'Aurore Dupin avait
connus dÚs son enfance, que plus tard, elle avait soignés,
pansĂ©s, enseignĂ©s, secourus, et qu'elle s'imaginait ĂȘtre ses meil-
leurs amis, commencÚrent à lui manifester une hostilité croissante,
et ces mĂȘmes lachĂątrois, qui dans leur jeunesse, Ă©taient des habi-
tués de sa maison, prirent ouvertement parti contre elle, et com-
mencĂšrent Ă exciter les paysans et citadins. On passait devant
le mur de Nohant en criant : « Mort aux communistes! A bas
Maurice DudevantI A bas Mme Dudevant! (3) H est vrai qu'il
suffisait à Aime Sand de se montrer pour que l'on se découvrit
et s'Ă©loignĂąt fort paisiblement ; pourtant Ă peine tournait-elle
le dos, que les cris recommençaient. L'air semblait à Forage
et chargé d'électricité à tel point, qu'un brave métayer avait
dĂ©clarĂ© que la dame de Nohant mĂ©ritait d'ĂȘtre enterrĂ©e vive
dans un fossé (4). Tout cela Mme Sand le conte de la maniÚre,
semble-t-il, la plus allÚgre dans sa lettre du 24 mai, à Thoré,
mais cet humour est tout artificiel et on peut voir Ă travers
(1) Lettre à Thoré (la Vraie République du 27 mai 1848), réimprimée
dans le volume des Souvenirs de 1848, sous le titre le PĂšre Communisme.
(2) Lettre Ă Charles Delaveau du 13 avril 1848. (Corresp., t. III, p. 25-30.)
(3) La mĂȘme lettre et celle Ă Mme Marliani de juillet 1848.
(4) Lettre du 24 mai à Thoré (la Vraie République du 27 mai) et lettre
privĂ©e du 28 mai au mĂȘme.
M4 GEORGE SAND
aisĂ©ment, que le cĆur de celui qui Ă©crit ces lignes quasi lĂ©-
gĂšres, saigne. Et lorsqu'elle dit :
...VoilĂ oĂč nous en sommes, mon cher ThorĂ©. A Paris, on est fac-
tieux dĂšs qu'on est socialiste. En province, on est communiste dĂšs
qu'on est républicain ; et si, par hasard, on est républicain-socialiste,
oh ! alors, on boit du sang humain, on tue les petits enfants, on bat
sa femme, on est banqueroutier, ivrogne, voleur, et on risque d'ĂȘtre
assassiné au coin d'un bois par un paysan qui vous croit enragé, parce
que son bourgeois ou son curé lui ont fait la leçon.
Ceci se passe en France, l'an premier de la République démocratique
et sociale.
Nous avons dévoué notre fortune, notre, vie et notre ùme à ce peuple
qu'on voudrait amener Ă nous traiter comme des loups.
A lui quand mĂȘme !
â On sent des larmes amĂšres cachĂ©es lĂ -dessous, larmes d'in-
dignation, de douleur aiguë et cuisante, causée par la blessure
faite par ces « ignorants ».
Pendant que Mme Sand se voyait ainsi conspuée par des
voisins de campagne, à Paris et dans toute la France sévis-
sait contre la gauche et surtout contre les socialistes des ri-
gueurs et des poursuites. On objectait Ă Ledru-Rollin la con-
duite répréhensible, sinon criminelle, de sa collaboratrice de
naguÚre. Thoré était menacé, il devait se tenir caché, puis
bientĂŽt clore son journal. Barbes Ă©tait en prison. On dressait
une enquĂȘte contre Louis Blanc. On commença une autre
enquĂȘte contre tous les communistes, socialistes, et les meneurs
de l'Ă©meute. Des perquisitions, des arrestations, des procĂšs et
des condamnations Ă la prison, n'en finissaient pas. On for-
mula eontre George Sand elle-mĂȘme deux charges d'accusa-
tion : le Bulletin u° 16, oĂč l'on crut voir une excitation du
peuple, préméditée de longue date, aux événements du 15 mai
â et la participation personnelle Ă la manifestation ; on prĂ©ten-
dait que Mme Sand aurait harangué le peuple qui se diri-
geait vers l'HĂŽtel de Ville. On fit une enquĂȘte pour savoir
qui avait rédigé le fameux Bulletin, donné le bon à tirer et
qui avait invité Mme Sand à rédiger les Bulletins.
Ledru-Rollin renia catégoriquement le Bulletin n° 16 : il dé-
GEORGE SAND 115
clara ne pas l'avoir vu. H se trouva que le tour d'examiner le
Bulletin revenait Ă Elias Regnault, mais il venait de perdre sa
mĂšre et n'avait pu songer au Bulletin ; le Bulletin fut envoyĂ© Ă
l'imprimeur sans ĂȘtre revu par personne. Jules Favre prĂ©tendit
encore qu'il s'était « empressé » de courir à la poste pour
« arrĂȘter » l'envoi du Bulletin en province, mais qu'il Ă©tait
arrivé trop tard; le Bulletin, hélas! était expédié et avait
paru. C'est alors que George Sand dĂ©clara rĂ©solument ĂȘtre
l'auteur du Bulletin. Avant tout, elle Ă©crivit Ă Ledru-Rollin.
La lettre de George Sand prouve qu'elle savait le propos
qu'il avait tenu. Elle lui répondit trÚs finement et trÚs spiri-
tuellement, réclamant courageusement la responsabilité de ses
aetes, montrant une fois de plus qu'elle Ă©tait un parfait honnĂȘte
homme et savait rendre le bien pour le mal.
En annonçant à Ledru-Rollin, ce que probablement il ne savait
pas, qu'elle rĂ©digeait dans la Vraie RĂ©publique, journal « oĂč on
le traitait collectivement de Roi, de Consul, de Dictateur », elle
le priait de lire ses articles dans ce journal ; n'Ă©tant pas solidaire
de la rédaction, elle n'acceptait aucune responsabilité des attaques
contre les personnes : elle signait tout ce qu'elle Ă©crivait ; elle
trouvait donc sa position bien fausse dans ce journal, mais
aprÚs le 15 mai « il y aurait eu lùcheté de se retirer ». Eh bien,
elle adressait quand mĂȘme une priĂšre Ă Rollin :
... Je vous demande une chose, c'est de me faire signe quand vous
consentirez Ă ce que je vous dise dans ce mĂȘme journal, qui vous
attaque, et oĂč je garderai toujours le droit d'Ă©mettre mon avis sous
ma responsabilité personnelle, ce que je sais et ce que je pense de votre
caractÚre, de votre sentiment poli tique et de votre ligue révolution-
naire. Si vous n'avez pas le temps d'y songer, je ne vous en voudrai point
et je ne me croirai pas indispensable Ă votre justification auprĂšs de
quelques personnes dont le jugement ne vous est pas indispensable
non plus. Mais, pour l'acquit de ma conscience, de mon affection, je
me dois (au risque de faire l'importante (1) de vous dire cela ; vous le
comprendrez comme je vous le donne, de bonne foi et de bon coeur.
On me dit ici que j'ai été compromise dans l'affaire du 15 mai.
Cela est tout Ă fait impossible, vous le savez. On me dit aussi que la
(1) C'est nous qui soulignons.
n6 GEORGE SAND
commission executive s'est opposée à ce que je fusse poursuivie.
Si cela est, je vous en remercie personnellement ; car, ce que je déteste
le plus au monde, c'est d'avoir l'air de jouer un rĂŽle (1) pour le plaisir
de me mettre en Ă©vidence. Mais si l'on venait Ă vous accuser de la
moindre partialité à mon égard, laissez-moi poursuivre, je vous en
supplie. Je n'ai absolument rien Ă craindre de la plus minutieuse en-
quĂȘte. Je n'ai rien su ni avant ni pendant les Ă©vĂ©nements, du moins
rien de plus que ce qu'on voyait et disait dans la rue. Mon jugement
sur le fait, je ne le cache pas, je l'Ă©cris et je le signe ; mais je ne crois
pas que c'est lĂ conspirer.
Adieu et Ă vous de tout mon cĆur.
:' Puis, Ledru-Kollin, ayant consenti Ă ce qu'elle agisse comme
elle l'entendait, elle écrivit à Girerd, son vieil ami, alors député
à l'Assemblée, la lettre que voici et que nous devons citer,
quoiqu'elle ait été publiée dans la Correspondance :
Nouant, 6 août 1848.
Mon ami,
Je suis en effet l'auteur du 16e Bulletin, et j'en accepte toute la res-
ponsabilité morale. Mon opinion est et sera toujours que si l'Assemblée
nationale voulait détruire la République, la République aurait le
droit de se dĂ©fendre, mĂȘme contre l'AssemblĂ©e nationale.
Quant à la responsabilité politique du 16e Bulletin, le hasard a voulu
qu'elle n'appartĂźnt Ă personne. J'aurais pu la rejeter sur M. Ledru-
Rollin, de mĂȘme qu'on aurait fort bien pu ne pas rejeter sur moi la
responsabilitĂ© morale. Mais dans un moment oĂč le temps manquait Ă
tout le monde, j'aurais cru, moi, manquer Ă ma conscience, si j'avais
refusé de donner quelques heures du mien à un travail gratuit, autant
comme argent que comme amour-propre. C'est la premiĂšre et ce sera
probablement la derniĂšre fois de ma vie que j'aurai Ă©crit quelques
lignes sans les signer.
Mais du moment que je consentais Ă laisser au ministre la respon-
sabilité d'un écrit de moi, je devais aussi accepter la censure du mi-
nistre ou des personnes qu'il commettait Ă cet examen.
C'Ă©tait une preuve de confiance personnelle de ma part envers
ML Ledru-Rollin, la plus grande qu'un Ă©crivain qui se respecte puisse
donner Ă un ami politique.
H avait donc, lui, la responsabilité politique de mes paroles, et les
cinq ou six Bulletins que je lui ai envoyés ont été examinés. Mais le
(1) C'est encore nous qui soulignons.
GEORGE SAND 117
16e Bulletin est arrivĂ© dans un moment oĂč M. Elias Regnault, chef du
cabinet, venait de perdre sa mĂšre. Personne n'a donc lu, apparemment,
le manuscrit avant de l'envoyer Ă l'imprimerie. J'ignore si quelqu'un
en a revu l'Ă©preuve. Je ne les revoyais jamais, quant Ă moi.
Un moment de désordre dans le cabinet de M. Elias Regnault,
désordre qu'il y aurait cruauté et lùcheté à lui reprocher, a donc pro-
duit tout ce scandale, que, pour ma part, je ne prévoyais guÚre et
n'ai jamais compris jusqu'à présent.
Comme, jusqu'Ă ce fameux Bulletin, il n'y avait pas eu un mot Ă
retrancher dans mes articles, ni le ministre, ni le chef du cabinet
n'avaient heu de s'inquiéter extraordinairement de la différence d'opi-
nion qui pouvait exister entre nous. .
Apparemment, M. Jules Favre, secrétaire général, qui, je crois,
rédigeait en chef le Bulletin de la République, était absent ou préoccupé
aussi par d'autres soins. Il est donc injuste d'imputer au ministre
ou à ses fonctionnaires le choix de cet article parmi trois projets ré-
digĂ©s sur le mĂȘme sujet, dans des nuances diffĂ©rentes. Je n'ai pas le
talent assez souple pour tant de rédactions et c'eût été trop exiger
de mon obligeance que de me demander trois versions sur la mĂȘme
idĂ©e. Je n'ai jamais connu trois maniĂšres de dire la mĂȘme chose, et
je dois ajouter que le mĂȘme sujet ne m'Ă©tait point dĂ©signĂ©.
; . Une autre circonstance que je me rappelle exactement et qu'il
est bon d'observer, c'est que l'article avait été envoyé par moi le
mardi 12 avril, alors qu'il n'Ă©tait pas plus question, dans mon esprit,
des événements du 16, que dans les prévisions de tous ceux qui vivent
comme moi en dehors de la politique proprement dite. Par suite de
la préoccupation douloureuse du chef du cabinet, cet article n'a paru
que le 16 : c'est dire assez que, dans l'agitation oĂč se trouvaient alors
les esprits, on a voulu Ă tort donner, Ă des craintes que j'avais Ă©mises,
d'une maniÚre générale, une signification particuliÚre.
Voilà ma réponse aux explications que tu me demandes. Pour ma
part, il m'est absolument indifférent qu'on incrimine mes pensées ;
je ne reconnais Ă personne le droit de m'en demander compte et aucune
loi n'autorise Ă chercher au fond de ma conscience si j'ai telle ou telle
opinion. Or, un Ă©crit que l'on compte soumettre Ă un contrĂŽle avant
de le publier, et que, dans cette prévision, on ne se donne le soin ni
de peser, ni de relire, est un fait inaccompli, ce n'est rien de plus qu'une
pensée qui n'est pas encore sortie de la conscience intime.
Mais peu importe ce qui me concerne. Je devais seulement à la vérité
et à l'amitié de te raconter ce qui entoure ce fait, c'est-à -dire la part
qu'on accuse certaines personnes d'y avoir prise.
Si le 16e Bulletin a été un brandon de discorde entre républicains,
ce que j'Ă©tais loin d'imaginer durant les cinq Ă dix minutes que je
nS GEORGE SAND
passai à l'écrire, il ne fut pas écrit du moins en prévision ou en espé-
rance de l'événement du 15 mai, que je n'approuve en aucune façon
Jt crois que tu me connais assez pour savoir que, si je l'avais approuvé
avant et pendant, ce ne serait pas l'insuccÚs qui me le ferait désavouer
aprĂšs.
A toi de cĆur, mon ami.
Le lendemain, 7 aoĂ»t, Mme Sand Ă©crivit encore une fois Ă
Girerd Ă ce mĂȘme propos, et nous devons encore citer plusieurs
passages de cette lettre publiée, car elle est trop importante
pour la biographie de George Sand :
... H y a assez longtemps qu'on m'ennuie avee ce 16e Bulletin. J'ai
dédaigné de répondre à toutes les attaques indirectes des journaux de
la réaction. Ma réponse, conforme à l'exacte vérité, est dans la lettre
que je t'ai envoyée hier et dont je t'autorise à faire usage quand
tu jugeras convenable, soit en la communiquant, soit en la faisant
imprimer dans un journal de notre opinion. J'aurais pu l'Ă©crire pins
tÎt ; mais je voulais laisser à M. Ledru-Rollin le soin de désavouer
ce Bulletin comme il l'entendrait ; les explications que le rapport pré-
tend avoir reçues de hauts fonctionnaires ne sont pas conformes à la
vérité, et tu comprendras qu'il me plaise peu de passer pour son
rédacteur payé, apparemment, puisqu'on suppose que j'envoyais
divers projets, parmi lesquels on choisissait la nuance, je tiens Ă garder
l'attitude qui me convient comme Ă©crivain, et Ă laquelle je n'ai jamais
manqué, ni comme dignité, ni comme modestie, ni comme désintéres-
sement.
Avise donc de toi-mĂȘme ; car je prends ici conseil de toi, sur ce que
tu dois faire de ma lettre. Je désire rétablir la vérité en ce qui me
concerne, et c'est aussi défendre M. Ledru-Roflm que de me défendre
moi-mĂȘme. C'est la seule occasion convenable peut-ĂȘtre que f aurai
de le faire ; car, le rapport oublié, il serait de mauvais goût de ramener
sur moi l'attention pour un fait personnel, comme vous dites Ă l'As-
semblĂ©e. Peut-ĂȘtre aussi faut-il attendre que M. Ledru-Rollin s'en
explique lui-mĂȘme? ConfĂšres-en avec lui, ce sera utile, et montre-lui
mes lettres si tu veux.
...Je crois que tu dois blĂąmer, toi, l'homme de la douceur et de la
prudence généreuse, la brutalité du 16e Bulletin, Pardonne-moi ce
péché, que je ne puis appeler un péché de jeunesse. Je ne reviendrai
pas sur ce que je t'ai éerit hier du fait non accompli dans ma réflexion,
et pourtant accompli par le vouloir d'un hasard singulier. Ma défense,
lĂ -dessu?, n'est point trop mĂ©taphysique, elle est simple et mĂȘme naĂŻve,
je crois. Mais aprĂšs tout, je ne me repens pas tien sincĂšrement, je te
GEORGE SAND n9
le confesse, de cette énormité. Je suis sincÚre en te disant que je n'ai
jamais donnĂ© dans le 15 mai. L'AssemblĂ©e n'avait pas mĂ©ritĂ© d'ĂȘtre
traitée si brutalement Le peuple n'avait pas droit ce jour-là . Il ne
s'agissait pas pour lui de sauver la RĂ©publique par ces moyens extrĂȘmes
qu'il n'a mission d'employer que dans les cas désespérés. D'ailleurs,
il n'Ă©tait pas lĂ , le peuple, puisqu'on ne s'est pas battu. Quelques
groupes socialistes n'ont pas le droit ft imposer leur systĂšme Ă la France
qui recule; mais, quand je disais dans l'abominable 16e Bulletin
que le peuple a droit de sauver la RĂ©publique, j'avais si fort
raison, que je remercie Dieu d'avoir eu cette inspiration si impo-
litique. Tout le monde l'avait aussi bien que moi ; mais il n'y avait
qu'une femme assez folle pour oser l'écrire. Aucun homme n'eût été
assez bĂȘte et assez mauvaise tĂȘte pour faire tomber de si haut une
vérité si banale. Le hasard, qui est quelquefois la Providence, s'est
trouvé là pour que l'étincelle mßt le feu. J'en rirais sur l'échafaud, si
cela devait m'y envoyer. Le bon Dieu est quelquefois si malin 1
Mais que M. Ledru-Rollin s'en défende, je le veux de tout mon coeur,
et je l'y aiderai tant qu'il voudra. Je l'eusse fait plus tÎt s'il ne m'eût
dit que cela n'en valait pas la peine. Pourtant puisque l'accusation de
ce fait prend place dans les choses officielles, hĂątons-nous de dire la
vérité. Ce que je n'accepte pas, c'est que M. Elias Regnault ou quelque
autre (je ne sais pas qui) arrange la vérité à sa maniÚre.
Nous voyons donc que George Sand en acceptant toute la
responsabilité raoTale du 16e Bulletin s'empressait de décharger
et de défendre les autres.
Quant Ă sa participation Ă l'Ă©vĂ©nement mĂȘme du 15 mai, il
existe deux versions : d'aprÚs la premiÚre elle avait assisté à la
séance de l'Assemblée et avait été vue dans la tribune du corps
diplomatique parmi les dames peu nombreuses qui y Ă©taient
restées bravement jusqu'à la fin, n'ayant quitté la tribune qu'au
moment oĂč l'ordre fut donnĂ© de la faire Ă©vacuer (1).
D'autre part, George Sand convient qu'elle a suivi en
qmlité de spectateur le cortÚge populaire, mais elle nie carré-
ment avoir pris part à la conspiration ou avoir harangué le
peuple. H faut noter le fait Ă©trange que Mme Sand, ainsi que
son fils, prirent pour nier la chose et pour réfuter « les
bruits qui couraient un ton badin, humoristique, d'une légÚreté
(1) Selon la mention au-dessous d'une lithographie de l'époque, « Le 15 mai,
dessiné d'aprÚs nature par François Bonhomme. »
i2o GEORGE SAND
voulue et nullement adaptée à la gravité des circonstances »,
comme le remarque trĂšs judicieusement M. Monin. C'est sur ce
ton que Mme Sand Ă©crivit le 20 mai Ă CaussidiĂšre qui n'Ă©tait
plus alors le préfet de police, mais qui l'était le 15 mai.
Nohant, le 20 mai 1848.
Citoyen,
J'Ă©tais, le 15 mai, dans la rue de Bourgogne, mĂȘlĂ©e Ă la foule, curieuse
et inquiĂšte comme tant d'autres, de l'issue d'une manifestation qui
semblait n'avoir pour but qu'un vĆu populaire en faveur de la Po-
logne. En passant devant un cafĂ©, on me montra Ă la fenĂȘtre du rez-
de-chaussée une dame fort animée, qui recevait une sorte d'ovation
de la part des passants et qui haranguait la manifestation. Les per-
sonnes qui se trouvaient à mes cÎtés m'assurÚrent que Gette dame
Ă©tait George Sand ; or, je vous assure, citoyen, que ce n'Ă©tait pas moi,
et que je n'étais dans la foule qu'un témoin de plus du triste événe-
ment du 15 mai.
Puisque j'ai l'occasion de vous fournir un détail de cette étrange
journée, je veux vous dire ce que j'ai vu.
La manifestation était considérable, je l'ai suivie pendant trois
heures. C'Ă©tait une manifestation pour la Pologne, rien de plus pour
la grande majorité des citoyens qui l'avaient augmentée de leur con-
cours durant le trajet, et pour tous ceux qui l'applaudissaient au
passage. On était surpris et charmé du libre accÚs accordé à cette
manifestation jusqu'aux portes de l'Assemblée. On supposait que
des ordres avaient été donnés pour laisser parvenir les pétitionnaires ;
nul ne prévoyait une scÚne de violence et de confusion au sein de la
représentation nationale. Des nouvelles de l'intérieur de la Chambre
arrivaient au dehors. L'AssemblĂ©e, sympathique au vĆu du peuple, se
levait en masse pour la Pologne et pour l'organisation du travail, disait-
on. Les pétitions étaient lues à la tribune et favorablement accueillies.
Puis, tout à coup, on vint jeter à la foule stupéfaite la nouvelle
de la dissolution de l'Assemblée et la formation d'un pouvoir nouveau
dont quelques noms pouvaient rĂ©pondre au vĆu du groupe passionnĂ©
qui violentait l'Assemblée en cet instant, mais nullement, j'en réponds,
au vĆu de la multitude. AussitĂŽt, cette multitude se dispersa, et la
force armée put, sans coup férir, reprendre immédiatement possession
du pouvoir constitué.
Je n'ai point Ă rendre compte ici des opinions et des sympathies de
telle ou telle fraction du peuple qui prenait part Ă la manifestation ;
mais toute voix en France a le droit de s'Ă©lever en ce moment pour
dire à l'Assemblée nationale...
GEORGE SAND 121
Et George Sand dit alors, déjà sérieusement, qu'il aurait fallu,
selon elle, avertir l'Assemblée de ne pas se détourner du
peuple et de ne pas tourner à la franche réaction, par crainte
d'une minorité factieuse.
De son cÎté, Maurice Sand, dans sa lettre à Charles Duplomb,
auteur d'une Monographie de la rue du Bac (1), réfutait comme
suit la légende accréditée qui prétendait que George Sand aurait
Ă©tĂ© vue Ă la fenĂȘtre d'un cafĂ© prononçant un discours devant la
foule rassemblée :
... Il est complÚtement faux que ma mÚre ait harangué la foule an
quai d'Orsay. C'est une dame A... qui, le 15 mai 1848, Ă©tait dans
ledit café (d'Orsay) et faisait de la révolution parlementaire. Quelques
imbéciles, en la voyant, criÚrent ou rirent une farce aux autres badauds,
en criant : Vive George Sand! La bonne dame, enchantĂ©e d'ĂȘtre prise
pour ma mĂšre, salua la populace et, entre plusieurs bocks, se paya
plusieurs speechs. Je l'ai vue et entendue, parce qu'un des badauds
là présents m'a pris à partie en me disant : « Venez donc crier : Vive
George Sand ! » Moi, de rire de la fumisterie en disant : « Ce n'est pas
George Sand, c'est Mme A..., femme de lettres. Quant Ă George Sand,
je la connais bien, puisque c'est ma mÚre. » Votre pÚre (2) a dû vous
raconter la chose, car j'Ă©tais avec lui ce jour-lĂ , le 15 mai, Ă l'assaut
de l'AssemblĂ©e nationale, d'oĂč nous avons Ă©tĂ© pour prendre les canons
de l'Ecole militaire, oĂč nous n'avons rien pris que des bocks en route,
et d'oĂč nous nous sommes rabattus sur l'HĂŽtel de Ville. JournĂ©e mĂ©-
morable et des plus hilarantes que j'aie passées !
George Sand raconta toutefois la journée du 15 mai et les
choses qu'elle vit et entendit alors autrement que sous la forme
d'une défense badine de sa personne. Le 28 mai et le 5 juin
parurent, dans la Vraie RĂ©publique, ses deux Feuilletons popu-
laires : la Lettre d'Antoine G. ouvrier carrossier Ă Paris et la
RĂ©ponse de Gabrielle G. Ă son mari Antoine G., (3). C'est dans
(1) Monographie de la rue du Bac. (Paris, in-8°, 1894.)
(2) Charles Duplomb Ă©tait fils d'Adolphe Duplomb. Ce dernier, sur-
nommé HydrogÚne, apothicaire à la Chùtre, était grand ami d'Aurore Dude-
vant et de son frĂšre, Hippolyte ChĂątiron, et leur compagnon d'escapades et
de parties de plaisir. George Sand en parle dans le morceau autobiogra-
phique, Un voyage chez M. Biaise (volume des DerniĂšres Pages), ainsi que
dans ses lettres de jeunesse. (Voir Corresp., t. Ier.)
(3) Réimprimées dans le volume des Souvenirs de 1848, sous le titre de
Paris et la province.
122 GEORGE SAND
ces feuilletons que, déjà sérieusement et simplement, avec cet
art achevé et cette pénétration géniale de la psychologie popu-
laire qui lui sont propres, George Sand fait raconter « l'ĂvĂ©ne-
ment du 15 mai », par un simple ouvrier, point fanatique, mais
conscient de ses droits et de ses devoirs.
Antoine G. ne voulait prendre part Ă aucune manifestation,
parce qu'il avait ouï-dire que c'est l'affaire des « meneurs »
et quant Ă mi, il « ne se mĂȘlait pas de la politique des bour-
geois » ; mais il se rendit quand mĂȘme Ă l'HĂŽtel de Ville, lorsqu'il
entendit battre le rappel, parce qu'on lui avait dit qu'on tirait
sur le peuple dans les environs de l'Assemblée. H faillit se trou-
ver au nombre des « factieux » et n'échappa que par hasard au
danger d'ĂȘtre Ă©crasĂ© par la cavalerie. Dans sa logique toute rec-
tiligne, il jugea que si mĂȘme les meneurs qui voulaient pro-
clamer leur propre gouvernement, avaient tort, les bourgeois
qui se rĂ©jouissaient de cette occasion d'Ă©touffer le peuple, â
jusqu'alors le maĂźtre de la position, â Ă©taient bien plus fautifs
encore. Selon Antoine G. et ses amis : Coquelet, Bergerac,
Vallier et Laurent, une fois que les bourgeois provoquaient les
« blouses », il fallait prendre les armes, parce que celui qui
commence le premier Ă tirer contre le peuple, sous quelque
prétexte que ce fût, est un ennemi du peuple.
Le peuple n'entend rien à la politique, il « ne connaßt ni Blan-
qui, ni Dieu, ni diable dans ces affaires ; il ne sait qu'une chose,
c'est que le peuple est malheureux et qu'on le nourrit de coups
de fusil... » Une fois que les bourgeois crient « A bas Barbes »,
pour cette seule raison Coquelet voulait crier « Vive Barbes »,
au risque de se faire arrĂȘter ou Ă©charper par les furieux de l'ordre,
et ce ne sont que ses amis qui l'en empĂȘchĂšrent en le « prenant
au coDet ».
« Nous tombùmes tous d'accord qu'il fallait aller chercher nos armée
et obéir au rappel ; mais nous y avons tous été avec l'intention bien
arrĂȘtĂ©e de tirer sur le premier habit qui tirerait sur une blouse, car,
dans ce moment d'Ă©tonnement oĂč nous ne comprenions rien du tout
Ă tout ce qui se passait, nous sentions que Coquelet Ă©tait mieux ins-
pirĂ© par son cĆur que nous ne rayions Ă©tĂ© par la raison. Oui, oui,
GEORGE SAND 123
criait Bergerac, quand mĂȘme ce serait Barbes qui tirerait sur la blouse,
ot quand mĂȘme la blouse cacherait Guizot, malheur Ă qui touchera
Ă la blouse! Coquelet a raison. VoilĂ toute notre politique Ă nous
autres (1). »
On voit bien que le carrossier Antoine G. se tenait, dans la
foule au coin de la place de Bourgogne, tout prĂšs de l'auteur
du Feuilleton populaire, parce qu'il ne partage pas seulement
ses sentiments pour Barbes, mais encore son récit est d1uii
intĂ©rĂȘt palpitant, plein d'observations fines et spirituelles et
témoigne d'une profonde connaissance de l'ùme populaire. Or
il connaissait aussi cette Ăąme celui qui guidait la plume de Ga-
brielle G., dans sa réponse à son mari; elle fut sûrement écrite
de Nohant, de Vie ou de Saint-Chartier : sa lettre trahit sa
présence dans le voisinage de l'amie prétendue du PÚre Com-
munisme et de M. le Duc Rollin. Fort heureusement, Gabrielle G.
n'avait point prĂȘtĂ© l'oreille aux discours des « veaux de Dela-
veau », ni des autres lachùtrois, horripilés par le fantÎme des
lois agraires ; elle voit et comprend parfaitement ce qu'il faut
au paysan et qui sont ses vrais amis, et elle en parle simple-
ment et avec chaleur.
Nous voyons donc que George Sand avait bravement accepté
la responsabilitĂ© du 16e Bulletin, qu'elle s'Ă©tait empressĂ©e Ă ĂȘtre
utile à Ledru-Rollm et à Théophile Thoré. Puis, lorsque la réac-
tion croissante se déchaßna contre "Louis Blanc et les racon-
tars bourgeois calomniÚrent et déchirÚrent Barbes, l'ennemi
déjà prisonnier, alors George Sand, qui dans son Journal intime
(1) Daniel Stern a marquĂ© d'une pierre blanche cette petite Ćuvre de
George Sand, et c'est avec une pointe de sarcasme bien Ă©vidente qu'aprĂšs
avoir dit : « Le peuple à son tour murmurait. Les ateliers nationaux com-
mençaient à laisser paraßtre des dispositions hostiles... La presse communiste,
un moment silencieuse, reprenait le ton menaçant, et, laissant de cÎté les
questions politiques, elle posait ce fatal antagonisme entre la bourgeoisie
et le peuple qui devait, Ă peu de temps de lĂ , Ă©clater (Tune maniĂšre si for-
midable. Les républicains éclairés ne voyaient pas sans chagrin de grands
talents s'employer Ă cette Ćuvre de dissolution... ». Elle ajoutait en note :
i Un article de Mme Sand, entre autres, publié dans la Vraie République,
le 28 mai, fit sensation. Elle mettait dans la bouche d'un ouvrier, qui racon-
tait à sa femme la journée du 15 mai, l'explication que voici : ... » Puis Daniel
Stern citait le morceau que nous donnons dans le texte : « Nous tombùmes
tous d'accord... », etc.
124 GEORGE SAND
et dans ses lettres, jugeait sévÚrement Louis Blanc, comme
un « meneur » et un « sectaire » et allait jusqu'à se moquer de
<( cette grande ambition dans un petit corps » (1) ; qui appelait
Barbes un « factieux » et « pire qu'un factieux », parce qu'il se
laissait gouverner par la néfaste maxime : Qui veut la fin veut
les moyens, maxime si justement réprouvée par George Sand
comme criminelle, â alors cette mĂȘme George Sand, disons-nous,
prit ouvertement la défense de Louis Blanc et de Barbes dans
le journal de Thoré. Elle y publia deux articles sur Louis
Blanc (2), et un article sur Barbes (3). De plus, le 7 août,
George Sand envoya à Giierd une lettre de Milnes (reçue le 8
ou le 10 juin), « qui peut servir à la défense de Louis Blanc. » Et
on ne peut assez apprécier ces deux courageuses et nobles levées
de lances en faveur d'hommes dont les noms mĂȘmes Ă©taient
prononcés « avec horreur et terreur », comme ceux de malfaiteurs
et de meurtriers sanguinaires.
A Barbes lui-mĂȘme, incarcĂ©rĂ© Ă Vincennes et qui avait Ă©crit Ă
George Sand pour lui dire qu'il Ă©tait sain et sauf, elle Ă©crit le
10 juin de Nohant :
Je n'ai reçu votre lettre qu'aujourd'hui 10 juin, cher et admirable
ami. Je vous remercie de cette bonne pensée, j'en avais besoin ; car
je n'ai pas passé une heure depuis le 15 mai, sans penser à vous et sans
me tourmenter de votre situation. Je sais que cela vous occupe moins
que nous ; mais enfin il m'est doux d'apprendre qu'elle est devenue
matériellement supportable.
Ah ! oui, je vous assure que je n'ai pas goûté la chaleur d'un rayon
de soleil sans me le reprocher, en quelque sorte, en songeant que vous
(1) V. plus haut, p. 9.
(2) Le premier article, Louis Blanc, réimprimé dans le volume des Sou-
venirs de 1848, sous le titre de Louis Blanc au iMxembourg, parut dans la
Vraie RĂ©publique, le 2 et 3 juin.
Le second, qui parut le 11 juin, fut écrit en forme de simple Lettre à Théo-
phile Thoré. Dans le volume des Souvenirs de 1848, on le munit d'un sous-
titre : Sur la mise en accusation de Louis Blanc, et pourtant la rédaction de
la Vraie République l'avait fait précéder de la petite note que voici : « Cet
article n'est pas une défense. Il nous a été envoyé par notre collahorateur
avant qu'on connût les projets d'accusation qui en font un article de circons-
tance. >
(3) Parut dans la Vraie République, le 9 juin, réimprimé aussi dans le
volume des Souvenirs de 1848.
GEORGE SAND 125
en étiez privé. Et moi qui vous disais : « Trois mois de liberté et de
soleil vous guériront. »
On m'a dit que j'Ă©tais complice de quelque chose, je ne sais pas quoi,
par exemple. Je n'ai eu ni l'honneur ni le mérite de faire quelque chose
pour la cause, pas mĂȘme une folie ou une imprudence, comme on dit ;
je ne savais rien, je ne comprenais rien Ă ce qui se passait; j'Ă©tais lĂ
comme curieux, étonné et inquiet, et il n'était pas encore défendu,
de par les lois de la RĂ©publique, de faire partie d'un groupe de badauds.
Les nouvelles les plus contradictoires traversaient la foule. On a été
jusqu'à nous dire que vous aviez été tué. Heureusement cela a été
démenti au bout d'un instant par une autre version. Mais quelle triste
et pénible journée !
Le lendemain était lugubre ! Toute cette population armée, furieuse
ou consternée, le peuple provoqué, incertain, et à chaque instant des
légions qui passaient criant à la fois : Vive Barbes! et A bas Barbes!
H y avait encore de la crainte chez les vainqueurs. Sont-ils plus calmes
aujourd'hui aprÚs tout ce développement de terrorisme? J'en
doute.
Viennent les lignes qui se rapportent Ă elle-mĂȘme et que nous
avons citées plus haut (1), puis elle continue :
... Mais c'est bien assez vous parler de moi. Je n'ose pas vous parler
de vous : vous comprenez pourquoi. Mais si vous pouvez lire des jour-
naux, et si la Vraie République du 9 juin vous est arrivée, vous aurez
vu que je vous écrivais en quelque sorte avant d'avoir reçu votre lettre.
Ne faites attention dans cet article qu'au dernier paragraphe. Le
reste est pour cet ĂȘtre Ă toutes facettes qu'on appelle le public, la
fin Ă©tait pour vous...
Ce « dernier paragraphe » oĂč George Sand tĂąchait de
prouver combien il Ă©tait injuste d'accuser Barbes d'une action
criminelle, alors qu'il avait voulu prévenir une rencontre
sanglante entre le peuple et le gouvernement était rédigé
ainsi :
... Mais parmi les hommes d'exception qui donnent tout sans vou-
loir jamais rien recevoir, l'homme dont je parle est un des plus purs,
des plus grands, des plus fanatiques, si ce mot peut s'appliquer au
dévouement et au renoncement. Cet homme est né pour le sacrifice,
(1) V. plus haut, p. 111.
t»6 GEORGE SAND
pour le martyre, et parmi ceux qui le blĂąment, il n'en est pas un seul
qui ne l'aimerait et ne l'admirerait, s'il le connaissait particuliĂšre-
ment
Zslais qui ne le connaßt? qui n'a déjà reconnu Barbes à ce que je
viens d'en dire? Barbes qui, au fond de sa prison, n'a point encore
eu d'autre préoccupation, d'autre souci que la crainte de voir des
innocents compromis dans sa eause? Qui n'a senti, en lisant les lettres
de Barbes au colonel Rey et Ă Louis Blanc, qu'une grande Ăąme Ă©tait
aux prises avec une terrible destinée? Un mot bien simple du colonel
Rey a frappĂ© tous les cĆurs en France d'un choc Ă©lectrique ! Merci,
honnĂȘte homme! Oui, honnĂȘte homme! Ce titre-lĂ est grand comme le
monde aujourd'hui, aussi grand, aussi rare que le génie de Napoléon
dans le passé...
... Quant Ă toi, Barbes, rappelle-toi le mot de l'enfer dans Faust :
Pour avoir aimé, tu mourras! Oui, pour avoir aimé ton semblable,
pour t'ĂȘtre dĂ©vouĂ© sans rĂ©serve, sans arriĂšre-pensĂ©e, sans espoir de
compensation à l'humanité, tu seras brisé, calomnié, insulté, déchiré
par elle. J'ignore si le fer de la guillotine est à jamais brisé pour les
dissidences politiques. Tu l'as déjà vu de prÚs, et son éclair ne te ferait
point cligner les yeux. Mais déjà , à demi mort dans les cachots de la
monarchie, tu recommences ton agonie dans les cachots de La RĂ©pu-
blique. Je crois fermement que la justice du pays t'absoudra, j'espĂšre
encore dans l'idée qui préside aux destinées de la République. Mais,
tu n'en seras pas moins persĂ©cutĂ©, durant les jours qui te restent Ă
vivre, par l'idée contraire, toute-puissante eneore chez la plupart des
hommes. Tu mourras Ă la peine d'un Ă©ternel combat, car les forces
humaines ne suffisent pas Ă la lutte que ces temps-ci ont vu naĂźtre, et
que ni toi ni moi ne verront finir. Reste donc calme ! Tu as choisi
la souffrance, la prison, l'exil, la persécution et la mort Tu seras
exaucé, toi dont l'ambition était de mourir pour la cause du peuple.
Peut-ĂȘtre mĂȘme connaĂźtras-tu cette suprĂȘme douleur, peut-ĂȘtre boiras-
tu ce dernier calice, d'ĂȘtre maudit par des insensĂ©s, Ă l'heure oĂč tu
rendras Ă Dieu ton Ăąme sans souillure. Mais tu crois Ă la vie Ă©ternelle
et d'ailleurs, tandis que le? ennemis du peuple te jetteront une derniĂšre
pierre, le peuple te criera par la bouche de ceux qui t'aiment : Merci,
honnĂȘte homme!
Et nous de notre part nous dirons : Ă l'heure oĂč rĂ©gnait parmi
l'opposition une panique, un abattement et un ahurissement
gĂ©nĂ©ral, oĂč la rĂ©action triomphait sur toute la ligne, Ă cette
heure-lĂ , George Sand, qui adressait ainsi publiquement la pa-
role au prisonnier Barbes, prouva qu'elle Ă©tait, elle aussi, non
GEORGE SAND \ij
seulement un honnĂȘte homme, mais aussi une femme eourageuse,
une Ăąme sans peur.
A partir de cette Ă©poque, et jusqu'Ă la mort de Barbes,
fûtril en prison ou en exil, Mme Sand entretint avec lui une
correspondance suivie.
Elle le considérait comme un homme d'un autre monde, « le
Bayard de la révolution », et le traitait avec un respect sans
bornes et un tendre dévouement.
A peine deux jours aprĂšs le second article sur Louis Blanc,
éclatÚrent les horribles journées de Juin : frappée d'horreur
et de dégoût, George Sand se tut, dans la presse du moins. Quant
à ses lettres innombrables, écrites cet été, publiées ou inédites,
elles sont pleines d'amertume désespérées. Elle assure ses corres-
pondants de sa foi en l'avenir du peuple et au triomphe flna lde
la libertĂ©, â ne fĂ»t-ce que dans un avenir bien Ă©loignĂ©, â mais
un dĂ©sespoir profond se laisse quand mĂȘme deviner Ă travers ses
paroles. Son ami Rollinat s'efforçait, comme toujours, de sou-
tenir son courage, de ranimer son Ă©nergie, il lui conseillait
d'abandonner momentanément la politique, de revenir à la
poésie et justement à ce genre de littérature qui avait toujours
été une consolation aux époques de cataclysmes politiques ou de
déchéance morale, aux bergeries. Ses conversations et ses dis-
putes avec Rollinat, George Sand les a transcrites dans la char-
mante Préface à la Petite Fadette, écrite en septembre 1848, et
anuoncée sous le titre de : Pourquoi nous sommes revenus à nos
moutons, dans le Spectateur RĂ©publicain. Le roman parut dans
le Crédit, le 1er décembre. Nous avons deux fois déjà parlé de
cette Préface :
Et tout en parlant de la RĂ©publique que nous rĂȘvons et de celle
que nous subissons â Ă©crit George Sand â nous Ă©tions arrivĂ©s Ă
l'endroit du chemin ombragĂ© oĂč le serpolet invite au repos.
â Te souviens-tu, dit-il, que nous passions ici il y a un an et que
nous nous y sommes arrĂȘtĂ©s tout un soir? Car c'est ici que tu me ra-
contas l'histoire du Champi et que je te conseillai de l'Ă©crire dans le
style familier dont tu t'Ă©tais servi avec moi.
â Et que j'imitais de la maniĂšre de notre chanvreur? Je m'en sou-
viens, et il me semble que depuis ce jour-là nous avons vécu dix ans.
128 GEORGE SAND
â Et pourtant la nature n'a pas changĂ©, reprit mon ami : la nuit
est toujours pure, les Ă©toiles brillent toujours, le thym sauvage sent
toujours bon...
â L'art est comme la nature, lui dis-je; il est toujours beau. Il
est comme Dieu qui est toujours bon ; mais il est des temps oĂč il se
contente d'exister Ă l'Ă©tat d'abstraction, sauf Ă se manifester plus
tard quand ses adeptes en seront dignes. Son souffle ranimera alors
les lyres longtemps muettes ; mais pourra-t-il faire vibrer celles qui
se seront brisĂ©es dans la tempĂȘte? L'art est aujourd'hui en travail
de décomposition pour une éclosion nouvelle. H est comme toutes les
choses humaines, en temps de révolution, comme les plantes qui
meurent en hiver pour renaßtre au printemps. Mais le temps fait périr
beaucoup de germes. Qu'importent dans la nature quelques rieurs ou
quelques fruits de moins? Qu'importent dans l'humanité quelques
voix Ă©teintes, quelques cĆurs glacĂ©s par la douleur ou par la mort?
Non, l'art ne saurait me consoler de ce que souffrent aujourd'hui sur
la terre la justice et la vérité. L'art vivra bien sans nous. Superbe et
immortel comme la poésie, comme la nature, il sourira toujours sur
nos ruines. Nous qui traversons ces jours nĂ©fastes, avant d'ĂȘtre artistes,
tĂąchons d'ĂȘtre hommes ; nous avons bien autre chose Ă dĂ©plorer que
le silence des Muses...
â ... La poĂ©sie est quelque chose de plus que les poĂštes, c'est en dehors
d'eux. Les révolutions n'y peuvent rien. 0 prisonniers ! Î agonisants !
captifs et vaincus de toutes les nations, martyrs de tous les progrĂšs !
Il y aura toujours dans le souffle de l'air que la voix humaine fait
vibrer une harmonie bienfaisante qui pénétrera vos ùmes d'un reli-
gieux soulagement. Il n'en faut mĂȘme pas tant, le chant de l'oiseau,
le bruissement de l'insecte, le murmure de la brise, le silence mĂȘme de
la nature, toujours entrecoupé de quelques mystérieux sons d'une
indicible Ă©loquence. Si ce langage furtif peut arriver jusqu'Ă votre
oreille, ne fût-ce qu'un instant, vous échapper par la pensée au joug
cruel de l'homme, et votre ùme plane librement dans la création.
... Tout affligés et malheureux que nous sommes, on ne peut nous
Îter cette douceur d'aimer la nature et de nous reposer dans sa poésie.
Eh bien, puisque nous ne pouvons plus donner que cela aux malheu-
reux, faisons encore de l'art comme nous l'entendions naguĂšre, c'est-
à -dire célébrons tout doucement cette poésie si douce ; exprimons-la
comme le suc d'une plante bienfaisante sur les blessures de l'hu-
manité...
â ... Puisqu'il en est ainsi, dis-je Ă mon ami, revenons Ă nos mou-
tons, c'est-Ă -dire Ă nos bergeries...
... Je suis si las de tourner dans un cercle vicieux en politique, si
ennuyĂ© d'accuser la minoritĂ© qui gouverne, pour ĂȘtre forcĂ© tout aus-
GEORGE SAND 129
sitÎt de reconnaßtre que cette minorité est l'élue de la majorité, que
je voudrais oublier tout cela, ne fût-ce que pendant une soirée, pour
Ă©couter ce paysan qui chantait tout Ă l'heure, ou toi-mĂȘme, si tu
voulais me dire un de ces contes que le chanvreur de ton village t'ap-
prend durant les veillées d'automne...
â Eh bien, allons le chercher, dit mon ami, tout rĂ©joui d'avance ;
et demain tu écriras son récit pour faire suite avec la Mare au Diable
et François le Champi à une série de contes villageois, que nous inti-
tulerons classiquement les Veillées du chanvreur.
â Et nous dĂ©dierons ce recueil Ă nos amis prisonniers ; puisqu'il nous
est défendu de leur parler politique, nous ne pouvons que leur faire
des contes pour les distraire ou les endormir. Je dédie celui-ci en par-
ticulier Ă Armand...
â Inutile de le nommer, reprit mon ami : on verrait un sens cachĂ©
dans ton apologue, et on découvrirait là -dessus quelque abominable
conspiration. Je sais bien qui tu veux dire, et il le saura bien aussi,
lui, sans que tu traces seulement la premiĂšre lettre de son nom.
C'est ainsi que la Petite Fadette se trouve ĂȘtre dĂ©diĂ©e Ă Armand
Barbes et prouve une fois de plus que George Sand n'oubliait
pas ses amis tombés dans le malheur; au contraire, elle semble
vouloir ostensiblement confirmer sa piété amicale à ceux qui,
en ce moment, souffraient en prison de la justice des hommes
et étaient encore condamnés à la réprobation et à la médisance
générale.
En ce mĂȘme Ă©tĂ© de 1848, George Sand eut aussi l'occasion de
défendre Michel Bakounine. Nous reviendrons à ce propos un
peu en arriÚre et puis nous anticiperons un peu sur les évé-
nements de cette année, afin de raconter les relations de
Mme Sand avec les deux grands émigrés russes, Herzen et
Bakounine, et avec quelques autres membres de l'Ă©migration
internationale.
Herzen et Bakounine avaient toujours hautement apprécié
George Sand. Tous ceux qui ont lu les Ă©crits de Herzen con-
naissent trop bien ses opinions, la plupart enthousiastes, sur
ses romans ; chacun d'eux provoquait un échange d'idées des
plus animés entre Herzen et ses amis russes : Ogarew, Basile
Botkine, Annenkow, Biélinski, etc.. Toutefois Herzen ne se con-
tentait pas de donner toute son attention Ă chaque nouvelle
i3o GEORGE SAND
Ćuvre de l'illustre femme, son nom revient constamment sous
sa plume à tout propos : « George Sand aurait à cette occasion
fait ceci », dit-il, « George Sand a envisagé cela ainsi ». Ces
renvois constants Ă George Sand sont trop connus pour que
nous nous y arrĂȘtions. Mais, ce qu'on ignore absolument, c'est
que Herzen s'adressa Ă Mme Sand pour avoir son juge-
ment sur une affaire toute personnelle. Nous avons copié
quelques lettres inédites de Bakounine, de Herzen, et d'autres
Ă©migrĂ©s qui furent mĂȘlĂ©s aux deux Ă©pisodes les plus intĂ©res-
sants de ces relations de l'illustre femme et de ces deux grands
exilés.
George Sand connut Bakounine dĂšs 1844 (1), c'est-Ă -dire
Ă l'Ă©poque oĂč Louis Blanc et ses amis se mirent Ă la tĂȘte
de la RĂ©forme, dont Bakounine fut aussi l'un des collabora-
teurs.
Nous n'avons pas de documents se rapportant Ă ces toutes
premiÚres années des relations entre George Sand et Bakounine,
mais il est Ă croire qu'elles furent trĂšs amicales, car lorsqu'Ă la
fin de 1847, Ă la veille mĂȘme de la rĂ©volution de 1848, Bakou-
nine fut, sur les instances de l'ambassadeur russe, le comte
Kisselew, banni de France, il adressa Ă George Sand la lettre
suivante que nous copions sur l'autographe :
Madame,
Profitant de la permission que vous avez bien voulu m'accorder en
partant, je prends la liberté de vous adresser un petit discours que
j'ai prononcé dans une réunion polonaise. C'est bien peu de chose
sous le rapport littéraire, mais je regarde cette premiÚre manifestation
comme le commencement sĂ©rieux d'une Ćuvre bonne et grande, d'une
action que je ne crois pas seulement possible, mais nécessaire, inévi-
table, et c'est uniquement Ă ce titre que je la soumets Ă votre juge-
ment. J'espÚre, madame, que vous avez foi dans la sincérité de mes
intentions, et que vous me pardonnerez la pauvreté ainsi que les fautes
(1) Arnold Ruge, républicain allemand fort connu, dit dans ses Souvenirs
de Bakounine (Neue Freie Presse de 1878) que ce fut lui, Ruge, qui avait
présenté Bakounine à George Sand ainsi qu'à Chopin,
GEORGE SAND i3I
du langage en faveur de la grandeur et de la sainteté de mon
but.
Agréez, madame, l'assurance de mon dévouement ainsi que de mon
profond respect.
M. BakounĂŻne.
Parts, rue Saint-Dominique, 96, faubourg Saint-Germain.
Je viens de recevoir Ă l'instant mĂȘme l'ordre de quitter Paris et
la France, pour avoir troublé Tordre et la tranquillité publique. Permet-
tez-moi donc, madame, avant de partir, de vous exprimer ma gratitude
pour la bienveillance et la bonté que vous m'avez toujours témoi-
gnées ; croyez à mon dévouement profond, inaltérable, et gardez un
petit souvenir Ă un homme qui vous a vĂ©nĂ©rĂ©e, avant mĂȘme d'avoir
fait votre connaissance, car vous avez été pour lui souvent et dans les
moments les plus tristes de la vie une consolation et une lumiĂšre.
Mon adresse, si vous voulez bien me répondre, est : Paris. Rue de
Bourgogne, 4, Faubourg Saint-Germain. M. Reichel, professeur de
musique, pour remettre Ă M. Bacfc.
Nous avons retrouvĂ© aussi la rĂ©ponse de George Sand Ă
Bakounine :
Je ne sais pas, monsieur, si la poste a cru devoir me supprimer votre
envoi, mais je ne l'ai point reçu. J'avais lu par fragments dans les
journaux les belles paroles que vous avez prononcées et pour les-
quelles vous savez bien que mon approbation sincĂšre et ma vive sym-
pathie vous Ă©taient acquises, puisqu'elles sont l'expression de sen-
timents que je partage avec vous depuis que j'existe. Ces sentiments
sont plus méritoires chez vous que chez moi, car vous leur avez fait
de grands sacrifices, et ils attirent sur vous une persécution qui vous
atteint, mĂȘme en France, ce noble pays qui use les derniers anneaux
de sa chaßne et qui réparera tous les crimes qu'on commet en son
nom. La mesure odieuse prise contre vous indigne toutes les Ăąmes
honnĂȘtes, vous n'en pouvez pas douter. Elle contriste la mienne en
particulier, croyez-le bien. J'espĂšre pour mon pays (et je crois trop
Ă l'action divine pour croire Ă un long abaissement de la France) que
vous y rentrerez avant longtemps et que je vous serrerai encore la
main avec toute l'estime que je vous dois et l'intĂ©rĂȘt que je vous porte.
George Sand.
Nohant, 1er janvier 1848,
i32 GEORGE SAND
George Sand Ă©crit Ă ce propos Ă son fils :
Nohant, 7 février 1848,
... Tu ne savais donc pas que Bakounine avait été honni par notre
honnĂȘte gouvernement. J'ai reçu une lettre de lui il y a un mois en-
viron et je crois te l'avoir lue, mais tu ne t'en souviens pas. Je lui ai
répondu, avouant que nous étions gouvernés par de la canaille, et
que nous avions grand tort de nous laisser faire. Au reste, l'Italie est
sens dessus dessous. La Sicile se déclare indépendante ou peu s'en
faut, Naples est en révolution et le roi cÚde. Ces nouvelles sont cer-
taines à présent. Seulement, voilà tout ce qu'ils y gagneront, c'est
qu'ils passeront du gouvernement despotique au constitutionnel, de
la brutalité à la corruption, de la terreur à l'infamie, et quand ils
en seront lĂ , ils feront comme nous, ils y resteront longtemps (1).
Non, je ne crois pas non plus Ă la chimĂšre du pĂŽtu (2).
Nous sommes une génération de foireux et le Dieu nouveau s'appelle
Circulas (3) Lisez m... TĂąchons dans notre coin de ne pas devenir
ignobles, afin que si, sur mes vieux jours, ou sur les tiens, il y a un chan-
gement à tout cela, nous puissions en jouir sans rougir de notre passé..."
Bakounine avait reçu la réponse de George Sand et lui avait
de nouveau écrit, comme on le voit par la lettre inédite de
Mme Viardot Ă Mme Sand :
15 février 1848.
... Je vous envoie une lettre de Bakounine. VoilĂ bientĂŽt huit jours
que ma lettre est commencée, je veux absolument qu'elle parte au-
jourd'hui. Si vous voulez répondre à Bakounine, envoyez-moi la lettre
et je la ferai parvenir. Notre ami allemand dont vous avez quelquefois
lu des passages traduits de ses lettres politiques à moi adressées (Dieu !
quelle singuliĂšre phrase !), est dans ce moment Ă Paris et il sait toujours
la cachette de Bakounine (4).
(1) Cf. avec ce que George Sand dit dans sa lettre inédite à Mazzini que
nous avons donnée à la page 16, et avec les lignes du Piccinino citées dans
le chapitre vu.
(2) Sobriquet de Victor Borie.
(3) Voir ce que nous avons dit sur cette doctrine de Leroux aux pages 6
et 415 des chapitres i et rv du volume III. Les lignes que nous donnons
entre crochets sont tronquées et changées dans la Correspondance, George
Sand met les mots en toutes lettres.
(4) On voit par une lettre de Bakounine au poĂšte Herwegh (Voir le volume
des Lettres de et à Herwegh publié en 1904) que Bakounine avait envoyé sa
lettre par l'intermédiaire de cet « ami allemand », le docteur Mûller.
GEORGE SAND 133
On sait que Bakounine revint en France dĂšs que la RĂ©publique
fut proclamée, mais il paraßt que lui et Mme Sand se virent peu
ou point : George Sand Ă©tant le 6 mars partie pour Nohant, y
resta jusqu'au 20-21 ; Bakounine séjourna à Paris, notamment en
mars, et le quitta peu aprÚs la journée du 17. Le révolutionnaire
russe Golovine assure qu'au 17 mars, lors de la manifestation du
prolĂ©tariat contre la garde nationale, Bakounine aurait marchĂ© Ă
la tĂȘte d'une bande d'ouvriers. Herzen dit dans ses Souvenirs que
Bakounine vivait en pleine tempĂȘte politique comme un poisson
dans l'eau, conspirant, pérorant, haranguant les ouvriers des fau-
bourgs, passant son temps dans les casernes des- Montagnards ;
qu'il avait horripilĂ© par ses discours ultra, mĂȘme les reprĂ©sentants
des partis aussi extrĂȘmes que CaussidiĂšre et Flocon, qui se sont
empressés de l'envoyer... faire de la propagande politique en
Allemagne, le munissant mĂȘme d'une petite somme d'argent.
C'est justement alors, Bakounine s'efforçant à y organiser
les forces révolutionnaires internationales et à les faire agir d'un
commun accord, que George Sand dut un jour intervenir en
sa faveur. Et notamment Karl Marx inséra dans sa Nouvelle
Gazette Rhénane, qui paraissait à Cologne, une correspondance
calomnieuse prétendant que George Sand avait entre ses mains
la preuve que Bakounine Ă©tait un agent du gouvernement russe.
Cette Correspondance de Paris Ă la date du 3 juillet, parut dans
le numéro 36 de la dite Gazette et était ainsi conçue :
On suit ici d'un Ćil attentif, malgrĂ© tous nos troubles intĂ©rieurs,
les luttes des Slaves, en BohĂȘme, Hongrie et Pologne. A propos de la
propagande slave on nous communiquait hier que George Sand aurait
acquis des papiers trÚs compromettants pour le Eusse exilé d'ici,
Michel Bakounine, en laissant constater que c'Ă©tait un outil ou un
agent nouvellement acquis par la Russie, auquel incombaient la plu-
part des arrestations des malheureux patriotes polonais survenues
en ces derniers jours. George Sand avait montré ces papiers à quelques
intimes. Nous n'avons ici rien Ă objecter contre un royaume slave, mais
il n'en sera jamais créé par la trahison contre des patriotes polonais...
Bakounine qui, toujours dans le but de faire de la propagande
en Russie, s'Ă©tait entre temps rendu Ă Breslau, aprĂšs avoir
i34 GEORGE SAN'D
séjourné à Bruxelles, Cologne et Dresde, s'adressa à George Sand
en la priant de réfuter cette calomnie. Cette premiÚre lettre,
parait-il, ne parvint pas Ă sa destination. Alors l'ami de Bakou-
nine, Adolphe Reichel, lui adressa une seconde lettre que nous
copions textuellement sur l'autographe.
Madame,
Chargé par mon ami Bakounine, j'ai l'honneur de vous communi-
quer ci-aprÚs la copie d'une de ses lettres, dont l'original vous a été
déjà envoyé de Breslau, il y a huit jours, mais dont il n'est pas sûr
qu'il vous soit parvenu. J'y vois avec un grand regret que M. Marx,
rédacteur de la Nouvelle Gazette Rhénane, s'est servi de votre nom
honorable pour attaquer et pour salir par des calomnies infĂąmes
l'honneur de mon ami. Si je ne donnais pas au premier moment trop
de valeur à ces sortes de cancans, auxquels tout homme est exposé,
qui prĂȘte aujourd'hui son nom Ă la publicitĂ©, j'ai dĂ» cependant autre-
ment juger la position de Bakounine, depuis que j'ai appris hier que
des bruits pareils sur son compte ont couru aussi ici, Ă Paris,
Je ne sens aucun besoin de vouloir justifier par mon autorité auprÚs
de vous un ami, avec lequel j'ai vécu pendant cinq ans dans la plus
profonde intimité, car certes à une femme telle que vous, il n'a pas
pu rester cachĂ©, mĂȘme Ă la moindre connaissance de Bakounine, que
son Ăąme est incapable d'aueune vile action, d'aucune participation
Ă quelque chose de dĂ©shonorant; et mĂȘme, si je le voulais, mon nom
n'est pas une autorité pour vous.
Cependant, je dois me permettre de joindre mes instances aux siennes
pour vous prier de ne pas laisser perdre sa réputation à si bon marché,
car il ne s'agit pas seulement de la personne de Bakounine (Ă la rigueur
une conscience pure pourrait s'Ă©lever au-dessus de toutes les calom-
nies), mais il s'agit aussi de son influence qu'il doit gagner et conserver
sur son parti et qui serait entiÚrement paralysée, si des bruits pareils
pouvaient gagner la foi de ceux qui ne le connaissent pas, bruits que
le noble gouvernement russe a bien des raisons Ă semer et Ă soutenir.
Je vous supplie donc, madame, de vouloir bien m' envoyer quelques
mots en réponse de l'article de la Gazette Rhénane que vous m'auto-
riserez de publier ici, au journal de la RĂ©forme et dans les journaux
allemands ; il ne s'agit pas seulement de défendre l'honneur d'un
homme, ce qui déjà à lui seul serait un devoir pour qui que ce
soit, il s"agit encore de ne pas laisser Ă©craser moralement un ins-
trument de la sainte cause, qui déjà n'a plus beaucoup à perdre.
Tous les amis personnels de Bakounine, aussi indignés que moi,
sont prĂȘts Ă protester hautement contre ces menĂ©es indignes du gou-
GEORGE SAND I35
vernement russe et, notamment, M. Herwegh, qui a l'honneur de vous
ĂȘtre connu personnellement, est prĂȘt Ă vous exposer plus clairement
les faits existants, si vous jugiez insuffisantes ces lignes que j'ai pris
la liberté de vous écrire, malheureusement dans un style et dans des
termes trop peu français.
Dans la ferme croyance qu'en tous cas vous ne me laisserez pas
sans réponse, je vous prie, madame, de vouloir bien agréer l'expres-
sion du profond respect et du dévouement avec lequel j'ai l'honneur
d'ĂȘtre, madame,
Votre trĂšs humble
Adolphe Reichel.
Paris, le 19 juillet 1848.
On peut voir que George Sand s'empressa de donner suite
Ă la demande que contenait cette lettre, car dĂšs le 20 juillet,
le lendemain du jour oĂč elle fut Ă©crite, c'est-Ă -dire le jour mĂȘme
oĂč elle arriva Ă Nohant, Mme Sand adressait une protestation au
rédacteur de la Gazette Rhénane. Nous la retraduisons de l'aile"
mand, parce que l'original français est introuvable, et nous la
citons intégralement, parce qu'elle est parfaitement inconnue des
lecteurs français, mĂȘme aux Sandistes. Quant aux lecteurs
russes, ils en auraient pu connaĂźtre quelque chose, parce qu'elle
était déjà mentionnée par Herzen, dans son volume XI de ses
Ćuvres complĂštes (1). On y fait allusion Ă©galement dans toutes
les biographies de Bakounine. Nous donnerons aussi intégrale-
ment la réponse forcée de la Gazette Rhénane, dans laquelle la
lettre de George Sand fut intercalée, pour que les lecteurs con-
temporains puissent se faire une idée du degré de la... sincérité
du « Grand Karl » et de sa maniÚre de se disculper en cette
occurrence.
Cologne, jeudi. (2).
Nous avons communiqué dans le numéro 36 de notre gazette le
bruit oui avait circulé à Paris, selon lequel George Sand aurait possédé
des papiers qui auraient permis de prendre l'émigré russe Bakounine
pour un agent de Nicolas Ier. Nous avons communiqué ce bruit tel
qu'il nous parvint de la part de deux correspondants qui ne se con-
(1) GenĂšve, 1870, H. Georg, chapitre intitulĂ© : les AlĂ3niands dans Vernir
gration européenne, p. 59-60.
(2) Nouvelle Gazelle Rhénane (Neue Rheinische Zeitung), 1848. N° 64.
136 GEORGE SAND
naissaient pas respectivement Nous remplissons ainsi le devoir de
la presse qui est d'observer sévÚrement les caractÚres des personnages
en vue et nous avons par lĂ mĂȘme donnĂ© l'occasion Ă M. Bakounine
de réfuter un soupçon qui fut en tous cas répandu sur son compte
dans beaucoup de cercles Ă Paris. Nous avions tout aussi volontiers
inséré la déclaration de M. Bakounine et sa lettre à George Sand pa-
rues dans la Gazette Oderoise, avant mĂȘme que M. Bakounine nous l'ait
demandé. A présent nous communiquons une lettre adressée par
George Sand au rédacteur de la Gazette Rhénane, en la traduisant
intĂ©gralement et, par lĂ , l'incident peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme par-
faitement clos :
Monsieur le rédacteur,
Vous avez publiĂ© Ă la date du 3 juillet, Paris, l'article suivant â ve-
nait la traduction de la Correspondance parisienne en question â ]. Les
faits que vous communiquait votre correspondant sont absolument
faux et n'ont mĂȘme pas l'ombre de vĂ©ritĂ©. Je n'ai jamais eu la
moindre preuve à l'appui des insinuations que vous avez tùché de
faire accréditer contre M. Bakounine, banni de France par la monar-
chie déchue. Je n'ai donc jamais été autorisée à émettre le moindre
doute sur la loyauté de son caractÚre et la générosité de ses opinions.
Agréez, etc.
George Sand.
P.-S. â J'en appelle Ă votre honneur et Ă votre conscience pour faire
immédiatement publier cette lettre dans votre journal.
La ChĂątre (Indre), le 20 juillet 1848.
Bakounine, qui était alors plongé dans la fournaise révolu-
tionnaire, semble ne pas avoir pu remercier George Sand de
l'avoir si résolument et si amicalement défendu. AprÚs l'insurrec-
tion de Dresde et de Prague, il fut arrĂȘtĂ© en Saxe, jugĂ©, condamnĂ©
à mort. Puis cette peine de mort ayant été remplacée par la
détention à perpétuité, il fut incarcéré dans la forteresse do
KĆnigstein, puis livrĂ© Ă l'Autriche ; encore une fois jugĂ©, il passa
de longs mois dans deux forteresses autrichiennes, puis, livré
encore au pouvoir russe, il fut incarcéré d'abord dans le donjon
de Schlusselbourg, puis dans la forteresse de Saint-Pierre et
Paul, et enfin déporté en Sibérie. H s'en échappa, passa en Amé-
rique, et, à la veille de 1862, notamment le 27 décembre 1861,
GEORGE SAND 137
il revint en Europe, à Londres. A peine débarqué et en sécurité,
il voulut donner de ses nouvelles Ă l'illustre femme qu'il estimait
tant et qui l'avait si vaillamment défendu dans les derniers
mois de sa liberté. Il adressa à George Sand la lettre suivante,
inconnue et inédite que nous copions encore sur l'autographe.
31 janvier 1862. Londres.
M. Alfredstreet. Bedf ord square W. C»
Madame,
Vous avez oublié sans doute un pauvre Russe qui a été pourtant
un de vos plus dévoués admirateurs. Moi, je ne vous ai pas oubliée,
et c'est fort naturel; vous m'avez témoigné jadis tant de noble et
bonne sympathie. Je vous ai si peu oubliée, que, revenu à la vie aprÚs
un évanouissement qui a duré à peu prÚs treize ans, ne pouvant venir
moi-mĂȘme Ă Paris qui s'Ă©vertue maintenant Ă se laisser mener par
un gouvernement arbitraire, et voulant Ă toute force me rappeler Ă
votre bienveillant souvenir, je vous adresse mon frĂšre qui, comme moi,
madame, est un de vos admirateurs passionnés. Il vous racontera
comment j'ai été pris en 1849, mis aux fers, gardé pendant deux ans
et demi dans les forteresses de KĆnigstein, de Prague et d'Olmutz,
jugé et condamné à mort en Saxe, puis en Autriche, enfin transporté
en Russie oĂč j'ai passĂ© encore six ans en forteresse et quatre ans en
SibĂ©rie ; comment je m'y suis mariĂ© â pas en forteresse, mais en SibĂ©-
rie ; â comment, Ă la fin, rĂ©veillĂ© par tout le bruit qui se fait de nou-
veau dans le monde et surtout par l'agitation du monde slave, je me
suis embarquĂ© sur l'Amour, â le fleuve, pas le dieu, â j'ai traversĂ©
le Japon, l'Océan Pacifique, San-Francisco, l'isthme de Panama,
New-York, Boston, l'OcĂ©an Atlantique et suis venu prendre ancre Ă
Londres, oĂč il fait un temps dĂ©testable, mais oĂč il y a pour compensa-
tion une bonne et forte liberté.
Vous ĂȘtes bonne, madame, vous serez contente de me savoir de
nouveau libre et prĂȘt Ă recommencer les pĂ©chĂ©s pour lesquels on m'a
tant soit peu malmené. H n'y a qu'une chose, hélas ! de changée :
j'ai vieilli de treize ans. C'est un malheur sans doute, mais que faire?
D'ailleurs, je me sens encore assez jeune. J'ai tout Ă fait l'Ăąge du
Faust de ÂŁiĆthe, lorsqu'il se dit :
Trop vieux pour s'amuser Ă des riens,
Trop jeune pour ne pas avoir de désirs,
Sevré de vie politique pendant treize ans, j'ai soif d'agir, et je pense
qu'aprĂšs l'amour, le suprĂȘme bonheur, c'est l'action. L'homme n'est
13S GEORGE SAND
vraiment heureux que quand il crée. Mais voilà que je tombe dans 1a
philosophie, et devant vous, encore, madame, un Scythe qui fait de
l'esprit devant un esprit athénien! Soyez indulgente, rappelez-vous
que je viens de la SibĂ©rie et non de Paris, â quoique, Ă vrai dire, Paris
semble ĂȘtre tombĂ© aujourd'hui un peu au niveau de la SibĂ©rie.
Laissez-moi, madame, vous exprimer encore une fois les sentiments
de respect profond et de sympathique dévoument dont j'ai été tou-
jours pénétré pour vous.
M. BĂ counini (1).
Les événements de 1848, ou plutÎt la réaction qui sévit dans
toute l'Europe en 1849, fit encore connaĂźtre Ă George Sand un
autre jeune rĂ©publicain, le docteur Hermann MĂčller-StrĂ»bing,
archĂ©ologue et hellĂ©niste passionnĂ©, qui fut en mĂȘme temps on
bon musicien... Il vint à Paris ayant déjà passé sept longues
années dans les casemates d'une forteresse allemande, pour avoir,
presque adolescent encore, pris part Ă une attaque contre un
corps de garde Ă Francfort, ce qui fut le signal d'une Ă©meute
gĂ©nĂ©rale. Muller fut arrĂȘtĂ©, jugĂ© comme instigateur, condamnĂ©
Ă mort, mais la condamnation fut commuĂ©e en dĂ©tention Ă
perpétuité. L'amnistie générale, proclamée lors de l'avÚnement
au pouvoir de Frédéric-Guillaume TV, le mit en liberté. Or, les
sept années qu'il passa en prison, il les employa à étudier à fond
la philologie, notamment le grec et quelques langues nouvelles,
l'histoire de Fart, etc. De sorte que « ce n'eft pas un ĂȘtre brisĂ©
qui quitta sa cellule aprÚs cette longue détention, mais bien
un homme grandement instruit, plein de forces et d'espérances.
C'était un idéaliste en toutes choses, un enthousiaste comme
on n'en rencontre plus. Le grand art grec, la musique, le Beau,
voilà ce qui comptait le plus pour lui. Les privations, la vie pré-
caire, lui importaient peu. Ayant, dĂšs 1841, fait la connaissance
de Tourguéniew à Berlin, et s'étant lié d'amitié avec lui, ce
dernier le présenta à Mme Viardot, lors de ses brillants succÚs
Ă Berlin, en 1845. Musicien distinguĂ© lui-mĂȘme, Muller se
prit d'une admiration sans bornes pour la géniale artiste. Mais
quand la révolution de 1848 éclata, l'ancien républicain se ré-
(1) La pronvÚre lettre est signée ; Bakounine, la seconde : Baconnine.
GEORGE SAND 139
veilla. Millier oublia l'art et la musique et se jeta dans le mou-
vement La réaction ayant triomphé en Allemagne, il dut fuir
len France. C'est alors qu'il trouva l'hospitalité chez les
Viardot et chez Tourguéniew ; paT eux il fit la connaissance de
Mme S and. La réaction ayant remporté la victoire en France
aussi, le pauvre docteur es lettres eut Ă pĂątir doublement : les
vivres lui manquaient et la police le poursuivait. Alors Mme Sand
l'hĂ©bergea Ă Nohant, en mĂȘme temps que deux autres jeunes
républicains poursuivis : MM. Emile Aueante et Fulbert Martin.
Mme Viardot Ă©crit Ă ce propos Ă Mme Sand le 9 avril 1849 :
... Le bon Millier a eu des larmes de joie dans les yeux quand je
lui ai lu le passage qui le concerne, c'est un brave et loyal ami, une
vraie barre d'or...
Le musicien allemand rappelait un peu unjaéros d'Hoffmann :
c'était déjà un titre aux yeux de George Sand, aussi fut-il un
hÎte selon les goûts des habitants de Nohant. Il s'installa bien-
tĂŽt Ă la ChĂątre, chez les Duvernet, pour pouvoir y donner
des leçons à leur fille, ainsi qu'à d'autres jeunes musiciens de
l'endroit, mais il revenait constamment Ă Nohant, soit pour
prendre part à une représentation théùtrale, soit pour aider
Mme Sand Ă adapter des chants berrichons pour ses piĂšces (1).
Il y Ă©tait toujours le bienvenu.
MĂ»ller avait gagnĂ© tous les cĆurs Ă Nohant. S'agĂźt-il d'une
excursion, d'un spectacle, ou de quelque occupation plus sérieuse :
on faisait toujours appel Ă lui.
Mme Sand Ă©crit Ă son fils le 2 janvier 1850 :
... Je pense que tu es aujourd'hui encore sur les pierres druidiques
ou Ă Chambon. Ecris-moi un mot quand tu seras de retour Ă Nohant.
Eaconte-moi les événements de ce beau voyage, quelle figure faisait
Mûller et Paloignon le jeune...
fl) Nous avons donné dans le chapitre vndu vol. III deux extraits de lettres
de George Sand de 1850, nous montrant que Huiler l'avait aidĂ©e d'abord Ă
transcrire les chants berruyers de Jean Chauvet, le maßtre chanteur-maçon,
puis à arranger les chansons du pÚre Rémy, pour les représentations de Clauik
à la Porte-Saint-Martin. Dans les lettres imprimées et inédites de George
Sand de 1849 à 1852, il est constamment question de Mûller, et on voit com-
bien Mme Sand avait d'amitié pour cet original et sympathique personnage.
i4o GEORGE SAND
Le 2 janvier 1850, Mme Sand Ă©crit Ă Mme de Bertholdi :
Manceau, l'ami de Maurice et de Lambert, est ici... Nous avons
aussi un allemand de mes anciens amis politiques qui est pour quelque
temps en France et nous donne une partie de son lnver. Les Fleury et
les Duvernet viennent toutes les semaines passer deux jours et l'on
joue la comédie et la pantomime à mort. Les enfants ont rapporté
de Paris force costumes nouveaux.
« Muller m'a fait part de tes observations. Elles sont justes »,
Ă©crit-elle au mois d'aoĂ»t de la mĂȘme annĂ©e, cette fois Ă son ami
Duvernet, qui avait lu avec Muller Claudie qu'on allait donner
Ă la Porte-Saint-Martin...
« C'est le vieux Hans, qui a fait votre rÎle », dit Mme Sand
dans sa lettre Ă Sully-LĂ©vy, qui venait de quitter Nohant aprĂšs
y avoir joué le rÎle de Nello (ou Maßtre FavilU) en 1851.
D'autres lettres nous montrent un souci sérieux de la part de
Mme Sand pour la santé de son pauvre ami éprouvé par le sort.
... Muller est venu aujourd'hui avec les Duvernet, écrit-elle le 22 dé-
cembre 1850 Ă Maurice, il souffre d'un Ćil et ne voit pas. H est changĂ©,
il engraisse cependant toujours, mais je trouve qu'il file un vilain
coton. H tourne au Borie, il ne vit que de farineux et commence Ă
dormir
Bref, on voit par ces extraits de lettres de George Sand,
combien elle avait de sympathie pour Millier. Or, ceux qui con-
naissent les MĂ©moires de Herzen et notamment le chapitre : Les
Allemands dans V émigration européenne, auraient pu croire, d'une
part, que Muller n'Ă©tait qu'un bon gaillard assez commun et
fort débraillé, enclin à vivre aux dépens des autres, aimant la
bamboche, cicérone obligé de tous les Russes fraßchement dé-
barqués à Berlin ou à Paris. D'autre part, on aurait pu croire
que Herzen Ă©tait en rapports superficiels avec lui, et qu'il le
traitait mĂȘme avec une condescendance tant soit peu mĂ©pri-
sante. Il n'en fut nullement ainsi. Ni Muller, ni ses relations
avec Herzen ne furent tels qu'on aurait pu croire en prenant
au pied de la lettre ces pages pleines de verve de Herzen. Les
lettres de Herzen et de Muller que nous allons donner ne laissent
subsister aucun doute Ă ce propos.
GEORGE SAND 141
AprĂšs le coup d'Ătat, MĂ»ller dut fuir en Angleterre comme
tant d'autres. Il retrouva Ă Londres ses anciens amis parisiens :
Louis Blanc, Etienne Arago, Herzen. Celui-ci venait de perdre
son fils et sa femme. On sait que Mme Nathalie Herzen
mourut Ă la suite de cruelles Ă©preuves psychologiques qui lui
échurent en partage dans les derniÚres années de son existence,
le dernier coup fut porté par la mort de son fils survenue
dans un naufrage. Une passion que la malheureuse femme
éprouva entraßnant une séparation entre elle et son mari,
le bruit que les amis de Herzen soulevĂšrent Ă propos de ce
triste événement, le repentir, l'effroi en découvrant l'indignité
de son ami, les racontars, les querelles et le retour sous le toit
conjugal, tout cela avait minĂ© le frĂȘle organisme de la pauvre
femme; elle succomba prématurément en mettant au monde
un enfant qui, lui aussi, ne vécut pas. AprÚs sa mort, Herzen
quitta le Midi et vint Ă Londres. Il y rencontra d'anciens
amis au courant de ses douleurs conjugales ; il revécut en
souvenir toutes ses Ă©motions cruelles. C'est justement Ă ce
moment qu'il revit Miiller tout plein encore de ses souvenirs
de Nohant, ne tarissant pas dans ses Ă©loges sur George Sand,
son grand cĆur, son profond esprit, son don de pĂ©nĂ©trer les
recoins les plus cachés de l'ùme humaine. Les autres émigrés
politiques â Mazzini, Louis Blanc, Arago, Ledru-RoUin, pronon-
çaient aussi constamment le nom de George Sand, en parlant
des Ă©pisodes les plus Ă©mouvants de 1848.
Herzen éprouva soudain le désir de s'adresser à George Sand
comme Ă un suprĂȘme arbitre des choses humaines, afin qu'elle
jugeùt la tragédie qui venait de dévaster sa vie. Il écrivit une
lettre Ă Miiller en le priant de la communiquer Ă George Sand,
c'est ce que ce dernier fit immédiatement, accompagnant la
lettre de Herzen de quelques lignes de sa main. Voici ces deux
lettres :
18 octobre 1852.
London. Spring-Gardens, 4.
Cher Miiller.
Lorsque je t'ai rencontré à Londres, sans m'y attendre le moins du
monde, et lorsque deux jours aprĂšs je te parlais des terribles malheurs
i42 GEORGE SAND
qui m'ont frappé, le nom de George Sand tomba de tes lÚvres. Je
frissonnai Ă ce nom. C'Ă©tait pour moi une indication. Elle doit con-
naßtre cette histoire, elle qui résume dans sa personne l'idée révolu-
tionnaire de la France. Je t'ai exprimé mon désir de l'instruire de cette
affaire.
La réponse dont tu m'as parlé hier me prouve, qu'entraßné par l'in-
dignation contre tant de scélératesse, tu ne m'as pas tout à fait com-
pris. L'affaire est jugée, un tribunal formel est impossible, un tribunal
moral a prononcĂ© son arrĂȘt. La rĂ©probation gĂ©nĂ©rale qui a enveloppĂ©
cet homme en est la preuve. Penses-tu donc que des hommes comme
Mazzini, Worcel, Proudhon, Kinkel, etc., se seraient prononcés avec
tant d'énergie, si les faits n'étaient pas constatés, s'il n'y avait pas
de documents et des témoins? Dévoiler cet homme devant ceux que
j'estime, que j'aime, est pour moi un besoin de cĆur, un acte de haute
moralité. Socialiste et révolutionnaire, je ne m'adresse qu'à nos frÚres.
L'opinion des autres m'est indifférente. Tu vois de là que l'opinion
de George Sand a une valeur immense pour moi.
Il s'agit d'une femme dans cette tragédie. D'une femme qu'on a
brisée, calomniée, persécutée, qu'on est parvenu à assassiner enfin.
Et tout cela parce qu'une passion malheureuse a envahi son cĆur
comme une maladie et que son cĆur repoussa au premier rĂ©veil de
la nature noble et forte. Et l'assassin, le calomniateur, le dénoncia-
teur de cette femme Ă©tait ce mĂȘme homme qui, feignant pour elle un
amour sans bornes, la trahit par vengeance, comme il avait trahi son
ami le plus intime par lùcheté. Tu as vu ses lettres... C'est un de ces
caractÚres dans le genre cVHorace de George Sand. Mais Horace déve-
loppé jusqu'à la scélératesse.
Je n'ai pas voulu terminer une affaire pareille par un duel, il y avait
trop de crimes, trop de perfidie pour les couvrir par la mort ou pour
le? laver par le sang d'une blessure. J'ai entrepris une autre justice,
elle était hasardée. Le premier homme auquel je fis part de ma réso-
lution Ă©tait Mazzini. H m'a soutenu dans cette voie difficile ; il m'Ă©cri-
vit : « Faites de votre douleur un acte solennel de justice au sein de
la société nouvelle, accusez, la démocratie jugera. »
Je l'ai accusé ; et mon appel à nos frÚres ne resta pas sans réponse.
Maintenant, je commence un mémoire détaillé. Ce mémoire, je vou-
drais l'envoyer Ă George Sand.
Il ne me manquait pas de conseil prudent et charitable de me taire,
de couvrir tout par un silence absolu. Celui qui dit cela, accuse la femme.
Je n'ai rien à cacher, elle est restée pure et sublime à mes yeux, mon
silence serait perfide, serait un manque de religion pour la victime.
Et ensuite il n'y avait pas mĂȘme de choix aprĂšs les calomnies rĂ©pan-
dues par cet individu. Je fais Ă haute voix et au grand jour ce qu'il
GEORGE SAND 143
a fait traĂźtreusement et en cachette. Mon accusation suivra cet homme
partout. Je suis lĂ sur le tombeau d'une femme que j'aimais, et je
l'accuse ; ce qu'on fera de mon accusation, je ne le sais pas. Je ne cherche
pas des verdicts, ils arriveront naturellement.
Portant mon accusation devant la plus haute autoritĂ© quant Ă
la femme, la portant devant George Sand, je ne voulais qu'un peu
d'attention sympathique, qu'un peu de confiance.
Dans la pensée de m'entretenir de cette tragédie avec elle, il y avait
pour moi un entraßnement irrésistible.
Il y a longtemps que je rĂȘvais Ă cela. Ta visite m'a montrĂ© de prĂšs
la possibilitĂ© de rĂ©aliser ce dernier rĂȘve poĂ©tique. Mais je n'ai demandĂ©
ni réponse ni verdict. Je voulais laisser tout cela au temps et à la pleine
conviction.
VoilĂ , cher Muller, ce que j'avais sur le cĆur de te dire. Communique
quelque chose de cela Ă George Sand, si tu n'as rien contre cela. Adieu.
Je te salue fraternellement.
A. Herzen.
Londres, 19 octobre 1852,
Madame,
Comme j'ai trouvĂ© Ă l'instant mĂȘme une occasion pour Paris, je
me permets de vous envoyer une lettre de mon ami Herzen, qu'il
m'a adressĂ©e pour vous ĂȘtre communiquĂ©e. J'y joins une brochure
qu'il m'a Ă©galement remise pour vous. Je ne l'ai pas encore lue, mais
je la crois trĂšs remarquable. Si vous-mĂȘme n'avez pas le temps de la
lire, Emile (1) s'en chargera bien et vous dira si cela vaut la peine.
Herzen a Ă©crit encore une autre brochure sur l'Ă©tat actuel de la
Russie, qui, malheureusement, a été saisie par le gouvernement fran-
çais. 11 s'en plaint beaucoup, parce qu'il la croit supérieure à ce pre-
mier essai.
Je n'ai que justement le temps de vous remercier de tout mon cĆur
pour votre bonne lettre et pour le bon souvenir que vous me gardez.
J'ai besoin d'une telle consolation, car, aprĂšs tout, je snis encore trĂšs
seul ici. Mes affaires, pourtant, ne vont pas mal, j'ai trouvé déjà des
leçons qui me font gagner quinze shillings par semaine, c'est-à -dire
les trois quarts de ce qui est strictement nécessaire pour vivre. C'est
beaucoup pour le moment, d'autant plus que c'est indépendamment
des lettres de M. et Mme Viardot. Je n'ai pas encore des nouvelles
de Duvernet, ce qui m'Ă©tonne beaucoup. J'espĂšre pourtant qu'il a
reçu ma lettre. Pardon, madame, de cette lettre incohérente, j'écris
(1) Emile Aucantei
144 GEORGE SAND
Ă la hĂąte, car on veut partir. Je vous Ă©crirai bientĂŽt une lettre plus
raisonnable. Mauprai réussira (1) ; je suis aussi sûr de cela que de quoi
que ce soit. J'espĂšre que les amis de Ăźsohant me tiendront au courant
de tout ce qui vous regarde ! Un shake-hand fraternel Ă Maurice (ah !
que je suis content qu'il fait des illustrations) et aux autres amis.
A vous de cĆur et pour toujours.
H. Muller.
Ces lettres, du plus haut intĂ©rĂȘt pour la biographie de
Herzen, suffisent pour prouver en toute Ă©vidence qu'Herzen,
aprÚsavoir confié à Millier ses affaires les plus intimes, aprÚs
avoir eu recours Ă ce dernier, pour faire connaĂźtre Ă George
Sand ce cas de conscience, ne pouvait pas le traiter avec le
mépris qu'on découvre dans les pages de ses Mémoires. Ses bou-
tades toutes fortuites furent peut-ĂȘtre amenĂ©es par quelque
cause tout Ă fait Ă©trangĂšre, au moment oĂč Herzen Ă©crivit ses
MĂ©moires.
Nous n'avons pas retrouvé les réponses de George Sand à ces
deux lettres, ni d'autres lettres de Herzen ou de Muller se rap-
portant à cet épisode. Mais nous avons retrouvé d'autres lettres
de Millier à Mme Sand datées de 1852-56, témoignant d'une
parfaite amitié entre les deux correspondants. Ces réponses de
Millier nous prouvent de plus que Mme Sand dans ses lettres
tenait Millier au courant de tout ce qui se faisait Ă Nohant, de
tous les détails de sa vie de famille, de ses travaux à elle, de toutes
les questions qui la passionnaient et l'agitaient Ă cette Ă©poque.
Et c'est l'amitié qui liait Muller à George Sand, Bakounine,
Herzen, Tourguéniew, à M. et Mme Viardot qui nous rend inté-
ressante la figure de Vami Millier, comme ils l'appellaient tous.
Revenons maintenant aux années 1848-51. Le 10 décembre
1848, Louis-Napoléon était élu par une énorme majorité à la
présidence de la République. George Sand vit avant tout
dans ce vote une protestation populaire contre EugĂšne Cavai-
gnac. H lui sembla que le peuple espérait que le prince don-
nerait non seulement la liberté politique, mais encore des ré-
(1) La piÚce de George Sand tirée de son roman.
GEORGE SAND i45
formes sociales. Comme nous consacrons tout le chapitre sui-
vant aux relations entre George Sand et Napoléon III, nous ne
dirons pas ici ce qu'Ă©crivit Mme Sand sur cette Ă©lection.
L'article qu'elle écrivit sur cet événement fut l'avant-dernier
article politique publié à cette époque. Le dernier fut une
Lettre aux modérés, un appel à la miséricorde envers les vaincus,
les victimes de la révolution qu'on allait déporter. Cette lettre
fut insĂ©rĂ©e dans V ĂvĂ©nement en novembre 1849. Mais il ne faut
pas croire que si George Sand n'Ă©crivait plus dans la presse,
elle ne prit aucune part Ă la politique. A ce moment, comme
cela arrive toujours aprÚs une défaite, tous les partis se repro-
chaient réciproquement les faits accomplis, se querellaient, se
condamnaient, se défendaient et se séparaient toujours davan-
tage les uns des autres. Entre les émigrés à Londres l'hostilité
bouillonnait, ils dépensaient toute leur énergie, toute la force
de leurs passions dans des querelles de partis. Ledru-Rollin,
Koschut et Mazzini, les républicains purs, firent paraßtre leur
« appel » célÚbre à la démocratie. Les « socialistes » leur répon-
dirent. Malgré tout son dévouement pour Mazzini, George Sand
resta fidĂšle Ă elle-mĂȘme et Ă son idĂ©al socialiste, et dans ses
lettres à Mazzini, elle discuta ardemment et prit la défense des
« socialistes » ou des soi-disant « communistes », en prédisant
que l'avenir était à eux, mais en réprouvant toute mise en pra-
tique brusque ou violente de leur doctrine. Et en mĂȘme temps
George Sand continuait Ă exprimer Ă Mazzini des sentiments de
vénération profonde. Bien plus, comme en 1848 elle avait tra-
duit sa Lettre au Pape, de mĂȘme en 1849 elle traduisit et munit
de commentaires République et Royauté en Italie. Cette traduc-
tion parut en 1850. Quant à ses lettres à Mazzini, elles présen-
tent un intĂ©rĂȘt extrĂȘme, parce qu'elles sont comme une cau-
serie avec cet ami lointain, causerie sans relĂąche ne laissant
dans l'ombre aucune question actuelle. Nous conseillons donc Ă
nos lecteurs de relire tout le volume III de la Correspondance
de George Sand oĂč ces lettres se trouvent, elles sont trop
longues pour ĂȘtre citĂ©es. H faut seulement se souvenir que
toutes ces lettres sont mal datées (dous l'avons prouvé sur
i4<6 GEORGE SAND
trois d'entre elles), trÚs souvent on a imprimé à une fausse date
des morceaux de lettres différentes ou bien elles sont tronquées.
Enfin, il reste encore beaucoup de morceaux de lettres et de
lettres entiÚres qui sont inédites et que nous avons heureuse-
ment pu lire.
En cette mĂȘme annĂ©e 1849, George Sand Ă©crivit une PrĂ©face
au livre de Victor Borie : Travailleurs et Propriétaires. Elle y
revient eneore Ă son thĂšme favori : elle affirme qu'il y a deax
sortes de communiùmes. L'un, créé par l'imagination des réac-
tionnaires, évoque l'idée d'un désastre général, de pillage, de
violences. Celui-lĂ â prĂ©tendait-elle â n'existe que dans les
imaginations timorées ; si une secte ou une société pareille exis-
tait réellement, George Sand la renierait parce que toute secte
sous-entend l'intolérance et l'hostilité envers les hommes pen-
sant autrement.
L'autre communisme est purement transcendant ; il n*existe
que dans le cerveau d'un trĂšs petit nombre d'utopistes et de
rĂȘveurs : c'est Ă ce communisme-lĂ qu'appartiendra, dans un
avenir lointain encore, le triomphe final, parce qu'il est la foi en
la fraternité humaine ; son idéal ce n'est pas seulement l'égalité
et la liberté politique imposées par la loi, mais la liberté réelle,
la liberté économique, qui ne s'acquiert pas par la violence, mais
par l'extension de l'amour humain.
La propriété est, elle aussi, de deux natures. L'une est une pro-
priété personnelle, imprescriptible. Il y a une propriété modifiable
et eommune...
... Oui, il y a deux natures de propriétés : la part individuelle, large-
ment dĂ©volue Ă quelques-uns, respectable quand mĂȘme; la fart
communef qui a été surprise, dérobée à tous par un petit nombre;
celle-lĂ doit ĂȘtre restituĂ©e...
Si l'auteur de ce travail (c'est-Ă -dire Victor Borie) rejette absolu-
ment le mot que je tiens Ă maintenir et s'attache Ă prouver que l'ad-
mission du principe de deux natures de propriété éloigne à jamais le
communisme de nos institutions, c'est parce qu'il entend par le
communisme l'institution par violence ou par surprise des dogmes
d'une certaine secte, tandis que si on entend par communisme une
croyance pacifique basée sur celle de l'Evangile, l'avenir lui appar-
tient.
GEORGE SAND 147
George Sand, qui veut défendre le communisme, et Borie qui
lutte contre lui, arrivent au mĂȘme but par deux voies opposĂ©es.
George Sand se croit mĂȘme obligĂ©e d'ĂȘtre communiste...
... Ma conscience et l'Evangile, qui est pour moi le plus beau des
enseignements divins, me le demandent, dit-elle, et c'est précisément
parce que je possĂšde quelque chose que j'ai le devoir d'ĂȘtre com-
muniste.
... Mais si le communisme est une société, je m'en retire, parce que
je me vois aussitĂŽt forcĂ© d'ĂȘtre en guerre et en lutte incessante avec
tous ceux de mes semblables qui ne reconnaissent pas l'Ăvangile...
Et en note Ă cette page, George Sand Ă©crit les lignes suivantes,
extrĂȘmement significatives pour sa maniĂšre de voir Ăą toutes
les Ă©poques de sa vie :
... Et pourtant, comme dans le moment oĂč nous vivons on parle
encore dans les provinces de pendre et de brûler les communistes,
moi personnellement, je ne répudierai point ce titre dangereux. Je
ne le ferai que le jour oĂč le communisme triompherait en politique,
et m'adresserait les mĂȘmes menaces que les conservateurs m'adressent
aujourd'hui. Jean-Jacques Rousseau disait : « Je suis philosophe
avec les superstitieux, religieux avec les athées. » H est des temps
d'anarchie morale oĂč cette parole de Jean-Jacques Rousseau est
nécessairement la devise de tout esprit sincÚre et courageux...
Avec les vaincus, non avec les vainqueurs ! Avec les oppressés,
non avec les oppresseurs !... VoilĂ la devise que George Sand
ne démentait jamais... Voilà le fond de sa nature, tout de cou-
rage et de pitié, la tendance qui se manifesta encore bien plus
tard, lorsque dans les derniÚres années de sa vie, lors d'un
triomphe passager du communisme en 1871, elle Ă©crivait :
... Plus que jamais, je sens le besoin d'Ă©lever ce qui est bas et de rele-
ver ce qui est tombĂ©. Jusqu'Ă ce que mon cĆur s'Ă©puise, il sera ouvert
à la pitié, il prendra le parti du faible, il réhabilitera le calomnié. Si
c'est aujourd'hui le peuple qui est sous les pieds, je lui tendrai la main ;
si c'est lui qui est l'oppresseur et le bourreau, je lui dirai qu'il est lĂąche
et odieux. Que m'importent tels ou tels groupes d'hommes, tels noms
propres devenus drapeaux, telles personnalités devenues réclames?
Je ne connais que des sages et des fous, des innocents et des cou-
pables.
148 GEORGE SAND
Nous verrons plus loin que ces lignes font partie d'un article
dans lequel George Sand exhorte les Français à abandonner
toutes les querelles de partis, toutes les haines et les calomnies
réciproques pour chercher le salut dans l'amour fraternel. Elle
leur demande de se souvenir des paroles de saint Jean : FrĂšres,
aimez-vous les uns les autres!
C'est ainsi que, jusqu'Ă la fin de sa vie George Sand resta
fidĂšle Ă son credo, et fut toujours socialiste et non politique.
Et si l'on veut savoir dans quels sentiments, quelles idées
George Sand achevait les orageuses années de 1848-1851 ; et
ce qui lui restait, Ă la veille du coup d'Ătat de dĂ©cembre, de
ses croyances, qui semblent avoir dû sombrer définitivement,
il faut consulter l'une de ses Ćuvres fort peu connue et trĂšs
importante : le Diable aux champs. Elle est importante pour le
biographe parce que la vie Ă Nohant y est peinte dans la
pĂ©riode de 1847-1855. (Elle fut Ă©crite juste au moment oĂč la
révolution de février interrompit VHistoire de ma Vie.) Pour
l'historien et le critique, elle est extrĂȘmement intĂ©ressante
comme le résumé des idées et des espérances de George Sand
Ă cette Ă©poque.
Dans la préface de ce roman, George Sand dit que le Diable
aux champs, terminé en novembre 1851, mais publié en 1855, n'a
qu'une valeur Ă©phĂ©mĂšre, â il est un reflet exact du trouble des
esprits par lequel la France passa en 1851.
Il est des Ă©poques historiques, dit-elle, oĂč la vie individuelle semble
s'effacer dans la préoccupation de la vie générale ; mais si on y regarde
de plus prÚs, on voit que, tout au contraire, les préoccupations
personnelles prennent une importance d'autant plus grande, aux
époques de trouble et d'incertitude, que l'on est surexcité par la
vie gĂ©nĂ©rale. Ne sont-ce pas les Ă©poques fĂ©condes en rĂȘves, en projets,
en situations romanesques, en accĂšs d'enthousiasme, de doute et
d'effroi?...
... Vivant Ă l'Ă©cart du grand courant d'action, â dit-elle plus loin,
â je fus Ă mĂȘme d'observer le contre-coup moral et intellectuel de ces
agitations dans un milieu paisible, aux champs, au village: au coin
du feu, sur les chemins, au presbytÚre. L'idée me vint de saisir toutes
les réflexions, toutes les émotions, toute l'imprévoyance, toute l'in-
quiétude, tout le sérieux et toute la frivolité qui étaient daus l'air, et
GEORGE SAND 149
de les grouper autour d'un sujet de roman quelconque et de types
imaginaires quelconques...
D'aprĂšs le plan primitif, il devait y avoir trois romans qui se
faisaient suite ou pendant : le Diable aux champs, le Diable Ă
la ville et le Diable en voyage. Dans le premier, Mme Sand vou-
lait peindre avec équité tous les partis et coteries politiques
qui étaient à l'apogée de leur activité vers la fin de la deuxiÚme
RĂ©publique. Mais, aprĂšs le 2 DĂ©cembre, il Ă©tait impossible, selon
elle, de parler avec une égale impartialité de ceux qui étaient
les vaincus en 1851 et rachetaient leurs erreurs dans les prisons
ou l'exil â et des reprĂ©sentants du parti triomphant : « Ce
serait une lùcheté. »
Pour cette raison, elle ne continua point sa trilogie, et fit
mĂȘme des coupures dans le roman dĂ©jĂ Ă©crit ; elle « l'expurgea
de toute discussion vive, de toute physionomie accusée d'actua-
lité », et elle ne le donna à l'impression qu'en 1855.
L'esprit du livre est resté ce qu'il était, rien n'y a été changé, mais
beaucoup de dĂ©tails ont Ă©tĂ© supprimĂ©s. Peut-ĂȘtre que le roman y a
gagné : il n'était que le prétexte du livre, il en est devenu le but
Nous croyons toutefois que malgrĂ© ces coupures, son intĂ©rĂȘt
principal gĂźt justement dans le contre-coup des agitations du
moment reflétées dans le roman, et dans la reproduction presque
photographique de la réalité ambiante dans les derniers mois
de la deuxiĂšme RĂ©publique.
Ce roman est bien un document humain, une Ćuvre presque
autobiographique. L'auteur le comprend parfaitement en disant
dans sa dédicace à M. Alexandre Manceau :
Quelques scÚnes de ce roman dialogué sont pour nous des souvenirs.
Nous Ă©tions encore gais en les commentant dans nos causeries de
famille. Que de chagrins ont passé sur nous depuis ce temps-là ! En
si peu de temps, que d'inquiétudes, que de séparations, que de morts !
Nous avons ri et pleuré ensemble : il est bien juste que je dédie cette
page du passé au plus fidÚle, au plus dévoué des amis.
Et effectivement, des volumes entiers de correspondances et
de mémoires ne rendraient pas aussi vivement, avec autant
iSo GEORGE SAND
d'Ă©clat et de couleur, la vie Ă Nohant de 1848 Ă 1851. Et tout
d'abord, nous y voyons apparaĂźtre sous des pseudonymes trans-
parents, sous les noms des personnages des premiers romans de
George Sand, et mĂȘme sous leurs vĂ©ritables noms, tous les habi-
tants de Nohant et de La ChĂątre. C'est ainsi que nous y voyons
Maurice et ses amis : EugĂšne (Lambert), Emile (Aucante) et
Damien (Manceau). Puis Jacques (la personnification de l'une
des multiples faces de George Sand elle-mĂȘme) et son ami Ralph
Brown (Jules NĂ©raud) avec sa femme Indiana (l'autre person-
nification de l'auteur) et ses deux filles Noémie et Sarah (du
roman Ă 'Isidora). Solange y apparaĂźt sous le nom de la comtesse
Diane de Noirac; l'un de ses adorateurs, sous celui de GĂ©rard
de Mireville. Nous voyons aussi les deux curés : celui de Nohant
(changé en Noirac) et celui de Saint-Chartier (transformé en
Saint- Al don). Marie Caillaud, la jeune servante de Nohant, la
favorite de Mme Sand et de Manceau, Ă laquelle ils enseignaient
la lecture et l'écriture, et qu'ils avaient rapprochée d'eux, sur-
tout depuis qu'ils lui avaient découvert un vrai talent drama-
tique et qu'elle prenait part aux représentations de la Commedia
delV arte, est nommée Jenny; le jeune républicain poursuivi, Ful-
bert Martin, s'appelle Florence Marigny, il se cache Ă Nohant,
nous voulons dire... à Noirac, en qualité de jardinier; le fermier
de Nohant, Camus, s'appelle Cottin. Puis viennent les habitants
de La Chùtre, à peine dissimulés sous leurs pseudonymes : Char-
casseau (Delaveau), Mme Paturon (ChĂątiron), et son neveu
Polyte Cliopard (Hippolyte ChĂątiron), et les paysans de Nohant :
Germain (de la Mare au Diable) avec son fils Pierre et sa fiancée
Maniche, et les bonnes femmes de Nohant, et les gamins, et jus-
qu'aux vieux chiens favoris : le petit Marquis, le chien de la
cour â Pyrame et LĂ©da, qui ne sont pas oubliĂ©s !
L'action se passe tantĂŽt au chĂąteau, tantĂŽt soi-disant dans le
prieurĂ© voisin oĂč sont censĂ©s demeurer Maurice et ses amis. (A ce
propos, il faut noter que Maurice Sand avait installé son théùtre
dans la salle voûtée du rez-de-chaussée de la maison de Nohant,
qui portait encore du temps de la grand'mĂšre de George Sand le
nom de prieuré.) TantÎt sur la place du village de Noirac, atte-
GEORGE SAND i5i
nant au chĂąteau, tantĂŽt prĂšs du pavillon, tapissĂ© de lierre, oĂč
Jenny cache la comtesse, et dans lequel quiconque a jamais été
à Nohant, reconnaßt immédiatement le pavillon du parc, sur la
route menant Ă la ChĂątre.
Une seule personne n'est pas peinte sur nature, c'est l'héroïne
principale, autour de laquelle se déroule toute l'aetion du roman,
c'est une certaine jolie pécheresse (fort déplaisante au fond), ex-
camarade villageoise de Jenny, du nom de CĂ©line Tarantin,
Myrto de son nom de cocotte, et qui vient Ă Noirac.
La simple intrigue ne sert que de cadre permettant Ă l'auteur
de tracer les figures bien connues avec tous leurs traits sail-
lants et leurs particularités. Voici Maurice, entreprenant et
inventeur, tantÎt exerçant ses pompiers, tantÎt taillant d'un
moreeau de bois quelque marionnette, tantĂŽt composant un
scénario pour le spectacle du soir, tantÎt construisant et faisant
naviguer un bateau, le Maijeux, et au milieu de tout cela répé-
tant imperturbablement son adage favori : FĂ©lix qui potuit
rerum cogwoscere causas. Voici EugÚne adonné à son art... Voici
Emile le politicien. Voici Damien, l'ami et l'aide de tout le
monde, s'oubliant pour rendre service ou faire plaisir Ă l'un
des camarades.
Et le milieu oĂč ils agissent est aussi bien rĂ©el. D'une part,
c'est la vie Ă Nohant peinte d'aprĂšs nature avec ses discussions,
philosophiques et politiques, ses préoccupations artistiques, avec
tous les intĂ©rĂȘts si variĂ©s et les gaies escapades de la jeunesse.
D'autre part, c'est le milieu provincial et petit bourgeois avec
ses platitudes, ses potins, ses prétentions comiques, son ava-
rice, sa curiosité invraisemblable, et sa médiocrité fabuleuse ; puis
les vieux paysans bornés, inertes et superstitieux, et les jeunes,
commençant à s'éveiller à une vie nouvelle, et enfin les repré-
sentants du clergé, bonshommes voulant vivre en paix avec tout
le monde, et jouir de l'existence. Et finalement, c'est la vie
sociale en 1851, dans le large sens du mot, â avec ses luttes de
partis, de classes et d'intĂ©rĂȘts, avec la tension de quelques esprits
d'élite vers des buts si divers. Tout cela est narré en forme de
dialogues des personnages, se succĂ©dant sans trĂȘve et interrompus,
i52 GEORGE SAND
dĂšs que la scĂšne reste vide, par les causeries et les chansons du
moineau et de la fauvette, de la poule avec les petits canards,
des grenouilles, des lézards, des grillons, des araignées, des grues,
des coqs, des marionnettes, des scarabées, de la chouette, avec
son mari, des chiens de basse-cour et de manchon. Ces pages-lĂ
sont les plus charmantes et les plus intéressantes du roman.
L'auteur semble pénétrer dans la psychologie de chaque ani-
mal, de chaque petit oiseau, et mĂȘme dans celle des poupĂ©es, et
les fait parler et sentir comme s'il avait réellement surpris leurs
pensées ou compris leur langage. C'est aussi par ces conversa-
tions-là que s'exprime la pensée-mÚre profondément philoso-
phique de l'Ćuvre. H faudrait intituler .ce roman, non pas le
Diable aux champs (nom purement arbitraire, car le séjour de
l'une des marionnettes, le diable, dans les champs et sur un
arbre, et la série de quiproquos qui s'ensuivent est tout fortuit
et ne présente qu'un épisode tout en dehors de l'action), il
faudrait l'intituler : Chacun à sa maniÚre, parce qu'il présente
un kaléidoscope de croyances, d'idées, d'appréciations les plus
différentes sur le monde. Chacun juge à sa façon. Tandis que
les grenouilles se réjouissent de l'humidité et adorent l'eau, les
grillons la craignent et adorent le feu ; les coqs saluent la lumiĂšre,
les chouettes les ténÚbres ; les lézards restent prudemment dans
leur coin en prÎnant le « chacun chez soi », les grues volent
courageusement en avant; les hommes détruisent les toiles
d'araignées, les araignées les tissent. Il est impossible de tout
concilier, il faut que chacun fasse son Ćuvre et sa besogne avec
une ferme conviction, sans trĂȘve, sans faire attention Ă quoi
que ce soit ; toutes ces actions non conciliées produisent l'har-
monie universelle.
Nous ne pouvons pas malheureusement citer toutes ces scĂšnes
charmantes et ces dialogues si spirituels; les lecteurs français
feraient bien de les relire ! Mais nous citerons la scĂšne finale :
Tous les personnages : Maurice, avec ses amis, qui viennent de
terminer une représentation de marionnettes, ainsi que tous les
spectateurs sont partis, invités par Diane à souper avec elle
dans la serre ; Florence et Jenny ont disparu aprĂšs s'ĂȘtre expli-
GEORGE SAND 153
qués sur leurs sentiments réciproques; les marionnettes qui,
aprÚs chaque représentation restent excitées, grùce à l'influence
de l'esprit humain sur leur personne de bois, et qui avaient jasé
en laissant voir leur point de vue particulier, leur philosophie de
poupées, qu'elles prennent aussi pour la vraie vérité, les marion-
nettes se sont aussi calmées peu à peu et endormies. Et c'est
alors que dans le vieux prieuré obscur, les seules araignées
veillent. Elles se mettent Ă travailler avec ardeur, Ă refaire
toutes les toiles anéanties par l'homme. Elles tissent leur trame,
â « in dem Webstuhl geht die SpulĂ»e â was sie wĂ©bt das weiss kein
Weber, » avait dit Heine (« la navette court dans le métier, ce
qu'elle tisse, aucun tisserand ne le sait »), elles tissent et parlent :
Une ! deux ! une ! deux ! d'un bout Ă l'autre !... Filons, filons, tra-
vaillons, il fait sombre !
Travaillons pour qu'au jour naissant nos toiles nouvelles soient
tendues. On a détruit aujourd'hui notre ouvrage, on a ruiné nos ma-
gasins et traßné nos filets précieux dans la boue. N'importe, n'importe !
Une 1 deux ! Filons !
Que tout dorme ou veille, que le soleil s'allume ou s'Ă©teigne, il faut
filer, une ! deux ! d'un angle Ă l'autre !
Tissons, tissons, croisons les fils, le travail console et répare !
Tissons, filons, prenons les angles. Et vous qui détruisez le travail
des jours et des nuits, vous qui croyez nous dĂ©goĂ»ter de notre Ćuvre,
balayez, ravagez, brisez. Une! deux! toujours, toujours, filons, tis-
sons et travaillons jusqu'Ă l'aurore !
Dans les vieux coins, dans l'abandon et la poussiĂšre, nuit et jour la
pauvre araignée grise tisse la trame de son existence ; active, patiente,
menue, adroite, agile, une ! deux ! la pauvre araignée persévÚre. On
la chasse, on la ruine, on la poursuit, on la menace ; une ! deux ! la
pauvre araignée recommence!
Pour l'empĂȘcher de travailler, il faut tuer la pauvre araignĂ©e. Mais
cherchez donc nos petits Ćufs, cachĂ©s lĂ -haut dans le plafond, dans
l'ombre et dans la poussiĂšre. Le soleil reviendra toujours pour les faire
Ă©clore, et l'araignĂ©e, sitĂŽt sortie de l'Ćuf, reprendra la tĂąche sans com-
mencement et sans fin, la tĂąche patiente que Dieu protĂšge. Une ! deux !
joignons les angles ! tissons, filons jusqu'Ă l'aurore.
C'est par cette note profondément symbolique, pleine de foi,
de courage, de croyance en l'avenir, que George Sand termine
ij4 GEORGE SAND
cette Ćuvre extrĂȘmement remarquable. Elle reflĂšte ses pensĂ©es,
et rĂ©sume ses sentiments et ses rĂ©flexions au moment oĂč se
terminait l'orageuse période triennale, aprÚs la déchéance de
toutes ses espérances de liberté et aprÚs tant d'efforts manques
pour l'instituer, à la veille d'une Úre sombre et désespérée de
réaction.
CHAPITRE IX
GEORGE SAND ET NAPOLEON III
Le prisonnier de Ham. â Lettre sur l'Ă©lection de Louis-NapolĂ©on Ă la prĂ©si-
dence de la RĂ©publique. â Le coup d'Ătat de 1851. â Les dĂ©marches de
George Sand pour les victimes. â Les relations de George Sand avec les
malheureux et leurs familles. â Les rĂ©publicains intransigeants. â L'im-
pĂ©ratrice EugĂ©nie et NapolĂ©on III jugĂ©s par George Sand. â Le prince
NapolĂ©on. â Mme Arnould-Plessy. â MalgrĂ©tout. â Impressions et Sou-
venirs et article sur Y Histoire de Jules CĂ©sar. â Une lettre vaudevillesque.
â La consolatrice des malheureux.
Croyez que le plus beau titre que vous puissiez me donner est le
titre d'ami, car il indique une intimité que je serai fier de voir régner
entre nous...
Que les hommes soient injustes Ă mon Ă©gard, impitoyables mĂȘme
malgré ma position, il n'y a rien là qui m'étonne. Mais vous, madame,
qui avez les qualités de l'homme sans en avoir les défauts, vous ne
pouvez pas ĂȘtre injuste Ă mon Ă©gard...
Je tiens beaucoup Ă l'estime des hommes, mais je tiens particuliĂš-
rement Ă la vĂŽtre. Je veux enfin ne pas perdre la petite part de sym-
pathie que vous m'avez donnĂ©e. J'y tiens, comme le prĂȘtre tient Ă la
lampe qui brûle devant l'autel, comme on tient à un talisman qui
porte bonheur...
Ce n'est pas un poÚte amoureux, ni un ami républicain, ni
quelque adorateur berrichon de George Sand qui lui Ă©crit ainsi.
C'est ce jeune prisonnier du fort de Ham, qui, quoi qu'on en ait
dit, ne songeait pas exclusivement Ă sa gloire et Ă son pouvoir
personnel, mais trĂšs certainement rĂȘvait aussi au triomphe en
France d'un pouvoir soucieux du bonheur de la majorité. Ce
n'Ă©tait pas ce mesquin et piĂštre vaniteux que nous peignent des
pamphlets, tels que Napoléon le Petit ou V Histoire d'un crime,
c'est non seulement un personnage mal deviné et mal défini
,56 GEORGE SAND
dans l'histoire, un ĂȘtre complexe et plein de contradictions, mais
encore, si Ton fait la part des vices et des défauts de son entou-
rage et de ses propres faiblesses ou inconséquences, il nous appa-
raĂźt vraiment comme un rĂȘveur incompris et dĂ©sillusionnĂ©, suc-
combant sous le poids des circonstances par lui créées, comme un
utopiste naĂŻf et inconscient. Dans son esprit, dans sa nature, il
y avait des traits sympathiques attrayants pour la romanesque
optimiste et la parfaite et incorrigible idéaliste que George Sand
n'avait cessĂ© d'ĂȘtre. Et c'est justement cet idĂ©alisme qui capti-
vait celui qu'on avait avec raison surnommĂ© le « rĂȘveur Ă©veillĂ© ».
M. de Pontmartin assurait mĂȘme qu'il y avait dans ces deux
natures des traits de parenté (1). L'assertion nous semble exa-
gérée, mais nous comprenons assez ce qui l'avait causée. Il y
avait dans ces deux natures une certaine analogie de rĂȘverie
utopiste ou d'utopie rĂȘveuse et nĂ©buleuse.
H semble que George Sand et Napoléon firent connaissance
plus de dix ans avant la chute de la monarchie de Juillet, dans
le salon de la comtesse Merlin, cette intéressante créole aux
Souvenirs de laquelle George Sand avait, dÚs 1836, consacré un
article trÚs sympathique (2). Ce salon était trÚs fréquenté par
les Ă©crivains, les diplomates, les artistes. H Ă©tait surtout plein
de mécontents, de frondeurs conspirant ou déclamant contre
la poire (3). Le jeune prince Louis-Napoléon Bonaparte alla
bientĂŽt expier au fort de Ham la part active qu'il prit Ă une
conspiration contre cette mĂȘme « poire ». On sait qu'il y resta six
ans, jusqu'au jour oĂč il s'Ă©chappa dĂ©guisĂ© en « Badinguet ».
Le prince consacra ses loisirs forcés à des lectures sérieuses, aux
Ă©tudes sociales, et Ă©crivit quelques brochures politico-historiques.
Les Idées napoléoniennes parurent en 1839. En 1844 son étude
Sur l'extinction du paupérisme fit beaucoup de bruit en France.
Louis Blanc qui venait de fonder la RĂ©form et de faire la
connaissance de George Sand, consacra dans son Histoire de
(1) A. de Pontmartin, Nouveaux samedis. Paris, 1877, 16e série, 11 no-
vembre 1877.
(2) Paru d'abord dans la Revue de Paris de 1836. Réimprimé dans le volume
des Questions d'art et de littérature.
(3) Sobriquet de Louis-Philippe.
GEORGE SAND 157
dix ans quelques pages au jeuns prince, qu'il alla visiter dans sa
prison, car la personne et les idées de cet héritier du souverain
des peuples, rĂȘvant Ă dĂ©truire le paupĂ©risme ne pouvaient man-
quer d'intéresser celui qui proclamait « l'organisation du travail ».
George Sand, qui prÎnait alors les idéei de Louis Blanc dans ses
articles et que passionnaient les grandes utopies sociales promet-
tant le bonheur « à la classe la plus nombreuse et la plus pauvre »,
lut avec d'autant plus d'intĂ©rĂȘt ces pages sur le prince prisonnier,
et les fit réimprimer par son journal berrichon VEdaireur de
V Indre (1). Et puis cet intéressant prisonnier venait de lui envoyer
sa brochure par l'intermédiaire d'un ami commun, Frédéric
Degeorges (2). Celui-ci transmit les remerciements de George
Sand au prince, mais un accusé de réception indirect ne suffisait
probablement pas Ă F amour-propre de l'auteur, car voici ce
qu'il Ă©crivit Ă M. Degeorges le 24 novembre 1844 :
Mon cher monsieur Degeorges,
Je vous prie d'exprimer à Mme George Sand combien je suis touché
de ce qu'elle vous dit d'aimable sur moi ; je suis fier de mériter son
approbation. Jugez d'aprĂšs le plaisir que me fait Ă©prouver un souvenir
combien une lettre d'elle me serait précieuse ; combien je serais heureux
de la voir. Tùchez pendant votre séjour à Paris d'obtenir par des
députés l'autorisation de venir à Ham, et si Mme George Sand dai-
gnait vous accompagner, ce serait pour moi, véritable excommunié,
un jour de fĂȘte. Je ne recherche pas des Ă©loges, je veux les mĂ©riter ;
on me fera toujours plaisir en me donnant des conseils, vous devriez
bien m'envoyer la lettre de Mme G. Sand.
Je suis fùché de vous avoir écrit la lettre que vous avez dû recevoir
derniĂšrement, mais je suis loin d'ĂȘtre parfait et j'ai souvent des mou-
vements d'humeur contre les hommes, contre l'injustice du sort.
Le plaisir des malheureux est de se plaindre. J'ai Ă©crit Ă M. Abb. (3)
à Orléans pour l'engager à venir me voir d'aprÚs ce que vous m'aviez
dit, mais il parait qu'il a fait la sourde oreille. Je vous remercie non
comme Bonaparte, mais comme citoyen, de la fusion que vous voulez
opérer, car là seulement est le salut. Nous sommes tous enfants de
(1) Lettre de George Sand Ă Louis Blanc de novembre 1844. Correspondance,
t. II, p. 324-27.
(2) George Sand, sa vie et ses Ćuvres, vol. II, p. 184,
(3) Abbatucci.
158 GEORGE SAND
la RĂ©volution, et par nos dissensions entre frĂšres nous risquons de
tuer notre mĂšre commune.
Adieu, mon cher monsieur Degeorges, recevez de nouveau l'assu-
rance de ma sincÚre amitié.
N. L.
George Sand fit ce que le prince désirait et le remercia dans
une lettre datée du 26 novembre 1844, et depuis lors maintes
fois réimprimée, mais peu connue toutefois du public, d'autant
plus qu'elle fut la plupart du temps insérée dans les éditions soit
spéciales, soit oubliées, et que dans la Correspondance elle est
tronquée et corrigée (1).
^Xous mettons entre crochets les phrases omises et nous
indiquons en notes les mots changés.
Prince,
Je dois vous remercier des souvenirs flatteurs dont vous m'avez
honorée (2) en m' adressant, [avec un mot de votre main qui m'est
précieux] le [noble et] remarquable travail sur l'extinction du pau-
pĂ©risme. C'est de grand cĆur que je vous exprime lĂŻntĂ©rĂȘt sĂ©rieux
avec lequel j'ai étudié, votre projet. [J'ai été surtout frappée de la juste
appréciation de nos malheurs et du généreux désir d'en chercher le
remÚde. Quant à bien apprécier les moyens de réalisation] je ne suis
pas de force Ă le faire (3), et d'ailleurs ce sont lĂ des controverses dont,
je suis sûre, vous feriez au besoin bon marché. En fait d' application,
il faut peut-ĂȘtre avoir la main Ă l'Ćuvre pour s'assurer qu'on ne s'est
pas trompé, et le rÎle (4) d'une vaste intelligence (5) est de perfec-
tionner ses plans en les exécutant. [Mais l'exécution, Prince, à quelle
main l'avenir la confiera-t-il (6)? Il y a peut-ĂȘtre inconvenance et
(1) Cette lettre parut d'abord sons le titre de M. Louis-Napoléon jugé
par George Sand m 1844 dans YAlmamch populaire de h Franee pour 1849,
(16e année, Pagnerre), que nous avons retrouvé à la BibliothÚque Carnavalet.
Puis elle fut réimprimée dans deus brochures répandues par la propa-
gande bonapartiste, un peu avant les élections du 10 décembre 1848, et
George Sand protesta dans le journal de Proud'hon, le Peuple, numéro du
6 décembre 1848, contre cet emploi pratique de son épßtre purement abs-
traite. Enfin, elle parut dans la Correspondance de George Sand*, vol. II, p. 328,
mais tronquée, changée, avec omission du dernier passage et à la fausse date
de « décembre » 1844.
(2) Du souvenir flatteur que vous avez bien voulu me consacrer.
(3) A en apprécier la réalisation.
(4) Le fait. »
(6) Noble.
(6) Dans quelles mains l'avenir la mettra-t-il?
GEORGE SAND i59
manque de respect Ă soulever cette question en vous pariant. Peut-
ĂȘtre aussi de vives sympathies donnent-elles ce droit] (1). Je ne sais
pas si votre infortune a des flatteurs, je sais qu'elle a mérité d'avoir
des amis. Croyez qu'il faut plu3 d'audace (2) aux esprits courageux (3)
pour vous dire la vérité aujourd'hui (4) qu'il ne leur eût falln si vous
eussiez triomphé. C'est notre habitude à nous [démocrates] de braver
les puissants, et cela ne nous coûte guÚre, quel qu'en soit le danger,
mais devant un héros captif et un guerrier enchaßné (5) nous ne sommes
pas braves. Sachez-nous donc quelque gré, vous qui comprenez ces
choses, de ce que nous voulons nous défendre des séductions que votre
caraetĂšre, votre intelligence et votre situation exercent sur nous et
de ce que nous osons vous dire [la vérité, cTest] que jamais nous n'eus-
sions reconnu (6) d'autre souverain que le peuple et que [la souve-
raineté de tous nous paraßtra toujours incompatible] (7) avec celle
d'un homme. Aucun miracle, aucune personnification du génie
populaire dans un seul (8). Mais vous savez cela : vous le saviez peut-
ĂȘtre quand vous marchiez vers nous [et nous, s'il eĂ»t fallu que nous
fussions conquis, nous eussions prĂ©fĂ©rĂ©, Ă toute autre, une conquĂȘte,
qui eût ressemblé à une délivrance ; mais] ce que vous ne saviez pas,
[c'est que les hommes longtemps trompés et opprimés ne s'éveillent
pas dans un jour de confiance] (9). La pureté de vos intentions eût été
fatalement méconnue et vous ne vous seriez pas assis au milieu de
nous sans avoir à nous combattre et à nous réduire.
Telle est [l'inflexibilité des lois qui entraßnent la France vers] (10)
son but que vous n'avez pas mission, vous homme d'Ă©lite, de nous
arracher à la tyrannie (11). Hélas ! vous devez souffrir de cette pensée,
autant qu'on souffre de l'envisager et de la dire ; car vous méritiez de
naĂźtre en des jours oĂč vos rares qualitĂ©s eussent pu faire votre gloire
et notre bonheur. Mais il est une autre gloire que celle de l'épée, un
(1) Ce passage manque dans la Correspondance, et il y est remplacé par les
mots : « Nous autres cĆurs dĂ©mocrates nous aurions prĂ©fĂ©rĂ© peut-ĂȘtre ĂȘtre
conquis par vous que par tout autre, mais nous n'aurions pas moins été
conquis, d'autres diraient délivrés. »
(2) De courage.
(3) Ames généreuses.
(4) Maintenant.
(5) Désarmé.
(6) ReconnaĂźtrons.
(7) Cette souveraineté nous paraßt incompatible.
(8) Mots ajoutés dans la Correspondance. « Ne nous prouvera le droit d'un
seul. »
(9) Puisque les hommes sont méfiants et que la pureté.
(10) La force des lois providentielles qui poussent la France Ă .
(11) Tirer des mains d'un homme vulgaire pour ne rien dire de pia.
i6o GEORGE SAND
autre ascendant que celui des faits (1). Vous le savez (2) maintenant
que le calme du malheur vous a rendu toute [votre sagesse, toute]
votre grandeur naturelle, et vous aspirez, dit-on, Ă n'ĂȘtre qu'un citoyen
français ; c'est un assez beau (3) rÎle pour qui sait le comprendre ; vos
préoccupations et vos écrits prouvent que nous aurions en vous un
grand citoyen, si les ressentiments de la lutte pouvaient s'Ă©teindre et
si le rÚgne de la liberté revient (4) un jour guérir les ombrageuses
défiances des hommes. Vous voyez comme les lois de la guerre sont
encore farouches et implacables, vous qui les avez courageusement
affrontées et qui les subissez plus courageusement encore. Elles
paraissent odieuses (5) quand on voit (6) un homme tel que vous en
ĂȘtre la victime. [Eh bien! lĂ est votre gloire nouvelle, lĂ sera votre
grandeur véritable.] Le nom terrible et magnifique que vous portez
n'eût pas suffi pour nous vaincre (7). Nous avons à la fois diminué et
grandi depuis les jours d'ivresse sublime qu'il nous a donnés. Son
rÚgne illustre n'est plus de ce monde, et l'héritier de son nom [penché
sur des livres, médite, attendri,] sur le sort des prolétaires. Oui, c'est
lĂ votre gloire (8), lĂ est un aliment sain qui ne corrompra point la
[sainte] jeunesse et la [haute] droiture de votre ùme (9) comme l'eût
fait, peut-ĂȘtre, l'exercice du pouvoir malgrĂ© vous (10). LĂ serait le
lien [de cĆur] entre vous et les Ăąmes rĂ©publicaines que la France
compte par millions [aujourd'hui]. Quant Ă moi (11) je ne connais pas le
soupçon, et s'il dépendait de moi, aprÚs vous avoir lu, j'aurais foi
en vos promesses et j'ouvrirais la prison pour vous faire sortir, la main
pour vous recevoir. Mais hélas ! ne vous faites pas d'illusions ! Us
sont tous inquiets et sombres autour de moi, ceux qui aspirent Ă des
jours meilleurs (12); vous ne les vaincrez que par les idées (13), par la
vertu, par le sentiment démocratique, par la doctrine de l'égalité.
Vous avez de tristes loisirs : mais vous savez en tirer parti. Parlez-
nous donc [souvent de délivrance et d'affranchissement] (11), noble
(1) Une autre puissance que celle du commandement.
(2) Sentez.
(3) Grand.
(4) Venait un jour à guérir.
(5) Nous paraissent plus odieuses que jamais.
(6) Nous voyons.
(7) Ce n'est donc pas le nom terrible et magnifique que vous portez qui
nous eût séduit.
(8) Grandeur, lĂ est l'aliment de votre Ăąme active.
(9) Vos pensées.
(10) L'eĂ»t fait peut-ĂȘtre malgrĂ© vous l'exercice du pouvoir.
(11) Mot ajouté : personnellement.
(12) Ceux qui rĂȘvent des temps meilleurs.
(13) Par la pensée.
(14) Encore de liberté.
GEORGE SAND 161
captif ! Le peuple est comme vous dans les fers ; le Napoléon d'au-
jourd'hui est celui qui personnifie les douleurs du peuple, comme
l'autre personnifiait [hier] sa gloire.
Acceptez, prince, l'expression de mon sentiment respectueux.
George Sand.
Napoléon répondit à cette lettre par une lettre tout aussi sin-
cÚre datée du 14 décembre, et une correspondance amicale s'en-
suivit en.re la recluse de Nouant et le prisonnier de Ham, une
correspondance roulant surtout sur les questions de principes et
sur celle qui Ă©tait Ă l'ordre du jour, avant tout, la politique,
comme on peut en juger par les trois lettres suivantes se rap-
portant Ă 1845 et parues dans le Figaro de 1897 ; nous les avons
vérifiées sur les originaux.
Fort de Ham, 24 janvier 1845.
Madame,
Croyez que le plus beau titre que vous puissiez me donner est le titre
d'ami, car il indique une intimité que je serai fier de voir régner entre
nous. Si aux yeux du public je tiens Ă mon titre de prince, c'est que
ce titre m'a toujours été disputé par les hommes et les gouvernements
qui regardent la révolution française comme un accident et tout ce
que le peuple a établi de 89 à 1815 illégitime. Tant que la France aura
des princes, je ne dĂ©chirerai pas mon extrait de baptĂȘme; mais je
passerai avec plaisir l'Ă©ponge sur mon passĂ© le jour oĂč elle ne recon-
naĂźtra que des citoyens.
Un mot de votre lettre, madame, me fait craindre que vous ayez
mal compris le sentiment qui m'a inspiré en vous écrivant. Vous vous
violentez doucement, dites-vous. Si je vous ai Ă©crit avec entraĂźnement,
avec chaleur, ce n'Ă©tait pas par calcul pour vous attirer Ă moi, mais
par enthousiasme. J'ai exprimé sans réserve et sans arriÚre-pensée ma
vive sympathie à la femme illustre par son génie et la noblesse de
son cĆur. Si je n'avais vu en elle qu'un chef de parti, je lui aurais Ă©crit
froidement, avec le style glacé de la politique. Si j'étais assez heureux
pour pouvoir vous voir, je vous dirais tout ce que je pense, tout ce que
je sens, et si vous n'approuviez pas toutes mes convictions, vous ren-
driez du moins justice à ma franchise. Je désire la liberté, le pouvoir
mĂȘme, mais je prĂ©fĂ©rerais mourir en prison que de devoir mon Ă©lĂ©-
vation à un mensonge. Je ne suis pas républicain, parce que je crois
la république impossible aujourd'hui en présence de l'Europe monar-
chique et de la division des partis. Mais je dĂ©sire de tout mon cĆur
i62 GEORGE SAND
l'avĂšnement d'un gouvernement quelconque qui s'efforce d'amener
en France les institutions dĂ©mocratiques, qui s'occupe du bien-ĂȘtre du
plus grand nombre et qui fasse triompher la libellé, la vertu, la jus-
tice. Mais aussi tous les jours je perds un peu de mes espérances, car
tous les jours la tĂȘte de la France s'aplatit, son ventre s'augmente et
son cĆur se resserre. Vous me permettrez de vous appeler toujours
madame. Ce titre, en français, est tout à fait convenable, car il est
tendre et respectueux à la fois. Il est trÚs démocratique, puisqu'on le
donne Ă tout le monde, et il est commun sans ĂȘtre vulgaire. C'est donc
celui qu'il me convient le mieux d'employer en vous Ă©crivant. Recevez,
madame, la nouvelle assurance de ma respectueuse sympathie.
Fort de Ham, 2 avril 1845.
Madame,
Votre derniÚre lettre semblait me dire : « Je vous ai donné tout ce
que je pouvais vous donner : ne me demandez plus rien, car j'ai mes
pauvres. » Cependant je viens encore vous demander la charité, car
je sais que vous possĂ©dez dans votre cĆur des richesses inĂ©puisables,
capables de soulager toutes les misĂšres. Que les hommes soient injustes
à mon égard, impitoyables malgré ma position, il n'y a rien La qui
m'étonne. Les hommes sont nés pour faire la guerre, et généralement
la guerre n'est ni juste ni tendre. Mais vous, madame, qui avez les
qualitĂ©s de l'homme sans en avoir les dĂ©fauts, vous ne pouvez pas ĂȘtre
injuste Ă mon Ă©gard, me prĂȘter des vices que je n'ai pas, lire mes
écrits avec le sentiment d'un procureur général qui cherche à établir
un procĂšs de tendance. En un mot, vous ne pouvez pas me condamner,
parce que vous avez vous-mĂȘme inventĂ© le dĂ©lit et prononcĂ© la peine.
Depuis que vous avez lu mes Ă©crits, vous ne croyez plus, dites-vous,
à mon amour pour l'égalité. Je ne puis croire que sérieusement vous
ayez pu découvrir dans ce que j'ai dit quelque chose qui soit opposé
au principe général d'égalité. Que je n'entende pas sous ce nom la
mĂȘme chose que vous, c'est possible, car il n'y a pas deux personnes
qui donnent la mĂȘme signification Ă un principe, et ce qui fait mĂȘme
que ces grands mots d'égalité et de liberté réunissent tout le monde
sous leur banniÚre, c'est que chacun les interprÚte à sa façon ; s'ils
n'avaient qu'une signification Ă©troite, ils ne rallieraient personne.
Mais, différer dans l'interprétation, ce n'est pas méconnaßtre la sain-
tetĂ© de ce dogme. Au contraire. Si vous daignez ĂȘtre franche avec moi
vous conviendrez que vou3 avez été enchantée de prendre ce prétexte
pour me congédier. Quand vous étiez en province, seule avec vos
pensées et vos propres impressions, ma parole vous a touchée ; vous
avez jugé avec ce sentiment qui ne trompe jamais, que mes paroles
GEORGE SĂND 163
respiraient l'amour du bien et partaient d'une conviction profonde ;
alors, vous m'avez Ă©crit, et cette preuve de sympathie de votre part
restera Ă©ternellement gravĂ©e dans mon cĆur. Mais vous ĂȘtes venue Ă
Paris, et lĂ vous avez trouvĂ© des lrommes qui se sont appliquĂ©s Ă
retenir cette main que vous tendiez vers moi. Us vous ont dit : « Nous
sommes épars, divisés, nous sommes menacés par toutes les forces du
pouvoir, par tout le froid des vieilles idĂ©es et des vieux intĂ©rĂȘts, par la
haine et la jalousie de toute TEurope. Eh bien, le danger, l'ennemi n'est
pas aux Tuileries, mais à Haim Ce n'est pas contre un pouvoir allié
des rois oppresseurs des peuples et disposant de toutes les ressources
d'un grand empire que nous devons nous liguer, mais- contre un die nos
frÚre3 qui, prisonnier et abandonné de tous, n'a. que son nom. poiu-
Ă©gide, sa conscience pour soutien. Et vous, malgrĂ© votre hou cĆur,
votre haute intelligence, vous avez suivi le torrent, et quoique entourée
d'ennemis bien réels vous vous attaquez à un fantÎme : et ce fantÎme
c'est moi 1 VoilĂ ce qui m'afflige comme homme, ce que je regrette
comme citoyen, car, croyez-le bien, l'union de tous les bleus sera Ă
peine suffisante pour repousser le blanc-blanc et le blanc sale qui noua
entourent Mais cependant ce n'est pas de la politique que je viens faire
avec vous aujourd'hui ; je veux absolument me justifier en vous accu
sant de partialité. Je tiens beaucoup à l'estime des hommes ; mais je
tiens particuliĂšrement Ă la vĂŽtre. Je veux que vous me jugiez tel que
je suis et non tel qu'on me fait Ă vos yeux. Je veux enfin ne pas perdre
la petite part de sympathie que vous m'avez donnée. J'y tiens, comme
le prĂȘtre tient Ă la lampe qui brĂ»le devant l'autel, comme on tient Ă
un talisman qui porte bonheur.
Eecevez, madame, mes doléances avec bonté et croyez à mes sen-
timents respectueux.
20 juin 1845.
Madame,
Je me sers d'une occasion et d'un prétexte pour vous écrire. L'occa-
sion c'est le retour Ă Paris de M. et Mme Cornu (1), deux de mes plus
anciens amis qui veulent bien se charger de cette lettre pour vous ; le
prétexte, c'est l'envoi d'un avant-propos, éclaireur d^un ouvrage qui
malheureusement n'est point destinĂ© Ă exciter votre intĂ©rĂȘt. Vous avez
été si bonne pour moi qu'il était inutile d'avoir recours à un prétexte
pour vous Ă©crire. Cependant cela me met plus Ă mon aise et je crains
(1) Mme Hortense Cornu, nĂ©e LaGroix, sĆur de lait et amie intime de
Napoléon III, fut mariée au peintre Sébastien-Melchior Gornu et se distingua
comme Ă©crivain et traductrice des poĂštes allemands, sous le pseudonyme de
SĂ©bastien Albin. Elle fit paraĂźtre en 1843 un travail en deux volumes sur
GĆthe et Bettina et un peu avart Ballades et chants populaires (anciens ci
modernes) de V Allemagne, précédés d'une notice historique. (Gosselin, 1841.)
i64 GEORGE SAND
moins d'ĂȘtre importun. H y avait dans votre derniĂšre lettre une phrase
qui méritait de ma part tout un volume de remerciements, c'est celle
oĂč vous manifestez le regret de ne pouvoir venir me voir. J'ai Ă©tĂ© bien
sensible à ce regret, car il indique un désir dont je suis fier. Mais
puisque enfin je ne puis me rapprocher de vous, je suis trĂšs heureux
que Mme Hortense Cornu veuille bien se charger de mes hommages
pour vous ; car c'est la personne qui me connaĂźt le mieux et qui, par
conséquent, vous fera connaßtre le mieux mes défauts et mes qualités.
Cependant je lui recommanderai bien de ne point trop appuyer sur
les dĂ©fauts. Les hommes comme les tableaux doivent ĂȘtre exposĂ©s sous
leur bon et propre jour. Vous trouverez peut-ĂȘtre que ces paroles
révÚlent une certaine suffisance. N'y voyez, je vous prie, que le désir
d'ĂȘtre apprĂ©ciĂ© par vous et de mĂ©riter votre approbation et les sym-
pathies que vous m'offrez avec tant de grĂące. Vous m'engagez Ă parler
philosophie. Je ne suis pas fort sur cette thĂ©orie, peut-ĂȘtre par cela
mĂȘme que j'en fais tous les jours en action. Cependant il y a dans votre
derniÚre lettre une expression si juste que je désire la relever pour
l'expliquer dans un sens différent du vÎtre. « J'invoque, dites-vous, la
science des limites»... C'est que c'est, en effet, la véritable science pra-
tique. H est clair que je n'entends pas par ces paroles la science des
bornes, cette science-là est si bien pratiquée aujourd'hui qu'on ne sau-
rait faire mieux ; mais j'entends par science des limites cet art qui con-
siste à se frayer un chemin au milieu de l'espace, à définir ce qui
jusqu'ici était indéfini, à marquer ce passage étroit qui sépare le sublime
du ridicule, Ă donner, en un mot, un corps, une Ăąme, Ă qui Ă©tait sans
force et sans vie. Enfin j'appelle science des limites non cette science
du dieu Terme qui, dans un esprit mesquin de dĂ©fense, nous apprend Ă
s'entourer de fossés ; mais cette science du berger qui protÚge, nourrit
son troupeau, fertilise la terre qu'il habite, puis ensuite, dĂšs que sa
mission est remplie en un lieu, va plus loin, poussant sans cesse la
limite devant lui, et donne cet intéressant exemple de l'ordre dans la
mobilité, de la stabilité dans le progrÚs, de la méthode et de Futilité
dans la conquĂȘte. Et dans le monde moral comme dans le monde poli-
tique, savoir le point oĂč finit la libertĂ© et oĂč commence la licence, oĂč
finit le pouvoir et oĂč commence l'arbitraire ; ou bien apprendre oĂč le
courage se change en témérité, la tendresse en faiblesse et l'amour du
bien en folie, c'est sans aucun doute faire le cours le plus complet de
philosophie. La science des limites est donc la véritable science du
genre humain. Et à ce propos je m'aperçois que mon papier comme
votre patience ont une limite que je ne veux outrepasser. Je me borne
donc a vous renouveler, madame, l'assurance de mes sentiments de
respectueuse sympathie.
Napoléon.
GEORGE SAND 165
Il est difficile de décider aujourd'hui si les amis de George
Sand, à l'influence hostile desquels Napoléon faisait allusion,
avaient vraiment raison de se défier de lui, ou si c'est elle qui
avait raison de prendre pour de l'or pur ses protestations d'amour
pour le peuple et ses rĂȘves de bonheur « pour la majoritĂ© ». D'un
cĂŽtĂ© le coup d'Ătat et le « rĂ©gime napolĂ©onien » qui en fut la suite
semblent ĂȘtre une nĂ©gation catĂ©gorique de la sincĂ©ritĂ© des doc-
trines philanthropiques et populaiies du prisonnier de Ham.
De l'autre, si l'on jugeait la sincérité, les bonnes intentions de
tous les héritiers présomptifs d'aprÚs les événements et les ten-
dances ultérieures de leurs rÚgnes, il faudrait alors nier, presque
sans exception, toute tendance idéale, toute bonne aspiration
chez les hommes qui appartiennent Ă l'histoire. Ce serait pour-
tant commettre une erreur de jugement historique que de juger
le commencement du rĂšgne de Catherine II ou d'Alexandre Ier
et surtout leurs vraies aspirations, d'aprÚs les événements et les
favoris de la derniĂšre heure. Il serait tout aussi injuste de soup-
çonner la sincérité des doctrines tant soit peu utopiques, mais
vraiment humanitaires et démocratiques de l'auteur de l'Extinc-
tion du paupérisme, en tirant des « attendu que » des actes de
MM. de Persigny, de Morny, Kouher et compagnie. Les amis
républicains de George Sand commirent cette injustice-là . George
Sand, dÚs le début, disait la vérité sans ambages à son correspon-
dant titré, elle critiquait ses théories, mais elle ne soupçonna
point sa franchise, et crut qu'il partageait les convictions de ses
amis républicains, c'est-à -dire le bonheur des masses, la promul-
gation du principe oublié de la grande Révolution : la volonté
du peuple exprimée par le suffrage universel.
Nous avons vu que George Sand se détacha des hommes
de 1848 lorsqu'elle s'aperçut que la jorme l'emportait chez eux
sur le fond, l'amour du régime parlementaire sur l'amour du
peuple, et que les soucis des intĂ©rĂȘts de parti ou mĂȘme de ceux
d'un petit groupe prévalaient sur le vrai souci du bien, du bonheur
et des droits des masses populaires. En politique elle poursuivait
avant toute chose ce qu'elle considérait comme le vrai régime
démocratique : le droit de chaque citoyen de dire son opinion, de
i66 GEORGE SAXD
choisir ses reprĂ©sentants â c'est-Ă -dire ce mĂȘme suffrage uni-
versel que nou> venons de nommer.
Et voici que le jour oĂč les citoyens français, pour la premiĂšre
fois, firent usage de ce droit â il se trouva que la voz pcpuli
prononça le nom de celui avec qui George Sand discutait amica-
lement tant qu'il Ă©tait le prisonnier de Louis-Philippe, et qui
apparaissait à la grande masse du peuple français comme un sau-
veur au milieu de la guerre des partis -qui déchiraient la Fraaace.
Les amis républicains de George Sand en furent exaspérés. Elle
leur répondit par les lignes suivantes dans un article intitulé
Sur le gĂȘnerai Cavaignac, paru dans la RĂ©forme du 22 aoĂ»t 1848.
Nous avons reconnu que cet article Ă©tait le mĂȘme que celui qui fut
imprimé en une plaquette intitulée le Peuple et le président et
emuite sous le titre de A propos de Vélection de Louis-Napoléon
à la présidai:: de la République dans le volume des Questions
politiques et sociales.
Qu'est-ce que prouve cette énorme majorité de suffrages en faveur
de celui de tous les partis qui représente le moins la République? Au
premier abord, la rĂ©ponse semble devoir ĂȘtre celle-ci : la majoritĂ© des
Français n'est pas républicaine ; et sans aueun doute le parti de la
réaction va se prévaloir de cette considération. Eh bien, la réaction se
trompera quant au fond de la question : le peuple est républicain
quand mĂȘme ; et il ne sera pas si facile qu'on le pense de lui enlever sa
t ouveraineté. Le peuple n'est pas politique, voilà ce qu'il faut recon-
naĂźtre, et ce dont il ne faut point s'Ă©tonner...
Le peuple tend au socialisme, dont le point de départ est le senti-
ment de son droit et de ses besoins. Il y a longtemps que nous sommes
d'accord sur le point que le socialisme ne peut se passer de la politique
et que la politique ne peut se passer du socialisme. Penser autrement,
c'est vouloir séparer le corps et iùme, la volonté et l'action. Pour avoir
Ă©tĂ© politique et non socialiste, la RĂ©publique modĂ©rĂ©e est arrivĂ©e Ă
mĂ©contenter le peuple. Pour ĂȘtre socialiste et non politique, le peuple
arrive Ă compromettre par un choix imprudent le principe mĂȘme de
sa souveraineté. Mais un peu de patience. Dans peu de temps, le peuple
sera socialiste et politique, et il faudra bien que la RĂ©publique soit Ă
son tour l'un et l'autre. Je m'inquiĂšte peu du personnel des gouverne-
ments, ou du moins je m'en inquiĂšte beaucoup moins que du grand
symptĂŽme de l'opinion populaire. Les hommes montent au pouvoir et
tombent aussitĂŽt... Ce sont lĂ des vicissitudes secondaires dans l'his-
GEORGE S AND 167
toire <Tttne démocratie. L'histoire désormais changera de caractÚre.
Ce ne sera plus seulement le récit des faits et gestes de certains hommes ;
ce sera principalement l'Ă©tude des aspirations, des impressions et des
manifestations des masses. Ce qui vient de se passer est un grand fait,
un grand enseignement...
George Sand *eroit que le gĂ©nĂ©ral Cavaignac â un honnĂȘte
homme et qui ne fut qu'une arme dont s'était servie « l'Assemblée
sans cĆur » et la bourgeoisie â eut Ă expier cette faute involon-
taire, et que le peuple élut Louis-Napoléon « en haine de Cavai-
gnac », comme les prolétaires-socialistes le déclarÚrent à Lediu-
Rollin dans les grands centres.
Dans les campagnes, la grande masse des prolétaires agricoles a
fait de mĂȘme sans bien s'en rendre compte. Elle s'est vengĂ©e d'une
république bourgeoise qui l'a leurrée de belles promesses, et qui n'a
trouvé pour planche de salut que l'impÎt sur le pauvre...
En repoussant le favori de l'Assemblée, le peuple protestait non
contre la RĂ©publique dont il a besoin, mais contre celle que l'Assem-
blée lui a faite. Croyez bien que c'est là le grand ascendant de Louis
Bonaparte, c'est de n'avoir encore rien fait sous la république bour-
geoise. Le prestige du nom est quelque chose ; mais le paysan est tou-
jours positif, mĂȘme lorsqu'il est romanesque. Que l'Ă©lu de son choix
le frappe d'un nouvel impĂŽt, vous verrez Ă quoi lui servira son nom.
Quant à nous, il nous faut examiner sérieusement cet acte imprévu
de souveraineté populaire, et ne pas nous laisser surprendre par le
dégoût et le découragement... Nous avons maintenant peu de politique
Ă faire, puiseme le souverain veut agir tout seul. Mais nous lui devons
la propagande des idées, afin qu'il sache peu à peu les moyens de réa-
liser ce qu'il veut. Quant à moi, je ne sens aucun dépit contre le peuple,
lors mĂȘme qu'en apparence il apporte Ă cette rĂ©volution une solution
passagĂšre, tout opposĂ©e Ă mes vĆux. De tous les hommes de tous
les partis politiques que j'ai vus passer depuis quarante ans, je n'ai
pu m'attacher exclusivement Ă aucun, je le confesse. Il y avait toujours
en dehors de tous ces hommes et de tous ces partis un ĂȘtre abstrait
et collectif, le peuple, à qui seul je pouvais me dévouer sans réserve.
Eh bien, que celui-lĂ fasse des sottises ; je ferai pour lui dans mon cĆur-
ce que les hommes politiques font dans leurs actes pour leur parti :
j'endosserai les sottises et j'accepterai les fautes...
Les événements de 1848-51 et le triste rÎle qu'y joua « l'élu
du peuple » sont trop connus pour que nous y revenions ici. Nous
168 GEORGE SAND
ne nous arrĂȘterons donc que sur l'impression et l'influence active
qu'ils eurent sur George Sand. Désillusionnée de la République et
ne croyant plus Ă l'avĂšnement de l'Ăąge d'or, au triomphe du droit
qui cédait la place à la force, morne, abattue, désenchantée de
ses amis des derniÚres années, George Sand voulut oublier la
« brutale réalité » en s'abandonnant à l'art, en s'y plongeant.
Mais nous savons que ce ne fut nullement en Ă©crivant les ro-
mans champĂȘtres. INon, ce fut vers une autre muse, ce fut vers
MelpomĂšne qu'elle se tourna en ce moment, et celle-ci la cou-
ronna de nouveaux lauriers, pour sa comédie tirée de François
le Champi (représenté à TOdéon le 2 novembre 1849). Le succÚs
de cette piĂšce encouragea donc George Sand Ă se tourner, une
fois encore, vers cette branche de l'art qu'elle avait Ă peu prĂšs
abandonnĂ©e â (le Roi attend, prologue d'occasion ne compte
pas !) â depuis le jour oĂč son premier drame, Cosima, fut presque
sifflé en 1840. Nous voyons, en 1851, successivement apparaßtre
aux théùtres de la Porte Saint-Martin, de la Gaieté et du Gym-
nase les piĂšces : Claudie, MoliĂšre et le Mariage de Victorine. C'est
justement pour assister aux rĂ©pĂ©titions de cette derniĂšre â elle
fut jouĂ©e le 26 novembre 1851 â que Mme Sand arriva Ă Paris
au mois de novembre de cette année, et elle fut si préoccupée
par la mise en scÚne, la distribution des rÎles et les répétitions
que le coup d'Ătat fut un coup de foudre pour elle.
H est resté parmi les papiers de George Sand une mince enve-
loppe contenant quelques petites feuilles et portant les mots :
Journal de 1851 (1). George Sand y avait noté ses impressions
du 26 novembre au 13 décembre. On peut d'aprÚs certains indices
conclure que tout ce qui se trouve écrit sous les dates de « mer-
credi, 26 novembre », « jeudi 27 », « vendredi 28 », jusqu'à la
« nuit du 3 au 4 décembre », fut écrit aprÚs coup, justement dans
cette nuit du 3 au 4 décembre, c'est-à -dire que tout ce que George
Sand écrit sur les derniers jours avant l'événement, elle l'écrivit
(1) C'est notre inoubliable amie Mme Maurice Sand qui nous en avait,
peu avant sa mort, remis l'autographe pour le copier, afin d'en faire usage
pour la suite de notre travail, et de le publier Ă sa date soit en entier soit en
partie.
GEORGE SAND 169
au lendemain. H est donc certain que le 2 décembre projeta une
certaine lueur sur les jours déjà écoulés et que certains détails
y sont annotés et comme soulignés, qui n'auraient pas été
remarqués, si le journal avait réellement été écrit au jour le jour.
Certaines données, aussi, font présumer que c'est avec inten-
tion que George Sand nota sa maladie et les noms des personnes
qu'elle avait fréquentées peu avant le 2 décembre, et dont plu-
sieurs â comme Mme Clotilde Villetard, Mme Rozanne de
Curton (1) et le comte d'Orsay â l'aidĂšrent bientĂŽt de leurs rela-
tions, ou grĂące auxquelles (c'est le cas de Mme Curton) elle
avait déjà depuis longtemps fait la connaissance d'un person-
nage aussi omnipotent que l'Ă©tait Ă ce moment M. de Persigny.
Par des lignes de ce genre â qui ont tout l'air d'ĂȘtre insigni-
fiantes â George Sand semble dire aux uns : « VoilĂ mes relations ;
donc je fus toujours en bons rapports avec les personnes appar-
tenant à l'Elysée ! » et aux autres : « Si je me suis adressée plus
tard pour mes amis rĂ©publicains Ă ces personnes, c'est que dĂ©jĂ
avant le triomphe de leur parti elles avaient simplement été mes
bons amis... » Ces considérations, et plusieurs autres indices,
nous font croire à une certaine préméditation. Mais, quoi qu'il
en soit, ce journal est extrĂȘmement intĂ©ressant, car on y voit
reflétés fidÚlement tous les états d'ùme de George Sand pendant
ces vingt jours : d'abord insouciance complÚte, puis stupéfac-
tion, puis vague inquiétude, puis chagrin, désespoir, et enfin
morne abattement.
Les lecteurs de la Revue de Paris ont lu les pages qui se rap-
portent au 1er décembre et aux jours suivants (2) ; les lecteurs du
volume des Souvenirs et idĂ©es, oĂč ce journal fut rĂ©imprimĂ©, ont pu
lire, aussi, les extraits des pages se rapportant aux jours précé-
dents ; mais comme ce journal y est publié avec des lacunes et
force inexactitudes, nous nous permettons de donner ici la repro-
duction exacte de ses premiĂšres pages, telles que nous les avons
publiées, peu avant le centenaire de George Sand, dans la revue
(1) Mme Rozanne de Curton, mariée en premiÚres noces à M. Bourgoing,
amie de George Sand dĂšs 1829-1830.
(2) V. la Revue de Paris du 15 juin 1904.
17° GEORGE SAND
russe Messager de l'Europe, lors de l'impression dans cette revue
d'une partie du présent chapitre. Les lecteurs fiançais nous en
sauront quelque gré tout en relisant ce qu'ils connaissent déjà ,
car ils y trouveront aussi de l'inédit, et il est trÚs important pour
nous de souligner et d'annoter quelques noms et détails com-
plais animent offerte par George Sand elle-mĂȘme Ă l'attention de
ses biographes Ă venir.
Journal de 1851
Novembre 1851,
Mercredi 26.
PremiÚre représentation de Yidorine. SuccÚs. J'ai été fort calme et
indifférente sans me rendre bien compte du pourquoi. J'ai vu la piÚce,
de la petite loge de Facteur-régisseur Monvel, sur le théùtre, derriÚre
le manteau d'Arlequin. Je me suis bien rendu compte de mon impres-
sion. J'ai persisté à préférer le premier et le troisiÚme acte au second.
Le publie a, dit-on, préféré le deuxiÚme aux deux antres, ^'importe.
AprĂšs la piĂšce, j'ai Ă©tĂ© dans la loge de Rose ChĂ©ri (1) ; sa mĂšre, sa sĆur,
son mari y sont vernis. Anna pleurait et s'est mise Ă genoux pour
m'embrasser. C'est une fille laide, fort agréable, qu'on dit trÚs bonne
et qui parait adorer Rose. Elle est trĂšs expansive et ne manque pas
de talent dans les travestis. Puis sont venus dans la mĂȘme loge ma
fille (2), Clésinger, le eomte d'Orsay (3), Bourdet et sa femme, Mlle Fer-
nand (4) avec sa tante, Mme Albert (5) et son mari Bignon, Mme Allan
(1) 3Ime Rose Chéri, la charmante iuginue du Gymnase, femme du direc-
teur, M. Montigny, jouait surtout les jeunes premiĂšres, elle remplissait
dans le Mariage de Victorine le rÎle de l'héroïne.
(2) Mme Solange Clésinger. Son mari, le sculpteur connu, l'auteur de la
Femme au serpent, fut à ce moment trÚs lié avec le comte d'Orsay, qui. comme
on le sait, s'Ă©tait, sur la fin de sa vie, Ă©pris de sculpture, travaillait Ă des
bustes de ses contemporains illustres et fut, peu avant sa mort, nommé
ministre des Beaux-arts.
(3) Le comte Gédéon-Gaspard- Alfred d'Orsay, que nous venons de citer,
le célÚbre dandy et arbiter elegantiarum, ami de Byron, connu dans la chro-
nique mondaine de 1820-1850 sous le nom du « beau d'Orsay ». Il passa
nombre d'annĂ©es de sa vie sou6 le mĂȘme toit que la non moins cĂ©lĂšbre lady
Blessington qui donna aussi l'hospitidité à Napoléon III, lors de son séjour
Ă Londres, aprĂšs sa fuite de Ham. D est Ă©vident que ce service amical ne fut
point oublié par Napoléon et, quoique le biographe du comte d'Orsay, le
comte de Contades, assure le contraire, d'Orsay jouit toujours d'une certaine
influence h l'Elysée, comme dous le verrons bientÎt. Il fut aussi trÚs lié avec
le prince JĂ©rĂŽme.
(4) Mlle Fernand, la jeune premiÚre de l'Odéon, qui créa le rÎle à 'Edmie
dans Mauprat en 1853.
(5) George Sand lui dédia son roman d'Adriani.
GEORGE SAND 171
et plusieurs autres acteurs et actrices que je ne connais pas et qui
m'ont fait grand'fĂȘte. J'ai vu aussi Geoffroy des Français, qui m'a dit
beaucoup d'amitiés.
â Je suis revenue souper avec ma fille, son mari, M. d'Orsay et Man-
ceau (1) chez Pinson. J'ai pris du café, j'ai mal dormi.
Jeudi 27. â J'ai fait des emplettes, j'ai Ă©tĂ© voir Nini. J'ai vu la
seconde représentation de Victorine dans une baignoire de face avec
Solange. J'ai bien vu et entendu le premier acte, mais pas les deux
autres, j'avais trop mal au foie. J'ai un peu sommeillé. Ponsard est
venu me voir avec Hetzel ; j'Ă©tais si malade dans ce moment-lĂ que je
ne sais ce qu'ils m'ont dit.
Vendredi 28. â AprĂšs une trĂšs mauvaise nuit, je me suis sentie bien.
J'ai été voir Solange et ensuite le comte d'Orsay avec qui j'ai parlé
d'elle et de son mari. Le soir, dßné chez Pauline. De là j'ai été au Gym-
nase. La recette Ă©tait belle et le succĂšs complet.
Samedi 29. â Je ne me souviens plus de ce que j'ai fait dans la
journée. Le soir j'ai été voir Mignon aux Variétés, et Hortense de
Cemy au Vaudeville.
Dimanche 30 (2). â Tai Ă©tĂ© voir Clotilde (3), Mme Bourgoing et je
ne sais plus qui. Le -soir, fai joué aux dominos, au coin de mon feu, avec
Manceau.
Lundi 1er dĂ©cembre. â Tai fait des emplettes avec Manceau (4). J'ai
été voir M. Sheppard. Cet excellent homme meurt simplement et gra-
vement dans son fauteuil...
(Nous ne citons pas plus loin ce passage sur la sérénité du moribond
et nous reprenons la citation au moment oĂč Mme Sand continue le
récit de sa journée.)
Je ne sais plus ce que j'ai fait, ce que j'ai vu. J'ai déjeuné avec
Bignat (5) qui m'a dit : « Si le président ne fait pas bien vite un coup
d'Ătat, il n'entend pas son affaire, car pour le moment rien ne serait si
facile. » J'ai été voir Delacroix. Le soir j'ai été au cirque voir les Quatre
parties du monde, avec Solange et Manceau. Je n'ai jamais rien vu de
plus long, de plus bĂȘte, de plus ennuyeux (6)... J'ai reeonduit ma fille
(1) Alexandre Manceau, graveur de grand talent, qui grava entre autres,
en 1350, le portrait le plus connu de George Sand, celui de Couture.
(2) Ce jour est omis dans le volume des Souvenirs et idées.
(3) Mme Clotilde Villetard, née Maréchal, cousine de George Sand,
(4) Cette phrase est aussi omise dans le volume.
(5) Emmanuel Arago.
(6) Nous omettons encore le passage sur cette féerie.
i;2 GEORGE SAND
chez elle, rue Verte. 26. En passant devant le palais de l'Elysée, elle
me dit : « Tiens, c'est singulier, il ne reçoit donc pas ce soir? Je croyais
qu'il avait grand bal, car en passant Ă cinq heures pour aller diner
avec toi, j'ai vu dans la cour qu'on Ă©tendait des tapis sur les marches
extérieures du perron. Est-ce que c'est cette semaine qu'on le proclame
empereur? »
Nous avons regardé la porte de la cour qui était fermée. Un seul fac-
tionnaire la gardait. Rien ne paraissait éclairé. Pas une voiture dans
la rue. En profond silence, la clarté terne des réverbÚres sur le pavé
gras et glissant. H Ă©tait une heure du matin : nous sommes revenus,
Manceau et moi, par l'avenue MarbĆuf, et nous avons passĂ© derriĂšre
le jardin de l'ElysĂ©e. MĂȘme silence, mĂȘme obscuritĂ©, mĂȘme solitude.
« Ce n'est pas encore pour demain », lui ai-je dit en riant, et comme
j'étais fatiguée, j'ai dormi profondément toute la nuit.
Mardi 2 dĂ©cembre. â Ă mon rĂ©veil, Ă dix heures, Manceau me dit :
« Cavaignac et LamoriciÚre sont à Vincennes, l'Assemblée est dissoute,
le suffrage universel est rétabli. » Cela ne me fit aucune impression, je
n'y comprenais rien. Cela ressemblait Ă la suite des rĂȘves baroques
qu'on fait le matin et dont un vague souvenir vous reste au réveil. Je
n'ai compris qu'en Usant la proclamation. J'ai vu Ab..., le papa d'Eu-
gÚne à déjeuner. Il était fort agité, il pleurait. Et puis Rochery qui
ne comprenait pas encore beaucoup plus que moi.
AprÚs déjeuner j'ai été voir Lovely (1). Elle était inquiÚte. Mme Car-
not est venue lui dire de la part de son mari qu'elle eût à se rendre
chez son beau-pĂšre avec sa fille.
On dit dans la journĂ©e que le gĂ©nĂ©ral Bedeau avait Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© et
presque tué par les sergents de ville.... etc., etc. (2).
...J'ai été prendre quelques effets chez ma couturiÚre, et suis revenue
chez moi. Puis j'ai été dßner à six heures chez Thomas. AprÚs j'ai été
au Gymnase. Il y avait du monde sur les boulevards : partout ailleurs
pas la moindre apparence d'agitation. Pas un cri, pas un rassemble-
ment. On dit que le président s'est promené et le peuple aussi, qu'on a
crié : « Vive la république » et que la troupe n'a rien crié. Il sera difficile
d'Ă©crire l'histoire de ce jour, puisque aucun fait n'a pu ĂȘtre soumis au
contrÎle des divers journaux et qu'aucun n'a été libre de dire ce qui
se sait et ce qu'on en pense.
Au Gymnase, j'ai trouve trois cents personnes dans la salle ; Rose
consternée et pleurant le succÚs de la piÚce qui est déjà fini et oublié
(1) Ixively était le prénom de Mme Emmanuel Arago.
(2) Nous passons ici encore une page consacrée à répéter les bruits poli-
tiques qui couraient dans Paris.
GEORGE SAND 173
dans la bagarre. Je suis restée avec elle pendant qu'elle s'habillait
pour jouer Victorine devant les banquettes. J'ai ensuite causé avec
son mari, pendant presque tout le premier acte, dans sa loge...
Nous renvoyons le lecteur au volume des Souvenirs et idées
pour lire, dans les pages qui suivent, le résumé de la causerie
entre Mme Sand et Montigny, car on y verra quel chemin avait
fait Mme Sand depuis les jours oĂč elle « prĂȘchait la rĂ©publique »
Ă qui voulait ou ne voulait point l'entendre, jusqu'Ă ce soir oĂč
elle déclare « ne plus discuter, s'étant interdit la discussion et
commandé l'attention et l'examen », car, dit-elle :
Il ne s'agit plus d'enseigner sans prévoir. Il faut connaßtre, il faut
comprendre. Il faut voir le fait, étudier les hommes réels, et ne pas les
gĂȘner par la contradiction systĂ©matique. Autrement on les juge de travers
et on parle à des abstractions. Je suis si maßtresse de moi, à présent,
que rien ne m'indigne plus. Je regarde l'esprit de réaction comme X aveugle
fatalité qu'il faut vaincre par le temps et la patience. 0 hommes! vous
briserez mais vous ne convertirez pas, tant que la passion parlera sans
Ă©couter...
Un seul mot la frappe dans la bouche de Montigny, qui prédit
le triomphe final de la rouge et adresse, en la personne de
Mme Sand, la supplique que voici aux républicains : Soyez clé-
ments.
Puis Mme Sand continue Ă noter les impressions de cette
soirée :
... La foule était assez compacte, quand j'ai remonté dans ma petite
voiture de louage pour traverser le boulevard. Hors de lĂ , rien. Paris
un peu plus triste que de coutume, voilĂ tout.
J'ai passĂ© le reste de la soirĂ©e au coin de mon feu et lu jusqu'Ă
deux heures du matin l'Histoire d'Italie par Quinet. C'est beau. Mais
qu'on ht mal quand on a toujours l'oreille tendue aux bruits Ă©trangers
et sinistres de la nuit ; rien ! un silence de mort, d'imbécilité ou de ter-
reur. Tu ne bouges pas, vieux Jacques, tu as bien raison, ton heure
n'est pas venue. Te voilĂ bien bas, aussi bas que possible, c'est le
moment de songer à ton avenir, qui se résume dans cette parole : Sois
clément.
Mercredi 3 dĂ©cembre. â M'y voilĂ comme hier, Ă la mĂȘme heure,
dans la nuit du 3 au 4, seule au coin de mon feu, dans une chambre
i-4 GEORGE SAND
bien modeste, niais bien propre et assez chaude. Ah ! bien-ĂȘtre, que
tu es nécessaire à l'homme et qu'il est amer de penser que la plupart
des hommes mourront privĂ©s de tout ! En quoi ai-je mĂ©ritĂ© d'ĂȘtre tran-
quille dans ce coin avec les pieds chauds? Est-ce parce que j'ai beau-
coup travaillé? Et tous ceux qui travaillent dans le froid, dans la
misÚre, dans les larmes, en quoi ont-ils mérité leurs souffrances?
Quelle interminable journée ! J'ai été déjeuner comme k L'ordinaire
chez Thomas...
Nous ne suivrons pas plus loin Mme Sand dans le récit des
journées de décembre. Notre but a été de faire voir coinment et
quand ce journal fut Ă©crit et de noter certains faits et noms.
L'orage qui grondait en France avait, entre temps, foudroyé
la plupart des amis parisiens et berrichons de George SandL H ne
se passait presque pas de jour qu'elle n'apprĂźt l'arrestation-, la
violation de domicile, la déportation ou l'internement dans les
casemates de tel ou tel de ses amis ou connaissances. Des avo
cats, des notaires, des médecins et des typographes, d'humbles
vignerons et des fermiers, des artisans et des députés, des philo-
sophes et des travailleurs sachant Ă peine lire, et jusqu'Ă des
curés expiaient d'une maniÚre ou d'une autre leur adhésion au
parti vaincu. La panique et l'abattement régnaient presque
dans toutes les familles amies de George Sand. Le curé Liotard,
Fleury et Patureau-FrancĆur se cachaient ; Lebert, Luc Desages
et Pauline Roland Ă©taient condamnĂ©s Ă ĂȘtre internĂ©s en Afrique
ou Ă Cayenne; Aucante, Ernest PĂ©rigois, Fulbert Martin,
Alexandre Lambert et Lumet Ă©taient en prison ; Charles Leroux
et Greppo étaient menacés de déportation; Dufraisse, Borie.
Hetzei, Pierre Leroux, Louis Blane^ Lediu-Rollin, Millier Ă©taient
ou s'étaient exilés en Angleterre ou en Belgique. Des bruits com-
mencĂšrent Ă eĂŻrculer que George Sand elle-mĂȘme Ă©tait menacĂ©e
de prison, d'exil, voire mĂȘme de peine de mort, pour sa partici-
pation aux événements de 1848 et pour ses relations avec les
radicaux. Le 13 et le 14 janvier elle Ă©crivit Ă ce propos Ă ses
cousins de Villeneuve â qui avaient eu des craintes en 1848 et
s'étaient adressés à elle, la croyant alors au faßte du pouvoir, et
auxquels elle demandait maintenant si ce n'est protectioa, â
GEORGE SAND 175
du moins conseil, â Mme Apolline de Villeneuve qui avait tenu
sur 1©3 font- de baptĂȘme le hĂ©ros du jour Ă©tant Ă mĂȘme de
lui en donner un bon, â car maintenant c'Ă©tait George Sand
elle-mĂȘme qui croyait Ă la possibilitĂ© drun voyage Ă Lambessa
en compagnie de ses Ă©mules ; elle voulait donc ĂȘtre fixĂ©e sur son
sort et priait sa cousine de lui procurer un passeport pour aller
Ă Paris.
...Je puis ĂȘtre emmenĂ©e et transportĂ©e. Je ne veux pas fuir, pour ne
pas éveiller de soupçons injustes. Depuis trois ans, je puis jurer devant
Dieu que, sans perdre mon utopie qui, vous le savez, est chrétienne
et douce comme mes instincts, je n'ai pas remué un doigt contre la
société officielle. J'ai passé tout mon temps à faire de l'art, et à ramener
à la raison, à la patience, à la douceur les esprits exaltés que je venais
Ă rencontrer. Ceux que j'ai convertis, on les frappe, on les tue, et moi-
mĂȘme, que bien des gens traitaient de modĂ©rĂ©e et d'aristocrate, on
me menace aussi et on me serre de prĂšs. Je ne me plains de rien ; je
suis triste, mais non en colÚre : tout cela est pour moi la volonté de
Dieu, et j'accepte toutes les conséquences du courage que jTai montré...
Elle Ă©crit encore aux mĂȘmes correspondants :
Je n'ai pas eu de relations avec le prince depuis qu'il s'est échappé
de Ham. JJ. n'avait plus besoin de mes lettres pour le distraire et le
consoler. Plus il a été riche et puissant personnage, plus je me suis
éloignée ; mais je ne l'ai ni attaqué ni diffamé. Sollicitée de publier ses
lettres qui auraient prouvé un certain ehangement de conduite envers
les personnes, je les ai brûlées (1). Je ne veux ni protections, ni places
pour les miens, et mon fils, qui n'a rien voulu de la république, ne
désire qu'une chose aujourd'hui, c'est qu'on lui laisse sa mÚre.
J'ai donc Ă©crit au prince pour lui demander une audience dans
laquelle je lui exposerai ma conduite et lui demanderai franchement
s'il veut mTexiIer. Si c'est la transportation, c'est la mort Je suis dan-
gereusement malade du foie et je ne passerai pas la mer... Si je suis
condamnĂ©e Ă mort, moi, l'ĂȘtre le plus inoffensif de la terre, en pensĂ©es,
paroles et actions, moi, qui n'ai jamais fait la guerre qu'à des idées,
(1) Il est permis de douter de l'exactitude de cette derniÚre assertion»
quoique effectivement nous n'avons pu retrouver que les quatre ou cinq
lettres de Napoléon III, mais d'une part M. Armand Dayot avait, lors
de l'impression dans le Figaro des trois lettres que nous avons données
plus haut, déclaré que « cette correspondance paraßtrait un jour », et d'autre
part George Sand avait jadis cru et déclaré, aussi, « avoir brûlé » les lettres
d'Alfred de Musset â et elles ont paru !
i76 GEORGE SAND
moi qui ai rendu tous les services possibles Ă mes adversaires poli-
tiques, je me résignerai et j'enseignerai à mes enfants le courage-
George Sand put bientĂŽt se convaincre qu'elle n'avait rien Ă
craindre pour elle-mĂȘme, mais elle Ă©tait entourĂ©e de tant de
malheurs, elle voyait et elle entendait parler de tant de misĂšres,
d'injustices, de poursuites et de cruautés, qu'elle ne pouvait se
contenter de sa propre sécurité et rester tranquillement à Nohant.
S'Ă©tant donc munie d'un permis officiel, elle se rendit elle-mĂȘme
Ă Paris vers le 22 janvier. Nous soulignons cette date, parce que
dans la Correspondance on avait daté de « janvier » et de « Paris »
des lettres Ă©crites soit de Nohant au commencement de janvier,
soit de Paris en février. Grùce à cette confusion de dates et ces
« Paris » mis par erreur en tĂȘte des lettres dans la Correspondance,
nous lisons tout à coup, aprÚs une lettre datée de « Paris » et du
« 20 janvier », la lettre à Duvernet datée de « Nohant, 22 janvier »,
et annonçant à son ami qu'elle « va partir pour Paris » ! C'est
effectivement le 22 janvier qu'elle se rendit dans la capitale,
comme le prouvent les documents inédits suivants, retrouvés par
nous dans les papiers de George Sand, au milieu d'un grand
nombre de lettres, de demandes, de réponses officielles, de billets,
de petits mémoires se rapportant à 1852 et aux démarches de
George Sand en faveur des victimes du coup d'Ătat :
Paris, 15 janvier 52.
Madame,
M. le comte de Morny, ministre de l'Intérieur, m'a chargé de vous
faire savoir que rien ne s'oppose Ă ce que vous veniez Ă Paris pour y
soigner vos affaires d'intĂ©rĂȘt.
Je m'empresse de porter cette décision à votre connaissance et je
me félicite de l'occasion qui se présente pour vous faire agréer mes
hommages empressés.
P. Carlier (1).
ancien préfet de Police.
Mme George Sand.
(1) Pierre Carlier, né à Sens en 1799, mort en 1858, fut d'abord commer-
çant à Rouen, puis agent de change à Lyon. AprÚs 1830, il devint commis-
saire de police Ă Paris, dirigea plus tard la police municipale et se distingua
par la sévérité avec laquelle il réprimait les troubles de la rue. Nommé en 1849
GEORGE SAND 177
Cabinet
du
préfet de police.
â Paris, 21 janvier 1852.
Madame (1),
J'ai l'honneur de vous adresser ci-joint un permis de circuler destiné
Ă remplacer le passe-port que vous avez demandĂ© et qui ne peut ĂȘtre
délivré à cause de certaines formalités que l'absence de Mme Sand
ne permet pas de remplir. Veuillez, etc..
le secrétaire particulier,
G. Faujoux.
Cabinet
du
préfet de police. Paris, le 21 janvier 1852.
Laissez circuler librement de La ChĂątre Ă Paris Mme Sand.
le préfet de Police,
Al. Maupas.
Il n'est que trop Ă©vident que le 21 janvier George Sand n'Ă©tait
pas encore à Paris et les lignes de sa lettre à Duvernet, datée
du 22 janvier de Nohant, deviennent parfaitement claires :
Cher ami,
Je vais Ă Paris aprĂšs m'ĂȘtre assurĂ©e des intentions qu'on pouvait
avoir Ă mon Ă©gard. Elles sont rassurantes, on m'a mĂȘme expĂ©diĂ© un
laissez-passer signé Maupas. Je ne veux pas écrire le principal but de
mon voyage ; je te le dirai si je te vois auparavant ou au retour.
Mais tu peux le deviner. Si je ne réussis pas, je n'aurai du moins rien
empiré, et j'aurai fait mon devoir à mes risques et périls (2)...
La suite de cette lettre est consacrée à des détails relatifs au
payement d'une somme de mille francs empruntée par Mme Sand
préfet de police, il seconda avec beaucoup de zÚle la politique de Louis-
NapolĂ©on jusqu'Ă la veille du coup d'Ătat, et pourtant il rĂ©signa ses fonc-
tions peu de jours avant le 2 décembre dont il avait préparé le succÚs.
Membre de la Commission consultative il fut envoyé en province pour sonder
l'état politique des départements et, vers la fin de sa vie, nommé conseiller
d'Ătat.
(1) Cette lettre doit avoir été adressée à la comtesse Apolline de Ville-
neuve, femme du cousin de George Sand. (Voir notre vol. I, p. 195.)
(2) Correspondance, vol. III, p. 271.
IV. 12
17S GEORGE SAND
au beau-pĂšre de Duvernet (1), et elle explique ce qu'il faut faire
pour satisfaire ce dernier au cas oĂč elle serait exilĂ©e ou devrait rester
trop longtemps à Paris pour ses démarches. Or, il résulte de l'exa-
men des papiers de George Sand que cette somme fut empruntée
surtout pour pouvoir venir en aide aux proscrits politiques, et
avant tout Ă Fleury et Ă sa famille. Et ce voyage, dont Duvemet
devait deviner « le but principal », avait pour objectif non seu-
lement le désir d'éclaircir si, pour ses relations avec les radicaux,
Mme Sand avait quelque chose Ă craindre personnellement,
comme elle le disait Ă M. de Villeneuve, mais encore et surtout
celui d'essayer de voir son ex-correspondant de Ham et de tĂącher,
sinon de l'arrĂȘter sur la pente oĂč le poussaient les aventuriers du
genre d' « EugĂšne Rougon », empressĂ©s Ă pĂȘcher en eau trouble et
Ă parvenir, du moins d'arrĂȘter les « vengeances personnelles ».
...Je ne savais trop dans quelles dispositions je trouverais le prince,
â Ă©crit-elle encore Ă M. de Villeneuve le 31 janvier. â J'avais pris
le parti de lui écrire tout droit avec franchise II m'a répondu de sa
main par la petite poste, et hier j'ai été le voir. Il m'a pris les deux
mains et a écouté avec beaucoup d"émotion et de sympathie tout ce
que je lui ai dit des vengeances personnelles auxquelles la politique
servait de prétexte, dans ma province. Il m'a prié de lui demander,
pour mes amis, victimes de ces injustices, tout ce que je voudrais, et
m'a témoigné la plus grande estime pour mon caractÚre, bien que je
lui aie dit que j'étais aussi républicaine qu'il m'avait connue et que
je ne changerai jamais. Je n'ai pas voulu l'importuner de détails ; j.e
lui aï tout bonnement plaidé ramnistie. AprÚs quoi j'ai été trouver
le ministre de l'Intérieur que j'avais reçu autrefois chez moi, lorsqu'il
conspirait contre le prince. J'ai Ă©tĂ© accueillie de mĂȘme, et f ai obtenu
l'Ă©largissement de plusieurs de mes amis en attendant mieux. Vous
voyez que je notais ni folle, ni coupable de vouloir me préserver pour
sauver les autres et qu'il n'est pas nécessaire de commettre la lùcheté
de renier ses opinions pour ĂȘtre estimĂ©e des gens d'esprit.
Le ministre m'a dit que mon prĂ©fet Ă©tait une bĂȘte et un animal
d*avoir fait telle et telle chose...
Voici cette réponse de Napoléon, « envoyée par la petite poste »,
que nous avons eu la chance de retrouver dans les papiers de
(1) Mme Eugénie Duvernet était née Ducarteron.
GEORGE SAND 179
George Sand. Elle est écrite sur papier simple, à tranche dorée,
et porte la date du 22 janvier 1851 (sic!) ce qui est certainement
une erreur de l'auguste correspondant :
A George Sand.
Elysée national, le 22 janvier 1851 (1852).
Madame,
Je serai charmé de vous recevoir tel jour de la semaine prochaine
qu'il vous plaira de fixer, vers trois heures.
Recevez, madame, l'assurance de mes sentiments distingués.
Louis-Napoléon B.
En se rendant Ă cette premiĂšre entrevue avec le prince, dans
la crainte que, faute de temps et empĂȘchĂ©e par l'Ă©motion, elle
ne pût exprimer de vive voix tout ce qu'elle croyait nécessaire,
Mme Sand avait préparé une lettre afin de la remettre au prince,
espérant par sa plume faire appel aux bons sentiments de celui
qui lui avait paru d'abord ĂȘtre l'Ă©lu de la Providence et bientĂŽt
ne lui sembla qu'une victime des circonstances, mais non cette
espÚce de « traßtre » de mélodrame que les tribuns républicains,
ses amis, se plaisaient à décrire. Cette lettre imprimée dans le
wlume III de la Correspondance y porte la date problématique
du 20 janvier (1). Il nous semble que c'est le 30 qu'on devrait
lire, et le lecteur s'en convaincra bientĂŽt lui-mĂȘme.
Prince,
Je vous ai demandĂ© une audience ; mais, absorbĂ© comme vous FĂȘtes
par de grands travaux et d'immenses intĂ©rĂȘts, j'ai peu d'espoir d'ĂȘtre
exaucée...
Je ne suis pas Mme de Staël. Je n'ai ni son génie ni l'orgueil qu'elle
mit à lutter contre la double face du génie et de la puissance. Mon
ùme, phas brisée eu plus craintive, vient à vous sans ostentation et
sans raideur, sans hostilité secrÚte ; car, s'il en était ainsi, je m'exile-
xak moi-mĂȘme de votre prĂ©sence et n'irais pas vous conjurer de m' en-
tendre. Je viens pourtant faire auprÚs de vous une démarche bien
(1) -Correspondance, vol. III, p. 262.
iSo GEORGE SAND
hardie de ma part, mais je la fais avec un sentiment d'annihilation si
complĂšte, en ce qui me concerne, que, si vous n'en ĂȘtes pas touchĂ©,
vous ne pourrez pas en ĂȘtre oSensĂ©. Vous m'avez connue fiĂšre de ma
propre conscience, je n'ai jamais cru pouvoir l'ĂȘtre d'autre chose ;
mais, ici, ma conscience m'ordonne de fléchir...
Prince, ma famille est dispersée et jetée à tous les vents du ciel. Les
amis de mon enfance et de ma vieillesse, ceux qui furent mes frĂšres et
mes enfants d'adoption sont dans les cachots ou dans l'exil : votre
rigueur s'est appesantie sur tous ceux qui prennent, qui acceptent ou
qui subissent le titre de républicains socialistes.
Prince, vous connaissez trop mon respect des convenances humaines
pour craindre que je me fasse ici, auprĂšs de vous, l'avocat du socialisme
tel qu'on l'interprĂšte Ă certains points de vue. Je n'ai pas mission pour
le défendre, et je méconnaßtrais la bienveillance que vous m'accordez,
en m'Ă©coutant, si je traitais Ă fond un sujet si Ă©tendu, oĂč vous voyez
certainement aussi clair que moi. Je vous ai toujours regardé comme
un génie socialiste, et, le 2 décembre, aprÚs la stupeur d'un instant,
en présence de ce dernier lambeau de société républicaine foulé aux
pieds de la conquĂȘte, mon premier cri a Ă©tĂ© : « 0 Barbes, voilĂ la souve-
rainetĂ© du but ! Je ne l'acceptais pas mĂȘme dans ta bouche austĂšre ;
mais voilĂ que Dieu te donne raison et qu'il l'impose Ă la France,
comme sa derniĂšre chance de salut, au milieu de la corruption des
esprits et de la confusion des idées. Je ne me sens pas la force de m'en
faire l'apÎtre ; mais, pénétrée d'une confiance religieuse, je croirais
faire un crime en jetant dans cette vaste acclamation un cri de reproche
contre le ciel, contre la nation, contre l'homme que Dieu suscite et
que le peuple accepte. » Eh bien, Prince, ce que je disais dans mon
coeur, ce que je disais et Ă©crivais Ă tous les miens, il vous importe peu
de le savoir sans doute...
Au milieu de l'oubli oĂč j'ai cru convenable pour vous de laisser
tomber vos souvenirs, peut-ĂȘtre surnage-t-il un dĂ©bris que je puis
invoquer encore : l'estime que vous accordiez Ă mon caractĂšre et que
je me flatte d'avoir justifié depuis par ma réserve et mon silence. Si
vous n'acceptez pas en moi ce qu'on appelle mes opinions, du moins,
je suis certaine que vous ne regrettez pas d'avoir cru Ă la droiture, au
dĂ©sintĂ©ressement de mon cĆur. Eh bien, j'invoque cette confiance
qui m'a Ă©tĂ© douce, qui vous l'a Ă©tĂ© aussi dans vos heures de rĂȘveries
solitaires ; car on est heureux de croire, et peut-ĂȘtre regrettez-vous
aujourd'hui votre prison de Ham, oĂč vous n'Ă©tiez pas Ă mĂȘme de con-
naĂźtre les hommes tels qu'ils sont. J'ose donc vous dire : Croyez-moi,
Prince, ĂŽtez-moi votre indulgence si vous voulez, mais croyez-moi,
votre main armée, aprÚs avoir brisé les résistances ouvertes, frappe en
ce moment, par une foule d'arrestations préventives, sur des résis-
GEORGE SAND 1S1
tances intérieures inoffensives, qui n'attendaient qu'un jour de calme
ou de liberté pour se laisser vaincre moralement. Et croyez, prince,
que ceux qui sont assez honnĂȘtes, assez purs pour dire : « Qu'importe
que le bien arrive par celui que nous ne voulions pas? pourvu qu'il
arrive, béni soit-il ! » c'est la portion la plus saine et la plus morale
des partis vaincus ; c'est peut-ĂȘtre l'appui le plus ferme que vous puis-
siez vouloir pour votre Ćuvre future. Combien y a-t-il d'hommes
capables d'aimer le bien pour lui-mĂȘme, et heureux de lui sacrifier leur
personnalitĂ© si elle fait obstacle apparent? Eh bien, ce sont ceux-lĂ
qu'on inquiĂšte et qu'on emprisonne sous l'accusation flĂ©trissante â ce
sont les propres termes des mandats d'arrĂȘt â « d'avoir poussĂ© leurs
concitoyens à commettre des crimes ». Les uns furent étourdis, stupé-
faits de cette accusation inouĂŻe ; les autres vont se livrer d'eux-mĂȘmes,
demandant Ă ĂȘtre publiquement justifiĂ©s. Mais oĂč la rigueur s'arrĂȘtera-
t-elle? Tous les jours, dans les temps d'agitation et de colĂšre, il se
commet de fatales méprises ; je ne veux en citer aucune, me plaindre
d'aucun fait particulier, encore moins faire des catégories d'innocents
et de coupables ; je m'Ă©lĂšve plus haut, et, subissant mes douleurs per-
sonnelles, je viens mettre Ă vos pieds toutes les douleurs que je sens
vibrer dans mon cĆur, et qui sont celles de tous. Et je vous dis : les
prisons et l'exil vous rendraient des forces vitales pour la France;
vous le voulez, vous le voudrez bien certainement, mais vous ne le
voulez pas tout de suite. Ici, une raison, toute de fait, une raison poli-
tique vous arrĂȘte : vous jugez que la terreur et le dĂ©sespoir doivent
planer quelque temps sur les vaincus, et vous laissez frapper en vous
voilant la face. Prince, je ne me permettrai pas de discuter avec vous
une question politique, ce serait ridicule de ma part ; mais, du fond de
mon ignorance et de mon impuissance, je crie vers vous, le cĆur sai-
gnant et les yeux pleins de larmes : « Assez, assez, vainqueur, épargne
les forts comme les faibles, Ă©pargne les femmes qui pleurent comme
les hommes qui ne pleurent pas ; sois doux et humain, puisque tu en
as envie. Tant d'ĂȘtres innocents ou malheureux en ont besoin! Ah!
prince, le mot « déportation », cette peine mystérieuse, cet exil éternel
sous un ciel inconnu, elle n'est pas de votre invention ; si vous saviez
comme elle consterne les plus calmes et les hommes les plus indiffé-
rents. La proscription hors du territoire n'amĂšnera-t-elle pas peut-
ĂȘtre une fureur contagieuse d'Ă©migration et que vous serez forcĂ© de
rĂ©primer? Et la prison prĂ©ventive, oĂč Ton jette des malades, des mori-
bonds, oĂč les prisonniers sont entassĂ©s maintenant sur la paille, dans
un air méphitique, et pourtant glacés de froid? Et les inquiétudes
des mĂšres et des filles qui ne comprennent rien Ă la raison d'Ătat, et
la stupeur des ouvriers paisibles, des paysans, qui disent : « Est-ce
qu'on met en prison des gens qui n'ont ni tué ni volé? Nous irons
i82 GEORGE S'AN-D
donc tous? Et cependant, nous Ă©tions bien contents quand nous avons
voté pour lui. »
Ah ! prince, mon cher prince d'autrefois, Ă©coutez l'homme qui est
en vous, qui est vous et qui ne pourra jamais se réduire, pour gou-
verner, Ă l'Ă©tat d'abstraction. La politique fait de grandes choses
sans doute ; mais le cĆur seul fait des miracles. Ăcoutez le vĂŽtre qui
saigne déjà ...
Vous avez voulu résumer en vous la France, vous avez assumé ses
destinées, et vous voilà responsable de son ùme bien plus que de son
corps devant Dieu. Vous l'avez pu, vous seul le pouvez ; il y a long-
temps que je l'ai prévu, que j'en ai la certitude, et que je vous l'ai
prĂ©dit Ă vous-mĂȘme lorsque peu de gens y croyaient en France. Les
hommes à qui je le disais alors répondaient :
â Tant pis pour nous ! Nous ne pourrons pas l'y aider, et, s'il fait
le bien, nous n'aurons ni le plaisir ni l'honneur d'y contribuer. N'im-
porte ! ajoutaient -ils, que le bien se fasse, et qu'aprĂšs, l'homme soit
glorifié !
Ceux qui me disaient cela, prince, ceux qui sont encore prĂȘts Ă le
dire, il en est qu'en votre nom, on traite aujourd'hui en ennemis et
en suspects. Il en est d'autres moins résignés sans doute, moins désin-
tĂ©ressĂ©s peut-ĂȘtre, il en est probablement d'aigris et d'irritĂ©s, qui,
s'ils me voyaient en ce moment implorer grĂące pour tous, me renie-
raient un peu durement. Qu'importe à vous, qui, par la clémence,
pouvez vous Ă©lever au-dessus de tout ! Qu'importe Ă moi qui veux
bien, par le dévouement, m' humilier à la place de tous ! Ce serait de
ceux-là que vous seriez le plus vengé si vous les forciez d'accepter la
vie et la liberté, au Heu de leur permettre de se proclamer martyrs de
la cause. Est-ce que ceux qui vont périr à Cayenne ou dans la traversée
ne laisseront pas un nom dans l'histoire, Ă quelque point de vue qu'on
les accepte? Si, rappelés par vous par un acte non de pitié mais de
volonté, ils devenaient inquiétants (ces trois ou quatre mille, dit-on)
pour l'Ă©lu de cinq millions, qui blĂąmerait alors votre logique de les
vouloir réduire à l'impuissance? Au moins, dans cette heure de répit
que vous auriez donnée à la souffrance, vous auriez appris à connaßtre
les hommes qui aiment assez le peuple pour s'annihiler devant l'expres-
sion de sa confiance et de sa volonté.
Amnistie ! amnistie bientĂŽt, mon prince ! Si vous ne m'Ă©coutcz pas,
qu'importe pour moi que j'aie fait un suprĂȘme effort avant de mourir?
Mais il me semble que je n'aurai pas déplu à Dieu, que je n'aurai pas
avili en moi la liberté humaine, et surtout que je n'aurai pas démérité
de votre estime, Ă laquelle je tiens beaucoup plus qu'Ă des jours et Ă
une fin tranquilles. Prince, j'aurais pu fuir Ă l'Ă©tranger, lorsqu'un
mandat d'amener a été lancé contre moi, on peut toujours fuir;
GEORGE SAND 183
j'aurais pu imprimer cette lettre en factura pour vous faire des ennemis,
au cas oĂč elle ne serait pas mĂȘme lue par vous. Mais, quoi qu'il en
arrive, je ne le ferai pas. H y a des choses sacrées pour moi, et, en vous
demandant une entrevue, en allant vers vous avec espoir et confiance,
j'ai dĂ», pour ĂȘtre loyale et satisfaite de moi-mĂȘme, brĂ»ler mes vais-
seaux derriĂšre moi et me mettre entiĂšrement Ă la merci de votre
volonté.
George Sand.
L'entrevue avec Napoléon avait dû produire une impression
favorable sur la grande romanciÚre, elle crut à la sincérité de ses
intentions, â Ă en juger par plusieurs lettres Ă ses amis dont nous
donnons plus loin des fragments considĂ©rables, â et Ă partir de
ce jour elle se mit bravement à intercéder en faveur des républi-
cains poursuivis. AprĂšs cette premiĂšre audience obtenue, elle
fit une visite Ă de Persigny, â ce qui eut lieu probablement
dans les derniers jours de janvier â le 30 ou le 31. Elle Ă©crivit
plusieurs fois soit directement Ă M. de Persigny, soit au chef de
son cabinet, puis elle envoya plusieurs lettres à Napolécn lui
demandant encore audience. Nous devons avouer que c'est avec
une acirniration vraie que nous avons lu et relu les pages de
George Sand adressées au ministre, à son chef de cabinet, de
nouveau Ă NapolĂ©on, au prince JĂ©rĂŽme, et enfin celles oĂč elle
raconte Ă des amis ses entrevues et ses conversations avec tout
ce monde. Sa maniĂšre d'ĂȘtre, ses paroles, ses lettres sont
empreintes du dĂ©sir d'ĂȘtre secourable Ă ses amis. Elle ssit Ă©lo-
quemment toucher, implorer, et cela avec la sincérité et la fran-
chise les plus parfaites, reconnaissant que ni elle ni ses amis ne
renient leurs opinions, qu'elle demeure, comme eux, au fond
hostile à Napoléon et à sa politique. Elle écrit à Duvernet :
Paris, 30 janvier 1852.
J'agis, je cours. Ăa va bien. J'ai Ă©tĂ© reçue on ne peut mieux, et des
poignées de main de cette dame en veux-tu en voilà ! Demain, je tùcherai
de faire régler l'affaire. Le Gaulois (1) et autres de là -bas me désavouent,
me dĂ©fendent de les nommer. Sont-ils bĂȘtes de craindre quelque bĂȘtise
(1) Alphonse Fleury.
i84 GEORGE SAND
de ma part ! Mais, fichtre, qu'ils parlent pour eux ! Il y en a bien d'au-
tres qui ne seront pas fùchés de revenir coucher dans leur lit, ne fût-ce
que le Vigneron...
Nous avons retrouvé dans les papiers de Mme Sand la trÚs
intéressante réponse du secrétaire de M. de Persigny, M. Cavet,
Ă©crite au nom du ministre.
Cabinet
du
ministre de l'intérieur.
â Paris, 1" fĂ©vrier 1852.
Madame,
M. de Persigny, sensible Ă l'aimable et bonne lettre que vous voulez
bien lui écrire en date du 31 décembre (sic!), me charge de vous remer-
cier et d'avoir l'honneur de vous dire que votre maire sera accueilli
comme il le mérite et que, quant aux recommandations que vous aviez
faites précédemment en faveur de quelques détenus, les papiers se
sont égarés, ce qui arrive quelquefois ici ; ayez donc la bonté d'écrire
de nouveau, madame, et pour plus de sûreté, veuillez m'adresser la
lettre.
Daignez agréer, madame, l'assurance de mon respect.
Cavet.
H est trĂšs curieux de rapprocher cette lettre de M. Cavet avec
une lettre, retrouvĂ©e dans le mĂȘme paquet des papiers de George
Sand et Ă©crite par ce mĂȘme « maire » â M. Aulard â auquel la
précédente missive fait allusion. C'est à son nom encore (soit dit
entre parenthÚses) que Mme Sand avait prié la comtesse de Ville-
neuve de lui rĂ©pondre au moment oĂč elle lui demandait le laissez-
passer pour aller Ă Paris :
Madame et bien chĂšre bienfaitrice.
Je m'empresse de vous écrire à mon arrivée à Nohant pour vous
faire part de mon entrevue avec M. le préfet. M. Cavet a parfaitement
(1) Correspondance, vol. III, p. 273.
(2) Jean-Gilbert- Victor Fialin, comte (plus tard duc) de Persigny, né en
1808, mort Ă Nice en 1872, homme politique et intime ami de Louis-Napo-
léon, fut d'abord militaire, légitimiste, puis républicain et enfin bonarpar-
tiste, partisan dévoué de Napoléon et favori omnipotent. Il fut nommé
ministre de 1! Intérieur le 22 janvier 1862.
GEORGE SAND 185
rempli son engagement en adressant Ă M. Berger les instructions con-
cernant nos malheureux compatriotes.
J'ai la douleur de vous annoncer que M. le préfet engagé dans une
voie funeste par les suggestions de quelques renégats, au nombre
desquels on compte, m'a-t-on dit, M. Delauche-PĂ©juge ancien fonda-
teur de VEclaireur, a cru devoir résister aux prescriptions qui lui ont
été transmises et a fait parvenir au ministre de l'Intérieur un rapport
rédigé, assure-t-on, dans des termes qui sont de nature à aggraver la
position de nos amis, déjà tristes victimes d'un zÚle mal entendu et
outré.
M. le prĂ©fet, dont j'ai cru le cĆur sympathique aux inspirations du
mien et dont j'honorais les bienveillantes tendances, m'a fait Ă©prouver
le plus vif chagrin, en me disant : « M. Fleury s'est échappé, n'en
parlons plus ; M. PĂ©rigois n'est qu'une canaille ; M. Aucante n'a que
de sales antécédents ; etc., etc. C'est sans doute par suite de votre
entrevue avec M. Cavet que j'ai reçu une lettre de lui », etc., etc..
La présence de M. Moreau, conseiller de préfecture, et d'une autre
personne Ă moi inconnue, gĂȘnait mon franc-parler et je n'ai pu que
dire :
â Monsieur le prĂ©fet, il n'y a de sales antĂ©cĂ©dents chez aucun de
mes compatriotes en prévention et j'ignore complÚtement à quoi vous
voulez en venir.
â Assez, assez, monsieur le maire, a-t-il rĂ©pondu, je sais mon
monde et je sais Ă quoi m'en tenir, je connais maintenant la place.
â Mais monsieur...
â Assez, vous dis-je, il n'y a rien Ă espĂ©rer de ces gens-lĂ et vous ne
m'en conterez point.
Désespéré et aprÚs avoir essuyé quelques lazzi à propos de notre
église monumentale qui ne serait point élevée si nous avions eu le
bonheur de posséder plus tÎt M. Berger, j'ai dû prendre congé et je me
suis retiré froid et silencieux.
Je ne crois point l'ùme de M. Berger fermée aux émotions de la sen-
sibilitĂ© ; je le crois honnĂȘte homme et il m'est pĂ©nible de le voir ne
point résister aux influences d'hommes passionnés qui abusent de sa
crédulité.
Il y a toujours de la noblesse Ă pardonner aux coupables, quand il y
en a ; mais Ă ChĂąteauroux cette noblesse est inconnue et on se plait Ă
salir mĂȘme l'innocence.
Dieu inspirera le cĆur de M. le prĂ©sident, comme il inspire le vĂŽtre,
et vos nouvelles, je puis dire, pieuses sollicitations, mettront à néant
les efforts d'une coterie indigne d'avoir accĂšs auprĂšs du premier magis-
trat de la république.
Toujours prĂȘt Ă vous seconder dans les actes de bontĂ© et de justice
iS6 GEORGE SAND
dont vous savez si bien prendre l'initiative, permettez-moi, madame
et chĂšre bienfaitrice, de vous offrir rhomniage de votre vieil ami
Aulard.
P.-S. â Un million d'amitiĂ©s Ă Manceau, Maurice, Lambert... Le
personnel du chĂąteau se porte Ă merveille et me charge d'ĂȘtre son
interprĂšte auprĂšs de sa bonne maĂźtresse...
Nous voyons en outre par cette lettre que Maurice et Manceau
avaient suivi George Sand Ă Paris ; et, effectivement, entre jan-
vier et avril, nous n'avons pas une seule lettre de Mme Sand Ă
son fils (1).
Peu aprĂšs, George Sand adressa la lettre suivante Ă M. Maupas,
alors préfet de Police (2) :
Paris, 1er février 1852.
Monsieur,
Ayez l'obligeance de vouloir bien rappeler Ă M. de Persigny que je
lui ai demandĂ© l'Ă©largissement des personnes arrĂȘtĂ©es ou poursuivies
à La Chùtre. Elles sont trois : M. Fleury, ex-représentant, absent ;
M. PĂ©rigois et M. Emile Aucante, prisonniers. Je demande l'abandon
de l'instruction commencée contre elles, et je la demande comme un
acte de justice, puisque je puis rĂ©pondre sur ma tĂȘte de ces trois per-
sonnes, comme n'ayant en rien justifié les soupçons formulés contre
elles.
J'ai nommé aussi M. Lebert, notaire, compromis plus sérieusement
et coupable, selon l'acte d'accusation, d'avoir rassemblé les habitants
de sa commune avec l'intention de les insurger. Je puis encore répondre
des intentions de M. Lebert, homme d'ordre, de science et de haute
moralitĂ©. Il a eu la rĂ©solution d'empĂȘcher des actes de violence et de
protéger, par son influence et sa fermeté, la propriété et les personnes
que menaçait l'insurrection annoncée des communes voisines. Si
j'avais été à sa place, j'en eusse fait autant, et je suis trÚs peu partisan
des insurrections de paysans.
Voilà ce que j'ai demandé à M. le ministre, non comme une faveur
(1) George Sand écrit à son cousin René de Villeneuve, le 31 janvier : « Je
vis cachĂ©e, afin de pouvoir travailler et suis censĂ©e ĂȘtre repartie pour la
campagne. »
(2) Dans la Correspondance, vol. III, p. 274, cette lettre est adressĂ©e « Ă
M. le chef du cabinet du ministre de l'Intérieur ».
GEORGE SAND 1*7
du gouvernement que mes amis ne m'ont point autorisée à accepter,
mais comme un acte de justice dont ma conscience peut attester la
nécessité morale. Mais, pour moir si je dois accepter cet acte de justice
politique comme une faveur personnelle de M. de Persigny, oh ! je ne
demande pas mieux, et c'est de tout mon cĆur que je lui en serai per-
sonnellement reconnaissante, ainsi qu'Ă vous, monsieur, qui voudrez
bien joindre votre voix Ă la mienne, j'en suis certaine.
Heureuse d'obtenir de sa confiance en ma parole l'Ă©largissement de
mes plus proches voisins, je n'ai pourtant pas renoncé à plaider auprÚs
de lui la cause de mon département tout entier. C'est dans ce but que
je me suis permis de l'importuner de ma parole, toujours trĂšs gauche et
trÚs embarrassée. Priez-le, monsieur, de se souvenir qu'au milieu de
mon gùchis naturel, je lui ai posé une question à laquelle il a répondu
en homme de cĆur et d'intelligence : Poursuivez-vous la pensĂ©e? â
Non, certes.
Eh bien, parmi les nombreux prisonniers qui sont détenus à Chù-
teauroux et Ă Issoudun, plusieurs peut-ĂȘtre ont eu la pensĂ©e de prendre
les armes pour défendre l'Assemblée. Je ne sais pas si elle en valait
beaucoup la peine ; mais enfin c'Ă©tait une conviction sincĂšre de leur
part, et, avant que la France se fût prononcée d'une maniÚre imposante
pour l'autorité absolue, le gouvernement pouvait considérer ceci
comme une lutte ardente Ă soutenir, mais non comme un crime Ă
chùtier de sang-froid. La lutte a cessé ; le gouvernement, à mesure
qu'il s'éclairera sur ce qui s'est passé en France depuis les journées
de décembre, aura horreur des vengeances personnelles auxquelles la
politique a servi de prétexte, et reconnaßtra qu'il est perdu dans
l'opinion s'il ne les rĂ©prime. Il reconnaĂźtra aussi que, lĂ oĂč ces ven-
geances se sont exercées, elles ont eu un double but, celui de satisfaire
de vieilles haines et celui de rendre impossible un gouvernement
qu'elles trahissaient en feignant de le servir. Je ne nommerai jamais
personne Ă M. de Persigny ; mais il s'Ă©clairera et verra bien.
En attendant, M. le ministre m'a dit qu'il ne punissait pas la pensée,
et je prends acte de cette bonne parole, qui m'a Îté tout le scrupule
avec lequel je l'abordais. Je ne sais pas douter d'une bonne parole, et
c'est dans cette confiance que je lui dis que personne n'est coupable
dans le département de l'Indre. Initiée naturellement, par mes opi-
nions et la confiance que l'on m'accorde, à toutes les démarches des
républicains, je sais qu'on s'est réuni, en petit nombre, qu'on s'est
consulté, qu'on a attendu les nouvelles de Paris, et qu'à celle de l'abs-
tention volontaire du peuple, chacun s'est retiré chez soi en silence.
Je sais que, partie de Paris au milieu du combat, je suis venue dire Ă
mes amis : « Le peuple accepte, nous devons accepter ! »
Je ne m'attendais guĂšre Ă les voir arrĂȘtĂ©s par rĂ©flexion quinze jours
iSS GEORGE SAND
aprÚs, et, parmi eux, ceux de La Chùtre, qui n'avaient été à aucune
rĂ©union, attendant mon retour, peut-ĂȘtre, pour savoir la vĂ©ritĂ©.
S'il en Ă©tait autrement, si ce que je dis lĂ n'Ă©tait pas vrai, je n'aurais
pas quittĂ© ma retraite, oĂč personne ne m'inquiĂ©tait, et mon travail
littéraire, qui me plaßt et m'occupe beaucoup plus que la politique,
pour venir faire à M. le président et à son ministre un conte perfide et
lĂąche. Je me serais tenue en silence dans mon coin, me disant que la
guerre est la guerre, et que qui va Ă la bataille doit accepter la mort
ou la captivité. Mais, en présence d'injustices si criantes, ma cons-
cience s'est rĂ©voltĂ©e, je me suis demandĂ© s'il Ă©tait honnĂȘte de se dire :
a Tant mieux que la réaction soit odieuse, tant mieux que le gouverne-
ment soit coupable ; on le haĂŻra d'autant plus, on le renversera* d'au-
tant mieux ! » Non ! j'ai horreur de ce raisonnement, et s'il est poli-
tique, alors je n'entends rien à la politique et je ne suis pas née pour
y jamais rien comprendre.
Non, il n'est pas possible de se réjouir de cela et d'y applaudir dans
son coin. En souhaitant que nos adversaires politiques soient le moins
coupables envers nous, je crois ĂȘtre plus rĂ©publicaine, plus socialiste
que jamais.
M. de Persigny chargé de la noble mission de réparer, de consoler,
d'apaiser, et joyeux d'en ĂȘtre chargĂ©, j'en suis certaine, apprĂ©ciera
mon sentiment et ne voudra pas que son nom, celui du prince auquel
il a dévoué sa vie, soient le drapeau dont les légitimistes et les orléa-
nistes (sans parler des ambitieux qui appartiennent Ă tous les pou-
voirs) se servent pour effrayer les provinces, par l'insolent triomphe
des plus mauvaises passions.
Voilà mon plaidoyer, monsieur ; je suis un avocat si peu exercé, et
la crainte d'ennuyer et d'importuner est si grande chez moi, que je
n'ose pas l'adresser Ă M. le ministre. Mais, comme c'est la premiĂšre
fois, la derniĂšre fois, j'espĂšre, que je vous importune, vous, monsieur,
je vous demande en grùce de le résumer pour le lui présenter. U sera
plus clair et plus convaincant dans votre bouche.
Qui sait si je ne pourrai pas vous rendre un jour mĂȘme service de
cĆur et de conviction.
Les destins et les flots sont changeants. J'ai passé bien des heures
en mars et en avril 1848, dans le cabinet oĂč M. de Persigny m'a fait
l'honneur de me recevoir. J'y allais faire pour le parti qui nous a ren-
versé ce que je fais aujourd'hui pour celui qui succombe. J'y ai plaidé
et prié souvent, non pour faire ouvrir des prisons, elles étaient vides,
mais pour conserver des positions acquises, pour modérer des oppo-
sitions obstinĂ©es mais inutiles, pour protĂ©ger des intĂ©rĂȘts non menacĂ©s,
mais effrayés.
J'y ai demandé et obtenu bien des aumÎnes pour des gens qui
GEORGE SAND 189
m'avaient calomniée et persécutée. Je ne suis pas dégoûtée de mon
devoir, qui est, avant tout, je crois, de prier les forts pour les faibles,
les vainqueurs pour les vaincus, quels qu'ils soient et dans quelque
camp que je me trouve moi-mĂȘme.
Agréez... etc., etc.
A S. A. le prince Napoléon (JérÎme) (1). A Paris.
Paris, 2 février 1852.
Cher prince,
Le comte d'Orsay, qui est si bon, et qui cherche toujours ce qu'il
peut annoncer d'agréable à ses amis, me dit aujourd'hui que vous
avez de la sympathie, presque de l'amitié pour moi.
Rien ne peut me faire plus de bien ; outre que je venais de lui dire
que j'avais pour vous, et tout Ă fait ces sentiments lĂ , je sens en vous
un appui sincÚre et dévoué pour ceux qui souffrent de l'affreuse inter-
prétation donnée, par certains agents, aux intentions du pouvoir.
J'espÚre que vous pourrez obtenir la réparation de bien des erreurs,
de bien des injustices, et je sais que vous le voulez. Ah ! mon Dieu,
comme il y a peu d'entrailles aujourd'hui ! Vous en avez, vous, et
vous en donnerez Ă ceux qui en manquent.
Vous ĂȘtes venu aujourd'hui pendant que j'Ă©tais chez M. d'Orsay;
il m'a annoncé votre visite, je suis vite revenue chez moi, il était trop
tard. Vous aviez fait espérer que vous reviendriez à six heures, mais
vous n'avez pu revenir. J'en suis doublement désolée, et pour moi, et
pour mes pauvres prisonniers de l'Indre, que je voudrais tant vous
faire sauver. M. d'Orsay m'a dit que vous le pouviez, que vous aviez
de l'autorité sur M. de Persigny. Je dois dire que M. de Persigny a été
fort bon pour moi, et m'a offert des grĂąces particuliĂšres pour ceux de
mes amis que je voudrais lui nommer. M. le président m'avait dit la
mĂȘme chose. Mes amis m'avaient tellement dĂ©fendu de les nommer,
que j'ai dû refuser les bontés de M. le président (2).
M. de Persigny, avec qui je pouvais me mettre plus Ă l'aise, ayant
insisté, et me faisant écrire aujourd'hui pour ce fait, je crois pouvoir,
sans compromettre personne, accepter sa bonne volonté comme per-
sonnelle Ă moi. Si cela est humiliant pour quelqu'un, c'est donc pour
moi seule, et j'accepte l'humiliation sans faux orgueil, voire avec un
(1) Correspondance, vol. III, p. 279.
(2) Nous avons retrouvé dans les papiers de George Sand une lettre sans
signature, mais qui porte écrit de la main de George Sand : « De la part du
Gaubis. » L'auteur de cette lettre annonce à sa correspondante qu'il (Fleury )
lui défend de faire des démarches pour lui et ses amis.
i9o GEORGE SAND
sentiment de gratitude sincĂšre, sans lequel il me semble que je serais
déloyale. J'ai donc écrit plusieurs noms, et je compte sur l'effet des
promesses ; mais mon but eût été d'obtenir pleine amnistie pour tons
les détenus et prévenus du département de l'Indre ; c'est d'autant
plus facile qu'il n'y a eu aucun fait d'insurrection, que toutes les arres-
tations sont préventives et qu'aucune condamnation n'a encore été
prononcĂ©e. H ne s'agit donc que d'ouvrir les prisons, conformĂ©ment Ă
la circulaire ministérielle, à tous ceux qui sont peu compromis, et
de faire rendre un arrĂȘt de non-lieu, ou suspendre toute poursuite
contre ceux qui sont un peu plus soupçonnés. Un mot du ministre
au préfet en déciderait.
Les tribunaux, s'ils sont saisis de ces affaires que j'ignore, sont
d'aveugles esclaves.
M. de Persigny ne pouvait guĂšre me promettre cela Ă moi ; mais
vous pourriez le demander avec insistance, et vous l'obtiendriez cer-
tainement.
Je n'ai pas besoin de vous dire que mon cĆur en sera pĂ©nĂ©trĂ© de
reconnaissance et d'affection. C'est le vĂŽtre qui plaidera en vous-mĂȘme
beaucoup mieux que moi.
Vous avez dit chez moi que vous partiez pour la campagne ; j'espĂšre
que ma lettre vous y parviendra et que vous Ă©crirez au ministre ; vous
le verrez aussi, Ă votre retour, n'est-ce pas, prince? et j'apprendrai
aux habitants de mon Berry qu'il faut vous aimer, comme je vous aime
moi, avec un cĆur qui a l'Ăąge maternel, c'est-Ă -dire celui des meil-
leures affeetions.
George Sand.
La lettre au prince JérÎme, insérée dans la Correspondance
à la page 260, est inexactement datée du 3 janvier, comme si elle
avait été écrite un mais avant celle-ci (1). Or, Solange Clesinger,
trÚs liée alors avec le comte d'Orsay, avait prévenu le prince
JĂ©rĂŽme â ami du comte d'Orsay, â que sa mĂšre serait heureuse
de faire sa connaissance. « Le 28 janvier le prince en remercie
Mme Sand, il vint lui faire une visite le 2 février et le 3 février
il déjeuna chez elle. » C'est de cette visite du 2 février -que
George Sand parle en disant : « Vous ĂȘtes venu aujourd'hui n
et en le priant de revenir encore une fois chez « la pauvre vieille
(1) C'est aussi une erreur que la dafce du 14 janvier en tĂȘte d'une lettre
publiée dans la Revue des Deux Mondes lors de l'impression de la Corres-
pondance de George Sand avec le prince JĂ©rĂŽme.
GEORGE SAND 191
malade ». Le 2 fĂ©vrier, il Ă©tait venu au moment oĂč elle avait Ă©tĂ©
voir d'Orsay, et le 3 février, alors qu'il déjeunait chez elle,
d'Orsay envoya Ă Mme Sand le mot suivant :
ChĂšre Madame Sand (1),
Votre lettre est arrivée à temps, j'ai rencontré hier Napoléon qui
doit partir pour Londres aujourd'hui oĂč il ne doit rester que quatre
ou cinq jours. Je lui ai écrit ce matin, il a reçu votre lettre au saut du
lit, et je suis convaincu qu'il fera ce que je lui ai demandé, c'était
d'aller voir Persigny avant son départ.
Vous avez bien raison de m'aimer car je vous aime autant que je
vous admire, c'est tout dire.
Votre trĂšs sincĂšre,
d'Orsay.
3 février 1852.
Immédiatement aprÚs ces deux lettres au prince, George Sand
en Ă©crivit une Ă M. de Persigny.
Monsieur,
Le prince Napoléon Bonaparte me dit de votre part que vous
admettrez ma demande pour plusieurs détenus de mon département.
J'y comptais -bien, puisque vous avez voulu m'entendre vous parler
en leur faveur. Sur le conseil du prince, je vous envoie de nouveau
les noms de ceux auxquels je m'intéresse particuliÚrement et dont je
vous ai déjà désigné quelques-uns que vous avez acceptés généreuse-
ment. Mais le prince veut que ses efforts aient servi aussi Ă ma satis-
faction et qu'en son nom j'obtienne de vous encore quelques Ă©largis-
sements. H me dit : « Osez, M. de Persigny est bon, il ne voudrait pas
me laisser croire que je suis absolument impuissant Ă seconder les vues
gĂ©nĂ©reuses qu'il a Ă©mises lui-mĂȘme. » Je vous ai demandĂ© d'ĂȘtre impar-
tial et juste et de ne pas regarder la pensée comme un attentat. Mais
si vous vouliez n'ĂȘtre que bon pour moi, j'accepterais encore avec
beaucoup de reconnaissance et ^e toute la sincĂ©ritĂ© d'un cĆur qui a
bonne mémoire du bien.
George Sand.
Paris, 3 février 1852. Rue Racine, 3.
Déjà désignés : Emile Aucante, Alphonse Fleury, Ernest Périgois,
Fulbert Martin, Lebert (notaire) de La ChĂątre.
(1) Lettre inédite, trouvée dans les papiers de George Sand.
i92 GEORGE SAND
Patureau-Francour, vigneron Ă ChĂąteauroux (bonhomme dont
quelques fous voulaient faire un président de la république). Al-
phonse {sic!) Lambert (mourant).
Desmousseaux de Ch[Ăąteauroux], Valette charpentier Ă Ch[Ăąteau-
roux] (suspect pour avoir refusé de dresser la guillotine pour un cri-
minel, six mois avant les événements, peu ou point républicain que je
sache), Lumet, vigneron Ă Issoudun.
A cette mĂȘme date elle envoyait aussi sa seconde lettre (1)
au prince président :
Paris, 3 février 1852.
Prince,
Dans une entrevue oĂč l'embarras et l'Ă©motion m'ont rendue plus
prolixe que je ne me l'étais imposé, j'ai obtenu de vous des paroles
de bonté qu'on n'oublie pa^. Vous avez bien voulu me dire : « De-
mandez-moi telle grùce particuliÚre que vous voudrez. »
J'ai eu l'honneur de vous répondre que je n'étais autorisée par
p ersonne Ă vous implorer. Je n'avais vu personne Ă Paris, vous Ă©tiez
ma premiĂšre visite...
Elle lui dit ensuite que dans sa province aucun fait d'insur-
rection n'a eu lieu et que, si elle, George Sand, a toujours été
sans inquiétudes pour le sort de ses compatriotes, croyant impos-
sibles des poursuites contre les pensées, elle est absolument ras-
surée depuis son entrevue avec le président, puis elle continue :
Mais, si je me flatte dans l'espoir d'obtenir aisément l'absolution
pour des hommes qu'aucune décision n'a encore atteints, je ne suis
pas sans effroi pour ceux sur le sort desquels il a été statué ailleurs
d'une maniĂšre rigoureuse. J'en ai vu deux aujourd'hui que je sais
complĂštement innocents, si c'est le fait de conspiration que l'on veut
chĂątier, si ce n'est pas l'opinion... chose impossible, inouĂŻe dans nos
mĆurs, dans les idĂ©es de notre gĂ©nĂ©ration, impossible cent fois dans
le cĆur du prince Louis -NapolĂ©on. Je les ai trouvĂ©s rĂ©signĂ©s Ă leur
sort et croyant, grùce au systÚme excessif que vous venez de réprimer,
à cette chose monstrueuse qu'ils étaient frappés pour leurs principes
et non pour leurs actes. J'ai repoussé vivement cette supposition,
(1) Correspondayice, t. III, p. 282.
GEORGE SAND i93
qui m'Ă©tait douloureuse aprĂšs ce que je vous ai entendu dire. J'ai
répété que j'avais foi en vous, et que la personnalité était inconnue
au cĆur d'un homme pĂ©nĂ©trĂ©, comme vous l'ĂȘtes, d'une mission
supérieure.
J'ai dit que j'irais vous demander leur grĂące ou la commutation de
leur peine. Ils avaient dit non d'abord ; ils ont dit oui, quand ils ont
vu ma conviction. Ils m'ont autorisée à profiter de cette offre géné-
reuse que vous m'avez faite et qu'il m'Ă©tait si douloureux d'ĂȘtre forcĂ©e
de refuser.
Maintenant, vous n'estimeriez pas ces deux hommes si je vous
disais qu'ils rétracteront leurs principes, qu'ils abandonneront leurs
sentiments. Ils ont toujours été, ils seront toujours étrangers aux
conspirations, aux sociétés secrÚtes, et la forme absolue de votre gou-
vernement ne peut plus vous faire redouter l'Ă©mission publique de
doctrines que vous ne toléreriez pas.
Peut-ĂȘtre n'entrerait-il pas dans vos desseins actuels de laisser
savoir que c'est Ă moi, Ă©crivain socialiste, que vous accordez la commu-
tation de peine de deux socialistes.
S'il en Ă©tait ainsi, croyez Ă mon honneur, croyez Ă mon silence. Je
ne confie Ă personne l'objet de cette lettre, et, satisfaite d'ĂȘtre fiĂšre
de vos bontĂ©s dans le secret de mon cĆur, je n'en dirai jamais l'heureux
résultat, si telle est votre volonté.
George Sand.
Si vous ne repoussez pas ma priĂšre, daignez me faire savoir le moment
que vous m'accorderez pour aller vous nommer les deux personnes qui
m'intéressent.
Cette audience demandée, Napoléon l'accorda pour le 6 février
et pendant cette entrevue George Sand ne se contenta pas de
plaider l'amnistie générale, mais encore elle intercéda en faveur
de deux républicains intransigeants auxquels elle avait fait
allusion dans sa lettre : MM. Greppo et Marc Dufraisse, ainsi
qu'en faveur de Luc Desages. La maniÚre dont le président avait
accueilli ces demandes Ă©veilla en elle des sentiments de profonde
estime et de reconnaissance et lui donna le courage, Ă partir de
ce jour, pour faire des démarches en faveur d'une quantité de
personnes et d'assiéger le prince, nombre de fois encore, de ses
lettres et de ses demandes. D'autre part, elle put se convaincre
que, malgré toutes ses belles qualités, Napoléon n'était pas de
w. ,3
i94 GEORGE SAND
force Ă lutter contre la clique d'intrigants et d'arrivistes qui
l'entourait.
George Sand resta Ă Paris du 22 janvier jusqu'aux premiers
jours d'avril et pendant tout ce temps elle ne cessa de faire
démarches sur démarches, des courses, des visites, de demander
des audiences soit à Napoléon, soit à M. de Persigny, au ministre
de la Justice, au ministre de la Police ; de voir MM. Cavet, Théo-
phile de Montaud, le chef du cabinet du ministre de la Police,
Thiéblin, le chef du cabinet du ministre de la Justice, Abba-
tucci (1), l'ex-préfet de police, Carlier, le secrétaire du ministre
de la Police, Fortoul, le général Roguet, le général Baraguay, le
vicomte Clary et le frĂšre de Pietri, le ministre, â J. Pietri, prĂ©fet
du Cher (2). Elle suppliait, elle implorait. Elle agissait aussi
par l'intermédiaire du prince JérÎme, du comte d'Orsay, de
M. N.-H. Vieillard, du docteur Conneau, et elle ne s'accordait
pas un moment de repos tant qu'elle n'avait pas arraché ce
qu'elle demandait.
Je n'ai pas fait autre chose que de courir de Carlier Ă Pietri et du
secrétaire du ministre de l'Intérieur à M. Baraguay...
Ă©crit-elle, et ces mots non seulement ne nous semblent pas une
hyperbole, mais bien au contraire ils paraissent faibles, si l'on
apprécie à sa juste valeur tout ce que George Sand accomplit en
ces trois mois, ou si l'on parcourt seulement les tas de lettres
que nous avons devant nous et qui témoignent avec queUe
ardeur elle s'Ă©tait mise Ă ce service de sauvetage, avec quelle
confiance connus et inconnus s'adressaient Ă elle de tous les
points du Berry et de la France, avec quelle persévérance son
(1) Jacques-Pierre-Charles Abbatucci, né en Corse en 1791, mort en 1867,
fut d'abord député, puis président de la Chambre de la cour d'Orléans, puis
remplit différentes autres fonctions dans la magistrature, fut ensuite membre
de l'Assemblée Constituante (du Loiret) et enfin sénateur et ministre de la
Justice. Il reçut ce portefeuille en 1852.
(2) Pierre-Marie Pietri, né aussi en Corse, en 1810, mort à Paris en 1854,
d'abord républicain ardent, devint plus tard bonapartiste non moins dévoué,
succéda à Carlier dans la préfecture de police, puis fut nommé ministre de
la Police et sénateur.
GEORGE SAND 195
cĆur inlassable rĂ©clamait les audiences et craignait peu d' « im-
portuner ». Elle demandait la grùce des condamnés à mort,
l'exil volontaire à l'étranger pour les condamnés à la déporta-
tion, l'exil temporaire pour les exilés à perpétuité, l'internement
en Afrique pour les détenus dans les casemates des forts, la libé-
ration pour les prisonniers de ChĂąteauroux et de La ChĂątre. Elle
sauvait les malades â de la mort dans les prisons, les familles
ayant perdu leurs chefs â de la misĂšre et de la famine ; elle
réconfortait, elle consolait, elle soutenait le courage des détenus,
des exilés ; elle leur envoyait de l'argent, des livres, des lettres,
des nouvelles rassurantes, des brouillons de demandes et de
« déclarations » au gouvernement par lesquelles les prisonniers
promettaient de ne plus prendre part à des actions « antigouver-
nementales », et George Sand savait rédiger ces déclarations
de maniÚre à sauvegarder la dignité et les opinions de ceux qui
les signaient, faisant des démarches non seulement pour les
opprimés qui les lui demandaient et qu'elle connaissait person-
nellement, mais encore pour des inconnus qui ne se doutaient
mĂȘme pas qu'ils eussent une si puissante, une si courageuse, une
si généreuse protectrice ! Bien souvent ils ne l'apprenaient que
lorsque les démarches aboutissaient à un bon résultat, inattendu
pour eux. Et avec quel attendrissement, avec quel Ă©tonnement
ils la remerciaient alors !
C'est ce qui arriva Ă la famille de Marc Dufraisse, Ă celle
d'Alexandre Lambert. Sans attendre une demande, ne sachant
mĂȘme pas si l'on allait profiter de son aide, George Sand intercĂ©da,
avant tout, pour Alphonse Fleury qui dut se cacher aprĂšs le
2 décembre, puis fuir en Belgique et qui, par fierté républicaine,
refusait de demander grùce et défendait à George Sand de le
nommer. Mais elle parvint quand mĂȘme Ă se faire dĂ©livrer pour
lui un passeport Ă©tranger et l'aida Ă se rendre Ă Bruxelles en le
munissant d'une somme nécessaire ; c'est pour cela qu'elle avait
emprunté mille francs au beau-pÚre de Duvernet, comme nous
l'avons vu.
Voici Ă ce propos la lettre autographe de M. de Montaud, re-
trouvĂ©e dans les papiers de Mme Sand ; d'autres lettres du mĂȘme
igfi GEORGE SAND
correspondant ne sont que signées par lui ou bien ne portent
que des post-scriptum de sa main.
Cabinet
DU
MINISTRE DE L'INTĂRIEUR.
â Paris, 30 mars.
Madame,
Je m'empresse de vous annoncer que le ministre aura l'honneur
de vous recevoir, suivant votre désir, demain matin à dix heures.
Veuillez, etc., etc.
Théophile de Montaud.
Le ministre vient de prier son collĂšgue des Affaires Ă©trangĂšres de
faire délivrer un passeport à M. Fleury pour revenir en France.
Th. de M.
Puis, George Sand parvint à libérer de la prison Marc Dufraisse
et Greppo avec sa femme, et Ă leur procurer un permis de quitter
la France (1). Puis elle se mit à intercéder en faveur d'Emile
Aucante et d'Ernest Périgois, détenus avec plusieurs autres
inculpés dans la prison de Chùteauroux et menacés de 1' « éloi-
gnement temporaire du territoire » (comme le porte la piÚce
officielle). Elle parvint Ă leur faire accorder un sursis a avec
obligation de ne pas quitter le pays » et « avec autorisation »,
quant à M. Aucante, de « résider » pendant ce temps... « dans le
domaine de Mme Dudevant » (!!!)
Elle apprit que le rédacteur de VEclaireur de V Indre, Alexandre
Lambert, prisonnier Ă ChĂąteauroux, Ă©tait malade et qu'il Ă©tait
condamné à la déportation ou à une longue détention, et elle se
mit Ă Ă©crire, Ă implorer, Ă s'adresser partout, si bien qu'elle
réussit à le faire libérer et à le rendre à sa famille qui n'espérait
plus le revoir vivant. Pendant qu'il Ă©tait encore en prison Ă
ChĂąteauroux, puis dans les cales du vaisseau qui l'emmenait
aux colonies, et enfin dans un « camp pénitentiaire » en Afrique,
(1) Voir plus loin la lettre à Duvemet du 10, et à Louis-Napoléon du
12 février.
GEORGE SAND 197
elle plaça sa fille dans un pensionnat et, avec l'aide de Mme Du-
vernet, elle veilla sur son Ă©ducation comme elle l'aurait fait
pour une jeune parente Ă elle !
Bocage lui adressa une demande en faveur de son ami, le jeune
avoué républicain Fulbert Martin, incarcéré dans les casemates
du fort d'Ivry, et il fut libĂ©rĂ©, avec injonction de rĂ©sider... Ă
Nohant, aussi!
Et le mĂȘme Fulbert Martin priait Mme Sand pour ses co-
dĂ©tenus ! Et la femme d'un autre Martin â celui de Strasbourg â
appelait l'attention de Mme Sand sur le sort des personnes arrĂȘtĂ©es
en Alsace et transférées dans les forts de Paris et pour Mme Pau-
line Roland (amie et collaboratrice de Pierre Leroux), arrĂȘtĂ©e
et détenue !
Cette mĂȘme Mme Roland intercĂ©dait pour ses co-dĂ©tenus, et
une Mme Mathé pour toute une série de prisonniers, et encore
une autre dame â Mme Matron (dont le nom ne se rencontrait
jusqu'Ă ce jour dans aucune des lettres de et Ă George Sand) â
pour d'autres encore ! C'est ainsi que sur la table de George Sand
s'amoncelaient des amas de listes de personnes poursuivies pour
lesquelles il fallait « prier ». Un grand nombre de ces listes et de
ces mĂ©moires porte en tĂȘte Ă l'encre bleue : « DemandĂ© le
23 février », « envoyé », « remis à Persigny », « pour Clary », « envoyé
au président le 28 », etc., etc., etc.
Laissons parler Mme Sand elle-mĂȘme :
A Monsieur Charles Duvernet, Ă La ChĂątre.
Paris, 10 février 1852(1).
Mes amis,
Ne soyez pas inquiets du résultat de mes démarches. Autant qu'on
peut ĂȘtre sĂ»r des choses humaines, je le suis que nous gagnerons notre
(1) Cette lettre fut écrite en réponse à une lettre datée du 6 février, et
gardée dans les papiers de Mme Sand, dans laquelle les Duvernet, lui annon-
çant que Fleury avait deux fois écrit à sa femme et qu'il refusait de profiter
de toute espĂšce de dĂ©marches en sa faveur â de crainte que cela ne nuise Ă
Mme Sand dans l'opinion publique, â mais qu'ils la priaient quand mĂȘme
de persévérer ; puis, ils ajoutaient qu'à La Chùtre et à Chùteauroux on bavar-
dait déjà sur ses démarches, ce qui avait permis au parti réactionnaire de
i93 GEORGE SAND
procĂšs. Je vous dirai des choses qui vou3 Ă©tonneront bien, mais qu'il
est inutile de confier au papier.
J'ai embrassé ce soir, dans la rue, votre ami de Eibérac (1), libre
pour vingt-quatre heures sur le pavé de Paris et partant cette nuit
pour Bruxelles avec un autre dont vous verrez le nom dans les jour-
naux (2). La personne que vous savez a été à cet égard d'un chevale-
resque accompli, et il y a autour de cela des circonstances qui Ă©branle-
ront toutes vos idées sur son compte, et qui, pour le mien, m'enchaßnent
sérieusement par une estime personnelle en dehors de toutes les idées
politiques, invariables chez moi, comme vous pensez bien.
Il faut, en effet, beaucoup de prudence et de discrétion en ce qui me
concerne. Je ne crains nullement de me compromettre pour mon
compte ; mais je peux faire quelque bien Ă ceux qui souffrent, et il est
inutile de susciter des difficultés. Je crois que je les vaincrais toutes,
mais cela me retarderait...
Au prince Louis-Napoléon Bonaparte.
Paris, 12 février 1862.
Prince,
Permettez-moi de mettre sous vos yeux une douloureuse supplique :
celle de quatre soldats condamnés à mort, qui, dans leur profonde
ignorance des choses politiques, ont choisi un proscrit pour leur inter-
médiaire auprÚs de vous. La femme du proscrit (3), qui ne demande
et n'espĂšre rien pour sa propre infortune et qui ne connaĂźt pas plus que
moi les signataires de la pétition, m'écrit, en me l'envoyant, quelques
lignes fort belles, qui vous toucheront plus, j'en suis certaine, que ne
le ferait un plaidoyer de ma part. La pauvre ouvriÚre désolée, réduite
déclarer qu'on « saurait contrecarrer » les dites démarches, qu'on parlait
mĂȘme dĂ©jĂ du â bannissement de PĂ©iĂŻgois » ; ils disaient encore que « tout
s'organisait à Chùteauroux », mais que « ces messieurs faisaient autoriser
toutes leurs petites infamies par le ministre de maniĂšre Ă se couvrir ainsi de
ce grand mot : les ordres viennent de Paris... » et que « le Grand Lama du pays »
Ă©tait revenu tout dĂ©confit de n'ĂȘtre rien, et s'en dĂ©dommageait en jouant
le désintéressé et en allant demander des grùces pour le semllant, comme
disent les enfants...
Il est Ă©vident que l'entrevue de Mme Sand avec M. de Persigny n'Ă©tait pas
restée sans influence sur cette « déconfiture « du « Grand Lama » de Chù-
teauroux. Cette lettre porte de la main de George Sand : « Answered, le 10 fé-
vrier. »
(1) C'Ă©tait justement Marc Dufraisse.
(2) C'Ă©tait Greppo.
(3) C'était Lise Perdiguier, et sa lettre a été gardée par George Sand. Nous
avons raconté les relations de George Sand avec les écrivains-prolétaires dans
le volume III de notre ouvrage.
GEORGE SAND 199
Ă la misĂšre avec trois enfants, malade elle-mĂȘme, mais muette et
résignée, est loin de croire que j'oserai vous faire lire ses fautes d'or-
thographe. Moi, je ne voulais plus vous importuner; mais, quand j'ai
vu qu'il s'agissait de la peine de mort, et nullement des malheurs de
mon parti vaincu, j'ai senti qu'un moment d'hésitation m'Îterait le
peu de sommeil qui me reste.
Je n'ai pas pu refuser non plus de vous présenter la supplique du
malheureux Emile Rogat, qui m'a été remise en l'absence et de la
part du prince Napoléon-JérÎme.
C'est ce prince qui m'avait dit, au moment oĂč, pour la premiĂšre fois,
j'allais vous aborder en tremblant : « Oh! pour bon, il l'est. Ayez
confiance! » C'était un encouragement si bien fondé, que je lui en
dois de la gratitude. Et, Ă propos de la triple grĂące que vous m'avez
accordée, je voudrais vous dire quelque chose qui vous intéressera
et vous satisfera, j'en suis bien sĂ»re. J'en ai mĂȘme plusieurs Ă vous
dire, c'est mon devoir, et, cette fois, je n'aurai pas Ă vous demander
pardon de vous les avoir dites. Quand vous aurez un instant Ă perdre,
comme on dit dans le monde, accordez-le-moi, vous me trouverez
toujours prĂȘte Ă en profiter avec une vive reconnaissance.
George Sand.
Noms des condamnés à mort : Duchauffour, Lucas (Jean-César),
Mondange, Guillemin, soldats au 3e régiment de chasseurs d'Afrique.
Maison
du président de la république
service de l'aide de camp. Palais de l'Elysée,
â le 13 fĂ©vrier 1852.
Madame,
J'ai remis au prince président de la République la lettre que vous
m'avez fait l'honneur de m'adresser le 12 février...
Le général de division aide de camp,
Signé : Roguet.
Au prince Louis-Napoléon Bonaparte.
Paris, 20 février 1S52.
Prince,
J'étais bien résolue à ne plus vous importuner, mais votre bienveil-
lance m'y contraint, et il faut que je vous remercie du fond du cĆur.
M. Emile Rogat est en libertĂ©, MM. Dufraisse et Greppo sont Ă
l'Ă©tranger, et les quatre malheureux soldats dont je me suis permis de
*oo GEORGE SAND
vous envoyer la supplique sont graciés, j'en suis certaine, sans m'en
informer. Mais vous m'avez aussi accordé la commutation de peine de
M. Luc Desages, gendre de M. Pierre Leroux, condamné à dix ans de
déportation ; vous avez permis qu'il fût simplement exilé, et, avec votre
autorisation, j'avais annoncé cette bonne nouvelle à sa famille.
Cet ordre de votre part n'a pas eu son exĂ©cution, ce doit ĂȘtre ma
faute I Je vous ai donné un renseignement inexact. Il a été condamné
par la commission militaire de l'Allier, Ă Moulins, et non pas Ă Limoges
comme j'avais eu l'honneur de vous le dire.
Prince, daignez réparer d'un mot ma déplorable maladresse, et
l'erreur plus déplorable encore d'un jugement inique.
Ah ! prince, mettez donc bientÎt le comble à mon dévouement pour
votre personne, phrase de cĆur qui sous ma plume est une parole
sérieuse. Votre politique, je ne peux l'aimer, elle m'épouvante trop
pour vous et pour nous. Mais votre caractĂšre personnel, je puis l'aimer,
je le dois, je le dis Ă tous ceux que j'estime. Faites cette conversion
plus Ă©tendue, dans les limites oĂč vous avez opĂ©rĂ© la mienne, cela vous
est facile.
Aucune ùme de quelque prix ne transformera son idéal d'égalité
en une religion de pouvoir absolu.
Mais tout homme de cĆur, pour qui vous aurez Ă©tĂ© juste ou clĂ©ment
en dĂ©pit de la raison d'Ătat, s'abstiendra de haĂŻr votre nom et de
calomnier vos sentiments. C'est de quoi je peux répondre à l'égard
de ceux sur qui j'ai quelque influence. Eh bien, au nom de votre
propre popularité, je vous implore encore pour l'amnistie ; ne croyez
pas ceux qui ont intĂ©rĂȘt Ă calomnier l'humanitĂ©, elle est corrompue,
mais elle n'est pas endurcie. Si votre clémence fait quelques ingrats,
elle vous fera mille fois plus de partisans sincÚres. Si elle est blùmée
par des cĆurs sans pitiĂ©, elle sera aimĂ©e et comprise par tout ce qui est
honnĂȘte dans tous les partis.
Et, aujourd'hui, accordez-moi, prince, ce que deux fois vous m'avez
fait sérieusement espérer. Ordonnez l'élargissement de tous mes.com-
patriotes de l'Indre. Parmi ceux-lĂ , j'ai plusieurs amis, mais que jus-
tice soit faite à tous ; puisque personne ne s'est déclaré contre vous,
ce n'est que justice. Qu'on sache que ce que vous m'avez dit est vrai :
« Je ne persécute pas la croyance, je ne chùtie pas la pensée. »
Que cette parole, remportĂ©e dans mon cĆur de l'ElysĂ©e et qui m'a
presque guérie, reste en moi comme une consolation au milieu de mon
effroi politique...
Ah, cher prince, on vous calomnie affreusement Ă toute heure, et
ce n'est pas nous qui faisons cela. Pardon, pardon de mon insistance !
qu'elle ne vous lasse pas ; ce n'est plus un cri de détresse seulement,
c'est un cri d'affection, vous l'avez voulu. Mais, en attendant cette
GEORGE SAND 201
amnistie que vos véritables amis nous promettent, faites que votre
générosité soit connue dans nos provinces ; connaissez ce que dit le
peuple qui vous a proclamĂ© : « Il voudrait ĂȘtre bon, mais il a de cruels
serviteurs et il n'est pas le maßtre. Notre volonté est méconnue en lui,
nous avons voulu qu'il fût tout-puissant, et il ne l'est pas. »
...Je vois là une véritable guerre à la conscience intime, une révol-
tante persécution que vous ne savez pas et dont vous ne voulez pas.
On insulte, on tente d'avilir ; on exige des flatteries et des promesses
de ceux qu'on Ă©largit... Ah! ce n'est pas ainsi que vous pardonnez,
vous, à vos ennemis personnels, et je sais à présent que vous présenter
comme tel un homme qu'on veut sauver, c'est assurer sa grĂące. Mais
je ne peux pas mentir, mĂȘme pour cela, et cette fois je vous implore
pour des hommes qui n'attendent de vous qu'une mesure d'équité
et de haute protection contre vos ennemis et les leurs.
Veuillez agréer, prince, l'expression de mon respectueux attache-
ment, et dites sur mon pauvre Berry une parole qui me permette d'y
ĂȘtre Ă©coutĂ©e quand j'y parlerai de vous selon mon cĆur.
George Sand.
Maison du président de la République
service de l'aide de camp.
â 23 fĂ©vrier 1852.
Madame,
J'ai l'honneur de vous prévenir que je me suis empressé de mettre
sous les yeux du prince président de la République la lettre que vous
m'avez adressée le 20 février...
Le général de division aide de camp,
Signé : Roguet (1).
Paris, le 21 janvier 1852.
Voici maintenant une lettre que Mme Sand Ă©crivit ce mĂȘme
20 février à Jules Hetzel ; on a mis dans la Correspondance
« M. Jules Hetzel, à Paris », quoique dÚs les premiÚres lignes on
puisse voir déjà qu'à ce moment-là Hetzel n'y était point, étant
« là -bas », c'est-à -dire à Bruxelles, avec les autres exilés. Et nous
(1) Le comte Christophe-Michel Roguet, fils du général François Roguet,
naquit à San-Renio en 1800, fut page de Napoléon Ier, polytechnicien, servit
en Afrique, puis devint aide de camp de NapolĂ©on III, et, aprĂšs le coup d'Ătat,
général de division et commandant de la maison militaire, en décembre 1852,
BĂ©nateur, et enfin en 1858 grand officier de la LĂ©gion d'honneur.
202 GEORGE SAND
savons que George Sand elle-mĂȘme Ă©tait ce jour-lĂ Ă Paris. Cette
lettre est extrĂȘmement importante ; c'est en somme une sorte de
résumé de l'historique des relations de Lime Sand avec l'Elysée,
en fĂ©vrier, en mĂȘme temps qu'une apprĂ©ciation de la personne
du prince, de sa situation ; appréciation si frappante de précision,
de perspicacitĂ© et d'observation que ni George Sand elle-mĂȘme â
lorsqu'elle prononça vingt ans plus tard son jugement définitif
sur l'empereur, â ni quelque critique tout avisĂ© qu'il fĂ»t,
n'auraient rien eu Ă y changer, Ă y ajouter. Enfin cette lettre nous
montre de quelle maniÚre vraiment révoltante les gens de ce
mĂȘme parti pour lequel George Sand n'Ă©pargnait aucune
démarche la traitaient, elle.
Paris, 20 février 1862.
Mon ami,
J'aime autant vous savoir là -bas qu'ici, malgré les embarras, si peu
faits pour mon cerveau et ma santĂ©, oĂč votre absence peut me laisser.
Ici rien ne tient Ă rien. Les grĂąces ou justices qu'on obtient sont,
pour la plupart du temps, non avenues, grùce à la résistance d'une
réaction plus forte que le président, et aussi grùce à un désordre dont
il n'est plus possible de sortir vite, si jamais on en sort. La moitié de
la France dénonce l'autre. Une haine aveugle et le zÚle atroce d'une
police furieuse se sont assouvis...
En arrivant ici, j'ai cru qu'il fallait subir temporairement, avec le
plus de calme et de foi possible en la Providence, une dictature imposée
par nos fautes mĂȘmes.
J'ai espéré que, puisqu'il y avait un homme tout-puissant, on pou-
vait approcher de son oreille pour lui demander la vie et la liberté de
plusieurs milliers de victimes (innocentes Ă ses yeux mĂȘmes, pour la
plupart). Cet homme a été accessible et humain en m'écoutant. H
m'a offert toutes les grĂąces particuliĂšres que je voudrais lui demander,
en me promettant une amnistie générale pour bientÎt. J'ai refusé les
grùces particuliÚres, je me suis retirée en espérant pour tous. L'homme
ne posait pas, il était sincÚre, et il semblait qu'il fût de son propre
intĂ©rĂȘt de l'ĂȘtre. J'y suis retournĂ©e une seconde et derniĂšre fois, il y a
quinz? ou vingt jours, pour sauver un ami personnel de la déporta-
tion et du désespoir (car il était au désespoir). J'ai dit en propres
termes (et j'avais Ă©crit en propres termes pour demander l'audience)
que cet ami ne se repentirait pas de son passé, et ne s'engagerait à rien
pour son avenir ; que je restais en France, moi, comme une sorte de
bouc Ă©missaire qu'on pourrait frapper quand on voudrait. Pour obtenir
GEORGE SAND 203
la commutation de peine que je réclamais, pour l'obtenir sans compro-
mettre et avilir celui qui en Ă©tait l'objet, j'osai compter sur un senti-
ment généreux de la part du président, et je le lui dénonçai comme
son ennemi personnel incorrigible. Sur-le-champ, il m'offrit sa grĂące
entiĂšre.
Je dus la refuser au nom de celui qui en Ă©tait l'objet, et remercier
en mon nom. J'ai remerciĂ© avec une grande loyautĂ© de cĆur, et, de
ce jour, je me suis regardée comme engagée à ne pas laisser calomnier
complaisamment, devant moi, le cÎté du caractÚre de l'homme qui a
dictĂ© cette action. KenseignĂ©e sur ses mĆurs, par des gens qui le voient
de prĂšs depuis longtemps et qui ne l'aiment pas, je sais qu'il n'est ni
débauché, ni voleur, ni sanguinaire.
H m'a parlé assez longuement et avec assez d'abandon pour que j'aie
vu en lui certains bons instincts et des tendances vers un but qui serait
le nĂŽtre.
Je lui ai dit : « Puissiez-vous y arriver ! mais je ne crois pas que vous
ayez pris le chemin possible. Vous croyez que la fin justifie les moyens ;
je crois, je professe la doctrine contraire. Je n'accepterais pas la dic-
tature exercée par mon parti. Il faut bien que je subisse la vÎtre,
puisque je suis venue désarmée vous demander une grùce ; mais ma
conscience ne peut changer; je suis, je reste ce que vous me con-
naissez ; si c'est un crime, faites de moi ce que vous voudrez. »
Depuis ce jour-là , le 6 février, je ne l'ai pas revu ; je lui ai écrit deux
fois pour lui demander la grùce de quatre soldats condamnés à mort,
et le rappel d'un déporté mourant. Je l'ai obtenue. J'avais demandé
pour Greppo et pour Luc Desages, gendre de Leroux, en mĂȘme temps
que pour Marc Dufraisse. C'était obtenu. Greppo et sa femme ont été
mis en liberté le lendemain. Luc Desages n'a pas été élargi. Cela tient,
je crois, à une erreur de désignation que j'ai faite en dictant au prési-
dent son nom et le lieu du jugement. J'ai réparé cette erreur dans ma
lettre, et, en mĂȘme temps, j'ai plaidĂ© pour la troisiĂšme fois la cause
des prisonniers de l'Indre. Je dis plaidé, parce que le président, et
ensuite son ministre, m'ayant répondu sans hésiter qu'ils n'entendaient
pas poursuivre les opinions et la présomption des intentions, les gens
incarcérés comme suspects avaient droit à la liberté et allaient l'ob-
tenir.
Deux fois, on a pris la liste ; deux fois, on a donné des ordres sous
mes yeux, et dix fois, dans la conversation, le président et le ministre
m'ont dit, chacun de son cÎté, qu'on avait été trop loin, qu'on s'était
servi du nom du président pour couvrir des vengeances particuliÚres,
que cela Ă©tait odieux et qu'ils allaient mettre bon ordre Ă cette fureur
atroce et déplorable.
Voilà toutes mes relations avec le pouvoir, résumées dans quelques
2o4 GEORGE SAND
démarches, lettres et conversations, et, depuis ce moment, je n'ai pas
fait autre chose que de courir de Carlier à Piétri, et du secrétaire du
ministre de l'Intérieur à M. Baraguay, pour obtenir l'exécution de ce
qui m'avait été octroyé ou promis pour le Berry, pour Desages, puis
pour Fulbert Martin, acquitté et toujours détenu ici ; pour Mme Roland
arrĂȘtĂ©e et dĂ©tenue ; enfin, pour plusieurs autres que je ne connais pas
et Ă qui je n'ai pas cru devoir refuser mon temps et ma peine, c'est-Ă -
dire, dans l'Ă©tat oĂč j'Ă©tais, ma santĂ© et ma vie.
Pour récompense, on me dit et on m'écrit de tous cÎtés : « Vous vous
compromettez, vous vous perdez, vous vous dĂ©shonorez, vous ĂȘtes
bonapartiste ! Demandez et obtenez pour nous ; mais haĂŻssez l'homme
qui accorde, et, si vous ne dites pas qu'il mange des enfants tout
crus, nous vous mettons hors la loi. »
Cela ne m'effraye nullement, je comptais si bien lĂ -dessus !
Mais cela m'inspire un profond mépris et un profond dégoût pour
l'esprit de parti, et je donne de bien grand cĆur, non pas au prĂ©sident
qui ne me l'a pas demandée, mais à Dieu, que je connais mieux que
bien d'autres, ma démission politique, comme dit ce pauvre Hubert.
J'ai droit de la donner, puisque ce n'est pas pour moi une question
d'existence.
Je sais que le président a parlé de moi avec beaucoup d'estime et
que ceci a fùché des gens de son entourage. Je sais qu'on a trouvé mau-
vais qu'il m'accordĂąt ce que je lui demandais ; je sais que l'on me
tordra le cou de ce cÎté-là si on lui tord le sien, ce qui est probable.
Je sais aussi qu'on répand partout que je ne sors pas de l'Elysée et
que les rouges accueillent l'idée de ma bassesse avec une complaisance
qui n'appartient qu'Ă eux ; je sais, enfin, que, d'une main ou de l'autre,
je serai égorgée à la premiÚre crise. Je vous assure que ça m'est bien
égal, tant je suis dégoûtée de tout et presque de tous en ce monde.
VoilĂ l'historique qui vous servira Ă redresser des erreurs si elles
sont de bonne foi. Si elles sont de mauvaise foi, ne vous en occupez
pas, je n'y tiens pas. Quant à ma pensée présente sur les événements,
d'aprĂšs ce que je vois Ă Paris, la voici :
Le président n'est plus le maßtre, si tant est qu'il l'ait été vingt-
quatre heures. Le premier jour que je l'ai vu, il m'a fait l'effet d'un
envoyé de la fatalité. La deuxiÚme fois, j'ai vu l'homme débordé qui
pouvait encore lutter. Maintenant, je ne le vois plus ; mais je vois
l'opinion et j'aperçois de temps en temps l'entourage : ou je me trompe
bien, ou l'homme est perdu, mais non le systÚme, et à lui va succéder
une puissance de réaction d'autant plus furieuse que la douceur du
tempérament de l'homme sacrifié n'y sera plus un obstacle.
...Que ceux qui croient à des éléments de résistance contre ce qui
existe espÚrent et désirent la chute de Napoléon! Moi, ou je suis
GEORGE SAND 205
aveugle ou je vois que le grand coupable, c'est la France, et que, pour
le chùtiment de ses vices et de ses crimes, elle est condamnée à s'agiter
sans solution durant quelques années, au milieu d'effroyables catas-
trophes.
Le président, j'en reste et resterai convaincue, est un infortuné,
victime de l'erreur et de la souveraineté du but. Les circonstances,
c'est-à -dire les ambitions de parti, l'ont porté au sein de la tour-
mente. Il s'est flatté de la dominer ; mais il est déjà submergé à moitié
et je doute qu'Ă l'heure qu'il est, il ait conscience de ses actes.
Adieu, mon ami, voilĂ tout pour aujourd'hui. Ne me parlez plus de
ce qu'on dit et écrit contre moi. Cachez-le-moi ; je suis assez dégoûtée
comme cela et je n'ai pas besoin de remuer cette boue. Vous ĂȘtes assez
renseigné par cette lettre pour me défendre s'il y a lieu, sans me con-
sulter. Mais ceux qui m'attaquent méritent-ils que je me défende? Si
mes amis me soupçonnent, c'est qu'ils n'ont jamais été dignes de
l'ĂȘtre, qu'ils ne me connaissent pas, et alors je veux m'empresser de
les oublier.
Quant Ă vous, cher vieux, restez oĂč vous ĂȘtes jusqu'Ă ce que cette
situation s'Ă©claircisse, ou bien, si vous voulez venir quelque temps,
dites-le-moi. Baraguay d'Hilliers ou tout autre peut, je crois, demander
un sauf-conduit pour que vous veniez donner un coup d'Ćil Ă vos
affaires. Mais n'essayons rien de définitif avant que le danger d'un
nouveau bouleversement soit écarté des imaginations.
George Sand.
Non moins intéressantes que la lettre à Hetzel sont les deux
lettres que George Sand adressa quatre jours plus tard Ă Ernest
PĂ©rigois, Ă la prison de ChĂąteauroux, et Ă Luigi Calamatta Ă
Bruxelles. Nous n'en donnons toutefois que des extraits :
A Monsieur Ernest PĂ©rigois, Ă la frison de ChĂąteauroux.
Paris, le 24 février 1852.
Mon cher ami, je vous remercie de votre bonne lettre. Elle m'a fait
grand plaisir. On ne me soupçonne donc pas parmi vous? A la bonne
heure, je vous en sais gré, et je puiserai dans cette justice de mes
compatriotes un nouveau courage. Ce n'est pas la mĂȘme chose ici. Il
y a des gens qui ne peuvent croire au courage du cĆur et au dĂ©sintĂ©-
ressement du caractĂšre ; et on m'abĂźme par correspondance dans les
journaux Ă©trangers. Qu'importe, n'est-ce pas?
2o6 GEORGE SAND
Si je vous voyais, je vous donnerais des détails sur mes démarches
et sur mes impressions personelles, qui vous intéresseraient; mais je
peux les résumer en quelques lignes qui vous donneront la mesure des
choses.
Le nom dont on s'est servi pour accomplir cette affreuse boucherie
de réaction n'est qu'un symbole, un drapeau qu'on mettra dans la
poche et sous les pieds le plus tĂŽt qu'on pourra. V instrument n'est pas
disposé à une entiÚre docilité. Humain et juste par nature, mais
nourri de cette idée fausse et funeste que la fin justifie les moyens, il
s'est persuadé qu'on pouvait laisser faire beaucoup de mal pour arriver
au bien, et personnifier la puissance dans un homme pour faire de cet
homme la providence d'un peuple.
Vous voyez ce qui adviendra, ce qui advient déjà de cet homme.
On lui cache la réalité des faits monstrueux qu'on accomplit en son
nom, et il est condamné à la méconnaßtre pour avoir méconnu la vérité
dans l'idée. Enfin, il boit un calice d'erreurs présenté à ses lÚvres,
aprÚs avoir bu le calice d'erreurs présenté à son esprit, et, avec la
volontĂ© personnelle du bien rĂȘvĂ©, il est condamnĂ© Ă ĂȘtre l'instrument,
le complice, le prétexte du mal accompli par tous les partis absolu-
tistes. H est condamnĂ© Ă ĂȘtre leur dupe et leur victime. Dans peu,
j'en ai l'intime et tragique pressentiment, il sera frappé pour faire
place Ă des gens qui ne le vaudront certainement pas, mais qui prennent
le soin de le faire passer pour un despote implacable (sous d'hypo-
crites formules d'admiration), afin de rendre sa mémoire responsable
de tous les crimes commis Ă son insu.
H me parait essayer maintenant d'une dictature temporaire dont il
espĂšre pouvoir se relĂącher. Le jour oĂč il l'essayera il sera sacrifiĂ©, et,
pourtant, s'il ne l'essaye bientÎt, la nation lui suscitera une résistance
insurmontable...
...Je ne sais, quant à nous, pauvres persécutés du Berry, ce qui sera
statué sur notre sort. J'ai plaidé notre cause au point de vue de la
liberté de conscience, et je le pouvais en toute conscience, puisque nous
n'avons rien fait en Berry contre la personne du président depuis les
événements de décembre. Il m'a été répondu qu'on ne poursuivrait
pas les pensées, les intentions, les opinions, et cependant on le fait, et
cependant je ne vois pas la réalisation des promesses qu'on m'a faites.
On me dit ailleurs que c'est fourberie et jésuitisme.
J'ai la certitude que ce n'est pas cela. C'est quelque chose de pis
pour nous, peut-ĂȘtre. C'est impuissance. On a donnĂ© une hĂ©catombe
à la réaction : on ne peut plus la lui arracher. Pourtant j'espÚre encore
pour nous de mon plaidoyer, et j'espÚre pour tous de la nécessité d'une
amnistie prochaine. On la promet ouvertement. On obtient facile-
ment, Ă titre de grĂące, mais comme personne de chez nous ne demande
GEORGE SAND 207
ainsi, je n'ai qu'à faire le rÎle d'avocat sincÚre, et à démentir, autant
qu'il m'est possible, les calomnies de nos adversaires.
Adieu, cher ami ; brûlez ma lettre ; je la lirais au président, mais
un préfet ne la lui lirait pas, et y trouverait le prétexte à de nouvelles
persécutions...
A Monsieur Luigi Calamatta, Ă Bruxelles.
Paxis, le 24 février 1852.
Mon ami,
Ce qu'on t'a dit qu'*7 m'avait dit est vrai, du moins dans les termes
que tu me rapportes ; mais il ne faut pas se flatter. Je n'ai pas le droit,
moi, de suspecter la sincérité des intentions de la personne. Il me semble
qu'il y aurait une grande déloyauté à invoquer ces sentiments chez
elle et à les déclarer perfides, aprÚs que je leur dois le salut de quelques-
uns (1).
Mais en mettant Ă part tout ce qu'on peut dire et penser contre ou
pour cette personne, il me paraßt prouvé maintenant qu'elle est ou sera
bientĂŽt rĂ©duite Ă l'impuissance, pour s'ĂȘtre livrĂ©e Ă des conseils per-
fides, et pour avoir cru qu'on pouvait faire sortir le bon (dans le but)
du mal (dans les moyens).
Son procÚs est perdu aussi bien que le nÎtre ; qu'en résultera-t-il?
Des malheurs pour tous ! S'il y avait un maĂźtre en France, on pourrait
espĂ©rer quelque chose ; ce maĂźtre-lĂ pouvait ĂȘtre le suffrage universel,
quelque dénaturé et dévié qu'il fût de son principe ; quelque aveugle
et pressé de travailler à son bonheur matériel que fût le peuple, on
pouvait se dire : « Voilà un homme qui résume et représente la résis-
tance populaire à l'idée de liberté ; un homme qui symbolise le besoin
d'autorité temporaire que le peuple semble éprouver; que ces deux
volontés soient d'accord et, par le fait, ce sera la dictature du peuple,
une dictature sans idéal, mais non pas sans avenir, puisqu'en acqué-
rant le bien-ĂȘtre dont il est privĂ©, le peuple acquerra forcĂ©ment l'ins-
truction et la réflexion. »
Il m'a semblé, il me semble encore, bien que je n'aie pas revu la
personne depuis le 5 février, que les électeurs et l'élu sont assez d'ac-
cord sur le fond des choses ; mais tous deux ignorent les moyens, et
s'imaginent que le but justifie tout. Ils ne voient pas que le jeu des
instruments qu'ils emploient, et la fatalité, se montrent ici plus justes
et plus logiques qu'on ne pouvait s'y attendre. Les instruments tra-
hissent, paralysent, corrompent, conspirent et vendent. VoilĂ ce que
je crois, et je m'attends à tout, excepté au triomphe prochain de l'idée
(1) Cf. avec la lettre de Marc Dufraisse Ă Mme Sand, plus bas.
aoS GEORGE SAND
fraternelle et chrétienne, sans laquelle nous n'aurons pas de répu-
blique durable. Nous passerons par d'autres dictatures, Dieu sait
lesquelles ! Quand le peuple aura fait de douloureuses expériences, il
s'apercevra qu'il ne peut pas se personnifier dans un homme et que
Dieu ne veut pas bénir une erreur qui n'est plus de notre siÚcle. En
attendant, c'est nous, républicains, qui serons encore victimes de ces
orages. Probablement, nous serions sages si nous attendions, pour rap-
peler le peuple Ă ses vrais devoirs, qu'il comprĂźt ses erreurs et qu'il
se repentĂźt de lui-mĂȘme de nous avoir considĂ©rĂ©s comme une poignĂ©e
de scélérats qu'il fallait abandonner, livrer, dénoncer aux fureurs de
la réaction.
Bonsoir, mon ami ; je t'embrasse et regrette bien que tu sois tou-
jours là -bas quand je suis ici. Ma santé ne se rétablit pas encore, je
me suis beaucoup fatiguée pour obtenir jusqu'ici beaucoup moins
qu'on ne m'avait promis ; je m'en prends surtout au désordre effrayant
qui rÚgne dans cette sinistre branche de l'administration, et à la préoc-
cupation oĂč les Ă©lections tiennent le pouvoir. Je crois que l'amnistie
viendra ensuite. Si elle ne vient pas, je recommencerai mes démarches
pour arracher du moins Ă la souffrance et Ă l'agonie le plus de victimes
que je pourrai; on m'en récompense par des calomnies, c'est dans
l'ordre, je n'y veux pas faire attention... »
En voyant que l'amnistie générale tardait à venir et qu'en
attendant les commissions chargées de la révision des procÚs,
les délégués spéciaux de l'empereur envoyés dans les provinces
avaient fait preuve d'insigne négligence dans la maniÚre dont ils
s'acquittaient de la révision des procÚs-verbaux et des actes
d'accusation contre des personnes particuliĂšres, George Sand
reprend la plume pour écrire à Napoléon ; elle lui envoie de nou-
velles lettres, elle s'empresse de nouveau de lui faire part des
déportations dont des innocents sont menacés, elle le supplie de
les faire revenir, si ces personnes sont déjà en route pour là -bas.
Voici encore trois de ses lettres au prince-président, dont les
deux premiÚres écrites au mois de mai 1852 sont datées de « mars »
dans la Correspondance, et la troisiĂšme est bien du 27 juin, ce qui
est confirmé par une note de George Sand sur le brouillon de la
liste des personnes pour lesquelles elle demandait une fois de
plus : « Envoyé au président le 28 juin », et par la réponse du
général Roguet, datée du 29 juin, lui disait encore qu'il avait
GEORGE SAND 209
remis sa lettre Ă destination. Pour ce qui concerne les deux pre-
miĂšres, nous croyons pouvoir affirmer qu'elles furent Ă©crites au
mois de mai, en nous basant sur les faits que voici :
1° Ces lettres de Mme Sand sont la suite nécessaire et le résumé
des lettres d'Alexandre Lambert, Lumet, Patureau-FrancĆur
et d'autres personnes, détenues toutes dans la prison de Chù-
teauroux, expédiées de là sous escorte le 2 mai, conduites de
brigade en brigade et arrivĂ©es au fort de BicĂȘtre entre le 3 et le
12 mai. Leurs lettres sont datées du 23 et 26 avril, 1er et 2 mai de
ChĂąteauroux et du 12 mai de BicĂȘtre. Elles racontent l'arrivĂ©e en
Berry du général Canrobert, les agissements des commissions
dites « mixtes », les détails des préparatifs du départ pour Paris
et le Havre de ceux qui étaient destinés à la déportation en
Afrique, le départ tragique de Chùteauroux de ces malheureux
enchaßnés ; tout cela George Sand le répÚte au président certai-
nement aprĂšs avoir lu ces lettres.
De plus, Mme Sand parle dans ses deux lettres de treize per-
sonnes, sans plus mentionner MM. Aucante et PĂ©rigois, car tous
les deux, en libertĂ© depuis avril, n'eurent par consĂ©quent pas Ă
partager le sort des autres prisonniers de ChĂąteauroux (et nous
voyons par exemple qu'Alexandre Lambert, en disant adieu
Ă George Sand, dans sa lettre Ă©crite le jour mĂȘme de son dĂ©part
pour BicĂȘtre â le 2 mai â prie Mme Sand de « saluer Emile »
(Aucante) de la part de tous ses ex-compagnons de détention ; or
M. Aucante Ă©tait au mois de mai auprĂšs de Mme Sand Ă Nohant,
tandis qu'au mois de mars elle Ă©tait Ă Paris et Aucante Ă ChĂą-
teauroux, en prison).
2° Le « Pylade » de George Sand, son ami François Rollinat,
envoie à Mme Sand le 26 avril la demande de tous ces détenus
condamnés à la déportation et, quoiqu'il sache, à ce qu'il dit,
qu'elle avait déjà fait pour eux « tout ce qui était humainement
possible », il lui envoie quand mĂȘme cette demande collective.
3° Le comte d'Orsay annonce dans une lettre du 3 mai que la
lettre de Mme Sand à Louis-Napoléon lui fut immédiatement
transmise.
4° Nous voyons par les lettres du vicomte Gary et par les
aĂŻo GEORGE SAND
réponses officielles du général Roguet que c'est justement au
mois de mai que George Sand avait redemande une audience
au président. Cette audience lui fut accordée le 21 mai à trois heures,
mais par suite de l'arrivée tardive de sa lettre pour le général
Roguet et aussi parce qu'elle n'avait pas, comme il le fallait,
adressé sa lettre directement à ce dernier, elle n'eut pas le temps
d'arriver de Xohant, et l'audience fut manquée. George Sand
affirma plus tard qu'elle « ne voulut pas » en profiter, mais les
documents réfutent cette assertion (1).
Au prince Louis-Napoléon Bonaparte, président de la République.
Prince,
Us sont partis pour le fort de BicĂȘtre, ces malheureux dĂ©portĂ©s de
Chùteauroux, partis enchaßnés comme des galériens, au milieu des
larmes d'une population qui vous aime et qu'on vous peint comme
dangereuse et féroce. Personne ne comprend ces rigueurs. On vous dit
que cela fait bon effet; on vous ment, on vous trompe, on vous trahit.
Pourquoi, mon Dieu, vous abuse-t-on ainsi? Tout le monde le devine
et le sent, excepté vous. Ah ! si Henri V vous renvoie en exil ou en
prison, souvenez-vous de quelqu'un qui vous aime toujours, bien que
votre rÚgne ait déchiré ses entrailles, et qui, au heu de désirer, comme
les intĂ©rĂȘts de son parti le voudraient peut-ĂȘtre, qu'on vous rende
odieux par de telles mesures, s'indigne de voir le faux rĂŽle qu'on veut
vous faire dans l'histoire, Ă vous qui avez le cĆur grand autant que la
destinée.
A qui plaisent donc ces fureurs, cet oubli de la dignité humaine,
cette haine politique qui détruit toutes les notions du juste et du vrai,
cette inauguration du rĂšgne de la terreur dans les provinces, le pro-
consulat des préfets qui, en nous frappant, déblayent le chemin pour
d'autres que vous? Ne sommes-nous pas vos amis naturels, que vous
avez méconnus pour chùtier les emportements de quelques-uns? Et
les gens qui font le mal en votre nom, ne sont-ils pas vos ennemis
(1) Dans le feuilleton du Temps, Ă©crit le jour mĂȘme de la mort de Napo-
léon III et intitnlé : Dans les lois (il ne fait pas partie du volume Impressions
et souvenirs, comme il le faudrait, mais de celui des DerniĂšres pages), George
Sand assure qu'aprÚs les premiÚres entrevues avec Napoléon, déjà , elle
se crut jouĂ©e et ne voulut plus le revoir. « ...J'ai quittĂ© Paris et manquĂ© Ă
un rendez-vous donné par lui. On ne m'a pas dit : « Le roi a failli attendre »,
on m'a Ă©crit : « L'empereur a attendu... » â Le lecteur verra que c'est de
l'histoire... comme on en Ă©crit I
GEORGE SAND 211
naturels? Ce systĂšme de barbarie politique plaĂźt Ă la bourgeoisie,
disent les rapports. Ce n'est pas vrai. La bourgeoisie ne se compose pas
de quelques gros bonnets de chef-lieu qui ont leurs haines particu-
liĂšres Ă repaĂźtre, leurs futures conspirations Ă servir. Elle se compose
de gens obscurs qui n'osent rien dire parce qu'ils sont opprimés par
les plus apparents, mais qui ont des entrailles et qui baissent les yeux
avec honte et douleur en voyant passer ces hommes dont on fait des
martyrs et qui, ferrĂ©s comme des forçats sous l'Ćil des prĂ©fets, tendent
avec orgueil leurs mains aux chaĂźnes.
On a destitué à La Chùtre un sous-préfet, j'en ignore la raison ; mais
le peuple dit et croit que c'est parce qu'il a ordonné qu'on Îtùt les
chaĂźnes et qu'on donnĂąt des voitures aux prisonniers. Les paysans
étonnés venaient regarder de prÚs ces victimes... A Chùteauroux on a
remis les chaßnes. Les gendarmes qui ont reçu ces prisonniers à Paris
ont été étonnés de ce traitement.
Le général Canrobert n'a vu personne. On le disait envoyé par vous
pour réviser les sentences rendues par l'ire des préfets et la terreur
des commissions mixtes, pour s'entretenir avec les victimes et se
mĂ©fier des fureurs locales. Trois de vos ministres me l'avaient dit Ă
moi (1) ; je le disais Ă tout le monde, heureuse d'avoir Ă vous justifier.
Comment ces missi dominiti, Ă l'exception d'un seul, ont-ils rempli
leur mission? Ils n'ont vu que les juges, ils n'ont consulté que les pas-
sions et, pendant qu'une commission de recours en grùce était instituée
et recevait les demandes et les réclamations, vos envoyés de paix,
vos ministres de clémence et de justice aggravaient ou confirmaient
les sentences que cette commission eĂ»t peut-ĂȘtre annulĂ©es. Pensez Ă ce
que je vous dis, prince, c'est la vérité. Pensez-y cinq minutes seule-
ment ! Un tĂ©moignage de vĂ©ritĂ©, un cri de la conscience qui est en mĂȘme
temps le cri d'un cĆur reconnaissant et ami, valent bien cinq minutes
de l'attention d'un chef d'Ătat.
Je vous demande la grùce de tous les déportés de l'Indre, je vous la
demande à deux genoux, cela ne m'humilie pas. Dieu vous a donné le
pouvoir absolu : eh bien, c'est Dieu que je prie, en mĂȘme temps que
l'ami d'autrefois. Je connais tous ces condamnés ; il n'y en a pas un
qui ne soit un honnĂȘte homme, incapable d'une mauvaise action, inca-
pable de conspirer contre l'homme qui, en dépit des fureurs et des
haines de son parti, leur aura rendu justice comme citoyen et leur aura
fait grĂące comme vainqueur.
Voyons, prince, le salut de quelques hommes obscurs, devenus inof-
fensifs ; le mécontentement d'un préfet de vingt-deux ans qui fait
du zĂšle de novice et de six gros bourgeois tout au plus... ne sont-ce
(1) Ce furent les ministres de l'Intérieur, de la Guerre et de la Justice.
an GEORGE SAND
pa9 lĂ de grands sacrifices Ă faire quand il s'agit pour vous d'une action
bonne, juste et puissante?
Prince, prince, Ă©coutez la femme qui a des cheveux blancs et qui
vous prie à genoux ; la femme cent fois calomniée, qui est toujours
sortie pure, devant Dieu et devant les témoins de sa conduite, de
toutes les Ă©preuves de la vie, la femme qui n'abjure aucune de ses
croyances et qui ne croit pas se parjurer en croyant en vous. Son opi-
nion laissera peut-ĂȘtre une trace dans l'avenir.
Et vous aussi, vous serez calomnié ! et, que je vous survive ou non,
vous aurez une voix, une seule voix peut-ĂȘtre dans le parti socialiste
qui laissera sur vous le testament de sa pensée. Eh bien, donnez-moi
de quoi me justifier auprĂšs des miens, d'avoir eu espoir et confiance
en votre Ăąme. Donnez-moi des faits particuliers, en attendant ces
preuves Ă©clatantes que vous m'avez fait pressentir pour l'avenir et
que mon cĆur, droit et sincĂšre, n'a pas repoussĂ©es comme un leurre,
comme une banale parole de commisération pour ses larmes.
Prince,
Je vous remercie du fond du cĆur des grĂąces que vous avez daignĂ©
accorder Ă ma requĂȘte. Accordez-moi, accordez Ă vous-mĂȘme, Ă votre
propre cĆur, celle des treize dĂ©portĂ©s de l'Indre, condamnĂ©s par la
commission mixte de Chùteauroux. Ils ont adressé en vain leur recours
à la commission des grùces. Ils m'écrivent que le général Canrobert
qui n'a voulu voir Ă ChĂąteauroux que les autoritĂ©s, contrairement Ă
ce qui m'avait été dit de sa mission par trois de vos ministres, leur est
annoncĂ© comme devant les voir au fort de BicĂȘtre, oĂč ils ont Ă©tĂ© trans-
férés. Est-ce le moment d'invoquer la soumission, quand ils viennent,
ces malheureux, d'ĂȘtre ferrĂ©s comme des forçats sous les yeux du prĂ©fet
et de traverser ainsi la France, eux, hommes honorables et incapables
de la pensée d'une mauvaise action? Cet affreux systÚme qui assimile
la présomption de l'opinion publique aux crimes les plus abjects, ne
voulez-vous pas qu'il cesse, et qu'on cesse de croire que vous l'avez
autorisé, que vous l'avez connu?
Prince, faites voir que vous avez le sens délicat de l'honneur fran-
çais. N'exigez pas que vos ennemis â si toutefois ces vaincus sont vos
ennemis â deviennent indignes d'avoir Ă©tĂ© combattus par vous.
Rendez-les Ă leurs familles sans exiger qu'ils se repentent. De quoi?
D'avoir été républicains? Voilà tout leur crime. Faites qu'ils vous
estiment et vous aiment. C'est un gage bien plus certain pour vous que
les serments arrachés par la peur.
Croyez-en le seul esprit socialiste qui vous soit resté personnelle-
ment attachĂ©, malgrĂ© tous ces coups frappĂ©s sur son Ăglise. C'est moi
GEORGE SAND aij
le seul à qui l'on n'ait pas songé à faire peur, et qui, n'ayant trouvé
en vous que douceur et sensibilité, n'a aucune répugnance à vous
demander Ă genoux la grĂące de mes amis.
Ces deux lettres envoyées, Mme Sand voulut encore une fois
revoir le président quoique, comme nous venons de le dire, elle
le nia plus tard, affirmation en désaccord avec les documents
que nous avons sous les yeux. Voici d'abord une enveloppe
contenant : 1° une lettre de faire part imprimée annonçant que
l'audience demandée est accordée, et 2° une réponse du général
Roguet :
Madame
Madame Oeorge Sand
3, rue Racine.
Maison du président
de la RĂ©publique
service des officiers d' ordonnance.
â Palais de l'ElysĂ©e, le 20 mai 1852,
Madame,
J'ai l'honneur de vous prévenir que le président de la République
vous recevra le vendredi 21 mai 1852 Ă 3 heures.
L'officier d'ordonnance de service.
Comte Roguet.
Madame George Sand.
Une autre enveloppe portant le mĂȘme en-tĂȘte et adressĂ©e comme
la précédente au numéro 3 de la rue Racine contient une seconde
lettre du comte Roguet, datée du 22 mai, dans laquelle le gé-
néral lui demande si elle a bien reçu la précédente, car elle n'y a
point répondu et n'est point venue la veille, aussi s'informe-t-il de
la cause de son silence. Enfin, dans une troisiÚme lettre, datée du
24 mai, adressée « à Nohant par La Chùtre, Indre », nous lisons :
Maison du prince
président de la république
service du général de division
aide de camp commandant
de la maison militaire. Palais de l'Elysée, le 24 mai 1852,
Madame,
Je n'ai reçu que le 18 mai la demande d'audience que vous avez
adressée au Prince Président de la République.
2t4 GEORGE SA WD
Si vous aviez bien voulu nvadresser directement, ainsi que le Moni-
teur et les journaux en (ont) donné avis, votre demande d'audience,
vous auriez obtenu immédiatement une réponse. Je regrette vivement,
madame, que cette circonstance ne vous ait pas permis de vous rendre
à celle qui vous a été accordée et je vous prie d'agréer l'expression de
mon respectueux hommage.
Le général de division
aide de camp commandant
la maison militaire.
Comte Roguet.
Madame George Sand.
On voit que l'audience demandée fut manquée par simple
malentendu, parce que la demande comme les réponses furent
mal adressées, et que dans tout cela il n'y a pas un mot de
Y attente de l'empereur, comme, aussi, il n'y a aucun doute que
cette audience fut accordée parce que Mme Sand avait bien
voulu revoir » le prince. Si elle s'était « crue jouée dÚs les pre-
miÚres entrevues » et n'avait « pas voulu le revoir », elle n'au-
rait pas demandĂ© encore une fois Ă ĂȘtre reçue en audience.
Enfin au mois de juin George Sand Ă©crivait encore une fois au
prince-président :
Au prince Louis-Napoléon Bonaparte, président de la République.
Nohant, le 27 juin 1852.
Monseigneur,
Vous avez répondu au prince Napoléon qui vous implorait de ma
part pour les déportés et les expulsés de l'Indre, que vous m'accor-
deriez ce que je vous demandais. Je viens remettre sous vos yeux la
liste des grùces que vous avez daigné me promettre et que j'attends
comme une nouvelle preuve de vos bontés pour moi.
George Sand.
Xous avons retrouvé dans les papiers de George Sand le
brouillon de la liste mentionnée dans cette lettre, portant au bas
GEORGE SAND 315
les mots : « Envoyé au président le 28 juin. » Cette liste est ainsi
conçue :
Déportés ou internés en Afrique :
Patureau-Francoeur, en fuite.
Lambert, Alexandre, en Afrique.
Jamet, d'Issoudun, en Afrique.
Renier du Blanc, idem.
Israël de Fressine, idem.
Laville-au-Roy (La Villeroy?) d'Argenton, idem.
Moreau, de Neuvy-Pailloux, idem.
Vallette, d'Issoudun, idem.
Rossignol du Blanc, idem.
Exilés temporairemen :
Fleury, en Belgique.
PĂ©rigois, Ă La ChĂątre.
Fromenteau, d'Issoudun, Ă Londres.
Curé Liotard, à Londres.
Internés :
Fulbert Martin.
Maderolle, de ChĂąteauroux.
Envoyé le 28 juin au Président.
Le 29 juin le général Roguet accusa réception de cette lettre.
On voit par toutes ces lettres et documents que, lorsqu'il
s'agissait de demander, George Sand ne le faisait pas une ou deux
fois, pour ainsi dire « par acquit de conscience », afin de pouvoir
seulement répondre à tel ou tel de ses amis : « Je l'ai fait », et en
rester lĂ . Elle s'acharnait Ă mener Ă bien chacune de ses demandes,
elle ne craignait d'impatienter ni d'importuner. Et que voyons-
nous? Presque tous ceux pour lesquels elle avait fait des
démarches furent graciés, libérés, rendus à leurs familles, ou du
moins leur chĂątiment fut adouci.
DĂ©jĂ le 9 mars 1852 Mme Sand put envoyer au docteur Con-
neau, ami intime de Louis-Napoléon, le résumé d'une partie de
ses demandes et la liste des vingt-neuf personnes pour lesquelles
elle s'était adressée au prince. Voici encore quelques documents
officiels et quelques lettres écrites par les familles des protégés
3i6 GEORGE SAND
de George Sand, annonçant à cette derniÚre les résultats de ses
démarches.
(Sans date.)
Madame,
J'ai fait la commission et l'on vient (1) d'Ă©crire au ministre de la
Guerre pour savoir ce qui en est de cette grĂące qui n'aurait point eu
son effet. Croyez bien, madame, etc..
Cavet.
A propos de ce mĂȘme Desages auquel cette lettre fait allusion,
Ferdinand François, le vieil ami de Mme Sand , par la Revue
indépendante, lui écrit ainsi qu'il suit, en lui faisant parvenir la
copie d'une lettre du général Baraguay d'Hilliers (2) :
Madame,
Je vous envoie ce fragment d'une correspondance entre Mme Roland
et le gĂ©nĂ©ral Baraguay qui pourra vous ĂȘtre utile dans vos dĂ©marches
en faveur de Desages.
Le Lyonnais, ami d'Erdant (sic) (3) dont je vous ai parlé se nomme
Félix Blanc, il est condamné à la déportation par le Conseil de guerre
du RhÎne et désirerait que sa peine fût commuée en exil. Je vous
remercie d'avance pour mon recommandé et vous prie de recevoir
l'assurance de mon respectueux dévouement.
Ferd. François.
Dimanche, matin.
A madame Pauline Roland.
16 mars.
Madame,
Quatre fois je suis intervenu en faveur de M. Luc Desages, gendre
de M. Pierre Leroux et autant de fois le ministre de la Guerre m'a
promis de faire commuer sa peine en celle de bannissement. Hier je
suis allé le voir et quand je lui ai parlé du transfÚrement de M. Luc
(1) « On », c'est-Ă -dire M. de Persigny lui-mĂȘme.
(2) Le comte Achille Baraguay d'Hilliers, né à Paris en 1795, militaire dÚs
son plus jeune ùge, eut le poignet emporté à la bataille de Leipzig, servit en
Afrique, fut commandant à Constantine, puis à Besançon ; ayant quitté le
service il fut représentant à la Constituante, puis à la Législative. S'étant
rapproché de l'Elysée il remplaça le général Hautpoul à Rome, puis remplit
les fonctions de commandant de l'armĂ©e du Rhin, appuya le coup d'Ătat,
se distingua dans la guerre avec la Russie, fit la campagne d'Italie oĂč il
gagna la bataille de Marignan, fut maréchal de France, sénateur et vice-
président du Sénat. Il mourut en 1878.
(3) Alexandre Erdan, rédacteur de l'Evénement,
GEORGE SAND 217
Desages Ă Brest, il m'a dit alors que cela s'Ă©tait fait en dehors de son
action. Mais comme cette derniĂšre mesure pourrait en faire craindre
une plus sévÚre que j'ai cherché à prévenir, hier soir j'ai vu M. le pré-
sident de la République qui a pris note et m'a fait espérer qu'il donne-
rait suite Ă la promesse qu'il avait faite Ă Mme Sand...
Le général Baraguay auquel George Sand s'était adressée en
outre pour son neveu, Oscar Cazamajou, qui servait dans les
spahis, le général, disons-nous, avait déjà écrit à Mme Sand elle-
mĂȘme Ă propos de ses deux protĂ©gĂ©s, le 7 fĂ©vrier (mars?) :
Paris, 7 février 1852.
Madame,
Je m'étais empressé de prévenir Mme Pauline Roland que M. Luc
Desages, gendre de Pierre Leroux, ne serait pas déporté à Cayenne
et que j'intercédais prÚs du ministre de la Guerre pour qu'il fût seule-
ment exilé. Je vais lui faire part de la bonne nouvelle que vous me
donnez aujourd'hui. Vous devez gagner toutes les causes que vous
plaidez, madame, je voudrais bien qu'il en fût ainsi de toutes celles
dont vous me chargerez. Afin de ne pas perdre de temps j'ai Ă©crit
hier au colonel du 2e régiment de spahis pour lui recommander M. Caza-
majou, votre neveu, et lui demander de le pourvoir d'un des emplois de
maréchal de logis qui seront prochainement vacants dans son régiment
Je suis charmĂ©, madame, de trouver une occasion de vous ĂȘtre
agréable et de vous offrir l'expression de mon respectueux hommage.
Général Baraguay d'Hilliers.
Le 21 mars il lui Ă©crit encore, et aprĂšs quelques lignes con-
sacrées au jeune Cazamajou, il revient à la question Desages :
...J'ai rappelé, il y a huit jours, au président la promesse qu'il vous
avait faite, madame, de commuer la peine de la déportation en celle
de l'exil en faveur de M. Luc Desages. Le prince a paru surpris de le
savoir encore en prison. J'espĂšre donc que M Desages recouvrera la
liberté...
Sur l'enveloppe : Madame Georges (sic) Sand.
Paris, n° 3, rue Racine,
république française
MinistĂšre de la Justice
Cabinet du garde des sceaux.
Madame,
M. le ministre de la Justice aura l'honneur de vous recevoir mardi 30
Ă 4 heures du l'aprĂšs-midi. La commission des grĂąces n'a pas encore
*i8 GEORGE SAND
donné d"avis sur les trois personnes dont vous avez bien voulu me
parler. Je vous prie d'agréer... etc.
Charles Abbatucci,
Chef du cabinets
A Mme George S and.
Cabinet du ministre
de la pouce générale. Paris, le 30 mars.
J'ai soumis au ministre la demande que vous lui aviez adressée
pour que M. Emile Aucante et M. Fulbert Martin soient autorisĂ©s Ă
résider dans votre propriété de l'Indre pendant un mois. Prenant en
considération les motifs de votre demande (1), le ministre a bien voulu
signer les deux autorisations que j'ai l'honneur de vous envoyer.
Le chef de cabinet,
Thiéblin.
Cabinet du ministre
de l'intérieur.
â Paris, Ie1 avril.
Madame,
Je m'empresse d'avoir l'honneur de vous informer qu'un sursis
d'un mois vient d'ĂȘtre accordĂ© Ă M. Emile Aucante. H est autorisĂ© Ă
résider pendant ce temps dans le domaine que vous habitez (départe-
ment de l'Indre).
Le chef du cabinet,
Signé : Théophile de Montaud.
Post-seriptum autographe :
Je reçois à l'instant la lettre que vous m'avez fait l'honneur de
m'Ă©crire le 31 mars et je ne puis, comme vous le voyez, y faire une meil-
leure réponse.
Th. M.
Mme George Sand, Ă Nohant, prĂšs de La ChĂątre. Indre.
Enfin le 12 avril, DesagespĂšre Ă©crivit de La ChĂątre Ă Mme Sand
qu'il venait de recevoir une lettre de son fils, Ă©crite de Toulon,
lui annonçant que, coup sur coup, Luc Desages avait appris
par deux télégrammes : 1° qu'on le faisait revenir d'Afrique et
(1) Mme Sand avait avancé pour motif de sa demande la nécessité de la
prĂ©sence de M. Aucante Ă Nohant pour les intĂ©rĂȘts de la « gestion du dit
domaine ».
GEORGE SAND
2 :
2° qu'on lui fixait pour séjour la Corse avec permission de choisir
son lieu de résidence. Le pÚre Desages ajoutait à cela qu'il ne
devait cet adoucissement du chùtiment de son fils qu'aux « nom-
breuses démarches de Mme Sand auprÚs du président » et que
ni lui, ni la mĂšre de Luc ne l'oublieraient jamais (1).
Les démarches de Mme Sand pour Patureau ne semblent pas
avoir Ă©tĂ© immĂ©diatement couronnĂ©es du mĂȘme succĂšs malgrĂ© la
bonne volonté des personnes (entre autres Charles Abbatucci) (2)
auxquelles elle s'était adressée, aprÚs avoir plaidé la cause de
Desages :
C'est probablement Ă Patureau que se rapporte la lettre de
Napoléon que voici, sans date, écrite sur un papier à son chiffre,
avec couronne. La lettre, écrite par un autre, est seulement signée
de la main de Napoléon.
Madame,
DÚs que j'ai reçu votre lettre je me suis empressé de prendre des
renseignements les plus précis sur la personne que vous me recom-
mandiez et j'aurais été heureux de pouvoir faire quelque chose qui
vous fût agréable. Malheureusement les rapports de l'administration,
de la magistrature et de la gendarmerie s'accordent tous sur la néces-
sité d'interner votre protégé en Afrique. Personne plus que moi ne
regrette les rigueurs auxquelles je suis forcé, mais mon but unique,
Ă©tant de pacifier le pays, de maniĂšre Ă ce qu'il soit capable de supporter
une véritable et saine liberté, je dois me montrer sévÚre envers ceux
qui entretiennent toujours dans les masses des idées subversives et des
projets d'insurrection.
Recevez, madame, avec l'expression de mes regrets, l'assurance
de mes sentiments distingués.
Signé : Napoléon.
Mme George Sand.
Mais sĂŻl arrivait parfois que Mme Sand ne parvenait pas Ă
assurer le succĂšs de ses demandes, ou si elle ne parvenait pas Ă
arracher une libération, un élargissement complet, elle mettait
en Ćuvre toutes ses relations afin d'adoucir au moins le sort des
(1) Cette lettre existe toujours.
(2) Lettre inĂ©dite de Ch. Abbatucci â alors garde des sceaux â du
13 avril 1852.
aao GEORGE SAND
internés en Afrique, ou des exilés en Belgique ou en Angleterre.
Elle écrivait des lettres aux généraux commandant les troupes
d'Afrique, aux gouverneurs des places fortes ; elle envoyait de
l'argent aux expatriés ; elle tùchait de ne pas laisser les pauvres
exilés sans nouvelles de leurs familles ; elle soutenait ces derniÚres,
enfin elle faisait, ici encore, preuve de cette infinie charité active,
de cet amour actif qui lui Ă©tait propre dĂšs l'enfance et dura
jusqu'à la tombe. Cette pitié divine qui brûlait en elle subjuguait
et charmait tous ceux Ă qui elle s'adressait. De sorte que si une
partie des réponses officielles à ses demandes d'audience, à ses
mémoires et suppliques, ne témoignent que d'une correction
respectueuse et de la bonne Ă©ducation de ses correspondants,
une foule d'autres lettres nous montrent quelle admiration
infinie, quel enthousiasme Ă©veillait Mme Sand chez ceux pour
qui elle faisait ces démarches, tout autant que chez ceux auprÚs
de qui et par qui elle les faisait. H est Ă noter, incidemment, que
plus ses correspondants sont haut placés : le prince, les ministres,
les chefs de cabinet ou commandants de maison militaire, et les
intimes amis de Napoléon : MM. Abbatucci et de Montaud, le
vicomte Clary et M. Vieillard, â intime entre tous â les
gĂ©nĂ©raux Roguet et Baraguay d'Hilliers â et plus leurs lettres,
toutes personnelles, sont affables, affectueuses mĂȘme ; ils prient
Mme Sand d'agréer l'expression de leur « admiration affec-
tueuse », ou de leur « sincÚre admiration » ; ils lui parlent « d'un
et mĂȘme sentiment » dans lequel ils « confondent l'auteur et ses
ouvrages ». Les hauts fonctionnaires et les secrétaires privés des
ministres sont déjà tant soit peu plus réservés et plus secs ; les
préfets et les sous-préfets sont non seulement parfaitement et
officiellement raides, mais parfois mĂȘme d'une impolitesse tout
olympienne. C'est ainsi que Napoléon et M. de Persigny, le
ministre de la Guerre et le comte Roguet « s'empressent » de lui
accuser réception de la lettre qu'elle « leur fit l'honneur de leur
adresser », lui dĂ©clarant ĂȘtre « charmĂ©s de la recevoir tel jour de
la semaine qu'il lui plaira de vouloir fixer » et se disent « heureux
de pouvoir lui rendre service », â tandis qu'un prĂ©fet lui Ă©crit :
« Je consen* volontiers à vous accorder le quart d'heure d'audience
GEORGE SAND 221
que vous me demandez. Vous pouvez venir à la préfecture mercredi
prochain à une heure... etc., etc. (!!!). »
Quant Ă ceux pour qui George Sand s'adressait Ă tout ce monde
officiel, on ne peut vraiment lire sans en ĂȘtre profondĂ©ment Ă©mu
les lettres d'Alexandre Lambert, d'Emile Aucante, Fulbert
Martin, Luc Desages, Ernest PĂ©rigois, Patureau-FrancĆur, de
Mmes Lumet ou Lise Perdiguier et d'un grand nombre d'autres,
soit de la prison de ChĂąteauroux, des forts d'Ivry et de BicĂȘtre,
soit de la cale des vaisseaux les emmenant en Afrique, de
Bruxelles, de Toulon et de Londres, parfois mĂȘme... de quelque
grange ou de quelque coin de la forĂȘt oĂč ils se cachaient. Et quelle
reconnaissance enthousiaste respirent les lettres des amis, des
parents qui s'empressent d'annoncer à Mme Sand la libération
ou le retour au bercail de leur pĂšre, frĂšre ou mari, Ă cette chĂšre et
vénérée Mme Sand dont les soins pieux pour leurs proches leur
étaient restés inconnus jusqu'à ce jour-là . Il est douteux que
quelque autre écrivain, ou quelqu'un d'autre, en général, ait
obtenu de tels hymnes d'admiration Ă©mue et d'enthousiaste gra-
titude. « ChÚre madame et excellente protectrice des martyrs
politiques de notre triste époque » l'appelle l'un de ses corres-
pondants. Un autre « croit pouvoir compter sur la bienveillante
intervention de Mme George Sand dont le département de la
Creuse reconnaßt les sympathies en faveur des condamnés poli-
tiques ». Marie Lambert ayant appris par Mme Fleury ce que
Mme Sand fit pour eux la remercie avec chaleur, et Luc Desages
l'appelle « madame et amie » quoiqu'il « ne sache pas s'il a le
droit d'employer ce dernier nom; cependant je ne puis m'en
empĂȘcher », sachant ce qu'elle avait fait pour lui, et qui elle avait
vu. Il ne veut donc pas remettre jusqu'à sa libération complÚte
l'expression de sa reconnaissance pour lui, d'abord, puis pour sa
femme, son enfant, son beau-pĂšre, et il lui parle de son admiration
et de sa reconnaissance, « sentiments qui depuis mon plus jeune
ùge n'ont jamais varié »...
Le communiste Arnold, dans sa lettre de recommandation
datée de Londres, mercredi 24 août 1852, donnée par lui à une
dame qui voulait faire un pÚlerinage chez « la mÚre d'Indiana »,
222 GEORGE SAND
l'appelle « la sainte du Berry », et Marc Dufraisse lui écrit de
Bruxelles en la nommant « Xotre-Dame du Bon-Secours ».
Mme Lumet la remercie pour tout ce qu'elle avait « bien voidu
faire pour eux, et pour l'humanité, quoique ses démarches n'aient
pas abouti » à un élargissement complet, et elle ajoute : « Je ne
maudirai jamais mes souffrances, puisqu'elles me procurĂšrent
l'occasion de vous connaßtre. »
Votre dĂ©vouement, mon cher George, â lui Ă©crit Ă la date du 21 mai
Gabriel de Planet qui l'aidait en ce moment Ă faire une souscription
en faveur des exilĂ©s, â votre dĂ©vouement est sans bornes pour les
amis et les malheureux. Que d'autres admirent votre gĂ©nie, quant Ă
moi je m'agenouille avant tout devant votre grand cĆur....
Abel Dufraisse lui Ă©crit de Ribeyrac le 23 novembre 1852 :
...rsous avons ignoré longtemps à quels personnages et à quelle?
influences était due la commutation de la peine de déportation décrétée
par Louis-Xapoléon Bonaparte contre Marc, mon frÚre, en celle de
bannissement.
Et il dit que cette ignorance leur avait été trÚs pénible.
Aujourd'hui seulement les siens ont appris que « cela était dû
à sa bienveillance et à sa puissante intervention ». En la remer-
ciant au nom de toute sa famille qui est heureuse d'ĂȘtre obligĂ©e
« envers une personne pour laquelle nous avons une grande
admiration et une profonde sympathie qui date de loin », et en
lui disant que lui et les siens n'avaient « point été étonnés des
démarches qu'elle avait faites de son propre mouvement en
faveur de leur frÚre », il termine sa lettre par ces mots :
Ah ! bonne et chĂšre dame, joignez, je vous en supplie vos instances,
vos sollicitations Ă nos priĂšres, peut-ĂȘtre arriveront-elles jusqu'Ă Dieu
si elles ne peuvent faire fléchir les rigueurs du pouvoir. La voix d'une
femme est si Ă©loquente, si puissante. Marie priera pour le malheureux
exilé, vous, vous voudrez bien intercéder en sa faveur auprÚs de
Bonaparte. ]\ous bénirons votre nom : et vos bontés, votre dévouement
méconnus sur la terre seront récompensés dans le ciel. Recevez, excel-
lente patronesse {sic) des martyrs, consolatrice des affligés, l'assu-
rance de ma haute considération et de mon profond respect-
Marc Dufraisse lui-mĂȘme Ă©crivit Ă Mme Sand la lettre suivante
fort curieuse et fort caractéristique, sous maint rapport, et que
GEORGE SAND 223
nous donnons en entier malgré sa longueur, car elle nous paraßt,
pour des raisons particuliĂšres, mĂ©riter d'ĂȘtre citĂ©e.
Bruxelles, 19 février 1852.
Ma chĂšre dame,
J'ai enfin une chambrette, du feu de charbon de terre, et du papier
blanc. Laissez-moi vous Ă©crire, comme Ă©crivent les proscrits, longue-
ment. Ils ont tant de choses Ă dire ! Ils aiment tant Ă parler d'eux !
Donc, je vais causer avec vous de moi, d'abord, pour n'y plus penser
et n'y revenir plus, puis beaucoup de vous, des exilés et un peu de
l'homme qui nous a bannis.
Mon odyssée à moi commence mal. Je suis aux prises avec le gou-
vernement belge. C'est déjà une histoire. Avez-vous le temps de
l'Ă©couter? Vous la lirez une autre fois, si elle vous ennuie aujourd'hui.
Ces Flamands, bonne dame, ne comprennent qu'à moitié les devoirs
de l'hospitalité. Les notions les plus vulgaires du droit d'asile s'eiïacent
ici devant la peur qu'on y a du gouvernement français. Le Brabançon
ne veut pas comprendre et il ne sent pas qu'eussent-ils été coupables
dans leur pays, les fugitifs qui franchissent sa frontiĂšre, son seuil, qui
viennent s'asseoir Ă son foyer, qui lui demandent un refuge, sont des
innocents pour lui, des infortunés dignes d'un accueil fraternel, cordial
et de tous les égards dus au malheur. Ces Belges nous ont reçus sans
. nous accueillir. Ces chrétiens-là n'ont de leurs obligations envers les
exilés qu'une idée vague et confuse comme les regards de leurs yeux.
Les paĂŻens en avaient mieux le sentiment.
On ne se doute pas, dans ces Pays-Bas, que, comme le pauvre, le
proscrit est une chose sacrĂ©e. C'est affligeant Ă voir, c'est cruel Ă
Ă©prouver. Le droit des gens, cette antique constitution des peuples, ce
vieux code de l'humanité, disparaßt ici devant la panique universelle,
la terreur de l'invasion. Tout périra-t-il donc dans ce siÚcle d'égoïsme
et de couardise? Vous verrez que la pitiĂ©, mĂȘme pour les plus saintes
infortunes, s'en ira comme s'en vont toutes les bonnes choses du passé.
Croiriez-vous, madame, qu'ils ont eu, dit-on, la pensée de m'expulser?
Qu'ils voulaient du moins me reléguer à l'extrémité de leur monarchie,
sur la frontiÚre de Prusse, dans les Ardennes belges, contrée de bois,
royaume des sangliers, pays perdu? Est-ce que je pourrai vivre, moi,
dans ces lieux sauvages et déserts?
Quand ils m'ont signifié cette décision, il m'a fallu plaider ma cause
en suppliant. Sans la maladie qui m'a couché dÚs le jour de mon arrivée
à Bruxelles et qui m'a tenu au ht trois ou quatre jours, je serais déjà ,
malgré toute mon éloquence diplomatique, interné à Saint-Hubert.
Comme il est possible que la querelle entre M. LĂ©opold et moi s'en-
324 GEORGE SAND
venime et qu'il peut trÚs bien arriver qu'on m'envoie isolément je ne
sais oĂč, je veux, pour que vous ne m'accusiez pas d'ĂȘtre une mauvaise
tĂȘte, vous rĂ©sumer ce que j'ai dit Ă l'un des commis de Sa MajestĂ©...
« Quel que soit mon nom, vous devez l'ignorer. Pour vous je ne
suis, je ne dois ĂȘtre ni Pierre, ni Paul, ni Marc ; je suis homme anonyme,
banni. Quel qu'ait été mon crime en France, fussé-je mille fois convaincu
de résistance à l'usurpation, vous ne devez pas faire acception de mes
antécédents politiques. Il ne vous appartient de considérer ni mon passé
public, ni l'avenir que les événements de la révolution me destinent.
Pourvu que je ne me mĂȘle pas de vos affaires, vous ne devez voir en
moi que mes infortunes particuliÚres et présentes et mes misÚres de
proscrit. Je suis, dites-vous, l'un des hommes les plus compromis,
soit. Mais alors Ă quoi bon le droit de refuge, si vous le refusez aux
criminels politiques pour qui seuls l'humaine coutume l'a fondé? Que
servira le droit d'exil, si vous fermez impitoyablement les portes du
lieu Ă qui seul a besoin qu'elles s'ouvrent devant lui? Vous craignez
l'annexion Ă la France esclave de votre territoire encore libre? Vous
voulez garder l'indépendance de votre pays, vos lois, vos institution?,
vos mĆurs? C'est bien; mais est-ce donc de l'indĂ©pendance que d'obĂ©ir
ainsi Ă l'Ă©tranger et d'aller peut-ĂȘtre au devant de ses dĂ©sirs? Qu'est-ce
que la séparation officielle et apparente de deux terres, si vous subissez
les ordres de la police de Paris, si vous marchez ainsi, de gaieté de
cĆur, vers un asservissement moral volontaire, plus honteux cent fois
qu'un asservissement par l'invasion et la violence? Ce n'est point
par des complaisances pusillanimes que vous sauverez votre person-
nalité. Le danger est dans vos condescendances sans exemple et dans
vos faiblesses sans nom. C'est à faire ainsi les volontés du fort que
vous perdrez votre nationalité et votre honneur. Vous tomberez ainsi
sans éclat et sans grandeur. Obéir à des notes venues de France, c'est
renoncer Ă vous-mĂȘmes. On abdique, sachez-le bien, on abdique sans
dignité et sans profit, quand on exécute lùchement et cruellement les
ultimatum cruels et lĂąches d'une diplomatie de brigands. En ce qui
me concerne, la Belgique serait-elle donc moins humaine envers moi que
le gouvernement français? Considérez-moi un peu, je vous prie. Voyez
combien ma constitution est chĂ©tive et frĂȘle. Mon tempĂ©rament est minĂ©
parles maladies, épuisé par la vie de révolution, par les plus patriotiques
chagrins. Affaibli par le séjour des prisons, empoisonné par le regret
de la patrie absente, ma santé a besoin de soins habiles et constants.
« H me faut, tout atroce qu'on m'ait fait, le commerce des hommes,
leur bienveillance, leurs sympathies, l'assistance morale de leur commi-
sération. Il me faut, tout barbare qu'on me dise, la communication des
idées, l'échange des sentiments, la compagnie des livres, l'étude, l'air
enfin de la civilisation. Tout tigre que je suis, je ne veux pas aller vivre
GEORGE SAND 225
avec vos loups des Ardennes et vos marcassins de Saint-Hubert
Qu'adviendra-t-il de moi, si vous m'envoyez à l'extrémité de vos
terres, dans vos forĂȘts, sur les bords abandonnĂ©s de la Meuse belge?
Si vous ajoutez la mélancolie de l'isolement aux amertumes de l'exil,
à la nostalgie qui me gagne? Voyez, je suis souffrant, valétudinaire ;
j'ai quitté, pour me rendre à vos ordres, mon lit de fiévreux. Votre
climat humide et froid aggrave le triste Ă©tat de ma poitrine. Que sera-ce
donc si vous m'envoyez respirer le mauvais air des Ă©tangs et les Ă©ma-
nations mortelles des marais de Saint-Hubert? Votre hospitalité me
sera-t-elle donc aussi fatale que l'eût été ma déportation sous le soleil
de l'Equateur? Il eĂ»t mieux valu pour moi peut-ĂȘtre d'aller Ă Cayenne
que de venir chez vous. »
Voilà , madame, le résumé fidÚle de ma supplique verbale. Je vous
demande pardon de vous avoir fatiguée de ce parlage ; mais je veux
vous mettre au courant du conflit, afin que vous m'aidiez et, s'il est
possible, Ă me tirer du mauvais parti qu'or veut me faire ici. Je ne
veux pas aller en Angleterre, mes ressources ne me suffiraient pas
dans ce pays. Je veux rester en Belgique et Ă Bruxelles. Il me faut de
bonnes raisons pour fermer la bouche au gouvernement d'ici. La meil-
leure serait de pouvoir leur dire, si j'en avais la certitude, que l'auto-
rité française ne demande point mon internement; que c'est là une
persécution toute bénévole et toute gratuite de l'autorité belge. Or,
je ne puis pas croire que le gouvernement français s'occupe de moi et
qu"il pĂšse sur la Belgique pour qu'elle me traite avec rigueur. Je crois
plutÎt à la spontanéité tracassiÚre de la police brabançonne. N'y aurait-
il pas moyen de vérifier cette conjecture et de m'édifier sur ce point?
Si, sans vous dĂ©ranger, il vous Ă©tait facile, par vos relations, d'ĂȘtre
informée là -dessus, je serais bien heureux de pouvoir dire au gouver-
nement belge : c'est d'office que vous me tourmentez. C'est trÚs sérieu-
sement que je ne veux pas aller Ă Saint-Hubert. L'assignation de ce
lieu de séjour est une plaisanterie de fort mauvais goût; c'est une
avanie à laquelle je ne veux pas me soumettre ; c'est une méchanceté
sans esprit que je ne veux pas subir. Nous sommes ici quelques-uns
que l'on veut rendre ridicules ; je ne me rĂ©signerai jamais Ă ĂȘtre bafouĂ©.
Vous savez la légende du grand saint Hubert, l'histoire des bagues
qui préservent de la morsure des chiens enragés et de ces anneaux qui
guĂ©rissent de la rage. Eh bien, on dit ici, avec une bĂȘtise mĂ©chante
que le gouvernement envoie à Saint-Hubert les chiens enragés de
Immigration française, que le grand saint nous guérira de nos accÚs de
rage, et que, quand nous reviendrons de lĂ -bas, nous ne scandaliserons
plus les honnĂȘtes gens par nos convulsions d'hydrophobie. Tenez, Ă
ce moment, je ris de cette bĂȘtise vraiment belge ; mais je ne veux pas
ĂȘtre le jouet des mauvais plaisants qui gouvernent ce pays-ci. Et
iv. ,5
a26 GEORGE SAND
c'est plus encore une question de santé que d'amour-propre. Le fait
est que je suis malade. J'ai l' arriÚre-gorge travaillée par une inflam-
mation chronique qui menace d'attaquer les bronehes et de porter
ses ravages plus bas encore. Je me sens de la fiĂšvre. Si la raison d'Ătat
m'envoie dans la Sibérie belge, je n'y résisterai pas longtemps. Mon
mal n'est pas de eeux que saint Hubert avait reçu le don de guérir.
Puis, enfin, il y a là une question de vie matérielle. Si j'étais ici à poste
fixe, peut-ĂȘtre trouverais-je Ă faire quelque besogne honorable dont
le salaire m'aiderait Ă subvenir Ă mes besoins.
J'ai bien trop longtemps parlé de moi. De vous maintenant et de nos
amis les proscrits ! Le sujet est délicat à toucher. Ici l'on vous blùme
un peu ; moi, je vous défends beaucoup. Je sais, vous me l'avez dit
chez Proud'hon, qu'il n'est jamais entré dans vos projets de déclarer
la guerre à Bonaparte. La neutralité de votre part étant irrévocable-
ment arrĂȘtĂ©e avec vous-mĂȘme, je n'ai pu blĂąmer le parti que vous
cherchiez à tirer de vos rapports antérieurs avec Louis-Napoléon. Je
ne puis que vous louer, au contraire, de votre intervention, soit pour
une amnistie générale, soit pour des mises en liberté particuliÚres. Je
ne comprends pas, en vérité, ceux qui vous font un crime de vos
démarches toutes pleines d'humanité. Vos actes, en ces jours de pros-
criptions, marqueront selon moi une des plus belles pages de votre vie.
Sans doute, je vous aurais mieux aimée attaquant le parjure, la viola-
tion du droit et des lois, et faisant par votre courage de femme rougir
les hommes de leur lùcheté. Vous ne voulez pas de cette célébrité,
Vous aurez raison peut-ĂȘtre ; peut-ĂȘtre vaut-il mieux ĂȘtre vous,
vous intercédant pour la France, pour les victimes, pour vos
amis, que de refaire Mme de StaĂ«l, mĂȘme avec supĂ©rioritĂ©, et d'irriter
un caractĂšre vindicatif et rancuneux. faites donc votre naturel comme
disent les artistes. Soyez la Notre-Dame du Bon Secours. Qui donc, en
ce naufrage universel, vous ferait raisonnablement un grief de votre
sollicitude? Quel crime, grand Dieu ! que de ramer vers les malheureux
que le flot submerge ! Tenez pour certain, madame, que dans les su-
prĂȘmes dĂ©sastres, le sauvetage est une Ćuvre tout Ă la fois de bien et
de hardiesse. Quand pitiĂ© peut ĂȘtre taxĂ©e de complicitĂ©, c'est courage
peu vulgaire et vertu peu commune que d'implorer pour les vaincus.
Je vais plus loin encore et je dis que si vous obtenez l'aminstie
en masse, vous aurez rendu un immense service Ă la BĂ©publique. Cela
n'est point un paradoxe. Que ferons-nous pour elle dans l'exil? De
quel secours serons-nous pour elle? Volontaires ou forcés, de quel
poids réel des émigrés ont-ils jamais pesé dans les destinées de leur
pays? Loin du milieu natal, chacun de nous perd plus des trois quarts
de sa valeur et de sa force, et la totalité de son action. Je nous vois ici,
désorientés, ahuris, démoralisés, conscients de notre impuissance,
GEORGE SAND a*?
morts, oui morts, car nous ne vivons plus de la vie politique, depuis
que nous sommes détachés de l'arbre, arrachés du sol. C'est un de
mes tourments, et le plus intolĂ©rable peut-ĂȘtre, que le spectacle de
cette insouciance des bannis, de cet abandonnement d'eux-mĂȘmes. Je
ne leur en veux pourtant pas, leur apathie est iorcée, fatale. On n'a
plus d'ardeur pour la lutte, quand il n'y a plus de danger en perspec-
tive. Le nerf des hommes dans notre position, c'est le péril. Ici, la
sûreté, la biÚre, l'oisiveté seront mortelles à nos anus. Je dis, moi,
qu'il faut rentrer si, pour des motifs que je ne veux pas examiner, on
nous ouvre la frontiÚre de France. Je ne considérerai point comme
une faiblesse, mĂȘme Bonaparte rĂ©gnant, le retour au pays, non pas
pour accepter son usurpation ou pour la subir, mais le retour Ă la
lutte, au péril, à l'énergie qu'il donne, aux dévouements qu'il inspire.
On dit que nous ne serons pas en sécurité dans une caverne de bandits.
Je le sais bien et je dis que c'est précisément à cause de cela qu'il faut
rentrer. Notre absence n'enseigne rien au pays. Vingt ans d'exil et de
souffrance, vingt ans de misÚre et de résignation n'avanceront pas
d'un seul jour la restauration républicaine. Notre présence au pays sera
une protestation vivante contre le crime.
On craint que l'amnistie ne popularise Bonaparte. Cet acte ne lui
donnera que la force qu'il a et ne changera rien aux conditions de sa
faiblesse. Les niais et les fripons sont Ă lui quand mĂȘme. Les hommes
de cĆur ne cesseront pas de le dĂ©tester pour son masque de gĂ©nĂ©rositĂ©
et de clémence, et toute colÚre qui désarmera devant cette hypocrisie
grossiÚre n'est ni vigoureuse ni bien trempée.
Insistez donc pour une rentrée en masse des bannis. Les mÚres, les
femmes, les enfants vous béniront. C'est beaucoup déjà ; mais je vous
le jure, moi qui observe, vous aurez servi indirectement, mais efficace-
ment la cause républicaine ; je m'entends et me comprends.
Je ne veux pas clore ce cahier sans vous parler un peu de l'homme
dont je suis, selon votre dire, l'ennemi trĂšs personnel. Ce n'est pas
pour l'invectiver, de vous Ă moi. Non, je n'aime pas ce journalisme
manuscrit et Ă huis clos. Mais j'ai cru remarquer que vous n'aviez pas
une trĂšs mauvaise opinion de cet homme-lĂ . Je crois qu'en retour des
prétendues grùces qu'il vous accorde, vous ne vous croyiez obligée de
âąpenser et de dire du bien de lui. Puisque vous avez pris la rĂ©solution
de ne point l'attaquer de votre plume, sachez que la magnanimité de
votre silence suffit à elle seule pour vous libérer envers lui. Votre neu-
tralité, mais c'est une chose énorme que vous lui donnez. De grùce,
madame, ne poussez pas plus loin le sacrifice. Rien ne vous impose le
devoir de l'estimer et de l'admirer. Gardez pour de meilleurs que lui
vos affections et vos enthousiasmes, trésors si précieux pour qui vous
sait. Jugez-le moins par votre imagination, c'est toujours la folle du
22S GEORGE SAND
logis. Vous ĂȘtes trop honnĂȘte pour ĂȘtre dĂ©fiante, mais vous verrez
qu'il vous trompera, vous, comme il a trompé les hommes et Dieu. Je
n'aime pas vous entendre dire qu'il est chevaleresque, je l'aime d'au-
tant moins que vous le pensez. Vous vous laisserez donc toujours
capter par l'hypocrisie. Non, sous ce flegme, qui n'est pas français, il
n'y a rien d'honnĂȘte ni de grand. Que votre soif de rĂ©formes et vos
aspirations vers le rĂšgne de la justice n'altĂšrent point votre jugement
d'habitude sûr et sain. Ne vous laissez donc pas prendre aux promesses
monosyllabiques de l'empereur socialiste. Vous saurez me dire un jour
ce que c'est que le socialisme pour ce cerveau plat et ce cĆur sec. Son
socialisme, à lui, ne créera rien, soyez-en d'avance bien certaine. J'en
sais assez maintenant pour deviner le reste. H veut constituer la féoda-
lité des hauts traitements et dominer par les grands vassaux du salaire
et la bourgeoisie et le peuple. Il ne veut pas une existence indépendante
dans l'Ătat, et pour assujettir tout le monde, il donnerait, s'il le pou-
vait, solde et paye Ă tout le monde. L'affaire des costumes n'est pas
une fantaisie de maniaque. H y a tout un systĂšme social : il commence
par broder les fonctionnaires sur toutes les coutures, pour arriver de
classe en classe à donner une livrée à la nation.
Il en viendra, si le temps et notre pusillanimitĂ© le permettent, Ă
réglementer toute chose, à embrigader toute personne. Il fera de la
France une caserne. Il tuera toutes les activités, comme il a scellé
toutes les bouches. Quiconque n'emboĂźtera point le pas sera un fort
mauvais citoyen. Toutes les servitudes du communisme avec toutes
les inégalités sociales du présent, voilà ce quïl donnera au pays. Avec
le bonheur du peuple pour prétexte, il tuera toute vertu comme rebelle
et tout génie comme factieux. Il faudra que tout le monde rentre
dans le rang. Il nous alignera bien plus pour abaisser les tĂȘtes trop
hautes que pour niveler les ventres trop nourris. H respectera tous les
intĂ©rĂȘts pour avoir le droit de poursuivre toute noblesse de cĆur et
toute indépendance d'esprit. Il ne lui faudra que des affranchis pour
le servir et des esclaves pour le saluer. Il n'aime pas plus le peuple que
les Césars n'aimaient la plÚbe. Croyez-vous que c'était par dévoue-
ment Ă la multitude que les empereurs Ă©gorgeaient les patriciens? Ce
n'est pas l'aristocratie capitaliste qu'il menace et qu'il veut détruire,
c'est bien plus Ă la supĂ©rioritĂ© de l'intelligence qu'il en veut. Je vois Ă
cette heure et je prends en horreur la souveraineté de son but, D m'a
fallu l'expérience du temps présent pour bien comprendre la fin abo-
minable que poursuivaient les CĂ©sars d'autrefois et par les tristes
rĂ©sultats qu'ils obtinrent je touche dĂ©jĂ de l'Ćil le terme oĂč celui-ci
nous mÚne. Je saisis maintenant la vérité profonde de ces deux mots
de Tacite : magna ingénia et virtutes cessere. Tournez la phrase au futur
et vous aurez l'avenir que cet homme nous prépare. Je le crois capable
GEORGE SAND 229
de renouveler les plus mauvais jours de l'empire romain et les scĂšnes
lugubres et contemporaines de la Galicie. Au besoin, il lancera les pay-
sans contre les prolétaires. Mais il ne sortira rien de cette jacquerie
napoléonienne. Tout son socialisme se résumera ainsi. Distribuer le
donativum aux légionnaires et le congiarium à la lie des faubourgs. Est-
ce lĂ , madame, la sociĂ©tĂ© nouvelle que votre intelligence rĂȘve et que
votre cĆur appelle de ses vĆux? Je vous en supplie, madame, n'ayez
pas foi dans ce Messie. N'ayez pas de culte pour cette Providence
aventuriĂšre. Vous vous souilleriez dans l'idolĂątrie.
Pardonnez-moi les longueurs de cette lettre. Faites-moi rester Ă
Bruxelles. Continuez-moi plus que jamais aide et protection. Arrachez
l'amnistie Ă la politique. TĂąchez de faire rentrer les proscrits. Ne faites
pas de mal Ă cet homme, mais gardez-vous d'en penser du bien.
A vous de cĆur.
Marc Dufraisse.
Rue Saint-Lazare, n° 35, prÚs la porte de Cologne.
George Sand traça de sa bonne grosse écriture, à l'encre bleue,
au bas de cette lettre : « Non, mon cher ami, je suis plus loyale
que vous. â G. S. » Et le lecteur qui n'a pas le temps d'oublier,
comme M. Dufraisse sembla l'avoir fait, l'histoire de son Ă©largis-
sement par ce mĂȘme « homme » que Mme Sand devait « ne pas
croire chevaleresque... » aprĂšs l'avoir vu libĂ©rer ce mĂȘme M. Du-
fraisse, dÚs qu'elle le lui eut déclaré comme son ennemi personnel,
le lecteur, croyons-nous, trouvera ample matiÚre à réflexion dans
cette longue missive si classiquement rouge, et dans cette brĂšve
sentence bleue.
Voici maintenant une lettre collective que les détenus de
ChĂąteauroux, avant de se disperser, Ă©crivirent Ă Mme Sand
lorsqu'ils apprirent ses dĂ©marches pour eux ; il existait â on le
voit â des gens capables de condamner George Sand pour cette
activité pleine d'abnégation et de sacrifice. Cette lettre fut
envoyĂ©e Ă Nohant au moment oĂč Mme Sand sĂ©journait encore
à Paris ; on a écrit (c'est M. Aulard) sur l'enveloppe : « A con-
server pour remettre à Mme Sand à son retour. » Emile Aucante
lui annonçait déjà dans sa lettre du 15 février, datée de la prison,
que tous ses eo-détenus voulaient lui écrire use lettre « pour
rendre hommage à son courage et à son dévouement », et Ernest
230 GEORGE SĂND
PĂ©rigois, vers cette mĂȘme Ă©poque, lui faisait savoir que cette
lettre par laquelle ses compagnons de prison lui exprimaient
<( leur collective admiration et respectueuse gratitude » était à Újk
Ă©crite. « Cette lettre, dit-il, est en lieu sĂ»r et ne sera remise qu'Ă
vous-mĂȘme et en temps utile, en raison de la libertĂ© actuelle des
opinions et des consciences », mais il voulait que Mme Sand sût
d'avance qu'il « suffisait à nos amis de connaßtre que votre solli-
citude généreuse n'était pas restée inactive. Ce n'est jamais dans
notre Berry démocratique qu'on parviendra à atténuer par les
calomnies la vénération profonde qui s'attache moins à votre
talent qu'Ă la noblesse de cĆur qui l'inspire »...
24 février 1852.
Prison de ChĂąteauroux.
Madame,
Les démocrates détenus de l'Indre ont appris dans leur prison les
démarches faites par vous pour leur obtenir justice et quel motif pur,
spontanĂ©, gĂ©nĂ©reux avait dictĂ© ces dĂ©marches ! Quel qu'en puisse ĂȘtre
le résultat, ils ont voulu, avant de se séparer, vous adresser l'hommage
collectif de leur gratitude. Ils ont tenu Ă vous dire qu'il leur serait
doux de devoir Ă une intervention comme la vĂŽtre la cessation des
souffrances imméritées qui pÚsent sur leurs familles et sur eux. Ils
savent, en effet, qu'ainsi il n'en coûtera rien ni à leur dignité, ni à l'in-
tégrité de la cause pour laquelle ils s'honorent de souffrir, en attendant
que son triomphe profite Ă la sainte patrie qui a toujours droit au
dévouement entier et désintéressé de tous ses enfants. Vive la Képu-
blique quand mĂȘme !
Beucher-Defaxt, J.-B. Lumet,
Salle Lucas, E. PĂ©rigois,
J.-A. Amouroux, Coxfoilaxt
D.-M., L. Laperrixe, Lebert,
Mathieu Moreau, LeliĂšvre,
Jamet, Chatelaix Fromext,
Clavelot, C. Fromexteau,
J.-B. Defressixe, Caxuet, av.
fie, Girault D.-M., Th. Rei-
gxer, Emile Aucaxte, Alex.
Lambert, P. Rossigxol.
H a été matériellement impossible, en raison de la difficulté des com-
munications, de présenter la lettre aux autres détenus.
GEORGE SAXO . 231
>Test-il pas curieux, aussi, que dans un seul et mĂȘme amas de
paperasses, cÎte à cÎte avec les lettres de « l'ouvrier typographe »
Tremblay (qui annonçait à Mme Sand la maladie et la mort de
Mme Pauline Roland exilée), avec celles du vigneron Lumet,
celles de Patureau-FrancĆur â rĂ©publicain connu et simple
vigneron aussi, â ces derniĂšres Ă©crites sans aucune espĂšee d'or-
tliographe, mais dans une langue trÚs pure et témoignant d'une
grande élévation morale, d'une culture et d'une profondeur
d'esprit exceptionnelles, â cĂŽte Ă cĂŽte avec ces lettres nous
trouvons, disions-nous, des lettres du comte d'Orsay toutes
imprégnées de la désinvolture la plus élégante, la plus mondaine,
la plus parfaite qui soit.
Et tous ces correspondants que disent-ils, tous? Varbiter ele-
gantiarum londonien, comme l'humble prolétaire, cet intransi-
geant républicain Dufraisse, comme le paisible et fin compagnon
de la jeunesse de Nohant, â tous ils s'empressent de dire Ă
Mme Sand : « Je suis heureux de m'appeler votre ami. Vous ĂȘtes
une grande Ăąme, un grand cĆur, je me prosterne devant vous
comme devant une divinité... »
3 mai 52.
ChĂšre madame Sand,
Un quart d'heure aprÚs que j'ai reçu votre lettre Louis-Napoléon
avait entre ses mains celle que vous lui aviez adressée. Son huissier
de la chambre, domestique confidentiel, Ă©tait le mien anciennement,
et par ce moyen mes lettres sont toujours remises Ă la minute. J'ai
aussi mis en campagne NapolĂ©on qui est prĂȘt Ă agir comme arriĂšre-
garde, si vous ne recevez pas de réponse. Donc, tenez-moi au courant
et n'ayez aucune crainte à l'égard de votre protégé. Tout ce que vous
me dites de Lambert je l'avais deviné par instinct. Ah! mon Dieu,
que vous avez raison de dire qu'il n'y a que les belles natures qui savent
accepter ce qui vient du cĆur, sans en ĂȘtre gĂȘnĂ©.
J'ai revu notre fou (1) qui avait oublié cent fois en route tout ce qu'il
vous a promis. Le fond de l'affaire c'est qu'il aime trop sa femme et qu'il
ne peut se résigner, étant sobre, à une séparation. J'espÚre pourtant
qu'il va s'accoutumer à sa vie de célibataire, car si par hasard, il-
se remettaient ensemble, la brouille recommencerait dans quinze jours.
J'accepte votre dédicace sous toutes les formes, et plus c'est long,
(1) Clésinger, mari de Solange, la fille de Mme Sand.
232 GEORGE SAXD
plus j'en profite. Je suis heureux d'aller à la postérité avec vous. Adieu
pour le moment.
Votre ami affectionné.
d'Orsay.
Ăcrivez-moi si vous avez reçu une rĂ©ponse de L.-N.
Lundi.
ChĂšre madame Sand,
Imaginez comme j'ai été heureux lorsque Lambert (1) m'a apporté
votre lettre, car je venais d'écrire à Napoléon (2) pour aller attaquer son
cousin (car ils sont réconciliés), il a donc fallu envoyer chez lui pour lui
économiser cette campagne. Il est venu chez moi; je lui ai montré
votre lettre, il est charmé que vous soyez satisfaite. Ne vous donnez
pas la peine de remercier, je dois voir L. N. dans quelques jours ; je
lui dirai ce qu'il faudra lui dire de votre part, ni plus ni moins. Il paraĂźt
que votre fille est à Besançon et que son mari a suivi le mouvement.
Je suis trÚs curieux d'apprendre le résultat de ce carambolage. Je
suis bien aise que mon roman soit fini ; j'espĂšre que vous n'oubliez
pas de dire dans la préface que vous m'aimez. Je tiens essentiellement
Ă cela, car il y a bien longtemps que j'ai dit Ă Liszt et Ă Sue que j'Ă©tais
convaincu que nous serions un jour grands amis. J'avais vos gravures
chez moi et j'étais pétri de l'instinct de notre amitié.
Votre affectionné,
d'Orsay.
Mes amitiés à Manceau.
Mercredi.
Un mot au galop, chÚre madame Sand, j'ai envoyé votre lettre pour
Louis-Napoléon. C'est à son tour cette fois, car hier j'ai dû écrire au
président pour un malheureux bon compÚre du Midi qu'on allait empa-
queter. Donc il ne fallait pas trop Ă©peronner toujours du mĂȘme cĂŽtĂ©.
Je suis beaucoup mieux et nous avons trÚs bien dßné ici, Emile (3)
heureux tout le temps d'avoir Ă me lire pour le dessert votre admirable
lettre. Cabarus en Ă©tait, comme moi, dans l'enthousiasme, ainsi que
les niĂšces de lady Bles6ington (4) dont une a traduit la Mare au diable.
(1) EugĂšne Lambert.
(2) C'est-à -dire le prince Napoléon-JérÎme.
(3) Emile Ollivier.
(4) La célÚbre amie de d'Orsay, lady Blessington, fut en son temps une
beauté remarquable et une élégante de haute lice, puis la premiÚre éditrice
des « keepsakes » et d'albums de beauties. Elle fit un livre sur Byron qu'elle
avait beaucoup connu et écrivit quelques romans médiocres. Son salon, tant
en France qu'en Angleterre, Ă©tait des plus brillants. Elle ne survĂ©cut pas Ă
sa ruine, ne put se consoler de vieillir et mourut en 1849 subitement, â -en
présume que ce fut un suicide.
GEORGE SAND 233
Vous ĂȘtes une trĂšs chĂšre femme indĂ©pendamment d'ĂȘtre le premier
homme de notre temps, et vous savez comme je suis sincĂšre.
Clésinger, grand exploiteur, a exploité le lit de mort de son pÚre, peut-
ĂȘtre cela portera-t-il bonheur Ă votre fille. J'en doute. Mais enfin
essayons. Nous avons un levier pour agir sur lui maintenant, mais il
faut que Solange y mette du sien !
Je l'attends avec impatience, car je vais tout essayer pour leur maca-
damiser un avenir moins cahotant.
Votre affectionné,
d'Orsay.
Amitiés à Manceau.
Mais comme il arrive toujours en ce bas monde, cette activité
altruiste de Mme Sand et ses relations avec Louis-Napoléon furent
autant exploitées par les bonapartistes que décriées par les répu-
blicains. Déjà en décembre 1848, George Sand dut protester
contre l'abus fait de sa lettre de 1844 à Napoléon, qui avait été
imprimée sans sa permission dans un almanach et deux pla-
quettes en but de propagande bonapartiste (1). Elle réclama
contre ce procédé dans le journal de Proudhon, le Peuple, et
elle eut parfaitement raison de le faire, car elle avait Ă©crit sa
lettre au prince au moment oĂč il avait Ă©tĂ© un vaincu, or, George
Sand prit toujours parti pour les vaincus, les opprimés, contre
les oppresseurs de tous les partis vainqueurs. C'est pour cette
mĂȘme raison qu'elle protesta encore, en 1852, contre l'impression
dans le Journal de la cour (qui n'eut qu'un numéro) et la réim-
pression dans V Indépendance belge, V Estafette, le Journal du
Cher et autres feuilles locales, de sa lettre Ă M. de Persigny, que
nous avons citée plus haut.
L'impression de cette lettre était accompagnée de quelques
lignes racontant qu'aprĂšs son mariage M. de Persigny, durant
son voyage de noce, avait reçu des quantités de lettres de
demandes qu'il avait fidÚlement transmises à Napoléon ; la rédac-
tion supposait que ses lecteurs lui pardonneraient une indiscrétion
qui leur permettrait de lire une lettre « faisant honneur à la main
illustre qui l'a écrite et à la main généreuse qui l'a ouverte... »,
(1) Voir plus haut, p. 158.
234 GEORGE SAND
et T article se terminait par ces mots : « Cette noble et simple
épßtre a été couronnée de succÚs. Elle est un peu ancienne, mais
elle prouve qu'avant d'ĂȘtre ministre M. de Persigny pensait dĂ©jĂ
que la clémence est de la bonne politique ; elle démontre également
que les relations du célÚbre écrivain avec l'Elysée remontent un
peu plus haut. Tant mieux puisqu'elles ont eu de ces bons
résultats... »
George Sand s'adressa au journal la Presse, et voici ce que nous
Usons dans son numéro du 21 juin 1852 :
« Nous publions un extrait d'une lettre qui nous est personnel-
lement adressée par Mme Sand, mais nous ne le faisons pas sans
son autorisation, condition qui nous parait toujours imposée par
les convenances et la délicatesse, surtout quand il s'agit d'une
femme :
L'Estafette reproduit un extrait de V Indépendance belge dont on
m'envoie une copie. Ou cette copie est inexacte, ou celle de la lettre
signée par moi qu'on a envoyée à T Indépendance belge est infidÚle. Je
n'ai pu Ă©crire Ă M. de Persigny le 3 janvier 1852 pour lui demander
l'Ă©largissement de personnes qui n'ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©es ou poursuivies que
le 15 janvier 1852, et je n"ai eu de relations avec M. de Persigny
avant son ministÚre, que dans un temps déjà trÚs éloigné, il y a plus
de quinze ans. Il est sans importance de réclamer contre les autres
inexactitudes de cette publication. Je ne comprends^ pas celle qu'on
attache à supposer que j'ai eu des relations avec l'Elysée avant les
événements politiques dont mes anus ont été victimes. S'il y a dans
cette supposition une intention bienveillante ou désobligeante pour
moi, je l'ignore et peu importe. Mais je dois à la vérité de dire que mes
relations avec le prince Louis-Napoléon datent du temps de sa capti-
vité et n'ont été renouées qu'aprÚs le 15 janvier 1852 dans un but dont
je ne descendrai vis-Ă -vis de personne Ă me justifier. Je n'ai malheu-
reusement pas obtenu tout ce que je demandais pour des familles déso-
lées, mais je n'accuse de mon impuissance jusqu'à ce jour ni le président
de la ^République dont les promesses me laissent encore de l'espérance,
ni M. de Persigny aux équitables intentions duquel V Indépendance
belge a raison de rendre toute justice.
George Saxd.
H est Ă©vident que George Sand ne voulait pas, d'une paĂźt,
ĂȘtre enrĂ©gimentĂ©e parmi les « amis » du parti vainqueur ; d'autre
GEORGE SAND 235
part, elle craignait de mécontenter ses vrais amis, pour lesquels
elle intercédait. Les « inexactitudes » que nous pouvons signaler
dans cette lettre sont celles-ci. D'abord, quoiqu'il soit vrai que
depuis quinze ans elle n'ait eu de relations suivies avec M. de
Persigny., â dont elle fit la connaissance en 1835 par Mme Ro-
zane Bourgoing, â nous n'en voyons pas moins par ses lettres
à René de Villeneuve qu'elle avait reçu chez elle « Fialin de Per-
signy quand il conspirait contre le prince » (1).
2° Ses relations avec le prince ne « dataient pas du temps de
sa captivité » de Ham, car dans sa premiÚre lettre, là -bas adressée,
elle le remerciait déjà pour « son bon souvenir ».
3° Si M. de Persigny n'était point encore ministre avant le
15 janvier, il est évident qu'il était déjà un personnage omnipo-
tent et c'est pour cela qu'elle s'adressa Ă lui non seulement poul-
ies « familles désolées », mais encore pour rendre un service
direct à « son maire », M. Aulard. De mĂȘme, elle contribua Ă faire
nommer le fils du vieux procureur Daiguzon â de celui qui avait
prononcé les « conclusions » lors de son procÚs avec M. Dudevant
en 1836, â substitut de procureur Ă La ChĂątre (comme nous le
voyons par une lettre de remerciements qui lui fut adressée par
Daiguzon pÚre). Elle prit aussi sous ses auspices... le préfet de
l'Indre, des « auspices peu propices », car quoiqu'elle dise dans
sa lettre à M. Maupas qu'elle « ne nommerait personne » parmi
les trop fervents représentants locaux du pouvoir, elle n'en réussit
pas moins à si bien esquisser le portrait du « Grand Lama » du
pays que M. de Persigny ne tarda pas Ă l'appeler « bĂȘte » et
« animal ».
4° Lumet, ainsi que Fulbert Martin et Alexandre Lambert
â nommĂ© par le Journal de la Cour, â furent arrĂȘtĂ©s avant le
15 janvier. Mme Sand avait déjà entendu parler de l'arrestation
de Lumet le 6 décembre (2). Martin était détenu depuis le 21 dé-
cembre (3). Donc, George Sand avait bien pu faire des démarches
(1) Voir plus haut, p. 178.
(2) Journal de 1851, samedi, 6 décembre.
(3) Lettre inédite de Fulbert Martin à Bocage, datée du 11 février 1852
du fort de BicĂȘtre.
236 GEORGE SAND
avant le 15 janvier, car trois de ses amis pour lesquels elle inter-
cĂ©da auprĂšs de Persigny Ă©taient dĂ©jĂ poursuivis et arrĂȘtĂ©s, et
beaucoup d'autres de mĂȘme.
5° Comme nous l'avons vu, entre le 22 janvier et le 27 juin
George Sand s'était adressée à M. de Persigny non seulement le
31 janvier et le 3 février, mais plusieurs fois, tant par lettre que
de vive voix.
Enfin, depuis le 22 janvier et jusqu'au 21 juin beaucoup de
ses demandes furent exaucées. Donc, elle aurait pu, dans sa pro-
testation, parler non seulement d'une « espérance » qui lui res-
tait, mais bien des résultats trÚs réels et palpables de ses
démarches. Dans le Journal de la Cour il n'y avait d'erroné
que la date du 3 janvier, mise au lieu du 3 fĂ©vrier, â et puis
encore Alexandre Lambert y est nommé « Alph. Lambert »,
mais cela avait bien pu ĂȘtre une simple erreur du prote ou du
copiste. Somme toute, George Sand aurait bien pu ne pas réclamer
contre l'impression de cette lettre, et il nous semble mĂȘme qu'elle
fit, en protestant, preuve d'une certaine faiblesse. Elle craignit
que sa défense de ses amis fût mal interprétée par leurs ennemis
politiques, les républicains intransigeants, estimant de pareilles
démarches humiliantes. Alors elle préféra s'en prendre aux
mots et mĂȘme nier la durĂ©e de ses rapports avec NapolĂ©on et son
ministre.
Elle rachĂšte cette faiblesse en racontant sincĂšrement et honnĂȘ-
tement à ses amis les procédés courtois de Napoléon et de M. de
Persigny et en insérant dans l'Histoire de ma vie quelques lignes
établissant que dÚs 1835 elle avait apprécié l'esprit et les capa-
cités extraordinaires du jeune Fialin de Persigny, et en ajoutant
cette réflexion : « Je n'avais pas trop mal deviné (1). »
H est certain cependant que plusieurs républicains blùmÚrent
les démarches de George Sand. Non seulement ils n'approu-
vÚrent pas ses généreux efforts, mais ils les condamnÚrent de
vive voix et par écrit, et contribuÚrent à répandre dans la presse
étrangÚre des récits trÚs calomnieux et humiliants sur son compte.
(1) Histoire de ma vie, t. IV, p. 313-315.
GEORGK SAND 337
On voit par les lettres de PĂ©rigois et d'Aucante Ă©crites de la
prison de ChĂąteauroux, et par les lettres de Victor Borie, Etienne
Arago et Marc Dufraisse, de Bruxelles, que si la plupart des vic-
times du coup d'Ătat acceptaient son aide avec gratitude il y en
avait d'autres parmi eux qui la jugeaient brutalement, tout en
profitant de son secours, et qu'il y en avait mĂȘme qui, tout en
espérant en ses bons rapports « avec l'Elysée » et en la priant de
travailler à leur retour en France, lui déclaraient cyniquement
qu'elle rendrait par là un grand service à la cause républicaine,
car de loin ils ne pouvaient ĂȘtre bons Ă rien, et une fois revenus
dans la patrie ils pourraient recommencer leur propagande
secrĂšte.
(Nous avons vu comment George Sand jugeait ceux-lĂ !)
Mais les choses allĂšrent plus loin encore. George Sand eut Ă
subir l'Ă©loignement et le refroidissement de certains de ses amis
les plus intimes pour avoir plaidé pour eux. Enfin, il se trouve
que Quinet fut tellement « révolté » par ses généreux efforts
pour sauver des innocents de la déportation et de la détention
que, tout bouillant d'indignation, il cessa d'aimer mĂȘme X auteur,
et que tous les chefs-d'Ćuvre de George Sand, si admirĂ©s jadis,
lui parurent de la rhétorique ne soutenant pas une seconde lec-
ture, depuis qu'il avait appris que l'auteur, « chapeau bas, faisait
antichambre à l'Elysée... » (1). Voilà les « beaux sentiments »
rĂ©publicains ! Us dĂ©coiffent mĂȘme les dames, et la Mare au diable,
Jeanne et Consuelo n'ont plus aucune valeur parce que leur créa-
trice « osa s'abaisser » jusqu'à pouvoir faire gracier : quatre soldats
condamnés à mort, vingt-six autres personnes menacées de dépor-
tation ou de détention, qu'elle arracha plusieurs vies au néant
et plusieurs familles au désespoir! C'est vraiment révoltant,
n'est-ce pas?
Ou peut donc pardonner à George Sand sa contrariété de voir
sa seconde lettre à M. de Persigny publiée : elle savait trop de
combien d'esprit et de cĆur font preuve ses vĂ©nĂ©rables coreligion-
naires, en jugeant les choses et les hommes.
(1) Edgard Quinet : Lettres d'exil.
236 GEORGE SAND
Mais, répétons-le, la plupart des ùmes simples acceptaient son
secours en la bénissant, et son nom était prononcé au milieu
d'eux avec une tendresse toute filiale. Et comme cela arrive bien
souvent, plusieurs devinrent chers Ă George Sand parce #w'elle
avait eu Ă endurer, Ă cause d'eux, tant de craintes, tant d'Ă©mo-
tions, tant de soucis, et fait pour les sauver tant de démarches.
Elle devint pour la plupart non plus seulement le célÚbre auteur
admirĂ©, mais la trĂšs bonne, l'in Animent intime, la sĆur, la parente
adorĂ©e. Et peut-ĂȘtre que rien ne lia tant Mme Sand Ă ses amis
berrichons, proches et lointains, et Ă tout un groupe de jeunes
rĂ©publicains ainsi qu'Ă leurs familles que sa façon d'ĂȘtre en ces
tristes journées et plus tard encore. C'est ainsi par exemple que,
lors des poursuites et des arrestations aprĂšs l'attentat Orsini,
elle intercéda pour Lumet, pour Périgois et pour Patureau-
FrancĆur, dont l'un dut passer de longues annĂ©es d'exil en Bel-
gique, en Suisse et en Italie (1), et l'autre, déjà sauvé une fois,
fut de nouveau arrĂȘtĂ©, « martyrisĂ© dans un cachot, puis envoyĂ©
comme un ballot dans le plus rigoureux exil, Ă Guelma (2)... Il
resta en Afrique jusqu'Ă sa mort (3).
George Sand n'eut plus d'entrevue avec Napoléon III
aprÚs 1852, et elle ne lui écrivit plus. Mais nous avons déjà dit
ailleurs (4) qu'elle adressa à l'impératrice Eugénie (par l'inter-
(1) Nous avons pu Ăźire toutes les lettres Ă©crites en exil par M. PĂ©rigois Ă
Mme Sand, ainsi que de nouveaux amas de correspondances Ă son propos et
Ă propos de Patureau entre Mme Sand et Mil. Pietri, Delangle et autres.
(2) Correspondance, t. IV, lettre à M. Frédéric Villot du 4 septembre 1858.
Voir aussi les Nouvelles lettres d'un voyageur, les Amis disparus : Patureau-
FrancĆur.
(3) En 1852 Patureau-FrancĆur avait dĂ» ĂȘtre arrĂȘtĂ© en mĂȘme temps que
Lumet et les autres ; mais il parvint à rester caché jusqu'à ce que George
Sand eût réussi à le faire gracier. AprÚs la mort de Patureau, qui passa ses
derniÚres années à Constantine, Mme Sand raconta dans la touchante nécro-
logie que nous venons de citer, comment il se cachait pendant vingt jours
dans une grange, ne sortant que la nuit, protégé par la pitié généreuse et le
respect des berrichons et surtout des paysamies berrichonnes. Parmi ses
lettres à Mme Sand nous en avons trouvé une écrite de cette grange, et dans
cette lettre un mot charmant de précision : Patureau dit entendre tout le
temps le gazouillis des hirondelles juste au-dessus de sa tĂȘte, mais ne pas les
voir, car il n'osait point, ne fĂ»t-ce une seconde, sortir sa tĂȘte de dessous le
toit qui le protégeait.
(4) Dans le chapitre sur George Sand et les poÚtes prolétaires dans notre
vol. III.
GEORGE SAND
239
médiaire de M. Damas- Hinard) une demande de secours en faveur
du vieux poÚte Magu, et que Timpératriee lui fit immédiatement
remettre mille francs pour qu'elle en fit l'usage le meilleur Ă ses
yeux, soit en les donnant d'emblée au vieux chansonnier, soit en
lui faisant une rente mensuelle. C'est à l'impératrice, aussi, que
Mme Sand adressa ses pétitions en faveur des enfants et des
petits-enfants de Marie Dorval â les Luguet â qui mouraient
presque de faim (1), et en faveur du vieux marin, « le pÚre Qui-
quisolles », qu'elle connut par Poney, lors de son voyage dans le
Midi en 1860. Elle intercéda encore en 1857 auprÚs de l'impéra-
trice pour faire lever la suspension de la Presse survenue Ă la suite
d'un article d'Alphonse Peyrat. C'Ă©tait aprĂšs un troisiĂšme aver-
tissement ; les deux premiers lui avaient été attirés par la publi-
cation de la Daniella. Or, cette suspension laissait un millier
d'ouvriers sans pain et c'est au nom de la charité envers ces
malheureux innocents que George Sand fit appel, encore une fois,
« au cĆur maternel » de Sa MajestĂ©.
Et toutes ces demandes non seulement ne restĂšrent jamais
sans réponse, mais encore elles furent chaque fois le prétexte de
maintes amabilités et compliments à l'adresse de Mme Sand de
la part de l'impératrice.
C'est ainsi qu'en 1861, en envoyant h Mme Sand une somme
d'argent pour le pauvre pĂšre Quiquisolles (mille francs encore),
M. Damas-Hinard les accompagnait de la lettre suivante :
SECRĂTARIAT
DES COMMANDEMENTS
de S. M. l'Impératrice.
â Parie, le 11 mai 1861.
ChĂšre madame,
Des circonstances tout à fait indépendantes de ma volonté, ne
m'ont pas permis de faire savoir plus tÎt à l'impératrice le malheur
du brave marin le PĂšre Quiquisolles ainsi que votre charitable inter-
vention en sa faveur. Enfin, ce matin j'ai pu parler, et Sa Majesté a
bien voulu me charger de vous adresser la somme ci-jointe (mille francs),
(1) Correspondance, t. IV, p. 11Q. La lettre du 6 octobre 1857 A S, M. Vlm-
pĂ©ratrice EugĂ©nie, et la suivante, Ă la mĂȘme, du 30 octobre.
24o GEORGE SAN'D
qu'Elle vous prie de remettre vous-mĂȘme Ă votre protĂ©gĂ©. Quel dom-
mage que la cassette ne se soit pas trouvée dans un état plus brillant !
Je crois bien que le pĂšre Quiquisolles n'aurait plus rien Ă regretter de
son navire.
Permettez-moi maintenant, chĂšre madame, si cela n'est pas trop
indiscret de ma part, de vous soumettre une priÚre. Je désirerais vive-
ment que vous eussiez l'extrĂȘme bontĂ© de nvenvoyer un mot de remer-
ciement pour l 'impératrice, bien entendu. Quant à moi, je me trouve
remercié d'avance mille et mille fois, par ce précieux témoignage de
votre confiance dont je vous suis on ne peut plus reconnaissant.
Comme vous le savez sans doute, chĂšre madame, le bruit a couru
derniÚrement que vous étiez malade. On s'inquiétait. Mais en vous
lisant, on a vu que vous vous portez Ă merveille, et -tout le monde est
enchanté.
Adieu, chÚre madame ; avec l'expression renouvelée de la gratitude
la mieux sentie, daignez agréer l'hommage de mon respectueux dévoue-
ment.
Damas Hinard.
Que dites-vous d'une souscription que vous ouvririez Ă Marseille
dans l'intĂ©rĂȘt du pĂšre Quiquisolles? Il me semble qu'un appel signĂ©
George Sand serait entendu des richards les plus Ă©goĂŻstes (1) !
Lorsqu'en 1870 parut le roman de Malgrétout, certaines per-
sonnes crurent reconnaßtre dans l'aventuriÚre qui y est dépeinte
le portrait de l'impératrice (2). Napoléon III et sa femme en
furent trĂšs douloureusement peines, comme on le voit par les
lignes que Flaubert adressa Ă Mme Sand le 17 mars 1870 :
17 mars 1870.
ChĂšre maĂźtre,
J'ai reçu hier au soir un télégramme de Mme Cornu portant ces
mots : « Venez chez moi, affaire pressée. » Je me suis donc transporté
chez elle aujourd'hui, et voici l'histoire.
L'impératrice prétend que vous avez fait à sa personne des allusions
(1) Cette lettre est adressée : Madame, Madame George Sand, chez M. Charles
Poney, Ă Toulon (Var).
(2) Cette opinion fit le tour de la presse européenne et y a si bien pris
racine que tout derniĂšrement encore le London Telegraph en parlait comme
d'un fait avéré.
GEORGE SAND 241
fort désobligeantes dans le dernier numéro de la Revue! Comment?
Moi que tout le monde attaque maintenant. Je n'aurais pas cru ça !
et je voulais la faire nommer de l'Académie ! Mais que lui ai-je donc
fait? etc. Bref, elle est désolée, et l'empereur aussi! Lui n'était pas
indigné, mais prostré (sic).
Mme Cornu lui a représenté en vain qu'elle se trompait et que vous
n'aviez voulu faire aucune allusion.
Ici, une théorie de la maniÚre dont on compose des romans.
â Eh bien ! qu'elle Ă©crive dans les journaux qu'elle n'a pas voulu
me blesser.
â C'est ce qu'elle ne fera pas, j'en rĂ©ponds.
â Ecrivez-lui pour qu'elle vous le dise.
â Je ne me permettrai pas cette dĂ©marche.
â Mais je voudrais savoir la vĂ©ritĂ© cependant ! Connaissez- vous
quelqu'un qui... Alors Mme Cornu m'a nommé.
â Oh ! ne dites pas que je vous ai parlĂ© de ça.
Tel est le dialogue que Mme Cornu m'a rapporté. Elle désire que
vous m'Ă©criviez une lettre oĂč vous me direz que l'impĂ©ratrice ne vous
a pas servi de modĂšle. J'enverrai cette lettre Ă Mme Cornu, qui la fera
passer à l'impératrice.
Je trouve cette histoire stupide et ces gens-là sont bien délicats ! On
nous en dit d'autres Ă nous !
Maintenant, chĂšre maĂźtre du bon Dieu, vous ferez absolument ce
qui vous conviendra.
L'impératrice a toujours été trÚs aimable pour moi et je ne serais
pas fĂąchĂ© de lui ĂȘtre agrĂ©able. J'ai lu le fameux passage. Je n'y vois
rien de blessant. Mais les cervelles de femme sont si drĂŽles !
Je suis bien fatigué de la mienne (ma cervelle) ou plutÎt elle est bien
bas pour le quart d'heure ! J'ai beau travailler, ça ne va pas ! ça ne
va pas ! Tout m'irrite et me blesse ; et comme je me contiens devant
le monde, je suis pris, de temps Ă autre, par des crises de larmes oĂč il
me semble que je vais crever. Je sens enfin une chose toute nouvelle :
les approches de la vieillesse. L'ombre m'envahit, comme dirait Victor
Hugo.
Mme Cornu m'a parlé avec enthousiasme d'une lettre que vous lui
avez écrite sur une méthode d'enseignement.
George Sand répondit immédiatement par la lettre suivante
que nous citons d'autant plus volontiers qu'elle manque dans
le volume de la Correspondance entre George Sand et Gustave
Flaubert publié en 1904. Nous l'empruntons au volume V de
la Correspondance générale de George Sand, p. 369.
iv. i6
242 GEORGE SAND
A Gustave Flaubert, Ă Paris.
Nohant, 18 mars 1870.
Je sais, mon ami, que tu lui es trÚs dévoué. Je sais qu'Elle est trÚs
bonne pour les malheureux qu'on lui recommande ; voilĂ tout ce que
je sais de sa vie privée. Je n'ai jamais eu ni révélation, ni document
sur son compte, pas un mot, pas un fait qui m'eût autorisée à la peindre.
Je n'ai donc tracé qu'une figure de fantaisie, je le jure, et ceux qui
prétendraient la reconnaßtre dans une satire quelconque seraient, en
tout cas, de mauvais serviteurs et de mauvais amis.
Moi, je ne fais pas de satires ; j'ignore mĂȘme ce que c'est. Je ne fais
pas non plus de portraits ; ce n'est pas mon Ă©tat. J'invente. Le public,
qui ne sait pas en quoi consiste l'invention, veut voir partout des
modĂšles. H se trompe et rabaisse l'art.
Voilà ma réponse sincÚre. Je n'ai que le temps de la mettre à la
poste.
G. Saxd.
Flaubert accusa réception de cette lettre en ces termes :
ChĂšre maĂźtre,
Je viens d'envoyer votre lettre (dont je vous remercie) Ă Mme Cornu,
en l'insĂ©rant dans une Ă©pĂźtre de votre troubadour oĂč je me permets de
dire vertement ma façon de penser.
Les deux papiers seront remis sous les yeux de la dame et lui appren-
dront un peu d'esthétique.
Hier soir j'ai vu V Autre, et j'ai pleurĂ© Ă diverses reprises. Ăa m'a fait
du bien. VoilĂ ! Comme c'est tendre et exaltant ! Quelle jolie Ćuvre, et
comme on aime l'auteur ! Vous m'avez bien manqué. J'avais besoin
de vous bĂ©cotter comme un petit enfant Mon cĆur oppressĂ© s'est
détendu, merci. Je crois que ça va aller mieux ! Il y avait beaucoup de
monde. Berton et son fils ont été rappelés deux fois.
Et dans sa lettre Ă Mme Hortense Cornu, Flaubert disait, entre
autres :
Votre dévouement s'était alarmé à tort, chÚre madame, j'en étais
sûr ! Voici la réponse qui m'arrive poste pour poste.
Les gens du monde, je vous le rĂ©pĂšte, voient des allusions oĂč il n'y
en a pas. Quand j'ai fait Madame Bovary on m'a demandé plusieurs
GEORGE SAND 24.3
fois : « Est-ce Mme X... que vous avez voulu peindre? a Et j'ai reçu
des lettres de gens parfaitement inconnus, une entre autres d'un
monsieur de Reims qui me félicitait de V avoir vengé! (d'une infidÚle).
Tous les pharmaciens de la Seine-Inférieure se reconnaissant dans
Harnais voulaient venir chez moi me flanquer des gifles. Mais le plus
beau (je l'ai découvert cinq ans plus tard) c'est qu'il y avait alors en
Afrique la femme d'un médecin militaire s'appelant Mme Bovaries et
qui ressemblait à Mme Bovary, nom que j'avais inventé en dénaturant
celui de Bouvaret.
La premiĂšre phrase de notre ami Maury en me parlant de l'Educa-
tion sentimentale a été celle-ei : « Est-ce que vous avez connu X..., un
Italien, professeur de mathématiques? Votre Senecal est son portrait
physique et moral ! Tout y est, jusqu'à la coupe des cheveux ! » D'autres
prétendent que j'ai voulu peindre, dans Arnoux, Bernard-Latte
(l'ancien Ă©diteur) que je n'ai jamais vu, etc., etc.
Tout cela est pour vous dire, chĂšre madame, que le public se trompe
en nous attribuant des intentions que nous n'avons pas.
J'étais bien sûr que Mme Sand n'avait voulu faire aucun portrait :
1° par hauteur d'esprit, par goût, par respect de l'art ; et 2° par mora-
litĂ©, par sentiment des convenances â et aussi, par justice.
Je crois mĂȘme, entre nous, que cette inculpation l'a un peu blessĂ©e.
Les journaux, tous les jours, nous roulent dans l'ordure, sans que
jamais nous leur répondions, nous dont le métier cependant est de
marner la plume, et on croit que pour faire de V effet, pour ĂȘtre applaudis,
nous allons nous en prendre Ă tel ou telle.
Ah ! non ! pas si humbles ! Notre ambition est plus haute, et notre
honnĂȘtetĂ© plus grande. Quand on estime son esprit on ne choisit pas
les moyens qu'il faut pour plaire Ă la canaille. Vous me comprenez,
n'est-ce pas?
Mais en voilĂ assez. J'irai vous voir un de ces matins, en attendant
ce plaisir-lĂ , chĂšre madame, je vous baise les mains et suis tout Ă vous.
Gustave Flaubert.
Dimanche soir.
George Sand revint encore une fois sur cette question dans sa
lettre à l'ancien directeur de la Presse, alors de la Liberté, Emile
de Girardin, car, l'assertion une fois lancée, se maintenait dans
les journaux, et tandis que le critique de la New-York Evening
Post défendait George Sand, celui de la Liberté assurait de nou-
veau que l'auteur de Malgrétout avait peint l'impératrice. Cette
« interprétation arbitraire des intentions de l'auteur » révoltait
244 GEORGE SAND
George Sand qui y voyait, avec raison, « un affront à la littéra-
ture ».
... Comment peut-on, disait-elle (1), assimiler la tĂąche de l'artiste
à celle du pamphlétaire honteux? Si j'avais voulu peindre une figure
historique, je l'aurais nommée. ]NTe la nommant pas, je n'ai pas voulu
la désigner ; ne la connaissant pas, je n'aurais pu la peindre. S'il y a
iessemblance fortuite, je l'ignore, mais je ne le crois pas. Tout person-
nage d'invention est plus fort et plus logique que nature, dans le bien
ou dans le mal. On peut tracer la figure d'une classe d'ambitieuses qui
ont échoué et qui ont réussi dans leurs projets, sans avoir aucune figure
en vue, et je crois qu'il vaut beaucoup mieux pour l'artiste qu'il en
soit ainsi. Vous savez tout cela aussi bien que moi. Vous ĂȘtes du bĂąti-
ment. PanoptÚs (2) trahit donc la fraternité maçonnique littéraire, en
parlant comme il le fait...
Il n'est que trop vrai que si l'on ne tient pas compte du talent
trĂšs hardi d'Ă©cuyĂšre par lequel se distinguait Mlle de Montijo,
tout comme Mlle d'Ortosa â (la seconde hĂ©roĂŻne de MalgrĂ©tont,
comme qui dirait la prima-donna ai carattere, cédant le pas à la
vraie hĂ©roĂŻne, le sopraw leggiere d'opĂ©ra) â si on oublie sa pro-
venance espagnole et sa coquetterie exotique et si l'on ne s'at-
tarde pas trop sur la profession de foi de cette mĂȘme Mlle d'Or-
tosa et surtout sur son aveu que dans ses rĂȘves ambitieux elle
ne se contente que d'une couronne de souveraine pour couronne
de mariĂ©e, Mlle d'Ortosa ne saurait ĂȘtre prise pour un portrait.
Mais il y a toutefois des traits de ressemblance curieux qui avaient
pu induire en erreur les contemporains, toujours avides de
rechercher les clefs des romans, et l'on comprend, aussi, aisément
que l'ex-mademoiselle de Montijo ait pu y découvrir certaines
pensées intimes dont elle n'avait certes jamais fait l'aveu à per-
sonne. Il est surtout un passage dans ce roman qui nous paraĂźt
curieux Ă citer, c'est justement la conclusion de la profession de
foi de Mlle d'Ortosa :
...Je ne puis parler du présent qu'en expliquant l'avenir. Donc, le
voici, voici le but. Je ne l'ai entrevu que récemment, c'est-à -dire aprÚs
(1) Correspondance, t. V, p. 384-385. Voir aussi, Ă ce sujet, Ă la page sui-
vante de la Correspondance, la lettre au docteur Favre.
(2) Pseudonyme du critique de la Liberté.
GEORGE SAND 245
ma vingt-quatriÚme année révolue. Jusque là , mon existence errante
m'avait plu sans réserve, mais je fis cette réflexion, qu'elle ne pouvait
pas durer toujours, vu que la beauté n'est pas éternelle. Elle ne m'avait
servi qu'Ă apparaĂźtre, il Ă©tait temps qu'elle me servĂźt Ă rester sur l'ho-
rizon, cette beauté, puissance indispensable dont je n'avais pas encore
bien mesuré la portée ; je calculais froidement ses chances ; je me dis
qu'elle pouvait rester stable de vingt-cinq Ă trente ans, et qu'elle
devait inévitablement décroßtre ensuite. Il fallait donc qu'à trente
ans ma vie fût fixée et mon but saisi.
Ce but normal et logique pour moi, ce n'est pas l'argent, ce n'est
pas l'amour, ce n'est pas le plaisir ; c'est le temple oĂč ces biens sont des
accessoires nécessaires, mais secondaires : c'est un état libre, brillant,
splendide, suprĂȘme. Cela se rĂ©sume pour moi dans un mot qui me plaĂźt :
VĂ©claL
Vous voyez que je suis d'accord avec mon passé. J'ai toujours cherché
et produit l'éclat ; je veux le fixer, le posséder, le produire sans effort,
le manif ester sans limites. Je veux donc tout ce qui le procure et l'as-
sure. Je veux Ă©pouser un homme riche, beau, jeune, Ă©perdument Ă©pris
de moi, Ă jamais soumis Ă moi, et portant avec Ă©clat dans le monde un
nom trĂšs illustre. Je veux aussi qu'il ait la puissance, je veux qu'il soit
roi, empereur, tout au moins héritier présomptif ou prince régnant.
Tous mes soins s'appliqueront désormais à le rechercher, et, quand je
l'aurai trouvé, je suis sûre de m'emparer de lui, mon éducation est
faite. Je ne cours plus risque de me laisser charmer ; j'ai acquis tout ce
qui a manqué à mon éducation premiÚre. J'ai étudié; j'ai de l'érudi-
tion, de la science politique ; je sais l'histoire de toutes les dynasties
et de tous les peuples. Je connais toutes les arcanes de la diplomatie
et toutes les naïvetés de toutes les ambitions. Je connais tous les
hommes marquants, toutes les femmes puissantes du passé et du pré-
sent. J'ai pris Ă tous leur mesure exacte, je n'en redoute aucun. Un
jour viendra oĂč je serai aussi utile Ă un souverain que je peux l'ĂȘtre
aujourd'hui Ă une femme qui me demanderait conseil sur sa toilette.
J'ai l'air d'attacher une grande importance Ă des choses futiles, on ne
se doute pas des préoccupations sérieuses qui m'absorbent, on le saura
plus tard, quand je serai reine, tsarine, grande-duchesse... ou prési-
dent' d'une république, car je sais bien que les peuples s'agitent et
veulent du nouveau ; mais je ne crois pas à la durée de cette fiÚvre,
prĂ©sidente aujourd'hui, fĂ»t-ce en AmĂ©rique, je serais sĂ»re d'ĂȘtre souve-
raine demain. Enfin je veux, aprÚs avoir joué un rÎle brillant dans le
monde, en jouer un Ă©clatant dans l'histoire. Je ne veux pas disparaĂźtre,
comme une actrice vulgaire, avec ma jeunesse et ma beauté ; je veux
une couronne sur mes cheveux blancs. On jaraĂźt toujours belle,
puisqu'on Ă©blouit, avec une couronne. Je veux connaĂźtre les grandes
245 GEORGE S AND
luttes, les grands pĂ©rils ; Rchafaud mĂȘme a pour moi une Ă©trange fas-
cination. Je n'accepterai l'exil jamais, je ne fuirai jamais ; on ne me
rattrapera pas, moi, sur le chemin de Varennes. Je ne deviendrai pas
folle dans les désastres, je braverai les destinées les plus tragiques, je
combattrai face Ă face le lion populaire ; il ne me fera pas baisser les
yeux, et je vous jure que plus d'une fois je saurai le coucher enchaßné
à mes pieds. AprÚs cela, qu'il se réveille, qu'il se lasse, qu'il porte ma
tĂȘte au bout d'une pique ! ce sera le jour de l'Ă©clat suprĂȘme, et cette
face pùle, plus couronnée encore par le martyre, restera à jamais
gravée dans la mémoire des hommes (1)!
Quoiqu'il en soit, une page de roman reste une page de roman,
mais George Sand a bien réellement un jour tracé une esquisse
de l'impératrice, non plus dans une oeuvre d'imagination, mais
dans les trÚs intéressants Impressions et souvenirs qui, tous les
quinze jours, de juillet 1871 Ă janvier 1873, ornĂšrent les colonnes
du Temps, d'abord sous des titres différents, et qui sont des docu-
ments de la plus haute importance pour l'histoire des idées de
Mme Sand dans les derniÚres années de sa vie. C'est justement
dans un chapitre de ces Souvenirs que nous trouvons, imprimées
en 1871, mais Ă©crites en 1860, les lignes suivantes consacrĂ©es Ă
l'impératrice. Ce chapitre présente, de plus, un résumé, fait de
main de maĂźtre, de l'Ă©tat des esprits et des partis d'alors, du
désenchantement général survenu aprÚs 1848 et le coup d'Etat ;
et enfin c'est un tableau frappant et coloré de cette transforma-
tion radicale ou plutÎt de cette dégénérescence de toutes les classes
de la société et du peuple qui fut le résultat de l'omnipotence
nivelante de l'argent, de l'amour du gain et du luxe ; Ă ce
moment-lĂ il ne restait, au dire de Mme Sand, que deux classes
ennemies : « celle qui consomme et celle qui produit, classe riche
ou aisée, et classe pauvre ou misérable... » Le petit commer-
çant d'hier est un richard aujourd'hui ; le capitaliste d'hier â
un prolétaire ce matin. Mme Sand y dépeint aussi d'une maniÚre
incisive l'influence désagrégeante et dissolvante qu'exerça sur
toute la France cette poursuite effrénée du plaisir, ce train d'élé-
gance débauchée et de gaspillage de prodigues que menait la
(1) Malgrétout, p. 213-216.
GEORGE SAND *4r
cour de Napoléon III. Au foud, il n'y a plus de classes, répÚte-
t-alle, le mur chinois qui séparait la cour de la noblesse, la noblesse
de la haute bourgeoisie, la grande bourgeoisie de la petite bour-
geoisie de province, et du demi-monde et des ouvriers, def
paysans, n'existe plus. A commencer par les gens de la cour et
jusqu'au dernier prolĂ©taire, tout est mĂȘlĂ©. Les mĆurs, les aspira-
tions, les usages, toute la vie sont partout les mĂȘmes. L'argent,
voici ce qui nivelle tout le monde. L'argent et le succĂšs ! Toute
la question contemporaine se réduit donc à cette lutte entre les
deux classes : les capitalistes et les travailleurs. Tout l'avenir de
la France dépend de la victoire de l'une d'elles, ou du compromis,
de l'entente Ă l'amiable entre elles, et non de la victoire de tel
ou tel parti politique, ni du nom que portera le gouvernement.
RĂ©publique ou monarchie, peu importe. Le mieux serait de trouver
un nom nouveau pour relier les deux antinomies qui sont lĂ comme
dans tout ; il faudrait voir arriver le moment oĂč le producteur et l'ex-
ploiteur voudront tous deux, de bonne foi, et sous la pression d'une
nécessité sociale bien démontrée, signer un acte d'association rigou-
reusement stipulé, aprÚs avoir été débattu à fond par les représentants
Ă©lus de leurs intĂ©rĂȘts respectifs (1)...
Mme Sand disait un peu plus haut :
J'avais rĂȘvĂ© dans un avenir prochain, mais point trop Ă©loignĂ©, une
crise sociale toute pacifique oĂč les deux classes, puisqu'il n'y en a
plus que deux, s'éclairant sur leurs droits et leurs devoirs réciproques
pourraient faire un pacte d'étroite solidarité. Certes, cette grande
chose arrivera, mais l'empire qui eût dû la préparer, l'empereur qui
disait le vouloir, ont fait fausse route. Le Paris de Voltaire et de Jean-
Jacques Rousseau est devenu la cité de Sardanapale...
...Ce coup d'Ătat, qui, dans les mains d'un homme vraiment
logique, eût pu nous imprimer un mouvement de soumission ou de
révolte dans le sens du progrÚs, ne nous a conduits qu'à un affaisse-
ment tumultueux Ă sa surface, pourri en dessous... Et nous ne sommes
pas au bout, car chaque jour qui s'Ă©coule signale un nouvel effort vers
cette décomposition. Le vertige cherche un point plus élevé pour mieux
se précipiter. Les masses ignorantes regardent ces somnambules dont
la danse se déroule sur les toits....
(1) Impressions et souvenirs, t. II, p. 35.
248 GEORGE SAN'D
Ce qui frappe dans ces lignes, Ă©crites dans le silence d'un
cabinet de travail de 1860, ce n'est pas seulement la caractéris-
tique de l'époque et la vision prophétique du tragique et vertigi-
neux saltomortale final du second Empire, mais bien le fait qu'elles
peuvent parfaitement ĂȘtre adaptĂ©es Ă la France du commence-
ment du vingtiĂšme siĂšcle, et est-ce bien Ă la France seule? Tout
spectateur attentif des événements des derniÚres trente années,
et surtout de ceux de nos jours, se dira : « Toute la question est
dans cette lutte, et il importe peu quel parti se trouve au faĂźte
du pouvoir. Quoi qu'on en dise dans les Chambres, pour quelque
but ou pour quelque chef que combattent les partis, la lutte, la
grande lutte du capitalisme et du labeur s'aiguise de jour en jour,
lentement, mais elle avance partout, elle prend feu, et toute la
question de notre siÚcle se réduit à ceci : comment ces deux classes
pourront-elles s'entendre à l'amiable ; les puissants céderont-ils
de bon gré aux faibles, les faibles se révolteront-ils contre les
puissants? »
Et c'est au milieu de cet article d'une importance toute sociale
que nous trouvons le trĂšs rapide, mais trĂšs piquant croquis de
l'impératrice que voici :
...Quoique parvenu, l'empereur fait publier des généalogies qui font
remonter jusqu'au Cid d'Andalousie la noblesse de la jeune comtesse
de Teba. H n'a pas suffi Ă Mlle Montijo d'ĂȘtre belle et charmante, il
faut qu'elle ait des ancĂȘtres pour ce monarque qui se vante de n'en
point avoir et qui se déjuge comme la bourgeoisie. Et cette jeune
impératrice? Parlons-en, car elle joue déjà une grande partie. Elle
arrive avec des chics espagnols bien portés, le goût des émotions fortes,
le regret des combats de taureaux, nous ne voulons pas dire celui des
autodafé, le dévotion bien en vue, le jeu de l'éventail, la passion du
costume, les cheveux poudrés d'or, la taille cambrée, toutes les séduc-
tions, mĂȘme celle de la bontĂ©, car elle est bonce et charitable avec
grĂące, enfin tout ce qui frappe l'imagination, les sens, le cĆur au
besoin. VoilĂ tous les hommes amoureux d'elle, et ceux qui ne peuvent
aspirer Ă la faveur du moindre regard, s'essayant Ă faire de leurs
femmes des impératrices de comptoir. Ces bonnes bourgeoises s'éver-
tuent à copier la belle Eugénie ; elles sablent d'or et de cuivre leurs
chevelures vraies ou postiches, elles se fardent, elles deviennent
rousses. Elles aussi ont à présent de jolies tailles et des pieds petits.
GEORGE SAND 249
Le temps n'est plus oĂč Ton reconnaissait la race aux extrĂ©mitĂ©s.
...Les voilà donc ivres, toutes ces belles et bonnes créatures, qui
eussent pu rester si charmantes et si vraiment femmes en Ă©levant leurs
enfants dans le respect de l'aĂŻeul, artisan ou laboureur. Elles aiment
mieux passer à l'état de pécores et s'enfler en regardant leur brillante
souveraine, qui se moque d'elles, se dégoûte de ses parures quand elles
s'en sont emparées et en invente d'autres que les maris payeront, il le
faudra bien !
On dit que cela fait marcher le commerce. Pas du tout, cette marche
est trop anormale pour ne pas engendrer la ruine. La mode changeant
tous les mois par décret de cour, les produits non écoulés encombrent
les fabriques ou tombent tout à coup à bas prix. Les détaillants s'en
ressentent. Il n'y a pas un magasin oĂč vous ne puissiez acheter le luxe
de l'année précédente à moitié prix. On avait compté sur l'écoulement
en province. Allez donc voir à présent si l'on peut tromper sur ce point,
mĂȘme les grisettes des petites villes, mĂȘme les paysannes qui marient
leurs jeunesses et choisissent le trousseau. On va si vite Ă Paris se ren-
seigner ! Les chemins de fer ont effacé toutes les nuances locales, comme
la soif des jouissances a nivelé tous les éléments de l'aristocratie. Qui-
conque a gagné de l'argent est affranchi, décrassé, chùtelain à tourelles
et Ă Ă©cusson si bon lui semble.
D n'y a donc plus de bourgeoisie.
...H n'y a plus que deux classes, celle qui consomme et celle qui pro-
duit; classe riche ou aisĂ©e, classe pauvre ou misĂ©rable. OĂč vont-elles?
La classe riche va joyeusement au-devant des catastrophes dont je ne
me charge pas de prévoir la nature et la forme, mais qui sont des fata-
lités historiques inévitables.
...La meilleure prévision à concevoir, c'est qu'elle s'éclairera à temps
et verra sur quels volcans elle mĂšne la danse...
C'est dans ces mĂȘmes Souvenirs que se trouvait, aussi, le por-
trait de NapolĂ©on Ă©crit la veille ou au moment mĂȘme oĂč la nou-
velle de sa mort à Chislehurst arriva à Nohant ; il fut imprimé dans
le feuilleton du Temps du 30 janvier 1873. Un second feuilleton
était consacré au prince JérÎme et aux autres prétendants, mais
Charles Edmond jugea le portrait du premier peu conforme Ă la
vérité, et quant aux autres, la direction du Temps trouva plus
prudent de ne pas y toucher, tant qu'ils « se tenaient cois », le
feuilleton ne fut donc point imprimé (1). Mais le premier feuil-
(1) Lettres inédites de Charles Edmond à George Sand du 16, 23 et 24 jan-
25» GEORGE SAND
leton intitulé Dans les bois, qui terminait la série des Souvenirs,
Ă©veilla un intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral et eut un trĂšs grand succĂšs, au dire de
ce mĂȘme Charles Edmond (1).
L'Ă©cho du grand succĂšs de votre dernier feuilleton, â lui Ă©crit-il â est
parvenu jusqu'à Nohant. Tous les journaux en ont parlé, et c'est
la premiĂšre fois que je vois des gens de tous les partis s'incliner res-
pectueusement devant un verdict prononcé d'une façon si sereine, si
élevée au sujet d'un personnage politique encore discuté à cette heure.
Rien n'impose silence aux passions comme la raison, lorsqu'elle sait
et veut parler. Or, elle a parlé cette fois-ci...
George Sand, qui reçut dans les bois au milieu d'une partie de
plaisir avec ses petits-enfants, la nouvelle de la suprĂȘme maladie
de Napoléon, parle de son ex-correspondant en ces termes :
...Quand j'ai lu hier dans un journal que l'Ă©tat du malade de Chisle-
hurst Ă©tait grave, j'ai senti qu'il Ă©tait mort au moment oĂč nous Usions
cette dĂ©pĂȘche. « N'Ă©tait-il pas dĂ©jĂ mort Ă Sedan? Pourquoi ne s'y
est-il pas fait tuer? » s'écrie-t-on de toutes parts. Sans doute il a manqué
lĂ une belle occasion de mourir, mais la raison qui la lui a fait manquer
est bien simple : un mort ne peut pas courir Ă la mort.
H y avait déjà trois ans que Napoléon HT n'existait plus. Les évé-
nements n'agissaient plus sur lui que comme la pile de Volta sur un
cadavre. Les velléités libérales de la derniÚre heure étaient, dans la
situation oĂč il se plaçait, des illusions que le raisonnement ne contrĂŽ-
lait plus. La guerre avec la Prusse ne fut mĂȘme pas une illusion, car il
ne sut pas cacher que le spectre de la défaite lui était apparu et l'emme-
nait fatalement Ă sa perte.
...Au reste, pour qui aurait étudié de prÚs, sans prévention d'aucun
genre, toute la vie de cet homme funeste, je crois que l'observateur se
serait assuré d'une chose nouvelle à dire, mais ancienne dans l'histoire :
c'est que certains personnages historiques n'ont pas eu de libre arbitre
et n'ont pas existé dans l'acception que nous donnons au mot exis-
tence comme conscience de la vie. Celui-ci a été traité d'homme chimé-
rique. Le mot est juste s'il désigne un cerveau nourri de chimÚres,
encore plus juste s'il dĂ©peint un ĂȘtre problĂ©matique, insaisissable Ă
vier 1873. Les deux derniĂšres renferment des jugements plus que curieux
sur le prince JĂ©rĂŽme et sur toute la famille des Bonaparte.
(1) Lettre inédite de Charles Edmond du 6 février 1873. Voir plus haut,
p. 210. Ce feuilleton ne fait pas partie â on ne sait pas trop pourquoi â
du volume des Impressions et Souvenirs, mais de celui des DerniĂšres Pages.
GEORGE SAND 251
l'analyse. Moi, je dirai simplement l'impression qu'il m'a causée per-
sonnellement.
Au temps de Ham, par correspondance, écriture et rédaction d'un
jeune homme sans énergie, dominé par une vision énergique, vision
conçue dÚs l'enfance, entretenue par un entourage dont il subissait
la pression avec une lassitude résignée ; point d'instruction réelle,
beaucoup d'intelligence, les rudiments et mĂȘme les Ă©clairs d'un gĂ©nie
plutÎt littéraire que philosophique et plutÎt philosophique que poli-
tique. Santé perdue, vitalité chancelante, inégale, suspendue par
moments avec des reflux d'expansion et des refoulements douloureux.
Point d'amertume cependant, point de rancunes, peu de courroux;
trop contemplatif pour ĂȘtre passionnĂ© ; aimable, aimant, fait pour
ĂȘtre aimĂ© dans l'intimitĂ©, dĂ©sintĂ©ressĂ© de tout pour son compte, et
pourtant â voyez quels contrastes formidables ! â capable des plus
grands crimes politiques, parce que ses notions de droit humain diffé-
raient entiĂšrement des nĂŽtres.
Quand je lui ai parlé, quand je l'ai vu à l'Elysée, deux fois en une
semaine, j'ai été complÚtement abusée par lui, et ensuite, me croyant
jouée, je n'ai plus voulu le revoir. J'ai quitté Paris et manqué à un
rendez-vous donné par lui. On ne m'a pas dit : « Le roi a failli attendre »
on m'a écrit : « L'empereur a attendu (1). » Mais j'ai continué à lui
écrire quand j'espérais sauver une victime, à commenter ses réponses
et Ă l'observer dans tous ses actes ; je me suis convaincue qu'il n'avait
voulu jouer personne ; il jouait tout le monde et lui-mĂȘme. Il croyait
Ă ce qu'il disait; mais, se regardant comme unique moyen de salut,
comme l'instrument investi d'une mission inévitable, ne se sentant
pas l'énergie physique et morale nécessaire, mais comptant la trouver
dans l'arrangement fatal des circonstances, il adoptait toutes les idées
qu'on voulait lui suggérer, sous forme d'oracles : « Allons toujours ! se
disait-il ; si telle chose est impossible, je passerai Ă une autre, et si elle
est mauvaise, le résultat me l'apprendra. » L'exercice du pouvoir
absolu aidant, cette illusion de jouer à pile ou face avec les événements
devint une monomanie, et le fatalisme tranquille et patient prit toutes
les apparences d'une force et d'une habileté.
L'habileté était nulle. L'homme était naïf sous son air contenu et
réfléchi. Il ne posait pas comme son oncle. Il n'avait pas appris à se
draper dans la toge antique. Il était petit, voûté, flétri, et ne cherchait
point Ă paraĂźtre majestueux. Louis Blanc, qui l'avait vu Ă Ham, lui
avait trouvé un profil et un regard d'aigle en cage. Le regard d'aigle
avait disparu quand je le vis ; la cage était restée ; quelque chose d'in-
quiet, de contraint, de timide, qui se résolvait en expression affectueuse
(1) Cf. avec ce qui a été dit plus haut, ps 210-214.
252 GEORGE SAND
et triste. Je n'ai pas à raconter ici les paroles échangées entre nous sur
le rĂŽle quĂŻl jouait Ă cette Ă©poque. Je n'allais point le voir pour l'inter-
roger. Il me rĂ©pondit quand mĂȘme et ses promesses ne furent point
tenues. Mais je trouvai une grande sensibilité et une spontanéité de
bonne résolution qui me frappÚrent vivement Je crus, pendant une
quinzaine, qu'il réparerait tout et qu'il lutterait véritablement pour
tout réparer. Je me méfiais de son énergie, elle fut au-dessous de ce
que j'attendais. La persécution ne se relùcha à l'égard de quelques-uns
que pour peser plus cruellement sur le grand nombre. Une prétendue,
une fausse raison d'Etat frappa d'impuissance l'homme de sentiment
qui déplorait, dans le principe, les moyens dont on s'était servi pour
lui donner le pouvoir, qui paraissait en ignorer les excĂšs, ĂȘtre prĂȘt Ă
les désavouer. H ne désavoua rien et accepta avec une lùche douleur
les meurtres de la rue et les iniquités de la persécution dans toute la
France. Lui, sans haine et sans ressentiment, chevaleresque au besoin
quand il s'agissait d'oublier une injure personnelle, il servit les haines
aveugles, les vengeances odieuses, je ne dirai pas d'une classe de
citoyens, ce ne serait pas vrai, mais de la légion de ces gens de proie
qui, dans toute localité et en toute circonstance, sont sur la brÚche
dans les mauvais jours pour dénoncer, maudire et calomnier leurs
ennemis personnels ou seulement les adversaires dont ils redoutent
l'influence et la moralité. C'est à ces meneurs de réaction qu'au grand
scandale et Ă la grande tristesse des honnĂȘtes gens de tous les partis,
l'aveugle souverain, grisé par le succÚs du premier plébiscite et n'en
comprenant pas les causes profondes, se fit l'esclave et l'obligé des
moyens apparents de son succĂšs. Il ne comprit pas qu'il pouvait ĂȘtre
humain sans danger. En cela comme en tout, il se trompait. Il se trom-
pait comme se trompait le parti radical en attribuant l'Ă©lan du vote
des campagnes Ă la pression des meneurs. Cette pression existait, mais
elle était parfaitement inutile. La légende napoléonienne et l'effroi
d'une république sans force et sans union servaient l'empire en dépit
de ses agissements sans pudeur.
L'Empire était proclamé, je ne saurais dire fondé ; le titulaire en
sapait la base lui-mĂȘme en montant sur ce pavois souillĂ© que lui ten-
daient les mauvaises passions. -Ne honnĂȘte homme, il se faisait porter
en triomphe par des ambitieux dépourvus de tout scrupule. Ce qu'il y
avait d'impur dans la nation française allait travailler pour lui et le
rendre solidaire de tout le mal commis et Ă commettre. La France
passa condamnation. Et alors il se crut grand et fort. Il entreprit de
grandes choses qui ne pouvaient aboutir. H parut devoir mener Ă bien
tout ce qui répondait au sentiment public. Homme à principes erronés,
il gouverna une nation qui manquait de principes et qui mettait un
idéal de prospérité romanesque à la place de la vraie civilisation, le
GEORGE SAND 253
succĂšs et la chance Ă la place du droit et de la justice. C'est donc par le
sentiment seul qu'il pouvait la conduire ; il l'avait compris un instant
en voulant sauver l'Italie. Il manqua de confiance pour son dénoue-
ment et tomba au dernier acte. DĂšs lors son Ă©toile pĂąlit, et il ne la vit
plus. Peut-ĂȘtre cessa-t-il d'y croire, peut-ĂȘtre cet illuminĂ© devint-il
sceptique ; son intelligence ne pouvait survivre Ă une telle transfor-
mation. 11 commença à mourir durant la guerre du Mexique. La France
l'avait trop accepté, elle était devenue chimérique comme lui, elle
partagea sa décadence en la précipitant. Elle se trouva désorganisée,
anarchique et sans conscience d'elle-mĂȘme. Elle le maudit avec excĂšs
quand elle se vit perdue, l'implacable colĂšre ne s'avoua pas qu'elle
Ă©tait trop tardive pour ĂȘtre digne.
Une colĂšre plus logique et plus noble fut celle de Victor Hugo, qui
dÚs le début lança le plus éloquent de ses anathÚmes à Napoléon, le
Petit Mais le grand poĂšte romantique n'eut pas ici le sens suffisant de
la rĂ©alitĂ©. Son chef-d'Ćuvre restera comme un monument littĂ©raire,
il n'a pas de valeur historique. Napoléon III ne mérita jamais « ni cet
excĂšs d'honneur ni cette indignitĂ© » d'ĂȘtre traitĂ© comme un monstre.
Il ne mĂ©rita pas davantage d'ĂȘtre rabaissĂ© jusqu'Ă l'idiotisme. Il eut,
comme homme privé, des qualités réelles. J'ai eu l'occasion de voir en
lui un cĂŽtĂ© vraiment sincĂšre et gĂ©nĂ©reux. Il eut aussi un rĂȘve de gran-
deur française qui ne fut pas d'un esprit sain, mais qui ne fut pas non
plus d'un esprit médiocre. Vraiment la France serait trop avilie si elle
avait subi pendant vingt ans la toute-puissance d'un crétin travaillant
pour lui seul. Il faudrait désespérer d'elle à tout jamais. La vérité est
qu'elle prit ce météore pour un astre et ce songeur silencieux pour un
homme profond. Puis, quand elle le vit succomber à des désastres
qu'elle eût dû prévoir et prévenir, elle le prit pour un lùche.
Il ne l'Ă©tait pas, il avait un courage froid et je ne crois pas qu'il tĂźnt
Ă la vie. Il se sentit Ă©crasĂ©, dĂ©sillusionnĂ© de son rĂŽle, peut-ĂȘtre las de
lui-mĂȘme.
...H s'est cru l'instrument de la Providence. Il ne fut que celui du
hasard. Le parti, d'abord minime, et tout Ă coup immense, qui le porta
au faĂźte du pouvoir ne fut mĂȘme pas un parti, si, par lĂ , on entend une
fraction de nation obéissant à une doctrine, à un systÚme, à une
croyance quelconque. Ce fut un essaim d'aventuriers d'abord, et puis
une réunion d'intéressés spéculant sur l'aventure, et puis l'engouement
soudain des masses, dégoûtées d'une république en dissolution. La
France, devenue industrielle sous Louis-Philippe, n'Ă©tait pas redevenue
politique ; ne sachant pas se gouverner elle-mĂȘme, elle se jeta dans
l'inconnu. La république s'était suicidée en juin par une effroyable
scission entre le peuple et la bourgeoisie. Nous n'Ă©tions plus dignes de
la liberté. L'inconnu étrange, triste, poli et froid, passait dans la rue
«54 GEORGE SAND
sur un cheval dressé à faire des courbettes. Je lui trouvai, ce jour-là ,
le profil de Don Quichotte. Des gens, arrivés à ce spectacle pour le
siffler, l'acclamĂšrent, je n'ai jamais su pourquoi. Une sorte de vertige
s'était emparé de ce Paris des boulevards qu'il avait mitraillé la veille.
Ce fut un triomphe. Il en parut Ă©tonnĂ©, et peut-ĂȘtre, car il avait ses
moments d'esprit et de malice discrĂšte, comprit-il qu'il devait cette
ovation Ă la grĂące de son cheval. Paris est artiste. Paris est enfant.
Paris est sublime et niais, admirable aujourd'hui, absurde demain. Il
vit cela et il osa, lui qui avait un grand fonds de timidité modeste. On
le voulait impudent, il le fut. Il commanda, dit-on, son manteau impé-
rial. Des ouvriÚres étaient occupées à en broder les abeilles d'or, qu'il
disait encore à ceux qui le poussaient en avant : « Non, je ne trahirai
pas la République ! » Et le merveilleux de l'affaire, c'est qu'il le disait
de bonne foi. Il Ă©tait dupe de lui-mĂȘme jusqu'au dernier moment. On
le persuadait tout d'un coup, en lui montrant le succÚs obtenu en dépit
de son inaction, de ses scrupules ou de sa gaucherie. H se disait alors :
« C'est ma destinée, donc c'est mon devoir. » Et rien ne comptait plus
dans sa conscience ni dans sa mémoire. C'était le fanatisme d'un autre
siĂšcle mettant l'aigle dans le nimbe Ă la place du calice. H ne connais-
sait pas le remords, pouvant toujours se dire : « Ce n'est pas moi qui
l'ai voulu ; c'est la fatalité qui me commande. » Ce portrait n'a pas la
prétention de s'imposer à l'histoire. Il sera nié, discuté, refait de mille
maniĂšres ; moi, je le crois non bien fait, mais ressemblant. Je l'ai recons-
truit en me promenant dans les bois et en me rappelant l'ensemble des
détails qui m'ont frappé... M la haine ni l'engouement n'ont pu le
juger.
De grandes prospérités apparentes, cachant des plaies profondes et
des cataclysmes imminents, caractérisent les deux rÚgnes des deux
Napoléon, essentiellement dissemblables. La ressemblance, c'est que
l'étoile des Napoléon est terrible. C'est le fatalisme oriental servi par
la légÚreté française, et si l'on me dit que j'ai parlé du trépassé de Sedan
avec trop d'indulgence, je répondrai ceci pour me résumer : « Le grand
coupable, c'est l'esprit aventureux de la France... »
George Sand avait consacré un article au Jules César de Napo-
léon III, que l'auteur lui avait envoyé avec un ex-dono auto-
graphe fort aimable, tout comme il l'avait fait pour ses Idées
napoléoniennes et Y Extinction du paupérisme. L'article de George
Sand, trĂšs adroit, peut ĂȘtre appelĂ© un chef-d'Ćuvre d'aimable
impartialité. Effectivement, tout en signalant les mérites sérieux
de l'Ćuvre, Mme Sand en note aussi les quelques dĂ©fauts, surtout
GEORGE SAND 255
un certain parti pris dans la maniĂšre de conter l'histoire du grand
ambitieux romain. Cet article parut en 1865.
Les bonnes relations de Mme Sand avec le prince JĂ©rĂŽme
ainsi qu'avec la princesse Mathilde, la princesse-dilettante la plus
originale qui ait jamais existé, un esprit rare, mais un type de
femme des plus Ă©tranges, durĂšrent jusqu'Ă sa mort. C'est entre
1858 et 1870, et surtout entre 1860 et 1867, que Mme Sand fré-
quenta le salon de la princesse et, au dire d'un de leurs amis
communs que j'avais connu, elle y était toujours invitée avec
Manceau, son compagnon inséparable d'alors : la princesse
n'avait pas de préjugés ni de morgue, mais elle détestait la médio-
crité, surtout la médiocrité féminine. On retrouve dans les
papiers de George Sand bon nombre de lettres de la princesse.
Nous avons déjà dit que George Sand fit la connaissance du
prince JérÎme par l'intermédiaire de sa fille Solange et du comte
d'Orsay, en 1852. L'amitié fut vite établie à partir de cette
Ă©poque et une correspondance suivie s'engagea entre eux. Le
prince aida beaucoup Mme Sand dans ses démarches en 1852
comme en 1858 en faveur de PĂ©rigois et de Patureau-Francceur. H
contribua aussi, cette mĂȘme annĂ©e, Ă faire dĂ©corer Maurice Sand.
Cette amitié avec le prince, commencée sous les auspices de
Solange, n'en continua pas moins lors de la liaison du prince
avec Rachel. Mme Sand nota dans son journal intime que le
18 mars 1853 elle dĂźna chez le prince dans son appartement de
garçon avec Rachel, Cabarrus, Dumas fils, de Girardin, etc., etc.
Puis, Ă la date du 13 septembre de cette mĂȘme annĂ©e elle Ă©crivit :
« Rachel vient à onze heures du matin en grande calÚche décou
verte avec Napoléon et les larbins galonnés... » Et lorsque la
grande tragédienne fut remplacée auprÚs du prince par la char-
mante comédienne, Mme Arnould-Plessy, femme aussi adorable
qu'elle était fine artiste, l'amitié de Mme Sand pour le prinee
ne put que s'accroßtre, car, dÚs 1847, George Sand avait voué
un attachement tout maternel Ă la jeune veuve, et Mme Arnould
adora toujours Mme Sand, comme on le voit par ses lettres.
Cette amitié survécut à la rupture survenue entre le prince
et Mme Arnould, elle s'accrut mĂȘme et se fortifia, car Mme Sand
256 GEORGE SAND
eut, Ă ce moment tragique, Ă secourir la pauvre Sylvanie et lui
donner du courage. Puis, pour la détourner de son désespoir et
de ses réflexions amÚres et pour ne plus lui permettre de se ronger
le cĆur et 1* esprit, elle sut lui faire prendre goĂ»t aux sciences
naturelles, la poussa à lire sérieusement, lui fit, en un mot, oublier
sa personnalité, chose que George Sand avait toujours et sans
relĂąche prĂȘchĂ©e dans ses romans et dans la vie rĂ©elle (1).
Il y eut plus tard un moment oĂč cette longue amitiĂ© sembla
se refroidir et s'Ă©clipser, ce fut lorsque Mnie Arnould devint
assez subitement une catholique pratiquante, entiĂšrement sou-
mise Ă ses directeurs de conscience, surtout au pĂšre Hyacinthe
Loyson, non encore sĂ©parĂ© de l'Ăglise. Mme Sand et Mme Arnould
Ă©changĂšrent alors des lettres fort curieuses, et il faut avouer que
dans ces lettres c'est Ă Mme Arnould qu'appartient le plus beau
rÎle. Mme Sand, qui était à ce moment particuliÚrement excitée
contre le clergĂ© â Ă cause de l'influence alors croissante en
France du clĂ©ricalisme, â et qui avait par contre beaucoup de
sympathie pour le protestantisme, traite dans ses lettres avec
une grande véhémence et en des termes désagréablement ùpres
cette Ă©volution dans la vie de son amie. Mme Arnould-Plessy
lui répond avec grande douceur et respect que, quelles que fus-
(1) Sylvanie Arnould-Plessy, foudroyée par la trahison et la brutale gros-
siÚreté de son amant infidÚle, sauvée du désespoir par l'illustre femme qui la
poussa Ă Ă©tudier les sciences naturelles, Ă oublier son pauvre petit moi au
milieu de la grande Nature â dans l'une de ses lettres pleines d'une grati-
tude enthousiaste, parlait en ces termes du roman de VahĂšdre, oĂč George
Sand avait, avec le plus de netteté, dit sa pensée sur le travail qui nous sauve
et la science qui nous ennoblit et nous Ă©lĂšve :
...Je vais vous remercier plus particuliĂšrement encore de VahĂšdre que
de tout le reste.
>< Ce livre est pour moi moral et poétique au dernier point. J'en admire
tous les sentiments, toutes les idées et votre héros (le Travail) me paraßt aussi
le Dieu qu'il faut apprendre à aimer dÚs l'enfance et le grand générateur de
toutes les vertus.
âą Cette vĂ©ritĂ©, qui devrait ĂȘtre banale, est ignorĂ©e de presque toutes les
femmes, et vous la rendez si saisissable, vous employez pour convaincre des
paroles si douces que la lecture de ce livre doit faire du bien.
« Moi, je vous félicite, je vous remercie, je vous fais mon plus beau compli-
ment, parce que j'ai été attendrie et parce qu'aprÚs la lecture, à la réflexion,
le charme n'a fait que croĂźtre.
< Adieu, grande maman du public !
t Et que Dieu vous garde et vous bénisse. »
GEORGE SAND 257
sent ses croyances, quelque méritée que fût la désapprobation de
la part de Mme Sand, elle ne cessera jamais de l'aimer et de la
vénérer. H est de toute curiosité que le pÚre Loyson prit lui-
mĂȘme part Ă cette polĂ©mique et qu'il Ă©crivit Ă Mme Sand une
lettre oĂč il lui expliquait qu'elle avait tort de le croire dominĂ©
par un esprit de prosélytisme effréné et par le désir de tendre
des piĂšges Ă l'Ăąme de sa fille spirituelle. Ces correspondances
sont encore inédites, mais nous trouvons déjà des allusions à cet
Ă©pisode â qui mit durant quelque temps un certain froid dans
les rapports entre la grande romanciĂšre et la gracieuse actrice,
â dans la Correspondance imprimĂ©e de George Sand, seulement,
tous les noms propres y ont été omis (1). Les lettres de
Mme Arnould à George Sand forment une série de pages ravis-
santes, de tendres Ă©panchements, dignes d'ĂȘtre publiĂ©s intĂ©gra-
lement. Les réponses de George Sand sont en partie imprimées
dans la Correspondance et rappellent par leur maniĂšre ses let-
tres Ă Mme Augustine de Bertholdi, sa cousine, qui ne se lisent
certes pas avec un moindre plaisir. C'est bien de ces deux cor-
respondances qu'on aura raison de dire que George Sand s'y
montre vraiment maternelle.
Nous semblons nous ĂȘtre Ă©loignĂ©s de notre sujet. Cela n'est
pas. C'est justement grùce à Mme Plessy que l'amitié du prince
JĂ©rĂŽme pour Mme Sand devint plus forte. Charles Edmond fut
aussi un trait d'union entre eux. Le prince fit sa premiĂšre appa-
rition incognito Ă Nohant en 1857. Nous apprenons par les lettres
inédites de George Sand qu'elle avait dû prendre toutes ses
mesures pour éviter les trop grandes indiscrétions de la curiosité
provinciale, mais elle n'y put réussir, et la visite du prince eut sa
lĂ©gende. C'est ainsi qu'on assurait qu'au moment oĂč le prince
JérÎme, accompagné de Charles Edmond, entra dans la cour du
chĂąteau, Mme Sand vint Ă sa rencontre, lui disant de la maniĂšre
la plus familiÚrement irrévérencieuse : « Hé ! bonjour, mon vieux,
il était grand temps », etc., etc., ce qui aurait été entendu par
(1) Voir la lettre Ă Flaubert du 18 septembre 1868, Cf. Correspondance,
t. V. p. 276-277 et Correspondance entre George Sand et Gustave Flaubert,
p. 130 et suivantes.
iv. t,
25S GEORGE SAND
« un espion invisible » qui se cachait on ne sait trop oĂč, dans cette
mĂȘme cour. C'Ă©tait Ă Charles Edmond que George Sand avait
adressé la bienvenue, justement afin de ne pas parler d'abord au
prince qui tenait Ă garder son incognito (1).
Nous voyons par ime lettre de Mme Arnould-Plessy Ă George
Sand que le prince fut taquiné à CompiÚgne à propos de ce voyage
Ă Nohant, mais qu'Ă ce mĂȘme moment arriva ime lettre de
George Sand à l'impératrice (2), cette derniÚre se mit à s'enthou-
siasmer sur le compte de la grande romanciĂšre et comprit parfai-
tement l'engouement de son cousin.
AprĂšs cette premiĂšre visite, le prince JĂ©rĂŽme vint Ă Nohant
plusieurs fois encore. C'est ainsi qu'il s'y rendit en 1868, le jour
du baptĂȘme protestant des petites-filles de George Sand, il fut
mĂȘme le parrain d'Aurore ; il y assista aussi Ă des reprĂ©sentations
des célÚbres marionnettes ; il joua au jeu de l'oie et aux dominos
dans le grand salon de Nohant ; il vint enfin, prévenu par un
télégramme de Maurice Sand, le 10 juin 1876 pour assister aux
funérailles de sa vieille amie. Le prince avait été lié tout autant,
si ce ne fut plus encore, avec Maurice Sand qui devint l'hĂŽte
familier de sa maison, et fut son compagnon de voyage en 1861,
à bord du JérÎme-Napoléon, voyage décrit par Maurice Sand
dans son livre Six mille lieues Ă toute vapeur dont George Sand
écrivit la préface.
Dans la correspondance de Mme Sand, ses lettres au prince
JérÎme sont des plus intéressantes ; elles touchent aux questions
sociales, politiques, littéraires et personnelles les plus diverses
et nous montrent que leur auteur oubliait parfaitement qu'elle
avait affaire Ă un cousin de l'empereur ; elle le traitait avec la
mĂȘme simplicitĂ©, avec la mĂȘme franchise attrayante, la mĂȘme
sincérité que les jeunes amis qui l'entouraient dans ses vieux
jours. -
En terminant cette histoire des relirions de George Sand avec
les descendants de celui dont l'éclat avait projeté ses rayons sur
(1) Lettres médites de George Sand à Charles Edmond et à Charles
Duvernet du 8 septembre 1867.
(2) Voir plus haut p. 239.
GEORGE SAND 259
son enfance (1), nous ne pouvons nous abstenir de faire connaĂźtre
au lecteur â s'il ne le connaĂźt dĂ©jĂ par une allusion du Journal
des Ooncourt â un fait du plus parfait comique. Lorsqu'en l'annĂ©e
terrible on brûla et pilla les Tuileries, on trouva dans le cabinet
de travail de Napoléon III l'extraordinaire épßtre qui suit :
Grande chancellerie. Cabinet de l'Empereur.
29 mai 1869 21 mai 1869
Le baron Casimir Dudevant, ancien officier du premier Empire,
à Sa Majesté V Empereur des Français.
Sire,
AprÚs avoir déposé aux pieds de Votre Majesté l'hommage de mon
dévouement et de ma respectueuse fidélité, j'ai l'honneur de voue
exposer ce qui suit :
Je suis fils de M. François Dudevant, colonel sous le premier Empire,
créé baron par Napoléon Ier, membre du Corps législatif, chevalier de
Saint-Louis et de l'ordre impérial de la Légion d'honneur.
Sorti officier de l'Ă©cole de Saint-Cyr en 1815, au retour de l'Ăźle d'Elbe
j'ai eu l'honneur de faire partie de l'armée de la Loire. Depuis rentré
dans la vie privée, j'ai rempli pendant quarante ans les fonctions de
maire soit Ă Nohant (Indre), soit Ă Pompiey (Lot-et-Garonne). Il y a
quelques années, j'ai été honoré de la médaille de Sainte-HélÚne.
Pendant cette période de quarante années passées à l'administra-
tion de deux communes, j'ai servi avec dévouement et honneur les
différents pouvoirs qui ont régi la France ; mais par les souvenirs et
les inclinations naturelles, je suis demeurĂ© invariablement attachĂ© Ă
la dynastie impériale, et n'ai cessé d'appeler son retour de tous mes
vĆux.
Sire, jusqu'à présent je n'ai rien sollicité pour les services que je
peux avoir rendus Ă mon pays ; mais au moment oĂč Votre MajestĂ©
annonce qu'Elle veut célébrer clignement le jubilé national du cente-
naire du glorieux fondateur de votre dynastie, en répandant un peu
de bien-ĂȘtre sur les vieux compagnons d'armes de l'Empereur, au
moment oĂč la France convoquĂ©e dans ses comices, va ratifier, en 1869,
ce qu'elle a fait en 1851 par une manifestation si Ă©clatante et Ă laquelle
je suis fier d'avoir pris part, j'ai pensé que l'heure était venue de
m'adresser au cĆur de Votre MajestĂ© pour en obtenir la rĂ©compense
honorifique que je crois avoir méritée.
(1) Voir George Sand, sa vie et ses Ćuvres, t. I, p. 97-99
36o GEORGE SAND
Sur le soir de mes jours j'ambitionne la croix de la LĂ©gion d'honneur.
C'est lĂ la faveur suprĂȘme que je sollicite de votre magnificence impĂ©-
riale.
En demandant cette récompense, je m'appuie non seulement sur
mes services, depuis 1815, au pays et au pouvoir Ă©tabli, services sans
Ă©clat, insuffisants peut-ĂȘtre, mais encore sur les services Ă©minents
rendus par mon pĂšre depuis 1792 jusqu'au retour de l'Ăźle d'Elbe. Bien
plus, j'ose encore invoquer des malheurs domestiques qui appartiennent
à l'histoire (1). Marié à Lucile Dupin, connue dans le monde littéraire
sous le nom de George Sand, j'ai été cruellement éprouvé dans mes
affections d'époux et de pÚre, et j'ai la confiance d'avoir mérité le sym-
pathique intĂ©rĂȘt de tous ceux qui ont suivi les Ă©vĂ©nements lugubres qui
ont signalé cette partie de mon existence.
Sire, je n'ai plus aujourd'hui Ă mettre au service de l'Empereur et de
la France des lumiÚres et des forces que l'ùge, les infirmités et les
malheurs m'ont retirĂ©es Ă jamais ; mais je conserve dans le cĆur un
patriotisme que les années n'ont pas affaibli, et un attachement inal-
térable à votre Auguste Personne et à votre dynastie.
C'est dans ces sentiments que j'ai la confiance que Votre Majesté
accueillera avec faveur mon humble requĂȘte.
J'ai l'honneur d'ĂȘtre, Sire, de Votre MajestĂ©, le trĂšs fidĂšle sujet.
Dudevaxt.
Barbaste (Lot-et-Garonne), le 16 mai 1869.
Ce curiosissime document apporte sa pointe de comique dans
l'histoire des rapports de George Sand avec l'Elysée ; c'est comme
une farce jouée aprÚs une grande piÚce.
Nous avons toutefois tort de faire emploi de ces termes de tré-
teaux, le seul qui convienne Ă propos des relations de George Sand
avec le promoteur du coup d'Ătat, c'est le mot « tragique ».
Nous nous demandons ce que pouvait faire, Ă ce moment, une
femme contre ce régime établi contre lequel les hommes les plus
courageux, les plus belliqueux, Ă©taient impuissants? Artiste,
elle devait s'efforcer, en ces noires années d'abattement général,
de poursuivre le culte du Bien, du Bon et du Vrai. Femme, elle
sentit avant tout la nécessité d'aider, de secourir, de réconforter,
(1) C'est nous qui soulignons.
GEORGE SAND 261
de consoler et de sauver immédiatement ceux qu'on pouvait encore
sauver.
Nous nous inclinons devant Jeanne d'Arc, son oriflamme en
mains, volant au-devant des ennemis de son pays. Nous admi-
rons Mme de Staël déclarant bravement la guerre à outrance
au souverain de l'Europe. Mais combien nous semble plus ado-
rable cette sainte Elisabeth, son tablier rempli de pain pour les
mendiants, s'acheminant doucement, mais courageusement vers
les indigents, malgré la défense sévÚre de son seigneur et maßtre,
visitant les hÎpitaux et y subissant les injures des moines, repré-
sentants de cette mĂȘme doctrine du Christ qu'elle venait prĂȘcher
par son apostolat sublime. Si les discours passionnés de George
Sand en 1848, ses bulletins, ses articles resplendissent du feu de
l'enthousiasme, de l'ardeur militante, quelle douce chaleur, quel
souffle de charité, de pitié s'exhale des innombrables paperasses
qui sont comme le monument manifeste de ses relations, en 1852,
avec Napoléon et son entourage d'une part, et avec ses amis
républicains d'autre part. Les républicains outrés condamnÚrent
George Sand tout aussi férocement que le landgrave de Hesse
qui arracha furieusement le tablier des mains de sa femme ; ils
ne comprenaient pas mieux ce qu'elle faisait et ils crurent qu'elle
dérogeait, comme les moines thuringiens qui ne comprenaient
pas comment une princesse pouvait s'abaisser au point de servir
la vile multitude. Et la sainte landgrave fut déclarée folle,
enfermée, délaissée par tout le monde. Mais les années s'écou-
lÚrent, et la mémoire de la grande sainte resplendit et fleurit
toujours, comme les roses qui tombĂšrent de son tablier... Le
lointain historique change les points de vue, il apaise les passions,
les indignations, les colĂšres. Et toutes ces feuilles jaimies, ces
listes, ces « mémoires », ces demandes et ces réponses officielles
nous apparaissent autant de saintes roses qui ceignent la tĂȘte de
George Sand de la plus belle couronne que puisse porter une
femme, la couronne de pitié, de charité et de miséricorde !
CHAPITRE X
LE THĂĂTRE DE GEORGE S AND
Gabriel â Les Mississipiens. â Cosima. â François le Champi. â La
Commedia delV arte et les Marionnettes Ă Xohant. â Le ChĂąteau des DĂ©sertes,
â L'Homme de Neige et Narcisse. â Le Roi attend. â MoliĂšre et Mariette.
â Claudie. â Le Pressoir. â L'Ă©poque thĂ©Ăątrale Ă Nohant (1850-1856).
â MaĂźtre FaviĂŻlaet deux lettres de Charles Baudelaire. â Le Mariage de
Victorine. â Les Vacances de Pandolphe. â Mont-RevĂȘche et le DĂ©mon du
foyer. â Françoise. â Comme il vous plaira et RouviĂšre. â Lucie. â
PiÚces tirées de romans : Mauprat, Flaminio., Les Beaux messieurs de
Bois-dorĂ©. â Le PavĂ©. â Le Drac. â La Nuit de NoĂ«l. â Marguerite
de Sainte-Gemme. â La LaitiĂšre et le pot au lait. â Un bienfait n'est jamais
perdu. â L'Autre.
C'est Gabriel qu'il faut considérer comme le premier essai
de George Sand dans l'art dramatique, quoiqu'elle l'ait intitulé
simplement « roman dialogué ». Ne voulant pas reprendre une
seconde fois l'analyse de cette piÚce, nous récapitulerons seule-
ment ce que nous en avons dit dans notre volume II (1), nous
trouvons que par ses qualités littéraires, autant que par la
puissance de son action dramatique cette Ćuvre mĂ©rite d'ĂȘtre
jouée bien plus que beaucoup de piÚces de George Sand les plus
prÎnées. Rappelons que Balzac, aussi, avait prié l'auteur de
mettre ce drame en scÚne. On a retrouvé dans les papiers de
George Sand une ébauche de scénario tiré de Gabriel. Mais cette
piÚce ne fut jamais jouée. On nous a dit que Mme Sarali
Bernhardt avait eu l'idée de jouer Gabriel, que M. Henri Amie
avait essayé de l'arranger pour le théùtre. Mais puisque ces
projets restÚrent inexécutés nous exprimons le vif désir de voir
jouer un jour Gabriel, sa'ns changement aucun, rien qu'avec
quelques coupures peut-ĂȘtre. Nous dĂ©sirons surtout qu'on garde
(1) V. George Sand, sa vie et ses aruvres, vol. II, p. 143-146.
GEORGE SAND 263
intact le sombre et poétique dernier acte avec cette scÚne émou-
vante oĂč, aprĂšs le monologue de Gabriel-.G-abrielle, dont la dou-
leur et le dĂ©sespoir aboutissent Ă une indiffĂ©rence gĂ©nĂ©rale, Ă
une apathie absolue, Gabrielle meurt assassinée. Ce dénouement
Ă©meut ; il doit satisfaire le spectateur, parce qu'il apparaĂźt
comme une nécessité : Gabrielle ne peut plus vivre, elle a vécu
tout ce qu'un cĆur humain peut supporter, il ne lui reste plus
de force. Si ce bravo ne la tuait pas par méprise, elle mourrait
quand mĂȘme, elle attraperait une maladie, un coup de vent
l'emporterait, le plus petit ruisseau suffirait pour la noyer, car
le souffle de vie, l'esprit qui fait lutter et se défendre, ne l'anime
plus. Elle est donc Ă la merci du moindre hasard. Nous conseil-
lerions beaucoup Ă l'auteur qui voudrait mettre Gabriel Ă la
scĂšne de ne rien retoucher Ă ce dernier acte, de ne le point gĂąter
par des arrangements, et nous sommes sûr que tous les spec-
tateurs seront de l'avis de Balzac.
La seconde piĂšce de George Sand fut un proverbe : Les Mis-
sissipiens. Nous avons dit ailleurs (1) quels types incomparables
présentent le vieux duc et la marquise de Puymontfort. Ce sont
des portraits vivants. C'est au milieu des personnages de ce grand
monde à son déclin que s'écoulÚrent les premiÚres années d'Au-
rore Dupin chez son aïeule Marie-Aurore de Saxe, dans son élé-
gant petit salon rue des Mathurins et plus tard rue Thiroux.
George Sand prétendit qu'ayant entrepris le prologue des Mis-
sissipiens, avec l'intention d'en faire une piÚce de théùtre, la
donnée lui parut peu convenir à la scÚne, l'action assez embrouil-
lée se passant au temps de John Law, la passion de l'argent et
l'affolement de la spéculation dominaient son sujet plus qu'il
ne lui plaisait. Plus tard, cependant, Balzac composa son Mer-
cadet sur une donnée semblable, mais il la modernisa, Mme Sand
intitula donc ses Mississipiens « nouvelle dialoguée ». Malgré
cette réserve les Mississipiens appartiennent certainement à la
littérature dramatique, et nous partageons entiÚrement l'avis
de M. Caro qui prétend que Gabrielle, les Sept cordes de la lyre
(1) George Sand, sa vie, etc., t. Ier, p. 124.
264 GEORGE SAND
et les Missmipiens sont comme un spectacle idéal que Mme Sand
a donné à son imagination. C'est pour cela qu'ils demeurent
Ă©troitement liĂ©s Ă toutes ses Ćuvres dramatiques : ce sont ses
premiers essais.
La troisiĂšme Ćuvre dramatique de George Sand : Cosima,
fut certainement Ă©crite pour ĂȘtre jouĂ©e. Ce drame dont le sous-
titre est la Haine dans Vamour fut, comme nous le savons déjà ,
représenté en avril 1840. Au dire de Heine, la piÚce n'obtint
qu'un succĂšs d'estime; il Ă©crivit mĂȘme plus tard et non sans
raison que ce fut un vrai four. Et ce fwt justice. Quoique George
Sand déclarùt, dans sa Préface, que le froid accueil du public
n'était nullement mérité, et qu'elle défendßt son droit d'essayer une
maniÚre, de faire une piÚce qui intéresserait non pas par des coups
de théùtre et de grands effets de situations, mais par l'analyse
seule de sentiments intimes, de petits événements de famille,
et quoique George Sand elle-mĂȘme d'une part et de l'autre le
cĂ©lĂšbre critique Ă©reinteur Senkowski, qui se divertit extrĂȘme-
ment Ă la lecture de cette nouvelle Ćuvre de Georgius Sand »
aient dĂ©montrĂ© que Cosima Ă©tait bien la propre sĆur d'Indiana
et de LĂ©lia, â mais idĂ©e et exĂ©cution, vouloir et pouvoir sont deux.
Faisant montre comme Gabriel d'un boursouflage de style et
d'un romantisme outré, rappelant toutefois comme Gabriel
encore, certaines piĂšces de Hugo et de Musset, Cosima nous
paraĂźt notamment une Ćuvre de pure convention thĂ©Ăątrale,
irréelle, ennuyeuse.
L'insuccÚs de Cosima fit pour longtemps abandonner le théùtre
à George Sand, mais M. Caro a encore raison de dire que « cet
effort infructueux avait irrité sa passion du théùtre plus encore
qu'il ne l'avait découragée ».
Et voici qu'un beau soir d'automne de 1846, alors que toute la
famille de Nohant passait la veillée dans le grand salon, tandis
que Chopin pianotait en sourdine une de ses Ćuvres inachevĂ©es,
au bruit des conversations, et que Mme Sand cousait prĂšs de la
table, la jeunesse soudain eut l'idée de se costumer. AussitÎt
dit, aussitĂŽt fait. Tous disparurent. Une demi-heure aprĂšs, le
vieux salon Louis XV fut envahi par une bruyante compagnie :
GEORGE SAND 265
marquis, hidalgos, ogres, pierrots, soubrettes et princesses. A
peine le grand pianiste s'en aperçut-il, que sans perdre une
seconde, il attaqua un boléro improvisé, au son duquel tous ces
soi-disant Espagnols et Gitanos se mirent à exécuter les pas les
plus fantastiques que l'on puisse imaginer. Puis, vint un autre
air de ballet ; de nouvelles danses s'improvisĂšrent. Et l'artiste
de génie et les jeunes danseurs se sentirent grisés par leur succÚs.
Le lendemain, le spectacle improvisé recommença : le corps de
ballet de la veille hasarda plusieurs soli et mĂȘme quelques scĂšnes
mimées, tantÎt drÎles, tantÎt sentimentales. DÚs que l'un des
danseurs changeait de costume, confectionné avec autant de
spontanéité que de simplicité (quelques défroques de couleur en
faisaient les frais), aussitĂŽt Chopin adaptait son jeu Ă ce nouvel
aspect du danseur, et cette nouvelle improvisation inspirait Ă
son tour quelque nouveau pas aux jeunes disciples de Terpsi-
chore (1). On se mit à jouer des pantomimes entiÚres accompagnées
par cette adorable musique. Puis, on exécuta, outre les danses,
des scÚnes dialoguées improvisées. Lorsque Chopin reprit ses
leçons à Paris, on continua pendant quelque temps les danses,
Mme Sand s'étant chargée du piano; puis on abandonna les
danses et on s'adonna Ă de vrais spectacles dans le genre de
l'ancienne commedia delV arte italienne, on joua des piĂšces impro-
visĂ©es d'aprĂšs un scĂ©nario arrĂȘtĂ© et discutĂ© d'avance par tous les
acteurs. BientĂŽt on ne pensa et on ne parla plus d'autre chose Ă
Nohant. Généralement le sujet de la piÚce du soir était débattu
pendant le dßner : l'un ébauchait un scénario, les autres son
développement, on rejetait une idée, on en proposait une autre
et le soir ou le lendemain on jouait (2). La troupe primitive
grandit bientÎt. Emmanuel Arago y débutait pendant ses
vacances en 1846. L'imprésario, c'est-à -dire Maurice Sand,
envoyait une invitation aux Duvernet pĂšre, mĂšre et fille, ou
aux Dutheil, pĂšre et deux fils. Quant Ă Mme Sand, comme nous
l'avons dit au chapitre vi, de spectatrice elle devint actrice et
(1) V. George Sand, sa vie, etc., vol. III, chap. VI, p. 509.
(2) C'est tout à fait la maniÚre de procéder pratiquée de nos jours par les
sociétaires du Théùtre Artistique de Moscou.
266 GEORGE SAND
joua les rĂŽles les plus divers : jeunes premiers, jeunes premiĂšres,
pĂšres nobles, sorciers et reines (1). Dans le premier des deux
grands albums de Maurice Sand, qui demeurent comme une his-
toire du théùtre de Nohant magnifiquement illustrée, nous trou-
vons plusieurs lavis à l'aquarelle, représentant George Sand dans
différents costumes d'homme et de femme. Nous donnons la
reproduction de celui qui la représente dans le rÎle de Pietro
Colonna dans Une nuit Ă Florence. Mais c'est certainement dans
le Chùteau des Désertes, dont nous avons aussi parlé plus haut (2),
que l'on trouve l'écho le plus fidÚle de ces spectacles improvisés,
de leurs préparatifs et des débats qui précédaient chaque repré-
sentation, relatifs au scénario, au caractÚre général de chaque
rĂŽle et aux analyses critiques des Ćuvres littĂ©raires qui servaient
de trame à ces piÚces improvisées.
Puis les années 1847 et 1848 arrivÚrent et tous les spectacles
prirent fin. La gaie Augustine, la belle Solange, Fernand des
Préaulx, Arago, Borie, n'étaient plus à Nohant. Mais lorsque
Mme Sand se retrouva dans sa vieille maison, ce fut encore l'art
dramatique, cette fois sous la forme des marionnettes, qui con-
sola l'illustre femme, que le drame survenu dans sa vie privée
et la tragédie politique connue sous le titre de « révolution
de 1848 » laissaient dĂ©sespĂ©rĂ©e. Maurice Sand, esprit si prompt Ă
crĂ©er et Ă mettre debout une Ćuvre artistique, voyant le visage
de sa mÚre constamment assombri et la sachant passionnée de
théùtre, eut recours, pour la distraire, à cette passion favorite.
(Le lecteur se souvient que l' arriĂšre-petite- fille de Mie de Ver-
riĂšres s'amusait dĂšs l'Ăąge de douze ans Ă arranger des piĂšces de
MoliÚre pour les représentations du couvent des Anglaises.)
Un soir Maurice se cacha avec son ami Lambert derriĂšre le
dos d'un grand fauteuil, habilla ses mains d'un mouchoir et fit
son début d'imprésario de Guignol, en jouant à l'aide de ses dix
« petits Poucets » une vraie petite comédie. Et comme il possé-
dait un véritable talent d'improvisation, il mit dans cette petite
piÚce tant d'entrain, de verve, de gaieté que non seulement il fit
(1) V. plus haut ia lettre à Augustine datée du 28 avril 1861.
(2) V. le vol. précédent, chap. vi.
george sand ex pietro colonna dans
âąâą une nuit a Florence"
Photographie faite par Mme Gabrielle Sand d'aprĂšs une aquarelle
de Maurice Sand.
GEORGE SAND 267
rire sa mĂšre jusqu'aux larmes, mais qu'elle y prit un plaisir
sérieux.
Le lendemain, Maurice confectionna quelques marionnettes
-en bois sommairement taillĂ©es et habillĂ©es de chiffons. Peu Ă
peu il se composa toute une petite troupe d'acteurs, joua d'abord
derriĂšre le classique paravent â cette rampe consacrĂ©e du Gui-
gnol â ensuite construisit un vrai petit thĂ©Ăątre.
Ses petits acteurs n'Ă©taient point de vulgaires et stupides
fantoches se ressemblant tous, dont on tire les bras et les jambes
-avec des ficelles. Les marionnettes de Maurice Sand avaient
toutes une physionomie trÚs marquée, justement adaptée au
type qu'elles devaient personnifier. Elles ne se mouvaient point
à l'aide de fils ni d'aucune mécanique et n'étaient point dirigées
d'en haut : Maurice Sand se tenait au-dessous des tréteaux,
comme le patron du Guignol forain, et passant son index dans
l'intĂ©rieur de la tĂȘte de la marionnette, son pouce dans l'un de
ses bras et le grand doigt dans l'autre, il dirigeait à son gré les
mouvements des petites poupées qui semblaient sous ses doigts
des ĂȘtres animĂ©s. H savait changer sa voix suivant les person-
nages qu'il faisait mouvoir. Et comme lui et Lambert ne jouaient
point seulement l'Ă©ternelle histoire de Pierrot, mais tantĂŽt
quelque drame romantique, tantĂŽt une folle bouffonnerie ita-
lienne, la troupe Ă©tait fort nombreuse. Aussi lorsque l'un des
acteurs achevait sa tirade et qu'un autre, et quelquefois plusieurs
autres personnages, entraient en scĂšne, Maurice accrochait pres-
tement sa petite poupée à un piton se trouvant au fond de
la scĂšne, de sorte qu'il pouvait entrer en scĂšne autant de
personnages à la fois qu'il était nécessaire à l'action. Si le fan-
toche ne s'accrochait pas d'emblée à son piton, il faisait manquer
Ventrée, la sortie, ou la réplique d'un autre personnage. Manquer
son piton ou avoir le piton devint synonyme d'une entrée ratée,
ou d'une réplique oubliée et cela pour les acteurs du grand
théùtre de Nohant aussi bien que pour les mari nettes. Les
acteurs de l'Odéon qui y séjournÚrent plus tard empruntÚrent
cette locution, et durant plusieurs années on disait derriÚre le
rideau du second théùtre Français à chaque accroc survenu : il
268 GEORGE SAND
a U piton ou U a manqué son piton. Qui aurait cru que les acteurs
de rOdéon se souvenaient ainsi des petits sujets de bois de Mau-
rice Sand ! Lui, entre temps, faisait avec ces derniers de vrais
miracles. GrĂące Ă son talent de peintre et sa science de la pers-
pective, il brossa pour son théùtre de beaux décors trÚs variés,
soigna ses Ă©clairages et, Ă force d'adresse et de combinaisons spi-
rituelles, il poussa à la perfection tous les effets dits « scéniques »,
tous les trucs : Ă©clairs, tonnerre, levers de soleil et de lune, jets
d'eau, cascades, etc., etc. ; il arrivait à donner une illusion scé-
nique complÚte. Et toujours, toujours il inventait pour les repré-
sentations de ses pupazzi quelque nouveau scénario captivant.
Tous ceux qui assistÚrent à ces représentations, à commencer
par Mme Sand elle-mĂȘme, disent que l'impression produite par
ce théùtre de marionnettes était vraiment surprenante, merveil-
leuse, impossible Ă dĂ©crire. ĂclairĂ©es d'une maniĂšre fantastique,
groupées par Maurice avec une adresse incroyable et se mouvant
le plus naturellement du monde, ces poupées paraissaient animées.
Leurs yeux (figurés par des clous ronds enfoncés dans leurs
tĂȘtes en bois), brillaient et semblaient voir, la voix de Maurice
imitait tous les timbres, tous les accents, tous les tics des per-
sonnages, et les spectateurs pleuraient ou riaient aux larmes,
comme à un vrai spectacle. « Personne ne sait ce que je dois aux
marionnettes de mon fils, » écrivit plus tard George Sand, et elle
n'exagéra point. Les marionnettes la sauvÚrent du désespoir
et de l'apathie morale, puis donnĂšrent une nouvelle impulsion
et une nouvelle direction à son activité littéraire.
A cÎté des marionnettes la fin de 1848 et le commencement
de 1849 virent ressusciter à Nohant les spectacles improvisés.
Et non seulement ils ressuscitĂšrent, mais ils prirent encore un
essor tout nouveau, un Ă©clat inattendu. Chaque jour comptait
quelque progrÚs : au lieu du « paravent tendu de papier bleu (1) »,
qui servit primitivement de décor et de rideau, Maurice et Lam-
bert brossÚrent de vrais décors, puis il y eut une rampe, des
herses ; les costumes improvisés furent peu à peu remplacés par
(1) V. la préface du Chùteau des Désertes.
GEORGE SAND 369
des costumes inventĂ©s et mĂȘme commandĂ©s d'avance. Et bientĂŽt
les spectacles Ă Nohant prirent tant d'Ă©clat que les acteurs
s'enhardirent Ă jouer en public ; d'abord devant leurs amis de
La ChĂątre ou des chĂąteaux voisins (Papet du chĂąteau d'Ars ou
les Duvernet du Coudray), puis devant un public moins connu,
habitants des alentours, et finalement Maurice et consorts eurent
l'audace de jouer devant des amis, des connaissances et des
acteurs venus de Paris, par exemple devant Bocage. D'autre
part plusieurs actrices et acteurs, avec lesquels Mme Sand se
lia d'amitié, prirent part à ces représentations. Grùce à ces
séjours à Nohant beaucoup d'artistes parisiens devinrent des
familiers et de vrais amis des Sand, mĂšre et fils. Sans parler de
Bocage et de Mme Sylvanie Arnould-Plessy, ceci se rapporte
surtout à Sully-Lévy, Marie Lambert, Mlle BérangÚïe et M. et
Mme Albert Bignon qui, tous, entre 1852 et 1860, furent souvent
les hÎtes de Nohant soit aux vacances d'automne, soit en été
et mĂȘme en hiver. Plus tard ce fut le tour de Thiron et de Clerh.
Et cela dura presque jusqu'aux derniÚres années de Mme Sand.
Tel fut le commencement de ce « Théùtre de Nohant », qui devint
non seulement le passe-temps favori des habitants de Nohant,
mais qui joua aussi un rÎle trÚs important dans la vie privée de
Mme Sand et dans l'histoire de ses créations.
Ces représentations inspirÚrent à George Sand le désir de tenter
un nouvel essai théùtral. Nous avons vu qu'au milieu de la tour-
mente révolutionnaire elle avait écrit pour le « Théùtre du
Peuple » son prologue le Roi attend, qui nous intéresse surtout
comme la premiĂšre des piĂšces de Mme Sand oĂč elle mit en scĂšne
MoliĂšre. (Nous verrons Ă l'instant qu'il y en eut plusieurs.)
L'année suivante, Mme Sand abandonna la politique pour reve-
nir à l'art vrai, elle écrivit François Je Champi, piÚce tirée du
roman de ce nom et représentée à l'Odéon en automne 1849.
Cette comédie remporta un trÚs grand et légitime succÚs (1),
(1) Pour remercier George Sand de ce succÚs moral et matériel remporté
par son théùtre, Bocage commanda au peintre Adolphe Leleux et fit cadeau
Ă Mme Sand d'un tableau reprĂ©sentant la scĂšne du Champi, oĂč Jacques
Bonnin demande la main de Mariette, la coquette niĂšce de Madeleine Blan-
chet. (V. l'article de M. ClĂ©ment de Ris dans V ĂvĂ©nement du 29 avril 1860.)
27o GEORGE SAND
car, Ă rencontre de presque toutes les Ćuvres dramatiques tirĂ©es
de romans, généralement inférieures aux livres, cette comédie
nous paraßt, sous certains rapports, mieux composée que le roman.
Quoique beaucoup de pages charmantes et de fines analyses
psychologiques y manquent forcĂ©ment, â ainsi toutes celles qui
nous peignent la confusion et l'émoi de François devant l'amour
qui l'envahit et qu'il ignorait, â mais l'action est serrĂ©e, et ne
souffre pas des illogismes qui choquent le lecteur du roman. Elle
s'engage au moment du retour de François, déjà adulte, dans la
maison de Madeleine Blanchet, devenue veuve, malade et ruinée
par sa rivale. Ceci supprime cette situation si déplaisante de
l'enfant qui disait « ma mÚre » à celle qui le portait dans ses bras,
devint amoureux d'elle, en fut aimé et l'épousa.
Revenue dans son Berry, encouragée par le succÚs du Champi
et inspirée par l'atmosphÚre théùtrale qui l'entourait alors dans
sa vieille maison de Nohant, Mme Sand se mit Ă Ă©crire toute une
sĂ©rie de piĂšces. Ce furent d'abord des comĂ©dies champĂȘtres, genre
qui avait paru si attrayant au public de la Comédie-Française.
Puis elle se tourna vers la « comĂ©die de mĆurs » et mĂȘme vers ce
qu'on appelle les « piÚces à thÚse ».
Les annĂ©es 1849-1851 doivent ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme le
temps oĂč Mme Sand se tourna d'une maniĂšre trĂšs marquĂ©e vers
la littérature dramatique. L'art dramatique sous toutes ses formes
rÚgne alors en autocrate à Nohant; comédies aprÚs drames,
drames aprÚs comédies s'entassaient sur le bureau de George
Sand; dans la salle voûtée du rez-de-chaussée, dite la salle du
prieuré, la commedia delV arte succédait aux représentations de
piĂšces apprises par cĆur, ou aux spectacles des marionnettes.
On s'y prépare toute la journée, on coud les costumes, on peint
les décors, on fabrique avec du papier doré et de la colle des
armures magnifiques ; à déjeuner et à dßner on discute les scéna-
rios, on se dispute Ă propos du caractĂšre de certain rĂŽle.
En Ă©crivant le Roi attend George Sand s'Ă©tait souvenue de
certains Ă©pisodes dramatiques de la vie de MoliĂšre. Elle Ă©crivit
pour les spectacles de Nohant une piÚce tirée de la biographie
de ce pÚre du Théùtre français, et lui donna pour titre l'ana-
GEORGE SAND 271
gramme dĂ©fectueuse de son nom â Marielle (1) ; puis Mme Sand
fit une vraie piĂšce de thĂ©Ăątre â MoliĂšre, dans laquelle elle s'ef-
força de réhabiliter la mémoire du grand homme et de faire
justice de certaines histoires répandues dans le public et portant
atteinte Ă son honneur ; elle leur trouvait une explication psy-
chologiquement vraie.
En outre, lors de ses recherches sur la genÚse du théùtre de
MoliĂšre, George Sand s'engoua de la ComĂ©die italienne, se mit Ă
étudier en compagnie de son fils l'histoire de ces « bandes » d'ac-
teurs-improvisateurs, l'histoire des « masques », à faire des re-
cherches sur les auteurs de leur Ă©poque, et se plongea complĂšte-
ment dans cette étude ; elle consacra un article spécial au Théùtre
italien, elle en parla dans la préface de sa piÚce les Vacances de
Pandolphe, enfin, elle écrivit une préface pour l'étude de Maurice
Sand sur les Masques et bouffons. C'est un travail extrĂȘmement
intéressant, traitant de la genÚse, de l'évolution et des types prin-
cipaux de ce théùtre et de cet art dramatique sui generis; il est
d'un grand attrait Ă©galement pour ceux qui Ă©tudient l'histoire de
la culture, pour les amis de Thalie et de MelpomĂšne ou simple-
ment pour tout lecteur passionné d'art. Entre autre, Maurice Sand
a « dĂ©couvert » un auteur oubliĂ© de ces comĂ©dies â un certain
Beolco. U a recueilli et narré sur cet auteur dramatique et sur ses
Ćuvres des dĂ©tails fort curieux. Quant Ă ses illustrations reprĂ©sen-
tant les types traditionnels ou caractÚres de cette comédie italienne,
elles en donnent une trÚs vivante et trÚs précise reproduction.
Les représentations théùtrales de Nohant eurent donc une
action trÚs importante sur l'activité littéraire de George Sand.
H en fut de mĂȘme dans sa vie privĂ©e. Ces spectacles la reposaient
de son labeur obstiné, jamais interrompu; elle y oubliait les
pénibles et tragiques impressions du dernier quart de sa vie;
elle y essayait ses nouvelles piÚces destinées à quelque théùtre
de Paris ; elle y puisa la donnée de plusieurs de ses romans (2).
(1) Cette piÚce, quoique refaite pius taid, ne fut pas jouée et ne fut qu'im-
primée dans la Presse en décembre 1851 et janvier 1852.
(2) Le ChĂąteau des DĂ©sertes, V Homme de Neige, le Diable aux champs, Pierre
qui roule, etc., etc.
277 GEORGE SAND
Enfin le grand et le petit théùtre de Nohant, en ramenant George
Sand Ă Fart dramatique, apportĂšrent de grands changements
mĂȘme dans sa vie. H fallut faire des dĂ©marches pour placer les
piÚces, aller à Paris, assister aux répétitions, élargir le cercle de
ses connaissances, fréquenter le monde artistique. Les observa-
tions qu'elle y fit engendrÚrent une série de romans, dont les
héros appartiennent à ce monde des tréteaux, tels sont : Pierre
qui roule et le Beau Laurence, Adriani, Narcisse, etc., etc.
En 1851 Mme Sand fit une surprise Ă son fils : en son absence
on reconstruisit la salle de spectacle. A son retour, Maurice trouva
une vraie scÚne de théùtre parfaitement aménagée. Mme Sand
en parle ainsi dans sa lettre du 24 février à Augustine de Ber-
tholdi :
Oui, le théùtre a épaté Maurice. H est arrivé le matin, il y a environ
trois semaines. Le théùtre était fermé. Le soir je lui ai bandé les yeux
et je l'ai conduit dans le billard. Il a vu la toile se lever, le décor de
Claudie en place, tout bien propre, bien éclairé. Tu juges de sa surprise.
On a joué deux fois seulement, depuis son retour. Je ne laisse jouer
que tous les quinze jours, parce qu'aprĂšs tout, il faut travailler. Hier
a été une représentation splendide. Une piÚce dans le goût des Pilules
du Diable, moitié parlée, moitié pantomimée, avec des surprises, des
diables, des pétards à chaque scÚne. Il y avait soixante personnes au
public. Ăa pirouettait un peu, mais on criait, on trĂ©pignait, et les
acteurs étaient électrisés...
Le 28 avril Mme Sand Ă©crit Ă la mĂȘme correspondante :
Nous allons jouer ma derniĂšre piĂšce (1). Ah ! comme tu nous serais
nécessaire i Me voilà condamnée a faire les jeunes premiÚres, la figure
va encore quand je suis bien plùtrée, mais c'est un obstacle invincible
pour moi de me persuader que je suis jeune, et ne me sentant pas la
personne que je représente, je ne peux pas bien jouer. C'est au mois
d'août que tu nous viens, n'est-ce pas? Va-t-on s'en donner!...
Le 19 juillet Mme Sand annonce qu'elle est libérée de la néces-
sité de remplacer Augustine dans ces rÎles qui lui conviennent
si peu : ils sont désormais joués par une certaine Mlle Souchoip,
(1) C'Ă©tait Nelb, la premiĂšre version de MaĂźtre Favilla.
GEORGE SAND 273
parente de Mme Duvernet, fort jolie personne. Toutefois, au dire
de Mme Sand, cette jeune personne
réussit dans la partie naïve et enfant de son rÎle, elle a été trÚs
insuffisante et trĂšs froide dans les endroits dramatiques. Mais on ne
pouvait exiger davantage sur nos planches et Maurice a eu dans le
rĂŽle d'amoureux les mĂȘmes qualitĂ©s et les mĂȘmes dĂ©fauts. Manceau
a eu en vieillard un grand succĂšs. Lambert et Villevieille (1) ont bien
joué aussi. En somme notre représentation a été trÚs gentille et m'a
bien donné l'idée de ma piÚce, ce qui était pour moi la chose impor-
tante. Nous tĂącherons d'en avoir une autre (une autre piĂšce) pour ton
séjour ici. Solange est ici depuis une quinzaine avec sa petite qui est
ravissante. On est trĂšs gai et tout va bien. Elle passera encore un mois
avec nous...
Dans une lettre inédite de Mme Sand à Pauline Viardot,
datĂ©e du 16 octobre de cette mĂȘme annĂ©e 1851, nous trouvons
aussi les lignes suivantes, trÚs intéressantes et qui nous peignent
la manie théùtrale régnant alors à Nohant, aussi bien que le rÎle
du théùtre de Nohant dans la genÚse des piÚces de George Sand,
destinées aux scÚnes parisiennes.
Nohant, 16 octobre 1851.
...Nous menons une vie de cabotins. Nohant n'est plus Nohant,
c'est un théùtre ; mes enfants ne sont plus des enfants, ce sont des
artistes dramatiques ; mon encrier n'est plus une fontaine de romans,
c'est une citerne de piÚces de théùtre, Je ne suis plus Mad. Sand, je
suis un premier rÎle marqué. Tout cela se passe bien gaiement, comme
vous pouvez croire ; nous avons tout l'amusement et rien des déboires
de l'art. Le théùtre est grand comme un mouchoir de poche, le public
se compose de cinquante personnes ni plus ni moins, tous amis intimes,
domestiques ou paysans du voisinage. La troupe se compose de Mau-
rice et moi, de Manceau et Lambert, de Duvernet et sa femme, d'un
bon enfant fort laid que vous ne connaissez pas et du menuisier de la
maison, qui est le machiniste, le souffleur et Vutilité. La jeune premiÚre
est Augustine au temps des vacances, et une autre que vous ne con-
naissez pas, dans d'autres moments. Nous faisons mĂȘme venir de jeunes
garçons, élÚves du Conservatoire, quand nous avons besoin d'un amou-
reux, car ici, personne n'aime cet emploi-lĂ . Enfin j'ai fait troi3 piĂšces
(1) LĂ©on Villevieille, peintre, ami de Maurice et de Lambert. On lui don
liait Ă Nohant le sobriquet de Paloignon.
iv. iS
374 GEORGE SAND
cet été, dont deux ont été jouées par nous, refaites et rejouées. Cela
m'est bien utile, je vois ma piĂšce et je la juge, et quand je n'en suie
pas contente, je la bouleverse. Vous verrez, je pense, mes trois piĂšces
cet hiver. Deux sont placĂ©es. Quant Ă l'autre, j'Ă©tais dans la mĂȘme
situation que Gounod ; je comptais sur Bocage, et je savais que Bocage
comptait sur lui. Mais le Marc Fournier, nouveau directeur de la Porte-
Saint-Martin, aprÚs m'avoir demandé ma piÚce, m'a évincée sous
divers prétextes dont le seul vrai, c'est que le Foucher (1) lui a défendu
de me jouer. Espérons que cette persécution ne s'étendra pas à Pon-
sard (2) et Ă la musique de Gounod, d'autant plus que voilĂ le Foucher
tombé dit-on (3). Moi, je suis en course, par les jambes d'Hetiel,
pour placer la dite piĂšce je ne sais encore oĂč. La premiĂšre est au
Gymnase, la seconde au Vaudeville, si j'y puis avoir les acteurs sérieux
que je veux dans les rĂŽles que je leur destine. Mais tout cela est affreu-
sement difficile et ennuyeux, et quand le plaisir d'Ă©crire, et de jouer Ă
Nohant est fini, l'ennui de se faire jouer Ă Paris commence.
Quand est-ce que vous viendrez passer quelque temps avec nous
et vous amuser avec nous Ă ce jeu-lĂ , chĂšre fille? Nous en avons un
plus amusant, c'est d'improviser Ă l'italienne, sur des canevas assez
compliqués parfois, et nos enfants font des tours de force d'à -propos
et de dialogue comique. H y a aussi la pantomine. Oui, quelque jour
vous serez des nĂŽtres, promettez-le-moi. Gounod tiendra le piano,
et on fera un rĂŽle de chasseur pour Viardot. Au besoin on lui mettra
des perdrix empaillées sur le théùtre.
Les trois piĂšces auxquelles Mme Sand fait allusion dans cette
lettre comme écrites en été 1851, sont : le Mariage de Victorine,
les Vacances de Pandolphe et NeĂŻlo le violoniste plus tard rebap-
tisĂ© en MaĂźtre FaviĂźla. Quant Ă l'annĂ©e 1851 â oĂč cette lettre et
ces trois piĂšces furent Ă©crites â il faut considĂ©rer cette date comme
le vrai commencement de la carriĂšre dramatique de George Sand,
car c'est en janvier de cette année que fut jouée la premiÚre de toute
une série de piÚces que George Saud écrivit et mit en scÚne sans
(1) Bien sûr une piÚce de Paul-Henri Foucher, auteur dramatique de
l'Ă©poque fort connu.
(2) Francis Ponsard.
(3) Gounod avait alors l'intention de faire un opéra tiré de l'un des contes
champĂȘtres de George Sand et dont le texte devait ĂȘtre Ă©crit par PonsarcL
Mais le mariage de Gounod et sa querelle avec les Ă©poux Viardot qui suivit,
rompit aussi complĂštement les relations entre le grand compositeur et
George Sand, et cette affaire tomba à l'eau. Ce fut Gounod néanmoins qui
Ă©crivit la musique d'une autre piĂšce de George Sand : MaĂźtre Favilla,
GEORGE SAND 275
discontinuer, pendant quelque cinq années, jusqu'en 1856 à peu
prÚs. C'est ainsi que le 11 janvier 1851 fut jouée à la Porte-Saint-
Martin par l'ami de l'auteur, Bocage, une piĂšce champĂȘtre, Clau-
die, comme qui dirait un conte berrichon de George Sand mis en
scĂšne. Elle eut un grand succĂšs. Le 10 mai de la mĂȘme annĂ©e on
représenta, à la Gaieté, MoliÚre. Puis viennent : le Mariage de
Victorine, représenté au Gymnase le 26 novembre 1851, les Va-
cances de Pandolphe, comédie qui eut sa premiÚre le 3 mars 1852
au mĂȘme Gymnase et qui est Ă©crite dans le style des masques ita-
liens sur lesquels Mme Sand fit un article en cette mĂȘme annĂ©e.
Le 1er septembre 1852 on joua le DĂ©mon du foyer, au Gymnase.
Une annĂ©e plus tard, en septembre 1853, annĂ©e oĂč parurent les
Maßtres sonneurs, on représenta, toujours au Gymnase, le Pres-
soir, drame champĂȘtre dans le genre du Champi et de Claudie.
Deux mois plus tard, le 28 novembre 1853, on donna, à l'Odéon,
une piÚce tirée par George Sand de Mawprat. Moins d'une année
aprĂšs, le 31 octobre 1854, George Sand revint au Gymnase avec
Flaminio, tiré du roman de Teverino, (nous en avons parlé au
chapitre vil du volume précédent). Onze mois plus tard, on joua,
à l'Odéon, Nello-Favilla; six mois aprÚs lui, le 16 février 1856, au
Gymnase, Lucie; le 3 avril de la mĂȘme annĂ©e, Ă l'OdĂ©on, Fran-
çoise (destinée d'abord sous le titre de VIrrésolu à la Comédie-
Française). Enfin neuf jours à peine aprÚs cette derniÚre piÚce,
le 12 avril 1856, on représenta à ce Théùtre-Français le Comme il
vous plaira de Shakespeare, arrangé par George Sand. C'est ainsi
que de la fin de 1850 au commencement de 1856 George Sand
Ă©crivit et mit en scĂšne douze piĂšces et la treiziĂšme, Marielle, pro-
totype de MoliÚre, fut imprimée dans la Presse vers la fin de 1851.
Et combien de piĂšces encore ne virent pas le feu de la rampe Ă
Paris et ne furent Ă©crites que pour Nohant !
Nous ne dirons rien de Claudie. Le lecteur trouvera l'analyse
de cette piÚce et le récit de nos impressions personnelles lors de
sa reprĂ©sentation Ă la fĂȘte du centenaire en 1904, dans le dernier
chapitre de ce volume (1). Rappelons seulement quelques curieux
(1) Publié déjà dans la Rousskaya Mysl en septembre 1904.
»76 GEORGE SAND
détails sur l'apparition de Claudie au théùtre en 1851. (Elle fut
reprise en 1859, 1863, 1886, 1904 avec un succĂšs toujours croissant).
Or, au dire mĂȘme de Mme Sand lors de sa premiĂšre mise en scĂšne :
... « Claudie a été un triomphe et non pas un succÚs, grùce aux
mauvais tours politiques et autres, grĂące aux vols de l'administra-
tion ; la gloire y est, mais non l'argent (1)... »
...J'ai Ă©normĂ©ment travaillĂ© depuis Claudie, Ă©crit Mme Sand Ă
Mme de Bertholdi le 28 avril 1851, Claudie m'ayant fait faux bond
quant à l'argent, grùce aux mauvais tours de fripons qu'on a joués
à Bocage et à moi, il m'a fallu faire vite une autre piÚce qui est en répé-
tition à la Gaieté maintenant, c'est MoliÚre joué par Bocage. De plus,
j'ai fait encore une piÚce ces jours-ci, pour parer à une défaite, si Mo»
HÚre est persécuté et trahi comme Claudie l'a été. Voilà bien des luttes.
Heureusement je les prends avec beaucoup de calme à présent et ne
m'Ă©tonne plus de rien...
Les luttes et les ennuis qui Ă©churent en partage Ă Claudie et
aux piÚces qui la suivirent, eurent pour cause le passé politique
de leur auteur, passé trÚs récent. La presse réactionnaire, la
police et le pouvoir considéraient George Sand comme un auteur
dangereux, une socialiste, une rouge, ce qui leur fit découvrir
mĂȘme dans cette innocente piĂšce de Claudie des tendances sub-
versives. De nos jours elle semble « fade » et « Ă l'eau de rose » Ă
bien des personnes, en 1851 on la considĂ©ra comme une Ćuvre
destinée à faire crouler l'édifice social, himmelsturmend, comme
disent les Allemands. La réhabilitation d'une fille perdue, les
diatribes d'un ouvrier journalier contre le riche paysan Denis
Ronciat, l'hymne au travail â tout cela effraya les puissants de
ce monde et les bourgeois.
M. Ladislas Mickiewicz, alors que ce chapitre était déjà ter-
miné et copié, nous communiqua un extrait d'une Correspondance
de Paris publiée dans le Goniec Polski (journal polonais paraissant
Ă Poznan), Ă la date du 8 janvier 1851, oĂč nous trouvons les
lignes suivantes, fort curieuses, se rapportant Ă cet Ă©pisode :
On doit représenter ces jours-ci sur une scÚne parisienne une piÚce
de George Sand intitulée : Claudie. Comme George Sand a la réputa-
(1) Lettre iuédite à Mme Augustine de Bertholdi du 24 février 1861.
GEORGE SAND 277
tion d'ĂȘtre un Ă©crivain socialiste, la police a usĂ© avec une sollicitude
particuliÚre de son droit de censure. Entre autres on a supprimé les
passages suivants que l'on a trouvés éminemment menaçants pourla
religion, la famille, la société et la propriété. « Justice se fera, Dieu l'a
promis et il tiendra sa promesse ; » « la gerbe de blé est l'oreiller du
peuple ». Ce ne serait que ridicule si ces chicanes policiÚres dénotaient
non pas seulement l'esprit policier de M. Carlier, mais encore les dis-
positions de la moitié de l'Europe qui entend sauvegarder ainsi la
religion et l'ordre social.
Claudie ne se soutint pas longtemps sur les planches et les
sentiments hostiles ou sceptiques de différents cercles de la
société parisienne contre son auteur trouvÚrent, entre autres,
leur expression dans une parodie qui parut peu de temps aprĂšs
sous le titre de : Claudine ou les Avantages de V Inconduite, Ă©tude
pastorale et berrichonne par Siraudin et de Beauplan (Paris, 1851,
Giraud, in-12).
Gustave Planche en analysant Claudie appela Mme Sand « une
élÚve de Sedaine » et lui conseillait, dans son article, d'étudier
cet auteur si injustement oublié. Ces paroles firent-elles relire
à George Sand « le bon papa Sedaine » qui avait toujours été
l'un de ses auteurs préférés (comme elle l'assura plus tard, dans
une de ses lettres de 1876), ou bien un volume de Sedaine lui
tomba-t-il simplement entre les mains parmi les dizaines de
vieux auteurs qu'elle relisait alors Ă la recherche d'un canevas,
pour quelque spectacle improvisé de Nohant, peu importe !
Le fait est que le Philosophe sans le savoir, qu'elle n'avait « jamais
bien connu auparavant, ne l'ayant vu deux fois que dans son
enfance » et qu'on venait justement de reprendre à la Comédie-
Française, attira son attention; elle s'enthousiasma tellement
pour Sedaine, qu'elle Ă©crivit le Mariage de Victorine qui est
une suite du Philosophe tout comme le Mariage de Figaro
est celle du Barbier de SĂ©ville. Est-ce ce lien intime entre les deux
piÚces qui fait que chaque reprise de la comédie de Sedaine rap-
pelle immédiatement à tout le monde la piÚce de George Sand,
et vice versa, ou bien parce que le Mariage de Victorine s'adapte
admirablement aux vieilles traditions du théùtre français, ce
278 GEORGE SAND
qui est certain c'est que le Mariage de Victorine resta au réper-
toire du Théùtre-Français, excitant non seulement l'enthousiasme
du gros public, mais l'approbation exaltée de connaisseurs aussi
fins que Flaubert. Lorsqu'en 1876, peu avant la mort de l'auteur,
on reprit le Mariage de Victorine à la Comédie-Française, Flau-
bert, cet ami nouveau, mais peut-ĂȘtre le plus chĂ©ri de George
Sand pour la sincérité de l'amitié respectueuse et tendre qui
l'attachait Ă elle, lui Ă©crivit qu'il ne comprenait pas comment
elle avait pu faire sa charmante comédie d'aprÚs la piÚce « assom-
mante, oui, assommante de Sedaine ». George Sand fut horri-
pilée et se récria contre un jugement aussi irrévérencieux sur
son « bien-aimé papa Sedaine », en défendant la simplicité, la
candeur, la délicatesse de ses personnages si touchants ; elle ne
pouvait pas mĂȘme prĂ©tendre, disait-elle, y atteindre. Flaubert
ne se le tint pas pour dit, et dans une seconde lettre redit encore
une fois que lui et Mme Viardot s'Ă©tonnaient comment George
Sand « avait pu faire ceci de cela » ; tout en rendant justice à la
délicatesse de sentiments et à la noblesse des principes des
personnages de Sedaine, il n'assurait pas moins que la piĂšce
de Sedaine était « insupportablement fade, fade comme du lai-
tage » ; qu'il ne suffisait pas qu'une Ćuvre fĂ»t remplie de bons
sentiments pour rester éternelle ; il fallait qu'elle fût bien écrite,
que son style fût immortel; c'est pour cela que le Mariage de
Victorine Ă©tait adorable et le Philosophe vieillot et assommant.
On est excessivement étonné de lire un jugement aussi enthou-
siaste sur le Mariage de Victorine, Ă©crit par l'auteur de Madame
Bovary. C'est évidemment la partialité amicale de Flaubert (qui
nommait Mme Sand avec un tendre respect « sa chÚre Maßtre »)
qui le lui dicta (1).
(1) Cette seconde lettre de Flaubert, datée du 10 mars, est arbitraire-
ment fondue, dans le volume de la Correspondance de George Sand et de Flau-
lert publiée en 1904, en une seule avec la précédente, datée du 8 mars, comme
si c'en était la seconde moitié, tandis qu'il est de toute évidence qu'elle
répond à la réponse de George Sand du 9 mars : « Tu méprises Sedaine, gros
profane ! voilĂ oĂč la doctrine de la forme te crĂšve les yeux. » C'est ainsi que
Mme Sand commence sa lettre et elle la termine par les mots (qui sont une
réponse aux derniers mots de la lettre de Flaubert du 8 mars : « Lisez donc
le nouveau roman de Zola Son Excellence EugĂšne Bougon, je suis curieux
GEORGE SAND 279
Nous n'avons jamais vu jouer le Mariage de Victorine; Ă la
lecture il nous produisit l'effet, â disons-le sans ambages et avec
la franchise de ce galopin du conte d'Andersen, qui osa ne pas
voir les prĂ©tendus beaux habits royaux, â il nous produisit l'effet
d'une de ces sucreries sentimentales, de ces médiocrités drama-
tiques conventionnelles, hissées sur des échasses et théùtrale-
ment routiniÚres qui faisaient les délices des spectateurs vers 1850,
mais qui sont insupportables pour les yeux, les oreilles et le goût
du spectateur contemporain mĂȘme le moins exigeant en ces
matiĂšres.
Cette routine de théùtre nous choque bien moins dans la
piĂšce qui suivit le Mariage, dans les Vacances de Pandolphe,
peut-ĂȘtre parce que l'auteur y fait mouvoir non des caractĂšres
réels, mais justement des types de convention ; ce sont les types
traditionnels de la comédie italienne, auxquels George Sand
revint encore dans son article, paru deux ou trois mois Ă peine
aprÚs la représentation de Pandolphe. Nous y voyons appa-
raĂźtre et le docteur, et LĂȘandre (prototype d'Almaviva), et PĂ©dro-
lino ou Pierrot, et le classique Pascariel, et Vingénue Violette
(participant et de Rosine et de Zerline), et Isabelle, et Colombine
et une duÚgne, bref, tous les personnages des bandes de comédiens
d'avant MoliĂšre avec tous leurs traits typiques et routiniers,
toutes*leurs allures et particularités, On ne les juge pas, ni eux,
ni leurs actions, selon la logique et la fidélité à la vraie vérité,
mais seulement selon la concordance de leurs faits et gestes avec
les traditions bien connues. Les Vacances de Pandolphe pour-
raient servir d'excellent livret pour un opéra ou un ballet
style dix-huitiĂšme siĂšcle, si en vogue de nos jours, et nous le signa-
lons Ă l'attention de MM. les compositeurs. George Sand Ă©crivit
une petite chanson en vers pour la scĂšne finale de Pandolphe,
dans le goût de la naïveté de convention de toute cette piÚce de
de savoir ce que vous en pensez. ») : « Dis donc à M. Zola de m'envoyer son
livre ; je le lirai certainement avec grand intĂ©rĂȘt. » Et Flaubert commence
sa lettre du 10 mars par les mots : « Non, je ne méprise pas Sedaine, parce que
je ne méprise pas ce que je ne comprends pas... » et il la termine ainsi que suit :
⹠J'ai écrit à Zola pour qu'il vous envoie son bouquin... » (V, Corresp. de
G. Sand et Flaubert, 1904, Paris, LĂ©vy, p. 446-449.)
aSo GEORGE SAND
poupĂ©es, et elle l'a mise en musique elle-mĂȘme en Ă©crivant, au-
dessous, quelques mesures de mélodie tout aussi primitive, aux
sons de laquelle les deux amoureux de la piÚce se jurent fidélité
et « Pandolphe essuie une larme à la mélomanie ». Toute la piÚce
peut ĂȘtre jugĂ©e sur cette derniĂšre « remarque ».
Les Vacances de Pandolphe furent suivies par une comédie en
trois actes : Le DĂ©mon du foyer, dont la premiĂšre eut lieu le 1er sep-
tembre 1852. Et le 12 octobre de la mĂȘme annĂ©e commençait
Ă paraĂźtre dans le Pays le roman de Mme Sand, Mont-RevĂȘche.
H est trĂšs curieux de comparer ce roman et cette piĂšce : tous les
deux ont pour hĂ©roĂŻnes trois sĆurs ; dans le roman ce sont les
trois filles de M. Dutertre, dans la piĂšce les trois sĆurs Cor sari,
et la donnée générale est presque identique. Mme Sand avait
dÚs le principe eu l'intention de dédier ce roman à son ami le
comte d'Orsay, mais le comte mourut le 4 août 1852 et le roman
resta sans dédicace. Or, George Sand esquissa dans la piÚce la
silhouette du comte, et dans la comédie comme dans Mont-
RevĂȘche on retrouve aussi, reflĂ©tĂ©e, la personnalitĂ© de Vomie
de d'Orsay, la propre fille de l'auteur, Solange. Seulement elle
est une dans la piĂšce et divisĂ©e en deux dans le roman, oĂč elle
a servi de modÚle à l'auteur pour dessiner les deux filles aßnées
de M. Dutertre, Nathalie et Eveline. La premiĂšre, une glaciale
beauté pétrie d'esprit, personnifie la méchanceté, l'hypocrisie,
la couardise et les calomnies de Solange, qui, dans le roman
comme dans la vie réelle font le désespoir de sa famille, sont la
source d'une série de chagrins, de querelles, presque de meurtres
et, en tous cas, causent, dans le roman, la mort prématurée de la
belle-mĂšre de cette diabolique enfant. Dans la seconde sĆur,
Eveline, nous reconnaissons d'autres traits de Solange, moins
repoussants, plutĂŽt bizarres, et quelquefois mĂȘme attrayants ;
nous voyons devant nous Vautre Solange, l'extravagante, la
capricieuse, la mal équilibrée, la dominatrice, « la sublime prin-
cesse » de Nohant, habituée à l'adoration universelle, éprise de
chiffons, de rubans, de luxueuses toilettes, de cavalcades et de
grands titres, tantÎt fantasque, adonnée à de folles entreprises,
cherchant les Ă©motions violentes, tantĂŽt se mourant d'ennui et
GEORGE SAND 2S1
de dĂ©sĆuvrement. Dans la piĂšce c'est le petit « dĂ©mon » lui-mĂȘme
la Flora, qui est certes silhouettée d'aprÚs Solange. Cette
beauté glaciale, égoïste jusqu'au bout des ongles, voit et
cherche un adorateur dans chaque homme qui l'approche. Elle
ne comprend pas qu'on puisse ne pas l'admirer, elle se mor-
fond et se désole de mener une modeste et tranquille existence
dans la maison de sa sĆur aĂźnĂ©e, Nina; elle jalouse cruelle-
ment sa sĆur cadette, Camille, brillante cantatrice, elle se
décide d'abord à fuir de la maison en compagnie d'un vieux
dandy-mécÚne qu'elle n'aime point, dans le seul but de s'amuser,
de pouvoir briller, de se libĂ©rer de la tutelle des cĆurs aimants ;
plus tard, pour le seul plaisir de sa vanité et de son amour-propre
sans frein, elle est prĂȘte Ă briser froidement la vie de sa sĆur,
en exigeant que celle-ci lui sacrifie son amour. Quant au grand
seigneur « ami des artistes », c'est le personnage le plus réussi
de la piÚce, un type soutenu dans les moindres détails. On se
demande ce qui se cache derriÚre l'élégance de ses maniÚres, sa
parfaite tenue, son aimable moquerie et son froid scepticisme,
si c'est un noble cĆur qui veut sauver l'Ă©cervelĂ©e Flora des suites
néfastes de son escapade et si à cette fin il devient son protec-
teur, ou bien si c'est un vieux roué blasé qui veut abuser de l'in-
nocence de cette coquette jeune fille, moins pervertie qu'elle
ne le paraĂźt. Nous venons de dire qu'en ce mĂȘme Ă©tĂ© 1852
mourut l'ami de l'auteur, le paternel protecteur de Solange, le
comte d'Orsay, auquel le roman dont fut tirée cette piÚce devait
ĂȘtre dĂ©diĂ©. L'auteur biffa la dĂ©dicace, mais le portrait du vieux
beau, « ami des artistes » protecteur de la frĂȘide fille sans cĆur,
resta, et c'est, répétons-le, le personnage le plus intéressant de
la piÚce. Toutefois, deux de ses tirades dédaigneuses, trÚs carac-
téristiques et parfaitement d'accord avec le type de grand sei-
gneur ami des arts, tant soit peu hautain, que l'auteur voulait
peindre, furent trĂšs mal accueillies par la critique, et comme en
ce moment-là , profitant des tendances réactionnaires du moment,
la critique en général ne manquait aucune occasion d'attaquer
George Sand, Jules Lecomte, entre autres, publia Ă l'occasion
dn Démon du foyer, un article indigné contre Mme Sand. Il
28a GEORGE SAND
déclarait que la romanciÚre vivant à la campagne et entourée
d'une cohue de flatteurs et de parasites qui la poussaient par
leur adoration outrée à l'oubli complet de toute mesure et de
toute critique de soi, était arrivée au comble de l'orgueil; il
prétendait que dans sa préface aux Vacances de Pandolphe,
George Sand avait appelé Gustave Planche « le seul critique
sérieux de ce temps-ci », parce que lui seul avait apprécié le
Mariage de Victorine et qu'à présent, dans son Démon du foyer,
elle se permettait de dire des choses vraiment impossibles :
c'est ainsi par exemple, qu'elle appelait tous les critiques « des
gazetiers », tous ses confrÚres les journalistes « des chenapans »,
tous les directeurs de théùtre « des suborneurs », et qu'elle avait
offensé cruellement tous les représentants de la presse par les
deux phrases que son prince prononçait dans le premier et le
deuxiĂšme acte.
George Sand releva le gant et répondit dans la Presse du 10 sep-
tembre 1852 par une longue lettre, dans laquelle elle soutenait
son droit de faire parler Ă chacun de ses personnages, les fats,
les chenapans et les vauriens, un langage et de leur faire dire
des choses qui, justement, les peignent comme des fats sans
pudeur, des chenapans sans principes et des vauriens sans savoir,
incapables d'apprĂ©cier eux-mĂȘmes et les autres. En mĂȘme temps
George Sand prouvait que le devoir de la critique honnĂȘte Ă©tait
de ne pas prendre toutes ces sorties pour des opinions propres
de l'auteur, et de comprendre que les sots et les vauriens, en
vertu mĂȘme de leur dĂ©faut, jugent les autres tout de travers.
Au début de cette lettre Mme Sand signalait à Jules Lecomte
avec grande dignité combien il était indécent pour un critique
de parler de la vie intime d'un auteur vivant, aux secrets duquel
il n'était pas initié : il parle de choses qu'il ne connaßt pas \ ou
bien, s'il y est initié, alors il est indiscret. Le critique ne doit
parler que des Ćuvres d'un auteur et en parler avec impartia-
lité. Or, Jules Lecomte avait poussé si loin sa partialité qu'il
citait inexactement mĂȘme les phrases de la piĂšce et les arran-
geait Ă sa guise. Et comme preuve Ă l'appui, George Sand citait
les deux passages incriminés.
GEORGE SAND 283
Nous les citerons en entier : dans l'article de George Sand ils
sont un peu changés. Au premier acte le prince dit à Flora en
rĂ©ponse Ă ses lamentations d'ĂȘtre « perdue », ayant cĂ©dĂ© Ă ses
conseils de fuir avec lui de la maison de ses sĆurs :
Est-ce que je vous fais des conditions? Me prenez-vous pour un
gazetier ou pour un directeur de théùtre (1). Je suis l'ami des artistes,
et assez bien pourvu de tout ce qui fait la vie agrĂ©able pour ĂȘtre un
ami désintéressé. Est-ce que j'ai cherché à vous séduire? Je ne me suis
pas aperçu de ça...
Au second acte, répondant de nouveau à une phrase de Flora
qui déclare qu'on l'avait calomnié auprÚs d'elle, disant qu'il
était capable de la mal conseiller, le prince réplique :
Ah ! cette bonne Nina ! Elle croit encore aux roués de la Régence.
Oui, elle les connaßt... de réputation. Elle les a vus représenter au
théùtre ou dans les romans par un tas de chenapans qui leur font dire
et faire des choses les plus bĂȘtes (2). C'Ă©taient de grands sots, nos
aimables aĂŻeux, s'ils se conduisaient avec les femmes comme on les
fait agir dans la littérature moderne...
Et Mme Sand ajoutait :
« Qui sait écrire doit savoir lire, et qui sait lire, doit savoir entendre, »
puis elle demandait ironiquement « si c'étaient les auteurs modernes
ou les types fictifs de leurs roués de la Régence qui étaient traités de
chenapans et qui faisaient toutes les choses les plus bĂȘtes »...
Mais, continue-t-elle, si mĂȘme l'auteur avait fait dire Ă l'un
de ses personnages les choses les plus exorbitantes, des Ă©nor-
mités, ne fallait-il pas considérer le public comme apte à com-
prendre de lui mĂȘme, sans qu'on lui dise comme aux enfants :
« Celui-ci est le traßtre, il dit du mal de la vertu. Celui-là est l'in-
solent, il méprise tout ce qui n'est pas lui ! » Puis en parodiant
(1) Dans la piÚce imprimée dans le volume II du Théùtre de George Sand
ce mot est remplacé par le mot spectacle.
(2) C'est ainsi que la phrase est exactement transcrite dans la Lettre de
George Sand à M. Jules Lecomte. Dans le vol. II du Théùtre on Ut : Elle les
a vus au théùtre ou dans les romans. Un tas de chenapans qui font et disent les
choses les plus tĂȘtes. »
234 GEORGE SAND
F exclamation de Jules Lecomte : « Ah, madame, ah, madame !
insulter la critique ! » elle s'écriait : « Ne pas comprendre une
chose si niaise ! Ah ! monsieur le critique ! un critique ! » Et elle
terminait sa Lettre en déclarant que pour rien au monde elle ne
suivra son conseil et ne changera pas un seul mot Ă sa piĂšce,
parce que, si elle le faisait, « ce serait une sottise, une lùcheté
et un mensonge », elle aurait l'air d'avouer d'avoir eu des inten-
tions haineuses et rancuneuses contre quelqu'un, et il n'en Ă©tait
rien.
Au lendemain de cette lettre ouverte Ă M. Jules Lecomte,
le 11 septembre 1852, George Sand Ă©crivait Ă son fils Ă Paris :
Le succĂšs du DĂ©mon me fait beaucoup de plaisir Ă cause du jugement
faux des articles sur la piÚce, qui a été démenti, et de la rage des jour-
naux qui devient inutile. Lafontaine (1) m'a Ă©crit. C'est un peu tard.
N'importe ! Bocage m'a écrit des choses superbes, il s'est décidé à voir
jouer une piÚce à moi. Frédéric (2) m'a écrit encore qu'il court aprÚs
toi pour les costumes et les décors de Netto. Compose et décide. Peut-
ĂȘtre pour la scĂšne du violon FrĂ©dĂ©ric aura-t-il quelque idĂ©e bonne Ă
entendre sur la composition du décor. Je désirerais pourtant qu'il ne
changeùt rien sans ton avis (3). Est-ce qu'on a retranché du Démon
les gazetiers, les chenapans et tout ce qui a fait la fureur des journalistes?
J'en serais fùchée. Réponds à cela (4)...
Un an aprĂšs le DĂ©mon du foyer, le 13 septembre 1853, George
Sand fit représenter au Gymnase son Pressoir et deux mois plus
tard, le 28 novembre, Mauprat tiré du roman de ce nom. Le
vieil ami de Mme Sand, EugĂšne Delacroix, Ă©crivait dans son
journal Ă la date du 28 novembre, le soir mĂȘme de la premiĂšre
de Mauprat, quelques lignes, Ă propos des deux piĂšces qu'il
comparait : « Absence de talent dramatique, mots charmants,
tous trop vertueux; bon début, milieu se traßne, paysans ver-
tueux assommants, manque de goût. »
Si tout le monde ne souscrit pas absolument Ă la premiĂšre de
(1) Lafontaine avait joué le jeune premier de la piÚce, le Marquis.
(2) LemaĂźtre.
(3) V. plus loin la lettre inédite de Mme Sand à propos du changement
apporté par RouviÚre dans la derniÚre scÚne de Favilla, ce qui exigea aussi
un changement dans le décor et la mise en scÚne de cet acte.
(4) Inédite.
GEORGE SAND 285
ces assertions, on trouvera les derniĂšres remarques parfaitement
justes, surtout en les rapportant au Pressoir. Cette piĂšce est insup-
portablement ennuyeuse Ă la lecture et justement grĂące Ă cet
excÚs de sacrifice et de vertu « assommante » de la part de tous,
« d'eau de rose » à profusion. Dans la Préface pour l'édition de la
piĂšce en volume George Sand dit qu'elle voulait y mettre en
scĂšne non des paysans, mais des villageois : des artisans, des
ouvriers, de petits marchands vivant Ă la campagne et ayant
déjà un peu goûté à la civilisation, parlant souvent un langage
qui n'est plus celui des paysans, qui n'est pas encore celui des
citadins et tout plein de mots savants, employés tout de tra-
vers. Il faut convenir que les conversations de ces personnages
(de deux vieux voisins, un menuisier et un charpentier et de
leurs proches), produisent l'effet de quelque chose de factice
(Ă l'exception de quelques locutions bien certainement trans-
crites par l'auteur comme il les a entendues ou vues Ă©crites,
tel le procÚs-verbal dressé par un expert villageois). Et la « vertu
assommante » des personnages rend mĂȘme les hĂ©ros principaux
peu intéressants. Au contraire le type du coq de village, le bel-
lùtre Noël Plantier (comme un écho radouci et Ion enfant du
sans-cĆur et Ă©goĂŻste Denis Ronciat dans Claudie), ce type,
disons-nous, est trÚs comique, tracé avec une fine moquerie et
c'est la seule figure que notre mémoire retienne parmi la multi-
tude de tous ces villageois archi-vertueux. On en dirait peut-ĂȘtre
autant de la figure de son pĂšre, un vieux grognon et cupide ;
mais il est composé d'une maniÚre trop sommaire et naïve. Pour
toutes ces causes le Pressoir ne peut en aucune façon aller de
pair avec les autres piĂšces champĂȘtres de George Sand, ni avec
le Champi, ni avec Claudie.
Quant à Mauprat, quoique ce drame eût toujours du succÚs,
lors de sa premiĂšre mise en scĂšne comme lors de chacune de
ses reprises, et quoique George Sand défendßt dans la Préface
le droit de l'auteur de crĂ©er avec les mĂȘmes donnĂ©es deux
Ćuvres diffĂ©rentes (elle souligne le mot), malgrĂ© tout cela nous
devons dire que peut-ĂȘtre aucune autre piĂšce de George Sand
ne prouve autant que Mauprat la thĂšse qu'il ne faut jamais
236 GEORGE SAND
refaire un roman en drame. Combien il y est peu resté de ee
beau roman! Combien peu on y retrouve cette fine, cette
merveilleuse analyse psychologique et par contre, quel mélo-
drame, marchant sur des Ă©chasses, quelle routine dramatique ! !
Du reste, de nos jours, ni grossiers mélodrames, ni échasses
romantiques, ni coups de théùtre à outrance ne choquent plus
personne, grùce à l'influence... bienfaisante des cinémas ! Il est
probable que Mauprat-di&me est juste selon le goût du public
moderne et peut-ĂȘtre qu'un beau soir, dans quelque salle sombre
et bourrée de monde à s'y asphyxier, aux sons faux d'un piano
exĂ©cutant un pot-pourri ravissant oĂč la valse de la Veuve
joyeuse s'enchaĂźne bravement Ă la Mort d'Iseult et la Marche
funĂšbre de Chopin Ă la Petite Tonkinoise, on verra vaciller et
trembloter sur l'écran un « extrait concentré » de cette piÚce,
tirée et taillée dans l'un des plus charmants romans de George
Sand, piĂšce farcie Ă l'excĂšs de toutes sortes d'invraisemblances,
de disparitions, d'apparitions soudaines de personnes sortant
d'un mur, de passages « par-dessus des abßmes » sur des poutres
Ă demi brĂ»lĂ©es, de coups de fusil partis d'on ne sait oĂč, d'ar-
rivées de gendarmes, etc., etc. Quelle misÚre !
Nous avons dĂ©jĂ analysĂ© une autre Ćuvre dramatique de
George Sand faite d'aprĂšs un roman â Flaminio tirĂ© de Teve-
rino. Cette piÚce non plus n'a rien ajouté aux lauriers de son
auteur.
Les quatre piÚces jouées en 1855 et 1856 présentent beaucoup
plus d'intĂ©rĂȘt. NĂ©llo le violoniste fut primitivement destinĂ© au
théùtre de Nohant. Puis Mme Sand le remania sur les indications
de Bocage qui voulait le jouer Ă la Porte-Saint-Martin. Un peu
plus tard Nello fut refait pour Bouffé. Puis, Mme Sand le rema-
nia encore pour Frederick LemaĂźtre qui devait le jouer aux Va-
riétés (1). Puis le titre fut changé et la piÚce fut imprimée par
(1) Mme Sand écrit à son fils, à propos de ce projet jamais exécuté, la trÚs
intéressante lettre que voici :
« ...Tu me dis que tu as vu Frédéric, Hetzel de son cÎté, doit l'avoir vu,
et doit lui avoir remis le manuscrit. Revois-le, je te prie, et dis-lui que je serai
enchantée de le recevoir, que je ferai tous les changements qu'il jugera con-
venables, et que je lui ferai tous les rĂŽles qu'il me demandera et m'indiquera
GEORGE SAND 387
Hetzel, en 1853, sous le nom de la Baronnie de Muldorp (ou de
Muhldorf). Remaniée une fois encore et dédiée à Joseph Des-
sauĂ«ĂŻ, cette Ćuvre prit le nom de MaĂźtre Favilla. DĂšs lors on
appela toujours de ce nom Dessauër chez les Sand, car c'est lui
qui servit de prototype au héros. Finalement dédiée à RouviÚre,
la piÚce fut jouée à l'Odéon en 1855. Maßtre Favilla, peint d'aprÚs
Joseph DessauĂ«r, rappelle en mĂȘme temps un personnage de
Hoffmann. C'est comme un tribut payé par Mme Sand à la mé-
moire du cĂ©lĂšbre auteur romantique allemand dont les Ćuvres
l'enthousiasmÚrent toujours. Dans la préface du Secrétaire intime,
George Sand avait déjà proclamé son admiration pour Hoff-
mann. Nous avons dit dans notre premier volume que lors
du séjour de Liszt et de la comtesse d'Agoult à Nohant, en 1837,
on y lisait Ă haute voix les Ćuvres du conteur allemand et nous
avons cité la page du Journal de Piffoël montrant combien
George Sand avait été profondément émue par les idées de
Hoffmann sur la musique. Mme Sand Ă©tait aussi trĂšs enthou-
siaste de la « Maison déserte », tant prÎnée par Hoffmann, elle
Ă©crivit Ă deux reprises sur ce thĂšme : une premiĂšre fois en 1836
sa DixiĂšme lettre d'un voyageur, ayant pour sous-titre Sur Lava-
ter et une Maison déserte, et une seconde fois en 1856 la Maison
un peu. Quand on a la bonne volonté d'un artiste comme lui, cela rend le
courage. Mais dis-lui que la Porte Saint-Martin m'a demandé Mauprat et
que j'ai promis. On veut le jouer en septembre. C'est précisément le temps
oĂč il doit lui-mĂȘme jouer Nello aux VariĂ©tĂ©s. S'il voulait jouer Jean le Tors,
j'en ferais un personnage plus développé qu'il ne l'est dans le roman. Mais
alors, il faudrait changer l'époque de la représentation de Nello ou celle de
Mauprat. Qu'il vienne me voir, nous tĂącherons d'arranger tout Ă sa satis-
faction. Mais il faudrait que ce fût dans le courant de mai, car je ne peux
guĂšre me mettre Ă l'ouvrage plus tard. S'il voulait essayer Nello ici, nous
lui donnerions bien la réplique. Lambert ferait Hermann et tu nous amÚnerais
une jeune premiĂšre quelconque. Dis-lui que s'il nous donnait huit ou dix
jours, nous ferions peut-ĂȘtre de Nello un chef-d'Ćuvre, avec ses idĂ©es et sa
création, et qu'en causant avec lui je serais capable d'en faire d'autres pour
lui.
« Dis-lui donc de lire Marielle dans la Revue de Paris et demande-lui si,
en retranchant l'acte du déjeuner qui ressemble à MoliÚre, et en arrangeant
certaines parties, il ne pourrait pas jouer cela. C'est un rĂŽle que Maritllel
Les journaux qui l'ont loué, ne pourraient plus le démolir. Aux Variétés
nous aurions Paulin MĂ©nier pour jouer Florimond, Mlle Clarisse pourrait
jouer Sylvia qui est une fille de trente ans, je crois. Les ressemblances avec
MoliÚre seraient à changer. On en viendrait à bout »
28S GEORGE SAND
déserte, extrait publié dans Je Magasin pittoresque. (Nous en
parlons au chap. xi.)
Favilla est donc un vrai personnage de Hoffmann, une espĂšce
de Kreyssler, un artiste vivant uniquement dans le monde de
l'harmonie et du rĂȘve ; dans la vie pratique c'est un grand enfant,
généreux, désintéressé, mais toujours distrait et bizarre et que
l'on prend volontiers pour un fou. C'est cette distraction qui,
dans la piĂšce, est la cause des malheurs de Favilla et de toute sa
famille : son vieil ami mourant, le baron de Muhldorf lui enjoint
de vive voix de garder dans sa baronnie l'ordre de choses et le train
qu'on y menait de son vivant, et surtout de secourir toujours
les inférieurs, de venir en aide aux indigents ; et dans son testa-
ment Ă©crit, il lui lĂšgue toute la fortune des Muhldorf. Favilla, qui
adoucit les derniers moments de son ami en lui jouant une can-
tate de Haendel, brûle par distraction ce testament. H en résulte
que le neveu du baron (qui n'avait point d'enfants), le commerçant
Keller, se considÚre comme l'héritier de la fortune des Muhldorf ;
c'est ce que pensent aussi tous les autres. Or, Favilla parle et
agit en seigneur et maßtre de la baronnie. De là , une série de
malentendus, tantĂŽt comiques, tantĂŽt tragiques et qui causent
le malheur des enfants de Favilla et de Keller, Marguerite et
Hermann : le vieux Keller défend à ce dernier d'épouser cette
jeune fille, Ă son dire, la fille d'un violoniste italien, mendiant
et fou. Et voilĂ qu'au moment, oĂč, voulant exĂ©cuter Ă l'anniver-
saire de la mort du baron la mĂȘme cantate de Haendel et se met-
tant Ă la mĂȘme place oĂč il se tenait alors, Favilla, comme cela
arrive souvent Ă chacun de nous, se souvient tout Ă coup com-
ment, dans un accĂšs de douleur, il a allumĂ© le papier timbrĂ© Ă
une bougie, puis l'a jeté dans la cheminée et laissé brûler.. C'est
ainsi que l'existence bien réelle du testament est prouvée et
qu'on reconnaĂźt que ce n'est pas lui, Favilla, qui se trouve ĂȘtre
hébergé au chùteau de Keller, mais bien Keller chez lui. Ce der-
nier, s'ennuyant déjà à la campagne, se dispose à revenir à ses
boutiques, et les jeunes gens se marient. La scĂšne mimique
finale, lorsque, aux sons d'un orchestre invisible jouant la can-
tate de Haendel, Favilla prend son violon et, se mettant Ă l'an-
GEORGE SAND 289
cienne place, tout Ă coup rejette son violon, prend sa tĂȘte dans
ses mains, commence Ă se ressouvenir, et revient Ă une entiĂšre
lucidité d'esprit, fut un triomphe pour RouviÚre, auquel le rÎle
du vieux Favilla, idéaliste, bizarre et demi-fou, dans le goût
du héros d'Hoffmann, convenait de tous points.
George Sand assista avec Manceau aux répétitions et à la
premiĂšre de Favilla, qui eut lieu le 15 septembre 1855. Elle
raconte ses impressions et surtout celles que lui laissa le jeu de
RouviÚre dans ses lettres inédites à son fils, du 13, 15 et 17 sep-
tembre. Les voici :
Paris, 13 septembre 1855.
Je t'Ă©cris un peu Ă Vhazard, ne sachant oĂč tu es. Je pense que le
beau temps t'a décidé à faire ton petit voyage, à moins qu'il ne pleuve,
vente et tonne Ă Nohant. Ici il n'y a pas eu d'orage et nous avons
trouvé Paris sec et propre. Favilla va bien. Je trouve RouviÚre admi-
rable. Le public sera-t-il de mon avis. Les uns disent oui, les autres
non, ceux-ci auront tort. Il joue cela comme un inspiré. Barré (1)
est bon, Mme Laurent ravissante. On dit que nous passerons lundi.
J'en doute. H y a demain spectacle gratis, le Champi, dans le jour,
je crois que ça nous retardera.
Paris, 15 septembre 1855.
Samedi aprĂšs la piĂšce.
Favilla a été admirablement joué et admirablement accueilli...
Je te bige encore. RouviÚre, Barré et Mme Laurent ont été magni-
fiques.
Paris, 17 septembre 1855.
...Ce soir a eu lieu la seconde de Favilla; BĂ©rengĂšre a perdu son
enfant durant la premiĂšre. Elle ne Fa su que dans la nuit. Vaez (2)
est bien triste et elle est bien accablée. Son rÎle a été doublé pour
aujourd'hui par la petite Maria Rey qui le savait et qui n'a pas été
trop mal. Mais elle aurait été mal, que la piÚce n'en aurait pas été
moins bien. Les petits rĂŽles sont courts et on les Ă©coute sans impa-
tience, car l'on est entraßné par RouviÚre, Barré et Mme Laurent qui
sont excellents et encore plus aujourd'hui que samedi. RouviĂšre est
(1) Léopold Barré, acteur.
(2) Gustave Vaëz.
Iv- i9
â go GEORGE SAND
d'une beauté dont je ne peux pas te donner l'idée. Il est calme, doux,
tendre, enthousiaste, lyrique, c'est l'idéal du personnage et la salle
croule sous les applaudissements du dernier acte. H ne joue plus de
violon, c'est Juliette qui joue un solo de harpe (censé) et Anselme qui
joue du violon ensuite. Tout cela dans le fond avec des musiciens pos-
tiches, et pendant ce temps-lĂ , RouviĂšre fait une pantomime Ă©bourif-
fante qu'on applaudit Ă tout rompre. H m'a fallu tĂątonner cet effet,
mais il est venu magnifique. Pour moi ce n'est pas lĂ le merveilleux
du talent de l'acteur, c'est la diction des moindres mots qui sortent
de lui suaves et profonds. C'est le plus grand acteur qui existe aujour-
d'hui Ă Paris, et je crois que le public arrive Ă s'en apercevoir. Avec
cela il est arrangé à ravir. Il est pùle, propre, doux, fantastique, beau
comme un Kreysler d'Hoffmann. Quel joli personnage Ă peindre ! Les
artistes en sont fous. La représentation de ce soir a été superbe comme
argent et comme succÚs (d'Odéon). La presse est bonne jusqu'à pré-
sent et on croit Ă un vrai succĂšs. Quel qu'il soit quant au profit, il est
réel et certain dans l'opinion, et le ministre demande une nouvelle
piÚce pour les Français. J'ai vendu le manuscrit à la Librairie Nouvelle.
Je vas m'occuper de Charton (1) et de Falempin (2) pour toi, voir
l'industrie, voir Mirés (3) qui fait enrager M. Collier (4), dßner chez
Girardin, etc. Je ne crois pas pouvoir partir avant lundi prochain,
car je n'ai encore pu rien faire en dehors de FaviĂŻĂŻa. Tu sais qu'Ă
l'Odéon il faut s'occuper de tout. Ils sont plus fafiots et lambins que
jamais, mais toujours si gentils qu'on ne peut se fĂącher...
...Manceau t'embrasse, sa colique de premiÚre représentation est
passée. Porte-toi bien.
George Sand exprimait presque dans les mĂȘmes termes son
admiration pour le jeu de RouviÚre dans la Préface pour l'édi-
tion de la piÚce qu'elle lui dédia à cette occasion. L'auteur y
remercie l'artiste surtout pour avoir par son jeu rendu véridique,
réel et possible ce type idéal de Favilla, d'avoir, d'un personnage
que l'auteur avait fait simple et bon, fait un personnage grand
et poétique, doué d' « une physionomie que les poÚtes et les
peintres ont comparée avec raison aux types saisissants et tou-
chants des plus belles légendes d'Hoffmann » et d'avoir ainsi
(1) Edouard Charton.
(2) Homme d'affaires de Mme Sand.
(3) Jules-Isaac Mirés, grand brasseur d'affaires (1809-1871).
(â i) Collier l'Ă©diteur. V. le chap. suivant.
GEORGE SAND 291
rendu un grand service moral Ă l'auteur qui voulait, avant tout,
réfuter l'opinion courante que ses personnages n'étaient ni
vivants, ni réels. Cette derniÚre allusion visait Jules Janin qui
avait attaquĂ© George Sand Ă propos de Favilla et surtout Ă
propos de l'avant-derniĂšre version de cette piĂšce, la Baromiie
de Muhldorf, point jouée, mais imprimée à Bruxelles. Jules Janin
prétendait que dans toutes ses piÚces George Sand sacrifiait
les honnĂȘtes bourgeois aux artistes dĂ©rĂ©glĂ©s et vagabonds, et
en exhaussant ces derniers, détestait et maudissait les premiers,
mais que, surtout, elle peignait des idéalistes, n'existant pas
dans la vie réelle.
George Sand répondit par une lettre (1), dans laquelle elle
défendait son droit de peindre des types positifs ou négatifs
dans toutes les classes de la société et de les peindre avec les
traits caractéristiques adhérents à chacun : un bourgeois ou un
marchand, comme un homme prosaĂŻque, sec, mais honnĂȘte, un
musicien exalté, comme un homme fantaisiste et peu pratique,
mais aussi honnĂȘte et adorant l'idĂ©al ; et, avant tout, elle dĂ©fen-
dait son droit de peindre au milieu d'un siÚcle adonné à la pour-
suite fiévreuse du gain, des hommes artistes ou bourgeois, peu
importe ! qui sont entiÚrement guidés par le senti?nent du devoir,
lui apparaissant sous quatre formes : l'honneur, le devoir pro-
fessionnel, la fidélité dans l'amour, le culte de l'idéal.
A l'Ă©poque de la mise en scĂšne de Favilla se rattache im Ă©pi-
sode fort intĂ©ressant et presque inconnu mĂȘme des connaisseurs
de l'histoire littéraire :
Lors de la premiĂšre de Claudie le rĂŽle de la Grand'' Rose
fut joué par Mlle Daubrun, « la belle Daubrun », comme Mme Sand
la nommait dans sa PrĂ©face pour l'Ă©dition de Claudie, oĂč elle
disait beaucoup de choses flatteuses sur cette artiste. Et c'est
justement à cette actrice et à son désir de jouer dans Favilla
aussi, que se rapporte une série de documents fort curieux que
nous avons retrouvés dans les papiers de George Sand. PremiÚre-
ment c'est une lettre que Mlle Daubrun Ă©crivit Ă Mme Sand le
(1) Corresp., t. IV, p. 68.
293 GEORGE SAXD
4 janvier 1852, lorsque aprÚs l'événement du 2 décembre 1851
la Porte-Saint-Martin fut fermée et que cette demoiselle passa
à la Gaieté ; elle priait Mnie Sand de lui donner la permission
de jouer Claudie à son bénéfice du 10 janvier ; or, tous les droits
sur cette piĂšce appartenaient Ă Bocage, et Mlle Daubrun invoquait
la bonté si connue de Mme Sand et la suppliait de lui venir en
aide, vu sa position pécuniaire trÚs difficile. Et elle signait
« Votre humble servante et toujours reconnaissante
« Grand' RosE-Marie Daubrun. »
Trois ans plus tard, au mois d'aoĂ»t 1855, au moment oĂč on
était en train de répéter Favilla, Mme Sand reçut à propos de
cette mĂȘme demoiselle Daubrun une trĂšs intĂ©ressante lettre de
la part d'un auteur, alors inconnu, plus tard immensément
célÚbre, lettre que nous devons publier, ne fût-ce qu'au nom de
la vérité et de l'équité. Voici cette lettre :
Mardi, 14 août 1855.
Madame,
J'ai un bien grand service Ă vous demander et vous ne connaissez
mĂȘme pas mon nom. S'il est une position embarrassante, Ă coup sĂ»r
c'est celle d'un Ă©crivain obscur contraint Ă recourir Ă l'obligeance d'un
écrivain célÚbre. Je pourrais me recommander prÚs de vous des noms
de quelques amis illustres, mais à quoi bon? J'estime que le récit de
mon affaire vaudra mieux que tout, puis je pense que demander un
service Ă une femme^pour une femme, ce n'est plus une humiliation,
c'est presqu'une joie. J'espÚre donc ne pas vous déplaire en vous
avouant que malgré votre haute position littéraire, je n'éprouve en
m'adressant à vous ni trop d'embarras, ni trop de timidité.
Votre drame va ĂȘtre mis en rĂ©pĂ©tition Ă VOdĂ©on. RouviĂšre, un de
mes meilleurs amis, un comédien de génie, joue le principal rÎle.
Il y a un rĂŽle (La femme de RouviĂšre) que l'on destinait primitivement
Ă Mlle Daubrun. Vous souvenez-vous d'elle? Elle jouait un rĂŽle re-
marquable dans Claudie. On était presque d'accord. Narrey, le dési-
rait, le régisseur insistait pour elle, M. Vaez avait l'air de le désirer ;
quant Ă M. RouviĂšre qui s'y connaĂźt, il l'aime presque autant que moi.
Mlle Daubrun est Ă Nice, elle revient d'Italie oĂč son directeur a fait
faillite. Elle s'était sauvée de la Gaieté pour des raisons non seule-
GEORGE SAXD 293
ment fort excusables, mais mĂȘme fort louables. Hostein (1) a dit qu'il
ferait un procÚs à un théùtre du boulevard qui la prendrait, mais qu'il
n'en fera pas à VOdéon. M. Narrey s'était chargé de lever cette diffi-
culté et en somme on pouvait la considérer comme levée. D'ailleurs
il suffit de quelques heures pour arranger cela. Hier matin, Ă dix heures,
je rencontre M. Vaez qui me demande vivement si tout est fini; je
lui dis que Mlle Daubrun accepte avec joie, mais qu'elle désire une
légÚre, trÚs légÚre augmentation dans les appointements ; si légÚre,
madame, que je n'ose pas vous le dire. M. Vaez me dit de venir le
retrouver à deux heures. A deux heures, M. Narrey (2) s'était chargé
de la commission désagréable de m'annoncer que tout était rompu,
que toute négociation était inutile, que les journées s'écoulaient, etc..
Il y a trois jours d'ici à Nice, et l'Odéon ne s'ouvre, je crois, que le
15 septembre.
Ai-je besoin de vous dire, madame, avec quelle joie je voyais
Mlle Daubrun rentrer honorablement Ă Paris, dans un ouvrage de
vous, et réparer rapidement dans un théùtre qui lui convient les dou-
leurs et les accidents de Tannée précédente? J'ai dit alors que j'accep-
tais pour elle, sans la consulter, les conditions offertes. Mais cette
porte de refuge m'a été fermée. Dans tout cela, madame, il n'avait
pas été question de votre désir ni de votre opinion ; c'est cette réflexion
si simple qui m'est apparue comme une chance de salut, et qui me fait
vous Ă©crire.
Non seulement, je vous demande votre opinion, une opinion favo-
rable, mais je vous prie, vous l'auteur, vous le maĂźtre, d'excuser une
pression qui annule la pression inconnue que je n'ai pas su deviner.
Je vous supplie, Ă moins que vous n'ayez des projets arrĂȘtĂ©s Ă l'avance,
d'Ă©crire quelques mots Ă ces messieurs, particuliĂšrement Ă M. Royer.
Vous le voyez, madame, je fais comme ces malheureux, mécontents du
Cadi et qui cherchent partout le sultan; ils comptent sur sa bonté
et sur sa justice. Que vous m'accordiez ou que vous me refusiez, ayez
la bonté de cacher le moyen excentrique dont j'ai osé me servir. Main-
tenant, il serait vraiment trop bĂȘte que je vous parlasse de mon admi-
ration pour vous et de ma reconnaissance. J'attends votre réponse
avec une certaine angoisse. Veuillez agréer, madame, l'expression de
mon parfait respect.
Ch. Baudelaire.
27, rue de Seine.
Si, au moins, je pouvais vous faire rire en vous racontant un petit
embarras qui m'a fait hésiter trois heures avant d'envoyer cette lettre,
(1) Jules-Jean-Baptiste-Hippolyte Hostein.
(2) Charles Narrey.
294 GEORGE SAND
peut-ĂȘtre y gagnerais-je un peu. J'ignorais votre adresse; j'ai imaginĂ©
absurdement que Buloz devait la connaĂźtre. Il corrigeait les Ă©preuves
et en entendant votre nom, il m'a fort rudoyé. De plus je ne savais
comment Ă©crire votre nom ; Madame Sand, Mme Dudevant ou Mme Ja
baronne Dudevant? Je craignais avant tout de vous déplaire. Enfin,
le dernier nom, m'a fait l'effet d'une impertinence pour le génie et
j'ai pensé que vous préfériez le nom par lequel vous régnez dans le
cĆur et l'esprit de votre siĂšcle.
C. B
Si, aprĂšs avoir lu ces lignes si respectueuses, si diplomati-
quement insinuantes, si savamment flatteuses, on les met en
regard des commentaires hostiles et méchamment mordants
dont leur auteur accompagne la réponse, de George Sand, datée
du 16 août 1855 (imprimée par M. Crépet à la page 220 des
(Eûmes posthumes et Correspondance inédites de Charles Bau-
delaire, in-8°, Quantin 1887), on éprouve un sentiment de vrai
malaise devant cette désinvolture morale, pour ne pas dire plus,
du poÚte. Et que cette lettre de Mme Sand méritait une autre
« note en marge » de la part de Baudelaire, tout le monde sera
d* accord, nous n'en doutons pas.
A Charles Baudelaire.
Nohant, 16 août 1855.
Monsieur,
C'était une chose convenue. J'ignorais qu'elle fût rompue et j'ignore
encore pourquoi Je regretterais beaucoup Mlle Daubrun et si je puis
faire qu'on revienne Ă elle, je le ferai certainement : je vais Ă©crire de
suite.
Agréez l'expression de mes sentiments distingués.
George Sand.
Baudelaire écrivit au-dessus de ces lignes : « Remarquez la
faute de français : de suite pour tout de suite. »
C. B.
et au-dessous :
« La devise marquée sur la cire était : Vitam impendere vero.
Mme Sand m'a trompé et n'a pas tenu sa promesse. Voici dans
GEORGE SAND 295
V Essai sur le principe générateur des révolutions ce que De Maistre
pense des écrivains qui adoptent cette devise. »
C. B.
Et voici maintenant la réponse de Baudelaire que nous avons
retrouvée aussi dans les papiers de Mme Sand :
19 août 1855.
Madame,
J'ai reçu votre excellente lettre le 17. Je ne m'étais donc pas trompé
en invoquant votre obligeance. J'ai écrit immédiatement à Mlle Dau-
brun pour l'instruire de ce que j'avais fait sans la consulter et afin
qu'elle sĂ»t Ă qui adresser ses remerciements dans le cas oĂč ces mes-
sieurs, grĂące Ă vous, renoueraient directement avec elle. Quant Ă moi.
il est présumable qu'ils ne me rappelleront pas, à cause de la maniÚre
un peu brusque et bizarre dont ils ont rompu. Si vous avez quelque
nouvelle heureuse ou désagréable, soyez assez bonne, madame, pour
m' écrire deux mots. Veuillez agréer avec mes remerciements l'assurance
de mes sentiments les plus respectueux.
Ch. Baudelaire.
27, rue de Seine.
Il paraßt que les démarches de Baudelaire et de Mme Sand
n'aboutirent à rien, car le rÎle de « la femme de BouviÚre »,
c'est-Ă -dire celui de Marianne, la femme de MaĂźtre Favilla, fut
(comme on le sait par la liste des acteurs mise en tĂȘte de cette
piÚce dans le volume III du Théùtre de George Sand et par ses
lettres inédites à son fils), joué non pas par Mlle Daubnm, mais
par Mme Marie Laurent, qui. alors, commençait à peine sa si
brillante carriĂšre.
C'est encore BouviÚre qui, déjà admis à la Comédie-Française,
y créa l'année suivante le rÎle de Jacques dans le Comme il vous
plaira de Shakespeare, adaptĂ© par George Sand, ce mĂȘme Jacques
misanthrope pour lequel Mme Sand avait, dĂšs ses plus jeunes
années, eu un faible, comme nous le savons, et qu'elle avait
toujours considéré comme le prototype d'Alceste. Mme Sand
revenait Ă cette ressemblance entre les deux personnages dans
la Préface pour l'édition de sa piÚce ; or, dans cette préface elle
296 GEORGE SAND
s'excusait devant l'opinion publique, d'avoir osé « adapter »,
« arranger », « corriger » et... amender Shakespeare et louait le
jeu des acteurs, mais surtout RouviĂšre. Il paraĂźt que Mme Sand
chantait alors Ă qui voulait l'entendre des louanges de RouviĂšre
comme artiste et comme personnalité ; ce fut un prétexte plau-
sible pour une petite notice trĂšs venimeuse parue dans le Figaro
du 20 janvier 1856 Ă propos de la prochaine premiĂšre de Comme
il vous plaira, petit article oĂč on entremĂȘlait traĂźtreusement des
allusions à la dédicace de Favilla à RouviÚre et au roman archi-
fantastique de Mme Sand paru, au début de janvier, sous le titre
Ă 'Evenor et Leucippe (dont nous parlons plus loin), et des mo-
queries sur les « corrections » infligées à Shakespeare et enfin sur
l'amitiĂ© extrĂȘme de Mme Sand pour Sylvanie Arnould-Plessy :
Commme il vous plaira! un beau titre qui a séduit Mme George Sand
et elle nous le fera bien voir. Mme Sand, par parenthĂšse... (Mais
ouvrons-la, cette parenthÚse 1 Mme Sand trouve qu'on ne la répÚte
pas assez vite, et elle parle de retirer Françoise! Mme Arnould-
Plessy n'a pu représenter Mlle MoliÚre dans l'à -propos du 1er janvier
et cela parce qu'elle est veuve. Espérons qu'elle ne trouvera dans sa
vie privĂ©e aucune circonstance qui l'empĂȘche de jouer Françoise !)
Donc, Mme Sand va écrire Comme il vous plaira pour le comédien
RouviĂšre, comme aussi elle Ă©crira, dit-on, la Conversion de saint Paul
pour le mĂȘme comĂ©dien RouviĂšre.
Seulement Mme Sand n'est pas contente de la version de Shakes-
peare. Dans Shakespeare, le rÎle du comédien RouviÚre, Jacques le
Mélancolique, ne domine pas assez. Et puis Shakespeare a laissé le
poumon Ă droite et le cĆur Ă gauche et puis Jacques le MĂ©lancolique
n'est pas assez vertueux pour le comédien RouviÚre. Cela manque
d'Arcadie, d'Astrée, de Sylvanie et d'Evenor et Leucippe. Nous allons
changer tout cela. Maintenant, sans le comédien RouviÚre et sans la
philosophie point de salut !
Ce n'est pas sans malice que l'auteur de cet entrefilet faisait
une allusion à l'admiration de Mme Sand pour la créatrice du
rĂŽle de Celia dans l'adaptation de la piĂšce de Shakespeare,
Mme Sylvanie Arnould-Plessy Ă©tait, comme nous l'avons vu,
une amie intime de Mme Sand. Ce fut pour elle que furent Ă©crites
une comédie en un acte Lucie et la piÚce en quatre actes, citée
par le chroniqueur, Fra)içoise. Cette derniÚre piÚce avait d'abord
GEORGE SAND 297
été écrite en cinq actes et s'appelait VIrrésolu. On ne sait pas
trop pourquoi, aucune de ces deux piÚces ne fut jouée à la Co-
médie-Française, l'auteur, en effet, « reprit Françoise » et la fit
reprĂ©senter au Gymnase. Le rĂŽle de Françoise, jeune fille prĂȘte
à se sacrifier à son bien-aimé, destiné d'abord à Mme Amould,
fut jouĂ© par la cĂ©lĂšbre Rose ChĂ©ri ; le rĂŽle de VirrĂ©solu â ou
pour mieux dire de l'égoïste veule, aussi incapable de se dévouer
à la femme aimée que de faire un mariage de raison en épousant
une riche bourgeoise â fut crĂ©Ă© par le non moins cĂ©lĂšbre Francis
Berton, et le rÎle de cette « jeune bourgeoise », mi-enfant terrible,
mi-petite raisonneuse pratique, par la charmante « ingénue
comique » qui fut plus tard une jeune premiÚre trÚs applaudie,
Mlle Marie Delaporte.
Delacroix, Ă propos de MaĂźtre Favilla et Ă propos d'autres
piĂšces encore, reprochait Ă Mme Sand, ainsi qu'Ă Dumas pĂšre,
de faire entrer dans le drame sentimental des personnages comiques
et vice versa, ce qui lui paraissait un grand défaut et une grave
erreur. Selon nous, dans Françoise, tout aussi bien que dans
Claudie et dans le Pressoir, les personnages les mieux réussis
ce ne sont point les héros vertueux et sentimentaux, mais juste-
ment les personnages comiques, les Denis Ronciat, les Noël
Plantier, etc., etc. Tels, aussi, les parents de Cléonice Dubuisson,
la fiancée bourgeoise de Virrésolu, le papa qui s'enorgueillit de
sa provenance paysanne et de ce qu'il a gagné ses millions en
geignant, et la maman qui voudrait faire oublier cela et pose Ă
la grande dame. Le caractĂšre le mieux venu toutefois est bien
celui de VirrĂ©solu. Disons plus, Françoise est peut-ĂȘtre la plus
intéressante de toutes les piÚces de George Sand, grùce à ce
rÎle d'Henri de Trégénec. Ce personnage offre de grandes res-
sources Ă l'artiste qui le jouerait. H est tout en nuances, en
scĂšnes mimiques, en brusques changements d'Ăąme. Lorsqu'on
parle des Ćuvres dramatiques de George Sand, on cite le
Champi, Claudie, Mauprat ou le Marquis de Villemer et l'on
passe sous silence Virrésolu. Nous croyons qu'avec quelques
changements dans les dĂ©tails, quelques petites adaptations Ă
notre époque, avec quelques coupures de fadaises trop « sucrées »
398 GEORGE SAN D
(dans les rÎles par trop vertueux de l'héroïne et de l'ami de
l'irrésolu, La Hyonnais), on pourrait donner cette piÚce avec
grand succÚs. Le rÎle d'Henri de Trégénec, nous le répétons, est
un rÎle fait pour tenter les artistes jouant les « neurasthéniques »
modernes.
Ni Lucie, ni Françoise, ni Comme il vous plaira n'obtinrent de
vrais succĂšs, quoique George Sand, dans ses lettres Ă ses amis,
parle gaiement de leurs premiÚres- représentations.
C'est ainsi qu'elle Ă©crit Ă M. et Mme Charles Duvernet le
3 avril 1856 :
Mes chers amis, Françoise a eu un grandissime succÚs ce soir au
Gymnase. C'est admirablement joué et monté, avec un luxe qui va
toujours de plus en plus fort à cet heureux théùtre. Je vous ai bien
regrettĂ©s et je vous trouve bien heureux d'ĂȘtre au pays par ce beau
soleil.
G. Sand.
Le 13 avril de la mĂȘme annĂ©e Mme Sand Ă©crit Ă Mme Augus-
tine de Bertholdi :
Je t'écris ce soir en revenant du Théùtre-Français. On vient de jouer
mon Comme il vous plaira, tiré et imité de Shakespeare. La piÚce
a été médiocrement jouée par la plupart des acteurs. Les décors et
les costumes splendides, le public trÚs hostile, composé de tous les
ennemis de la maison et du dehors. Néanmoins, le succÚs s'est imposé
sans que personne ait pu marquer sa malveillance, et Shakespeare
a triomphĂ© plus que je n'y comptais. Moi, j'ai trouvĂ© le public bĂȘte et
froid, mais tout le monde dit qu'il a été trÚs chaud pour un public de
premiÚre représentation à ce théùtre et tous me3 amis sont enchantés.
Françoise va trÚs bien et le succÚs augmente tous les jours (1).
A l'Ă©poque oĂč l'on rĂ©pĂ©tait Lucie, Françoise et le Comme il
vous plaira se rapporte la premiĂšre entrevue de Mme Sand avec
Charles Dickens, le grand romancier anglais qui la raconta lui-
mĂȘme dans une lettre Ă W. Macready. Nous savons que c'est
à ce dernier que George Sand avait, peu d'années auparavant,
dédié son Chùteau des Désertes. Cette lettre de Dickens contient,
(1) Corresp., t. IV, p. 88.
GEORGE SAND 299
de plus, un curieux portrait de George Saud, Ă l'Ăąge de cin-
quante-deux ans, elle devait les atteindre six mois aprĂšs :
A M. W. L. Macready.
Champs-Elysées, 12 janvier 1856.
J'ai dĂźnĂ© chez la sĆur de Malibran, l'admirable Mme Viardot, dont
je suis de plus en plus amoureux, avant-hier soir 10 janvier, pour y
rencontrer, par faveur spéciale, la trÚs grande, trÚs illustre, trÚs célÚbre
George Sand. Hélas ! encore une de mes illusions fauchée par la réa-
litĂ© cruelle. L'auteur de tant d' Ćuvres brĂ»lantes ne ressemble pas du
tout au romanesque portrait que je m'en Ă©tais fait. Si on me l'avait
montrée à Londres, dans la rue, je l'aurais prise pour une des sages-
femmes de la reine ; elle est joufflue et respectable, elle est brune avec
une légÚre moustache et des yeux noirs tranquilles ; elle n'a rien du
bas-bleu si ce n'est une petite façon finale de faire cadrer vos opinions
civec les siennes, qu'elle doit tenir de Nohant, maison de campagne
oĂč elle vit en souveraine, dominant et tyrannisant un cercle Ă©troit
d'adorateurs. En un mot, brave femme, trĂšs ordinaire comme figure,
comme conversation, comme maniĂšres. Pour ce qui est de son esprit,
on le dit trÚs brillant ; mais je n'ai pu en juger ; elle n'a pas daigné le
sortir. Le dßner était excellent sans prétention aucune ; il y avait
nous, Mme Dudevant et son fils, les deux Scheffer, les Sortions et une
lady quelque chose, nouvellement arrivée de Crimée, qui porte une
redingote et fume des cigarettes. Les Viardot ont une maison dans le
nouveau Paris ; ils ont absolument l'air d'avoir emménagé la semaine
derniÚre et de devoir déménager la semaine prochaine ; pourtant voici
huit ans qu'ils habitent la mĂȘme demeure. Rien d'ailleurs n'y rappelle
Part de la grande cantatrice. Je n'y ai pas vu de piano. Le mari s'oc-
cupe de littĂ©rature Ă©trangĂšre. C'est le meilleur des hommes. Quant Ă
elle, j'aime mieux n'en rien dire, sinon qu'elle est parfaite et que je
suis son esclave. Je suis obligé d'aller à Londres pour quelques jours ;
mon magazine me réclame et l'ami Wills me fait des signes désespérés.
Mme Sand tenta plus tard d'adapter pour la scÚne française
une piĂšce d'un autre auteur classique encore, Tirso de Molina, en
écrivant d'aprÚs sa tragédie El Condenado par disconfiado (le
condamné pour avoir manqué de foi), un drame intitulé Lupo
Liverani. Mais, ayant été trop loin dans ses « arrangements »
Mme Sand intitula son drame « nouvelle dialosuée » et elle ne
3oo GEORGE SAND
la donna pas au théùtre, mais l'imprima simplement dans la
Revue des Deux Mondes. Cette Ćuvre est trĂšs caractĂ©ristique
et trÚs intéressante ; c'est une version contemporaine de la légende
favorite du moyen ùge sur le pécheur repentant, ému d'une foi
sincĂšre, qui obtient la grĂące de Dieu en se sacrifiant par amour
du prochain, tandis qu'un moine qui passe sa vie en actes de
contrition et d'ascétisme, ne songeant qu'à son propre salut, est
condamné aux tourments éternels et tombe dans les griffes du
diable.
Les attaques que George Sand eut Ă soutenir Ă propos de Favilla,
de Comme il vous plaira et de Françoise l' éloignÚrent-elles de
l'art dramatique? Y eut-il Ă son silence quelque autre raison?
Nous ne pouvons le dire, mais la piĂšce suivante, Marguerite de
Sainte- Gemme, ne fut représentée qu'en 1859.
Ces trois ans peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme la seconde pĂ©riode
de la passion de George Sand pour les marionnettes. Ce fut
l'époque de l'épanouissement définitif de cet art à Nohant.
Les amis de Mme Sand qui la visitĂšrent dans les derniers
dix ans de sa vie ont beaucoup écrit et beaucoup raconté sur les
marionnettes de Nohant. Parmi tous ces récits, le plus intéressant
est celui de notre vieil ami trÚs regretté, Edmond Plauchut (1).
Dans ses Souvenirs (2), M. Plauchut fait faire au lecteur la con-
naissance de toute la troupe des marionnettes, le célÚbre Balan-
dard en tĂȘte, ce petit bonhomme d'une si grande notoriĂ©tĂ©,
présenté plus tard à Flaubert, à Alexandre Dumas fils, à Tour-
guéniew et au prince Napoléon.
George Sand elle-mĂȘme Ă©crivit Ă plusieurs reprises sur les
marionnettes de son fils. C'est ainsi qu'on lit dans le Diable
aux champs une description pleine de couleur d'un spectacle
de marionnettes donné par Maurice et ses amis dans la salle
du prieurĂ©, et qu'on peut mĂȘme faire la connaissance d'une de
ses marionnettes, « le diable (3) ».
(1) Edmond Plauchut, Ă©crivain fort connu, collaborateur fidĂšle du TempB
et de la Revue des Deux Mondes, né en 1814, mort en 1909.
(2) Autour de Noluint.
(3) V. plus haut chap. vin, p. 148-153.
GEORGE SAND 301
Puis, en lisant l'article de George Sand Sur les marionnettes de
Maurice Sand (publié peu avant la mort de l'écrivain dans le
Temps, réimprimé dans le volume des DerniÚres pages), on peut
étudier toute la genÚse de ce petit théùtre.
George Sand consacra en outre tout un roman aux aventures
d'un imprésario d'un théùtre de marionnettes. C'est VHomme
de Neige, un des romans les plus romanesques de George Sand,
qui, avec le Diable aux champs, est un document des plus pré-
cieux pour reconstruire l'histoire de cette seconde Ă©poque du rĂšgne
de la passion théùtrale à Nohant, l'époque du théùtre de Guignol,
comme le ChĂąteau des DĂ©sertes est un document Ă l'aide duquel
on peut aisément étudier la premiÚre et la troisiÚme période de
cette passion, celles de la commedia delVarte.
Qu'aurait fait Hamlet si, au lieu d'une troupe d'acteurs ambu-
lants, il n'avait eu Ă sa disposition qu'un montreur de marion-
nettes? Il aurait probablement profité, pour arriver à ses fins, du
secours de ces petits bonshommes de bois. Imaginez maintenant
qu'Hamlet lui-mĂȘme est cet imprĂ©sario de marionnettes. Un
oncle criminel s'est emparé de son héritage, a tué non seulement
son pÚre, mais aussi son grand-pÚre ; il a contribué à faire dépérir
sa mĂšre et tentĂ© enfin de tuer Hamlet lui-mĂȘme dans son enfance.
Le malheureux petit a été enlevé du chùteau de ses pÚres, emmené
en Italie, élevé là par un vertueux archéologue et par sa femme.
Il se montra à l'instar de Maurice Sand sans goût pour les huma-
nités, ennemi de toutes les études suivies, mais passionné d'his-
toire naturelle et de collections de toutes sortes. Il devient
imprésario de guignol ambulant, voyage à travers toute l'Eu-
rope et finalement, par la volonté du sort et de l'auteur, arrive
en Dalécarlie dans le chùteau de l'oncle meurtrier pour y donner
ses représentations de pupazzi devant une foide d'invités, venus
pour y passer les fĂȘtes de NoĂ«l. Bien entendu tout cela ne s'ef-
fectue pas sans le secours d'un « vieux serviteur », le vertueux
Stenson, d'une somnambule, ancienne confidente de feu la mĂšre
du malheureux enfant, la paysanne Karina, d'un mystérieux
juif Manassé, toujours présent dÚs qu'on a besoin de lui, et enfin
d'un avocat spirituel qui découvre, juste au moment nécessaire,
3o2 GEORGE SAND
un document important et de vieilles lettres jaunies, pour réin-
tégrer dans ses droits la vertu opprimée et confondre les cri-
minels. H va sans dire aussi qu'Hamlet â pardon ! l'imprĂ©sario
des marionnettes, a, comme cela est de rigueur pour tout hon-
nĂȘte hĂ©ros du rĂ©pertoire des marionnettes, une dizaine de noms ;
il s'appelle tour Ă tour, Cristiano Goffredi, puis Cristiano del
Lago, puis Monsieur Dulac, Christian Waldo, Christian Goe-
flĂ©, etc., etc., tandis qu'il se trouve dĂ©finitivement ĂȘtre le baron
Adelstan-Christian Waldemora, neveu du baron criminel Olai,
héritier du chùteau de Stelleborg et l'involontaire vengeur de
la mort de sa mĂšre, de son pĂšre et de son grand-pĂšre.
Il va sans dire encore qu'on ne nous fait pas grĂące d'un bravo
italien poursuivant le jeune Christian Ă travers toute l'Europe,
ni de portes cachées dans la boiserie des murs, etc., etc., etc.
Mais ainsi que dans les piÚces du répertoire des marionnettes,
auxquelles George Sand avait emprunté le canevas archi-
embrouillé et naïf de son roman, les affaires n'arrivent jamais
trĂšs vite Ă bonne fin. MĂȘme aprĂšs la mort du glacial baron Olai
surnommé V Homme de Neige, et déjà fiancé à l'intrépide jeune
comtesse Marguerite, le héros doit subir encore une série
d'épreuves et d'aventures. B chemine vers les contrées septen-
trionales, voyage en Laponie et jusqu'Ă Arkhangel, mĂšne la
vie d'un pĂȘcheur de poisson et d'un chasseur de fauves, puis
devient ouvrier mineur dans les mines de Boraa, manque d'y
périr, mais il y rencontre sa fiancée, venue pour visiter ces mines,
et finalement il y apprend de la bouche du bienfaisant avocat
que le roi a jugé son procÚs en sa faveur. C'est ainsi que Waldo
devient riche et titré et n'a plus à se préoccuper que de pouvoir,
un jour, jouer les piĂšces de marionnettes, pour son propre plai-
sir et celui de ses enfants. Ce rĂȘve de Christian Waldo fut un
jour réalisé par celui qui servit de modÚle à Mme Sand.
Les spectacles des marionnettes de Nohant expliquent seuls
qu'en 1859, alors que les romans de Balzac, de Flaubert et d'autres
réalistes couraient le inonde, George Sand, aprÚs avoir écrit
d'aussi simples histoires que celles de Germain le fin laboureur
et de la Petite Fadette. et l'Histoire de ma vie, si vraie, si pleine de
GKORGE SAND' 3o3
couleur, ait pu Ă©crire de telles fadaises. Empressons-nous d'ajou-
ter pourtant que ces fadaises sont contées avec tant de verve, de
talent, d'entrain, que nous avons dévoré les trois volumes de
V Homme de Neige fort prestement et avec le plus vif intĂ©rĂȘt.
Comme biographe de George Sand nous sommes surtout inté-
ressés en observant dans ce roman, comment l'imagination de
l'écrivain savait avec des bribes de choses observées dans la vie
réelle et des impressions de quelques lectures, construire ses
propres Ćuvres, crĂ©er des choses nouvelles.
Nous avons trouvé dans le journal suédois Upsala de 1879
les lignes suivantes trĂšs flatteuses pour George Sand, Ă propos
de V Homme de Neige :
George Sand a dĂ» emprunter la matiĂšre de son roman VHomme de
Neige a quelque source suédoise. L'action principale est placée en
Dalécarlie durant la guerre d'indépendance. La lutte des partis entre
les Hettar et MÎssor (les Chapeaux et les Bonnets) remplit le récit
et forme l'arriÚre-fond social. La situation politique est tracée d'une
maniĂšre si vraie et si frappante que cela aurait fait honneur mĂȘme
au jugement d'un auteur suédois. La couleur locale est bien observée,
mĂȘme dans les dĂ©tails. Il serait intĂ©ressant de savoir de quelle source
l'autoresse tira ses informations géographiques et historiques. George
Sand, comme cela est bien connu, Ă©tait descendante d'Aurore de
KĆnigsinark, un personnage historique de la SuĂšde, et pouvait ainsi
prétendre à des aïeux suédois. Cette circonstance aussi n'aurait-elle
pas dirigé son attention sur cet épisode marquant de nos annales
nationales?
Il surfĂźt toutefois d'ouvrir le volume IV de la Correspondance
de George Sand pour voir que Mme Sand n'avait nullement tiré
de sources suédoises des connaissances paraissant aussi appro-
fondies de l'histoire et de la géographie de la SuÚde. Elle s'était
contentée de la lecture hùtive de quelques livres de voyages. Et
le catalogue de la bibliothĂšque de George Sand et de Maurice
Sand (dressĂ© au moment oĂč, en 1889, aprĂšs la mort de Maurice
Sand, Mme Maurice Sand avait dû, à son corps défendant,
s'Ă©loigner temporairement de Nohant, c'est alors que cette
préeieuse bibliothÚque fut vendue), ce catalogue nous donne
le nom des ouvrages sur la SuÚde que George Sand avait consultés
3o4 GEORGE SAND
pour son roman. Ce sont : 1° SuÚde et NorvÚge, par Le Bas (avec
de nombreuses gravures et cartes, 1841) ; 2° E. Meyer, Contes
de la mer baltique (1855) ; 3° StruensĂ©e par le mĂȘme ; 4° FrĂ©dĂ©rique
Brémer : ScÚnes de la vie dalécarlienne (1847) ; 5° Mémoires de
la princesse FrĂ©dĂ©rique-Sophie de Prusse, sĆur de FrĂ©dĂ©ric II ;
et enfin Voyage dans les mers du Nord, par Charles Edmond.
C'est cette derniĂšre Ćuvre, parue en 1857, qui servit de point
de départ à la création de V Homme de Neige (1). Disons à ce
propos quelques mots sur ce nouvel ami de George Sand.
Lorsque la petite Jeanne Clésinger mourut dans un pensionnat,
le pĂšre de Tune de ses condisciples renvoya Ă Mme Sand un objet
ayant appartenu à Jeanne et qui était resté entre les mains de
sa fillette à lui. Ce pÚre était l'émigré polonais Charles-Edmond
Choïecki (2), trÚs connu sous le pseudonyme de son prénom,
comme auteur dramatique et rédacteur de la Presse et du Temps,
secrétaire intime du prince Napoléon, et enfin sénateur. Cette
preuve touchante de sa compréhension des choses de l'ùme lui
ouvrit d'emblĂ©e le chemin du cĆur de Mme Sand et, comme en
1852 Mme Sand s'était déjà liée d'amitié avec le patron de
ChoĂŻecki, le prince JĂ©rĂŽme, l'Ă©crivain polonais devint bientĂŽt un
ami de Mme Sand, un familier de sa maison et son homme
d'affaires littéraire. En 1856 et 1857 le prince JérÎme fit un
grand voyage en Scandinavie, dans l'Océan glacial, à l'ßle de
Spitzberg, en Islande, au Groenland et Ă l'Ăźle Jean Mayen.
Charles Edmond, qui y accompagna le prince, publia Ă son
retour son journal de voyage (3). HĂ© bien ! c'est en lisant ce
récit de ses impressions polaires, toutes ces descriptions d'au-
rores boréales, de champs de glace, d'ice-bergs flottants, de
chasses aux ours blancs, etc., etc., que George Sand s'engoua
du Nord. Et comme elle s'Ă©tait, de plus, depuis l'Ă©poque oĂč elle
Ă©crivait Consuelo et avait lu la biographie d'Ulrique de SuĂšde,
(1) M. Francis Laur prétendit plus tard que ce fut lui qui raconta un jour
Ă George Sand une histoire qui fut le germe d'oĂč sortit ce roman. Ceci est
inexact. Les faits prouvent autre chose.
(2) Charles-Edmond ChoĂŻecki naquit en novembre 1822 et mourut en 1899,
à Paris. Nous avons déjà parlé de lui dans le chap. ix de ce volume.
(3) Voyage dans les mers du Nord.
GEORGE SAND 305
intéressée à l'histoire de cette contrée, elle créa immédiatement
dans son imagination ce canevas d'un « roman suédois » et elle
se mit à en développer les détails. Le 20 novembre 1857 elle
écrit déjà à Charles Edmond :
Cher ami,
Avant de vous parler d'affaires, je veux vous dire que je me suis
enfin mise, ces jours-ci, Ă lire votre relation du grand voyage, et que,
sans aucun compliment ni prévention d'amitié, j'en ai été ravie. J'avais
peur d'entamer le gros volume et de le laisser en chemin. Aussi je n'ai
pas voulu seulement l'ouvrir avant d'ĂȘtre sĂ»re que je n'aurais plus une
comédie de trois actes à faire toutes les semaines pour le théùtre de
Nohant. Je suis tranquille à présent et je vous suis à travers les ban-
quises...
Je vas vous suivre en SuĂšde, oĂč, prĂ©cisĂ©ment, j'ai posĂ© mon nouveau
roman. J'ai feuilleté un peu, avant de lire bien, cette partie du livre.
Je vois que vous n'avez pas Ă©tĂ© en DalĂ©carlie, oĂč j'ai plantĂ© ma tenta
en imagination. Dites-moi si vous connaissez en français, en italien
ou en anglais (je ne sais pas d'autre langue), un ouvrage sur cette partie
de la SuÚde, et un peu de détails sur son histoire au dix-huitiÚme siÚcle,
sous Frédéric Adolphe, le mari d'Ulrique de Prusse. Vous me feriez
bien plaisir de me le prĂȘter. Ou indiquez-moi quelque chose que je
puisse lire sur ce pays et cette Ă©poque ; ou enfin faites-moi un petit
précis de quelques pages, si vous avez cela dans la mémoire...
Parlons d'affaires ; ce sera bientĂŽt fait. Vous prendrez le temps
qu'il vous faudra pour la publication nouvelle ; vous me donnerez
seulement quelque argent si je viens Ă en avoir besoin, en Ă©change du
manuscrit. Voici le titre sauf votre avis : Christian Waldo. Vous me
direz que Waldo n'est pas un nom suédois ; c'est possible, mais c'est
lĂ justement l'histoire. Ce nom intrigue, mĂȘme celui qui le porte.
Annoncez, si vous voulez, que le roman se passe au dix-huitiĂšme siĂšcle,
afin qu'on ne croie pas qu'il s'agit de quelque parent de Pierre Waldo,
le chef des Vaudois. Ou bien encore, le roman peut s'appeler, si vous
croyez le titre plus alléchant : le Chùteau des Etoiles. C'est un Stelle-
oorg de fantaisie qu'un personnage s'est bùti en Dalécarlie, à l'imita-
tion de celui d'Uranienborg dans l'Ăźle du Haven (1). Dans ce chĂąteau,
(1) Bien certainement qu'aprÚs avoir pris connaissance des livres envoyés
par Choïecki, George Sand vit que « Stelleborg » était un nom bon tout au
plus pour le théùtre des marionnettes de Nohant. qu'en suédois « Stel-
leborg » ne signifie rien, qu'il aurait fallu dire Slierneborg pour Chùteau des
Etoiles â mot qui Ă©corcherait les oreilles françaises â et en rejetant son
premier titre, elle intitula son roman V Homme de Neige. A ce propos il
3o6 GEORGE SAND
il se passe des choses bizarres. Espérons qu'elles seront amusantes;
je crois, toute réflexion faite, que ce titre plaira mieux. Décidez. N'an-
noncez pas une peinture de la SuĂšde ni du dix-huitiĂšme siĂšcle ; car le
cadre réel sera moins étudié que celui de Bois-Doré (1). J'y ferai de
mon mieux; mais c'est surtout un roman romanesque que je fais
cette fois...
Le 8 dĂ©cembre elle Ă©crit au mĂȘme :
Vous ĂȘtes bien l'obligeance personnifiĂ©e, d'avoir pensĂ© Ă mes bou-
quins en dĂ©pit des ennuis, des inquiĂ©tudes et du mal de tĂȘte. Envoyez-
moi des ouvrages que vous me citez, ceux que vous me croirez utiles,
mon sujet donné. Il me faut mie couleur locale de la Dalécarlie au dix-
JiuitiĂšme siĂšcle et une couleur historique de la cour, de la ville et de la
campagne sous les deux rÚgnes qui précÚdent celui de Gustave III. Je
ferai bien cette couleur avec les événements ; mais je n'en sais pas le
détail, et tout ce que je peux consulter chez moi passe sous silence, ou
peu s'en faut, l'affaire des chapeaux et des ~bonnet&.
J'ai les travaux de Marmier publiés dans les vingt-cinq premiÚres
années de la Revue des Deux Mondes; mais ce que je cherche ne s'y
trouve pas. Si son Histoire de la Scandinavie ne traite que des temps
anciens, elle ne me tirera pas d'affaire. DĂ©cidez et faites comme pour
vous.
Le 2 janvier 1858, elle lui Ă©crit encore :
...Oui, je vous promets le ChĂąteau des Etoiles (par parenthĂšse, il
m'amuse beaucoup à griffonner ; est-ce bon signe?), si ça peut vous
ĂȘtre utile, je le promets Ă vous, pas Ă d'autres. Si vous quittez, je ne
reste pas (2). Mais vous savez que je serai obligée de vous demander
faut noter que le « bibliophile Isaac » (le vicomte de SpĆlberch) cite a la
p. 32 de sou Elude bibliographique sur les Ćuvres de George Sand, le ChĂąteau
des Etoiles, parmi les « ouvrages annoncés qui n'ont jamais paru ». Or, il est
Ă©vident qu'il ne faut nullement J'inscrire dans ce nombre, ce roman et VHomme
de Neige ne faisant qu'un.
(1) Ce Ăźoman parut dans la Presse Ă la fin de 1857. V. plus loin, chap. xi.
(2) Il faut noter que George Sand rentra par ce roman Ă la Revue des Deux-
Mondes, oĂč ses Ćuvres ne paraissaient plus depuis 1841. (V. notre vol. III,
p. 230-234, 256 et suiv.) Ce rapprochement de l'Ă©crivain avec la revue s'ef-
fectua un peu contre le désir de Mme Sand et seulement grùce à ce que Charles-
Edmond ayant déjà payé le manuscrit que la Presse ne pouvait payer comp-
tant, il le céda au directeur de la Revue des Deux Mondes. Ce fut donc pour le
ChĂąteau des Etoiles Ă peu prĂšs la mĂȘme histoire que pour le ChĂąteau des
DĂ©sertes en 1851. Mais Ă partir de 1858 les romans de Mme Sand commen-
GEORGE SAND 307
de l'argent, tout l'argent peut-ĂȘtre, en vous livrant le manuscrit;
quelle que soit l'Ă©poque rapprochĂ©e oĂč il sera prĂȘt. Voyez si c'est pos-
sible; car, pour moi, le contraire de ce possible serait l'impossible.
Je 'vis au jour le jour depuis vingt-cinq ans, et ça ne peut pas ĂȘtre
autrement, et ça n'est pas ma faute; si bien que je n'ai pas pu acheter
un manteau et une robe d'hiver cette année, parce que l'accident de
la Presse a dérangé mon ordre, ordre trÚs réel dans ce que les avares
appellent mon dĂ©sordre. Je sais me priver moi-mĂȘme et de tout, mĂȘme
quelquefois du nécessaire ; mais je ne veux pas qu'un chat s'en res-
sente et s'en aperçoive autour de moi. Ainsi voilà , entre nous : faites
que l'on soit de parole; on en a manqué pour le Bois-Doré, et j'ai
attendu un reliquat de compte qui m'aurait permis de me vĂȘtir en
raison de la froidure ; et surtout d'en vĂȘtir d'autres, qui n'ont pas,
comme moi, la ressource d'acheter une couverture de laine en guise
de ouate et de soie.
Donc, grĂące Ă la couverture de laine, je m'emballe demain matin
pour faire douze lieues au grand air. Je vais voir la belle Creuse et ses
petites cascades glacées. C'est votre faute si je gÚle, à force de lire le
Groenland, je me suis amourachée des glaciers, des nuits polaires, des
tempĂȘtes et des banquises (1).
[Manceau à qui je vous lis à la veillée espÚre que nous rencontre-
rons des ours blancs et il a envie 4e démolir sa chaumiÚre (2) pour la
faire garnir de peau de phoque sur toutes les coutures. Nous serons de
retour dans bien peu de jours, Ă©crivez-moi donc comme si de rien n'Ă©tait.
Dieu veuille que mon Maurice soit gentil, qu'il s'amuse et qu'il
n'ennuie pas les autres Ă la pantomime. S'il n'est pas gĂȘnĂ© et inti-
midé, il sera charmant, mais il lui faudrait sa musique, c'est-à -dire
sa maman, pour suivre ses fantaisies ; c'est lĂ oĂč il brille. Or sa maman
ne peut aller le faire danser, faute de quibus. Mais ça ne fait rien, je
penserai Ă lui, Ă vous et je serai bien contente si vous avez un bon
moment d'oubli et de gaßté. Moi je ne m'ennuie jamais et nulle part ;
il ne faut donc me plaindre que d'ĂȘtre privĂ©e de vous voir] (3). Bonsoir.
cÚrent à réapparaßtre de plus en plus souvent dans la revue de Buloz et finirent
par y reprendre leur résidence fixe. ;
(1) A comparer avec la lettre du 17 décembre 1857 au prince JérÎme dans
laquelle Mme Sand déclare qu'en « lisant son voyage dans le Nord, son ima-
gination était trÚs allumée ». .
(2) A Gargilesse. Nous racontons dans le chapitre suivant comment
Manceau avait acheté un pied-à -terre dans ce village, pour que Mme Sand
eût un lieu de repos et de travail tranquille pendant ses courses aux bords
de la Creuse renouvelées en 1857 aprÚs une interruption de dix années.
(3) Tout le passage de la lettre du 9 janvier que nous entourons de cro-
chets est inĂ©dit, il manque dans le vol. IV de la Correspondance, oĂč il devrait
faire suite aux lignes imprimées à la p. 127.
3o8 GEORGE SAND
Nous lisons dans une lettre inédite du 4 janvier 1858, adressée
à Maurice qui, séjournant alors à Paris, y avait transplanté son
théùtre de marionnettes et s'y amusait à arranger des spectacles
de société dans les salons (comme on le voit par les deux lettres
précitées et par la lettre du 16 janvier 1858 à Charles Du-
vernet) (1) :
Je suis contente de te savoir arrivé sans trop de froid, ni d'ennui,
mon cher garçon. Dieu merci, car le froid est rude depuis ton départ
et aujourd'hui il pince rude... Nous nous portons bien, comme tu
nous as laissés, les poules, Manceau et moi. Trianon (2) est tout ratissé
et cristallisé. J'ai lu le livre sur la SuÚde que Choïecki m'a envoyé.
Dis-lui que je l'ai reçu, que je l'en remercie et paye-lui une petite dette
qu'Emile te remettra, s'il n'a déjà payé. Je vois que la Presse ne repa-
raĂźt pas et que l'amnistie ne viendra pas (3). Je me suis remise aujour-
d'hui Ă Ă©crire Christian Waldo...
Donc partie avec Manceau le 10 janvier pour Gargilesse, par
un grand froid, George Sand décrit ainsi son voyage à Maurice :
Nous sommes partis par un brouillard noir et un verglas superbe,
Manceau jurant que le soleil allait se montrer, mais plus nous allions,
plus le brouillard s'épaississait ; si bien que nous sommes arrivés
Ă la descente du Pin, voyant tout juste Ă nous conduire. Mais tout
d'un coup la Creuse glacée et non glacée par endroits, cascadant, et
cabriolant au milieu, tandis que ses bords blancs étaient soudés
aux rives, s'est montrée devant tout isolée du paysage, si bien que, si
nous n'avions pas su ce que c'Ă©tait, nous aurions cru voir un mur tout
droit de je ne sais quel marbre gris et blanc avec un mouvement fan-
tastique. Et puis, un peu plus loin, sur le brouillard gris-noir de la
riviÚre on voyait des bouffées de brouillard blanc, comme si le ciel, un
ciel d'orage, Ă©tait descendu sous l'horizon. C'Ă©tait superbe en somme :
ça donnait l'idée de l'Ecosse, vu qu'au milieu de tout cela apparais-
saient des vallées, des petits coins de verdure et des maisons avec
(1) Correspondance, t. IV, p. 135.
(2) C'est ainsi que Mme Sand appelait un minuscule jardinet qu'elle pio-
chait et ratissait elle-mĂȘme dans le parc de Nohant ; elle Tavait arrangĂ© pour
la petite Nini ClĂ©singcr, mais Ă cette place mĂȘme sa mĂšre, Mme Sophie Dupin,
avait jadis arrangé un petit jardin fantastique avec grotte et cascade pour
la future George Sand, alors une enfant de huit ou neuf ans. (V. VUistoire
de ma vie, t. II, p. 275-279.)
(3) V. plus loin chap. xi, p. 369.
GEORGE SAND 309
leurs feux allumés. Il faisait trÚs doux. Henri (1) conduisait le cheval
par la bride sur le chemin tout rayé de glace, et je m'endormais en
rĂȘvant que j'Ă©tais dans les Highlands...
C'est ainsi que pour écrire son roman suédois, dont la fable
est tirée d'un scénario composé par Maurice pour ses marionnettes
et dont le personnage principal est comme lui un imprésario de
Guignol, lui ressemblant de plus par maint trait de son caractĂšre
et de son existence, il avait suffi à George Sand de se pénétrer des
impressions d'une excursion hivernale Ă Gargilesse, jointes aux
tableaux des pays septentrionaux, dans le journal de Charles
Edmond et Ă quelques pages de renseignements sur la SuĂšde
et la NorvÚge. Or, nous avons vu combien la critique suédoise
avait favorablement jugĂ© ce roman et elle trouva mĂȘme que
l'auteur se connaissait en histoire et en couleur locale suédoises.
C'est ainsi que les grands esprits créateurs des savants peuvent,
d'aprÚs un fragment de poterie ou un débris d'ossature, reproduire
la beauté d'une antique amphore ou toute la structure de quelque
animal antédiluvien disparu à tout jamais.
Et lorsqu'on lit l'Homme de Neige il est trĂšs captivant de ren-
contrer au milieu des aventures romanesques de Christian Waldo
tantĂŽt le reflet de quelques traits ou de quelque habitude de
Maurice Sand, tantĂŽt la marionnette favorite de tout Nohant,
Stentarello, ou enfin de lire comment Waldo (lisez : Maurice),
quelques heures à peine avant la représentation, rebrosse ses
décors, dans le but de leur donner plus de ressemblance avec le
vrai paysage au milieu duquel se passÚrent les événements réels
de l'existence de ses parents ; ou encore de lire comment avant
le lever du rideau, il se concerte avec un aide que le hasard lui
envoie, sur les détails du scénario, ou enfin d'y retrouver les
impressions d'une course en traßneau, par une journée glacée,
le long d'une riviÚre dalécarlienne (!) qui tantÎt apparaßt soudain
au milieu d'un brouillard, tantĂŽt y disparaĂźt avec ses rives
escarpées, pendant qu'un jeune cocher descend du siÚge et con-
duit le cheval par la bride et que le héros s'endort, entouré des
(1) Henri Sylvain, cocher de George Sand (v. notre vol. III, p. 659).
3io GEORGE SAND
bouffées de brouillard et bercé par le pas du cheval ; puis, tout
à coup, il se réveille, le brouillard se déchire et il se voit au bord
d'un abĂźme, au-dessus de la riviĂšre noire. Et quoique Fauteur
s'efforce de ne pas trop s'Ă©loigner des renseignemnts des petits
bouquins prĂȘtĂ©s par Charles Edmond, le paysage que Waldo
aperçoit révÚle par maint détail que ce n'est pas une vraie riviÚre
suédoise qui ne resterait pas « bouillonnante » mais serait sûre-
ment immobile au milieu des brumes hivernales, et que cet
hiver aussi n'est pas im vrai hiver du Nord aux rudes gelées,
enchaĂźnant de ses glaces, recouvrant de ses neiges Ă©paisses tout
le pays, mais simplement une journée assez froide du doux hiver
berrichon, avec une petite gelée bénigne, un peu de neige et de
glace aux sommets, dits « sibériens », de la vallée de la Creuse.
Il y a mĂȘme un petit dĂ©tail trĂšs local qui trahit le romancier :
Waldo voit, çà et là , des feux allumés, mais ce ne sont ni des
brasiers auxquels se réchauffent de pauvres voyageurs des pays
du Nord, ni mĂȘme de ces bĂ»ches allumĂ©es par des cochers,
comme on le voit Ă Saint-PĂ©tersbourg, lorsque le thermomĂštre
marque 20° Réaumur au-dessous de zéro, non ! on allume
ces feux... seulement pour préserver du froid les arbres fruitiers,
comme cela se pratique dans les pays du Midi, lorsque l'hiver
est exceptionnellement rigoureux. Il est trĂšs certain que cette
a Dalécarlie » là ne se trouve pas bien loin de Gargilesse, tout bien
observée que soit la Couleur locale suédoise. Il est d'autant plus
surprenant que George Sand ait su si bien peindre les tableaux
de la vie suĂ©doise : les bruyantes et allĂšgres fĂȘtes de NoĂ«l
dans im vieux castel aux bords d'un lac gelé ; de gaies parties
de plaisir éclairées par des torches et les reflets de l'aurore
boréale ; des courses de vitesse en traßneaux ; des chasses
Ă l'ours ; que par deux ou trois traits rapides, par quelques
phrases jetées en l'air pendant un bal ou pendant les préparatifs
d'un pique-nique, elle sût esquisser toute une époque historique,
la lutte des bonnets contre les chapeaux, c'est-Ă -dire la lutte
de la SuÚde progressive, portée vers l'alliance avec la France,
et de la vieille SuÚde, des courtisans rétrogrades qui couvent
l'idée d'une convention avec la Russie. H va de soi que le « mal-
GEORGE SAND 3u
faiteur », le baron Olai et son alliée, la tante de la comtesse Mar-
guerite, sont pour la Russie et pour les chapeaux, tandis que
Marguerite elle-mĂȘme, Christian Waldo et tous ses amis fraĂź-
chement acquis, de jeunes officiers suédois, pour la France et
les bonnets démocratiques. Grùce à tout cela et malgré l'in-
croyable romantisme de la donnée générale, ce roman se lit avec
grand intĂ©rĂȘt. Il est surtout intĂ©ressant dans le cadre du prĂ©sent
chapitre, comme une Ćuvre nous renseignant pleinement sur le
théùtre de marionnettes de Nohant, nous peignant la passion
de George Sand pour ce théùtre et prenant place à cÎté du Diable
aux champs et de l'article Sur les marionnettes.
George Sand fit plus tard un tour de force : elle Ă©crivit un ro-
man dont les héros sont les marionnettes de Nohant devenues
hommes : le célÚbre Balandard, Moranbois, Ida, Isabelle, Léandre,
etc., qui, pour ĂȘtre devenus hommes et acteurs d'une troupe am-
bulante, n'en gardent pas moins leurs caractĂšres et leurs traits
typiques traditionnels, connus de tous les spectateurs du théùtre
de Nohant. De plus, ces poupées animées ont à passer par toutes
les aventures et toutes les Ă©preuves habituelles aux piĂšces de
pupazzi de Maurice Sand, jusqu'Ă un voyage dans un royaume
des Balkans ! Ce roman, dont la premiĂšre partie s'appelle Pierre
qui roule et la seconde le Beau Laurence, parut en 1869 et fut
dĂ©diĂ© au cĂ©lĂšbre acteur Berton pĂšre. Il ne peut nullement ĂȘtre
comptĂ© parmi les chefs-d'Ćuvre de Mme Sand.
La course aux bords de la Creuse par une journée d'hiver
fut comme un dernier coup d'épaule dans la création du roman
suédois. Les visites de plus en plus fréquentes vers 1855 au
théùtre de La Chùtre, alors que quelque troupe de province
ou des acteurs parisiens en tournée y jouaient, enfin les rela-
tions avec divers acteurs, trouvĂšrent leur Ă©cho dans un roman
qui parut la mĂȘme annĂ©e que VEomme de Neige, Narcisse.
Ce nom n'appartient pourtant nullement Ă quelque cabotin
amoureux de lui-mĂȘme, c'est le nom d'un modeste restau-
rateur de province, dont l'établissement se trouve adossé d'un
cÎté au théùtre et de l'autre à un couvent de religieuses.
Les habitants de La ChĂątre n'eurent point tort de reconnaĂźtre
3i2 GEORGE SAND
leur ville bienheureuse dans le prétendu bourg de la Faille sur
Gouvre (1) oĂč l'action de ce roman est censĂ©e se jouer, car non
seulement tous ceux qui visitĂšrent La ChĂątre reconnaĂźtront
d'emblée cette ville par ce détail topographique, mais aussi
chaque lecteur de l'Histoire de ma vie se souviendra, d'abord
confusément, d'avoir lu quelque part la description d'un théùtre
adossĂ© Ă un couvent de religieuses ou se trouvant mĂȘme sous
le mĂȘme toit que cette communautĂ©. Et en ouvrant V Histoire
il retrouvera effectivement dans le chapitre vu, p. 204-205, du
volume premier et p. 55-56 vol. III la description de ce mĂȘme
emplacement qu'on voit dans Narcisse. Or, le roman aurait
pu prendre le titre de la toute premiĂšre Ćuvre de George Sand (2),
la Comédienne et la Religieuse, car ses deux héroïnes sont : l'ac-
trice Julia â passionnĂ©e, dĂ©sordonnĂ©e, ne sachant point se maĂź-
triser, nous dirions « hystérique », et la jeune « chanoinesse »,
Juliette, qui, quoiqu'elle n'ait point pris le voile, a quitté le
monde et s'est dévouée à élever des orphelines. Elle manque de
devenir la rivale de Julia, en aimant le mĂȘme homme, un acteur
dévergondé, elle le sauve pourtant, par la force de ses raisonne-
ments et ses soins maternels, d'un abaissement définitif, et le
ramĂšne dans la bonne voie. Quant Ă elle, elle meurt n'ayant pu
supporter le choc de la dure prose de la vie. Elle Ă©pouse in extre-
mis Narcisse qui l'aimait depuis longtemps avec abnégation. Ce
qui est le plus intéressant dans le roman, c'est sans doute le
commencement oĂč nous voyons peints en traits rĂ©alistes (et il
faut noter ce reflet du naturalisme, alors Ă ses dĂ©buts), les mĆurs
et les us de La Chùtre, les soirées de théùtre dans cette ville et
enfin les deux natures d'artistes- viveurs : la Julia dépourvue
d'Ă©quilibre, se jetant toujours dans les extrĂȘmes, et Albani
vivant aux dépens des autres, se drapant toujours dans
(1) Nous avons raconté dans notre vol. II comment George Sand avait
en passant répondu dans la Préface de Jean de la Roche aux récriminations
des habitants de La ChĂątre qui avaient reconnu leur ville, le vrai but de cette
préface ayant été de répondre aux procédés hostiles de Paul de Musset qui
avait reconnu dans Elle et Lui le portrait de son frÚre Alfred et les détails
de son roman vécu.
(2) Rose et Blanche ou la Comédienne et la Religieuse (v, notre vol. Ier,
p. 336-340).
GEORGE SAND 313
de grands sentiments, mais vaniteux, superficiel et veule.
Nous rencontrons, plus sympathique et mieux dessiné, ce
mĂȘme type d'actrice sans frein dans ses entraĂźnements, passion-
née, emportée, mais au fond bonne et charitable en la per-
sonne de la Mozzeli dans le roman de Constance Verrier. La
Mozzeli raconte son existence orageuse Ă ses deux amies, dont
Tune est bourgeoise, Constance Verrier, jeune fille pleine de foi
dans la vie, et l'autre â grande dame, la duchesse d'Ăvreux,
beauté glaciale et sceptique se livrant en secret à toutes ses
fantaisies amoureuses, ne croyant plus à l'amour, désen-
chantée par les épreuves de sa vie conjugale, portant le masque
hypocrite de la vertu, mais se contentant d'en sauver les
apparences. La Mozzeli et la duchesse médisent également de
l'amour et des hommes, dont toutes les deux ont souffert,
tandis que Constance glorifie l'amour fidĂšle et Ă©ternel, parce
qu'elle a un fiancé qu'elle aime et dont elle est aimée depuis de
longues années déjà . Il se trouve que la Mozzeli et la duchesse
ont Ă©tĂ© toutes les deux, dans la mĂȘme quinzaine, les maĂźtresses
du fiancé de Constance. Celui-ci, malgré cela, prétend n'avoir
jamais cessé d'aimer la jeune fille, mais ses voyages et la durée
de ses fiançailles l'ont empĂȘchĂ© d'observer une complĂšte absti-
nence. Constance est sur le point de mourir de désespoir, puis
finalement elle pardonne et Ă©pouse son infidĂšle Raoul... L'histoire
est assez dégoûtante et, grùce à d'interminables discussions sur
l'amour, extrĂȘmement ennuyeuse. Il n'y a d'intĂ©ressant que le
portrait de la Mozzeli, sûrement peint d'aprÚs nature, car il
rappelle par maint trait et maint détail Marie Dorval, et celui
de la duchesse, dont les théories de l'amour sont évidemment
transcrites d'aprĂšs les discours entendus de la bouche de la gla-
ciale Solange et de la sceptique comtesse d'Agoult. Il est trĂšs
curieux de noter aussi que toutes ces dames se rencontrent
dans le salon d'une certaine Mme Ortolani (lisez : Marliani)
qui, elle aussi, est peinte sur le vif. Donc dans Constance Ver-
rier nous rencontrons de nouveau un type entrevu dans le milieu
cabotin, ce qui est naturel, car ce roman fut Ă©crit Ă l'Ă©poque du
plus grand engouement de George Sand pour le théùtre, en 1859.
314 GEORGE SAND
Deux autres romans de George Sand doivent Ă©galement leur
existence à cette passion pour tout ce qui est théùtre, dans deux
sens différents : la Filleule, publiée en 1853, reflÚte cet amour
de l'auteur pour le théùtral, le romanesque à outrance qui, mal-
heureusement, trouvait une pùture toujours renouvelée dans les
comĂ©dies improvisĂ©es et les piĂšces de marionnettes, jouĂ©es Ă
Nouant ; Adriani est l'histoire d'une pauvre femme qui se meurt
de désespoir aprÚs la mort de son mari et que le chant inspiré
d'un artiste ramĂšne Ă la vie. Il y a tel trait de caractĂšre de cet
Adriani qui rappelle le grand chanteur Nourrit ; désireux de
donner son art et son talent gratis Ă ceux qui sont capables d'en
jouir et d'en profiter, il voudrait en mĂȘme temps se dĂ©rober
aux ovations de la foule et il est insensible à la vanité. Mais
ce n'est pas lui, ni la malheureuse Laure qu'il console, qui
nous intéressent dans ce roman, c'est son valet de chambre,
Comtois.
Ce bonhomme-là qui, entré au service d' Adriani, nous raconte
à sa maniÚre dans un journal qu'il tient ad hoc, tous les événe-
ments de la vie de son maĂźtre, c'est lui qui nous ravit, on Ă©prouve
un si grand plaisir Ă lire ses amusantes Ă©lucubrations, que lorsque
au cours du roman, elles sont de plus en plus souvent interrom-
pues par la narration des amours de Laure et Adriani (l)r
puis leur font définitivement place, on le regrette sincÚrement.
Et le biographe de George Sand doit, Ă ce propos, noter une fois
de plus l'infiltration inconsciente du rĂ©alisme dans les Ćuvres
du plus romanesque des romanciers.
En 1859, année de la publication de Constance Verrier, fut
jouée Marguerite de Sainte-Gemme. On trouve, au début de la
piÚce, certaines données qui, mieux développées, auraient pu
servir à rendre intéressants les deux personnages principaux,
mari et femme (Ă ce propos il faut remarquer que l'auteur
nous laisse ignorer jusqu'au bout pourquoi cette dame con-
tinue à s'appeler de son nom de jeune fille aprÚs tant d'années
de vie conjugale avec le sieur DĂ©saubiers). Il y a, dans les rĂŽles
(1) C'est sous ce titre que le roman fut publié par Hetzel en Belgique,
avant sa publication dars le SiĂšcle.
GEORGE SAND 315
de ces deux personnages, des détails curieux, surtout dans
celui de Désaubiers, ancien viveur, léger, mais bon garçon au
fond ; malgré sa cinquantaine, un fils adulte de son premier
mariage et sa seconde femme, il ne peut abandonner ses
fredaines, se croit toujours jeune, et végÚte sous la pantoufle
de son Ă©nergique Ă©pouse, charmante, pleine d'esprit et de bon
sens, mais vertueuse à faire peur 1 Cette donnée pouvait donner
matiÚre à une jolie comédie. Il n'en fut rien, la piÚce est dépourvue
de tout mouvement dramatique et de tout intĂ©rĂȘt.
AprĂšs 1859, toutes les piĂšces de George Sand, Ă l'exception de
Lupo Liverani dont nous avons parlé plus haut, sont ou des « nou-
velles dialoguĂ©es », destinĂ©es Ă n'ĂȘtre jouĂ©es qu'Ă Nohant et non
sur les théùtres parisiens et seulement plus tard refaites à cet usage,
avec, ou sans le consentement de leur auteur, par d'autres per-
sonnes (tels sont le Drac, le Pavé, Plutus, la Nuit de Noël, la
LaitiĂšre et le Pot au lait, Un bienfait n'est jamais perdu (1), ou
bien ce sont des piÚces tirées de ses romans en collaboration
avec d'autres (Maurice Sand, Paul Meurice, Cadol, Dumas fils,
tels le Lis du Japon, tiré d'Antonia, le Marquis de Villemer,
Cadio, Mlle La Quintinie), ou mĂȘme simplement elles sont Ă©crites
d'aprĂšs ses romans par des Ă©trangers sans sa participation (par
exemple les Beaux Messieurs de Bois-Doré (2). Ce n'est que V Autre,
la toute derniĂšre Ćuvre dramatique de Mme Sand. qui fut Ă©crite
par elle seule et jouée en 1870 (il faut noter que le rÎle de la jeune
fille y fut créé par une « toute jeune actrice à la voix d'or »,
Mlle Sarah Bernhardt). Selon nous, si l'on excepte le Marquis de
Villemer, dont nous parlons plus loin, et Mlle La Quintinie qui,
du vivant de l'auteur, ne vit jamais la rampe (3), il n'y a d'in-
tĂ©ressant parmi toutes ces Ćuvres dramatiques que la nouvelle
dialoguée d'aprÚs Hoffmann, la Nuit de Noël, une version de ce
mĂȘme poĂšme en prose qui fit Ă©crire Ă TchaĂŻkowski une si ravis-
sante musique de ballet â le Casse-noisettes.
(1) ImprimĂ© dans le mĂȘme volume que Fronda, c'est un proverbe, Ă©crit
en 1872.
(2) V. la lettre de George Sand à M. Chilly datée du 4 avril 1862. {V Entr-
acte du 5 avril 1862.)
(3) Mlle La Quintinie fut jouée au Théùtre des Arts à Bruxelles.
316 GEORGE SAND
George Sand redit encore une fois dans la Préface de cette
piÚce qu'elle s'était, dÚs sa jeunesse, toujours enthousiasmée
pour les poĂ©tiques crĂ©ations de Hoffmann, oĂč le fantastique se
mĂȘle d'une maniĂšre si naturelle au rĂ©el; elle dit avoir admirĂ©
de tout temps son Maßtre Floh; elle se sentait attirée par le per-
sonnage de Pérégrinus. En en faisant le héros principal de sa
piĂšce et en gardant plusieurs scĂšnes de Hoffmann : les joujoux
animés, le bal des souris et l'apparition du spectre, George Sand
plaça au centre de l'action sa thÚse favorite : la victoire du sen-
timent sur la froide raison, de la foi sur le doute, du sacrifice et
de l'amour spontané sur Fégoïsme et la réflexion. Il est fort pro-
bable que la Nuit de Noël, écrite en 1863, doit son existence à la
reprise de la correspondance de Mme Sand avec son vieil ami
DessauĂ«r, « le maĂźtre Favilla » chĂ©ri qui avait toujours semblĂ© Ă
Mme Sand l'incarnation des types de Hoffmann ; il vint mĂȘme
bientÎt faire une petite villégiature à Nohant. La Nuit de Noël
fut représentée sur le théùtre de Nohant et le rÎle de Pérégrinus
joué par Manceau. Dans sa lettre à Edouard Cadol qui commen-
çait alors sa carriÚre d'auteur dramatique et s'était récemment
lié d'amitié avec Mme Sand et toute sa famille, George Sand
écrit le 9 février 1863 : « Nous avons joué notre piÚce (« merveil-
leusement joué, » dit-elle plus haut) et fermé le théùtre. Je regrette
que vous n'ayez pas vu Manceau dans le rÎle de Pérégrinus;
c'est un idéal de naïveté poétique et fantastique. Clerh nous a
tous surpris, il a été excellent. »
Manceau lui-mĂȘme, comme nous allons le voir plus loin, rap-
pelait par maint trait de son caractĂšre le type de Hoffmann qu'il
reprĂ©sentait, un cĆur simple, pensant aux autres plus qu'Ă
lui-mĂȘme, nature rĂȘveuse et un peu fantasque (1).
George Sand lui dédia une autre piÚce destinée au théùtre
de Nohant, Plutus d'aprĂšs Aristophane. Elle Ă©crit Ă propos de
(1) Mme Sand Ă©crivait quelques jours plus tard Ă sa belle-fille Ă Paris :
« Manceau a dû écrire ce matin à Maurice que tout le mobilier était arrivé sain
et sauf. Il a passé la journée entiÚre, ce pauvre Pérégrinus, à déballer, ranger,
séparer et en somme tout est admirablement placé sous la main et vous n'avez
plus qu'à distribuer comme vous l'entendrez... Je me porte bien et Pérégrinus
pas mal... »
GEORGE SAND 317
cette piĂšce Ă Ed. Rodrigues (nous parlons dans le prochain
chapitre de la correspondance amicale de George Sand avec
Ed. Rodrigues qui ne fait point partie des six volumes de sa
Correspondance imprimée) :
28 novembre 1862.
Je viens de traduire en français une traduction en vilain français
du Plutus d'Aristophane et j'y ai mis une fable, une sauce dans la
couleur, pour en faire une de ces piĂšces de fantaisie que nous jouons
ici en famille. C'est assez curieux Ă la lecture et je le publierai (1).
On y voit, dans tout ce qui est réellement d'Aristophane, une poésie
terre-à -terre, toute de bon sens pratique et dans le goût du stoïcisme
antique mitigé, qui est fort curieuse et toujours acceptable, par beau-
coup d'endroits. Pourtant cela est suranné et va trop loin, dans le
sens de la proscription des richesses. Il ne serait pas bon que l'homme
actuel se condamnùt à ne pas sortir de la possession du strict néces-
saire. Les arts et les sciences n'y gagneraient pas et la civilisation se
trouverait fort entravée. C'est ce que j'ai fait entendre dans un pro-
logue de ma façon (2).
H faut dire en général que le temps fut plus implacable envers
les piĂšces de George Sand qu'envers ses romans : elles ont beau-
coup plus vieilli. Et pourtant, au moment de leur apparition
sur la scÚne, elles excitaient souvent par leur « audace » des
horions, et Mme Sand dut mainte fois défendre cette « audace »
dans ses Préfaces et entrer en polémique ouverte avec MM. les
critiques. Cela eut lieu comme nous avons vu Ă propos du DĂ©mon
du foyer, lorsque le critique de V Indépendance belge, Jules Le-
comte, dĂ©chaĂźna ses foudres contre elle ; ce fut la mĂȘme chose Ă
propos de Maßtre Favilla, critiqué à outrance par Jules Janin,
ainsi que toutes les autres piĂšces de George Sand. Or, George
Sand voulait bien admettre avec sa modestie habituelle (3)
(1) Plutus fut en effet publié dans le numéro du 1er janvier 1863 de la Revue
(2) Lettre du 28 novembre 1862 (Revue de Paris du 1er octobre 1899).
(3) Il est trĂšs intĂ©ressant de lire Ă ce propos sa lettre du 23 aoĂ»t 1859 Ă
Bocage, imprimée dans le recueil des Lettres autographes composant la col-
lection de M. Alfred Bovet, décrites par Etienne Charavay, ouvrage imprimé
sous la direction de Fernand Calmettes. (Paris, Charavay, 1882, in-4°). A
3i8 GEORGE SAND
qu'elle était dénuée de talent dramatique, elle observait cepen-
dant que les procédés qu'on employait pour la juger ne rele-
vaient pas du domaine de la critique : les jugements portés sot
ses piĂšces Ă©taient empreints de parti-pris. Elle Ă©crit Ă ce propos
Ă Edouard Charton dans sa lettre du 20 novembre 1858 :
Que vous dire de moi, maintenant, à propos de théùtre? je ne sais
pas. C'est un jour oui et un jour non. Ai -je du talent pour cela? Je
ne crois pas ; j'ai cru qu'il m'en viendrait, je me dis encore quelquefois
sous mes cheveux gris, qu'il peut m'en venir. Mais on a tant dit le
contraire que je n'en sais plus rien, et que j'en aurais peut-ĂȘtre en
pure perte. Si les auteurs sont rares et mauvais, comme vous le dites,
c'est peut-ĂȘtre bien la faute du public, qui veut de mauvaises choses,
ou qui ne sait pas ce qu'il veut. Montigny m'Ă©crivait derniĂšrement :
« Que faut-il faire pour le contenter? Si on lui donne des choses litté-
raires, il dit que c'est ennuyeux ; si on lui donne des choses qui ne sont
qu'amusantes, il dit que ce n'est pas littéraire. Le fait m'a paru cons-
tant dans ces derniÚres années. On se plaignait de voir toujours la
mĂȘme piĂšce ; mais toute idĂ©e nouvelle Ă©tait repoussĂ©e? Que faire. N'y
pas songer et Ă©crire quand le cĆur vous le dit. » C'est ce que je ferai
quand mĂȘme...
H est trĂšs curieux aussi de noter que, tandis que le vieil ami
de Mme Sand, EugĂšne Delacroix, toujours Ă propos de Favilla,
écrivait dans son journal à la date du 12 janvier 1856 : « Excel-
lente donnée que la pauvre amie n'a pas fait ressortir, » et ajou-
tait :
Cette obstination Ă poursuivre un talent qui lui manque, la classe
dans un rang inférieur. H est bien rare que les grands talents ne soient
pas portés d'une maniÚre presqu'invincible vers les objets qui sont de
leur domaine. On peut s'abuser dans sa jeunesse, mais plus tard non...
Tandis que cet ami jugeait si sévÚrement Mme Sand, ce fut
Emile Zola, l'ennemi du romantisme, qui défendit et le talent
dramatique de George Sand et son droit Ă introduire dans des
Ćuvres dramatiques des Ă©lĂ©ments que l'on prĂ©tend impropres
pour la scÚne, et en général le droit de sortir du cadre convenu
cf. aussi avec sa lettre Ă Maurice du 10 juin 1868 (Corresp., t. IV, p. 159-141)
oĂč elle parle avec nue bonhomie pleine de gaietĂ© du peu de succĂšs de ses
piĂšces.
GEORGE SAND 319
en littérature dramatique. Et à ce propos nous lisons dans le
volume Auteurs dramatiques de Zola les lignes suivantes :
...Longtemps on lui a refusé tout talent dramatique, comme on en
refuse d'ordinaire chez nous aux romanciers ; pour la critique, qui-
conque Ă©crit un livre ne peut Ă©crire un drame. Seulement aprĂšs de
grands succĂšs, George Sand dut ĂȘtre reconnue pour un dramaturge,
6inon trĂšs habile, du moins trĂšs large de facture et d'une Ă©motion pro-
fonde. Elle triomphe au thĂ©Ăątre par son honnĂȘtetĂ©, le sentiment calme
et tendre qu'elle avait des passions.
On ne peut dire mieux pour juger George Sand, auteur dra-
matique, et c'est par ces lignes impartiales, Ă©quitables et justes
que nous terminons le chapitre du Théùtre de George Sand.
CHAPITRE XI
1855-1862
Ćuvres autobiographiques de George Sand. â Le plan primitif des Lettres
d'un voyageur. â Le Journal de PiffoĂ«l. â La Lettre d'un oncle. â Un
Voyage au Mont-Dore et l'Histoire de ma vie. â Existence Ă Nohant de
1849 Ă 1855. â Alexandre Manceau. â Nini ClĂ©singer. â Terre et
Ciel de Jean Reynaud et Evenor et Leucippe. â Voyage en Italie en 1855.
â Impressions italiennes et la Daniella. â Charles Edmond et la Presse
â Les Beaux Messieurs de Bois-DorĂ©, les Dames vertes. â Gargilesse et
La Villa Algira. â Labeur sans trĂȘve. â Entomologie, botaniqueet minĂ©-
ralogie. â Jean de la Roche. â Maladie et voyage Ă Tamaris en 1861.
â ValvĂšdre, Flavie, Antonio et M. Rodrigues. â M. Francis Laur et Louis
Maillard. â Le Marquis de Ville mer. â Tamaris. Edmond Plauchut.
â Autour de la taole et Promenades autour d'un village. â La Famille
de Germandre. â Alexandre Dumas.
Chacun sait que dans les graves et tragiques moments de la
vie : face à face avec la mort, lors d'une maladie sérieuse, aprÚs
la perte d'un ĂȘtre chĂ©ri ou aprĂšs une rupture dĂ©finitive avec un
ami, involontairement on revit ses joies et ses peines, un examen
de conscience s'impose, on se juge et parfois on se condamne. Si
l'on est Ă©crivain, ces moments sont la cause et la source pre-
miĂšre de Confidences et de Confessions. Maintes fois des tristesses,
des événements tragiques éveillÚrent chez George Sand le désir
d'expliquer son ĂȘtre intime, de raconter les actes extĂ©rieurs qui
le révélÚrent. Plusieurs fois ce projet lui vint et presque toujours
son génie créateur lui fit abandonner son plan primitif; elle
Ă©crivit alors des Ćuvres qui n'Ă©taient que mi-autobiographiques,
des pages oĂč Ă la Wahrheit (la vĂ©ritĂ©) se substituait la Dkhtung
(la fiction).
Si on laisse de cÎté les romans de Mme Sand contenant des
détails autobiographiques (que nous avons notés chaque fois
390
GEORGE SAND 321
que nous les analysions) tels qvCIndiana, Valentine, Mattéa,
LĂ©lia, Elle et lui, le Toast, Lucrezia, Spiridion, Isidora, le PoĂšme
de Myrza, le Diable aux champs, etc., etc., etc.), on doit considérer
comme une tentative d'autobiographie les Lettres d'un voyageur.
Voici ce que George Sand en dit elle-mĂȘme :
Je viens de relire les Lettres d'un Voyageur de septembre 1834 et
de janvier 1835 et j'y retrouve le plan d'un ouvrage que je m'Ă©tais
promis de continuer toute ma vie. Voici quel Ă©tait ce plan suivi au
début de la série, mais dont je me suis écartée en continuant et que je
semble avoir tout Ă fait perdu de vue Ă la fin. Cet abandon apparent
veut surtout dire que j'ai rĂ©uni sous le mĂȘme titre de Lettres d'un
voyageur diverses lettres ou séries de lettres qui ne rentraient pas dans
l'intention et la maniĂšre des premiĂšres (1). Cette intention et cette
maniÚre consistaient dans ma pensée premiÚre à rendre compte des
dispositions successives de mon esprit d'une façon naïve et arrangée
en mĂȘme temps... Je crĂ©ai donc au hasard de la plume et me laissant
aller à toute fantaisie un moi fantastique trÚs vieux, trÚs expérimenté
et partant trÚs désespéré. Ce troisiÚme état de mon moi supposé, le
désespoir, était le seul vrai, et je pouvais, en me laissant aller à mes
idées noires, me placer dans la situation du vieil oncle (2), du vieux
voyageur que je faisais parler... En un mot je voulais faire le propre
roman de ma vie et n'en ĂȘtre pas le personnage rĂ©el, mais le person-
nage pensant et analysant...
Le Journal de PiffoÚß, dont nous avons plusieurs fois cité des
extraits et qui ne fut jamais publié en entier, excepté le petit
(1) Nous avons déjà dit dans le chap. ix du vol. II de notre travail que le
volume des Lettres d'un voyageur réunit : 1° les trois lettres, toutes lyriques,
à Musset ; 2° des épanchements non moins lyriques et des réflexions élé-
giaques adressées à Néraud et Rollinat ; 3° une lettre politique à Everard
(Michel de Bourges) ; 4° les impressions du voyage en Suisse et du jeu de
Liszt racontées à Herbert (Charles Didier) ; 5° une lettre sur la phrénologie
(Ă Liszt) ; 6° l'analyse critico-musicale des opĂ©ras de Meyerbeer et des Ćuvres
de Berlioz (lettre à Meyerbeer) et enfin 7° un écrit polémique pro domo sua
contre Nisard.
(2) Mme Sand indique plus loin, que la sixiĂšme Lettre d'un voyageur
était intitulée Lettres d'un oncle. Cette indication n'est pas tout à fait
exacte, de mĂȘme qu'est inexacte l'indication, donnĂ©e plus haut, des
lettres de « septembre 1834 et janvier 1836 ». Quoique nous l'ayons déjà dit
dans le chap. x de notre deuxiĂšme volume, nous croyons indispensable de
donner ici les dates, l'ordre et le numérotage des Lettres lors de leur premiÚre
impression dans la Revue des Deux Mondes et les numéros sous lesquels elles
3-Ă2
GEORGE SAND
épisode intitulé la Fauvette du docteur (1), présente comme une
suite de ces Lettres d'un voyageur, Ă©crite de nouveau au nom
d'un prétendu « vieux docteur », pessimiste et désabusé.
Cette histoire de sa vie Ă©tait trop incomplĂšte pour satisfaire
George Sand, elle décida dÚs lors d'écrire ses mémoires.
Dans une note au bas d'un article de 1857 de Charles de
Mazade sur Y Histoire de ma vie, Buloz dit que George Sand avait
dĂšs l'Ă©poque qui suivit sa rupture tragique avec Musset, vers
1835-36, l'intention sérieuse d'écrire ses mémoires, et qu'on peut
en retrouver le plan et des détails dans les lettres de Mme Sand
qu'il a gardées dans ses cartons :
...« Nous n'avons pas oublié non plus que dans l'hiver de 1835
sont rĂ©imprimĂ©es dans toutes les Ă©ditions des Ćuvres de George Sand de-
puis 1842 :
Revue des Deux Mondes Dans le volume
Datées de :
du 15 mai 1834, N° I 1 I
15 juillet 1834, N° II [ à M"* II
15 sept. 1834» K" III ) III
15 janvier 1835 : Lettres d'un
Oncle. V (Ă Rollinat)
15 juin 1835, N° IV (à Everardï VI à Everard
(Michel)
1er septembre is35, N« V VII à Fr. Listz
1" juin 1S36, .V VI
i5 octobre 1836, Le Prince
<M. de Talleyrand).
N°- IV et IX
au Malgache
et Ă Rollinat
X» VIII
15 novembre 1836, N« VU, Ă
Charles Didier. X Ă Herbert
15 novembre la36, N" VIII XI Ă Meyerbeer
La Revue de Paris, de mai 1836,
Lettre à M. Msard. N° XII
Venise. 1er mai 1 S 3 i .
Sans dale.
Venise, juin 1 534.1
Janvier 1835.
11, 15, 1S, 20, 22, 23, M,
29 avril 1835.
Sur Lavatcr et une maison dé-
serte.
Septembre ls35 :
lundi soir
mercredi soir
jeudi
vendredi, Ă Rollinat
samedi
au Malgache
Ă Rollinat
au Malgache, 15 mai 1836.
introduction :
minuit,
six heures du malin dans ma
chambre.
PriÚre d'une matinée de prin-
temps.
Versailles, Auteuil, 2 sept. 1836,
de Chalon Ă Lyon, Xautua,
GenĂšve, Fribourg.
GenĂšve, septembre 1836.
Sans date.
<1) V. George Sand, sa vie et ses Ćuvres, vol. II, chap. xm, p. 433-34.
GEORGE SAND 3a3
Mme Sand eut pour la premiÚre fois l'idée d'écrire quatre vo-
lumes seulement de mémoires, qui ne devaient paraßtre qu'aprÚs
sa mort. Quand il nous arrive de feuilleter encore les trois ou
quatre cents lettres de Mme Sand qui nous restent entre les mains,
nous y trouvons non seulement crayonné le plan de ces mémoires,
mais quelques-uns mĂȘme des Ă©lĂ©ments de ce livre posthume,
pendant les dix premiÚres et plus belles années de la vie litté-
raire de l'auteur... »
Mais bien avant 1835-36, vers 1827, en récapitulant probable-
ment sa vie de jeune fille et de jeune mariée, sous l'impression de
la trahison de son mari, de sa rupture morale avec lui et de son
amour pour Aurélien de SÚze, George Sand avait songé à écrire
son autobiographie.
Ce prototype de VHistoire de ma vie s'appelle Voyage en
Auvergne et en Espagne, fut écrit pour Zoé Leroy et fut,
comme nous l'avons dit, imprimé, déjà aprÚs la mort de George
Sand, dans le Figaro de 1888. L'original est Ă©crit sur de
petits cahiers in-8° et présente une série de trÚs petits cha-
pitres, parfois de deux ou trois lignes, qui sont comme un
sommaire de ses futurs mémoires. Voici le commencement
et quelques extraits de ce trÚs intéressant écrit trÚs important
pour nous, oĂč â cinq annĂ©es entiĂšres avant la naissance de
la future George Sand â se reflĂštent avec une Ă©tonnante
intensité toutes les faces de son admirable talent. Ce qui est
absolument typique c'est le style, c'est la forme de cette pre-
miĂšre Ćuvre autobiographique, c'est le rĂ©eit spontanĂ©, familier
des événements tantÎt plein ^humour, de verve, et tantÎt de
profond sentiment, ce sont des digression, des plaintes amĂšres
sur son sort, des réflexions d'une puissance extraordinaire sur
des thÚmes généraux, de poétiques paysages, des excursions
de naturaliste, des Ă©pisodes comiques dialogues, des esquisses
satiriques de personnages burlesques on Ă©tranges, des pages
alertes et gaies rappelant ses lettres intimes et d'autres Ă©crites
en sonores périodes évoquant le style de Lélia. H est trÚs
eurieux de noter le fait surprenant que George Sand avait,
324 GEORGE SAND
dÚs lors, ébauché en lignes générales le plan de son Histoire
de ma vie tel qu'il fut exécuté plus tard.
Mont-Dore, dimanche 12 août.
J'arrive. Que c'est bĂȘte un voyage d'amateur. Je suis extĂ©nuĂ©e !
Que suis-je venue faire ici?
Chercher la santĂ©? oĂč est-elle la santĂ©? Je suis d'une humeur de
chien.
Lundi. â C'est bizarre, une vie comme celle-ci. C'est mĂȘme plaisant.
Je me réconcilie. Cependant, je ne me sens pas encore assez d'aplomb
pour rester au salon. Nouvelle débarquée, tous les regards se portent
sur moi. Que c'est sot de faire attention Ă moi! Je viens dans ma
chambre...
...ĂĂ , que faire? H pleut. Jamais je n'ai eu tant envie de me pro-
mener. Je suis fantasque aujourd'hui. Je fais la jolie femme. Ah I
pour femme, pas trop ! Jolie encore moins. C'Ă©tait bon il y a dix ans.
Je n'ai pas de livre qui me plaise.
Ce que j'ai emporté est absurde. C'est égal, cela me donnera un main-
tien pour sortir seule.
J'aurai l'air de lire, de penser Ă quelque chose et je pourrai Ă mon
aise ne penser Ă rien.
A rien ! Quand ne pense-t-on Ă rien? Qu'on serait heureux si, un
quart d'heure dans la vie, on pouvait ne penser Ă rien ! Mais en dor-
mant mĂȘme, on rĂȘve !...
...Ah ! il y a un bénitier auprÚs de mon lit. C'est une attention, cela
me rappelle le couvent. Comment donc ! mais c'est charmant, un
bénitier! Me voilà bien, si j'écrivais à quelqu'un? oui, à ma mÚre,
par exemple ! Ă ma mĂšre, ah Dieu ! 0 ma mĂšre, que vous ai-je fait?
pourquoi ne m'aimez-vous pas? Je suis bonne pourtant. Je suis bonne,
vous le savez bien. J'ai cent défauts, mais je suis bonne dans le fond.
J'ai mes violences et elles sont terribles. Mais vous en aperçûtes-vous
jamais? Oh! que j'étais facile à mener! Un mot de vous détruisait
toutes mes résolutions. Je vous avouais tout ce qu'en tenant caché
j'aurais pu faire servir Ă adoucir mon sort. Mais, chose Ă©trange, vous
saviez Ă©galement me faire peur et m'attendrir.
Quand vous Ă©tiez en colĂšre, je tremblais, j'Ă©tais pĂąle et me sentais
mourir. Quand vous m'entouriez de vos séductions, j'arrosais vos
mains de pleurs... Oh ! que je vous aurais aimée, ma mÚre, si vous
l'aviez voulu ! Mais vous m'avez trahie, vous m'avez menti, ma mĂšre,
GEORGE SAND 325
est-ce possible? vous m'avez menti ! Oh ! que vous ĂȘtes coupable 1
Vous avez brisĂ© mon cĆur. Vous m'avez fait une blessure qui saignera
toute la vie. Vous avez aigri mon caractÚre et faussé mon jugement.
Vous m'avez mis dans l'ùme une sécheresse, une amertume que je
retrouve dans tout.
Croyez-vous que j'ai oublié tout cela quand maintenant vous me
caressez? Oh ! vos caresses me font du mal. Quand vous m'embrassez,
mon cĆur se gonfle et, si j'osais pleurer devant vous, je pleurerais I
Et quand je vois une autre fille dans les bras de sa mĂšre, heureuse,
adorée, protégée, je me tords les mains et je pense à vous qui m'avez
abandonnée. Ma mÚre, Dieu vous pardonne! H vous pardonnera.
Dieu est parfait. Mais vous m'avez fait bien du mal.
Je voudrais me venger, je voudrais pouvoir vous faire du bien.
Vous verriez que je ne suis pas une mauvaise fille ! Ah ! je n'Ă©tais pas
née pour cela ! ! !
VoilĂ ma lettre ; l'enverrai-je?
Pauvre mĂšre! que de chagrin elle vous ferait 1 Vous ĂȘtes lĂ©gĂšre,
mais vous n'ĂȘtes pas mĂ©chante. Non, vous ne l'ĂȘtes point. Vous n'ĂȘtes
que bizarre. Ah! je ne vous ferai jamais de reproches. Je pleurerai
en silence. Vous vieillirez tranquille.
Je me sens trÚs mal à présent. A quoi ai-je été songer ! Si j'allais
consulter le médecin? Encore quelque ùne ! Je n'irai point, qu'ai-je
Ă faire de lui?
Mais, mon Dieu, Ă qui Ă©crirai-je donc? Je sais bien Ă qui je n'Ă©crirai
pas (1).
A Adolphe (2)? C'est un ami despote. Je n'aime pas la tyrannie.
A Stéphane (3)? C'est un fou, un vrai pédant. Je déteste la science.
A Gustave (4)? C'est une bĂȘte. Les bĂȘtes m'ennuient. A mon pĂšre (5)?
L'excellent cĆur ! Mais que lui dirai-je? Lui raconter ce que j'ai vu
à Clermont? l'éternelle relation obligée! Mais je n'ai rien vu! J'ai
été partout. J'ai attrapé un coup de soleil au Puy-de-DÎme. Je me
suis éreintée à cheval, époumonée à pied. Et tout cela pourquoi?
Si, je le sais !... Il n'y a pas lĂ de quoi faire une lettre. Mon Dieu,
qu'on est bĂȘte quand on a de l'humeur.
Je vas écrire à Zoé (6), Elle est si bonne ! C'est un ange. Oui, mais
elle montrerait ma lettre et je ne veux pas qu'on se souvienne de
(1) Allusion évidente à Aurélien de SÚze.
(2) Adolphe Dutheil.
(3) Stéphane Ajasson de Grandsagne (V. notre vol. Ier, p. 196-98,286-361,
et vol. III de V Histoire de ma vie, p. 327, 330, 334.)
(4) Gustave Papet.
(6) James Duplessis (V. notre vol Ier, p. 216-220, et vol. III, p. 57),
(6) Zoé Leroy (V. voL Ier, p. 254).
326 GEORGE SAND
moi (1). A Jane (2) plutĂŽt. C'est une reine. Oh ! je lui ferais horreur
dans ce moment-ci.
Décidément je n'écrirai pas, mais qu'est-ce que je fais donc à pré-
sent?...
Puis, la jeune femme se désespÚre de l'inutilité de sa vie, elle
songe au suicide, mais n'a pas le courage de se tuer, Ă cause du
petit Maurice; elle voudrait pointant mourir, se débarrasser
a de la corvée de la vie », elle s'ennuie et ne sait que faire... Puis,
tout Ă coup elle esquisse le portrait de M. Garrick, le gardien de
l'établissement balnéaire, qui, pour tuer le temps, fait avee ses
fils des collections minéralogiques, estropie les noms latins d'une
maniĂšre Ă©pouvantable, mais au fond ne dit « guĂšre plus de bĂȘtises
que beaucoup de savants de ma connaissance, » et à ce propos
la. jeune pessimiste lance une phrase toute Georgesandesque :
Je déteste les grands mots et le grand savoir en manchettes et en
jabot. Je les aime Ă la folie en casquette et en sabots.
Puis elle ajoute : « Garrick est fort aimable et je ne m'étonne
pas des bontĂ©s de M. Ramond pour lui. » (M. Ramona â soit dit
par parenthĂšse â e'est Raymond AurĂ©lien de SĂšze, qui apparaĂźt
plus loin sous le pseudonyme transparent de M. LesĂšne et qui
apparaĂźtra dans Indiana sous celui de Raymon de la RamiĂšre.)
Et enfin elle dessine en quelques traits bouffons la société de la
petite ville d'eaux et ses Ă©tablissements thermaux.
Mais avec tout cela, le temps n'avance guĂšre.
...On ne dĂźnera que dans deux heures. Il m'est impossible de m'amu-
ser de rien avec suite aujourd'hui J'ai la tĂȘte fort malade. En vain
j'ai cherché tous ces jours passés à m'étourdir par la fatigue. Ce
chagrin, ce chagrin ne sait pas dormir et ne veut pas se taire. 0 an-
goisse ?..
Au fait, si je me plaignais Ă moi-mĂȘme? Comme ce serait nouveau,
ce pourrait me distraire.
Si je me racontais mon histoire? C'est une bonne idĂ©e. Ăcrivons des
mémoires. C'est un genre à la portée de tout le monde, et cela fera
(1) C'est-à -dire que Zoé la montrerait encore à Aurélien de SÚze à qui
Aurore Dudevant ne voulait point ĂȘtre rappelĂ©e Ă ce moment.
(2) Jane Bazouin (V. notre vol. I", p. 180, 250, 253, 259, 316).
GEORGE SAND 337
bon effet. Les pensées d'hier feront diversion à celles d'aujourd'hui.
Mais surtout pas un mot du présent. Je l'écrirais avec une plume de
feu trempée dans du fiel. Aussi bien, puisque me voilà écrivant mon
voyage, je suis bien aise qu'il y ait de tout, et que la chose dont il
soit le moins question soit précisément mon voyage. Commençons.
Ferai-je une préface? Oui. Il en faut une. C'est indispensable et je
veux faire un ouvrage complet. Passons à la préface.
Mémoires inédits.
Préface
J'écris mon histoire pour me désennuyer (Fin.)
Bien. Je ne vois pas ce qu'on peut dire de plus et de mieux. Cela est
véritable, positif, clair, concis. On voit tout d'abord ce que je veux
dire. â Passons au chapitre premier, pour suivre les rĂšgles de l'art,
il faudrait faire un peu l'histoire de mes parents et mĂȘme remonter
à celle de leurs parents à la seconde ou troisiÚme génération. Mais
comme je n'ai pas le temps et que je prétends finir mon ouvrage
avant de dĂźner, je passe Ă ma propre histoire.
Je naquis dans la rue MĂȘlĂ©e (sic) l'an XII de la rĂ©publique. Ma mĂšre
Ă©tait au bal. J'arrivais entre la chaĂźne anglaise et la queue du chat.
On n'eut que le temps de m'envelopper dans un fichu de crĂȘpe rose
et de m'emporter. C'Ă©tait d'un bon augure, dit-on. Les augures ne se
justifient que quand ils annoncent le mal.
Le lecteur voit que dÚs le début c'est là en abrégé la vraie
Histoire de ma vie qui ne présente qu'une version développée
de ces mémoires premiers. Nous y trouvons notamment et h l'his-
toire des parents et mĂȘme celle de leurs parents Ă la seconde et
troisiÚme générations », histoire qui doit expliquer et faire pro-
noncer l'absolution sur bien des faits de la vie de l'auteur, et
le « premier chapitre » commençant par le récit de sa naissance
en « l'an XII de la RĂ©publique », et mĂȘme, au vol de la plume,
la remarque amĂšrement ironique sur ce que les pronostics gais
et roses accompagnant la venue au monde de l'auteur de LĂ©lia
et du Journal de Piffoël et lui prophétisant un avenir riant, ne se
sont pas justifiés. Puis vient une série de petits chapitres qui
ne présentent pour le lecteur qui connaßt YHistoire de ma vie
et l'histoire réelle des premiÚres années de George Sand, qu'un
328 GEORGE SAND
précis de tout ce qu'il a lu ; c'est pour cela que ces petits chapitres
nous intéressent, C'est Y Histoire de ma vie en germe :
II
Je fus mise en sevrage Ă Chaillot, pendant que ma mĂšre partit pour
l'Italie (1). Clotilde et moi demeurĂąmes lĂ chez une bonne femme
jusqu'Ă deux ou trois ans.
On nous apportait le dimanche Ă Paris sur un Ăąne, chacune dans
un panier avec les choux et les carottes qu'on vendait Ă la halle.
III
Ma grand'mĂšre me prit et fit de moi une demoiselle. J'arrivais
d'Espagne. J'avais la fiĂšvre, la gale et des poux. On m'apprit Ă lire,
on me décrassa, Je devins gentille, un peu colÚre pourtant.
IV
Je jouais Ă colin-maillard, Ă traĂźne ballet, Ă la main-chaude, voire Ă
l'oie. J'avais un précepteur.
Le chapitre V manque.
Il est Ă©vident qu'Aurore Dudevant saute sa vie de couvent,
ce qu'elle n'Ă©vita pas lorsqu'elle parla de sa vie plus tard. Mais
en 1827 il est probable qu'elle ne voulait pas parler à la légÚre
de ses impressions pieuses. Donc, immédiatement aprÚs le cha-
pitre IV, vient le chapitre VI.
VI
Quand j'eus seize ans, on s'aperçut comme j'arrivais du couvent
que j'Ă©tais une jolie fille.
J'Ă©tais fraĂźche quoique brune. Je ressemblais Ă ces fleurs de buisson,
un peu sauvages, sans art, sans culture, mai3 de couleurs vives et
agréables. J'avais une profusion de cheveux presque noirs qui sont
devenus depuis presque blonds. En me regardant dans une glace, je
puis dire pourtant que je ne me suis jamais fait grand plaisir. Je suis
noire, mes traits sont taillés et non pas finis. On dit que c'est l'expres-
sion de ma figure qui la rend intéressante. Et je le crois car en me regar-
dant de sang-froid, comme je me regarde toujours, je n'ai jamais
pu comprendre comment on a fait attention Ă moi. Mes yeux, qu'on a
vantĂ©s souvent, me semblent froids et bĂȘtes. D'oĂč je conclus qu'il faut
(1) Cf. avec ce qui a été dit à la page 93 de notre premier volume, surtout
la noie Ă cette page.
GEORGE SAND 329
qu'une femme s'aime beaucoup pour avoir de l'expression dans la
figure lorsqu'elle se regarde et pour se trouver jolie. Si je me voyais
dans les yeux de quelqu'un que j'aime, je serais sans doute plus con-
tente de l'ouvrage de ma mĂšre.
On retrouve bien dans Y Histoire de ma vie ce mĂȘme portrait,
rien qu'un peu modifiĂ© selon l'annĂ©e un peu ultĂ©rieure oĂč il
fut tracĂ©, 1847, annĂ©e oĂč YHistoire de ma vie fut commencĂ©e.
VII
J'avais l'humeur gaie et pourtant rĂȘveuse. Car il y a des contrastes
dans tous les caractĂšres et surtout dans le mien. L'expression la plus
naturelle à mes traits était la méditation.
Et il y avait, disait-on, dans ce regard distrait, une fixité qui res-
semblait Ă celle du serpent, lorsqu'il fascine sa proie. Du moins c'Ă©tait
la comparaison ampoulée de mes adorateurs de province. Un d'eux
surtout s'y laissa prendre, tandis que je lui préférais Colette.
VIII
J'eus dix-sept ans. En vérité, ai-je jamais eu dix-sept ans? C'est
si loin que si l'on ne m'assurait qu'il est une Ă©poque dans la vie oĂč
personne ne peut passer sans compter dix-sept ans, je croirais que je
n'ai jamais vu cette belle saison.
Je commençais les veilles et les larmes.
IX, X et XI
Je perdis ma bienfaitrice, mon bonheur et ma beauté.
X
Ma mĂšre...
XI
Ma sĆur me repoussa et me trahit.
XII
Mon frÚre... fut toujours bon, mais faible. H ne sut pas me défendre.
XIII
On chassa AndrĂ©, on m'ĂŽta tous ceux que j'aimais. ArrachĂ©e Ă
Nohant ma patrie, seule et désolée, il me restait un pauvre chien
qui m'Ă©gayait par ses folies. On m'ĂŽta mon pauvre chien (1).
(1) Nous avons raconté dans le chap. iv de notre premier volume com-
ment la mĂšre d'Aurore Dupin, aprĂšs la mort de son aĂŻeule, se mit Ă gouverner
330 GEORGE SAXD
XVI OU XVII
Quand je fus mariée, j'eus un fils, et il y a encore un ou deux cha-
pitres qui me sont absolument sortis de la mémoire. Si l'on me mon-
trait quelque chose qui eût rapport à ce temps-là , je tressaillerais
peut-ĂȘtre d'effroi ou de douleur.
Mais si l'on ne m'en parle pas, je n'y songe pas. Je n'ai pourtant
pas le don de l'oubli. J'ai le sentiment du passé si je n'en ai le souvenir.
Hélas ! et quand je regarde mon teint flétri, ma vieillesse anticipée (1),
quand je sens dans mon cĆur Ă©teint, glacĂ©, quand je sens dans mon
corps des douleurs affreuses, fruits amers du désespoir, des sanglots
renfermés et des tristes veilles, je vois bien que j'ai vécu. Je n'ai pas
besoin de me rappeler quels jours commencĂšrent ma ruine et quels
jours la finirent.
XX
Le cĆur demeura pur comme le miroir.
Eh! ogni respiro appanna.
Il fut ardent, il fut sincĂšre, mais il fut aveugle ; on ne put le ternir,
on le brisa.
XXI
Je partis pour les Pyrénées... Qu'est-ce que j'entends là ? Déjà le
dĂźner? J'ai donc bien rĂȘvassĂ© au lieu d'Ă©crire ! Oui, j'ai fait une pause
aprÚs chaque chapitre et les deux heures sont écoulées, et je n'en suis
qu'à la moitié. Que dis-je? Je ne fais que commencer... Allons, ce sera
pour un second volume, en attendant, envoyons celui-ci Ă un libraire,
Ă M. Panckouke ou Ă M. Ladvocat? A M. Ladvocat :
Monsieur, je vous envoie mon ouvrage. Il est bon, c'est moi qui vous
le dis.
Je suis avec considération...
C'est par cette allÚgre drÎlerie que les mémoires se terminent
soudain : plus loin on y voit la suite du journal du voyage, jour
par jour, l'auteur jase avec une spontanéité toute prime-sautiÚre
sur tous les « baigneurs » et tous les incidents survenus dans la pe-
tite ville d'eaux ; nous voyons apparaßtre quantité de personnages
plus ou moins comiques (MM. LesĂšne, Ramond et mĂȘme un Russe
l'existence de sa fille et comment elle débuta dans ce rÎle en la privant de
son chien favori, de son petit groom et eu jetant par la fenĂȘtre tous ses livres.
(1) N'oublions pas que celle qui Ă©crivait ces lignes avait Ă ce moment Ă
peine vingt-trois ans I
GEORGE SAND 33 1
qui porte le nom estropié de Kologrigo// et, on ne sait pas trop
pourquoi, parle français avec un accent allemand !). Et au mi-
lieu de toutes ces petites scĂšnes bouffonnes, voilĂ que surgissent
tout à coup deux épisodes ou deux morceaux fort poétiques :
ime page lyrique adressée à Vùne qui portait la petite Aurore
sur son dos de Paris Ă Chaillot, et une autre page que Fauteur
prĂ©tend ĂȘtre fortuitement trouvĂ©e dans son journal, intitulĂ©e
les Corbeaux et écrite dans un style parfaitement imité de Cha-
teaubriand ou... de LĂ©lia. Puis, dans la Seconde partie : Voyage
en Espagne, Aurore Dudevant raconte Ă peu prĂšs tout ce qu'elle
conta plus tard dans YHistoire de ma vie du voyage qu'elle fit
avec sa mĂšre pour rejoindre M. Dupin en Espagne et toutes ses
impressions enfantines d'alors. Nous ne nous arrĂȘterons point
sur cette fin de la premiĂšre partie du Journal de voyage, surtout
important comme témoignage du talent inné et spontané de
George Sand. H se dégage de ces lignes écrites au courant de la
plume, tant de précision dans les expressions, tant d'observa-
tion des caractÚres, tant de puissance poétique, d'humour et
tant de nostalgie désespérée qu'on a peine à croire que leur
auteur n'était qu'une femme de vingt-trois ans, mariée à un
hobereau médiocre, passant ses vacances dans une ville d'eaux,
au milieu d'un tas d'adorateurs ennuyeux, et qui joue de sa plume
comme d'autres jouent de l'éventail. Nous avons déjà noté cet
éveil spontané du talent de George Sand ; ce qui nous importe
c'est de marquer la ressemblance des Souvenirs d'Auvergne avee
VEistoire de ma vie. Ce n'est pas seulement le plan général, mais
mĂȘme la maniĂšre de raconter, le procĂ©dĂ© et le point de dĂ©part
sont identiques. Il est vrai que la jeune femme de vingt-trois
ans ne peint que ses sentiments personnels et ses propres pensées,
tandis que la femme de quarante-trois trouve nĂ©cessaire de mĂȘler
à son récit des réflexions et des raisonnements sur des thÚmes
généraux. Mais, dÚs que la narration touche à des événements
trop intimes, nous voyons apparaĂźtre Ă la place de George Sand,
l'auteur du Voyage au Mont-Dore. Si on n'envisage que les deux
préfaces, on peut croire que les deux auteurs avaient deux buts
différents. « Pourquoi ce livre? » Aurore Dudevant répond : pour
332 GEORGE SAND
tuer le temps, George Sand prétend que le récit sincÚre et véri-
dique de la vie de chaque homme peut servir Ă tous les hommes :
la loi de la solidarité oblige chacun à partager avec les autres
les fruits de son expérience, de ses réflexions et de ses peines...
Mais lorsque l'auteur commence son récit et nous conte l'histoire
de ses parents, de ses ancĂȘtres, sa naissance, son enfance Ă Paris
et Ă Chaillot, son voyage en Espagne, les efforts de sa grand'mĂšre
« à faire une demoiselle » de la petite sauvageonne qu'elle était,
les « excentricitĂ©s » de sa mĂšre, la libertĂ© dont elle jouissait Ă
Nohant et ses jeux au grand air, puis nous parle d'Hippolyte,
de Deschartres, de son couvent, du retour Ă Nohant, quand elle
Ă©voque les lectures nocturnes, la mort de l'aĂŻeule, le divorce
moral avec sa mĂšre (jusqu'Ă l'exil du petit chien inclusivement),
son désespoir de jeune fille, son mariage, la naissance de Maurice,
alors nous reconnaissons que l'auteur suit de point en point
le plan tracé dans le Voyage en Auvergne. AprÚs quoi, soudain
l'auteur de YEistoire, comme l'auteur du Voyage, s'interrompt
uniquement pour dire au lecteur : « H y a ici encore un ou deux
chapitres fort intéressants, mais ils sont absolument sortis de
ma mémoire... »
Nous lisons dans les Souvenirs d'Auvergne des lignes mysté-
rieuses sur les « jours qui commencÚrent ma ruine et ceux qui
la finirent », c'est-à -dire sur les malheurs conjugaux d'Aurore
Dudevant, sur son amour non moins malheureux pour Aurélien
de SÚze, et immédiatement aprÚs : « Je partis pour les Pyrénées... »
Tout cela apparaĂźt dans YEistoire de ma vie sous la forme des
lignes non moins mystĂ©rieuses sur « l'ĂȘtre » qui aida Aurore « Ă
supporter sa solitude », sur sa rupture finale avec lui, ou des
pages consacrées au voyage dans les Pyrénées, pleines d'el-
lipses mentales, de sous-entendus, d'allusions à « Bordeaux »,
aux « chĂȘnes de Montesquieu, » Ă la « BrĂšde » Ă Y Esprit des
lois (1). Et à travers tout cela dans les deux versions des mé-
moires passe comme un fil rouge la mĂȘme pensĂ©e :
« Le cĆur resta pur, comme le miroir, il fut ardent, il fut sin-
(1) V. notre vol. Ier, p. 269-270.
GEORGE SAN D
333
cÚre, mais aveugle, on ne put le ternir, on le brisa »... dit l'auteur
du Voyage en Auvergne.
« Voici le récit de mes désillusions, de mes chagrins, de mes
erreurs, mais le cĆur resta pur et sincĂšre, il ne connut pas le
bonheur, je ne trouvais que des bonheurs... je me suis abusée, on
ne put ternir mon cĆur, on le brisa » semble aussi dire l'auteur
de YHistoire. C'est ainsi que le bilan et le résumé des deux ou-
vrages est le mĂȘme.
« Je partis pour les PyrĂ©nĂ©es... Qu'est-ce que f entends lĂ ?... DĂ©jĂ
le dßner?... » Est-ce que mainte page de YHistoire de ma vie n'est
pas la copie exacte de ce tour d'idées, de cette phrase si brusque-
ment et on dirait si spontanément interrompue? Combien de
fois le lecteur de YHistoire, arrivant à un épisode décisif de la
vie de l'auteur, s'attend Ă voir ses pensĂ©es profondes aboutir Ă
une vraie confidence...
Mais non ! Qu'est-ce que f entends lĂ ? DĂ©jĂ le dĂźner? ou bien :
H y a encore un ou deux chapitres fort intéressants, mais ils sont
absolument sortis de ma mémoire! C'est ainsi que le récit à peine
commencé du voyage de Venise et de la maladie de Musset est
soudain coupé par la description des théùtres vénitiens et par
des phrases jetées au hasard sur la célÚbre Pasta, sur le séjour
du peintre Robert et du chanteur Geraldi dans cette ville, puis
vient une série d'anecdotes sur la police autrichienne et ses for-
faits et le chapitre sur Venise est clos !
Ou bien, le compte-rendu des désaccords matrimoniaux se
termine par la page lyrique adressée au grillon (1) tout comme
le Voyage au Mont-Dore se termine par les digressions lyriques
adressĂ©es Ă Y Ăąne et aux corbeaux. Et la fin mĂȘme de YHistoire de
ma vie est de point en point le pendant de la conclusion du Voyage
en Auvergne : l'auteur arrive Ă 1846, il dit quelques mots assez
vagues sur la rupture avec Chopin, sur 1849, puis il esquisse le
portrait de plusieurs amis et connaissances, rencontrés dans la
ville d'eaux... pardon! au milieu du Paris politique et artistique
et puis « Déjà le dßner? » et c'est fini !
(1) V. notre vol. I«, p. 301-302, et YHistoire de ma vie, p. 59-60, vol. IV.
334 GEORGE SAND
« Je n'avais pas eu de bonheur dans toute cette phase de mon
existence... J'avais eu des bonheurs, c'est-Ă -dire des joies dans
i'amour maternel, dans l'amitié, dans la réflexion et dans la
rĂȘverie... je sens ma conscience assez saine et ma religion assez
bien Ă©tablie, pour saisir le vrai jour dans le passĂ©... mon cĆur,
deux fois brisé, cent fois navré, s'est défendu de l'horreur du
doute... »
M dans ses Lettres d'un voyageur, ni dans le Journal de Pif-
fo'él, George Sand ne s'approcha autant de ce plan projeté de ses
MĂ©moires qu'elle le fit dans l'Histoire de ma vie. Ceci est digne
de toute signification, de toute remarque. Ceci prouve l'unité
de conception de la jeune femme qui n'a encore ni écrit, ni vécu,
et de l'écrivain arrivé tout ensemble au seuil de la vieillesse et
au faĂźte de la gloire, croyant aprĂšs tant d'Ă©preuves avoir fait Ă
i'amour ses adieux. « Voici ce que la vie et les hommes firent de
l'enfant rĂȘveur », semble dire George Sand au lecteur dans les
deux versions. Mais dans l'Histoire elle ajoute : « Et voici com-
ment je me façonnai moi-mĂȘme, voici le chemin que je parcourus
depuis le berceau jusqu'à l'ùge mûr, voici les étapes de ma pensée,
voici comment s'élargirent mes horizons... » Et d'accord avec ce
plan général l'écrivain divise toute sa narration en rubriques
qui correspondent aux Ă©tapes de ce chemin spirituel, et les inti-
tule :
Histoire d'une famille de Fontenoy Ă Marengo.
Mes premiÚres années.
De l'enfance Ă la jeunesse.
Du mysticisme à V indépendance.
Vie littéraire et intime.
:Sous ne suivrons plus l'histoire du développement moral de
G. Sand tel qu'il est peint dans l'Histoire de ma vie, ainsi que les
faits de sa vie intime ou extérieure : le leeteur connaßt tout cela.
Quant Ă rendre compte de ce que contient cette Ćuvre, c'est
impossible : ce chapitre prendrait la dimension du livre mĂȘme,
parce qu'il faudrait alors, page par page, démontrer comment
le récit de la guerre d'Espagne, par exemple, donne à l'auteur
GEORGE SAND 335
le prétexte de faire une digression sur le patriotisme espagnol »
le nom d'Alexandre Ier â celui de mettre en doute le patrio-
tisme des Russes et les causes de l'incendie de Moscou, â le sys-
tĂšme d'Ă©dueation pratiquĂ© par la grand'mĂšre â d'Ă©mettre ses
propres thĂ©ories pĂ©dagogiques ; les fables de La Fontaine â de
polémiser avec Jean-Jacques Rousseau ; le nom de son ami Rol-
linat â de parler de sa maniĂšre de comprendre l'amitiĂ© et les
idées étranges que les anciens, Grecs et Romains, avaient là -
dessus, etc., etc., etc., jusqu'Ă des chapitres entiers consacrĂ©s Ă
Maurice de Saxe, Marie Dorval ou à la polémique contre les doc-
trines d'Armand Carrel et de Jules Favre. Il n'est possible ni
de redire ni de résumer tout cela. C'est une vraie petite encyclo-
pédie de pensées, d'opinions, de doctrines, de sentiments, d'im-
pressions. Mais il est peu d' Ćuvres de George Sand qui attirent,
enchantent et subjuguent autant le lecteur. Ce roman de sa vie
est plus intéressant que tous ses romans imaginés, il est écrit
avec une maestria incomparable, et il est tout Ă fait impossible
en le lisant de ne pas ĂȘtre captivĂ© par le charme de la femme et
de l'Ă©crivain. H suffit de lire YHistoire de ma vie pour s'Ă©prendre
de George Sand, et nous comprenons parfaitement que lorsque
ces Mémoires parurent George Sand reçut de tous les points de
la France des lettres enthousiastes, lui rĂ©pĂ©tant les mĂȘmes
choses : « Vous vous ĂȘtes rĂ©vĂ©lĂ©e Ă nous, nous vous aimons,
nous vous comprenons, parlez encore, parlez-nous de vous-
mĂȘme, vous nous ĂȘtes chĂšre et proche... »
Nous avons entre les mains un gros paquet de ces lettres
adressées à George Sand à l'occasion de YHistoire de ma vie et
on ne peut pas les lire sans ĂȘtre profondĂ©ment Ă©mu. Il est gran-
dement attrayant de voir que l'écrivain a trouvé le chemin du
cĆur de ses lecteurs et selon le mot de TolstoĂŻ sut rendre ses
sentiments et ses pensées « contagieux ». Un lien étroit s'établit
entre l'Ă©crivain et ceux qui le comprirent. Nous avons lu des
lettres de femmes du monde, de simples fantassins, de sous-offi-
ciers, de travailleurs, de généraux, d'amies de couvent qui se
sont reconnues dans les portraits tracés, de curés de village dont
les uns protestent contre les idées qu'elle a émises, et les autres
336 GEORGE SAND
l'en remercient. Quelques-unes de ces lettres se rattachent Ă
certains faits de l'autobiographie de Mme Sand. Un docteur de
la RiviÚre prétendait, au nom de la famille de Home, que le
premier niari de Marie- Aurore de Saxe, le comte de Rom, n'Ă©tait
point un bùtard de Louis XV, ni d'origine suédoise et que son
nom s'écrivait avec un e final. La comtesse Fanny d'Huteau, née
de la MaiiiÚre, rectifiait certains détails établissant les relations
de sa mĂšre avec l'aĂŻeule et le pĂšre d'Aurore Dudevant, que cette
derniÚre n'avait pas esquissées assez exactement dans le chapitre
oĂč sont portraiturĂ©es toutes les « vieilles comtesses » du salon de
cette aĂŻeule; la comtesse d'Huteau envoya Ă George Sand les
lettres autographes de Marie-Aurore Dupin de Francueil et de
son fils adressĂ©es Ă Mme de la MarliĂšre. De mĂȘme M. Vieillard,
Mlle Virginie Caseau, M. Vallet de Villeneuve, le baron PĂ©tiet,
et d'autres, firent parvenir Ă George Sand des documents et des
renseignements trÚs intéressants, pour rectifier différentes erreurs
de sa narration, par rapport à son grand-oncle l'abbé de Beau-
mont, au vieux M. Pierret, au général Pétiet, au maßtre de calli-
graphie M. de Lhomond, et d'autres. George Sand garda toutes
ces lettres dans une enveloppe spéciale avec cette inscription :
« A consulter pour V édition définitive de ^Histoire de ma vie. »
Quant aux renseignements se rapportant en particulier Ă son
grand-oncle, Godefroy, bùtard de Bouillon, plus tard abbé de
Beaumont, elle en fit usage en Ă©crivant sa petite biographie qui,
parue dans le Temps, en 1875, sous le titre de Mon grand-oncle,
sert d'appendice aux chapitres ni (vol. I", 2e partie) et n
(vol. II, 3e partie) de Y Histoire de ma vie et devrait au fond y ĂȘtre
incluse comme est inclus le chapitre sur Maurice de Saxe (1).
Bref, nous voyons que chacune des lignes de YEistoire de ma
vie trouvait un Ă©cho parmi les lecteurs. Sans parler des sorties
véhémentes de Pontmartin, nous devons noter que beaucoup de
(1) George Sand fit encore paraĂźtre dans ce mĂȘme journal (le Temps de
1875-76) quelques esquisses biographiques ou autobiographiques se rappor-
tant à des épisodes de sa vie ou à des personnages qu'elle avait rencontrés,
tels sont : Voyage chez M. Biaise (ce M. Biaise est Adolphe Duplomb selon
les uns et selon d'autres M. Biaise Meure, en 1831 substitut Ă La ChĂątre,
plus tard procureur Ă Clamecy), la Blonde PhĆbĂ©, Une nuit d'hiver, etc., etc.
GEORGE SAND 337
personnes mĂȘme parmi les amis de Mme Sand â François Liszt
entre autres â furent choquĂ©es par la franchise avec laquelle
elle parle du passĂ© de sa mĂšre et condamnaient â peut-ĂȘtre
avec raison â cet excĂšs de franchise. D'autres, comme Charles
Mazade, relevaient, avec justesse aussi, les « anachronismes psy-
chologiques » de Y Histoire de ma vie, que nous avons aussi notés
dans le premier chapitre de notre premier volume : en effet,
lorsque George Sand Ă©crivait ses MĂ©moires dans les derniers mois
de 1847 et les premiĂšres semaines de 1848, Ă la veille de la RĂ©vo-
lution, et lorsqu'elle les continua plus tard, immédiatement
aprĂšs la dĂ©bĂącle de la deuxiĂšme RĂ©publique, au moment oĂč ses
adeptes, amis de l'auteur, se morfondaient en exil, ou mĂȘme Ă©taient
déportés et malheureux, elle était en proie aux sentiments les
plus républicains et démocratiques, vibrante d'indignation et
de protestation contre le parti conservateur. Elle transporta
alors tous ces sentiments dans le passé, jugeant beaucoup de
faits et d'événements de ses jeunes années à travers le prisme
de ses impressions du moment ; elle décrivit ainsi beaucoup de
faits anciens l'esprit influencé par 1848 ; elle donna à ses sorties
juvéniles, trÚs crùnes, dictées le plus souvent par les élans de sa
nature indépendante et libre, la signification de républicanisme
conscient, de dĂ©mocratisme et mĂȘme de socialisme. Nous avons
déjà fait allusion à cela dans le chapitre rv du volume Ier, lorsque
nous avons parlé de la vie d'Aurore Dupin à la campagne et de
ses disputes avec Deschartres sur la propriĂ©tĂ© rurale et mĂȘme
toute propriété en général. D'autre part il est hors de doute que
les relations amicales de George Sand et de Maurice Sand, fraĂź-
chement liés en 1852, avec le prince JérÎme et le rapproche-
ment avec les napoléonides en général se reflétÚrent aussi rétros-
pectivement d'une maniÚre trÚs prononcée dans les pages de
l'Histoire; tout ce qu'il y avait de bonapartiste dans le milieu qui
entourait Aurore Dupin et plus tard Aurore Dudevant est
comme souligné : les services rendus à Mme Sand par le baron
Haussmann lors de l'enlĂšvement de Solange par son pĂšre,
en 1837, sont notés avec une complaisance bien marquée, de
mĂȘme l'amitiĂ© avec Mme Rose-Anne (ou Rozanne) Bourgoing
IV. 22
338 GEORGE SAND
(Mme Curton, plus tard) et l'impression sympathique et favo-
rable produite, en 1834, par un jeune homme rencontré chez elle,
inconnu alors, trop connu plus tard â M. Fialin de Persi-
gny, etc.
D'autres critiques encore déploraient l'étendue des chapitres
préliminaires de YHistoire, ce qui est aussi vrai. Mais nous avons
déjà noté dans le chapitre n de notre premier volume avec quelle
maßtrise George Sand avait, justement dans ces chapitres pré-
tendus inutiles, préparé pour ses futurs biographes les matériaux
et les éléments qui servent à éclaircir ses traits héréditaires et
les particularités qu'elle a déjà apportées en elle en venant au
monde.
D'autres encore s'indignaient contre les continuels passages
tacites (que nous avons notés) ou les sauts par-dessus une quan-
tité d'épisodes fort intéressants. Mais nous avons déjà dit dans
les toutes premiĂšres pages de notre travail que George Sand
comme Catherine II, en sa qualité de femme, ne pouvait et ne
devait pas parler de toutes choses avec la franchise de Jean-
Jacques â c'aurait Ă©tĂ© cynique et inutile. L'Histoire de ma vie,
telle qu'elle est, est un livre extrĂȘmement instructif, outre qu'il
est rempli de pensées et de sentiments profonds. Nous sommes
sĂ»rs qu'il sera lu avec plaisir et enthousiasme, mĂȘme s'il vient
un jour oĂč les autres Ćuvres de George Sand sont oubliĂ©es. C'est
le rĂ©cit d'une Ăąme, le journal d'un grand cĆur, le miroir oĂč se
reflÚte une série d'étapes traversées par un esprit profond et
chercheur dans sa poursuite de la vérité et de la justice sur cette
terre, dans son désir de trouver la solution du problÚme uni-
versel. Mais remarquons encore que si George Sand n'a pas conté
elle-mĂȘme toute sa vie, elle a, en toute conscience, pris ses
mesures pour qu'on le fßt aprÚs elle ; si elle avait réellement
voulu tirer le rideau sur certains Ă©pisodes de sa biographie, elle
n'aurait pas gardé dans ses archives certaines correspondances.
Or, non seulement elle les garda, mais encore elle en munit plu-
sieurs d'inscriptions ainsi conçues : « A prendre des dates », o Ă
consulter pour V Ă©dition dĂ©finitive de V Histoire de ma vie », « Ă
garder et à consulter », « à publier ». Cela prouve combien George
GEORGE SAND 339
Sand désirait que son histoire vraie et entiÚre fût écrite un jour
et combien elle en avait soigneusement préparé tous les éléments.
Dans Y Histoire de ma vie, commencée en 1847, le récit n'est
suivi que jusqu'en 1844. Dans les toutes derniĂšres pages, comme
nous avons vu, il y a quelques lignes obscures sur les événements
de 1846 (la scĂšne dans le petit bois Ă propos de la rupture morale
avec Chopin) (1), puis il y est dit quelques mots sur la mort de
Chopin et d'Hippolyte en 1849, mais nous n'y trouvons dĂ©jĂ
absolument rien sur 1847 et 1848. Dans la Conclusion on peut
encore lire quelques lignes vagues sur les malheurs qui déchi-
rĂšrent la vie de l'auteur « en 1847 et en 1855 », â cette derniĂšre
date est celle de la mort de la petite Jeanne Clésinger.
Comme épilogue on a ajouté à l'édition de Y Histoire de ma
vie de Lévy une lettre de George Sand à Louis Ulbach, datée du
26 novembre 1869 et qui est censée peindre la vie de l'auteur
pendant les « vingt-cinq derniÚres années » (2). Mais il ne faut
nullement prendre cette expression au pied de la lettre, parce
que ce n'est plutĂŽt qu'une digression Ă propos de la vie Ă Nohant
durant ces vingt-cinq années et non pas sa description réelle. Nul
homme ne raconterait une existence de vingt-cinq ans en trois
pages in-18, mĂȘme si elle avait Ă©tĂ© monotone et dĂ©pourvue de
tout événement. Or ce n'est pas précisément de monotonie
qu'on peut taxer la vie de George Sand. Voici pourquoi nous
avons tùché de raconter dans les trois chapitres précédents les
événements de la vie et Yhistoire de lu pensée de Mme Sand,
de 18-16 à 1852, d'aprÚs des documents tant imprimés qu'inédits.
Puis, nous nous sommes arrĂȘtĂ©s sur le Diable aux champs comme
sur une Ćuvre autobiographique, nous peignant la vie paisible
de Nohant entre 1848 et 1855, et surtout comme sur un livre qui
résume les idées, les espérances et les opinions de George Sand
aprĂšs la tempĂȘte de 1848-1851.
Le Chùteau des Désertes dont nous avons parlé et V Homme de
(1) V. notre voL III, chap. vi.
(2) H faut noter ce chiffre ; il précise d'une maniÚre parfaitement exacte
qu'Ă partir de 1844 (1869 â 1844 = 25) on ne trouve dans V Histoire de ma
vie que peu de données biographiques et de faitsi
340 GEORGE SAND
Xeige présentent comme des appendices au Diable aux champs.
A partir de 1848 Maurice Sand commença à passer une partie
de l'année à Paris. Depuis 1850 il y passait presque tout l'hiver ;
en quittant Nohant en septembre, il restait à Paris jusqu'à Noël
ou mĂȘme jusqu'au 1er janvier, revenait Ă la campagne pour une
couple de semaines, puis repartait jusqu'en avril, mai, quelque-
fois jusqu'en juin. En 1848 il ne vint pas du tout pour les fĂȘtes
de NoĂ«l auprĂšs de sa mĂšre, et elle fĂȘta la nouvelle annĂ©e en
compagnie de Lambert et de Borie. En 1851, avec Lambert et
Manceau. Mme Sand décrit dans une lettre à son fils sur un ton
badin cette veillée solitaire et raconte comment on avait tiré
pour Maurice les petites surprises qui lui étaient destinées et
comment on fit prĂ©sent Ă Mme Sand elle-mĂȘme d'un petit « Mau-
rice » en carton qui surgit soudain d'une boßte, lorsqu'on en
pressa le couvercle. Mais on sent dans cette lettre le chagrin et
le dépit refoulés de ne pas avoir vu réaliser son espérance d'em-
brasser son fils. Avec le temps ces séjours de Maurice à Nohant
s'abrégÚrent de plus en plus, de sorte qu'il ne passait hors de
Paris que deux ou trois mois, de juillet Ă la fin de septembre, et
encore employait-il une partie de ces vacances Ă visiter son pĂšre
Ă Guillery oĂč l'attirait la chasse. En 1857, Mme Sand Ă©crit Ă son
fils dans sa lettre du 12 août : « Sais-tu que je ne t'ai pas vu deux
mois entiers depuis prÚs d'un an... »
Solange venait encore plus rarement auprĂšs de sa mĂšre.
Mme Sand passait donc presque toute l'année sans sa famille.
H est vrai qu'entre 1852 et 1855 sĂ©journait frĂ©quemment Ă
Nohant sa petite-fille Jeanne (ou NinĂź) avec laquelle Mme Sand
jouait des heures entiĂšres ; elle se promenait ou piochait au jardin
avec la petite qu'elle adorait ! De plus, aprĂšs la RĂ©volution et
surtout la rĂ©action et le coup d'Ătat de 1851, y sĂ©journaient, les
uns temporairement, les autres plus longuement : Fulbert
Martin, Emile Aucante, EugĂšne Lambert, Victor Borie et
Alexandre Manceau. Puis peu Ă peu, ils retournĂšrent Ă Paris ou
à l'étranger, et à partir de 1855 George Sand serait, restée toute
seule si Manceau n'était pas demeuré à Nohant. Ce dernier,
graveur de profession et camarade de Maurice Ă l'atelier de
GEORGE SAND 34,
Delacroix, Ă©tait un homme d'humble provenance, mais de
grande hauteur morale, bon, désintéressé, capable d'un dévoue-
ment Ă toute Ă©preuve, prĂȘt Ă tous les sacrifices pour ceux qu'il
aimait. S'étant lié avec Maurice, il devint son camarade dévoué,
partagea tous ses goûts, participa à tous ses amusements, mais
aussi Ă tous ses travaux (1). DĂšs que Maurice Dudevant entre-
prenait quelque Ă©dition dans le genre des Visions Ă la campagne,
ou d'illustrations de l'histoire de NapolĂ©on Ier, â un sujet fort
bien choisi aprĂšs 1851 ! â que voyons-nous? Maurice Ă©bauchait
en quelques heures un croquis ou une aquarelle, et Manceau,
abandonnant ses travaux, qui lui assuraient le moyen de vivre,
se mettait Ă graver, pendant de longs joins ou des semaines, les
planches de l'édition de son camarade. Maurice, qui s'intéressait
toujours à l'entomologie, s'occupa vers 1850 plus sérieusement
de cette science, fit un livre sur les papillons (dont sa mĂšre Ă©crivit
la préface (2). Il collectionnait les lépidoptÚres, leurs chrysalides
et leurs chenilles, se passionnant à observer leurs métamorphoses.
Mais ses fréquentes absences de Nohant s'accordaient mal avec
des observations suivies sur les chenilles sortant de la graine,
sur leurs travaux Ă se construire un cocon et enfin sur la venue
au monde des insectes. Manceau fit alors la chasse aux papillons
et aida Maurice Ă construire toute sorte de boĂźtes avec des parois
de verre, viviers ou serres chaudes portatives pour les chenilles ;
puis lorsque Maurice s'en allait Ă Paris, il s'Ă©vertuait le plus
attentivement possible Ă nourrir toutes ces chenilles, Ă observer
leurs transformations, Ă transpercer, selon la rĂšgle des collection-
neurs, d'une aiguille brĂ»lante celles qui sont prĂȘtes pour la col-
lection et Ă inscrire sur un registre le jour-, l'heure ou la minute
de la naissance de quelque Algira, Gordius ou Apollon. Maurice
se passionna ensuite pour le théùtre, et Manceau l'aida à brosser
les décors, à exécuter les spectacles des marionnettes, et lorsque
Mme Sand dĂ©sireuse de faire une surprise Ă son fils â ayant
l'espoir peut-ĂȘtre de le fixer Ă Nohant â voulut reconstruire la
(1) V. plus loin les lettres de Mme Sand Ă son fils et Ă Dumas fils.
(2) La préface à « Deux jours dans le monde des papillons, par Maurice
Sand r, parut dans le numéro du 15 février de la Revue de Paris de 1855.
34a GEORGE SAND
salle de spectacle et lui bĂątir un vaste atelier, Manceau prit la
direction de tous ces travaux. Peu Ă peu il commanda toutes
les constructions nouvelles et les réparations de Ponant. Puis,
voyant que Mme Sand ne pouvait suffire Ă mener de front son
gigantesque travail littĂ©raire et diriger sa maison, il se mit Ă
surveiller le ménage et à veiller à toute la vie matérielle. C'est
ainsi que, selon les propres paroles de Mme Sand, il n'oublia
jamais de s'assurer, le soir, s'il ne manquait pas sur son bureau
de cahiers de son papier favori et, à cÎté, le verre d'eau sucrée
qu'elle avait coutume d'avaler d'un trait lorsque, tard dans la
nuit, tombant de fatigue et à moitié endormie déjà , elle passait
de sa table Ă Ă©crire sur son lit. Bref, Manceau l'entourait de
dévouement tout filial et de soins attentifs, H remplit auprÚs d'elle
les fonctions de secrétaire : il les partagea d'abord avec Aucante,
puis, aprÚs le départ d' Aucante qui prit à sa charge toutes les
démarches et les transactions de Mme Sand auprÚs des éditeurs
Ă Paris (1), il s"en chargea seul : il classait le courrier, dressait
la liste des lettres, notait celles qui demandaient des réponses,
Ă©crivait parfois au nom de Mme Sand, copiait ses manuscrits,
faisait les comptes, etc., etc. George Sand dans ses lettres Ă
Maurice signale souvent de combien de soucis et de tracas
Manceau la préserva, avec quel dévouement sans défaillance et
avec combien de bonne volonté il sacrifia son temps, son travail
afin de faire prospérer les affaires ou de préparer les plaisirs de
Maurice toujours engoué tantÎt d'une chose, tantÎt d'une autre,
ce qui l'empĂȘchait d'acquĂ©rir par un labeur sans trĂȘve une maĂź-
trise véritable.
A Maurice Ă Paris.
Nohant, 13 avril 1852.
En effet, mon vieux, ce n'est pas facile de trouver de l'ouvrage, et
mĂȘme en habitant Paris, il faudrait peut-ĂȘtre bien des mois et des
(1) Plus tard, en 1857 ou 1858 Emile Aucante s'installa définitivement
à Paris et y fonda une agence littéraire ayant pour but de faciliter les rap-
ports entre les Ă©crivains et les Ă©diteurs. Et George Sand fit paraĂźtre dans
la Presse du 21 juin 1858 une Lettre (datée du 7 juin) adressée à M. Emile
Aucante, par laquelle elle invitait tous les gens de lettres Ă soutenir de leur
concours l'entreprise si sympathique de son jeune ami.
GEORGE SAND 343
années pour t'assurer un entrain de commandes. Je ne m'étonne donc
pas que tu partes le matin pour rentrer le soir sans résultat. C'est en
se faisant connaĂźtre, sans gagner d'argent d'abord, qu'on arrive Ă en
gagner. Je suis fùchée que tu n'ayes pas traité avec l'Illustration
pour une partie de tes costumes italiens (1), ou pour tout autre chose.
Mais je crois que quand tu seras ici, tu pourras leur donner quelques
séries qui réussiront toujours avec un texte de moi, et si peu qu'elles
soient payées, elles te donneront la publicité qui est la premiÚre con-
dition pour ĂȘtre demandĂ©. Le travail dans les arts ne se trouve jamais
quand on le cherche.
Je ne vois pas que tu puisses faire seul une piĂšce. Quand mĂȘme l'ac-
tion en serait bonne, tu ne sais pas assez Ă©crire pour faire un bon dia-
logue et d'ailleurs ce n'est pas à Paris que tu feras de la littérature.
C'est Ă Nohant je crois que les conditions seraient meilleures. Je vou-
drais qu'Ă Paris tu songes Ă travailler, sinon la peinture si tu y re-
nonces, du moins le dessin qui te servira toujours, et que tu ne peux
pas avoir la prétention de savoir parfaitement. Je crois que tu n'aurais
pas raison de renoncer Ă la peinture, si tu pouvais l'Ă©tudier Ă Paris.
Le peux-tu? et le veux-tu? La question n'a jamais été résolue encore.
H ne faudrait pas y dĂ©penser 500 ni mĂȘme 400 francs par mois. Nous
n'avons pas ce moyen-là , quand le séjour se prolonge. H ne faudrait
pas louer un appartement avec atelier, de 7 Ă 800 francs, pour n'y pas
travailler sérieusement. Tout cela toi seul peux le résoudre. Je ferai
Ă cet Ă©gard avec toi les essais que tu voudras, mais, si, au bout de
quelques mois, ces sacrifices ne servaient Ă rien, et si tu conservais
l'habitude de flĂąner, tu es trop raisonnable au fond pour vouloir que
cela durĂąt, et que mon travail de nĂšgre ne servĂźt qu'Ă te faire perdre
ton temps.
Rien de nouveau ici, je travaille beaucoup. Je fais vingt pages
par jour d'un roman qu'on me paye fort peu quoi qu'en dise Hetzel.
Mais ne lui en parle pas, il fait pour le mieux, les arts sont au
rabais...
â Reviens quand tu voudras, puisque tu prĂ©tends toujours que c'est
moi qui t'empĂȘche de travailler Ă Paris. Seulement songe que je ne
peux pas t'y entretenir Ă 500 francs par mois, que cela fait une rente
de 6 000 francs et que c'est bien l'impossible. Et puis tĂąte-toi bien, et
vois si vraiment tu y employés ton temps, utilement pour le présent
ou pour l'avenir, je m'en rapporte Ă toi-mĂȘme, et ferai ce que tu vou
dras, quelque ennui que j'Ă©prouve Ă ĂȘtre sĂ©parĂ©e de toi.
(1) C'est-à -dire ses dessins des personnages de la Comédie italienne qui, plus
tard, en 1859, parurent en deux volumes sous le titre de Masques et Bouffons
avec une préface de George Sand.
344 GEORGE SAND
Nohant, 20 avril 1852.
OĂč en est ta piĂšce avec Rochery? Est-ce que vous y travaillez
sérieusement? Il faudra venir l'essayer ici? ou qu'il vienne l'achever
avec toi...
...Tu fais aussi bien d'ĂȘtre Ă Paris si tu t'y amuses. Ici le spleen
me consume, et je suis malade depuis plusieurs jours. Je me croyais
pourtant guérie, je l'étais au commencement, mais je n'ai plus de
force pour travailler et cela me désespÚre. H faut pourtant piocher
ou mourir.
Tu t'expliqueras avec Manceau de ton affaire d'images, je n'ai pas
voulu lui en parler. Je vois seulement que tu voudrais lui faire vendre
les planches faites, et cela me paraßt détruire tout un projet qui était
bon, pour toucher fort peu de chose.
Ce ne serait pas, je pense, dans son intĂ©rĂȘt, et son intĂ©rĂȘt, en cela,
doit peser plus que le tien, puisque tu donnes Ă ce travail quelques
jours par année, tandis qu'il y donne des semaines et des mois d'as-
siduité. S'il s'en dérange beaucoup, la faute en est à moi, qui l'emploie
Ă mille soins dont il me soulage, Ă des copies, Ă des rangemens sans
fin, et je me trouve bien de l'obligeance infatigable avec laquelle il
accepte ces corvées. Je ne vois donc pas que personne ait à lui en faire
reproche, toi moins que tout autre, puisque c'est de la peine qu'il
m'Ă©pargne et du tems qu'il me fait gagner...
Nous avons un froid atroce depuis deux jours... Aujourd'hui j'ai
gardé le lit toute la journée. Le soir nous lisons du Cooper avec Martin
et Manceau, et je fais la tapisserie pour ta cheminée ; nous montons
Ă 10 heures et demie et je travaille jusqu'Ă 3 heures, je reprends mon
travail le jour de une heure Ă six.
Toccante (1) me débarrasse des interminables dérangemens des
paysans et des ouvriers...
Nohant, 28 avril 1852.
Je ne conçois pas, mon enfant, que tu ne reçoives p a mes lettres.
Je t'ai Ă©crit la veille du jour oĂč Manceau t'a Ă©crit.
...Je te parlais de Manceau dans cette lettre, je te disais que jo
n'avais pas voulu lui parler de ton désir de vendre les quatre planches
de Napoléon avant les sujets religieux et autres de la collection, je
crois qu'il ferait tout ce que j'exigerais de lui, mais je ne crois pas
devoir exiger que, d'une affaire oĂč il met la meilleure partie de son
(1) Emile Aucanto.
GEORGE SAND 345
tems et oĂč tu ne mets en somme que quelques heures du tien de tems
en tems, affaire qui peut ĂȘtre bonne dans son ensemble, il fasse pour
vous procurer plutÎt quelques sous, une affaire manquée pour l'ave-
nir. H n'y renonce pas, je le sais, puisqu'il s'y est remis, aprĂšs avoir
fait un immense rangement dont je l'avais chargé. Tu te plains du tems
qu'il perd Ă autre chose, qu'est-ce que cela te fait? tu ne peux le consi-
dĂ©rer comme un manĆuvre Ă la solde, puisque tes avances sont nulles ;
mais moi je peux le considérer comme un ami et serviteur volontaire
qui me rend mille petits services trĂšs profitables : copies de manus-
crits, de lettres, comptes tenus en ordre, surveillance de détails aux-
quels je ne peux me consacrer sans perdre un temps précieux pour mon
travail, je disais donc que tu aurais tort de lui reprocher cela, puisque
j'en profite, et que tu ne peux trouver que trĂšs bien et trĂšs bon
qu'on m'allĂšge une partie des soins qui m'Ă©crasent et auxquels ma
santé ne suffit plus.
Je te disais aussi que j'Ă©tais prĂȘte Ă faire tous les articles que tu
voudrais pour V Illustration... Enfin je crois que je te parlais théùtre
et que je te disais que je faisais un roman. J'ai fait le premier volume
en quinze jours, des volumes de deux cent cinquante pages comme
celles de cette lettre ! Je fais le deuxiĂšme volume qui sera fini Ă la mi-
mai. AussitÎt aprÚs je me remettrai au théùtre. Je te disais aussi
d'amener Rochery, quand tu voudrais, répÚte-le-lui. Le temps me
manque pour lui Ă©crire...
Manceau tùchait donc de préserver Mme Sand de tous les
soucis matériels, en prenant sur lui les soins dont généralement
dans les familles des grands écrivains se préoccupent leurs
femmes ou leurs enfants. En mĂȘme temps il faisait tout ce qu'il
pouvait pour Maurice (comme nous le verrons encore plus loin
par des lettres inédites de 1855, 1857 et 1858). Bien plus, en
mourant, Manceau légua à son bien-aimé camarade tout son
petit avoir. Cet homme au cĆur simple comprenait les choses,
comme on voit, autrement que bien des messieurs qui ne se sou-
ciaient pas de puiser Ă pleines mains dans la bourse toujours
ouverte pour tous les nécessiteux et pour tous ceux dont les
affaires étaient embrouillées, cette bourse de George Sand qui
secourait d'innombrables amis recourant Ă son aide, et une
quantitĂ© de personnes connues et inconnues vivant souvent Ă
ses dépens. Manceau qui reçut pendant plusieurs années l'hos-
pitalité à Nohant, non seulement l'en remercia par son travail,
346 , GEORGE SAXD
mais il crut encore de son devoir de donuer Ă Maurice ce qu'il
avait gagnĂ© pendant ces annĂ©es, et toutes ses Ćuvres non
vendues.
AprÚs ce qui a été dit, il est simplement étonnant que Maurice
Sand ait accepté ce labeur et ces soins rien que comme ime chose
due, et au lieu d'apprécier, aussi peu que ce soit, ce dévouement
et tout ce que Manceau faisait pour lui, et souvent Ă sa place
pour sa mĂšre, il s'habitua Ă le traiter en homme Ă tout faire. Bien
plus, s'autorisant de ces fonctions innombrables que Manceau
assumait volontairement, il le traitait presque comme une sorte
de domestique. Enfin, aprĂšs la mort mĂȘme de Manceau il en
parlait comme d'un factotum d'un ton qui induisit en erreur
beaucoup d'amis de George Sand. Ceux-ci commencĂšrent,
d'aprĂšs son dire, Ă parler de ce compagnon fidĂšle d'un ton
presque méprisant. Il suffit toutefois de regarder le portrait de
George Sand gravé par Manceau d'aprÚs le dessin de Couture,
et ses autres Ćuvres, pour sentir son talent. C'est bien ainsi que
le jugĂšrent tous les fervents de l'art qui l'approchĂšrent : les
Goncourt, la princesse Mathilde (1), le comte d'Orsay (qui fut
lui-mĂȘme un sculpteur dilettante), Alexandre Dumas fils et
beaucoup de critiques d'art contemporains. D'autre part ce
serait une injustice impardonnable et un mensonge de la part du
biographe de se contenter de se taire ou de dire quelques mots
négligents sur son compte. Durant dix ans Manceau consacra
sa vie à Aime Sand. Son dévouement, son attachement ne se
dĂ©mentirent jamais. Les lettres de Mme Sand, â les vraies et non
les lettres tronquĂ©es, â disent de lui bien autre chose que ce
que disait Maurice, ou l'aristocrate Solange, ou encore des
personnes qui répÚtent, ce qu'elles n'avaient jamais ni vu, ni su.
Manceau rappelait beaucoup ces personnages d'origine popu-
laire que George Sand aimait tant Ă peindre dans ses romans :
cĆurs simples, spontanĂ©s, dĂ©sintĂ©ressĂ©s et prĂȘts Ă se sacrifier
pour les autres. Ce qui fut plus important que toute la sollicitude
(1) Nous avons déjà dit dans le chap. ix que cette princesse invitait tou-
jours Manceau lorsqu'elle invitait Mme Sand.
GEORGE SAND 347
de Manceau pour le bien-ĂȘtre matĂ©riel de Mme Sand, c'est
qu'enfin elle trouva à ses cÎtés un homme qui pensait à elle
plus qu'Ă lui-mĂȘme, un cĆur plein d'attachement sans bornes.
N'oublions pas que Mme Sand lui dĂ©dia cinq de ses Ćuvres,
nombre dépassé seulement par celles qu'elle dédia à son fils;
aucun autre de ses amis ne reçut d'elle tant de marques
d'amitié.
La vie paisible passée à Nouant entre 1850 et 1855 vouée
au travail (surtout à la littérature dramatique), aux spectacles
improvisés ou joués par les camarades de Maurice, et les soins
donnés à la petite Nini (lorsqu'elle y résidait, soudainement
intégrée chez son aïeule par un brusque revirement d'idées de
ses parents), vie rarement interrompue par des voyages pério-
diques à Paris pour les répétitions de ses nouvelles piÚces, fut
soudain brisée par la mort de cette petite Jeanne, survenue le
13 janvier 1855. Le chagrin plongea Mme Sand dans une torpeur,
une prostration complĂšte ; elle souffrit d'Ă©touffements, aban-
donna tout travail, bien que durant toute sa vie elle trouva
toujours en Ă©crivant une consolation Ă ses maux.
La douleur ressentie par Mme Sand et sa fille aprĂšs la mort
de la pauvre petite fut grande, mais il ne faut pas s'exagérer
l'importance des changements survenus par cette mort dans la
maniÚre de vivre de toute la famille. C'est ainsi que simultané-
ment avec la lettre à Charton désespérée (imprimée dans la
Correspondance), nous lisons dans une lettre inédite de Mme Sand
adressée à Sully Lévy (qui avait envoyé une paire de gants
blancs pour les mettre sous le moulage des mains de la petite
défunte), les paroles suivantes, raisonneuses, s'accordant peu
avec le ton Ă©mu de cette lettre de remerciements, Ă©tonnante dans
la bouche d'une femme qui vient de perdre son petit enfant,
et qui, selon son dire, est « hébétée par la douleur » :
...Je ne peux pas encore m'en consoler (1), j'en suis malade. On m'a
saignée deux fois et je ne suis que faible, mais sans pouvoir éloigner
l'idée fixe. Le temps et la volonté en viendront à bout, et je ne dis pas
(1) La lettre est du 30 janvier, la petite Jeanne mourut le 13 1
348 GEORGE SAND
à Maurice, combien ce sera long et difficile. H s'est beaucoup affecté
aussi de ce malheur et de ceux qui Font accompagné.
H n'est pas bien robuste et il a toujours été malade depuis notre
retour de Paris. Il l'est encore depuis deux jours, aussi je le pousse
vers l'Italie, dont il a vraiment besoin...
Dans sa lettre à Maurice, datée du 23 février, en racontant
Ă son fils les observations qu'elle fit sur les sauts des salamandres
dans le petit étang presque gelé, elle ajoute :
...Ton dĂźner chez le prince n'a pas dĂ» ĂȘtre moitiĂ© si animĂ©, et on n'a
pas dĂ» s'y permettre de pareilles cabrioles. Raconte-moi ce qu'on t'a
dit d'agréable, et si le prince raconte des choses intéressantes de cette
guerre. Est-ce vrai que l'empereur y va en personne? je ne fis pas de
journaux depuis quelques jours et d'ailleurs je pense bien que ce n'est
pas un secret d'Etat. Je ne me porte pas mal, surtout aujourd'hui
par ce beau temps.
...Solange Ă©tait-elle bien telle et bien peinte Ă ce dĂźner?
Quand tu recevras ma lettre, tu auras sûrement fait des courses et
vu du monde, Ă©cris-moi. Je suis dans la phase de bĂȘtise et de tristesse
oĂč je voudrais voir les objets de mon affection du matin au soir...
H est plus étonnant encore que, dÚs juillet, on recommença
Ă Nohant les spectacles, comme on le voit par une lettre Ă
Duvernet datée du 15 juillet ; et quoique Mme Sand dise qu'elle
ne le fait que pour Maurice, il est Ă©trange qu'elle put simplement
songer en ce moment à > relever le moral » de Maurice, que
Maurice ne s'abstint de ce passe-temps bruyant, par sollicitude
pour sa mÚre, et enfin que cela ne fût pas insupportable à cette
derniÚre. Nous avons dit aussi dans le chapitre vi du précédent
volume que l'écho littéraire de l'état d'ùme de George Sand
aprÚs la mort de sa petite-fille, ce morceau intitulé : « AprÚs la
mort de Jeanne Clésinger » qui fait partie des Souvenirs et idées,
nous semble justement trop littéraire et il est incompréhensible
que la vraie douleur se soit exprimée d'une maniÚre aussi réflé-
chie et sous la forme d'images aussi jolies, usuelles Ă la fantaisie
créatrice d'un écrivain.
Quoi qu'il en soit, Maurice, inquiet pour la santé de sa mÚre
et dĂ©sirant lui-mĂȘme faire un sĂ©jour dans le Midi, lui suggĂ©ra
GEORGE SAND 349
l'idée de voyager et de quitter temporairement Nohant (1).
Mme Sand donne à Victor Borie le détail suivant, qui ne manque
pas de valeur biographique et caractĂ©rise la maniĂšre d'ĂȘtre de
ceux qui entouraient alors Mme Sand. Elle affirme ne pas pou-
voir accepter les conditions offertes par la Revue de Paris, avec
laquelle Borie Ă©tait en pourparlers, Ă©tant trop gĂȘnĂ©e pour le
moment sous le rapport financier, elle ajoute :
Je me prépare au départ pour Paris et l'Italie. Sans Manceau, qui
me prĂȘte sa pauvre petite bourse, il me serait bien impossible de bou-
ger avec tout ce que j'ai Ă payer avant de partir. Ce qui m'effraye ce
n'est pas d'ĂȘtre sans le sou, j'y suis habituĂ©e ; c'est de me sentir inca-
pable de travailler depuis la mort de cet enfant. Si je restais comme cela,
il me faudrait pourtant bien secouer le fardeau qui pĂšse sur mes
Ă©paules... Maurice part, je crois, aprĂšs-demain...
Le 23 février elle annonce à Maurice, déjà parti à Paris, que :
Manceau, qui a définitivement fini son image, commence à ranger,
écrire, étiqueter tout ce qu'il faut mettre en ordre pour le départ.
Je l'aide et nous ne tarderons pas Ă te rejoindre...
Le 26 elle lui dit :
Cher enfant, nous partons toujours le 28, la malle pour l'Italie est
faite, je fais demain celle pour Paris afin de n'avoir pas Ă refaire des
paquets...
Le 28 février 1855 George Sand et Manceau quittÚrent donc
Nohant, Maurice les rejoignit Ă Paris et, tous les trois, gagnĂšrent
le Midi de la France, puis l'Italie. Mme Sand visita de nouveau
NĂźmes, Marseille, Toulon, et, par GĂȘnes, Pise, se rendit Ă Rome
et séjourna assez longuement aux environs de Frascati. Mau-
rice ne resta que peu de temps, il fit un tour en Suisse et dans le
DauphinĂ©, aprĂšs quoi il alla chez son pĂšre Ă Guillery oĂč il demeura
jusqu'en juillet ; Mme Sand et Manceau quittĂšrent Frascati le
20 mai, ils revinrent par la Spezzia, GĂȘnes et passĂšrent quelques
(1) Lettres inédites de Mme Sand : à Victor Borie du 15, à Maurice des
23 et 26 février 1855 et lettres imprimées : à Edouard Charton du 14 février,
à Augustine de Bertholdi idem, à Maurice du 24 février et à Mlle Leroyer de
Chantepie du 27 février,
350 GEORGE SAND
jours Ă Paris afin de s'entendre avec des Ă©diteurs et des direc-
teurs de théùtre (1) avant de rentrer à Xohant.
Le changement d'air, le pays Ă©tranger, les Ćuvres d'art, les
impressions surtout de la vie italienne, trÚs différentes de celles
de son premier voyage (1833-34), aidĂšrent Mme Sand Ă com-
battre son chagrin. C'est en Italie qu'elle se remit au travail.
D'autre part l'intensitĂ© mĂȘme de sa douleur lui fit recevoir avec
calme la nouvelle de la mort de son ami le Malgache (Jules
XĂ©raud), survenue en avril 1855. Elle avait, selon son ancienne
habitude, collectionné pour lui des plantes rares aux environs
de Marseille et de Rome. Dans sa lettre Ă Ernest PĂ©rigois, gendre
de Jules XĂ©raud â (mariĂ© Ă sa fille AngĂšle et devenu vers cette
Ă©poque l'ami de toute la famille Sand) â Mine Sand disait
qu'avant de partir en Italie elle avait relu les lettres de son cher
Malgache et que l'idée lui était venue d'en publier une partie, avec
son autorisation, comme appendice Ă YHistoire de ma vie.
Dans sa Correspondance imprimée et dans son Histoire,
George Sand dit que lors de sa double douleur le livre de Jean
Reynaud Terre et Ciel (2) lui fut d'une grande consolation. Les
doctrines philosophiques de l'auteur se rattachaient aux doc-
trines qui avaient régné sur son esprit et la rirent revenir à son
point de départ, la philosophie de Leibnitz. Ce qui lui fut pré-
cieux dans le livre de Reynaud ce sont les preuves de l'immor-
talité de l'ùme, la doctrine du développement progressif, de
l'ascension graduelle de chaque Ăąme individuelle, c'est-Ă -dire
rimmortalité personnelle et les étapes par lesquelles passe chaque
Ăąme pour se rapprocher du Principe Divin. Cette croyance
adoucit la douleur aiguë de la double séparation qu'elle venait
de subir. Que de deuils depuis 1848 ! Hippolyte Chatiron, Chopin,
la tante Maréchal, Gabriel de Planet, la petite Jeanne et Xé-
raud (3). Et si Mme Sand, cruellement éprouvée par les dou-
(1) Lettres inédites de Mme Sand à Maurice du 23 mai, adressée à Tourin,
du 10 juin Ă Toulon, des 17, 25, 26 et 29 juin Ă Guillery.
(2) Terre et Ciel, par Jean Reynaud. Paris, Furne, Jouvet et Cte, in-8°,
1855.
(3) Hippolvte Chatiron mourut le 26 décembre 1848, Chopin le 17 oc-
tobre 1849, Mme Maréchal le 8 mai 1851, Gabriel de Planet le 30 dé-
GEORCE SAND 35'
leurs personnelles aussi bien que par les événements politiques,
put supporter, coup sur coup, ces deux morts, ce fut grĂące Ă sa
croyance d'ĂȘtre rĂ©unie un jour Ă ses chers disparus. RĂ©pĂ©tons-
le, le livre de Reynaud lui fut d'un grand secours.
Nous retrouvons aussi le reflet des idées de Reynaud et sur-
tout de sa thĂ©ogonie dans une Ćuvre de George Sand qu'on
devrait passer sous silence par respect pour l'Ă©crivain, tellement
elle est médiocre ; son excessive étrangeté et la cause qui la fit
Ă©crire arrĂȘte pourtant notre attention. Agricol Perdiguier, rĂ©fugiĂ©
Ă GenĂšve aprĂšs le coup d'Ătat de 1851, recherchait des moyens
d'existence. C'est alors qu'il s'adressa Ă George Sand au nom de
l'éditeur Collier. Celui-ci affirmait son droit de priorité sur le
titre inventé par lui pour une série d'études romantiques : les
Amants illustres. Il Ă©tait aussi fier de cette invention que s'il
avait découvert la vapeur ou l'électricité. Perdiguier pria George
Sand d'écrire une série d'histoires amoureuses ; si elle y consen-
tait, en sa qualité d'intermédiaire, il devait gagner quelques sous.
On devait consacrer chaque volume Ă l'histoire de deux amants
illustres : AgnĂšs Sorel et Charles VII, Marie Stuart et Rizzio,
Héloïse et Abélard, Antoine et Cléopùtre, etc., etc., etc. Mme Sand
entreprit ce travail Ă Nohant, Ă son retour d'Italie, et comme
elle n'avait sous la main ni matériaux ni renseignements néces-
saires, M. Paulin Limayrac se chargea du travail préparatoire.
H devait compulser les bibliothÚques de Paris, faire des résumés,
copier des citations, et envoyer tout cela Ă Nohant. Avec tout ce
fatras de notes, George Sand devait crĂ©er une Ćuvre homogĂšne
et artistique. De plus, elle situa le premier roman de cette série
â Evenor et Leucippe â Ă l'Ă©poque des premiers hommes.
C'Ă©tait encore tenter l'impossible. Soit que l'Ćuvre fĂ»t trop
remplie de gĂ©ologie, de biologie, etc., alors qu'elle devait ĂȘtre
toute romanesque, soit que justement cette époque préhisto-
rique n'ait pas été traitée et reconstruite assez scientifique-
ment, le résultat fut que le roman fut manqué. H est aussi
cembre 1853, Jeanne le 13 janvier 1855 et Jules NĂ©raud le 11 avril de la
mĂȘme annĂ©e. Ajoutons que l'ami de la jeunesse d'Aurore Dupin, StĂ©phane
Ajasson, Ă©tait mort en 1847.
352 GEORGE SAXD
incroyable qu'ennuyeux. C'est la seule Ćuvre de George Sand
que nous ayons lue avec une sorte d'ennui mĂȘlĂ© de dĂ©goĂ»t. C'est
une bouillabaisse de faits scientifiques, d'ĂȘtres mythologiques,
d'une idylle dans le goût de Daphnis et Chloé, d'interminables
Ă©lucubrations philosophiques sonnant faux, parce qu'elles sont
mises dans la bouche des hommes... antédiluviens. Parfaitement !
des premiers hommes, car Evenor et Leucippe ne sont autres
qu'Adam et Eve présentés de façon nouvelle. Dans une premiÚre
esquisse ils apparaissaient mĂȘme sous leurs vrais noms. Nous
préférons la version biblique, naïve et colorée.
Dans la préface d'Evenor et Leucippe, George Sand donne un
résumé serré et précis de l'histoire cosmique de la terre et de
tous les cataclysmes qu'elle subit pendant des milliards d'années.
Nous préférons, aussi, é-tudier cette histoire dans des ouvrages
de géologie et non dans un roman. On trouve là l'écho de l'en-
thousiasme de Mme Sand et de Maurice pour les études géolo-
giques et minéralogiques aussi bien que pour les autres sciences
naturelles.
Puis, passant Ă la genĂšse et Ă la propagation de la vie orga-
nique sur la terre, l'auteur fait un peu de polémique contre
Darwin, n'admettant pas que nous puissions avoir pour ancĂȘtres
des quadrumanes. Plus loin encore, George Sand Ă©met ses opi-
nions sur rimmortalité de l'ùme et l'aptitude de la nature humaine
Ă toujours progresser.
Puis, brusquement, elle commence l'histoire la plus ennuyeuse
parmi les ennuyeuses et la plus incroyable parmi les incroyables.
Evenor, ce nouvel Adam, n'est pas le premier homme, non !
c'esjt l'enfant d'une peuplade quelconque qui existait dĂ©jĂ Ă
l'Ă©poque oĂč la Terre subissait encore les convulsions de sa for-
mation. Evenor-Adam n'est pas un jouvenceau créé subitement,
c'est un enfant qui grandit comme tous les autres enfants, il
jouit d'une certaine autorité parmi ses camarades, cette autorité
est d'autant plus grande qu'Evenor est Vinventeur de la langue
parlée. H nomme par leur vrai nom tant de choses que son papa
et sa maman ne peuvent pas encore nommer, qu'il finit par s'enor-
gueillir et fait preuve d'autorité sur ses camarades ; lorsque
GEORGE SAND 353
certains lui refusent obéissance, il en est si vivement offensé
qu'il s'enfuit, abandonne sa peuplade et se réfugie dans un
désert. A notre époque de tels garçonnets, « point appréciés »
par leurs copains, aprÚs avoir proféré la menace de s'en aller
chez les Peaux- Rouges ou chez les BoĂȘrs, reviennent gĂ©nĂ©rale-
ment au bout de peu de temps, remis Ă la raison par l'heure du
dĂźner. Il est probable qu'Evenor aurait suivi leur exemple.
Mais, hélas ! il vivait à l'époque antédiluvienne ou ternaire, nous
ne savons pas au juste ! Il ne peut pas revenir : un cataclysme
survient et le vallon d'oĂč il avait fui se trouve obstruĂ© par des
rochers écroulés, un volcan surgit, la mer se déplace, et Evenor
reste seul dans un désert. Privé de toute « communion avec lea
hommes » (pour avoir péché en se séparant volontairement de
ses semblables, il doit expier par une espÚce de réclusion soli-
taire), peu Ă peu il devient sauvage, oublie la parole et redevient
un primitif. C'est alors qu'il rencontre une jeunesse, Leucippe.
Celle-ci ne vit pas seulette â ça ne serait pas dĂ©cent pour une
jeune fille des temps antĂ©diluviens â mais bien sous la tutelle
d'une vieille duĂšgne... pardon ! d'une vieille divef Avant les
hommes, la terre avait Ă©tĂ© habitĂ©e par la race des dives, ĂȘtres
mystérieux, obéissant à Dieu, espÚces de voyants vivant sans
passions jusqu'Ă deux cents ans, supportant la vie et acceptant
la mort avec la mĂȘme rĂ©signation. Cette dive, du nom de TĂ©lia,
entreprend l'éducation d'Evenor et Leucippe et finalement bénit
leur union. Nous supposons qu'au temps lointain des haches
de silex ou de bronze on goûtait aux fruits de l'arbre du bien et
du mal fort simplement. Or, la dive trouve indispensable de
« préparer les ùmes » de ses disciples en leur débitant une telle
profusion d'élucubrations philosophiques et nébuleuses qu'il
fallait ĂȘtre un androĂŻde de 1' « Ăąge de pierre » pour les entendre.
Quant à les lire au vingtiÚme siÚcle sans dégoût, impossible !
Nous ne suivrons pas Evenor et Leucippe dans leurs extraordi-
naires et horripilantes aventures qui tendent toutes Ă faire
vaincre Yégoïsme d'Evenor et à le faire rentrer dans la « com-
munion » avec le reste de l'humanité. Or, cette race humaine,
divisée en trois tribus (comme dans la version biblique) avait
IV. 23
354 GEORGE SAND
été en proie aux guerres civiles, sous la néfaste influence de
l'orgueilleux Sat et du non moins criminel Mos. L'arrivée de la
douce et aimante Leucippe les réconcilie tous et « tout rentre
dans l'ordre accoutumé ».
On ne peut pas comprendre comment l'auteur de l'alerte et
spirituel Diable aux cfiamjjs ou des MaĂźtres sonneur sjfespirant la
fraĂźcheur des bois non paradisiaques, mais bien berrichons, a pu
Ă©crire cette Ćuvre oĂč les hommes prĂ©historiques parlent comme
des beaux esprits de salon, oĂč notre vieil Adam, naĂŻf et un peu
bĂȘta, apparaĂźt sous les traits d'un bachelier es lettres et la gen-
tille petite Eve à la fois comme une précieuse, pédante et une
ingénue de théùtre.
George Sand jugea fort Ă©quitablement cette Ćuvre Ă©trange
en disant dans son avant-propos : « Elle peut paraßtre aux ims
trop remplie de données scientifiques, aux autres trop fantas-
tique. » Nous disons, Ă notre tour, qu'elle pĂȘche par les deux
cÎtés,, mais surtout qu'elle appartient au genre prohibé par
Diderot, Ă©tant justement du genre... ennuyeux.
Ayant ainsi commencé cette série de romans par celui d'Adam
et d'Eve, George Sand n'alla pas plus loin. M. Paulin Limayrac
refusa sa collaboration, voyant qu'il aurait trop Ă faire, et
Mine Sand n'insista probablement pas sur la continuation de ce
travail en commun, reconnaissant que cette maniĂšre d'Ă©crire
ne lui convenait pas.
Quant à l'idée générale de ce roman c'est le thÚme favori et
perpĂ©tuel de George Sand : la purification, l'Ă©lĂ©vation d'un ĂȘtre
par l'amour. Mais prĂȘter un langage philosophique aux ĂȘtres de
l'ùge d'or, c'est faire renaßtre le maniérisme suranné des romans
de Mlle de Scudéry.
Disons à ce propos que les romans de Mlle de Scudéry ont
quelque rapport avec une autre Ćuvre de George Sand, Ă©crite un
peu ultĂ©rieurement â avec les Beaux Messieurs de Bois-DorĂ© (1).
L'étude des visions berrichonnes et des légendes se rattachant
Ă toutes les mares, forĂȘts, tours et chĂąteaux des environs de
(1) Le roinan parut dans la Presse en 1857.
GEORGE SAND 355
Nohant conduisit George Sand Ă Ă©crire, entre autres, deux
romans dont l'action se passe en Berry ; l'un de ces deux romans
est tout fantastique, les Dames vertes (1), oĂč Ton voit apparaĂźtre
des revenants ; l'autre, les Beaux Messieurs de Bois-DorĂ© â l'un
des peu nombreux romans historiques de George Sand â pei-
gnant avec beaucoup de verve, d'esprit et de finesse l'Ă©poque
transitoire entre les mĆurs austĂšres des chevaliers du moyen
Ăąge et les mĆurs des nobles de la corn' de Louis XIII, lorsque
sous l'influence de la mode et de l'amour naissant pour la culture
intellectuelle se propagea la passion du bel esprit et des romans,
entre autres de ceux de Mlle de Scudéry et de VAstrée d'Urfé.
C'est Ă cette Ă©poque que les gentillĂątres simples et brutaux se
changĂšrent en de mĂ©lancoliques et bucoliques rĂȘveurs, soupi-
rant aprĂšs le pays du Tendre, et devinrent, sans s'en apercevoir
eux-mĂȘmes, grĂące Ă l'influence de ces lectures, plus policĂ©s et
pins humains.
Un autre roman de Mme Sand paraĂźt avoir un rapport secret
avec la série des Amants illustres, c'est Elle et lui (2), il présente
la réalisation de l'idée de Musset « d'écrire un jour l'histoire
de leur amour qui sera aussi connue que l'histoire de Roméo
et Juliette, d'Héloïse et Abélard » (3). Or, la série des Amants
illustres devait aussi comprendre l'histoire d'Héloïse et d' Abé-
lard. Il est fort possible, qu'indépendamment de la mort de
Musset survenue en 1857, lorsque George Sand avait mentale-
ment tracé le plan de cette série de romans, il lui était venu
alors, par association d'idées, la pensée de raconter cette histoire
amoureuse.
Nous avons dans notre volume II assez parlé à ? Elle et lui ainsi
que de la prĂ©face de Jean de la Roclie (4) oĂč George Sand avait
avec tant de dignitĂ© rĂ©pondu Ă ses ennemis et spĂ©cialement Ă
Paul de Musset. Jean de la Roche appartient à la série de
romans de Mme Sand se rattachant Ă l'histoire naturelle ; nous
(1) Parut dans le Monde illustré de 1857.
(2) Fut publié dans la Revue des Deux Mondes de 1859.
(3) V. notre vol. II, p. 103-104.
(4) Parut dans la Revue des Deux Mondes en 1859.
356 GEORGE SAND
en parlerons tout à l'heure. Mais n'anticipons pas sur les événe-
ments et revenons Ă 1855.
Mme Sand revint d'Italie avec une ample provision d'obser-
vations et d'impressions de deux genres trÚs différents. D'une
part les fleurs d'Italie Ă©veillĂšrent l'intĂ©rĂȘt de l'Ă©crivain dĂ©jĂ
revenu à cette époque à la passion de ses jeunes années : la
botanique, les sciences naturelles ; au fond, elle ne leur avait
jamais été infidÚle. Mais à partir de 1855 elle se met avec ardeur
à herboriser, à définir et à classer les spécimens des végétaux
divers trouvĂ©s par elle, Maurice ou Manceau, Ă les dessiner, Ă
transplanter dans le jardin de Xohant, dans le but de les accli-
mater, des fleurs, des arbres les plus divers poussant dans les
alentours Ă l'Ă©tat sauvage, ou des plantes exotiques, pour
observer les changements opérés par la culture, etc., etc., etc.
DĂšs lors George Sand adresse continuellement Ă ses correspon-
dants la demande de lui trouver, d'apporter ou d'envoyer un
exemplaire de tel ou de tel autre genre ou famille de plantes
croissant « probablement » dans leur pays, ou bien elle remercie
ses correspondants pour l'envoi d'une de ces plantes. C'est aussi
Ă partir de ce temps qu'elle tĂąche de soutenir le moral de ses amis
ou amies, frappés par quelque épreuve sentimentale ou de quelque
malheur personnel, en leur suggérant le goût des sciences natu-
relles, ayant acquis par expérience la conviction que c'est en ne
se permettant pas l'analyse de son propre moi et en contem-
plant la nature qu'on trouve le meilleur remĂšde moral. On Ut
dans les lettres de George Sand à différentes personnes, mais
surtout dans ses lettres Ă Mme Arnould-Plessy, Ă Solange, Ă
MM. Henri Amie, Francis Laur, et autres, des conseils et des
indications sur ce qu'il faut faire et comment il faut s'y prendre.
Cette pensée directrice apparaßt dans beaucoup de romans de
George Sand écrits durant cette période de sa vie, tels que :
Flavie, Antonia, ValvĂšdre; nous en trouvons aussi l'Ă©cho dans
Jean de la Roche. Mais des réminiscences de botanique, de miné-
ralogie, d'entomologie et de géologie se laissent en général
noter dans presque toutes les Ćuvres de Mme Sand Ă partir de
cette Ă©poque et jusqu'Ă ses derniers jours : roman, drame (par
GEORGE SAND 357
exemple le Lis du Japon tirĂ© d'Antonio) ou mĂȘme conte pour ses
petits-enfants. C'est aussi un Ă©cho de cette passion pour la
botanique et des impressions italiennes de 1855 que présentent
les articles : la Villa PampMli, les Jardins en Italie, les Bois,
Giovanni Freppa et les maïoliques florentines (1). »
D'autre part c'est la Daniella qui est comme le résumé des
souvenirs de son séjour à Rome et à Frascati aussi bien que de
ses observations sur les mĆurs italiennes. Et on peut conclure,
en lisant les articles précités ainsi que ce roman, que les impres-
sions italiennes de George Sand furent plutÎt négatives.
DĂšs son premier voyage en Italie avec Musset, George Sand
avait avoué qu'elle était souvent lasse d'admirer les marbres
antiques et qu'une petite fleur modeste ou l'eau glacée d'une
fontaine lui donnaient plus de joie que les Ćuvres d'art. Cette
note-là , plus accentuée encore, se retrouve dans les lettres de
George Sand datées du second voyage italien, en 1855 :
Frascati, mars 1855.
...D'ailleurs, Rome, à bien des égards, est une vraie balançoire;
il faut ĂȘtre ingriste pour aimer et admirer tout, et pour ne pas se dire,
au bout de trois jours, que ce qu'on a Ă voir est absolument pareil Ă
ce qu'on a déjà vu sous le rapport de l'aspect, du caractÚre, de la cou-
leur et du sentiment des choses. Ensuite, on peut entrer dans le détail
des ruines, des palais, des musées, etc., et, là , c'est l'infini ; car il y
en a tant, tant, tant, que la vie d'un amateur peut bien n'y pas suf-
fire. Mais, quand on n'est qu'artiste, c'est-Ă -dire voulant vivre de sa
propre vie, aprĂšs s'ĂȘtre un peu imprĂ©gnĂ© des choses extĂ©rieures, on
ne trouve pas son compte dans cette ville du passĂ©, oĂč tout est mort,
mĂȘme ee que l'on suppose encore vivant.
C'est curieux, c'est beau, c'est intéressant, c'est étonnant; mais
c'est trop mort, et il faudrait savoir sur le bout des doigts, non seule-
ment ce fameux livre de Rome au siĂšcle d'Auguste, mais encore l'histoire
(1) Ce dernier article parut dans la Presse du 5 juillet 1855 ; « les Jardins
en Italie » et « les Bois » dans le Magasin pittoresque de 1856, et « la Villa
Pamphili » dans le journal niçois la Terre promise du 8 décembre 1857. Cet
article comme aussi le morceau inédit Les Loges de Raphaël, fut enlevé du
manuscrit de la Daniella. Tous ces articles sont rĂ©imprimĂ©s dans les Ćuvres
complĂštes de G. Sand dans les volumes : Nouvelles Lettres d'un voyageur et
Flavie.
35S GEORGE SAND
de Rome Ă toutes les Ă©poques de son existence ; il faudrait vivre lĂ
dedans, l'esprit tendu, la mémoire mirobolante et l'imagination éteinte.
H fut un temps, sous V Empire, oĂč l'on s'asseyait sur le tronçon d'une
colonne, pour méditer sur les ruines de Palmyre ; c'était la mode, tout
le monde mĂ©ditait. On a tant mĂ©ditĂ©, que c'est devenu fort embĂȘtant
et que l'on aime mieux vivre. Or, quand on a passé plusieurs journées
Ă regarder des urnes, des tombeaux, des cryptes, des colombarium,
on voudrait bien sortir un peu de lĂ et voir la nature. Mais, Ă Rome,
la nature se traduit en torrents de pluie jusqu'Ă ce que, tout d'un coup,
viennent la chaleur Ă©crasante et le mauvais air. La ville est immonde
de laideur et de saleté ! c'est La Chùtre centuplée en grandeur ; ear
c'est immense et orné de monuments anciens et nouveaux qui vous
cassent le nez et les yeux à chaque pas, sans vous réjouir, parce qu'ils
sont étouffés et gùtés par des amas de bùtisses informes et misérables.
On dit quĂŻl faut voir cela au soleil ; je ne dis pas non, mais il me semble
que le soleil ne peut pas raccommoder ce qui est hideux.
La campagne de Rome si vantée est, en effet, d'une immensité
singuliÚre, mais si nue, si plate, si déserte, si monotone, si triste, des
lieues de pays en prairies, dans tous les sens, qu'il y a de quoi se brûler
le peu de cervelle qu'on a conservée aprÚs avoir vu la ville... (1)
Frascati, 14 avril 1855.
...La nature y est belle, surtout jolie; car ne croyez pas un mot de la
grandeur et de la sublimité des aspects de Rome et de ses environs.
Pour qui a vu autre chose, c'est tout petit ; mais c'est d'un coquet
ravissant. Entendons-nous pourtant, c'est le petit dans le grand ;
car cette campagne romaine, tout unie, est immense comme une nier
environnée de montagnes. Mais les détails, les ruines, les palais, le^
Ă©glises, les collines, les lacs, les jardins, tout cela paraĂźt hors de pro-
portion avec la scĂšne qui les continue.
...Le jour de Pùques a été aussi un beau jour trÚs chaud ; nous l'avons
passĂ© Ă Rome, oĂč nous avons reçu la bĂ©nĂ©diction urbi et orbi. C'est
une cérémonie trÚs vantée, mais qui n'est pas mise en scÚne avec art.
Le goût français manque à toute chose, ici comme ailleurs. La nature
s'en moque. Elle nous prodigue les fleurs que l'on cultive dans nos
jardins avec respect. Ici, en plein désert, on marche sur le réséda,
sur les narcisses, sur les cyclamens et mille autres fleurs adorables dont
je vous fais grĂące, Ă vous qui ne connaissez que les tulipes (2)...
(1) Lettre Ă EugĂšne Lambert (Corr., t. IV).
(2) Jules Néraud, auquel ces lignes étaient adressées, était, comme nous
savons, un Ă©minent botaniste.
GEORGE SAND 359
...Ici tout est différent, depuis a jusqu'à 2, de ce qui est chez nous.
Hommes et bĂȘtes, coutumes, idĂ©es, besoins, terre, plantes, air, c'est
un autre monde. Je ne sens pas la puissance de séduction de ce pays
autant qu'on me l'avait annoncé. Trop de choses sont en désaccord
avec notre maniĂšre de voir et de sentir ; mais je reconnais qu'il est
bon de l'avoir vu, ne fût-ce que pour aimer davantage cette douce
France au ciel gris, oĂč les hommes, si peu hommes qu'ils soient, sont
encore plus hommes que partout ailleurs....
MĂȘme en ce qui regardait la nature italienne, la flore, les effets
de lumiĂšre et d'ombre, Mme Sand ne partageait pas les admira-
tions et les enthousiasmes reçus des « italianomanes ». Selon elle
la flore â ou plutĂŽt les arbres dans le sens exact du mot « sont
durs, Ăąpres de tons, trop gigantesques ; les plantes vertes ne
sont pas doucement balancées par la brise, mais seulement
secouĂ©es par les tempĂȘtes, les troncs de cyprĂšs ressemblent aux
colonnes en faisceaux des cathédrales, les oliviers, les lauriers,
les myrtes et les orangers â tout cela manque de grĂące, de
douceur, est trop dur de ton et de lignes, comparé à la flore de
l'Europe centrale ». George Sand le répÚte sur tous les tons dans
ses articles les Bois et la Villa Pamphili. Seules les fleurs d'Italie
la ravissaient, les sauvages comme celles qu'on cultivait dans les
jardins, et elle en parle avec admiration dans le dernier de ces
deux articles, dans les pages intitulées les Jardins en Italie et
dans ses lettres privées. Dans ce dernier article elle décrit encore
avec beaucoup de sympathie ces fantaisies du dix-huitiĂšme siĂšcle
qui sont restées à peu prÚs intactes dans les jardins des villas
romaines : « ruines », cascades et cascatelles, lacs artificiels et
arbres chantants, escaliers gigantesques menant Ă quelque
pavillon minuscule, grottes, portiques, colonnades, etc., etc. Il
est Ă©vident que toutes ces bĂątisses et tous ces ornements si naĂŻve-
ment romantiques avaient fait vibrer la corde sensible de
George Sand, son amour de tout ce qui Ă©tait quelque peu
empreint d'un romantisme d'opéra. Au contraire elle resta
froide à l'égard de l'antiquité classique, et en décrivant Rome
et ses monuments avec une dose trĂšs visible de critique et de
scepticisme, elle parle avec enthousiasme de toutes ces villas, ces
3<5o GEORGE SAXD
palais abandonnés et ces ruines aux environs de Frascati et
Albano oĂč elle passa quelques semaines avec Maurice et Manceau.
...Mais ! mais, quand on est sorti de cette immensité plate, quand
on arrive au pied des montagnes, c'est autre chose. On entre dans le
paradis, dans le troisiĂšme ciel. C'est lĂ que nous sommes.
...Le lieu oĂč nous sommes est si beau, si Ă©trange, si curieux, si sublime
et si joli en mĂȘme temps, que j'en aurai pour toute une saison Ă te
raconter. Réjouis-toi donc de notre fortune présente ; car nous sommes
enfin payés de nos fatigues et de nos déceptions, payés avec usure. Tu
peux lire ma lettre Ă Solange. Tu sauras comment nous sommes cam-
pés ; mais nos promenades, rien ne peut en donner l'idée. C'est à chaque
pas une découverte. Aujourd'hui, par exemple, nous avons passé la
journée dans un immense palais entiÚrement abandonné au haut d'une
colline. J'ai pensé à toi, mon petit Lambert. Ah ! qu'on serait heureux
d'ĂȘtre riche et d'associer tous ses enfants aux vrais plaisirs que l'on
rencontre. Que de souterrains, que de fleurs, que de ruisseaux, de cas-
cades, d'arbres monstrueux, de ruines, de cours abandonnées, de ro-
cailles brisées, de statues sans nez, d'herbes folles, de mosaïques cou-
vertes de gazon et d'asphodĂšles ! C'est Ă en rĂȘver ; et des galeries et des
escaliers sans fin qui s"en vont du ciel au fond de la terre, un tas de
constructions inexplicables, les vestiges d'un luxe insensé ensevelis
sous la misĂšre ; et tout cela au sommet d'un panorama de montagnes,
de terres, de mers Ă donner le vertige. C'est trop beau (1).
Toutes ces ruines romantiques et les villas frascatanes : Picco-
loiiuni, Taverna, Falconieri, Mondragone, George Sandles décrivit
dans son roman la Daniella.
Quant aux impressions de la vie et des mĆurs italiennes,
Mme Sand, malgré toute sa sensibilité artistique et son don d'ob-
servation, regardait tout ce qui se déroulait devant elle avec un
certain parti-pris empreint des doctrines Ă©mancipatrices du dix-
huitiĂšme siĂšcle et de celles de Leroux. Au lieu de simplement noter
sur le vif les mĆurs, les particularitĂ©s pleines de couleur, les us
et coutumes de la population et des hautes classes italiennes, ou
de s'extasier sur la beauté des pierres antiques, George Sand intro-
duisit d'emblée dans ses observations un élément de douleur et
(1) Il est trÚs intéressant de confronter ce passage avec la description du
lieu habité par Valreg. le héros du roman, dans Daniella (t. Ier, p. 119-121,
123-127, 271-278)
GEORGE SAND 361
d'indignation « civique » sur le « paganisme » et le « cléricalisme » ;
elle vit dans la misÚre, la paresse, la malpropreté et les superstitions
demi-païennes des méridionaux, les fruits de la domination des
« calotins » ; elle attribua atout le peuple la filouterie, la mendicité,
la fainéantise et l'avidité des bas-fonds urbains, qui sont surtout
en rapports avec les étrangers ; elle se déclara indignée par la
promiscuité des ruines antiques avec les haillons pittoresques
et les banales demeures modernes des indigents romains, et,
selon le proverbe russe, « elle ne vit pas la forĂȘt pour avoir trop
regardé les arbres » : elle ne sentit pas le parfum de cette vraie
antiquité de la Ville éternelle, son immuabilité au milieu de cette
accumulation incomparable de tous les styles, de toutes les
Ă©poques, de tous les siĂšcles, dont chacun Ă©prouve renchantement
sur les ruines du Forum, dans la basilique de San Paolo fuori le
mura, à San Pietro in Montorio, sur l'arÚne du Colisée, dans
quelque palais romain du moyen ùge ou sous les voûtes de l'édi-
fice colossal de Bramante. Et ce parti-pris se refléta dans ce
roman oĂč nous est racontĂ© l'amour romanesque du peintre Jean
Valreg pour une certaine stiratrice du nom de Daniella, c'est-Ă -
dire simplement pour une blanchisseuse frascatane, histoire
compliquée par la jalousie de l'ex-maßtresse de ladite stiratrice,
miss MĂ©dora, et les aventures fantastiques du libre-penseur italien
comte de Monte-Corona, que la police papale poursuit, ainsi que
Valreg. Les impressions négatives, produites sur l'auteur par la
vie italienne contemporaine se reflétÚrent tellement dans la Da-
niella que, lorsque ce roman parut, le vieil ami de Mme Sand,
Luigi Calamatta, lui adressa des reproches, lui disant qu'il
s'Ă©tonnait comment elle pouvait, d'une part, ne pas comprendre
les beautés du Colisée et de tous les merveilleux monuments
antiques, et, d'autre part, attaquer la malheureuse Italie oppri-
mée, souffrant sous le double joug : étranger et clérical. George
Sand répondit immédiatement à Calamatta par la lettre pleine
de signification que voici :
Nohant, 6 avril 1857.
Tu ne sais pas ce que tu dis avec ton Colisée, ton forum, ton grand
peuple et ton cri de vengeance que l'on doit crier sur les toits. Je te
362 GEORGE SAND
passe ton goût d'artiste, c'est ton droit, et je ne dispute pas avec ceux
qui ont leur puissance (une véritable puissance) dans leur point de vue.
Je serais bien fùchée de les ébranler, si je le pouvais, et, comme je ne
le peux pas, mes notions et mes instincts, Ă moi, sont le droit de ma
thĂšse, sans aucun danger ni dommage pour ceux qui sont forts avec
la thĂšse contraire.
Quant Ă ce que je devais dire sur les martyrs de la cause, je l'ai dit ;
mais cela doit rester dans le tiroir jusqu'Ă nouvel ordre. Tu crois donc
que l'on est libre de dire quelque chose? Je te trouve beau, toi, avec
tes mains dans tes poches, sur le pavé de Bruxelles ! J'ai essayé, au
dernier chapitre du roman, de faire pressentir quelque chose de ma
pensée ; mais il n'est pas dit encore que cela passe.
Trois lignes sur Lamennais ont été coupées à propos des capucins
de Frascati, chez lesquels il avait demeuré, et pourtant la Presse fait
son possible pour laisser vivre le rédacteur ; ma ! nous sommes dans
le royaume de la mort !
Donc, puisque l'on ne peut parler de ce qui, Ă Rome, est muet, para-
lysé, invisible, il faut éreinter Rome, ce que l'on en voit, ce que l'on
y cultive, la saleté, la paresse, l'infamie. Il ne faut faire grùce à rien,
pas mĂȘme aux monuments qui consolent les stupides touristes, fau:.
altistes sans entrailles, sans rĂ©flexion, sans cĆur, qui vous disent :
« Qu'est-ce que ça fait, les prĂȘtres et les mendiants? ça a du caractĂšre,
c'est en harmonie avec les ruines, on est trĂšs heureux ici, on admire la
pierre, on oublie les hommes. »
Eh bien non, je ne veux rien admirer, rien aimer, rien tolérer dans le
royaume de Satan, dans cette vieille caverne de brigands. Je veux
cracher sur le peuple qui s'agenouille devant les cardinaux. Puisque
c'est le seul peuple dont il soit permis de parler, parlons-en! celui
dont on ne parle pas est hors de cause. Si quelqu'un prend, grĂące Ă moi,
Rome, telle qu'elle est aujourd'hui, en horreur et en dégoût, j'aurai
fait quelque chose. J'en dirais bien autant de nous, si on me laissait
faire ; mais on a les mains liées, et je n'insiste jamais, pour que d'autres
s'exposent Ă ma place.
Et puis, d'ailleurs, nous autres Français, nous ne sommes jamais si
laids qu'un peuple dévot et paresseux. Nous nous trompons, nous nous
grisons, nous devenons fous. Mais pourrait-on, faire de nous ce que
l'on a fait de Rome? CM h sa ? peut-ĂȘtre ! Mais nous n'y sommes
pas.
Il est donc bon de dire ce qu'on devient quand on retombe sous la
soutane, et j'ai trĂšs bien fait de le dire Ă tout prix. Cela doit fĂącher des
cĆurs italiens ; s'ils rĂ©flĂ©chissent, ils doivent m'approuver (1).
(1) Corresp., vol. IV, p. 97-99.
GEORGE SAXD 363
Mais presque simultanément, précédant de peu de jours la
lettre privée de Calamatta à Mme Sand, parut dans le SiÚcle un
article d'Anatole de La Forge qui adressa Ă Mme Sand une
lettre ouverte au nom de MM. Henri Martin, Manin, Ary Schef-
fer, du général Ulloa et autres. Ces messieurs déclaraient leur
chagrin à propos des expressions dont George Sand s'était semé
en parlant de l'Italie. George Sand répondit sur-le-champ par une
lettre adressée au directeur politique du SiÚcle, M. Ha vin, et envoya
une copie de cette lettre Ă Charles -Edmond, pour l'imprimer dans
la Presse. Dans sa lettre inĂ©dite du 14 mars 1857 Ă ce mĂȘme
Charles Edmond, nous trouvons Ă ce propos les lignes suivantes :
Cher ami, je vous envoie ci-contre la copie d'une lettre que je vous
prierai de faire insérer dans la Presse, dÚs que le SiÚcle l'aura publiée,
et mĂȘme avant, si le SiĂšcle, qui ne m'aime pas du tout, tarde trop Ă
faire son devoir. J'y ai joint un en-tĂȘte, note explicative que vous arran-
gerez ou retrancherez si vous le jugez Ă propos, mais qui me paraĂźt
cependant utile pour préciser la question. Vous voyez qu'on m'at-
taque beaucoup parce que je me suis permis de dire la vérité sur l'état
de la population romaine, et que l'on veut sottement me faire
crime de ce dont on devrait me faire un remerciement. J'ai eu le cou-
rage de dire ce que l'Eglise fait des hommes qu'elle gouverne spirituel-
lement et politiquement, et de protester contre les touristes sans
entrailles qui pardonnent Ă l'abaissement de la race humaine, Ă cause
de la beauté de l'air et des pierres, du pittoresque des haillons et de la
mise en scÚne pontificale (choses souillées ou ratées bien réellement).
H devient donc bien nécessaire que nous nous entendions au plus
vite sur le résumé de la fin et que vous me le laissiez aussi entier que
possible. Autrement vous me livreriez aux hĂȘtes, et vous ĂȘtes trop che-
valier slave pour le vouloir.
Cependant si vous croyez pouvoir me donner plus de liberté en met-
tant en note que vous n'endossez pas, en tant que journal (opinion col-
lective) la responsabilité de mon dire, vous ne me fùcherez pas : faites.
Emile (1) a dĂ» vous voir pour nos affaires. Je travaille donc toujours
pour vous (2) ; Ă vous de cĆur.
G. Sand.
Ne négligez pas de me répondre pour cette conclusion du roman,
il le faut absolument.
(1) Emile Aucante
(2) V. plus loin p.
p. 382.
364 GEORGE SAND
Quant Ă sa lettre mĂȘme, adressĂ©e aux journaux, elle est ainsi
conçue :
A Monsieur Havin, directeur politique du « SiÚcle »
Monsieur,
Veuillez me permettre de dire, dans votre honorable journal, que si
MM. Henri Martin, Manin, Ary Schefßer et le général Ulloa pensaient
avoir un reproche Ă m'adresser, ils ne se fussent pas servis de la plume
d'un intermĂ©diaire. Je connais assez leur loyautĂ© pour ĂȘtre trĂšs cer-
taine qu'ils n'ont chargé personne de la rédaction d'un manifeste
contre moi.
En ce qui touche particuliĂšrement M. Henri Martin, qui veut bien
m'honorer depuis longtemps de son amitié, j'affirme qu'une discussion
affectueuse et réfléchie m'eût été présentée par lui dans une lettre
particuliĂšre, sans jamais prendre la forme d'un procĂšs de tendance
Ă la voie des journaux.
Je n'ai donc point à répondre à la lettre de votre correspondant,
et je me fie à votre délicatesse pour l'insertion immédiate de la mienne
dans les colonnes du SiĂšcle.
Agréez, monsieur, l'expression de mes sentiments trÚs distingués,
George Saxd.
Notant, 14 mars 1857 (1).
En réponse à ces lignes vint de la part de MM. Manin, Ulloa
et Ary Schefßer la confirmation d'avoir en effet chargé M. de
Laforge de donner voie Ă leur protestation. Alors George Sand
fit paraßtre, toujours dans le SiÚcle, une seconde lettre adressée
cette fois directement Ă MM. Manin, Ulloa et Ary SchefĂźer.
Messieurs,
Puisque vous avez cru devoir signer la déclaration suivante publiée
dans le SiĂšcle :
« Nous déclarons avoir autorisé M. Anatole de la Forge à exprimer
nos regrets Ă Mme Sand, Ă propos des expressions dont elle s'est servie
en parlant de l'Italie. »
Permettez-moi de vous demander s'il vous convient de signer la
déclaration complÚte.
(1) Cette lettre parut dans le SiĂšcle du 18 mars 1857.
GEORGE SAND 365
A savoir qu'il résulte de la lecture entiÚre du roman intitulé la Da-
nieUa.
« Que les opinions de Mme Sand ont subi une triste métamorphose;
qu'elle insulte Ă l'infortune d'un peuple opprimĂ© ; qu'elle prĂȘte V appui
de sa plume aux détracteurs de l'Italie ; qu'elle ajoute sa signature
au bas de l'acte d'accusation que dressent contre l'Italie d'aveugles et
injustes persécuteurs; que les amis de l'Italie sont affligés de la rencon-
trer dans les rangs de ses adversaires; enfin, que de gaietĂ© de cĆur, elle
lance l'outrage aux fronts sur lesquels elle devrait placer des cou-
ronnes. »
Vous devez, messieurs, cette déclaration à M. Anatole de la Forge,
ou vous me devez, à moi, une réparation d'honneur. Ce n'est pas parce
que je suis une femme que vous auriez bonne grĂące Ă me la refuser.
Mais s'il vous plaßt d'assumer la responsabilité des expressions dont
s'est servi votre interprĂšte en parlant de moi, et de faire connaĂźtre que
ses sentiments sur mon compte sont les vĂŽtres, je me le tiendrai pour
dit et ne répondrai pas un mot, n'ayant plus alors qu'à pardonner une
horrible injustice Ă des hommes qui ont beaucoup fait, l'un pour son
art, les autres pour leur patrie.
Ce silence et ce pardon seront de ma part une justification plus frap-
pante que des paroles. Les cĆurs droits n'y verront point une fin de
non-recevoir, mais un acte de respect envers vous, aussi bien qu'envers
moi-mĂȘme.
Agréez, Messieurs, l'expression de mes sentiments trÚs distingués.
George Sand.
Nohant, 19 mars 1857.
Ce mĂȘme jour, le 19 mars, elle Ă©crit Ă Charles Edmond :
Cher ami, vous ne m'Ă©crivez pas, vous m'envoyez mes Ă©preuves
sans dire ce que vous comptez retrancher. Vous ne pouvez, sans me
blesser et m' affliger beaucoup, me laisser désarmée devant l'insulte que
m'infligent MM. Manin, Ary Scheffer et Ulloa. Je vous prie donc de
ne rien retrancher de ce que je marque au crayon, ou je serai forcée
de sommer le SiĂšcle, qui ouvre ses colonnes Ă l'outrage, de publier le
chapitre à ses risques et périls. Comment trouvez-vous ces exécuteurs
des hautes Ćuvres?
Mais votre silence me tourmente. Songez que la querelle devient grave
pour moi.
A vous de cĆur,
G. Sand.
366 GEORGE SAND
Enfin le 2 avril elle inséra une derniÚre lettre à ces messieurs,
ainsi rédigée :
Messieurs,
Je dois accepter vos explications, bien qu'elles ne me satisfassent
pas complĂštement. Quant Ă M. Ary Sclieffer, qui n'a pas dans les mal-
heurs on les travaux de sa vie politique les mĂȘmes excuses Ă une trop
vive susceptibilité, je pardonne à l'artiste, ainsi que je F ai promis, et
je le mets hors de cause.
Quant Ă vous, messieurs, je persiste Ă trouver votre alarme mal
fondée, et votre empressement à la laisser traduire en paroles publiques
trÚs irréfléchi. Je n'ai pas besoin que l'on m'enseigne ce que je dois de
respect et d'affection aux martyrs de FItalie ; je le sais.
En disant que l'Italie ne saurait ĂȘtre purifiĂ©e (1), j'ai fait parler un
personnage de roman qui doute de la femme qu'il aime et qui, dans um
heure de spleen, l'identifie avec le milieu qu'elle habite, avec la terre Ă
laquelle elle appartient. Quelques chapitres plus loin, il retrouve, dans
la pureté de cette femme, l'espoir et la foi qui lui manquaient. C'est ce
qui m'a fait dire qu'un roman ne devait pas ĂȘtre lu comme un recueil
de sentences. Les hommes politiques ne sont pas forcés de savoir ee
que c'est qu'un roman, et comment le fait y répond, parfois mieux que
les paroles, aux axiomes placés dans la bouche des personnages. Mais
aussi les hommes politiques ne sont pas forcés de lire ces sortes d'ou-
vrages et de les juger. Ce n'est pas leur Ă©tat.
En disant qu'un peuple a le gouvernement qu'il mérite (2), j'ai trÚs
(1) Cette expression se rapporte aux lignes de Daniella : « Mais quoi,
pensais-j e, en m' arrachant au charme qui me dominait, ce vaste ciel et ces
sales décombres, ces fleurs luxuriantes et ces égouts infects, ces yeux eni-
vrants et ces cĆurs sonillĂ©s, n'est-ce pas lĂ toute l'Italie, vierge prostituĂ©e
à tous les bandits de l'univers, immortelle beauté que rien ne peut détruire,
mais qu'aussi rien ne saurait purifier?... » (Daniella, t. Ier, p. 217X
(2) On lit Ă la page 87 du t. II de DameUa :
« ...Je remarquai, au bout d'un instant, que le prince et le docteur n'étaient
nullement d'accord sur les moyens de sauver l'Italie. Plus logique et plus
courageux d'esprit que son ami, le docteur voulait renverser les vieux pou-
voirs. Le prince, aussi hardi de caractĂšre que timide de principes, ne s'en
prenait qu'aux abus, et rĂȘvait un retour Ă l'Italie de LĂ©on X et des MĂ©dicis,
sans vouloir avouer que ces abus avaient pris d'autant plus d'essor et de
licence que Rome et Florence avaient eu plus d'Ă©clat, d'artistes, de luxe et
d'aristocratie. Quant Ă son gouvernement napolitain, il en parlait avec
horreur et mépris, mais sans pouvoir admettre l'idée de remplacer l'autorité
absolue par une constitution démocratique. Il avait vu la populace de son
pays se faire l'exĂ©cuteur des hautes Ćuvres de la tyrannie, et il ne pouvait
sacrifier la répugnance trop fondée du fait à l'enthousiasme du principe.
J'en concluais, en moi-mĂȘme, que lĂ oĂč des natures bienveillantes et sincĂšres
GEORGE SAND 367
nettement et trÚs clairement désigné et spécifié le lazzaronisme napo-
litain. Mais quand mĂȘme j'aurais appliquĂ© la sĂ©vĂšre parole de M. de
Maistre Ă toute l'Italie, ce qui, par rapport Ă la politique d'invasion
de l'Autriche n'est pas et ne peut pas ĂȘtre, je n'aurais fait que rendre
plus d'hommage aux minorités qui protestent.
Les expressions dont on s'est servi Ă mon Ă©gard, sont donc blessantes
pour le plaisir de l'ĂȘtre, et resteront comme une grave erreur dans la
vie du jeune homme qui s'en est fait un mérite à vos yeux. Vous ne les
avouez pas, je le crois bien ! Mais en faisant si bon marché de mon
mécontentement et en me disant que le débat n'est pas là , vous vous
trompez. H est lĂ et non ailleurs, car je n'admets pas qu'il y ait dis-
cussion entre nous sur la question italienne au point de vue oĂč il vous
plaĂźt de la placer.
Quant aux paroles de mon ami M. Henri Martin, avec lesquelles
vous désiriez conclure, comme dans une lettre particuliÚre il m'a déclaré
n'avoir pas lu le roman, je suis certaine qu'il m'autorise Ă changer cette
conclusion et Ă dire que, non seulement j'ai servi et servirai encore
la cause de l'Italie, mais que je la sers aujourd'hui mieux que jamais.
Agréez, messieurs, l'expression de mes sentiments trÚs distingués.
George Sand.
Nohant, 29 mars 1857.
Mme Sand ajouta, de plus, Ă l'adresse de M. Manin seul, les
lignes suivantes :
Nohant, 30 mars 1867.
Monsieur,
Au moment d'envoyer cette lettre au SiÚcle, je reçois celle que vous
me faites l'honneur de m' adresser en particulier. Je vous en remercie ;
mais il ne me convient pas de vous en remercier en secret. On s'est
piqué d'assez de franchise envers moi pour que je puisse réclamer un
peu de sincérité. C'est donc avec sincérité et devant tout le monde,
que je consens Ă vous serrer la main.
George Sand.
comme celle de ce prince avaient le peuple en aversion, c'Ă©tait la faute du
peuple et qu'un critérium de l'état de maturité de la démocratie d'un pays
devrait ĂȘtre la confiance qu'elle inspire aux esprits Ă©levĂ©s ou aux cĆurs
aimants. On pourrait dire à un peuple : « Dis-moi de qui tu es aimé, et je te
⹠dirai qui tu es. » Je crois que de Maistre a dit « qu'un peuple a toujours
« le gouvernement qu'il mérite d'avoir. »
36S GEORGE SAND
Toutefois Mme Sand « tendit la main », mĂȘme Ă Manin, pas
trÚs franchement, mais bien avec un dépit rentré, comme on
le voit par sa lettre inĂ©dite Ă Charles Edmond datĂ©e de ce mĂȘme
30 mars. AprÚs y avoir vanté Xefftzer qui avait fait preuve d'un
grand courage personnel en cette affaire et témoigné beaucoup
d'amitié à Mine Sand, et aprÚs avoir parlé de l'entreprise d'Emile
Aucante qui avait fondé à Paris un bureau littéraire dans le but
de faciliter les relations entre les Ă©crivains et les Ă©diteurs,
Mme Sand ajoute que les Ă©diteurs devraient eux-mĂȘmes com-
prendre l'utilité d'une telle entreprise.
Mais, dit-elle, qui est-ce qui comprend quelque chose? Ce n'est pas
Manin qui comprend le français, ni Ary Scheffer qui comprend l'ita-
lien, ni notre gouvernement qui comprend la papauté comme il faut.
Comprenez que je suis Ă vous de cĆur et chargez-vous de mon billet
pour M. Nefftzer.
C'est ainsi que cet incident fut enfin clos. Mais Mme Sand
avait accumulé en son ùme beaucoup d'amertume. Ces lignes
Ă©crites Ă Charles Poney le 20 avril en sont la preuve :
Nohant, 20 avril 1857.
...Je suis bien aise que Danielh vous ait amusé. La danse a fini par
un coup de balai que la police m'a donné dans les jambes, pourm'ap-
prendie Ă dire que le pape Ă©tait un fichu souverain et sa prĂȘtraille une
clique. La police est si pieuse ! Et puis, quelques Italiens bĂȘtes m'ont
cherché noise, ce qui m'a forcée de me moquer d'eus. Vous avez dû
voir tout cela dans le SiĂšcle. Si vous ne l'avez pas lu, par hasard,
ne le cherchez pas, ça n'en vaut pas la peine...
C'est ainsi que Daniella causa Ă son auteur beaucoup d'ennuis
et d'inquiétudes. Il faut d'autre part noter, dÚs à présent, que
l'excitation extrĂȘme de Mme Sand contre le catholicisme et le
clergĂ© â qui se fait dĂ©jĂ sentir dans la Daniella et dans les lettres
d'Italie et se laisse de plus en plus remarquer chez elle dĂšs cette
Ă©poque, â arriva Ă son apogĂ©e dans la dĂ©cade suivante, de 1860
Ă 1870, et se fit voir dans des Ćuvres littĂ©raires ainsi que dans
GEORGE SAND 369
certains faits notoires de sa vie privée, dont nous parlons plus
loin.
Les ennuis causés par Daniella ne se bornÚrent toutefois point
Ă cette polĂ©mique de journaux. La Presse, oĂč parut ce roman,
reçut deux avertissements successifs, parce que les tendances
anticléricales de l'auteur, ainsi que la narration des exploits
accomplis par Jean Valreg en compagnie des membres d'une
société secrÚte, le prince de Monte-Corona et son médecin, pour
déjouer la surveillance de la police et pour s'échapper heureu-
sement ne pouvaient ĂȘtre du goĂ»t des ministres et censeurs
napoléoniens. La Presse reçut donc, en décembre, un troisiÚme
avertissement l'exposant Ă la suspension sans autre forme de
procĂšs. Mme Sand, sentant que les deux premiers avertissements
l'atteignaient, fut effrayée à l'idée de voir un millier de travail-
leurs, protes et autres, jetés sur le pavé, si le journal était sus-
pendu. Elle comprit que le roman mécontentait surtout l'impé-
ratrice Eugénie, protectrice des cléricaux, et elle s'adressa bra-
vement à cette derniÚre, implorant sa protection et sa miséri-
corde pour les malheureux ouvriers innocents (1).
En 1859, lors de la guerre pour l'indépendance italienne,
George Sand a fait paraĂźtre deux articles par lesquels elle semble
avoir voulu effacer l'impression déplaisante produite sur les
lecteurs italiens de Daniella par certaines de ses pages. D'autre
part Mme Sand semble avoir voulu aussi faire la paix avec
M. de La Forge et lui faire oublier la polémique de 1857. Dans
son article Garibaldi, en racontant la vie de ce grand homme
d'aprĂšs plusieurs de ces biographes, elle citait, aprĂšs M. F.-T.
Perrens, huit lignes de M. Anatole de la Forge. Et aprĂšs avoir
transcrit quelques lignes de lui, peignant la vie de Garibaldi
au milieu de sa famille sur l'Ăźle de Caprera, elle recitait encore
une fois M. de La Forge (son article paru le 26 mai 1859 dans le
SiÚcle), en faisant précéder cette citation de ces mots flatteurs :
(1) Cette lettre à l'impératrice, datée du 9 décembre, fut remise aux bons
soins de Mme de Contades qui, ainsi que le comte d'Aure, MM. Damas-
Hinard et le baron de Pierre, avait maintes fois aidé Mme Sand dans ses
dĂ©marches auprĂšs de l'impĂ©ratrice. La lettre touchante de Mme Sand Ă
Mme de Contades, datĂ©e de ce mĂȘme 9 dĂ©cembre, reste inĂ©dite.
iv. 24
37° GEORGE SAND
i Nous citerons encore avec plaisir M. A. de La Forge pour
dire... » etc., etc.
Et dans son article la Guerre, George Sand consacrait au
pays qu'elle avait si sévÚrement jugé dans Danieïïa les lignes
enthousiastes que voici :
...Oui, chĂšre Italie, sĆur de la France, on naĂźt chez nous avec ton
amour dans le cĆur. C'est un instinct passionnĂ© qui lutte et qui souffre
comme le tien lutte avec l'amour de la liberté. Quand on met le pied
sur ton sol et que l'on te voit Ă©teinte et comme morte sous le poids
de l'étranger, on est tenté de te maudire et l'odeur de tes sépulcres
vous navre et vous glace. Mais, si tu fais un mouvement, si tes morts
ressuscitent, si tes enfants accablés se relÚvent, si tu jettes en cri d'ap-
pel et de détresse vers nous, à son tour, notre sang se ranime et bouil-
lonne.
Oui, c'est bien une voix du sang, et nous volons vers toi, entraßnés
par une puissance qui ne raisonne plus, et qui fait bien de ne pas rai
sonner.
Kaisonner sur quoi? Elle est tombée par sa faute, cette infortunée?
elle nous a méconnus souvent? elle a été victime de miKe erreurs?
elle a été égarée par la superstition, paralysée par le dégoût, vaincue
par les délices de son climat, endormie par les pompes de son culte et
l'orgueil de ses beaux-arts ! Soit, c'est possible, mais la voilĂ qui
souffre et qui crie. Entendez -vous? on la brise, on la torture, cette
reine déchue de l'ancien monde, cette déesse de l'intelligence, source
immortelle du feu sacré des nations ! Courons, il faut la sauver... Si
rien n'est plus déplorablement illogique que l'Italien asservi, rien n'est
plus beau que de le contempler dans le retour de sa volonté et de sa
force. Comme le Français, l'Italien ne sait rien ĂȘtre Ă demi...
Nous nous sommes longuement arrĂȘtĂ©s sur la polĂ©mique pro-
voquée par Danieïïa. justement parce qu'elle avait éveillé tant
de bruit en son heure, mais aussi parce que ce roman résume
les impressions italiennes de George Sand en 1855 et qu'il est,
en mĂȘme temps, l'Ă©cho de ses sympathies dĂ©mocratiques et pro-
gressistes que ni les circonstances ni les années ne parvenaient
Ă Ă©touffer (1). Comme Ćuvre littĂ©raire, la DanieĂŻĂŻa ne mĂ©rite
(1) La DanieĂŻĂŻa s'appelait d'abord Jean Valregroman-voyage etl'introduc-
tion manuscrite primitive est tout autre que celle qui fut publiée et qui
s'imprime en tĂȘte du roman depuis 1857.
GEORGE SAND 371
pas tant d'attention. La fable se distingue non seulement par
un entassement d'improbabilités romantiques, d'une quantité
excessive de bandits, de souterrains, de capucins et d'espions,
mais encore d'un certain manque de goût spécial, qui caractérise
les Ćuvres contemporaines de ce que nous appelons V Ă©poque
théùtrale de Nohant. Dans les piÚces de marionnettes, ainsi que
dans les piÚces improvisées du théùtre de Nohant, toutes sortes
de meurtres arrivaient Ă chaque moment, et certes il Ă©tait bien
indifférent pour les spectateurs combien de pupazzi Balandard
ou Pierrot assommaient de leur latte ou combien de malfaiteurs
le héros de la commedia déW arte transperçait de son épée, les
enfilant comme des cailles sur une broche. Tout cela Ă©tait si
lisiblement invraisemblable que cela n'excitait aucune Ă©motion.
Mais lorsque Jean Valreg et d'autres héros du roman de George
Sand qui, comme tous les romans possibles, tĂąchent avant tout
de donner au lecteur l'illusion de la réalité, lorsque ces héros,
dĂšs le premier chapitre, tantĂŽt fracassent la tĂȘte d'un bandit ou
jettent au bas d'un mur un espion, frÚre de l'héroïne, ou tirent
un coup de fusil Ă bout portant sur quelqu'un d'autre encore,
alors le lecteur Ă©prouve une gĂȘne et s'Ă©tonne infiniment que la
plume de George Sand ait pu Ă©crire de telles scĂšnes et aventures,
bonnes pour des romans de petite presse et paraissant surtout
déplacées au milieu de pages remplies de fines analyses psycho-
logiques et de poétiques tableaux de la nature. Cela manque de
tact et de goût ; et la cause de cette aberration du goût, nous
sommes positivement enclins Ă la voir dans l'engouement simul-
tané de Mme Sand pour les bouffonneries et les mélodrames
outrés de marionnettes, dans son habitude de la redondance et
des trucs de la comédie italienne.
Le séjour en Italie réveilla chez Mme Sand son ancienne
passion des voyages, mais n'ayant ni les moyens ni le
temps d'entreprendre tous les ans quelque grand voyage
à l'étranger, elle se borna l'année suivante à faire en com-
pagnie de Manceau une excursion dans sa chĂšre forĂȘt de Fon-
tainebleau.
Dans sa lettre Ă Charles Poney, du 23 juillet 1856, nous trou-
372 GEORGE SAND
vons à ce propos les lignes suivantes, trÚs intéressantes pour
nous :
...J'ai tant manqué à mes espérances, que je ne veux plus fixer de
but Ă mes courses.
Celle que je méditais l'hiver dernier s'est résolue en quelques jours
d'avril dans la forĂȘt de Fontainebleau, une des plus belles choses du
monde, il est vrai, mais si prĂšs de Paris, qu'on n'appelle mĂȘme pas cela
une promenade. J'aspire pourtant toujours Ă V absence. L'absence pour
moi, c'est le petit coin oĂč je me reposerais de toute affaire, de tout
souci, de toute relation ennuyeuse, de tout tracas domestique, de toute
responsabilité de ma propre existence. C'est ce que j'avais trouvé
l'autre année, à Frascati pendant trois semaines, et à la Spezzia pen-
dant huit jours. C'est lĂ ce que je demande au bon Dieu de retrouver
pendant six mois quelque part, sous un ciel doux et dans une nature
pittoresque ; rĂȘve bien modeste, mais qui passe devant moi dix ans
de suite sans se laisser attraper...
L'année suivante, en 1857, Mme Sand réussit à « attraper »
son rĂȘve et Ă rĂ©aliser son Ă©ternelle aspiration, vivre dans une
« maison déserte » ou dans une « chaumiÚre » (1).
A la fin de juin de cette année Mme Sand s'en vint avec
Manceau et avec le naturaliste M. Depuiset faire une petite
excursion aux bords de la Creuse ; elle la refit au commencement
de juillet â aprĂšs le dĂ©part de 11 Depuiset pour Paris et le
retour de Maurice, â avec ce dernier et avec l'actrice BĂ©rangĂšre
qui passa, cet été, quelques semaines à Xohant.
Lors de ces deux excursions Mme Sand se prit d'amour pour
le petit village de Gargiiesse situé au bord de la petite riviÚre
du mĂȘme nom, confluent de la Creuse, dans une vallĂ©e profonde,
protégée de tous cÎtés par des montagnes. Les environs de Gar-
giiesse attiraient Mme Sand par leur pittoresque et par la richesse
de leur flore et faune. On y attrapait souvent des spécimens rares
de papillons et d'autres insectes qui ne se rencontrent qu'au
Midi de la France ou en Algérie, ce qui s'explique par la tempé-
(1) Remarquons qu'en 1856 parut dans le Magasin pittoresque un article
anonyme intitulé la Maison déserte, dont George Sand se reconnut plus
tard l'auteur. C'est ainsi que pendant plus de vingt ans George Sand resta
fidĂšle Ă cette passion pour une maison dĂ©serte, rĂȘve fait dĂ©jĂ en 1835-36.
( Voir notre vol. II, p. 249-250.)
GEORGE SAND 373
rature constante et assez élevée de ce petit vallon. L'eau de la
riviĂšre paraissait Ă Mme Sand souveraine pour les maladies
d'intestins et de reins. Enfin la possibilité de se cacher pour
plusieurs jours dans un endroit oĂč n'arrivaient ni les lettres
demandant des rĂ©ponses, ni les visiteurs importuns, oĂč l'on
pouvait, en toute liberté, travailler dans un calme absolu et
dans le milieu le plus primitif, dans une maisonnette déserte tant
recherchĂ©e par George Sand, â tout cela fit qu'elle se prit Ă
rĂȘver d'habiter Gargilesse, ne fĂ»t-ce que pendant une dizaine de
jours, ou de pouvoir s'y réfugier de temps à autre.
Alors Manceau, toujours prompt à se décider quand il s'agis-
sait de faire plaisir Ă autrui ou de rendre service Ă quelqu'un de
ses proches, prĂȘt surtout Ă tous les sacrifices pour Maurice et
pour sa mĂšre, acheta l'une des maisonnettes qui plaisait Ă
Mme Sand. On commença immĂ©diatement Ă la rĂ©parer et Ă
l'arranger, afin que chacun y eût son petit coin, lors des séjours
Ă Gargilesse.
Ces excursions aux bords de la Creuse par les journées brû-
lantes de juillet, les chasses aux lépidoptÚres et aux scarabées,
faites par les jeunes entomologistes en plein midi, les causeries
avec le pĂȘcheur de l'endroit, Moreau du Pin, les dĂ©jeuners cham-
pĂȘtres au bord de la riviĂšre, les escalades des rochers et des pics,
bref, tout le séjour à Gargilesse et l'acquisition de la maison-
nette, George Sand le décrivit avec une verve, un entrain et
une poésie incomparables dans une série d'esquisses intitulées
Promenades autour d'un village, mais imprimées d'abord sous le
titre de Courrier de village dans le Courrier français de 1857.
Selon une habitude de théùtre, George Sand y fit apparaßtre
tous ses compagnons de voyage, non pas sous leurs vrais noms,
mais sous leurs noms de guerre ou sobriquets. C'est ainsi que
Manceau s'appelle du nom d'un rare papillon attrapé par lui :
Amyntas, Depuiset â toujours Ă la recherche des chrysalides â
Chrysalidor, Maurice : Parfhénias; Mlle BérangÚre doit à sa blan-
cheur de teint et à sa pureté le nom de Herminea, Mme Sand
elle-mĂȘme voulait aussi s'appeler du nom d'un papillon rare
trouvé par elle, mais « ne le fit pas par modestie ».
374 GEORGE SAXD
Cette habitude de donner des sobriquets et des noms d'em-
prunt Ă tous et Ă tout et de travestir les choses les plus simples
d'une teinte de fiction un peu théùtrale, était invétérée à Xohant.
Son reflet paraĂźt dans les Ćuvres littĂ©raires de Mme S and. C'est
ainsi que la maisonnette de Gargilesse fut baptisée du nom de
la villa Algira. Xohant lui-mĂȘme s'appela chĂąteau de la ChimĂšre
ou chùteau de la Plume. Et lorsque George Sand commença
en 1856 dans la Presse une série d'esquisses de critique (1), elle
les Ă©crivit sous forme de dialogues et de causeries se passant,
il est vrai, autour de la Table, confectionnée par le menuisier
nohantais fort réel, Pierre Bonnin, mais dans une famille ima-
ginée, les Montfeuilly. Tous les habitants de Xohant y appa-
raissaient sous de faux noms : Julia â a la gĂ©nĂ©reuse et enthou-
siaste fille du voisin r, Louise de Montfeuilly, Vaïeule, Théodore,
â l'aĂźnĂ© des Monfeuilly, â VabbĂȘ et V codeur, qu'on prĂ©tendait
n'ĂȘtre ni l'aĂźnĂ© ni le chef de la famille. GrĂące Ă tout cela, ees
esquisses ne sont ni une vraie Ćuvre d'imagination, ni de la vraie
critique; elles appartiennent au genre hybride et manquent
de la signification qu'elles auraient, si elles étaient présentées
comme l'expression franche et directe des opinions critiques de
George Sand.
Inous nous sommes d'ailleurs écartés du sujet en parlant de
l'habitude qui s'était développée chez Mme Sand de tout théù-
traliser dans son entourage, Ă commencer par les noms propres.
Revenons Ă l'installation Ă Gargilesse : voici ce que nous
lisons dans les Promenades autour d'un village :
...Nous rĂȘvions, nous autres qui ne sommes pas forcĂ©s de vivre Ă
Paris, de nous arranger un pied-Ă -terre au village. La maisonnette
oĂč nous avions dormi Ă©tait Ă vendre pour ce prix modeste de cinq cents
à mille francs dont on nous avait parlé. Amyntas la voulait pour lui.
Moi, j'avais envie de la maisonnette renaissance.
Tout se passa en projets ce jour-lĂ .
...On a beaucoup discuté une question fort simple que j'appellerai,
si l'on veut, le secret de la chaumiĂšre.
(1) Ces articles parurent dans 7a Presse du 24 juin eu 25 octobre 1856
sous le titre de Autour de la table; puis furent réimprimés en volume sous
le mĂȘme titre.
GEORGE SAND 375
Tous altiste aimant la campagne a rĂȘvĂ© de finir ses jours dans les
conditions d'une vie simplifiée jusqu'à l'existence pastorale, et tout
homme du monde se piquant d'esprit pratique a raillĂ© le rĂȘve du poĂšte
et mĂ©prisĂ© l'idĂ©al champĂȘtre. Pourtant il y a une mystĂ©rieuse attrac-
tion dans cet idéal, et l'on pourrait classer le genre humain en deux
types : celui qui, dans ses aspirations favorites, se bĂątit des palais, et
celui qui se bĂątit des chaumiĂšres.
Quand je dis chaumiĂšre, c'est pour me conformer Ă la langue clas-
sique. Le chaume est un mythe Ă prĂ©sent, mĂȘme dans notre bas Berry.
...Va pour chaumiÚre ! Trouverai-je mon idéal dans ce village? Non,
un idéal, cela ne se trouve nulle part.
Combien j'ai salué, en passant, de ces chaumiÚres décevantes dans
des sites sĂ©duisants ! Combien j'en ai dessinĂ© dans ma tĂȘte, enfouies
dans des solitudes à ma fantaisie ! Je n'avais jamais songé à les placer
dans un village.
Mme Sand dit plus loin qu'elle eut le désir de s'initier à l'exis-
tence des paysans, en vivant chez eux, dans leur village. A
l'entendre, idéalistes et réalistes (1) peignent en bien ou en mal
des paysans aussi fantastiques les uns que les autres. Ni des
ĂȘtres aussi sales ou grossiers, ni « des bergers roses et frisĂ©s »
qu'ils nous présentent n'ont jamais existé (2). Puis, elle revient
Ă l'acquisition de la maisonnette de Gargilesse :
...Amyntas s'est dĂ©cidĂ©ment Ă©pris de la maisonnette oĂč nous sommes
logĂ©s. Il y rĂȘve une installation possible, un pied-Ă -terre tolĂ©rable au
milieu du monde enchanté des fleurs, des ruisseaux et des papillons.
Pourquoi pas? H a bien raison (3).
(1) Lors de l'impression de ces pages sous le titre primitif de Courrier
de village dans le Courrier français, il se trouvait à cet endroit dans le texte
de Mme Sand une assez longue digression sur le réalisme, qui fut supprimée
quand les Promenades autour d'un village parurent en volume. Ce morceau
fut réimprimé plus tard dans les Questions d'art et de littérature sous le titre
de RĂ©alisme. Il renferme quelques pages fort intĂ©ressantes consacrĂ©es Ă
l'analyse et à la défense de Madame Bovary, de Flaubert.
(2) Remarquons qu'au moment oĂč parurent ces lignes, il n'y avait que
les Paysans de Balzac qui existaient en littérature ; la Terre, de Zola, n'avait
pas eneore réjoui le monde des humains par son apparition.
(3) Mme Sand avait, elle aussi, toujours eu une passion pour les ruisseaux;
elle écrivit deux petites bluettes charmantes consacrées spécialement à leur
murmure, leur babillage ; l'un de ces morceaux, le Ruisseau, fit partie du
recueil le Keepsake édité en 1854 à Londres par miss Power ; l'autre parut
dans la Revue des Deux Mondes de 1863 sous le titre de Ce que dit le mis-
376 GEORGE SAND
J'avais grande envie aussi de cette chaumiÚre, bien qu'elle ne réalise
pas mon ambition pittoresque. Vingt autres sont plus jolies ; mais
c'est la seule en vente, et j'allais m'en emparer... Mais notre ami
réclame la priorité de l'idée. H nous demande de lui laisser arranger
cette chaumiÚre à son gré et de devenir ses hÎtes dans nos excursions
sur la Creuse. Nous retirons nos prétentions.
H échange quelques paroles avec Mme Rosalie. Le voilà proprié-
taire d'une maison bùtie à pierres sÚches, couverte en tuiles, et ornée
d'un perron Ă sept marches brutes ; d'une cour de quatre mĂštres
carrés ; d'un bout de ruisseau avec droit d'y bùtir sur une arche,
plus d'un talus de rocher ayant pour limite un buis et un cerisier sau-
vage.
A partir de ce moment, je vois bien que l'insouciant Amyntas n'est
plus le mĂȘme.
AprĂšs le souper, car nous n'avons dĂźnĂ© qu'Ă neuf heures, le voilĂ
qui lĂšve des plans, qui mesure ses deux petites chambres, plante en
imagination des portemanteaux, creuse des armoires dans l'Ă©paisseur
de son mur, et dit Ă chaque instant : Ma maison, ma cour, mon rocher,
mon buis, mon cours d'eau, mes voisins, mes impĂŽts, â il en aura pour
deux francs vingt -cinq centimes ! â mes droits, mes servitudes, mon
acte, ma propriété, enfin ! C'est tout dire !
â N'en riez pas, dit-il ; qiĂč sait si ce n'est pas lĂ que, par goĂ»t ou
par raison, je viendrai terminer mes jours?
Ah ! qui sait, en effet? La mĂȘme idĂ©e m'Ă©tait venue pour mon compte,
quand je lorgnais cette splendide acquisition Ă laquelle il me faut
renoncer.
Mais l'aimable acquéreur s'en fait un si grand amusement, que je
suis dédommagée de mon sacrifice.
Revenue à Nohant à la nuit tombée le 14 juillet, Mme Sand
repartit pour Gargilesse le 26 juillet, avec Herminea seule, car
...Parthénias était dans le Midi [chez son pÚre à Guillery] et
Amyntas est parti avant-hier pour son village, afin de mettre les
ouvriers en besogne Ă sa vĂŻĂŻĂŻa. H nous permet cependant d'y passer
encore une bonne journée avant de leur céder la place...
Cette fois on passa Ă Gargilesse trois jours ; on y rencontra
le peintre Grandsire qui dessina beaucoup de sites dans les envi-
rons de Gargilesse et esquissa un petit tableau représentant le
seau. Il fut dédié à Manceau. (Voir plus loin chap. xii.) Nous en possédons
l'autographe qui nous fut donnĂ© par M. Ăniile Aucante. â W, K.
GEORGE SAND 377
dĂ©jeuner champĂȘtre de George Sand et de ses compagnons dans
un pré, au bord de la riviÚre. Ce petit tableau existe encore.
Malheureusement, le 29 déjà , il fallut repartir pour laisser la villa
d'Ainyntas aux réparations urgentes.
Nous ne reviendrons qu'Ă l'automne, et c'est alors seulement que
nous deviendrons assez citoyens de ce village pour en pénétrer les
mĆurs et les coutumes...
...Nous partons ; car il nous faut, pour une plus longue station,
d'humbles conditions d'Ă©tablissement qui nous permettent de ne pas
mener tout Ă fait la vie d'oisifs au milieu de ces gens laborieux.
Tous les détails et renseignements que nous avons puisés
dans les Promenades autour d'un village sont de tous points
confirmĂ©s par les lettres inĂ©dites de Mme Sand, Ă©crites aux mĂȘmes
dates de juin et de juillet 1857 et adressées à Maurice à Paris et
Ă Guillery :
Retour de Gargilesse, 27 juin 1857.
Cher minon, j'ai reçu ta lettre avant-hier en passant à La Chùtre,
pour aller Ă Crozant oĂč nous n'avons pas Ă©tĂ©. Nous nous sommes
laissés séduire par Gargilesse, qui dans cette saison est un paradis ter-
restre; au moment de le quitter aprÚs l'avoir traversé, nous avons
appris de Moreau (du Pin) notre ancien guide (l'homme aux mulets Ă
puces) qu'il y avait une bonne auberge et des petites chambres. Nous
y donnons un coup d'oeil, c'est d'une pauvreté primitive, mais Î sur-
prise! c'est propre. Nous nous décidons à y rester, on nous fait de la
cuisine excellente, et nous y serions encore sans la nécessité pour
Depuiset de retourner demain matin Ă Paris, si bien que nous venons
d'arriver ce soir, pas trop fatigués malgré une dizaine de lieues à pied
en deux jours sous un soleil des tropiques, Ă preuve que Manceau y
a pris un papillon d'Afrique et un autre du Midi de la France : Algira
et Gordius. Mais je ne te parle pas des papillons, Depuiset, bouleversé
de ces deux prises dans l'Indre, doit t'exprimer son enthousiasme. D a
été du reste trÚs sensible à la beauté du pays que nous avons arpenté
de la belle maniĂšre. De ChĂąteaubrun Ă Gargilesse par les bords de la
Creuse il y a un j oh bout de chemin, quatre heures de marche sans
chemins frayés, ça compte. Mais c'était l'heure de V effet (1). C'est un
(1) Expression fort en usage alors Ă Nohant parmi les jeunes peintres.
(Cf. la Correspondance, t. IV, avec ce que George Sand dit Ă la page 43
des Promenades autour d'un village et dans la Daniella.)
3/S GEORGE SAND
pays féerique et que malgré toutes nos courses nous ne connaissions
pas. La rĂ©gion de Gargilesse, oĂč nous n'avions fait autrefois que passer
par d'assez mauvais teins (1), est une serre chaude mĂȘme en hiver, et
quand le soleil y donne comme dans ce tems-ci, c'est beaucoup, beau-
coup plus chaud que Tusculum. Je ne crois pas avoir jamais eu si
chaud, je suis cuite comme une brique, et le jardinier me dit qu'il n'a
pas fait trÚs chaud aujourd'hui à Nohant. Mais quelle végétation dans
ces petites gorges de la Gargilesse oĂč nous avons Ă©tĂ© ce matin ! Man-
ceau a compris que nous n'étions pas enchantés de la gorge de Marino
et des rives de la Nenti (2). Quant Ă Depuiset il se croyait au sommet
des Alpes, je t'ai bien regretté, mais nous faisons des chùteaux en
Espagne pour avoir lĂ une cabane et quelles belles chasses tu y feras !
Je savais déjà ton succÚs de Bissextre et de lupins (3) par AngÚle
et son mari, qui y ont trouvé littéralement une foule. Us ont été se
faire photographier chez Xadar qui leur a dit que tu avais un grand
succĂšs, qu'il trouvait cela charmant et qu'il te soignerait dans un
article pour je ne sais plus quel journal. Il leur a dit aussi qu'il ne te
connaissait pas, mais qu'il t'aimait Ă cause de moi ; va donc le voir et
sois gentil avec lui.
Mme Villot aussi est charmante pour toi et parle de te faire avoir
une médaille. Elle dit que ce serait justice...
Nous savons par les Promenades autour d'un village qu'au
commencement de juillet Mme Sand fit une nouvelle excursion
à Gargilesse, et plus tard, aprÚs le départ de Maurice pour Guil-
lery, une troisiĂšme, ce qu'elle raconte Ă son fils dans sa lettre
du 30 juillet 1857 :
Nous recevons les lettres du 27. Je te bige à mort. Nous voilà reposés.
Il fait bien moins chaud ici décidément. Nous avons eu avant-hier
matin un peu d'orage et de pluie Ă Gargilesse. Ici presque pas.
...Nous avons renvoyé Jardinet à Gargilesse pour conduire les tra-
vaux de Manceau qui se paie trois cents francs de réparations à for-
fait. H n'y a pas moyen de l'empĂȘcher d'arranger sa baraque beau-
coup plus pour nous que pour lui. H en fait une cabine de navire en
" (1) En 1846. Voir notre vol. III, chap. vi.
(2) Ci. avec ce que lime Sand dit dans les Promenades autour d'un village
Ă la page^ 46, Ă propos des paysages italiens et des comparaisons avec les
sites au centre de la France faites par Manceau et Maurice.
(3) Ătres fantastiques que Maurice Sand avait esquissĂ©s entre autres dar>s
ses Visions à la campagne exposées au Salon en 1857 et qui parurent l'année
suivante en volume avec une préface de George Sand. Voir notre vol. III,
chap. vu.
GEORGE SAND 379
mesurant les centimĂštres pour que chacun ait tout son fourniment,
chacun son clou, son pot, la place de chaque botte, etc. etc. Il ne veut
plus que tu ailles coucher au chùteau ; nous avons appris sur la saleté
qui y rÚgne des détails à faire vomir un chien. En somme ce sera trÚs
amusant, et il satisfait à son gré ses deux passions, le dévouement et
le bibelotage. Je me dis cela pour me consoler de le voir obstinément
dĂ©penser ses petits profits. H a donnĂ© son rocher Ă BĂ©rangĂšre, qui dĂ©jĂ
le menace d'un procĂšs, parce qu'il ne veut pas qu'elle aille Ă coquillei
dans son ruisseau, elle prétend en avoir le droit. C'est bien eimuyeux
que tu ne sois pas lĂ dans ces bonnes promenades. Keviens bientĂŽt.
On fera revenir Jardinet. Caroline et Marie arriveront peut-ĂȘtre ces
jours-ci et on jouera la comédie.
Nohant, 12 août 1857.
Cher enfant, j'écrirai encore en tems et heu pour les médailles. On
en est encore aux grandes médailles pour les grands ouvrages, et je
suis sĂ»re que Mme Villot agira quand il faudra. Je vais rappeler Ă
Choïecki l'encouragement qu'on a demandé à Saint-Victor.
...Sais-tu que je ne t'ai pas vu deux mois entiers depuis prĂšs d'un an?
... J'ai fait une relation de nos courses Ă Gargilesse pour le Courrier
de Paris. Tu devrais Ă©crire un mot Ă Pelletan. De toi Ă lui ce serait
plus convenable que venant de moi. Tu enverrais la lettre Ă Emile (1)
qui la lui remettrait.
...Manceau est toujours assidu aux chenilles et aux papillons. Ses
travaux de Gargilesse avancent, on aura Jardinet pour le théùtre quand
il faudra.
L'Ă©curie s'achĂšve, c'est trĂšs beau et pour longtemps.
Ma toquade actuelle serait d'apprendre la minéralogie, ce n'est pas
difficile Ă comprendre, mais il faudrait quelqu'un pour nous faire
toucher du doigt les diffĂ©rences sur les Ă©chantillons... Ăa paraĂźt trĂšs
amusant.
...Nous avons été nous promener à la Motte-Feuilly et à Montlevic,
c'est trĂšs beau, la Garenne, et il doit y avoir du papillon. Le farouche
chùtelain a été trÚs gracieux pour nous... Bonsoir, cher enfant. Je te
bige mille fois. BérangÚre t'envoie une poignée de main. Manceau
t'embrasse.
Au commencement de janvier, tandis que Maurice Ă©tait
reparti à Paris exercer sa verve d'imprésario, donner dans les
(1) Emile Aucante?
38o GEORGE SAND
salons d'amis ses représentations de marionnettes et arranger
des spectacles de sociĂ©tĂ©, et que Mme Sand passa l'hiver Ă
la campagne, avec son fidĂšle compagnon Manceau, elle entreprit
de nouveau, à Gargilesse, une excursion qu'elle décrit dans sa
lettre à Maurice (nous l'avons citée dans le chapitre précédent,
Ă propos de V Homme de Xeige.) Elle trouva la maisonnette de
Gargilesse arrangée et meublée avec cette sollicitude qui carac-
tĂ©risait son « fidĂšle tĂȘte-Ă -tĂȘte » (1). Et les impressions de cette
excursion hivernale furent si intenses qu'elles lui inspirĂšrent
son « roman septentrional ». Elle écrit à son fils :
Nohant, le 6 janvier 1858 (2).
...Nous nous portons bien, comme tu nous as laissés, les poules,
Manceau et moi. Trianon est tout ratissé et cristallisé. J'ai lu le livre
sur la SuÚde que Choïecki m'a envoyé. Dis-lui que je l'ai reçu, que je
l'en remercie et paie-lui ma petite dette qu'Emile te remettra, s'il n'a
déjà payé. Je vois que la Presse ne reparaßt pas et que ramnisitie ne
viendra pas. Je me suis remise aujourd'hui Ă Ă©crire Christian Waldo.
Bordone a reparu avec éclat à La Chùtre. Il dit avoir gagné à Limoges
200 000 francs. Paiera-t-il ses dettes? Certain voyage que l'on médite,
va-t-il coïncider avec cette réapparition?
Nohant, 9 janvier 1858 (3).
Nous allons à Gargilesse décidément. La oarounette (le baromÚtre)
ne dit rien, mais le temps est doux et le ciel rose. Nous partons Ă huit
heures et nous revenons dans deux ou trois jours. Je donne l'ordre,
si S... vient, qu'on la fasse chauffer et déjeuner, et dßner et coucher si
bon lui semble. Mais je n'ai pas répondu, parce que je ne peux
pas dire oui; et que si j'avais dit non, on m'aurait répondu je m'en
fiche. Inutile donc de se faire péter au nez. Bonsoir, mon mignon,
je te bige bien fort, je te raconterai nos voyages dans les banquises
de la Creuse. Je ne pense pas que nous y trouvions beaucoup de
papillons.
Manceau t'embrasse.
(1) Dans une lettre au prince JérÎme Mme Sand appelle Manceau : « Mon
fidĂšle tĂȘte-Ă -tĂȘte. »
(2) Inédite.
(3) Inédite.
GEORGE SAND 381
Dans cette mĂȘme lettre du 14 janvier, dont nous avons donnĂ©
au chapitre x la description d'une course le long des bords gelés
de la Creuse par une journée brumeuse et « un froid de Sibérie »,
Mme Sand décrit ainsi tout ce voyage et ce séjour à Gargilesse :
Nohant, 13 janvier 1858 (1).
Cher Bouli,
Nous arrivons de Gargilesse. Partis ce matin Ă onze heures de l'hĂŽtel
Malasset, nous étions ici à six pour dßner, aprÚs avoir passé trois heures
chez Vergne Ă Beauregard... Donc que je te parle de Gargilesse. La
barounette (le baromĂštre) nous a menti comme de coutume. Nous sommes
partis par un brouillard noir et un verglas superbe... Arrivée à Gargi-
lesse, je trouvai la maison chaude, propre, commode au possible,
toute petite qu'elle est ; des lits excellents, des armoires, des toilettes,
enfin toutes les aises possibles. La petite salle Ă manger de l'auberge
est charmante, aussi propre qu'un cabinet de restaurant propre, bonne
cuisine. On a de petites lanternes pour rentrer chez soi et le village
est beaucoup moins sale qu'une rue de Paris, pour les pieds.
Le lendemain, demi-brouillard et pas de soleil. Mais la terre assez
sĂšche et l'air assez doux. Promenade de deux heures, travail Ă la
maison et bĂ©sigue le soir. Le surlendemain, c'est-Ă -dire hier, mĂȘme
temps, promenade de cinq heures. Nous avons passé sur l'autre rive
et suivi toutes les hauteurs, montant et descendant sans cesse. Nous
avons escaladĂ© les crĂȘtes des rochers vis-Ă -vis de l'endroit oĂč nous
avions fait la friture au bord de l'eau. LĂ , il a fallu s'arrĂȘter : la Creuse
a mangé le chemin.
Enfin ce matin nous sommes partis par un soleil magnifique et un
temps assez froid. Somme toute, comme dit M. Letac, soleil ou non,
hiver ou Ă©tĂ©, le pays est toujours ravissant. H est mĂȘme plus beau en
hiver, plus vaste et mieux dessiné. Les silhouettes d'arbres et de
rochers ont plus de sérieux, le village est plus pittoresque, les petites
cascades glacées sont trÚs amusantes. Nous avons vu la maison de
Vergne, trĂšs amusante aussi, une boĂźte Ă compartiments ; l'endroit
est trĂšs joli. Je n'ai pas eu froid, je me porte bien, voilĂ . Le pays
est abrité et doux. Les sommets sont sibériens, mais on n'y reste
pan...
(1) La lettre est datée du 14 dans la Correspondance, mais elle fut écrite
le 13. Mme Sand partit de Nohant le 10 janvier, elle passa Ă Gargilesse le 11
(le lendemain) et le 12 (le surlendemain) et enfin elle est partie de Gargilesse
le 13 (« ce matin »).
38a GEORGE SAND
Entre temps la suspension de la Presse â probablement
grĂąee Ă l'intervention de Mme Sand â fut levĂ©e. Charles Edmond
continuait à lui demander son roman suédois pour ce journal ;
elle lui répondit :
...Quant au Chùteau des Etoiles, ça ne peut pas s'arranger comme
ça. Comment passerai-je l'été avec deux mille francs? Rappelez-vous
Nohant : il y a du monde et de la dépense. Pour m' arranger du budget
que vous m'offrez, il faudrait aller vivre Ă Gargilesse, ce qui ne serait
pas trÚs désagréable, mais ce qui n'est possible que dans nos courts
moments de vie de garçon. Donc, cherchez un autre problÚme, cher
ami, ou dites-moi de chercher un autre titre Ă annoncer dans la Presse.
J'aurai largement le temps de vous faire un roman pour l'Ă©poque
oĂč vous en aurez besoin, et je pense, d'ici Ă une quinzaine, vous dire
mon titre. VoilĂ , quant au ChĂąteau en question, l'ultimatum non de ma
volonté, mais de ma caisse...
L'affaire avec la Presse ne s'arrangea pas et le ChĂąteau des
Etoiles fut publié dans la Revue des Deux Mondes, à laquelle
George Sand revint ainsi aprĂšs une querelle de dix-huit ans
(car quoique le Chùteau des désertes y parût en 1851, l'auteur n'y
fut pour rien, le manuscrit ayant été cédé à cette revue par un
autre éditeur qui l'avait acheté) (1). L'Homme de Neige parut
dans la Revue des Deux Mondes du 1er juin au 15 septembre.
Cette affaire fut arrangée par Emile Aucante, le secrétaire de
Mme Sand, l'ami de toute sa famille et l'hĂŽte constant de Xohant
de 1848 Ă 1858 (2).
L'Homme de Neige terminé, Mme Sand, à partir de 1858, revint
souvent à Gargilesse pour y séjourner « en garçon », parfois
pour quelques jours, parfois pour quelques semaines. Elle Ă©crit
par exemple le 23 avril 1858 Ă Ernest PĂ©rigois, Ă Tourin, oĂč il
vivait exilĂ©, aprĂšs l'incident Orsini, et oĂč Solange voulait aller
le retrouver :
« ...Sol. s'apprĂȘte Ă partir le 26 ; elle est souffrante et je l'en-
(1) A consulter, sur les relations entre le directeur de cette Revue et
Mme Sand, le trÚs intéressant ouvrage de Mme M.-L. Pailleron, paru au
momeDt oĂč notre livre Ă©tait dĂ©jĂ terminĂ©. Nous renvoyons aussi le lecteur
au chapitre in de notre troisiĂšme volume.
(2) Voir plus haut, p. 150-161, 191-196, 209, 230.
GEORGE SAND 383
gage Ă attendre deux ou trois jours de plus. Je ne sais si elle
m'Ă©coutera... J'ai tant d'envie d'aller vous rejoindre. Mais je
ne peux pas encore, et toute la campagne que je vais faire se
bornera pour le moment à Gargilesse. »
Revenue de Gargilesse, Mme Sand Ă©crit Ă son fils Ă Paris :
28 avril 1858.
Cher enfant, nous partons demain pour Gargilesse pour vingt-quatre
heures ou huit jours, selon le temps qu'il fera... Si tu avais quelque
chose de pressé et d'important à me faire savoir il faudrait envoyer
ta lettre sous l'enveloppe de Jean Renaud, jardinier Ă Nohant, en lui
disant que tu désires que cela me soit envoyé de suite. Alors Sylvain
ou Meo Patacca car le nom lui est resté (1), me l'apporterait puisque
je laisse toujours un des deux frĂšres et un des trois chevaux Ă la
maison. Que ce soit entendu une fois pour toutes.
Nohant, 3 mai 1858.
J'arrive ce soir, nous avons eu froid et pluie en route, mais je crois
que tout ça fait du bien quand on y va volontairement et sans y
prendre garde. J'ai trouvé une lettre de Sol. qui me dit aller mieux.
Je ne trouve rien de toi. As-tu fait ta course à CompiÚgne? As-tu été
mouillĂ©? Ceci me paraĂźt inĂ©vitable. Ăcris-moi. Je compte retourner
lĂ -bas Ă la fin du mois. Et toi, quand y viendras-tu? Envoie de suite
ma lettre Ă Emile pour qu'il sache que je suis de retour et qu'il m'envoie
des sous s'il en a. Je te bige mille fois. Ăcris-moi.
Nouant, 8 mai 1858.
Je commençais à m'inquiéter de toi, mon Bouli. Je vois que pen-
dant que je revenais par le froid et la pluie de nos rochers pittoresques
tu errais dans les forĂȘts par le mĂȘme temps. A prĂ©sent nous avons le
déluge et un froid de chien.
H a fallu rallumer le calorifĂšre et l'on n'est pas sans crainte d'une ou
de deux gelées qui feraient bien du dégùt. Jamais récoltes en tout
genre, blé, vin, foins et fruits, ne se sont annoncées si splendides... »
(1) Nom d'un personnage de la Comédie italienne qu'on avait donné
comme sobriquet au cocher de Mme Sand.
3S4 GEORGE SAND
Elle note dans son Journal, Ă la date du 29 mai 1858 :
Je reste à la maison et finis mon roman ThérÚse (Elle et Lui) com-
mencé le 4 mai, 620 pages en 25 jours. C'est un joli coup de collier. Je
n'ai jamais travaillé avec autant de plaisir qu'à Gargilesse. J'ai fait ici
200 pages malgré les longues promenades (1).
Mme Sand avait bien raison de dire que ses séjours à Gargilesse
lui permettaient d'accomplir le double, le triple de son labeur
ordinaire. C'est ainsi qu'elle Ă©crivit de 1857 Ă 1862, non seule-
ment treize romans (la Daniella, les Dames vertes, les Beaux
Messieurs de Bois-Doré, V Homme de Xeige, Narcisse, Flavie, Jean
de la Roclie, Elle et Lui, Constance Verrier, la Ville noire, le Mar-
quis de Villemer, la Famille de Germandre et ValvMre), mais
encore toute une série d'articles pour ses deux recueils : Prome-
nades autour d'un village et Autour de la table (2), le texte pour
deux albums de dessins de Maurice Sand : Visions Ă la campagne
et Masques et Bouffons et enfin trois piĂšces : Marguerite de Sainte-
Gemme, le Pavé et le Drac.
Et en effet, rien que par les lettres de Mine Sand Ă Maurice,
de mai- juillet 1858, on voit combien ce calme refuge Ă Gargi-
lesse, plus encore que sa vieille maison de Xohant, lui permet-
tait de travailler beaucoup, sans trop de fatigue.
Xohant, 19 mai 1858.
Cher fanfan, j'ai reçu ta lettre ce matin, je pars aprÚs-demain,
c'est-à -dire demain jeudi 20 (car il est minuit passé) pour la
Algira, oĂč je finirai probablement le roman court que j'ai en train (3).
J'y resterai huit jours. Donc, dans le milieu de la semaine prochaine je
serai revenue et je trouverai, j'espÚre, les explications nécessaires pour
me mettre Ă ton texte fantastique (4) ; car celles que tu me donnes
sont encore insuffisantes. Est-ce quinze cents lettres pour chaque
(!) Ce mĂȘme journal nous apprend que « toute la correction de Elle et Lui
est terminĂ©e le 1er juin <âą et â on part de Gargilesse pour retourner Ă Nohant ».
(2) Les articles sur Fenimore Cooper, Mme Allari, la Joconde gravée par
Calamatta, sur les deux livres de Fromentin : Un été dans le Sahel et Lr«e
année dans le Sahara, sur Balzac, Béranger, etc., etc.
(3) Xan-içee.
(4) C'est-à -dire le texte de ses dessins fantastiques Vision» dans les cam-
pagnes.
GEORGE SAND 385
sujet? je le présume, mais d'aprÚs la phrase, on croirait que c'est
quinze cents lettres pour huit sujets. Quand faut-il que ce soit livré?
tu sais qu'il me faut les points sur les i et qu'alors je suis exacte comme
un ehenĂčn de fer.
Dis Ă Emile de ne pas m'envoyer d'autre argent (s'il ne l'a fait)
d'ici Ă jeudi de la semaine prochaine. Mais s'il y avait quelque chose de
pressé à me faire savoir, qu'il écrive sous l'adresse de Manceau : A
monsieur Manceau, propriétaire à Gargilesse, par Eguzon {Indre). A
présent le facteur y passe tous les jours. Ecris-moi z-y, toi, pour que
je ne sois pas huit jours sans nouvelles de toi, ce qui me gĂąte un peu
mes délices de Gargilesse. Ne fût-ce qu'un mot. Et puis, je suis bien
aise de voir si, de lĂ , on peut correspondre avec Paris, au besoin. Ne
donne Ă . personne et dis Ă Emile de ne donner Ă personne mon adresse
pour ce pays-lĂ ,'et ne mettez pas mon nom sur la lettre, car les ennuyeux
m'y poursuivraient de leurs Ă©pĂźtres en vers et en prose. Tu me disais
dans ta lettre d'avant-hier, que j'aurais Ă faire seize feuilles pour tes
huit lithographies. Une feuille dans notre argot, c'est seize pages, tu vois
donc bien que je ne serais pas fixée par de telles indications et qu'il me
faut une de ces notes techniques et précises comme Emile sait le faire.
Nous allons donc encore Ă©cheniller sans toi les buissons fleuris de la
Creuse! Manceau emporte de quoi charger un navire, en boĂźtes de
toutes sortes. Il emporte mĂȘme une Ă©norme boĂźte Ă Ă©closions pour
que son absence ne soit pas fatale à sa progéniture, et qu'il puisse la
transpercer paternellement d'un fer rouge, dĂšs qu'elle aura vu la
lumiĂšre. Encourage-le dans ses travaux et recherches, car il y a des
moments oĂč il dit : Pourvu que ça amuse encore Maurice, les bĂȘtes l
Et il mĂ©rite d'ĂȘtre payĂ© du mal de chien qu'il se donne pour la science,
par une mention honorable de son patron. Il a fini et refini sa planche.
Jl va faire le savant et le propriétaire, moi je vais refaire mes expé-
riences sur l'eau de source de Gargilesse qui est, je crois, plus souveraine
que toutes celles qu'on me prescrit (1). J'étais guérie là -bas, et je ne
le suis pas ici par l'eau de Vichy. A mon retour, je prendrai le régime
Philips que tu m'envoies, et me priverai d'asperges avec délice. Bon-
soir, mon Bouli, je te bige et te regrette. J'espĂšre que tu te portes bien,
pauvre Parisien. Je voudrais pouvoir t'envoyer la campagne dans ton
atelier.
Villa Algira, 24 mai 1858.
Nous sommes Ă Gargilesse, mon Bouli, et nous n'y avons pas beau
tems, bien que nous nous soyons mis en route par un soleil niagni-
(1) Mme Sand s'était tellement engouée de Gargilesse qu'elle lui prédisait
mĂȘme dans ses articles un brillant avenir comme station balnĂ©aire.
iv. 35
386 GEORGE SAXD
fique. Mais ce mois de mai ne veut pas se décider à tenir les promesses
du mois d'avriL On dit que c'est excellent pour les biens de la terre,
Ă la bonne heure !
Heureusement la maisonnette est bien close et bien habitable,
quelque temps qu'il fasse, et j'y travaille quand il pleut. Aujourd'hui
c'Ă©tait grande fĂȘte ici : nous avons vu, en dĂ©jeunant, une procession
trĂšs pittoresque sur le chemin qui descend devant la fenĂȘtre de l'hĂŽtel
Malasset; les enfants en avant, puis les hommes, puis les femmes et
ensuite une foule de femmes, de vieillards et d'enfants par trois et
quatre Ă la fois sur des chevaux et sur des Ăąnes, sans selle ni bride.
Nous avions à déjeuner la famille Yergne, avec qui nous avons fait
ensuite une belle promenade par un tems couvert; nous sommes
rentrĂ©s au moment oĂč la pluie commençait, et, ce soir, tous les vents
de la montagne sont déchaßnés et le ruisseau grossi par la pluie chante
comme un perdu.
J'ai été malade en arrivant ici, je ne sais de quoi. J'ai dormi dix-
huit heures et je suis tout à fait vaillante, car j'ai marché comme un
Basque aujourd'hui. Ce pays est toujours attrayant ; tous les jours on
y découvre des sites superbes ou des recoins charmants et bizarres.
Ma petite chambre microscopique me plaĂźt beaucoup. De mon lit je
vois la lune se coucher dans un bois tout noir au haut de la colline. Et
puis on est trĂšs aimable pour nous dans le village. Nous en sommes,
tout à fait, à présent. Tous les enfants chassent la chenille et apportent
souvent des choses intéressantes. Manceau les met à l'ordre et donne
des récompenses selon la trouvaille, rien si la chenille n'est pas apportée
fraĂźche et bien portante dans une feuille, rien si elle est commune. Un
beau jour, tout le village fera partie de la Société entomologique.
Nous ne savons pas au juste quel jour nous repartirons. Mais Ă la
fin de la semaine nous serons Ă Nohant, tu peux nous y Ă©crire alors.
Mais j'espĂšre recevoir de tes nouvelles ici auparavant. Il faut Ă©crire
par Eguzon. Autrement, c'est un jour de retard Ă Argenton. J'ai beau-
coup pensé à tes sujets fantastiques la nuit que j'étais malade, et que
je ne dormais pas. Il y avait dans le ciel et sur l'horizon, les animaux
les plus bizarres dans les nuages et dans les silhouettes des branches ;
et je voyais trĂšs bien tous les dessins en nature.
Bonsoir, mon cher Bouli, travailles-tu bien? Moi, j'espĂšre finir ici
mon roman. Manceau, qui n'a pas voulu sortir un instant pendant que
j'étais patraque, a dessiné des chenilles en quantité et dans une grande
perfection de fini et d'exactitude. Marie des poules (1), soigne celles
(1) Cette i otarie » était Marie Caillaud, qui joua plus tard un grand rÎle
Ă Nohant. Elle avait commencĂ© par ĂȘtre gardeuse de basse-cour et laveuse
de vaisselle ; puis iiĂŻne Sand se mit Ă lui enseigner Ă lire et Ă Ă©crire, lui trou-
vant une rare intelligence ; plus tard elle la prit comme femme de chambre ;
GEORGE SAND 387
qui sont Ă Nohant, on lui a appris. La boĂźte Ă Ă©closion3 est ici et la
chasse continue.
J'ai reçu hier des nouvelles de Sol, elle va bien. Dis à Emile que j'ai
corrigé et renvoyé à Buloz des masses d'épreuves (1).
Elle Ă©crit Ă Poney Ă la fin de sa lettre du 19 juin 1858 :
Manceau vous envoie toutes ses tendresses. Nous avons passé l'hiver
ici tous les deux, allant de temps en temps passer la semaine dans une
chaumiÚre qu'il a achetée, moyennant la somme de huit cents franc?,
au bord de la Creuse, dans un pays enchanteur, bien que la distance
ne soit que de douze lieues. Nous rĂȘvons voyages. Si une certaine cir-
constance se réalisait, nous nions passer l'automne ou l'hiver en Afrique
et alors, certes, nous nous venions. Mais, il y a toujours le triste mais!
nous ne faisons encore qu'espérer.
Nous avons dĂ©jĂ notĂ© que presque toutes les Ćuvres de George
Sand de 1850-1860 reflÚtent son goût pour l'histoire naturelle.
Notons aussi que dĂšs ses tout premiers romans â Ă commencer
par 1' « encyclopédique » princesse Cavalcanti adonnée entre
autres Ă l'entomologie â George Sand montrait trĂšs souvent
ses héros et ses héroïnes s'occupant de différentes branches de
la science, ceux-ci de botanique, celles-là de minéralogie, les
troisiÚmes de géologie, d'autres encore collectionnant des papil-
lons, des minéraux, des coquillages pétrifiés. Cette passion pour
les sciences naturelles domine à présent tous les romans de
Mme Sand. La plupart de ses personnages adorent dame Nature
autant que leurs maßtresses ou leurs fiancées. Allant à un rendez-
vous, ils remarquent les couches géologiques des rochers, ils
ramassent des pierres ou attrapent des lépidoptÚres, en atten-
dant le moment bienheureux oĂč leur adorĂ©e les mettra eux-
mĂȘmes sous sa pantoufle.
C'est ainsi que nous voyons dans Flavie des entomologistes,
des ornithologues, des minéralogistes et des oiseaux empaillés,
et des boĂźtes de fer-blanc, et des chrysalides, et des papillons,
enfin Marie Caillaud joua la comédie à Nohant, devint une trÚs bonne actrice
et participa Ă toutes les reprĂ©sentations et fĂȘtes organisĂ©es par les jeunes
gens de la maison. Plus tard elle Ă©pousa l'un de ces jeunes gens. Nous la
retrouverons dans le chapitre suivant.
(1) C'Ă©taient les Ă©preuves de V Homme de neige.
333 GEORGE SAND
et, au milieu d'eux, la ravissante et pimpante chrysalide et papil-
lonne Flavie. la spirituelle et coquette fille de M. ***. M. ***
s'occupe à collectionner des oiseaux empaillés ; son pÚre est un
peu maniaque, comme tous les collectionneurs ; il est un fort
mauvais chaperon pour une jeune personne aussi légÚre et aussi
volontaire. Il veut la marier au jeune lord Malcolm, autant
parce que ce seigneur et sa mĂšre, la belle lady Rosemonde, sont
des gens charmants, que parce que lord Malcolm a la passion de
l'histoire naturelle, mais surtout parce qu'il est l'ami d'une
cĂ©lĂ©britĂ© future, d'un certain savant extraordinaire, M. Ămilius.
Cet homme est une vraie encyclopédie vivante, s'occupant
d'ophtalmologie et de zoologie, et d'ornithologie et d'entomo-
logie en particulier. H a de plus voyagé en Afrique, en Sibérie,
dans les Indes, et il arrive dans les environs de Rome, juste au
moment oĂč lady Rosemonde et Flavie s'y trouvent en partie
de plaisir. Flavie est entourée d'adorateurs et flirte avec tous.
C'est une jeune fille trĂšs moderne, tellement moderne par son
entrain, son bagout, sa crùnerie, son indépendance et ses spiri-
tuelles sorties que le roman semble Ă©crit, non en 1857, mais
en 1917 ! Bien loin d'ĂȘtre sentimentale, Flavie se croit incapable
de tout entraĂźnement passionnel : il lui plaĂźt de voir tout le
monde à ses pieds, mais elle veut garder sa liberté et se promet
bien de ne jamais devenir la femme d'un savant. Fi, quelle hor-
reur ! Elle soupçonne Malcolm d'ĂȘtre quelque chose comme cela.
Elle décide donc de faire la leçon à son fiancé en l'effrayant;
mais, comme cela arrive toujours, elle est attrapée, comme un
papillon. Son aplomb, son flirt éternel et sa légÚreté lui jouent
un mauvais tour. Elle croit que Malcolm veut l'espionner, la
soumettre Ă une surveillance secrĂšte, tandis que l'ami de Mal-
colm, le savant Ămilius. s'adonne simplement Ă la poursuite
d'une noctuelle, car la « Flavie » dont Malcolm s'entretient avec
son ami Ămilius, n'est point elle, mais un papillon jaune Ă
corsage de velours. Or Flavie croit que le monde entier ne
s'occupe que d'elle ! La jeune fille commet alors une série de
bĂ©vues et d'erreurs. Elle se met Ă faire la coquette avec Ămi-
lius, mais c'est elle qui s'éprend de lui passionnément. DÚs lors
GEORGE SAND 389
elle abdique toute haine pour les sciences naturelles et « les gens
qui se promĂšnent sans gants ». Elle s'efforce mĂȘme de tenter
Ămilius par l'offre de sa grande fortune. Cette fortune facilite-
rait ses recherches biologiques et physiologiques. Mais, hélas !
le savant reste fidĂšle Ă son unique passion : la science ! Il dit
franchement Ă Flavie que ses charmes ne l'enchaĂźneraient pas
longtemps, qu'elle a besoin d'un amour et d'une adoration non
partagés, exclusifs ; s'il l'épousait il la rendrait malheureuse ;
ne le voulant pas, il la repousse. Ce coup terrible devient néan-
moins pour la jeune fille jusqu'alors dominée par un amour-
propre excessif la cause d'un changement moral bienfaisant. H
lui révÚle le prix des choses et lui fait comprendre quel est le vrai
bonheur de la femme. Elle abandonne ses caprices, sa légÚreté,
ses flirts et finit par Ă©pouser, non pas le savant Ămilius, mais
M. Emile Vaureponne, décidée à devenir son épouse dévouée
et fidÚle. Quant à lord Malcolm, lui aussi guérit de son amour
pour cette jeune personne inquiétante et trouve le bonheur en
se mariant avec sa petite cousine Anna qui l'adore depuis
son enfance.
Peu de nouvelles de George Sand sont Ă©crites avec plus de
grĂące, de verve, d'esprit ; peu sont aussi remplies de fines obser-
vations que Flavie. Elle respire la fraĂźcheur comme si elle avait
Ă©tĂ© Ă©crite hier ; ni Mme Gyp, ni M. Marcel PrĂ©vost â qui repro-
duisent si incomparablement le jargon et toutes les allures des
jeunes demoiselles contemporaines, sportives, pleines d'aplomb
et d'amour-propre, â n'auraient pu rendre avec plus de prĂ©ci-
sion et de drĂŽlerie le style alerte, typique et personnel en mĂȘme
temps de Flavie dans ses lettres : le roman est Ă©crit sous
forme de lettres. Quant à l'idée générale du roman, c'est un
des thÚmes favoris de George Sand : le changement, l'élévation,
la renaissance d'une ùme sous la bienfaisante influence du véri-
table amour; et en mĂȘme temps la suprĂ©matie des hommes
adonnés aux grandes idées, à l'étude, sur les gens qui ne sont
occupés que de leur propre moi.
Nous trouvons la mĂȘme idĂ©e dans Jean de la Roche. Dans la
PrĂ©face mĂȘme â qui est une rĂ©ponse au livre indigne de Paul
39o GEORGE SAND
de Musset â Mme Sand dit que « ce pamphlet » lui remplaça
son herbier oublié lorsqu'elle suivait la trace de ses héros dans
les montagnes du Puy de DÎme et du Sancy et « les pages du
livre infùme furent purifiées par le contact des fleurs, suaves
choses de Dieu qui lui firent oublier les fanges de la civilisation ».
Dans ce roman qui se passe en Auvergne â le hĂ©ros, absorbĂ©
par sa personnalité, analyse ses sentiments, ceux de sa fiancée,
la jeune Anglaise Love Butler, et se trouve inférieur à cette
jeune fille sans expérience, parce que celle-ci, dÚs son plus jeune
ùge, a travaillé sérieusement, étudié la nature, et que sa vie n'a
été qu'un acte de dévouement : elle a acquis ainsi, pour lutter
contre toutes les Ă©preuves de la vie, une force morale que Jean,
malgré son intelligence, son ùge, sa sensibilité, ne possÚde pas, son
amour n'Ă©tant qu'une passion Ă©goĂŻste. Love Butler, ainsi que
son pĂšre et l'ami de la maison Je ridicule savant Junius Black,
sont tous, bien entendu, épris de minéralogie, de botanique et
collectionnent avec fureur.
De mĂȘme dans ValvĂšdre (dĂ©diĂ© Ă Maurice) Mme Sand dit
dans sa Préface qu'elle a mis, dans ce roman, une idée savourée
en commun : « la nécessité de sortir de soi » en étudiant la nature,
au lieu de se complaire Ă l'Ă©ternelle analyse de ses sentiments
ou de ses sensations. En effet, la coquette et nonchalante Alida
de ValvĂšdre, et le poĂšte dilettante Valigny , ĂȘtres futiles et Ă©goĂŻstes,
se meurent d'ennui. Leur passion seule compte pour eux et ils se
trouvent ainsi entraßnés à commettre une foule de mensonges,
de tromperies, de forfaits sans nombre et doivent finalement
baisser pavillon devant le mari d' Alida â ValvĂšdre â un homme
déjà ùgé, entiÚrement voué à la science, devant Mlles Obernay,
habituées, dÚs leur jeune ùge, à s'intéresser aux choses sérieuses
et devant le vieil israélite Moserwald, qui, malgré tous ses
travers, tout son prosaĂŻsme bourgeois, est capable de sacrifice
et de vrai amour, tandis que ces deux amants aptes Ă jouer
uniquement la comédie de la passion, ont voué au malheur la
famille des ValvĂšdre.
On dit souvent que ValvĂšdre est la contre-partie de Jacques,
que c'est la défense des vieux maris trompés, que c'est le procÚs
GEORGE SAND 391
fait à la liberté d'aimer, tandis que Jacques en est le plaidoyer.
H y a lĂ une erreur. Jacques est une apologie de l'amour tout-
puissant; ValvÚdre est un jugement prononcé contre l'amour
passe-temps, nĂ© du dĂ©sĆuvrement.
Ce Moserwald â soit dit par parenthĂšse â est un des trĂšs
rares israélites que l'on trouve dans les romans de George Sand.
Mme Sand avait peu de sympathie pour la race d'Israël, la trou-
vant antisociale, empreinte d'esprit bourgeois. C'est ainsi que
dans une lettre Ă Victor Borie (du 16 avril 1857) elle dit Ă propos
du poĂšme d'Edouard Grenier, le Juif errant :
...Son poĂšme est trĂšs remarquable. Moi, je vois dans le Juif errant
la personnification du peuple juif, toujours riche et banni au moyen
Ăąge, avec ses immortels cinq sous, qui ne s'Ă©puisent jamais, son acti-
vitĂ©, sa duretĂ© de cĆur pour quiconque n'est pas de sa race, et en train
de devenir le roi du monde et de tuer Jésus-Christ, c'est-à -dire l'idéal.
Il en sera ainsi par le droit du savoir-faire, et, dans cinquante ans, la
France sera juive. Certains docteurs israĂ©lites le prĂȘchent dĂ©jĂ . Us ne
se trompent pas...
L'antipathie de Chopin pour les juifs a aussi un peu son
Ă©cho dans les Ćuvres de Mme Sand. Dans les Sept cordes de la
lyre on voit paraĂźtre un juif avide : c'est un usurier sordide.
Moserwald, lui, représente un autre type de juif, un bourgeois
riche, un sac Ă or, croyant que tout s'achĂšte. Mais sous l'influeDce
de son amour malheureux pour Alida, il comprend, lui aussi,
qu'avec de l'argent on peut, tout au plus, conjurer des désastres
matériels, que l'argent est un instrument pour faire le bien,
mais qu'il peut aussi faire le mal.
Le héros de ValvÚdre s'appelle Francis. Ce roman parut
en 1861. Or, au commencement de 1862, George Sand fit la
connaissance d'un israélite, auquel elle soutint, d'une part, que
la richesse, l'argent, gĂątent les hommes ; qu'Ă©tant riche il fallait
posséder une grande force d'ùme pour rester bon, et d'autre
part c'est à propos de cet israélite, venu si délicatement en aide
à un certain Francis fort réel, que Mme Sand demandait à Dumas
fils s'il avait remarqué ...« qu'avec les juifs il n'y avait pas de
milieu ; quand ils se mĂȘlent d'ĂȘtre gĂ©nĂ©reux et bons, ils le sont
392 GEORGE SAND
plus que les croyants du Nouveau Testament ». Nous dirons
bientÎt qui était ce représentant d'Israël.
En 1860, la mĂȘme annĂ©e oĂč fut Ă©crit ValvĂšdre, parut un roman,
qui, s'il n'eut pas autant d'Ă©clat que les premiĂšres Ćuvres de
George Sand, lui attira néanmoins de nouveau les sympathies
générales et devint l'un de ses livres les plus aimés et toujours
relus. Ce fut le célÚbre Marquis de Villemer.
HĂ©las ! au risque d'encourir l'anathĂšme de tous les fidĂšles
sandistes, nous devons confesser que nous ne partageons pas cet
engouement ; sans parler des premiers romans de George Sand,
nous trouvons mĂȘme parmi ses toutes derniĂšres crĂ©ations des
Ćuvres qui nous attirent infiniment plus par la profondeur de
la pensée et la vivacité du récit. Nous qui n'étions pas nés lorsque
Villemer Ă©veilla cette admiration unanime, nous trouvons son
exposition à la fois naïve et froide. Cette histoire d'une « pauvre
mais noble » lectrice qui gagne le cĆur du mĂ©lancolique fils cadet
d'une vieille douairiÚre nous parait peu intéressante, et son
dénouement rappelle singuliÚrement les vertueuses et touchantes
nouvelles anglaises des journaux pour adolescents.
Nous devons avouer pourtant que peu de romans se lisent
avec autant de plaisir que la premiĂšre partie de Villemer; peu
de types littéraires restent aussi nettement gravés dans la
mémoire que celui de cette vieille marquise, du duc d'Aléria,
de Mme d'Arglade, de la vieille duchesse de DuniĂšres, de l'alerte
et résolue Diane de Xaintrailles. Tous ces personnages sont des
types tracĂ©s magistralement, avec vigueur et en mĂȘme temps
avec un fini merveilleux, avec cette science à saisir les détails
caractéristiques qui est le propre des grands maßtres de l'art.
Or, parmi tous les représentants de l'ancien faubourg Saint-
Germain que l'auteur de la Marquise savait si bien portraiturer,
il faut donner la palme Ă la marquise de Villemer. Quel curieux
ĂȘtre humain que cette vieille dame qui sait avec tant ae simpli-
cité, par point d'honneur, payer les dettes de son fils, et accepter
avec tant de philosophie sa ruine, tout en ne pouvant se résoudre
Ă monter dans une voiture de louage ! Il n'y a qu'Ă lire une page
des conversations entre la marquise et Caroline ou avec ses fils
GEORGE SAND 393
pour comprendre que c'est dans le salon de son aĂŻeule, Marie-
Aurore de Saxe, ou au chùteau de son cousin René de Villeneuve,
ou encore dans les familles de ses amies de couvent, Mlles de
La Rochejaquelein, de Grammont, de Wismes, que la future George
Sand entendit de semblables entretiens, et certainement pas
dans l'appartement bourgeois de sa mĂšre, ni chez ses amis poli-
tiques et littéraires de la derniÚre période de sa vie. Et ce lan-
gage, toutes les allures de la vieille dame sont rendus avec un
art incomparable, ils lui donnent ce je ne sais quoi qui la dis-
tingue d'une quantité de personnages de romans. Malgré tous ses
travers, ses façons d'ĂȘtre singuliĂšres, â sa personnalitĂ© humaine,
son Ăąme demeurent visibles, et nous ressentons pour cette
curieuse représentante d'un monde suranné un sentiment de
chaude sympathie, de mĂȘme que toutes les sorties Ă©tranges et
les brusqueries du vieux prince Bolkonsky dans la Guerre et la
Paix de TolstoĂŻ, ne peuvent nous cacher sa vraie Ăąme, grande et
belle, et ne nous empĂȘchent pas de l'aimer avec passion. La viva-
citĂ©, l'activitĂ© extrĂȘme de son esprit et mĂȘme sa mondanitĂ©
expliquent la préférence de la marquise pour son fils aßné, le
duc d'Aléria, né d'un premier mariage. Celui-ci est le type du
viveur charmant, du mauvais sujet adoré des femmes. Par
contre, son frĂšre Urbain, est le type de l'amoureux vertueux,
morne et discoureur, souvent ennuyeux. Ces deux hommes se
croient un moment rivaux : tous deux aiment Caroline, mais non
du mĂȘme amour, et cette passion est le point culminant de
l'Ćuvre. Or, le duc d'AlĂ©ria, ce fils prodigue, est cher Ă sa mĂšre
comme au lecteur ; ce dernier comprend parfaitement que Diane
de Xaintrailles prĂ©fĂšre ce brillant et spirituel quadragĂ©naire Ă
son jeune frĂšre vertueux. De plus, le duc trahit par maint trait
6es ancĂȘtres espagnols remontant au grand Cid, et sa vieille
noblesse française. Ces doubles traits de race lui donnent beau-
coup de relief.
Quant aux héros principaux, Urbain et Caroline, nous ne
pouvons rien en dire : ils nous laissent indifférents et froids,
malgré toutes leurs vertus, ou à cause de cet excÚs de vertus.
Par contre, la vive, décidée et un peu audacieuse Diane tra-
394 GEORGE SAND
verse les derniĂšres pages du roman comme une ravissante
silhouette. Malgré sa naïveté classique et son rire obligatoire
d'ingénue de dix-sept ans, elle est aussi marquée de traits de
race typique qui en font plus qu'une pensionnaire de convention.
C'est bien une petite échappée du couvent, espiÚgle et rieuse,
mais c'est aussi une fille de qualité, sachant apprécier à leur juste
valeur les hommes et les choses.
Tous ces traits typiques qui caractérisent les personnages, le
ton admirablement soutenu de la premiĂšre partie font le charme
du roman. C'est comme un beau tableau hollandais oĂč tout :
effets de lumiÚre, détails d'intérieur, figures principales et secon-
daires sont peints avec une précision, un réalisme, une vérité de
coloris merveilleux. Ce sont ces qualités-là qui font pardonner
au Marquis de Villemer la naïveté de sa fable, la pùleur des deux
héros, toutes les invraisemblables aventures de la seconde partie
et son ennuyeuse conclusion.
Le Marquis de Villemer fut mis à la scÚne et joué au théùtre
de TOdĂ©on en 1864. La piĂšce eut le mĂȘme succĂšs que le roman.
C'est une des comédies les plus connues de George Sand : elle
resta au répertoire. Nous pensons néanmoins qu'elle est trÚs
inférieure au roman.
On dit que c'est Alexandre Dumas fils qui donna Ă George
Sand l'idée premiÚre de sa piÚce, et l'aida à en établir la cons-
truction. En quoi consista cette aide? il est impossible de le
dire à présent, car le manuscrit qui existe est écrit ou plutÎt
copié de la premiÚre jusqu'à la derniÚre ligne de la main de George
Sand et le brouillon ou plutĂŽt les brouillons (car Mme Sand refit
au moins deux fois toute la piĂšce de fond en comble) furent
détruits (1). Quant à Alexandre Dumas, il se dédit en faveur de
George Sand de toute part de collaboration : il refusa toujours
de donner un seul renseignement sur ce qui Ă©tait dĂ» Ă sa plume.
« C'est un service qu'on se rend entre confrÚres, cela ne vaut pas
la peine d'en parler », avait-il coutume de répondre lorsqu'on le
questionnait plus tard Ă ce sujet. On dit couramment que cette
(1) La piÚce a été faite d'abord en quatre actes, puis refaite en cinq, puis
de nouveau resserrée en quatre actes.
GEORGE SAND 395
part consista à entailler de mots le rÎle du duc d'Aléria. Mais
lorsque nous avons mot à mot comparé la piÚce au roman, nous
nous sommes, Ă notre grand Ă©tonnement, convaincus que le duc
ne s'y montrait ni plus gai, ni plus spirituel. Au contraire, beau-
coup de traits fins, de mots et de petites reparties manquent
dans la version théùtrale. Ainsi, nous préférons le premier dia-
logue de Caroline et du duc, tel qu'il se trouve dans le roman,
à relui de la comédie. Le commencement de cette scÚne : la
conversation de Caroline avec un inconnu, qui se trouve au
dernier moment ĂȘtre le duc; les quiproquos et les situations
comiques qui en proviennent; la soudaine priĂšre, si touchante,
de cet inconnu qui demande Ă Caroline de lui tendre la main ; la
crainte visible de cet homme mondain de ne pas ĂȘtre trouvĂ©
digne d'un simple shalce-hands, et ses derniĂšres paroles, pro-
noncées d'une voix tremblante : « Ayez soin de ma mÚre, » tout
cela est changé et gùté dans la piÚce. Dans le roman ce r:'est
qu'à ce moment que Caroline s'écrie : « Ah ! je sais à présent
qui vous ĂȘtes. Vous ĂȘtes le duc d'AlĂ©ria. » Dans la comĂ©die, elle
sait tout de suite Ă qui elle parle ; c'est pour cela que ni la priĂšre
du duc, ni la réponse de Caroline, ni les paroles finales ne pro-
duisent sur le spectateur cette impression inattendue, trou-
blante et touchante. Le dialogue est privé de cet arÎme d'inconnu,
de mystérieux, de mélancolique, qu'on devine malgré l'apparente
gaieté du duc. On y sent une noble ùme souffrant de ses propres
péchés et ne portant que le masque de l'insouciance. Dans la
piĂšce, ce trait est Ă peine perceptible ; ce n'est que le jeu d'un
bon acteur qui peut y remédier.
Le rĂŽle de Mme d'Arglade n'a pas moins souffert. Dans le
roman c'est une bourgeoise vaniteuse qui se faufile, grĂące Ă son
babil, à sa feinte naïveté et à son habileté à se plier aux goûts
de n'importe qui, dans le monde restreint du Faubourg. Et
c'est un type comique et déplaisant, plein de caractÚre, fait de
main de maßtre. Il est réduit dans la comédie à une banale
intrigante de convention.
Nous savons que la scĂšne entre les deux frĂšres produit au
théùtre une impression profonde. Nous trouvons cependant que
396 GEORGE SAND
les nécessités dramatiques lui enlÚvent de la vérité, du naturel.
L'unité de lieu entraßne certaines impossibilités fùcheuses. Nous
voyons, entre autres, Diane de Xaintrailles arriver chez la mar-
quise de Villemer Ă une heure matinale impossible. Nous regret-
tons aussi de voir la lettre si incomparablement Ă©crite de la
duchesse de DuniĂšres et cette charmante vieille dame elle-mĂȘme
remplacées par le personnage volontairement comique et les
propos burlesques du duc de DuniĂšres. Tout ceci fait s'envoler
la fine analyse psychologique des sentiments, des Ă©tats d'Ăąme
que George Sand savait peindre si excellemment.
Nos lecteurs trouvent peut-ĂȘtre que nous jugeons trop sĂ©vĂšre-
ment cette piĂšce (1) et se demandent comment elle a pu avoir
un tel succĂšs. Nous croyons que ce succĂšs est dĂ» au roman. Mais
justement ce qui fait le charme du roman ne se retrouve pas dans
la piÚce. Pour nous c'est le premier acte qui est le mieux réussi ;
la couleur du roman y est mieux maintenue, ainsi que la fidé-
lité des personnages aux types qu'ils représentent dans le roman ;
enfin la plupart des dialogues sont gardés tels que.
Il est douteux que George Sand ait pu travailler autant en ces
années, si elle ne s'était périodiquement retirée dans « son vil-
lage », à Gargilesse. Or, ces excursions aux bords de la Creuse
eurent une autre signification pour l'Ćuvre de l'Ă©crivain. Les
légendes et les récits sur le chùteau de Briantes lui suggérÚrent
l'idée d'écrire les Beaux Messieurs de Bois Doré. Le chùteau de
Sarzay lui servit de prétexte pour écrire un autre roman dont
l'action se passe Ă Gargilesse mĂȘme et dans les environs. C'est
la Famille de Germandre qui parut en 1861.
Dans l'une de ses Promenades autour d'un village, George Sand
avait raconté comment elle et ses compagnons avaient décou-
vert une curieuse famille de gentilshommes ruinés descendants
de la brillante maison des Montmorency-Fosseux, devenus pay-
sans et vivant Ă Gargilesse oĂč l'on pouvait entendre un simple
(1) Nous analysons la piĂšce Ă la suite du roman, ici, pour ne plus y revenir,
quoique la comĂ©die ne fĂ»t jouĂ©e qu'en 1864, et par cela mĂȘme revient au
chapitre suivant, oĂč l'on trouvera les dĂ©tails sur les premiĂšres reprĂ©senta-
tions et sur les causes réelles de son succÚs.
GEORGE SAND 397
villageois crier : « Dites à Mlle de Montmorency d'apporter
de l'eau » et voir ladite Mlle de Montmorency puiser l'eau,
porter des seaux et traire les vaches, tout comme dans ce village
russe peuplĂ© de princes dĂ©crit par Herzen, oĂč un paysan criait :
« Hé ! prince Ivan, viens donc labourer. » Et le prince de répondre
du bout de son champ : « J'y cours, prince Wassili, » tous les
deux n'Ă©tant nullement des princes laboureurs par principe,
comme TolstoĂŻ, mais de vrais paysans pauvres et insignifiants.
Cette demoiselle de Montmorency et sa famille apparaissent
dans le roman de George Sand sous le nom de Mlle Corisande
de Germandre et de son frĂšre, le chevalier de Germandre, labou-
reur, qui arrivent au chùteau de Germandre en qualité d'héri-
tiers, devant assister, avec toute leur parenté titrée, à l'ouverture
du testament du chef de leur famille, le marquis de Germandre,
prétendu maniaque. Naturellement les représentants démocra-
tisés de la noble famille sont, sous tous les rapports, supérieurs
Ă leurs aristocratiques cousins, et il va de soi que, grĂące Ă son
esprit observateur et Ă ses connaissances multiples, le chevalier-
laboureur devine le secret du mystérieux coffret, secret dont
la découverte donne droit à tout l'héritage du marquis maniaque,
d'aprĂšs son testament.
Lorsque George Sand travaillait, Ă la fin de l'automne 1860,
Ă cette Famille de Germandre, elle tomba subitement malade
du typhus et presque immédiatement elle perdit connaissance.
Elle resta longtemps alitée, entourée de Maurice et de Manceau
épeurés et de sa parente Mme Pauline Villot qui se trouvait par
hasard Ă Nohant avec son fils Lucien. Eh bien, l'Ă©crivain nota
plus tard le fait curieux qu'au milieu des divagations de la fiĂšvre,
elle voyait Ă tour de rĂŽle les personnes se tenant auprĂšs de son
lit, et les hĂ©ros de son roman, avec lesquels elle se promenait Ă
travers des chĂąteaux et des rochers inconnus, et que mĂȘme Ă demi
évanouie elle continuait à développer le fil de sa narration. Cela
prouve Ă quel point le travail de son imagination Ă©tait incessant
et comment George Sand avait habitué son esprit à ne jamais
rester inactif : elle pensait Ă tout, exceptĂ© Ă elle-mĂȘme.
Tout le train de vie Ă©tabli et maintenu Ă Nohant depuis 1851
393 GEORGE SAND
(exception faite du voyage d'Italie en 1855) fut bouleversé
par cette maladie de Mme Sand. Sur le conseil de son médecin,
elle dut quitter le Berry à la fin de février 1861 et se transporter
dans le Midi de la France, oĂč elle passa tout le printemps Ă
Tamaris, prÚs de Toulon. Elle y fut accompagnée par Maurice,
Manceau et le jeune Lucien Villot, trÚs aimé de tous les Sand,
mais prématurément mort peu de temps aprÚs, en 1862. Ce
séjour à Tamaris provoqua la création du roman qui porte ce
nom et parut l'année suivante. 11 est surtout intéressant par ses
descriptions et les types des indigĂšnes. De plus, c'est lors de ce
séjour dans le Midi que George Sand eut l'idée du Drac. La
piÚce a pour sujet la croyance provençale au lutin nommé le
drac, rappelant le lorrigan breton, le triloy suisse et Y erco véni-
tien jadis chanté par George Sand. Cette comédie fut plus tard
remaniée par Paul Meurice pour les théùtres de Paris (la version
de George Sand ne fut jouée qu'à Xohant et imprimée dans le
volume du Théùtre de Xohant).
C'est quand Mme Sand était à Tamaris, se guérissant au soleil
du Midi, qu'y arriva Edmond Plauchut, avec lequel elle Ă©tait
en correspondance depuis 1849 (1).
DĂšs leur premiĂšre entrevue avec Plauchut, Mme Sand et son
fils apprĂ©ciĂšrent cette Ăąme droite, ce cĆur chaleureux, et
Mme Sand lui voua une sympathie maternelle qui se changea
vite en une amitié à toute épreuve. Plauchut devint un fidÚle
de Kohant et un vrai ami dévoué à toute la famille Sand. Ce
dévouement ne changea jamais, ni durant la vie de Mme Sand,
ni aprĂšs sa mort. Il resta l'ami des enfants et petits-enfants de
George Sand jusqu'Ă sa derniĂšre heure et fit toujours preuve
pour la mémoire de sa grande amie d'une piété fervente. 11 fut,
selon son vĆu, enterrĂ© au cimetiĂšre de Xohant et fit graver sur
sa tombe : « On me croit mort, mais je suis ici. »
Au mois de mai. Maurice, qui s'ennuyait Ă Tamaris, partit avec
le prince et la princesse JérÎme en Algérie, puis en Espagne, au
Portugal et enfin en Amérique. Il décrivit son voyage, qui dura
(1) Voir notre vol. I, chap. i.
GEORGE SAND 399
jusqu'au mois de novembre, dans le volume Six mille lieues Ă
toute vapeur, dont George Sand écrivit la préface, comme nous
l'avons dit. Elle revint avec Manceau vers le 8 juin Ă Nouant,
aprĂšs un petit voyage en Savoie et dans le DauphinĂ© (oĂč elle
venait de placer l'action de ValvÚdre, imprimé au printemps
dans la Revue des Deux Mondes, et oĂč elle fit une visite au direc-
teur de ladite revue, Buloz). Puis, en continuant sa route, elle
s'arrĂȘta Ă Montluçon oĂč elle revisita les usines et les mines,
ayant pour guide un ingénieur de ses amis (1).
Dans Flavie, dans ValvĂšdre et dans Jean de la Roche, les
lépidoptÚres, les couches « tertiaires » ou « dévoniennes », les
« ombellifÚres » et les « labiées » n'apparaissent que comme les
marottes des héros. Dans Antonia, c'est une fleur rare qui est
pour ainsi dire l'héroïne du roman.
V Antonia est un spécimen de liliacées merveilleux, à grand'-
peine obtenu par la culture et possédée par Antoine Thierry,
vieux célibataire avare et maniaque, riche commerçant du
dix-huitiĂšme siĂšcle. La secrĂšte passion de sa vie est la
culture des fleurs rares. L'Antonia, cette merveilleuse fleur,
devient donc le point de départ d'une série d'aventures com-
pliquĂ©es. Antoine Thierry ne pardonne pas Ă sa belle-sĆur, la
veuve du célÚbre peintre Thierry, d'avoir refusé de l'épouser.
U se venge sur elle et sur son fils, peintre aussi, en les faisant
souffrir de leur indigence. Il les tient dans la dépendance de sa
générosité, et, finalement, il les opprime tout à fait, lorsqu'il
apprend que le jeune Thierry est aimé par la jeune marquise
qui vient encore de le repousser. Or, par ce mariage il voulait la
sauver des poursuites de sa méchante belle-mÚre et des créan-
ciers de son mari défunt. Pour comble de malheur, voici que dans
(1) On lit en note à la lettre de George Sand du 14 février 1861 (dans
laquelle elle décrit son excursion à Montluçon et dit que « cela rentre dans son
métier d'écrivain ») : « Mme Sand préparait alors son roman la Ville noire.
Or, ce roman avait déjà paru en 1860. Donc les explications de M. Brothier
â ingĂ©nieur Ă Montluçon â et les visites aux usines ne purent lui servir
que pour quelques corrections ou quelques vérifications pour une nouvelle
édition de ce roman. Nous avons aussi dit dans le chap. m de notre précédent
volume que Mme Sand avait peint, sous les traits d'Audebert.le vieux poĂšte
prolétaire Magu, mort en 1859.
4oo GEORGE SAND
un accĂšs d'enthousiasme, le jeune peintre brise Y Antonio, qu'il
venait de peindre pour son oncle. Cette peinture lui avait presque
fait regagner le cĆur de ce dernier.
Tout est perdu. Antoine Thierry chasse sa belle-sĆur et son
neveu de la maison qu'ils habitent. La marquise ne voulant
pas ĂȘtre la cause de la ruine de celui qu'elle aime feint de le
repousser et se retire au couvent. Un autre neveu, un jeune robin.
Marcel Thierry, s'efforce en vain d'amadouer son oncle. Chacun
fait assaut de désintéressement et de noblesse d'ùme. Soudain
tout est changé. Revenue à Paris, la marquise accorde à son
amoureux un rendez-vous criminel, résolue à se noyer aprÚs.
Son amant la sauve, le procureur déjoue les ruses de son oncle
et arrange tout pour le bien général. 1? Antonio, a fleuri de nou-
veau. Antoine Thierry baptise la fleur du nom de la marquise,
puis, en oncle de comédie, il consent au mariage de son neveu et
lĂšgue au jeune couple toute sa fortune.
Tout cela serait simplement ennuyeux, n'Ă©taient les carac-
tÚres des personnages secondaires, finement tracés et maintenus :
par exemple Marcel Thierry, robin du dix-huitiĂšme siĂšcle, sour-
nois et peu enclin aux finesses sentimentales ; puis, quelques
traits â assez caricaturĂ©s â de l'oncle ; mais surtout la peinture,
pleine de détails typiques de ce que George Sand représentait
avec un charme et une vérité de ton et de couleur incompa-
rables : la vie et les hommes du grand monde de la fin du dix-
huitiĂšme siĂšcle. La marquise Antoinette, sa famille, son amie,
sa soubrette, leurs propos, leurs maniĂšres, leurs attifages et
falbalas, leurs propos, tout cela est frappant de pénétration dans
l'esprit de l'Ă©poque et extraordinaire comme science et savoir. Si
la vieille Mme Dupin de Francueil, née de Saxe, avait pu res-
susciter et lire Antonio, elle aurait certes beaucoup reconnu de
ce qui l'avait entourée jadis, ou de ce qu'elle avait raconté à sa
petite-fille. La belle-mÚre de Casimir Dudevant, la méchante,
sĂšche et revĂȘche baronne Dudevant, aurait aussi pu â avec bien
moins de plaisir ! â se reconnaĂźtre sous les traits de la belle-
mĂšre du feu mari de la marquise : Ă l'instar de la baronne
Dudevant, celle-ci tĂąchait, par amour de Vart, de faire toutes les
GEORGE SAND 401
méchancetés et tous les désagréments possibles à sa belle-fille (1).
Ce roman est dédié à Edouard Rodrigues, ex-saint-simonien,
trÚs riche, mécÚne et amateur de musique qui fut l'aide de George
Sand dans une quantitĂ© de bonnes Ćuvres, comme par exemple
l'éducation d'enfants pauvres, le soutien de jeunes gens néces-
siteux, la distribution de petites sommes Ă cette troupe de
malheureux qui fourmillait toujours prĂšs de George Sand, vrais
ou prétendus indigents qui exploitaient sa confiance.
George Sand Ă©crivit en tĂȘte d'Antonio, :
A monsieur Edouard Rodrigues.
A vous qui adoptez les orphelins et qui faites le bien tout simple-
ment Ă deux mains et Ă livre ouvert, comme vous lisez Mozart et
Beethoven.
Dans ces lettres Ă Rodrigues, Mme Sand Ă©crit qu'elle aurait
voulu lui « dédier non pas Antonio, », mais un roman « qui exprime
mieux une idĂ©e gĂ©nĂ©rale et personnelle en mĂȘme temps » (2),
c'Ă©tait Mademoiselle La Quintinie, qu'elle Ă©crivait alors, mais elle
a n'a pas osĂ© », ne voulant pas « mĂȘler le nom de M. Rodrigues
au torrent d'injures que certaine presse va vomir contre elle » (3),
et aussi, paraĂźt-il, pour ne pas dĂ©dier Ă Rodrigues un roman « Ă
tendance », lui qui appréciait surtout en elle la consolatrice venant
dissiper par son divin talent les tristesses et les dégoûts de notre
existence, tandis qu'elle s'estimait surtout un soldat, un cham-
pion de la vérité.
Je suis soldat, lui Ă©crit-elle un autre jour, et mon devoir est la
guerre quand l'on envahit la patrie de mon idée (4)...
George Sand fut néanmoins profondément émue en apprenant
quelle influence bienfaisante elle avait exercée sur M. Rodrigues :
Mon cĆur est tout pĂ©nĂ©trĂ©, monsieur, de cette amitiĂ© si bonne et
si vraie que vous me témoignez. En me la révélant, mon cher Alexandre
(1) Voir notre vol. I et Y Histoire de ma vie, vol. III.
(2) Lettre du 17 octobre 1862.
(3) Lettre du 23 octobre 1862.
(4) Lettre du 27 octobre 1862.
iv. 26
4oa GEORGE SAND
(Dumas) savait bien que dans la vie littéraire digne et croyante, le
public n'est pour nous qu'un trĂšs petit nombre d'Ăąmes choisies
auxquelles nous sommes heureux de plaire. Le reste profite s'il peut
et s'il veut de ce que nous tĂąchons de dire de bon et de vrai, mais nous
ne le connaissons pas et si nous le consultions, il nous Ă©garerait comme
il égare tous ceux qui lui font des concessions intéressées. Mais le petit
nombre qui pense comme nous et qui dirait comme nous s'il voulait
dire, celui-là nous soutient et nous donne une force intérieure dont
nous devons le remercier. Aussi, monsieur, je vous remercie de cĆur,
ainsi qut> cette chÚre malade (1), dont Alexandre m'a parlé. Mais ce
n'est pas moi qui vous ai rendu bon, c'est tout au plus si je vous ai
fait sentir que vous l'étiez. Pour cette bonté je chéris votre suffrage et
j'y penserai dĂ©sormais pour me rendre meilleure moi-mĂȘme. Vous
voyez que l'Ă©change sera Ă©gal et complet et que si je vous ai fait du
bien, vous me le rendez pleinement...
Le fait est que Rodrigues disait d'elle Ă Dumas fils et Ă©cri-
vait Ă George Sand elle-mĂȘme qu'il se considĂ©rait comme son
débiteur, parce qu'elle avait exercé une influence salutaire sur
toute sa vie : grĂące Ă elle il devint meilleur.
VoilĂ une rĂ©compense qui Ă©choit rarement aux poĂštes, voilĂ
le but vers lequel tendent tous ceux qui voudraient « exhausser
les ùmes par le son de leur lyre », voilà le prix des efforts cons-
tants et incessants de George Sand Ă peindre dans ses romans
des natures bonnes, élevées, idéales.
...Je connais quelques natures aussi bonnes que celle que j'invente,
â Ă©crivait George Sand un peu plus tard Ă M. Eodrigues, â et c'est lĂ ce
qui soutient ma foi. On ne rĂȘve pas ce qui n'est pas, et Ă ceux qui me
reprochent d'ĂȘtre optimiste, je rĂ©ponds qu'ils sont bien malheureux
de n'avoir pas rencontrĂ© des cĆurs d'or dans leur triste vie. Dans la
jeunesse j'Ă©tais sceptique aussi : c'Ă©tait frayeur de l'inconnu et manque
d'expérience ou expérience mal faite. Quand on a vécu, il n'est pas
permis de juger ainsi et c'est Ă recouvrer le sens de la justice que la vieil-
lesse est bonne.
Vous voyez bien que j'ai raison de croire puisque vous voilĂ devant
moi, cher monsieur, et si, en vous Ă©crivant, je me rappelais qu'il existe
des égoïstes, Dieu me crierait : « A quoi songes-tu? C'est bien le mo-
ment !...
(1) Mme B..., fille de M. Edouard Rcdrigues.
GEORGE SAND 403,
La correspondance entre George Sand et Rodrigues se noua Ă
l'occasion de l'éducation d'un jeune garçon, M. Francis Laur,
qui, adolescent encore, gagnait sa vie et soutenait sa. mĂšre, en
servant de secrétaire et de guide à un vieil ami de Mme Sand,
M. Charles Duvernet, subitement devenu aveugle (1). Mme Mau-
rice Sand nous avait raconté que Francis Laur, tout enfant encore,
avait d'emblée gagné la confiance et les sympathies de Mme Sand
un jour, qu'aidant Ă faire un rangement dans la maison, il avait
soudain découvert au grenier, au milieu des vieilles paperasses,
les naïfs et touchants bouquets de fleurs sauvages que, dans k§
jours bienheureux de jeunesse, en 1834, le docteur Pagello
cueillait de grand matin pour Mme Sand, au pied des Alpes véni-
tiennes, et lui présentait à son réveil ; elle les avait soigneuse-
ment séchés et gardés au milieu de ses souvenirs, mais les croyait
perdus et les revit avec joie. Mme Sand s'intéressa au sort du
jeune garçon laborieux ; elle y intéressa Rodrigues et celui-ci lui
donna les moyens de faire de bonnes Ă©tudes Ă domicile, de passer
ses examens, afin d'entrer dans une école supérieure, et de devenir
ingénieur. C'est M. Louis Maillard, ingénieur des colonies, natu-
raliste et voyageur, un parent d'Alexandre Manceau et un grand
ami de Mme Sand qui, vers 1860, prit une vive part Ă cette bonne
Ćuvre-lĂ . Ayant passĂ© plusieurs annĂ©es Ă l'Ăźle de la RĂ©union-
Louis Maillard écrivit une série d'études sur sa faune, sa flore et
sa formation géologique ; revenu en France, il voua son temps
et ses efforts Ă l'Ă©ducation de deux enfants noirs qu'il eut d'une
femme des colonies, et son épouse l'y seconda généreusement.
Mme Sand plaça chez Maillard Francis Laur, puis son petit-neveu
Simonnet (fils de sa niÚce Mme Léontine Simonnet, née Chù-
tiron) et il se forma autour de Louis Maillard comme un petit
pensionnat qu'il dirigeait. C'est ainsi que Mme Sand fit parti-
ciper M. Louis Maillard Ă la bonne Ćuvre de M. Rodrigues. Or,
elle se lia d'une si grande amitié avec lui qu'elle le nomma l'un
de ses trois exécuteurs testamentaires par rapport à la conser-
vation et Ă la publication de sa correspondance avec Musset.
(1) Voir Correspondance, t. V.
404 GEORGE SAND
(Voir notre vol. II, p. 177). Mine Sand Ă©crivit aussi deux fois sur
Maillard, ayant consacrĂ© deux articles sympathiques : l'un Ă
son livre sur Vile de la RĂ©union et l'autre Ă la description faite
par M. Deshayes de ses collections conchyliologiques. Ces articles
parurent tous les deux en 1863 dans la Revue des Deux Mondes,
et font maintenant partie du volume Questions d'art et de litté-
rature (1).
Quant aux lettres multiples de Mme Sand Ă Louis Maillard,
Ă©crites de 1862 Ă 1865, elles occupent une place marquante dans
sa correspondance et sont extrĂȘmement prĂ©cieuses pour sa
biographie, mais elles ne sont pas imprimées dans sa Correspon-
dance. Une partie en fut publiée déjà aprÚs la mort de Maurice
Sand, comme appendice aux lettres de Mme Sand Ă Rodrigues
et Ă Francis Laur. Toutes ces correspondances parurent sous le
titre de Autour d'un enfant dans la Revue de Paris de 1899.
La préface, écrite par M. Henri Amie, contient beaucoup de faits
et de détails fort précieux, et par quelques lignes chaleureuses
Ă©voque dans l'esprit du lecteur cette atmosphĂšre de l'amour du
prochain que George Sand créait autour d'elle. Cette correspon-
dance est l'une des pages les plus sympathiques de l'histoire
de George Sand ; elle nous initie, une fois de plus, Ă ce charme
que l'écrivain exerçait sur ceux qui l'approchaient, et nous
montre comment Mme Sand attirait ses amis dans le cercle
magique de cette « bontĂ© active » oĂč elle vivait et agissait.
Au printemps de cette annĂ©e de 1862 oĂč parut Antonia,
Maurice Sand remplit enfin le désir ardent et constant de sa
mĂšre : il se maria. L'apparition Ă Xohant d'une jeune maĂźtresse
de maison apporta de grands changements dans la vie de
Mme Sand et signala le commencement d'une période nouvelle
de son existence, la derniĂšre et peut-ĂȘtre la plus heureuse. Xous
en parlerons dans le chapitre suivant. Nous allons clore celui-ci
par quelques extraits de lettres de George Sand Ă Dumas fils.
Disons quelques mots Ă propos de la correspondance entre
(1) Ces deux articles portaient le titre : Monsieur Maillard et ses travaux
sur Vile de la RĂ©union dans la Revue des Deux Mondes; en volume ils sont in-
titulés : Un cyclone à Vile de h Réunion et Conchyliologie de Vile de lu Réunion.
GEORGE S AND 405
George Sand et Dumas dont la partie la plus intéressante se
rapporte Ă 1860-1863. Ces lettres nous renseignent complĂšte-
ment sur la « véritable histoire du Marquis de Villemer », tant
de fois racontée et commentée de toutes les maniÚres, mais en
rĂ©alitĂ© restĂ©e ignorĂ©e, inconnue ou â ce qui pis est â faussĂ©e.
De plus, il y a parmi ces lettres des pages qui sont comme le
résumé de la vie morale et intellectuelle de George Sand pendant
ces douze derniÚres années ; elles sont importantes aussi comme
l'expression de son opinion sur son « fidĂšle tĂȘte-Ă -tĂȘte » Manceau.
Quoique lié d'amitié avec Mme Sand dÚs 1851, Dumas fils
n'est venu pour la premiĂšre fois Ă Nohant que le 9 juillet 1861
et il y est resté jusqu'au 10 août. Il était à ce moment malade,
nerveux, trĂšs abattu aprĂšs l'Ă©chec de l'une de ses piĂšces, les
complications de sa vie intime et les ennuis de sa vie d'Ă©crivain,
pourtant si « veinarde ». Mme Sand â qui lui avait dĂ©clarĂ©,
dĂšs l'article qu'il Ă©crivit sur Flaminio, en imitant le parler de miss
Barbara (1) : « je adopte vous pour un fils de moĂą, » â tĂącha de
remonter le moral à ce « cher grand fils lumineux », alors pessi-
miste et découragé, de lui rendre avant tout la confiance en ses
propres forces. Elle s'efforça aussi à lui insuffler la foi à l'idéal
et l'optimiste panthéisme auquel elle était arrivée. En sep-
tembre, Dumas revint encore une fois à Nohant, accompagné
cette fois par Mme Narishkine et Mlle Olga Narishkine, ainsi que
par le peintre Marchai. Ces dames Ă©tant parties, Dumas resta
jusqu'au 9 octobre, en compagnie du peintre VĂ©ron, qu'on nom-
mait Vron et de Mlle Marie Lambert, du Gymnase, portant le
sobriquet de Mlle Dr ne, en allusion Ă cette Ćuvre de Mme Sand,
dédiée à Dumas.
Dumas s'Ă©tait beaucoup plu Ă Nohant, cette vie simple, par-
tagée entre le travail et les amusements naïfs, la bonne humeur
qui régnait entre tous les habitués de la maison, l'amitié de
Mme Sand et l'admiration enthousiaste de Manceau lui rendirent
le calme moral, et finalement ce séjour lui fit le bien qu'il en
attendait. DÚs sa premiÚre venue, Dumas avait emporté avec lui
(1) L'Anglaise qui remplace, dans cette piÚce tirée de Tévérino, le curé
si comique et si sympathique du roman.
4o6 GF.ORG F. SAND
le volume de VUlemer, avec l'idée d'en tirer une piÚce. Au bout
de trÚs peu de temps, il envoya, en effet, à Mme Sand un scénario
de la piĂšce Ă faire et un premier acte tout fait (1).
Mme Sand fut étonnée et émerveillée à la fois de cette facilité
et de ce savoir-faire dramatique. Et dĂšs ce moment, pendant
deux ans, de septembre 1861 Ă octobre 1863, presque toutes les
lettres entre Dumas et George Sand contieniTent des détails
extrĂȘmement curieux et prĂ©cieux sur la genĂšse de cette piĂšce,
sur le travail accompli par chacun des deux collaborateurs, et
enfin sur les scrupules de Mme Sand Ă signer Ă elle seule cette
piĂšce, faite par eux deux, et Ă en accepter tous les profits futurs,
scrupules que Dumas finit par vaincre tous en avançant comme
suprĂȘme argument le fait que Aime Sand avait fait toute la
partie descriptive de V Affaire Clemenceau, et que lui, Dumas,
l'avait pourtant signée seul Cette correspondance entre Dumas
et Mme Sand réfute, à elle seule, d'une maniÚre absolue, presque
tous les « faits » se rapportant à VUlemer, racontés dans les
Mémoires récemment parus de M. Duquesnel. Mais nous allons
encore démontrer dans le chapitre suivant que presque tout ce
que cet auteur avance sur n'importe quel fait de cet Ă©pisode de
la vie de Mme Sand n'est que... de « l'histoire telle qu'on l'écrit ».
(1) Mme Sand Ă©crit dans sa lettre du 20 novembre 1861 (ce passage manque
dans le vol. ĂY de sa Correspondance imprimĂ©e, il doit ĂȘtre placĂ© Ă la p. 298
à la suite des mots se rapportant à Marchai : « Il nous a fait à tous nos
portraits merveilleux, charmante comme dessin, et d'une ressemblance
que les portraits n'ont jamais eue. Il ne se doutait pas de ça, rai il est
tout étonné d'avoir réussi. ») :
o Le mien de portrait est un chef-d'Ćuvre ; de mĂȘme ceux de Maurice et
de Manceau, et ceux de Véron et de Lucien, qu'il avait essayés en s'amusant.
Il veut faire aussi celui de ma grande Marie. J'espĂšre qu'il paie assez son
Ă©cot ! Il s'y obstine et comment refuser? Il va faire photographier le portrait
qu'il a fait de moi, et vous aurez enfin quelque chose qui est moi et pas une
autre. J'espÚre que je vous aurai comme ça quelque jour, car toutes vos
photographies vous font affreux, et décidément la photographie sur nature
est ce qu'il y a de plus menteur au monde. Ledit Marchai [puis viennent les
ligDes imprimées dans la Correspondance : repart pour voir sa mÚre... i etc.]
Et enfin nous lisons dans cette lettre du 20 novembre : « Et dans tout ça
je n'ai pas trouvĂ© le temps de recopier ce chef-d'Ćuvre d'acte de YiĂŻĂŻemer,
et je m'en faisais pourtant une fĂȘte. Manceau, lui, n'a pas respirĂ© une heure
depuis votre départ. » (Ces trois lignes sont encore omises dans la Corres-
pondance, puis viennent les lignes imprimées à la p. 299 : « On vous
attend pour retrouver le sens commun littĂ©raire... âą)
GEORGE SAND 407
A monsieur Alexandre Dumas fils.
Nohant, 26 août 1861,
Tant mieux et vive le fer, si vous vous en trouvez bien : moi, j'y
crois, ayant vu de vrais miracles sortir de l'officine de mon vieux
ami (1). On vous embrasse et on vous aime. Continuez Ă faucher.
VoilĂ un remĂšde qui seconde diablement l'effet du fer ! Les bains d'ar-
rosoir, c'est bon aussi. Le travail aussi, la campagne aussi. Tout est
bon quand le jugement est sain et le cĆur honnĂȘte. Avec ça et de la
jeunesse, et du talent vrai, on surmonte tout. Je suis bien curieuse
de ce qui va sortir de VĂŻllemer. Ăa m'amuse un peu de penser que la
moelle va se détacher sans que j'aie la peine de découper le morceau
et qu'à mon réveil un de ces matins, je verrai se produire un nanan
auquel je n'aurai pas mis la main.
Vous savez nos conventions auxquelles il ne faut pas revenir dire
non. Nous partageons les profits, s'il y en a, et je crois qu'il y en aura.
Je crois aussi que la chose faite et lancée, il faudra que je vous donne
un petit Ă©crit, parce que je suis vieille, et que je peux mourir, et que
plus tard, ça fait des si et des mais ennuyeux. Ne riez pas de ma régu-
larité, c'est une habitude que j'ai, surtout depuis ma maladie si subite
et si bĂȘte, de tenir mes affaires en ordre comme si je devais partir le
lendemain. Ne me répondez pas à ce projet-là . Comme Manceau natu-
rellement dévore vos lettres avec moi et que mes idées de mort l'at-
tristent toujours, il ne faut pas les lui remettre sous les yeux. Pour moi
ce ne sont pas des idées tristes. J'ai, sur la mort, des croyances trÚs douces
et trÚs riantes, et je m'imagine n'avoir mérité qu'un sort trÚs gentil
dans l'autre vie. Je ne demande pas Ă ĂȘtre dans le septiĂšme ciel avec
les séraphins et à contempler à toute heure la face du TrÚs-Haut.
D'abord je ne crois pas qu'il y ait ni face ni profil, et puis si c'est une
grande jouissance d'ĂȘtre aux premiĂšres places, ce n'est pas pour moi
une nécessité. H y a tant de jolis petits mondes à habiter! fût-ce
mĂȘme un autre coin de celui-ci, sous une autre forme ! que de bonheurs
cachĂ©s peut-ĂȘtre dans l'inconnu des autres existences ! Et qui nous dit
que la nĂŽtre soit la meilleure?
J'ai passé bien des heures de ma vie à regarder pousser l'herbe, ou
à contempler la sérénité des grosses pierres au clair de lune. Je vous ai
dit ça, je crois. Je m'identifiais tellement au mode d'existence de ces
choses tranquilles, prétendues inertes, que j'arrivais à participer à leur
calme béatitude. Et de cet hébétement sortait tout à coup de mon
(1) Le docteur Vergne (de Beauregard.)
4oS GEORGE SAND
cĆur un Ă©lan trĂšs enthousiaste et trĂšs passionnĂ© pour celui, quel qu'il
soit, qui a fait ces deux grandes choses : la vie et le repos, l'activité et
le sommeil Ah! nous voilĂ dans les nuages, moquez-vous de votre
m'rnan, mais aimez-la tout de mĂȘme, sa toccade n'a rien de mauvais.
Donnez de vos nouvelles, quand ça ne vous ennuie pas, et revenez
sitĂŽt que le cĆur dira : allons.
Je ne vous charge de rien pour ceux qui vous entourent : mais vous
savez que j'aime qui vous aime.
Manceau pionce, mais je ne jurerais pas qu'il ne pensĂąt Ă vous quand
mĂȘme en rĂȘve.
En voilà un que vous pouvez estimer sans crainte de déception.
Quel ĂȘtre tout cĆur et tout dĂ©vouement! C'est bien probablement les
douze ans que j'ai passés avec lui du matin au soir qui m'ont défini-
tivement réconciliée avec la nature humaine. H y a aussi Maurice
marchant toujours droit et sagement dans son chemin tracĂ© â et
puis il y a moi qui suis capable de reconnaissance et d'appréciation.
Alors, je me disais dans mes restes de vieux spleen : Eh bien, si nous
sommes trois bons cĆurs pas bĂȘtes au fond, il y en a certainement
d'autres, et probablement beaucoup d'autres, car nous ne pouvons
pas avoir la prĂ©tention d'ĂȘtre des exceptions de tous points. Nous
serions alors des monstres ! Suivez mon raisonnement ! Bonsoir.
... On veut que je sois un personnage. Moi, je ne veux ĂȘtre que
votre maman. Vous avez du cĆur, puisque vous m'aimez et je ne vous
demande que ça. Je ne me suis jamais aperçue de ma supériorité en
quoi que ce soit, puisque je n'ai jamais pu faire ce que j'ai conçu et
rĂȘvĂ© que d'une maniĂšre trĂšs infĂ©rieure Ă mon idĂ©e. On ne me fera donc
jamais croire, à moi, que j'en sais plus long que les autres. Kestée
enfant à tant d'égards, ce que j'aime le mieux dans les individualités
de votre force c'est leur bonhomie et leur doute d'elles-mĂȘmes. C'est,
à mon sens, le principe de leur vitalité, car celui qui se couronne de
ses propres mains a donné son dernier mot. S'il n'est pas fini, on peut
du moins dire qu'il est achevĂ© et qu'il se soutiendra peut-ĂȘtre, mais
qu'il n'ira pas au delĂ . TĂąchons donc de rester tout jeunes et tout
tremblants jusqu'Ă la vieillesse et de nous imaginer, jusqu'Ă la veille
de la mort, que nous ne faisons que commencer la vie ; c'est, je crois,
le moyen d'acquérir toujours un peu, non pas seulement en talent,
mais aussi en affection et en bonheur intime. Ce sentiment que le tout
est plus grand, plus beau, plus fort et meilleur que nous, nous con-
serve dans ce beau rĂȘve que vous appelez les illusions de la jeunesse,
et que j'appelle, moi, l'idéal, c'est-à -dire la vue et le sens du vrai élevé
par-dessus la vision du ciel rampant. Je suis optimiste en dépit de
tout ce qui m'a dĂ©chirĂ©e, c'est ma seule qualitĂ© peut-ĂȘtre. Vous verrez
qu'elle vous viendra, A votre ùge j'étais aussi tourmentée et plus
GEORGE SAND 4o9
malade que vous au moral et au physique. Lasse de creuser les autres
et moi-mĂȘme, j'ai dit un beau matin : « Tout cela m'est Ă©gal. L'univers
est grand et beau. Tout ce que nous croyons plein d'importance est
si fugitif que ce n'est pas la peine d'y penser. Il n'y a dans la vie
que deux ou trois choses vraies et sérieuses, et ces choses-là , si claires
et si faciles, sont précisément celles que j'ai ignorées et dédaignées,
mm ciclpa! Mais j'ai Ă©tĂ© punie de ma bĂȘtise, j'ai souffert autant qu'on
peut souffrir ; je dois ĂȘtre pardonnĂ©e. Faisons la paix avec le bon
Dieu !... »
CHAPITRE XII
1862-1866
Mariage de Maurice. â Lina Sand. â Protestantisme. â Mademoiselle La
Quiniinie. â Le Marquis de Villemer au thĂ©Ăątre. â Palaiseau. â Mort
de Manceau. â Monsieur Sylvestre. â Le Dernier amour. â Sainte-Beuve.
â L'AcadĂ©mie. â Flaubert. â Cadio. â RĂ©installation Ă Nohant.
DÚs 1853-55, c'est-à -dire aprÚs la trentiÚme année de Maurice,
Mme Sand se montre de plus en plus souvent préoccupée de
marier son fils. Lui, il choisit tantĂŽt une jeune fille, tantĂŽt une
autre, mais ne ressentant pour aucune d'amour sérieux et n'ayant
qu'un médiocre désir de se créer une famille, Mme Sand s'adressa
Ă ses amis : Boucoiran, les Duvernet etc., etc., leur demandant
de chercher un bon parti pour Maurice et débattit avec eux le
pour et le contre de plusieurs mariages.
En 1858, Maurice semble avoir fait choix d'une profession, il
veut se consacrer Ă l'illustration. Mme Sand, heureuse de voir
que ses efforts maternels sont enfin atteints, lui Ă©crit :
Nohant, 25 avril 1858.
...Je vois avec plaisir que tu te tires d'affaire, quand besoin est,
avec ton travail. Dieu soit loué, c'est tout le but que je poursuivais
dans ton enfance quand je te répétais qu'il fallait avoir son gagne-
pain au bout des bras, quand mĂȘme on avait un petit patrimoine assurĂ©.
C'est encore la situation sociale la meilleure que celle oĂč tu te trouves...
...Tout serait bien si tu pouvais compléter la vie par un mariage
assorti Ă ta situation et sympathique Ă ton esprit et Ă tes sentiments.
Mais tu cherches peu ou mal et je ne veux en rien te pousser Ă prendre
un parti si grave. Ma seule conclusion est toujours la mĂȘme : Aime,
ou n'Ă©pouse pas (1)...
(1) Inédite.
410
GEORGE SAND 411
Enfin, en 1862, le sort de Maurice fut dĂ©cidĂ©. Il arrĂȘta son
choix non pas sur quelque « charmante inconnue », non pas sur
quelque « bon parti », ni sur une jeune personne qui « convien-
drait surtout aux rÎles de « jeune premiÚre » (1) dans les spectacles
improvisés, mais sur une jeune fille que lui et sa mÚre connais-
saient depuis son enfance.
A monsieur Jules Boueoirtm.
Nohant, 3 mai 1862.
Mon cher ami, bonne nouvelle ! Maurice se marie selon son cĆur
et selon son gré. H épouse la charmante fille de mon vieux et digne
ami Calamatta. La fortune qu'il eût demandé à une personne inconnue,
il ne la demande pas Ă celle qui vaut par elle-mĂȘme, et il a raison. Il est
dans le vrai et je suis pleine de bonheur et de satisfaction... Nos fiancés
sont Ă Paris avec Calamatta pour quelques jours (2)...
A Charles Poney.
Nohant, le 3 mai 1862.
Cher ami et chers enfants,
Bonne nouvelle ici. Depuis plusieurs semaines mon cĆur est dans
un grand tralala. Enfin, c'est arrĂȘtĂ© ! Maurice Ă©pouse la fille d'un de
mes plus anciens et plus chers amis, le graveur Calamatta, directeur
de l'Ăcole de dessin de Milan. C'est une petite Italienne, nĂ©e et Ă©levĂ©e
en partie à Paris et que nous chérissons comme un enfant de la famille,
depuis qu'elle est au monde. Elle est gentille, charmante, intelligente
et chaude patriote romaine. Nous sommes heureux et joyeux. Le pĂšre
pourra vivre une bonne partie de l'année prÚs de nous. C'est un bonheur
de plus. Nous ne savons encore si nous faisons le mariage Ă Paris ou
à Nohant et le jour n'est pas fixé. Mais c'est trÚs prochain, car nous
publions les bans.
...Je vous prie de faire part de notre événement de famille à tous
nos amis de lĂ -bas, M. et Mme Trucy, M. Gouin, le docteur Aubon,
Courdonan, etc. J'écris aux Margollé.
Amitiés et tendresses de Manceau.
(1) En 1851, Maurice Dudevant faillit se marier avec une jeune personne
de son voisinage pour la seule raison qu'elle Ă©tait trĂšs apte Ă jouer les jeunes
premiÚres dans les représentations improvisées ; fait confirmé par une lettre
inédite de Mme Sand à son fils de septembre 1851.
(2) Inédite.
4i2 GEORGE SAND
A Ludre GaMlaud (1).
Nohaiit (15) mai 1862.
Demain alors, mon ami. Tùchons que le contrat soit signé à 4 heures
et que le mariage ne se fasse pas plus tard que 5. Est-ce possible?
Notre fillette se fait des idées sur le mariage à la nuit comme un mau-
vais présage.
Caressons l'enfantillage en bonnes gens que nous sommes. Encore
un bon coup de collier, mon bon Ludre. Chargez-vous d'amener l'ad-
joint et le notaire, ce dernier témoin de Maurice avec Duvernet. Vous,
témoin de Calamatta. Nous dßnons ensemble aprÚs. Dimanche, le
lendemain, vous revenez dĂźner avec nous et vous nous amenez votre
femme. Est-ce convenu? Dites Ă Sylvain si c'est oui sous tous les
rapports (2).
G. Saxd.
Donc, le 16 mai 1862, Maurice Dudevant se maria avec la
fille du graveur connu Luigi Calamatta, Caroline- Marceline Cala-
matta (ou « Lina » , comme on l'appela désormais), petite-fille
de l'égyptologue célÚbre Raoul Rochette et arriÚre-petite-fille
de Houdon. Le vieux Nohant vit dans ses murs une jeune
maĂźtresse de maison qui non seulement prit sur elle tous les
soins, tous les soucis du ménage et des devoirs mondains, mais
qui devint bientĂŽt l'aide de Mme Sand dans toutes ses Ćuvres
de bienfaisance (3), son amie, sa vraie fille dévouée et bien-
aimée. Dans une lettre que Mme Sand lui adressa au moment
de la demande en mariage faite par Maurice Sand, en parlant
de la vieille amitié qui unissait les Sand avec le pÚre de Lina,
le vieil ami Calamajo, et en suppliant la jeune fille de se fier Ă
l'amour de Maurice et de sa mÚre, elle lui disait carrément :
(1) Avoué à La Chùtre, homme d'affaires de Mme Sand, ami de toute sa
famille.
(2) Inédite.
(3) AprĂšs la mort de Lina Sand (en 1901) l'un de ceux qui parlĂšrent sur
sa tombe dit, en rappelant aux assistants l'aide active que Lina prĂȘta Ă
Mme Sand dans ses secours aux malheureux : « Ces femmes admirables se
cachaient toutes les deux pour faire le bien comme d'autres pour faire le mal, »
disant ainsi en quelques mots plus qu'on ne pourrait en dire en des dizaines
de pages.
GEORGE SAND 413
« Je sens bien que je te serai une mÚre véritable, car fai besoin à ' une
fille (1)... »Et cette fille MmeSand la trouva effectivement dans
cette « petite Italienne â nera, nera, chantant adorablement
de sa voix de contralto fraßche et veloutée, nature chaude et
gĂ©nĂ©reuse, bonne et emportĂ©e, toujours prĂȘte Ă rire ou Ă pleurer, »
cĆur spontanĂ©, esprit Ă©veillĂ©, s'intĂ©ressant Ă toutes les ques-
tions scientifiques ; tantÎt lisant avec ardeur des traités d'ar-
chéologie, des brochures politiques et des romans à clef, Darwin
et Flaubert, Renan et Lyell, et tantĂŽt s1 adonnant avec la mĂȘme
ardeur Ă l'art culinaire, Ă la confection de robes d'enfants, Ă
la préparation de toutes sortes de surprises pour tous ses proches,
se livrant à des sorties véhémentes contre tout ce qui lui parais-
sait « obscurantisme » et dĂ©fendant avec la mĂȘme vĂ©hĂ©mence
les idées qui lui étaient chÚres. Oui, cette nouvelle fille fut de
tous points une fille selon le cĆur de Mme Sand. Quant Ă Lina,
elle disait plus tard franchement : « Oh ! j'ai bien plus épousé
George Sand que Maurice Sand, je me suis mariée avec lui,
parce que je l'adorais, elle. » Et cette adoration, cette vénération,
ce chaud amour filial, Lina le garda pour George Sand tant qu'elle
vĂ©cut et mĂȘme aprĂšs sa mort ! Elle voua sa vie entiĂšre Ă son ser-
vice, au culte de sa mémoire. Mme Sand trouva par elle et en
elle tout ce qui lui avait tant manqué depuis la mort de son
aĂŻeule, ce que ni sa mĂšre, ni son mari, ni mĂȘme son fils, ni surtout
sa fille n'avaient su lui témoigner : une sollicitude toujours égale
et active, un souci constant de la préserver des ennuis matériels
de la vie, des soins ininterrompus, continuels, la volonté de préve-
nir tous ses désirs. Mme Sand trouva en Lina quelque chose de
plus encore : la rĂ©alisation de ce qu'elle prĂȘchait dans ses Ćuvres
et de ce qu'elle prenait comme thĂšme favori de ses romans : un
ĂȘtre s'oubliant pour les autres, et cependant nullement ordinaire,
nullement effacĂ©, un cĆur d'une loyautĂ© rare, une nature d'Ă©lite
se distinguant par ses goûts artistiques, ses aspirations intellec-
tuelles, sa spontanéité, sa sincérité, son abnégation. Lina Sand
se disait avec tant de bonne foi « la plus ordinaire, la plus simple
(1) Lettre du 31 mars 1862. (Correspondance, t. IV. j
-tu GEORGE SAND
des femmes », elle se croyait si sincÚrement au-dessous de tous
ceux qui l'entouraient, elle se tenait si humblement dans l'ombre,
qu'elle induisit en erreur beaucoup, beaucoup de personnes,
mĂȘme parmi ses plus proches ! Et tandis que l'on ne parle de
Maurice Sand que sur un ton dithyrambique, qu'on s'extasie
toujours sur ses multiples talents, d'aucuns â et ils sont assez
nombreux â parlent de « Mme Maurice » avec une condes-
cendance méprisante ou bienveillante.
Or, eeux qui eurent le bonheur de connaĂźtre cette femme
exceptionnelle pensent tout autrement. Es se souviendront
sans cesse avec une admiration Ă©mue de cette Ăąme vibrante,
prĂȘte Ă s'enthousiasmer, Ă se sacrifier pour toutes les nobles
causes. Ils se rappelleront Ă tout jamais le rĂŽle qu'elle joua dans
l'existence de George Sand, dans la derniÚre période de sa vie ;
qu'elle fut la gardienne de la glorieuse mémoire de sa « bonne
mÚre » adorée. Us savent aussi tout ce que George Sand lui doit
et comment elle l'appréciait ; ils peuvent donner mainte preuve
du dévouement infatigable, des soins pieux dont Lina l'entourait
dans ses derniĂšres annĂ©es, veillant sans cesse Ă son bien-ĂȘtre.
On sait aussi que George Sand l'initiait Ă tous ses intĂ©rĂȘts et que
dans son testament elle légua tout son héritage littéraire à Mau-
rice et, en cas de mort, Ă sa femme Lina et non pas Ă sa propre
fille, ni Ă personne d'autre.
Les lettres de George Sand durant les quatorze derniĂšres
années de sa vie sont toutes remplies d'expressions de tendresse
pour sa « Linette », d'admiration devant cette nature spontanée
et généreuse, de satisfaction pour le bonheur de Maurice et de
joie d'avoir trouvé dans sa femme une jeune amie aussi dévouée,
aussi « eompréhensive ».
La toute premiÚre lettre de Lina Calamatta gagna d'emblée
le cĆur de Mme Sand. En rĂ©ponse Ă son consentement de devenir
la femme de Maurice, Mme Sand lui Ă©crivit donc :
Paris, 10 avril 1862.
Ma fille bien-aimée, tu dois avoir reçu hier la lettre de Maurice,
aujourd'hui je viens t'embrasser de toute mon Ăąme, au milieu de mes
GEORGE SAND 4'5
prĂ©paratifs de dĂ©part pour Nohant, oĂč. Maurice me rejoindra pour
attendre votre arrivée. Quelle eharmante lettre tu m'écris, ma diavo-
lina ! Oui, j'en suis sûre, tu veux nous rendre heureux. Cela t'est bien
facile, ma chĂ©rie, il ne s'agit que d'ĂȘtre heureuse toi-mĂȘme, puisque
nous n'avons pas d'autre pensée et d'autre besoin que eelui-là . Si tu
es l'enfant terrible, tu sais aimer. J'aime mieux l'Ă©nergie du cĆur et
de la tĂȘte que la moulonnerie de l'habitude et l'absence de volontĂ©.
Si tu crois en nous et si tu nous confies ta vie, c'est que tu nous aimes
de ton propre mouvement et sans ĂȘtre influencĂ©e par des convenances
vulgaires.
Dieu nous tiendra compte Ă tous trois de notre foi, car le mariage
est un acte de foi en Lui et en nous-mĂȘmes. Les paroles du prĂȘtre n'y
ajoutent rien. Elles sont lĂ pour la forme, car bien souvent il ne croit
pas lui-mĂȘme Ă ce qu'il dit. Nous nous entendrons sur ce point, noua
autres, et Ă l'Ă©glise, pendant que le prĂȘtre marmottera, nous prierons
le vrai Dieu, celui qui bĂ©nit les cĆurs sincĂšres et qui les aide Ă tenir
leurs promesses. Qu'il me tarde de t'embrasser, ma chĂšre fille. Et ton
bon pĂšre aussi que j'aime tant. Embrasse-le pour moi en attendant
et reçois toutes les bĂ©nĂ©dictions de mon cĆur.
George Sand.
Jeudi.
AprĂšs-demain soir je serai Ă Nohant (1).
En annonçant le mariage prochain de Maurice à son vieil ami
Armand Barbes, George Sand lui Ă©crivait :
Je veux vous annoncer le prochain mariage de mon fils avec la fille
de mon vieux et cher ami Calamatta. C'est une charmante enfant
et un esprit gĂ©nĂ©reux. Cette union est un vĆu de mon cĆur enfin
accompli.
Et Ă sa sĆur naturelle Mme Caroline Cazamajou, George Sand
Ă©crit Ă son retour de Paris, aprĂšs le mariage :
Je te disais que le mariage devait avoir heu, il y a eu aujourd'hui
quinze jours. Nos jeunes mariés sont déjà trÚs habitués à leur nou-
velle situation qui leur plaĂźt mutuellement, car ils n'ont pas voulu
venir passer quarante-huit heures avec moi Ă Paris, d'oĂč je suis arrivĂ©e
hier. Je les ai trouvés bien portants, travaillant ensemble et trÚs gais.
Je suis bien heureuse, ma nouvelle fille est charmante et nous nous
(1) Inédite.
416 GEORGE SAND
aimons depuis longtemps. Elle a vingt ans, elle est trĂšs enfant et en
mĂȘme temps trĂšs raisonnable. Je n'ai plus d'autre occupation et d'autre
désir que de la rendre heureuse...
A Jules Boucoiran Mme Sand Ă©crivait dans sa lettre du
23 juin 1862 :
Mon jeune ménage va trÚs bien. Maurice pioche, sa petite femme
e^t la grĂące et le charme en personne. Nous l'adorons...
Et plusieurs mois plus tard, lorsque sa jeune bru Ă©tait Ă Paris
avec Maurice pour « voir le monde et se laisser voir », comme
disent les bonnes gens, sa belle-mĂšre lui Ă©crivait Ă©galement :
A Lina Sand.
Nohant, 14 février 1863.
Ma cocotte chérie, j'ai été heureuse ce matin et je suis heureuse pour
toute la journĂ©e d'avoir une lettre de toi. C'est fĂȘte, et elle est bonne
et charmante comme toi, ta lettre. Tout en la lisant et en déjeunant,
je me suis aperçue que je pleurais dans mon chocolat et comme ce
n'Ă©taient pas des larmes tristes, bien au contraire, mon chocolat ne
m'en a paru que meilleur.
Tu as bien raison de m' aimer, va, car je ne vis que pour toi et Mau-
rice et je me persuade si bien que je t'ai mise au monde, que je ne fais
pas de différence de plus ou de moins entre vous deux.
Or, par une lettre du 20 fĂ©vrier de cette mĂȘme annĂ©e, adressĂ©e
à Edouard Cadol qui, alors à ses débuts dramatiques, venait
d'obtenir un grand succĂšs avec la Germaine, refaite sur les
conseils de George Sand, et venait de quitter Nohant oĂč il avait
sĂ©journĂ© plusieurs semaines et gagnĂ© tous les cĆurs, par cette
lettre nous voyons que Mme Sand disait de Lina aux autres la
mĂȘme chose qu'Ă elle-mĂȘme :
...Vous ĂȘtes gentil de me dire que ma Lina s'amuse et va bien, car
elle n'a guĂšre le temps de m'Ă©crire. Je ne le lui dis pas, pour ne pas
mettre un cheveu dans ses confitures, mais la maison me paraĂźt bien
morne sans elle...
GEORGE SAND 417
Et encore deux mois plus tard Mme Sand Ă©crit Ă Ed. Ro-
drigues :
...En fait de jouissance musicale, je n'ai que le chant de ma petite
belle-fille italienne, mais elle en vaut cent. C'est la voix la plus déli-
cieusement fraßche et veloutée qui existe et un sentiment d'une indi-
vidualitĂ© exquise. Chez elle le chant rĂ©vĂšle tout l'ĂȘtre. Avec cela, elle
coud elle-mĂȘme toute une layette Ă elle seule. Elle s'occupe d'histoire
naturelle avec son mari et moi, et elle s'apprĂȘte bravement Ă nourrir
son enfant...
Lorsque cet enfant â Marc- Antoine Sand â Ă©tait dĂ©jĂ nĂ© et
que Mme Sand, séjournant à Paris, visita Mme Arnould-Plessy
dans sa loge lors de la premiĂšre de Penharvan, elle raconta,
dans une lettre Ă Maurice et Ă Lina, comment on la questionna
sur sa « Lina » et comment elle répondit :
...Elle m'a fait mille questions sur vous et tout le monde aussi :
« Mme Maurice est-elle artiste? Est-elle intelligente? S'intéresse-t-elle
aux occupations de son mari? » â « Oui, certainement, elle chante
comme un amour et réconcilie son mari avec la musique, et puis elle
s'intĂ©resse Ă tout ce qu'il fait et mĂȘme Ă la science, et elle connaĂźt
déjà les coquilles fossiles comme un vieux professeur, et ça ne l'em-
pĂȘche pas de nourrir son mioche aussi bien qu'une vraie paysanne,
et de se relever la nuit, et d'ourler ses langes et de tailler ses bras-
siÚres, etc. » Alors on fait des cris d'admiration et Fromentin s'extasie...
En 1863 George Sand dédia à sa jeune bru son roman Laura
ou Voyage dans le cristal oĂč s'Ă©tait reflĂ©tĂ© l'expansion de l'auteur
non plus pour la botanique, mais la minĂ©ralogie et la gĂ©ologie et oĂč
elle parle, sous la forme d'un conte fantastique, de géodes, de
druses, de cristallisations et autres choses scientifiques. Cette
dédicace est non seulement l'expression du tendre attachement
de l'auteur pour la jeune femme de Maurice, mais c'est aussi
l'écho des études communes « en géologie » des deux femmes,
dirigées par leur mari et fils.
« Vous trouverez dans ma Lina une adepte coiffée aussi de
géologie et de fossiles », écrit Mme Sand le 7 février 1863 à Louis
Maillard.
Et les expressions de tendresse, les mots Ă©mus, les Ă©pithĂštes
iv. 27
4iS GEORGE SAXD
louangeuses se poursuivent à travers les années et se retrouvent
dans toutes les lettres de Mme Sand oĂč il est question de sa belle-
fille.
Maurice est heureux en mĂ©nage â Ă©crit George Sand Ă L. Viardot
le 11 avril 1867 â il a un vrai petit trĂ©sor de femme, active, rangĂ©e,
bonne mÚre et bonne ménagÚre, tout en restant artiste d'intelligence
et de cĆur. Nous avons un seul petit enfant, une fillette de quinze mois
qui s'appelle Aurore et qui annonce aussi beaucoup d'intelligence et
d'attention. La gentille créature semble faire son possible pour nous
consoler du cher petit que nous avons perdu (1).
Quelques mois plus tard Mme Sand dit Ă Flaubert dans sa
lettre du 24 juillet 1867 :
Ma fille Lina est toujours ma vraie fille. L'autre se porte bien et elle
est belle, c'est tout ce que j'ai Ă lui demander (2).
Encore quelques mois plus tard, au moment oĂč Mme Mau-
rice Sand s'attendait a la. venue de son troisiĂšme enfant et
lorsque la vie du jeune ménage était devenue une part intégrale
et indivisible de l'existence de Mme Sand, oĂč les lettres de
cette derniÚre devinrent véritablement des épßtres d'une grand-
mÚre, elle parle en termes que voici de ses « deux enfants » Mau-
rice et Lina, dont l'un venait de la divertir par une piĂšce de
marionnettes extraordinaire et prophétique intitulée « 1870 »,
oĂč apparaissaient Isidore et sa femme EwphĂ©mie :
...Maurice me domie cette récréation dans mes intervalles de repos
qui coĂŻncident avec les siens. H y porte autant d'ardeur et de passion
que quand il s'occupe de science. C'est vraiment une charmante nature
et on ne s'ennuie jamais avec lui. Sa femme aussi est charmante, toute
ronde en ce moment, agissant toujours, s'occupant de tout, se cou-
chant sur le sofa vingt fois par jour, se relevant pour courir Ă sa fille,
Ă sa cuisiniĂšre, Ă son mari, qui demande un tas de choses pour son
théùtre, revenant se coucher, criant quelle a mal et riant aux éclats
d'une mouche qui vole; cousant des layettes, lisant des journaux avec
rage, des romans qui la font pleurer ; pleurant aussi aux marionnettes
(1) Correspondance, vol. V.
(2) Correspondance entre George Sand et Gustave Flaulert. (Paris. LĂ©w,
1904), p. 93.
GEORGE SAND 419
quand il y a un bout de sentiment, car il y en a aussi. Enfin c'est une
nature et un type; ça chante à ravir, cest colÚre et tendre, ça fait
des friandises succulentes pour nous surprendre et chaque journée de
notre phase de rĂ©crĂ©ation est une petite fĂȘte qu'elle organise (1).
Et le 23 mars 1868, aprÚs une série de reproches et de conseils
Ă sa nouvelle amie Mme Juliette Lamber qui souffrait alors d'in-
somnies nerveuses et se laissait en général trop émouvoir et
trop abattre, Mme Sand dit Ă sa jeune correspondante :
...Ma Lina ne se pique pas de carme, mais elle a de grands mouve-
ments de vouloir et de raison qui se succĂšdent et se rattachent les uns
aux autres aprÚs qu'une émotion vive a semblé les briser ; c'est une
nature rare, une grande force dans une exquise finesse. Elle est toute
disposée à vous aimer, mais elle n'est pas expansive, elle est plutÎt
timide Ă premiĂšre vue et observant plus qu'elle ne songe Ă montrer.
Elle eût été une artiste, si elle n'eût été avant tout une mÚre. Ce sen-
timent-là a absorbé toute sa vie depuis six ans. Elle y a mis toute son
Ăąme (2).
En 1872, fĂ©licitant cette mĂȘme Juliette Lamber (devenue
Mme Adam) du mariage prochain de sa fille adorée Alice, sur-
nommée Topaze et fiancée à M. Paul Segond, le célÚbre médecin,
Mme Sand Ă©crit Ă cette amie, le 16 octobre :
...Que votre gendre soit pour vous ce que Lina est pour moi, et
vous serez bien récompensée de votre amour pour cette eharmante
Alice (3)...
Enfin le 1er janvier 1873, George Sand Ă©crit Ă Charles Poney :
...Lina est toujours la perle de la maison. Toutes les qualités et
toutes les grĂąces... (4).
Et combien encore de ces lignes enthousiastes et de juge-
ments émus et tendres sur sa Lina sont disséminés dans les lettres
de George Sand des quatorze derniÚres années de sa vie ! Or,
(1) Lettre à Flaubert du 31 décembre 1867.
(2) Correspondance, vol. V.
(3) Ibid., vol. VI.
(4) Ibid., vol. VI.
42o GEORGE SAND
aprĂšs la mort de Lina elle-mĂȘme, Mme SĂ©verine Ă©crivit sur elle
entre autres les lignes que voici, justes et vraies :
...Son horreur des ténÚbres, du mensonge, se renforçait du souvenir
toujours vivant en elle. Avec un tact admirable elle sut tout concilier ;
ne pas souffrir de son effacement; ne faire souffrir personne ; ĂȘtre le
lieu obscur, mais solide, entre des personnalitĂ©s marquĂ©es, ĂȘtre la
bonne fée secourable à l'intimité.
Dans les souvenirs du grand écrivain, dans tous les livres publiés
sur Sand et sur Nohant on la voit passer discrÚte, bienfaisante, répan-
dant autour d'elle l'ordre sans lequel il n'est pas de foyer...
Le mariage de Maurice Sand ne fut d'abord conclu que devant
le maire (1) et ce ne fut que plus tard, lorsque les jeunes
époux avaient déjà un fils, qu'ils furent bénis selon les rites de
l'Ăglise, non pas catholique, mais protestante, quoique tous les
deux fussent catholiques (2). Ce fut ainsi autant par désir per-
sonnel de Maurice qui voulait assurer la liberté de conscience
à lui et à ses futurs enfants (3) qu'en raison des idées libératrices
de sa mĂšre et de ses croyances religieuses et philosophiques
arrivées vers cette époque à une synthÚse définitive. Puis, en
dehors de l'esprit général de protestation qui s'accentua de plus
en plus en France contre le cléricalisme à outrance gagnant tous
les jours du terrain, au moment oĂč le second Empire Ă©tait arrivĂ©
Ă son apogĂ©e â ce qui joua bien certainement le rĂŽle d'un argu-
(1) Voir la lettre de George Sand au prince Xapoléon, p. 328-329 du vol. IV
de la Correspondance.
(2) Mme Sand le dĂ©clare elle-mĂȘme dans sa lettre du 3 aoĂ»t 1863 au pas-
teur Leblois ; à ce moment-là l'enfant n'était pas encore baptisé et, comme
on verra par les lettres du printemps 1864, Mme Sand avait alors seulement
V intention d'ĂȘtre la marraine de son petit-fils. Le baptĂȘme n'eut lieu qu'au
mois de mai 1864, et selon le rite protestant.
(3) Mme Sand avait écrit à Jules Boucoiran dÚs le 9 février 1863, c'est-à -
dire encore avant la naissance de Marc- Antoine :
« ...Oui, mon cher ami, il faut venir nous voir cette année, nous en serons
tous heureux. Vous aimerez notre Lina qui est une enfant ravissante et qui,
dans cinq mois environ, nous donnera un petit protestant. Maurice a l'inten-
tion sérieuse de n'en pas faire un catholique, c'est son idée. Vous parlerez
de cela avec lui. Je m'abstiens. Ils partent dans quelques heures Ă Paris oĂč
ils vont passer deux ou trois semaines. C'est donc pour Maurice autant que
pour moi que je vous réponds et vous remercie.
« Manceau vous embrasse aussi. »
GEORGE SAND 421
ment ab adverso dans la décision de Maurice Sand, ce fut le fait
que la mÚre de Lina Calamatta, Mme Anne- Joséphine Calamatta,
une femme charmante et une nature d'Ă©lite, une vraie artiste (1),
cette distinguée personne, catholique fervente dÚs sa jeunesse,
tomba peu Ă peu sous l'influence exclusive des prĂȘtres. (Plus
tard, aprĂšs la mort de son mari, elle se fit mĂȘme religieuse et
mourut le 10 dĂ©cembre 1893 sous le nom de sĆur Marie-JosĂšphe
de la Miséricorde.) Luigi Calamatta et sa fille, durant bien des
années, souffrirent d'incidents pénibles et révoltant leurs idées,
leurs sentiments d'époux et de fille. L'intransigeance de Mme José-
phine les froissait, et sous les traits de différents pÚres spirituels,
confesseurs de Mme Calamatta, le cléricalisme envahissait leur
foyer.
George Sand, ayant depuis longtemps franchi toutes les Ă©tapes
de Spiridion, et acheté au prix de grandes souffrances morales
sa foi libre, son credo, rejetait toutes les pratiques et toutes les
formalités du culte. Elle niait la divinité du Christ, l'existence
du diable et de l'enfer â qu'elle appelait une monstruositĂ©, « une
imposture et une barbarie » â et protestait surtout contre le
dogme du chùtiment éternel (2). Il est tout naturel qu'elle fût
révoltée et douloureusement peinée de tout ce qui se passait
alors autour d'elle. La domination spirituelle absolue, annihi-
lante, exercée par leurs confesseurs sur des jeunes femmes et
des jeunes filles inconnues ou connues exaspérait Mme Sand.
Autrefois, lors du séjour de sa fille dans un pensionnat, elle s'était
efforcée de mettre Solange en garde contre le culte extérieur
masquant la religion mĂȘme, elle voulait la prĂ©server du mysti-
cisme sensuel du catholicisme et ne pas lui laisser prendre pour
(1) Elle peignait fort bien Ă l'huile et au pastel et nous avons vu au salon
de Nohant plusieurs tableaux et portraits dus Ă son pinceau et Ă ses crayons.
(2) Que nos lecteurs se souviennent encore une fois des mots de Renan
pris par nous comme Ă©pigraphe de notre travail et qu'ils ne nous rendent pas
responsables des opinions de Mme Sand, nos idées religieuses différant sur
bien des points de ses croyances et de son credo social et religieux.
En qualité d'historien fidÚle nous sommes obligé de rapporter et de cite"
exactement toutes les idées et expressions de George Sand, quelque hérétiques
qu'elles puissent nous paraĂźtre. Nous prions nos lecteurs de ne point nous
en croire solidaire ni responsable. â W. K.
4.22 GEORGE SAXD
de la réalité certaines manifestations du culte et certains actes
symboliques (1). Mme Sand Ă©crit en ce sens Ă M. Bascans :
...Soyez bien persuadĂ© cependant qu'en confiant son Ă©ducation Ă
des Ă©trangers et hors de ehez moi, je surveillerai le programme de
son propre travail Je ne veux pas qu"on la fatigue, ni qu'on remplisse
de trop de choses son esprit si impressionnable; je ne veux pas non
plus qu'on la pousse trop en dehors des voies de la philosophie et de
la religion naturelle, et j'entends qu'elle reçoive une éducation reli-
gieuse qui ne soit ni routiniÚre, ni absurde. L'image de Dieu a été
entourée par le culte de tant de subterfuges et d'inventions étranges,
que je désire qu'autant que possible sa pensée n'en soit par> imprégnée.
Je tolérerai qu'elle suive, mais seulement jusqu'à sa premiÚre com-
munion, les exercices de piété en usage dans la maison. Le mysticisme
dont la religion, ainsi qu'on nous la présente, a enveloppé la figure
sublime du Christ, dénature tout à fait les causes premiÚres de la
erande mission qu'il avait Ă remplir sur la terre, mission qu'on a tra-
vestie pour la faire servir Ă des intĂ©rĂȘts et Ă des passions de toutes
sortes. L'étude philosophique et vraie de sa vie a démontré, au con-
traire, le nĂ©ant de la plupart des traditions qui sont venues jusqu'Ă
nous sous son nom, et je ne veux pas pour Solange d'un enseignement
de ce genre trop prolongé, et dans lequel elle pourrait puiser, et con-
server dans un ùge plus avancé, des principes d'exclusivisme et d'in-
tolérance, dont je crois qu'il est de mon devoir de la garantir.
Un an plus tard, Mme Sand Ă©crivait au mĂȘme :
Mon cher monsieur Bascans, nous voici dans la Semaine Sainte.
L'année derniÚre, je n'ai pas été fùchée que Solange vßt le spectacle
du culte catholique; mais maintenant que la piÚce est jouée pour
elle, je ne vois pas de nĂ©cessitĂ©, et je trouverais mĂȘme beaucoup d'in-
convénients, à ce qu'elle en suivßt davantage les représentations. H
ne me convient pas qu'elle s'habitue à l'hypocrisie des génuflexions et
des signes de croix, ni à l'adoration de l'idole sous laquelle on déshonore
la sainte figure du Christ.
Solange est bien plus sceptique que je ne le voudrais. Je crois donc
que la vue de toutes ces cérémonies, dont le sens primitif est perdu,
et qu'aucun prĂȘtre orthodoxe de nos jours ne saurait lui expliquer
dignement, est d'un mauvais effet sur elle. Je craindrais que cette
vue ne détruisßt à jamais en elle le germe d'enthousiasme que j'ai
tùché d'y mettre pour la mission et la parole de Jésus, si singuliÚre-
(1) V. notre vol. III, p. 456.
GEORGE SAND 423
ment expliquée dans les églises. Je vous prie donc de la tenir à la
maison pendant toutes ces dévotions. Je ne veux pas qu'on lui mette
de la cendre au front, ni qu'on lui fasse baiser des images. Je ne l'ai
pas élevée pour l'idolùtrie, et si elle est destinée un jour à faire quelque
emploi de son intelligence, ce sera probablement pour travailler,
selon la mesure de ses forces, Ă la destruction de l'idolĂątrie. Vous
m'obligerez mĂȘme beaucoup, dĂ©sormais, de lui supprimer entiĂšre-
ment la messe comme un temps fort mal employé, puisqu'elle n'y songe
qu'à railler la dévotion d' autrui.
Cependant, sïl entrait dans vos vues, comme je vous l'avais demandé
l'année derniÚre, de lui expliquer la philosophie du Christ, de l'at-
tendrir au récit de ce beau poÚme de la vie et de la mort de l'homme
divin, de lui prĂ©senter l'Ăvangile comme la doctrine de l'Ă©galitĂ©, enfin
de commenter avec elle ces évangiles si scandaleusement altérés dans
les traductions catholiques, et si admirablement réhabilités dans le
Livre de l'humanité de Pierre Leroux, ce serait là pour elle la véritable
instruction religieuse dont je désirerais qu'elle profitùt durant la
Semaine Sainte, et tous les jours de sa vie. Mais cette instruction ne
peut lui venir que de vous, non des « comédiens sacrés », iunctos
samiones, comme disaient les Hussites...
Tout Ă vous de cĆur.
G. Saxd.
Plus tard elle agit de mĂȘme envers le jeune Francis Laur,
dĂ©sireuse de le prĂ©server des pratiques religieuses, voire mĂȘme de
toute espĂšce de culte. Dans ses lettres Ă Louis Maillard elle Ă©crit :
Nehant, 17 février 1863.
...Mme Maillard va Ă la messe, c'est bien, elle y croit; mais j'es-
pĂšre que Francis et RenĂ© n'y vont pas. Le jour oĂč ils feraient alliance
avec le prĂȘtre, je leur tirerais ma rĂ©vĂ©rence. Les garçons qui font ce
pacte n'ont plus besoin de personne, et on n'a plus qu'à se méfier et
se préserver d'eux.
Nohant, 22 février 1863.
...EnquĂȘte faite, dites-vous, les enfants ne vont pas Ă la messe.
Mais je n'ai pas ouï dire qu'ils y eussent été? Si j'ai pensé à la messe,
c'est que vous m'Ă©criviez : Mme Maillard est Ă la messe et Francis crie
la faim. D'oĂč j'ai conclu naturellement que Mme Maillard allait Ă
la messe, ce qui est fort bien vu et ne me regarde pas ; mais ce qui m'a
fait penser à vous dire je ne sais plus quoi, en général, sur mes deux
garçons de chez vous. Je sais qu'il y a une propagande organisée qui
424 GEORGE SAND
s'empare tant qu'elle peut des jeunes esprits pour les fausser ; j'Ă©tais
dĂ©jĂ assez mĂ©contente que ma niĂšce eĂ»t mis ses fils chez les prĂȘtres.
Elle s'en mord les doigts à présent. Je crois que René les juge bien,
ces bons messieurs, et en somme je n'ai guÚre d'inquiétude qu'ils aient
déteint sur lui.
Mais quant Ă accuser quelqu'un de chez vous de faire du zĂšle reli-
gieux, je crois que personne n'y a songé et qu'il n'y avait pas d'en-
quĂȘte Ă faire. Us n'auront pas su ce que cela voulait dire...
Mme Sand niait la religion catholique, elle se méfiait égale-
ment du protestantisme officiel. C'est pour cela que Maurice
lui ayant confié son désir de faire son fils protestant et de se
marier préalablement devant un pasteur, elle se mit activement
Ă la recherche d'un reprĂ©sentant d'une Ăglise libre. Mme Sand
craignait que son fils et sa future famille ne tombassent de
Charybde en Scylla et n'Ă©chappassent Ă la religion officielle que
pour se soumettre Ă la rĂšgle d'une petite Ăglise intolĂ©rante ; c'est
pour cela que Mme Sand rĂ©flĂ©chit longtemps avant d'arrĂȘter
son choix, et ne se décida qu'aprÚs de longs pourparlers, de longs
débats sur toutes sortes de questions. On peut suivre ces péri-
péties en lisant les nombreuses lettres, tant imprimées qu'iné-
dites, adressées par Mme Sand à MM. Coquerel, Leblois à Stras-
bourg, Guy Ă Bourges, Scbseffer Ă Colmar. Les plus remar-
quables sont celles qu'elle adressa Ă M. Schaeffer, deux sont
imprimées aux pages 342 et 349 du volume IV de la Correspon-
dance (sans indication du nom du destinataire et ne portant que
«M***») et une troisiÚme parut dans V Amateur (V autographes (1).
Nous ne transcrirons point ici les deux premiĂšres, mais nous
trouvons indispensable de citer cette derniĂšre lettre d'autant plus
que cette revue est peu connue.
A monsieur Ad. SchĆfftr, 'ministre protestant Ă Colmar.
Monsieur,
J'ai beaucoup tardé à vous répondre. Un heureux événement de
famille m'a Îté tout loisir pour la lecture et la correspondance.
(1) V Amateur d'autographes, publié par Noël Charavay, 15 janvier 1900,
33e année. Nouvelle série, numéro 1.
GEORGE SAND 425
J'ai enfin lu votre livre et allant droit au fait avec la franchise que
commande l'estime fraternelle, je vous dirai pourquoi je n'ai pas parlé
du protestantisme avec une entiĂšre sympathie. C'est parce que, dans
le présent, le protestantisme n'a pas fait sur toute la ligne, comme on
dit d'une armée, le pas décisif et nécessaire qu'il devait, qu'il doit
faire, sous peine de tomber dans le mĂȘme discrĂ©dit que le catholi-
cisme. Le protestantisme, Ă qui je pardonnerais jusqu'Ă un certain
point de concevoir la divinité de Jésus, parce que ce dogme ne choque
que la raison et trouve son excuse dans le sentiment, â le protestan-
tisme, dis-je, n'a point abjuré le dogme de l'enfer qui révolte la
raison, la conscience et le sentiment.
Depuis que j'ai publié Mademoiselle La Quintinie, j'ai reçu beaucoup
de lettres et d'écrits protestants. J'ai été renseignée sur la situation
des esprits et des cĆurs dans l'Ăglise rĂ©formĂ©e et j'ai vu avec une
grande satisfaction qu'un assez grand nombre de ses membres avait
accompli le double progrÚs que réclamait ma conscience. Je le dirai
Ă l'occasion.
Vous dites d'excellentes choses dans votre Essai sur la tolé-
rance.
Vous les dites bien, avec noblesse et simplicité. Toutes vos cri-
tiques du catholicisme portent juste et sur la question historique,
tout ce qui est digne du nom d'homme vous donne aujourd'hui
raison.
Mais vous arrivez à la doctrine de tolérance proclamée par Jésus-
Christ, et je vois là , dans le texte sacré, des monstruosités qui m'ar-
rĂȘtent. JĂ©sus croit Ă l'enfer et il aime Ă y croire. Son rĂ©gime de dou-
ceur et de miséricorde, il en croit l'homme capable, puisqu'il le lui
enseigne, mais il le refuse Ă Dieu. Il compte que son pĂšre le vengera,
il espĂšre que la vertu de ses disciples amassera des charbons ardents
sur la tĂȘte de leurs persĂ©cuteurs:, il condamne ceux-ci Ă la gĂ©henne du
feu. Enfin, s'il a dit les paroles qu'on lui prĂȘte, sa mansuĂ©tude ne
serait qu'une politique habile, et son cĆur, transportant le chĂątiment
de ses adversaires dans l'éternité, eût recelé des trésors d'intolérance
et de colĂšre : ou JĂ©sus-Christ n'a jamais dit ces paroles, ou JĂ©sus-Christ
n'est pas Dieu. Il faut choisir, et vous deviez ici nous enseigner et vous
prononcer. Otez l'enfer et vous qui comprenez si bien le pardon des
injures sur la terre, ne faites pas Dieu au-dessous de votre image. Si
JĂ©sus est le fils de Dieu, affirmez qu'il n'est pas au-dessous de son
pÚre et que ce qu'il a délié sur la terre est délié dans le ciel. Affirmez
qu'on l'a outragé en remplissant sa bouche de menaces et de malédic-
tions.
S'il n'est pas Dieu, pardonnons-lui d'avoir eu les superstitions et
le? imperfections de son temps et de son milieu, mais ne passons point
426 GEORGE SAXD
à 'cÎté d'une question si grave. H n'y a pas de tolérance qui tienne et
vos propres arguments contre l'impossibilité de tolérer l'intolérance
sont ici dans toute leur force. DétrÎnons ce faux dieu, ou déchirons
les pages sacrées qui le calomnient.
Vous ouvrez la porte à la liberté d'interprétation, je le sais, mais
pour que les esprits éclairés et le3 ùmes vraiment aimantes se rallient
Ă votre Ăglise, il faudra bien rouvrir toute grande, cette porte au delĂ
de laquelle on veut voir le vrai Dieu. Ministres de la foi, vous la tenez
entre-bùillée, cette porte du ciel, elle n'est ni ouverte ni fermée. Prenez-y
garde, les nouvelles générations n'y passeront pas si l'enfer est au
seuil.
Pardonnez-moi de vous dire tout cela, mais soyez sûr que ce n'est
pas ma croyance personnelle qui veut entrer en lutte avec la vĂŽtre.
Je porte en moi la conscience du genre humain. Elle est en vous Ă©ga-
lement, consultez-la, Ă©coutez-la, elle vous dira qu'il faut qu'une des
deux Ăglises qui se partagent les croyances actuelles fasse un pas
décisif dans la vérité et la justice. Il y a mille à parier contre un que
l'Ăglise romaine pĂ©rira sans transiger tandis qu'il semble aujourd'hui
que le protestantisme commence à s'ébranler devant le monde affamé,
enfiĂ©vrĂ© de progrĂšs. Si vous ĂȘtes du cĂŽtĂ© de ce mouvement qui peut
nous sauver du matérialisme (1), je suis avec vous, monsieur, et rien
d'irrémédiable ne nous sépare. Sinon ne vous étonnez pas qu'avec
tous les fibres penseurs de mon temps, je ne veuille ĂȘtre ni avec
les protestants, ni avec les catholiques.
Et croyez quand mĂȘme Ă mes sentiments affectueux et distinguĂ©s.
George Saxd.
Xohant, 21 août 63.
Le baptĂȘme protestant du petit Marc-Antoine est racontĂ©
dans une série de lettres du printemps 1864, époque de la pre-
miĂšre de Villemer et de l'installation de Mme Sand Ă Palaiseau ;
nous donnerons plus loin ces lettres intégralement, sans en rien
citer ici.
(1) George Sand souleva dans plusieurs de ses écrits la question du maté-
rialisme si répandu dans le monde contemporain et si attristant selon elle.
Dans son écrit A propos de Madelon, d'Edmond About, tout en félicitant
le jeune auteur de ses heureux débuts, elle lui faisait remarquer que sou héros,
si indignĂ© contre les lĂąches et les nigauds qui l'entourent, pĂšche lui-mĂȘme par
le mĂȘme dĂ©faut, car il ne croit Ă rien et n'est guidĂ© par aucun idĂ©al. Cet article
parut dans la Presse en 1863, et est réimprimé dans le volume des Questions
d'art et de littérature.
GEORGE SAND 427
En 1866 Maurice Sand eut une fille, Aurore, et en 1868 une
seconde fille, Gabrielle. Ces deux enfants, Ă©galement, ne furent
point baptisées dÚs leur naissance, on ne les baptisa protes-
tantes que lorsque l'aßnée avait presque trois ans et l'autre huit
mois ; le prince JĂ©rĂŽme et Mme Sand furent le parrain et la mar-
raine d'Aurore ; le neveu de Mme Sand, M. Simonnet et Mlle Nancy
Fleury ceux de Gabrielle. A ce propos George Sand Ă©crit Ă Flau-
bert, de Nohant, le 20 novembre 1868 :
...Vers le 15 décembre, ici, nous baptisons protestantes nos deux
fillettes. C'est l'idée de Maurice qui s'est marié devant le pasteur et
qui ne veut pas de persécution et d'influences catholiques autour de
ses filles...
Et Ă Mme Adam, le baptĂȘme dĂ©jĂ accompli, Mme Sand Ă©crit
le 20 décembre 1868 :
Je n'ai pas eu un instant pour vous répondre. Nouant a été sens
dessus dessous pour les fĂȘtes de nos baptĂȘmes spiritualistes, je ne veux
pas dire protestants, bien que le premier sens du mot soit le vrai ;
avec cela il fallait finir un gros travail...
Si nous faisons encore remarquer que lorsque moins de six
mois plus tard, le 9 mars 1869, mourut le vieux Calamatta et
que sa femme quitta presque immédiatmeent aprÚs le monde
pour prendre le voile, projet préparé de longue date par ses con-
fesseur et directeur, on comprend aisément que les sentiments
hostiles et l'indignation de Mme Sand et de sa famille ne faisaient
que croĂźtre. Et George Sand, comme il arrive souvent dans les
temps de polémique, se passionnait de plus en plus contre
le catholicisme. Sur ce sujet George Sand Ă©crivit une trĂšs
curieuse lettre en janvier 1863, â l'annĂ©e mĂȘme oĂč parut Made-
moiselle La Qmntinie â Ă Mlle Leroyer de Chantepie. En lui
disant qu'elle considérait comme une chose trÚs néfaste l'état
de doute et d'indécision dans lequel se trouvait son ancienne
correspondante, celle-ci ne pouvant ni se résoudre à se passer
de la confession, ni se confesser sans hésitation, Mme Sand lui
conseillait d'accomplir cet acte de foi simplement et de tout son
cĆur, plutĂŽt que de rester dans cet Ă©tat de doute. Elle lui avouait
42S GEORGE SAND
nĂ©anmoins sincĂšrement qu'elle Ă©tait arrivĂ©e elle-mĂȘme Ă des
idées trÚs libres en ces matiÚres :
Il n'y a pas, je crois, d'ùme plus généreuse et plus pure que la vÎtre,
et elle ne serait pas sauvée ! Ce dogme catholique vous tue et, si je vous
dis qu'il faut en sortir, vous n'aurez peut-ĂȘtre plus ni amitiĂ© pour moi,
ni confiance. Pourtant c'est ma conviction, le dogme de l'enfer est
une monstruosité, une imposture, une barbarie. Dieu, qui nous a tracé
la loi du progrÚs et qui nous y pousse malgré nous, nous défend aujour-
d'hui de croire à la damnation éternelle ; c'est une impiété que de douter
de sa miséricorde infinie et de croire qu'il ne pardonne pas toujours,
mĂȘme aux plus grands coupables.
Je vous croyais autrefois heureuse par la foi catholique et les
croyances douces et tranquilles dans les belles Ăąmes me paraissent si
sacrĂ©es, que je vous disais : « Allez Ă tel prĂȘtre ou Ă tel philosophe
chrétien, ou à tel ami qui vous semblera propre à vous rendre l'an-
cienne sĂ©rĂ©nitĂ© oĂč vos nobles sentiments ont pris naissance et force. »
Mais voilĂ que le doute est entrĂ© en vous, et que la voix du prĂȘtre vous
jette dans une sorte de vertige. Quittez le prĂȘtre et allez Ă Dieu qui
vous appelle et qui juge apparemment que votre ùme est assez éclairée
pour ne pouvoir plus supporter un intermédiaire, sujet à erreur.
Ou, si l'habitude, la convenance, le besoin des formules consacrées
vous fient Ă la pratique du culte, portez-y donc cet esprit de confiance,
de liberté et de véritable foi, qui est en vous... Dieu ne veut pas que
Ton doute de soi-mĂȘme, car c'e^t douter de lui (1).
Elle lui Ă©crivait encore :
...Allez Ă Dieu sans intermĂ©diaire et sans prĂȘtre ; ou si la confession
vous paraĂźt un devoir, remplissez-le naĂŻvement et sans examen. Con-
fessez-vous de votre mieux et mĂȘme des fautes involontaires ; de
cette façon, rien ne manquera Ă votre sincĂ©ritĂ© de cĆur, et le confes-
seur vous grondùt-il plus que de raison, soyez sûre que Dieu appréciera
avec plus de clarté et d'indulgence.
Je vous avoue que pour mon compte, j'en suis venue Ă regarder le
prĂȘtre comme l'agent du mal en ce monde, mais je ne discute pas les
convictions de doctrine chez des personnes de votre mérite. Ce que je
blĂąme avec tout le respect qui vous est dĂ», c'est que vous restiez dans
l'impasse du doute, sans faire d'effort suprĂȘme pour en sortir. Acceptez
complĂštement l'Ăglise si vous vous y croyez obligĂ©e ; ne discutez rien
et vous retrouverez la paix (2)...
(1) Cette lettre est imprimée dans le vol. IV de la Correspondance à la
fausse date du 5 juin 1858.
(2) Lettre médite du 16 janvier 1863.
GEORGE SAND 429
Ces lignes deviennent trÚs significatives, surtout confrontées
aux lettres passionnĂ©ment indignĂ©es, parfois mĂȘme dĂ©sagrĂ©a-
blement Ăąpres et mordantes, que Mme Sand Ă©crivit en au-
tomne 1868 Ă Flaubert, Ă Mme Arnould-Plessy et au pĂšre
Hyacinthe Loyson (1). Nous avons parlé de ces lettres de
Mme Sand au chapitre ix à propos de la « conversion de Mme Ar-
nould-Plessy » (2). En anticipant un peu sur l'ordre chronolo-
gique, disons dĂšs Ă prĂ©sent que lorsqu'en 1872, â juste au
moment oĂč l'on Ă©tait en train de faire jouer Mademoiselle La
Quintinie, tirĂ©e du roman du mĂȘme nom, â le pĂšre Loyson se
prononça contre le célibat du clergé, se maria tout en restant
prĂȘtre et entra en dissidence ouverte avec l'Ăglise romaine,
George Sand acclama cet acte de courage et de foi par un article
dans le Temps (réimprimé plus tard comme le numéro xvn de ses
Impressions et souvenirs). Et c'est dans cet article qu'elle Ă©mit la
pensée qui choqua tant de ses contemporains et qui, de nos jours
encore, est souvent citée par des auteurs orthodoxes comme l'abo-
mination de la dĂ©solation. Le pĂšre Loyson affirmait ne pas ĂȘtre
protestant, et George Sand lui refusait le droit de se croire catho-
lique du moment oĂč il n'admettait pas le cĂ©libat des prĂȘtres. Cette
distinction entre l'Ăglise latine et l'Ăglise romaine lui semblait
« assez arbitraire, elle y retrouvait une subtilitĂ© de prĂȘtre ». Elle
écrit : « Pour nous il est un hérétique parfait et nous l'en félicitons,
car les hérésies sont la grande vitalité de l'idéal chrétien... » (3)
Toutes ces idées et tous ces sentiments anti-orthodoxes de
George Sand trouvĂšrent leur Ă©cho dans Mademoiselle La Quin-
tinie, roman qui parut trois ans aprĂšs le Marquis de Villemer, fit
beaucoup de bruit en son temps et souleva un grand courant de
(1) Alors, carrne déchaussé et célÚbre prédicateur catholique, plus tard
brouillé avec Rome et chef d'une communauté libre, il est mort tout récem-
ment, en 1912.
(2) Mme Sand fut surtout trÚs véhémente contre le pÚre Hyacinthe dans
sa lettre à Mme Arnould datée du 13 septembre 1868 ; Mme Araould mon-
tra cette lettre au pĂšre Loyson et celui-ci Ă©crivit lui-mĂȘme Ă Mme Sand
en réponse à ses paroles dures et outrageantes.
(3) Mme Sand avait écrit à Mme Arnould-Plessy déjà le 18 mai 1863 : « Je
vous dis que si votre abbé H... est homme de progrÚs, il est hétérodoxe. N'im-
porte I s'il prĂȘche le bien et s'il vous fait du bien, tout est bien... »
430 GEORGE SAND
sympathie pour Mme Sand de la part de la jeunesse des Ă©coles
et de tous les gens avancés. C'est l'un de ses romans militants et
lorsqu'on fait le bilan de ses tendances libératrices et de ses
romans Ă thĂšse, on lui donne l'une des premiĂšres places. Made-
moiselle La Quintinie. c"est comme ime conclusion ou un com-
mentaire Ă Spiridion. Seulement il n'est point Ă©crit sous la forme-
fantastique et romanesque de Spiridion, c'est un roman parfai-
tement réaliste, se rapprochant presque des romans naturalistes
par sa maniÚre et par le développement de l'action et ne s'en
distinguant que par l'absence des scĂšnes grossiĂšres.
>7ous venons de dire que ce roman fit beaucoup de bruit. Il
sépara les lecteurs en deux camps : les uns admiraient outre
mesure cette courageuse protestation contre le clergé alors au faßte
du pouvoir, les autres s'indignĂšrent et appelĂšrent sur la tĂȘte de
l'auteur les foudres de l'Ăglise. Ce quiles horripilait surtout, c'Ă©tait
le fait que le hĂ©ros du roman Ă©tait un prĂȘtre, l'abbĂ© MorĂ©ali.
George Sand se rendait trĂšs bien compte de tout cela; nous
trouvons dans ses lettres inédites d'intéressants passages qui
le prouvent.
A Alexandre Dumas fils.
Xohant, 1er janvier 1863.
...Buloz a entendu dire que le roman de Monsieur Dumas Ă©tait fini.
(( M. Dumas » ne lui avait-il pas promis la préférence? « M. Dumas »
devrait bien penser Ă lui, etc., etc. Enfin Buloz est impatient de lire
et il est bien avéré pour moi que c'est ehez lui un désir sincÚre de
pouvoir rehausser sa revue de votre nom. Mais voudra-t-il de nos
petites Ă©lueubrations? Moi, j'ai lĂ un millier de pages contre les cagots,
lesquelles, malgré sa demande, lui paraßtront contenir neuf cent
quatre-vingt-dix-neuf pages de trop. TFimporte, essayons la littérature
sans hypocrisie, dans cette mĂȘme revue qui a publiĂ© Sibylle (1).
Deux mois plus tard, elle Ă©crit Ă Boucoiran :
Nouant, 8 mars 1863.
...J'ai fait un roman peu catholique qui commence Ă paraĂźtre dans
la revue et qui m'attirera bien des injures. Maurice a fait un roman
(1) Roman d'Octave Feuillet. Voir plus loin, p. 439.
GEORGE SAND
43i
aussi, qui paraĂźtra aussitĂŽt aprĂšs le mien daus la mĂȘme revue.
Manceau fait de tout et tout le monde vous aime et vous embrasse...
Xous lisons enfin dans la lettre de Mme Sand Ă Ed. Kodiigues,
dont nous avons cité un passage au chapitre xi :
J'ai done bien fait de ne pas vous dédier ce roman qui va m'attirer
des horions? Vous voyez, je n'ai pas Ă©tĂ© trop bĂȘte, cette fois, pour moi.
Vous vous inquiétez de me voir rentrer en campagne, mais c'est mon
Ă©tat, cher ami. Je suis soldat et mon devoir est la guerre quand l'on
envahit la patrie de mon idée. Mais ce n'est pas de politique que je
m'occupe, sachez-le. Vous me demandiez aussi le sujet de ce roman qui
m'occupe si fort? Je vous l'ai dit, je erois. C'est la guerre aux hypo-
crites. Cela vous inquiĂ©tait pour moi. Pourquoi cela, mon anĂč? La
mission douce et persuasive que vous m'attribuez n'a de valeur que si
elle est sincĂšre et brave Ă l'occasion.
...La préoccupation qui nous lie, celle de donner du bonheur aux
autres, est la mise en commun de ce qu'il y a en nous de meilleur et
de plus important... »
La jeunesse des écoles apprécia à sa juste valeur cette « bra-
voure de soldat » et Ă la premiĂšre occasion â qui fut la premiĂšre
de Villemer Ă l'OdĂ©on â fit des ovations trĂšs dĂ©monstratives Ă
l'auteur de Mademoiselle La Quintinie.
Lorsque ce roman parut on fit des tentatives pour en trouver
la clef, pour découvrir les personnes réelles que George Sand
avait mises en scÚne, on avait tùché de dévoiler aussi les noms
des hĂ©ros. On demandait mĂȘme dans les colonnes de l'IntermĂ©-
diaire des chercheurs et des curieux, si sous les noms du « pÚre
Onorio », de « l'abbé Moréali » se cachaient des personnages réels,
Ă quelle Ă©poque ils avaient vĂ©cu ou si ce n'Ă©taient que des ĂȘtres
créés par l'imagination de l'auteur. On alla jusqu'à dire que le
sermon du pĂšre Onorio Ă la suite duquel Lucie La Quintinie
abjure la religion catholique, n'Ă©tait que la reproduction presque
textuelle des « anathÚmes » de Louis Veuillot contre le pÚre Pas-
saglia dans son Parfum de Rome.
Quoi qu'il en soit, Mademoiselle La Quintinie souleva une
grande tempĂȘte, et lorsque neuf ans plus tard, en 1872, George
Sand fit des démarches pour mettre à la scÚne un drame tiré de
432 GEORGE SAND
ce roman, elles n'aboutirent pas malgré l'appui de ses amis. Le
comité de censure dramatique, tout en déclarant « que la piÚce
Ă©tait un chef-d'Ćuvre, qu'on n'avait rien Ă y reprendre, qu'elle
était de la morale la plus élevée, la plus irréprochable » (1), n'osa
pas prendre la responsabilité de la représentation et déclara
qu'il « fallait que la piÚce allùt plus haut », c'est-à -dire chez le
ministre des Beaux-Arts et des Cultes. C'Ă©tait alors Jules Simon.
Il n'osa prendre aucune résolution. Interdire cette piÚce appar-
tenant à la plume d'un écrivain d'une si grande popularité et
tirée d'un de ses romans les plus connus, c'était soulever une tem-
pĂȘte d'indignation parmi les Parisiens. L'autoriser c'Ă©tait « se
mettre à dos les cléricaux de la Chambre », c'était à ce moment
son portefeuille de ministre menacé. Jules Simon envoya la
piĂšce au gouverneur militaire de Paris, car on Ă©tait alors en
Ă©tat de siĂšge et toutes les questions Ă©taient soumises au gouver-
neur, le gĂ©nĂ©ral Ladmirault, il visait toutes les Ćuvres drama-
tiques. Apprenant que le héros de la piÚce de George Sand était
un prĂȘtre, et que l'action se jouait autour de son amour pour la
demoiselle La Quintinie, le général Ladmirault déclara qu'il « ne
se gĂȘnerait pas pour passer son sabre au travers du corps de
3111e La Quintinie » et qu'il interdirait une piÚce à tendances
aussi subversives, révoltantes pour tous les bons catholiques. Or,
Jules Simon voulut Ă©viter Ă tout prix ces mesures coercitives.
Charles Edmond que Mme Sand avait pris pour arbitre des
changements Ă faire dans sa piĂšce et M. FĂ©lix Duquesnel, alors
directeur de l'Odéon, contÚrent plus tard avec beaucoup de
verve et d'esprit comment Jules Simon réussit à sortir de cette
impasse : ni permettre, ni interdire la piĂšce, mais... la faire
mourir d'inanition. Voici la version de Duquesnel : Le ministre
fit venir M. Duquesnel, lui expliqua dans quelle impasse il se
trouvait : il aurait bien voulu pouvoir contenter les loups et
les brebis Ă la fois, mais surtout, oh ! surtout ! il protesta de son
(1) Lettre de Charles Edmond (ChoĂŻecki) Ă Mme Sand du 26 novembre 1872
et George Sand le redit presque mot Ă mot dans sa lettre du 29 novembre
Ă Flaubert (Correspondance, t. VI, p. 260.) A cet Ă©pisode se rapportent aussi
beaucoup de ses lettres, tant imprimĂ©es qu'inĂ©dites (du 21 fĂ©vrier 1871 Ă
janvier 1873).
GEORGE SAND 433
désir d'éviter tout sujet d'ennui à l'auteur et pour cela... pour
cela il priait M. Duquesnel de comprendre ce qu'il avait Ă faire.
M. Duquesnel le comprit effectivement Ă sa maniĂšre. Il eut
recours à un moyen... de théùtre. Lafontaine qui devait remplacer
dans le rĂŽle de Moreali Charles-Francisque Berton, devenu subi-
tement fou, Lafontaine, au dire de M. Duquesnel, eut une attaque
de goutte. On ajourna les répétitions. Puis, la jeune premiÚre
prétendit avoir la fiÚvre. On attendit encore. Une autre artiste
fut malade. Le printemps arriva sur ces entrefaites. On remit la
piÚce à l'automne prochain. Mme Sand se désolait de tous ces
contretemps sans se douter de la ruse employée par Jules Simon.
L'automne venu on lambina encore. Puis, d'aprĂšs M. Duquesnel.
il se trouva dans l'obligation de remplir la promesse donnĂ©e Ă
deux autres auteurs. Enfin il proposa Ă George Sand de reprendre
Mmiprat, et Mademoiselle La Quintinie tomba dans l'oubli. A
l'entendre, le manuscrit fut égaré. Le temps passait, Mme Sand,
occupée, par de nouveaux travaux, ne pensa plus à sa piÚce. On
ne s'en souvint plus qu'aprĂšs sa mort. C'est ainsi que racon-
tĂšrent la chose M. Duquesnel et d'autres aprĂšs lui.
Si on lit les lettres imprimées et inédites de George Sand se
rapportant Ă sa tentative de faire jouer Mademoiselle La Quin-
tinie, on verra que les dĂ©tails de cette histoire, â prĂ©tendue
spirituelle, â contĂ©e par M. Duquesnel, ne sont pas trĂšs exacts.
George Sand ne fut nullement aussi naĂŻve et ne se laissa pas
leurrer par toutes ces inventions, tous ces « moyens de théùtre ».
Bien plus, c'est elle-mĂȘme qui ne voulut pas mettre Jules Simon
dans une position inextricable et arrĂȘta toutes ses dĂ©marches.
On peut le voir par ses lettres imprimées du 29 novembre et de
décembre 1872 et par les lignes de sa lettre inédite à Charles
Edmond du 9 janvier 1873 :
A Flaubert.
29 novembre.
...Je ne crois pas qu'on joue Mademoiselle La Quintinie. Les censeurs
ont dĂ©clarĂ© que c'Ă©tait un chef-d'Ćuvre de la plus haute et de la plus
saine moralité, mais qu'ils ne pouvaient pas prendre sur eux d'en
iv. as
GEORGE SAND
autoriser la représentation. H faut que cela aille plus haut, c'est-à -dire
au ministre qui renverra au général Lnclmirault ; c'est à mourir de
rire. Mais je ne consens pas Ă tout cela et j'aime mieux qu'on se tienne
tranquille jusqu'à nouvel ordre. Si le nouvel ordre est la monarchie cléri-
cale, nous en verrons Uen d'autres. Pour mon compte, ça m'est égal qu'on
m'empĂȘche, mais pour V avenir de notre gĂ©nĂ©ration... (1).
Xnhant, 9 janvier 1873.
H... (Plauchut) ne se rend aucun compte de mon aversion pour le
combat et de mon absence d'illusions. D'aprÚs ce qu'il m'a raconté
de votre entretien avec Duquesnel et vous avant son départ de
Paris pour Gobant, j'ai compris (s'il a bien compris lui-mĂȘme) que
1° La Quintinie ne pouvait aboutir cette année et que ce n'était la
faute Ă personne de nous : c'est la faute au parti sacerdotal. S'il y
avait devoir de lutter contre lui en ce moment, je lutterais malgré
mon horreur pour le combat. Le devoir jusqu'Ă la mort et le repos
aprĂšs. Mais, selon moi, mon devoir est de me tenir tranquille. Que
dirais-je à Jules Simon? « Risquez tout pour me satisfaire, b II me
rĂ©pondrait : « Encourager le combat dans ce moment oĂč nous tenons
Ă un fil, c'est prĂ©cipiter une crise qui aura peut-ĂȘtre pour dĂ©noue-
ment le ministÚre de Mgr Dupanloup. » Et comme je lui dirais, moi :
Ne risquez point cela pour moi, » notre explication serait parfaitement
inutile. Attendons et ne pensons pas Ă La Quintinie.
Quant Ă la reprise de Mauprat, c'est Ă Duquesnel de juger si elle
peut lui ĂȘtre avantageuse dans une situation oĂč il lui faut un grand
succĂšs Ă tout prix. S'il en juge autrement et qu'il l'ajourne, il fait
bien, et je l'engage encore une fois à sauver l'Odéon sans se tour-
menter de moi. Si aprĂšs lui avoir rendu le service de plaider sa cause (2)
j'exigeais qu'il se ruinùt pour m'en récompenser, mon exigence serait
injuste et le service rendu ne serait qu'un calcul Ă©goĂŻste dont il aurait
le droit de ne pas me savoir gré... »
Un peu avant l'Ă©poque oĂč Mme Sand Ă©crivit le roman de
Mademoiselle La Quintinie, vers 1860, elle s'Ă©tait reprise Ă cor-
respondre assidûment avec Sainte-Beuve. D'abord elle s'était
(1) C'est nous qui soulignons. â IF. K.
(2) C'est aux démarches faites en 1872 par Mme Sand auprÚs de Jules
Simon en faveur de Duquesnel et de l'Odéon, alors à la veille de la ruine
causée par les troubles de l'année terrible, ainsi qu'en faveur de Berton
malade, que se rattache l'épisode raconté dans notre volume I : comment
George Sand et Jules Sandeau passĂšrent une heure entiĂšre dans l'antichambre
du ministre sans se reconnaĂźtre.
GEORGE SAND 435
adressée a lui avec la priÚre de faire obtenir le prix Montyon
Ă un certain Verbet (1) et aussi Ă propos d'une affaire toute
personnelle : son désir de publier sa correspondance avec Musset.
Sainte-Beuve se montra, en cette circontance, bien digne de la
confiance que son illustre amie avait en son inaltérable amitié.
Peu Ă peu, comme au bon vieux temps, George Sand se mit Ă
parler à son vieil ami de toutes ses affaires littéraires et privées
et Ă le consulter sur toute chose. Lui, voyant combien cette
« illustration de son époque » était obligée de travailler de façon
constante, désireux de lui venir en aide et d'alléger un peu le
poids de son fardeau, eut l'idée de demander pour George Sand
un prix d'Académie, le prix Gobert (20 000 francs). Nous
avons parlé de ces démarches au chapitre vn de notre premier
volume. Nous avons signalé combien Mérimée s'était montré
chevaleresque en lui donnant sa voix, tandis que Sandeau, diplo-
matiquement, n'assista pas Ă la sĂ©ance, et le prix fut dĂ©cernĂ© Ă
Thiers. Tous les détails de cette histoire se lisent dans le livre de
M. Nisard, Souvenirs et notes biographiques, et dans le livre du
vicomte de Spoelberch : la VĂ©ritable histoire de Elle et Lui, on
peut aussi y lire toutes les lettres échangées à ce propos entre
Sainte-Beuve, Sandeau, Mérimée et antres, et savoir quels aca-
démiciens étaient présents ou absents ce jour-là (2).
Il paraßt qu'on fut trÚs attristé à la cour de Napoléon III de
l'Ă©chec de Mme Sand ; on le prit tellement Ă cĆur qu'on eut
l'idée de l'en dédommager en proposant à l'auteur du Marquis
de Villemer une somme prise sur la cassette de l'empereur, Ă©gale
à celle du prix académique. Le prince JérÎme fut, paraßt-il,
l'auteur de cette idée. Mais il se peut aussi qu'elle lui fût soufflée,
ainsi qu'Ă la princesse Mathilde, par Sainte-Beuve, l'ami commun
de l'auteur et de ces princes. Cet épisode se trouve relaté dans la
lettre de Mme Sand à sa cousine Mme Pauline Villot, trÚs liée
avec le prince JĂ©rĂŽme et sa famille grĂące Ă la position de son
(1) Dans le volume des Lettres de George Sand Ă Musset et Ă Sainte-Beuve
publiées en 1897, ce Veroet est appelé tout le temps « Pubet ». C'est une faute
d'impression... Ă plusieurs Ă©ditions.
(2) Voir aussi le volume précité des Lettres de George Sand à Sainte-Beuve.
436 GEORGE SAND
mari. On voit par la lettre suivante que George Sand refusa
d'avance, et nettement, la « grùce » dont elle était menacée. Elle
Ă©crivit Ă ce propos de Tamaris :
ChĂšre cousine,
Vous ĂȘtes bonne comme un ange de vous occuper de moi si gracieu-
sement et de vous tourmenter de cette affaire qui me tourmente si
peu. Lucien a dĂ» vous dire pour combien de raisons trĂšs vraies et trĂšs
logiques j'aurais désiré qu'il ne fût pas question de moi. Je n'ai pas
voulu désavouer les amis qui m'avaient portée, d'autant plus que
j'avais et que j'ai encore la certitude qu'ils doivent Ă©chouer.
J'ai trop fait la guerre aux hypocrites pour que le monde officielle-
ment religieux me le pardonne. Et je ne souhaite pas ĂȘtre pardonnĂ©e.
J'aime bien mieux qu'on me repousse vers l'enfer, oĂč ils mettent tous
les honnĂȘtes gens.
Mais à propos de cette affaire de l'Académie, il en est une autre dont
je veux vous parler, Buloz, qui n'a pas toujours un style trĂšs clair,
m'Ă©crit que quelqu'un est venu le trouver pour lui dire de me sonder
pour savoir si j'accepterais de l'empereur un dédommagement, offert
d'une façon honorable et équivalant au prix de l'Académie, dani le
cas oĂč il ne me serait pas accordĂ©.
J'ai répondu que je ne désirais absolument rien, mais j'ai bien chargé
Buloz de présenter mon refus sous forme de remerciement trÚs sincÚre
et trĂšs reconnaissant; or, comme une commission de cette nature,
quelque explicite et franche qu'elle soit, peut, en passant par plusieurs
bouches, ĂȘtre dĂ©naturĂ©e, je vous demande de voir le prince, qui est
net et vrai, lui, et de lui dire ceci : « Je ne mets aucune sotte fierté,
aucun esprit de parti, aucune nuance d'ingratitude, Ă refuser un bien-
fait de l'empereur. Si j'Ă©tais malade, infirme et dans la misĂšre, je lui
demanderais peut-ĂȘtre pour moi ce que j'ai plusieurs fois demandĂ© Ă
l'impératrice et aux ministres pour les malheureux. Mais je me porte
bien, je travaille, et je n'ai pas de besoins. Il ne me paraĂźt pas ho
d'accepter une générosité à laquelle de plus à plaindre ont des droits
réels. Si l'Académie me décerne le prix, je l'accepterai, non sans
chagrin, mais pour ne pas me poser en fier-cà -bras littéraire et pour
laisser donner une consécration extérieure à la moralité de mes ouvrages
prétendus immoraux. De cette façon, les généreuses intentions de
l'empereur à mon égard seront remplies. Si, comme j'en suis bien sûre,
je suis éliminée, je ne me regarderai pas comme frustrée d'une somme
d'argent que je n'ai pas désirée et dont je suis toute dédommagée par
l'intĂ©rĂȘt que l'empereur veut bien me porter. » VoilĂ !
A présent j'ai tout dit cela au cas que... car j'ignore si Buloz a bien
GEORGE SAND 437
compris ce qu'on lui a dit et s'il est vrai que l'empereur se serait Ă©mu
de cette petite affaire. Buloz m'a dit que la princesse Mathilde se
chargeait de tout, sans plus d'explications. Si la princesse Mathilde est
seule en cause, le prince le saura et lui dira tout ce que dessus, comme
disent Ă©loquemment les notaires. S'il me le conseille, j'Ă©crirai. Ă cette
excellente princesse pour la remercier et Ă l'empereur, s'il y a lieu.
Ajoutez, pour le prince, que je l'aime de toute mon Ăąme, que j'irai
demain visiter son bateau, dans la rade de Toulon...
En 1863 courut le bruit, vrai ou faux, qu'on se proposait
d" Ă©lire George Sand Ă l'AcadĂ©mie. Vers la mĂȘme Ă©poque parut
une brochure intitulée : les Femmes à V Académie. L'auteur, qui
se cachait sous la simple initiale S, y décrivait une prétendue
sĂ©ance de l'AcadĂ©mie, se passant, en l'an de grĂące ***, oĂč une
certaine Mme X..., unanimement élue membre de la vénérable
compagnie, échangeait avec l'académicien Y... d'élégants dis-
cours de réception obligatoires. Puis, l'auteur anonyme disait
qu'il Ă©tait bien temps d'abolir la loi Chapelain vieillie, prohibant
l'admission des femmes à l' Académie, il prouvait combien l'Aca-
dĂ©mie gagnerait Ă leur admission, car elles contribueraient Ă
adoucir les opinions et y apporteraient un certain esprit de
mansuétude. Il prétendait qu'on avait eu tort en n'élisant pas
Mmes de Staël et de Girardin, brillants astres littéraires, au lieu
d'élire des ducs, souvent fort peu versés en littérature.
Mme Sand répondit immédiatement à cette brochure par une
brochure, trÚs remarquable par ses idées, son ton général et
mĂȘme son titre : Pourquoi les femmes Ă V AcadĂ©mie?
L'AcadĂ©mie, â y disait Mme Sand, â est une institution purement
littĂ©raire, appelĂ©e Ă ĂȘtre l'arbitre de l'art et du bon goĂ»t. Ceci n'Ă©tait
possible que lorsque les assises de la loi, de la politique, de la philo-
sophie et de la morale étaient immuables. A présent la lutte des opi-
nions et le doute ont envahi mĂȘme ce sanctuaire. DĂ©sormais il est
impossible aux acadĂ©miciens de juger une Ćuvre du point de vue pure-
ment littéraire. Ils jugent selon leurs opinions religieuses, poli-
tiques, etc., etc. En ce moment-ci leur critérium est conservateur. Mais
les temps peuvent changer. De nos jours la profession de foi acadé-
mique rappelle le contrat qu'un certain Ă©diteur (1) aurait voulu faire
(1) Il est facile de deviner que l'auteur entendait sous cet Ă©diteur son
ami Buloz.
43S GEORGE SAND
signer à ses collaborateur : « Je souscris de ne toucher dans mon
Ćuvre ni Ă la politique, ni Ă la religion, ni Ă la famille, ni Ă la pro-
priété. » L'Académie dit : « Entez les nouvelles opinions. » et elle
ajoute : « L'absence d'opinions nouvelles, c'est là l'opinion des
honnĂȘtes gens. » On voit que quelque damasquinĂ©es et quelque ornĂ©es
de fleurs oratoires que soient les lames à l'Académie, on n'en porte
pas moins des coups fort rudes, car les gens qui ont des opinions
nouvelles sont dĂ©clarĂ©s « malhonnĂȘtes ».
Pourquoi donc les femmes aspireraient-elles Ă faire partie de ce
corps illustre? LĂ , comme partout ailleurs, on lutte, on se bat. Or, s'il
y a lutte, il n'y a plus d'unité. Donc à l'Académie les choses en sont
au mĂȘme point que dans toutes les autres institutions possibles. A
présent quarante hommes du plus grand talent ne peuvent ni faire
accroĂźtre, ni diminuer la valeur d'un quarante-uniĂšme talent, mĂȘme
secondaire, s'il émet, tant bien que mal, une idée nouvelle ou généreuse
que la foule écoute. A présent chacun est son roi et son pape. Ne
voulant nullement amoindrir la valeur de l'Académie, en lui accor-
dant au contraire sans contredit le droit de ne pas admettre dans son
milieu d'éléments en désaccord avec ses opinions ; en admettant que
si ce ne sont pas là quarante génies, il se trouve toujours parmi eus
quelques esprits de premier ordre et beaucoup d'hommes de grand
talent et de grand savoir, il faut néanmoins convenir que l'Académie
n'a plus sa raison d'ĂȘtre. Chaque Ă©crivain a le droit de discuter avec
elle et d'en appeler à l'opinion publique. A présent encore il y a bon
nombre de gens qui, n'Ă©tant pas parvenus Ă ĂȘtre admis Ă l'AcadĂ©mie,
s'écrient : « Ces raisins sont trop verts. » Non, conclut George Sand :
« Ces raisins sont déjà trop mûrs... »
Les raisons intĂ©ressantes qui poussĂšrent George Sand Ă
répondre à l'auteur anonyme de la premiÚre brochure citée,
sont données dans sa lettre à Sainte-Beuve, du 16 juin 1863 :
...J'ai dit Ă Aucante de vous envoyer une mince brochure que
j'ai été mise en demeure de faire en réponse à une autre brochure sur
l'admission de la femme Ă l'AcadĂ©mie. J'espĂšre qu'on ne verra lĂ
aucun dépit personnel. Je n'ai pas le temps d'avoir de mauvaises pas-
sions ; mais je me devais de ne pas me laisser attribuer une brochure
signée d'un S, et de n'avoir pas l'air de me laisser pousser à un hon-
neur par trop invraisemblable. Déjà , on m'en attribuait la pensée, et
j'étais comme l'homme qui reçoit de l'ours, son ami, un pavé en pleine
figure. Le pavé était trÚs paré de fleurs, n'importe, c'était un pavé.
Je devais d'ailleurs dire ce que je pense de toute situation de ce
genre et je ne pouvais le dire qu'avec mon sentiment révolutionnaire.
GEORGE SAND 439
Ne me grondez pas ; je suis sur une pente oĂč mon Ăąme entiĂšre est
emportée et si vous pouviez lire en moi comme mes instincts sont
tendres, vous ne me jugeriez pas folle.
L'apparition de cette brochure en la mĂȘme annĂ©e que Made-
moiselle La Quintinie ne put certes que renforcer la réputation
de libre-penseur et de révoltée qui était alors définitivement
acquise à George Sand. M. Marcel Prévost a, d'ailleurs, juste-
ment remarqué que dans sa jeunesse George Sand était consi-
dĂ©rĂ©e comme un Ă©crivain de V extrĂȘme gauche (1). Or, si cette
réputation effrayait les dévots et le beau monde vertueux, elle
exhaussa extrĂȘmement le prestige de l'Ă©crivain aux yeux de la
jeunesse et de tous les représentants de l'opposition.
Sainte-Beuve en analysant le roman d'Octave Feuillet, Sibylle,
auquel Mme Sand fait allusion dans sa lettre à Dumas, citée plus
haut, dit dans son article quelques mots aimables Ă l'adresse de
l'auteur de Mademoiselle La Quintinie, roman que tout le monde
considérait alors comme « une réponse donnée par George Sand
à Feuillet ». George Sand écrivait à Sainte-Beuve à ce propos
le 8 juin 1863 :
...J'ai lu un article excellent de vous sur Feuillet qui finit par un
mot trop brillant sur moi. Je suis un bien vieux aigle pour emporter
les jeunes talents et en faire une bouchée (2). Je regrette beaucoup
que Buloz n'ait pas publié la préface de mon livre. J'y rendais justice
(1) Marcel Prévost : « George Sand, » conférence prononcée à Nancy le
3 mars 1901, sur l'initiative de la Ligue de l'Enseignement. (La Contem-
poraine, mars 1901.)
(2) Sainte-Beuve avait Ă©crit dans son article qui parut lorsque Made-
moiselle La Quintinie Ă©tait encore en cours de publication Ă la Revue des
Deux Mondes : « L'auteur de Sibylle... a remué dans ce roman de grosses ques-
tions, plus grosses peut-ĂȘtre qu'il n'avait d'abord pensĂ© : questions thĂ©olo-
giques, sociales, questions de présent et d'avenir. George Sand, on le sait,
s'en est émue ; V aigle puissante s'est irritée comme au jour du premier essor :
elle a fondu sur la blanche colombe, Va enlevée jusqu'au plus haut des airs, par-
dessus les monts et les torrents de Savoie, et Ă l heure qu'il est, elle tient sa proie
comme suspendue dans sa serre. ThÚse contre thÚse, théologie contre théo-
logie, et tout cela en roman ; c'est un peu rude. La rĂ©gion du moins oĂč le
débat s'agite, s'est singuliÚreinent agrandie et élargie ; on y respire. Leder-
nier mot de l'Ă©nigme, la solution est encore, comme dit le poĂšte, dans les
genoux de Jupiter. Nous attendons impatiemment la conclusion de Made-
moiselle La Quintinie, nous verrons bien... » (Nouveaux lundis, t. V, p. 40.)
440 GEORGE SAND
au talent et à la bonne foi de l'auteur de Sibylle ; cette préface paraßtra
du reste (1).
Mais j'ai déjà oublié Mademoiselle La Quintinie et j'ai ce nouveau
projet qui m'enchante, comme tout ce qui ne s'est pas encore heurté
aux difficultés de l'exécution. Si je pouvais en causer avec vous, cela
me ferait un bien immense. H est quelquefois Ă©touffant de se trouver
en face de sa propre responsabilité...
Le « nouveau projet » auquel George Sand fait allusion dans
les lignes précédentes, était le projet d'écrire un roman dont le
héros fût « un fils de Jean-Jacques », l'un de ses enfants aban-
donnés, élevé aux Enfants trouvés. L'action du roman devait
se passer pendant la grande RĂ©volution et ce fils de Rousseau
devait ĂȘtre spectateur- et acteur des Ă©vĂ©nements dont son pĂšre
était l'auteur moral. Ce fils de Jean-Jacques aurait hérité des
traits moraux, des aspirations, des tendances et du génie de son
pÚre, sans son talent littéraire ; il penserait et il sentirait comme
aurait senti et pensé Rousseau, s'il était témoin des événements
arrivés aprÚs sa mort. Selon l'idée de George Sand ce « fils »
aurait été profondément malheureux en voyant à quelles hor-
reurs sanguinaires auraient abouti les grandes idées libératrices
et humanitaires de son « pÚre », le grand Jean-Jacques, dégé-
nérées entre les mains des hommes de partis à vue basse, en
doctrines extrĂȘmes (2).
Si Rousseau « avait pu voir ce que l'on a regardé comme l'applica-
tion du Contrat social », eût-il déchue son livre, abjuré sa croyance?
Non, mais il se fĂ»t voilĂ© la face devant l'Ă©chafaud et il eĂ»t dit : « VoilĂ
le contraire de ce que j'ai voulu. » Ce qui me frappe et me contriste
quand je lis les beaux livres de mes amis sur la RĂ©volution (3), c'est
(1) Cette préface parut dans la premiÚre édition de Mademoiselle La
Quintinie en volume et se rĂ©imprime depuis lors Ă la tĂȘte du roman.
Deux lettres de Mme Sand Ă Octave Feuillet se rapportant Ă une autre
Ćuvre cĂ©lĂšbre de l'auteur de Sibylle : le Roman d'un jeune homme pauvre, sont
publiées dans le livre de Mme Octave Feuillet, Quelques années de ma vie.
(Paris, 1894), p. 213-216.
(2) Voir les lettres de Mme Sand du 8, 16 et 23 juin 1863 dans le volume
des Lettres de George Sand Ă Musset et Ă Sainte-Beuve, que nous avons dĂ©jĂ
cité plusieurs fois et que nous citerons encore.
(3) Nous avons dit ailleurs (dans notre vol. III, chap. vu) qu'en 1865
George Sand publia dans V Avenir nalioml un article consacré aux derniers
GEORGE SAND 441
cette philosophie de parti-pris qu'on pourrait appeler la philosophie
du destin. Il semble que la Révolution n'eût pas pu se faire sans ses
fureurs et ses violences. Je l'ai cru longtemps et puis, dans le calme
de mon cĆur, comme dans le dĂ©chirement de mon cĆur, aprĂšs les
journées de Juin, je me suis demandé si le progrÚs ne s'était pas fait
malgrĂ© et non parce que et si on ne pouvait pas ĂȘtre ultra-rĂ©volution-
naire avec le courage de dire aux siens : « Vous avez commis des crimes
et vous ĂȘtes dĂšs lors sortis de la doctrine du vrai. »
H faut du courage pour le leur dire, et il faut de l'habileté pour le
dire sans mettre un pied dans le camp opposé. Du courage, j'en ai ;
de l'habileté j'en manque, mais Dieu me viendra en aide, j'ai cette
superstition.
Mettez-vous un peu avec le bon Dieu et dites-moi que j'en viendrai
Ă bout sauf Ă me dire aprĂšs que cela ne vaut pas le diable (1)...
Sainte-Beuve apprit Ă George Sand que lui aussi s'Ă©tait une
fois laissé inspirer de l'idée de faire « un fils à Jean-Jacques »
et qu'en 1837 déjà il avait publié dans son recueil, Pensées
d'août, une histoire en vers, « Monsieur Jean », qui n'est autre
qu'un fils de Rousseau.
George Sand répondit au grand critique que cette coïncidence
de leurs thĂšmes et surtout la lecture de la piĂšce en vers ne l'ar-
rĂȘteraient nullement dans son projet, au contraire elles la for-
tifiaient dans sa résolution, lui ouvrant de « vastes horizons ».
Cela me fait réfléchir beaucoup et entrer avec confiance dans mon
sujet, car c'est le propre des belles choses de stimuler et de féconder.
volumes de YHistoire de la RĂ©volution de Louis Blanc, parus juste en 1863.
Probablement c'est Ă cet ouvrage que George Sand fait allusion en parlant
des « beaux livres de ses amis sur la Révolution » qu'elle Usait alors.
(1) Cette lettre de Mme Sand à Sainte-Beuve est imprimée à la page 250
du volume des Lettres de George Sand Ă Musset et Ă Sainte-Beuve, paru en 1897
chez Lévy, et y porte le numéro 64. En réalité, c'est le numéro 67 de la col-
lection complĂšte des lettres de George Sand Ă Sainte-Beuve.
En général l'ordre des numéros et les dates sont absolument inexacts
dans ce volume. Par exemple, la lettre numéro 64, datée du 5 avril 1862, est
imprimée comme le numéro 69 et datée du « 13 janvier 1864 » ; le numéro 78
est en réalité le numéro 63 ; elle n'est pas de « décembre 1866 », mais du
3 avril 1842 ; le numéro 77 est le numéro 62 et non plus de « décembre 1866 »,
mais de mars 1862 ; le numéro 62 est en réalité le numéro 65 ; le numéro 63
le numéro 64 ; le numéro 75 le numéro 80 ; le numéro 81 le numéro 79 ; le
numéro 76 le numéro 81 ; elle n'est pas du « 15 janvier 1869 », mais bien du
15 juin 1869, etc., etc. Bref, à partir de la page 247, tous les numéros sont
intervertis et doivent ĂȘtre corrigĂ©s.
442 GEORGE SAND
Elle voulait mĂȘme introduire dans son roman 1* Ă©pisode que voici :
« Monsieur Jacques rencontrerait une fois dans son existence
monsieur Jean », son frÚre inconnu, un autre fils de Rousseau.
Mais ce projet ne fut pas réalisé, Mme Sand n'écrivit point ce
roman.
Revenons Ă l'Ă©poque du mariage de Mmuice Dudevant et
au récit de la vie de George Sand depuis 1862. Peu de temps
aprÚs leur noce les jeunes mariés allÚrent passer quelque temps
chez le « papa Dudevant », et George Sand alla, comme à l'ordi-
naire, s'installer pour quelques jours Ă Gargilesse Ă la villa
Hameau (comme elle le dit dans sa lettre du 21 juin 1862). Elle
y fut accompagnée cette fois, outre Manceau. par Dumas fils.
Lorsque Maurice et sa femme revinrent, Mnie Sand alla Ă Pari?.
Au commencement de 1863, au contraire, les jeunes Ă©poux y
passĂšrent quelque temps et Mme Sand resta Ă Xohant. Elle
quittait ainsi Ponant de temps en temps et y laissait Ă dessein
le jeune couple tout seul, afin de les habituer, comme elle
disait, « Ă se passer d'elle et Ă savoir gouverner eux-mĂȘmes
leur existence ». Elle continuait donc à séjourner de temps
Ă autre Ă Gargilesse, tantĂŽt pendant quelques jours, tantĂŽt
plus. C'est ainsi qu'elle y passa quelques semaines du prin-
temps 1863 aprĂšs le retour de ses enfants Ă Paris et y
écrivit la délicieuse bleuette Ce que dit le ruisseau, citée au
chapitre précédent. Ce petit conte, imbu d'un profond pan-
théisme, est tout aussi charmant qu'une autre étude, également
inspirée par le doux murmure de la Gargilesse et simple-
ment intitulée le Ruisseau que nous avons aussi mentionnée
au chapitre xi
L'auteur, prenant encore une fois le pseudonyme de ce Théo-
dore (1) que nous connaissons déjà par les dialogues Autour de la
table, rencontre aux bords du ruisseau une nymphe, qui lui défend
(1) George Sand s'était déjà cachée sous ce nom d'emprunt dans la des-
cription de son arrivée à Venise avec Musset, par laquelle commençait ce
Fragment d'un roman qui n'a pas été fait, écrit en 1S42. dont nous avons
parlé dans nos deux premiers volumes et qu'on peut lire aux p. 137-147
du livre du vicomte de SpĆlberch, VĂ©ritable histoire.
GEORGE SAND 443
d'écouter « ce que dit le ruisseau a. Mais Théodore n'obéit pas
Ă la nymphe.
...11 faut vous dire qu'il eût été difficile de rencontrer un plus joli
ruisselet. Mince comme un fuseau et clair comme un diamant, il appa-
raissait tout Ă coup, sortant des buissons, dans une superbe touffe de
primevĂšres, et, se laissant tomber tout droit de roche en roche, d se
cachait sous une pierre moussue, doucement inclinĂ©e, d'oĂč il sortait
en bouillonnant, et s'en allait vite frissonner sur un ht de sable fin
qui le portait sans bruit dans la belle riviĂšre. Car c'est peut-ĂȘtre la plus
belle riviĂšre du monde que la Creuse au mois d'avril en cet endroit-
lĂ . Elle dessine de grandes courbes immobiles et transparentes dans
de hautes coupures taillées en amphithéùtre et tapissées de l'éternelle
verdure des buis. De loin en loin elle rencontre des blocs et des gradins
de rochers noms et tranchants, oĂč elle mugit et se prĂ©cipite. LĂ oĂč
j'Ă©tais elle ne disait mot et sa grande clameur perdue ne m'empĂȘchait
pas d'entendre le babd de la petite source.
De beaux chĂȘnes occupĂ©s Ă dĂ©velopper et Ă dĂ©plier lentement au
soleil leurs jeunes feuilles encore gommeuses et encore plus roses que
vertes donnaient déjà un clair ombrage. Les gazons étaient littérale-
ment semés de pùquerettes, de violettes blanches et bleues, de seilles.
de saxifrages et de jacinthes. Dans le ht du ruisseau, la cardamine
des prés attirait les charmants papillons aurore qui portaient son nom.
Partout sur les ùpres rochers granitiques le lierre dessinait de mysté-
rieuses arabesques, et les grands cerisiers sauvages tout en fleurs
semaient de leur neige légÚre les petits méandres de l'eau cornante.
Mais au fait, que disait-il ce ruisseau jaseur, si gai, si pressé, si sémil-
lant dans son lit de mousse et de cresson ?
L'ami de Théodore, Lotario (c'est-à -dire Manceau), un sage
naturaliste, se moque de la fantasie de Théodore de vouloir
comprendre et traduire en langue humaine le langage de la
nature. Une dispute surgit. Lotario prouve que l'homme seul
donne un sens et une expression Ă tout ; la nature est muette,
toutes les choses en ce monde sont silencieuses. Puis il s'enfuit,
courant aprÚs une libellule, et Théodore continue à écouter le
murmure du ruisseau. Il lui semble d'abord que l'eau et les
pierres chuchotent : Nous sommes muets, muets! iV entends-tu
'pas que nous sommes muets! ThĂ©odore, vexĂ©, est prĂȘt Ă s'en aller,
mais la nymphe du ruisseau l'a enchaĂźnĂ© Ă la place oĂč il Ă©tait
assis, et il ne peut la quitter avant d'avoir deviné la voix mys-
444 GEORGE SAND
térieuse de la nature. Il se rend trÚs bien compte que la nymphe
et ses paroles ne sont qu'une création de sa fantaisie, mais qu'im-
porte !
« Tous les linguistes et tous les musiciens de l'univers seraient
ici Ă lui jurer que le langage de ce ruisseau ne peut ĂȘtre ni tra-
duit ni noté », qu'il ne le croirait pas.
Tout parle et chante sous le ciel et probablement dans le ciel ; qui
osera décider que, dans la nature, il y ait une voix inutile, un chant
qui n'exprime rien? Non, il n'y a pas mĂȘme un cri, un souffle, un rugis-
sement, un murmure, une explosion, un bruit enfin qui ne signale ou
ne traduise une action, un mode d'existence ou un accident logique-
ment survenu dans le cours de la vie universelle... Oui, tout chante et
tout parle dans l'univers pour proclamer incessamment l'Ă©ternelle
vitalité de l'univers. L'homme seul, en ce monde-ci, sait affirmer
une existence par beaucoup de vérités et beaucoup de mensonges.
Tout le reste des ĂȘtres et des choses exprime le fait de l'existence sans
le comprendre. Tout ce que la terre fait dire aux innombrables voix
qui Ă©manent d'elle, est donc pur et d'une logique indiscutable, puisque
c'est la logique mĂȘme de son ordonnance qui parle en elle. Nous, ses
plus hardis enfants, nous cherchons Ă travers mille erreurs une affir-
mation raisonnée qui réponde sciemment au sens profond et divin des
choses, une affirmation qui nous lie non seulement Ă la planĂšte notre
mĂšre mais Ă l'univers entier notre patrie, malheureusement nous
sommes encore loin de comprendre notre destinée sublime tandis que
le monde des ĂȘtres secondaires et des choses appelĂ©es Ă les constituer
proclame, en dehors des combinaisons de l'intelligence, une vérité qui
nous Ă©crase par sa persistante splendeur.
Respectons-les dans leurs profondes manifestations, ces choses et
ces ĂȘtres qui ne comprennent pas Dieu comme nous le comprenons,
mais qui le sentent peut-ĂȘtre mieux que nous ne le sentons. C'est le
monde sans souillure et sans dĂ©faillance oĂč la mort n'est pas encore
connue, puisqu'elle n'excite ni crainte ni dĂ©sir, c'est le monde oĂč la
lassitude, oĂč le suicide ne sont jamais entrĂ©s, oĂč l'erreur et l'imposture
n'ont point de place et ne peuvent rien changer, rien déranger, rien
retarder dans les lois de la vie elle-mĂȘme, dans son dĂ©veloppement
sans lacune et dans son renouvellement sans entraves. C'est la pro-
gression du grand tout qui s'accomplit Ă son propre insu, et dont la
sainte ignorance est la base de toute sécurité dans l'univers.
Oui, oui, petit ruisseau, tu chantes et tu parles, et ce que tu dis, tu
ne peux ni ne dois t'en rendre compte qu'Ă toi-mĂȘme, puisque ton
moi est un avec l'infini...
GEORGE SAND 445
...Et ce que tu dis dans une langue qui n'est pas une langue ne sera
jamais compris que de Dieu ou des anges ; mais l'intelligence humaine
peut sans audace le préjuger, et sans folie l'interpréter dans le sens du
vrai immuable.
Et quel est-il, ce vrai immuable? C'est que rien n'est mort, c'est que
tout renferme la vie formulée ou expectante, c'est que tout l'exprime,
la rumeur comme le silence, l'activité comme le sommeil, le chant
comme la parole, et le simple bruissement de l'onde comme la parole
du sage et comme le chant du rossignol.
Oui, l'immuable vrai, c'est l'incoercible mouvement, c'est l'Ă©ter-
nelle mutation progressive des ĂȘtres et des germes qui les contiennent,
germes répandus partout et que nous appelons des choses, faute d'un
nom qui caractérise leurs fonctions multiples et indiscernables. Et ce
ruisseau n'est pas seulement une veine dans le grand systĂšme physio-
logique de la terre, il est aussi une veine dans le systĂšme de toute l'ani-
malité terrestre. Qui sait par quelle série de transformations il a passé
depuis le jour oĂč, Ă©manation gazeuse du monde primitif, il est montĂ©
et descendu, remonté et redescendu, par d'innombrables voyages de
la terre au ciel et du ciel Ă la terre, pour occuper enfin cette petite place
oĂč je le vois? Ruisseau qui fus nuage, qui nous dira tout ce que tu as
fécondé dans ta vie errante? Tes flancs ont sans doute plus d'une fois
recelé le fluide électrique, et la foudre déchiré tes masses livides un
instant aprÚs répandues en franges roses sous le riant regard du soleil.
Tu as vu passer dans le voile bienfaisant de tes Ă©panchements humides
les phalanges altérées des oiseaux voyageurs ; tu étais alors l'écho des
hautes régions de l'atmosphÚre, et tu nous renvoyais, stridente ou
plaintive, la voix de ces poĂ©tiques Ă©migrants agents eux-mĂȘmes d'une
fécondation sans limites. Pluie secourable, combien de moissons n'as-tu
pas sauvées, combien de fleurs charmantes et suaves n'as-tu pas fait
revivre, combien d'existences humbles ou superbes n'as-tu pas con-
servées ou renouvelées ! Dans combien de poitrines n'as-tu pas fait
rentrer la vigueur, dans combien de nerfs l'élasticité, dans combien
de tissus la circulation, dans combien de cerveaux la lucidité, dans
combien de cĆurs l'espĂ©rance ! 0 nuage bĂ©ni ! si petit que tu fus, tu
as fait de grandes choses, et la parole te serait refusée pour le dire?
Théodore refuse de le croire.
...Quoi, n'es-tu plus qu'un mince filet d'eau enchaßné à cette roche,
contenu dans l'urne de cette naïade et condamné à faire pousser un
tapis de jacinthes ou à développer la hampe des hautes primevÚres?...
â Non pas ! non pas ! rĂ©pondit le ruisseau... Je suis ici et je suis
ailleurs ! Je féconde ce qui vit sous tes pieds, et je suis fécondé moi-
446 GEORGE SAND
mĂȘme Ă toute heure en remontant dans le libre domaine de l'air. Mon
évaporation est comme une sueur de vie qui se répand sur tout ce
quelle touche et qui se reforme en nuage pour courir encore sur la
cime des grands chĂȘnes. Je ne puis dire oĂč je vais et oĂč je ne vais pas,
soit que je retourne au ciel, soit que perdu dans les embrassements de
la belle riviĂšre, j'aille me dilater dans les bassins des grandes mers ;
mais Dieu les connaĂźt, mes beaux voyages, et toute la nature en pro-
fite ; et moi, je m'en réjouis sans cesse, et toujours je ris, je cours, je
chante, je raconte, je confie, je révÚle, je bois et donne à boire, je sÚme
et je rĂ©colte, je prends et je donne ; tout me nourrit, mĂȘme ton haleine,
et je nourris tout, mĂȘme ta pensĂ©e. Petit courant, je suis une des
manifestations particuliĂšres du grand fluide vital : petite vapeur je
suis aussi vivant et aussi nécessaire que le grand fleuve et le grand
ocĂ©an, et que le grand troupeau des nuĂ©es qui accompagne et revĂȘt
la terre dans son voyage Ă travers l'infini.
Et le ruisseau dont j'avais traduit le langage, me fit connaĂźtre que
je ne l'avais pas fait mentir, car j'entendis qu'il disait distinctement,
comme un résumé de mes hypothÚses : Toujours, toujours partout,
dans tout, pour tout, toujours! Et il recommençait sans se lasser, car
c'est tout ce qu'il pouvait dire et il ne pouvait rien dire de plus beau...
On entend encore le murmure et le clapotis d'une eau qui
court « sans se lasser jamais » dans la Nouvelle lettre à " un voya-
geur, dédiée à Manceau et écrite également « au mois d'avril et
à Gargilesse » mais un an plus tard, en 1864 Seulement cette
fois-ci George Sand parle de la Creuse, dans laquelle se jette la
Gargilesse.
La Creuse, notre grand torrent, ne se calme pas du tout. H gronde
aujourd'hui, comme il y a vingt ans et nous ne souhaitons pas du tout
qu'il s'apaise. T^ous ne saurions courir aussi rite que lui ;âą mais nous
aimons passionnément à le regarder passer.
Et à ce torrent fougueux « que ne saurait suivre l'humble voya-
geur » qui, par une belle journée d'avril, dans un pays doux et
caché, se laisse paisiblement aller à la joie de vivre, en admirant
et le réveil de la nature et le gai chant d'un geai, et un beau
livre, et les instincts raisonnables de ses deux petits chevaux,
c'est Ă ce torrent bouillonnant, disons-nous, que George Sand
compare Victor Hugo, dont le livre Sur Shakespeare, lu en route
pour Gargilesse, l'a ravie. Oui, ce grand poÚte est aussi un élé-
o
r
f\JĂč V&\QU% CLdO ĂčJ^lA V/W*uC kJtXX^- â
^.^^ ^1Y^?U; V-j^Ustdi
GEORGE SAND 447
ment de la nature, toujours jeune, il ne s'apaise jamais, il se
précipite toujours en avant, il entraßne par son enthousiasme,
par le feu inextinguible qui brûle dans sa poitrine. Cette fois-ci,
il a pris pour sujet Shakespeare et il emporte le lecteur par l'ad-
miration naïve et sans bornes qu'il professe pour le génie.
Le gĂ©nie est une entitĂ© comme la nature, et veut, comme elle, ĂȘtre
accepté purement et simplement... et quant à moi, j'admire tout,
comme mie brute, dit-il.
Cette ravissante Lettre d'un voyageur dont le sous-titre est
Impressions de lecture et de printemps, commence par quelques
mots adressés à Manceau :
Tu veux savoir l'emploi de mes quatre journées de voyage. Ce n'est
pas long, le récit d*un voyageur qui ne voyage plus, et le mien pour-
rait se résumer en quatre mots : j'ai fait douze lieues en lisant, j'ai
écouté chanter un oiseau, j'ai vu couler la Creuse, j'ai dormi à Gar-
gilesse, j'ai herborisĂ© un peu, je suis revenu par le mĂȘme chemin,
lisant le mĂȘme livre. J'ai fait halte sous le mĂȘme arbre oĂč chantait le
mĂȘme oiseau...
...Je suis donc parti ce matin, mercredi, par un temps magnifique,
dans la petite voiture ouverte que traĂźnent les deux petits chevaux
blancs conduits par le pacifique Sylvain, et j'ai ouvert le livre...
Et alors commence une analyse, merveilleuse de finesse, de
toutes ses observations de la nature, des choses, gens et bĂȘtes
rencontrés en voyage, ainsi que de toutes ses observations faites
sur elle-mĂȘme, sur le dĂ©doublement de sa raison qui, simultanĂ©-
ment, est entraßnée par la lecture d'un livre extraordinaire du
grand poĂšte, et examine minutieusement le monde ambiant.
A la fin de cette Lettre, George Sand signale que, revenue Ă la
maison, elle apprend avec Ă©bahissement que le banquet en l'hon-
neur de l' anniversaire du troisiĂšme centenaire de Shakespeare
est interdit par la police de Paris.
J'apprends, en arrivant, qu'on a empĂȘchĂ© les gens de lettres, les
théùtres et les artistes de Paris de célébrer l'anniversaire de Shakes-
peare. Qui a fait cela? Pour plaire Ă qui? Par crainte de quoi? Qui en
a eu l'idée? Qui l'a permis?... Est-ce parce que Shakespeare est pro-
testant? Ce doit ĂȘtre cela. L'annĂ©e prochaine, il sera dĂ©fendu de fĂȘter
44S GEORGE SAND
l' anniversaire de MoliĂšre : un comĂ©dien doit ĂȘtre excommuniĂ©; mais
Napoléon aussi fut un grand homme. H a bien parfois contrarié les
ultramontains : on avisera Ă supprimer sa fĂȘte.
â Mais non. me dit-on, c'est autre chose. Vous ne devinez pas?
Non, je ne devine pas le rapport qui peut exister entre Shakespeare
et la police de sûreté. Moi qui défendais le dix-neuviÚme siÚcle! Mon
Dieu, mon Dieu, qu'elles sont longues, les racines du moyen Ăąge !
Mais que t'importe le banquet, ĂŽ divin Shakespeare? Tu as le livre de
Victor Hugo...
Et Mme Sand termine sa Lettre par ce passage tout pareil Ă
celui du commencement :
Moi je reviens, non d'un banquet fameux, mais d'un fameux ban-
quet, la nature en fĂȘte, le mois d'avril dans une oasis, et j'en rapporte
un grand bien-ĂȘtre, beaucoup de parfums dans la tĂȘte et d'harmonies
dans les oreilles. H n'y a pas jusqu'aux grelots rythmiques de ces
petits chevaux blancs qui ne m'aient bercé d'une riante chanson. Au
fond de tout cela, sans doute, il y avait l'impression produite par le
livre ; je ne sais quoi de fort Ă©mane pour moi de ces grandes audaces
de personnalité...
Cette Lettre est datée du 25 avril 1864. Or le 24 avril parut,
dans le Temps, une lettre de Mme Sand A propos du banquet
shakespearien qui devait ĂȘtre lue au banquet, et George Sand
s'y adressait à ses « frÚres en Shakespeare » qui avaient eu l'ex-
cellente idĂ©e de se rĂ©unir pour fĂȘter « un grand mort », elle les
priait de
porter en son nom la santé du divin Shakespeare, celui de nous tous
qui se porte le mieux, car il a triomphĂ© de Voltaire quand mĂȘme et il
est sorti sain et sauf de ses puissantes mains...
Une autre fois â continuait George Sand â nous fĂȘterons Voltaire
quand mĂȘme, vu qu'il a triomphĂ© de bien d'autres. Notre gloire Ă nous
sera d'avoir replacĂ© nos maĂźtres dans le mĂȘme panthĂ©on et d'avoir
compris que tout gĂ©nie vient du mĂȘme Dieu, le Dieu Ă qui tout beau
chemin conduit et dont la vérité est le temple...
C'est ainsi qu'en 1864 George Sand parla par deux fois de
Shakespeare, ce qui n'est point Ă©tonnant si l'on considĂšre qu'elle
avait toujours admiré le grand poÚte britannique. Rappelons
qu'en 1837, presque au début de sa carriÚre, elle écrivit une
GEORGE SAND 449
petite étude sur Antoine et Cléopùtre qui parut dans le recueil
d'Ă©trennes les Femmes de Shakespeare (1), qu'en 1845 elle con-
sacra quelques pages Ă©loquentes Ă Hamlet (2) et qu'en 1855 elle
adapta pour la scÚne française le Comme il vous plaira, dont le
héros, Jacques le Mélancolique, avait, dÚs sa jeunesse, été son
héros favori (3).
Les lignes enthousiastes de Mme Sand sur le livre de Victor
Hugo William Shakespeare, venant à la suite d'un article publié
dans la Presse six mois plus tÎt, en août 1863, et consacré au
livre de Mme Hugo, Victor Hugo par un témoin de sa vie, flat-
tĂšrent extrĂȘmement le grand exilĂ©. 11 rĂ©pondit Ă George Sand,
en liant à tout jamais par un vers célÚbre le nom de l'illustre
femme Ă celui du ruisseau sur les bords duquel elle avait lu le
livre sur Shakespeare. Notamment son morceau Amour de Veau
(oĂč il disait que chaque cours d'eau attirait sur ses bords ceux
qui chantent, oiseaux et poĂštes qui, comme l'eau, courent devant
eux sans chemin et sans besogne, mais vont toujours vers un
but), il le termine par ces mots :
George Sand a la Gargilesse
Comme Horace avait l'Anio.
Ces deux vers attirÚrent pour leur part une réponse de George
Sand Ă Hugo. Elle publia en 1865 dans V Avenir national un
petit article sur les Chansons des rues et des bois (4). DĂšs les
premiĂšres lignes elle y rejetait avec une douleur et une amertume
profonde l'honneur « d'avoir la Gargilesse », car, disait-elle :
George Sand n'a rien, pas mĂȘme l'eau courante et rieuse de la Gargi-
lesse, c'est-Ă -dire le don de la chanter dignement, car ces choses qui
appartiennent Ă Dieu, les flots limpides, les forĂȘts sombres, les fleurs,
les étoiles, tout le beau domaine de la poésie, sont concédées par la
loi divine Ă qui sait les voir et les aimer. C'est comme cela que le poĂšte
est riche. Mais moi, je suis devenue pauvre...
(1) Cet article est réimprimé dans le volume des Sept cordes de la lyre.
(2) Réimprimé dans les Questions d'art et de littérature.
(3) Voir notre vol. I, chap. m, et vol. IV, chap. vin et x.
(4) Voir Ćuvres complĂštes de George Sand, vol. des Nouvelles lettres
d'un voyageur.
iv. 29
450 GEORGE SAND
Et George Sand raconte les malheurs et les chagrins qui plon-
gÚrent le pauvre « voyageur » dans une morne apathie, firent
taire son humble voix qui avait jadis chanté et la Gargilesse et
mĂȘme l'Anio.
A la fin de cette Nouvelle lettre d'un voyageur, George Sand
parle de l'influence bienfaisante qu'un poÚte de génie peut
exercer sur ses lecteurs, mĂȘme lorsqu'ils sont plongĂ©s dans la
douleur, par son don divin, par le charme et l'harmonie de ses
vers puissants. Puis elle trace en quelques lignes symboliques,
comment un soir qu'elle rĂȘvait au coucher du soleil dans le
jardin du Luxembourg, un lugubre tour erre, les sons d'un
« tam-tam sinistre », s'élevant soudain des tours de Saint-
Sulpice, chassÚrent sa douce méditation. Les enfants jouaient
et les jeunes gens se promenaient sagement, car de nos jours
les Ă©tudiants sont devenus graves et ne ressemblent pas plus
Ă l'ardente et bruyante jeunesse d'autrefois, que les larges
rues silencieuses du Quartier Latin moderne aux petites rues
tortueuses, mais remplies de rires sonores et de gaies chansons
de jadis. C'est de nos jours â ajoute l'ex-voyageur d'autre-
fois, â de nos jours oĂč l'on n'entend que la voix rauque
de l'airain, « cloches et canons », apportant la tristesse et
l' effroi dans les cĆurs, c'est maintenant qu'il nous faut surtout
entendre la voix du poĂšte : cette voix cĂ©lĂ©brant quand mĂȘme
et toujours la beauté, la nature ; gaie ou mùle, elle nous rend la
vaillance, le courage, nous appelle au combat, nous inspire l'en-
thousiasme, la foi dans la victoire finale du beau et du vrai.
Xous reviendrons encore Ă certains passages de cette Lettre
d'un voyageur de 1865, trĂšs importants pour le biographe, mais
Ă©crits sous de tout autres impressions que les gaies impressiom
de lecture et de printemps, ressenties aux bords de la Creuse et
de la Gargilesse en avril 1864. Durant cette année beaucoup
d'eau a passé, non seulement dans ces deux petites riviÚres,
mais aussi dans la vie de l'auteur. I^ous allons conter les événe-
ments qui causÚrent ce changement d'humeur du « voyageur ».
Isotons en passant que le dernier Ă©crit de George Sand con-
sacré à Victor Hugo, son poÚte préféré en tout temps (nous
GEORGE SAND 45I
savons qu'Aurore Dudevant se disait hugolĂątre avant d'ĂȘtre
George S and) (1), fut sa Lettre Ă Victor Hugo sur la reprise de
LucrĂšce Borgia en 1870. L'auteur y raconte comment trente-
sept ans plus tÎt il avait assisté à la premiÚre de LucrÚce, assis
à cÎté de Bocage, qu'il ne connaissait pas. « A la fin du drame,
quand le rideau se baissa sur le cri tragique : « Je suis ta mÚre ! »
nos mains furent vite l'une dans l'autre. Elles y sont restées
jusqu'à la mort de ce grand artiste, de ce cher ami... » Puis
Mme Sand conte ses impressions sur le jeu des artistes et surtout
l'impression produite par l'illustre Marie Laurent, cette incom-
parable « mÚre tragique ».
George Sand parla encore de V Année terrible de Hugo dans le
numéro xiv de ses Impressions et souvenirs (mais elle ne lui con-
sacra pas ce chapitre entier, y parlant aussi des poésies de Bouilhet
â l'ami de Flaubert â et des traductions d'Eschyle, faites par
Leconte de Lisle). Enfin elle parla du volume des Contempla-
tions dans ses articles Ă ' Autour de la table.
Revenons maintenant Ă 1864-1865.
Les événements arrivés en ces deux années sont si impor-
tants qu'il faut s'y arrĂȘter plus longuement : d'autant plus que
les lettres qui s'y rapportent sont presque toutes tronquées dans
la Correspondance et quant Ă celles de 1865 elles y figurent Ă
peine.
Au commencement de janvier 1864, Mme Sand laissant Ă
Nohant Maurice avec sa femme et son enfant, alla habiter avec
Manceau pendant quelque temps « la cambuse » de Maurice Ă
Paris, afin d'assister Ă la premiĂšre d'une petite piĂšce de Manceau :
Une journée à Dresde, puis aux répétitions du Marquis de
Villemer, et enfin pour s'entendre avec quelque directeur
de théùtre sur les piÚces à tirer, en collaboration avec Maurice,
de quelques-uns de ses romans, entre autres de V Homme de
neige.
Une série de lettres à Maurice et à d'autres est donc remplie
de détails de ces répétitions, de changements survenus dans la
(1) Voir notre vol. I, chap. vi.
4S2 GEORGE SAND
distribution des rÎles, de récits sur les acteurs et les actrices. Ces
lettres nous renseignent aussi :
1° Sur le zÚle déployé par Mme Sand pour trouver un pasteur
protestant dont la doctrine garantisse la plus grande liberté de
conscience possible Ă Maurice et Ă sa famille, au petit Marc en
particulier ;
2° Sur les recherches d'un pied-à -terre dans les environs de
Paris qui aboutirent Ă l'achat d'une maisonnette Ă Palaiseau
et Ă l'installation de Mme Sand dans ce petit village.
Enfin, 3° sur son changement d'appartement : quittant le
numéro 3 de la rue Racine, Mme Sand prit un petit logement
au numéro 97 de la rue des Feuillantines.
A monsieur Edouard Cadol.
Nohant (?) 3 janvier 1864.
. . . âą âą
Je vous remercie de ce que vous me dites de mes affaires mais je
crois que tout est arrangé et Berton jouera ma piÚce. S'il y avait un
empĂȘchement imprĂ©vu pour cette annĂ©e, je remettrais Ă l'annĂ©e pro-
chaine, car c'est une chose convenue entre lui et moi que lui seul
jouera ce rÎle (1). M. Brindeau m'a déjà fait parler, mais trop tard, et
sa bonne volonté pourra me rendre service une autre fois (2).
Vous avez été gentil dans votre réponse à Manceau, et je m'y atten-
dais bien. Mais vous n'ĂȘtes pas gentil de n'avoir pas cru ce que je vous
disais cent fois Ă Xohant, que vous ne deviez pas travailler la nuit...
...Bonne année, prompte guérison et bon courage.
G. Sand.
A Maurice.
Paris, 9 janvier 1864.
Mes enfants chéris, je vais trÚs bien. Le changement d'air ou le
mouvement m'ont remise sur pied. Nous avons fait un excellent
voyage...
(1) Celui du duc d'Aléria,
(2) Lorsque ce chapitre fut dĂ©jĂ prĂȘt pour l'impression, parurent dans
le Temps les « Souvenirs » de M. Duquesnel, ancien directeur de l'Odéon,
trÚs intéressants, mais trÚs peu exacts. Nous renvoyons le lecteur à Y Appen-
dice, au chapitre xn, oĂč il trouvera toutes les rectifications nĂ©cessaires du rĂ©cit
de Duquesnel sur la premiĂšre de Vill&mr. Quant Ă Brindeau, il joua effec-
tivement dans Villemer, lorsque la piĂšce fut reprise en l'automne de 1864.
GEORGE SAND 453
J'ai vu Berton, j'ai vu Larounat (1), j'ai vu mes acteurs, j'ai vu
l'Odéon et voilà tout jusqu'à présent. On joue Manceau mercredi, on
lit Villemer aux acteurs mardi/Jeudi je verrai probablement MĂ©lingue
ou vendredi. J'ai vu Buloz qui est gentil pour moi autant qu'un Buloz
peut l'ĂȘtre... Manceau vous envoie ainsi qu'Ă (Marc) toutes ses plus
belles amitiés. Sa piÚce est déclarée parfaite à l'Odéon par les acteurs
et tous les gens de la maison. Saint -LĂ©on y est excellent. Ils ont beau-
coup d'acteurs à présent, quelques-uns trÚs drÎles. J'ai une Diane de
Saintrailles charmante (2). C'est toujours ça...
A Maurice.
Paris, 12 janvier 1864.
...Souffrez-vous du froid? Ici je n'en souffre pas du tout. Ma man-
sarde Ă deux cheminĂ©es est trĂšs chaude, et mĂȘme je n'y allume qu'un
feu Ă la fois. Je sors trĂšs peu le jour, on agit auprĂšs de M. de Beau-
fort (3), et Doucet (4) s'en occupe avec zĂšle. On me dit que demain
ce sera arrangé, j'attends à domicile le résultat des négociations. Man-
ceau rage à ses répétitions.
L'Odéon est toujours la boutique au laisser-aller et Larounat est un
flĂąneur, un enfant.
C'est Ă©gal Marceline se joue aprĂšs-demain et ira bien, j'espĂšre. J'ai
vu Sainte-Beuve, Fromentin (5), les Borie, Cadol, Gustave Doré,
qui est trĂšs gentil etc., etc.
J'ai été deux fois à l'Odéon. Diane aux bois c'est trÚs joli, et le satyre
joue d'une façon trÚs originale. Les Relais c'est spirituel et voilà tout.
J'ai été ce soir au Français. Penarvan (6), c'est trÚs mauvais,
Mme Plessy y est trÚs belle. Nous avons été la voir dans sa loge.
Je pense que jeudi ou vendredi nous n'aurons plus d'embargo pour
Villemer et alors je m'occupe de MĂ©lingue (7) que je veux tenir en tĂȘte
(1) Directeur de l'Odéon.
(2) Voir p. 463. C'est Mme Leprévost qui créa le rÎle de Diane.
(3) Directeur du Vaudeville.
(4) Ministre des Beaux-Arts.
(5) EugÚne Fromentin, célÚbre peintre et écrivain. Mme Sand consacra
dans la Presse de 1857 et 1859 des articles trĂšs enthousiastes Ă ses livres :
Un été dans le Sahara et Une année dans le Salvel. Elle lui dédia aussi son
roman de Monsieur Sylvestre en l'appelant dans la dédicace « son ami » :
A mon ami EugĂšne Fromentin.
(6) PiĂšce de Jules Sandeau.
(7) Mme Sand voulait le consulter sur la possibilité ou l'impossibilité
selon lui, de tirer une piĂšce de V Homme de neige.
454 GEORGE SAND
Ă tĂȘte une demi-journĂ©e. Bonsoir, mes chers enfants, je vous embrasse
mille et mille fois. Amitiés de Manceau et de tous,
G. S.
A Lina.
Paris, 14 janvier 1864.
Mes chers enfants, excellent succĂšs de Marceline, c'est-Ă -dire Une
journée à Dresde. Pas l'ombre d'un murmure, d'une critique, d'une
malveillance quelconque dans le public, et des salves d'applaudisse-
ments Ă toutes les tirades, des larmes, de l'attendrissement continuel.
Ensuite grand succÚs littéraire dans les foyers et satisfaction com-
plĂšte sur toute la ligne. Camille Doucet n'en tarissait pas. Le prince
et la princesse avec son monde avaient loué la loge des auteurs, bien
que nous ne les eussions prévenus de rien. Si bien que Manceau n'ayant
plus de place, Ă©tait un vrai cheval de trompette dans l'orchestre des
musiciens, et pas ému du tout. Le prince l'y a guigné, l'a appelé dans
la loge par-dessus les tĂȘtes, en bon bourgeois, et l'a comblĂ© de compli-
ments. Il m'a cherché ensuite dans les couloirs, mais j'avais quitté
ma baignoire et je cherchais Manceau sur le théùtre, sans quoi le
prince se fût trouvé nez à nez dans ma loge avec Popotte (1). J'ai vu
Marchai (2), Dumas et ses dames, les dames Fleury que je n'ai pu
joindre, Arrault (3), Gautier de loin, et tout le ban et l'arriĂšre-ban de
la critique, qui, ces jours-là , remplit le vaste Odéon. Le personnel du
théùtre était enchanté du succÚs, car, avec les étudiants, les premiÚres
(1) Sobriquet de Mme Amould-Plessy. Nous avons déjà dit plus haut
comment Mme Sand sut la consoler et la soutenir dans la terrible Ă©preuve
de sa vie lorsque le mĂȘme prince JĂ©rĂŽme la trahit d'une maniĂšre aussi gros-
siĂšre que cynique. On connaĂźt trop cet Ă©pisode pour que nous ayons besoin
d'en parler encore. (Voir entre autres Mes sentiments et nos idées avant 1870.
de Mme Adam, p. 280-281,)
(2) CĂ©lĂšbre peintre et dessinateur, grand ami de Dumas fils, de Manceau
et de Mme Sand. Elle l'appelle dans l'une de ces lettres à Dumas : « Mon
joli petit colibri Marchai, » par dérision, Marchai étant énorme. En 1861 il
avait fait un portrait de Mme Sand. (V. plus haut p. 406. )
(3) Henri Arrault fut, encore avant Dunant, le premier promoteur de l'idée
de secourir les blessés au champ de bataille, c'est-à -dire le vrai créateur de
la Croix-Rouge. La lettre de Mme Sand Ă Arrault, dans laquelle elle souligne
ce fait : la primauté de cette idée revenant à Arrault et non pas à Dunant,
fut publiée en 1865 dans VOpinion nationale. C'est à Arrault aussi que se
rapporte une autre lettre de M. Sand intitulée A propos du choléra et
imprimée dans V Avenir national. Mme Sand y fait appel à tous les gens de
bien de s'empresser de venir en aide Ă une autre entreprise d' Arrault, soit en
lui envoyant de l'argent, soit des vĂȘtements, afin qu'il puisse secourir les
familles des morts du cholĂ©ra, bonne Ćuvre que cet excellent homme avait
entreprise lors de l'épidémie de 1865.
GEORGE SAND 455
représentations des piÚces en un acte sont souvent mal accueillies. La
piÚce a été bien jouée sauf par Marceline qui est joue comme un ange
dans un costume empire exact, mais qui est trop nerveuse. Saint-
Léon, Frémann excellent, le héros, jeune débutant, trÚs joli garçon,
bien costumĂ© et trĂšs Ă©mu jusqu'Ă ĂȘtre sĂ©rieusement malade, a Ă©tĂ© trĂšs
applaudi et trĂšs sympathique, Wagner trĂšs bien, la gouvernante trĂšs
drÎle, c'est un succÚs trÚs réel, autant qu'une piÚce en un acte peut le
comporter.
Mon affaire à moi n'est pas encore dénouée, c'est toujours pour
demain.
Mais c'est demain tout de bon que j'attends la petite maman Ă
Cocote et je vais bien parler de vous trois ; j'ai dßné aujourd'hui avec
Alexandre.
J'ai vu M. Rodrigues, j'attends demain le prince avec qui je joue
aux barres et Emile que je n'ai pas encore vu. Je me porte trĂšs bien,
Manceau est enrhumé comme un chien, mais il est content et il vous
envoie ses amitiés.
Vous ne m'écrivez pas souvent, méchants enfants, j'espÚre que
vous allez bien et que mon Cocoton n'est plus enrhumé, je verrai
MĂ©lingue, soyez tranquilles. Je vous bige Ă mort tous les trois. Avez-
vous froid Ă Nohant? Ici je n'en souffre pas du tout, mais je m'em-
bĂȘte de ne pas avoir de solution pour Berton qui est aux prises avec son
brigand de directeur (1).
Paris, 16 janvier 1864.
L'affaire Beaufort, c'est le directeur du Vaudeville qui nous empĂȘ-
chait de conclure avec Berton pour le duc d'Aléria. Le dit Beaufort
nous le marchandait, et enfin c'est arrangé aprÚs dix ou douze rendez-
vous Ă©vasifs dudit personnage. Berton y a fait de son mieux, il est Ă©pris
de son rĂŽle. Lundi enfin, Manceau va lire aux acteurs, et on commencera
les répétitions. DÚs lors, mardi ou mercredi je m'occupe de Mélingue
et je pars tout de suite aprĂšs s'il ne survient aucun embargo nouveau
à l'Odéon.
...La piÚce de Manceau va trÚs bien, on en est enchanté partout,
c'est un trÚs bon début de jeune auteur qui passe maßtre versificateur,
du premier coup. J'ai vu le prince qui va venir tout Ă l'heure et qui
vient aussi passer la soirée dimanche. Il m'a parlé de toi avec la plus
(1) Berton, qui devait obtenir la permission du directeur du Vaudeville
de jouer le duc d'Aléria dans la piÚce de Mme Sand, ne parvint pas pen-
dant longtemps Ă vaincre l'obstination de M. de Beaufort. Ayant enfin obtenu
cette permission, il eut dans ce rĂŽle un Ă©clatant succĂšs.
456 GEORGE SAND
grande et la plus aimable amitié, beaucoup de questions sur ton petiot,
sur Lina, beaucoup de compliments etc., il est enthousiasmé de la
piÚce de Manceau. H dit que c'est superbe, rien que ça. Je lui ai offert
pour toi des cailloux, mais on nous a interrompus et je ne sais pas ce
qu'il m'a répondu, je lui en reparlerai aujourd'hui.
Je suis un peu grippée, tout le monde l'est...
Mancel est grippé aussi par-dessus le marché et tousse affreuse-
ment (1).
J'ai vu hier la petite mĂšre Ă Lina, toujours grasse et fraĂźche. Vous
pensez bien que nous avons parlé de vous et de Cocoton deux heures
sans désemparer ; elle revient dimanche.
A Maurice.
Paris, 20 janvier.
Mes chers enfants, me voilĂ sur pied. J"ai eu une crise de grippe trĂšs
rude avec la fiÚvre et les nerfs bien excités, j'ai été bien soignée, je me
lĂšve. J'espĂšre avoir le sang tout Ă fait calme demain.
Manceau a le torticolis. La piÚce va bien. La mienne est en répéti-
tion. J'attends une réponse de la Porte-Saint-Martin.
Je vous aime, je vous bige, je suis bien faible, demain ça ira bien.
Je bige et je rebige mon Cocoton. La petite maman Ă Lina va bien.
Je ne peux te rien dire encore du jour de mon départ. Trop
faible.
Ces démarches auprÚs de la Porte-Saint-Martin et autres
théùtres étaient trÚs urgentes, car le budget de Mme Sand (aprÚs
sa maladie de 1860-61, le séjour à Tamaris et le voyage de Mau-
rice avec le prince JĂ©rĂŽme) Ă©tait, comme nous le verrons tout
à l'heure, dans un état de déséquilibre complet, son fonds d'ar-
gent épuisé elle devait faire tous ses efforts pour ajouter un petit
surplus Ă ses revenus ordinaires, ce qui correspondait toujours
chez elle Ă un surcroĂźt de travail.
Elle s'efforçait donc alors à faire piÚce sur piÚce et à les placer.
Elle voulut aussi diminuer sa dépense. C'est pour cela qu'elle
se dĂ©cida Ă quitter son logement de la rue Racine et se mit Ă
chercher deux petites chambres dans les alentours de TOdéon.
(1) Manceau était déjà atteint de la phtisie à ce moment.
GEORGE SAND 457
Paris, 22 janvier 1864.
...Moi je m'occupe de trouver ici un pied-Ă -terre plus commode pour
plus tard, il paraĂźt que c'est facile...
...Amitiés du pauvre Mancel qui a passé deux nuits à me veiller
et qui, à son tour, est sur le flanc. Marie résiste, bien qu'elle tousse,
son tour viendra quand nous aurons fini...
...Pour le pasteur Ă Bourges, il faudrait bien savoir s'il impose la
divinitĂ© de M. J. C. ou s'il laisse la libertĂ© d'y croire â ou non.
Je saurai ça. On dit que M. Coquerel qui est le pape du progrÚs pro-
testant irait Ă Nohant trĂšs bien pour une si belle occasion. Ne vous
pressez pas. H est trÚs bon que ça se passe à Nohant, moi présente ;
et qu'on sache bien qu'on peut avoir une religion sans tomber sous le
joug du pape et des jésuites. Répondez à M. Guy que vous m'attendez
pour prendre une résolution, que mes affaires me retiennent à Paris
quelques semaines et que vous lui ĂȘtes trĂšs reconnaissants, mais si
vous aimez mieux que cela se passe sans solennité et sans moi, comme
venant de vous seuls, avisez et faites comme vous dira la conscience.
Moi je trouve que, d'une maniĂšre ou de l'autre, c'est un bon exemple
Ă donner et une chose sage Ă faire, pourvu que vous n'ayez pas affaire Ă
une secte protestante intolérante comme Rome, car il y en a, et il
faut s'en méfier, vous auriez alors tout le monde contre vous et avec
raison...
Le 23 janvier elle annonce Ă ses enfants qu'elle va mieux,
mais que « tout Paris tousse, le public au théùtre et Berton y
compris », ce qui retarde les répétitions. D'autre part Mme Sand
voulait Ă cette Ă©poque se faire faire un rĂątelier. Elle resta donc
à Paris pendant tout le temps que durÚrent les répétitions,
d'autant plus que sa grippe lui avait fait perdre beaucoup de
temps.
A Maurice.
Paris, 25 janvier 1864.
H paraßt, mes enfants, que je vais trÚs bien ; je ne m'en aperçois
pas, je me sens trĂšs malade, un mal de cĆur, une dĂ©faillance con-
tinuels, lassitude de tout et envie de rien. J'ai été en voiture aux
Champs-Elysées aujourd'hui. Je ne fais rien, je n'avance à rien.
Patience, il faut que ce mal passe.
458 GEORGE SAND
Je ne m'étonne pas de l'imbécillité de nos voisins devant le catho-
licisme. Je les trouve nature, c'est-à -dire crétins. M'attendez-vous
pour votre cérémonie? Moi, je partirai quand je pourrai, ce n'est pas
le plaisir qui me retient ici. J'y suis dans un Ă©tat de marasme complet
au moral et au physique... Puisque vous ne voyez pas moyen de vivre '
Ă Nohant avec le revenu de la terre, nous allons aviser Ă mettre un
gardien et Ă faire maison nette Ă la saint Jean. Moi je cherche un coin
oĂč je puisse vivre pour cinq cents francs par mois. C'est-Ă -dire je
chercherai, car, pour le moment, je ne cherche qu'Ă me tenir sur mes
deux jambes.
26 janvier.
Mes chers enfants, je vais mieux, puisque je n'ai plus que de courts
accĂšs de fiĂšvre. Mais je ne suis bonne Ă rien... Manceau n'est pas plus
chouette que moi... Ce n'est pas ma piÚce qui me retient, j'y ai été voir
deux fois et je vois du reste qu'on n'y aura pas besoin de moi ou que
l'on ne m' Ă©coutera guĂšre... Ce qiĂč me retient c'est que j'ai quatre dents
Ă faire arracher et que je n'ose pas, tant que j'aurai des accĂšs de fiĂšvre,
ce serait beaucoup risquer...
J'attends toujours la réponse de la Porte-Saint-Martin... Attendez-
moi pour le mariage et le baptĂȘme...
28 janvier 1864.
Mes enfants, je vais enfin mieux aujourd'hui, j'ai dormi la nuit
derniĂšre. Je ne peux pas encore manger autre chose que du potage et
des hußtres. J'ai la bouche toute malade et enflée en dedans et en
dehors. Pas de dentiste possible encore. Je ne vois presque personne...
Tous les autres me croient partie ou plus malade. Je me préserve de
l'envahissement. Dans le jour je vais à la répétition. Rien de nouveau
pour VHonvme de neige. J'en dois parler avec Berton demain si nous
pouvons trouver un instant tranqiûlle au théùtre. Il m'a appris qu'on
avait apporté à la Gaßté, il y a deux ou trois ans (il croit) un Homme de
neige de M. Judicis, l'auteur des Cosaques. C'Ă©tait trĂšs mauvais ; on
a refusĂ©. A prĂ©sent Berton est Ă la GaĂźtĂ©, il est seulement prĂȘtĂ© Ă
l'Odéon jusqu'au mois de novembre prochain, et il n'a pas de piÚce de
rentrée. D. ne serait pas impossible de s'entendre avec lui pour qu'il
jouùt Waldo, en mûrissant un peu le personnage. Il est toujours char-
mant et il a du talent comme il n'en a jamais eu. H a fait fureur dans
les Diables noirs. C'est un charmant homme, sans caprices, sans rouerie
et de parole. Je verrai ce qu'il me dira, tout en ne lui cachaiit pas que
j'ai fait faire une démarche auprÚs de la Porte-Saint-Martin dont
j'attends le résultat.
GEORGE SAND 459
Quant Ă nos arrangements futurs, je ne les vois pas possibles avec
moi à Nohant, autrement que censée en visite ou à la veille de voyages ;
je ne pourrai jamais me dĂ©pĂȘtrer des visites de longue durĂ©e, et puis
les devoirs sans nombre de ma situation en Berry, c'est impossible Ă
moins de retomber dans l'esclavage des services Ă rendre, des lettres
Ă Ă©crire etc., etc. Si vous n'ĂȘtes pas plus habiles que moi pour y vivre
en liberté et selon vos moyens actuels, il faudra bien errer un peu pen-
dant quelques années, jusqu'à ce que je me sois remise au niveau de
mes affaires littĂ©raires. C'est dans votre intĂ©rĂȘt autant que dans le
mien, et je prétends me cacher en perchant d'un heu à l'autre, comme
cela m'est arrivé plusieurs fois dans un but semblable. Si vous voulez
percher aussi, plutĂŽt que de vous charger de Nohant, vous vous rap-
procherez de mon arbre. Mais comme mon perchage peut ne pas vous
plaire, nous serons indépendants les uns des autres. Il faut cela avant
tout. Qu'est-ce qu'il faut pour que j'y aille et vienne comme tout le
monde? pour que je retrouve mes enfants et mon Cocoton, n'importe
oĂč? â Un peu d'argent en dehors des dĂ©penses indispensables, et
j'en aurai, dĂšs que certains budgets Ă©crasants ne me seront plus
imposés. Il est certain que nous ne mettrons pas l'Océan entre nous
et que je ne vois pas le rĂȘve solennel de la sĂ©paration et de l'isolement
se dresser entre nous, ce serait envenimer pour moi une situation
chagrinante (la fatigue actuelle et l'équilibre détruit dans mes pro-
duits) que de montrer connne conséquence la famille brisée et le nid
jeté au vent. Ce n'est pas si grave que cela, espérons-le, car si je devais
le croire, j'aurais plus de peine à me rétablir et à reprendre la force
dont j'ai besoin. Donnez-m'en au heu de m'en ĂŽter, vous qui ĂȘtes jeunes
et Ă l'avenir de qui je travaille sans relĂąche. Je vous bige tendrement,
mes enfants chéris. Portez-vous bien...
A Mauriee.
30 janvier 1864.
Manceau t'a Ă©crit tantĂŽt un mot relatif Ă la jument et aussi pour que
tu ne sois pas inquiet de moi, j'étais occupée à l'heure de la poste et
ne pouvais t'écrirc. J'ai commencé les pourparlers avec le baume
d'acier du dentiste... Ma piÚce n'est pas enrayée. Tout va, sauf la
marquise qui n'ira jamais... On m'a annoncé aujourd'hui qu'une cabale
religieuse s'organisait contre ma piĂšce, et une autre en sens contraire
pour la défendre. Nous verrons bien...
AprĂšs avoir parlĂ© Ă son fils d'un projet de piĂšce champĂȘtre
pour le Palais- Royal, dont Luguet, gendre de Marie Dorval, lui
46o GEORGE SAND
avait proposé le sujet, Mme Sand revient à ses affaires person-
nelles.
Cadol s'est trÚs mal conduit avec Manceau, je te conterai ça. L'Odéon
est toujours une... et Larounat une chiffe déplorable. Je fais mon pur-
gatoire, mes pauvres enfants, et je n'ai pourtant pas de gros pĂ©chĂ©s Ă
expier. Je patiente de mon mieux. J'ai reçu la visite de M. Coquerel,
qui est un homme charmant et trÚs avancé. Il craint que vous ne vous
entendiez pas avec le consistoire de Bourges qui fait partie de la vieille
RĂ©forme. Nous parlerons de cela, je crois qu'il serait, lui, Ă notre dis-
position, bien qu'il ne me l'ait pas offert. Mon Cocoton se calme-t-il?
Je m'ennuie bien de ne pas le voir. Bigez le mille fois pour moi et bigez-
vous l'un l'autre pour votre maman. Manceau vous envoie respects
et amitiés. Il va un peu mieux aujourd'hui. Marie est la plus vaillante.
Elle nous fait de bons pots-au-feu, car nous ne mangeons que cela.
Elle vous envoie toutes ses révérences. Nous n'allons pas au spectacle.
Ăa nous Ă©chine trop.
Le portrait de Cocoton est superbe (1).
Paris, 9 février 1864.
...Ma grippe m'a rendu le service de rester quinze jours sans voir
personne et à présent je jouis encore du bénéfice de ce prétexte. On
me laisse assez tranquille, ruminer un roman au coin du feu, et par
bonheur mon grand atelier-salon est trĂšs chaud, mais il faut ĂȘtre au
théùtre de 11 heures à 4 heures, par conséquent ne pas trop veiller.
Je n'ai donc le temps de rien Ă©crire que des raccords...
...Manceau a loué à Palaiseau une maisonnette toute petite avec un
jardin tout jeune. Mais- c'est joli et propre et dans un pays délicieux,
le chemin de fer Ă deux pas, la solitude et le silence tout d'un coup.
H s'arrange avec un tapissier ami de Maillard qui lui vend des meubles
(il n'en faut guĂšre) pour une petite somme Ă verser annuellement, il
s'arrangera probablement de mĂȘme pour la maison s'il voit qu'il me
plaßt de l'habiter. On trouve aujourd'hui des facilités étonnantes pour
Ă©teindre son loyer par une acquisition lente, et tous les artistes se
casent ainsi. Ăa vaudra mieux pour lui, Ă coup sĂ»r, que d'engloutir le
produit annuel de son travail dans la dépense de Nohant. Je prends
avec lui des arrangements pour ne pas lui ĂȘtre Ă charge et il y a Ă tout
cela pour moi une si grande Ă©conomie que j'espĂšre bien me remettre
au courant de mes affaires en peu d'années et avoir encore de quoi
aller Ă Nohant si vous vous y fixez.
(1) Peint par Mme Calainatta. Il est au salon de Nohant oĂč nous l'avons vu.
GEORGE SAND 461
Il n'y a guĂšre plus loin de Paris Ă Nohant par le chemin de fer
comme temps, que de Gargilesse Ă Nohant, et comme la maisonnette de
Palaiseau est servie par le chemin de fer je n'aurai pas besoin de voi-
ture, de cheval et de cocher. Si je veux faire une course dans les bois
environnants, il y a une espĂšce de Matron (1) dans le village avec des
carrioles. Je me suis informée s'il y avait des appartements meublés
dans le cas oĂč vous viendriez me voir, il y en a. Il y a un trĂšs bon
médecin à notre porte, boucher, boulanger etc., la vie moins chÚre
qu'à Paris et un pays de braves gens, pas dévots et par conséquent
pas voleurs ; on vit les portes ouvertes ; enfin de tout ce que j'ai vu,
c'est le mieux et c'est mĂȘme trĂšs bien...
Paris, 18 février 1864.
J'ai reçu le canevas de WaMo, j'attends M. Harmant dimanche.
Viendra-t-il? C'est un grand personnage Ă prĂ©sent, il est Ă la tĂȘte de
la direction de quatre théùtres réunis et il est si occupé qu'on ne sait
oĂč le prendre...
17 est question de jouer Villemer le 26...
...On m'annonce une cabale de jésuites. Mais j'ai aussi un public
pour moi Ă ce que l'on assure et un public chaud, nous verrons bien.
Le prince et la princesse ont retenu la loge de la direction et on s'ar-
rache les places. C'est un événement que Villemer.
Un autre événement c'est la vente de Delacroix qui atteint des prix
fabuleux. Le pauvre homme qui nous donnait si généreusement des
peintures, qui vendait pour rien et qui n'avait pas de fortune en laisse
une à ses héritiers. Certaines toiles atteindront 50 000 francs. Il y en
a Ă Nohant pour de l'argent et le tableau de fleurs atteindrait, dit-on.
un beau prix. Peut-ĂȘtre avez-vous lĂ de quoi compenser le mauvais
cÎté des affaires de Guillery...
Effectivement Delacroix Ă©tait mort peu auparavant, en 1863,
et, comme cela arrive souvent, sa mort occasionna une explo-
sion de sympathie et d'admiration générales, il devint soudain
tellement en vogue que la moindre de ses esquisses se vendit
trois ou quatre fois le prix obtenu de son vivant pour ses grandes
toiles. La famille Sand Ă©tant trĂšs Ă court d'argent, George Sand
proposa Ă Maurice de vendre plusieurs peintures qui se trou-
(1) Propriétaire d'un cheval et d'une carriole, qui accompagnait Mme Sand
dans ses courses et ses promenades Ă Tamaris.
462 GEORGE SAND
valent à ?sohant. Delacroix, durant son séjour au chùteau, y
avait laissé plusieurs tableaux représentant des sujets tirés des
romans de George Sand et d'autres, des portraits et des dessins.
Une série de ses lettres datées de février est consacrée aux indi-
cations données relativement aux tableaux que Mme Sand vou-
lait garder. D'autre part Yillemer Ă©tait toujours Ă la veille d'ĂȘtre
joué, on remettait de jour en jour la premiÚre. Le 21 février
Mme Sand écrit à ses enfants. (Cette lettre est tronquée dans la
Correspondance. Ăźsous donnons entre crochets les passages
coupés) :
Chtrs enfants,
Je croyais avoir répondu à votre question. Comment, si je veux
ĂȘtre marraine de mon Cocoton? Je crois bien ! Si c'Ă©tait comme catho-
lique, je dirais : <â Non ! ça porte malheur. » Mais l'Eglise libre, c'est
différent, et vous ne deviez pas douter un instant de mon adhésion.
On commence à travailler sérieusement à l'Odéon. Mais on a perdu
tant de temps, que nous ne serons pas prĂȘts avant la fin du mois, et
peut-ĂȘtre le 2 ou le 3 mars. VoilĂ ce qu'ils reconnaissent aujourd'hui.
[Mais Larounat est si braque que demain ce sera peut-ĂȘtre encore
changé. Aujourd'hui on a essayé un trÚs beau décor, mais il avait oublié
de commander le plafond et l'antichambre. Enfin je ne veux pas vous
ennuyer de mes ennuis ; ils ne sont pas minces, et vous seriez étonnés
de la provision de patience que je fais tous les matins pour la journée.]
J'ai été voir le prince hier matin, j'ai demandé à von son fils ; il a
fait due à la bonne de l'amener. L'enfant est arrivé avec une personne
en petite robe de laine Ă©cossaise que j'ai failli ne pas regarder, quand
je me suis aperçue que c'Ă©tait la princesse elle-mĂȘme qui m'amenait
son jeune homme, toute seule et trĂšs gentiment. L'enfant est trĂšs beau
et trÚs joli, avec un air mélancolique et timide.
H tiendra de sa mÚre plus que de son pÚre. H est trÚs mignon et obéis-
sant comme une fille.
Je me porte bien, toujours sans appétit ; ça ne pousse pas à Paris.
[Manceau va mieux malgré un froid de loup. J'espÚre que vous
allumez le calorifÚre. Le café est parti.]
La vente de Delacroix a produit prĂšs de 200 000 francs en deux
jours. Les moindres croquis se vendent, 2, 3 et 400 francs. Ce pauvre
homme vendait des tableaux pour ce prix-lĂ !
Bonsoir, mes enfants chéris ; je vous bige bien tendrement, [respects
et amitiés de Manceau.
GEORGE SAND 463
Samedi soir.
[J'ai dû veiller à la toilette de Mlle de Saintrailles qui aurait été
habillée comme une portiÚre. Je l'ai fait arranger et composer par une
couturiĂšre du dernier chic, et j'ai dit Ă ma petite actrice de lever des
patrons de ses trois toilettes, pour que ma Cocotte ait la derniĂšre mode
Ă consulter.]
Paris, 23 février 1864.
Pense bien Mauricot Ă ce que je vais te dire.
...Les tableaux qui garnissaient l'atelier de Delacroix, ses cartons,
ses dessins, le moindre chiffon oĂč il a fait le croquis d'une tĂȘte Ă cĂŽtĂ©
d'une note de blanchisseuse, tout cela s'arrache et fait fureur. On en
est Ă 250 ou 300 000 francs et il y en a encore, et plus on va, plus on
se dispute Ă qui paiera plus cher. On dit que cette rage ne durera pas
et que peut-ĂȘtre tout cela tombera rapidement. Nous avons chez nous
des valeurs réelles qu'un incendie peut dévorer et qu'aucune compagnie
d'assurance ne nous paierait convenablement. Si tu veux vendre, c'est
l'heure, ce n'est pas dans dix mois, dans un an, c'est tout de suite.
Avise. Je me réserverais le Centaure, ma vie durant. C'est son dernier
cadeau, et la Confession du Giaour, c'est le premier. Restent la Sainte
Anne, les Fleurs, la Cléopùtre, deux Lélia, la Chasse au lion, les Car-
riĂšres, plusieurs Ă©bauches, des chevaux, des coins de jardin, des croquis,
un lion aquarelle, le portrait de Mickiewicz etc.. Il y a lĂ une somme,
je ne sais laquelle, réalisable tout de suite, qui peut mettre dans ta
vie une rente trÚs agréable, 3 000 francs s'il y en a seulement pour
60 000 francs, et qui peut rester dans tes mains une richesse stérile...
Le 28 février, Mme Sand écrit encore :
Mes chers enfants, c'est demain le grand jour! Quand vous rece-
vrez cette lettre, j'aurai des bravos ou des sifflets, peut-ĂȘtre l'un et
l'autre. Ribes ne va pas mieux; il joue quand mĂȘme et trĂšs bien. La
piÚce est mal sue, mais bien comprise et bien jouée.
Le duc, Berton ; Villemer, Ribes ; Caroline, Thuillier ; la marquise,
Ramelli ; Pierre, Rey, sont excellents. Diane de Saintrailles, char-
mante, un peu maniérée ; Mme d'Arglade, un peu faible, et Clerh,
Benoit, qui dit quatre mots, ne gĂątent rien.
Le théùtre, depuis le directeur jusqu'aux ouvreuses, dont l'une
m'appelle notre trésor, les musiciens, les machinistes, la troupe, les
allumeurs de quinquets, les pompiers, pleurent à la répétition comme
un tas de veaux et dans l'ivresse d'un succÚs qui va dépasser celui de
Champi. Tout ça, c'est la veille, il faut voir le lendemain; s'il y a
464 GEORGE SAND
déroute, ce sera autre chose. On annonce toujours une cabale. Les uns
la disent formidable ; les autres disent qu'ils n'y aura rien ; nous
verrons bien. Le moment du calme est venu pour moi qui n'ai plus
rien Ă faire que d'attendre l'issue. La salle sera comble et il y en aura
autant à la porte. De mémoire d'homme l'Odéon n'a vu une pareille
rage. L'empereur et l'impératrice assisteront à la premiÚre ; la princesse
Mathilde en face d'eux, le prince et la princesse Napoléon au-dessous.
M. de Morny, les ministĂšres, la police de l'empereur nous prennent trop
de place, et ce n'est pas le meilleur de l'affaire. Nous aimerions mieux
des artistes aux avant-scĂšnes que des diplomates et des fonctionnaires.
Ces gens-lĂ ne crĂšvent pas leurs gants blancs contre une cabale. H
n'y a que le prince qui applaudisse franchement.
Enfin, nous y voilà ! Les décors sont riches et laids. L'orchestre sera
rempli de mouchards, rien ne manquera Ă la fĂȘte. Marchai ne demande
qu'à étriper les récalcitrants. Le parterre est pris par des gens en cra-
vate blanche et en habit noir. A demain des nouvelles. J'ai vu enfin
M. Harmant à l'Odéon. Il m'a dit qu'il viendrait me voir aprÚs la
piÚce. Mario Proth va faire un article sur Caïïirhoé.
On voit déjà par cette lettre que les événements qui eurent
lieu le jour de la premiÚre de Villemer se préparaient en grande
partie à l'avance ; ils ne dépendirent pas du succÚs ou des qua-
lités de cette piÚce, ils avaient leur source dans l'excitation
générale de la salle, dans l'humeur batailleuse des deux camps
ennemis, qui se-communiqua Ă tous les spectateurs et mĂȘme Ă la
foule du dehors. La prévision de Mme Sand se réalisa complÚte-
ment. VoilĂ ce qu'elle Ă©crivit Ă son fils et Ă sa belle-fille la nuit
du 29 février au 1er mars :
Paris, mardi 1er mars 1864.
2 heures du matin.
Mes enfants,
Je reviens escortée par les étudiants aux cris de : « Vive George
Sand ! Vive Mademoiselle La Quintinie! A bas les cléricaux ! » C'est
une manifestation enragĂ©e en mĂȘme temps qu'un succĂšs comme on
n'en a jamais vu, dit-on, au théùtre.
Depuis dix heures du matin les Ă©tudiants Ă©taient sur la place de
l'Odéon, et, tout le temps de la piÚce, une masse compacte qui n'avait
pu entrer occupait les rues avoisinantes et la rue Racine jusqu'Ă ma
porte. Marie a eu une ovation et Mme Fromentin aussi, parce qu'on
l'a prise pour moi dans la rue. Je crois que tout Paris Ă©tait lĂ ce soir.
GEORGE SAND 465
Les ouvriers et les jeunes gens, furieux d'avoir été pris pour des clé-
ricaux Ă l'affaire de GaĂ«tana d'About, Ă©taient tout prĂȘts Ă faire le coup
de poing. Dans la salle, c'étaient des trépignements et des hurlements
à chaque scÚne, à chaque instant, en dépit de la présence de toute la
famille impériale. Au reste, tous applaudissaient, l'empereur comme
les autres, et mĂȘme il a pleurĂ© ouvertement. La princesse Mathilde est
venue au foyer me donner la main. J'Ă©tais dans la loge de l'admi-
nistration avec le prince, la princesse, Ferri (1), Mme d'AbrantĂšs.
Le prince claquait comme trente claqueras, se jetait hors de la loge
et criait Ă tue-tĂȘte. Flaubert Ă©tait avec nous et pleurait comme une
femme. Les acteurs ont trÚs bien joué, on les a rappelés à tous les actes.
Dans le foyer plus de deux cents personnes que je connais et que
je ne connais pas sont venues me biger tant et tant que je n'en pouvais
plus. Pas l'ombre d'une cabale, bien qu'il y eût grand nombre de gens
mal disposĂ©s. Mais on faisait taire mĂȘme ceux qui se mouchaient
innocemment.
Enfin, c'est un événement qui met le Quartier Latin en rumeur
depuis ce matin; toute la journée, j'ai reçu des étudiants qui venaient
quatre par quatre, avec leur carte au chapeau, me demander des
places et protester contre le parti clérical et me donnant leurs noms.
Je ne sais pas si ce sera aussi chaud demain. On dit que oui, et,
comme on a refusé trois ou quatre mille personnes faute de place, il
est Ă croire que le public sera encore nombreux et ardent. Nous ver-
rons si la cabale se montera. Ce matin, le prince a reçu plusieurs lettres
anonymes oĂč on lui disait de prendre garde Ă ce qui se passerait Ă
l'Odéon. Rien ne s'est passé, sinon qu'on a chuté les claqueras de
l'empereur à son entrée, en criant : A bas la claque! L'empereur a trÚs
bien entendu ; sa figure est restée impassible.
VoilĂ tout ce que je peux dire ce soir ; le silence se fait, la circula-
tion est rétablie et je vais dormir.
Mme Sand décrit la seconde de Villemer dans la lettre écrite
Ă©galement Ă 2 heures de la nuit du 1er au 2 mars. (Cette lettre
est encore tronquée et changée dans la Correspondance. Nous
donnons en italiques les passages coupés.)
Mes enfants,
La seconde de Villemer a été ce soir encore plus chaude que celle
d'hier. C'est un triomphe inouĂŻ, une tempĂȘte d'applaudissements d'un
bout à l'autre, à chaque mot, et si spontanée, si générale, qu'on coupe
(1) Le général Ferri-Pisani, attaché à la maison du prince JérÎme, grand
ami de Mmes Sand et Villot.
iv. 3o
466 GEORGE SAND
trois fois chaque tirade. Le groupe des claqueurs quand il essaye de
marquer des points de repĂšre Ă cet enthousiasme ne fait pas phis
d'effet qu'un sac de noix. Le public ne s'en occupe pas, il interrompt
oĂč il lui plaĂźt, et c'est le tonnerre. Jamais je n'ai rien entendu de pareil
La salle est comble, elle croule ; la tirade de Ribes, au second acte,
provoque le délire. Dans les entr'actes, les étudiants chantent des can-
tiques dĂ©risoires, crient : « EnfoncĂ©s les JĂ©suites ! Hommes noirs, d'oĂč
sortez-vous? et Nous les fessons, de Béranger. » On rappelle les
acteurs Ă tous les actes. Us ont de la peine Ă finir la piĂšce. Ces applau-
dissements les rendent ivres. Berton, ce matin, TĂ©tait encore d'hier,
lui qui ne boit jamais que de l'eau rougie. Ce soir, il me suivait dans les
coulisses en me disant qu'il me devait le plus beau succĂšs de sa vie, et
le plus beau rÎle qu'il eût jamais joué !
Thuillier et BameUi étaient folles. H faut dire qu'elles ont joué admi-
rablement. Ribes n'a pas le mĂȘme ensemble : il est laid, disgracieux,
pas cabotin du tout ; mais par moments il est si sympathique et si
nerveux, qu'il Ă©lectrise le public et recueille en bloc les bravos que
les autres reçoivent en détail. Je vous raconte tout ça pour vous
amuser. Si vous voyiez mon calme au milieu de tout ça, vous en ririez,
car je n'ai pas été plus émue de peur et de plaisir que si ça ne m'eût
pas regardé personnellement, et je ne pourrais pas expliquer pourquoi.
Je m'Ă©tais prĂ©parĂ©e Ă ce qu'il y a de pire, c'est peut-ĂȘtre pour ça que
l'inattendu d'un succĂšs si inconcevable, en ce qiĂč me concerne, m'a
un peu stupéfiée. H faut voir le personnel de l'Odéon autour de moi.
Je suis le bon Dieu. Je dois leur rendre cette justice que, tout le temps
des répétitions, ils ont été aussi gentils que le jour de la victoire ; que,
la veille, ils n'ont pas été pris de la panique ordinaire qui fait qu'on
veut mascander la piĂšce parce qu'on a peur de tout. Es vont faire de
l'argent, je l'espĂšre. En ce moment ils pourraient faire quatre mille
francs par soirée ; mais ils tiennent à laisser entrer les écoles, beau-
coup d'ouvriers, de bourgeois libre penseurs, enfin les anus naturels
et ceux qui lancent le succĂšs par conviction. En cela, ils agissent bien,
et ils sont hoimĂȘtes gens.
Il y a eu ce soir encore un peu de tapage sur la place. On voulait
recommencer la promenade d'hier au soir, car je ne savais pas hier
quand je vous ai écrit tout ce qui s'était passé. Six mille personnes
au moins, les Ă©tudiants en tĂȘte, ont Ă©tĂ© Ă la porte du club catholique
et de la maison des jésuites, chanter en fausset : Esprit saint, descendez
en nous! et autres cantiques, en moquerie.
Ce n'était pas bien méchant ; mais comme tous ces enfants s'étaient
grisés par leurs cris et leur queue de douze heures sur la place, on crai-
gnait de les voir aller trop loin, et la police les a dispersés. Quelques-
uns ont été bousculés, déchirés et menés au poste. Ni coups ni blés-
GEORGE SAND 467
sures pourtant, On s'attendait à du bruit et on avait consigné deux
rĂ©giments, avec l'ordre d'ĂȘtre prĂȘts Ă monter Ă cheval. Les jeunes
gens avaient résolu de dételer mes chevaux du sapin et de m' amener
rue Racine. On a, Dieu merci, empĂȘchĂ© et calmĂ© tout. On a un peu
engueulé l'impératrice en lui chantant le Sire de Framboisy. Mais
l'empereur a bien agi, il a applaudi la piĂšce, il est sorti Ă pied jusqu'Ă
sa voiture, que la foule empĂȘchait d'arriver. Il n'a pas voulu que la
police lui fßt faire place. On lui en a su gré et on l'a applaudi.
Il devrait bien faire supprimer l'escouade de mouchards qui l'ac-
clament à son entrée, et auxquels les étudiants ont imposé silence
hier ; je suis sûre que, sans elle, toute la salle l'applaudirait.
Les journaux d'aujourd'hui racontent de mille maniĂšres ce qui s'est
passé hier; mais ce que je vous raconte à bùtons rompus est exact.
Aujourd'hui il y avait dans la salle pas mal de catholiques qui essayaient
de prendre des airs dĂ©daigneux et embĂȘtĂ©s. Mais ils ne pouvaient pas
seulement cracher, et la moindre parole de leur part eût fait éclater
une tempĂȘte. DĂ©cidĂ©ment tout le monde ne les aime pas, et ils n'ose-
ront pas broncher. Ils se vengeront dans leurs journaux, soit.
J'ai encore un jour ou deux Ă donner Ă Villemer; et puis j'ai Ă voir
M. Harmant, et puis la piĂšce de Dumas, qui vient samedi, et quelques
affaires de détail à terminer ; l'impression de mon manuscrit de Vil-
lemer Ă livrer, c'est-cĂ -dire la correction d'un manuscrit conforme Ă la
mise en scĂšne ; ma photographie chez Nadar. J'espĂšre avoir fini tout
cela la semaine prochaine et courir vers vous et mon Cocoton qui
pousse bien, j'espĂšre, pendant que je pioche, ce cher petit amour. Je
vous bige mille fois. Parlez-moi de vous et de lui.
J'ai les patrons en question, mais ce n'est pas ce qu'il faut Ă Cocotte
pour le moment. Ce sont des choses d'été, parce que la piÚce se passe en
été. Ce qu'il faut faire pour la robe de moire, c'est un corsage coUant et
montant avec de gros boutons, pointe par devant et par derriĂšre...
(Vient une longue description de la mode d'alors avec un dessin
Ă la plume de deux eorsages.)
Amitiés de Monceau qui commence à se rassurer un peu. A-t-U-eu
pmr Ă ma place! et le mal de ventre comme toujours! Si vous avez besoin
d'argent ou que le temps radouci et la bonne santé de Cocoton vous donnent
envie de voir le succĂšs de Villemer, prenez Ă Sylvain. Prenez en tout cas
si vous avez quelques dépenses à faire. L'Odéon ne m'emïchira pas, il
n'enrichit personne, mais il me permettra de n'ĂȘtre plus si gĂȘnĂ©e. Vous
avez dĂ» recevoir une dĂ©pĂȘche de Manceau pour vous annoncer le triomphe.
Montigny y Ă©tait. Il est venu m'embrasser, mais il avait la figure un
468 GEORGE SAND
peu allongée. Je vais avoir beaucoup à faire. Je ne vous écrirai ces jours-ci
que quelques petits bulletins.
Paris, 2 mars 1864.
TroisiĂšme de Tillemer aussi nombreuse, aussi excellente que les
deux autres, le succÚs est lancé, constaté, assuré ; une cabale ne ferait
plus que du bien si elle se montrait à présent. Le public payant com-
mence Ă trouver place. Le premier jour on n'a fait que 700 francs
grùce aux entrées de faveur, aux ministÚres et aux anus : le deuxiÚme
jour 1 200, aujourd'hui 3 000, demain il y a déjà 4 000 à la location ;
c'est un chiffre inouï pour le pauvre Odéon, et il y a déjà pour samedi
et lundi 6 000 francs de location.
Aussi il n'y a plus de place mĂȘme pour moi. Manceau qui n'est pas
gros se fourre dans le violon d'Ancessy, mais moi je suis libre d'entrer
dans les coulisses. J'y ai passé la soirée à écouter rugir et crouler la
salle. Je vais courir un peu demain pour Ă©chapper aux visites, aux lettres,
aux cartes, aux bouquets. Tout le monde est charmant dans le succĂšs.
C'est toujours comme ça. Le prince est venu aujourd'hui. Il est dans
un enthousiasme indescriptible. Il dit que c'est la plus belle chose qui
ait été faite en ce siÚcle, excusez du peu...
Paris, 3 mais 1864.
Ce soir 4 300 francs de recette à l'Odéon, c'est fabuleux, pas une
entrĂ©e de faveur, pas mĂȘme Ă moi. Xous avions donc affaire au publie
payant, libre de toute influence, et nous n'avons pas eu moins de
rappels, pas moins de bravos, pas moins d'interruptions enthousiastes.
Les claqueurs sont impuissants à régler les répliques à effet. La salle
part comme un seul homme, Ă chaque instant, et des larmes et une
attention magnifique. Et tout cela c'est en haut, en bas et au milieu
de la salle. Il y avait tant de beau monde que les Ă©quipages tenaient de
l'Odéon au boulevard Sébastopol et que pour rentrer chez moi il m'a
fallu fane un grand tour. Ăa n'empĂȘchait pas les derniĂšres loges du
centre d'ĂȘtre pleines, jusqu'Ă celles de cĂŽtĂ© oĂč on ne voit absolument
rien, et pleines de gens payants. L'impératrice m'a envoyé aujourd'hui
son secrétaire des commandements pour me complimenter.
La piÚce est jouée de mieux en mieux, et si elle se soutenait comme
ça, Larounat y ferait sa fortune. Mais à l'Odéon il faut encore s'es-
timer heureux quand on fera une moyenne de 1 500 francs...
...Je me lĂšve Ă 9 heures demain pour ĂȘtre chez Nadar Ă 11 ; j'ai Ă©tĂ©
le voir aujourd'hui. Il recommencera mon portrait jusqu'Ă ce qu'il
le réussisse (1)... On imprime aujourd'hui le premier acte de Villemer.
(1) Nadar, célÚbre photographe, qui avait fait en 1864 seize portraits de
GEORGE SAND 469
Les journaux sont jusqu'ici trÚs louangeurs. J'ai reçu vos lettres ce
matin, je suis contente, chers enfants, que vous soyez contents. Je
voudrais que vous vissiez une de ces belles soirĂ©es oĂč je triomphe enfin
sur toute la ligne Ă la barbe des cagots, des envieux et des gazetiers.
A monsieur Oscar Cazamajou.
Paris, mars 1864.
...J'ai eu un succÚs dont rien ne peut donner l'idée et que je ne croyais
jamais avoir au théùtre. La piÚce fait à présent un argent fou. Je ne
sais pas si ça durera, mais c'est superbe pour le moment...
A Maurice.
Paris, 5 mars 1864,
On n'a pas joué la piÚce hier, à cause du vendredi... On la jouera le
dimanche pour se dédommager...
...Aujourd'hui on a dû faire salle comble, car j'ai demandé pour des
amis deux places qu'on ne pourra pas me donner, mĂȘme en payant,
avant mercredi. L'Odéon est illuminé tous les soirs... J'ai été hier
chez Nadar, on m'a portraiturée seize fois, j'espÚre que nous aurons
quelques épreuves réussies dans le nombre.
...J'ai beaucoup de choses Ă vous dire sur le protestantisme. Il s'y
passe une mauvaise réaction. On vient de destituer Coquerel qui pense
comme M. Leblois. H y a deux partis en guerre. Les protestants de
M. Guy qui sont aux trois quarts catholiques et ceux qui veulent la
tolérance. Il paraßt que le pasteur de Bourges est dans le parti arriéré
et je ne vous approuverais pas de quitter le catholicisme pour une reli-
gion qui se déclare tout aussi intolérante et qui impose la divinité de
George Sand, était un républicain et ami de George Saud depuis 1848. 11
s'intéressait à l'aérostatique et l'aviation et écrivit un livre : le Droit au vol.
On sait qu'un décret datant de la grande Révolution interdisait absolument
tout essai de vol, soit en ballon, soit sur des appareils plus lourds que l'air.
Or Nadar défendait le droit de chacun de voler. Mme Sand écrivit, en 1865,
une Préface à son livre, qu'il aurait été fort curieux de publier de nos jours
dans quelque revue d'aviation. (Cette préface est réimprimée dans le volume
des Souvenirs de 1848.) Mme Sand y part d'un point de vue trÚs élevé et trÚs
grand : il ne faut ni se moquer, ni mettre d'entraves à une grande idée nou-
velle, mais au contraire l'accueillir avec joie et prĂȘter Ă son auteur aide et
secours, pour qu'il la réalise, si cette idée est basée sur la logique et provient
de la volonté de se rendre maßtre d'une force de la nature point encore
domptée ; l'avenir justifie toujours les novateurs et les chercheurs coura-
geux ; il est impossible, au siÚcle de la vapeur et de l'électricité, de ne pas
avoir foi dans la victoire future de la navigation aérienne. On voit combien
George Sand avait le sens juste.
470 GEORGE SAND
JĂ©sus sous peine de l'enfer. Ce ne serait pas le moment de faire une
protestation en faveur de Calvin et du bûcher de Servet. H vaudrait
mieux faire venir M. Leblois, et si vous le voulez, je m'en charge.
A l'heure qu'il est, entrer dans une Eglise qui persécute ferait un
mauvais effet pour nous tous. Ne vous pressez pas. Tout viendra Ă
point. Villemer peut bien payer votre mariage et le baptĂȘme de Marco.
Paris, 8 mars 1864.
Villemer va toujours merveilleusement. La grande presse est encore
plus Ă©logieuse que la petite, et cela sans restrictions. Ces messieurs
qui m'avaient déclarée incapable de faire du théùtre, me proclament
trÚs forte. L'Odéon fait tous les soirs 4 000 francs de locations et de
5 à 600 francs de bureau. Il y a file de voitures toute la journée pour
retenir les places, puis autre file le soir et queue au bureau.
L'Odéon est illuminé tous les soirs. La Rounat en deviendra fou.
Les acteurs sont toujours rappelés entre tous les actes. C'est un succÚs
splendide, et comme il n'est plus soutenu par personne que le public
payant, il est si unanime et si chaud que jamais les auteurs n'en ont
vu, disent-ils, de pareil...
Les épreuves de ma photographie n'ont pas encore trÚs bien réussi
chez Nadar : j'y retourne demain. M. Harmant vient pour sûr mer-
credi. Il m'a envoyé une loge pour ce jour-là , car il faut bien que je
connaisse son théùtre. Je voudrais aussi voir Villemer que je n'ai
encore fait qu'apercevoir- à moitié. J'ai demandé hier trois places, pas
une qui ne soit louée jusqu'à samedi.
Paris, 9 mars 1864.
J'ai enfin vu M. Harmant deux fois aujourd'hui. Le succĂšs crois-
sant de Villemer (nous arrivons à 5 000 francs de recette) a décidé
ce potentat qui gouverne tous les théùtres de drame, à faire les avances.
Il demande l'Homme de neige pour le mois de novembre prochain au
plus tard, afin de le jouer en janvier... J'ai encore été chez Nadar,
je ne verrai le résultat que demain... La vente de Delacroix a produit
500 000 francs, on en a pour 70 ou 80 000, j'en réponds, si la fiÚvre
ne tombe pas. mais il faudrait prendre un parti et pas trop tard. Ăa
en vaut la peine. Tu y songeras... Le succÚs de Villemer a ramené chez
moi la foule. Manceau en perd la tĂȘte. La sonnette ne s'arrĂȘte pas. Je
me porte bien quand mĂȘme... Dis Ă Darchy, Ă Moulin, Ă Mme Ludre
que je n'ai pas le temps de les remercier. J'ai reçu cinq cents lettres
depuis Villemer.
Mercredi soir.
GEORGE SAND 471
A Maurice.
Paris, 10 mars.
...Le succĂšs de Villemer va toujours crescendo. La recette de ce soir
est de 5 100 fr. 50. On n'a jamais fait de pareilles recettes à l'Odéon
depuis le temps de Robin des bois en 1826 ou 1827. La rue Racine est
obstruée le soir par des équipages de luxe sur trois de front. Les res-
taurateurs sont encombrés ; on ne reconnaßt plus le Quartier Latin.
Les belles dames font queue dans le jour Ă la location. Il y a des ser-
gents de ville dÚs le matin au bureau, et toujours à la représentation
en entend les mĂȘmes rires, les mĂȘmes bravos, et les nez qui se mouchent,
parce qu'on pleure. Ce succÚs est tel que je ne peux pas croire que ça
me regarde.
Au mĂȘme.
Paris, 12 mars.
Mes chers enfants,
Manceau vous a Ă©crit ce matin aussitĂŽt que nous avons pu fixer
notre départ et je n'ai qu'à vous répéter que nous partons mercredi
matin... J'ai encore passé la matinée chez Nadar, afin d'avoir une
bonne série de portraits et je vous porterai tout ça, les mauvais et
les bons... J'ai Ă©tĂ© ce soir voir enfin Villemer d'une bonne place d"oĂč
j'ai pu saisir l'ensemble ; c'est trĂšs bien mis en scĂšne et les acteurs
jouent beaucoup mieux que le premier jour. On a fait encore 5 090 francs
de recette, 10 francs de moins que jeudi, parce que j'avais pris deux
places, c'est-Ă -dire que la salle fait tout ce qu'elle peut faire et tient
tout ce qu'elle peut tenir. On a supprimé l'orchestre et on a renvoyé
ce soir plus de quatre cents personnes. C'est louĂ© comme ça jusqu'Ă
PĂąques. C'est fabuleux. Je vais demain dire adieu au prince, il Ă©tait
encore ce soir Ă Villemer; je me porte bien, mais il faut vous attendre
Ă me trouver maigrie. Je ne mange pas. L'appĂ©tit ne reviendra qu'Ă
Nohant. Je trouve superbe la négociation de Duvernet. Il est un peu
arriéré, le cher homme ! A Paris, de plus gros bourgeois que lui lùchent
les curés et les jésuites. Bonsoir, mes chéris. Je vous bige à mort.
Samedi soir.
Entre temps les recherches d'un pasteur allaient leur train.
Enfin la chose fut dĂ©cidĂ©e et le 10 avril Mme Sand Ă©crivait Ă
472 GEORGE SAND
Jules Boucoiran qui devait ĂȘtre le parrain du fils de son ancien
Ă©lĂšve :
Nohant, 10 avril 1864.
Nous mangeons les bonbons. C'est moi qui les donnerai quand
viendra le baptĂȘme. M. Guy a craint de se compromettre et il n'a pas
répondu. Je ne crois pas qu'Athanase Coquerel (1) puisse marier et
baptiser maintenant. Il m'a dit : « Je ne suis plus pasteur. » Mais
nous irons Ă M. Peschoux Ă Paris, ou mes enfants iront Ă NĂźmes en
allant chez M. Dudevant... Je serai toujours votre commÚre. Je dérange
sans la détruire ou plutÎt je rar range mon existence de Nohant. J'y
dépense trop et je me fais vieille. H faut trop de travail pour maintenir
une si large installation. Je loue un petit pied-Ă -terre, tout cela plus
Ă©conomique que mon appartement et mes quatre Ă©tages de la rue
Racine. Je passe ainsi une partie de Tannée à Paris, plus à portée des
affaires de théùtre qui demandent une surveillance, et l'autre partie
à Nohant avec mes enfants, mais avec moins de visites, de dépense
et de personnel. Je garde les plus vieux domestiques, Marie et Sylvain
entre autres. Mais mon jardinier me demande trop cher pour rester...
Nous savons que, rentrée à Nohant, Mme Sand alla passer
quelques jours Ă Gargilesse d'oĂč elle adressa sa Nouvelle lettre
d'un voyageur datée du 24 avril, à Manceau, qui était reparti
pour Paris. Puis elle se mit à faire les préparatifs de départ pour
Palaiseau, et dans sa lettre Ă Charles Poney, tout en lui donnant
sa nouvelle adresse à Paris, elle dit carrément que sa vraie rési-
dence sera Palaiseau.
A monsieur Charles Poney.
Nohant, 4 mai 1864.
Cher enfant, c'est Ă Paris que nous nous verrons. Il faut que j'y
6ois Ă la fin de ce mois ou au commencement de l'autre, et qu'aupa-
ravant j'aille Ă Gargilesse, car je suis, nous sommes tous Ă la veille
d'un décampement. Nous voulons nous rapprocher et nous éloigner
de Paris, c'est-Ă -dire y ĂȘtre un peu installĂ©s, tout auprĂšs, sur un chemin
de fer, pour y faire nos affaires sans y demeurer. Maurice et sa femme
doivent aller d'abord Ă NĂ©rac et je ne crois pas que nous soyons de
retour Ă Nohant avant l'automne.
(1) Auteur du livre les Forçats pour la foi,
GEORGE SAND 473
Donc Ă Paris informez-vous de nous, rue des Feuillantines 97, oĂč
j'ai une chambre, et laissez-y votre adresse pour que je vous retrouve,
si ce jour-lĂ je suis en course. Mon vrai pied-Ă -terre sera Ă Palaiseau.
Mais j'ignore si j'y serai installĂ©e alors... Peut-ĂȘtre Lina sera-t-elle
Ă Paris en mĂȘme temps que moi avec son poupon qui est ravissant.
A vous de cĆur, mes chers enfants, amitiĂ©s de Manceau.
G. S.
Si la cause rĂ©elle de ce changement d'existence doit ĂȘtre
attribuée au désir de Mme Sand de mettre le jeune ménage dans
la nécessité de diriger seuls leur maison et leur propriété, aussi
bien qu'à son envie de se créer un asile, de fuir Nouant pour
travailler (ainsi qu'elle le fit en 1840-41, oĂč elle resta une annĂ©e
entiÚre à Paris, sans aller à Nohant, et plus récemment, en 1858-
62, à Gargilesse), ce départ de Mme Sand fut amené aussi par
une circonstance particuliÚre. La santé de Manceau l'inquiétait
de plus en plus, les symptĂŽmes phtisiques devenaient chaque
jour plus évidents. Les consultations des célébrités médicales
de Paris s'imposaient. En dehors de cela il y eut une histoire
assez désagréable à Nohant : les rapports entre Maurice et
Manceau â depuis longtemps cordiaux de la part d'un seul â
s'envenimĂšrent soudain tout Ă fait. Marie Caillaud fit naĂźtre
ce différend. Comme tous les serviteurs trop gùtés par leurs
maĂźtres, elle se permit un jour de ne pas remplir un ordre.
L'un des deux jeunes gens prit son parti, l'autre se fĂącha.
Une querelle s'ensuivit, rappelant celle de Maurice et de
Chopin. Manceau quitta immédiatement Nohant et partit pour
Pans. Si Mme Sand le suivit ce ne fut pas, comme on le pré-
tendit plus tard, par crainte qu'on ne fĂźt des comparaisons
entre les événements et les faits qui s'étaient passés lors de la
maladie et la mort de Chopin, mais pour une raison d'un ordre
bien plus élevé : Maurice était pÚre de famille, il n'avait plus
besoin de sa mĂšre comme autrefois. Le pauvre malade, au con-
traire, avait besoin d'elle, il était menacé de mourir seul, lui qui
avait vouĂ© sa vie au bien-ĂȘtre de Maurice et de Mme Sand. Cette
derniÚre ne le voulut pas. Elle tint à ce que sa chÚre Lina ne sût
pas la vraie cause de ce départ précipité, déclara qu'elle aban-
474 GEORGE SAND
donnait Xohant Ă ses enfants et alla s'installer Ă Palaiseau (1).
Le départ de Mme Sand causa un étonnement général et cha-
grina tout le petit monde de La ChĂątre. On en chercha les vraies
raisons, on en trouva de tout Ă fait fantastiques. Mais aucun
des amis de Mme Sand ne crut que la seule raison financiĂšre
décida cet éloignement de sa maison. Tous s'émurent et l'acca-
blÚrent de questions : qu'était-il arrivé? quelle était la vraie
raison de son départ? Un malheur? un chagrin? etc., etc. Les
lettres publiées dans la Correspondance (2) montrent que George
Sand s'efforça de calmer l'inquiétude de ses amis de toutes les
maniÚres possibles, tantÎt sérieusement, tantÎt avec ironie. Elle
disait que « si les gens de La Chùtre n'avaient pas incriminé
selon leur coutume, c'est qu'ils auraient été malades ». Elle
assurait qu'outre « son désir de mettre ]Nohant sur un pied éco-
nomique » et « les scrupules bons et tendres de ses enfants Ă
gouverner Xohant tout seuls sans elle », rien ne se cachait der-
riÚre sa décision. Dans la lettre à Mme Augustine de Bertholdi,
Mme Sand parlait mĂȘme assez ironiquement de
« ces bons Berrichons qui la faisaient rire quand ils lui disaient : « Vous
allez donc nous quitter? Comment ferez-vous pour vivre sans nous? » Il y
a assez longtemps qu'ils vivent de moi. Duvernet sait bien tout cela et je
m'Ă©tonne qu'il s'Ă©tonne.
Le succÚs de Yillemer me permet de recouvrer un peu de liberté
dont j'étais privée tout à fait à Nohant dans ces derniÚres années,
grĂące aux bons Berrichons qui, depuis les gardes champĂȘtres de tout
le pays jusqu'aux amis de mes amis, et Dieu sait s'ils en ont ! voulaient
ĂȘtre placĂ©s par mon grand crĂ©dit. Je passais ma vie en correspondances
inutiles et en complaisances oiseuses. Avec cela ces visiteurs qui n'ont
jamais voulu comprendre que le son était mon moment de liberté et
le jour mon heure de travail. J'en étais arrivée à n'avoir plus que la
nuit pour travailler et je n'en pouvais plus. Et puis, trop de dépenses
Ă Nohant, Ă moins de continuer ce travail Ă©crasant. Je change ce genre
de vie, je m'en réjouis et je trouve drÎle qu'on me plaigne. Mes enfants
s'en trouvent bien aussi, puisqu'ils étaient claquemurés aussi par les
(1) Nous tenons ces détails des sources les plus autorisées.
(2) Voix Correspondance, vol. V, p. 24-35, les lettres Ă Duvernet du
24 mars ; Ă Mme de Bertholdi du 3 avril ; Ă Mlle Nancy Fleury du 8 mai ;
à M. Oscar Cazamajou de « mai 1864 » et à M. Guillemat du 11 juin 1864.
GEORGE SAND 475
visites de Paris et... que nous nous arrangerons pour ĂȘtre tout prĂšs
les uns des autres Ă Paris, et pour revenir ensemble a Nouant quand il
nous plaira d'y passer quelque temps.
La veille de son départ les ouvriers de La Chùtre lui adres-
sĂšrent une lettre collective oĂč ils lui exprimaient leur vĂ©nĂ©ration
profonde, leur gratitude, leurs regrets de la voir partir, lui té-
moignant combien ils avaient apprécié ses aspirations démocra-
tiques et libératrices (1) :
Madame,
ChĂšre et illustre compatriote,
A la nouvelle de votre départ prochain, les ouvriers de La Chùtre
se sont sentis émus et affligés. Et ce n'est pas seulement, croyez-le
bien, les bienfaits que votre main a toujours semés autour d'elle, qui
leur rendent cette privation douloureuse.
Votre génie est une lumiÚre qui brille sur le monde entier, mais votre
cĆur a toujours su se fane entendre des Ăąmes simples et populaires.
Unis Ă vous toujours par leurs principes et leurs sentiments dans la
sainte communion de la démocratie et du progrÚs, ils tiennent à vous
exprimer, Ă cette occasion, leurs sympathies et leurs regrets.
Absente, notre pensée vous suivra toujours. Souvenez-vous aussi
de nous. Que ces hommages ne soient pas des adieux ; qu'Ă ces regrets
se mĂȘle l'espĂ©rance de votre retour.
Si tous ne peuvent aller serrer votre main généreuse, ce témoignage
vous dira que vous ne laissez pas derriÚre vous des indifférents ou
des ingrats. AgrĂ©ez-le du mĂȘme cĆur que nous vous l'offrons. La rĂ©com-
pense d'un devoir accompli est dans la conscience mĂȘme. Mais il est
doux aussi d'apprendre qu'on a été compris. Que ses efforts pour
éclairer et servir le peuple n'ont pas été stériles et méconnus. Emportez
cette conviction, madame, et pensez que, séparés, nous vous aimerons
encore et nous applaudirons à vos glorieuses destinées.
De tous ceux qui savent lire, vos pages Ă©loquentes ont fait des admi-
rateurs sincĂšres ou des amis inconnus.
Aux Ă©trangers vous avez fait aimer et connaĂźtre notre cher pays.
Qui vous sera donc plus reconnaissants que ses enfants? Si votre nom
en est l'Ă©ternel honneur, votre gloire se rattache au sien par ses plus
belles Ćuvres. On ne comprend pas George Sand sans les horizons du
Berry, loin de Nohant et loin de nous. Que le souvenir de cette soli-
(1) Cette lettre est inédite.
476 GEORGE SAND
darité intime vous accompagne comme un parfum de l'air natal et
vous ramĂšne bientĂŽt Ă vos amis anciens.
Laissez-nous en finissant vous remercier de ce qu'il y a pour nous
de plus particulier dans vos Ă©crits. Nous y retrouverons avec bonheur
l'image fidĂšle et cependant embellie de la terre de notre enfance, de
nos pĂšres, leur honnĂȘtetĂ©, leur indĂ©pendance, leurs vertus modestes.
En la comprenant mieux, nous l'aimons davantage et par ce petit coin,
comme par le foyer de famille, nous nous attachons avec plus d'ardeur
Ă la grande patrie.
Surtout personne n'a su ainsi que vous, madame, honorer le travail
et la dignité du pauvre aux champs ou à la ville, consoler, ne fût-ce
que par de beaux rĂȘves, ceux qui portent courageusement la peine
de chaque jour. Vous leur avez consacré tout un livre, le Compagnon
du Tour de France, Par l'enseignement de l'exemple vous nous
avez prĂȘchĂ© la sagesse avec le dĂ©vouement, le devoir avec la justice.
Vous nous avez révélé l'ensemble, l'humanité et la nature. Nous vous
devons la patience et l'espoir.
Fermes dans la mĂȘme foi, nous avons dans les temps difficiles suivi
le mĂȘme drapeau. Aujourd'hui que, seul ou le premier, l'auteur de
Mademoiselle La Quintinie lutte et triomphe encore pour la vérité
contre les.idées rétrogrades, nous nous rangeons de nouveau avec lui
au nom de la liberté.
Pourrions-nous mieux faire que d'emprunter vos propres paroles
pour vous saluer de nos derniers souhaits :
« Us se souviendront que tu fus leur mÚre féconde, leur nourrice
robuste et leur église militante. Us répandront ce baume sur tes bles-
sures et ils te feront de la terre rajeunie et embaumĂ©e un lit oĂč tu
pourras enfin te reposer.
« En attendant le jour du Seigneur, torrents et forĂȘts, montagnes
et vallées, landes qui fourmillez de petites fleurs et de petits oiseaux,
chemins sablés d'or qui n'avez pas de maßtres, laissez-la, laissez-la
passer la bonne Déesse, la Déesse de la pauvreté (1) ! »
Collot, drapier ; Cornette, ébéniste ; Bruneau, cor-
donnier ; Bougeriot, serrurier ; LeliĂšvre, Edouard ;
Vallet ; Moreau ; Guillemat ; Salmon ; Lebeau ;
Zalade Lour ; Bahuet ; Mercier ; Renard ; Daud ;
Frédéric ; Pibot, sabotier ; Cluvau ; Béjard, char-
bonnier; Robin-Le vert ; Pierre Julot, sabotier;
Despruneaux; Me Trotignon; Robin-Petit.
La ChĂątre, 6 juin 1864.
(1) Paroles tirées de la ballade la Bonne déesse de la pauvreté, composée
par Consuelo, (Voir notre vol. III, chap. iv.)
GEORGE SAND 477
Mme Sand répondit à cette missive par la lettre de remercie-
ments datée du 11 juin 1864 et adressée à l'un de ceux qui
avaient signé la lettre précédente, M. Guillemat, qu'on peut lire
au volume V de la Correspondance. Elle y réfutait une fois de
plus tous les on-dit Ă propos de chagrins personnels qui lui
seraient arrivés et promettait de ne point oublier La Chùtre,
car elle avait l'intention, disait-elle, de souvent revenir dans son
Berry.
A la mĂȘme date, le 11 juin, elle annonça son dĂ©part Ă son
avoué à La Chùtre, M. Ludre Gabillaud, et à son ami Duvernet :
Nohant, 11 juin 1864.
Adieu et au revoir, mon bon Ludre ; embrassez pour moi votre
chĂšre femme. J'espĂšre revenir cet automne. Quand vous viendrez Ă
Paris, venez me voir, sachez d'abord rue des Feuillantines, 97, si je
ne suis pas Ă Paris. Je compte y aller toutes les semaines. Si je n'y suis
pas, je serai Ă Palaiseau (Seine-et-Oise). Ce n'est guĂšre plus loin qu'une
course dans Paris. Je reste Ă vous de cĆur, comptant sur vous, comme
j'espĂšre que vous comptez sur moi. Si je peux faire quelque chose pour
vous ou pour Antoine Ă Paris, ne m'Ă©pargnez pas, j'en serai con-
tente... »
A la fin de cette lettre Mme Sand donnait des indications
sur la maniĂšre d'agir envers son fermier, etc., etc.
Et Ă Charles Duvernet, ne voulant pas lui dire les vraies causes
de son départ précipité, elle écrit :
Nohant, 11 juin.
Chers amis, une lettre de Buloz avec qui j'ai rendez-vous car il
vient exprĂšs de Savoie, me fait partir demain matin. J'espĂšre revenir
Ă Nohant cet automne et y rejoindre mes enfants. Je vous bige tous
bien tendrement; comportez- vous bien, comme on dit chez nous, en
mon absence, et que je vous retrouve tous frais comme des roses et
m' aimant toujours.
G. Sand.
Palaiseau (Seine-et-Oise.)
C'est le 12 juin 1864 que Mme Sand partit pour Palaiseau.
478 GEORGE SAND
Elle s'empressa d'annoncer ce jour mĂȘme son arrivĂ©e Ă bon port
Ă ses enfants :
Mes chers enfants, me voilà installée à Palaiseau aprÚs avoir bien
dßné et contemplé la maisonnette qui est ravissante de propreté et de
confortable. Je ne suis pas fatiguée ; j'ai une bonne chic, le jardinet
est charmant, quoi qu'en dise Manceau : c'est une assiette de verdure
avec un petit diamant d'eau, au milieu, le tout placé dans un paysage
admirable, un vrai Ruysdael. C'est trĂšs joli et la maison est commode
au possible. Je vous dirai les avantages et les inconvénients de la vie
ici quand je les saurai, mais l'habitation est parfaite. J'ai passé une
heure dans mon logement de Paris ; figurez-vous un wagon divisé en
trois piĂšces ; mais c'est charmant tout de mĂȘme, une maison flambant
neuve, propre, reluisant comme une assiette qu'on vient de laver. J'ai vu
Maillard qui m'attendait Ă une gare et qui m'a conduite Ă l'autre (peu
distantes l'une de l'autre) ; avec une grande heure passée dans le loge-
ment de Paris oĂč j'aurais eu le temps de dĂźner, si j'avais eu faim, nous
nous Ă©tions rendus Ă 3 heures dans la cambuse de Palaiseau. Vous
voyez que tout ça n'est pas loin.
Maillard a reçu l'argent de Maurice et lui a écrit ce matin.
Dites-moi si la lettre de ce matin (de Guillery) vous appelle tout
de suite ou vous retarde de quelques jours, tenez-moi au courant...
Manceau envoie ses hommages Ă Mlle Carabiac et bige Bouli et Cocoton.
Amitiés à Marie.
Palaiseau, 14 juin 1864.
Je ne sais pas, mes enfants, si vous n'ĂȘtes pas au milieu des paquets
jusqu'au cou. Je pense que demain j'aurai de vos nouvelles et que je
saurai si vous filez droit sur NĂ©rac ou sur NĂźmes.
Je ne peux encore rien vous dire de la vie Ă Palaiseau. Je sais que
l'endroit est charmant, la mangeaille trĂšs bonne, la petite maison trĂšs
commode et qu'on y a toutes ses aises. Mais je n'ai encore fait que
déballer et ranger. On y dort bien, c'est le silence de Gargilesse la nuit
comme le jour... On y hĂ©serbe Ă la main des champs de lĂ©gumes Ă
perte de vue... Les arbres sont superbes, les prés et les blés splendides,
et la culture excessive n'empĂȘche pas que sur les marges des sentiers
et des ruisseaux il n'y ait beaucoup de plantes. J'ai fait un petit tour
ce matin et j'ai déjà rapporté des consoudes roses, bleues et lilas que
nous n'avons pas chez nous. Ce que je voudrais vous envoyer, c'est
une spirée rose de mon jardinet, qui est un arbuste ravissant...
Puis viennent des instructions par rapport Ă un ananas qu'on
devait ne pas trop laisser mûrir dans les serres de Nouant pour
GEORGE SAND 479
le lui envoyer Ă Palaiseau. Il est Ă©vident que tenir Xohant sur
un pied aussi large devait coĂ»ter pas mal de nuits de travail Ă
George Sand et que rien que pour avoir la tranquillité de ce tra-
vail assuré, elle devait soupirer aprÚs le silence absolu de Gargi-
lesse et de Palaiseau.
Dumas fils a écrit dans la préface de son Fils naturel une
magnifique page consacrée au séjour de George Sand à Palai-
seau. Mais George Sand elle-mĂȘme dĂ©peignit dans le roman
Monsieur Sylvestre d'une maniÚre cent fois plus poétique, vraie,
simple et touchante sa maisonnette au haut d'une colline, la
vue qui se dĂ©couvrait de ses fenĂȘtres sur la vallĂ©e fleurie et cul-
tivée et sur le versant opposé couvert de potagers et de vergers,
ainsi que son existence rĂȘveuse dans le petit bourg tranquille.
Inoubliables surtout les pages â bien certainement vĂ©cues par
l'auteur â oĂč il laisse son hĂ©ros, arrivĂ© Ă Yaubuisson (lisez :
Palaiseau) et récemment installé dans une maisonnette « au bas
du village », apercevoir tous les soirs, lorsque tout dort autour
de lui, au haut de la colline opposée un petit feu brillant dans la
nuit noire.
H y a donc, dans cette maisonnette inconnue, quelqu'un
qui travaille oĂč rĂȘve aussi? Les deux maisonnettes semblent
comme deux étoiles, des deux versants opposés, se regarder par-
dessus la vallée. C'est là un tableau ravissant, poétique : on se
souvient de cette impression plus que du roman mĂȘme.
H y a en outre des descriptions charmantes dans ce roman,
l'une d'elles fut mĂȘme citĂ©e parle traducteur de Virgile, M. Benoist,
en guise de commentaire Ă la description de son domaine faite
par Virgile, surtout comme un commentaire de lapis nudus et
de magna satis (1) par lesquels l'illustre poĂšte romain peint
son pré, parsemé de grandes pierres nues.
Cette page de George Sand â la description d'une prairie
arrosée d'un petit ruisselet, parsemée de blocs de granit et
(1) Ćuvres de Virgile, texte latin publiĂ© d'aprĂšs les travaux les plus
récents de la philologie avec un commentaire critique et explicatif par
M. E. Benoist. (Voir Sainte-Beuve, Nouveaux lundis, LĂ©vy, 1869, t. XI,
p. 174.)
480 GEORGE SAND
fleurie de cette mĂȘme spirĂ©e-reine-des-prĂ©s Ă laquelle Mme Sand
fait allusion dans la lettre prĂ©citĂ©e Ă son fils â se trouve au
chapitre xxxviii de Monsieur Sylvestre.
En me voyant il (M. Sylvestre) a posé son attirail à terre. (H était
Ă©quipĂ© pour la pĂȘche Ă la ligne, et la pĂȘche Ă la hgne requiert la solitude
et le silence), et, s'asseyant sous une saulée à la lisiÚre d'un pré, il me
dit d'un air confiant et amical : « Causons ! »
L'endroit était charmant : le pré, doucement incliné vers l'eau,
était tout parsemé de spirée-reine-des-prés et de grandes salicaires
pourpres qui dépassaient princiÚrement la foule pressée des vulgaires
plantes fourragĂšres. Nous avions pour siĂšges et pour lits de repos
de larges blocs de grÚs, masses hétérogÚnes, descendues jadis de la
colline et enfouies dans la terre, que leur dos usé et arrondi perce de
place en place. Ces beaux grÚs propres et sains semés dans l'herbe,
sous un clair ombrage, imitent au repos et l'ermite les connaĂźt bien.
â VoilĂ , me dit-il, un des riches et moelleux boudoirs que dame
Nature met à ma disposition. H faut aussi que j'en remercie la géné-
reuse hospitalité de mes semblables, car tout le monde n'est pas auto-
risé à pénétrer dans ces herbages. En qualité de pauvre discret, j'ai
la permission d'aller partout. On sait comme j'aime la beauté des
plantes, comme je dirige et mesure mes pas pour ne pas fouler l'herbe,
et comme je respecte les petits rejets des arbres. N'est-ce pas lĂ un
privilÚge quasi royal? Toute la vallée m'appartient, et quand le paysan
jaloux et un peu despote vient à moi d'un air menaçant, sitÎt qu'il me
reconnaßt, il sourit et me confirme mon droit en disant : « Tiens, c'est
vous, monsieur Sylvestre (1)? Alors, c'est bon, c'est bon, restez tran-
quille, on ne vous dit rien. »
Je vous demande un peu quel est le potentat Ă qui Jacques Bonhomme
a jamais d'aussi bon cĆur prĂȘtĂ© foi et hommage?
C'est ici, continua-t-il, une de mes retraites favorites. Voyez, Ă cent
pas de nous, comme le ruisseau est gracieux en se laissant tournoyer
mollement dans cette déchirure de terrain ! C'est lui qui a dévasté
cette petite rive ; il lui a plu, aprÚs avoir glissé doux et muet dans les
prairies, de faire ici une légÚre pirouette et d'y amasser un peu de sable
pour y sommeiller un instant avant de reprendre sa marche silencieuse
et mesurĂ©e. Tout s'est prĂȘtĂ© Ă son innocente fantaisie : la berge s'est
élargie, les iris et les argentines se sont approchées pour jouer avec
l'eau ; les aulnes se sont penchés pour l'ombrager, et l'homme, en éta-
blissant là un gué, lui a permis de s'étendre et de repartir sans effort.
(1) Il est évident qu'il faut sous-entendre par « M. Sylvestre » Mme Sand.
GEORGE SAND 481
Il y a dans tout cela une mansuétude que l'on ne trouve pas dans la
grande culture des plaines ou dans la lutte avec les grands cours d'eau.
La petite culture a bien ses ennemis ; mais elle s'arrange avec eux et
leur cĂšde quelque chose pour recevoir quelque chose en Ă©change. Si
ce ruisseau était mieux réglé dans son cours, ce pré serait moins frais
et moins vert, de mĂȘme que, si ces roches qui en mangent une partie
étaient extirpées du sol, le sol, effrondré par les pluies, s'en irait combler
et détourner le ht du ruisseau. Plus tard... (vous voyez je dis toujours
ce mot-là qui est tout mon fond de réserve contre les choses mauvaises
du présent), plus tard, l'homme comprendra qu'il ne faut pas tant
dénaturer la terre pour s'en servir, et que l'on pourra concilier le beau
avec l'utile ; mais ce n'est pas d'agriculture que je voulais vous parler.
J'ai en tĂȘte, depuis quelques jours, de savoir oĂč vous en ĂȘtes, et de
reprendre avec vous notre discussion sur le bonheur.
â En bien, monsieur Sylvestre, je crois Ă prĂ©sent que le bonheur
existe...
Quant au roman mĂȘme, ce qui y est surtout intĂ©ressant â
outre les rĂ©miniscences autobiographiques de l'auteur â ce sont
d'abord les causeries et les discussions sur des thĂšmes philoso-
phiques et sociaux entre le hĂ©ros du roman, Pierre SorĂšde, â
reprĂ©sentant la jeunesse sceptique â et M. Sylvestre, un vieux
rĂȘveur, anachorĂšte ayant dĂ©sertĂ© la vie et par la bouche duquel
parle l'auteur lui-mĂȘme.
Les deux interlocuteurs tiennent à préciser : en quoi consiste
le bonheur humain?
L'auteur, avec son ami Rollinat, croyait jadis que le bonheur
consistait Ă ĂȘtre un juste Ă la maniĂšre des anciens. A prĂ©sent le
héros de son roman dit :
...Pratiquer la justice! nous disaient les anciens. Quelle justice?
A-t-elle assez changé la justice humaine, depuis Platon et Aristote !
ObĂ©ir aux lois? OĂč sont-elles les lois durables? Que sont devenus les
devoirs de l'esclave? Et puis si vous parlez de justice, de morale et de
vertu, vous me parlez de toute autre chose que du bonheur : vous con-
fondez le travail avec la récompense...
M. Sylvestre, lui, est contre la société en général. Mais SorÚde
est d'un autre avis :
...Tu sais, Ă©crit-il Ă son ami, que je ne comprends pas le blĂąme
déversé à un état général qui n'est que le résultat de l'imperfection
iv. 31
*&2 GEORGE SAND
des individus. Il me semble que, pour rĂ©aliser le rĂȘve de la fraternitĂ©
universelle, il faut commencer par inculquer l'idée de fraternité à tous
les hommes. C'est bĂȘte comme tout, mais je trouve encore plus bĂȘte
qu'on veuille s"y prendre autrement et mĂȘme j'avouai Ă M. Sylvestre
que vouloir imposer des lois idéales à un peuple positif me paraissait
inique et sauvage. C'est la doctrine du terrorisme : fraternité ou la
mort; c'est aussi celle de l'inquisition : hors de l'Eglise point de salut.
La vertu et la foi décrété ne sont plus la foi et la vertu ; elles deviennent
haĂŻssables. Il iaut donc laisser aux individus le loisir de comprendre
les avantages de l'association et le droit de la fonder eux-mĂȘmes,
quand les temps seront venus. Ceci ne. fait pas le compte des convertis-
seurs, qui veulent .recueillir le fruit personnel, .gloire, pouvoir ou
influence ou qui se plaisent tout au moins Ă jouer le rĂŽle d'apĂŽtres
purifiés au milieu d'une société souillée... Il est vrai que M. Sylvestre
répond à cela : « On a raison de se moquer des orgueilleux et de se
méfier des ambitieux, mais il ne faudrait -pas regarder comme tels
tous ceux qui demandaient avec impatience le rÚgne de la vérité. »
On voit par ce dialogue combien les idées de l'auteur ont
changĂ© depuis les jours, dĂ©jĂ lointains, oĂč il adressait Ă Rollinat
la Lettre d'un voyageur contenant le portrait du juste (1), mais
surtout depuis 1848, lorsqu'il enseignait Ă son fils, le maire de
"Sbhant, comment il fallait « révolutionner » les habitants de
Vie et de iNohant et les exciter Ă saluer l'avĂšnement bienheu-
reux de la RĂ©publique, une et omnipotente, et lorsque l'auteur
lui-mĂȘme, oubliant tous ses malheurs personnels, se dĂ©clarait
parfaitement heureux grùce à ce simple changement de régime,
et prĂȘchait carrĂ©ment dans ses Bulletins et dans ses articles une
politique rectiligne et un esprit de parti bien tranché (2).
Oh ! oui, M. Sylvestre ne cherche plus du tout son bonheur
dans des événements ou des doctrines politiques, et les idé?s du
jeune SorĂšde Ă ce sujet ne sont point aussi absolues que celles
de la correspondante de Unie d'Agoult datées de 1836. (Voir
sa « Recette pour ĂȘtre heureuse ») (.3).
Je sens, dit Pierre SorĂšde â (il est Ă©vident que c'est Mme Sand,
l'ermite de Palaiseau, qui parle par sa bouche) â je sens dans la
(1) Lettres d'un voyageur, voir la lettre numéro iv (à Néraud et Rollinat)
de 1834, samedi (p. 160-163 de l'Ă©dition LĂ©vy).
(2) Voir le chapitre vm du présent volume.
(3) Voir notre vol. II, p. 311-312.
GEORGE SAN'D 483
prise de possession de moi-mĂȘme un .grand biemĂȘrre, une sorte de joie
douce et tranquille. Je me dis : VoilĂ le bonheur ! Salut, hĂŽte inconnu !
permets-moi d'examiner ta figure, de t'interroger, d'Ă©prouver ta puis-
sance et ta durée... Mais je suis un enfant de mon siÚcle, un chercheur
et un sceptique. T^e prends pas le bon accueil que je te fais pour une
idolĂątrie aveugle. Je sais trĂšs bien que tu es inconstant et que, comme
AhasvĂ©rus, tu ne peux t' arrĂȘter ni chez moi, ni chez le voisin. Tu es
une chose de ce monde, mon aimable hĂŽte, une chose humaine, tu ne
peux pas me promettre le paradis, tu ne le connais pas mieux que moi
et prends garde que je ne te connaisse trop moi-mĂȘme, car je pourrais
bien apercevoir que tu n'es qu'une création de ma pensée, un état de
mon esprit, un souffle, une ombre, un parfum...
Et de mĂȘme M. Sylvestre, si croyant qu'il soit, dĂ©fend le droit
à l'existence des athées.
Place aux athées ! dit-il. Ne sont-ils pas comme nous (spiritualistes)
tournés vers l'avenir? Ne combattent-ils pas comme nous les ténÚbres
de la superstition? Et faut-il qu'au lieu de terrasser l'ennemi commun,
nous perdions le temps et dépensions l'énergie à nous exclure les uns
les autres du champ de bataille? Non... les sceptiques et les athées
sont nos frÚres ; ils apportent des matériaux pour le nouveau temple.
Ne dites pas que la négation ne crée rien. Elle crée la notion de la
liberté de conscience qui est la base sans laquelle on ne constituera
jamais rien... PlutÎt que de croire à la méchanceté de Dieu, nie son
existence. Redeviens incrédule plutÎt que de te faire égoïste. Dieu
n'aime pas les enfants LĂąches.
George Sand est, en disant tout cela, bien prÚs de l'idéal de
scepticisme, d'examen critique et de doux Ă©clectisme que lui
prĂȘchait jadis Sainte-Beuve. Il n'est point Ă©tonnant que l' auteur
de Monsieur Sylvestre ait inscrit sur la couverture' de ce volume
envoyé à Sainte-Beuve les paroles que nous avons déjà citées
dans notre tome I : A Sainte-Beuve, douce et précieuse lumiÚre
dans ma vie.
Il est trĂšs curieux de noter, aussi, dans les personnages et les
dialogues du riche banquier espagnol M. Gédéon-Nunez et le
pairvre juif M. Diamant le reflet de la correspondance entre
l'auteur de ce roman et le capitaliste Israélite M. Edouard Ro-
drigues, correspondance oĂč les questions sociales, Ă©conomiques,
484 GEORGE SAND
mais surtout le rÎle bienfaisant et néfaste du capital étaient si
souvent débattues.
Quant Ă la fable du roman et Ă ses autres personnages (entre
autres la négresse Zoé avec son jargon nÚgre obligatoire : je vous
aimer, la maßtresse dormir etc., etc.), ils sont fort peu intéres-
sants. Toutes les péripéties arrivées aux héros sont oubliées du
lecteur aussi vite que s'oublient les histoires oĂč quelque char-
mante demoiselle (et le lecteur avec elle) doit ignorer jus-
qu'au dernier chapitre qu'elle n'est pas la fille de son pĂšre, mais
celle d'un autre homme et qu'elle ne s'appelle pas Mlle une telle,
mais bien Mlle Chose.
Pierre SorÚde ne peut pas définir en quoi consiste le bonheur.
E le trouve finalement dans l'amour d'une jeune fille forte, pure,
aimante et dévouée. Le bonheur est en nous et en dehors de nous
et au-dessus de nous, dit-il, et M. Sylvestre lui conseille de ne
jamais se fier à son bonheur et de veiller à sa sécurité. Pour con-
firmer ses mots il assure que toutes les Ăąmes se divisent en deux
catégories :
...Ăąmes actives qui cherchent leur jouissance dans celle des autres,
et les ùmes délicates et molles qui demandent le bonheur sans savoir
le donner... La vie des premiers se passe Ă oublier de vivre afin d'en-
tretenir chez les autres l'Ă©clat et le feu de la vie : peine inutile ! ceux-ci
acceptent le sacrifice et n'en profitent pas. VoilĂ recueil du bonheur
dans la région du sentiment : trop de dévouement d'une part, trop
d'ingratitude de l'autre...
On devine derriĂšre ces lignes un thĂšme trĂšs personnel et une
allusion Ă la maniĂšre de prendre la vie d'ĂȘtres trĂšs proches de
l'auteur.
Monsieur Sylvestre et sa suite le Dernier amour parurent lorsque
Mme Sand était déjà bien loin des impressions douces et idyl-
liques de son sĂ©jour Ă Palaiseau. Elle y vĂ©cut de juin 1864 Ă
janvier 1867, ne quittant sa maisonnette que de temps Ă autre,
appelée à Paris pour ses affaires littéraires ou désireuse de passer
quelques semaines ou mĂȘme quelques jours Ă Xohant, ou encore
pour de petits voyages. Puis, elle alla une fois Ă NĂ©r&e, dans la
résidence de son ex-mari, M. Dud?vant, et ceci en une triste cir-
GEORGE SAND 485
constance : à peine installée à Palaiseau, elle dut partir en toute
hĂąte pour Guillery oĂč venait de mourir le petit Marc-Antoine
emporté par une maladie cruelle ; on l'enterra dans la tombe de
son arriÚre-grand-pÚre, le baron Dudevant, à cÎté du tombeau
de la premiĂšre enfant de Solange, morte aussi Ă Guillery (1).
Mme Sand envoya ses enfants désespérés faire un tour dans
le Midi, les confiant aux soins du vieil ami Boucoiran, puis elle
revint Ă Palaiseau. Elle alla en automne et en hiver passer
quelques jours Ă Nohant avec Maurice et sa femme, mais tou-
jours elle retourna Ă Palaiseau.
Le 23 janvier un nouveau coup la frappa : son ami Louis
Maillard mourut presque subitement, emporté en quelques
heures par une péritonite. Cette mort fut un horrible chagrin
pour Mme Sand et pour Manceau qui Ă©tait cousin de Maillard.
George Sand fit part de ce malheur Ă Maurice dans ses lettres
du 24 et 25 janvier 1865 (2) et cette seconde lettre est surtout
importante, comme l'expression de ses idées en matiÚres reli-
gieuses et relativement aux enterrements civils :
Paris, 25 janvier 1865.
Nous avons conduit aujourd'hui notre pauvre ami au PĂšre-Lachaise.
Nous Ă©tions nombreux et unanimes en affection et en regrets. La
cĂ©rĂ©monie sans prĂȘtre, a Ă©tĂ© touchante et sĂ©rieuse. Nous vous raconterons
les détails.
J'ai parlé aussi, par l'organe de Galle qui a lu (3). Que de gens excel-
lents il y avait lĂ pour pleurer. Mes amis y sont venus aussi, Dumas,
Lambert, Borie, Aucante, etc. Cadol y est venu aussi, nous nous
sommes embrassés et lui et Manceau aussi (4). Quelle rude journée!...
Nous avons fait au moins deux lieues... Nous voulions tous y ĂȘtre, et
véritablement il était aimé. Nous repartons aprÚs-demain matin
pour Palaiseau.
(1) Plus tard son corps fut transféré dans le cimetiÚre de Nohant.
(2) Inédites.
(3) Ce discours est imprimé dans le volume des Nouvelles lettres d'un voya-
geur parmi les nécrologies des Amis disparus.
(4) Voir plus haut à la p. 460 ce qui était dit des procédés d'Ed. Cadol
envers Manceau taxés « de mauvais » par Mme Sand, lors des représentations
de la Journée à Dresde.
466 GEORGE SAN D
Si. tu as quelques papiers d'affaires chez Maillard (nous avons dĂ©jĂ
repris tes lettre?) tout sera dépouillé et restitué par Boutet qui est son
exécuteur testamentaire. Bonsoir, mes enfants chéris, je vous bige mille
fois; je ne suis pas malade, malgré beaucoup de fatigue, d'émotion
et de chagrin. Quel voyage ! Manceau va bien aussi, il est soutenu par
les devoirs qu'il a à remplir. Mme Maillard a décidé qu'elle retrourne-
rait à Bourbon avec les deux créoles, c'est leur désir à tous trois. Ce
sen peut-ĂȘtre la guĂ©rison de la pauvre petite qui a un courage et un
dévouement vraiment sublimes. On s'occupe dans la société des Amis
de. la famille (la Société de Sainte-Colombe) d'ajouter à la moitié de
pension de son mari, afin de lui laisser un peu d'aisance, et sa résolution
de retourner lĂ -bas rendra son existence possible. On obtiendra le
passage gratuit avec les deux enfants. Cette société de débris saint-
simoniens est chose touchante et respectable. Tout le monde devrait
ainsi s'associer par groupes d'amis pensant de mĂȘme et se passer des
bĂ©nĂ©dictions du prĂȘtre et de V aumĂŽne de VEtat...
Cette lettre est Ă retenir. Un an plus tĂŽt Mme Sand avait
dĂ©jĂ Ă©crit, absolument dans le mĂȘme ordre d'idĂ©es, une lettre
Ă propos de l'enterrement civil de Fulbert Martin, l'un des jeunes
républicains que George Sand avait, comme nous l'avons vu (1).
hébergés et cachés à Nohant en 1849-51. Voici quelques lignes
de cette lettre adressée à M. Hippolyte Magen qui avait envoyé
un portrait de Fulbert Martin Ă Mme Sand, en lui faisant part
de la mort de ce dernier, survenue Ă Madrid, et lui avait dit aussi
que, connaissant les opinions de son ami, il avait insisté pour
qu'on l'enterrĂąt civilement.
Xokaut, 24 avril 1864.
Une absence de quelques jours m'a empĂȘchĂ©e, monsieur, de rĂ©poudre
Ă votre excellente lettre et de vous dire toute ma gratitude pour les
détails que vous me donnez.
Vous adoucissez autant que possible la douleur de l'événement, en
me disant que notre ami n'a pas eu Ă lutter contre la crise finale et
que les derniers temps de sa vie ont été heureux. Sa compensation a
été bien courte, aprÚs une vie de lutte et de souffrance. Mais je suis
de ceux qui croient que la mort est la récompense d'une bonne vie, et
la vie de ce pauvre ami a été méritante et généreuse. Les regrets sont
pour nous et votre cĆur les apprĂ©cie noblement.
(1) Voir plus haut, chap. vin &t ix.
GEORGE SAND 487
J'ai envoyĂ© votre lettre Ă Mme Y..., sĆur de Fulbert, et je lui ai
fait le sacrifice du portrait photographié. S'il vous était possible de
m'en envoyer un autre exemplaire je vous en serais doublement
obligée. Mme Y... compte vous écrire pour vous remercier aussi de
l'affection délicate que vous portiez à son frÚre et pour vous confier,
je pense, la mission que vous offrez" si généreusement de remplir.
Quant oitx détails de V enterrement jïgnore ce qu'elle en pense, je la
connais fort peu ; mais je vous remercie, moi, pour mon compte, de
la suprĂȘme convenance de votre intervention.
Vous avez fait respecter le vĆu qu'il eĂ»t exprimĂ©, lui, s'il eĂ»t pu vous
adresser ses derniĂšres paroles.
Merci encore, monsieur, et bien Ă vous.
G. Saxd.
Nohant, par La ChĂątre (Indre).
II est à regretter que cette seconde lettre ne fut publiée qu'aprÚs
les funérailles de George Sand et que le contenu de la premiÚre
disparut complÚtement de la mémoire de celui à qui elle avait
été adressée. Mme Sand y exprimait cependant d'une maniÚre
trÚs nette que « tout le monde devrait s'associer ainsi par groupes
et se passer de la bĂ©nĂ©diction du prĂȘtre et de l'aumĂŽne de l'Ătat».
On signala fort judicieusement cet oubli des idées de George
Sand sur les enterrements civils, dans un article de VEvénement
en 1876, aprĂšs l'enterrement religieux de la femme illustre. Les
amis de Mme Sand savaient cet enterrement en contradiction
directe avec ses opinions. Sa rupture complĂšte non seulement
avec le catholicisme, mais aussi avec tout culte officiel, leur
Ă©tait connue. Or, tout ce qu'elle disait dans ces deux lettres
citées plus haut fut oublié ou négligé par son fils et par sa fille.
Et elle, qui avait si obstinément protesté contre le « dogme
honteux de l'enfer », contre toute espÚce « d'idolùtrie », contre le
clergé, croyait le catholicisme « une religion finie », fut, par
l'inertie et le manque de mémoire des uns, l'amour de la pompe,
l'ostentation de piété et le snobisme des autres, enterrée selon
le rite catholique. Lorsqu'on raconte ce fait on prétend habi-
tuellement qu'on ne voulut pas froisser la population rurale. En
disant cela, on oublie qu'il fallait respecter avant tout la foi libre,
la brave franchise de toute la vie de George Sand. De nos jours.
4S8 GEORGE SAND
le sort qui se montre généralement fort peu clément envers les
grands hommes, rendit â de par la docte voix du Saint-Synode
â un grand service Ă TolstoĂŻ, et son imposant enterrement
« sans prĂȘtre » ne fut point en dĂ©saccord avec sa foi et sa volontĂ©.
Si Mme Sand avait vécu jusqu'à ce jour-là , elle eût certes con-
firmé ce qu'elle avait écrit lors des enterrements civils de Mail-
lard et de F. Martin, en y ajoutant peut-ĂȘtre en toute prĂ©cision :
« Je veux qu'il en soit ainsi pour moi-mĂȘme... b (1).
Mais revenons à l'année 1865.
Presque immédiatement aprÚs la mort de Louis Maillard la
santé de Manceau alla brusquement en décroissant. DÚs 1861,
dans toutes les lettres de Mme Sand Ă Maillard, Dumas fils, Oscar
Cazamajou et d'autres, se trouvent des lignes témoignant de
Finquiétude constante qu'inspirait à Mme Sand la maladie chro-
nique de Manceau. TantĂŽt il y a un peu de mieux, tantĂŽt la toux
et la fiÚvre augmentent. Perpétuellement on consulte des méde-
cins, on change de régime ou de traitement, on recourt à quelque
nouveau remĂšde. Mais Mme Sand semble nourrir l'espoir que
tous les symptĂŽmes alarmants ne sont que passagers, que l'orga-
nisme robuste de Manceau, sa volonté de guérir, sa belle humeur
constante et des soins se rendront maßtres du mal. Cette espé-
rance fut déçue. DÚs le printemps de 1865, Mme Sand comprit
que son ami Ă©tait condamnĂ©. H semble l'avoir compris lui-mĂȘme.
On n'a publié dans la Correspondance que quinze lettres
de 1865. On n'en trouve aucune Ă©crite entre le 29 juin et le
27 septembre. (Celle qu'on a publiée dans la Correspondance
entre ces deux dates comme une Lettre Ă Sainte-Beuve de 1865
n'est point une lettre Ă Sainte-Beuve et n'est pas de 1865, â comme
nous le signala feu M. de SpĆlberch, â mais bien une Note des-
tinée à une revue avant 1862. Et voici pourquoi : il est question
dans cette page, écrite seulement d'un cÎté du feuillet, comme
on le fait lorsqu'on Ă©crit pour l'impression, ce que George Sand
ne faisait jamais dans ses vraies lettres, â il y est donc question
(1) En disant tout cela nous ne faisons que confirmer les idées de
Mme Sand sur les cérémonies religieuses et le culte. Nos croyances person-
nelles sont complÚtement différentes.
GEORGE SAND 489
d'un roman anonyme, « Un amour du Midi », paru en 1860.
En 1862 ce roman parut chez Dentu sous le nom de l'auteur
G. Petano, et avec une préface de Janin. Donc en 1862 la roman
n" Ă©tant plus anonyme, la Note doit ĂȘtre Ă©crite avant 1862.)
Eh bien ! entre le 29 juin et le 27 septembre 1865 il n'y a pas
une seule lettre dans la Correspondance. Or, Mme Sand passa
pendant ces trois mois par une rude Ă©preuve : Manceau se mou-
rait lentement et il mourut le 21 août. Et tandis que la Corres-
pondance se tait, les lettres inédites de George Sand écrites pen-
dant cette période sont vibrantes, pleines de douce pitié,
d'anxiété, de douleur, de compassion, d'angoisse, de désespoir,
puis d'une prostration, d'une apathie désolées. Il y a cinquante-
quatre lettres inédites copiées, se rapportant à ces trois mois
d'été de 1865, et en tout cent cinquante-six lettres inédites, for-
mant le dossier de 1865.
Nous ne citerons intégralement ni des extraits ni des lettres
de cet été, de mai au 21 août, triste chronique du lent dépéris-
sement du pauvre Manceau. Dans les premiĂšres on lit, Ă la suite
de projets littéraires, de discussions de scénario à tirer d'un roman
de Mme Sand ou de l'analyse des dĂ©fauts et qualitĂ©s d'une Ćuvre
nouvelle de Maurice Sand, le compte-rendu, jour par jour, des
progrÚs de la maladie. Ces détails attristants remplissent de
plus en plus les lettres de Mme Sand ; le ton devient toujours
plus angoissé, puis ce ne sont plus que des billets, l'état de son
cher malade est désespéré. Tous les efforts pour sauver le
malheureux furent vains, il mourut le 21 août à la premiÚre heure.
Xous trouvons absolument indispensable de citer intégrale-
ment quelques-unes des lettres ultérieures à cet événement et
de donner des extraits de quelques autres, afin de mettre en
lumiÚre et d'apprécier à sa vraie valeur cet épisode de l'exis-
tence de Mme Sand. Il fut trÚs souvent raconté avec des sous-
entendus malveillants, des allusions équivoques. On s'efforça
de profiter du silence de la Correspondance pour faire croire que
George Sand fit preuve d'une lĂ©gĂšretĂ© inconcevable ou mĂȘme d'une
absence de tout sentiment Ă l'occasion de la mort de son ami
dĂ©vouĂ©. Le lecteur jugera lui-mĂȘme la valeur de ces racontars.
4go GEORGE SAXD
A Maurice.
Palaiseau, 21 août 1866.
iXotre pauvre ami a cessé de souffrir. H s" est endormi à minuit avec
toute sa lucidité. Toute la nuit il a dormi et quand nous avons voulu
l'éveiller à 5 heures pour lui faire prendre quelque chose il a essayé
de parler sans suite comme dans un rĂȘve. Il a tenu sa tasse, il a voulu
ĂȘtre soulevĂ© et il est mort sans en avoir aucune conscience et sans
paraĂźtre souffrir. Je remercie Dieu, au milieu de ma douleur, de lui
avoir épargné les horreurs de l'agonie. Il en a eu une de quatre à cinq
mois, c'est bien assez. Il s'est bien senti mourir heure par heure, cons-
tatant chaque progrĂšs de son mal, mais se faisant encore de temps en
temps des illusions et se soignant comme un homme qui ne s'abandonne
pas un instant. Je suis brisée de toutes façons, mais aprÚs l'avoir
habillĂ© et arrangĂ© moi-mĂȘme sur son ht de mort, je suis encore dans
l'énergie de volonté qui ne pleure pas. Je ne serai pas malade, soyez
tranquilles, je ne veux pas l'ĂȘtre, je veux aller vous rejoindre aussitĂŽt
que j'aurai pris tous les soins nécessaires pour ses pauvres restes, et
mis en ordre ses affaires et les miennes qui sont les vĂŽtres.
Apprends avec ménagement cette triste nouvelle à ma chérie. Du
reste elle devait bien s'y attendre. Je ne me faisais plus d'illusion et je
vous le disais.
Je vous embrasse mille fois, aimez-moi bien.
A monsieur Oscar Cazo.majouil).
Palaiseau, 22 août 1865.
Cher enfant, je l'ai perdu, cet admirable compagnon de ma vie depuis
quinze ans, ce soutien dévoué de ma vieillesse. H est mort hier matin
sans agonie, et, je l'espÚre, sans savoir qu'il mourait, quoiqu'il connût
et sentßt bien depuis longtemps la gravité toujours croissante de son
mal. Mais il avait encore beaucoup de moments d'illusion que j'ai
entretenus avec tout le courage dont je suis capable. Il a eu bien du
courage aussi pour s'efforcer de vivre ; il est resté debout jusqu'à ce
qu'il n'ait pas pu se porter. J'ai pensé deux fois à t'écrire, mais cette
fin inévitable n'avait pas de terme qu'on pût fixer, et je ne voulais
pas t'enlever Ă ta femme souffrante (2) et Ă tes affaires pour un temps
(1) Fils de la demi-sĆur de Mme Sand, Mme Caroline Cazamajou. George
Sand avait intercédé- pour lui auprÚs des hauts fonctionnaires militaires,
eu 1852. (Voir plus haut, chap. ix.) Elle avait beaucoup d'amitié pour ce
neveu, qui la lui rendait de son cÎté.
(2) Mme Herminie Cazamajou.
GEORGE SAND 491
indéterminé. J'ai été bien entourée et soutenue par de bons amis.
Pourtant ta présence m1 eût fait plus de bien, et j'ai failli t'envoyer
un. tĂ©lĂ©gramme. Mais j'ai craint d'ĂȘtre Ă©goĂŻste et puis je suis si Ă©troi-
tement logée à Palaiseau i Dormir plusieurs nuits sur un canapé est
trop pénible, j'ai résisté à mon envie de te voir.
H est lĂ , ce pauvre ami, calme, pĂąle et comme rajeuni par la mort. Je
le garde jusqu'à demain encore. Je crains tant les inhumations préci-
pitées. Je l'ai couvert de fleurs. J'ai été choisir au cimetiÚre une belle
place. Je me soutiens par la volonté de m'occuper de lui jusqu'à ce
qu'il faille le perdre de vue. Mais je suis brisée de fatigue, moi seide l'ai
veillé et soigné à toute heure depuis le commencement, depuis trois
mois, et il Ă©tait bien difficile Ă soigner. Mes domestiques auraient peut-
ĂȘtre perdu patience. Mais je les ai soutenus, ils ont Ă©tĂ© parfaits.
J'irai à Nohant dans une huitaine. Si je ne suis pas trop fatiguée, je
veux aller vous voir ensuite. Je vous embrasse tendrement ainsi que
ma sĆur. Elle apprĂ©ciait cet excellent ami qui vous aimait bien.
Ta. tante.
A Maurice.
22 août 1865.
Quels tristes jours, quels détails navrants ! Dumas, Marchai,
Larounat et Borie sont venus me voir aujourd'hui. Marchai a dßné
avec moi et m'a distrait un peu.. Francis est ici, il vient d'enterrer sa
mÚre à Nevers. Il est arrivé comme notre pauvre ami venait d'expirer.
Les Boutet sont excellents pour moi et m'aident dans les tristes soins
Ă rempb'r. Nous le conduisons demain au cimetiĂšre. Me voilĂ seule
depuis deux nuits auprÚs de ce pauvre endormi qui ne se réveillera
plus. Quel silence dans cette petite chambre oĂč j'entrais sur la pointe du
pied Ă toutes les heures du jour et de la nuit ! Je crois toujours entendre
cette toux déehirante ; il dort bien à présent,. sa. figure est restée calme,
il est couvert de fleurs. Ha l'air d'ĂȘtre en marbre, lui si vivant, si impĂ©-
tueux ! Aucune mauvaise odeur, il est pĂ©trifiĂ©. Son imbĂ©cile de sĆur
est venue ce matin et n'a pas voulu le voir, disant que cela lui ferait
trop d'impression. Elle m'avait Ă©crit pour le supplier de lui amener un
prĂȘtre. Tu penses bien que je l'ai reçue de la belle maniĂšre... dĂšs lors
il est damné et on ne veut pas lui donner un dernier baiser. La mÚre
n'a pas paru, c'est elle surtout qui voulait qu'il se confessĂąt, sans
craindre de lui porter un coup mortel : une mÚre ! Voilà les dévots.
Nous ne le portons pas Ă l'Ă©glise, comme tu penses ; dĂšs lors le bedeau
nous refuse le brancard et le drap mortuaire. Mais les ouvriers du vil-
lage, qui l'adoraient, veulent le porter avec un drap blanc et des
fleurs. Nos amis de Paris viendront. Si le prince est de retour, connue
492 GEORGE SAXD
on me l'a dit ce soir, il viendra certainement. H l'aimait beaucoup
et lui a tĂ©moignĂ© dans sa maladie le plus grand intĂ©rĂȘt.
Moi je ne peux pas encore me reposer, j'ai trop perdu le sommeil
pour le retrouver tout de suite ; mais je ne suis pas du tout malade, j'ai
bien de la force. Je pense toujours vous aller voir dans huit jours.
H faudra aprĂšs-demain que je voie aux affaires avec Boutet. Tout est
en ordre, mais il faut prendre connaissance de tout, et que je sois mise
en possession du petit avoir qu'il nous laisse. J'y ai nus du mien aussi,
mais sous son nom, afin que ce soit bien Ă toi, sans partage avec per-
sonne. Je ne sais pas quelles formalités il y aura à remplir, si tu dois
signer une acceptation. Je saurai cela.
Dis Ă Marie Caillaud que j'ai Ă elle des papiers qui constituent les
titres de propriété de ses petites économies. Elle avait chargé Maillard
de les faire valoir et tout cela a dĂ» ĂȘtre trĂšs bien fait. A sa mort Man-
ceau a repris les titres. Il faut qu'elle me dise ce qu'il faut en faire.
Je ne peux pas me charger de cela, n'entendant absolument rien aux
affaires, et Boutet, qui est écrasé d'occupations, n'a pas de raisons pour
prendre ce nouveau soin. Qu'elle me dise donc si elle a quelqu'un Ă
Paris Ă qui elle veut que je remette ses titres ou s'il faut les lui envoyer.
Il faut qu'au plus tĂŽt ils soient dans les mains de la personne qui sur-
veille ses intĂ©rĂȘts.
Bonsoir, mes enfants chéris, ne soyez pas inquiets de moi, je suis bien
entourée, et j'ai des domestiques d'un dévouement parfait. Je vous
aime et j'irai revivre en vous embrassant.
A Lina.
Ma fille chérie, comme la vue de Maurice m'a fait du bien! J'ai
enfin pu pleurer Ă cĆur ouvert, il m'a aidĂ© Ă conduire au cimetiĂšre ce
pauvre cher ami ; je m'en retournerai avec lui, dans trois jours, quatre
tout au plus, je compterai parcimonieusement les heures oĂč je tĂš sĂ©p;j-e
de lui et oĂč je te laisse seule, ma pauvre petite ! Je suis si brisĂ©e de
fatigue et si ahurie d'esprit que je ne peux pas partir demain, sans cela
je partirais. Je me dĂ©pĂȘcherai, sois-en sĂ»re ; c'est toi qui, la premiĂšre,
lui a dit : « Va chercher ta mÚre ; » je le sais, je t'en remercie et je te
bénis. Maurice va bien.
A Lina.
Palaiseau, 25 août 1866.
Ma fille chérie, Maurice t'écrit de son cÎté à Paris, que nous par-
tons pour te rejoindre dimanche matin ; je ne pourrai passer cette fois
avec vous qu'une quinzaine.
GEORGE SAND 493
Je serais restée davantage, s'il m'avait laissée ici plus longtemps,
mais il veut me remmener et je ne veux pas que tu restes seule. Je
t'embrasse nulle fois.
Ta mĂšre.
H m'a lu ta lettre, qu'elle est gentille et bonne !
A Charles Poney.
Palaiseau, 25 août 1865.
...Il y a quatre mois que nous n'avons mis le pied Ă Paris. Il y a
quatre mois qu'il se meurt. Les intervalles d'espérance étaient illu-
soires. Il y a six semaines que je le sais, et pourtant, on espĂšre jusqu'Ă
la derniĂšre heure.
A présent c'est fini. Je l'ai conduit au cimetiÚre le 23. H est mort le 21.
H a eu une rapide agonie aprĂšs un lourd et profond sommeil. Mais
pour en venir lĂ , comme il s'est vu mourir, jour par jour, heure par
heure!
Maurice est accouru pour m'aider Ă l'ensevelir, et nous partons
ensemble demain pour Nohant oĂč je passerai quinze jours. Je revien-
drai pour affaires. Je retournerai lĂ -bas pour les couches de ma belle-
fille. Mais je vivrai Ă Palaiseau avec mon cher et profond souvenir.
Je suis briséo de fatigue. Que de soins, que de veilles, que d'angoisses.
Rien n'a pu le sauver. Tout avait, tout a été essayé. L'iode ne faisait
rien. Rien ne faisait... Vous qui savez ce que c'est que de disputer un
ĂȘtre chĂ©ri Ă la mort, vous apprĂ©cierez mon immense douleur.
A monsieur André Boulet.
Nohant, 28 août 1865.
Chers excellents amis, je vous donne de mes nouvelles, selon ma
promesse. Je me porte bien. Je suis arrivée sans fatigue de voyage ;
j'ai dormi, j'ai mangé, j'ai causé avec mes enfants, j'ai repris la vie
comme si de rien n'était, je n'en suis pas moins brisée et j'éprouve au
physique comme au moral, la lassitude de quelqu'un qui sortirait de
la torture. Il me faudra, je pense, quelque temps pour me retrouver et
me reconnaĂźtre.
A votre tour de me parler de vous, des chers enfants et des bien-
aimĂ©s parents, chĂšre famille qui s'est faite mienne avec tant de cĆur
494 GEORGE SAND
et de bonté. Je vous embrasse tous tendrement, et mon BouricoïdÚs (1)
aussi.
G. S and.
Je prie Boutet de consacrer une ou deux heures encore Ă l'examen
de ce cabinet dont il a la clef... "S'il était nécessaire de hùter mon retour
Ă Paris... appelez-moi, sinon je reste jusqu'au 15 septembre...
A monsieur et Mme E. PĂ©rigois.
Nohant, 2 septembre 1865.
J'ai été soutenue auprÚs de ce mourant et de ce mort par un cou-
rage nécessaire. A présent, je sens la fatigue du chagrin et des insom-
nies. J'ai un besoin de repos stupide, invincible, je dormirais sur un tas
de pierres. Je ne peux mĂȘme plus parler de lui ; j'aurai une rĂ©action de
déchirement, je le sais, mais les bonnes amitiés et la tendresse de mes
enfants de Nohant me soutiendront, j'espĂšre.
Merci pour vos affectueuses paroles et pour le bon souvenir que vous
gardez de mon pauvre ami. Il vous aimait bien aussi et vous appréciait
tous deux. Je suis ici pour quinze jours. Je reviendrai pour les couches
de Lina au mois de décembre, plus tÎt si je peux. Au revoir donc, ehers
amis, je vous aime.
George Sand.
A monsieur André Boutet.
Nohant, 3 septembre 1865.
...Ma santé se remet, le sommeil revient, c'était la grande souffrance,
l'insomnie. Mes enfants paraissent tout Ă fait contents de leur exis-
tence. Ma petite Lina est une ménagÚre modÚle et tout va au mieux...
Au mĂȘme.
Nohant, 9 septembre.
Cher ami, je partirai d'ici le 16, pour ĂȘtre Ă Paris le mĂȘme jour.
(1) Sobriquet de Francis Laur qui, depuis la mort de Maillard, vivait,
paraĂźt-il, dans la famille Boutet aux vacances.
GEORGE 5AND 495
A monsieur Charles Poney.
Palaiseau, 24 septembre.
Mon cher enfant, j'ai Ă©tĂ© Ă Nohant passer trois semaines et me voilĂ
revenue à Palaiseau pour régler mes affaires que mon pauvre ami a
laissées dans un grand désordre durant cette longue et cruelle maladie.
Moi, je ne suis pas malade, ne vous inquiétez pas de moi.
Maurice et Lina vont bien. Ils font marcher Nohant on ne peut
mieux. La chÚre petite femme est enceinte, forte, active, bonne ména-
gĂšre, aimable et charmante. Maurice s'occupe de ses terres tout en fai-
sant de la science et des romans. Il y a donc du bonheur pour moi de
ce cÎté-là . Mais quel bonheur est assuré sur la terre?...
A la fin de la lettre du 28 août 1865 à M. André Boutet, que
nous venons de citer, Mme Sand le priait d'examiner tous les
papiers de Manceau et exprimait ses craintes que le testament
de Manceau ne lui causĂąt des ennuis au cas oĂč la famille de
Manceau, surtout son pÚre, réclamerait une forte pension annuelle
et surtout si on allait attaquer les droits de Maurice sur la terre
de Palaiseau et sur une partie de la maisonnette, léguées à lui
par Manceau. Toute une série de lettres de Mme Sand à Mau-
rice, Lina et M. Boutet (du 3, 9, 17 septembre â deux lettres
Ă©crites Ă la mĂȘme date â du 21, 23, 24, 29, 30 septembre 2, 3 et
5 octobre) sont consacrées aux questions : Faut-il ou ne faut-il
point accepter ce legs? Comment parer aux exigences de la
iamille Manceau, en cas de réclamations de leur part? Devait-on
ou ne devait-on pas consentir Ă lui payer jusqu'Ă 1 000 francs par
an? (diminués graduellement à 500, 300, 200 francs par an et
enfin réduits à une proposition à Mlle Laure Manceau, de la
part de Mme Sand seule, de lui donner une petite rente annuelle,
qui ne serait pas Ă la charge de Maurice aprĂšs la mort de
Mme Sand). Dans le cas oĂč l'on refuserait l'hĂ©ritage, on n« serait
tenu de payer ni les dettes de Manceau, ni le médecin, ni le phar-
macien, etc., etc., mais alors Mms Sand risquait de perdre la
maisonnette qui lui Ă©tait chĂšre par ses souvenirs et lui permet-
trait de travailler tranquillement isolée. On voit là combien
496 GEORGE SAND
Mme Sand craignait que Maurice n'acceptùt point cet héritage,
elle insistait pour qu'il lui envoyĂąt en toute hĂąte une procura-
tion ; sa lenteur, son hésitation à faire un petit sacrifice, afin de
terminer au plus vite cette affaire sans procĂšs, la fĂąchaient.
Mme Sand reproche aussi à son ami défunt de « n'avoir, aimé,
personne ces six derniers mois » et ne plus s'ĂȘtre inquiĂ©tĂ© de son
avenir à elle et de lui avoir donné tant de soucis par son testament.
Toutes ces craintes et toutes ces prĂ©occupations â fort
dĂ©plaisantes au fond â Ă©taient vaines. Les dames de la famille
Manceau ne demandĂšrent pour leur part que quelques pauvres
hardes et la montre de leur fils et frĂšre â comme des reliques Ă
garder â et le pĂšre de Manceau dĂ©clara que Mme Sand avait bien
assez fait pour eux et qu'il n'avait aucune prétention sur quoi
que ce soit. L'affaire fut donc heureusement terminée et le
30 octobre Mme Sand Ă©crivait Ă Maurice :
Paris, 3 octobre 1865.
J'Ă©tais en colĂšre contre toi, mais ta lettre m'a fait tant rire avec les
aiguilles à tricoter de ce monsieur de chaque cÎté de sa gueule, que je
n'y pense plus. Et puis ta procuration est arrivée à temps et Boutet
a signé pour toi ; c'est une affaire finie. H n'a pas été question de pen-
sion ni de transaction d'aucun genre. J'ai accepté les dettes de la suc-
cession qui ne dépassent pas la somme qui figure dans la note que je
t'ai envoyée, et on a compris que c'était bien assez. J'ai donné la montre
Ă Laure et voilĂ . Le pĂšre a Ă©tĂ© trĂšs bien, il ne voulait mĂȘme pas entendre
la transaction ni le testament, disant qu'il venait pour signer et non
pour discuter, qu'il me devait tout et n'avait rien à me réclamer. C'est
plutÎt la mÚre qui aurait réclamé quelques misÚres. Mais, en somme,
tout est terminé, et sans te coûter, dans le présent ni dans l'avenir,
un centime. Tu vois que les craintes de nos amis et les nĂŽtres Ă©taient
chimériques et que Manceau connaissait mieux que nous l'inoffensivité
de ses parents. Le danger d'un mauvais conseil n'en existait pas moins,
et il ne l'avait pas prévu. Je redoutais cela, j'étais pressée d'en finir.
La conclusion est excellente pour toi, car si j'ai laissé gaspiller beau-
coup d'argent il ne t'en reste pas moins un immeuble qui représente
la moitié au moins du produit de Villemer, et sur lequel nous pourrions
gagner en le vendant plus tard, si nous le voulons tous deux. Les
parents ont renoncé purement et simplement à leur droit, sans autre
compensation que de n'avoir pas Ă payer les quelques dettes qui me
GEORGE SAND 497
restent Ă Palaiseau, et que je vais acquitter au plus tĂŽt ; je leur ai
promis les vieux souliers et les outils de graveur! J'ai mis de cÎté
pour toi les plus beaux burins et diverses choses qui pourront te servir.
Enfin j'ai cĂ©dĂ© la montre avec plaisir, heureuse d'en ĂȘtre quitte Ă si
bon marché. Je ferai quelque chose pour Laure, mais sans prendre
aucun engagement et sans que cela te retombe sur le dos en aucune
façon. Dors donc en paix seigneur de Nohant, Palaiseau et Gargilesse.
Prévost fait recopier la transaction pour te l'envoyer, tu verras qu'elle
est trĂšs bien faite et que Ludre l'approuvera de tous points... J'ai couru
hier toute la journée avec Alexandre de chez Prévost au Sénat, et
puis chez Jlagny oĂč il m'a donnĂ© Ă dĂźner ; je dĂźne aujourd'hui chez
Popotte, qui me mÚne au Français. Je retourne à Palaiseau demain.
Je me porte bien et je vous bige mille fois tous deux.
Mardi soir.
A Lina.
Palaiseau, 5 octobre 1865.
Bige ton Bouli pour moi, ma Cocotte, me revoilĂ Ă Palaiseau. J'ai
grĂące Ă sa procuration, â pas la procuration de Palaiseau, mais celle
de Bouli â terminĂ© pour le mieux, bien mieux qu'on ne pouvait l'es-
pĂ©rer ! â cette ennuyeuse affaire. Vraiment ces gens ne sont pas de mau-
vaises gens, et ils n'ont pas conclu en se faisant tirer l'oreille, mais en
déclarant qu'ils me devaient tout et que je ne leur devais rien. Ils ont
dit la vérité et fait leur devoir, sans doute, mais ça n'est pas si répandu
que ça devrait l'ĂȘtre, cette façon d'agir. Me voilĂ donc tranquille
sur l'avenir de ce petit coin oĂč je ne comptais pas m'enterrer, mais oĂč
j'ai été clouée par le chagrin et la pitié. Je ne sais pas si je m'y plairai
dans les conditions de solitude oĂč me voilĂ . Jusqu'Ă prĂ©sent j'ai eu
tant d'activité que je ne sais guÚre si je suis en l'air ou sur terre. J'ai
terminé un tas de choses. J'ai renouvelé pour cinq ans mon traité avec
Buloz dans de bonnes conditions. J'ai tiré au clair la question des
médecins et pharmaciens qui m'effrayait. MorÚre, 130 francs ; Camille
ne veut rien ; l'oxygĂšne 80 ou 100 francs, c'est peu, comme tu vois.
Fustes voulait 500 francs pour une visite et trois lettres. Je lui don-
nerai 50 francs et, s'il n'est pas content, il se couchera auprĂšs. J'ai vu
un tas d'appartements, rien qui nous convienne Ă moins de 3 000 francs
au moins dans les alentours de l'Odéon, avec la rue du Luxembourg.
...Je me dĂ©cide Ă rester cette annĂ©e oĂč je suis, en y ajoutant un rez-
de-chaussée de 250 francs ; juste au-dessous de mon entresol, un salon
double du mien, une salle Ă manger idem, avec une grande alcĂŽve oĂč
on pourrait mettre deux lits, une cuisine double de la mienne, avec une
petite cour de deux mĂštres par derriĂšre. Je mangerai et je recevrai
iv. 32
49» GEORGE SAND
donc en bas ; je dormirai et je travaillerai Ă l'entresol. Quand Bouli
viendra me voir je pourrai le loger et le faire manger, s'il ne veut pas
courir d'un bout Ă l'autre de Paris. Plus tard, quand tu pourras y
venir, nous aviserons Ă nous arranger mieux. Mais je ne suis pas en
mesure maintenant d'avoir un loyer de 1 500 francs, et autour de
l'Odéon et du Luxembourg il faut 1 500 francs pour avoir l'équivalent
de ce que j'ai maintenant rue des Feuillantines pour 850; pour
1 500 francs vous n'auriez pas non plus ce que vous avez maintenant...
Je vous conseillerai fort de vous loger dans ma maison. H y a pour
900 francs et 1 000 francs des appartements trĂšs jolis et doubles du
vĂŽtre.
...J'ai été au spectacle, j'ai vu l'ouverture de l'Odéon... PiÚce d'ou-
verture stupide, jouée par Mme Doche. Elle est bien mise, voilà tout...
J'ai vu les Deux sĆurs avec Boutet, c'est mauvais, insensĂ©, ennuyeux
à avaler sa langue. J'ai vu hier au Français avec Sylvanie le Supplice
(Tune femme (1), c'est émouvant, c'est bien joué, c'est d'une facture
habile, et bien qu'on soit un peu en colĂšre contre la piĂšce (2) on ne
peut pas s'empĂȘcher de pleurer beaucoup. Je n'ai pas vu Bulozjesais
qu'il n'a pas encore lu le Coq (3), il m'Ă©crira... Je vais passer ici
(1) PiĂšce Ă©crite en collaboration par Dumas fils et Em. de Girardin, et
qui fut la cause d'une querelle, d'une polémique acharnée et finalement d'une
inimitié à mort des deux ex-amis. (Voir à ce sujet les Entf 'actes, par Dumas
fils, vol. IL)
(2) Dans sa lettre Ă Dumas, Ă©crite Ă la mĂȘme date que ces lignes, Mme Sand
dit que c'est la partie écrite par M. de Girardin qui lui avait déplu.
(3) Roman de Maurice Sand, le Coq aux cheveux d'or. La publication de ce
roman fit faire à Mme Sand la connaissance du célÚbre éditeur et critique
Albert Lacroix, qui devint bientĂŽt et resta toujours l'ami de tous les Sand,
mĂšre, fils, belle-fille et petites-filles. Albert Lacroix raconta l'histoire de ses
rapports avec l'illustre femme dans ses trÚs intéressants Mémoires d'un
éditeur publiés dans la Bévue internationale de 1898.
Nous eûmes le plaisir de faire la connaissance de cet excellent homme,
d'un désintéressement, d'une culture et d'une science vraiment rares, ency-
clopédiques, en 1898, à Nohant. Il avait alors plus de soixante-dix ans ; nos
relations furent d'emblée trÚs amicales. Le culte que nous professions pour
George Sand fut le point de départ de cette amitié, et la généreuse habitude
du charmant vieillard de prendre Ă coeur les intĂ©rĂȘts d' autrui, si ces intĂ©rĂȘts
avaient quelque rapport à la littérature ou à la science, fit qu'il témoigna
Ă l'Ă©gard de notre travail un intĂ©rĂȘt et une sympathie vraiment paternels.
Plus tard nous eûmes l'occasion de visiter M. Lacroix et sa charmante
famille, si laborieuse, si éclairée, dans son petit appartement de la rue Vergne ;
la modestie de cette demeure n'empĂȘchait pas qu'elle fĂ»t toujours le point
de rĂ©union d'amis nombreux â portant la plupart des noms, connus de tout
homme instruit en Europe â ou bien leurs veuves ou leurs soeurs. Et c'Ă©tait
pourtant un Ă©diteur! Mais cet Ă©diteur perdit toute sa fortune Ă enrichir les
auteurs, et cet Ă©crivain dut, jusqu'Ă la fin de sa vie, travailler pour ne pas
mourir de faim. Ce fut un coup trĂšs sensible pour nous lorsque nous apprĂźmes
Ă Paris, en 1904, lors du centenaire de George Sand, que notre vieil ami
GEORGE SAND 499
quelques jours, il est temps que je me remette Ă travailler. Je vais
me coucher d'abord et dormir, car je suis un peu lasse. Mais j'ai bien
employé mon temps. J'ai parlé de toi tout plein avec Sylvanie qui
t'embrasse. A présent parle-moi de toi, mignonne chérie. Tu sais tout
ce qui me concerne. Je me porte bien, je dors. Ma jambe marche un
peu, elle saute et veut danser, mais c'est de l'inquiétude plutÎt que
de la souffrance. Enfin je m'Ă©tourdis de mon mieux et il n'y a pas
d'amertume dans mon regret de ce pauvre malheureux qui m'a donné
bien du mal, qui a failli me laisser bien des ennuis, mais qui vous aimait
bien au fond et qui croyait si bien faire. J'ai bien fait mon possible
aussi pour lui adoucir cette fin terrible.
Soyez heureux, mes enfants chéris. Je serai eontente encore de vivre ;
je voudrais gagner de l'argent et vous ĂŽter tous vos petits soucis,
j'espĂšre, car j'ai encore ma tĂȘte, et je suis ton exemple, je me rends
compte de tous les détails de la vie. Je vois qu'on peut ne pas tout
dĂ©penser, c'est mĂȘme trĂšs facile de dĂ©penser peu. Il faut le vouloir.
Bige encore... Bige ton papa pour moi quand tu lui Ă©criras.
Jeudi soir.
Mme Sand ne voulut donc pas ou ne put point se dĂ©cider Ă
quitter son Palaiseau oĂč l'ombre de son pauvre ami semblait
planer encore. Elle y retourna, Elle y resta plus d'un an, jusqu'au
commencement de 1867, passant quelques jours Ă Paris, allant
de temps Ă autre Ă Nohant, mais revenant quand mĂȘme dans la
maisonnette située sur la colline.
Le 27 septembre Mme Sand Ă©crivait Ă ce propos Ă Louis
Ulbacli qui venait de lui envoyer son livre :
A monsieur Louis Ulbach, Ă Paris.
Palaiseau, 27 novembre 1865.
Vos livres me sont arrivés dans un moment affreux, cher monsieur,
laissez-moi plutÎt dire ami. J'ai été morte, je ne sais pas si je suis
vivante, bien que mon corps marche et agissse. Ătait-ce une bonne
disposition pour vous lire? Pourtant je viens de lire Louise Tardy...
Vous me traitez de maĂźtre, c'est vous qui passez maĂźtre, et, moi, je
n'Ă©tait plus de ce monde, qu'il ne lirait plus les volumes III et IV de notre
travail. SittĂŻbi terra levis, cher excellent ami ! Que ces lignes soient l'expres-
sion de notre gratitude et de notre vénération pour sa mémoire.
500 GEORGE SAND
passe je ne sais quoi. Je double le cap de l'amertume, et j'entre dans
les mers inconnues de l'Isolement. N'importe ! dans la douleur ou dans
le calme, je vous applaudirai toujours du cĆur et des deux mains.
Merci d'avoir pensé à moi ; je lirai le Parrain, bien sûr. Cette femme
de lettres que vous peignez si bien, elle est jeune, et on peut s'ima-
giner, au premier abord, que son état l'a blasée sur les choses de la vie ;
mais, si elle Ă©tait vieille, vous eussiez pu la peindre tout de suite
comme aiguisée et surexcitée, et disposée à souffrir plus que les autres.
Au reste, vous avez conclu. Vous avez montré que notre travail d'ana-
lyse, Ă vous, Ă moi, Ă tous les artistes qui prennent leur tĂąche au
sérieux, pousse au besoin de se dévouer et de se défendre, deux solli-
citations contraires qui rendent la vie plus difficile Ă nous qu'aux autres.
Quelle affaire que la vie ! et la mort, quel abĂźme !
A Flaubert.
Palaiseau, 22 novembre 1865.
...Me voilĂ toute seule dans ma maisonnette. Le jardinier et son
ménage logent dans le pavillon du jardin, et nous sommes la derniÚre
maison au bas du village, tout isolée dans la campagne qui est une
oasis ravissante. Des prés, des bois, des pommiers comme en Nor-
mandie ; pas de grand fleuve avec ses cris de vapeur et sa chaĂźne infer-
nale ; un ruisselet qui passe muet sous les saules ; un silence... Ah !
mais il me semble qu'on est au fond de la forĂȘt vierge ; rien ne parle
que le petit jet de la source qui empile sans relĂąche des diamants au
clair de la lune. Les mouches endormies dans les coins de la chambre
se réveillent à la chaleur de mon feu. Elles s'étaient mises là pour
mourir, elles arrivent auprÚs de la lampe, elles sont prises d'une gaieté
folle, elles bourdonnent, elles sautent, elles rient, elles ont mĂȘme des
velléités d'amour; mais c'est l'heure de mourir, et, paf ! au milieu de
la danse, elles tombent raides. C'est fini, adieu le bal !
Je suis triste ici tout de mĂȘme. Cette solitude absolue, qui a toujours
été pour moi vacance et récréation, est partagée maintenant par un
mort qui a fini lĂ , comme une lampe qui s'Ă©teint et qui est toujours lĂ .
Je ne le tiens pas pour malheureux, dans la région qu'il habite ; mais
cette image qu'il a laissée autour de moi, qui n'est plus qu'un reflet,
semble se plaindre de ne pouvoir plus me parler.
N'importe ! la tristesse n'est pas malsaine : elle nous empĂȘche de
nous dessécher. Et vous, mon ami, que faites-vous à cette heure?
Vous piochez aussi, seul aussi, car la maman doit ĂȘtre Ă Rouen. Ăa
doit ĂȘtre beau aussi, la nuit, lĂ -bas. Y pensez-vous quelquefois au
« vieux troubadour de pendule d'auberge, qui toujours chante et
GEORGE SAND 5oi
chantera le parfait amour? » Eh bien, oui, quand mĂȘme ! Vous n'ĂȘtes
pas pour la chasteté, monseigneur, ça vous regarde. Moi, je dis qu'elle
a du bon, la rosse. Et sur ce, je vous embrasse de tout mon cĆur et
je vais faire parler, si je peux, des gens qui s'aiment Ă la vieille mode.
Vous n'ĂȘtes pas forcĂ© de m'Ă©crire quand vous n'ĂȘtes pas en train. Pas
de vraie amitié sans liberté absolue.
A Paris, la semaine prochaine, et puis Ă Palaiseau encore, et puis
Ă Nohant...
On voit, rien que par ces deux lettres, la douleur profonde et
cachée de Mme Sand. Mais cela peut se voir encore mieux si on
lit la Lettre dun voyageur Ă propos des Chansons des rues et des
dois de Victor Hugo, datée également de « novembre 1865 »,
dont nous avons dĂ©jĂ parlĂ© plus haut et dont nous citerons Ă
prĂ©sent quelques passages â le lecteur ne nous en voudra point,
car ce sont des pages merveilleuses.
George Sand a la Gargilesse
Comme Horace avait VAnio,
Selon vous â s'adresse-t-elle au grand poĂšte. â 0 poĂ©sie ! Horace
avait beaucoup de choses et George Sand n'a rien, pas mĂȘme l'eau
courante et rieuse de la Gargilesse, c'est-Ă -dire le don de la chanter
dignement... je n'ai plus à moi qu'une chose inféconde, le chagrin,
champ aride, domaine du silence. J'ai perdu en un an trois ĂȘtres chers
qui remplissaient ma vie d'espérance et de force. L'espérance c'était
un petit enfant qui me représentait l'avenir (1) ; la force, c'étaient deux
amitiĂ©s, sĆurs l'une de l'autre (2), qui, en se dĂ©vouant Ă moi, ravivaient
en moi la croyance au dévouement utile. H me reste beaucoup pour-
tant : des enfants adorés, des anus parfaits. Mais quand la mort vient
frapper autour de nous ce qui devait si naturellement et si légitime-
ment nous survivre, on se sent pris d'effroi et comme dénué de tout
bonheur, parce qu'on tremble pour ce qui est resté debout, parce que
le néant de la vie vous apparaßt terrible, parce qu'on en vient à se
(1) Le petit Marc- Antoine, mort deux mois aprĂšs la Lettre d'un voyageur,
d'avril 1864, oĂč Mme Sand « chantait » Gargilesse.
(2) Il ne faut pas oublier que Maillard et Manceau Ă©taient cousins et que
c'est par Manceau que Mme Sand avait connu Maillard. Ces deux lignes
rĂ©vĂšlent d'une maniĂšre parfaitement explicite Ă qui et Ă quoi doit ĂȘtre attri-
buée la profonde douleur dont est empreinte cette Lettre adressée à Hugo
et qui, par son lyrisme et sa poésie, égale les toutes premiÚres Lettres d'un
voyageur datées de 1834-36.
5aa GEORGE SAXD
dire : Pourquoi aimer, s'il faut se quitter tout Ă l'heure. Qu'e3t-ce que
le dévouement, la tendresse, les soins, s'ils ne peuvent retenir prÚs de
nous ceux que nous chérissons?...
Oh ! mairie poĂšte ! comme je me sentais, conmie je me croyais
encore riche quand, il y a un an et demi, je vous lisais au bord de la
Creuse, et vous promenais avec moi en rĂȘve le long de cette Gargilesse
honorée d'une de vos rimes, petit torrent ignoré qui roule dans des
ravines plus ignorées encore. Je me figurais vraiment que ce désert
était à moi qui l'avais découvert à quelques peintres et à quelques natu-
ralistes qui s'y étaient aventurés sur ma parole et ne m'en savaient
pas mauvais gré. Eux et moi nous le possédions par les yeux et par le
cĆur, ce qui est la seule possession des choses belles et pures. Moi,
j'avais un trésor de vie, l'espoir, l'espoir de faire vivre ceux qui devaient
me fermer les yeux, l'illusion de compter qu'en les aimant beaucoup,
je leur assurerai une longue carriÚre. Et, à présent, j'ai les bras croisés
comme, au lendemain d'un désastre^ on voit les ouvriers découragés
se demander si c'est la peine de recommencer Ă . travailler et Ă bĂątir
sur une pierre qui toujours tremble et s'entr'ouvre pour démolir et
dévorer.
A présent je suis oisif et dépouillé jusqu'au fond de l'ùme. Non,
George Sand n'a plus la Gargilesse ; il n'a plus l'Anio, qu'il a possédé
aussi autrefois tout un jour, et qu'il avait emporté tout mugissant et
tout ombragé dans un coin de sa mémoire, comme un bijou de plus
dans un écrin de prédilection. H n'a plus rien, le voyageur! H ne veut
pas qu'on l'appelle poĂšte, il ne voit plus que du brouillard, il n'a plus
de prairies embaumées dans ses visions, il n'a plus de chants d'oiseaux
dans ses oreilles, le soleil ne lui parle plus ; la nature qu'il aimait tant,
et qui Ă©tait bonne pour lui, ne le connaĂźt plus. Ne l'appelez pas artiste,
il ne sait plus s'il l'a jamais été. Dites-lui ami, comme on dit aux
malheureux qui s'arrĂȘtent Ă©puisĂ©s, et que l'on engage Ă marcher
encore, tout en plaignant leur peine.
Marcher! oui, on sait bien qu'il le faut, et que la vie traĂźne celui
qui ne s'aide pas. Pourquoi donner aux autres, à ceux qui sont géné-
reux et bienfaisants, la peine de vous porter? N'ont-ils pas aussi leur
fardeau bien lourd? Oui, amis, oui, enfants, je marcherai, je marche,
je vis dans mon milieu sombre et muet comme si rien n'était changé.
Et, au fait, il n'y a rien de changé que moi ; la vie a suivi autour de moi
son cours inévitable, le fleuve qui mÚne à la mort. 11 n'y a d'étrange
en ma destinée que moi resté debout. Pourquoi faire? pour chanter,
cigale humaine, l'hiver comme l'été.
Chanter ! Quoi donc chanter? La bise et la brume, les feuille3 qui
tombent, le vent qui pleure? J'avais une voix heureuse qui murmurait
dans mon cerveau des paroles de renouvellement et de confiance. Elle
GEORGE SAND 503
s'e3t. tue, reviendra-t-elle? Et si elle revient, F entendrai -je? Est-ce
bientĂŽt, est-ce demain, est-ce dans un siĂšcle ou dans une heure qu'elle
reviendra?...
...Au fort de la bataille tous sont braves ; c'est si beau le courage !
Ayez-en, vous dit-on, tous en ont, il faut en avoir. Et on répond : « J'en
ai ! » Oui, on en a quand on vient d'ĂȘtre frappĂ© et qu'il faut sourire
pour laisser croire que la blessure n'est pas trop profonde. Mais aprĂšs?
Quand le devoir est accompli, quand on a pressé les mains amies,
quand on a dissipé les tendres inquiétudes, quand on reprend sa route
sur le sol ébranlé, quand on s'est remis au travail, au métier, au devoir ;
quand tout est dit enfin sur notre infortune et qu'il n'est plus délicat
d'accepter la pitiĂ© des bons cĆurs, est-ce donc fini? Non, c'est le vrai
chagrin qui commence, en mĂȘme temps que la lutte se clĂŽt. On avance,
on Ă©coute, on voit vivre, on essaie de vivre aussi ; mais quelle nuit
dans la solitude ! Est-ce la fatigue qui persiste ou s'est-il fait une dimi-
nution de vie en nous, une déperdition de forces? J'ai peine à croire
qu'en perdant ceux qu'on aime on conserve son Ăąme entiĂšre. A moins
que...
Cet « à moins que » en dit tant ! C'est comme le célÚbre vers
coupé de Pouchkine : « Mais si... » terminant sa merveilleuse
Epßtre à une Inconnue, d'une douleur si passionnée et d'une
jalousie concentrée et ardente. George Sand interrompt par ces
mots le cours de ses confessions toutes personnelles ; elle termine
cette Lettre d'un voyageur, comme nous l'avons vu, par des
aperçus généraux et objectifs sur la jeunesse et l'état des ùmes
contemporaines, puis elle adresse Ă Victor Hugo â dont la mis-
sion est en opposition directe avec le chauvinisme et le cléri-
calisme du moment â la supplique de rĂ©veiller les idĂ©es gĂ©nĂ©-
reuses et les sentiments enthousiastes par ses belles chansons
lumineuses.
Mme Sand reçut, aprÚs la mort de Manceau, les plus grandes
marques de sympathie et un soutien tout fraternel de la part
de Flaubert. C'est précisément à 1865-66 que se rapporte l'éclo- , ^^
sion de cette illustre amitié. Flaubert avait, dÚs 1847, tenté de
faire la connaissance de George Sand par l'intermédiaire de
Théophile Thoré, la priant d'écrire une préface à un de ses
livres. Thoré le recommandait à Mme Sand comme étant un
« neveu de Saint-Just ». La réponse de George Sand à Thoré a
504 GEORGE SAND
été publiée à la page 367 du volume II de sa Correspondance.
Elle refusa disant que ses préfaces n'avaient jamais porté bonheur
Ă personne ; qu'il en serait de mĂȘme pour Flaubert, si son livre
est mauvais ; et que s'il est bon, il n'a besoin ni de sa recom-
mandation ni de sa protection. Leur rencontre date de 1863.
Us furent présentés l'un à l'autre à un des dßners Magny, par
Dumas et Sainte-Beuve. En 1864, Flaubert témoigna tant de
sympathie chaleureuse Ă l'auteur de Villemer, lors de la premiĂšre
de cette piĂšce, que ces relations se changĂšrent vite en une vraie
amitié. En 1865, à la mort de Manceau, Flaubert prouva que
cette amitié ne se bornait pas à des protestations ou de vaines
paroles. TantĂŽt seul, tantĂŽt avec Lambert et Mme Arnould-
Plessy, il alla plusieurs fois à Palaiseau. s'efforçant sinon de con-
soler, du moins de distraire Mme Sand par sa causerie, ses récits,
ses drĂŽleries ; il lui fit promettre de venir lui faire une visite
dan9 sa maisonnette de Croisset, oĂč il vivait avec sa mĂšre, et
il fit preuve Ă sa chĂšre maĂźtre, comme il appelait toujours George
Sand, de toutes les marques de l'admiration la plus respectueuse,
de la sympathie la plus cordiale, d'un attachement trĂšs sincĂšre.
A partir de cette Ă©poque leur correspondance devient celle de
deux bons camarades, avec une teinte de vénération enthou-
siaste de la part de Flaubert, de tendresse maternelle, avec des
gronderies et des réprimandes toutes maternelles aussi, de la
part de George Sand. ^sous n'allons point nous arrĂȘter ou nous
étendre sur cette amitié. Elle servit de thÚme à beaucoup d'études
littéraires et d'articles de critique. La correspondance entre les
deux amis est aussi fort connue.
Les lettres de Flaubert à Mme Sand furent publiées deux fois.
C'est Maupassant, d'abord, qui les fit paraĂźtre en volume,
en 1892, avec sa superbe préface. Les lettres de George Sand,
publiées en partie dans sa Correspondance générale, parurent
encore dans la Revue nouvelle. En 1904 cette correspondance
double parut en entier, avec une préface d'Henri Amie et une
petite Notice de Paul Meurice. Cette édition avait été préparée
par Mme Maurice Sand ; elle se réjouissait à l'idée de pouvoir
enfin publier intégralement au moins Tune des correspondances
GEORGE SAND 505
de George Sand avec des réponses et des dates précises. Malheu-
reusement la mort l'empĂȘcha de mener Ă bout cette Ă©dition, et
cette correspondance fut publiée d'une maniÚre trÚs désordonnée,
incomplÚte et mal soignée. Beaucoup de lettres de George Sand
déjà imprimées dans la Correspondance y manquent ; d'autres
sont publiées à de fausses dates ou point à leur place ; les réponses
ne suivent pas les lettres auxquelles elles se rattachent ; la pré-
face de Maupassant qui devrait Ă tout jamais ne faire qu'un
avec les lettres de Flaubert Ă Mme Sand en est absente. Fort
heureusement la préface d'Henri Amie profondément sentie,
juste et chaleureuse, dédiée à la mémoire de Lina Sand, raconte
au lecteur ce que Mme Maurice avait voulu faire pour la
mémoire de George Sand et combien cette femme modeste, si
prĂ©maturĂ©ment partie pour un autre monde, avait travaillĂ© Ă
réaliser son dessein.
C'est à Flaubert aussi que George Sand dédia le roman paru
en 1866, le Dernier amour, faisant suite Ă Monsieur Sylvestre.
Ou pour mieux dire : le Dernier amour dont M. Sylvestre est le
héros, devrait servir de prologue ou de premiÚre partie au roman
de ce nom, car les événements de la vie précédente de M. Syl-
vestre y sont racontés, ainsi que les épreuves qui firent de lui
un philosophe tolérant, doux et plein de quiétude. Or, à l'excep-
tion du nom du héros, il n'y a aucun lien entre les deux romans.
Il y a dans le Dernier amour trÚs peu de réflexions et beaucoup
d'action, et non pas dans le sens d'accumulation d'aventures
invraisemblables, mais d'un conflit psychologique toujours crois-
sant.
M. Sylvestre, homme déjà mûr, épouse Félicie Morgeron, la
sĆur coquette de son ami, propriĂ©taire alpestre, Jean Morgeron,
une demoiselle... ayant un certain « passé ». Félicie est troublée
par un excÚs de tempérament ; depuis longtemps elle se laisse
courtiser par un adolescent, Tonino, le filleul de son frĂšre qui
l'a élevé. Elle devient maintenant la maßtresse de Tonino, et
malgré son sincÚre attachement et son respect pour son mari,
elle le trompe de la maniÚre la plus effrontée. M. Sylvestre
découvre peu à peu la vérité, mais il maßtrise son désespoir et
5o6 GEORGE SAND
s'efforce d'empĂȘcher sa femme vicieuse de se perdre complĂšte-
ment En apprenant que son mari sait tout, blessée dans sa
fierté, incapable de supporter les remords de sa conscience et la
jalousie provoquée par le mariage de son amant avec une jeune
villageoise, la Vanina. elle meurt, désespérée.
Si Monsieur Sylvestre résout la question du bonheur, le Der-
nier amour répond h celle-ci : Comment venger V amour trahi?
Par l'amitié et l'oubli, c'est le pire des chùtiments pour le cou-
pable.
Rien dans ce roman, ni le développement du sujet, ni la façon
de le traiter, ni le ton gĂ©nĂ©ral lui-mĂȘme, ni le sentiment qui le
pĂ©nĂštre, ne rappelle Monsieur Sylvestre, ou la maniĂšre mĂȘme des
Ćuvres de George Sand. La prĂ©cision rĂ©aliste de la donnĂ©e gĂ©nĂ©-
rale, la puissante peinture du caractÚre de l'héroïne : nature
basse, mais point traitée en « traßtre de mélodrame » ; la maniÚre
dont est campé son amant italien : volage, calculateur, passionné
et rusĂ© ; son frĂšre, honnĂȘte mais bornĂ© ; l'Ă©veil de la jalousie,
les soupçons croissants de M. Sylvestre, si crédule d'abord,
puis forcé d'ouvrir les yeux, tout cela produit une impression
toute moderne. Si ce roman n'était pas signé George Sand, nous
ne pourrions dire quel fut son auteur. Il est dédié : à mon ami
Gustave Flaubert. Ce fait, le perpétuel commerce et échange
d'idĂ©es avec Fauteur de Madame Bovary, explique peut-ĂȘtre
ce changement trÚs prononcé dans la maniÚre littéraire de
George Sand. Il faut toutefois noter que dans Monsieur Syl-
vestre, déjà , on pouvait lire le passage que voici, trÚs curieux
sous la plume de George Sand :
Laissez-moi l'inconnu. Ce mot ne blesse pas ma raison, et il n'en-
lÚve pas toute lueur de poésie à mon cerveau. Voilà aussi pourquoi je
ne cĂšde pas encore au dĂ©sir de me promener aux rares heures oĂč le
soleil me convie. J'ai peur de découvrir dans ce vallon charmant des
détails laids ou ridicules, et de ne pouvoir les oublier, quand je me
reporterai Ă la vue de l'ensemble. Je reconnais que ce n'est point lĂ
une idée conforme à ma théorie réaliste. Il faudrait tout accepter dans la
nature comme dons la vie, ne rien dédaigner, et savoir peindre l'horreur
d'une voirie avec autant de plaisir â le plaisir de la conscience satis-
faite â que la smvitĂȘ d'un jardin rempli de fleurs.
GEORGE SAND 507
Mme Sand avait consacré quelques pages à l'analyse de
Madame Bovary dans ses Promenades autour d'un village (1)
(enlevées lors de la réimpression de ces articles en volume et
publiées dans le volume des Questions d'art et de littérature sous
le titre de « Réalisme »).
Elle Ă©crivit plus tard des articles sur SalammbĂŽ et sur V Edu-
cation sentimentale, qui parurent dans la Presse en 1863 et dans
la Liberté en 1869 (2) et firent grand plaisir à Flaubert.
Les derniers chapitres du Dernier amour parurent dans le
numéro du 15 août de la Revue des Deux Mondes et au commen-
cement d'août Mme Sand se rendit à la priÚre de Flaubert dans
sa propriété de Croisset ; elle y passa quelques jours et y fit la
connaissance de Mme Flaubert mÚre, puis elle alla, accompagnée
de son ami, admirer tous les monuments et curiosités de Rouen.
Ce mĂȘme automne George Sand mit Ă exĂ©cution son plan
depuis longtemps projeté, elle écrivit un roman se passant sous
la RĂ©volution. Cette Ćuvre â Cadio â devait ĂȘtre d'abord
une piÚce de théùtre. Son point de départ avait été un drame
jouĂ© en 1860 sur le thĂ©Ăątre de Nohant, juste au moment oĂč
Mme Sand commençait sa grande maladie. Cette piÚce portait
le nom ultra-romantique de Pied sanglant.
Le 24 octobre 1862, Mme Sand Ă©crivait Ă Maillard :
...Nous jouons la comédie, le fameux Pied sanglant, anniversaire
(à peu prÚs) de ma maladie d'il y a deux ans et qui n'avait pas été
repris ; on le joue dimanche et mercredi prochain (3)...
Quatre ans plus tard, de passage Ă Paris, revenant de chez
Flaubert Ă Palaiseau et arrĂȘtĂ©e par le mauvais temps, Ă Paris,
Mme Sand écrivit à Maurice qu'elle songe à réaliser l'idée de faire
une vraie piÚce de leur piÚce mi-improvisée :
Paris, 10 août 1866.
...Je suis arrivée hier à 4 heures chez moi... Je n'ai pas pu vous
écrire hier en arrivant : j'ai trouvé Couture qui m'attendait chez mon
portier avec un manuscrit sous le bras...
(1) Voir plus haut le chap. xi du présent volume.
(2) Réimprimés également dans le volume Questions d'art et de littérature.
(3) Inédite.
50S GEORGE SAND
Nooh avons été dßner chez Magny et, en rentrant, j'ai avalé le
volume... J'Ă©tais bien fatiguĂ©e tout de mĂȘme, et aprĂšs ça, j'ai dormi...
Ah ! il faut vous dire que dĂšs Ăźe matin, j'avais encore couru la ville
avec Flaubert. Croisset est un endroit délicieux, et notre ami Flaubert
mĂšne lĂ une vie de chanoine au sein d'une charmante famille.
...H fait un temps Ă ne pas mettre un chien dehors, et je ne songe
mĂȘme pas Ă aller Ă Palaiseau par ce dĂ©luge. Parlons donc de ce que
nous allons faire. Il faut faire ce Pied sanglant (1) ; il faut le faire
ensemble, d'entrain et vite. Mais ii faut voir la Bretagne.
Dites-moi tout de suite si vous voulez y venir; car si c'est non,
inutile que j'aille Ă Xohant pour repartir de lĂ et doubler la fatigue et
les frais de voyage. Si vous y venez avec moi, c'est différent, j'irai
vous prendre.
Si vous ne voulez pas, j'irai y passer huit jours et j'irai ensuite Ă
Nohant d'oĂč nous pourrons aller ailleurs...
Maurice lui ayant signalé les difficultés qu'on aurait à vaincre
pour faire une piĂšce dont l'action se passerait Ă l'Ă©poque de la
guerre de Vendée, et surtout de faire, comme il l'avait d'abord
conseillé, un héros de Cadio ou Cadiou, une espÚce d'innocent
ou mĂȘme de fou, Mme Sand rĂ©pondit Ă son fils la trĂšs intĂ©res-
sante lettre que voici ; nous trouvons indispensable de la donner
presque intégralement, quoiqu'elle soit imprimée dans la Cor-
respondance :
Je ne me décourage pas comme ça, moi. Les difficultés d'un sujet
doivent ĂȘtre des stimulants et non des empĂȘchements. Je ne suis pas
obligée de faire la peinture de la Kévolution. H me suffit d'en tirer la
moralité, et ça n'est pas malin, puisque tout le monde est d'accord
sur 89. En mettant les passions dans la bouche d'un fou que nous ren-
drons intĂ©ressant quand mĂȘme, nous ne choquerons personne*
Pourquoi Cadiou ne serait-il pas une espĂšce de Marat et de Robes-
pierre en mĂȘme temps? Pourquoi n'aurait-il pas des instincts sublimes
et nĂčsĂ©rables? H faut voir ici les choses de plus haut que l'histoire
Ă©crite. Il y avait en France alors des milliers de Bonaparte, des milliers
de Marat, des miniers de Hoche, des milliers de Robespierre et de
Saint-Just, lequel, par parenthĂšse, Ă©tait un fou aussi. Seulement ces
types, plus ou moins réussis par la nature, et plus ou moins effacés
par les événements, s'appelaient Cadiou, Motus, ou Riallo ou Gar-
(1) On lit en note Ă cette lettre Ă la page 129 dans la Correspondance,
t. V : « Drame jouĂ© plus tard Ă la Porte-Saint-Martin sous le titre de Cadio. âą
GEORGE SAND 509
guiile ; ils n'en existaient pas moins. Les idées et les passions qui
remirent un peuple en émoi, une société en dissolution et en reconstruc-
tion, ne sont pas propres à un homme ; elles sont résumées par quelques
hommes plus tranchés que les autres. Tu m'as donné l'idée de faire
de Cadiou le héros de la piÚce, c'est une idée excellente. Laisse-moi
l'envisager comme elle me vient et en tirer parti. Il sera l'image et le
reflet du passé et de l'avenir, il traversera le présent sans le comprendre,
comme un homme ivre. Ce sera trĂšs original et trĂšs beau. Je me fiche
bien de ce que l'auteur aura à expliquer de sa pensée au public. Il faut
que 1" auteur disparaisse derriĂšre son personnage et que le public fasse
la conclusion. Tout le difficile est de la lui rendre facile Ă faire. Il faut
essayer et ne jamais reculer devant ce qui vous a Ă©mu et saisi.
Aide-moi pour le cadre, les événements nécessaires à mon sujet.
Un coin de la Vendée et de la chouannerie ensuite, un tout petit coin ;
il faut que le drame soit grand et la scĂšne petite. Pioche, sois fort sur
les dates, les Ă©vĂ©nements ; je prendrai oĂč j'aurai besoin de prendre, et
tu m'aideras pour arranger le scĂ©nario. Mais laisse-moi rĂȘver et crĂ©er
Cadiou. Pour ça, il faut que j'aille voir un petit coin de la Bretagne:
rĂ©ponds vite, si tu veux y aller. Sinon, je pars, et je vais ensuite Ă
Nohant du 10 au 15. VoilĂ !
Je vous aime et vous bige.
Ce petit voyage eut effectivement lieu : George Sand alla en
cet automne de 1866 « courir avec ses enfants » en Bretagne, y
visitant les coins les plus pittoresques et les plus sauvages de ce
pays si curieux, observant les us et coutumes, les mĆurs, les
costumes et les visages de ses habitants.
Le 21 septembre, Mme Sand écrit à Flaubert : « Je viens de
courir douze jours avec mes enfants... Nous avons eu un beau
soleil en Bretagne. »
AprĂšs cette petite excursion Mme Sand se mit Ă Ă©crire son
drame de verve, mais elle vit bientÎt qu'il y avait plus de « déve-
loppements que ne le comportait une piÚce de théùtre », trop
d'analyses psychologiques et autres, et ayant terminé Cadio
sous la forme d'un « roman dialogué », avec la liste des person-
nages et la division en actes, comme dans un vrai drame, elle
le publia moins d'une année aprÚs dans la Revue des Deux Mondes
du 1er septembre au 15 novembre 1867. Un an plus tard M. Paul
Meurice l'adapta à la scÚne, et Cadio fut joué à la Porte-Saint-
Martin en 1868.
5io GEORGE SAND
L'action de Cadio se joue en Vendée et en Bretagne, à l'époque
de la chouannerie. Cadio est un « simple », un paysan qui devient
à son insu un héros, un vrai héros, en se sacrifiant. Il paraßt que
ce personnage et les principaux événements de sa vie furent ins-
pirés à l'auteur par les récits entendus dans la maison d'une de
ses amies de couvent, la comtesse Louise de La Rochejaquelein,
dont la mÚre, marquise de La Rochejaquelein, avait été elle-
mĂȘme une hĂ©roĂŻne des guerres vendĂ©ennes. Veuve de son pre-
mier mariage avec M. de Lescure, et enceinte de deux enfants,
au moment oĂč les bleus vengeaient leurs premiĂšres dĂ©faites sur
les blancs, la marquise de La Roche jaquelein dut se cacher sous
un costume de paysanne et le nom de Jeannette dans les hameaux
et les bois. Un jour, sur le désir de sa mÚre, et pour échapper
aux poursuites et à la fureur des Meus, elle fut forcée de conclure
un mariage avec un de ses ex-vassaux, le paysan Pierre Riallo.
Ce brave homme lui promit de détruire le contrat de mariage
et ne songea jamais Ă faire valoir ses droits sur la personne de sa
femme, son ex-suzeraine. Seulement, au moment de lui dire
adieu, aprÚs l'avoir conduite en un lieu sûr, les larmes aux yeux
il lui passa un anneau d'argent au doigt ; elle le garda toujours
en mémoire de lui.
George Sand cite ce touchant Ă©pisode dans Y Histoire de ma viej
elle raconte qu'allant rendre visite Ă son amie, elle trouva dans
le somptueux salon de sa mÚre une nombreuse et élégante com-
pagnie, trÚs empressée auprÚs de la vieille marquise, et au milieu
de ce beau monde, un simple paysan vendéen qui se tenait
avec une parfaite aisance et se couvrit de son large chapeau
avant d'ĂȘtre sorti du salon, tandis que Louise de La Rocheja-
quelein et sa sĆur filaient ostensiblement leurs quenouilles au
milieu de ces belles dames décolletées. Mais l'antichambre était
pleine de valetaille et le concierge avait grossiĂšrement apos-
trophé Mme Aurore Dudevant venue en simple fiacre. Quel
tableau de mĆurs ! George Sand ajoute :
...Mais que fût-il arrivé si le mariage eût été conclu et que Pierre
Riallo Se fût refusé à la suppression frauduleuse de l'acte civil? Certes,
la noble Jeannette fût morte plutÎt que de consentir à ratifier cette
GEORGE SAND 511
mésalliance monstrueuse. On était bien alors, par le fait, l'égale,
moins que l'Ă©gale du pauvre paysan breton. On Ă©tait une pauvre bri-
gande, bien heureuse de recevoir cette généreuse hospitalité et cette
magnanime protection. Sous la Kestauration, on ne l'avait pas oublié
sans doute. On recevait dans son salon le premier paysan venu, pourvu
qu'il eût au coude le brassard sans tache. On filait la quenouille des
bergĂšres, on avait des touchants et affectueux souvenirs ; mais on n'en
était pas moins Mme la marquise, et cette fausse égalité ne pouvait
pas tromper le paysan. Si le fils de Pierre Riallo se fût présenté pour
Ă©pouser Louise ou Laurence de La Roche jaquelein, on l'aurait consi-
déré comme fou. Le fils des croisés, M. de La Roche jaquelein, aujour-
d'hui orateur politique, ne serait pas volontiers le beau -frĂšre de
quelque laboureur armoricain. Eh bien, Pierre Riallo, c'est bien lĂ
réellement comme un symbole pour personnifier le peuple vis-à -vis de
la noblesse. On se fie à lui, on accepte ses sublimes dévouements,
ses suprĂȘmes sacrifices, on lui tend la main. On se fiancerait volontiers
Ă lui aux jours du danger, mais on lui refuse, au nom de la religion
monarchique et catholique, le droit de vivre en travaihant, le droit
de s'instruire, le droit d'ĂȘtre l'Ă©gal de tout le monde ; en un mot,
la véritable union morale de castes, on frémit à l'idée seule de la
ratifier (1).
Oui, que fût-il vraiment arrivé si l'humble et dévoué paysan
s'était indigné de cette maniÚre de le traiter?
Cette question sert de thÚme au développement psychologique
du caractĂšre et des actes de Cadio-Riallo dans le roman de
George Sand. L'élévation naturelle de son ùme se cache sous les
dehors d'un « simple », quasi un niais, et fait de lui un héros d'ab-
négation, mais son amour pour la jeune aristocrate (appelée
Louise de SauviĂšres â en souvenir de Louise de La Rocheja-
quelein), â et la fureur qu'il ressent en voyant qu'on use de
lui â son sauveur, lui qui a sacrifiĂ© sa vie pour cette jeune fille, â
comme d'un moyen de salut, font de cet ĂȘtre mi-conscient,
de ce doux innocent, un rĂ©publicain extrĂȘme, un fanatique, un
ennemi sanguinaire et implacable de tous les blancs. Un autre
personnage, au contraire, commet une série de cruautés et
court Ă sa perte parce qu'au lieu d'agir selon sa conscience il se
laisse guider par une doctrine politique aveuglément acceptée.
(1) Histoire de ma vie, vol. III, p. 122-28.
5i2 GEORGE SAND
C'est le héros du parti ennemi, le chouan Saint-Gueltas de La
Roche-Brûlée.
Enfin George Sand peignit dans Henri de SauviĂšres, cousin de
l'héroïne, un jeune aristocrate, sincÚre et naïf, généreusement
enrÎlé dans 1" armée républicaine pour défendre sa patrie. Ce
personnage ressemble beaucoup au pĂšre de l'auteur, ce fringant
et joyeux officier des guerres de la RĂ©publique, que les catas-
trophes politiques n'ont ni brisé, ni endolori, mais entraßné seu-
lement dans leur sillon.
Dans ces trois représentants des groupes sociaux et des types
de l'époque, George Sand montre l'influence trÚs différente des
faits historiques sur les individus. Elle montre aussi que dans la
tourmente les hommes se laissent souvent emporter malgré eux
par les passions politiques et commettent des forfaits, parfois
mĂȘme des crimes, absolument en dĂ©saccord avec leur propre
nature. Tel est le double but que l'auteur se proposa en Ă©cri-
vant ce roman. Il est dédié à M. Henri Harisse.
George Sand dit dans la préface de Cadio qu'elle s'était « dis-
pensée de faire comparaßtre les morts célÚbres et de leur
attribuer des sentiments et des idées complaisamment adaptés
Ă sa fantaisie, â ce qui est toujours d'usage dans les romans
dits historiques », et qu'elle avait simplement « tùché de
reconstituer par la logique les émotions de l'époque », sous
une forme concise et artistique, de peindre les petits faits sou-
vent horribles qui passent inaperçus de l'histoire, tout en
reflétant la puissance néfaste des grands mouvements historiques.
Et pour souligner ce pouvoir hypnotisant des Ă©poques sangui-
naires sur les particuliers les plus inoffensifs, elle cite comme
preuve Ă l'appui de ce qu'elle avance, un fait inconnu s'Ă©tant
passé lors des terribles « journées de Juin ».
j Aux journées de Juin de notre derniÚre révolution, la garde natio-
nale d'une petite ville que je pourrais nommer, commandée par des
chefs que je ne nommerai pas, partit pour Paris sans autre projet
arrĂȘtĂ© que celui de rĂ©tablir Tordre, maxime Ă©lastique Ă l'usage de toutes
les gardes nationales, quelle que soit la passion qui les domine. Celle-ci
était composée de bourgeois et d'artisans de toutes les opinions et de
GEORGE SAND 5,3
toutes les nuances, la plupart honnĂȘtes gens, d'humeur douce, et pĂšres
de famille. En arrivant Ă Paris au milieu de la lutte, ils ne surent que
faire, Ă qui se rallier et comment passer Ă travers les partis sans ĂȘtre
suspects aux uns, écrasés par les autres. Enfin, vers le soir, rassemblés
dans un poste qui leur Ă©tait confiĂ© et honteux de n'avoir pu servir Ă
rien, ils arrĂȘtĂšrent un passant qui, pour son malheur, portait une
blouse ; ils Ă©taient deux cents contre un. Sans interrogatoire, sans
jugement, ils le fusillĂšrent. Il fallait bien faire quelque chose pour
charmer les ennuis de la veillée. Ils étaient si peu militaires, qu'ils ne
surent mĂȘme pas le tuer ; Ă©tendu sur le pavĂ©, il rĂąla jusqu'au jour,
implorant le coup de grĂące.
Quand ils rentrÚrent triomphants dans leur petite cité, ils avouÚrent
qu'ils n'avaient fait autre chose que d'assassiner un homme qui avait
Vair d'un insurgé. Celui qui me raconta le fait me nomma l'assassin
principal, et ajouta : a Nous n'avons pas osĂ© empĂȘcher cela. »
Voilà pourtant un fait historique des mieux caractérisés ; il résume
et dénonco une époque : aucun journal n'en a parlé, aucune plainte,
aucune réflexion n'eût été admise. La victime n'a jamais eu de nom ;
le crime n'a pas été recherché ; l'assassin a vécu tranquille, les bons
bourgeois et les bons artisans qui l'ont laissé déshonorer leur cam-
pagne à Paris se portent bien, vont tous les jours au café, lisent leurs
journaux, prennent de l'embonpoint et n'ont pas de remords.
Ceci est une goutte d'eau dans l'océan d'atrocités que soulÚvent les
guerres civiles. Je pourrais en remplir une coupe d'amertume ; mais
ces choses sont encore trop prĂšs de nous pour ĂȘtre rappelĂ©es sans faire
appel aux passions et aux ressentiments ; tel n'est pas le but du tra-
vail d'un artiste.
Cette Préface fit sensation. Plusieurs journaux la réimpri-
mĂšrent, entre autres le Nain jaune et le Soleil. Un mandat a
été lancé contre les rédacteurs, MM. Castagnary, Ranc et Emile
Faure, qui ont dĂ» comparaĂźtre devant un juge d'instruction.
Mme Sand fit alors publier dans la Liberté (1) une « Lettre »
dans laquelle elle protestait avant tout contre le fait que ce
n'Ă©tait pas elle, l'auteur du roman, qu'on poursuivait judiciaire-
ment, mais bien des « journalistes » qui en avaient reproduit
des fragments. Puis elle disait :
Il est facile, en lisant toute la préface et tout le roman de Cadio,
de voir que le but de l'ouvrage est diamétralement contraire à cette
(lj Elle parut dans le numéro du 23 septembre 1867.
lv' 33
5i4 GEORGE SAXD
intention; que Fauteur s'est, pour ainsi dire, absenté de son travail
afin de laisser passer l'histoire, et l'histoire prouve du reste que les
plus saintes causes sont souvent perdues, quand le délire de la ven-
geance s'empare des hommes.
Si jamais l'horreur de la cruauté, de quelque part qu'elle vienne,
a endolori et troublé une ùme, je puis dire que le roman de Cadio est
sorti navré de cette ùme navrée, et que pour conserver sa foi, l'auteur
a dû lutter contre le terrible spectre du passé. Il est impossible d'étu-
dier certaines Ă©poques et de revoir les lieux oĂč certaines scĂšnes atroces
se sont produites sans ĂȘtre tentĂ© de proscrire tout esprit de lutte et
d'aspirir Ă la paix Ă tout prix. Mais la paix Ă tout prix est un leurre
et celle qu'on achÚte par des lùchetés n'est qu'un écrasement féroce
qui ne donne mĂȘme pas le misĂ©rable bĂ©nĂ©fice de la mort lente. Ce n'est
donc pas par le sacrifice de la dignité humaine que l'on pourra préparer
les hommes Ă traverser les luttes sociales sans Ă©prouver l'horrible
besoin de s'Ă©gorger les uns les autres. Laissez donc la discussion s'Ă©ta-
blir sérieuse pour qu'elle devienne impartiale. Tout refoulement de
la pensée, tout effort pour supprimer la vérité soulÚveront des orages,
et les orages emportent tĂŽt ou tard ceux qui les provoquent.
...Et puis, en somme, prenez garde Ă des poursuites contre l'his-
toire, car en voulant empĂȘcher qu'elle se fasse, vous la feriez vous-
mĂȘmes avec une publicitĂ©, un Ă©clat et un retentissement que nous
n'avons pas à notre disposition. Nul ne peut nourrir l'espérance de
supprimer le passĂ© ; Dieu mĂȘme ne pourrait le reprendre. A quoi ont
servi les poursuites acharnées de la Restauration contre vous, mes-
sieurs, qui ĂȘtes aujourd'hui au pouvoir? Elles vous ont rendu le ser-
vice de faire de vous des victimes et d'amener à vous le libéralisme de
cette Ă©poque.
Ne faites donc pas de victimes, Ă moins que vous ne vouliez vous
faire des amis. Laissez l'histoire se faire aussi d'elle-mĂȘme par la dis-
cussion et par l'enseignement, par la polémique ou par la littérature ;
lĂ seulement elle Ă©clora avec le calme que vous prescrivez. Ne l'obligez
pas à sortir armée de chaque bouche avec la terrible preuve à l'appui.
Iljy en aurait trop, et vous seriez effrayĂ©s vous-mĂȘmes des documents
que le présent a mis en réserve pour l'avenir. L'histoire se ferait trop
vite et nous sommes les premiers Ă souhaiter qu'elle vienne Ă son
heure, connue toute évolution sérieuse de la conscience humaine (1).
En 1866, alors que Mme Sand travaillait Ă Cadio avec ardeur,
elle quitta Palaiseau pour aller Ă Nohant fĂȘter NoĂ«l. Mais de
(1) Lors de l'impression de cette lettre daus la Liberté ces deux derniers
mots se Usaient : connaissance humaine,
GEORGE SAND 515
passage Ă Paris, elle tomba malade et fut si longtemps souffrante
que ce n'est que le 10 janvier 1867 qu'elle arriva chez ses enfants.
Depuis ce moment Nohant redevint sa résidence habituelle.
Maurice, et surtout Lina, la suppliĂšrent de ne plus retourner Ă
Palaiseau, ne pouvant supporter l'idée qu'elle pût retomber
malade toute seule, privée des soins de ses proches, car l'état
de sa santé était devenu chancelant depuis son typhus
de 1860, et elle souffrait souvent d'étranges attaques entéro-
gastriques. Ce furent, hélas ! les symptÎmes de la maladie
qui l'emporta plus tard. Mme Sand vendit sa maisonnette de
Palaiseau, deux ans plus tard. Elle Ă©crit Ă Flaubert le 9 jan-
vier 1867, de Paris :
Cher camarade,
Ton vieux troubadour a été tenté de claquer. Il est toujours à Paris.
11 devait partir le 25 décembre ; sa malle était bouclée, ta premiÚre
lettre Ta attendu tous les jours Ă Nohant.
Enfin le voilĂ tout Ă fait en Ă©tat de partir et il part demain matin
avec son fils Alexandre, qui veut bien l'accompagner. C'est hĂȘte d'ĂȘtre
jetĂ© sur le flanc et de perdre pendant trois jours la notion de soi-mĂȘme
et de se relever aussi affaibli que si on avait fait quelque chose de
pénible et d'utile. Ce n'était rien, au bout de compte, qu'une impossi-
bilité momentanée de digérer quoi que ce soit.
Froid, ou faiblesse ou travail, je ne sais pas. Je n'y songe plus guĂšre...
Je médite d'aller un peu au Midi quand j'aurai vu mes enfants. Les
plantes du littoral me trottent par la tĂȘte. Je me dĂ©sintĂ©resse prodi-
gieusement de tout ce qui n'est pas mon petit idéal de travail pai-
sible, de vie champĂȘtre et de tendre et pure amitiĂ©. Je crois bien que
je ne dois pas vivre longtemps toute guérie et trÚs bien que je suis. Je
tire cet avertissement du grand calme, toujours plus calme, qui se fait
dans mon ùme jadis agitée...
...La solitude ne te pĂšse pas. Je pense bien qu'elle n'est pas absolue,
et qu'il y a encore quelque part une belle amie qui va et vient, ou qui
demeure par lĂ . Mais il y a de l'anachorĂšte quand mĂȘme dans ta vie
et j'envie ta situation. Moi, je suis trop seule Ă Palaiseau, avec
un mort ; pas assez seule Ă Nohant avec des enfants que j'aime
trop pour pouvoir m' appartenir ; et Ă Paris on ne sait pas ce qu'on
est, on s'oublie entiĂšrement, pour mille choses qui ne valent pas mieux
que ça...
5x6 GEORGE SAND
Le 15 janvier elle Ă©crit Ă Barbes, Ă La Haye :
...Merci pour votre sollicitude. Tout va bien autour de moi. Maurice
vous aime toujours ; il est bien marié, sa petite femme est charmante.
Us sont tous deux actifs et laborieux. La petite Aurore est un amour
que Ton adore. Elle a eu un an le jour de mon arrivée ici, la semaine
derniÚre. Je suis chez eux maintenant, car je leur ai laissé toute la gou-
verne du petit avoir et j'ai le plaisir de ne plus m'en occuper ; j'ai plus
de temps et de liberté. J'espÚre guérir bientÎt, et sinon, je suis bien
soignée et bien choyée. Tout est donc pour le mieux... !
Le 11 avril 1867 Mme Sand Ă©crit Ă Louis Viardot :
...Me voilĂ mieux et trĂšs calme, Ă jNohant, oĂč j'ai passĂ© presque tout
l'hiver. Maurice est heureux en ménage ; il a un trésor de femme,
active, rangée, bonne mÚre et bonne ménagÚre, tout en restant artiste
d'intelligence et de cĆur. 2sous avons un seul petit enfant, une fillette
de quinze mois qui s'appelle Aurore et qui annonce aussi beaucoup
d'intelligence et d'attention. La gentille créature semble faire son
possible pour nous consoler du cher petit que nous avons perdu. Mau-
rice est devenu grand piocheur, naturaliste, géologue et romancier
par-dessus le marché. Moi, j'ai peu travaillé cet hiver, j'ai été trop
détraquée...
Ce moment â le jour du premier anniversaire de la petite
Aurore Dudevant oĂč Mme Sand revint Ă ^ohant â doit ĂȘtre
considéré comme le début de la plus heureuse et derniÚre période
de la vie de George Sand.
APPENDICE AU CHAPITRE XII
Voici les principales inexactitudes des souvenirs de Duquesnel
Ă noter et corriger.
M. Duquesnel dit, entre autres :
1) « A la troisiÚme galerie, à cÎté du chef de claque, se trou-
vait Flaubert qui tapait comme un sourd. » â Flaubert se
trouvait Ă la premiĂšre de Villemer dans la loge de l' administra-
tion, avec le prince JĂ©rĂŽme, la princesse Clotilde, George Sand,
le général Ferri-Pisani et Mme d'AbrantÚs, comme on le voit
par la lettre du 1er mars 1864 de George Sand elle-mĂȘme, que
nous donnons Ă la page 464.
2) Qu'au moment oĂč Dumas fils, en 1863, aidait Mme Sand
à tirer une piÚce de son roman le Marquis de Villemer, « Mme Sand
habitait encore les Feuillantines ». â Mme Sand n'alla habiter
les Feuillantines, c'est-à -dire s'installer dans la maison numéro 97
de cette rue, qu aprĂšs le succĂšs de Villemer, en juin 1864. L'appar-
tement minuscule fut loué en mai et ce ne fut que le 12 juin
qu'elle avait, pour la premiÚre fois, passé quelques heures dans
cet appartement ; elle le comparait à « un wagon divisé en trois
piÚces ».
3) Que « le roman Marquis de Villemer date de 1863 ». â H
date de 1860.
4) Les « tapisseries » que M. Duquesnel vit dans le logement de
Mme Sand lui semblĂšrent ĂȘtre « dues Ă l'aiguille de Solange ClĂ©-
singer, brodeuse incomparable, doigts de fée (???) etc., etc. »
â Nous ne pouvons que mettre trois signes d'interrogation,
suivis d'autant de points d'exclamation en réponse à cette
assertion, ainsi??? ! ! ! Solange détestait les ouvrages de femme,
et jamais, nulle part, nous n'avons trouvé d'indication qu'elle
5i8 GEORGE SAND
ait, devenue adulte, orodé quoi que ce fût pour sa mÚre, si ce
n'est des... histoires.
5) Selon M. Duquesnel. « Mme Sand aurait lu, en 1863, chez
elle Ă Paris, les quatre actes de sa piĂšce, tels qu'elle les avait
conçus ; la lecture dura toute la nuit », etc., etc.. â On voit
par les lettres de Mme Sand Ă Dumas, et de Dumas Ă Mme Sand
que c'était en septembre 1861, lors du séjour de Dumas à Nohant,
et pendant que Maurice Sand voyageait avec le prince JĂ©rĂŽme,
que Dumas fils avait lui-mĂȘme lu la piĂšce qui Ă©tait en cinq actes,
et qu'en partant pour Paris il l'avait emportée avec lui, et de
Paris il avait envoyé à Mme Sand son projet de changements
et de refonte complĂšte de la piĂšce, qui, aprĂšs de nouveaux change-
ments faits par l'auteur, devint enfin une piĂšce en quatre actes.
6) « Quand Dumas retourna aux Feuillantines avec le manus-
crit mis au point et copiĂ©, elle ne se tint pas de joie », etc. â On
voit par ce qui précÚde combien cette phrase comporte d'asser-
tions fantastiques de tous points.
7) « Lors de la premiÚre toutes les places avaient été prises
par les Ă©tudiants qui s'en donnaient Ă cĆur-joie... » etc. â On
voit par- la lettre de Mme Sand du 28 février que nous donnons
Ă la page 463, que George Sand se plaignait que lors de la pre-
miĂšre de Villemer trop de places Ă©taient prises par la cour, la
police, les ministres, les employés de tous les rangs. Les ouvriers
et les Ă©tudiants qui avaient fait du tapage et des ovations Ă
Mme Sand se trouvaient surtout en dehors de la salle, sur la place
et dans les rues voisines.
8) M. Fernand Bourgeat a déjà signalé que M. Duquesnel a
encore avancé une assertion erronée en disant que « Dumas fils
avait touchĂ© un quart de la part des droits d'auteur » â taDdis
qu'il n'avait effectivement rien touché.
9) M. Duquesnel trouve que « l'invention (dans les romans de
George Sand) ne tient qu'une place accessoire... » â Si le lecteur
se souvient de VHomme de neige, de Pierre qui roule, de la Com-
tesse de Rudolstadt et de Consuelo, de la Confession d'une jeune
fUle et de Flamarande, il se récriera contre cette remarque. George
Sand a toujours péché dans ses romans par un excÚs d'invention.
GEORGE SAND 519
10) M. Duquesnel prétend que « Cosima fut représenté pour
la premiĂšre fois le 2 mai 1840 ». â Non, la premiĂšre eut lieu le
29 avril 1840. (Voir notre volume III, pages 161-166 et surtout
le passage de la Lettre parisienne de Henri Heine du 30 avril et
la lettre de George Sand du 1er mai que nous y citons.)
11) A propos de le Roi attend M. Duquesnel dit : « George
Sand qui vivait alors dans l'intimité de Michel de Bourges ( !),
de Ledru-Rollin, de Jules Favre ( ! ), de Flocon, voire de Barbes
et de Soorier ( 1 ), était éprise de l'idée révolutionnaire... » etc., etc.
â Nous prions le lecteur de relire ce que George Sand dit dans
Y Histoire de ma vie des rapports presque hostiles qui existaient
alors entre elle et son ex-ami, ainsi que ce que nous disons aux
chapitres x et xi du volume II et le chapitre vin du présent
volume pour se convaincre que cette énumération de noms n'est
pas seulement toute fortuite, mais, qu'en ce qui concerne les trois
noms soulignĂ©s par nous, elle est encore absolument contraire Ă
la vérité historique. George Sand ne voyait plus Michel de
Bourges depuis 1837, elle l'attaquait indirectement dans ses
Bulletins en 1848, elle employa mĂȘme son influence auprĂšs du
gouvernement provisoire contre Michel lorsqu'il s'agit de le
déléguer à l'Assemblée. Il savait fort bien qu'elle l'avait desservi
et pour cause ; elle le trouvait tiÚde et peu sûr, ce n'était pas un
« républicain de la veille », mais rien qu'un du lendemain, selon
elle.
12) M. Duquesnel assure que le Marquis de Villemer fut une
piÚce écrite « aprÚs un silence de cinq ou six ans aprÚs Maßtre
Favilla ». â Or nous savons qu'aprĂšs MaĂźtre FavĂŻlla, jouĂ© le
15 septembre 1855, on joua la Lucie de Mme Sand en jan-
vier 1856 ; Françoise, le 3 avril de la mĂȘme annĂ©e ; Comme il
vous plaira, le 18 avril toujours de cette mĂȘme annĂ©e ; Margue-
rite de Saint- Gemme, le 23 avril 1859. S'il y eut en effet une lacune
de cinq ans entre la derniÚre piÚce présentée par Mme Sand aux
théùtres de Paris et le Marquis de Villemer, ce fut entre Mar-
guerite de Saint- Gemme et Villemer : 1859-1864; mais il ne faut
pas oublier en outre qu'en 1861 Mme Sand imprima le Drac
et le Pavé dans la Revue des Deux Mondes et que la seconde de
520 GEORGE SAND
ces deux piÚces fut encore représentée en 1862 au Gymnase,
sans la participation de l'auteur.
13) Et pour finir remarquons que M. Duquesnel fait partout
précéder le nom de Mademoiselle La Quintinie d'un de : « Mlle de
la Quintinie », tandis que le nom de cette demoiselle â hĂ©roĂŻne
du roman de George Sand et de la piĂšce du mĂȘme nom qui ne
fut jamais jouée du vivant de T auteur est simplement La Quin-
tinie.
CHAPITRE XIII
1867-1876
Vieillesse sereine. â Les amis. â Les petites filles. â La vie Ă Nohant entre
1867 et 1876. â Les marionnettes. â Les contes d'une graruVmĂšre. â Les
articles pĂ©dagogiques. â 1870. â La Guerre et la Commune. â Le Journal
d'un voyageur â pendant la guerre. â Francia. â Nanon. â Nouvelles lettres
d'un voyageur. â Impressions et souvenirs. â SynthĂšse philosophique et
religieuse. â Les derniers romans : CĂ©sanne Dictrich, Marianne Cherreuse.
â La sĂ©rie des histoires d'un enfant : la Filleule, la Confession d'une jeune
fille, V Autre, Ma saur Jeanne. Flamarande et les Deux frĂšres, la Tour de
PercciĂŻiont, Alhine. â La maladie et la mort. â Les obsĂšques.
Cette derniĂšre pĂ©riode â les derniĂšres neuf annĂ©es de la vie de ^ â <
George Sand â peut ĂȘtre caractĂ©risĂ©e en deux mots : vieil-
lesse sereine. Oui, sereine et lumineuse, elle le fut. Ătant, aprĂšs
de cuisants doutes, de longues recherches et souffrances, arrivée
à une synthÚse complÚte de l'univers, à un idéal religieux précis,
Mme Sand vécut tranquillement ses neuf années, de 1867 à 1876,
entourée de la vénération générale, de l'admiration de ses amis,
de l'adoration de son fils, sa belle-fille et ses petites-filles et
les adorant elle-mĂȘme. Les amis de sa jeunesse Ă©taient Ă cette
Ă©poque tous, ou presque tous, partis pour un monde meilleur, ou
la vie les avait éloignés. Hippolyte Chatiron était mort en 1848,
de Latouche en 1851, Planet en 1853, Jules NĂ©raud en 1855. Il lui
restait Fleury, Papet, Rollinat et Duvernet. Mais Fleury, depuis
son exil et sa rentrée en France, se tenait à l'écart, désapprouvant
les rapports de George Sand avec les descendants de Napoléon ;
Rollinat, depuis son mariage, ne quittait guĂšre ChĂąteauroux et
venait rarement Ă Nohant, quoiqu'il partageĂąt comme par le
passé les chagrins et les joies de son « Oreste », il ne la voyait que
de loin en loin. La mort de ce « cher Pylade », arrivée en 1867,
522 GEORGE SAND
tout en portant un coup douloureux au cĆur de Mme Sand,
n'apporta aucun changement visible dans son existence. Quant Ă
Duvernet, aveugle depuis plusieurs années, il ne pouvait plus,
comme autrefois, ĂȘtre un aide et un soutien pour sa « vieille amie
Aurore ». Il continuait cependant Ă prendre Ă cĆur tous les Ă©vĂ©-
nements de sa vie. Mais la mort l'emporta en 1874. Sainte-Beuve
l'avait précédé en 1869, Barbes, Mme Emilie Chatiron et
Mme Laure Fleury en 1870, Pierre Leroux en 1871. Enfin
en 1875 mourut son vieil ami Jules Boucoiran, F ex-précepteur
de Maurice, le confident de jadis. Mme Sand le connaissait
depuis 1831, alors qu'elle s'apprĂȘtait Ă quitter le foyer con-
jugal.
Mais il s'était formé autour de Mme Sand un nouveau cercle
de jeunes amis ; ceux-ci, de mĂȘme que ses vieux amis d'autre-
fois, lui portaient une tendre sollicitude, un respect tout filial,
un dévouement sans bornes. Nous savons que depuis 1850, ou
à peu prÚs, des relations trÚs amicales s'étaient liées entre elle et
Emile Aucante, Victor Borie, EugĂšne Lambert. Peu Ă peu s'y
joignirent Dumas fils, le prince Napoléon, Charles Edmond
(ChoĂŻecki), Edmond Plauchut, Mme Pauline Villot, Edouard
Rodrigues, Louis Maillard, le gendre de Jules NĂ©raud â Ernest
Périgois, Flaubert et Henry Harrisse, un Américain naturalisé
en France, auteur de plusieurs ouvrages sur Christophe Colomb,
et l'un des habitués des dßners Magny et du salon de la princesse
Mathilde. Il faut y ajouter une sĂ©rie de tout jeunes â des enfants
et petits-enfants â Lucien Villot, Maxime Planet ; les trois
petits-fils d'Hippolyte Chatiron, enfants de sa fille : René, Edme
et Albert Simonnet ; puis Francis Laur, André Boutet, Paul
Albert, le petit-fils de l'amie de Mme Sand, Mme Lebarbier de
Tinan ; le fils d'un vieil ami des Dudevant vers 1830, M. de Vas-
son, M. Paulin de Vasson et sa femme qui Ă©tait une cousine de
Papet et de Périgois ; et enfin, dans les derniÚre* six années de
la vie de Mme Sand, le jeune Henri Amie qui commençait alors Ă
peine sa carriÚre d'écrivain et dont il faudrait dire, en énumérant
tous ces nouveaux amis de Mme Sand, le mot de Shakespeare :
the last but not the least, car il devint bientĂŽt l'un des plus fidĂšles
GEORGE SAND 523
et des plus dévoués amis de Mme Sand et de tous les siens (1).
Mme Sand se lia aussi entre 1860 et 1870 avec la jeune auto-
resss Juliette Lamber, mariée en premiÚres noces avec M. Lames-
sine, puis ayant épousé l'homme politique fort connu, M. Edmond
Adam et ayant, sous ce nouveau nom de Mme Adam, acquis une
célébrité hors ligne comme écrivain, maßtresse d'un salon bril-
lant, politique et littéraire, amie de Gambetta, et amie avant la
lettre de l'alliance franco-russe.
Ses deux petites-filles rirent revivre Ă Mme Sand comme une
seconde maternité, avec toutes ses grandes joies et angoisses,
ses petits chagrins et ses triomphes. Les lettres de George Sand
durant cette période, fussent-elles adressées au prince JérÎme ou
Ă Barbes, Ă Sainte-Beuve, Dumas fils, Flaubert ou Mme Adam,
sans parler de Boucoiran, de Poney, de Charles Edmond ou des
acteurs des Français et de l'Odéon sont, au beau milieu des
nouvelles sociales politiques ou littéraires, des réflexions sur
quelque discours Ă la Chambre ou sur la derniĂšre piĂšce du Gym-
nase, toutes pleines d'adorables mots, de rires et de pleurs enfan-
tins, de premiers pas ou des premiÚres petites dents, de poupées
ou d'arlequins cassés, de détails sur la rougeole, la coqueluche ou
quelque autre petit bobo, d'admiration devant l'esprit d'obser-
vation de l'une, sachant distinguer une couleuvre d'une vipĂšre ;
devant une remarque spirituelle de l'autre Ă propos des actes san-
guinaires de JĂ©hovah ou des fraudes des rois bibliques ou grecs.
Tout cela lui paraissait « admirable », « surprenant », « merveil-
leux », prouvant des capacités presque géniales, ou du moins
les qualités morales incomparables de ces deux enfants qu'aucun
ĂȘtre au monde ne pouvait Ă©galer.
Cette grand'mÚre-là , comme cette illustre aïeule couronnée qui,
dans ses lettres Ă Grimm, se pĂąmait d'admiration devant chaque
fait et geste de son adoré « Monsieur Alexandre », ne se distin-
guait en rien des milliers de grand'mĂšres aimantes; peut-ĂȘtre
eût-elle été capable, ainsi qu'une autre aïeule, que nous connais-
sions, de raconter Ă tous avec enthousiasme que sa petite-fille
(1) Voir son charmant volume, trÚs documenté : George Sand, Mes sou-
venirs.
524 GEORGE SAXD
Ă©tait une enfant extraordinaire parce qu'elle pouvait, toute seule,
regarder une lampe !
Ces derniÚres années de la vie de George Sand sont les mieux
connues. Dans une quantité de livres consacrés à la « Bonne
Dame de Nohant », ou à « George Sand grand'mÚre », et dans
une masse de « Souvenirs » de tous les genres (1), nous avons
lu et nous lisons des descriptions de la vie Ă Nohant.
Levée tard, Mme Sand ne descendait qu'aprÚs déjeuner, et
elle paraissait distraite, un peu endormie aprĂšs son long travail
de la nuit, comme demeurĂ©e encore dans son rĂȘve. AprĂšs dĂ©jeuner,
une promenade dans le parc ou au verger, avec toute sa famille^
les amis ou les connaissances qui se succédaient perpétuellement
Ă Nohant.
Nous lisons Ă ce propos dans les Souvenirs de Mme Adam :
« AprÚs le déjeuner qui a lieu à midi, on va au jardin, un jardin
comme il n'y en a nulle part au monde. Mme Sand y a fait des
« clans » de plantes récoltées partout au cours de ses voyages et
qu'elle a acclimatées à Nohant (2). Il n'y a pas une fleur de ces
plantes qui ne lui rappelle une page de sa vie et quel plaisir on
prend Ă l'interroger dans ce jardin. Mme Sand ne permet pas
qu'on cueille l'une de ces fleurs. C'est dehors qu'on va chercher
celles qui ornent les grands vases de vieux Chine de la cheminée.
La conversation de Mme Sand à Nohant, dans l'intimité de ceux
qu'elle aime et connaßt bien, est une perpétu3lle surprise ; on
éprouve pour elle une constante admiration, tant ses idées sont
personnelles et élevées. Les discussions approfondies qu'elle
appelle en riant creuses, sont rares, parce qu'elle préfÚre les
(1) Parmi tous ces volumes, les plus intéressants sont : 1° Henri Amic :
George Sand, mes souvenirs; 2° Edmond Plauciiut : Autour de Nohant;
3° Juliette Lvmuer (Mme Adam) : Mes sentiments et nos idées avant 1870;
4° Gabriel Nigond : Les Contes de la Limousine ; 5° Firmin Roz et Hugues
Lapaire : la Bonne Dame de Nohant ; G0 le Journal des Goneourt (oĂč l'on
trouve entre autres un curieux récit de Théophile Gautier sur son séjour
à Nohant en 18G9. Voir Journal des Goneourt, t. II, p. 144) ; 7° la série
d'innombrables brochures, livres et articles qu'on trouvera indiqués dans la
Bibliographie Ă la fin de ce volume.
(2) Nous avons pu admirer dans le jardin de Nohant plusieurs arbres rares
ou exotiques, plantĂ©s ou mĂȘme « semĂ©s » par Mme Sand et par Maurice Sand.
â W. K.
GEORGE SAND 525
dĂ©lassements de la gaietĂ©. Dehors, oĂč l'on passe plusieurs heures
aprÚs le déjeuner jusqu'au bain dans l'Indre, la moindre bestiole
intéresse Mme Sand, et comme elle en parle !...
Mme Sand adorait les bains froids jusque dans sa vieillesse,
et dÚs que le temps était beau, on se baignait dans l'Indre. « Une
pĂȘche dans l'Indre agrĂ©mentĂ©e de baignade gĂ©nĂ©rale dans des cos-
tumes indescriptibles nous amuse follement. Mme Sand est celle
qui prend le moins de poissons, mais qui « barbote » le plus (1)... »
Les jours ordinaires et lorsqu'il n'y avait pas de monde Ă
^Xohant, Mme Sand remontait chez elle pour travailler jusqu'au
dßner. Et l'écrivain-grand'inÚre n'était nullement incommodée
d'avoir un arlequin sur chaque bras et un ménage de poupée
installĂ© sur ses genoux. Elle Ă©crivait tranquillement, mĂȘme
lorsque ses « chÚres adorées » interrompaient son travail par les
questions les plus diverses, les remarques les plus inattendues.
Bien plus, sans abandonner le cours de ses pensées ou la trame de
son roman, elle observait en mĂȘme temps les jeux de ses petites-
filles, trahissant leur caractÚre ou leur activité intellectuelle (2).
Puis venait un gai dĂźner au milieu de rires et de farces de toutes
sortes que les amis de la maison et les camarades de Maurice se
faisaient les uns aux autres. Ces farces, ces gais propos, « sans
façons », les hĂąbleries les plus inimaginables et quelquefois mĂȘme
d'un goût trÚs douteux, semblaient à beaucoup de personnes
qui aimaient et vénéraient Mme Sand fort plats et insipides.
On peut trouver quelques spécimens de ces farces et de ce
babillage Ă outrance des Nohantais dans les Souvenirs de
Mme Adam, seulement l'auteur n'a recueilli que les plus...
décents et innocents. On verra que Mme Sand non seulement
y prenait souvent une part active, mais qu'elle attribuait Ă
la « gaieté » des vertus toniques pour l'ùme et le corps. Voici
par exemple ce que nous lisons dans le livre de Mme Adam Ă
propos d'une excursion faite par Mme Sand, lors de son séjour
(1) Mes sentiments et nos idées avant 1870, p. 279.
;2j On trouve Ă ce propos des pages extrĂȘmement curieuses dans la Nou-
velle lettre d'un voyageur « A propos de botanique» adressée à Maurice Sand
et publiée dans la Renie des Deux Mondes en 1863, ainsi que dans plusieurs
lettres de Mme Sand Ă Flaubert.
526 GEORGE SAND
au golfe Juan, Ă l'abbaye de Mont-Rieux oĂč l'on dĂ©jeuna sur
l'herbe.
...La troupe se compose d'Edmond Adam, de Maurice Sand, du
capitaine Talnia (1), d'Edmond Plauchut, de Planet, de Mme Sand,
de Topaze et de moi.
Mme Sand a toute sa verve. Elle constate que notre union est com-
plÚte, que nous pouvons devenir le noyau d'une abbaye de ThélÚme,
et cette abbaye, elle la construit en imagination semblable Ă celle de
Mont-Rieux. On discute sur les heures du lever, du coucher, sur ce que
chacun fera et à quoi il est propre. On me confiera le ménage, le bien
manger.
« Et le bien boire », ajoute Maurice sensible au bon vin français.
Planet, Plauchut, le capitaine Talnia approuvent. Ma fille, qui fait
merveilleusement le « pifferaro », distraira la société par ses danses et
arrangera les fleurs, ait dans lequel elle excelle. Maurice installera les
marionnettes et fera une collection de papillons, que nous vendrons
trĂšs cher aux Anglais. Adam lira les journaux pour tenir l'abbaye au
courant des choses du dehors et fera oua ! oua ! pour nous garder des
intrus quĂŻl n'aime guĂšre. Plauchut voyagera pour nous rapporter
des Ă©pices rares, pour nous gagner de l'argent par ses trafics, mais il
ne fera plus naufrage ! ajoute Adam (2).
Le capitaine fournira le poisson. Planet s'occupera de vĂȘtir la com-
munauté à la condition qu'il ne nous habille pas couleur tabac, sa cou-
leur favorite, et qu'il n'oblige aucun des membres masculins de l'ordre
Ă porter des pantalons Ă petit ponts et des cravates mirifiques.
Mme Sand « propre à tout », dit-elle, ne fera plus d'écritures mais
beaucoup d'essais pour transformer les plantes sauvages en plantes
potagĂšres.
Comment l'abbaye de ThélÚme s'évanouit-elle en fumée et com-
ment à la fin du déjeuner s'était-elle transformée en une roulotte avec
laquelle nous visitions la France tout entiÚre et donnions des représen-
tations de piÚces inédites portant tour à tour les noms des auteurs :
George Sand, Maurice Sand et Juliette Lamber? L'explique qui
pourra !
On parle de gaieté et Mme Sand déclare qu'il est urgent de créer des
cours de gaieté pour les générations nouvelles, que les jeunes, comme
Planet, se portent mal parce qu'ils ne sont pas assez gais.
(1) Mme Sand avait fait sa connaissance lors de son séjour à Tamaris.
C'était le fils du célÚbre artiste.
(2) Adam s'était moqué de Plauchut à propos de son naufrage aux ßles
du Cap- Vert, dont nous avons parlé dans le premier chapitre de notre premier
volume, et l'appelait par dérision « le naufragé des salons ».
GEORGE SAND 527
La gaieté est la meilleure hygiÚne de l'esprit et du corps, dit
Mme Sand ; se porter bien n'a pas d'autre raison que la gaieté.
Et la discussion commence pour n'en finir plus. Le capitaine Talma
et Edmond Adam, tous deux mélancoliques, protestent contre la
gaieté perpétuelle. L'un des deux, approuvé par l'autre, a l'imprudence
de dire que V extrĂȘme gaietĂ© comme Ventendent parfois Mme Sand et
Maurice « entame la dignité ». C'est un haro, un tollé.
Mme Sand devient tout à coup trÚs sérieuse. Elle est éloquente et
prouve qu'il n'y a de bonté durable qu'alimentée par la gaieté, que
les tristes ne sont pas fonciĂšrement bons.
â La gaietĂ© c'est comme la bontĂ©, dit Talma, pas trop n'en
faut!
â Mais, malheureux ! sans bontĂ© les sociĂ©tĂ©s se rongent, se
dévorent.
â Les sociĂ©tĂ©s vivent par l'intelligence.
â L'intelligence sans bontĂ© fait des brutes, des plus brutes que mon
chien Fadet qui est bon.
â Et que fait la bontĂ© sans intelligence?
â H n'y en a pas ; n'est pas bon qui n'est pas intelligent.
â Mais votre chien Fadet?
â Il est comme moi ; bon d'abord, intelligent ensuite. La bontĂ©,
ajoute Mme Sand, c'est l'atmosphĂšre dans laquelle se vivifient les
sociétés, c'est l'attirance du divin sur la terre. Il n'y a que bonté dans
les voies de la vie supérieure. Si l'on étudiait les lois de la bonté,
on y trouverait jusqu'aux attractions des mondes les uns pour les
autres. Il me semble qu'ils s'entr'aident avec bonté entre eux, pour
maintenir les Ă©quilibres et l'ordre dans la matiĂšre, ajoute-t-elle en
riant.
â Oh ! ça, c'est trop fort, c'est du charabia, s'Ă©crie le capitaine.
â C'est de la noyade, ajoute Adam. VoilĂ ce qui arrive Ă ceux qui
piquent des tĂȘtes dans l'universel.
â Que ces gens-lĂ , dit Maurice, en dĂ©signant le capitaine et Adam,
ont comme qui dirait leurs crĂąnes trop Ă©troits pour avoir celui de s'in-
gurgiter les idées de la colonelle ; pour quoique l'un est marsouin et
l'autre pékin? Fusilier Plauchut, ajouta le sergent, fusilier Planet,
cantiniĂšre Juliette, saluez notre chef, George Sand, et un pied de nez
Ă ces autres-lĂ !
Le tout fut fait en trois mouvements.
Puis Maurice nous donna, Ă Mme Sand, Ă Alice, Ă moi un panier vide,
tandis qu'il chargea outre mesure celui des fusiliers Plauchut, Planet et
le sien. La colonelle me prit le bras, tandis que Talma et Adam cau-
saient en arriĂšre, que Topaze et Maurice conversaient en langage
a pioupiou ».
528 GEORGE SAXD
Un peu plus loin, Mme Adam raconte comment ce mĂȘme jour,
George Sand ayant approuvé l'une des idées que Juliette Adam
avait émises et l'ayant embrassée tandis qu'Adam roucoulait
et disait des phrases vraiment « sucrées » à sa femme, Maurice
l'avait promue de cantiniĂšre qu'elle Ă©tait au grade de lieutenant-
colonel.
Ce fut le signal des goguenardises de Maurice qui déclara que puisque
la colonelle, lui, le sargent, les fusiliers Plauchut et Planet, mĂȘme le
capitaine marsouin Talma et le pékin Adam avaient pour ainsi dire
connue une satisfaction de la conduite de la cantiniĂšre Juilliette (on
m'appelle « Juilliette »), il la proposait à l'avancement comme lieute-
nant-colonel...
Nous lisons dans le livre de Mme Adam Ă propos des farces
que les habitués de Nouant se jouaient les uns aux autres, encore
ceci :
DÚs que l'un de nous est envoyé ici ou là pour chercher quelque chose,
il peut ĂȘtre certain qu'on trame une farce contre lui.
Nous nous y prĂȘtons tous avec belle humeur, sauf Adam que les
farces horripilent, la nuit surtout quand on le réveille.
Un soir on a mis un coq dans le coffre Ă bois de notre chambre. Je
le savais ; voilà qu'à une heure ou deux, le matin, ce satané coq chante.
Adam allume sa bougie.
â Bien sĂ»r ce coq est dans notre cheminĂ©e, s'Ă©crie-t-il, mais par oĂč
a-t-il passé?
Alice, dont la chambre donne dans la nĂŽtre, et moi, nous nous cachons
sous les draps pour ne pas trop rire bruyamment. Adam continue Ă
regarder dans la cheminée, mais avec prudence, craignant que, passé
par le toit, le coq ne lui tombe sur la tĂȘte.
Le coq recommence : Cocorico ! Mme Sand, Lina, Maurice, Plauchut,
Planet sont derriÚre la porte, entendent les réflexions d'Adam ; ils le
voient se promener en simple costume de nuit, se pencher dans la
cheminée. Mais tout à coup, furieux, Adam lance un juron formi-
dable et s'Ă©crie :
â Il est dans le coffre Ă bois. Je parie que c'est Maurice qui l'y a
mis.
Il ouvre le coffre. Le coq, pas content d'avoir été enfermé, lui saute
Ă la poitrine. Nouveau juron, plus violent encore. Il tente d'attraper
ce maudit coq, tandis que je m'enfonce de plus en plus sous mes draps.
Enfin, le coq, las de voler, se perche sur le bois de la tĂȘte du lit d'Adam,
GEORGE SAND 529
qui a toutes les peines du monde Ă le saisir. H l'attrape, toujours
sacrant et va le jeter par la fenĂȘtre qu'il a ouverte, lorsque le coq en se
débattant éteint la bougie, s'échappe et vole dans la cour.
Est-ce lui, est-ce Maurice qui chante Ă nouveau : Coricoco !
â Que le diable emporte l'idiot qui a inventĂ© cette farce ! s'Ă©crie
Adam.
Les rires derriĂšre la porte redoublent. Adam la ferme Ă clef et se
recouche.
Il ne m'a pas adressé la parole, soupçonnant bien que je suis complice.
L'Ă©glise est en face de notre chambre. Je dors volontiers le matin
et je parierais que Maurice ou Plauchut ont payé le pÚre Carnat (1)
â le sonneur-fossoyeur â pour qu'il sonne l'angĂ©lus Ă toute volĂ©e.
Adam Ă cette heure-lĂ fait sa toilette. C'est Ă mon tour de grogner.
Je donne 5 francs au pĂšre Carnat pour qu'il sonne moins fort. Maurice
ou Plauchut lui persuade qu'il doit sonner plus fort et plus longtemps
pour que je lui donne davantage.
Le lendemain Adam demande à Plauchut de lui céder son pavillon
au fond du parc. H dit qu'il s'y barricadera, achĂštera un revolver Ă
La Chùtre et recevra les farceurs « à balle ». Quand ce sont les autres
qu'on berne, Adam trouve les farces drĂŽles, mais il n'admet pas qu'on
lui en fasse, parce qu'il n'en fait pas lui-mĂȘme.
Le docteur Pestel qui soigna Mme Sand dans sa derniĂšre
maladie et laissa des Notes trÚs intéressantes sur la maladie et
la mort de Mme Sand et sur les MĂ©decins de Nohant, dit entre
autres, dans ce dernier Ă©crit,
« qu'Ă l'encontre de ce qui existe dans beaucoup de maisons oĂč le
médecin finit par vieillir avec les membres de la famille, dont il devient
quelquefois l'ami et le confident, les médecins, à Nohant, du temps de
George Sand, ne vivaient pas longtemps», un médecin suivait un autre.
Et pour expliquer cette circonstance le docteur Pestel dit une chose qui
donnera peut-ĂȘtre la clef du fait qu'il s'Ă©tait intronisĂ© Ă Nohant, on ne sait
trop quoi : une vraie gaieté, une hilarité, une verve faisant faire des farces
sans fin, ou bien simplement l'habitude de débiter des hùbleries perpé-
tuelles, des blagues les plus incroyables, tantĂŽt pleines d'esprit, tantĂŽt
absolument plates et niaises :
a Mme Sand ne portait pas en elle un grand fond de gaieté, elle
Ă©prouvait le besoin d'ĂȘtre Ă©gayĂ©e. Lorsqu'elle quittait son cabinet de
travail, il lui fallait du monde, du bruit, des rires, au besoin des hom
mages, et mĂȘme de la flatterie auxquels elle Ă©tait fort sensible. SĂ©rieuse,
(1) Ce nom est imprimé : « Carnat » dans lo livre de Mme Adam ; il est évi-
dent que ce n'est qu'une faute d'impression.
,v- 34
530 GEORGE SAND
causant peu, elle aimait les causeurs, voire mĂȘme les bavards. Les
histoires les plus folles, les plus impossibles, racontées avec verve, la
faisaient rire aux larmes, et les conteurs de ces blagues insensées
Ă©taient de tous ceux qui avaient auprĂšs d'elle le plus de succĂšs. Chez
Mme Sand l'impression premiĂšre Ă©tait toute puissante. A premiĂšre
vue, on lui plaisait ou on lui déplaisait. C'est ainsi que le plus souvent
elle jugeait son monde. Bien rarement revenait-elle sur ses jugements
ainsi portés. Cette maniÚre d'apprécier ses semblables expose à bien
des erreurs, car outre que les apparences sont trompeuses chez un
grand nombre d'individus, celui-lĂ mĂȘme qui procĂšde ainsi jugera diffĂ©-
remment un jour qu'un autre la mĂȘme personne suivant qu'il sera plus
ou moins lucide, ou qu'il sera sous l'impression de la souffrance, de
la contrariĂ©tĂ©, du bien-ĂȘtre, de la joie, etc..
Ce n'est pas trop sa faute, aprĂšs tout, si elle Ă©tait ainsi faite, elle
agissait d'instinct et en quelque sorte malgré elle. Dans une organisa-
tion aussi Ă©minemment impressionnable que l'Ă©tait la sienne, l'impres-
sion Ă©tait maĂźtresse du raisonnement de mĂȘme que le sentiment devait
l'emporter quelquefois sur la raison. »
Nous nous contentons de citer cette observation du Dr Pestel,
nous abstenant de la contredire ou de la confirmer.
AprĂšs le dĂźner tous les habitants de Xohant se rendaient dans
le vaste salon Louis XVI gardé tel qu'il était au temps de l'aïeule
de Mme Sand, et s'asseyaient « autour de la table », énorme table
ovale, confectionnée par Pierre Bonnin (1). Les uns faisaient une
partie de dominos, les autres jouaient aux Ă©checs, d'autres encore
dessinaient ou peignaient à la détrempe. On parlait du nouveau
roman de Flaubert, de la derniĂšre piĂšce de Dumas ou de Cadol,
du livre de Darwin ou de Renan. Et des discussions ardentes et
bruyantes s'élevaient, tandis que Mme Sand, aidée de L'mn,
cousait des robes d'enfants ou des costumes pour les marionnettes.
Durant toute sa vie, jusqu'Ă son dernier jour, Mme Sand garda
l'habitude de ne jamais rester oisive ; d'autre part elle conserva
aussi cette adresse des maim, héritée de sa mÚre, pour
toutes sortes de petits travaux et de procédés manuels. Elle
faisait beaucoup de broderies (2), aidait Maurice Ă classer ses
(1) Voir plus haut, chap. xi.
(2) Nous possédons une pelote brodée par George Sand et représentant,
sur un fond rose, une chimĂšre â la devise de Nouant â le « chĂąteau de la
ChimÚre ». (Voir plus haut chap. xi.)
GEORGE SAND 53i
collections minéralogiques ou entomologiques, faisait des her-
biers, découpait à la main des silhouettes de plantes ou de
fleurs, petits chefs-d'Ćuvre d'adresse et de finesse qui ne peuvent
ĂȘtre comparĂ©s qu'Ă des ouvrages chinois ou japonais. Elle faisait
encore des dendrites. On sait qu'on nomme dendrites, en minéra-
logie, des empreintes de plantes dans des cassures de pierres,
ou mĂȘme des restes de plantes pĂ©trifiĂ©es. En examinant un beau
soir un dessin fantastique, créé par le hasard d'un pùté de cou-
leur, qu'on avait écrasé par mégarde entre deux feuilles de papier,
George Sand remarqua que ce dessin reproduisait merveilleuse-
ment une pareille dendrite. Elle voulut répéter cet essai, et,
ayant écrasé ainsi plusieurs pùtés de couleur entre deux feuilles
de papier, elle tĂącha de faire ce que chacun avait fait dans son
enfance : de compléter et de préciser par quelques traits de
crayon ou de pinceau les images qui se présentent dans un pùté
d'encre écrasé. H en résulta un petit tableau, un paysage avec
des figures fantastiques. Mme Sand s'engoua de ce genre de
peinture et on lui prépara d'avance des pùtés de couleurs écrasées
sur des feuilles de papier, afin qu'elle s'amusĂąt, le soir, Ă peindre
ses dendrites, soit Ă l'huile, soit Ă l'aquarelle (1). ...Quelquefois
on lisait Ă haute voix un conte, Ă©crit la veille par George
Sand pour l'une de ses petites-filles, car, comme une vraie
grand'mĂšre, c'est pour ses petites-filles qu'elle semble avoir
écrit alors de préférence. C'est ainsi qu'entre 1872 et 1875 elle
Ă©crivit treize contes : le ChĂąteau de Pictordu, la Reine Coax,
le Nuage rose, les Ailes du courage, le GĂ©ant JĂ©ous, le ChĂȘne par-
lant, le Chien et la fleur sacrée, V Orgue au Titan, Ce que disent
les fleurs, le Marteau rouge, la FĂ©e poussiĂšre, le Gnome des
huĂźtres et la FĂ©e aux gros yeux (2). George Sand s'essaya donc,
outre le roman, le théùtre, les articles de politique ou de critique,
(1) Nous possédons une de ces dendrites, dessinée pour amuser les petites
Aurore et Gabrielle ; elle nous a été donnée par Edmond Plauchut. Elle
reprĂ©sente un paysage fantastique â un golfe au milieu de collines, tapissĂ©es
de broussailles et d'arbustes, et, sur l'une de ces collines, deux petites filles
et un chien, voire : « Lolo et Titite avec Fadet », le légendaire chien de No haut.
Les portraits des deux petites filles et du chien Ă©taient sa signature de peintre.
(2) Huit de ces contes sur treize et Gribouille ont été traduits en russe par
Mme Tolivérow, en 1893. (Devrienne, Saint-Pétersbourg, in-18.)
532 GEORGE SAND
à ce nouveau genre littéraire : la littérature pour enfants, ou
mĂȘme, proprement dit : aux contes d'enfants. Du reste elle avait
dĂ©jĂ Ă©crit plusieurs Ćuvres dans ce genre. En 1837 elle Ă©crivit
pour Solange le Roi des neiges, conte resté inédit. En 1850,
comme nous l'avons indiqué plus haut (1), elle usa du dicton
populaire sur Gribouille qui se jette Ă Veau de peur d'ĂȘtre mouillĂ©
comme d'un thÚme pour écrire son Histoire du véritable Gri-
bouille (2). En 1859, George Sand publia, dans le Figaro, encore
un petit conte, la FĂ©e qui court. Et enfin en 1865 elle dĂ©dia Ă
Manceau un grand conte fantastique et symbolique, la Coupe.
D'autre part, voulant créer à l'usage de la petite Aurore la
meilleure méthode possible pour apprendre à lire et à écrire,
Mme Sand remania pour elle le systÚme tiré par Jules Boucoiran
de la célÚbre méthode Laffore, pour l'enseignement de Maurice.
Mme Sand, avec infiniment d'esprit et un tact pédagogique admi-
rable, sut encore faciliter et simplifier cette méthode. De plus,
elle trouvait nécessaire que l'enseignement de la lecture marchùt
de front avec les premiÚres connaissances enseignées à l'enfant
sur toutes choses. H est trÚs instructif de lire ses réflexions et ses
observations sur ce sujet dans les chapitres xi, xn et xin de ses
Impressions et souvenirs, ayant pour sous-titre : « Pensées d'un
maßtre d'école ». « Le maßtre d'école, c'est moi », dit-elle, car
durant toute sa vie elle a toujours eu quelques Ă©lĂšves Ă qui elle
enseignait l'a b c : ses enfants, sa niĂšce, ses petits-enfants et des
filles de village adultes, des servantes et des sénateurs, bref des
Ă©lĂšves de tout Ăąge et de toute condition ; ces pages sont donc le
résultat de son expérience et de ses observations. Quand, dans
sa jeunesse, elle apprit Ă lire Ă ses enfants, George Sand ignorait
encore beaucoup de choses en matiĂšre d'Ă©ducation qui ne lui
devinrent claires qu'avec l'expérience et le raisonnement, et
(1) Voir plus haut, chap. vin.
(2) Histoire du véritable Gribouille, vignettes par Maurice Sand, gravures
de Delaville (Petite BibliothĂšque blanche. Ăducation et rĂ©crĂ©ation. Hetzel
et O, Paris, 1850.) Cette histoire est dédiée à la fille du vieil ami de l'auteur,
Alphonse Fleury, Mlle Valentine Fleury (plus tard Mme Engelhardt).
Ce conte fut traduit en russe en 1851 par Mme Ogarew. Il parut avec une
préface de Herzeu, à Londres.
GEORGE SAND 533
surtout la patience ; elle dit avoir commis alors beaucoup de
fautes, dont elle se préserva plus tard. Ces trois articles présentent
effectivement une série d'observations infiniment précieuses pour
tout pédagogue, comme pour toute personne s'intéressant aux
questions d'enseignement et d'Ă©ducation primaires. Quand on les
lit, on ne peut pas ne pas ĂȘtre d'accord avec l'auteur sur lef ond
des choses. Le premier de ces articles est consacré non pas pré-
cisément à l'enseignement de la langue, mais bien à ces exercices
préparatoires qui devraient précéder toute étude. On y trouve, de
plus, une foule de conseils inappréciables sur l'éducation en
général. Cet article devrait servir de manuel à tous les péda-
gogues, psychologues, parents, et Ă tous ceux qui osent entre-
prendre cette Ćuvre sacrĂ©e : l'Ă©ducation d'un homme. En lisant
ces fines observations et ces remarques psychologiques pro-
fondes, qui respirent une pénétration infinie de l'ùme humaine
en général et de l'ùme enfantine en particulier, on s'explique
parfaitement l'amour que Mme Sand inspira Ă tous les enfants
dont elle s'était tant occupée, et l'influence qu'elle exerça tou-
jours sur ceux d'entre eux à qui elle avait voué une attention
particuliÚre : la petite Jeanne Clésinger, Aurore, Gabrielle, les
petits Simonnet, Oscar Cazamajou, les enfants de Mme Ber-
tholdi, le jeune Francis Laur, etc., etc. Quelle connaissance de
l'ùme enfantine, de ses capacités, de ses défaillances se laisse
deviner dans ces pages ! Combien humaine la maniĂšre de traiter
l'enfant, et quel extraordinaire savoir-faire pour s'identifier Ă
lui, pour profiter de chaque petit fait, afin de gagner de l'auto-
ritĂ© sur cet ĂȘtre impressionnable ! Quelle profondeur d'amour
pour tous ces petits hommes ! George Sand rejette, cela se com-
prend, non seulement toute brutalité, toute punition et toute
privation pour l'enfant, mais elle Ă©rige tout son systĂšme suivant
les grandes lois psychiques en général, en les appropriant aux
exigences et au caractĂšre de chaque enfant en particulier. Elle
parle de l'art de diriger Yesprit, le cĆur et la volontĂ© de l'enfant
vers un seul but : lui apprendre Ă aimer le travail, Ă aimer le savoir
et Ă aimer dans le strict sens du mot. George Sand donne une
série de conseils fort utiles à ce propos ; on voit qu'en vrai vir-
534 GEORGE SAND
tuose, elle savait jouer sur les cordes les plus tendres du cĆur
enfantin, les faisant toujours vibrer le plus harmonieusement
possible.
Les deux autres articles sont consacrés à l'analyse de la
« méthode lafßorienne », créée et publiée dÚs 1826 par M. de Bour-
rousse de Laffore, ainsi que de la méthode employée par George
Sand elle-mĂȘme pour fane apprendre Ă lire et Ă Ă©crire Ă ses Ă©lĂšves.
La lettre à Charles Edmond sur la ponctuation (le numéro VI
des Impressions et souvenirs) se rattache Ă ces deux articles et
présente aussi une série de pensées trÚs intéressantes sur l'ensei-
gnement de la langue et de la grammaire.
Les contes de George Sand ont aussi une signification, surtout
pédagogique ; ils ne se distinguent pas tant par leurs qualités
poétiques que par la moralité qu'ils renferment : ils tendent, avant
tout, par des allégories et des symboles transparents, à inculquer
aux enfants les mĂȘmes principes et Ă diriger leur activitĂ© psyclĂč que
vers les trois mĂȘmes buts : V amour pour le travail, le dĂ©sir d'ap-
prendre et l'amour du prochain, George Sand conseillait de les
développer chez tout élÚve, avant de lui enseigner à lire.
Au risque d'ĂȘtre taxĂ© d'hĂ©rĂ©tique littĂ©raire, nous dĂ©clarons
que ces contes manquent de vraie poésie, surtout si on les com-
pare aux contes d'Andersen ou aux contes des Ă©crivains allemands
et slaves. La plupart d'entre eux sont eu outre peu faits pour
ĂȘtre compris des enfants ou leur faire plaisir. Notre critique
s'adresse surtout au plus long de ces contes : le ChĂąteau de Pic-
tordu. Au fond c'est lĂ simplement un petit roman, peignant,
sous une forme fantastique, le réveil et l'éclosion d'un talent inné,
ce thĂšme ne convient pas Ă un conte d'enfants. George Sand
l'avait déjà plusieurs fois traité : dans la Fille d'Album), Cari,
Consuelo, etc., etc. Le Chùteau de Pictordu contient un trÚs inté-
ressant et trĂšs remarquable caractĂšre, celui du pĂšre, un peintre Ă
la mode peignotant de petits portraits bien léchés; et à cÎté de ce
pÚre grandit et se développe le talent prime-sautier et original de
sa fille, une fillette rĂȘveuse, maladive, mais poursuivant Ăąprement
la vérité dans l'art, aspirant à y atteindre la perfection, y cher-
chant son propre chemin et finissant par arriver à la célébrité.
GEORGE SAND 535
ĂbauchĂ© en deux ou trois traits de plume, le portrait de la
seconde femme du peintre, Mme Laure, une coquette fanfre-
luchĂ©e, ruinant son mari et s'apprĂȘtant Ă vivre aux dĂ©pens de sa
belle-fille, est également trÚs réussi. Cette Mme Laure nous paraßt
une vraie héroïne du second Empire, trÚs ressemblante à ses
sĆurs les hĂ©roĂŻnes de Zola, Daudet, etc. George Sand sut saisir
et peindre en peu de mots, avec un art extraordinaire, ce nouveau
type, ressemblant si peu aux héroïnes de sa jeunesse. Les « grandes
coquettes » et les dissipatrices ont existé de tous les temps, George
Sand les a peintes dans ses premiers romans, mais Mme Laure
possÚde un si naïf cynisme, elle bat monnaie avec une facilité
merveilleuse qui ne se voyait que chez les petites dames con-
temporaines de Mlle de Montijo. Intéressants et trÚs bien peints
Ă©galement, le vieux comte de Pictordu et sa fille. Ces deux per-
sonnages reflĂštent le monde de vieilles comtesses oĂč Aurore Dupin
vécut sa toute premiÚre jeunesse, et de celui de ses aristocratiques
amies de couvent. TrĂšs curieux type aussi le docteur, ami des arts,
il est le porte-parole de l'auteur lui-mĂȘme. Il estime qu'un vrai
talent fera toujours son chemin, qu'il ne faut que le diriger, mais
point le cultiver comme une fleur de serre. Il est partisan de l'élé-
ment fantastique dans l'existence de l'enfant (1). C'est pour cela
qu'il laisse la jeune artiste se libĂ©rer peu Ă peu elle-mĂȘme de sa
croyance aux visions fantastiques â aux apparitions de la
« muse de Pictordu », etc. La fillette devine que toutes ses
visions n'étaient que de vagues élans de sa fantaisie créatrice :
elle ne savait pas encore la maniÚre de les réaliser en une forme
plastique. Tout cela est entremĂȘlĂ© de descriptions adorables du
vieux chĂąteau et du jardin, ce qui permet Ă George Sand de
briller, comme toujours, par ses connaissances botaniques. Et
« l'élément fantastique », toutes ces apparitions de la fée du
chùteau, de la statue parlante, sont si poétiquement vagues, et
plus tard se laissent s'expliquer d'une maniĂšre si naturelle,
qu'elles ravissent le lecteur le plus « rationnel », aussi bien que
les enfants.
(1) A comparer avec' ce que George Sand dit dans YHistoire de ma rie
(vol. II, p. 156-160) du merveilleux dans la vie de l'enfant.
536 GEORGE SAND
Mais nous le répétons, le Chùteau de Pictordu n'est point une
histoire pour de petits lecteurs, mais un roman minuscule, ou
mĂȘme une Ă©tude psychologique, basĂ©e sur des observations et
des remarques si fines qu'elles ne peuvent ĂȘtre comprises que par
des adultes.
Les soirĂ©es oĂč Maurice donnait Ă Nohant ses reprĂ©sentations
de marionnettes Ă©taient de vraies petites fĂȘtes. On en a des
descriptions pleines de verve et de couleur dans les livres de
MM. Amie, Mes Souvenirs, Plauchut, Autour de Nohant et dans
le volume II des Souvenirs de Mme Adam, dont nous avons dĂ©jĂ
citĂ© mainte page, et enfin dans l'article de Mme Sand elle-mĂȘme :
les Marionnettes de Maurice Sand (le dernier article publié du
vivant de George Sand), que nous avons cité au chapitre x.
Tout ce qu'on raconte sur l'impression produite par ces repré-
sentations sur les spectateurs nous semble â ainsi qu'Ă tous
ceux qui n'y ont point assistĂ© â si inexplicable et si peu probable
que nous emprunterons encore au livre de Mme Adam la des-
cription de l'une de ces soirées. Le témoignage d'une personne
y ayant assistĂ© pourra peut-ĂȘtre faire comprendre au lecteur
quelle était la cause mystérieuse de l'action incompréhensible
exercée par ces fantoches sur ous les habitués de Nohant. En
racontant comment on fĂȘta l'anniversaire de Mme Sand en 1868,
â et selon les traditions non pas le 1er, mais le 5 juillet, â
Mme Adam dit :
On déjeune gaiement, on se promÚne toute l'aprÚs-midi, on goûte
et l'on ne dĂźne pas, car on doit souper aprĂšs les marionnettes.
Enfin nous allons assister à une représentation de ces marionnettes
qui passionnent tant notre curiosité. Nous connaissons par leurs
noms, avant de les voir : Balandard, Coq-en-Bois, le capitaine délia
Spada, Isabelle, Rose, CĂ©leste, Ida, et tous, toutes. Alice rĂȘve du
monstre vert, Belsébuth. Elle demande qu'il apparaisse.
Nous sommes en costume de grande premiÚre, décolletées. Le pro-
gramme de la soirée est affiché partout. Les marionnettes jouent Alomo-
Alonzi le bĂątard ou le brigand de las Sierras. Maurice passe vingt nuits
pour amuser une heure son adorée mÚre. Notre impatience est grande.
Mme Sand n'est pas la moins occupée de cette « premiÚre ». Elle ques-
tionne Maurice curieusement. Il reste muet.
GEORGE SAND 537
â Songez, me dit-il, comme le risque d'une chute est grand pour
celui qui tient le rĂŽle des acteurs au bout de ses doigts, qui est l'auteur
de la piÚce, le décorateur, le machiniste, le directeur. Et si Adam allait
faire oua ! oua ! Si Topaze et sa mÚre étaient comme qui dirait rasées 1
â Ce sera exĂ©crable ! marmotte le fusilier Plauchut.
Mme Sand se fùche, presque sérieusement.
â Trente jours d'arrĂȘts au fusilier Plauchut, en rentrant Ă Paris,
prononce avec dignité le sargent.
â EndossĂ©s, les trente jours, Ă la condition que tu viennes me les
faire faire, sargent, répond le fusilier.
Enfin, le moment solennel arrive. Nous défilons gravement, selon
le rang que Mme Sand nous assigne. Nous entrons dans la salle de
théùtre que nous ne connaissons pas encore et qui est brillamment
Ă©clairĂ©e. A gauche, la grande scĂšne, oĂč l'on joue la grande comĂ©die, en
face, le théùtre des marionnettes avec un rideau étonnant, peint par
Maurice, bien entendu.
Le rideau se lĂšve ; la toile de fond a des perspectives extraordinaires.
Nous voilà transportés en Espagne dans las Sierras.
Nous sommes prĂ©venus qu'il est pernĂčs d'interpeller les acteurs,
que l'action et le dĂ©nouement lui-mĂȘme peuvent ĂȘtre influencĂ©s par
les spectateurs. Maurice n'ayant de respect que « pour ce genre de
suffrage universel ».
Balandard, directeur de la troupe, entre et nous apprend ce que je
viens de dire : le personnage à la fois gourmé et sympathique ajoute :
« On va s'amuser. »
Oh! Balandard! sa redingote, son gilet blanc impeccable, son
immense chapeau qui le couvre ou qu'il tient Ă la main avec tant de
dignité ! C'est George Sand qui est son tailleur, et il s'en vante à tout
propos.
Dans la crainte que nous ne sachions pas lire les affiches, Balandard
est venu nous répéter le titre de la piÚce. « Je compte, ajoute-t-il,
que vous m'honorerez de votre indulgence ; je vous la rends. »
â Ban tan plan ! rĂ©pond Plauchut qui continuerait si un vigoureux :
« Silence dans les rangs tan plan ! » ne l'arrĂȘtait.
La piĂšce commence. Elle est abracadabrante. Les spectateurs
demandent des explications. On dénonce les traßtrises à la victime
menacée. Le public s'impatiente de ses propres interruptions et s'em-
porte. Maurice répond à qui l'interroge, réenchaßne l'action, impro-
vise, fait tĂȘte Ă tous les imprĂ©vus.
Est-ce la merveille des physionomies des marionnettes, taillées et
peintes presque toutes par Maurice? Est-ce l'art avec lequel il les fait
mouvoir, les met en lumiÚre? Sont-ce leurs gestes stupéfiants de réa-
lité, la promptitude qu'elles mettent à aller, à venir, à entrer, à sortir,
538 GEORGE SAND
à rentrer, est-ce la merveilleuse réalité avec laquelle elles sont habillées
dans le plus petit détail par Mme Sand, est-ce le tout? Mais ces poupées
parlantes auxquelles on s'adresse, qui vous répondent, prennent à tel
point les apparences de la vie qu'au bout d'un temps trĂšs court on les
croit réelles.
Les « habitués » du théùtre qui connaissent les personnages pour
ainsi dire en dehors de leurs rĂŽles ou dans l'ensemble de ces rĂŽles, dans
leur caractĂšre que Maurice respecte, dans leur genre, car ils ont chacun
leur emploi déterminé et ne jouent jamais un rÎle en désaccord avec
leur talent, avec- leur moralité ou leurs vices ; les habitués, dis-je,
accordent déjà une part de vie à ces personnages dÚs qu'ils appa-
raissent. Chacun a ses préférences, voire ses faiblesses pour tel ou tel.
On sait que Plauchut ne peut voir Mlle Olympia Nantouillet sans un
plaisir qu'il manifeste. Lina chérit Balandard. Mme Sand a un goût
marquĂ© pour le doge de Venise et Gaspardo, le meilleur pĂȘcheur de
l'Adriatique. Planet courtise Mlle Ida. Pour moi, un choix s'impose.
Coq-en-Bois n'a jamais aimé personne. Il dédaigne le sexe et lui manque
souvent de respect. Nous avons le coup de foudre l'un pour l'autre. Je
lui fais une déclaration publique, il y répond.
â Comment, toi, Coq-en-Bois, jusqu'ici fidĂšle Ă ton nom, toi aussi,
malheureux, te voilà pincé ! s'écrie Lina.
Et Coq-en-Bois, aprÚs une déclaration brûlante, m'invite à souper
« à nous deux » chez Brébant, en cabinet particulier.
Adam proteste et s'écrie : « Ah ! non, par exemple ! »
Nous éclatons de rire. Mme Sand, ravie, déclare qu'Adam s'est laissé
prendre, que c'est l'un des plus grands succĂšs de Maurice.
Plus tard, Ă souper, la piĂšce finie au milieu de bravos, de rappels,
Mme Sand interroge Ă nouveau Adam sur son interruption.
â Je n'ai pas cm Coq-en-Bois vraiment en vrai, nous dit-il, mais
pourtant sa déclaration et sa proposition m'ont em...nuyé !
Le lendemain nous visitons le théùtre, les costumes d'une vérité
infinie auxquels Mme Sand travaille depuis plus de vingt ans. Elle est
une costumiĂšre, une habilleuse incomparable.
Les marionnettes n'ont pas un mĂštre de hauteur, Edouard Cadol
et EugÚne Lambert ont seuls aidé Maurice ; le premier à les sculpter,
le second Ă les peindre. Leur visage, leur buste (1), leurs bras, sont
garnis de peau, les femmes peuvent ĂȘtre, dĂ©colletĂ©es et les hommes
lutter à demi nus. Elles ont des cuirasses en carton de façon à ce
qu'elles se tiennent ferme, tantÎt assises, tantÎt posées sur des supports.
(1) On sait par le livre de M. Plauchut que les « dames » de la troupe, grùce
Ă des « toupies -> placĂ©es sous la peau qui couvrait leur buste pouvaient mĂȘme
charmer les spectateurs par un décolletage... assez décent.
GEORGE SAND 539
Ces supports trĂšs curieux sont des tiges de fer avec un bouchon au
bout, ce qui fait que la moindre chiquenaude de Maurice les agite et
que lorsqu'il y a un grand nombre de personnages en scĂšne tous ont
l'air d'écouter et de tressaillir au besoin à un récit.
Dans certaines piĂšces militaires, Maurice met en ligne avec un art
de perspective inimaginable, des milliers d'hommes qui manĆuvrent.
Quant à la pluie, à l'orage, c'est à s'y méprendre, et la réalité en est
complĂšte, il tonne, des Ă©clairs sillonnent la scĂšne, l'eau tombe.
Ces centaines de marionnettes, on voudrait les nommer toutes, car
toutes, à un moment, on les a aimées ou détestées. H y a des traditions
pour plusieurs. Ainsi les entrées en scÚne du facteur sont toujours déso-
pilantes. Dans les moments les plus dramatiques, il raconte ses peines
de cĆur. Et Bassinet, le garde champĂȘtre ! Et Purpurin, et le comte
des Andouilliers et Mlle Eloa ! Et Chalumeau, et Friturin : quelle pléiade
de comiques ! Et la comédie italienne au complet, et Bamboula, la
négresse, Bosalie, la femme de chambre qu'on retrouve sans cesse, le
colonel Vertébral, la comtesse de Bombricoulant. J'en oublie la moitié ;
qu'ellesme pardonnent ! Les trucs du théùtre des marionnettes de Mau-
rice Sand ont étonné tous les directeurs des plus grandes scÚnes de Paris.
Tous les hivers, ou plutĂŽt au commencement du printemps,
Mme Sand allait à Paris pour voir ses amis aux célÚbres dßners
Magny ou pour placer une piĂšce nouvelle. On trouve dans le
Journal des Goncourt ainsi que dans le livre de Mme Adam pas
mal de croquis pleins de coloris, dépeignant l'apparition de
Mma Sand à ces dßners, sa sauvagerie et son air dépaysé au milieu
de tous ces Ă©crivains naturalistes et gens de lettres par excel-
lence (1), ses idées et ses discours ressemblant si peu à ce qui
s'y disait, lorsqu'elle ouvrait la bouche, et son silence au milieu
d'eux, le plus souvent. Us notent mĂȘme ses toilettes : un jour
Mme Sand apparut au dĂźner Magny en robe « fleurs de pĂȘcher, une
toilette, je crois bien, tout en V honneur de Flaubert », comme le
remarquent les Goncourt avec malice (2).
Presque tous les ans Mme Sand entreprenait quelque petit
voyage. C'est ainsi qu'en 1866 elle alla, comme nous l'avons vu,
« courir avec ses enfants » en Bretagne, pour peindre sur nature
des esquisses pour Cadio. Avant cette excursion et aprĂšs,
(1) Voir surtout la page 21 du troisiĂšme volume du Journal des Concourt.
(2) Journal des Goncourt, t. III, p. 51, 21 mai 1866.
540 GEORGE SAND
Mme Sand alla par deux fois en Normandie, Ă Croisset, chez
Flaubert qui désirait lire à sa « chÚre maßtre » quelques cha-
pitres nouveaux de son SaM Antoine-, et chez les Lambert et les
Dumas à Saint- Valéry.
C'est au commencement de 1868 que Mme Sand séjourna
quelques semaines avec Maurice, Plauchut et Maxime Planet au
Golfe Juan chez Mme Adam. Lorsque Mme Sand se disposait Ă
partir pour BruyÚres, elle mit une « condition » à Mme Adam :
c'était de n'y rencontrer ni Solange, ni Mérimée. Mérimée qui
vivait à proximité et venait souvent aux BruyÚres, dÚs qu'il sut
que George Sand allait venir, pria avec beaucoup de tact
Mme Adam de le prĂ©venir, afin de se tenir Ă distance. Quant Ă
Solange, Mme Sand avait, à cette époque, refusé de voir et de
recevoir sa fille. Voici ce que Mme Maurice Sand nous avait dit
Ă ce propos :
« Lorsque je n'étais pas encore mariée, je voyais quelquefois
Solange, parce que mon pĂšre la connaissait dĂšs son enfance.
Mais quand j'ai épousé Maurice, Mme Sand me dit : « Mon
enfant, tu ne dois pas la voir, parce que si elle vient chez toi,
cela voudra dire qu'elle nous fĂąchera tous les uns contre les
autres, c'est ainsi qu'elle est. » Je ne la voyais donc pas, d'au-
tant plus que Maurice me l'avait défendu (1). Il ne la voyait
pas alors, non plus. On ne se vit qu'en 1870, au moment de la
guerre... » Et lorsque la jeune Mme Lina avait prié Mme Sand
de recevoir Solange, disant qu'elle avait peut-ĂȘtre changĂ© en
mieux et n'Ă©tait peut-ĂȘtre « pas si mauvaise » qu'on le croyait,
George Sand refusa longtemps d'acquiescer Ă cette priĂšre, disant :
« Prends garde, il n'en résultera rien de bon, mais sûrement
beaucoup d'ennuis... »
AprĂšs la mort de Mme Emilie Chatiron, Solange acheta Ă sa
(1) Mine Lina ignorait Ă cette Ă©poque que son mari voulait la tenir Ă dis-
tance de sa sĆur, Ă cause des principes immoraux de cette derniĂšre, et mĂȘme
plus tard, en 1873, lorsque Mnie Lina Sand avait fait un court séjour à Paris,
George Sand lui avait Ă©crit le 19 janvier : i VoilĂ Sol aprĂšs Plauchut qui ne
saura pas dire que tu n'es pas Ă Paris, et alors elle se mettra aprĂšs toi. Ne te
laisse pas envahir ni ennuyer. D'autant plus que toutes ses tendre -
servent qu'à mieux nous cracher au visage plus tard. »
GEORGE SAND 541
fille, Mme Simonnet, Montgivray et s'y installa à proximité de
Nohant. Ce voisinage inquiéta beaucoup Mme Sand. Effective-
ment, Solange apparaissait de temps en temps Ă Nohant et
chacune de ces « apparitions » était signalée par quelque ennui.
Elle critiquait tout ce qui se faisait Ă Nohant, trouvait mauvais
tout ce que faisait sa mĂšre : tout le monde Ă©tait sur le qui-vive
quand elle était là . Les années suivantes elle prit l'habitude
de venir de grand matin, elle passait par l'entrée de service et
s'introduisait auprĂšs de sa mĂšre endormie, lui disant plus tard :
« Ah ! maman, tu es bien mal gardée, je suis venue t'embrasser,
mais on aurait pu t'assassiner que tu ne l'aurais pas entendu. »
Mme Sand avait en effet un sommeil trĂšs durt Ces propos lui
étaient trÚs désagréables. De plus, elle était trÚs confiante, ne
cachait rien, et Solange, en entrant chez elle, lisait ce qu'il y avait
sur la table. Les domestiques laissaient passer Mme Clésinger,
comment ne pas laisser passer la fille de la maison qui vient
embrasser sa mĂšre? 1 Et comment dire aux servantes de ne
pas la laisser entrer? Mme Sand était trÚs mécontente, et d'autre
part c'était trÚs désagréable pour Maurice et pour Lina. Afin
de remédier à cela, la petite Aurore se levait de trÚs grand
matin, s'asseyait prĂšs de la porte de sa bonne mĂšre et ne lais-
sait entrer personne chez elle, pas mĂȘme Solange, malgrĂ© toutes
ses instances...
En 1868, George Sand avait donc refusé de voir sa fille.
Mme Adam ne la frĂ©quentait pas, mais au moment oĂč Mme Sand
allait arriver aux BruyÚres, Solange vint à Cannes « en bonne
fortune », c'est-à -dire accompagnée d'un monsieur qui la « pro-
menait ». Mme Adam s'empressa de tranquilliser Mme Sand.
Pour Solange, je l'ai en sainte horreur, car c'est elle qui répand le
plus d/3 calomnies sur vous et qui se plaßt avec un art de méchanceté
inouïe, à les faire rebondir quand elles sont lancées. Pour Mérimée je
sais qu'il vous Ă©vitera avec plus de soin que vous n'en mettrez Ă l'Ă©viter.
Mais Solange s'empressa de déclarer à l'un des amis de
Mme Adam qu'elle saurait bien empĂȘcher sa mĂšre de venir chez
Mme Adam, Mme Sand refusant de la voir depuis une année, il
542 GEORGE S AND
lui Ă©tait impossible d'admettre qu'elle lui infligeĂąt ici cette
humiliation.
Mme Sand, ajoute Mme Adam, aprĂšs avoir transcrit ces mots,
m'avait parlé plus d'une fois de sa fille. Elle souffrait cruellement de
sa conduite. Le pire est que des questions d'argent Ă©taient parfois
mĂȘlĂ©es Ă ses liaisons. Mme Sand qui Ă©tait rien moins que riche, ayant
toujours tout donné et si peu gardé, lui faisait une rente de 6 000 francs
pour qu'elle n'ait pas le prétexte de la pauvreté pour commettre cer-
tains actes. J'ai plusieurs fois rencontré Mme Clésinger. Elle est grande,
trĂšs belle personne, avec des traits masculins ; elle ne peut passer ina-
perçue tant elle frappe par quelque chose de personnel, d'original, de
particulier. Elle a beaucoup d'esprit, trop cru, dit-on. L'intelligence
Ă©clate dans sa physionomie et la hardiesse dans ses yeux... AprĂšs sa
séparation, Solange, qui n'avait jamais été bonne, était devenue mau-
vaise.
Chaque fois qu'elle arrivait Ă Xohant, me disait Mme Sand, il ne lui
fallait pas huit jours pour nous rendre Ă tous la vie impossible. Elle
entre-croisait de façon si perfide et si habile ses dénonciations de chacun
à chacun que l'on finissait par se détester sans pouvoir en trouver une
raison majeure. Jusqu'aux coqs devenaient plus batailleurs, jusqu'aux
chiens étaient plus hargneux durant le séjour de Solange...
Cela fait que le 12 janvier 1868 George Sand Ă©crivit Ă Mme Adam
qu'outre le grand froid et le désir de ne point abandonner seule
h Nohant sa Lina (qui attendait alors la venue de son troi-
siÚme (1) enfant, Gabrielle), il y avait encore une raison spéciale
qui retardait le voyage aux BruyĂšres :
« ...H y a quelqu'un à Cannes (une personne qui me touche de prÚs)
et prĂšs de qui je n'aime pas Ă me trouver en province. Vous me com-
prenez. J'attends donc qu'elle parte, que chez moi on se porte bien et
que moi-mĂȘme je sois en Ă©tat de partir sans maux d'entrailles, chose
trÚs grave pour moi. Tout cela n'est pas ma faute et mon désir d'aller
Ă vous n'est pas moins vif, au contraire. J'irai, mais fixer le jour est
encore impossible. J'ai fort Ă faire Ă Paris et je ne puis m'y rendre...
...La personne dont je vous parlais m'a Ă©crit pis que pendre sur votre
climat, sur votre habitation perchée dans les airs, etc.. N'allez pas
croire que je me soucie de cela. S'il fait froid aussi dans le Midi â et je
(1) Mme Adam par erreur dit dans son livre que c'était le « second » enfant
de Maurice et Lina ; elle oublie sans doute le petit Marc-Antoine.
GEORGE SAND 543
m'y suis toujours attendue â je m'en moquerai bien quand je me
porterai bien... »
Mme Sand va enfin venir. Elle me prie de m'informer de la personne
qui accompagne Mme Clésinger. Je lui écris que c'est le prince X... qui
la « promÚne ». Et elle me répond :
« Justement le promeneur actuel de cette dame est le plus grand fou
et le plus grand sot qui existe, malgré beaucoup d'esprit, de talent et
de bonté... En outre il n'a aucune idée des convenances morales quel-
conques et ne manquerait pas de venir me parier comme si de rien
n'Ă©tait. Il faut absolument qu'ils soient partis pour que je parte. Mes
paquets sont toujours lĂ qui me regardent d'un air d'impatience.
Avertissez-moi, chĂšre enfant, dĂšs que ces voyageurs seront en route.
Je vous aime et je vous embrasse tous les trois... »
Je confesse que j'aurais volontiers envoyé au diable Solange et son
« promeneur ».
Enfin la difficulté fut levée : Lina Sand, malgré sa grossesse
avancée, insista pour que Maurice accompagnùt sa mÚre. Mau-
rice « au besoin saurait empĂȘcher les persĂ©cutions et les bra-
vades ». Et puis il se trouva que « le monsieur » n'était pas celui
qu'on pensait », disait George Sand dans sa lettre du 7 février 1868.
C'est ainsi que vers la mi-février George Sand put se rendre
aux BruyĂšres, avec Maurice et Maxime Planet. Plauchut, qui
séjournait chez son frÚre à Nice, les rejoignit chez Mme Adam.
On lit avec un plaisir extrĂȘme la description de ce sĂ©jour de
George Sand au Golfe Juan dans le livre de Mme Adam : Mes
sentiments et nos idées avant 1870, dont nous avons cité tant de
belles pages. On y apprend non seulement tout l'historique des
relations entre les deux femmes illustres, on y lit encore une
quantité de lettres inédites de George Sand des plus curieuses,
des résumés presque sténographiques des causeries entre George
Sand et Juliette Adam ou Juilliette des BruyĂšres, soit chez elle,
soit à Nohant, durant les séjours qu'elle et sa famille y firent
en 1868, 69 et 70. On y trouve aussi de magnifiques pages Ă©mues
et profondément senties, caractérisant George Sand comme écri-
vain et comme femme, « bienfaitrice et bienfaisante » par ses
idées, ses tendances, aspirant toujours à s'élever plus haut et
à aider les autres à acquérir une plus haute conception de la vie.
Enfin on lit dans ce livre charmant le récit d'un voyage que
544 GEORGE SAND
M. et Mme Adam et Mlle Alice Lamessine firent avec Mme Sand
et Plauclmt dans les Ardennes, Ă la frontiĂšre belge, oĂč ils visi-
tÚrent les célÚbres grottes de Han, le champ de Waterloo et les
Dames de Meuse. George Sand plaça dans ce pays l'action de son
roman M alg rétout.
Puis, Mme Sand revisita encore une fois l'Auvergne et la Savoie,
toujours en vue de chercher un cadre pour ses nouveaux romaûs.
En 1872 elle alla à Cabourg afin « d'y plonger » un reste de coque-
luche dont ses petites-filles et elle-mĂȘme avaient Ă©tĂ© atteintes
cet été.
Nous avons déjà dit (voir notre volume Ier) que ces paysages,
ces montagnes, ces vallées et ces hameaux consciemment « pris
sur nature » tout à fait comme par un adepte de l'école natura-
liste ne produisent jamais l'impression ineffaçable laissée par
les descriptions du Berry ou de Venise, qui s'étaient imprégnées
inconseiemmmt dans le souvenir de la grande romanciĂšre.
La vie paisible Ă Nouant, vouĂ©e exclusivement aux intĂ©rĂȘts
scientifiques et artistiques, fut brusquement interrompue par
la guerre de 1870 et les horreurs de la Commune et de sa répres-
sion.
Mme Sand accueillit l'ouverture des premiÚres hostilités avec
un sentiment de révolte et de profonde indignation.
Je trouve cette guerre infĂąme, â Ă©crit-elle le 26 juillet Ă Flaubert,
â cette Marseillaise autorisĂ©e, un sacrilĂšge. Les hommes sont des
brutes féroces et vaniteuses ; nous sommes dans le deux fois moins de
Pascal ; quand viendra le plus que jamais? (1).
Nous avons ici 40 et 45 degrés de chaleur à l'ombre. On incendie les
forĂȘts : autre stupiditĂ© barbare ! Les loups viennent se promener dans
notre cour, oĂč nous les chassons la nuit, Maurice avec un revolver, moi
avec une lanterne. Les arbres quittent leurs feuilles et peut-ĂȘtre la vie.
L'eau à boire va nous manquer ; les récoltes sont à peu prÚs nulles, mais
nous avons la guerre, quelle chance! L'agriculture périt, la famine
menace, la misĂšre couve en attendant qu'elle se change en Jacquerie ;
mais nous battrons les Prussiens. Malborough s'en va-t-en guerre !
(1) Mme Sand adorait ces ligues de Pascal : « La nature agit par progrÚs
itus et redilus... Elle passe et revient, puis va plus loin, puis deux fois moins,
puis plus que jamais... » Elle avait copié et collé cette phrase sur son bureau
de travail Ă Nohant. Ce bureau appartient maintenant Ă M. Henri Amie.
GEORGE SAND 545
Tu disais avec raison que, pour travailler, il fallait une certaine allé-
gresse ; oĂč la trouver par ce temps maudit? Heureusement, nous n'avons
personne de malade Ă la maison. Quand je vois Maurice et Lina agir,
Aurore et Gabrielle jouer, je n'ose pas me plaindre, de crainte de
perdre tout.
Je t'aime, mon cher vieux, nous t'aimons tous...
C'est absolument la mĂȘme indignation douloureuse, le mĂȘme
regret de voir deux peuples chrétiens piétiner toutes les lois
humaines et divines, qui se laissent voir dans les notes de George
Sand journellement jetées sur le papier du 15 septembre 1870 au
10 février 1871, tantÎt une page, tantÎt rien que quelques lignes ;
elles furent imprimées en 1871 dans la Revue des Deux Mondes,
puis en volume sous le titre de Journal d'un voyageur pendant la
guerre. George Sand Ă©crivit ce journal tant Ă Nohant qu'Ă La
ChĂątre et Ă Boussac oĂč elle avait emmenĂ© sa petite famille, une
épidémie de petite vérole noire ayant éclaté alors à Nohant,
comme en beaucoup d'autres endroits de France.
H est trĂšs curieux de confronter la premiĂšre partie de ce
Journal avec le roman de Nanon paru en 1872. H est trĂšs pro-
bable que Nanon, Ă©bauchĂ©e en 1868 et dont l'action se passe Ă
la mĂȘme Ă©poque que celle de Cadio, prit sa forme dĂ©finitive,
sous l'influence des observations faites, en 1870. On y retrouve
le reflet de la guerre aux Allemands, projeté sur le paisible Berry
éloigné des hostilités. Car nous voyons dans Nanon, à rencontre
de ce qui se passe dans Cadio, comment dans un coin du Berry
éloigné du théùtre de la guerre (guerre civile ici), les événements
agissent indirectement sur la vie de la population, comme s'ils
ne l'effleuraient que légÚrement de leurs ailes noires, sans changer
le cours paisible de l'existence laborieuse de ces humbles et simples
gens. Et cependant ces grands cataclysmes sociaux ont leur contre-
coup dans la conscience et la raison des personnes demeurées
tout Ă fait Ă l'Ă©cart de toute politique, de toute participation Ă
la vie publique.
C'est cette mĂȘme idĂ©e qui dicta Ă George Sand le dĂ©but de
son Journal d'un voyageur pendant la guerre. Elle envisage les
événements qui viennent d'éclater, trÚs impartialement, elle
,v- 35
546 GEORGE SAND
s'indigne de voir d'eux peuples civilisés, laborieux, -vivant pai-
siblement cĂŽte Ă cĂŽte, se ruer soudain l'un contre l'autre comme
deux bĂȘtes fĂ©roces, parce que la volontĂ© de leurs gouvernements,
la politique personnelle de leurs chefs, les intrigues diplomatiques
auxquelles ils restent Ă©trangers Font voulu ainsi. Puis le cours
des événements empoigne l'écrivain, son ton devient d'abord
patriotique, puis chauvin et ses articles prennent un caractĂšre
belliqueux propre aux Ă©crivains de tous les pays et de tout peuple-
en temps de guerre, et surtout de guerre malheureuse !
La voix indignée de George Sand fut entendue non seulement
de ses compatriotes, mais aussi des ennemis de la France, et,
en 1871, en réponse à ses lignes dénonçant certaines actions des
Prussiens, il parut à Mayence une brochure allemande intitulée :
Franzosische Stossseufzer und deutsche Reftexionen. Eine Aniwort
an Qeorge Sand Aurora Dudevant. (Soupirs français et réflexions
allemandes. Une réponse à George Sand, Aurore Dudevant.)
L'auteur, M. Ferdinand Haas, y soumettait Ă une rude critique,
quelquefois assez bien fondée, mais le plus souvent tout aussi
chauvine, et en tout cas trĂšs dĂ©sobligeante comme ton, â cĂŽtoyant
l'indĂ©cent et le comique, â les idĂ©es et les sentiments que George
Sand Ă©mettait dans son Journal.
Nous ne nous arrĂȘterons point sur ces articles de la grande
femme, ils portent trop l'empreinte de leur Ă©poque, ce qui rend
leur signification temporaire (1). La seconde partie, Ă©crite aprĂšs
la guerre de Prusse et la guerre civile, présente une bien autre
valeur. Toutes les péripéties de la guerre des partis, toutes les
teintes des opinions politiques se reflĂštent dans ces derniers
chapitres du Journal d'un voyageur, ainsi que dans les Impres-
sions et souvenirs qui lui font suite.
L'invasion Ă©trangĂšre de 1870 inspira encore une Ćuvre Ă
George Sand. C'est son roman Francia dont l'action se passe
lors de l'invasion des « alliés » en 1815. On y voit apparaßtre une
espÚce de général russe caricaturé de la façon la plus singuliÚre,.
(1) Ces lignes huent Ă©crites avant, 1914. En relisant ces articles de George
Sand au moment de la grande guerre, elles nous produisirent une toute
autre hnpressioni
GEORGE SAND 547
â quelque chose entre le « russe, mangeur de chandelles » si
rĂ©pandu dans les feuilletons d'il y a un siĂšcle, â et le a gĂ©nĂ©ral
Dourakine » de la « BibliothÚque rose ». Comment George Sand,
amie de Louis Viardot, qui non seulement voyagea en Russie,
mais encore traduisit si bien Gogol et Pouschkine, l'amie de
Charles Rollinat, le traducteur de Tolstoï et Tourguéniew, enfin
l'amie de TourguĂ©niew lui-mĂȘme, qui vint plusieurs fois Ă Nohant
et dont Mme Sand admirait tant les RĂ©cits d'un chasseur, la
Nichée de gentilshommes, la Fumée, Roudine (1), PÚres et
enfants etc., etc., comment George Sand put-elle peindre cet
incroyable général Ogokskoï (le nom à lui seul fait rire de
pitiĂ© tout vrai Russe !) vĂ©ritable enluminure d'Ăpinal ! â
l'oncle du prince Diomyde Diomyditch Moursakine (nous le
disions, cela devait rimer Ă Dourakine !) non moins gro-
tesque, et pour comble appelé au cours du roman Diomyditch
tout court 1 Nous ne disons pas cela par chauvinisme ou patrio-
tisme mal entendu, mais pour constater que George Sand avait,
en cette occasion, fait preuve de cette mĂȘme incapacitĂ© que par-
fois les auteurs Ă©prouvent Ă rendre d'une maniĂšre vraie des
types Ă©trangers. C'est pour cela que les Japonais s'indignent
eontre Pierre Loti et sa façon de peindre la vie et les femmes
japonaises dans Madame ChrysanthĂšme-, les Italiens, contempo-
rains de Mme Sand, s'étaient révoltés de sa maniÚre de peindre
les types italiens dans Daniella. Les Russes ne feront que rire
en voyant comment George Sand avait portraituré en guignols
grotesques nos héros de 1812-1815.
(1) Par amour de la vérité nous devons toutefois noter ici que dans Francia
nous trouvons un jugement de Mme Sand sur Roudine, prouvant que si elle
admirait ce roman avec enthousiasme, elle comprenait fort mal le caractĂšre
du héros de Tourguéniew. AprÚs avoir écrit : « C'est un trait fort répandu parmi
les Russes (!!!) d'opprimer les faibles et de se prosterner devant les puis-
sants » â [trait, hĂ©las, notĂ© par Tacite, Machiavel et La Rochefoucauld, donc
un peu partout, ajouterons-nous ! W. K /] â George Sand fait cette singu-
liÚre1 remarque : « Ivan Tourguéniew, qui connaßt bien la France, a créé en
maĂźtre le personnage du Russe intelligent, qui ne peut rien ĂȘtre en Russie,
parce qu'il a la nature du Français. Relisez les derniÚres pages de l'admi-
rable roman Dimitri Roudine... » Or, on sait que dans Roudine Tourguéniew
a voulu peindre un type trÚs répandu en tous pays, celui d'un parleur ne
trouvant nulle part de champs à sou activité, par excÚs de réflexion et par
manque de volonté.
548 GEORGE SAND
Les Impressions et souvenirs qui se publiaient dans le Temps
du 22 août 1871 au 30 janvier 1875 sous le titre d'Impressions
et souvenirs et RĂȘves et souvenirs, parurent plus tard sous le seul
titre d'Impressions et souvenirs. Mais, d'une part, quelques-uns
de ces articles furent ensuite â on ne sait trop pourquoi â
insérés dans le volume des DerniÚres pages et dans celui des
Questions politiques et sociales, tandis que logiquement et chro-
nologiquement ils ne devraient former qu'une partie intégrale
et la conclusion du volume, consacré aux événements politiques
de 1870-73.
C'est ainsi que les articles écrits sous l'impression du désastre
de Sedan et de la proclamation de la troisiĂšme RĂ©publique :
Lettre Ă un ami du 5 septembre 1870 et Post-scriptum Ă cette
lettre, du 7 septembre 1870, un alléluia enthousiaste de La voir
enfin triompher et ressusciter, aprĂšs vingt-deux ans de sommeil
léthargique, ces deux lettres, disons-nous, qui ne peuvent faire
qu'un avec le Journal d'un voyageur pendant la guerre, sont
réimprimées dans le volume des Questions politiques et sociales
dont la plus grande partie se rapporte Ă 1848-49 (sauf deux ou
trois articles consacrés aux événements de la guerre pour la
liberté italienne de 1859), donc il n'existe entre ces deux lettres
et la totalité du volume aucun lien chronologique.
D'autre part : 1° l'article écrit en août 1871 : A propos de la
nouvelle lettre de Junius (Alexandre Dumas) Ă son ami A. D., â
polémique contre les opinions de Dumas sur les événements de
1871 â qui doit ĂȘtre de tout point rapprochĂ© du chapitre iv des
Impressions et souvenirs, Ă©crit Ă la mĂȘme date d'aoĂ»t 1871 ;
2° l'article sur Napoléon III, écrit aprÚs une excursion hivernale
Dans les bois, aprĂšs la mort de l'empereur, exposant le bilan de
toute l'époque napoléonienne, jusqu'à Sedan inclusivement (nous
en avons parlé au chapitre ix) ; 3° la Lettre-Préface, publiée en
1873 dans le Rappel et rĂ©imprimĂ©e Ă la tĂȘte du volume VOffrande,
recueil publié par la Société des gens des Lettres en faveur des
Alsaciens-Lorrains restés sans pain et sans abri aprÚs la guerre,
ces trois articles sont réimprimés dans le volume des DerniÚres
pages. Donc, pour se faire une idée complÚte des jugements de
GEORGE SAND 549
George Sand sur les événements et ses écrits politiques en 1870-
73, on doit consulter : le Journal d'un voyageur pendant la guerre,
les Impressions et souvenirs, les DerniĂšres pages et les Questions
politiques et sociales.
Enfin, dans le volume des Impressions et souvenirs, cinq
chapitres seulement sur vingt-deux (les chapitres n, rv, vu,
xv et xxn et le chapitre xvi, ce dernier consacré en partie
à la question féministe) se rapportent aux questions politiques
et sociales et aux années 1870-73, tandis que quatre chapitres
(i, m, vin et xvn) exposent la doctrine panthéiste et les idées
religieuses de George Sand ; quatre (les numéros vi, xi, xn et xm)
sont consacrés aux questions d'enseignement et de linguistique ;
trois chapitres (xiv, xvm et xxi) sont des articles de critique
sur les livres de Victor Hugo (1), de Mme Prudence Saman
et les romans de Maurice Sand ; le chapitre xix, dédié à Tour-
guéniew, présente une esquisse littéraire sous forme de récit,
sur Pierre Bonnin; le chapitre xx est une réponse à une épßtre
collective des artistes et des Ă©crivains sur la conservation de la
forĂȘt de Fontainebleau, et enfin trois articles (v (2), ix et x)
et deux Lettres Ă Rollinat, (racontant la maladie de Mme Sand
en 1860, ses rĂȘves, son dĂ©lire, son sĂ©jour Ă Tamaris) â sont
véritablement des « Souvenirs », surtout les deux derniers
articles. Par leur date, leur fond et leur forme ils devraient
prendre place parmi les Nouvelles lettres d'un voyageur (tout
comme la Lettre d'un voyageur de 1864 Ă Manceau, Ce que dit
le ruisseau et A propos des Charmettes â rĂ©cit d'une visite Ă la
maison de Kousseau (3). Et tandis que les vraies Nouvelles
lettres d'un voyageur ne font pas toutes partie du volume de
ce nom, on y a réimprimé une série de nécrologies d'Amis
disparus (NĂ©raud pĂšre, Gabriel de Planet : un article et une
piĂšce de vers en son honneur ; Carlo Soliva, la traduction d'un
sonnet italien dédié à la mémoire de ce pianiste (4) ; le comte
(1) L'Année terrible (?).
(2) Dont nous avons citĂ© le premier â sur MicMewicz, Chopin et Delacroix,
dans le chap. n de notre IIIe vol.
(3) Tous les trois sont réimprimés dans le volume Laura.
(4) Ce musicien était un ami de Chopin, il avait été professeur au Conser-
550 GEORGE SAND
d'Aure,; Louis Maillard; Ferdinand Pajot; Patureau-FraneĆm;
Mme Lame Fleury morte au moment de la guerre avec la
Prusse; etc., etc.), ainsi qu'une série d'articles de critique sur
la Langue d'oc, de préfaces (aux livres de Maillard), et enfin
plusieurs articles datant d'années diverses (la Foire de La Berfhe-
noux, la Princesse Anna Czartoryska, Utilité d'une école normale
d'équilaUon, A propos du choléra de 1865) (1) et ainsi de suite.
Pour quelle raison tous ces articles et tous ces souvenirs sont-
ils ainsi dispersés à travers ces quatre volumes, sans aucun ordre,
sans aucun lien logique? C'est tout à fait incompréhensible. Il
serait trĂšs facile de classer toutes ces lettres et tous ces articles
et souvenirs en quatre groupes : 1° les articles de critique litté-
raire et les lettres sur l'enseignement trouvent leur place natu-
relle dans les Questions d'art et de littérature ; 2° tout ce qui se
rapporte Ă 1870-73 dans un deuxiĂšme volume soit de Questions
politiques et sociales, soit du Journal d'un voyageur pendant la
guerre; 3° toutes les Nouvelles lettres d'un voyageur ainsi que les
numéros ix et x des Impressions et souvenirs dans le volume des
Nouvelles lettres d'un voyageur; 4° tous les Souvenirs proprement
dits, ainsi que tous les articles philosophiques et toutes les nécro-
logies dans le volume des Impressions et souvenirs.
Xous avons parlé des chapitres des Impressions et souvenirs
ayant trait aux questions particuliÚres ou spéciales dans maints
endroits de nos trois premiers volumes et dans le volume pré-
sent; nous nous tournerons maintenant vers les articles poli-
tiques et les articles philosophiques. Donc nous parlerons des
chapitres n, iv, vi, xv, xxn pour analyser les idées politiques
de George Sand et des chapitres i, in, vin, ix et x pour con-
naĂźtre sa doctrine religieuse et philosophique.
Les deux lettres politiques formant les numéros iv et vu des
Impressions, dont l'une a pour sous-titre : « Réponse à un ami »
et l'autre : « Réponse à une amie », s'accordent parfaitement
vateire de Varsovie, avait sĂ©journĂ© Ă Saint-PĂ©tersbourg oĂč il avait eatre
autres enseigné le piano à la grande-duchesse Alexandra Nikolaievna, et
avait Ă©crit plusieurs opĂ©ras! (La Testa di bronza, Elena MaliĂne, «te.)
(1) Voir plus haut, chap. xu.
GEORGE SAND 55!
avec les idées émises dans les derniers chapitres du Journal d'un
voyageur fendant la guerre. Elles sont, de fait, adressées la pre-
miĂšre Ă Flaubert, la seconde Ă Mme Adam, mais toutes les deux
sont une réponse aux magnifiques lettres indignées de Flaubert
des 6 et 8 septembre et 12 octobre 1871 qu'on peut lire dans le
volume de la Correspondance S and- Flaubert. Si on lit ces lettres
et ces réponses, on n'a qu'à dire d'elles ce que les enfants disent
des gĂąteaux : c'est les deux qui sont meilleurs. Ou plutĂŽt : tous
les deux ont raison. Oui, combien a raison Flaubert dans son
indignation, dans son courroux contre la stupidité, la lùcheté de
la bourgeoisie, l'ignorance, la grossiÚreté, la brutalité du peuple
ret des soldats, contre l'immense, la Jormidable « bĂȘtise univer-
âąselle », contre l'influence « hĂ©bĂ©tante » de la presse « qui est une
école d' abrutissement » : elle « dispense de penser » ; contre le
« pouvoir du nombre qui domine l'esprit, l'instruction, la race et
mĂȘme l'argent, qui vaut mieux que le nombre » ; le suffrage uni-
versel tel qu'il est constitué ne sera jamais que « la honte de
l'esprit humain, la foule, le troupeau, seront toujours haïssables... »
« Tout le rĂȘve de la dĂ©mocratie est d'Ă©lever le prolĂ©taire au niveau
de bĂȘtise du bourgeois. Le rĂȘve est en partie accompli... H lit
les mĂȘmes journaux et il a les mĂȘmes passions. » PrĂȘcher l'amour
aux uns comme aux autres est inutile. « Tant que le suffrage
universel sera ce qu'il est rien ne changera. Tout homme si infime
qu'il soit a droit Ă une voix, la sienne, mais cela ne veut pas dire
qu'il soit l'Ă©gal de son voisin lequel peut le valoir cent fois. Dans
une entreprise industrielle chaque actionnaire vote en raison
de son apport. Il en devrait ĂȘtre ainsi dans le gouvernement d'une
nation. Je vaux bien vingt Ă©lecteurs de Croisse! L'argent,
l'esprit et la race mĂȘme doivent ĂȘtre comptĂ©s, bref, toutes les
forces. Or, jusqu'à présent je n'en vois qu'une : le nombre... »
« L'instruction gratuite et obligatoire achÚvera le « bon peuple »
en faisant augmenter « le nombre des imbéciles. » « Tant qu'on
ne s'inclinera pas devant les mandarins, tant que l'Académie
des Sciences ne sera pas le remplaçant du pape », c'est-à -dire
tant que les prérogatives de la science, de l'instruction ne seront
pas reconnues, le mal « est irrémédiable » et aucune république
552 GEORGE SAND
ne servira à rien. Or, à présent dans la littérature, le théùtre,
partout, au lieu de critiquer, de juger les qualités ou les défauts
intrinsÚques des choses, on ne parle que de leur « morale » ou de
leur « utilité ». « L'idée d'égalité (qui est toute la démocratie
moderne) est une idée essentiellement chrétienne et qui s'oppose
à celle de justice. Regardez, comme la grùce maintenant prédo-
mine. Le sentiment est tout, la justice n'est rien. On ne s'indigne
mĂȘme plus contre les assassins, et les gens qui ont incendiĂ© Paris
sont moins punis que les calomniateurs de M. Favre. »
« La premiÚre injustice est pratiquée dans la littérature qui
n'a souci de l'esthétique laquelle n'est qu'une justice supérieure.
Les romantiques auront de beaux comptes Ă rendre avec leur
sentimentalité immorale, car eux, comme tout le monde con-
temporain, ont oublié la justice dans l'éternelle poursuite de la
réhabilitation de la pitié « humanitaire », on a fini par expliquer
et excuser tous les crimes, toutes les lùchetés. Dans une piÚce
de Victor Hugo un sultan est sauvé parce qu'il a eu pitié d'un
cochon ; « c'est toujours l'histoire du bon larron, béni parce
qu'il s'est repenti. Le repentir est bien, mais ne pas faire de mal
est mieux. L'école de réhabilitation nous a amenés à ne voir
aucune diffĂ©rence entre un coquin et un honnĂȘte homme. On
s'Ă©meut sur les larrons en oubliant qu'il serait mieux, au lieu
de se repentir, simplement de ne pas ĂȘtre larron. Mais non ! on
est tendre pour les chiens enragés et point pour ceux qu'ils
ont mordus. »
« Du reste de tout temps l'humanitĂ© Ă©tait la mĂȘme. Le monde
doit ĂȘtre haĂŻ. Son irrĂ©mĂ©diable misĂšre m'a rempli d'amertume
dÚs ma jeunesse. Aussi maintenant n'ai-je aucune désillusion. »
George Sand comprenait parfaitement que « tous les deux ils
avaient raison », car Flaubert avait pour lui la vérité de cette
raison et elle la vérité du sentiment.
« Mais la France, hélas ! n'est ni avec elle, ni avec lui ; elle est
avec l'aveuglement, l'ignorance et la bĂȘtise. » Elle ne pouvait
le nier, mais c'est cela justement ce qui la désolait. C'estepour cela
qu'elle répondit à Flaubert non seulement par quelques lettres
privées, mais encore par les deux lettres publiées dans le
GEORGE SAND 553
Temps, Ă©crites sous forme de RĂ©ponses Ă un ami et Ă une amie
anonymes.
Eh quoi, tu veux que je cesse d'aimer? Tu veux que je dise que je me
suis trompée toute ma vie, que l'humanité est méprisable, haïssable,
qu'elle a toujours été, qu'elle sera toujours ainsi? Et tu me reproches
ma douleur comme une faiblesse, comme le puéril regret d'une illusion
perdue.? Tu affirmes que le public a toujours Ă©tĂ© fĂ©roce, le prĂȘtre tou-
jours hypocrite, le bourgeois toujours lĂąche, le soldat toujours bri-
gand, le paysan toujours stupide? Tu dis que tu savais cela dĂšs ta
jeunesse et tu te réjouis de n'en avoir jamais douté, parce que l'ùge
mûr ne t'a apporté aucune déception : tu n'as donc pas été jeune. Ah !
nous diffĂ©rons bien, car je n'ai pas cessĂ© de l'ĂȘtre si c'est ĂȘtre jeune que
d'aimer toujours.
Et George Sand dit qu'elle ne comprend pas comment vivre
en dehors de la vie générale ; les malheurs, les désastres publics
ne peuvent pas ne pas se refléter sur l'existence de chaque
famille, de chaque homme isolé.
Est-ce qu'on peut s'endormir paisiblement, quand on sent la terre
Ă©branlĂ©e, prĂȘte Ă engloutir ceux pour qui on a vĂ©cu?...
Non, non, on ne s'isole pas, on ne rompt pas les liens du sang, on ne
maudit pas, on ne méprise pas son espÚce. L'humanité n'est pas un
vain mot. Notre vie est faite d'amour et ne plus aimer, c'est ne plus
vivre.
Le peuple, dis-tu? Le peuple c'est toi et moi ; nous nous en défen-
drions en vain. Il n'y a pas deux races, la distinction des classes n'Ă©ta-
blit plus que des inégalités relatives et la plupart du temps illusoires...
...Ce n'est pas en méprisant notre misÚre que j'en contemple l'étendue.
Je ne veux pas croire que cette sainte patrie, que cette race chérie
dont je sens vibrer en moi toutes les cordes harmonieuses et discor-
dantes, dont j'aime les qualitĂ©s et les dĂ©fauts quand mĂȘme, dont je
consens à accepter toutes les responsabilités bonnes ou mauvaises
plutÎt que de m'en dégager par le dédain, non, je ne veux pas croire
que mon pays et ma race soient frappés à mort. Je le sens à ma souf-
france, Ă mon deuil, Ă mes heures mĂȘme de pire abattement ; j'aime,
donc je vis, aimons et vivons...
George Sand prend Ă cĆur tout ce qui se passe en France, elle
souffre, se désole, s'indigne, se révolte, s'exaspÚre. Elle avait
prévu ce désastre, elle savait qu'une terrible expiation des jours
de folie et d'abaissement attendait la France, mais cette pré-
554 GEORGE SAND
voyance ne Tend son chagrin ni moins vif, ni moins grand. Elle
donne cours à son indignation excitée par la vue des cruautés
commises par les Allemands vainqueurs et prédit que cette vic-
toire sera nuisible, nĂ©faste pour l'Allemagne elle-mĂȘme, car ses
triomphes amÚneront le rÚgne de la force matérielle primant
l'idéal, c'est-à -dire la pourriture, la décomposition et la défaite
morale des vainqueurs. C'est contre cette mĂȘme force matĂ©rielle
primant la justice que George Sand proteste, lorsqu'elle pro-
teste contre les faits qui se sont produits dans son propre pays,
contre les personnes qui y attisent les passions populaires au profit
de leurs intĂ©rĂȘts et de leur esprit de parti. Et l'Ă©crivain s' adressant
Ă tous ses concitoyens leur prĂȘche ardemment l'union et l'amour :
Français, aimons-nous, mon Dieu, mon Dieu ! Aimons-nous ou nous
sommes perdus. Tuons, renions, anéantissons la politique, puisqu'elle
nous divise et nous arme les uns contre les autres ; ne demandons Ă
personne ce qu'il Ă©tait et ce qu'il voulait hier. Hier tout le monde
s'est trompé, sachons ce que nous voulons aujourd'hui.
Si ce n'est pas la liberté pour tous et la fraternité envers tous, ne
cherchons pas à résoudre le problÚme de l'égalité, nous ne sommes pas
dignes de la définir, nous ne sommes pas capables de le corrtprendre.
L'égalité est une chose qui ne s'impose pas, c'est une libre plante qui
ne croĂźt que sur des terrains fertiles, dans Vair salubre. Elle ne pousse
pas de racines sur les barricades, nous le savons maintenant. Elle y est
immédiatement, foulée aux pieds du vainqueur, quel qu'il soit. Ayons
le dĂ©sir de l'Ă©tablir dans nos mĆurs, la volontĂ© de la consacrer dans nos
â idĂ©es. Donnons-lui pour point de dĂ©part la charitĂ© patriotique, Vamour.
C'est ĂȘtre fou que de croire qu'on sort d'un combat avec le respect du
droit humain. Toute guerre civile a enfanté et enfantera le forfait...
Malheureuse Internationale, est-il vrai que tu croies Ă ce mensonge
de la force primant le droit? Si tu es aussi nombreuse, aussi puissante
qu'on se l'imagine, est-il possible que tu professes la destruction et la
haine comme un devoir?...
George Sand exige instamment une réponse à cette question,
disant qu'avec toute la France elle l'a vainement attendue.
Tout en blùmant les moyens, je ne voulais pas préjuger le but. Il
y en a toujours dans les révolutions et celles qui échouent ne sont pas
toujours les moins fondĂ©es (1). Un fanatisme patriotique a semblĂ© ĂȘtre
(1) On voit comment Mme Sand n'avait pas changé dans ses sympathies
GEORGE SAND 555
le premier sentiment de cette lutte... La désillusion fiùt terrible.
Le premier acte de la Commune est d'adhérer à la paix et dans tout
le cours de sa gestion elle n'a pas une injure, pas une menace pour
l'ennemi ; elle conçoit et commet l'insigne lùcheté de renverser sous
ses yeux la colonne qui rappelle ses défaites et nos victoires. C'est au
suffrage universel qu'elle en veut et cependant elle invoque ce suffrage
à Paris pour se constituer. Il est vrai qu'il lui fait défaut ; elle passe
par-dessus l'apparence de légalité qu'elle a voulu se donner et fonctionne
de par la force brutale, sans invoquer d'autre droit que celui de la
haine et du mépris de tout ce qui n'est pas elle. Elle proclame la science
positive, dont elle se dit dépositaire unique, mais dont elle ne laisse
pas échapper un mot dans ses délibérations et dans ses décrets. Elle
déclare qu'elle veut délivrer l'homme de ses entraves et de ses préjugés
et tout aussitĂŽt elle exerce un pouvoir sans contrĂŽle et menace de
mort quiconque n'est pas convaincu de son infaillibilitĂ©. En mĂȘme
temps qu'elle prétend reprendre la tradition des jacobins, elle usurpe la
papauté sociale et s'arroge la dictature. Quelle république est-ce là ?
Je n'y vois rien de vital, rien de rationnel, rien de constitué, rien de
eonstituable. C'est une orgie de prétendus rénovateurs qui n'ooit pas
une idée, pas un principe, pas la moindre organisation sérieuse, pas la
moindre solidarité avec la nation, pas la moindre ouverture vers
l'avenir. Ignorance, cynisme et brutalité, voilà tout ce qui émane de
cette prétendue révolution sociale. Déchaßnement des instincts les
plus bas, impuissance des ambitions sans pudeur, scandale des usur-
pations sans vergogne, voilĂ les spectacles auxquels nous venons d'as-
sister. Aussi cette Commune a inspiré le plus mortel dégoût aux hommes
politiques les plus ardents, les plus dĂ©vouĂ©s Ă la dĂ©mocratieâ ils se
sont retirés d'elle avec consternation, avec douleur, et le lendemain
la Commune les déclarait traßtres et décrétait leur arrestation. Elle les
eût fusillés, s'ils fussent restés entre 6es mains.
Et toi, mon ami, tu veux que je voie les choses avec une stoĂŻque
indifférence. Tu veux que je dise : l'homme est ainsi fait ; le crime est
son expression, l'infamie est sa nature ! Non, cent fois non ! L'humanité
est indignée en moi et avec moi. Cette indignation est une des formes
les plus passionnées de l'amour, il ne faut ni la dissimuler, ni essayer de
l'oublier. Nous avons à faire les immenses efforts de la fraternité pour
réparer les ravages de la haine. Il faut conjurer le fléau, écraser l'infamie
sous le mépris et inaugurer par la loi la résurrection de la patrie-
An miiie u de sa lettre Mme Sand faisait une petite allusion Ă ceux qui
se seraient étonnés des opinions émises par elle ou qui les auraient expli-
pourla révolution de 1848, malgré toutes les erreurs auxquelles elle avait
abouti.
556 GEORGE SAND
quées par un revirement survenu dans ses idées, par sa « désertion de
la cause de l'avenir ». Ayant une place de libre discussion dans un
grand journal, elle se doit de dire sincĂšrement son opinion Ă cette heure
terrible, sans se préoccuper de l'impression produite sur ses amis, ses
ennemis ou sur ses lecteurs. Quant Ă ces derniers ils n'ont qu'Ă la lire
en entier et à ne pas la juger sur des fragments cités par des journaux.
Elle ne fait pas métier de ses opinions et ne se cache derriÚre aucun
drapeau de parti. L'opinion de ceux qui en font métier n'a aucune valeur.
« Je n'ai pas Ă me demander oĂč sont mes amis ou mes ennemis.
Ils sont oĂč la tourmente les a jetĂ©s. Ceux qui ont mĂ©ritĂ© que je les
aime et qui ne voient pas par mes yeux ne me sont pas moins chers.
Le llùme irréfléchi de ceux qui me quittent ne me les fait pas consi-
dérer comme ennemis. Toute amitié injustement retirée reste intacte
dans le cĆur qui n'a pas mĂ©ritĂ© l'outrage. Ce cĆur-lĂ est au-dessus de
Vamour propre, il sait attendre le réveil de la justice et de Vaffec-
tion... »
Ce dernier passage a une signification particuliĂšre. Plusieurs
amis de George Sand, et Fleury Ă leur tĂȘte, sans parler de Quinet
et d'autres républicains radicaux, virent dans le jugement porté
par George Sand sur les Ă©vĂ©nements de 1871 la Commune â et
la lutte des partis politiques â une apostasie, et lui exprimĂšrent
fort manifestement leur indignation et leur désapprobation.
Quant à nous, tout en ayant souligné dans cette lettre le passage
démontrant que George Sand avait en effet perdu sa foi de jadis
en l'action bienfaisante des barricades pour la cause de la liberté
et qu'elle savait trop combien les droits de l'homme Ă©taient peu
respectés au lendemain d'un combat et « l'égalité foulée aux
pieds du vainqueur quel qu'il fĂ»t », nous voyons en mĂȘme temps
dans cette lettre une absolue identité avec les opinions et les
sentiments de Mme Sand exprimés en 1848-49 et professés durant
toute sa vie.
Mme Sand se souvient dans cet article des paroles prononcées
dit-on, Ă son lit de mort, par saint Jean â son apĂŽtre favori, celui
qu'elle cita tant de fois dans ses Ćuvres et dont l'esprit remplit
bien des pages de Spiridion et de Consuelo : « FrÚres, aimons-nous
les uns les autres. » Cette parole est le point de départ d'Aurore
Dupin, c'est le point d'arrivée de George Sand à la fin de sa vie.
DÚs qu'elle toucha aux grandes questions d'humanité, de foi, du
GEORGE SAND 557
bien et du mal, Aurore Dupin se pénétra de la doctrine de saint
Jean et l'opposa Ă celle de saint Pierre, l'apĂŽtre de l'Ăglise mili-
tante, intolérante (1). A la fin de sa carriÚre, aprÚs toutes les
épreuves de son existence privée et sociale, aprÚs avoir passé
par tant de doctrines, de systĂšmes philosophiques les plus divers
et traversé tant de cataclysmes politiques, George Sand resta
fidĂšle Ă l'enseignement de saint Jean et ce sont les paroles de
cet évangéliste qu'elle adresse à ses concitoyens à l'heure ter-
rible de la folie générale et de l'effondrement social. C'est comme
le Rie jacet de Spiridion, c'est ici que se trouve la clef de toutes
ses opinions politiques, de toutes ses théories sociales. Elle dit
dans la lettre à Flaubert, et nous avons déjà cité ces mots dans
le chapitre sur 1848 :
Plus que jamais je sens le besoin d'Ă©lever ce qui est bas et de relever
ce qui est tombĂ©. Jusqu'Ă ce que mon cĆur s'Ă©puise, il sera ouvert
à la pitié, il prendra le parti du faible et réhabilitera le calomnié. Si
c'est aujourd'hui le peuple qui est sous les pieds, je lui tendrai la main ;
si c'est lui qui est l'oppresseur et le bourreau, je lui dirai qu'il est lĂąche
et odieux. Que m'importent tels ou tels groupes d'hommes, tels noms
propres devenus drapeaux, telles personnalités devenues réclames?
Je ne connais que des sages et des fous, des innocents et des cou-
pables...
Ceci explique ses agissements en 1848-49, les espérances qu'elle
fondait sur Louis-NapolĂ©on Bonaparte â le rĂ©formateur social â
et son horreur devant le coup d'Ătat et le rĂ©gime de NapolĂ©on III ;
son enthousiasme Ă l'avĂšnement de la RĂ©publique en 1870 et
son horreur devant la Commune de 1871. George Sand resta
fidĂšle Ă elle-mĂȘme. Elle se dĂ©clarait alors un ennemi jurĂ© de la
politique. Elle le dit sans ambages dans sa RĂ©ponse Ă une amie,
le numéro vu des Impressions et souvenirs qui est une suite et
une conclusion de sa Réponse à un ami : « Je méprise profondé-
ment la politique. »
La question principale que George Sand examine dans cet
article c'est ce mĂȘme suffrage universel qui excitait VHhhindi-
(1) Voir notre vol. I, chap. iv, et le présent vol., chap. ix.
553 GEORGE SAND
gnation furibonde de Flaubert (1). George Sand, elle, est brave-
ment pour ce suffrage universel et elle appuie son point de vue
par l'exposition de toutes ses croyances, si largement démocra-
tiques et humanitaires. Elle ne se cache pas que le suffrage
universel est bien le pouvoir de tous, c'est-Ă -dire de la masse
du peuple, encore grossiĂšre, inculte, sauvage, qui comprend mal
mĂȘme ses intĂ©rĂȘts directs et se laisse entraĂźner par le premier
aventurier venu ; Mme Sand sait que cette majorité sera toujours
inférieure par son niveau intellectuel et moral au petit nombre
intelligent, liais que faire? On ne peut donc pas revenir en arriĂšre
ou mĂȘme ne se prĂ©occuper que du prĂ©sent sans songer Ă l'avenir.
Ce qui est fait est fait. Le suffrage universel est un fait de la
nécessité historique. Faire un pas en arriÚre ce serait donner des
armes à tous les aventuriers dans le genre de Louis-Napoléon
qui arriva au pouvoir par le plébiscite. On ne peut plus reculer.
H faut marcher de l'avant.
Le suffrage universel, c'est-à -dire l'expression de la volonté de tous,
bonne ou mauvaise, est la soupape de sûreté sans laquelle vous n'aurez
plus qu'explosions de guerre civile. Comment? ce merveilleux gage
de sécurité vous est donné, ce grand contrepoids social a été trouvé
et vous voulez le restreindre et le paralyser? Vous représentez l'intel-
ligence et vous en rejetez la base qui est le bon sens? Non, vous croyez
sincĂšrement qu'un Ă©chelonnage de votes partant de l'ignorance arri-
verait à nous donner la prépondérance du savoir. Vous en avez fait
l'expérience sous le rÚgne bourgeois de Louis-PhiUppe. L'éligible
privilégié vous a donné une suite d'assemblées contre lesquelles je vous
ai vue aussi irritĂ©e que vous l'ĂȘtes contre celle d'aujourd'hui...
En protestant contre ceux qui voudraient que la minorité
intelligente fût considérée l'égale en nombre de voix de la masse
inculte, ce qui dépouillerait de tout droit la plÚbe rurale, en n'at-
tribuant ce droit qu'aux habitants des villes, George Sand trouve
que les rĂ©publicains qui conseillent ceci ne sont dignes que d'ĂȘtre
relégués avec les légitimistes. Ce ne sont pas de vrais républicains.
Nos principes, Ă nous, ne sont entre leurs mains que des armes de
guerre civile. Ds appellent leurs compromis et leurs fluctuations moyens
(1) Flaubert écrit dans sa lettre du 8 septembre : « Le premier remÚde
serait d'en finir avec le suffrage universel, la honte de l'esprit humain. »
GEORGE SAND 559
politiques. Je l'ai dit tout Ă l'heure, je maintiens le mot brutal : la
politique n'est plus de nos jours que l'art de parvenir. J'ai pour elle le
plus profond mépris qui soit jamais entré dans une ùme humaine...
Puis, revenant aux opinions d'un ami, un trĂšs grand esprit â
c'est-Ă -dire Ă celles de Flaubert â qui lui reproche de ne pas
sentir assez vivement le principe de la justice, elle proteste contre
Tidée de pouvoir
par des moyens légaux assurer le rÚgne de l'intelligence au nom de
la justice qui veut le pouvoir entre les mains des plus capables.
...Je nie que la loi ait mission d'imposer ses moyens. Si l'Ătat doit
prononcer la valeur des individus, nous voici en pleine théocratie.
L'Ătat punissant le crime et rĂ©compensant la vertu, ce n'est plus le
rĂšgne des lois, c'est la dictature,, c'est la terreur, c'est un homme ou
un groupe d'hommes dĂ©cidant de ce qui est mal et de ce qui est bien Ă
son point de vue, imposant ses croyances, décrétant un culte de sa
façon ou s'opposant avec violence à toute espÚce de culte ; c'est la
Commune de 1791 ou celle de 1871. C'est aussi la royauté de droit divin
mettant à mort les hérétiques. C'est enfin la suppression absolue de
l'Ătat, c'est-Ă -dire de la base des sociĂ©tĂ©s et de ce qui constitue le droit
de tous et le droit de chacun.
En passant,. George Sand rejette Ă©galement la doctrine de
Louis Blanc, « utopie de jeunesse que j'ai partagée et je ne m'en
repens certes pas », exigeant de la part des capacités « les devoirs
plus étendus qu'au vulgaire ».
L'Ătat ne peut obliger personne Ă faire le bien. L'Ătat n'est pas
une personne meilleure et plus sage qu'une autre ; c'est un contrat
qui doit prévoir tous les cas d'empiétement des droits réciproques et
il ne faut pas que sous le titre honorable de devoir, le droit de chacun
dépasse le droit de tout autre, quel qu'il soit.
George Sand arrive donc Ă conclure ceci :
Laissons faire le droit naturel ; c'est bien assez, car l'inégalité de fait
est monstrueuse et repose principalement sur l'inégalité de l'éduca-
tion. L'Ătat doit dĂ©crĂ©ter l'Ă©ducation gratuite, je ne dirai pas tout Ă
fait obligatoire, mais inĂ©vitable. L'Ătat, qui consacre la libertĂ© absolue
pour le travail matériel, ne peut refuser à l'homme les moyens d'ac-
quérir l'emploi de ses facultés intellectuelles, ce serait lui enlever
l'exercice d'un droit naturel. L'Ătat a pleinement mission de nous
rendre tous propres Ă devenir Ă©gaux en fait, mais il ne peut faire que
560 GEORGE SAND
nous le devenions, et s'il crée des inégalités sociales, celles de la nature
aidant, il consacre le plus effroyable despotisme et recommence le
passé.
Faisant une allusion aux paroles de Flaubert (sur les << man-
darins » devant lesquels il faudrait qu'on « s'inclinùt », sur l'Aca-
démie qui devrait « remplacer le pape » et sur l'assertion que la
grande Révolution avait « avorté » parce qu'elle provenait du
christianisme du moyen ùge et que l'idée de l'égalité était con-
traire à l'idée de justice »), donc, lançant une pierre dans le
jardin de Flaubert, George Sand continuait ainsi :
Je ne veux pas plus laisser dire Ă l'AcadĂ©mie des Sciences qu'Ă
Louis XIY : « L'Ătat, c'est moi. » La tyrannie de l'intelligence n'auto-
rise certes pas celle de la bĂȘtise, mais elle la rend inĂ©vitable, elle l'ap-
pelle irrésistiblement, car tout abus engendre un abus contraire. L'his-
toire nous le démontre à chacune de ses pages et c'est le cas de dire avec
les bonnes gens : Nous sortons d'en prendre.
Puis, développant la pensée qu'elle avait émise dÚs 1848, dans
la préface de la Petite Fadette (et que Tolstoï avait de nos jours
proclamée dans son article « les Sciences et les arts ») et poursui-
vant mentalement sa polémique contre Flaubert, George Sand
proteste en mĂȘme temps contre l'aristocratie intellectuelle des
poĂštes et des savants, contre tous ceux qui trouvent que :
Raisonner avec l'ignorant c'est perdre un temps précieux, travailler
Ă Ă©clairer le premier venu, c'est se rendre ridicule ; nous causons pour
les érudits, nous écrivons pour les lettrés, nous sommes aristocrates des
pieds Ă la tĂȘte, nous dirons Ă la sociĂ©tĂ© : « DĂ©livrez-nous de ces goujats
qui ne sauraient nous comprendre, faites-nous une représentation
comme celle d'avant 89 oĂč l'on dĂ©libĂ©rerait par ordre et non par
tĂȘte... » George Sand se moque donc de tous ceux qui trouvent que cet
ordre de choses serait « trÚs équitable et trÚs républicain. » Non, cette
opinion-là ne vaut rien ! Le plus simple serait « de confier au progrÚs
des mĆurs et au dĂ©gagement de l'opinion le soin de dĂ©cider des choses
dont seuls ils sont les maßtres et les juges. »
Ce que vous voulez, ce droit de l'intelligence Ă la direction sociale,
personne n'a le droit de l'imposer, mais tous ont le pouvoir de l'appli-
quer et ceci vous regarde, rois de l'esprit, prĂȘtres de la science, artistes
et lettrés, favoris du public, élite de la France ! Imposez-vous ! Soyez
GEORGE SAND 561
plus forts que l'ignorance et prouvez que vous l'ĂȘtes. Artistes, faites
des chefs-d'Ćuvre, savants, faites des dĂ©couvertes sĂ©rieuses, Ă©vi-
dentes ; économistes et législateurs, portez la lumiÚre dans notre chaos
politique et financier ; qui donc se refuse aux bienfaits que vous tenez
dans vos mains?
Quant aux plaintes de ceux qui, comme Flaubert, disent qu'il
est difficile de faire n'importe quoi, car on se butte Ă chaque pas
à l'indifférence d'une nation plongée dans les préjugés et les rou-
tines de l'ignorance, Mme Sand leur répond : « Donc, il faut lui donner
le plus d'instruction possible. Aidons-la, c'est nous aider nous-mĂȘmes. »
George Sand s'étonne que les gens développés et intelligents
éprouvent un dégoût invincible pour les ignorants et les nuls,
tandis que tout dans la. nature se complĂšte et s'Ă©quilibre, et elle
revient à l'idée qu'elle avait émise dans sa Réponse à un ami,
ainsi qu'au commencement de sa Lettre Ă une amie :
Oui, aimer quand mĂȘme, je crois que c'est le mot de l'Ă©nigme de
l'univers. Toujours repousser, toujours surgir, toujours renaĂźtre, tou-
jours chercher et vouloir la vie, toujours embrasser son contraire pour
se l'assimiler, faire à toute heure le prodige des mélanges et des com-
binaisons d'oĂč sort le prodige des productions nouvelles, c'est bien la
loi de la nature.
Et tout en conseillant Ă chacun de toujours tendre Ă s'Ă©lever,
à s'améliorer, elle croit encore que
tout homme qiĂč sait quelque chose devrait essayer de l'apprendre
Ă un autre homme qui ne sait rien. Ce serait trĂšs facile, Ă la condition
d'aimer cet ignorant, parce qu'il est homme et non de le mépriser
parce qu'il est ignorant. En instruire plusieurs, en instruire beaucoup
est difficile. C'est la plus belle des professions et, quand mĂȘme on
peut s'y consacrer tout entier, les effets sont lents, la tùche pénible.
Mais quelle est la chose utile qui ne soit pas longue et difficile Ă
réaliser?...
George Sand appelle donc tous les hommes de bonne volonté
à cette tùche d'amour et de justice. Puis lançant un nouveau
trait contre Flaubert, elle déclare : « Quoi de plus monstrueux,
de plus injuste, de plus grossier, de plus contraire au sentiment
que le sentiment qui vous porte à réclamer contre la prépondérance
iv. 36
562 GEORGE SAND
du nombre? »Elle remarque qu'il serait impossible aprÚs la Révo-
lution qui proclama les droits de l'homme, aprÚs la révolution
de février qui renversa le pouvoir de l'argent, de revenir à l'essai
manqué de V adjonction des capacités.
On reconnut que... l'Ătat n'avait ni le droit ni le pouvoir de faire un
choix, de favoriser des classes, des corps, de3 professions. H n'y avait
qu'une solution possible, Ă©quitable et large : le droit de tous, et il fut
consacré avec tous ses inconvénients, tous ses périls, toutes ses menaces.
La situation n'a pas changé depuis ces jours et quoique alors
c'avait été une grande faute politique de proclamer le suffrage
universel, les amis de la République doivent maintenant « en-
dosser » cette noble faute :
Avec toutes ses conséquences et tous ses inconvénients et dans le
prĂ©judice mĂȘme qu'elle avait portĂ© jadis au gouvernement rĂ©publi-
cain ils doivent voir sa nécessité historique, l'inéluctable puissance et
la vĂ©ritĂ©, plus forte que ce gouvernement mĂȘme. C'est pour cela que
tout le monde doit se séparer de l'idée politique, abandonner tous les
intĂ©rĂȘts de partis et s'unir au nom de l'idĂ©al rĂ©publicain parce que « la
forme républicaine est la seule qui convienne à une nation qui se res-
pecte », l'opinion républicaine fait de grands progrÚs en France, « elle
se répandra et croßtra d'année en année, les erreurs et les fautes adhé-
rentes à cette forme, au contraire, décroßtront. »
Mine Sand conseille Ă tout le monde d'imiter l'exemple de
M. Thiers qui, avec une force de caractÚre étonnante, a adopté
la forme républicaine comme nécessaire et respectable, contrai-
rement Ă ses sentiments personnels. C'est la premiĂšre fois qu'on a
vu au pouvoir un homme faisant abnégation de ses opinions et de ses
sympathies, non pour plaire à un parti, mais pour se dévouer au salut
d'une nation...
Et Mme Sand clÎt sa lettre en répétant, encore une fois, qu'il
faut Ă©clairer l'ignorance et lui pardonner au lieu de la punir.
Ces deux lettres de George Sand n'Ă©branlĂšrent certes point
l'opinion de Flaubert, tout comme les lettres et les réponses de
Flaubert ne changÚrent ni les sentiments ni les idées de Mme Sand.
Chacun resta fidÚle à sa pensée. D'autre part, cette polémique
n'altéra pas les relations des deux amis. Ces articles de George
Sand accueillis par les républicains avec une chaude approbation,
GEORGE SAND 563
soulevÚrent une véhémente indignation parmi les radicaux intran-
sigeants. Mme Sand ne s'en Ă©mut point, et dans le chapitre xv
de ses Impressions et souvenirs elle revint encore aux idées émises
à la fin de la lettre numéro vu.
Ce chapitre xv, intitulé « Révolution pour l'idéal », renferme
cetts pensée : Chaque parti a du bon et beaucoup de mauvais,
d'Ă©troit et de mesquin, d'Ă©goĂŻste et de personnel; chaque parti
a sa raison d'ĂȘtre Ă un certain moment donnĂ©, mais il n'a aucune
raison de devenir un parti prédominant. AprÚs les horreurs
de 1870-71 le cléricalisme sembla à beaucoup de gens salutaire,
parce qu'il promettait la paix Ă tous ceux qui avaient soif de
calme, de repos intérieur. Mais gare ! S'il arrive au pouvoir !
Le radicalisme a pour lui une énorme majorité en France, parce
qu'il a le plus de points de rapport avec l'idée républicaine, mais
lui aussi, il doit rejeter beaucoup d'erreurs passées, d'exeÚs et
de traditions qui révoltent la conscience du présent, il doit s'ap-
pliquer surtout Ă ne plus ĂȘtre l'antithĂšse du clĂ©ricalisme par ses
« passions et son intolérance ». Fraternité ou la mort, cette pensée
est jusqu'à présent encore comprise par beaucoup de gens non
pas dans le sens « combattre pour la fraternité ou mourir »r mais
bien dans celui : « Soyez nos frÚres ou mourez », ce qui présente
un attentat Ă la conscience humaine. Il n'y a dans ces mots
ainsi compris ni fraternité, ni égalité, ni liberté, mais uniquement
violence et étroitesse de principes de parti. L'adhésion de beau-
coup de radicaux au libéralisme représenté par Thiers, prouve
à l'auteur que ceux-là ont compris la nécessité de reconnaßtre
leurs anciennes erreurs et de travailler au salut de la France.
Quant Ă la Commune, George Sand ne la considĂšre pas comme
un parti, parce qu'elle ne présente point une idée formulée, un
principe commun à tous ses adeptes, mais rien qu'im « fait maté-
riel » ; elle « ne se discute donc pas ». C'est dans le parti républi-
cain modéré que George Sand voit uniquement un élément vital
et durable de la France contemporaine. Lorsque le centre gauche
et le centre droit se fondront ensemble, alors seulement entrera
en scĂšne la vraie question, la question sociale. Mme Sand Ă©tablit
les étapes principales de cette véritable « égalité républicaine »,
564 GEORGE SAND
vers laquelle doivent tendre tous les amis du peuple. C'est
d'abord :
L'instruction gratuite et laïque pour tous, c'est-à -dire libérale.
L'égalité consistera donc à donner à tous les moyens de développer
leur valeur personnelle, quelle qu'elle soit, pourvu que ce soit une valeur
et non une inertie... Cela implique aussi la lutte « contre la misÚre qui
subjugue toutes les capacités du travailleur, l'excÚs de travail ne lui
permet pas de développer ses facultés ».
L'auteur prĂ©voit que la classe infĂ©rieure, en quĂȘte de ses droits,
Ă©tant ignorante, se portera peut-ĂȘtre encora Ă des excĂšs ; mais
il y a des moyens de combattre ce mal : l'organisation du travail
et des tribunaux de travail qui examineront les différends entre
travailleurs et propriétaires et rendront inutiles toutes les grÚves.
George Sand voudrait enfin qu'on organisĂąt une grandiose
souscription nationale ou qu'on décrétùt un impÎt pour fonder
quelque magnifique institution destinée à émanciper le peuple,
à l'arracher à l'ignorance et à la misÚre. On a trouvé cinq milliards
pour payer l'ennemi ; on doit trouver dix fois plus pour accomplir
l'Ćuvre sociale indispensable : l'Ă©tablissement de la vĂ©ritable
égalité. Ceci serait le commencement d'une nouvelle révolution
pacifique, la révolution pour V idéal.
Le chapitre xxn et final des Impressions et souvenirs est aussi
consacré à cette lutte des partis politiques qui trouva son expres-
sion dans les orageuses séances de la Chambre du 6 novembre au
2 décembre 1872 et se termina enfin par l'inauguration définitive
de la Képublique et de la présidence de Thiers.
Ce chapitre xxn commence par un ravissant morceau auto-
biographique : la description d'une excursion hivernale entre deux
nuages, en compagnie de Maurice, des deux petites filles et de
Sylvain, le vieux cocher, entreprise pour chercher dans la
forĂȘt des chenilles et de rares fleurs tardives. Et tout Ă coup,
Ă propos d'oiseaux, George Sand passe aux querelles parlemen-
taires des derniÚres semaines, soudain apaisées (c'est pour cela
que tout ce chapitre porte avec raison, au propre comme au
figuré, le titre d'Entre deux nuages). Selon l'auteur toute cette
lutte parlementaire se résume par la lutte de deux opinions :
GEORGE SAND 565
« L'une affirme que l'homme doit se soumettre à un principe
d'autorité placé en dehors de l'homme ; l'autre que l'homme
doit tirer son autoritĂ© de lui-mĂȘme. » Il est Ă©vident que George
Sand, sans broncher, se range parmi les champions de cette
derniÚre opinion. Elle réfute fort spirituellement les prétentions,
alors renaissantes, des monarchistes ; elle reproche aux « gauches »
leurs querelles et leur manque d'union, et encore une fois elle cite
l'exemple de Thiers, qui présente l'image d'un entier désintéres-
sement, sait « dans sa probité politique » et par « respect de la
liberté humaine sacrifier sa personnalité, ses sympathies et ses
croyances au salut général et à l'amour du pays », et ne songe
Ă aucun parti.
...Donc ce matin la brise est pour nous à l'espérance, continue George
Sand en mĂȘlant dans une phrase les deux sujets de sa narration, et
nous arrivons au bord de l'Ă©tang qui est pour nous le but de notre
course de deux heures...
...A peine en voiture, les petites filles s'Ă©tendent sur leur banquette,
on les enveloppe et, tenant leurs poupées dans leurs bras, elles ne font
qu'un somme jusqu'au gĂźte. Mais quel appĂ©tit et quel bal le soir jusqu'Ă
neuf heures ! â Ă©crit plus loin Mme Sand, en redevenant bonne mĂšre.
Puis de nouveau, sans aucune transition, elle reparle de
« l'horizon politique ».
Il avait été sombre et couvert de nuages comme le ciel réel, mais voici
qu'au 1er décembre il y a un jour d'éclaircie dans la nature comme
dans la politique. Il faut savoir goûter ces moments de calme et de
repos.
VoilĂ comme nous avons fĂȘtĂ© le 1er dĂ©cembre et la fin d'une crise
qui ne fait que commencer. Serons-nous gais dans trois jours? La vie
coule ainsi entre deux rives menaçantes et quand on a savouré un jour
de repos, de soleil et d'espérance on se dit que c'est toujours cela de
pris. N'est-ce pas l'image de la situation générale? Prenons-les ces
jours de grĂące et de merci. C'est Dieu qui nous les donne, puisqu'il
nous a donné une ùme pour en apprécier la beauté et un corps pour en
apprécier la bénigne influence...
Et jusqu'Ă la fin de cette Lettre se suivent et s'enchaĂźnent
tantĂŽt des pages peignant les douces nuits tiĂšdes, les Ă©toiles
filantes, tantÎt des passages consacrés à la politique, puis des
566 GEORGE SAND
lignes sur Sylvain, le cocher « qui est dans la maison depuis 1845
et qui est plutÎt le maßtre que le valet de la famille », tous ces
morceaux enchaßnés au gré de quelque expression venue sous
la plume, d'une comparaison heureuse, d'un mot !
à travers tout ce babillage d'apparence légÚre, à travers tout
ce philosophique quiétisme de la vieillesse, luit comme un rayon
entre deux nuages, la seule et mĂȘme pensĂ©e : la libertĂ©, l'Ă©galitĂ©,
l'amour de tous les hommes les uns pour les autres, voilĂ les
vérités éternelles. Et quelque lent que soit leur avÚnement,
quels que soient les nuages qui assombrissent l'horizon, elles bril-
leront enfin un jour, elles ne périront point, comme le soleil
aussi ne périt jamais ; il n'est que caché et invisible, mais il est
et il sera, il luira!
George Sand commence plusieurs chapitres de ses Impressions
et souvenirs par quelque morceau tiré de son journal datant de
jours passés, ou par quelque page de mémoires écrits autrefois.
C'est ainsi que le chapitre vin est daté de 1841 ; le chapitre iv
renferme un jugement sur le rÚgne de Napoléon III et sur l'im-
pératrice Eugénie, soi-disant écrit dÚs 1860; les chapitres ix
et x sont deux Lettres d'un voyageur adressées à KoUinat en 1860-
61, lors du voyage de Mme Sand Ă Tamaris ; le chapitre in repro-
duit la Lettre écrite de Fontainebleau en 1837, déjà publiée t-n 1855
dans le volume Fontainebleau (1).
Nous présumons que l'auteur publiait ces morceaux de sou-
venirs non seulement en qualité d'entrées en matiÚre alléchantes,
pour Ă©mettre ses opinions philosophiques, psychologiques et
religieuses, mais encore pour démontrer le lien existant entre
ses idées présentes et les idées de sa jeunesse, ainsi que
leur Ă©volution progressive. En effet, si on lit attentivement
les pages philosophiques des Impressions et souvenirs, on
doit constater comment l'esprit profond, avide de vérité de
George Sand ne s'arrĂȘta oas Ă mi-chemin mais l'amena, en
élargissant et en creusant toujours plus avant sa pensée reli-
gieuse, à cette conception de l'univers, pénétrée d'im panthéisme
(1) V. notre vol. n. p. 48-49.
GEORGE SAND 567
calme et d'un doux et chaud amour pour tous les hommes (1).
En dehors de certains passages de ses lettres particuliĂšres
pouvant nous Ă©clairer lĂ -dessus, les chapitres i, ni, ix et x, mais
surtout le chapitre vin des Impressions et souvenirs sont des
documents curieux pour Ă©tudier la synthĂšse philosophique et
religieuse de George Sand dans les dix derniÚres années de sa vie.
(Nous avons déjà parlé ailleurs (2) du chapitre xvni, consacré
Ă l'analyse des opinions du pĂšre Hyacinthe Loyson.)
Les chapitres i et m, tous les deux datés de 1863, sont comme
la suite naturelle aux discussions philosophiques et psycholo-
giques de Mme Sand avec Manceau Ă Gargilesse et aux bords de
la Creuse, qui trouvĂšrent leur Ă©cho dans la Nouvelle lettre d'un
voyageur de 1864. D'autre part, ce chapitre ni traite encore la
question des songes, du travail inconscient de la pensée et du
libre arbitre, et se rattache en partie aux Lettres ix et x, adressées
à Rollinat, spécialement consacrées à des observations et des
rĂ©flexions sur les rĂȘves. Nous pouvons donc considĂ©rer ces quatre
chapitres comme une seule Ćuvre.
Le premier chapitre, daté du 23 janvier 1863 (une petite pré-
face adressée à Charles Edmond et datée de juillet 1871 ne sert
que d'entrée en matiÚre à cette série de lettres), ce premier cha-
pitre commence par la peinture d'une soirée d'hiver à Nohant.
En la lisant on croit voir ce coin paisible, éclairé par les rayons
orangés du couchant qui traversent la dentelle noire des tilleuls
effeuillés ; le ciel, encore rouge à l'ouest, tandis que la lune est
déjà au zénith, derriÚre elle monte dans le bleu froid toute la
constellation d'Orion, brillante comme un diamant, et plus
bas Ă©clate le blanc Sirius, palpitant dans l'Ă©ther ; il nous
semble aspirer cet air frais et immobile tout imprégné de
l'arĂŽme des violettes tardives ; nous Ă©prouvons ce calme que
Mme Sand ressentait de tout son ĂȘtre, au point de « craindre »
de remuer, de « s'entendre marcher », afin de ne pas « déran-
(1) Nous en avons déjà parlé dans le tout premier chapitre de notre pre-
mier volume, ainsi que dans le chapitre rv(Ă propos de l'Ă©closion premiĂšre des
sentiments religieux dans l'Ăąme de la petite Aurore Dupin).
(2) Voir plus haut, chap. ix.
568 GEORGE SAND
ger quelque chose dans la nature » : le charme serait rompu.
Plus tard, Ă minuit, elle est encore devant sa fenĂȘtre ouverte.
Alexandre Manceau la gronde, craignant de la voir prendre froid.
Puis il la presse de lui expliquer à quoi servent ces « muettes
contemplations ». Elle assure ressentir au milieu de la nature de
si indécises, de si mystérieuses et vagues perceptions qu'il lui
semble se détacher de son individualité, vivre de la vie commune
avec toute la nature, mais de ne pouvoir ni les définir, ni les
transporter, en les formulant, dans le domaine de Fart. Manceau,
adepte de Fart plastique, ne la comprend pas. H va se coucher.
RestĂ©e seule, George Sand s'efforce, quand mĂȘme, de prĂ©ciser,
d'expliquer sa « joie mystérieuse ». Il lui semble découvrir que cela
provient de son « instinct de la vie universelle », de la parenté
ressentie par elle avec le monde matĂ©riel, les choses et les ĂȘtres.
Peu Ă peu elle formule sa conception de l'univers, nette et com-
plÚte, sa cosmogonie dans le sens précis du mot. H est trÚs inté-
ressant de comparer ces pages de George Sand avec les Senilia
de Tourguéniew. Les deux auteurs ont évoqué l'impression de
l'homme devant la nature. Mais quelle différence entre les sen-
timents exprimés en présence de cette grande Verte insensible!
Tourguéniew est torturé par F effroi de la mort. Cette note résonne
presque dans toute la série de ses petits « poÚmes en prose ». La
destruction de son ĂȘtre individuel le dĂ©sespĂšre et la loi de la mort
universelle l'exaspĂšre. Cette nature insensible, qui
Brille de la beauté éternelle au seuil des tombes (1)
et qui est tout autant préoccupée des « muscles d'une cheville
de puce » que de l'existence de l'homme, roi de l'univers (2), le
révolte, il se récrie contre cette impassibilité, cette indifférence,
cette imperturbabilité.
George Sand, elle, se réjouit au contraire de cette marche de
la nature, indiffĂ©rente, incessante, de ce travail sans trĂȘve par-
tout sensible, de cette joie exultante, de ce? triomphes, de ces
victoires continues, non seulement « au seuil de notre tombe »,
(1) Vers de Pouchkine.
(2) Tourguéniew, Senilia.
GEORGE SAND 569
mais dans cette tombe mĂȘme. Dans la mort, dans la destruction,
elle constate le travail naturel, la reconstruction, la création
incessante, le mouvement Ă©ternel, donc la vie, Ă©ternelle aussi, de
tous les éléments de son propre corps, son entiÚre fusion, dans la
vie comme dans la mort, avec tout l'univers. Et ces mĂȘmes pattes
d'un insecte si soigneusement créées par la nature, si parfaites
dans leur destination (ce ne sont pas les pattes d'une puce, mais
d'une sauterelle dont parle Mme Sand), la portent non pas Ă des
pensées désespérées, mais à une contemplation joyeuse, pleine
de douce lumiĂšre, la font se sentir une part indivisible de la vie
universelle.
Les moments oĂč, saisi et emportĂ© hors de moi par la puissance des
choses extérieures, je puis m'abstraire de la vie de mon espÚce, sont
absolument fortuits, et il n'est pas toujours en mon pouvoir de faire
passer mon Ăąme dans les ĂȘtres qui ne sont pas moi. Quand ce phĂ©no-
mĂšne naĂŻf se produit de lui-mĂȘme, je ne saurais dire si quelque circons-
tance particuliÚre, psychologique ou physiologique m'y a préparé.
Cela arrive certainement Ă tout le monde, mais je voudrais rencontrer
quelqu'un qui pĂ»t me dire : « Cela m' arrive aussi de la mĂȘme maniĂšre.
Il y a des heures oĂč je m'Ă©chappe de moi, oĂč je vis dans une plante, oĂč
je me sens herbe, oiseau, cime d'arbre, nuage, eau coulante, horizon,
couleur, forme et sensations changeantes, mobiles, indéfinies ; des
heures oĂč je cours, oĂč je vole, oĂč je nage, oĂč je bois la rosĂ©e, oĂč je
m'Ă©panouis au soleil, oĂč je dors sous les feuilles, oĂč je plane avec les
alouettes, oĂč je rampe avec les lĂ©zards, oĂč je brille dans les Ă©toiles et
les vers luisants, oĂč je vis enfin dans tout ce qui est le milieu d'un dĂ©ve-
loppement qui est comme la dilatation de mon ĂȘtre. » Je n'ai pas
rencontré cet interlocuteur, ou je l'ai rencontré sans le connaßtre...
J'aurais voulu le rencontrer partout à la condition qu'il fût plus savant
que moi et qu'il pût me dire si ces phénomÚnes sont le résultat d'un
Ă©tat du corps ou de l'Ăąme, si c'est l'instinct de la vie universelle qui
reprend physiquement ses droits sur Vindividu, ou si c'est une plus haute
parenté, une parenté intellectuelle avec Vùme de l'univers qui se révÚle
à Vindividu délivré à certaines heures des liens de la parenté. M'est avis
qu'il y a de l'un et de l'autre... (1).
...Nous ne sommes pas des ĂȘtres abstraits et mĂȘme rien n'est abs-
trait en nous. Notre existence s'alimente de tout ce qui compose notre
milieu, air, chaleur, humidité, lumiÚre, électricité, vitalité des autres
(1) C'est nous qui soulignons. â W. K.
5/0 GEORGE SAND
ĂȘtres, influences de toutes sortes (1). Ces influences ont Ă©tĂ© nĂ©cessaires
à l'éclosion de notre vie, elles sont encore nous pendant sa durée. Nous
sommes terre et ciel, nuage et poussiĂšre, ni anges, ni bĂȘtes, mais un
produit de la bĂȘte et de l'ange avec quelque chose de plus intense dans
la pensée de l'un et dans l'instinct de l'autre ; nous ne sommes pas des
ĂȘtres ravis dans l'idĂ©al au point d'y perdre la volontĂ© et la libertĂ©. Nous
ne sommes pas non plus des ĂȘtres absorbĂ©s uniquement par le soin de
la conservation de l'espÚce et soumis à des procédés invariables...
Nous Ă©tudions l'ange, c'est-Ă -dire la partie sereine et divine de l'Ăąme
universelle ; nous observons la bĂȘte, y compris la plante, qui est un
ĂȘtre sans locomotion apparente ; et Ă la suite d'une vive attention
donnée à cet examen, nous arrivons à sentir matériellement et intellec-
tuellement., V action que nos gĂ©nĂ©rateurs multiples, ĂȘtres ou corps, exercent
encore sur nous.
Je ne rĂȘve donc pas quand, devant le spectacle d'un grand Ă©difice
de roches, je sens que ces puissants ossements de la terre sont miens
et que le calme de mon esprit participe de leur apparente mort et de
leur dramatique immobilité. La lune ronge les pierres, au dire du
paysan ; je dirai volontiers qu'elles boivent la lumiĂšre froide de la lune
et se désagrÚgent sourdement la nuit aprÚs avoir subi l'action dévo-
rante du soleil. Je songe au travail occulte qui s'opÚre dans leurs molé-
cules et je me sens portĂ© Ă leur attribuer le genre de bien-ĂȘtre qui se
fait en moi plus rapide, sous l'empire de circonstances analogues. Et
moi aussi je suis une pierre que le temps désagrÚge, et la tranquillité
de ces blocs, dont toute l'affaire est de subir l'action des jours et des
nuits, me gagne, me pénÚtre, me calme et endort ma vitalité. A quoi
bon vouloir tant de choses inutiles Ă la tĂąche quotidienne? L'Ă©ternelle
destruction, qui préside à la reconstruction sous un autre mode, est
plus active, puisqu'elle est incessante, que ne le sera jamais ma volonté
qui procĂšde par bonds. Mourir, ce n'est pas devenir mort, puisque c'est
servir Ă faire autre chose. Mourir, c'est changer d'action, et si l'action
continue dans la pierre, dans l'ossement qui paraĂźt ce qu'il y a de plus
insensible et de plus mort sur la terre, pourquoi me tourmenterai-je
du changement inévitable de ma patience sentie en une patience
inerte? Ce sera bien plus facile, et, Ă supposer que je n'aie point d'Ăąme,
c'est-à -dire qu'une vitalité capable de me reconstruire à l'état humain
ne me survive pas, je suis sûr de laisser ma pierre sous le sable, c'est-à -
dire un ossement tranquille qui deviendra un élément quelconque de
vitalité. Les influences naturelles s'en chargeront. Si la pierre qui a
contribué à mon ossature en me fournissant la partie calcaire qui est
(1) Cf. avec ce que George Sand disait dans son Ă©tude Ce que dit le ruisseau.
(Voir plus haut, p. 442-446.)
GEORGE SAXD 571
ma base est uue aĂŻeule que je ne puis renier et que je regarde avec
un certain respect poétique et raisonnable, la plante qui est un orga-
nisme, un ĂȘtre bien antĂ©rieur Ă moi sur la terre, a droit Ă mon admira-
tion, non seulement par sa grùce ou sa beauté, mais encore par le rÎle
qu'elle joue dans mon existence. Elle vit d'ailleurs, jusqu'Ă un certain
point, d'une vie analogue Ă la mienne. Elle ne remue pas par elle-mĂȘme,
mais elle agit par sa croissance, elle opĂšre son mouvement par une action
qui est en mĂȘme temps une production. Si elle a besoin d'aller trouver
un sol plus propice, une lumiĂšre plus ou moins vive, elle tire de sa propre
substance des branches, des vrilles ou de puissantes racines qui sont
en mĂȘme temps action et moyens d'action (1)...
Et en continuant la revue des ĂȘtres dans la nature, admirant
l'action de toutes sortes d'animaux, George Sand déclare que :
Comme tous ces ĂȘtres sont beaux ou intĂ©ressants dans leur mode
d'existence, on se transporte involontairement dans -cette existence
qui a l'air de nous enlever au sentiment de la nĂŽtre, mais qui, au con-
traire la complĂšte et le confirme. Qui n'a rĂȘvĂ© les ailes d'un oiseau?
Je me contenterais plus modestement des pattes du liĂšvre, ou des bonds
relativement immenses de la sauterelle. Je songe aussi au petit bien-
ĂȘtre cachĂ© du grillon des champs, dont l'appartement est si chaud, si
propre, et le masque d'arlequin si sérieux et si comique. Il a un tam-
bour de basque sous les ailes et il paraĂźt heureux comme un sauvage de
rĂ©pĂ©ter toujours la mĂȘme note. Quelle gaietĂ©, quelle folie, le soir, dans
un pré fleuri quand toutes les bestioles de l'herbe, rendues à la sécurité
par l'absence de l'homme, s'Ă©gosillent en conversations dans tous leurs
idiomes ! NVt-on pas besoin de se taire pour les «coûter, faute de pou-
voir chanter et causer avec elles? Mais comme pour décrire l'action
incessante et féconde de tout ce qui compose le charme de la nature,
il faudrait plus de temps qu'il n'en faut pour l'apprécier et le sentir, ;
j'oserai dire demain Ă mon ami [Alexandre Manceau] que les des-
criptions littéraires sont de pauvres paroles qui n'expriment pas la
milliĂšme partie de ce qu'on sent et qu'il y a plus de bonheur Ă ne rien
faire qu'Ă Ă©crire...
Le chapitre ni continue le colloque interrompu de l'auteur
avec son « ami A. ». Manceau a trouvé les pages de la Lettre
écrite par Mme Sand en 1837 de Fontainebleau, commençant par
(1) George Sand était trÚs portée à admettre une ùme de plante, surtout
depuis qu'elle avait lu le livre de M. Boscowicz : VAme de la plante. Elle en
parle flans l'une des Nouvelles lettres d'un voyageur, intitulée : De Marseille
Ă Menton.
573 GEORGE SAND
les mots : « Me voilĂ encore une fois dans la forĂȘt, seule avec
mon fils... » Dans cette lettre de 1837, en se souvenant, au milieu
des rochers et des arbres gigantesques de la forĂȘt, des pages de
Senancour consacrées à la description de Fontainebleau et en
notant la tendance de Senancour, commune Ă beaucoup de per-
sonnes, de toujours ĂȘtre mĂ©content de la nature qu'on voit, de
ne pas la trouver assez belle, de toujours comparer quelque chose
de minuscule, de gracieux, de doux, au grandiose, au vaste, au
heurté, de s'attendre au futur, ou de se rappeler, au passé, des
impressions extraordinaires, et de laisser passer inaperçu, sans
l'admirer durant la minute prĂ©sente, le vrai beau, â on se prive
ainsi de vraies jouissances, on gĂąte la fraĂźcheur de ses impres-
sions, â George Sand reconnaĂźt pourtant qu'elle a toujours aimĂ©
Obermann et Senancour, « ce génie malade » :
« Je l'aime encore ce livre étrange, si admirablement mal fait !
Mais j'aime encore mieux un bel arbre qui se porte bien. Il faut
de tout cela : des arbres bien portants et des livres malades, des
choses luxuriantes et des esprits désolés ! H faut que ce qui ne
pense pas demeure Ă©ternellement beau et jeune, pour prouver
que la prospérité a des lois absolues en dehors de nos lois relatives
et factices qui nous font vieux et laids avant l'heure. H faut que
ce qui pense souffre, pour prouver que nous vivons dans des con-
ditions fausses, en désaccord avec nos vrais besoins et nos vrais
instincts. Aussi toutes ces choses magnifiques qui ne pensent pas
donnent beaucoup à penser... »
Un peu plus haut, elle raconte que, passant des journées
entiĂšres au grand air, elle n'avait plus que la nuit pour Ă©crire et
elle ajoute :
Pour le reste je vis de la vie rationnelle. Je vis dans les arbres, dans
les bruyĂšres, dans les sables, dans le mouvement et le repos de la
nature, dans l'instinct et dans le sentiment, dans mon fils surtout qui
était malade et qui guérit à vue d'oeil...
Ayant donc relu avec Manceau cette page vieille de vingt-six
ans, George Sand reprend sa dispute avec lui :
Croire que l'on puisse, par la force de sa volonté et de son esprit, se
séparer de la vie universelle,- se mettre au-dessus des passions, des
GEORGE SAND 573
liens de sentiments, des vices, ne vivre que par la pensĂ©e, ĂȘtre « le
roi de la création », c'est, selon George Sand, « le plus grand non-sens
qui se puisse dire ». Nous ne sommes ni rois, ni esclaves : nous sommes
les membres d'une grande association qui s'appelle le monde, rien de
plus, rien de moins.
« Le monde extérieur a toujours agi sur moi », dit-elle plus loin,
toutes mes impressions, mes pensĂ©es, mes rĂȘves mĂȘme dĂ©pendent de
lui : comment peut-on donc parler du libre arbitre absolu? »
DĂšs que la toute jeune Aurore Dupin Ă©tait devenue consciente
de sa vie religieuse, elle avait toujours été préoccupée du pro-
blÚme du libre arbitre, de la responsabilité de l'ùme devant la loi
humaine et devant Dieu. George Sand avait mainte fois soulevé
cette question dans ses Ćuvres (1). AprĂšs cinquante ans de re-
cherches et de réflexions, elle se croit encore dans l'impossibilité
de la résoudre définitivement.
Peut-on assurer que nous soyons absolument libres lorsque nous
passons plus d'un tiers de notre vie en dormant, et qu'en dormant
nous voyons des rĂȘves qui ne dĂ©pendent pas, eux aussi, de notre dĂ©sir
de voir ceci ou cela, mais laissent apparaĂźtre des choses qui, sous l'in-
fluence de notre organisme, dépendent encore du monde extérieur, ont
Ă©tĂ© tirĂ©es de ce mĂȘme monde extĂ©rieur, se sont gardĂ©es dans notre
cerveau et se sont combinées d'une certaine façon, sans aucune par-
ticipation de notre volontĂ©? Les gens bien portants voient des rĂȘves
périodiquement, les fous toujours, les gens nerveux, les enfants, tous
ceux chez qui l'imagination prédomine, trÚs souvent. Et lorsque nous
veillons est-ce que nous pouvons toujours ĂȘtre maĂźtres du cours de nos
pensées et partant de nos actions, est-ce que ces pensées ne changent
pas parfois entiĂšrement ou ne changent pas de direction, sous l'action
du monde extérieur? La volonté, la volonté guidée par la raison peut
certainement faire beaucoup. Mais tout le monde possĂšde-t-il cette
volonté raisonnable? Est-il juste de croire qu'une volonté raisonnable
existe chez tout le monde au mĂȘme degrĂ©? Chez les hommes instruits
intelligents, bien Ă©duquĂ©s, autant que chez des ĂȘtres vivant entiĂšre-
ment en proie à leurs instincts et sous l'influence du monde extérieur?
D'autre part, comment distinguer le moi du non-moi, le moi et Yuni-
vers? Une fois que je suis une partie indivisible du tout et subis l'action
des Ă©toiles et de l'air, des plantes et des bĂȘtes, j'agis aussi d'une maniĂšre
et à un degré inconnus, mais certain sur cet air, sur ces plantes, ces
(1) Voir par exemple YHistoire de ma vie.
574 GEORGE SAND
étoiles ou tout ce qui est (1). Il faut eu déduire sans aucun doute
d" abord qu'il ne faut demander Ă personne, et moins qu'Ă qui ce soit,
au poÚte, l'homme porté à vivre sous l'empire de son imagination et
chez qui la rĂȘverie prĂ©domine sur les pensĂ©es et les actions, de toujours
pouvoir gouverner ces pensées.
H est trop naturel que le poĂšte, fort souvent, ne fasse que
s'abreuver inconsciemment d'impressions, il s'en pénÚtre, il vit
en dehors de son moi, il ne peut concentrer toutes les forces de
son ĂȘtre moral, et ceci lui est tout aussi nĂ©cessaire, lui est aussi
adhérent que la capacité, le savoir et la nécessité de concentrer,
de spécialiser le cours de ses pensées sont le trait adhérent de
l'homme voué à quelque autre spécialité, la science, les arts plas-
tiques, la technique.
Puis, il faut en déduire que moins un homme est conscient, moins
il est développé, plus il est dominé par ses instincts et moins il est
libre par rapport à l'action du monde extérieur sur lui, moins
est libre sa volonté et, partant, sa responsabilité devant Dieu,
les hommes et le jugement des hommes.
H faut donc que notre jugement soit développé par l'éducation, afin
que nous échappions à cette sorte de fatalité qui pÚse sur la vie de
l'ignorant ; mais il ne faudrait pas que cette Ă©ducation trop stoĂŻque ou
trop idéaliste nous conduisßt à vouloir rompre absolument avec l'in-
fluence de ce qui n'est pas nous-mĂȘmes. Ce serait un essai insensĂ© qui
nous conduirait à la folie, au fanatisme ou l'athéisme, à la haine de
Dieu ou de nos semblables, à l'orgueil démesuré qui n'est autre chose
qu'une privation de nos rapports avec la vie universelle, par consé-
quent une Ă©troitesse de conception. H n'y a rien de ce qui paraĂźt ĂȘtre
en dehors de nous, qui ne soit nous. Le non-moi n'existe pas d'une
maniÚre absolue, par conséquent le moi absolu est une notion fausse.
Toute la terre et tout le ciel agissent sur nous Ă toute heure, et, Ă toute
heure, nous réagissons sur toute la terre et sur tout le ciel sans nous
en apercevoir. Tout ce qui est, est réceptacle ou effusion, élément ou
aliment de vie. Il faut la respiration de tous les ĂȘtres pour que chacun
de nous ait sa dose d'air respira ble. Les nuages sont la sueur de la
(1) Cf. avec ce que nous avions dit plus haut en analysant Ce que dit le
ruisseau, Ă©crit, notons-le en passant, en cette mĂȘme annĂ©e 1863 que les deux
dialogues avec Manceau formant les numéros 1 et 3 des Impressions et sou-
venirs.
GEORGE SAXD 575
terre, il faut que tout y transpire pour que cous ne soyons pas dessé-
chés. Il faut que le petit astre de la voie lactée fonctionne dans le mode
d'existence qui lui est départi pour que l'univers subsiste. Comme la
goutte d'eau que le soleil irise, nous avons des reflets, des projections
immenses dans l'espace. Et moi, pauvre atome, quand je me sens
arc-en-ciel et voie lactĂ©e, je ne fais pas un vain rĂȘve. Il y a de moi en
tout, il y a de tout en moi. Et je n'ai pas la liberté de me séparer de ce
qui constitue ma vie. La mort ne m'en séparera pas. Ma volonté ne
peut pas m' anéantir...
Le chapitre vin des Impressions et souvenirs est surtout impor-
tant sous le rapport autobiographique, parce que George Sand
y raconte les étapes consécutives de sa pensée religieuse et qu'elle
y peint sa conception religieuse définitive. Il est intéressant sous
ce dernier rapport, aussi, c'est-Ă -dire qu'il permet de nous rendre
compte de la synthĂšse religieuse de George Sand dans la derniĂšre
pĂ©riode de sa vie. On voit aussi comment elle avait marchĂ© et Ă
quoi elle était arrivée.
Les deux premiĂšres pages de cette HuitiĂšme Lettre sont une
vraie merveille de poésie descriptive. Mme Sand, par un beau
clair de lune, allume un fagot ; puis, assise au coin du feu dans
sa petite chambre bien chaude et confortable, elle voit et sent
« que derriÚre les vitres passe la premiÚre gelée de l'année, non
pas l'inoffensive gelée blanche, mais la vraie, l'implacable, qui
fauche tout en une nuit ».
Puisque ce premier froid et ce premier feu, dit-elle plus loin, m'au-
torisent Ă une nuit de paresse, j'en profite pour refaire connaissance
avec une personne longtemps oubliée de moi dans ce dernier temps et
qui n'est autre que moi. Cette personne qui vit loin du mouvement et
du bruit, a des occupations qui l'absorbent souvent et ses récréations
appartiennent Ă une chĂšre famille oĂč elle n'a aucun besoin de se sentir
vivre pour exister pleinement. C'est par hasard qu'elle se recueille et
s'interroge aprÚs avoir souvent évité l'occasion de le faire en se disant :
a A quoi bon? » A quoi bon en effet? Mais qui sait? Peut-ĂȘtre doit-on
de temps Ă autre regarder en soi? On oublierait peut-ĂȘtre ce qui doit y
demeurer intact. Il ne faut pas trop se fier à la santé apparente de
l'Ăąme...
Et alors l'Ă©crivain repasse mentalement la route parcourue par
sa pensée et ses croyances.
576 GEORGE SAND
Jeune fillette, complĂštement confiĂ©e Ă elle-mĂȘme, elle passait
des nuits entiĂšres Ă lire dans cette mĂȘme chambre, et, aprĂšs avoir
lu, elle se chauffait un peu â ce qui n'Ă©tait pas facile alors â et
résumait ses lectures, en s'efforçant de concilier dans son esprit
les contradictions existant entre les idées des grands écrivains
ou leurs pensées et ses propres croyances.
ĂlevĂ©e au couvent et enivrĂ©e de dĂ©votion poĂ©tique, elle lisait tran-
quillement les philosophes, croyant d'abord qu'elle les réfuterait faci-
lement dans sa conscience ; mais elle se prenait Ă aimer les philosophes
et Ă voir Dieu plus grand qu'il ne lui Ă©tait encore apparu.
Elle croyait trouver chez ces philosophes la réponse à ses doutes
et Ă ses incertitudes, mais insensiblement ses croyances, d'or-
thodoxes qu'elles Ă©taient, devenaient individuelles, plus pro-
fondes, s'Ă©largissaient.
C'Ă©tait trĂšs vague, mais trĂšs grand et chaque fois que revenait la
vision, elle se présentait agrandie, comme si la sÚve eût augmenté dans
l'ensemble et dans le détail.
Mais dans cette conception spiritualiste manquait le sentiment
personnel envers Dieu.
L'Ăąme rĂȘveuse voulait aimer et la toute-puissance, objet de son admi-
ration, ne suffisait pas Ă contenter son cĆur. Il fallait l'infini de l'amour
dans cette crĂ©ation exubĂ©rante oĂč la force des renaissances est inĂ©pui-
sable, et le monde qui nous sert de milieu ne manifeste que la lutte
des existences empiétant les unes sur les autres...
...Alors l'Ăąme pensive dont je cherche Ă ressaisir la trace et qui dĂ©jĂ
en ce temps cherchait à se ressaisir dans le passé religieux, voulait se
relever par la priĂšre. Elle dĂ©pouilla la forme arrĂȘtĂ©e du catholicisme, elle
se fit protestante sans le savoir ; et puis, elle alla plus loin et improvisa
son mode d'entretien avec la divinité. Elle se fit une religion à sa taille,
Ă la mesure de son entendement. Ce n'Ă©tait probablement pas une
grande conception. C'était sincÚre et indépendant, voilà tout le
mérite.
Ce qui surnagea sur cette houle, ce qui plus tard et Ă tous les Ăąges
de la vie a surnagé et nagé vraiment sans lassitude, c'est le besoin de
croire Ă l'amour divin... J'aime mieux croire que Dieu n'existe pas
que de le croire indifférent...
GEORGE SAND 577
Quand elle se laissait parfois persuader par ses lectures qu'H
l'était, elle « devenait athée quelquefois pendant vingt-quatre
heures ».
Pendant de longues années elle ne parvint pas à résoudre ces pro-
blÚmes, mais parfois elle eut le bonheur de sentir « le vol de la divinité
maternelle passer sur sa tĂȘte», elle eut « le sentiment, presque la sensa-
tion de la présence divine...
Puis la vie extérieure, les préoccupations et les bouleversements de
toutes sortes refoulĂšrent ces recherches philosophiques, ces doutes et
ces Ă©lans.
Voulant, à présent, renouer le lien entre ses croyances d'antan et
les croyances de sa vieillesse, elle dit qu'au fond, ce lien n'a jamais été
rompu, il n'était que relùché.
H est lĂ , je le tiens, et le dialogue avec l'inconnu recommence, mais
sans que je puisse dire oĂč il en Ă©tait restĂ©, ni quelle fut la derniĂšre parole
échangée...
Mais dans ce dialogue avec l'Ătre suprĂȘme il n'y a plus rien qui res-
semble Ă une oraison rĂ©glĂ©e et dans la conception de cet Ătre il n'y a
aucun trait ressemblant Ă celui qu'adoraient le3 anciens, HĂ©breux ou
Grecs, ni à celui qu'on nous enseigne de croire. « Il faut donc ne rien
croire de Dieu, ou changer toutes les notions qui nous ont été données
de lui. Il faut renoncer à l'interpréter avec nos appréciations, avouer
que notre bonté n'est pas sa bonté, que notre justice n'est pas sa jus-
tice et qu'il nous a remis le soin de veiller sur nous-mĂȘmes, sans jamais
alléger au dehors des lois naturelles, les difficultés et les périls de notre
existence.
Elle est en son lieu, elle fait elle-mĂȘme sa place et sa destinĂ©e. Nulle
compassion, nulle assistance visible. C'est Ă nous d'arracher Ă la nature
ses secrets, c'est Ă la science et Ă l'industrie humaines de trouver ce
qu'il leur faut dans l'inĂ©puisable rĂ©servoir oĂč s'Ă©laborent les conditions
de la vie universelle.
...Ces dieux de l'antiquitĂ©, ce JĂ©hovah lui-mĂȘme qui les rĂ©sume tous
et qui donne une plus grande idée de la puissance de la nature con-
centrée dans ses mains, ce sont les forces et les vertus de la matiÚre. H
faut une religion matérielle pour se les rendre favorables, pour les
empĂȘcher de se mettre en colĂšre et de dĂ©chaĂźner les flĂ©aux qu'elles
tiennent en réserve pour le chùtiment des impies. Cette notion enfan-
tine et barbare entre dans le cerveau humain; elle s'y incruste en
passant du pĂšre au fils, elle y est encore et toujours la mĂȘme, avec le
ciel et l'enfer pour couvrir les manifestations illogiques des intentions
apparentes de la divinité à notre égard.
Ainsi toujours un Dieu fait Ă notre image, bĂȘte ou mĂ©chant, vain
,v- 37
578 GEORGE SAND
ou puéril, irritable ou tendre à notre maniÚre ; fantasque, si son caprice
agit sur notre monde, sophistique et casuiste s'il nous attend aprĂšs la
mort pour nous indemniser du tort qu'il nous a fait durant la vie. Le
dialogue avec ce Dieu-là m'est impossible, je l'avoue. H est effacé de
ma mémoire, je ne saurais le retrouver dans aucun coin de ma chambre.
H n'est pas dans le jardin non plus. H n'est ni dans les champs, ni sur
les eaux, ni dans l'azur plein d'Ă©toiles, ni dans les Ă©glises oĂč les hommes
se prosternent ; c'est un verbe éteint, une lettre morte, une pensée
finie. Bien de cette croyance, rien de ce Dieu ne subsiste plus en moi.
Et pourtant tout est divin. Ce beau ciel, ce feu qui m'Ă©claire, cette
industrie humaine qui me permet de vivre humainement, c'est-Ă -dire
de rĂȘver paisiblement sans ĂȘtre gelĂ© comme une plante, cette pensĂ©e
qui s'Ă©labore en moi, ce cĆur qui aime, ce repos de la volontĂ© qui m'in-
vite à aimer toujours davantage : tout cela, esprit et matiÚre, est animé
de quelque chose qui est plus que l'un et plus que l'autre, le principe
inconnu de ce qui est tangible, la vertu cachée qui fait que tout a été
et sera toujours. Si tout est divin, mĂȘme la matiĂšre, si tout est sur-
humain, mĂȘme l'homme, Dieu est dans tout, je le vois et je le touche, je
le sens puisque je l'aime, puisque je l'ai toujours connu et senti, puis-
qu'il est en moi à un degré proportionné au peu que je suis. Je ne suis
pas Dieu pour cela, mais je viens de lui et je dois retourner Ă lui, il ne
m'a ni quitté, ni repris, et ma vie d'à présent ne me sépare de lui que
dans la limite oĂč je dois ĂȘtre tenu par .l'Ă©tat d'enfance de la race
humaine...
C'est là une théorie parfaite du panthéisme. Selon George
Sand, ce n'est nullement « une perte du sens religieux comme
l'affirment les idolùtres persistants ». Au contraire, c'est un pas
en avant. C'est une « restitution de la foi à la vraie divinité »...
« C'est une abjuration des dogmes qui lui faisaient outrage. »
Ce n'est ni par des visions, ni par des miracles, que l'homme
entre en rapports avec Dieu, ni par l'extase, « état maladif » de
notre Ăąme (1).
Non, c'est la partie la plus subtile et la plus exquise de notre ĂȘtre
qui tressaille à l'idée de Dieu. L'usage trop répété de cette faculté
nous rendrait fous, les pratiques journaliĂšres dans des formules con-
(1) TrĂšs curieux Ă confronter ces lignes avec ce que George Sand disait
de l'extase en 1840, Ă propos de Mickiewicz, (Voir notre vol. III, p. 201
et suiv.)
GEORGE SAND 579
sacrées nous abrutissent et nous rendent incapables de saisir la moindre
parcelle de l'idéal divin.
George Sand espĂšre qu'il viendra
un temps oĂč nous ne parlerons plus de Dieu inutilement, oĂč nous
en parlerons mĂȘme le moins possible ; nous ne l'enseignerons plus
dogmatiquement, nous ne disputerons plus sur sa nature, nous n'im-
poserons Ă personne l'obligation de le prier...
Alors il n'y aura plus ni disputes, ni persécutions religieuses »
La prétention d'affirmer une religion formulée sera considérée
comme un blasphÚme. Toute intolérance, tout culte extérieur, héri-
tage du paganisme, disparaĂźtra, chacun adorera Dieu en esprit et en
vérité dans le sanctuaire de sa conscience selon l'idée qu'il s'en fait
et selon le degré de son développement.
Et dÚs aujourd'hui, le penseur isolé, inoffensif en présence des cultes
vieillis, tolérant envers tous par respect de la liberté humaine, mais
libre dans la sphÚre de sa méditation et ne relevant dans l'essor de sa
pensée que de l'esprit qui parle en lui, se sent affranchi, paisible,
attendri par la conquĂȘte patiente de sa foi personnelle. C'est son trĂ©sor
intérieur, c'est sa confiance modeste, son humble et inviolable séré-
nité...
Et à présent, conclut ce « penseur » qui, au déclin de son ùge,
voulut faire un examen de conscience de son moi moral et intel-
lectuel,
A présent que ma veillée s'achÚve et que mon moi délaissé se retrouve
et me parle, je sens Dieu, j'aime, je crois... tĂȘte Ă tĂȘte avec le principe
supérieur qui l'anime, ce moi n'est point seul, et son monologue est
un hymne intérieur dont l'écho affaibli d'une lointaine et mystérieuse
réponse prouve qu'il n'est point perdu dans le vide.
Et le chapitre vin se termine par cette page magnifique,
oraison mentale adressée à la Divinité :
toi que profane et méconnaßt la priÚre égoïste de l'idolùtre, toi qui
entends le cri du cĆur auquel les hommes sont sourds, toi qui
ne réponds pas comme eux à qui t'invoque le non impie de la raison
pure, toi, la source inépuisable qui seule répond à la soif inextinguible
du beau et du bien, à qui se rapportent toutes les meilleures pensées
et les meilleures actions de la vie, la peine endurée, le devoir accompli,
5So GEORGE SAND
tout ce qui purifie l'existence, tout ce qui réchauffe l'amour, je ne te
prierai pas. Je n'ai rien Ă te demander dans la vie que la loi de la vie
ne m'ait offert, et si je ne l'ai point saisi, c'est ma faute ou celle de
l'humanité dont je suis un membre responsable et dépendant. Mon
Ă©lan vers toi ne saurait ĂȘtre le marmottage du mendiant qui demande
de quoi vivre sans travailler. Ce qui m'est tracé, c'est à moi de le voir,
ce qui m'est commandé, c'est à moi de l'accomplir. Le miracle n'inter-
viendra pas pour me dispenser de l'effort. Point de supplication, point
de patenÎtres à l'esprit qui nous a donné l'étincelle de sa propre
flamme pour tout utiliser. Le dialogue avec toi ne s'exprime pas en
paroles que l'on puisse prononcer ou écrire ; la parole a été trouvée
pour échanger la pensée d'homme à homme. Avec toi il n'y a point de
langage, tout se passe dans la rĂ©gion de l'Ăąme oĂč il n'y a plus ni rai-
sonnements, ni dĂ©ductions, ni pensĂ©es formulĂ©es. C'est la rĂ©gion oĂč
tout est flamme et transport, sagesse et fermeté. C'est sur ces hauteurs
sacrées que s'accomplit l'hyménée, impossible sur la terre, du calme
délicieux et de l'ineffable ivresse...
Lorsqu'on a lu ce chapitre vin des Impressions et souvenirs,
on comprend encore mieux l'état de désespérance et d'efßroi
reflété par Lélia et Spiridion et auquel était livrée l'ùme de la
malheureuse ex-Ă©lĂšve du Couvent des Anglaises, alors que ses
croyances anciennes s'Ă©croulĂšrent, et la nouvelle foi n'Ă©tait point
encore éelose en son ùme. A présent, cette ùme bouleversée, cet
esprit ayant, jadis, combattu contre JĂ©hovah et les hommes, a
retrouvé son calme !
Lo thĂšse et Y antithĂšse se sont fondues dans leur synthĂšse. Et ces
neuf derniÚres années peuvent ainsi, à l'exception de Vannée
terrible (1870-71), ĂȘtre considĂ©rĂ©es au double sens de la vie fami-
liale et de la sérénité de l'ùme comme les années les plus heu-
reuses de la vie de George Sand.
En cette derniÚre période de sa vie George Sand continuait,
comme par le passé, d'écrire au moins un roman par an. quelque-
fois deux ou trois. Outre les romans déjà mentionnés en diffé-
rents endroits, plus haut (Malgrétout, 1869, Mademoiselle Mer-
qiien, Cadio, 1868, et Nanon, 1872), elle Ă©crivit en ces derniĂšres
dix annĂ©es : CĂ©sarine Dietrich, Ma sĆur Jeanne, Flamarande,
les Deux FrĂšres, Marianne Chevreuse, la Tour de Percemord.
Si le petit volume de Césarine Dietrich n'était pas signé, si
GEORGE SAN'D 581
quelques traits et quelques détails ne trahissaient pas trop leur
auteur, nous aurions hésité à l'attribuer à Mme Sand, le carac-
tÚre de cette Césarine, son impénitence persistante sont choses
peu habituelles Ă la maniĂšre de George Sand. Nous avons dĂ©jĂ
remarquĂ© que dans certaines Ćuvres de George Sand de Y avant-
derniÚre et de la derniÚre période de sa vie on sent une puissante
influence du réalisme, qui comptait ses premiÚres victoires.
Le lecteur se rappelle peut-ĂȘtre aussi que nous avions signalĂ©
dans Rose et Blanche, Valentine, Pauline, que si George Sand
s'était, dÚs ses débuts, abandonnée à sa propre maniÚre et ne
se fût point efforcée de s'approprier « le genre sublime », alors à la
mode, elle eût été plutÎt une adepte de l'école sobre de Balzac que
de l'école romantique et échevelée d'Henri de Latouche. Césarine
Dietrich occupe donc une place Ă part parmi ses derniers romans,
et ce qui est surtout remarquable, nous le répétons, c'est que
l'hĂ©roĂŻne demeure la mĂȘme jusqu'Ă la fin, ce qui est contraire Ă
la poétique de George Sand, elle ne devient ni tendre, ni désin-
téressée, ni moins égoïste. Césarine ne ressemble donc en rien
aux autres dames et demoiselles de George Sand transformées
par la puissance du vrai amour. CĂ©sarine n'aime qu'elle-mĂȘme.
C'est une toute jeune personne, presque une enfant dont la narra-
trice de cette histoire, une pauvre vieille demoiselle noble, doit
faire l'éducation. Césarine est la fille gùtée et capricieuse d'un
riche commerçant ; elle n'a plus de mÚre, et veut non seulement
arranger sa propre vie Ă sa guise, mais encore faire la loi Ă cette
gouvernante, Ă son pĂšre, Ă tous ses parents et adorateurs.
L'aplomb et la suffisance ne lui manquent pas plus que l'adresse
et l'habileté à se tirer d'affaire. Elle a toujours le dernier mot,
ne se laisse jamais surprendre ni attraper. Sa marche victorieuse
Ă travers la vie rencontre toutefois un obstacle inattendu dans
la personne du neveu de sa gouvernante. Ce jeune homme, que
Césarine veut compter au nombre de ses adorateurs, décline cet
honneur et lui témoigne de l'indifférence. Césarine offensée
entreprend une attaque en rĂšgle contre le jeune stoĂŻcien, mais le
jeune homme la repousse, bien qu'il soit, au fond de l'Ăąme, sub-
jugué par son charme ; il ne veut ni se laisser écarter du droit
532 GEORGE SAND
chemin, ni manquer Ă ses principes. CĂ©sarine trahit involontaire-
ment devant sa gouvernante sa vraie nature, elle révÚle sa faus-
seté, sa sécheresse, l'absence de toute morale. Puis elle pousse
à la démence, à la fureur le plus humble de ses adorateurs, le
marquis, qui provoque en duel le fils de sa gouvernante. A la fin,
ayant manqué son but et désirant donner le change à ses proches
par dépit, par amour-propre, par désir vaniteux de faire admirer
la grandeur de sa conduite, elle Ă©pouse ce marquis, demi-fou,
espérant étonner tout le monde. Cependant immédiatement aprÚs
son mariage, dame CĂ©sarine s'efforce de faire la conquĂȘte de son
ennemi le plus acharné, l'ami du marquis. Et l'auteur laisse
entendre que ce nouveau flirt va trop loin. H est Ă©vident que
CĂ©sarine, mariĂ©e, continuera ses manĆuvres, ses « campagnes »,
ses triomphes et ses « captures », que, par la logique mĂȘme des
choses, les amusements de cette coquette Ă froid ne seront plus
les innocents romans de CĂ©sarine jeune fille.
Ce roman eut le malheur de paraĂźtre dans la Revue des Deux
Mondes du 15 août au 1er octobre 1870. L'attention publique
prise par la guerre fie que peu de personnes l'ont lu lors de cette
premiĂšre publication, c'est le roman le moins connu de George
Sand. Chose curieuse : CĂ©sarine, son pĂšre sympathique et bonasse
et toute leur parenté sont justement des Alsaciens allemands
naturalisĂ©s Ă Paris, se considĂ©rant eux-mĂȘmes comme des Alle-
mands.
Le petit roman, ou plutĂŽt la nouvelle Marianne Chevreuse a
aussi, mais pour une autre raison, sa place Ă part dans l'Ćuvre
de la derniÚre période de George Sand : par sa fraßcheur, par son
ton, sa maniĂšre, son coloris, elle rappelle les toutes premiĂšres
Ćuvres : Valentine, AndrĂ© ou Lavinia. George Sand semble avec
intention avoir marqué de quelques traits autobiographiques son
hĂ©roĂŻne et le milieu oĂč elle Ă©volue. Cette Marianne Chevreuse,
petite brune aux grands yeux noirs, à la figure pensive et mélan-
colique, chevauche une petite jument maigre autour de sa pro-
priété. L'originalité et l'indépendance de sa conduite la font dé-
crier par les commĂšres de la ville voisine. Cette ville voisine porte
avec ostentation le nom de Faille sur Gouvre, dans laquelle les
GEORGE SAND 583
braves Lachùtrois avaient déjà une fois reconnu leur bourg
bienheureux (1). L'expérience littéraire et le savoir-faire magis-
tral de l'écrivain, son mépris de tout inutile détail font de ce
petit conte une Ćuvre vraiment classique digne d'ĂȘtre comparĂ©e
Ă Werther ou Hermann et DorothĂ©e de GĆthe. Flaubert Ă©crivait Ă
Mme Sand Ă propos de ce roman :
...Je trouve cela parfait, deux bijoux ! Marianne m'a profondément
ému et deux ou trois fois j'ai pleuré. Je me suis reconnu dans le per-
sonnage de Pierre. Certaines pages me semblaient des fragments de
mes mémoires, si j'avais le talent de les écrire de cette maniÚre. Comme
tout cela est charmant, poétique et vrai! La Tour de Percemont m'avait
plu extrĂȘmement. Mais Marianne m'a littĂ©ralement enchantĂ© (2). Les
Anglais sont de mon avis, car dans le dernier numĂ©ro de YAthenĆum
on vous a fait un trĂšs bel article. Saviez-vous cela? Ainsi donc pour cette
fois je vous admire pleinement et sans la moindre réserve...
Cette derniĂšre phrase renferme une allusion aux quelques
remarques faites par Flaubert et citées plus loin à propos de
Flamarande, paru six mois avant. Mais avant d'en parler,
ainsi que du tout dernier roman de George Sand, la Tour de Per-
cemont, aussi vanté par Flaubert, nous devons dire quelques
mots d'une série de romans de cette derniÚre période et de Y avant-
derniĂšre pĂ©riode de George Sand, â c'est-Ă -dire de l'Ă©poque
dĂ©cennale de thĂ©Ăątre. â Ils se rattachent les uns aux autres par
une idĂ©e commune, et traitent le mĂȘme thĂšme gĂ©nĂ©ral. Cette sĂ©rie
commence par la Filleule écrite en 1853, l'année des Maßtres
sonneurs, oĂč l'on voit dĂ©jĂ BrĂ»lette Ă©lever l'enfant naturel de la
Mariton. Ce thÚme général est ceci : Un enfant disparu, enlevé,
sauvé et élevé soit par une amie de l'héroïne, soit par un ver-
tueux serviteur, soit par quelque homme du peuple â l'homme
du peuple est de rigueur ! L'action se complique tantĂŽt par la
faute de la mĂšre, tantĂŽt par une accusation injuste, etc., etc. On
trouve des variations sur ce sujet dans la Filleule, dans Narcisse,
(1) Voir plus haut ce qui a été dit à propos de Narcisse et de Jean de la
Roche, vol. IT, chap. vin, p. 113, et dans le présent volume, chap. x.
(2) La Tour de Percemont parut dans les livraisons du 1er et 15 dé-
cembre et Marianne dans celles du 1er et 15 août 1875 de la Revue des
Deux Mondes.
584 GEORGE SAND
l'Homme de neige, le Marquis de Villemer, la Confession d'une
jeune fille, V Autre, drame tirĂ© de ce dernier roman, Ma sĆur
Jeanne, Flamarande, les Deux FrĂšres et la Tour de Percemoni.
Souvent cette histoire d'un enfant sauvé, ou retrouvant heu-
reusement la maison paternelle, s'embarrasse de tant de combi-
naisons et d'accidents invraisemblables, qu'il est tout Ă fait
impossible de les raconter ou mĂȘme de les retenir. Parfois mĂȘme
ces complications nuisent Ă l'intĂ©rĂȘt psychologique du roman.
Dans la Filleule un lecteur de goût aurait pu se contenter de
ce thĂšme : l'Ăąme inquiĂšte d'une jeune fille qui devient femme,
et, par besoin instinctif d'aimer et impossibilité d'analyser ses
aspirations, s'amourache de son tuteur et parrain. Et, comme
ceci arrive souvent Ă de jeunes personnes de cet Ăąge, tantĂŽt elle
s'imagine le détester et tantÎt elle en est jalouse, son humeur
devient fantasque et l'emporte dans des rĂȘves irrĂ©alisables, mais,
en fait, elle commet des enfantillages stupides, une série d'actes
dépourvus de sens commun. Ces pages fines, véridiques, intéres-
santes au possible auraient infiniment gagné si, les retranchant
de ce roman d'intrigue, George Sand les avait prises pour thĂšme
d'un nouveau roman, roman de mĆurs rĂ©aliste, peignant l'Ă©veil
d'une ùme féminine. Cela aurait été trÚs attachant et trÚs vrai.
Mais cette étude psychologique est noyée dans un chaos d'ac-
cidents invraisemblables, de vertus plus invraisemblables encore,
de grands d'Espagne, de gitanos, d'enlĂšvements d'enfants, d'ap-
paritions d'un personnage sous des noms divers et autres inven-
tions du plus mauvais goût littéraire, ou plutÎt du goût... du
théùtre de Nohant. Or, quand George Sand reste dans sa propre
maniĂšre, ainsi qu'elle nous apparaĂźt dans sa Correspondance,
dans Y Histoire de ma vie, dans ses Préfaces, dans les meilleures
pages de ses romans champĂȘtres ou de quelques-uns de ses der-
niers romans mi-réalistes (comme dans les tout premiers aussi,
par exemple dans Valentine), lorsqu'elle ne s'efforce pas de peindre
des « ruines » obligatoires, des souterrains ou des chùteaux roman-
tiques, mais dessine d'aprĂšs nature des tableaux de son cher
Berry, simples et réels, d'un seul coup elle s'élÚve trÚs haut.
Ses peintures ont un charme d'une beauté inoubliable et restent
GEORGE SAND 585
à tout jamais dans la mémoire du lecteur comme des paysages
de Ruysdael ou de Millet et en mĂȘme temps elles sont harmonieuses
comme une musique. C'est ainsi que dans la Filleule on peut
constater simultanément le mauvais goût assez habituel au théùtre
de Nouant â c'est le galimatias romanesque, qui en forme la
fable, et le talent â par la maniĂšre trĂšs personnelle qu'avait
George Sand de voir la nature. Cette maniĂšre apparaĂźt surtout
dans l'épisode psychologique cité plus haut et dans une page
lyrique d'un caractĂšre tout autobiographique (quoiqu'elle soit
écrite comme une page de Journal de Stéphen, héros du roman).
Nous trouvons indispensable de citer ce morceau intégralement :
...Me voilà donc enfin dans ma chÚre vallée, sous mon ciel pùle,
dans une atmosphÚre appropriée à mon organisation physique et
morale...
Il fait depuis avant-hier une chaleur exceptionnelle dans la saison
de notre climat. On se croirait aux premiers jours d'août. AprÚs avoir
fermé et scellé mes derniers cahiers, je me suis senti un besoin d'enfant
de courir seul dans la campagne, sans volonté, sans but, comme autre-
fois.
...J'ai pris la rive gauche de ma petite riviĂšre et je l'ai suivie en her-
borisant. Il n'y a pas ici un pauvre brin d'herbe que je ne regarde avec
plaisir, comme un vieux ami. Au lieu de ces noms barbares que la
science leur donne, je pourrais les baptiser tous de quelque mot char-
mant qui serait un souvenir de ma vie intime.
Au bout d'une heure de marche, je suis revenu sur mes pas, ne voulant
pas perdre de vue ce cher manoir de Briolé dont j'ai été bien assez
séparé par des horizons sans nombre. J'étais content de me voir assez
prĂšs pour me dire que si je voulais, d'un trait de course, en quelques
minutes, je serais lĂ . Mais j'avais la riviĂšre Ă traverser et plus d'une
heure de marche sans passerelle. Pour n'avoir pas cet obstacle qui
gĂȘnait dĂ©jĂ la libertĂ© de mes rĂȘves, j'ai fait un paquet de mes habits
et j'ai traversé à la nage le ruisseau, calme et profond à cet endroit-
là . L'eau était encore si agréable, que j'y suis resté dix minutes, aprÚs
quoi, à demi rhabillé sur l'autre rive, étendu sur le sable tiÚde que
perçaient de vigoureuses touffes de brome, j'ai goûté un indescriptible
bien-ĂȘtre, et j'ai dĂ©pensĂ© lĂ , complĂštement inerte, complĂštement
heureux, les douces heures qui me restaient.
0 douceur infinie de l'air natal ! placidité des eaux paresseuses, com-
plaisant silence du vent dans les arbres, dĂ©bonnaire majestĂ© des bĆufs
couchés sur l'herbe courte et brûlée des prairies, jeux naïfs des cane-
586 GEORGE SAND
tons que la poule veut ramener au rivage, pays simple et bon, prose
charmante de la poésie rustique !
Je n'Ă©tais pas loin du moulin. J'entendais le cri plaintif et doux de
la roue vermoulue qui semble se plaindre du travail et pleurer avec
l'eau qui l'entraĂźne. Les jeux des enfants et le chant des coqs envoyaient
de temps en temps une fusée de gaieté dans l'air somnolent. Une fraß-
cheur molle pénétrait dans tous mes pores. L'arÎme des plantes aqua-
tiques planait sur moi sans chercher Ă m'Ă©craser. Rien de violent, rien
de sublime dans cette nature paisible. LĂ oĂč j'Ă©tais couchĂ©, je n'avais
rien à admirer : l'horizon était fermé pour moi d'un cÎté par les buis-
sons Ă©pais de la rive gauche, au bout d'un travers de ruisseau qui n'a
pas vingt pieds de large ; de l'autre par le terrain qui se relevait en
talus inĂ©gal Ă deux mĂštres au dessus de ma tĂȘte. Par une Ă©chancrure
j'apercevais seulement la cime de quelques arbres et un pan de toit,
dont les ardoises se confondaient avec la végétation bleuùtre des
saules. C'était Briolé, mon nid, mon asile, mon Eden, là tout prÚs pour
ainsi dire de ma main.
Que pouvais-je dĂ©sirer? Une forĂȘt vierge? des prĂ©cipices? une vĂ©gĂ©-
tation hérissée qui déchire les regards? les vents maritimes qui abru-
tissent, les abĂźmes qui donnent le vertige? les cataractes qui Ă©branlent
les nerfs? Non, non ! Je ne regrettais rien de tout cela, je ne voulais
rien de mieux, rien de plus que cet horizon de pauvres herbes ; ce ruis-
seau sablonneux, ce gloussement de la poule, cette apathie des bĆufs
qui venaient tremper leurs genoux cagneux dans la vase à mes cÎtés, et
qui, en se dérangeant fort peu pour moi, ne me dérangeaient pourtant
nullement.
De quoi l'homme pensant a-t-il besoin, pour ĂȘtre heureux? De spec-
tacles, d'Ă©motions, de surprises, de dĂ©couvertes, de conquĂȘtes? Non,
il a besoin d'ĂȘtre aimĂ© d'abord, et puis de quelques instants de repos
absolu aprĂšs son travail.
Ce repos de l'Ăąme et du corps n'est pas l'oubli de la vie. Ce n'est pas
la végétation de la plante ni la digestion de l'animal ; c'est quelque
chose qui participe de ces mornes extases de la matiĂšre, mais qui
n'empĂȘche pas le principe divin de se sentir en possession de soi-mĂȘme...
Pendant des heures de cette complĂšte inaction, je n'eus pas une
seconde d'ennui, et il me semble pourtant qu'elles ont duré deux siÚcles.
Je ne sais si je pensais, je ne songeais pas Ă penser : j'ai pourtant trĂšs
bien vu et entendu toutes choses autour de moi. Les myriades d'ablettes
argentées qui s'ébattaient au soleil dans les petits lacs creusés sur le
sable de la rive par le pied des bĆufs ; la gourmandise capricieuse du
chevreau qui est venu goûter à toutes les plantes et qui a fini par
s'accommoder d'une Ă©corce Ă ronger ; le sillage muet de la loutre le
long des roseaux, la chasse ardente de la fauvette qui a guetté et pour-
GKORGE SAXD 537
suivi la mĂȘme mouche pendant un quart d'heure entier, au milieu de
mille autres qu'elle dĂ©daignait ; le niveau de la riviĂšre qui a baissĂ©, Ă
mesure que s'ouvraient les déversoirs des moulins et qui a laissé les
mousses inondées de ses marges bùiller au soleil; l'ombre des arbres
qui Ă©tait Ă mes pieds et qui, passant sur moi, a fui derriĂšre ma tĂȘte...
OĂč est le plaisir de contempler ou seulement de remarquer tout cela?
Ce n'est ni un plaisir de savant, ni mĂȘme un plaisir de poĂšte. Tous deux
sont difficiles Ă satisfaire. Il faut Ă l'un du beau, Ă l'autre du rare. Ma
jouissance s'accommodait de ce qu'il y avait de moins insolite, de plus
vulgaire dans le premier milieu venu, un coin d'herbe et de sable au
revers d'un fossé, un réseau de ronces pour cadre et quelques ardoises
pour lointain...
L'admirable impression de calme dans la nature rendue par
ces lignes, la finesse et la précision de l'observation rappellent
les paysages de l'Ă©cole hollandaise oĂč la poĂ©sie de l'ensemble et
le réalisme des détails sont si harmonieusement fondus. Mais cette
page leur est supérieure, plus captivante par le sentiment tout
subjectif de Y union avec la nature, par le panthéisme sain et
puissant, presque paĂŻen, par cette joie de vivre qui emplit
l'Ăąme de l'auteur et se transmet au lecteur. Et cette page est la
perle de ce roman.
Une donnée psychologique presque identique à celle de la
Filleule aurait pu former l'intĂ©rĂȘt principal d'un roman Ă©crit
onze ans plus tard, la Confession d'une jeune fille, publié en 1864.
Mais, hélas ! ce roman n'est encore qu'une variante de Y Histoire
d'un enfant! Cette fois c'est l'histoire d'une enfant adultérine
que son pÚre légal fait enlever et veut faire disparaßtre au moment
oĂč il l'envoie chez sa prĂ©tendue grand' mĂšre. Mais la petite a Ă©tĂ©
sauvée par une brave femme du peuple, Jenny, et par son mari,
et, au bout de quelques années, elle est ramenée chez l'aïeule et
y est élevée comme sa petite-fille. Devenue jeune fille elle est
menacée de perdre ses droits à l'héritage, son nom et sa situation.
La seconde femme de son prétendu pÚre veut les lui disputer.
L'avocat auquel cette créature confie son procÚs devient amou-
reux de la jeune fille et dĂ©fend ses intĂ©rĂȘts. Quant Ă elle, elle
s'amourache tour à tour de son précepteur, un cuistre, puis de son
cousin, un petit hobereau infatué de sa personne, Marius de
5SS GEORGE SAND
Mérangis, qu'elle doit épouser. Celui-ci s'étant ruiné rompt
d'abord avec elle, sa fierté ne lui permettant pas de refaire sa
fortune par ce mariage; puis c'est elle qui lui rend sa parole
lorsqu'elle apprend qu'elle n'est pas l'héritiÚre légitime de sa
grand'mÚre; elle souffre d'avoir involontairement usurpé un
nom et une parenté qui ne lui appartiennent point. Enfin, ce qui
met le comble à cet imbroglio, la jeune fille persécutée s'éprend
de l'avocat, Mac-Allan. Elle est sur le point de le soupçonner
d'avoir Ă©tĂ© l'amant de sa mĂšre, d'ĂȘtre peut-ĂȘtre son vrai pĂšre ;
heureusement, elle apprend qu'il n'a été que l'amant de la
seconde femme de son pÚre. La jeune demoiselle découvre aussi
que sa gouvernante, Jenny, aime son précepteur, Frumence,
mais qu'elle est toute prĂȘte Ă sacrifier son bonheur, croyant que
sa pupille l'aime aussi et souffre de cet amour. La grand'mĂšre
meurt, sans avoir appris que la jeune fille n'est point sa petite-
fille, mais aussi sans avoir signé son testament en sa faveur, ni
une lettre demandant Ă son fils l'autorisation de marier la jeune
fille ; de plus, ce fils meurt aussi subitement, avant sa mĂšre. La
jeune fille chassée par sa marùtre s'en va avec Jenny vivre dans
les Alpes, dans une petite maison de campagne, appartenant Ă
Mac-Allan... Tout se termine au mieux, grĂące Ă l'apparition,
comme d'un Deus ex machina, du prétendu demi-frÚre de la jeune
fille. Ce fils du second mariage de M. de MĂ©rangis, plein de nobles
sentiments, se dĂ©dit de ses droits Ă l'hĂ©ritage et termine Ă
l'amiable le procÚs contre celle qui porte le nom prétendu de
Jeanne de Mérangis. Enfin Mac-Allan se disculpe d'avoir été
l'amant de la seconde femme de M. de MĂ©rangis pĂšre, et Ă©pouse
la jeune fille.
A peine a-t-on terminĂ© ce roman qu'on s'embrouille dĂ©jĂ
dans tout cet imbroglio de personnages et de faits. Et pourtant
il aurait pu ĂȘtre tout Ă fait intĂ©ressant par sa donnĂ©e psycholo-
gique, ces fins changements d'impressions, ces passages d'un
sentiment Ă un autre d'un jeune cĆur qui s'Ă©veille prĂ©sentent
une donnĂ©e littĂ©raire du plus grand intĂ©rĂȘt pouvant devenir sous
la plume de George Sand d'un attrait enchanteur. L'héroïne, au
lieu de passer par toutes ces péripéties inutiles, aurait bien pu,
GEORGE SAND 589
comme une certaine Aurore Dupin, vivre tranquillement Ă la
campagne, dans une solitude absolue, en compagnie seulement
d'une aĂŻeule qui s'Ă©teint doucement et d'un cousin, petit gen-
tillùtre campagnard trÚs médiocrement éveillé, la traitant des-
potiquement (1); elle aurait pu aller les dimanches entendre
la messe dite par un vieux curé ami, dans une petite église de
campagne, déjeuner chez lui puis prendre des leçons de son
neveu, jeune rustre fort savant (2) ; elle aurait pu ĂȘtre fiancĂ©e Ă
un autre cousin, petit aristocrate, Ă©goĂŻste et raisonneur (3). Mais
l'auteur, Ă l'instar des piĂšces nohantaises, et pour complaire au
goĂ»t de l'Ă©poque, mais peut-ĂȘtre aussi par tendance naturelle de
son imagination, voulut faire entrer ce simple motif psycholo-
gique et ces premiers chapitres, si finement tracés, si pleins de
réminisceuces biographiques, dans le cadre d'une fable abracada-
brante ! La fine étude psychologique fut noyée dans ce scénario de
marionnettes, et un roman, qui aurait pu ĂȘtre des plus intĂ©ressants,
est devenu l'un des plus insipides et des plus faciles Ă oublier.
Plus tard, George Sand tira de ce roman une piĂšce en quatre
actes, V Autre. La comédie est supérieure au livre, contrairement
Ă ce qui arrive presque toujours. Et pourtant, il ne reste rien de
l'intéressant thÚme psychologique mentionné plus haut. L'his-
toire de l'enfant illégitime exilée de la maison paternelle par
l'époux offensé, puis élevée par sa prétendue aïeule, demeure seule.
Cette donnée est trÚs simplifiée et, vers la fin , tout à fait changée.
L'Ăcossais qui arrive dans la maison de la grand'mĂšre est un mĂ©-
decin, le pĂšre vĂ©ritable de la jeune fille. L'intĂ©rĂȘt de l'action n'est
(1) Comme Hippolyte Chatiron traitait sa demi-sĆur Aurore.
(2) Voir notre vol. Ier, p. 196, 198, et YEistoire de ma vie, t. III, p. 327,
330-334.
(3) George Sand dit, en passant, Ă la page 391 du volume II de son His-
toire de ma vie, que lorsqu'elle était toute petite, on avait projeté de la marier
Ă un de ses cousins de Villeneuve (ou plutĂŽt Ă l'un de ses neveux), le froid
Septime ou le moqueur Léonce et que, petite fille de sept ans, elle avait été
trÚs chagrinée à l'idée de ce mariage. En fondant dans le personnage de
Marius ces deux prétendus prétendants, George Sand ne manquera pas de se
rappeler les sentiments d'une fillette, à laquelle on veut suggérer l'obliga-
tion d'Ă©pouser un jour son cousin. Ce n'est point non plus par hasard que le
cousin de Jeanne de MĂ©rangis porte un nom romain : Septime dans la vie
réelle, il s'appelle Marius dans le roman. C'est à noter.
59o GEORGE SAND
plus dans l'amour d'HélÚne pour son précepteur, puis pour son
cousin (qui ne s'appelle plus Marius, mais Marcus), mais dans
la douleur du docteur Maxwell qui ne peut reconnaĂźtre son enfant
qu'en souillant l'honneur de sa bien-aimée, la mÚre de sa fille.
Il risque en outre de ravir à HélÚne le nom, l'héritage de la
famille étrangÚre qui l'a protégée, et enfin il ne se reconnaßt pas
le droit de porter un coup mortel au cĆur de la vieille dame
qui a toujours adoré cette prétendue fille de son fils comme
sa vraie petite-fille. L'action est trÚs serrée. L'abbé Costel est
changé en un maßtre de musique, Castel (1), maniaque et bourru,
excellent rĂŽle pour un acteur de caractĂšre. Son neveu, Fru-
mence, malpropre et distrait, mais trÚs réussi dans le roman,
est changé en Césaire, son fils naturel qu'il élÚve comme un
orphelin adopté ; ce Césaire est tout aussi distrait et vertueux
que son prototype, mais plus comique, plus rĂ©el et rendu tout Ă
fait sympathique par sa timide modestie. La vieille marquise,
aprÚs avoir été en proie à un sommeil quasi léthargique, se
réveille au dernier acte pour pardonner à Vautre, c'est-à -dire,
au vrai pÚre de sa prétendue petite-fille; Marcus-Marius, qui,
dans le roman, finit par faire un mariage d'argent en Ă©pousant
une pécore provinciale, se transforme dans la piÚce, sous l'action
de l'amour et de la jalousie, et se fait aimer de sa cousine. La seule
« jeune fille » (qui ne s'appelle plus Jeanne, mais HélÚne de
Mérangis) n'a point gagné au changement subi par tous les per-
sonnages. De fillette fantasque, peu équilibrée encore, passant
d'un rĂȘve Ă un autre, de projets raisonnables et bien intentionnĂ©s
aux actes les plus irréfléchis, du désir de se sacrifier à un égoïsme
juvĂ©nile, bref, de cet ĂȘtre intĂ©ressant et vĂ©ridique elle est trans-
formée en une jeune premiÚre aux nobles sentiments. Toute-
fois, au dire des journaux et des assistants, Mme Sarah Bernhardt
a été adorable dans ce rÎle.
Cette piÚce, jouée à l'Odéon en février 1870, eut un grand
succĂšs. Des piĂšces parues aprĂšs le Marquis de Villemer, c'est la
seule que Mme Sand Ă©crivit sans collaboration.
(1) Tout comme don Basile de la piĂšce de Beaumarchais est devenu un
« maßtre de musique » dans l'opéra de Rossini
GEORGE SAND 591
Quoique dans cette derniÚre période décennale George Sand
se soit souvent appliquée à tirer un drame ou une comédie de
l'un de ses romans, elle ne consacrait plus son temps Ă ce genre
de travail aussi souvent que durant les quinze années précé-
dentes. Et la plupart des piĂšces qu'elle fit entre 1866-1876
(VEomme de neige, Cadio, les Don Juan de village, Mademoiselle
La Quintinie, les Beaux Messieurs de Bois-Doré, la LaitiÚre et le
pot au lait, Un bienfait n'est jamais perdu, ou ne furent pas mises
Ă la scĂšne par elle seule ou bien ne virent jamais la rampe, ou
ne se maintinrent que fort peu sur l'affiche.
Ma sĆur Jeanne, publiĂ© dix ans aprĂšs la Confession d'une
jeune fille (1), est Ă©galement l'histoire d'une enfant. Quoique
l'hĂ©roĂŻne soit appelĂ©e « ma sĆur » par le hĂ©ros du roman, elle
ne l'est point et se trouve ĂȘtre la fille illĂ©gitime de la malheu-
reuse marquise de Mauville et de son amant, le noble et non moins
infortuné sir Richard Brudnel. Jeanne a été soustraite à la ven-
geance du marquis de Mauville, un fou méchant, puis sauvée
d'une mort certaine, aprĂšs la fin soudaine de la marquise, par
l'amie d'enfance de cette derniĂšre, AdĂšle Moessart, bien entendu
une femme du peuple, plus tard mariée à Moreno Bielsa, un
« vertueux contrebandier ». Jeanne s'Ă©prend â ceci va sans
dire â de son prĂ©tendu frĂšre Laurent Bielsa. Mais, en vraie fille
d'Eve, elle comprend d'abord trĂšs vite quel genre de sentiment
elle éprouve pour ce « frÚre », puis trÚs promptement aussi se
renseigne sur sa généalogie. Tandis qu'il faut au simple fils
d'Adam â c'est-Ă -dire Ă Laurent â un temps Ă©norme pour
débrouiller cet écheveau de suppositions et d'hypothÚses et
éclaircir le mystÚre de sa vie. Il découvre peu à peu que Jeanne
n'est pas sa sĆur, ni une fille illĂ©gitime de son pĂšre, ni le fruit
d'un amour criminel de sa mĂšre, et enfin que leur fortune est le
résultat des... opérations soi-disant commerciales de son pÚre.
Celui-ci est bien contrebandier, mais aussi noble qu'un contre-
bandier romantique peut l'ĂȘtre. Quant Ă sa femme, la belle-mĂšre
de Laurent, elle personnifie le sacrifice. Laurent découvre aussi
(1) Dans la Revue des Deux Mondes du 1er janvier au 1er mars 1874.
592 GEORGE SAND
que ce n'est point un amant que Jeanne voit mystérieusement
à la nuitée au jardin, au su de sa mÚre adoptive, mais bien son
vrai pĂšre, sir Brudnel. Ce n'est pas tout : sur cette histoire vient
se greffer l'aventure de la courtisane Manoela entretenue par sir
Brudnel... par pur désintéressement, car quoiqu'il l'entretienne
et la promĂšne Ă travers l'Europe, il la traite comme sa fille, ce
qui la désespÚre, la jette d'abord dans les bras de Laurent, puis
dans ceux de son ami le docteur Viane, avec lequel elle s'enfuit.
Heureusement tout se termine par le mariage de Laurent et de
Jeanne. Mais quel chaos !
Et voici encore une histoire d'un enfant, Flamarande, avec
sa suite, les Deux FrĂšres. Cette fois c'est l'histoire d'un enfant
prétendu adultérin, en réalité parfaitement légitime ; cruellement
chassé du chùteau paternel par un pÚre dénaturé et jaloux qui
le voue à la mort, il est sauvé par un valet de chambre, par la
bouche duquel l'auteur raconte toute cette histoire. Ce bon
serviteur place l'enfant dans un hameau situé aux environs
d'un autre chùteau de son pÚre. Plus tard Gaston caché sous le
nom d'Espérance, protégé par son prétendu pÚre, M. de SalcÚde,
l'homme injustement soupçonné d'avoir été l'amant de sa mÚre,
est conduit dans un endroit sauvage. C'est lĂ que M. de Sal-
cÚde, adonné aux sciences naturelles, surveille l'éducation de
l'enfant de celle qu'il aime. La mÚre aussi prend soin d'Espé-
rance. Elle a un second fils, mais celui-ci accepté par le pÚre.
Mais tandis que dans la Confession d'une jeune fille, dans
V Autre et Ma sĆur Jeanne on parvenait Ă arranger les choses,
à ne pas priver une pauvre petite fille illégitime de la famille
qui l'avait recueillie, dans Flamarande l'affaire se complique.
Le fils légitime élevé dans une famille de paysans passe pour
mort grùce à une déclaration de son pÚre faite sur les registres
de sa paroisse. La vraie mÚre et le frÚre d'Espérance-Gaston,
aprĂšs la mort du jaloux furieux, veulent lui rendre sa place
dans la famille. Cet acte risque de compromettre la réputation
de Mme de Flamarande et de diminuer les droits de Roger, le
second frÚre, sur l'héritage paternel. Un doute s'éveille alors
dans le cĆur du vieux valet de chambre. Gaston est peut-ĂȘtre
GEORGE SAND 593
un bĂątard. Si cela Ă©tait, lui qui devait veiller sur les intĂ©rĂȘts du
second enfant, doit le laisser déposséder. Gaston ne peut donc ni
rentrer en possession de l'hĂ©ritage paternel, ni ĂȘtre adoptĂ© par
M. de SalcĂšde, le chevaleresque ami de sa mĂšre : cette adoption
porterait atteinte Ă la vertu de la comtesse de Flamarande.
Gaston le comprend et se résout à rester paysan. Roger, qui
l'adore, continuera à le considérer comme son frÚre et à l'aider,
mais lui seul portera le nom de Flamarande. Ce n'est pas tout
encore. La comtesse de Flamarande, bien qu'elle aime tou-
jours M. de SalcÚde, qui n'a pas cessé de l'aimer, le cÚde à son
ex-rivale, son amie désintéressée, la baronne de Montespar. Tous
s'embrouillent dans des finesses exquises d'une sollicitude
extrĂȘme pour sauvegarder Ă la fois l'honneur du feu comte de
Flamarande, ce fou stupidement jaloux, et la réputation
immaculée de la comtesse. Gaston, resté au village sous son
ancien nom d'Espérance, épouse la fille de Michelin, le paysan
qui l'avait jadis recueilli. Seul le vieux valet est puni. Ce M. Chariot
qui avait commencĂ© par n'ĂȘtre que l'agent docile des volontĂ©s
du vieux Flamarande et qui finit par vouloir s'instituer juge
et arbitre du sort de Mme de Flamarande, de Gaston et de
M. de SalcÚde, poussé par un sentiment personnel dont il ne veut
pas se rendre compte, Ă©veille le dĂ©goĂ»t et le mĂ©pris dans le cĆur
de Roger. Ce malheureux valet, animé des intentions les meil-
leures, comprend, trop tard, qu'en Ă©coutant aux portes, en se
mĂȘlant des affaires sentimentales qui ne le regardaient pas, il
n'a fait que se rendre haĂŻssable et n'a plus qu'Ă disparaĂźtre.
Et ce n'est que justice.
On lit dans la Correspondance entre G. Sand et G. Flaubert les
lignes suivantes Ă©crites au printemps de 1876, aprĂšs la lecture
de ces deux volumes (1) :
« Parlons de vos livres... Ils m'ont amusé et la preuve c'est
que j'ai avalé d'un trait et l'un aprÚs l'autre Flamarande et
les Deux FrĂšres. Quelle charmante femme que Mme de Flama-
rande et quel homme que M. de SalcÚde ! Le récit du rapt de
(1) Flamarande fut publié dans la Revue des Deux Mondes, en 1875.
iv. 3S
594 GEORGE SAND
l'enfant, la course en voiture et l'histoire de Zamora (1) sont des
endroits parfaits. Partout l'intĂ©rĂȘt est soutenu et, en mĂȘme
temps, progressant. Enfin, ce qui me frappe dans ces deux
romans, comme dans tout ce qui est de vous d'ailleurs, c'est
l'ordre naturel des idées, le talent ou plutÎt le génie narratif.
Mais quel abominable coco que votre sieur de Flamarande!
Quant au domestique qui conte l'histoire et qui Ă©videmment est
amoureux de madame, je me demande pourquoi vous n'avez
pas montré plus abondamment sa jalousie personnelle..
« A part M. le comte tous sont des gens vertueux dans cette
histoire et mĂȘme d'une vertu extraordinaire. Mais les croyez-
vous bien vrais? Y en a-t-il beaucoup de leur sorte? Sans doute,
pendant qu'on vous lit, on les accepte à cause de l'habileté de
l'exécution, mais ensuite (2)?... »
Si la premiĂšre moitiĂ© de ces lignes doit ĂȘtre mise sur le compte
de la partialité amicale de Flaubert pour Mme Sand, on est de
tout point d'accord avec lui quant Ă la seconde partie de son
jugement.
C'est encore une histoire d'un enfant que le dernier roman de
George Sand, la Tour de Percemoni (3). L'héroïne, une toute jeune
fille, Marie de Mves, est persécutée par sa belle-mÚre qui, par
cupidité, veut la priver de son nom, de son héritage, l'enfermer
dans un couvent, la calomnier et la perdre. L'avocat, M. Chan-
tebel (qui raconte cette histoire), s'emploie à déjouer toutes les
machinations de la belle-mĂšre, Ă dĂ©couvrir le lieu oĂč s'est rĂ©fugiĂ©e
la jeune personne persécutée aprÚs la fuite du couvent, et à la
sauver, tandis que son fils Henri, auquel son pĂšre vient d'acheter
une terre (oĂč il y a un parc et la tour de Percemont), son neveu
et sa niĂšce, Miette et Jacques Ormonde, aident Marie de Nives
Ă se cacher dans cette tour de Percemont.
Tout se termine par un double mariage entre Jacques et
Marie, Miette et Henri, et, pour comble, on sauve en mĂȘme
(1) Coursier magnifique que M. Chariot laisse courir jusqu'Ă ce qu'il tombe
épuisé, la nuit de l'enlÚvement de l'enfant.
(2) Correspondance entre G. Sand et G. Flaulert, p. 455.
(3) La Tour de Percemont fut publiée dans la Revue des Deux Mondes
du 1er décembre 1875 au 1er janvier 1876 inclusivement.
GEORGE SAND 595
temps que Marie de Nives un autre enfant encore, la toute petite
Ninie, la propre fille de la froide et cupide intrigante comtesse
Alix de Nives. On la recueille pour l'Ă©lever, en indemnisant sa
nourrice et la malfaisante comtesse. (On sait que dans les romans
on dispose de milliers de francs avec la plus grande facilité.)
Donc, c'est l'histoire du sauvetage de deux enfants !
Il n'est pas sûr, mais on peut admettre, par certains indices,
que le roman, Aloine, derniĂšre Ćuvre de George Sand, commencĂ©e
en mai 1876 et point finie, devait encore ĂȘtre Vhistoire d'un enfant,
la jeune Fiorina, danseuse élevée par son prétendu pÚre, un
comédien, mais en réalité fille d'un pÚre trÚs noble. George Sand
n'en Ă©crivit que six chapitres et demi ou lettres (c'est un roman
par lettres). Le 29 mai elle s'est arrĂȘtĂ©e Ă la moitiĂ© du chapitre vii
et le 30 mai elle s'alita pour ne plus se relever.
Sa maladie dura dix jours et malgré toutes les mesures prises,
les soins attentifs et dévoués des médecins : MM. Papet, Pestel,
Chabenat, Darchy, Favre et le célÚbre chirurgien M. Péan, appelé
de Paris, rien ne put sauver la malade : aprĂšs dix jours de souf-
frances elle mourut le 8 juin, Ă 9 heures et demie du matin, d'une
occlusion de l'intestin, selon le procÚs-verbal des médecins.
Quelques-uns d'entre eux, plus portés que les autres à tirer une
conclusion précise de leurs observations, crurent, d'aprÚs cer-
tains indices sérieux, que cette occlusion de l'intestin, une espÚce
de miserere, était le résultat d'un cancer à l'état latent depuis
plusieurs années.
Nous avons pris copie d'une série de documents se rapportant
aux derniers jours, Ă la maladie, la mort et l'enterrement de
Mme Sand, écrits pour la plupart sous l'impression immédiate,
ou le jour mĂȘme, et donnant ainsi la possibilitĂ© de raconter l'Ă©pi-
logue de la vie de l'illustre écrivain et d'en fixer tous les détails,
sans y mĂȘler aucune espĂšce de lĂ©gende ou de racontars, si frĂ©-
quents en pareils cas. Ces documents sont :
1° Notes et impressions écrites lors de la mort de Mme Sand,
par Mme Nannecy de Vasson.
2° Sur la maladie et la mort de George Sand, par M. Paulin de
Vasson.
596 GEORGE SAND
3° Lettre de M. Charles Moulin, notaire, à M. P. de Vasson.
4° Notes sur la maladie et la mort de Mme Sand, par le docteur
Chabenat.
5° Lettre de M. le pasteur Louis Leolois à M. de Vasson.
6° Récit fait par Henry Barrisse : Sur la maladie et la mort de
Mme Sand.
Nous avons copié le manuscrit autographe de M. Henry Har-
risse, écrit la nuit précédant l'enterrement d'aprÚs les récits des
témoins oculaires et des médecins qui soignaient ]\Ime Sand ; ce
manuscrit est comme un procĂšs-verbal des derniers moments et
de la mort. Un peu plus tard, en septembre 1876, M. Henry Har-
risse donna cet Ă©crit Ă Mme Lina Sand; celle-ci, ainsi que le
docteur Pestel, y ajoutĂšrent des notes et des rectifications. Ce
manuscrit est extrĂȘmement prĂ©cieux et quoiqu'il s'y trouve
certaines inexactitudes et quelques erreurs, l'auteur s'est néan-
moins attaché à ne transcrire que la vérité, rien que des faits
vérifiés de la maniÚre la plus scrupuleuse.
En 1904, lors du centenaire, M. Harrisse publia ce manuscrit
sous forme d'une plaquette élégante tirée à cinquante-deux
exemplaires numérotés, destinés « à la famille et à quelques
amis » (1). Malheureusement, le texte de cette brochure diffÚre
beaucoup de celui du manuscrit primitif. Des corrections de
style enlevÚrent la fraßcheur et la spontanéité des traies expres-
sions, exactes et précises, et des locutions prime-sautiÚres sans
recherches. Mais ce manuscrit subit encore d'autres change-
ments, c'est ainsi qu'outre les notes mentionnées, qui corrigeaient
fort judicieusement quelques faits inexacts peu nombreux et
expliquaient quelques détails, on y a intercalé, encore, des correc-
tions et des changements, évidemment empruntés aux documents
que nous avons mentionnés plus haut et que nous citerons plus
loin ; c'est comme une déposition ayant subi l'influence d'autres
tĂ©moignages. Enfin, â et ceci est dĂ©jĂ tout Ă fait triste â on y a
visiblement fait entrer aussi, à une époque beaucoup plus récente,
(1) Nous possédons l'un de ces exemplaires avec un trÚs amicai envoi de
l'auteur. HĂ©las ! cet excellent arni ne lira plus le dernier volume de notre
travail, lui qui tenait tant à le voir terminé !
GEORGE SAND
597
des changements provenant de quelqu'un qui se croyait sans
doute trÚs compétent, mais qui souvent était trÚs mal renseigné
et apporta dans ces changements un élément d'inexactitude,
d'incertitude tout arbitraire, des plus déplorables. Donc, la ver-
sion manuscrite et la version imprimée de notre ami défunt
sont toutes différentes comme texte et comme valeur historique.
7° Note du docteur Pestel intitulée : les Médecins de Nohant.
8° Notes du mĂȘme auteur : Sur la maladie et la mort de
Mme 8 and.
9° Notes et remarques du mĂȘme auteur et de Lina Sand se
rapportant Ă certaines expressions et certains passages du manus-
crit de M. Harrisse.
10° Note de Lina Sand sur l'enterrement religieux de George
Sand.
GrĂące Ă tous ces documents nous pouvons suivre heure par
heure l'histoire de la maladie de Mme Sand et tout ce qui arriva
dans les derniers dix jours de sa vie, du 28 mai au 8 juin, et dans
les jours suivants, jusqu'Ă l'enterrement inclusivement. Nous
n'omettrons que certains détails médicaux, par trop spéciaux,
dans les notes des docteurs Chabenat et Pestel,
Depuis sa maladie de 1860 Mme Sand souffnit fort souvent
de coliques intenses, accompagnées de déviations subites de
l'intestin ou de constipations prolongées. On lit trÚs souvent
dans ses lettres des phrases comme celle-ci : « Je suis dans l'im-
possibilité de digérer quoi que ce soit... » « J'ai de nouveau été
sur le flanc, souffrant mort et martyre... » « J'ai eu des coliques
de tous les diables. » Puis ces accÚs passaient, Mme Sand n'y
prĂȘtait plus attention et, remise sur pieds, se remettait Ă tra-
vailler, Ă se promener, Ă prendre des bains froids dans la riviĂšre.
H est trĂšs malheureux que le docteur Favre, ami de Mme Sand
et de sa famille, ne sut prĂȘter Ă ces accĂšs pas plus d'attention que
la malade elle-mĂȘme. Elle croyait en lui aveuglĂ©ment, tandis
que selon certains de ses amis et au dire de médecins sérieux,
c'Ă©tait un docteur fantaisiste, beau parleur, mais nullement un
homme de science pratique, un « faux savant ».
598 GEORGE SAND
Mais tant que l'organisme robuste de Mme Sand domina son
mal, le « traitement fantaisiste » du docteur Favre sembla lui
faire du bien. Mme Sand prétendait que son médecin « connais-
sait son organisme », et elle suivait toutes les prescriptions de ce
docteur, sans consulter quelque célébrité parisienne, son vieil
ami Papet ou les docteurs Pestel et Darchy, qui avaient Ă plu-
sieurs reprises soigné ses petites-filles.
A partir de mai 1876 « toutes les fonctions de l'estomac avaient
complÚtement cessé »; Mme Sand éprouvait aprÚs avoir mangé
des coliques horribles ; le ballonnement du ventre lui rendait la
marche pénible. Mais cette fois encore, Mme Sand ne fit pas
attention à son mal et, ne voulant pas causer d'inquiétude à sa
famille, n'en dit mot et ne fit venir aucun médecin.
Le 20 mai toutefois, lorsque le docteur Chabenat, appelé pour
la premiĂšre fois Ă Nohant pour donner des soins Ă Maurice qui
souffrait d'une névralgie, vit Mme Sand, elle lui dit, en passant,
qu'elle « était atteinte depuis quinze jours d'une constipation
opiniĂątre, mais que son cerveau Ă©tait aussi libre qu'auparavant,
qu'elle ne souffrait pas, elle avait bon appétit, « cet état était
plutĂŽt une gĂȘne qu'une maladie », elle ne s'en « prĂ©occupait pas
autrement ». Depuis deux ans elle suivait, disait-elle, un régime
que le docteur Henri Favre avait prescrit, et voulait cette fois
encore lui Ă©crire. Cependant elle demanda un conseil au docteur
Chabenat. Celui-ci conseilla des pilules purgatives fort bénignes.
Le 23 mai, appelé de nouveau pour Maurice, le docteur Cha-
benat vit Mme Sand qui lui dit qu'elle se sentait mieux, les pilules
lui ayant fait du bien.
Le 23 mai Mme Sand Ă©crivait au docteur Favre :
Merci de votre bonne lettre, cher ami ! Je suivrai toutes vos pres-
criptions. Je veux ajouter à mon compte-rendu d'hier la réponse à vos
questions d'aujourd'hui. L'état général n'est pas détérioré, et, malgré
l'Ăąge (soixante-douze ans bientĂŽt) je ne sens pas les atteintes de la
sénilité.
Les jambes sont bonnes, la vue est meilleure qu'elle n'a été depuis
vingt ans, le sommeil est calme, les mains sont aussi sûres et aussi
adroites que dans la jeunesse. Quand je ne souffre pas de ces cruelles
douleurs, il se produit un phénomÚne particulier, sans doute, à ce mal
GEORGE SAND
599
localisĂ© : je me sens plus forte et plus libre, dans mon ĂȘtre, que je ne
l'ai peut-ĂȘtre jamais Ă©tĂ©. J'Ă©tais lĂ©gĂšrement asthmatique : je ne le
suis plus ; je monte des escaliers aussi lestement que mon chien.
Mais, une partie des fonctions de la vie Ă©tant presque absolument
supprimĂ©es, je me demande oĂč je vais et s'il ne faut pas s'attendre
à un départ subit, un de ces matins. J'aimerais mieux le savoir tout
de suite que d'en avoir la surprise. Je ne suis pas de ceux qui s'affectent
de subir une grande loi et qui se révoltent contre les fins de la vie uni-
verselle ; mais je ferai pour guérir tout ce qui me sera prescrit et si
j'avais un jour d'intervalle dans mes crises, j'irais Ă Paris pour que vous
m'aidiez Ă allonger ma tĂąche ; car je sens que je suis encore utile aux
miens.
Maurice va mieux...
Il est trÚs intéressant de constater que, n'ayant point fait
d'études médicales, mais étant par vocation une fine observa-
trice des choses de la vie, Mme Sand donne dans cette lettre
des indications fort précieuses pour un médecin et des indices
trÚs précis sur la nature de son mal. Il est à croire que si cette
lettre était tombée entre les mains de quelque autre docteur qui
n'aurait pas mĂȘme Ă©tĂ© mis au courant de la maladie de Mme Sand
par ses « comptes-rendus » précédents et par ses récits oraux, il
se serait empressĂ© de prendre des mesures Ă©nergiques, jusqu'Ă
conseiller peut-ĂȘtre une opĂ©ration chirurgicale.
D'autre part, George Sand semble avoir eu le pressentiment
de la gravité de ce « mal localisé », la sensation que la mort était
déjà là , toute proche, au seuil de la porte.
Ce mĂȘme jour, le 28 mai, vinrent Ă Nohant, de La ChĂątre des
amis des Sand : M. et Mme Paulin de Vasson (apparentés avec
les Papet, les PĂ©rigois et la famille de Jules NĂ©raud). Tous deux
ont décrit leur derniÚre visite et leur causerie avec Mme Sand ;
ils le firent immédiatement aprÚs sa mort : l'une le 11 juin, l'autre
le 12 juin. Ces deux récits ont donc une valeur particuliÚre.
Mme Nannecy de Vasson Ă©crit dans ses Notes, trĂšs attrayantes
par leur simplicité et l'absence de tout artifice :
Notes et impressions Ă©crites aprĂšs la mort de Mme Sand.
Le dimanche 28 mai j'ai été à Nohant passer la journée avec Ninie
pendant que Paulin Ă©tait au Coudray avec ses parents. Nous y avons
600 GEORGE SAND
déjeuné sans Mme Sand ; comme toujours, elle était un peu souffrante,
mais rien d'extraordinaire, elle ressentait depuis longtemps des douleurs
assez vives qui n'inspiraient presque plus d'inquiétudes. AprÚs déjeuner
nous nous sommes promenés, Lina et moi, dans l'allée du jardin potager
oĂč nous avons parlĂ© longtemps de choses et d'autres. Nous longions
le mur du cimetiĂšre et je regardais l'if qui est au-dessus du caveau de
la famille Dupin, bien loin de penser que quinze jours aprĂšs, pas plus
tard, nous serions nous-mĂȘmes sous cet if !... Nous sommes revenus dans
le parc et peu aprĂšs Mme Sand est descendue. Nous avons fait quelques
pas avec elle, admirant toutes les fleurs des champs, qu'elle aimait
tant, dont le gazon Ă©tait rempli ; elle nous a mĂȘme emmenĂ©s dans un
rond-point du petit bois pour nous faire admirer un orchis trĂšs rare.
Puis nous sommes revenus nous asseoir trĂšs prĂšs de la maison.
Mme Sand a parlé du voyage à Paris qu'elle projetait. La conversa-
tion languissait un peu ; elle n'Ă©tait jamais trĂšs vive avec Mme Sand,
qui avait mille pensées dans l'esprit. Elle a dit une chose qui m'a
frappée : elle admirait un oiseau qui marchait devant elle et elle a
ajouté : c'est singulier, ma vue est en train de revenir, je vois bien
mieux qu'avec mes lunettes.
Sur les cinq heures Paulin est arrivé avec ses parents, puis nous
sommes partis pour La ChĂątre.
Le lundi 29 mai, Lina est venue au spectacle avec nous, je n'ai pu
lui dire adieu étant rentrée chez moi à cause de ma fille. Le lendemain,
mardi 30, elle m'Ă©crivait ce qui suit :
Ma chĂšre Nannecy, je ne vous ai pas dit adieu hier pensant que
vous alliez venir nous rejoindre au théùtre et aussi pour que votre
fillette ne s'aperçoive pas que j'y retournais. Peut-ĂȘtre y avez-vous Ă©tĂ©
aprĂšs moi. Tout mon grand monde va un peu mieux par ce temps-ci.
Mes petites guettent en ce moment l'arrivée d'une riche mariée qui va
venir se faire bénir par mon mari. En aura-t-il des unions sur la
conscience! A bientĂŽt, n'est-ce pas?
Lina.
Je recevais cette lettre mercredi matin et Ă midi 31 mai on venait
me dire que Mme Sand se mourait...
Paulin est revenu de l'audience pour monter en voiture et y courir,
le soir il y est resté. AprÚs dßner j'ai été lui porter quelques objets dont
il avait besoin. J'ai trouvé Lina dans le jardin, nous nous sommes
embrassées en pleurant. Lina m'a dit : « Ma pauvre Nannecy, on a bien
du chagrin. » Pauvre, pauvre Lina ! et cependant le danger n'était pas
aussi imminent que je l'avais cru. Je suis montée avec Lina dans le
cabinet de travail de Mme Sand attenant Ă sa chambre Ă coucher,
puis je suis entrée chez elle un instant et là je l'ai vue et entendue
GEORGE SAND 601
parler pour la derniĂšre fois. Je suis partie pour La ChĂątre, Paulin est
resté, il a passé la nuit dans le cabinet prÚs de Mme Sand.
Le jeudi 1er juin j'ai passé la journée [à Nohant], on avait un léger
espoir, un peu de mieux s'était produit dans la nuit. Lina a déjeuné
avec nous, j'avais Ninie avec moi. Paulin plaidait ce jour-lĂ , il Ă©tait Ă
La ChĂątre depuis le matin. Il Ă©tait venu le matin un docteur Favre,
médecin à Paris, sans clientÚle, offrant peu de garantie et n'inspirant
aucune confiance excepté à la malade et à sa famille engouée fort
malheureusement de sa personne. Mon mari est venu me retrouver le
soir, il est encore resté passer la nuit pendant que je retournais à La
ChĂątre.
Samedi 3 juin. â Paulin a Ă©tĂ© le soir Ă Nohant ; il a rapportĂ© de
mauvaises nouvelles.
Dimanche 4 juin. â Sylvain, vieux domestique de Mme Sand, est
venu Ă une heure nous dire qu'elle Ă©tait au plus mal. Nous sommes
partis Paulin et moi avec Sylvain, nous avons trouvé en arrivant
Maurice tout en larmes, jusque-lĂ il s'Ă©tait fait des illusions. Lina est
descendue, elle a pleuré en poussant des cris nerveux. C'est elle entre
tous qu'il faut plaindre.
Les médecins, M. Papet, ami d'enfance de Mme Sand, Pestel et
Darchy, médecin de Mme Sand, sont trÚs effrayés. Pendant notre
visite un mieux trÚs sensible. Je pars presque rassurée. Paulin reste
passer la nuit.
Lundi 5 juin. â Paulin revient Ă 4 heures du matin, les nouvelles
sont moins bonnes que je ne l'espérais. Je pars à 8 heures pour une
absence de toute la journĂ©e, je reviens le soir. Paulin est retournĂ© Ă
Nohant dans la journée, les nouvelles ne sont pas bonnes.
Mardi 6 juin. â Mme Sand est au plus mal.
Mercredi 7 juin. â Paulin va Ă Nohant. Mme Sand est condamnĂ©e.
Jeudi 8 juin 1876. â Mme Sand est morte Ă 9 heures du matin. Elle
a fait ses adieux à toute la famille. Ses idées ont été parfaitement
lucides jusqu'au dernier moment. Paulin a été à Nohant passer la
nuit, il est allé dans la chambre mortuaire ; il a vu le corps de
Mme Sand, la figure Ă©tait sereine. On avait couvert son corps de
fleurs.
Vendredi 9 juin. â Nous avons Ă©tĂ© Ă Nohant Paulin et moi. Pauvre
Lina, elle a tout perdu.
Samedi 10 juin 1876. â Nous avons Ă©tĂ© accompagner George Sand
à sa derniÚre demeure, sous cet if que je regardais avec indifférence
moins de quinze jours ayant. En arrivant nous avons trouvé le cer-
cueil à l'entrée de la maison, il était couvert de deux magnifiques cou-
ronnes de fleurs blanches et violettes, l'une faite Ă Nohant, l'autre
envoyée de Paris par une corporation d'ouvriers. Nous avons suivi
6o3 GEORGE SAND
le cercueil Ă l'Ă©glise. Les coins du drap mortuaire Ă©taient tenus par
MM. Oscar Cazaniajou et René Simonnet, neveux de Mme Sand,
Alexandre Dumas fils et le prince Napoléon-JérÎme Bonaparte,
dĂ©putĂ© de l'AssemblĂ©e nationale. ArrivĂ©s au cimetiĂšre le prĂȘtre s'est
retiré et la véritable cérémonie a commencé.
Un discours a été prononcé par mon oncle M. Ernest Périgois, gendre
de Jules NĂ©raud, le Malgache des Lettres d'un voyageur. M. Paul Meu âą
rice a lu une lettre envoyée le matin par Victor Hugo. On avait dis-
tribué aux assistants des branches de laurier pour jeter sur le cercueil
de George Sand. Je garde une parcelle de la mienne aprĂšs l'avoir fait
toucher au cercueil. Ce sera pour moi et les miens non seulement un
souvenir de la plus grande illustration du dix-neuviĂšme siĂšcle, mais
encore le souvenir d'une amie que nous avons aimée pour sa bonté,
encore plus que nous ne l'avons admirée pour son sublime talent.
Kannecy de Vasson.
Le 11 juin 1876 (dimanche).
Ces Notes et impressions simples et spontanées furent évidem-
ment jetées sur le papier précisément le 11 juin, et non pas aprÚs
coup. Elles sont précieuses par leur ton de franchise et de vérité.
C'est pour cette raison que nous les citons intégralement. Celles-
ci nous serviront d'entrée en matiÚre pour citer des extraits
d'autres Ă©crits sur le mĂȘme sujet.
Si je laisse s'Ă©couler le temps sans transcrire les impressions que j'ai
ressenties depuis quinze jours, Ă©crit M. Paulin de Vasson Ă la date du
12 juin 1876, je ne serai peut-ĂȘtre plus Ă mĂȘme de rappeler en dĂ©tail
le fait douloureux, l'événement mémorable que je viens de tra-
verser...
Le dimanche 28 mai j'étais allé déjeuner au Coudray chez Mme Du-
vernet, la veuve de ce bon et aimable homme (encore un que j'ai
pleuré). J'avais laissé Nannecy et sa fille déjeuner à Nohant. Dans la
journée nous passons à Nohant, espérant peu y voir Mme Sand qui,
généralement, ne descendait pas avant l'heure du dßner. La journée
était chaude, c'était la premiÚre de l'année. Nous l'avons trouvée
dans le jardin avec ses enfants, Nannecy, ma fille et M. Sagnier (1),
(1) MM. Sagnier et de Vasson furent ainsi les derniers visiteurs Ă Nohant
qui virent Mme Sand bien portante. L'un des derniers visiteurs de Nohant
fut aussi un certain M. Gotilieb Ritier qui décrivit sa « Visite chez George
Sand » dans les numéros 31-32 de la Garlenlaule de 1876. A l'exception de ce
fait, c'est-à -dire d'avoir été le dernier des étrangers qui vit Mme Sand peu
GKORGE SAND 603
jeune homme de NĂźmes qui venait souvent Ă Nohant. Je me souviens
que j'ai donné à Mme Sand des nouvelles du docteur Darchy, son
ancien médecin préféré, que j'avais vu un mois avant à Chamoon.
Mme Sand s'est écriée : « Pauvre Darchy, s'il était encore à La Chùtre
je ne serais pas malade. » Je n'ai pas fait grande attention à cette
exclamation, ne trouvant rien d'inquiétant dans son aspect. J'ai dit
alors : « Le brave Darchy est trÚs absorbé par ses courses et sa clien-
tĂšle et il m'a dit, madame, qu'il ne viendrait Ă Nohant que si vous
aviez besoin de lui, ce qui, ai-je ajouté, ne se produira pas de si tÎt. »
(Quatre jours aprÚs Darchy était appelé et nous déclara qu'elle était
perdue.)
*; Pour en revenir à cette journée du 28 mai, il fut question d'un voyage
à Paris. Je dis à Mme Sand : « Voulez-vous que je vous accompagne?»
Ma femme ajouta : « Je vous donne mon mari. » Elle était peu décidée
à faire ce voyage. Cependant le lendemain 29 elle se déterminait à le
faire accompagnée de Sagnier. En vue de son départ elle voulut prendre
une précaution de santé nécessitée par l'état latent de la maladie, qui
est devenue fatale...
Le 29 mai, ayant l'occasion de passer Ă Nohant, j'entrai prendre des
nouvelles de M. Maurice â Ă©crit le docteur Chabenat dans ses Notes sur
la maladie de Mme Sand. â Mme Sand apprenant ma prĂ©sence au
chùteau me fit demander par l'aßnée de ses petites-filles, Aurore ; je
montai dans son cabinet ; elle Ă©tait assise devant son bureau, une ciga-
rette Ă la bouche et la plume Ă la main.
Elle me dit qu'il n'y avait pas eu de selles depuis le 23 et me fit
remarquer que son ventre avait augmenté de volume. (Regardez donc
cette panse, docteur, me dit-elle.) Malgré cela elle travaillait avec autant
de facilité que par le passé, mais le volume énorme de son abdomen,
la fatigue qu'elle Ă©prouvait dans la marche, les coliques qu'elle avait
aprÚs les repas, l'inquiétaient.
Je me réservais de faire un autre jour un examen direct... parce que
cet Ă©tat me semblait assez grave, mais ce jour-lĂ Mme Sand n'Ă©tait
pas alitée, et, nouveau médecin dans la maison, j'aurais pu paraßtre
bien audacieux.
Je crus qu'il était prudent de combattre immédiatement la cons-
tipation et je prescrivis pour le lendemain matin, 30 mai, 30 grammes
d'huile de ricin avec 30 grammes de sirop d'orgeat. Je choisis de pré-
férence un purgatif doux agissant plutÎt mécaniquement qu'en irri-
tant l'intestin, parce que je croyais avoir affaire à un intestin ulcéré.
Le purgatif fut pris le mardi 30 mai h 10 heures du matin.
avant sa mort, cet article ne se distingue par aucun mérite et contient une
série d'erreurs et d'inexactitudes. C'est ainsi par exemple que M. Ritter
assure que Solange demeurait chez sa mĂšre Ă Nohant, etc., etc.
6o4 GEORGE SAND
Le médicament ne produisit aucun effet, l'occlusion de l'in-
testin étant déjà absolue alors.
BientÎt Mme Sand fut prise de coliques. D'abord « elle s'en plaignit
avec un certain engouement », dit M. Paulin de Vasson dans ses notes.
« J'ai le diable dans le ventre », disait-elle. Vers les 3 trois heures de
l'aprĂšs-midi Mme Sand se sentit trĂšs mal. Appelant sa femme de
chambre elle lui dit d'aller chercher Maurice, qu'elle n'en pouvait plus
et souffrait horriblement. Son fils la trouva étendue sur le canapé, en
proie Ă de vives douleurs (1).
Ce jour-lĂ , dit le docteur Pestel dans ses notes, Mme Maurice et ses
filles étaient allées dÚs le matin à une noce de village avec Sagnier,
son mari était resté à la maison. A 4 heures aprÚs-midi, quand elle
rentra, elle trouva Mme Sand trÚs fatiguée. Elle éprouvait des coliques,
des nausées, des envies fréquentes d'aller à la garde-robe, qu'elle ne
pouvait satisfaire. Ces symptĂŽmes allĂšrent en augmentant.
Dans la soirĂ©e, â Ă©crit le docteur Chabenat, â la malade fut prise
de vomissements noirĂątres et de coliques atroces. On courut chercher
M. Papet, le médecin le plus proche, ami intime de Mme Sand. H
ordonna de la glace à l'intérieur, de grands bains, des onctions sur le
ventre avec la pommade mercuriale simple. Les vomissements s'arrĂȘ-
tĂšrent, mais le ventre resta douloureux...
Depuis le moment de l'arrivée du docteur Papet jusqu'à 4 heures
du matin, â raconte le docteur Pestel, d'aprĂšs le rĂ©cit de son collĂšgue
M. Papet, â la malade souffrit horriblement, poussant des cris aigus
qu'on entendait de l'extrémitité du jardin. Les nausées étaient conti-
nuelles (il y eut plusieurs vomissements), les coliques trĂšs violentes, le
ventre trĂšs sensible Ă ce point qu'il ne pouvait supporter le poids d'un
cataplasme. A partir de 4 heures du matin il y eut une légÚre rémission
dans l'intensité des douleurs...
Le docteur Papet trouva l'Ă©tat de la malade plus qu'alarmant.
DÚs qu'il l'eut examiné, il dit à Maurice : « Elle est perdue (2)... »
Le lendemain matin on envoya chercher le docteur Pestel Ă
Saint-Chartier et le docteur Chabenat Ă La ChĂątre.
Le 31 mai, je fus applĂ© Ă Nohant oĂč j'arrivais Ă 8 heures du matin,
â Ă©crit le docteur Pestel. â Je trouvais en arrivant le docteur Papet
qui y avait passé la nuit et qui m'attendait...
(1) Texte imprimé de M. Henry Harrisse dans les Derniers moments et
les obsÚques de George Sand, souvenirs d'un ami, publié à l'occasion du cente-
naire de l'illustre Ă©crivain, 1er juillet 1904.
(2) Texte imprimé de M. Henry Harrisse.
GEORGE SAND 605
H me mit au courant de ce qu'il avait observé la veille et me montra
les vomissements et les urines de la malade, que, suivant sa recomman-
dation, on avait conservĂ©s. Les matiĂšres vomies... identiques quant Ă
l'aspect cà celles qu'on observe dans le cancer de l'estomac arrivé à la
pĂ©riode de l'ulcĂ©ration... H Ă©tait Ă©vident que, de mĂȘme que les matiĂšres
vomies, elles contenaient du sang en assez grande quantité. Je me
rendis alors auprĂšs de la malade...
Mme Sand était alitée, elle souffrait beaucoup du ventre ; elle me
raconta dans de grands détails et d'une voix haletante ce qui s'était
passé la veille, elle insista surtout sur la purgation qu'elle avait prise,
m'interrogeant du regard comme pour surprendre sur ma physionomie
ce que j'en pensais. Pour répondre à sa pensée, je lui dis que cette
purgation était parfaitement indiquée ; que l'huile de ricin était le
purgatif le plus doux et le plus inoffensif qu'on peut employer ; que
tout médecin y aurait eu recours ; que si elle n'avait pas produit l'effet
qu'on en espérait, cela tenait certainement non à l'administration
intempestive de ce médicament, mais à la nature de la maladie ; qu'il y
avait dans l'intestin un obstacle au cours des matiÚres que le médi-
cament n'avait pas pu vaincre, mais que c'Ă©tait chose qu'on ne pou-
vait deviner; que l'eût-on deviné d'ailleurs, il aurait fallu chercher
Ă le faire disparaĂźtre, et qu'alors l'huile de ricin Ă©tait le meilleur moyen
qu'on pût employer dans ce but.
Malgré ce raisonnement qui, du reste, était trÚs juste, je m'aperçus
qu'elle n'Ă©tait pas le moins du monde convaincue.
...Le pouls Ă©tait large et plein, battant 88 fois par minute (ce qui
Ă©tait pour Mme Sand de la frĂ©quence â elle n'avait que 50 Ă 55 pul-
sations en état de santé), elle avait presque constamment envie de
vomir, la langue Ă©tait blanchĂątre, large et humide, le faciĂšs nullement
altéré, soif vive.
Prescription : glace, fomentations sur le ventre avec l'huile de
camomille camphrée, cataplasmes émolhents ; bains de siÚge ; lave-
ments Ă©molhents. La femme de chambre (ancienne nourrice d'Aurore)
que nous avons interrogée nous a dit que depuis deux ans qu'elle
était au service de Mme Sand, elle avait remarqué que presque cons-
tamment il y avait du sang dans les garde-robes ; que ce sang se
montrait sous la forme de caillots noirs.
Ce renseignement nous fit supposer, au docteur Papet et Ă moi, qu'il
existait dans le gros intestin une ou plusieurs ulcérations anciennes...
On vint me chercher quelques instants aprĂšs la visite de ces mes-
sieurs â Ă©crit le docteur Chabenat, â mais je ne pus me rendre Ă
Nohant que vers les 3 heures. Je fus trĂšs surpris, en arrivant, de
trouver les visages consternés et de voir là réunis les amis de la maison :
M; Sagnier, M. Charles Moulin, M -de Vasson, M. et Mme Gabillaud.
6oĂŽ GEORGE S AND
M. Papet était là aussi, et ni "apprit les événements de la veille. Nous
attendßmes l' arrivée de M. Pestel pour nous rendre auprÚs de la malade.
Il arriva bientĂŽt et nous montĂąmes dans la chambre de Mme Sand.
Mme Maurice Ă©tait auprĂšs de sa belle-mĂšre avec la Thomas et la. Nounou.
(Toutes les trois ont veillé et soigné l'illustre écrivain jusqu'à son der-
nier soupir.)
Nous constatùmes que le ventre était ballonné, trÚs douloureux, et
qu'Ă chaque instant il y avait des Ă©ructations. Le pouls Ă©tait toujours
à 88 ; la malade était trÚs altérée et ne prenait aucune nourriture. Le
traitement prescrit la veille par M. Papet fut continué...
A 8 heures nous Ă©tions tous les trois prĂšs de Mme Sand... L'Ă©tat de
la malade n'avait pas changé, elle se plaignait toujours du ventre...
Je passai la nuit dans le cabinet de travail de Mme Sand, attenant
à sa chambre et me rendis prÚs d'elle chaque fois que ma présence était
nécessaire.
Mme Maurice ne quitta pas sa belle-mĂšre un seul instant.
M. de VasBon resta avec M. Maurice une partie de la nuit et quand
M. Maurice fut couché, il monta dans le cabinet de travail avec moi.
H y eut cette nuit-lĂ une garde-robe, c'Ă©tait la premiĂšre depuis le
23 mai. Elle n'amena aucun soulagement ; le ballonnement du ventre
resta le mĂȘme...
Mme Sand fatiguĂ©e d'ĂȘtre couchĂ©e sur le dos se fit transporter sur
son canapé.
Au moment oĂč nous la transportions, M. de Va-sson qui croyait qu'on
avait besoin de son aide se montra Ă la porte de la chambre ; Mme Sand
l'aperçut et demanda qui était là ; quand on eut nommé M. de Vasson, elle
s'écria : « Non, non, n'entrez pas, c'est une horreur, c'est une infection ! »
Ces mots revinrent souvent dans sa bouche jusqu'au dernier
moment...
Nous jugeĂąmes la situation tellement grave, â Ă©crit le docteur
Pestel dans l'une de ses Notes ajoutĂ©es au manuscrit de M. Harrisse, â
que nous priùmes M. Maurice de télégraphier pour faire venir un mé-
decin de Paris. H nous répondit : « Je vais télégraphier à Favre de
venir. » Nous lui dßmes : « Soit, mais qu'il en amÚne un autre avec lui,
nous voulons un médecin d'une science pratique incontestée. » Et comme
M. Maurice nous dit ne connaßtre à Paris d'autre médecin que Favre,
nous lui désignùmes Barth ou Jaccoud. Le lendemain 1er juin M. Favre
arrivait seul à 8 heures du matin, n'ayant pu amener un des médecins
désignés. Il repartait pour Paris à 10 heures et demie avec le mandat
d'envoyer de suite au chĂąteau M. PĂ©an ou un autre. Ce mĂȘme jour
Mme Maurice avait télégraphié à Darchy (ancien médecin de Mme Sand
qui habite Chambon, Creuse) de venir. La veille déjà nous avions fait
GEORGE SAND 607
appeler Chabenat, de La ChĂątre, avant de quitter Nohant. M. Favre
voulut que nous rédigions une note explicative de la maladie afin qu'il
la remßt à Paris à Péan. C'est moi qui rédigeai cette note qui fut signée
Ă©galement de Papet et de Chabenat...
M. Paulin de Vasson Ă©crit dans sa note Sur la maladie et la
mort de Mme Sand :
Le docteur Papet, appelé le premier, craignit une paralysie des
intestins. Pestel de Saint-Chartier, appelĂ© de suite, avait la mĂȘme
pensée et sa physionomie n'était pas rassurante. H avait des hoche-
ments de tĂȘte significatifs. Chabenat Marc, en Ă©tait pour prendre des
mesures immédiates. Mais Mme Sand avait un médecin, un certain
docteur Favre, qui m'a toujours produit une déplorable impression.
Malheureusement Ă Nohant on croyait en lui. Je ne veux pas dire que
le pauvre cher homme ait causé par son incapacité la moindre catas-
trophe. Non ; mais étant donné la possibilité (à laquelle je ne croyais
pas) de sauver la malade, le docteur Favre, faux savant, bavard et
sans pratique mĂ©dicale, ne pouvait ĂȘtre qu'un obstacle.
Les trois docteurs : Papet, Pestel et Chabenat ont demandé l'appel
d'une célébrité de la médecine. Prévoyant l'intention par la famille
d'appeler le docteur Favre, ils ont demandé deux médecins et désigné
Barthe et Jaccoud.
On a télégraphié (malheureusement) au docteur Favre en lui don-
nant commission d'amener ces messieurs. Nous attendions avec anxiété.
Le pauvre Maurice Ă©tait en proie Ă une agitation extraordinaire pen-
dant toute la nuit oĂč je l'assistais.
Or, Ă 8 heures du matin arrive le docteur Favre seul, J'Ă©tais, je
l'avoue, exaspéré. J'ai eu la- patience cependant d'écouter ses expli-
cations prolixes et détaillées, desquelles on comprenait qu'il n'avait pu
amener aucun de ces messieurs. Alors, mon homme, en présence des
trois médecins, et avant d'avoir vu la malade (1), fait des discours sur
sa maladie : « C'était la dyssenterie, ou bien c'est une hernie, je la fric-
tionnerai, etc. »
Pestel tapait du pied.
Enfin il s'est décidé à entrer dans la chambre de Mme Sand. H en
redescend et alors, jusqu'à son départ, on n'entend que le docteur
Favre avec son flux de paroles inutiles et cette faconde intempestive.
(1) Mme Lina Sand avait mis en note Ă ces mots :
« Je ferai remarquer que Favre soignait Mme Sand depuis des années et
connaissait beaucoup mieux que ces messieurs l'Ă©tat de la malade, puisqu'ils
ne l'avaient jamais soignée, sauf Darchy.
« Lina. »
6o3 GEORGE SAND
H insista auprÚs des autres médecins pour faire valoir son avis, qui
consistait Ă retourner Ă Paris, lui Favre, aller trouver un chirurgien,
lui faire connaĂźtre la maladie de Mme Sand et rinstruire sur l'Ćuvre
chirurgicale Ă accomplir.
Pour cela il décida ces messieurs à faire un procÚs-verbal qui fut rédigé
par Chabenat. Muni de ce document Favre repartit.
Le docteur Chabenat continue son récit :
Le jeudi matin 1er juin, MM. Pestel et Papet vinrent Ă Nohant vers
S heures. On attendait M. Barthe ou M. Jaccoud mandés la veille par
une dĂ©pĂȘche envoyĂ©e Ă M. le docteur Favre. Xotre dĂ©sappointement
fut grand quand nous vĂźmes ce dernier sans ces messieurs.
H était accompagné de M. Sagnier (1) (de Xßmes) qui était allé l'at-
tendre Ă ChĂąteauroux. Xous causĂąmes longtemps avec M. Favre qui
vint avec nous dans la chambre de Mme Sand. La sonde Ćsophagienne
fut de nouveau introduite sans plus de résultat que la veille. M. Favre
nous pria de rédiger une note (ce qui fut fait par M. Pestel) qu'il remet-
trait au chirurgien, M. PĂ©an. H repartit pour Paris Ă 10 heures et
demie pour prévenir l'opérateur.
Dans la matinĂ©e du mĂȘme jour, M. Cazamajou, neveu de Mme Sand,
arriva Ă Xohant et fut jusqu'au dernier soupir de sa tante admirable
de dévouement.
M. Papet resta une partie de la journée prÚs de la malade. M. Peste
et moi nous restùmes le soir. Rien ne fut modifié dans le traitement.
La situation Ă©tait toujours la mĂȘme. Je restai jusqu'Ă une heure du
matin.
Le vendredi 2 juin nous Ă©tions Ă 8 heures du matin Ă Xohant. Xous
trouvĂąmes en arrivant un autre confrĂšre, M. Darchy de Chambon
(Creuse), ami de Mme Sand, arrivé dans la nuit pour lui donner ses
soins. Inous attendĂźmes M. PĂ©an que M. Favre devait envoyer. Il
arriva vers 9 heures avec M. René Simonnet, substitut à Chùteauroux,
neveu de la malade. M. PĂ©an examina Mme Sand et aprĂšs cet examen
il fut décidé que l'on ne pouvait avoir recours à l'entérotomie et que
l'on se contenterait d'injecter Ă l'aide de la sonde Ćsophagienne,
introduite le plus loin possible, une certaine quantité d'eau de Seltz.
On aurait recours ensuite Ă la ponction abdominale dont nous avons
déjà parlé avec M. Papet et Pestel dÚs le 31 mai. La petite opération
fut remise aprĂšs le dĂ©jeuner, M. PĂ©an voulant repartir le soir mĂȘme
pour Paris...
A midi et demi environ, M. Péan, assisté des confrÚres dont j'ai
(1) Charles Sagnier.
GEORGE SAND 609
parlé (et en présence de Mme Lina, de M. Cazamajou, des deux domes-
tiques), pratiqua l'opération. Mme Sand eut d'horribles souffrances
pendant l'opération; elles furent suivies d'un soulagement notable
ensuite... La soirée fut plus calme.
Mme ClĂ©singer, prĂ©venue par une dĂ©pĂȘche, Ă©tait arrivĂ©e de Paris et
resta jusqu'Ă la fin Ă Nohant pour veiller sa mĂšre et lui donner ses soins.
La journée du samedi 3 juin fut relativement meilleure sans qu'il y
eût cependant aucune rémission dans les symptÎmes. H y avait bien
quelques selles mais le ballonnement du ventre, les douleurs, le pouls
ne changeaient pas. La malade causait un peu mieux ; elle demanda Ă
voir ses deux petites-filles et son chien Fadet, elle prit un peu de gelée
de viande. Rien à signaler dans la soirée. M. Darchy restait à Nohant
ce qui nous permit de nous retirer vers 11 heures.
Le lendemain matin 4 juin l'Ă©tat s'Ă©tait aggravĂ©, le pouls Ă©tait Ă
100 pulsations, la respiration plus difficile par suite de la distension
des intestins par les gaz. A chaque instant la malade demandait Ă
changer de place ; elle se plaignait sans cesse et exprimait le dégoût
que lui inspirait sa maladie. On recommença l'opération que M. Péan
avait faite l' avant-veille, mais sans obtenir plus de succĂšs... [Vient
l'énumération des symptÎmes qui s'étaient aggravés.] La journée fut
plus calme que la matinée.
On télégraphia à M. Favre de revenir à Nohant. La soirée et la nuit
n'apportĂšrent aucun changement.
Lundi 5 juin. â M. Favre et M. Plauchut arrivent le matin et se
rendent dans la chambre de Mme Sand oĂč nous Ă©tions rĂ©unis, Papet,
Pestel, Darchy et moi. La malade était encore plus affaissée que la
veille, elle avait cependant son entiĂšre connaissance et embrassa avec
effusion MM. Favre et Plauchut. On ne prescrivit rien de nouveau.
Le ballonnement du ventre était toujours considérable, le pouls à 100...
l'occlusion persistait.
M. Darchy quitta Nohant dans l'aprĂšs-midi. Nous nous retrouvĂąmes
le soir, et M. Pestel resta passer la nuit. Nous constatĂąmes ce soir-lĂ
un épiphénomÚne grave. La bouche et le pharynx étaient remplis de
muguet.
Mme Simonnet passa la journée du 5 à Nohant, elle repartit le len-
demain matin et revint le soir. M. Cazamajou, M. René Simonnet,
Mmes Lina et Clésinger ne quittaient pas Mme Sand.
Mardi 6 juin. â Les symptĂŽmes s'aggravent encore; la malade
conserve cependant sa connaissance. Les amis arrivent pour assister
aux derniers moments de l'illustre Ă©crivain. M. et Mme Boutet sont
lĂ , MM. Emile Aucante, Plauchut, Amie ; MM. de Vasson, Gabillaud,
Moulin viennent passer la soirée avec M. Maurice et prendre des nou-
velles de sa mĂšre.
iv. 39
6io GEORGE SAND
Mercredi 7 juin. â Le muguet augmente. La soif est atroce. La
malade change de place Ă chaque instant ; elle se plaint du ventre,
trĂšs distendu, et des reins. Elle a horreur de sa position ; elle demande
la mort.
Vers 9 heures du matin elle fait appeler ses petites-filles,, les embrasse
toutes les deux, les appelle ses chĂšres adorĂ©es et leur recommande d'ĂȘtre
bien sages. Tous les assistants ont les larmes aux yeux.
La journée et la soirée n'apportent aucun changement. On continue
Ă faire des onctions sur le ventre avec la pommade mercurielle bella-
doaaée...
Vient une énumératioii des symptÎmes dont les uns s'ag-
gravent, les autres restent alarmants comme au premier jour.
Le soir on transporte Mme Sand sur un lit de fer, afin de changer
ses draps et de la délasser un peu.
M. Papet s'en va vers 9 heures, je reste jusqu'Ă 11 heures. M. Pestel
malgré la présence du docteur Favre, veille jusqu'à 4 heures du matin.
Au moment de son dĂ©part l'Ă©tat de la malade Ă©tait toujours le mĂȘme (1).
Jeudi 8 juin. â A 5 heures du matin, une heure aprĂšs le dĂ©part de
M. Pestel, Mme Sand perd connaissance ; son agonie dure quatre
heures et demie, elle expire Ă 9 heures et demie...
« Ces lignes ne sont pas destinées à la publicité, écrit le docteur
Pestel dans sa, Note. Elles n'ont été écrites que dans le but de fixer mes
souvenirs personnels. Quand on se fie à sa mémoire, le temps efßaee les
impressions, dénature les faits, il engendre la légende avec ses exagé-
rations et ses erreurs. Quand on prend le soin de noter ses impressions
du moment, ce que l'on a vu, ce qu'on a entendu, l'Ă©crit reste et avec
lui. la vérité. Voilà pourquoi j'ai écrit ces notes... »
Ces mots du docteur Pestel qui servent d'épilogue à ses ré-
flexions sur les médecins de Nohant, pourraient parfaitement
servir d'Ă©pigraphe aux Notes qu'il ajouta au manuscrit de
M. Henry Harrisse. En effet leur bonne foi,, leur vérité et leur
exactitude ne peuvent Ă©veiller le moindre doute. C'est pour cela
qu'Ă l'exception de deux passages que nous empruntons au petit
opnseule de M. Harrisse trĂšs bien Ă©crit et plein de sentiment,
mais malheureusement comportant les ajoutés mentionnés plus
(1) M, Pestel écrit : « Quand je quittai Nohant le 8 juin à quatre heures du
matin, le pouls de la malade avait encore une force telle que je devais sup-
poser que l'existence se prolongerait pendant vingt-quatre heures environ. »
GEORGE SAND 6n
haut, et du reste imprimé, de sorte que chaque lecteur peut le
parcourir, nous allons raconter les derniers moments de Mme Sand
en nous tenant surtout Ă la version du docteur Pestel :
Ce qui la prĂ©occupait, l'humiliait mĂȘme, â lisons-nous dans le
manuscrit de M. Harrisse, â c'Ă©tait la nature de sa maladie. Gomme
Fherniine, elle serait morte d'une tache. Aussi, quoique absolument
docile entre le* mains des médecins, les effets de son mal la navraient
et c'Ă©tait pour que ses enfants et ses amis ne pussent en voir les traees
qu'elle les Ă©loignait... Pendant sa maladie elle parla trĂšs peu...
Dans la nuit du 4 au 5 juin, vers 11 heures du soir, quand Mme1 Sand
me vit prĂšs de son lit â Ă©crit le docteur Pestel dans ses Notes ajoutĂ©es
au manuscrit de M. Harrisse â elle me dit : « Mon pauvre petit docteur,
que tu es bon ; je te remercie, pourquoi rester? Une si vilaine maladie. »
Le 7 juin à 9 "heures du matin Mme Sand dit : « Adieu, mes chÚres
petites-filles. » Mme Maurice lui dit : « Veux-tu qu'on aille les chercher? â
Oui. »
Les petites vinrent et s'approchÚrent du ht. « Mes chÚres petites,
leur dit-elle, que je vous aime. Regardez-moi, mes enfants: Oh! mes chĂšres
adorées, que je vous aime! Embrassez-moi, soyez bien sages. »
Une autre fois précédemment, elle avait demandé à voir ses petites-
filles ; ce devait ĂȘtre le 3 juin.
...Je suis resté prÚs d'elle de 10 heures du soir (7 juin) jusqu'à 4 heures
du matin ; il n'y avait avec moi pendant ce temps que Mme Solange
et la bonne des enfants (la nourrice de Gabrielle). La malade souffrit
beaucoup. H fallait Ă tout instant la relever dans son lit et la changer
dû position ; nous ne sommes jamais restés plus de deux minutes sans
ĂȘtre occupĂ©s soit Ă la mouvoir, soit Ă la faire boire. Elle buvait avec une
grande difficulté, en raison surtout d'une couche de muguet qui tapis-
sait la bouche, l'arriĂšre-bouche et probablement aussi une grande partie
du tube digestif. C'est la présence du muguet et la sécheresse de la
boucha qui, en gĂȘnant les mouvements de la langue, empĂȘchait
Mme Sand d'articuler nettement les mots. TrĂšs souvent elle nous a dit :
Ă boire ou tout simplement boire. Mais souvent aussi elle faisait signe
avec son bras sans rien dire.
Bien des fois elle prononça des mots inintelligibles ; on lui demandait
alors, si elle voulait ĂȘtre tournĂ©e Ă gauche, Ă droite, ou relevĂ©e ; elle
faisait un signe de tĂȘte pour nous rĂ©pondre. Trois ou quatre fois, elle
m'appela distinctement par mon nom, c'Ă©tait pour boire ou ĂȘtre changĂ©e
de position.
Vers une heure du matin, son lit Ă©tant souillĂ©, elle voulut ĂȘtre lavĂ©e.
En vain on lui représenta que ce serait une secousse inutile pour elle,
qu'on pourrait se borner Ă lui passer des serviettes ; elle insista avec
6i3 GEORGE SAXD
une sorte d'entĂȘtement puĂ©ril, rĂ©pĂ©tant continuellement : « Lavez-
moi, lavez-moi », etc., jusqu'à ce qu'on lui obéßt.
A plusieurs reprises elle nous dit : « Ayez pitié, mes enfants, ayez
pitié ! »
Vers 2 heures elle répéta six ou sept fois de suite : « La mort, mon
Dieu, la mort ! »
A 3 heures du matin, marchant sans bruit, M. Maurice se présenta
sur le seuil de la porte qui sépare le cabinet de la chambre à coucher, la
porte restée ouverte, sa mÚre le vit aussitÎt et lui dit : « Non, non,
va-t'en, va-t'en !... »
Cette nuit-là Mme Sand l'a passée sur un ht de fer placé au milieu
de sa chambre vis-à -vis la cheminée. Vers 6 heures du matin, la ma-
lade cherchant du regard la lumiĂšre, Mme Solange changea la
direction du ht de façon que sa mĂšre eĂ»t la fenĂȘtre en face. C'est sur
ce ht qu'elle est morte. Ce changement de ht avait été nécessité par
les manoeuvres incessantes qu'on était obligé de faire pour la changer
de position.
... Le 8 juin, vers 6 heures du matin, j'Ă©tais sorti. Il y avait prĂšs
d'elle Mme Maurice, Mme Solange, René Simonnet, Oscar Cazamajou
et le docteur Favre (1). Elle dit : « Adieu, adieu, je vais mourir, adieu
Lina, adieu Maurice, adieu Lolo, ad... » Elle voulait ajouter certaine-
ment : « Adieu Titite », mais elle ne put et ce furent ses derniÚres
paroles. (Je me le rappelle fort bien, car cela m'a beaucoup frappée :
elle entra tout de suite aprÚs en agonie », ajouta à ces mots Lina
Sand.)
Plus tard on raconta â (malheureusement Henry Harrisse
a cru pouvoir intercaler ce brin de légende dans sa narration
manuscrite si exacte) â donc, plus tard on prĂ©tendit que les
toutes derniÚres paroles de Mme Sand furent : « Laissez verdure. »
Ceci est faux. Le docteur Pestel et Mme Lina Sand assurent
dune maniÚre catégorique que ces mots ne furent point pro-
noncés le jour de sa mort, mais la veille, à 9 heures du soir, lors-
qu'il y avait prĂšs de Mme Sand, Mmes Solange et Lina. Le doc-
(1) Aurore et Gabrielle â dit M. Harrisse dans une note Ă la p. 16 de sa
plaquette â n'Ă©taient pas prĂ©sentes ; lorsqu'ayant Ă©tĂ© appelĂ©es, elles s'ap-
prochÚrent du chevet de leur grand'mÚre, celle-ci avait cessé de vivre. Maurice
dormait dans sa chambre accablé de chagrin et de fatigue. Ce furent ses
fillettes qui vinrent lui apprendre la mort. Il s'assit, puis il s'abĂźma dans
son désespoir. Il répétait au milieu de ses sanglots : « Ma mÚre, ma mÚre ! La
vie pour nous est finie ! »
GEORGE SAND 613
teur Pestel dit par deux fois dans ses Notes, ajoutées au manus-
crit de M. Harrisse, dans la Note 4 :
Note 4 : « C'est le 7 juin, vers 9 heures du soir. El n'y avait prÚs d'elle
que sa fille et sa bru lorsqu'elle prononça ces mots qu'on prit tout
d'abord pour du délire, mais auxquels on attribua plus tard leur signi-
fication vraie. »
Et dans la note 0 : « Ces deux mots ont été prononcés le 7 juin au
son, comme je l'ai indiqué plus haut. Je le tiens de Mme Maurice,
que fai interrogĂ©e Ă cet Ă©gard aujourd'hui mĂȘme, 3 juillet 1876. »
On dirait que M. Harrisse ne pût pas se résoudre à faire jus-,
tice de cette version accréditée et si bien arrangée pour plaire
Ă tous ceux qui aiment que les toutes derniĂšres paroles des grands
hommes mourants soient toujours « belles ». Donc, au lieu de
corriger dans son texte imprimé cette erreur, en biffant à la date
du 8 juin ce qui se rapportait au 7, il arrangea son texte de
maniÚre que, selon lui, George Sand prononça ces mots non pas
une fois, mais trois fois! une fois la veille, et deux fois le jour
de sa mort. Ceci est une pure légende. Mais transcrivons l'expli-
cation véridique et logique qu'il donne à cette phrase de Mme Sand
en intercalant dans son texte imprimé la note de M. Pestel (sans
le citer).
Le 7 juin, vers 9 heures du soir il n'y avait prĂšs d'elle Ă ce moment
que sa fille et sa bru, lorsqu'elles l'entendirent prononcer ces mots
« Adieu, adieu, je vais mourir », puis plusieurs paroles inintelligibles
finissant par : « Laissez verdure. »
Solange regarda Mme Lina, comme pour lui dire que sa pauvre mĂšre
n'avait plus ses facultés ; mais en y réfléchissant voici l'interprétation
qu'elles donnĂšrent Ă ces deux mots.
H y a dans le cimetiÚre de Nohant, à l'angle de droite, appuyé au
mur mitoyen qui le sépare du chùteau, un petit enclos réservé, tout
recouvert de broussailles et de plantes folles, qui cachent la tombe du
pĂšre et de la grand'mĂšre de Mme Sand. Quand on entre dans cet enclos
on remarque une croix en marbre blanc sans aucune inscription et,
derriĂšre cette croix, une stĂšle aussi de marbre blanc. Ces deux petits
monuments funéraires furent érigés par Maurice et par Mme Clésinger
lorsqu'on y inhuma les restes de son enfant, transférés de Paris
vers 1855 pendant un voyage que fit Mme Sand (1). A son retour elle
(1) Ceci est inexact : ces deux monuments sont celui de Jeanne Clésinger
6i* GEORGE SAXD
exprima ses regrets qu'on eißt érigé ces cénotaphes, préférant, dit-eile,
une simple couche de verdure (1).
C'est alors qu'elle déclara sa volonté de n'avoir sur sa tombe que de
la verdure, comme il y en avait sur celle de sa grantTmĂšre (2). Elle
m'en dit autant Ă moi-mĂȘme un jour qu'en rentrant au chĂąteau nous
passions prĂšs du cimetiĂšre...
M. Paulin de Yasson décrit de la maniÚre suivante les jours
qui succédÚrent à la mort de Mme Sand.
J'apprends la mort de Mme Sand au moment d'aller Ă l'audience
oĂč j'ai plaidĂ© trois affaires dont une demande de filiation naturelle
basĂ©e sur la possession d'Ă©tat et je cite l'arrĂȘt du Parlement concernant
Aurore de Saxe que j'avais lu l' avant-veille, en veillant sa petite-fille.
J'étais profondément ému. L'audience finie je dßne à la hùte avec
Nannecy aussi triste et silencieuse que moi, et ma fille qui n'Ă©tait pas
d'Ăąge Ă comprendre. Je pars pour Nouant Ă 7 heures.
Je trouve dans la salle Ă manger et dĂźnant plusieurs personnes tout
en noir, Maurice, suffoquant (et moi aussi). La place de Mme Sand
était occupée par... Solange. Puis Mme Simonnet, ses trois fils, M. Caza-
majou, Aucante, M. et Mme Boutet, Amie, Plauchut, Papet, Lina et
ses deux filles. Maurice avait des effusions nerveuses.
Solange paraissait avoir pris la maĂźtrise. J'oubliais de mentionner
comment dans la nuit de mercredi au jeudi (3) une décision avait été
prise Ă son sujet.
Solange avait été bannie de Xohant. Elle vivait à Montgivray, pro-
priĂ©tĂ© achetĂ©e aux Simonnet. Elle Ă©tait lĂ toute prĂȘte Ă manĆuvrer
contre son frĂšre et surtout contre sa belle-sĆur. Mme Sand avait fait
une faute en lui retirant sa pension et en attisant ainsi sa haine. En
l'Ă©tat si grave de Mme Sand il fallait .prendre un parti et c'est pour cela
que j'avais dicté à Mauriee un billet ainsi conçu : « Notre mÚre est
malade et son Ă©tat est grave. Les docteurs Papet, Pestel et Chabenat
attendent deux médecins de Paris qui arriveront demain matin. Viens,
transférée de Paris effectivement lors du voyage de George Sand en Italie
et érigé par Solange, et celui de Marc-Antoine Dudevant. transféré de Guil-
lery vers 1865 et érigé par M. et Mme Maurice.
(1) Nous citons d'aprÚs le texte manuscrit ; le texte imprimé est malheu-
reusement tout à fait changé à cet endroit de la narration de M Harrisse.
(2) Le docteur Pestel a ajouté en noie à ce passage : « Mme Sar.d n'a jamais
exprimé de désir ni de volonté formels au sujet de sa sépulture ; elle a plu-
sieurs fois manifesté son goût et notamment à l'occasion des monuments
funĂšbres de sa petite-fĂźlle d'abord, de son petit-fils ensuite, disarnt, dans ces
circonstances, qu'elle aurait préféré au marbre de la verdure. >
(3) Du 1" au 2 juin.
GEORGE SAND 615
si tu veux. â Maurice. » Je me souviens que Lina entra au moment
oĂč nous composions ce court avertissement, plusieurs fois recom-
mencé et qu'elle dit à Maurice : « Tu fais ce que j'allais te demander. »
Le billet fut porté à Montgivray ; Solange qui était à Paris et qui avait
donné ses instructions prévoyantes à ses domestiques, fut de suite
avisée. Elle vint le lendemain à 10 heures, aprÚs avoir humblement
demandé de lui fixer l'heure. A son arrivée Maurice la prit dans ses
bras. Pour Lina c'était plus délicat. Lina, nature droite, franche et sin-
cĂšre, qui avait tant de motifs de mĂ©priser sa belle-sĆur, fut glaciale.
Solange l'appela : madame. Alors Maurice prit sa sĆur et sa femme par
la main et les força à s'embrasser. La glace était rompue. Néanmoins
Solange ne s'enhardissait pas encore. Elle monta voir sa pauvre mĂšre
qui gémissait et souffrait. L'entrevue n'eut rien de mémorable.
Mme Sand au surplus, jusqu'à ses derniers moments, est restée ce
qu'elle était toujours, une femme de génie dont l'intelligence et le
cĆur faisaient leur travail sans autre manifestation que les admirables
pages qu'elle Ă©crivait. Que pensait-elle en voyant sa fille prĂšs d'elle?
Elle n'a pas dit un mot qui fĂźt connaĂźtre son sentiment. C'Ă©tait Ă ce
moment comme toujours, car que pensait Mme Sand pour ceux qui
la voyaient? 11 y avait parfois dans son regard, dans un serrement de
main, dans son accueil quelque chose de bienveillant et de tendre,
mais on ne savait pas facilement reconnaßtre les pensées de tendresse
qu'elle vous accordait. Elle restait le plus souvent muette et paraissait
distraite. Elle me paraissait, Ă moi du moins, avoir l'impuissance abso-
lue de l'expansion verbale (1). Et pourtant j'ai assisté une ou deux
fois Ă de ces abandons qui nous Ă©lectrisent et Ă©ternisent son souvenir.
A-t-elle été effrayée de la vision de cette fille indigne? C'est comme si
on demandait si la mort l'effrayait. Ma conviction est qu'elle Ă©tait
absorbée par la sensation physique du malaise et de la douleur, et que
le dénouement ne lui causait pas de l'effroi, mais simplement une préoc-
cupation de l'avenir de ceux qu'elle aimait, ses petites-filles, Maurice
et Lina, sa véritable fille, si digne d'une bonne place dans ce grand
cĆur. Pour Lina la mort de Mme Sand est un malheur immense.
Mais toute cette digression Ă©tait pour arriver Ă dire qu'aprĂšs le der-
nier soupir de la bonne mÚre une question s'est présentée. Comment
devaient s'accomplir les funérailles?...
(11 Un ami fidĂšle de Mme Sand nous a dit Ă propos de cette remarque de
M. Pestel que Mme Sand, réservée et parfois absolument silencieuse en pré-
sence de plusieurs personnes, ne TĂ©tait nullement lorsqu'elle se trouvait en
tĂȘte Ă tĂȘte avec une personne qui lui Ă©tait sympathique, disant, qu'on ne
pouvait jamais parler qu'A un seul interlccuteur de maniĂšre Ă pouvoir ĂȘtre
compris, mais point à plusieurs à la fois, tous trop différents les uns des
autres. â W. K.
616 GEORGE SAXD
En effet, à peine George Sand avait-elle fermé les yeux que
surgit cette question. Du reste ceci n'est pas exact : elle Ă©tait
encore vivante lorsque Solange souleva la question : Comment
enterrera-t-on sa mÚre? Seront-ce des funérailles catholiques ou
un enterrement civil? Voici en quels termes s'expriment lĂ -dessus
le docteur Peste! , M. Paulin de Vasson, Henry Harrisse et Lina
Sand :
« Le 6 juin au soir le curé de Vicq était dans la cour ; M. Plauchut
alla lui dire que s'il désirait avoir des nouvelles de la malade, il avait
le regret de lui apprendre qu'elle n'Ă©tait pas mieux, que s'il Ă©tait venu
dans l'espoir d'exercer prĂšs d'elle son ministĂšre, il pensait que sa
démarche était inutile, parce que certainement Mme Sand ne le rece-
vrait pas. A cet instant Mme Solange apprenant la présence du curé,
descendit pour lui parler. Plauchut lui dit : « C'est inutile de le chercher,
« je viens de lui donner congé. » Néanmoins Mme Solange se rendit
dans la cour, demanda si le curé était parti, elle le vit qui se prome-
nait dans la grande allée du jardin. Elle fut le trouver et le remercia
de sa bontĂ© d'ĂȘtre venu savoir des nouvelles de sa mĂšre. Le curĂ© lui dit :
« Mais j'étais venu aussi dans l'espoir d'apporter à Mme Sand le secours
« de la religion. » Mme Solange lui répondit que sa mÚre, quoique bien
souffrante, n'en Ă©tait pas lĂ , qu'elle craindrait en introduisant prĂšs
d'elle un prĂȘtre de lui causer une Ă©motion fĂącheuse, que le lendemain
elle lui ferait porter des nouvelles et que si l'Ă©tat s'aggravait elle le
ferait prévenir. »
Dans ce peu de lignes Solange est reflétée ressemblante de
tous points, allures, maniÚres et parler ; c'est un vrai instantané.
Solange n'est préoccupée que d'une chose : que tout soit « con-
venable », que « les apparences soient sauvées » ; c'est pour cela
qu'elle parle fort aimablement au curé, tout en lui mentant en
disant que « sa mÚre n'en était pas là » ; elle le détourne de l'in-
tention de revenir le lendemain en lui donnant le conseil déguisé
de ne pas se déranger, lui promettant de lui envoyer des nou-
velles de la malade et de « le prévenir si son état s'aggravait »,
tout cela « le 6 juin oĂč Mme Nannecy de Vasson mettait
dans son journal : Mme Sand est au plus mal », la veille du jour
oĂč elle Ă©crivait : « Mme Sand est condamnĂ©e », et le jour
mĂȘme oĂč le docteur Chabenat inscrivait dans ses feuillets : « Les
symptĂŽmes s'aggravent encore, la malade cependant conserve
GEORGE SAND 617
la connaissance ; les amis arrivent pour assister aux derniers
moments... » etc., etc.
Mais reprenons le récit du docteur Pestel :
Déjà le 7 juin, dans la soirée, Mme Solange, prévoyant la fin prochaine
de la malade, avait consulté Simonnet, puis Cazamajou sur le mode
d'enterrement ; ils répondirent tous deux : « Mais je pense que ce sera
un enterrement civil. » Mme Solange n'était pas de cet avis. Plauchut
lui dit que Mme Sand devait ĂȘtre enterrĂ©e civilement, que ses opinions
l'exigeaient, que faire autrement serait lui aliéner tout le parti répu-
blicain ; que du reste Mme Sand étant allée à l'enterrement civil de
Sainte-Beuve et y étant la seule femme qui y fût, c'était là de sa part
une sorte de déclaration. Mme Solange répondit que Mme Sand n'était
pas la seule femme qui se fût rendue à cet enterrement et que si elle y
était allée, c'était à cause de Sainte-Beuve et non dans l'idée d'adhérer
Ă un enterrement civil, ajoutant que, dans bien des circonstances, elle
s'était moquée (??) des gens qui se faisaient enterrer civilement, et
tout derniĂšrement encore Ă l'occasion de Patureau-FrancĆur...
Mme Solange ne se gĂȘnait pas pour altĂ©rer la vĂ©ritĂ© et cela
avec un aplomb digne d'un meilleur usage. Elle prétendait
que sa mÚre s'était « moquée » d'enterrements civils « en bien des
circonstances », tandis que justement en bien des circonstances
George Sand avait exprimé ses sympathies pour des enterrements
« sans prĂȘtre » et le dĂ©sir qu'elle et ses proches fussent inhumĂ©s
de cette maniÚre-là . Mme Solange cette fois encore a fardé la
vérité.
Il faut se rappeler la lettre de George Sand Ă©crite en 1864 Ă
l'occasion de la mort de Fulbert Martin, ses réflexions lors de
l'enterrement civil de Maillard, en janvier 1865 (1), et le fait que
malgré les terreurs de la famille de Manceau, elle fit enterrer
elle-mĂȘme ce vieil ami sans aucune espĂšce de cĂ©rĂ©monie reli-
gieuse. Quant à la présence de Mme Sand à l'enterrement civil
de Sainte-Beuve en 1869 (et Ă celui de Pierre Leroux en 1871),
il est vrai qu'elle y avait Ă©tĂ© « non par dĂ©sir d'adhĂ©rer » Ă
des opinions quelconques, mais par simple amitié pour les défunts.
(1) Voir plus haut, chap. xn, p. 485-487.
6i3 GEORGE SAND
Il nen est pas moins certain que la maniÚre dont elle décrivit
cet enterrement de Sainte-Beuve et la silencieuse ovation dont
elle-mĂȘme y fut l'objet, marquait clairement Ă quoi elle avait
attribué cette manifestation respectueuse. Mme Sand y souligne
trÚs nettement que cette manifestation était « un mouvement
général d'estime pour le caractÚre plus que pour la réputation.,.»,
c'est-à -dire qu'il s'adressait à son courage et à la dignité de sa
conduite habituels la faisant toujours bravement agir d'accoTd
avec ses opinions et sa foi (1).
...Je me suis levée à 8 heures pour aller enterrer le pauvre Sainte-
Beuve.
Tout Paris Ă©tait lĂ , les lettres, les arts, les sciences, la jeunesse et le
peuple ; pas de sĂ©nateurs ni de prĂȘtres. J'y ai vu Girardin qui a dit Ă
Solange que son roman était trÚs bien, et qui l'a beaucoup encouragée
à continuer ; Flaubert qui était trÚs affecté ; Alexandre ; son pÚre
qui ne marche plus ; Berton, Adam, Borie, Nefftzer, Taine, Trélat, le
vieux Graymala, Prévost-Paradol, Batisbonne, Arnaud (de l'AriÚge),
catholique. Des athées, des croyants, des gens de tout ùge, de toute
opinion, et la foule.
La chose finie, j'ai quitté tout ce monde officiel pour aller trouver
ma voiture ; alors en rentrant dans la vraie foule j'ai été l'objet d'une
manifestation, dont je peux dire que j'ai été reconnaissante, parce
qu'elle Ă©tait tout Ă fait respectueuse et pas enthousiaste : on m'a
escortée en se reculant pour me faire place et en levant tous les chapeaux
en silence. La voiture a eu peine à se dégager de cette foule qui se reti-
rait lentement, saluant toujours et ne me regardant pas sous le nez, et
ne disant rien. Adam et Plauchut qui m'accompagnaient pleuraient
presque et Alexandre était tout étonné.
J'ai trouvé cela mieux que des cris et des applaudissements de
théùtre, et j'ai été seule l'objet de cette préférence. Il n'y avait pour
les autres que des témoignages de curiosité. Plauchut m'a fait promettre
de te raconter cela bien exactement, disant que tu en seras content,
parce que c'était comme un mouvement général d'estime pour le carac-
tÚre plus que pour la réputation (2)...
(1) Dans le \oL Y de la Correspondance, p. 323, la lettre de George Sand.
décrivant cet enterrement civil de Sainte-Beuve est faussement datée du
« 17 octobre », elle est du 5 octobre 1869. ' 3
(2) Feu notre ami H. Plauchut, en nous racontant cette manifestation, r*
pouvait retenir ses larmes, Ă tel point les impressions ressenties ' ce jour-lĂ
l'émouvaient encore. Il répétait : « Jamais je n'ai rien vu de pareil; de ma
vie je n'ai rien vu de pareil. »
GEORGE SAND 619
Quant Ă Patureau-FrancĆur, la NĂ©crologie (1) que Mme Sand
lui consacra aprÚs sa mort témoigne de l'estime de Mme Sand,
de sa chaude sympathie, de son enthousiasme pour l'héroïsme
de ce simple vigneron au cĆur ardent, rĂ©publicain inĂ©branlable
qui supporta des persécutions injustes et sut, exilé en Afrique,
ne point se laisser abattre par l'infortune, mais y servir encore
sa patrie par son labeur d'agriculteur honnĂȘte et sans trĂȘve. Mais
ni dans cette NĂ©crologie, ni dans toutes les lettres oĂč Mme Sand
parle de FrancĆur, nous n'avons lu un seul mot ironique ou
moqueur. Notons aussi que FrancĆur Ă©tait mort dĂšs 1868, juste
une année avant Sainte-Beuve, ce qui n'était plus si « récemment »
en 1876. Mais quand Mme Solange voulait arriver Ă ses fins les
inexactitudes et les inventions ne l'arrĂȘtaient pas.
Revenons au récit de M. Pestel et à ceux des autres témoins
oculaires des événements :
AprĂšs la mort (de Mme Sand) Mme Solange agita cette question de
l'enterrement. Mme Lina lui répondit : « Mme Sand n'a jamais exprimé
devant moi d'intention Ă ce sujet. J'ai fait enterrer civilement mon
pĂšre, parce que cela me regardait ; Mme Sand est votre mĂšre, arrangez-
vous avec Maurice, c'est votre affaire, je ne veux pas m'en mĂȘler. »
M. Maurice inclinait pour un enterrement civil; sa sĆur lui demanda
s'il avait des instructions de sa mÚre, il répondit que non. Mme Solange
avait trouvé quelques jours auparavant dans un petit sachet de satin
bleu un écrit de sa mÚre, daté de 1857 ou 1858 qui commençait ainsi :
« Ceci est l'expression de mes derniÚres volontés. La mort n'étant pas
un malheur, mais une délivrance, je ne veux sur ma tombe aucun
emblÚme de deuil, je désire au contraire qu'il n'y ait que des fleurs, des
arbres et de la verdure », puis elle indiquait des détails relatifs à son
enterrement, mais il n'Ă©tait nullement question d'enterrement civil.
A cette Ă©poque elle voulait ĂȘtre enterrĂ©e dans le cimetiĂšre de Caulmont
prĂšs Gargilesse. Plus tard, paraĂźt-il, elle avait voulu l'ĂȘtre Ă Palaiseau.
Mme Solange insista pour que sa mÚre fût enterrée religieusement,
disant que si elle avait voulu un enterrement civil, elle n'aurait pas
manquĂ© de le dire. Simonnet, Cazamajou pensaient de mĂȘme. M. Favre,
qu'elle supposait libre-penseur, accepta avec enthousiasme un enter-
rement religieux. Alors Mme Solange s'adressa Ă M. Maurice pour le
décider. Ce dernier ne fit pas d'objection et y consentit volontiers.
(1) Cette NĂ©crologie parut en 1868 dans V Avenir national; elle fait partie
des Amis disparus, imprimés dans le volume des Nouvelles lettres d'un voyageur.
620 GEORGE SAXD
Papet avait été aussi consulté. H avait dit à Mme Solange : « Je vous
déclare que s'il y a un enterrement civil, ni moi, ni ma famille n'y vien-
drons... »
Si toute cette histoire du « sachet bleu » n'est point une inven-
tion ad hoc de cette dame qui sut combiner avec une adresse
infinie les derniÚres paroles de sa mÚre sur la « verdure » et des
jugements entendus jadis sur son dĂ©sir d'ĂȘtre enterrĂ©e Ă quelque
cimetiĂšre rural â avec sa propre assertion qu'il n'y avait Ă©tĂ©,
dans ce sachet, « nullement question d'enterrement civil » â si
tout cela, disons-nous, n'est point une invention, si ce papier
dans un sachet a réellement existé, il doit avoir été écrit non pas
vers 1858, mais en 1863 peut-ĂȘtre, mĂȘme en 1865, et nous croyons
que les « quelques détails sur son enterrement » que Solange
semble avoir oubliés étaient justement des indications sur un
enterrement Ă Palaiseau, oĂč Manceau avait Ă©tĂ© enseveli « sous
des fleurs et sans cérémonie religieuse ». (Voir plus haut, cha-
pitre XII.)
On lit dans la brochure de M. Harrisse qui cite Ă la suite de
son explication des mots : « Laissez verdure », tout le passage
précédent des souvenirs du docteur Pestel (sans le nommer ) :
« Cet écrit (le papier du sachet) aurait été déchiré peu aprÚs. Je
n'ai pu contrÎler ces détails. » M. Harrisse a eu bien raison d'ajouter
cette clause sceptique, de dire « aurait été » et de citer tout ce
racontar au conditionnel! Il nous semble que le petit papier
dĂ©chirĂ© n'aurait pu ĂȘtre « retrouvĂ© » que « dans l'imagination de
Mme Solange », ou, s'il eût été retrouvé... on y aurait lu tout
autre chose!
M. Paulin de Vasson raconte comme suit les débats qui eurent
lieu à Xohant aprÚs le dernier soupir de la « bonne mÚre ».
...La question fut débattue, hors ma présence, j'ai su presque aussitÎt
ce qui s'était passé. La famille, c'est-à -dire Solange et René Simonnet
voulaient un enterrement catholique. Maurice fut facilement per-
suadé, mais non sans une grande agitation de sa conscience. Maurice,
homme intelligent, bien doué, érudit, artiste, est un pitoyable psycho-
logue. H vénérait sa mÚre. H ne s'est jamais assimilé ses hautes idées
philosophiques. En politique il pensait comme un fermier rural. Et il
GEORGE SAND 621
a eu une certaine influence sur l'esprit mĂȘme de sa mĂšre, faible malgrĂ©
son génie, et s'illusionnant quelquefois sur les gens, témoin la confiance
qu'elle avait dans un Simonnet.
On disait à Maurice : « L'enterrement civil est le signe de ralliement
des communards. » On lui disait aussi : « Les gens du pays n'aiment
pas qu'on enterre un chrétien comme un chien, ce serait un déshonneur
pour le maire de Nohant. » Solange et Simonnet insistaient. Bref,
Solange sollicita l'enterrement religieux par télégramme à l'arche-
vĂȘque. Mais le problĂšme a trĂšs rudement secouĂ© le pauvre Maurice
qui revenait toujours sur la question et me demandait ce que je ferais
à sa place. Je lui répondais invariablement : « Il faut consulter
Mme Sand. Elle est morte, mais les immorteb laissent leurs Ćuvres
et la réponse aux questions qu'on peut leur poser. » C'est ce que Mau-
rice n'a pas su faire. H disait toujours : « Cela me serait égal, mais la
famille??? »
Quelle famille? Solange, les Simonnet?...
Enfin elle a été enterrée religieusement. Je l'ai écrit au pasteur
Leblois.
Nuit du 8 au 9. â Nous avons Ă©tĂ© assistĂ©s jusqu'Ă minuit par MM. Au-
cante, Amie et Plauchut. Pendant que je causais avec Aucante qui me
parlait de mon pÚre, de ses écrits ignorés, de son ami de Laprade, de
la petite RĂ©publique de La ChĂątre, j'entendais Maurice discuter avec
Amic(l). H s'agissait toujours de l'enterrement civil, a Je me suis fait
protestant, disait-il, pour sortir du catholicisme. Ma mÚre a refusé de
me suivre. Donc elle est restée catholique. Car, disait-il, on appartient
forcément à tel ou tel culte. Autrement on est dans V illégalité... » Que
venait faire la question de légalité? Voilà à quoi peut arriver un esprit
intelligent, mais étranger aux pensées philosophiques et qui confond
tout, la loi civile, la liberté religieuse, la liberté de conscience et le gen-
darme. Quand ces messieurs se sont retirés, j'ai eu à subir tout seul
l'assaut de ce pauvre Maurice tournant toujours dans le mĂȘme cercle.
Cette épreuve a été pour moi la plus pénible de toutes. Pour le calmer
je lui proposai de demander Ă Moulin s'il y avait dans le testament de
Mme Sand des dispositions relatives aux funérailles (2). Alors il s'est
(1) Voici ce dialogue tel que M. Amie en a gardé le souvenir exact :
â Je ne veux pas, me dit M. Maurice, que ma mĂšre soit enterrĂ©e comme
un chien.
â Mais vous n'avez pas Ă vouloir, rĂ©pliquai-je, mais Ă observer la volontĂ©
de Mme Sand exprimĂ©e ici mĂȘme devant tous lors de l'enterrement de
M. Duvernet.
â C'est bien, me dit-il, on consultera le testament, et si ma mĂšre a exprimĂ©
sa volonté, je m'y conformerai.
(2) La lettre de M. Moulin Ă M. de Vasson est justement une rĂ©ponse Ă
cette question. C'est-Ă -dire M. Moulin annonce que, n'ayant aucune espĂšce
633 GEORGE SAXD
calmé et a consenti à aller se coucher, et j'ai pu retourner à La Chùtre.
Le 9 (juin.) Moulin est venu dans la journée à Xohant consulter
Maurice et Solange pour savoir s'il devait faire ouvrir le testament de
suite. En mĂȘme temps il leur demandait s'ils consentaient Ă ce que
M> Périgois fit un discours d'adieu au nom du Berry. Les deux démarches
étaient délicates, la seconde surtout, à cause des dispositions hostiles
Ă M. PĂ©rigois que l'on croyait capable de faire un discours de sectaire,
ce qui était bien peu le connaßtre, comme les faits l'ont démontré.
Le 9, pendant la conférence de Moulin, nous circulions dans la
maison, Nannecy et moi. J'ai vu la pauvre morte et cette pauvre Lina
qui pleurait si amĂšrement avec Xannecy.
Plauchut se renfermait dans le pavillon, loin de ces débats sur l'en-
terrement de sa grande amie. Je me suis promené avee Albert Si-
monnet, le plus sympathique des trois, qui m'a dit beaucoup de choses
sensées, en manifestant ses alarmes à l'encontre de Solange qu'il
connaĂźt bien. Quant Ă elle, on la voyait gesticuler, commander. La bĂȘte
s'était déchaßnée. Lina au contraire abdiquait. Il est impossible d'avoir
été plus digne...
« J'étais à mille lieues de penser que Mme Sand passerait par l'église «,
écrit Lina Sand dans sa Note manuscrite, je fus donc stupéfaite quand,
dans la matinée qui suivit la mort, je fus appelée par Solange, Simonnet
et Cazamajou, qui me prouvĂšrent qu'il valait mieux enterrer religieu-
sement Mme Sand. Je regimbai violemment, mais, tout entiĂšre Ă mon
chagrin, je leur répondis de s'adresser à Maurice, que cela le regardait,
que de son vivant j'avais le droit de la protéger, qu'aprÚs sa mort cela
regardait les enfants. Je comptais sur Maurice, loin de croire qu'il accé-
derait aux raisonnements de Solange et de Simonnet Ce dernier, pour
me faire céder, m'assura que mes filles ne se marieraient pas, si je faisais
obstacle à l'acte religieux. Je suis persuadée que George Sand qui avait
un Ă©crit lorsqu'elle Ă©tait chez des amis, n'a pas voulu en avoir Ă Nohant,
de peur d'un, conflit entre Solange et son frĂšre (1).
Lina.
P.-S. â Le docteur Favre a du dire Ă Maurice ce qu'il m'a dit Ă moi-
mĂȘme Ă propos du reporter du Figaro : « Laissez-moi faire, recevez
bien les catholiques,, c'est ce parti-là qui a le plus injurié votre mÚre,
d'ordres ou de recommandations de Mme Sand Ă ce sujet, il est prĂȘt, si tel
est le désir de Maurice et de Solange, à immédiatement remettre le testament
au président, afin de le faire ouvrir.
(1) Mc Adrien Gnédon, avoué que Mme Sand avait consulté ponr la rédac-
tion de son testament, lui avait conseillé d'éviter tout conflit avec sa fille,
que Mme Sand devait réduire à la quotité disponible afin d'avantager son
fils et ses petites- filles. â W. K.
GEORGE SAND 623
désarmez-le, afin qu'on parle bien d'elle aprÚs sa mort C'est de la
diplomatie qu'il faut faire, sinon gare (1)... »
Donc, lorsque le 8 juin 1876 la question de l'enterrement de
Mme Sand fut soulevée, les uns gardÚrent le silence, les autres
ne furent pas entendus. Maurice oublia toutes les lettres de sa
mÚre mentionnées plus haut et, quand il apprit qu'elle n'avait
rien déclaré formellement à ce sujet dans son testament, il se mit
Ă demander Ă tout le monde ce qu'il fallait faire.
Maurice se rendait si peu compte que c'Ă©tait Ă lui seul qu'in-
combait le devoir d'agir suivant la volonté et les idées de sa
mÚre qu'il demanda à Papet aprÚs l'enterrement : « Es-tu content?
Les choses se sont-elles passées selon ton désir? A quoi il lui fut
répondu : Oui, trÚs content, je trouve que tout s'est passé pour le
mieux. »
Solange qui se souciait des croyances de sa mĂšre comme des
neiges d'antan, mais qui respectait beaucoup tous les qu'en dira-
Uon, profita immédiatement de ces circonstances pour échanger
des dĂ©pĂȘches avec l'archevĂȘque de Bourges, M. de la Tour d'Au-
vsrgne, et obtint l'autorisation d'enterrer Mme Sand selon le
rite catholique.
Empruntons maintenant Ă M Harrisse le compte-rendu des
jours qui suivirent le décÚs de Mme Sand, et les détails à propos
des funérailles :
Dimanche, 11 juin 1870.
Nous Ă©tions tous trĂšs inquiets, nous communiquant les nou-
velles que le docteur Favre envoyait Ă Dumas et celles qu'Au-
di Le docteur Favre parait avoir été trÚs porté à toutes sortes d' « appa-
rences », de « poses » et de phrases. C'est ainsi qu'au dire de M. Pestel, lorsque
la question de l'enterrement fut décidée, le docteur Favre alla à Ars voir
Papet et, en parlant des derniers instants de Mme Sand, il dit que « la voyant
prĂšs d'expirer, il se jeta Ă genoux et adressa Ă Dieu une invocation, pour
qu'il reçût dans sa miséricorde l'ùme du grand écrivain ». Dans sa brochure,
mais point dans son manuscrit, M. Harrisse raconte, sans indiquer La source
de te racontar, que « dÚs que la malade eut rendu le dernier soupir, le doc-
teur Favre se redressa et, levant la main au-dessus du. corps de George Sand,
il dit avec force : Tant que je vivrai, votre mémoire ne sera jamais souillée. »
Quelle misĂšre que cet amour indestructible de phrases et de poses, dont on ne
peut se dĂ©partir mĂȘme vis-Ă -vis de cette chose grande et simple qu'est la mort !
624 GEORGE SAXD
cante adressait Ă Calmann LĂ©vy, nos seules sources d'information.
Le jeudi 8 juin 1876, en revenant d'accompagner Flaubert, chez
qui nous avions trouvé une lettre de la pauvre Martine (1) et
une copie au crayon d'une dĂ©pĂȘche de M. Plauchut, laissĂ©e par
Lambert, annonçant que Mme Sand était au plus mal, je reçus
vers les 6 heures un télégramme ainsi conçu :
La ChĂątre, 4 h. 46 du soir.
Ma mĂšre est morte.
Maurice Sand.
J'allai immĂ©diatement communiquer cette triste nouvelle Ă
Dumas ; il l'avait également reçue. Nous convßnmes de nous pré-
venir mutuellement de l'heure et du lieu des obsĂšques afin d'y
aller ensemble.
Le lendemain matin, 9 juin, plusieurs journaux, les DĂ©bats entre
autres, annonçaient que Mme Sand serait inhumée à Paris. Cette nou-
velle me parut invraisemblable. Effectivement, Ă 8 heures, un mot de
Mme Dumas me faisait prévenir que c'était à Nohant qu'auraient lieu
les funérailles et que son mari m'attendrait à la gare du chemin de fer
d'OrlĂ©ans, le jour mĂȘme, Ă 10 heures du matin. Je fis prĂ©parer ma
valise à la hùte ; le temps était abominable, une pluie fine, serrée,
froide, des rafales d'un vent Ăąpre, on se serait cru en octobre. A la gare
je trouvai sept personnes parmi lesquelles Lambert, Cadol, M. Borie et
Calmann LĂ©vy. Dumas arriva quelques instants aprĂšs. Dumas, Cadol,
Paul Meurice, LĂ©vy et moi nous occupions le mĂȘme compartiment.
Nous arrivĂąmes Ă ChĂąteauroux Ă 3 heures un quart ; la pluie ne
cessait de tomber, le sol Ă©tait complĂštement dĂ©trempĂ©. Il' n'y avait Ă
la gare que la diligence et les deux petites pataches qui desservent
habituellement la route de La ChĂątre. GrĂące Ă un ami de collĂšge de
Dumas, capitaine de hussards, je trouvai chez un carrossier une espĂšce
de berline que je louai pour deux jours, et Ă 4 heures nous nous mĂźmes
en route pour Nohant, avec l'intention de coucher Ă La ChĂątre dans une
auberge de rouliers, faute de mieux.
A 7 heures du soir nous Ă©tions Ă Nohant, on finissait le dĂźner. Nous
attendĂźmes dans le jardin. Favre vint Ă nous et, prenant Dumas Ă
l'écart, il lui raconta dans les plus grands détails ia maladie et la mort
de notre illustre amie.
(1) Femme gardant le logement de Mme Sand Ă Paris, elle Ă©tait ouvreuse
à l' Opéra-Comique.
GEORGE SAN'D 625
Maurice ne tarda pas ; il se jeta dans mes bras. Je le trouvai changé,
grossi, vieilli, les cheveux presque blancs, s'exprimant avec difficulté.
« C'est plus que la moitiĂ© de moi-mĂȘme que je perds », me dit-il.
Mme Maurice nous avait fait servir Ă dĂźner. Pendant que nous Ă©tions
à table, Maurice, en voyant Dumas, Vembrassa. Dumas reçut cette
caresse avec froideur, ne croyant, mais Ă tort, ni Ă son affection ni Ă son
chagrin, pour des raisons qui datent de plusieurs années (1). A ce moment
on apporta une dĂ©pĂȘche de Paris. C'Ă©tait la SociĂ©tĂ© des gens de Lettres
qui priait Dumas de profiter de l'occasion pour faire un discours au
nom de la Société. Il déclara n'en vouloir rien faire, n'étant pas membre
de cette association et pensant avec raison qu'elle aurait pu envoyer
une délégation spéciale ou tout au moins un représentant.
Ătaient installĂ©s au chĂąteau, en plus de la famille habituelle, Solange,
que Maurice avait prévenue par une lettre envoyée à Paris, mais sans
l'inviter à venir, qui était venue néanmoins (2) et n'avait cessé de veiller
au chevet de sa mĂšre avec sollicitude ; le docteur Favre, Oscar Caza-
majou, René Simonnet, Edme et Albert Simonnet, Mme Simonnet
leur mĂšre, Aucante, MM. Amie et Plauchut.
Boutet, le factotum de Mme Sand à Paris (3), et qui était casé dans
les environs, voulut m'emmener, mais Mme Maurice avait eu la bonté
de demander au docteur Pestel de vouloir bien m'accueilhr dans sa
belle habitation de Saint-Chartier. A 10 heures, par une nuit noire et
une pluie battante, je m'y rendis en compagnie de Paul Meurice et
de LĂ©vy qui devaient y demeurer Ă©galement.
Nous fûmes admirablement accueillis par le docteur et sa femme.
Nous restĂąmes Ă causer jusqu'Ă 11 heures et demie, et comme notre
hÎte avait constamment soigné Mme Sand pendant sa maladie, je lui
fis raconter, en présence de mes compagnons, les derniers moments de
cette femme aussi bonne qu'illustre (4)...
(1) Nous faisons remarquer une fois de plus que le texte imprimé diffÚre
en beaucoup d'endroits du manuscrit autographe de M. Harrisse ; ces lignes
y manquent et le commencement de la phrase est changé.
(2) Dans le texte imprimé on lit : « Etaient installés au chùteau outre les
hÎtes habituels, Mme Clésinger (Solange Sand) qui, prévenue de Vétat désespéré
de sa mĂšre par une dĂ©pĂȘche de son notaire, Ă©tait venue de Paris en toute hĂąte;
des parents : Oscar Cazamajou, le docteur Faire, etc., etc. »
On voit par ce qui précÚde que tout ceci n'est pas tout à fait exact.
(3) C'était un ami de Mme Sand. surtout depuis son séjour de Palaiseau,
et nullement son factotum. â W. K.
(4) Ce passage est changé dans la plaquette imprimée ; les trois passages
qui y suivent manquent dans l'autographe. Ils sont inexacts comme chrono-
logie et comme faits, se rapportant Ă la maniĂšre dont ce manuscrit fut muni
de" notes par le docteur Pestel, renvoyé à M. Harrisse, puis corrigé et com-
plété par ce dernier. Nous avons dit plus haut comment tout cela s'était
passé.
iv. 40
6-6 GEORGE SAND
Le samedi 10 juin je descendis de bonne heure au salon de M. Pestel
et j'eus avec lui une nouvelle conversation. Je l'engageai vivement Ă
mettre par écrit tout ce qui s'était passé sous ses yeux pendant la
maladie de Mme Sand. Il me le promit. A 10 heures mes compagnons
et moi nous reprĂźmes, par une pluie battante, la route de Nohant oĂč
nous déjeunùmes en compagnie du prince Napoléon, de Renan et de
Flaubert, arrivĂ©s le matin mĂȘme...
Lorsque nous arrivùmes au chùteau, les restes de l'illustre défunte
étaient exposés sur son lit dans sa chambre à coucher, au premier
Ă©tage, le visage tout eouvert de rieurs. Dumas, qui la vit. me dit que
la main droite, mignonne et polie comme de l'ivoire, seule n'Ă©tait pas
recouverte...
Les trois passages suivants Ă©tant inexacts dans le texte
manuscrit aussi bien que dans le texte imprimé de M. Barrisse,
nous leur substituons (comme suite au passage qu'on vient
de lire) la note que M. Pestel a jointe à cet endroit du récit de
11 Harrisse :
Ce fut Mme Solange qui, seulement aidée des femmes de la maison,
donna aux restes de sa mĂšre les derniers soins. Elle passa dans la
chambre mortuaire toute ou presque toute la nuit du 8 au 9 juin. Avec
elle s'y rendirent successivement les deux jeunes Simoimet, MM. Amie,
PlanchĂąt, Favre et Aucante. La nuit suivante les servantes seules veil-
lĂšrent, elles se tinrent dans le cabinet de travail adjoint Ă cause de la
mauvaise odeur. La mentonniÚre ne fut placée que dans le but de
maintenir la bouche fermée. Les enfants qui virent leur grand' mÚre
morte rirent cette remarque que sa figure était bien moins changée
qu'elle ne l'Ă©tait la veille...
Reprenons le récit de M. Harrisse :
...Les amis, les eurieux, les invités, des reporters envoyés par le
Figaro et le Bien public se promenaient dans le jardin, ils discutaient
la nouvelle qui venait de nous ĂȘtre communiquĂ©e que Mme Sand serait
enterrée selon les rites de la religion catholique. Tout le monde était
étonné et se demandait à qui il fallait attribuer l'initiative de cette
cérémonie assez inattendue. J'allai aux renseignements.
On pensait généralement que le testament de Mme Sand contenait
une clause formelle ordonnant qu'elle fût enterrée civilement. Dumas
et Aucante à qui Mme Sand avait, de son vivant, confié la mission
de garder tous ses papiers, ayant eu à interroger M. Ludre, son avoué
Ă La ChĂątre ou M. Moulin, son notaire, de ses derniĂšres dispositions
touchant ses lettres et ses manuscrits, apprirent que, par un codicille,
GEORGE SAXD 627
la garde leur en Ă©tait maintenue, et en mĂȘme temps que le testament
ne contenait aucune clause déterminant la maniÚre dont elle voulait
ĂȘtre inhumĂ©e.
Lorsque la question de l'enterrement fut agitée, Mme Clésinger, la
famille Simonnet, M. Cazamajou, le docteur Favre se prononcĂšrent
Ă©nergiquement pour un enterrement religieux (1).
Papet et Solange furent d'avis qu'il ne fallait pas, par un enterre-
ment civil, choquer les sentiment? religieux de la population au milieu
de laquelle Mme Sand avait toujours vécu et allait avoir sa derniÚre
demeure. Lina et, paraĂźt-il, Maurice, qui est protestant, y Ă©taient
opposés, mais ils se soumirent (2). L'abbé Villemont, curé de Vie,
connaissait Mme Sand personnellement, il avait mĂȘme dĂ©jeunĂ© et
passé toute une aprÚs-midi au chùteau derniÚrement et pendant sa
maladie il était venu chaque jour (3) demander de ses nouvelles, espé-
rant sans doute qu'au moment suprĂȘme elle le ferait demander. I!
n'en fut rien ; Mme Sand n'a dit jamais un mot Ă ce sujet, et Plauchut
et Aucante de leur chef mĂȘme l'Ă©loignĂšrent, pensant que sa prĂ©sence,
si elle Ă©tait connue de notre pĂąmas malade, ne pourrait que l'attrister,
sans la décider jamais à recourir h ses bons offices (4). Aussi lorsque
Solange, aprÚs qu'elle lui eut fermé les yeux, demanda à l'abbé de
Villemont l'entrée de l'église pour le corps de sa mÚre, celui-ci crut ne
pas devoir raccorder avant d'avoir obtenu la permission de l'arche-
vĂȘque de Bourges. De lĂ un Ă©change de dĂ©pĂȘches tĂ©lĂ©graphiques entre
Solange et M. de la Tour d'Auvergne qui n'hésita pas à accorder l'au-
torisation demandée. Il y a eu quelque retard dans les obsÚques à c«use
de la biĂšre qu'on avait fait venir de Paris et qui Ă©tait trop petite...
Il n'y eut pas de retard, Ă©crit le docteur Pestel en note. Il se pro-
duisit seulement ce contretemps que la biĂšre en plomb, qu'on avait
fait venir de Paris, se trouva trop petite en raison du volume excessif
de l'abdomen, et qu'on fut obligé d'en faire venir une autre. Ce der-
nier cercueil arriva à Xohant une heure environ avant l'instant fixé
pour les obsĂšques.
Vers les 11 heures, continue M. Barrisse, le cercueil fut descendu
dans le vestibule et exposé en cet endroit pendant une heure environ,
(1) Note D du docteur Peste],
(2) Inexact.
(3) Inexact.
(4) Tout ce passage est complÚtement changé dans le texte imprimé, il
renferme (sans indication de l'auteur) entre autres un morceau emprunté aux
souvenirs de M. P. de Vasson que nous avons donné plus haut, et, ajouterons-
nous, nullement connu de M. Barrisse en 1876. ni lorsqu'il donna le manuscrit
Ă Mme Maurice, ni enfin en 1894 lorsqu'il nous permit d'en prendre copie et
en parla avec nous de vive voix. 11 ne put consulter ces souvenirs de M. de
Vasson qu'aprĂšs la mort de Mme Maurice Sand.
62S GEORGE SAND
recouvert d'un drap mortuaire Ă croix d'argent. Je crois qu'il y avait
aussi un bénitier. Lorsque je m" approchai, la cour était presque remplie
de paysannes recouvertes de leur capuchon et je crois en avoir vu
plusieurs asperger la biĂšre d'eau bĂ©nite. Marie Caillaud se trouvait Ă
la gauche du corps, tenant dans une de ses mains de petits rameaux
verts, non de buis, mais de laurier, et en donnant un brin Ă tous ceux
qui s'approchaient (1). Entre midi et demi et une heure le corps fut
enlevĂ© et portĂ© Ă bras dans la petite Ă©glise par des paysans vĂȘtus d'un
sarrau bleu, prĂ©cĂ©dĂ©s du prĂȘtre, homme encore jeune, Ă la physionomie
commune et peu intelligente, ayant derriĂšre lui un vieillard en blouse
(le pĂšre Carnat) qui tenait un cierge et psalmodiait. Le prince Napo-
lĂ©on tenait d'une main un des cordons du poĂȘle, et de l'autre une des
petites branches de laurier. Le convoi entra dans la modeste Ă©glise,
mais comme elle était déjà presque remplie par des paysannes, ceux
qui suivaient ne purent s'y placer, et refluant du dehors, vinrent se
mĂȘler aux invitĂ©s, aux curieux, aux paysans Ă quelques ouvriers de
La ChĂątre et de ChĂąteauroux qui se trouvaient sur la place, tĂȘte nue
par la pluie et le vent. Il y avait en tout environ deux cents personnes
Nous remarquĂąmes l'absence de Marchai, de Duquesnel (le directeur
de l'Odéon), de Hetzel et de Charles-Edmond Choiecki (du Temps), le
fait est que ce sont tous les quatre de prodigieux Ă©goĂŻstes.
La pluie ne cessait de tomber. On entendait de la place les chants et
le service religieux qui ne dura pas longtemps. Les cloches sonnĂšrent.
Sans attendre la sortie j'allai au cimetiÚre, le caveau était béant. Com-
mencé seulement la veille, il était à peine terminé. Le constructeur et
des paysans en admiraient la solidité et le ciment. C'est une simple
voûte en briques, construite au milieu du terrain réservé et dont le
sommet ne dépasse pas le niveau du sol (2) ; à la gauche de l'entrée
dudi caveau, cachées sous des broussailles, sont cÎte à cÎte les dalles
qui recouvrent les restes du pĂšre et de la grand'mĂšre de Mme Sand.
Sa mÚre est enterrée à Paris, je crois (3). Une de ces tombes s'étend
un peu sous le mur qui sépare la cour du chùteau du cimetiÚre. Un trÚs
bel arbre, espĂšce de cyprĂšs, couvre toutes ces tombes de ses rameaux.
La porte de communication pratiquée dans le mur mitoyen et qui est
de fraĂźche date Ă©tait ouverte.
Vers les une heure la procession funÚbre précédée d'un enfant de
(1) C'est prĂšs do la tombe ouverte que Marie Caillaud distribuait ces brins
de laurier pour les jeter sur le cercueil comme un dernier adieu. Ce fut lĂ
une idĂ©e de Mme Lina Sand. â W. K.
(2) M. Harrisse a dessiné sur une feuille de papier la coupe de cette voûte
en briques dépassant à peine le sol et il nous a donné ce dessin, alors qu'il
nous raconta de vive voix les funérailles de George Sand.
(3) Elle avait été enterrée au PÚre-Lachaise, maintenant (1924) son corps
est transportĂ© daus ce mĂȘme cimetiĂšre de Nohant.
GEORGE SAND 629
chĆur qui portait la croix et du prĂȘtre revĂȘtu d'une Ă©tole violette trĂšs
usĂ©e, s'avança vers le caveau. Les assistants se placĂšrent oĂč. ils purent,
mais les places les plus proches Ă©churent Ă des gens complĂštement
Ă©trangers.
AprĂšs quelques courtes priĂšres le prĂȘtre, son enfant de chĆur et son
chantre se retirĂšrent. Un vieillard (1) que j'appris ĂȘtre M. PĂ©rigois,
avocat et conseiller général de l'Indre, républicain trÚs avancé, de cette
voix dolente qui est le trait distinctif de Félocution française et qui,
à nous autres Anglais et Américains, semble si étrange et si factice (2).
lut un discours, retraçant en termes dignes et parfois touchants, la
vie de l'illustre défunte. Paul Meurice à son tour lut lentement et d'une
façon solennelle la tirade que Victor Hugo avait envoyée. Ce style
boursouflé, ces phrases toutes faites qui ne signifient absolument rien,
produisirent un médiocre effet. Flaubert, lui, trouvait cette prosopopée
sublime et il m'avoua l'avoir déjà lue trois fois en y découvrant de
nouvelles beautés (3). Le prince, avec un grand bon sens, et Renan
qui s'y connaßt, n'hésitÚrent pas à déclarer que ce style amphigourique
n'était qu'une affaire de cliché, de procédé, à la portée de tous et de
chacun (4). Le prince avait d'abord songé à parler, et Dumas avait
passé une partie de la nuit dans la chambre de Favre (5) à préparer
un discours (6). Ils pensÚrent qu'entre le clergé et Victor Hugo il n'y
avait pas de place pour eux et ils se turent.
Ce cimetiĂšre inculte, cette foule de paysannes recouvertes de leurs
capelines de drap foncé, agenouillées dans Therbe humide, le ciel gris,
la pluie fine et froide qui nous fouettait le visage, le vent bruissant Ă
travers le cyprĂšs et se mĂȘlant aux litanies du vieux chantre, me tou-
chĂšrent bien autrement que toute cette Ă©loquence de convention. Et
cependant je ne pouvais m'empĂȘcher de penser que la nature, en ce
moment solennel, devait bien Ă George Sand un dernier rayon de soleil.
J'allai faire mes adieux Ă Maurice et Ă Lina. Me pressant les mains
elle me dit : « Bien, qu'eue ne soit plus, vous nous restez, vous, n'est-ce
(1) M. Pestel et Mine Maurice avaient été choqués du fait que M. Harrisse
avait nommé « vieillard » un homme de cinquante et un ans et avaient ajouté
une note Ă ces lignes. Nous croyons devoir laisser les expressions du texte
primitif de M. Harrisse telles que. Nous les préférons franchement.
(2) Tout ce passage est atténué et changé dans le texte imprimé.
(3) La phrase la plus connue de ce discours est : « Je pleure une morte et
je salue une immortelle. » â W. K.
(4) Ce passage est également changé.
(5) Dumas avait été installé pour la nuit non dans la chambre de M. Favre,
mais dans celle de Mme Maurice, qui alla loger dans la chambre de ses enfants.
(Note du docteur Pestel.)
(6) Qu'il ne prononça pas, mais que publiÚrent en 1879 le Figaro
(11 juin), et le Temps (12 juin), puis VOrdre républicain, journal d'Indre-
et-Loire.
630 GEORGE SAND
pas?... » De grand cĆur je le lui promis. Je cherchais Aurore et Gabrielle
pour les embrasser avant de partir, personne ne put me dire oĂč elles
Ă©taient. Je trouvai enfin les pauvres petites Ă la grille du chĂąteau au
milieu d'une foule de pauvres, distribuant des aumĂŽnes selon leur cĆur
et selon le touchant usage du pays.â
Enfin citons la lettre que le pasteur Leblois avait Ă©crite Ă
M. de Vasson Ă propos de l'enterrement religieux de George Sand,
qui causa tant d'Ă©tonnement Ă beaucoup de ses admirateurs.
Cher monsieur,
Votre bonne lettre que je reçois Ă Finstant mĂȘme, est pour moi un
véritable soulagement, dans un sens du moins, et je vous en remercie
plus que je ne saurais dire. Lorsque Mme de Vasson a eu l'obligeance de
m'annoncer la maladie subite de Mme George Sand, bien qu'elle n'ait
point dissimulé les inquiétudes sérieuses qu'inspirait son état, j'ai gardé
l'espoir du mieux et j'aurais considéré comme indiscret d'écrire et de
donner des conseils dans l'hypothĂšse d'une mort prochaine-. Aussi bien
j'étais convaincu que la famille, pénétrée de ce qu'elle devait à la mé-
moire de son illustre chef, ne prendrait d'autres dispositions que celles
que George Sand elle-mĂȘme eĂ»t approuvĂ©es. H ne m'appartientpas
d'émettre ici un jugement sur ce qui s'est passé. Pour juger avee équité
il faut connaßtre tous les éléments d'une cause. Mais la confidence que
vous avez bien voulu me faire, m'enhardit Ă vous parler comme Ă un
ami intelligent et impartial, auquel je porte la plus profonde estime.
D'aprĂšs ma conviction, l'auteur qui a Ă©crit Mademoiselle La Quin-
tinxie ne pouvait, ne devait pas ĂȘtre enterrĂ©e selon le rite catholique. Je
comprends les considérations de famille, lorsqu'il s'agit d'individus
obscurs qui n'appartiennent qu'Ă la famille. Devant le eercuetl d'un
personnage historique, des considérations d'un ordre supérieur doivent
prévaloir. La famille alors, c'est le pays, bien plus, c'est l'humanité.
On doit à l'humanité de ne rien faire qui la blesse ou qui la fasse
douter. « J'aime ma patrie plus que ma famille, disait Fénelon,. et
l'humanité plus que ma patrie. » Mme Sand, née dans le catholicisme
comme son pĂšre, avait compris que le catholicisme a cessĂ© d'ĂȘtre
une religion, une lumiĂšre, un principe de vie. Ce n'est plus qu'un sys-
tĂšme politique, un Ă©teignoir. C'est encore une puissance, il est vrai,
une puissance formidable, et voilĂ pourquoi la foule s'incline devant
les symboles qui le représentent. Mais ce qui distingue les esprits
élevés, c'est qu'à l'exemple de Guillaume Tell, ils passent debout devant
le chapeau de Gessler. Mme Sand l'a fait et ce sera pour elle un titre
de gloire impérissable.
GEORGE SAND 631
Encore une fois, je ne veux juger personne, mais ceux qui ont con-
seillĂ© de livrer la dĂ©pouille de George Sand au prĂȘtre, me paraissent
n'avoir compris ni la grandeur de son esprit, ni les obligations qu'en
présence d'une telle mémoire on doit à la religion, à la France, à l'hu-
manité. Un juge disait : « Quoi que tu fasses, n'oublie pas que tu donnes
un exemple. » Ce qui a été fait n'est pas seulement la condamnation
de l'Ćuvre de G. Sand, c'est la tristesse jetĂ©e dans le cĆur de ceux
qui croient au respect des principes et au progrÚs des idées, c'est encore
et surtout l'encouragement donné aux représentants du despotisme
spirituel. Parlez, Ă©crivez, agissez contre nous, diront-ils, quand vous
mourrez, vous n'en serez pas moins notre proie !
Recevez, cher monsieur, l'expression de mes meilleurs sentiments.
L. Leblois.
La lettre de faire-part, envoyée lors de la mort de George Sand,
est curieuse sous plus d'un rapport. Elle est ainsi conçue :
M.
Monsieur Maurice Sand, baron Dudevant, chevalier de la LĂ©gion
d'honneur, et Madame Maurice Sand ; Monsieur Clésinger et Madame
Solange Clésinger-Sand ; Mesdemoiselles Aurore et Gabrielle Sand-
Dudevant ; Madame Cazamajou ; Monsieur et Madame Oscar Caza-
majou ; Madame veuve Simonnet ; Monsieur René Simonnet, substitut
du procureur de la RĂ©publique Ă ChĂąteauroux; Monsieur Edme
Simonnet, employé de la Banque de France à Limoges ; Monsieur Albert
Simonnet, employé de la Banque de France à Bourges ; Monsieur et
Madame de Bertholdi ; Monsieur Georges de Bertholdi ; Mademoiselle
Jeanne de Bertholdi ; Monsieur et Madame Camille Villetard et leurs
enfants
Ont l'honneur de vous faire part de la perte douloureuse qu'ils
viennent d'Ă©prouver en la personne de
Madame GEORGE SAND
Baronne Dudevant
NĂ©e Lueile-Aurore-Amantine Dupin
leur mĂšre, belle-mĂšre, grand'mĂšre, sĆur, tante, grand'tante et cousine,
décédée au chùteau de Nohantle 8 juin 1876, dans sa soixante-douziÚme
année.
Nohant (Indre), le 8 juin 1876.
CHAPITRE XIV
LE CENTENAIRE DE GEORGE SAND
Quelques pages de souvenirs personnels sur les fĂȘtes du centenaire (30 juin,
rr juillet et 10 juillet 1904). â L'exposition et les galas, l'inauguration
de la statue au jardin du Luxembourg, les fĂȘtes Ă Nohant et La ChĂątre.
Maurice Sand n'a survécu à sa mÚre que treize ans, il est mort
en septembre 1889. Solange Clésinger est morte en mars 1899,
Mme Maurice Sand en 1901 et sa fille, Gabrielle. qui avait été
mariée à M. Roméo Palazzi. mais s'était séparée de lui et vivait
auprĂšs de sa mĂšre, la plupart du temps Ă Xohant, en 19ĂĂ. En
ce moment la famille des Sand n"est représentée que par l'aßnée
des petites-filles de George Sand, Mme Aurore Lauth.
En 1884 on inaugura, avec grande pompe, Ă La ChĂątre, un
monument de George Sand dû au ciseau d"Aimé Millet. En 1901
il y eut Ă Xohant et Ă La ChĂątre des fĂȘtes plus grandioses encore,
des cortÚges, des processions, des représentations, des discours
et des séances commémoratives à l'occasion du vingt-cinquiÚme
anniversaire de sa mort.
Et enfin, en 1904, Paris. Xohant et La ChĂątre fĂȘtĂšrent solen-
nellement le centenaire de sa naissance. Un comité d'honneur
fut organisé (parmi les membres duquel l'auteur de ce livre
avait aussi été nommé). Une exposition sandienne fut ouverte
dans les salles de l'Odéon, c'est-à -dire une exposition de choses
ayant appartenu Ă George Sand, de ses portraits, de ceux de
ses aĂŻeux et de ses parents, de toutes sortes d'objets se rappor-
tant Ă l'illustre femme ou Ă ses Ćuvres. M. X.-M. Bernardin
fit les samedis, dans ce mĂȘme local, une confĂ©rence sur l'auteur
de Coiisuelo. On y joua encore, à l'Odéon, le Démon du foyer.
su
GEORGE SAND 633
La statue de George Sand sculptée par Sicard fut -solennelle-
ment inaugurĂ©e le 1er juillet au jardin du Luxembourg â avec
force discours et couronnes â et le soir ds ce mĂȘme jour on joua
Claudie au Théùtre-Français. Et enfin les solennités furent
closes par une fĂȘte grandiose Ă Nohant et Ă La ChĂątre.
Nous n'avons pu malheureusement arriver Ă temps pour voir
l'exposition faite à l'Odéon et assister à la reprise du Démon du
foyer. Mais le 1er juillet nous étions à Paris et pûmes prendre part
Ă toutes les autres fĂȘtes du centenaire. Nous publiĂąmes Ă notre
retour en Russie nos « Impressions et souvenirs » dans la Rousskaya
Mysl. Nous nous permettrons de clore notre travail par ce cha-
pitre de nos mémoires personnels :
LE CENTENAIRE
Le jour mĂȘme oĂč les derniĂšres Ă©preuves du chapitre George
Sand et les poÚtes prolétaires (1) furent signées d'un bon à tirer,
le rapide m'emporta vers Paris, et il Ă©tait grand temps ! Nous
Ă©tions le lundi, et le 1er juillet, centiĂšme anniversaire de George
Sand, tombait un vendredi. On devait inaugurer, ce jour-lĂ ,
sa statue au Luxembourg, et jouer le soir Claudie à la Comédie-
Française. J'arrivai à temps pour assister à la répétition générale
le jeudi matin.
Il est peu probable que beaucoup de mes compatriotes aient pu
voir la maison de MoliĂšre non pas aux jours de spectacle, mais
dans « sa mise de tous les jours », en costume de travail, et encore
moins d'y pénétrer par une issue autre que les grandes portes
ouvertes au public. Or, le 30 juin, l'entrée en était particuliÚre-
ment restreinte : Ă l'exception de la famille de George Sand, de
ses amis les plus proches, d'une vingtaine d'artistes en fonction
ou en retraite et de quelques Ă©crivains, on ne laissait entrer per-
sonne. J'avais une carte oĂč on lisait : « Service de l'auteur »,
et ces mots usitĂ©s me donnaient un petit serrement de cĆur.
Par des couloirs et des escaliers qui me parurent presque mys-
(1) Cette partie du chapitre m de notre IIIe volume parut peu de jours
avant le centenaire dans le Mir Bogi, une revue russe.
634 GEORGE SAND
térieux on me conduisit au foyer des acteurs. Nous traversons
use galerie dont les murs sont ornés de portraits d'acteurs en
d'Ă©normes perruques Louis XIII et Louis XIV, puis en petites
perruques Ă queue du temps de Louis XV et Louis XVI faisant
suite, puis Ă toupets et Ă cravates extra-hautes de 1815, et
d'actrices poudrĂ©es Ă frimas, Ă tailles de guĂȘpe, aux corsages
trÚs franchement décolletés, ou bien aux coiffures soi-disant
« romaines », et vĂȘtues de blanches robes, ceintes de rubans sous
les aisselles. Nous passons aussi devant des personnages cos-
tumés pour leurs rÎles. En une rapide vision passent les traits
si connus de Talma et de Mlle Mars, les bustes de Poquelin et
de Racine, devenus si familiers grĂące aux nombreuses gravures
tant de fois vues dĂšs notre enfance.
J'aurais beaucoup aimĂ© m'arrĂȘter et examiner tout cela. Non,
impossible, le temps presse. Ah ! le voilĂ , ce foyer des artistes,
si célÚbre ! ce foyer que nous sommes habitués de ne voir qu'au
théùtre ou au second acte & Advienne LecouvreurI C'est donc
vraiment ici que se tenaient, causaient, attendaient leurs entrées
ou mĂȘme rĂ©pĂ©taient leurs rĂŽles Talma et Mlle Clairon,
Mlle Georges et Marie Dorval, Coquelin et Sarah Bernhardt!
J'ai beau me raidir contre le sentiment d'un involontaire res-
pect, je dirais de vénération profonde. Je ne peux pas m'en
aller... Non ! non ! le temps presse ! Tous les artistes sont dĂ©jĂ
derriĂšre le rideau. Encore des portes, des marches Ă descendre
dans l'obscurité, j'ouvre une derniÚre porte et me voici dans la
salle. Demi-obscurité. La rampe des loges et du balcon et les
rangées de siÚges en bas sont recouverts de toile bise ; il n'y a
que quelques rangs de fauteuils, tout en avant, oĂč les housses
sont enlevées, et on y aperçoit confusément des chapeaux
d'hommes et les taches claires des toilettes de femmes. Dans
l'une des loges latérales se laissent voir des espÚces d'énormes
ballons ou de parachutes gris : ce sont les appareils d'un photo-
graphe qui va photographier des scĂšnes et des groupes d'ac-
teurs au magnésium.
On m'appelle du parterre. Je descends en hĂąte. Ma place se
trouve juste derriÚre la nounou de l'aßnée des petites-filles de
GEORGE SAN'D 635
George Saiid ; assise toute seule, au milieu du premier rang, elle
attire tous les regards par sa coiffe berrichonne. A peine suis-je
Ă ma place que le rideau se lĂšve.
La scÚne représente la cour d'une grande ferme, appartenant
à une riche paysanne, la Grand'Rose, et gérée par le pÚre Fauveau,
son métayer. Le pÚre Fauveau est en train de régler ses comptes
avec les journaliers. Il est rusé, finaud et un peu avare, le pÚre
Fauveau, il sait compter son argent ; il l'aime, mais il est surtout
vaniteux, il espĂšre marier un jour son fils Sylvain avec l'alerte
et coquette « patronne », d'autant plus facilement que cette
jolie veuve voit d'un fort bon Ćil ce beau garçon si brave tra-
vailleur. C'est en vain que la mĂšre Fauveau conseille Ă son mari
de ne pas se laisser emporter par ses rĂȘves vaniteux et lui dĂ©montre
que Sylvain a bien autre chose en tĂȘte. Le pĂšre Fauveau est
tĂȘtu. Non seulement il ne change pas d'avis, mais Ă la premiĂšre
occasion venue, il insinue Ă la Grand'Rose que son gas (c'est gas
en berrichon) est épris d'elle et qu'il serait bien aisé de conclure
cette affaire.
C'est juste Ă ce moment que Sylvain revient des champs.
Deux moissonneurs le suivent, c'est un ancien soldat octogé-
naire, le pĂšre RĂ©my, et sa petite-fille Claudie.
Je n'ai jamais eu l'occasion de voir auparavant Mlle Leconte,
qai jouait Claudie, et je confesse mon absolue ignorance, je ne
sais pas parmi les astres de quelle grandeur elle est classée par
les critiques en titre. Je puis néanmoins assurer que son entrée
en scĂšne, sa pose et l'expression de sa figure au moment oĂč,
tenant par la main son vieux grand-pĂšre, elle se montre au seuil
de la porte, resteront toujours gravés dans ma mémoire, comme
certaines poses ou certaines entrées des plus grands artistes.
Jamais je n'oublierai ce regard suppliant et douloureux, cette
douce figure humble, ces mouvements timides et toute cette
petite personne si pauvrement vĂȘtue, si effacĂ©e, comme ternie
par le chagrin et la misÚre. Mais pendant la durée de toute la
piÚce aussi, par la simplicité, l'absence de tout artifice, la tou-
chante sincérité de son jeu, Mlle Leconte attira toute mon atten-
tion, toute ma sympathie et je lui fis une place Ă part au milieu
636 GEORGE SAND
des autres interprĂštes de Claudie qui tous ont, certes, beaucoup
de talent, mais qui jouent â un peu trop tien â comme on joue
à la Comédie-Française ! Nous autres Russes, nous préférons
qu'on chante à un diapason moins élevé. Donc Claudie et son
aĂŻeul sont venus pour recevoir leurs salaires de journaliers.
Le pĂšre Fauveau, vieux tire-sous, ne veut les payer que comme
un seul travailleur; le vieillard et la pauvre jeunesse n'ont pas
fait grand'chose, selon lui, et ont plus empĂȘchĂ© qu'aidĂ© les
autres. Sylvain insiste pour qu'ils soient payés comme un et
demi, le vieux RĂ©my consent Ă ne recevoir que le salaire d'un
seul journalier, il assure qu'ils n'ont à eux deux « tenu qu'une
rĂšge », s'y succĂ©dant Ă tour de rĂŽle. On finit par ĂȘtre d'accord :
le pĂšre Fauveau les paiera Ă raison de trois francs par jour pour
les deux ! La mĂšre Fauveau invite RĂ©my et sa petite-fille Ă se
reposer chez elle jusqu'au soir et Ă prendre part Ă la fĂȘte de la
Gerbaude. Claudie, prompte Ă la besogne, se met de suite Ă aider
la mÚre Fauveau dans les soins du ménage ; elle puise de l'eau,
lave la vaisselle, tandis que les vieux s'en vont aux champs, Ă la
rencontre des moisonneurs. Sylvain s'attarde ostensiblement
auprĂšs de Claudie et essaie de l'aider, de lui parler, mais elle lui
répond si sÚchement, avec tant de retenue, par monosyllabes,
qu'il s'en va aussi.
Cette scÚne est délicieusement jouée par Mlle Leconte. Ce
mélange de dignité sévÚre, de chasteté innées à Claudie et de mé-
fiance acquise au prix de l'expérience et du malheur est inter-
prétée par l'artiste avec une simplicité et une finesse admirables.
Claudie, restée seule, est affairée prÚs du puits. Entre Denis
Ronciat, fils de riche paysan parvenu, don Juan du village et
vaurien accompli, ayant ses vues sur la Grand' Rose.
« Hé ! il y a, paraßt-il, une nouvelle servante à la ferme. Si on
lui causait un brin? » se dit-il, et il se dirige vers Claudie. Elle lÚve
les yeux... tous les deux restent pétrifiés ! Ronciat a jadis séduit
Claudie. c'Ă©tait alors une pauvre fillette de quinze ans, elle devint
mĂšre et il l'abandonna avec son enfant ! Elle lui avait d'abord
Ă©crit, lui demandant des secours, puis elle s'Ă©tait tue. Il ne chercha
pas Ă savoir la cause de son silence : l'enfant Ă©tait mort de
GEORGE SAND 637
misĂšre et de privations. Denis Ronciat est aussi poltron qu'il est
effronté ; il veut au plus vite se tirer d'affaire : si Rose allait
apprendre quelque chose. Il craint quelque scandale. Il est donc
tout interdit et trÚs ravi lorsque Claudie lui déclare qu'elle ne
veut rien de lui, qu'elle a « tout oublié » ! Ronciat s'imagine
qu'elle a tout aussi légÚrement pris leur amourette que lui. Il en
est enchanté. Ce n'est pas lui qui peut comprendre quel martyre
de désespoir a traversé la pauvre délaissée, comment elle a passé
de l'amour à la haine, puis au mépris, puis, aprÚs la mort de son
enfant, à une morne indifférence ; elle n'a rien oublié, mais en
enterrant son petit, la consolation et le déshonneur de sa pauvre
vie, elle a, aussi, enterré son amour pour l'homme indigne. Liais
comment ce grand bĂȘta de Ronciat, suffisant et brutal, aveuglĂ©
par son argent et ses faciles victoires, pourrait-il comprendre tout
cela? Il voit les choses plus simplement. On ne lui demande rien.
L'affaire est donc bùclée ! On entend des cris, des chants et le
son des cornemuses : c'est la Gerlaude qu'on amĂšne des champs.
Lors de la premiĂšre de Claudie Ă la Porte-Saint-Martin, en 1851,
un Ă©norme chariot berrichon, attelĂ© de bĆufs et chargĂ© de gerbes,
exécuté d'aprÚs un dessin de Maurice Sand, arrivait réellement
sur la scÚne et triomphalement on enlevait une gerbe ornée de
fleurs selon le vieil usage. Cette fois-ci on se borna Ă apporter
sur la scÚne une énorme gerbe enrubannée et fleurie, on la plaça
au milieu de la scĂšne, et la fĂȘte de la Gerlaude commença.
Selon l'antique usage on donne cette gerbe au plus vieux ou
au plus jeune des moissonneurs, ou bien, s'il n'est pas de force
Ă l'emporter chez lui, on la lui rachĂšte : chacun doit lui faire un
petit présent selon ses moyens. Les uns lui donnent de l'argent,
les autres quelque objet utile ; le possesseur de la gerbe doit
chanter une chanson ou prononcer un discours en l'honneur de
la Gerbaude et des travailleurs. Personne n'a le droit de l'in-
terrompre, ce soir-lĂ , tous les honneurs lui reviennent. Il est
évident que Rémy est le plus ùgé de tous ; il est unanimement
Ă©lu orateur et « lieutenant » de la fĂȘte.
Rémy entonne alors ce lugubre quatrain en vieux français,
si semblable au berrichon, que George Sand avait jadis trouvé
638 GEORGE SAND
au bas d'une gravure de Holbein â l'un de ses Simulacres
de la mort, â reprĂ©sentant la Mort et un paysan Ă la
charrue :
A la sueur de ton visaige
Tu gagneras ta pauvre vie.
ApTĂšs long travail et usaige,
Voicy la mort qui te convie.
George Sand avait placĂ© ce quatrain en guise d'Ă©pigraphe Ă
sa Mare au Diable. Elle le changea un peu dans Claudie :
A la sueur de ton visage
Tu gagneras ton pauvre sort.
AprĂšs grand'peine et grand effort.
AprĂšs travail et long usage,
Pauvre paysan, voici la mort !
« Voiei la mort! » chante le vieux Rémy. « Pauvre paysan,
voici la mort », rĂ©pĂštent en chĆur les moissonneurs.
« Assez ! assez ! » crie la Grand'Rose, je ne veux plus de cette
chanson, une autre ! »
Il est douteux qu'au temps de Mme Sand les Berrichons aient
ehanté pareilles choses. Il est douteux qu'eux, ou n'importe quels
paysans au monde, chantent ou pensent de cette façon-là . Mais
ces paroles, dans la bouche d'un ex-soldat napoléonien, ayant
toute sa vie travaillé et peiné pour les autres, et la profonde
pénétration de George Sand dans le tragique de l'existence
des paysans dont elle fait preuve dans cet Ă©pisode, produisent
une immense impression. On dirait que le souffle de l'antique
Destin traverse soudain la paisible ancienne fĂȘte villageoise.
Eh bien! le Destin est réellement là , il a étendu son sceptre
au-dessus de tous ceux qui se sont rassemblés dans la cour du
pĂšre Fauveau ! Le pĂšre RĂ©my, au lieu d'une nouvelle chanson
â elles ne sont plus de son Ăąge vraiment â demande la per-
mission de prononcer un discours et il débite la consécration de
la gerbe. Il bénit le travail, le soleil, le blé. les pauvres qui peinent
et les bons riches qui, comme Rose, leur donnent du pain â une
piÚce de poésie en prose de toute beauté et écrite par George
Sand avec verve et chaleur â (mais peu naturelle dans la bouche
d'un laboureur, selon notre opinion).
GEORGE S AND 639
A ce moment, tandis que Rémy présente un bouquet à la
Grand' Rose, et que tout le monde commence Ă apporter son
offrande, à mettre par terre à cÎté de la gerbe, qui cinq francs,
qui un sou, celle-ci son dé pour Claudie, celui-là sa montre pour
le vieux RĂ©my, jusqu'Ă un marmot qui apporte candidement
une pomme verte, s'approche aussi Ronciat. RĂ©my le remarque
et repousse sa main qui tendait de l'argent : il a reconnu le séduc-
teur de sa petite-fille. Il est bouleversé, il chancelle, le courroux
lui coupe la voix, il avale de l'eau-de-vie pour se donner du cou-
rage et il se déchaßne en malédictions contre les mauvais riches
qui vivent du travail des pauvres, qui sont la cause de leurs
malheurs, qui leur ravissent plus que la vie, l'honneur. C'est ea
vain que Ronciat s'efforce d'Ă©touffer les paroles du vieillard en
ordonnant aux musiciens de jouer. Le pĂšre RĂ©my ne se laisse
pas interrompre. Mais les forces lui manquent. « Voici la mort ! »
s'écrie-t-il, et il tombe foudroyé sur la Genbaude. -Confusion
générale, cri déchirant de la pauvre Claudie, et le rideau tombe.
RĂ©my n'est pas mort, ce n'Ă©tait qu'une congestion dont il se
remit peu Ă peu dans la maison des Fauveau qui lui donnĂšrent
hospitalité ainsi qu'à Claudie. Il arrive ce qui doit arriver. Syl-
vain s'Ă©prend de plus belle de Claudie, elle l'aime aussi en secret ;
la mÚre Fauveau le voit, elle est toute portée à consentir an
mariage de son fils avec la douce, modeste et laborieuse Claudie,
mais le pĂšre Fauveau a bien autre chose en tĂȘte. Il ne veut pas
entendre parler d'une alliance avec une déshéritée, et, afin d'ac-
célérer les choses, il s'adresse directement à dame Rose. Or
Ronciat, qui a aussi des vues sur Rose et vient Ă la ferme en
qualité de prétendant, demande une réponse décisive.
La Grand'Rose, tout écervelée et légÚre qu'elle paraisse, est
toutefois trĂšs bonne observatrice et trĂšs intelligente. Elle a
remarqué ce que les autres n'avaient point vu ; elle a vu que le
pÚre Rémy avait repoussé la main de Ronciat, elle a comprfe
l'allusion aux « mauvais riches qui ravissent plus que la vie,
l'honneur », elle demande à son tour une réponse précise à Ron-
ciat : qu'y a-t-il sur sa conscience? Et, sans attendre cette
réponse, elle lui refuse catégoriquement sa main, lui disant
640 GEORGE SAND
qu'elle sait à présent quel homme il est. Roneiat est furieux. H
est sûr, malgré toutes les négations de Rose, que c'est Claudie
qui a soufflé un mot à Rose, il se trahit donc complÚtement.
Pour se venger, il insinue Ă la Grand' Rose que Sylvain ne la
regarde mĂȘme pas, occupĂ© qu'il est de Claudie seule. La Rose le
renvoie quand mĂȘme, et il s'en va ruminant des plans de ven-
geance.
Cette scÚne est jouée avec beaucoup de verve et d'entrain
comique par Mme Delvair et Georges Berr. La belle fermiĂšre
délurée (Mme Delvair est réellement jolie comme tout), sachant
s'apprécier à sa juste valeur, mais n'ayant, à son dire jamais fait
par sa conduite évaporée de mal à personne, si ce n'est à elle-
mĂȘme, veut tirer l'affaire au clair et exĂ©cuter celui qui a fait
un mal irréparable aux autres. Avec une adresse et une dextérité
surprenantes, elle fait jaser Roneiat, puis le foudroie par ses dis-
cours francs et sincĂšres. Oh ! elle n'est pas longue Ă chercher ses
paroles, la belle Rose ! Quant Ă Roneiat, il est moins lĂąche et
vil qu'il n'est ridicule dans son aveuglement de parvenu cossu,
dans sa poltronnerie et son effronterie. M. Berp sait parfaitement
nuancer ceci par son jeu fin et observé.
Denis Roneiat tĂąche donc d'Ă©veiller la jalousie de Rose. Puis,
ayant rencontré le pÚre et le fils Fauveau, il leur dit qu'ils ont
donné l'hospitalité à une fille perdue, qui avait eu un enfant.
Tout le monde, alors, perd la tĂȘte. La Grand' Rose, furieuse,
maltraite Claudie et conseille ironiquement au pĂšre Fauveau
de presser le mariage de son fils avec une « servante », lui insi-
nuant, de plus, qu'il paraĂźt ne pas ĂȘtre maĂźtre dans sa maison,
puisque tout le monde méconnaßt ses volontés. Sylvain, dévoré
de jalousie, s'Ă©lance vers Claudie et veut lui demander des expli-
cations. Mais fiÚrement et froidement, elle refuse de lui répondre,
elle prĂ©sume que si elle a Ă©tĂ© fautive, elle s'est chĂątiĂ©e elle-mĂȘme,
s'étant pour toujours refusé tout bonheur, tout amour, toute
amitié ; personne n'a le droit ni de la questionner, ni de la plaindre,
parce qu'elle ne se plaint pas, ni de l'accuser de mensonge, parce
qu'elle ne dit rien. Elle s'empresse de rassembler ses pauvres
hardes pour quitter au plus vite la demeure hospitaliĂšre de la
GEORGE SAND 641
mĂšre Fauveau. Malheureusement pour elle, et pour le vieux
Rémy qui reste des heures entiÚres comme hébété au coin du
feu, elle ne parvient pas à s'en aller avec lui, de son propre gré.
Le pÚre Fauveau exaspéré par le fiasco de son projet, aiguillonné
aussi par Rose et par Ronciat, la chasse de sa maison, lui lançant
Ă la figure l'accusation qu'il vient d'apprendre. Elle est la mĂšre
d'un bĂątard !
C'est alors que la raison se rallume soudain dans le vieux
Rémy, il semble se réveiller et, d'abord timidement, puis s'ani-
mant de plus en plus, tremblant de colĂšre et d'indignation, il
s'avance comme le défenseur redoutable de sa petite-fille.
â Ah ! On nous chasse? On accuse ma fille d'ĂȘtre une malheu-
reuse, une menteuse? Sachez donc la vérité ! Elle n'est ni une
menteuse, ni une malheureuse, c'est vous qui ĂȘtes des malheu-
reux ! Vous ĂȘtes plus malheureux que nous. Elle est une enfant
trompée et abandonnée par un vaurien ; à peine sortie de l'en-
fance elle devint mĂšre elle-mĂȘme, mais elle agit honnĂȘtement
envers son enfant, elle le nourrit et l'Ă©leva, elle souffrit et tra-
vailla, elle se cachait du monde, mais elle ne trompa personne,
ni ne demanda jamais rien Ă personne. Quant Ă Ronciat c'est
lui qui est un menteur, il l'a séduite, puis délaissée, lorsqu'il
apprit que la tante dont Claudie devait hériter s'était remariée
et que Claudie n'avait pas le sou ; il lui avait promis de l'Ă©pouser :
elle n'avait Ă©tĂ© fautive d'aucun crime envers lui, si ce n'est d'ĂȘtre
pauvre. Lui, il avait indignement, craintivement caché son
crime Ă tout le monde, et c'est lui qui, maintenant, lui jette une
pierre, c'est lui qui dévoile son malheur. Et vous, vous la chassez
et vous ne chassez pas Ă coups de fourche et de fourchĂąt cet
infĂąme? Jamais elle n'a fait entendre aucune plainte, aucun
reproche, aucune bassesse, et vous osez dire qu'elle veut se fane
épouser par votre garçon! Est-ce qu'il est digne d'elle, votre
garçon?... Qu'il soit honnĂȘte homme et bon ouvrier tant qu'il
voudra, est-ce qu'il a montré sa vertu par des épreuves comme les
nÎtres? Est-ce qu'il a été foulé de misÚre et de chagrin comme
nous? Est-ce qu'il connaĂźt comme nous la patience et la sou-
mission aux volontés du bon Dieu?... Non, non, ne soyez pas si
IV. 4|
64» GEORGE SAND
fiers, vous ĂȘtes plus aisĂ©s que nous... voilĂ tout ce que vous avez
de plus que nous dans ce monde. Mais nous verrons lĂ -haut,
nous autres, qui sera le plus prĂšs du Dieu juste... Viens, ma fille,
allons-nous-en dans notre pauvre cabane oĂč je veux mourir en
paix!... Retirez-vous tous! J'ai assez de force pour défendre
ma fille ! essayez-y un peu !...
Nous citons de mémoire cette apostrophe passionnée du pÚre
Rémy, prononcée avec force et vigueur par Paul Mounet. (Il
m'avait médiocrement plu au premier acte et me parut manquer
de simplicité ayant trop déclamatoirement débité la consécra-
tion de la Gerbaude.) Cette diatribe bouleverse tous les habitants
de la métairie Fauveau... et toute la salle avec eux ! C'est ainsi
que se termine le second acte.
L'intérieur des Fauveau est devenu sombre et triste. Le pÚre
Fauveau a perdu son calme et son appétit, il a conscience d'avoir
fait quelque chose qui n'est pas bien, mais il ne veut pas en
convenir. Sylvain est au désespoir, dévoré de jalousie, s'imagi-
nant que Claudie ne l'aime point, il a mĂȘme tentĂ© de se suicider
n'ayant que grùce à la présence d'esprit du bouvier échappé
au danger d'ĂȘtre Ă©crasĂ© par le chariot sous les roues duquel il
s'était laissé tomber, volontairement. La mÚre Fauveau pleure
sur son fils et sur la pauvre Claudie. Heureusement que chez
la Grand' Rose, la colĂšre comme le repentir, les larmes et le sou-
rire se suivent de prĂšs... Elle est prompte en paroles, mais c'est
une bonne ùme. L'idée que de pauvres malheureux avaient été
chassés à cause d'elle lui est insupportable < elle s'élance aprÚs le
chariot emmenant le pĂšre RĂ©my avec sa petite-fille, les rattrape,
met tout en Ćuvre : priĂšres, raisonnements, supplications,
enfin presque de force elle les ramĂšne Ă la ferme. C'est elle,
n'est-ce pas, qui est la vraie maßtresse de céans, le pÚre Fauveau
n'est que son métayer !
Mme Delvair est ravissante dans cette scĂšne oĂč d'abord elle
arrive, tout essoufflĂ©e, pour annoncer qu'elle est parvenue Ă
faire revenir les deux malheureux, puis, aidée de la mÚre Fau-
veau, emmĂšne par ruse le pĂšre RĂ©my, afin que le jeune couple
puisse s'expliquer. Ils ne parviennent pas Ă s'expliquer, toute-
GEORGE SAND 643
fois ; Sylvain est torturé par la jalousie et par l'amour-propre
froissé, il aurait voulu voir Claudie repentante ; mais elle se
renferme dans son désespoir et sa fiÚre résignation ; elle veut se
punir elle-mĂȘme pour sa faute, en ne se permettant plus d'aimer.
En ce moment réapparaßt Denis Ronciat. Il manque de dignité,
mais il a un amour-propre immense. H veut donc avant tout
sortir de la position ridicule, oĂč, selon lui, il se trouve, grĂące Ă
la Grand' Rose. Toute la paroisse est en Ă©moi, on le montre au
doigt, les enfants lui crient : « Ah ! coquin ! tu as fait chasser le
pÚre Rémy, mais voilà Mme Rose qui le ramÚne en triomphe !... »
Ronciat s'imagine reconquérir sa réputation, en étonnant tout
le monde. Il veut « trouver quelque chose » à quoi personne ne
s'attend ; il ne sait pas encore lui-mĂȘme ce qu'il fera (tout son
naturel de fanfaron imbécile se trahit dans ses paroles), mais il
veut Ă©pater son monde. Et Ă cette fin, il offre soudain sa main Ă
Claudie. Elle la refuse. Rémy qui, pendant tant d'années, ne
s'était pas vengé sur Ronciat, craignant que sa petite-fille con-
tinue à l'aimer en secret, voyant à présent qu'elle a vraiment
abjuré son ancien amour, s'avance droit sur lui. Il n'avait
attendu que le moment oĂč Ronciat aurait expiĂ© ses torts envers
elle, à présent il sait ce qu'il a à faire. Il le prend au collet, le
secoue durement, puis le chasse de sa présence.
Maintenant c'est le tour de Sylvain de se repentir de sa jalousie
et de sa brutalité ; il demande à Claudie de devenir sa femme.
Mais elle, malgré toutes ses priÚres, celles de la Grand' Rose, de
la mĂšre Fauveau et mĂȘme celles du pĂšre Fauveau, refuse. Elle
a juré de ne jamais se marier. C'est seulement lorsque son aïeul
la libĂšre de son serment, qu'elle donne, en pleurant, son consen-
tement. A ce moment on entend le son de la cloche. « A genoux,
dit le pÚre Rémy, c'est l'Angélus qui sonne. C'est l'heure du
repos, qu'il descende dans nos cĆurs, le repos du bon Dieu, Ă la
fin d'une journée d'épreuves... Demain cette cloche nous réveillera
pour nous rappeler au travail, nous serons debout avec une face
joyeuse et une conscience Ă©panouie. Car le travail ce n'est point
la punition de l'homme... c'est sa récompense et sa force... c'est
sa gloire et sa fĂȘte... Je suis guĂ©ri et je vais donc enfin pouvoir
644 GEORGE SAND
travailler; je n'ai pas eu ce contentement-lĂ depuis la Ger-
baude... Je sens maintenant que je deviendrai centenaire... »
Tous s'agenouillent. Et le rideau tombe sur une impression qui
rappelle celle du délicieux tableau de Millet : un Angélus pieu-
sement récité par de simples enfants de la terre, aprÚs une
journée de labeur.
Toute la piĂšce laisse l'impression d'un hymne au travail, au
rude travail de la terre, d'un hymne du bon laboureur et au bon
blé qui nous nourrit tous, riches et pauvres. Sans ce blé, sans ce
travail du laboureur, il n'y aurait rien eu, ni personne de nous,
mĂȘme dans cette belle salle oĂč nous voilĂ . Gloire donc au blĂ© !
A la gerbe ! à la gerbaude ! comme disait le pÚre Rémy... « Oh !
gerbe de blé, si tu pouvais parler, si tu pouvais dire combien il
t'a fallu de gouttes de notre sueur pour t'arroser, pour te lier
l'an passé, pour séparer ton grain de la paille avec le fléau, pour
te préserver tout l'hiver, pour te remettre en terre au printemps,
pour te faire un lit au tranchant de l'arrau, pour te recouvrir,
te fumer, te herser, te désherber et enfin pour te moissonner et
te lier encore et pour te rapporter ici, oĂč de nouvelles peines vont
recommencer pour ceux qui travaillent... Oh ! gerbe de blé ! tu
fais blanchir et tomber les cheveux, tu courbes les reins, tu uses
les genoux! Le pauvre monde travaille quatre-vingts ans pour
obtenir Ă titre de rĂ©compense une gerbe qui lui servira peut-ĂȘtre
d'oreiller pour mourir et rendre à Dieu sa pauvre ùme fatiguée... »
Et ce sentiment, dominant toute la piĂšce, â la glorification
du travail qui n'est point une punition, mais un bienfait pour
nous, â se communique si fort aux spectateurs que ce jour-lĂ ,
aprÚs la répétition générale, et le lendemain, aprÚs la soirée du
spectacle, tous, nous sortions du théùtre avec une sensation de
fraßcheur, de courage pour travailler. Et nous y avons vécu des
moments de gai entrain, lors des scĂšnes de Rose et de Ronciat,
des moments d'Ă©motion profonde, par exemple pendant le pre-
mier dialogue entre Claudie et Sylvain, ou l'explication entre
le pĂšre et la mĂšre Fauveau au dernier acte, et enfin des moments
dramatiques vraiment bouleversants, comme lors du grand mono-
logue de RĂ©my. Et les sceptiques, parmi nous, avaient complĂš-
GEORGE SAND 645
tement oublié que beaucoup de choses dans la piÚce étaient vieil-
lottes, que le pÚre Fauveau, malgré toute sa ruse berrichonne,
et son amour de la monnaie, Ă©tait quand mĂȘme Ă©normĂ©ment
idéalisé en comparaison de quelque vrai tire-sous des environs
de Nohant ou d'Aigurandes, que Sylvain, aussi, avait les sen-
timents trop délicats, mais surtout un parler trop raffiné pour
un gars qui est « le premier à la rÚge », que le vieux Rémy, bien
qu' « ancien sous-officier et ayant reçu de l'éducation », rappelle
trop « les pĂšres nobles », de mĂȘme Rose, la mĂšre Fauveau et
Ronciat, ces trois personnages les plus naturels, les plus vrais
et les plus réalistes de la piÚce sont aussi trop conventionnels,
Mais, nous le répétons, les sceptiques avaient oublié tout cela,
le soir du spectacle. C'est ainsi que nous avons vu par hasard
deux jeunes snobs, venus entendre Claudie « pour tuer leur
soirĂ©e », s'Ă©crier en s'asseyant : « On va s'embĂȘter ! On dit que
cette George Sand est une raseuse I... On ferait peut-ĂȘtre bien
de filer avant que la piÚce commence? » Cependant ils étaient
restés, mais ils avaient commencé par écouter d'un air distrait,
se communiquant Ă haute et intelligible voix des remarques sur
les personnes connues qu'ils apercevaient dans la salle; puis,
peu Ă peu, ils devinrent attentifs, ils applaudirent et s'Ă©criĂšrent :
« Mais c'est trÚs bien, c'est tout à fait bien! » Et aprÚs la scÚne de
RĂ©my et de Ronciat, ils criaient de toute la force de leurs pou-
mons : « Bravo ! Bravo ! » Rs trouvaient que ça, c'était vraiment
fort/
Mais rétablissons l'ordre chronologique, négligé par nous,
pour parler du spectacle du 1er juillet. Or donc, ce mĂȘme
1er juillet 1904, Ă 10 heures du matin, au jardin du Luxembourg,
du cĂŽtĂ© de ce boulevard Saint-Michel oĂč George Sand avait
demeuré au début de sa carriÚre littéraire, eut lieu l'inauguration
de la statue de George Sand, sculptée par M. Sicard. L'artiste,
fort heureusement, représenta l'illustre femme non pas sous les
traits d'une matrone, habillée et coiffée selon l'horrible mode du
milieu du dix-neuviÚme siÚcle comme l'avaient portraiturée Aimé
Millet et Carrier-Belleuse. R s'était inspiré de Charpentier, du
dessin de Calamatta et se servit tant des indications Ă©crites des
646 GEORGE SAND
contemporains de la jeunesse de Mme Sand que des renseigne-
ments oraux que lui donnĂšrent quelques-uns de ses amis vivants.
On a donc devant soi une petite femme fluette, aux trĂšs grands
yeux rĂȘveurs, coiffĂ©e de grands bandeaux plats qui lui couvrent
les oreilles ; elle s'appuie Ă un bloc de pierre et semble songer,
comme George Sand dut le faire au moment de la création de ses
premiĂšres Ćuvres, celles qui firent sa gloire.
La fĂȘte du centenaire fut ouverte par un discours de M. Jules
Claretie remplaçant le président du comité, M. Paul Meurice,
qui se trouvait bien lĂ sur l'estrade, mais s'abstint de prononcer
un discours public, vu son grand Ăąge. En remettant Ă la ville
de Paris, de la part du comité et de la famille, le monument de
George Sand, M. Jules Claretie caractérisa sommairement les
grandes idées généreuses et profondément humanitaires de F écri-
vain. AprĂšs lui parla au nom du ministre de l'Instruction publique
le directeur des Beaux-Arts, M. Henry Marcel, qui, en un dis-
cours extrĂȘmement simple, serrĂ© et puissant, retraça le dĂ©voue-
ment de George Sand aux meilleures aspirations libérales du
siÚcle dernier, sa croyance profonde à la perfectibilité de tous les
hommes individuels et de l'humanité entiÚre, la foi dont elle fit
preuve dans toutes ses Ćuvres au triomphe de cet idĂ©al de libertĂ©
démocratique et de liberté de conscience, qui est proclamé par
le gouvernement, représenté par l'orateur. A la suite de M. Marcel
parla M. Marcel Prévost, président de la Société des Gens de
Lettres. Il prononça un trÚs beau discours, avec une pointe de
polémique à l'adresse du discours précédent ; il évoqua les épi-
sodes principaux et les Ćuvres les plus importantes de George
Sand, qui sont si organiquement liées les unes aux autres. Puis,
Mme Worms-Barretta déclama une poésie écrite par une dame
et couronnée par un journal dirigé par des dames, Fémina.
M. Fenoux, acteur et poĂšte, lut aussi une piĂšce de vers : les
Ăpis du Berry. Et finalement la si justement cĂ©lĂšbre Mme SĂ©-
verine adressa à George Sand une allocution improvisée. Je
dois confesser que j'ai une antipathie insurmontable pour les
dames-orateurs, je dois néanmoins avouer que Mme Séverine
parla admirablement bien : simplement, avec chaleur, avec
GEORGE SAND 647
verve, en vrai maßtre, et son discours fut magnifique. « George
Sand fut trÚs grande » par son talent, par son esprit ; « elle fut
trÚs audacieuse » par ses aspirations et les problÚmes qu'elle
tùchait de résoudre ; « elle fut trÚs bonne » dans sa vie et dans
ses Ćuvres. « Et elle fut trĂšs insultĂ©e ! » dit Mme SĂ©verine. « Oh!
la trÚs grande, la trÚs bonne, la trÚs audacieuse et la trÚs insultée! »
On l'a tant insultée de son vivant et aprÚs sa mort que ce mo-
nument ne paraĂźt rien qu'une amende honorable : si on avait
ramassé toutes les pierres qu'on lui jeta de son vivant, on
aurait un haut piĂ©destal tout prĂȘt pour ce monument. A la fin
de son discours Mme Séverine déposa, comme Mme Barretta, une
grande gerbe de roses au pied de la statue.
Mais tout au commencement déjà , avant les discours, on avait
apporté une énorme couronne de roses ornée de rubans aux cou-
leurs de la BohĂȘme : c'Ă©taient les frĂšres moraves qui l'envoyaient
de Prague sur la tombe de l'inoubliable auteur de Consuelo et
de Jean Ziska. Et vraiment ce témoignage muet de gratitude et
de vénération, envoyé au grand écrivain par ses lointains et
reconnaissants admirateurs slaves, qui appréciaient chaudement
sa profonde pénétration dans l'esprit de leur histoire, sa sym-
pathie pour leurs luttes religieuses et leurs aspirations sociales,
sa maniÚre de traiter leur plus grand héros national, m'émut
plus que toutes les belles paroles et tous les discours brillants.
Et je songeais que, pour George Sand, aussi, ayant toute sa vie
rĂȘvĂ© la fraternitĂ© des peuples, cette simple expression de l'union
entre l'écrivain et ses lecteurs, entre le génie français et les ùmes
slaves aurait Ă©tĂ© plus Ă son grĂ© que tout le reste de la fĂȘte, comme
toujours assez officielle.
Ce fut de mĂȘme le soir, aprĂšs la reprĂ©sentation de gala de
Glaudie, jouée devant un public élégant et brillant, émaillé de
toutes sortes de célébrités et de « notoriétés », lorsque le rideau
se leva une fois de plus et lorsque, vĂȘtus de fracs. M. Sylvain
lut le discours connu de Victor Hugo sur l'enterrement de
Mme Sand, et Mounet-Sully le morceau non moins connu
d'Alexandre Dumas fils, Palaiseau, Mme Segond-Weber, belle
comme un marbre antique, déclama d'un contralto profond les
643 GEORGE SAND
vers de Judith Gautier A George Sand et Mme Amel, habillée
en Berrichonne, chanta d'une voix fluette une ancienne Chanson
à Claudie écrite par Dupont, et lorsque tous les sociétaires de
la Comédie se rassemblÚrent sur la scÚne, comme cela est de
rigueur en pareille occurrence, les uns costumés, les autres en
tenue de ville, et se mirent à « déposer les couronnes », c'est-à -dire
que tous les artistes agitĂšrent pendant quelques secondes et
d'un air assez confus, devant le buste de George Sand, des
branches de palmiers et de lauriers, tout cela parut une chose
officielle aussi mutile que ressassée et d'un manque de goût
conventionnel, sentant à dix lieues cette banalité routiniÚre dont
George Sand s'Ă©loigna toute sa vie. Elle la craignait dans ses
piĂšces mĂȘmes, elle tĂąchait de l'Ă©viter, ce dont Zola l'avait louĂ©e
plus tard, tandis que plusieurs de ces piĂšces parurent d'une nou-
veauté déconcertante à ses contemporains. C'est ainsi que
lorsque parut Claudie les critiques les plus sympathiques pour
l'auteur, tels que Sainte-Beuve et Gustave Planche, trouvĂšrent
que cette piÚce, paraissant si idéaliste de nos jours, était écrite
dans une langue trop simple, trop vulgaire, était trop réaliste,
que George Sand aurait mieux fait si, en laissant les mĂȘmes sen-
timents et les mĂȘmes idĂ©es Ă ses personnages; elle les avait fait
s'exprimer en un langage plus élégant, et surtout, oh ! surtout !
si elle ne s'Ă©tait pas permis d'y intercaler des locutions locales.
Car George Sand avait commis en 1851 le mĂȘme crime que les
uns avaient tant reproché à Tolstoï aprÚs les Fruits de la science
et la Puissance des ténÚbres, tandis que d'autres y avaient cru
voir une révélation d'art. Chacun des personnages de Claudie
a sa propre maniĂšre de parler, ses locutions favorites. Ainsi par
exemple Denis Konciat dont tout le parler dénonce le paysan
parvenu voulant faire parade de son « éducation », assaisonne,
de plus, tous ses discours du mot : « Et... et différemment... »
C'est tout comme le paysan de Tolstoï avec son : Et vérita-ole-
nieint.
Donc, toutes ces couronnes et lauriers, et tous ces discours,
prose et poésie, auraient, à mon avis, bien pu briller par leur
absence. L'impression emportée dans l'ùme aprÚs Claudie avec
GEORGE SAND 649
sa note finale : le doux Angélus aprÚs une dure journée de labeur
et de douleur, n'en aurait été que plus profonde, et plus
puissant aurait vibré le ton général de la piÚce : la profonde pitié
pour le sort tragique de ceux qui peinent sans trĂȘve et l'enthou-
siaste glorification du travail!
Le 10 juillet, de grand matin, nous tous amis et proches de
la famille Sand qui, depuis quelques jours déjà , étions réunis
sous le toit hospitalier de Nohant et y jouissions du calme et de
la fraßcheur de ses ombrages, ainsi que tous les académiciens,
artistes et littérateurs arrivés la veille de Paris (il y avait M. André
Theuriet, M. et Mme Marcel Prévost, M. et Mme Rocheblave,
Me FĂ©lix Decori, le vieil acteur Sully-LĂ©vy, Mme SĂ©verine, et
d'autres encore), nous fûmes réveillés par des pétards et des
coups de fusil. A peine avaient-ils cessé que j'entendis Y Angélus;
cette fois le doux son venait du clocher de la rustique petite
église de Nohant située à deux pas du chùteau. Il fallait se lever,
le curé ayant prévenu la veille que la messe pour « la bonne
dame de Nohant » â c'est ainsi qu'on appelle ici la grande
George Sand â serait dite Ă 7 heures... L'Ă©glise est pleine de
paroissiens, et surtout de paroissiennes venues du bourg de
Nohant et des environs ; presque toutes portent le blanc petit
bonnet carré, quelques-unes sont enveloppées de leurs capelines
ou capuches. Nous ne sommes pas nombreux, nous qui sommes
venus prier avec ces bonnes Ăąmes : l'heure est matinale, et, de
plus, presque tous les hÎtes de Nohant sont des « libres pen-
seurs » et croient bien sûr que leur présence à l'église serait en
désaccord avec leurs opinions. Mais ici, à cette messe solennelle
pour le repos de l'ùme de la « bonne dame », il importe peu de
savoir si elle avait été célÚbre ou non, si elle avait appartenu à tel
ou tel parti, on ne se souvient que du bien qu'elle avait fait tout
autour... Comment donc ne pas prier pour elle?... Et de nouveau
il me semble que c'est juste et bien que l'Ă©glise soit pleine de ces
simples femmes Ă bonnets blanc, de noir vĂȘtues, et que nous ne
soyons que trois ou quatre parmi elles : un abbé de Paris, admi-
rateur des Ćuvres de George Sand, homme d'un rare esprit;
un autre admirateur encore, capitaine d'artillerie de Poitiers ;
650 GEORGE SAND
un écrivain parisien et votre serviteur, fraßchement arrivé de
la lointaine Russie ! Au moment du prÎne, lorsque l'abbé adresse
la parole aux humbles ouailles rassemblĂ©es, il leur dit que l'Ăglise
doit prier pour Mme Sand, parce qu'elle possédait deux grands
dons de Dieu : le génie et la bonté. H se souvient aussi d'une
autre Ăąme disparue encore, de cette admirable Lina Sand qui
se dévoua à servir sa belle-mÚre. Plusieurs des hÎtes de Nohant
se montrent à l'entrée de l'église ; ils écoutent, puis s'en vont
de nouveau. Quant Ă nous, nous restons jusqu'Ă la fin et ne sor-
tons qu'avec les bonnes vieilles Ă bonnets et les vieux paysans
en blouses et Ă grands chapeaux.
Entre temps, les allées du parc fourmillent déjà de figures
inconnues : ce sont des visiteurs de La ChĂątre et des environs
venus pour voir la vieille maison, le parc, et pour saluer la tombe
de George Sand. Cette tombe se trouve dans un enclos réservé
du cimetiÚre, et n'est séparée du jardin que par un mur mitoyen.
Les visiteurs affluent peu Ă peu, mais ils sont relativement peu
nombreux; tout à coup, du cÎté de la grand'route, on entend
une musique Ă©trange, quelque chose comme des pifferari italiens,
du bruit, le trépignement sourd d'une foule, des centaines
d'hommes qui s'approchent... Et voici qu'un cortĂšge entre dans
la cour du chĂąteau : ayant Ă sa tĂȘte, son bĂąton de commande-
ment haut levé, M. Augras, le président de la Société des gas du
Ben y. H porte Ă sa blouse une cocarde aux couleurs du Berry,
vert, rouge, blanc. DerriĂšre lui deux hommes portent les enseignes
de la société : des écussons de France et du Berry entourés de
guirlandes de verdure et portant les mots : Société des gas du
Berry, puis, en haut, les devises ; on lit sur l'une : Notre pain est
maigre, ma:s je le trempons quand mĂȘme dans notre Ă©cuelle, et
sur l'autre : Quoi qu'on dise, quoi qu'on fasse, fresterons Berrichons
quand mĂȘme.
DerriĂšre ces enseignes marchaient, portant des emblĂšmes et
des rubans, les représentants des différents corps de métiers, et
d'anciennes loges maçonniques. C'est ainsi que nou3 vßmes
s'avancer un Compagnon jnenuisier du devoir de Salomon qui
nous fit nous souvenir du Compagnon du tour de France. Et der-
GEORGE SAND 651
riÚrc eux marchaient, en rangs serrés, les vrais gas du Berry,
cornemuseux et vielleux, jouant de leurs antiques instruments.
Us portaient tous de longues blouses bleues brodées de blanc au
col et aux Ă©paules, des foulards rouges autour du cou, de grands
nĆuds tricolores sur la poitrine et sur leurs chapeaux Ă bords.
Jouant sans s'arrĂȘter d'anciennes marches et bourrĂ©es, ils
entrĂšrent majestueusement dans la maison, traversĂšrent le ves-
tibule, la grande salle Ă manger, sortirent par l'autre^ porte sur
la terrasse, au jardin, contournĂšrent le potager, passĂšrent par
la petite porte ouverte du cimetiĂšre et revinrent de nouveau
dans la cour. Une Ă©norme foule de LachĂątrais, de tous les Ăąges,
de toutes les classes, de toutes les positions sociales les suivait,
solennellement, en un profond silence. Il est impossible de rendre
l'impression produite par le passage muet, solennel et pieux
â oui, pieux ! â de cette Ă©norme foule.
Puis les musiciens se groupĂšrent et on les photographia. Tou-
jours fidÚles à leur consigne, lentement, posément, jouant
toujours leurs gais airs berrichons, ils s'en allĂšrent comme ils
Ă©taient venus. Mais la foule affluait et affluait encore, elle se
répandait par les allées du parc, dans les appartements du chù-
teau, admirait le vieux salon Louis XV aux murs ornés des
portraits des aĂŻeux de George Sand, de ceux de ses enfants et
petits-enfants, et remplis de meubles et d'objets qui lui avaient
appartenu, Ă elle, ainsi qu'Ă sa grand'mĂšre, Marie-Aurore de
Saxe. AprÚs on montait le grand escalier de pierre, en hémicycle,
Ă©clairĂ© d'un Ćil-de-bĆuf, on longeait de longs couloirs Ă plan-
cher briqueté, pour arriver à deux chambres : le cabinet de tra-
vail et la bibliothĂšque de George Sand, oĂč la chĂątelaine de
Nohant, Mme Gabrielle Sand, avait exposé dans des vitrines une
foule de précieuses reliques : le moulage de la main de George
Sand et son ombrelle, et un bracelet qu'elle portait toujours, fait
avec les cheveux de ses enfants, et ses dessins, et ses découpures
de fleurs et de plantes, faites Ă la main, d'une finesse inouĂŻe, et
des marionnettes habillées par elle, et encore une quantité de
toutes sortes d'ouvrages et d'objets Ă elle. Ensuite, la foule
redescendait, visitait la salle de thĂ©Ăątre, oĂč avait jouĂ© toute la
65a GEORGE SAND
famille de Nohant et Bocage, et des artistes de tous les théùtres
de Paris, et des Ă©crivains les plus connus, et toujours silencieuse-
ment, presque sans faire de bruit, en Ă©changeant Ă peine quelque
remarque à voix basse, en saluant des connaissances, on se répan-
dait de nouveau dans le parc ou on se dirigeait vers la petite
station de Nohant- Vicq, d'oĂč des trains spĂ©ciaux emmenaient
la foule vers La ChĂątre. Mais ce n'Ă©taient pas seulement des La-
chĂątrais : il y avait des gens venus de tous les points du Berry,
illustrés par la plume de George Sand. E y avait parmi eux des
Berrichons trĂšs connus : tel un jeune substitut du procureur,
connu à Paris comme critique littéraire et musical sous le pseu-
donyme de Stéfane-Pol, puis le poÚte local, M. Hugues Lapaire,
l'un des organisateurs les plus Ă©nergiques de la fĂȘte, auteur du
livre La Bonne dame de Nohant, Ă©crit en collaboration avec
M. Firmin Boz; puis un autre poĂšte, M. Gabriel Nigond, et
le jeune journaliste, M. L. Lumet, le fils du vieil ami de Mme Sand,
un paysan républicain de 1848. Nous remarquons aussi, dans cette
foule, le vieux Sylvain, le cocher de Mme Sand, ùgé de quatre-
vingt-dix-huit ans, dont elle a tant parlé dans ses Souvenirs, et
le docteur qui l'avait soignée dans sa derniÚre maladie. Le défilé
de la foule a duré si longtemps que nous eûmes à peine le temps
de déjeuner avant de partir en grande hùte pour La Chùtre, pour
assister à la solennité qui devait y avoir lieu. Il fait trÚs chaud.
Le ciel est sans nuage et le soleil brûle sans merci, tandis que
nous roulons par la monotone chaussée grise, au milieu de rares
noyers et chĂątaigniers, vers la pittoresque petite ville de La ChĂątre,
situĂ©e sur les bords escarpĂ©s de l'Indre et que je connais dĂ©jĂ
depuis mes autres séjours en Berry. H ne fait pas moins chaud
dans les rues Ă©troites de La ChĂątre, mais l'air y paraĂźt moins brĂ»-
lant, et puis on oublie le soleil, on regarde la foule des citadins
endimanchés qui envahit tous les trottoirs, les maisons couvertes
de tapis, de draperies et de drapeaux, ornées de transparents et
d'Ă©criteaux mirifiques, les rues au-dessus desquelles des guir-
landes de verdure et de lanternes flottent dans l'air bleu.
Nous voici sur la place oĂč, au milieu d'un square, se laisse
apercevoir la statue de George Sand érigée en 1884, et devant
GEORGE SAND . 653
laquelle on va prononcer les discours, aujourd'hui. Le monument
n'est pas rĂ©ussi. De certains points de la place d'oĂč la silhouette
de Mme Sand (représentée assise, un livre à la main, et les
jambes croisées) se laisse voir de profil, la pointe de son pied
levé se dessinant nettement sur le fond de verdure, la statue
produit mĂȘme une impression comique.
Le soleil darde d'une maniĂšre insupportable. Le petit square
encombré par la foule, en habits de gala, est tout blanc de
lumiÚre ; on ne pourrait se cacher que sur la petite tribune ré-
servée aux orateurs qui ressemble à un corbillard, ou à l'ombre
des buissons tout prÚs de la grille. Or, MM. Theuriet, Prévost
et Bouchard, les membres du Comité local, et Mme Séverine, ont
seuls aujourd'hui le droit de profiter de ce petit refuge d'ombre,
â et ils y prononcĂšrent une sĂ©rie de beaux discours ; mais,
comme il Ă©tait tout Ă fait impossible de les Ă©couter au milieu
de cette chaleur brûlante et de cette foule mobile, affluant,
refluant, nous eûmes recours à une petite ruse, un artiste trÚs
spirituel, et moi : nous prßmes le parti de nous asseoir à l'entrée
du square ; de là , ce que nous pûmes entendre, nous l'enten-
dßmes ; le reste, nous le lûmes le lendemain dans les journaux
locaux et parisiens ! Et cette petite ruse nous profita beau-
coup, nous occupions une place trĂšs favorable pour voir ce
qui se passait sur la place qui entoure le square. Or, cette
place et toutes les rues voisines Ă©taient envahies par des
habitants des environs, paysans des hameaux suburbains, ou
mĂȘme venus de fort loin, car tout le Berry fĂȘtait lĂ le cen-
tenaire de sa grande compatriote. Voici que subitement cette
foule s'ébranle, on entend les sons déjà amis des villes et des
cornemuses, les rangs des gas du Berry défilent en mesure, les
corps de métiers les suivent, et puis voici que s'avance toute une
procession, une procession symbolisant le travail champĂȘtre sous
toutes ses formes, et les personnages champĂȘtres chantĂ©s par
George Sand. C'est la réalisation du discours du vieux Rémy !
D'Ă©normes bĆufs blancs traĂźnent une charrue ornĂ©e de fleurs,
ils sont suivis de semeurs, de moissonneurs, de faucheurs, vĂȘtus
de blouses bleues ou de chemises blanches, et de bonnes vieilles
6S4 GEORGE SAND
filant leurs quenouilles en marchant, selon l'antique usage.
Puis, voici d'énormes chariots attelés également de grands et
doux bĆufs blancs couplĂ©s, chargĂ©s de gerbes enrubannĂ©es.
Sur l'un de ces chariots, on voit perchés deux garçonnets, sur
l'autre, c'est Claudie en personne ! Une jolie petite paysanne,
toute confuse d'attirer l'attention générale. Elle abrite son petit
bonnet blanc sous une ombrelle fort moderne, cela manque un
peu de couleur locale, mais la chaleur est si accablante que l'on
n'ose protester contre cette liberté qui nuit un peu à l'ensemble
du tableau. Et ce tableau est ravissant ! Cela rappelle un peu
les Moissonneurs de Léopold Robert, mai scela est mieux. « C'est
du vrai », comme disent les enfants, c'est typique, c'est local,
une vĂ©ritable scĂšne d'un des romans champĂȘtres de George Sand.
Lentement, accompagné d'une foule énorme, le cortÚge défile
autour du square, puis s'Ă©loigne par l'une des rues avoisinantes.
Le son des cornemuses devient plus sourd, et peu Ă peu se perd
tout Ă fait. Mais Ă peine l'orateur qui parle sous le corbillard
rouge et or a-t-il terminĂ© son discours, ou plutĂŽt â Ă peine est-il
sur le point de le terminer â que les sons des cornemuses reten-
tissent de nouveau et nous arrivent par une autre rue, Claudie
et sa suite font de nouveau irruption sur la place, aux exclama-
tions joyeuses de la foule.
De grands applaudissements retentissent Ă ce moment autour-
du baldaquin rouge; on acclame Mme SĂ©verine, si populaire
en Berry, et qui ne manque Ă aucune fĂȘte en l'honneur de George
Sand. Mais alors que tous nous nous tournons de ce cÎté, mes
yeux sont frappés par un tableau symbolique, d'une rare
beauté artistique : sur un fond de sombre verdure, au-dessus
d'une foule bariolée qui l'entoure de toutes parts, cachée jus-
qu'aux Ă©paules par des centaines d'ombrelles, de chapeaux de
femmes et de noirs chapeaux d'hommes, on aperçoit la blanche
silhouette de la Grand'MĂšre, elle tient un livre Ă la main et
semble sourire (c'est un effet de lumiÚre changée), et elle semble
raconter une histoire Ă cette foule de grands enfants. La laideur
du monument est cachée par la foule, on ne voit que la noble
tĂȘte blanche et la main qui tient le livre, et autour d'elle ce millier
GEORGE SAND 655
de figures levées, écoutant attentivement. Et voici que de toute
cette solennité devant la statue de La Chùtre, l'impression de
cette minute demeure seule dans ma mémoire : la vision de cette
blanche statue racontant une de ses fables Ă cette foule qui
l'écoute avidement, tandis que défilent autour d'elle lentement,
posément, les types immortels du doux Berry laborieux, chantés
par cette muse aux simples histoires...
Les discours sont terminés : la foule nous entraßne; nous
gagnons une autre place de la ville oĂč doit avoir lieu la fĂȘte
populaire. H y a des carrousels, des balançoires, des gondoles
russes (il fallait venir Ă La ChĂątre pour apprendre que nous avons
en Russie des gondoles de ce genre !) et de la musique, et des
drapeaux, et un guignol, et des boutiques, et des baraques, le
tout agrémenté par un écrasement infernal, et une chaleur ! H
y avait lĂ de tout ! C'est ici que devait aussi avoir lieu la distri-
bution des prix pour les « coiffes », les danses et les chants berri-
chons, prix fondés par les petites-filles de George Sand en l'hon-
neur de leur aĂŻeule qui adorait toutes les vieilles coutumes du
pays. C'est Ă grand'peine que nous parvĂźnmes Ă nous faufiler Ă
travers un écrasement incroyable jusqu'à l'estrade d'honneur ré-
servée au jury et à la famille. Le cortÚge devait repasser devant
cette estrade, mais cela fut jugé impossible. M. Hugues Lapaire,
vĂȘtu d'une blouse bleue, grimpa seulement au haut d'un chariot
de gerbes et prononça de là la consécration de la Geroaude du
pĂšre RĂ©my, aprĂšs quoi les gas du Berry jouĂšrent quelques piĂšces
devant l'estrade.
Alors commença le « concours des coiffes ». Il consistait en ce
qu'on appela sur l'estrade toutes les propriétaires de coiffes
anciennes. AprĂšs d'incroyables efforts pour se frayer un passage,
des vieilles et des jeunes, des grandes et des petites Berrichonnes
Ă bonnets arrivĂšrent devant l'estrade et se placĂšrent sous les
yeux du jury qui adjugea des prix aux coiffes les plus anciennes
et les plus typiques. Ce furent d'abord trois antiques bonnes
vieilles qui les reçurent, puis une trÚs jolie et trÚs modeste jeune
fille, et enfin une adorable enfant aux yeux noirs qui charma tout
le monde par son petit air posé et plein de dignité.
656 GEORGE SAN'D
Le concours des chants et des danses devait aussi avoir lieu
immédiatement aprÚs, mais il était si tard déjà , tout le monde
était tellement exténué par la chaleur et l'écrasement qu'on les
remit au soir.
Les gas du Berry reformĂšrent leurs rangs, attaquĂšrent leur
marche traditionnelle, les petites-filles de George Sand â leurs
prĂ©sidentes d'honneur â prirent avec gentillesse les bras de
deux gas du premier rang, et en avant ! aux sons des gais motifs
berruyers, nous nous dirigeĂąmes tous Ă leur suite, par les petites
rues et ruelles de La ChĂątre, vers l'Ă©tablissement de M. Descosses.
Là . les gas du Berry burent un verre à la santé de leurs présidentes
et les remerciĂšrent d'avoir assistĂ© Ă la fĂȘte. Puis, laissant
Mme SĂ©verine Ă La ChĂątre, parce qu'elle avait consenti Ă prendre
part au banquet donné par les notoriétés de la ville, nous nous
empressĂąmes de repartir pour Xohant, afin de dĂźner et de changer
nos fracs et nos robes d'apparat pour de plus simples toilettes,
mieux appropriées à notre excursion du soir. C'est alors que
nous eûmes tous une charmante surprise : les petites-filles de
George Sand descendirent pour dßner déguisées en Berrichonnes :
robes de couleur sombre demi-courtes, froncées à la taille et
échancrées en carré, tabliers de soie à bavette, sombres aussi,
fichus croisés sur la poitrine et la coiffe traditionnelle ; Gabrielle
en portait une selon la mode d'il y a cinquante ans, et Aurore
en portait une comme on en portait il y a trente ans de cela.
Xous voici de nouveau sur la route de La ChĂątre. Il fait encore
chaud, mais la chaleur semble moins Ă©touffante, des Ă©toiles
s'allument dans le ciel sombre. Au-dessus de La ChĂątre, on voit
une pĂąle lueur. C'est le reflet des lanternes : toute la ville est
illuminée, et combien c'est gentil, cette illumination ! Chacun se
donna de la peine, chacun fait ce qu'il peut, l'ensemble est pit-
toresque, sans prétention, c'est simple, spontané et grandiose,
oui, grandiose, car toutes les maisons sont illuminées. Ici on a
tendu une corde au-dessus de la rue, et au milieu on a suspendu
une Ă©norme lanterne en papier avec les mots : Honneur Ă George
Satid. LĂ , c'est toute une arcade rouge en lanternes chinoises,
suspendues Ă d'invisibles fils de fer. A cĂŽtĂ©, on voit une fenĂȘtre
GEORGE SAND 657
enguirlandée de petites lanternes confectionnées à la maison;
plus loin, on a simplement placé des lampes et des bougies sur
toutes les fenĂȘtres. Voici la prĂ©fecture inondĂ©e de lumiĂšres Ă©lec-
triques, tandis que notre square est semé de centaines de petites
lanternes de toutes les couleurs ; elles sont suspendues aux
branches des arbres, elles se cachent dans les buissons, elles
ornent les grilles et s'accrochent aux mĂąts pavoises ; quant Ă la
grande place, on a tendu au-dessus comme une tente en lignes de
feu, en lanternes de papier jaunes, rouges, vertes et bleues par-
tant de tous les cÎtés et venant se réunir au centre.
Des guignols piaulent ; des sirĂšnes poussent des sons stridents ;
les gondoles russes volent dans les airs ; sur des théùtres ouverts
des pierrots jouent des scĂšnes quelconques ; partout on voit des
baraques, des tentes dressĂ©es oĂč l'on vend des pains d'Ă©pice et
de la limonade ; un orchestre s'Ă©vertue Ă jouer un pot-pourri de
Faust, un autre, à cÎté, cingle mesurément une bourrée, un
troisiĂšme tonne la Marche de Tannhauser; on entend enfin arriver
de pas bien loin les sons connus de la Marche des gas du Berry. Et
la foule, cette foule si gaie et si sensible, comme ne le sont que
les foules de race latine, flue et reflue comme un lac balancé par
la tempĂȘte. On nous bouscule, et nous bousculons aussi. Il est
Ă©vident qu'au bout de cinq minutes nous nous perdons tous de
vue dans la cohue, et voici que chacun flĂąne Ă sa guise, tantĂŽt
attiré par le guignol, tantÎt par les gondoles, jusqu'au moment
oĂč les sons de la Marche du Berry et le pas cadencĂ© de la foule qui
s'Ă©loigne dans une direction quelconque nous rassemble tous
vers un seul et mĂȘme point. Ce sont les gas du Berry qui s'en vont
chez Descosses oĂč les concours auront lieu. Nous courons aprĂšs
eux, nous nous écrasons encore une fois à la porte d'entrée, mais
nous parvenons quand mĂȘme Ă nous frayer un passage et nous
entrons dans une grande salle basse. M. Descosses, épouvanté,
s'attendant à voir démolir tout son « établissement », déclare
qu'il ne laissera plus entrer personne et ordonne de fermer les
portes. Ceux qui restent dehors n'ont rien d'autre Ă faire qu'Ă se
presser aux fenĂȘtres ouvertes.
Les musiciens qui se massent dans un coin de la salle, prĂšs
iv. 42
658 GEORGE SAND
d'une table et dessus, jouent une espĂšce de ritournelle se termi-
nant par une longue note filĂ©e. Les « cavaliers », vĂȘtus pour la
plupart de blouses et portant des foulards ou des rubans rouges
autour du cou, s'approchent des « dames », les saluent, leur tendent
la main, puis, à la note filée, les embrassent. C'est la bigeade tra-
ditionnelle. Certaines jeunes villageoises protestent, mais les
vieilles, et il y en a pas mal qui sont venues pour prendre part
aux danses, se déclarent pour le vieil usage ; les cavaliers aussi
y tiennent ; on appelle le président, M. Augras, et il laisse infail-
liblement entendre que tels sont les vieux us, il n'y a qu'Ă s'y
conformer. Puis, voici que les premiÚres mesures de la bourrée,
nettes et précises, se font entendre. La bourrée est bien certai-
nement une aĂŻeule de nos contredanses ; on la danse toujours Ă
deux, soit à quatre paires, et on ne voit que des « en avant en
quatre » et des « balancez » et des « changez vos dames » et des
« premiÚres figures ». Lorsque ce sont quatre paires qui dansent,
les danseurs exécutent souvent une figure que nous voyons dans
nos grandes mazurkas, appelée « à quatre coins » : les dames
passent successivement, parcourant ainsi les quatre coins du
carré, d'un cavalier à un autre, et aprÚs chaque passage les quatre
paires changent de vis-Ă -vis. D'autre part, la maniĂšre de danser
des femmes ressemble beaucoup Ă celle de nos jeunes paysannes :
les pieds doivent glisser le plus imperceptiblement possible; le
corps reste immobile ; les bras pendants et serrés aux hanches
sont aussi immobiles ; les physionomies sévÚres et sérieuses ; les
yeux â surtout chez les jeunes â baissĂ©s. Quant aux hommes,
ils tapent du talon, se dandinent, exécutent des pas et des soli
de cavaliers, ressemblant aussi beaucoup aux soli de nos coqs
de village ; mais le plus drĂŽle c'est que tout le temps, du bout
des doigts, ils relĂšvent fort gracieusement leurs longues blouses
des deux cÎtés, tout comme autrefois les maßtres de danse
faisaient relever leurs robes aux jeunes filles. Chaque bourrée
dure longtemps ; on rĂ©pĂšte Ă satiĂ©tĂ© les mĂȘmes figures. A la fin
revient la ritournelle du commencement et avec elle la bigeade.
On remarqua dÚs le début parmi les danseuses deux petites
vieilles qui glissaient et se tournaient avec une agilité et une grùce
GEORGE SAND 659
incomparables. Bien sûr que ç'avaient été de fiÚres danseuses au
temps de leur jeunesse, c'est Ă elles qu'Ă©churent les deux premiers
prix. Le troisiÚme fut octroyé à une ravissante jeune paysanne.
Elle n'était pas précisément jolie, mais vraiment adorable avec
sa coiffe blanche, abritant sa pure et candide figure d'une expres-
sion sévÚre, pensive et innocente. Plusieurs d'entre nous lui trou-
vaient une ressemblance avec une madone pré-raphaëlite. Je
trouvai que c'était Jeanne personnifiée, et pendant que je l'exa-
minais, ce type créé par l'imagination de George Sand, une ber-
gĂšre sauvageonne, plongĂ©e dans des rĂȘveries mi-conscientes,
prit soudain à mes yeux le caractÚre de vérité et de réalité. Et
les Berrichons cultivés, tel M. Hugues Lapaire, m'assurÚrent
qu'on trouve encore beaucoup de jeunes filles de ce type et de ce
genre en Berry, dans des coins sauvages. Ma « Jeanne » avait Ă
peine seize ans, elle Ă©tait grande, un peu fluette, sa taille sem-
blait encore ne pas ĂȘtre faite ; lorsqu'elle dansait, elle baissait ses
grands yeux songeurs, et lorsque venait la bigeade, elle devenait
confuse, non pas par bienséance, mais trÚs réellement, et se
détournait avec mécontentement, ne laissant embrasser qu'un
bout de sa joue hùlée.
On dansa longtemps, malgré la chaleur tropicale de la salle.
Des valses succédÚrent aux bourrées, puis de nouveau des
bourrées aux valses, enfin commença le « concours des chan-
teurs ». D'abord ils se rirent longtemps prier, surtout les femmes,
personne ne voulait commencer. Puis, tout le monde chanta,
hommes et femmes, jeunes et vieux, jusqu'Ă MM. Augras et
Lapaire qui dirent chacun une vieille chanson. Finalement il
fallut mĂȘme modĂ©rer le zĂšle de ceux qui voulaient « concourir »
avec les autres.
Toutes ces chansons, quoique quelques-unes d'entre elles
datent de plusieurs siÚcles, ne sont pas précisément ce que nous
appelons des chansons populaires. Ce sont des chansons devenues
populaires ou plutÎt recueillies et gardées par le peuple, alors
que les classes supérieures les oublient. Et les paroles, et la
mélodie portent l'empreinte trÚs caractérisée de l'époque des
trois derniers Louis. Les mélodies sont tristes et sentimentales,
66o GEORGE SAND
avec une teinte de grùce maniérée, et le texte parle d'une « ber-
gÚre gardant ses blancs moutons », et rencontrant un « beau
cavalier » ou « un berger » qui lui demande un baiser, puis l'oublie
et l'abandonne, ou qu'elle oublie elle-mĂȘme, fort lĂ©gĂšrement,
dans les bras de Jeannot ou de Colin. TantĂŽt c'est elle qui se plaint
Ă sa mĂšre de l'infidĂšle qui brisa son « pauvre cĆur» ; tantĂŽt c'est
le berger qui se désole parce que Xannette l'a oublié pour les
riches présents de quelque beau cavalier. Le texte de quelques-
unes de ces chansons est assez grivois, rappelant de banales
chansonnettes de café-concert contemporaines, mais les paroles
restent sentimentalement maniérées, comme les poses des
bergers de Watteau, et la musique sentimentalement mélanco-
lique, comme les romances du siĂšcle de Mme de Pompadour et
de Marie-Antoinette, avec leurs couplets répétés, leurs cadences
finales et leurs modulations caractéristiques.
La distribution des prix pour les chansons les plus intéres-
santes et les mieux dites et une bourrée finale à laquelle prirent
part, Ă la joie unanime de tous les assistants, les petites- filles de
George Sand, terminĂšrent les fĂȘtes en son honneur Ă La ChĂątre.
Le lendemain, devait encore avoir lieu une conférence sur George
Sand au théùtre de la ville, mais je voulais garder en leur entiÚre
intégrité, toutes brillantes, les impressions vraiment berri-
chonnes, emporter avec moi des souvenirs d'un caractĂšre local
et non pas du genre de tout ce que l'on voit et entend dans
toutes sortes de fĂȘtes commĂ©moratives et littĂ©raires. Il manqua
donc à cette conférence un auditeur qui passa toute cette journée
du lendemain dans le cabinet de travail de George Sand et dans
son petit bois favori. Le soir, il quitta la chĂšre grande maison
en compagnie de tous ceux qui, comme lui, vinrent en pĂšlerinage
Ă Nohant pour le centiĂšme anniversaire de George Sand.
APPENDICES
LES ĂDITIONS DES. ĆUVRES COMPLĂTES
ET LA CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND
En 188Ă-86 parut la Correspondance de George Sand en six volumes,
publiĂ©e par son fils. Un peu auparavant, en cette mĂȘme annĂ©e, parurent
dans la Nouvelle Revue les chapitres de son roman inachevé, Albine,
ouvrant ainsi la sĂ©rie de ses Ćuvres posthumes, il serait plus exact
cependant de compter comme sa premiĂšre Ćuvre posthume- un article
sur les Mélanges et fragments philosophiques de Kenan, publié dans le
Temps le 16 juin 1876. Si on ne le considÚre pas comme « posthume »,
c'est que ce fut encore Mme Sand qui l'envoya à la rédaction du journal.
Toutes, ou presque toutes les Ćuvres de George Sand aprĂšs leur
premiÚre publication dans les revues, paraissaient en volumes séparés.
H existe cinq ou six Ă©ditions plus ou moins « complĂštes » des Ćuvres de
George Sand, â en mettant certes Ă part toutes les contrefaçons, belges
et autres, trÚs répandues en dehors de la France, malheureusement.
La premiÚre, en 24 volumes in-8°, parut entre 1836-1840 chez Bon-
naire (avec portrait de l'auteur gravĂ© par Calamatta, le mĂȘme qui avait
paru dans la Revue des Deux Mondes).
En 1841, Magen y avait ajouté un vingt-cinquiÚme volume qui
contenait les Mississipiens et Pauline. , '}
La deuxiÚme, éditée en 16 volumes in-16, parut chez Perrotin
entre 1842-1844, elle réapparut en 1847 chez Garnier. llf/*.
La troisiÚme, en 9 volumes in-4°, en deux colonnes, avec illustrations
de Maurice Sand et Tony Johannot, parut chez Hetzel entre 1851-56.
Cette Ă©dition des Ćuvres complĂštes est incomplĂšte. Il y manque des
Ćuvres dĂ©jĂ parues dans les Ă©ditions prĂ©cĂ©dentes, telles : les Lettres
d'un voyageur, les Sept cordes déjà lyre, les Lettres à Marcie. Elle con-',
tient par contre des préfaces ßnÚmtes nombreuses écrites par George;
Sand pour cette Ă©dition.
La quatriÚme, in-12, commencée par Hetzel et Lecou en 1852, fut
menée par ces éditeurs jusqu'au volume 21, puis cédée à Michel Lévy
qui la continua jusqu'au volume 77 (sans tomaison).
La cinquiÚme et derniÚre édition est une répétition et une suite de
66a GEORGE SAND
la quatriÚme, elle est continuée par Calmann Lévy jusqu'à nos jours
et sïmprime sur des clichés de la précédente. Elle contient non seule-
ment toutes les Ćuvres de George Sand publiĂ©es dans des Ă©ditions qui
parurent durant sa vie, sans en excepter celles qui manquaient dans la
troisiĂšme Ă©dition, mais encore : toutes les Ćuvres des derniĂšres annĂ©es,
les six volumes de la Correspondance, le volume des Lettres de George Sand
Ă Sainte-Beuve, la Correspondance avec Flaubert et le volume posthume
des Souvenirs et idées (mentionné dans les vol. III, chap. vi et le
vol. IV, chap. ix et xi). A ce moment cette édition présente un total
de 111 volumes.
En 1904, ML FĂ©lix Decori publia la Correspondance complĂšte entre
George Sand et Alfred de Musset, que tous les amis de Mme Sand et
tous les admirateurs de son talent avaient depuis si longtemps impa-
tiemment attendue.
Mais il existe encore une masse énorme de lettres inédites de George
Sand. Lina Sand, à elle seule, a copié, classé et préparé pour l'im-
pression la Correspondance inédije de George Sand de 1821 à 1876. Une
masse de lettres se trouve encore dans la collection de manuscrits
du vicomte de SpĆlberch de Lovenjoul, lĂ©guĂ©e par lui avec toute sa
précieuse bibliothÚque à l'Institut de France.
De plus,, une foule de lettres de George Sand est disséminée dans
divers journaux, gazettes, revues et livres.
Nom connaissons Ă peu prĂšs cinq cents de ces gazettes, journaux,
livres et revues, oĂč parurent des lettres sĂ©parĂ©es ou des sĂ©ries de
lettres de George Sand, qui ne furent pas réimprimées et ne font pas
partie de sa Correspondance publiée.
Il est inutile de dire combien il serait à désirer que toute la corres-
pondance de George Sand fût publiée intégralement, c'est-à -dire :
1° qu'on réimprimùt sans passages tronqués, sans omission et change-
ments pratiqués et sans erreurs' (volontaires et involontaires des
rédacteurs) les six volumes de la Correspondance et les trois volumes
des Lettres Ă Flaubert, Ă Musset et Ă Sainte-Beuve.
2° Qu'on réimprimùt toutes les lettres disséminées dans les revues,
journaux, etc., etc.
Et enfin, 3° que la Correspondance inédite, préparée avec tant de soin
et tant de peine par Lina Sand, vĂźt enfin le jour.
Nous ne disons déjà point que, depuis que la collection Lovenjoul
est ouverte pour les travailleurs, il est devenu possible de compléter
la Correspondance inédite, préparée par Lina Sand, par beaucoup de
lettres séparées et de séries de lettres et de correspondances entiÚres
qui lui manquaient encore (et dont une notable partie a été copiée par
nous chez le vicomte de SpĆlberch, Ă Xohant et ailleurs).
ICONOGRAPHIE DE GEORGE SAND
Sans prétendre à dresser une iconographie complÚte de George
Sand, notons tous ses portraits et statues que nous connaissons :
1) Portrait d'Aurore Dupin enfant, par Deschartres. (Appartient
Ă M. Raymond LĂ©cuyer.)
2) Aurore Dupin enfant, par La Michellerie (pastel).
3) Aurore Dudevant aquarelle par Blaize, reprĂ©sentant G. Sand vĂȘtue
et coiffée à la' mode de la Restauration, manches à gigot et cocardes
de cheveux triples. (A Nohant. Appartient Ă Mme Lauth-Sand).
4) Portrait au crayon, dessiné par Aurore Dudevant en 1831, pour
ĂȘtre envoyĂ© Ă sa mĂšre. (Appartient Ă Mme Georges LĂ©cuyer.)
5) Portrait à l'huile peint en 1835 par Delacroix, représentant
George Sand jusqu'Ă mi-corps, en costume masculin, redingote de
velours, cravate lùche et cheveux retombant des deux cÎtés de la
figure. (Appartient Ă Mme M.-L. Pailleron.)
6) Gravure de Calamatta, faite d'aprÚs le portrait précédent
en 1836. Il existe des exemplaires :
a) Avant toute lettre, sur grand papier de Chine, extrĂȘmement rare.
b) Avant la lettre, aussi sur papier de Chine, avec les noms Ă la
pointe : Disegnato e inciso da me Calamatta, Paris, 1836.
c) Les épreuves publiées dans le volume de la Revue des Deux Mondes
en 1836. (4e série, t. VII, juillet à septembre.)
d) Les mĂȘmes Ă©preuves publiĂ©es en tĂȘte du volume d'Indiana,
avec la lettre, sur papier blanc, trÚs inférieures.
« Calamatta inciso, Paris, 1837. â George Sand. »
7) Portrait au crayon dessiné par Calamatta en 1837 représentant
George Sand vĂȘtue d'une robe Ă amples manches grecques, coiffĂ©e de
Dandeaux plats, avec ferronniĂšre et nĆuds de rubans couvrant les
oreilles.
o) Ce portrait fut gravé par Calamatta et publié en 1840 chez Rit-
terer et Goupil. (Musée Carnavalet. Don de Mme Lauth-Sand.)
c) Plus tard, il fut encore publié chez Jourdan, mais avec un chan-
gement : les nĆuds de la coiffure y manquent.
8) Portrait de Delacroix, que le comte R. de Montesquiou décrit
ainsi : « Un bout d'esquisse, mais à quel point pénétrante et résurrec-
664 GEORGE SAND
trice de Mme Sand, abritant sous un chapeau rond d'amazone au voile
de gaze deux yeux ardents et veloutés, deux charbons cabochons
d'un jais voluptueux et plein de flammes... » Fait partie de la collec-
tion de la marquise de Ganay.
9) Une pochade du mĂȘme artiste.
9 bis) Portrait par Ary SchefĂźer; la tĂȘte seule, les yeux demi-
baisses.
10) La série de caricatures et de dessins d'Alfred de Musset repré-
sentant George Sand sous divers aspects, souvent trĂšs suggestifs.
Quelques-uns de ces dessins furent reproduits dans la Correspondance
de George Sand et de Musset (1904) et dans plusieurs ouvrages traitant
du roman de Venise. Ces dessins se trouvent dans les albums ayant
appartenu : 1° Ă George Sand, actuellement dans la collection SpĆl-
berch de Lovenjoul Ă Chantilly ; 2° Ă Musset, chez sa sĆur, Mme Lardin
de Musset.
11) Trois portraits -caricatures dessinés par Tony Johannot, pour le
livre d'Ad. Pictet : Une course Ă Chamounix 1838, titre, p. 118
et 156. (Voir notre vol. II, chap. xn.)
12) Une autre, dessinée à la plume sur un exemplaire de Valentine.
12 bis) Portrait inachevé à l'huile, par Delacroix (1838) : Mentionné
dans Delacroix et son Ćuvre par Adolphe Moreau (Paris, 1873), sous
ce titre : « Mme George Sand et Chopin. » La toile appartint ensuite
Ă la famille Dutilleux, qui la coupa en deux : Chopin passa aux
mains de M. Marmontel qui le légua au Musée du Louvre ; G. Sand
passa dans la Collection Chéramy, puis fut acquise par M. Georges
Viau et se trouve actuellement Ă Copenhague aux mains de M. Hensen
(Cf. A. de Rothmaler. Les portraits de George Sand par Delacroix,
Gazette des Beaux-Arts, juillet-août 1926, p. 70-78.)
13) Portrait Ă l'huile par Charpentier (1838) ; ce portrait, d'abord
carré, était en pied, représentant Mme Sand en costume espagnol,
avec une touffe de fleurs sur l'oreille, une main sur la hanche,
l'autre, ornée de bagues, appuyée sur le dos d'une chaise. Il avait
appartenu à Solange Clésinger et fut, dit-on, plus tard, pour des raisons
d'ameublement, coupé en ovale. (Appartient à Mme Lauth-Sand.)
a) Ce portrait a été gravé par Robinson en 1843, pour l'édition
d'Aubert : les Femmes de George Sand.
b) Il en existe une lithographie trÚs répandue, par Lassalle.
c) H a été gravé par Rifßaut.
d) Et enfin Desmadryl, pour V Artiste, l'a agrandi et gravé à la
maniĂšre noire.
14) Caricature de Lorentz, parue dans le Charivari en 1840, dans la
série : « Miroir drolatique. »
15) Un autre portrait par Charpentier, représentant Mme Sand
GEORGE SAND 665
vĂȘtue d'une robe Ă chemisette blanche. La tĂȘte seulement. Ovale.
(Musée du Louvre. Legs Joseph Reinach, 1921, n° 3068.)
16) Portrait à l'huile par Eug. Isabey, vers 1840, représentant
Mme Sand en une élégante robe de soie noire, avec une cravate bleue
et un fouillis de dentelles autour du cou. (Nous en avons donné une
reproduction dans notre volume III. )
Avait été à Bruxelles chez le baron Lambert de Rothschild, appar-
tient actuellement Ă M. Jean Stern, Ă Paris.
17) Portrait au crayon par Thomas Couture, dessiné en 1844.
L'original se trouve au Musée Carnavalet.
17 bis) Alexandre Manceau en a donné une admirable gravure
en 1850. C'est peut-ĂȘtre le plus beau portrait de George Sand et le
plus connu.
18) Portrait Ă l'huile par Alliod, peint en 1848.
19) Petit portrait-croquis par Maurice Sand (en pied), 1858.
20) Portrait au crayon dessiné par Le Faivre, à Nohant, en 1859.
21) Portrait au crayon dessiné par Maurice Sand. Mme Sand a des
fleurs dans les cheveux et sa toilette est trÚs recherchée.
22) Portrait au crayon dessinĂ© par Charles Marchai en 1861 Ă
Nohant. Il en existe une photographie faite par Bingham en 1862.
23) Une série d'aquarelles et de dessins de Maurice Sand dans ses
deux albums le ThĂ©Ăątre de Nohant, et un troisiĂšme album consacrĂ© Ă
Ă©terniser les hĂŽtes de Nohant, des scĂšnes de la vie du chĂąteau, des
incidents notables, etc., etc. Renferment plusieurs portraits de George
Sand, costumée pour la scÚne.
24) Un éventail dessiné par Charpentier en 1838 et représentant
« le salon de George Sand », â une collection de croquis de* Mme Sand,
de ses enfants et de ses amis d'alors.
Un dessin de Maurice Sand dans l'album ci-dessus nommé, est une
copie-charge de cette peinture ; il porte la légende : Salon de George
Sand, 1838. Pour plus de détails, voir V éventail de Charpentier... » Or,
cet Ă©ventail a figurĂ© Ă l'Exposition du centenaire de George Sand, Ă
l'OdĂ©on, en 1904, en qualitĂ© d'une peinture de George Sand elle-mĂȘme.
C'est une erreur.
24 Us) Un dessin de Grandsire : George Sand Ă Gargilesse, en
pied, chapeau Ă voile sur la tĂȘte. Croquis d'aprĂšs nature vers 1860.
Un autre dessin du mĂȘme reprĂ©sente un dĂ©jeuner sur l'herbe au
bord de la riviĂšre, vers 1860.
25) Caricatures et charges par Gavarni, Lorentz, etc., parues en 1844,
1848 et 1854 dans le Panthéon-charge, le Grand chemin de la postérité,
le Charivari, la Chambre drolatique, et autres.
26) Portrait aux trois crayons, dessiné d'aprÚs nature par Boilly,
en 1835. Représente Mme Sand à mi-corps, assise de trois quarts, face
666 GEORGE SAND
à droite, en une robe à dessins, une croix attachée par un velours au
cou, cheveux courts, la main au menton, l'air Ă©tonnĂ©. (Appartient Ă
M. Joseph Thibault.) Ce portrait a été gravé (face à gauche) par
Montferrand, lithographie Thierry frĂšres.
27) Portrait lithographie par Jean Gigoux. Imprimerie Lemercier,
BĂ©nard et Cie. ReprĂ©sente Mme Sand vĂȘtue d'une robe Ă corsage
échancré. garni de boutons, à manches étroites : la main sur la hanche.
28) Le portrait de Charpentier, gravé par Henriot et lithographie.
(La tĂȘte du portrait de Charpentier seulement, tournĂ©e en sens
ir verse, les fleurs se trouvant Ă gauche du spectateur.)
29) Lithographie par Ate Legrand, édité par Auguste Bry avec un
fac-similé de George Sand au bas.
(George Sand porte un corsage à triple rangée de boutons, collerette
noire, broche, cheveux courts.)
[Ăs.-B. Tous les portraits Ă cheveux courts doivent dater des annĂ©es
1834-1838.]
30) Le mĂȘme portrait par GrĂ©goire et Deneux.
31) Il faut citer également une série de portraits imités de Legrand
et de Calamatta (celui de 1837), par exemple les portraits publiés
dans le Journal des femmes de 1842 et dans El Correo de Ultramar
en 1843. Ces portraits empruntent la coiffure Ă Calamatta et certains
détails de costume à Legrand, ou encore à Charpentier.
32) Lithographie d'aprÚs un dessin de Gerlier, imprimé par Ed. Rigo.
(Costume masculin, cravate nouée comme dans le portrait par Dela-
croix, de 1836 ; les bras croisés.)
33) Portrait dessiné et gravé par Gervais, paru dans la Galerie des
contemporains.
34) Lithographie par Gillot, d'aprÚs le dessin de A. Collette. (Repré-
sente George Sand vĂȘtue d'une robe Ă corsage serrĂ©, manches larges.
La tĂȘte et la coiffure d'aprĂšs Couture.)
35) Portrait gravé par J. Ballin.
(George Sand porte une collerette, une croix au cou, une ferronniĂšre
au front, type Couture.)
36) Portrait lithographie, dessiné par Gilbert.
37) Portrait lithographie, dessiné par Bocourt d'aprÚs Richebourg
(photographe Ă Toulouse).
38) Lithographie de 1840, imprimée par Bineteau (Galerie des con-
temporains illustres), reprĂ©sentant George Sand la tĂȘte tournĂ©e Ă
droite, cheveux courts, fichu, petit collier au cou, corsage serré, cein-
ture avec une boucle.
39) Portrait-miniature, représentant George Sand en un élégant
costume masculin (mi-corps), reproduit dans Vlllastrazione Italiana
du 28 mai 1905 et décrit par M. David-Henry Prior.
GEORGE SAND 667
40) Une lithographie de Pol Justus d'aprÚs le médaillon de Mercier.
41) Lithographie par Julien, publiée dans le Voleur (1838).
42) Une petite photographie faite Ă ChĂąteauroux, par Verdot,
en 1875, trĂšs curieuse et trĂšs peu connue. Mme Sand a l'air d'une gou-
vernante vieille fille, on dirait le portrait de l'institutrice par la bouche
de laquelle l'auteur raconte la Confession d'une jeune fille.
43) Une photographie de Nadar, représentant Mme Sand en pied,
une ombrelle ouverte Ă la main.
44) Une photographie rarissime représentant George Sand avec
une grande perruque bouclée Louis XIV et un manteau de velours
drapé sur les épaules. Appartient à M. Henri Amie. Nous ne savons
pas s'il existe d'autres exemplaires de cette photographie.
45) Le portrait photographié trÚs connu de Nadar, représentant
Mme Sand coiffĂ©e de larges bandeaux ondulĂ©s et vĂȘtue d'une large robe
rayée, selon l'horrible mode de 1864. Il fut reproduit dans divers pé-
riodiques, notamment dans V Illustration de cette année.
46) Une photographie moins connue, faite par Nadar Ă la mĂȘme
époque. Mme Sand porte une élégante robe de moire, à corsage col-
lant, garni de passementeries. La coiffure est la mĂȘme que dans le
portrait précédent.
47) Une photographie de Nadar tout à fait peu connue représen-
tant Mme Sand trĂšs vieille, bouffie et trĂšs laide ; mise d'une maniĂšre
épouvantablement vulgaire, elle est assise accoudée à une table.
48) Une photographie de Richebourg, Ă Toulouse.
49) Ulric Richard-Desaix indique une autre photographie par ce
mĂȘme Richebourg, d'aprĂšs Louis Romain, de 1862, et une lithographie
de Chalaniel de 1840, que nous ne connaissons pas.
50) Portrait de profil, au crayon, par Félicien Rops, croquis exé-
cuté d'aprÚs nature, le 7 février 1866, à Paris, au dos d'un programme
du Quatuor Armingaud. Ce croquis a été reproduit dans le Bulletin
de la vie artistique, 15 mars 1924, p. 125. Paris, Bernheim jeune, in-8°.
(Appartient Ă Mme Rorcourt, Ă Bruxelles.)
En fait de statues de George Sand nous ne connaissons que
celles-ci :
1) MĂ©daillon, par Mercier.
2) Petit buste en terre cuite, par Pollet.
3) MĂ©daillon par David d'Angers (1833). Un exemplaire en bronze
avait appartenu à Mme Sand. H fut reproduit d'aprÚs le procédé
Colas en 1838 et lithographie par Marc en 1856 pour la collection des
Ćuvres de David d'Angers.
668 ' GEORGE SAND
4) Buste en marbre, par Clésinger (1847). Il est à Nohant et avait
appartenu à Gabrielle Sand. Un exemplaire en plùtre fut acheté par
le Louvre le 26 février 1923 à la vente Clésinger (n° 53).
5) Statue par le mĂȘme artiste, reprĂ©sentant la LittĂ©rature sous les
traits de Mme Sand, vĂȘtue du costume classique et pieds nus. Elle
avait appartenu Ă Emile de Girardin ; elle orne maintenant le vesti-
bule de la Comédie-Française.
6) Buste par CanĂŻer-Belleuse ; autrefois ce buste se trouvait au
foyer de l'Odéon, il se trouve à présent au musée de Versailles.
7) Buste en terre cuite par Aimé Millet, qui se trouve actuellement
à l'Odéon.
Buste en terre cuite par Leroux (Salon de 1879). Offert en 1882
par Talien, artiste dramatique, au Musée de Chùteauroux.
8) Statue en marbre, par Aimé Millet (inaugurée à La Chùtre 'le
10 août 1884).
9) Statue sur l'HĂŽtel de Ville de Paris, pavillon S. 0. (sur le quai),
façade en retour, rez-de-chaussée. Statue de deux mÚtres, en pierre,
par Bourgeois.
10) Statue par Sicard, Ă©rigĂ©e en 1904 au Jardin du Luxembourg, Ă
Paris.
\1
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AMATEUR D'AUTOGRAPHES
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temporaine, 15 janvier 1900. p. 15-
16. (Lettre de George Sand sur la
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(1) Les articles anonymes ont été placés dans l'ordre alphabétique des périodiques
dans lesquels ils ont paru.
669
670
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souvenirs. Paris, Calrnann LĂ©vy,
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Sand.(LeFigaro,2novembrel8dQ)
('avec fragments de lettres de
George Sand Ă Emile Regnault). â
3) Préface de la Correspondance
de George Sand et de Flaubert.
Paris, Calrnann LĂ©vy, 1904. â
4) Une grande passion d'un grand
Ă©crivain, par Charles Cornuault.
Préface de M. Henri Amie. Aix-
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Amic (Henri) et Lecomte du
Nouy (Mme). 5) Jours passés.
Paris, Calrnann LĂ©vy, 1904.
Amic (Henri) et Lecomte du
Nouy (Mme). 6) En regardant
passer la vie. Paris, Calrnann LĂ© w.
1905.
Amiel (Henri-Frédéric). Fragments
d'un journal intime précédés d'une
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cet ouvrage sous le titre de Sou-
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la couverture une Note disant qu'on
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3) Articles en 1853, 1854 et 1857
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poraine littéraire et artistique. 2« sé-
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Temps du 12 aoĂ»t 1884). â
4) Autour de Nohant. (Le Temps,
1891. 3 N~.) â 5) SMoss Nohan-
und seine Marionnetten. (Deut
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Paris, Calmann LĂ©vy, 1898. â
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2) Nouvelle Préface d'Indiana et
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contre George Sand, (La Phalange,
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Deux Mondes, 1848.) â 3) Les
Vacances de Pandolphe. (Revue des
Deux Mondes, 1852.) â 4) PoĂštes
contemporains ; Mme Sand (Revue
des Deux Mondes, 1854.) â 5) Les
MĂ©moires de Mme Sand. (Revue
critique (?), 1855, XVIII.) â
6) Elle et Lui, Lui et Elle. (Le Cor-
respoĂŻidant, 25 juillet 1859.) â
7) Nouveaux Samedis, 11e série,
6 septembre 1874, 16e série, 11 no-
vembre 1877. â 8) Vieux papiers,
vieilles amours. (La Gazette de
France, 16 janvier 1881.) â
9) Souvenirs littéraires. George
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raires et DerniÚres Semaines litté-
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Poradovska (Mme Marguerite).
1) Les Derniers mois de la vie de
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préface aux Lettres de George Sand
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A propos de l'Ă©lection de Louis-
Napoléon à la présidence de la
RĂ©puMique, III, 394; IV, 166-
1675
A propos de Madelon d'Edmond
About, IV, 426.
A propos des Idées de Mme Aubray,
IV, 75.
A propos du banquet shakespearien,
IV, 448.
A propos du choléra, IV, 454, 550.
Adieux par De Latouche (article
sur les) I, 439 ; III, 268, 639.
Adriani, IV, 170, 272, 314.
Ailes (les) du courage, IV, 531.
Aimée, I, 303, 324.
Albine, IV, 595, 661.
Aldo le Rimeur, II, 14, 35, 108, 119,
138-143, 147.
Allart (article sur Mme Hortense)
de Meritens, III, 281 ; IV, 384,
549.
Amis disparus (articles nécrologiques
sur des) : NĂ©raud pĂšre, Gabriel
de Planet, Carlo Soliva, le comte
d'Aure, Louis Maillard, Ferdi-
nand Pajot, Patureau Francceur,
Mme Laure Flcury, IV, 238, 485,
549, 619.
Amschaspands et Darvands de La-
7°3
mennais (article sur les) II, 229,
395 ; III, 237, 268.
André, II, 62, 119, 152, 166, 243,
420 ; III, 234, IV, 582.
Antoine et Cléopùtre (article sur),
IV, 449.
Antonia, IV, 315, 356, 357, 399,
401, 404.
AprÚs la mort de Jeanne Clésinger,
III, 617 ; IV, 348.
Arts, IV, 62, 75.
Au jour d'aujourd'hui [Le Meunier
d'AngibauĂźt] III, 402, 646, 648,
650, 651, 653-654.
Autour de la table, IV, 374, 384,
442, 451.
Autre (1'), IV, 242, 315, 584, 589,
590, 592.
Balzac (article sur H. de), H, 452 ;
IV, 384.
Barbes, IV, 124, 125.
Baronnie de Muldorp (la). V. Nello
et MaĂźtre Favilla.
Beau (le) Laurence, II, 293; IV,
272, 311.
Beaux (les) Messieurs de Bois-
Doré, IV, 306, 307, 364, 365,
384, 396.
Beaux (les) Messieurs de Bois-Doré
(piĂšce), IV, 75, 315, 591.
704
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BĂ©ranger (article sur), IV, 384.
Berthenoud (la), III, 476, 636 ; IV,
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Bigarrure, I, 309, 330, 331.
Blonde PhĆbĂ© (la), I, 73 ; IV, 336.
Bois (les), IV, 357, 359..
Bonne déesse de la pauvreté (la).
[V. la comtesse de Rudolstadt],
III, 357 ; IV, 476, 518.
Bords de la Creuse (les), III, 476,
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Botanique de l'enfance (article sur
la), I, 362 ; III, 388, 397.
Bulletins de la RĂ©publique, III.
391, 694; IV, 2, 5. 30, 41, 42,
45 46, 48, 51. 52, 53, 56-62. 68-
71, 73, 74, 79, 80. 85. 91, 94, 96,
114-119, 123, 482, 519.
Cadio, II, 424 ; IV, 315, 507-509,
510, 511, 512, 513, 514, 539, 545,
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Cari, I, 359 ; II, 252, 393 ; III, 104,
159-161 ; IV, 534.
Cause du Peuple (la). III. 550 ; IV,
2 3, 5, 30, 50, 51, 60-63, 66, 68,
70, 71, 72, 74, 75, 77, 85, 91, 94,
97, 98, 99, 101.
Ce que disent les fleurs, IV, 531.
Ce que dit le ruisseau, IV, 375, 442-
446, 549, 570, 574.
Cercle hippique de MĂ©ziĂšres en
Brenne (article sur le), III, 388,
397, 476, 501, 502, 503, 636.
CĂ©sarine Dietrich, IV, 580-581.
Charaiettes (les), I, 361 ; IV, 549.
ChĂąteau de Pictordu (le), I, 359;
II, 252, 393 ; III, 160 ; IV, 531,
534-536.
ChĂąteau des DĂ©sertes (le), I, 359;
II, 252, 393; III, 36, 104, 212,
525, 547, 553-554, 555-556, 564;
IV, 266, 268, 271, 298, 301, 306,
339, 382.
ChĂąteau des Ătoiles (le), premier
titre de VHomme de neige, IV,
305, 306, 382.
ChĂȘne (le) parlant, IV, 531.
Chien (le) et la fleur sacrée, IV, 531.
Circulaire pour la fondation de
VĂclaireur de V Indre, III, 386,
387,
Claudie, III, Avant-propos, I. III,
327, 671, 678, 679, 680, 685 ; IV,
139, 140, 168, 272, 275, 276, 277,
285, 291, 292, 297, 633, 635-645,
647, 648.
Comme il vous plaira, IV, 275, 295,
296, 298, 300, 449, 519.
Compagnon du tour de France (le),
II, 125; III, 17, 173, 174, 244,
248-256, 332, 635 ; IV, 476, 650.
Complainte sur la mort de François
Luneau, II, 121.
Comtesse de Rudolstadt (la), 1, 169 ;
II, 125. 252, 393 ; III, 17, 59, 132,
268, 322, 350-358. 365, 369, 384,
445, 470, IV, 476.
Conchvliologie de l'Ăźle de la RĂ©union,
IV, 404.
! Confession d'une jeune fille (la), IV,
518, 584, 587-590, 591, 592.
Constance Verrier, I, 359 ; IV, 313,
314, 384.
Consuelo, I, 62, 124, 169, 194, 336,
! 359; II, 14, 159, 252, 344, 391,
393; III, avant-propos, m, 12,
17, 32, 33, 36, 88, 104, 132, 216,
218, 268, 322-366, 369, 370, 402,
403, 469, 470, 635, 684; IV, 237,
304, 476, 518, 534, 556, 647.
I Contes (les) d'une grand'mĂšre, IV,
531.
Contrebandier (le), II, 324, 340
341 ; III, 32.
Cora, I, 384, 447-448.
Correspondance, I. 116, 196, 224,
256 260, 264, 277. 311, 314, 324,
330, 331, 334, 335, 340 ; II, 52,
64 78, 83, 105, 117, 153, 178,
181, 188. 214, 256, 257, 262, 266,
283, 295, 298, 299, 303, 310, 313,
322 323 324, 333, 353. 355, 365,
378', 395, 398, 428, 431, 432, 440,
442 452; III, 13, 15, 31, 40,
57 59, 60, 62-63, 66, 67, 68, 78, 79,
80, 81, 82, 84, 92, 94, 95, 97, 98,
INDEX DES ĆUVRES CITĂES
705
99, 102, 108,
162, 163, 165,
211, 215, 217,
299, 300, 301,
307, 379-380,
386, 387, 394,
419, 437-438,
458, 461, 477,
487, 489, 498,
573, 582, 587,
687 ; IV, 5, 7,
19, 21, 22, 30
45, 47, 49, 50,
121, 132, 145,
179, 184, 186,
238, 239, 244,
317, 318, 347,
403, 406, 418,
432, 433, 451,
488, 489, 504,
110, 118, 125, 133,
168, 171, 172, 173,
218, 219, 231, 238,
302, 303, 304, 305,
382-383, 384-385,
402, 405, 408, 410,
444, 445, 455, 456,
478, 479, 485, 486,
502, 537, 544, 563,
598, 630, 631, 686,
8, 12, 14, 16, 17, 18,
, 34, 36, 37, 39, 40,
74, 92, 94, 99, 116,
158, 159, 176, 177,
189, 190, 192, 208,
257, 303, 307, 308,
350, 362, 377, 381,
419, 420, 424, 428,
462, 465, 474. 477,
508, 584, 618.
Correspondance de George Sand et
de Flaubert, IV, 278, 279, 418,
419, 504, 551, 593, 594.
Cosima, II, 371, 375 ; III, 109, 136,
161-166, 177, 211, 679 ; IV, 168,
264, 519.
Coup d'oeil général sur Paris, I, 1-8 ;
III, 17, 369-370.
Coupe (la), IV, 532.
Courrier du village, [premier titre
des Promenades autour d'un vil-
lage], IV, 373, 375.
Croyances et légendes du centre de
la France, par M. Laisnel de la
Salle (article sur les), III, 665.
Dames (les) vertes, IV, 355, 384.
Daniella (la), I, 143 ; IV, 239, 357,
360-371, 377, 384, 547.
Dans les bois, IV, 210, 250, 548.
De la littérature slave, article, III,
191-198, 268, 361, 369.
Deburau, II, 46 ; IV, 75.
D«'mon (le) du fover, IV, 275, 280,
281, 282, 283, 284, 317, 632, 633.
Dernier Amour (le), IV, 484, 505-
:,07.
DerniĂšre Aldini (la), I, 359 ; II, 14,
48, 108, 119, 143, 152, 252, 393,
432 ; III, 120, 665.
DerniĂšres Pages, III, 509 ; IV, 121,
210, 250, 301, 548, 549.
Deux frĂšres (les). (V. Flamarande.)
Deux jours dans le monde des papil-
lons (préface à ), IV, 341.
Devant l'HĂŽtel de Ville, IV, 97, 99-.
Diable (le) aux champs, IV, 148-
154, 271, 300, 301, 321, 339, 340,
354.
Dialogues familiers sur la poésie des
prolétaires, III, 268, 295-297, 377»
Dieu inconnu (le), II, 285.
Don Juan (les) de village, IV, 691»
Drac (le), IV, 315, 384, 398, 519.
Droit (le) au vol (préface au livre de
Nadar), IV, 469.
Education sentimentale (article sur
l'),II, 507.
Elle et Lui, I, 54 ; II, 13, 16, 36, 41-
42, 69, 70, 111, 113, 130-131, 134,
135-137 ; IV, 312, 321, 355, 384,
Engelwald, II, 352 ; III, 227.
Evenor et^Leucippe, IV,[296, 351-
355.
Famille de Germandre (la), IV, 384,
396-397,
Fanchette, III, 268, 294, 369, 374-
384, 467, 486, 678.
Fauvette du docteur (la), II, 433;
IV, 322,
FĂ©e aux gros yeux (la), IV, 531.
FĂ©e PoussiĂšre (la), IV, 531.
FĂ©e qui court (la), IV, 532.
Fenimore CoopĂšre (article sur),s IV
384. '- *
Fille d'Albano (la), I, 309,f39l 344
345, 359, 366; III, 160 ; IV, 534^
Filleule (la), IV, 314, 583, 584, 585,
687,
45
706
GEORGE SAND
Flamarande, IV, 518, 580, 583, 584,
592, 593.
Flaminio, IV, 275, 286, 405.
Flavie, IV, 356, 357, 384, 387-389,
399.
« Fragment d'un roman qui n'a pas
été fait », I, 73 ; II, 137 ; IV, 442.
Francia, IV, 315, 546, 547.
François le Champi, III, 636, 637,
638, 662, 669-676, 680, 687 ; IV,
127, 129, 270.
François le Champi [piÚce], III, 625,
679-680; IV, 112, 168, 269, 275,
285, 289, 297, 298, 463.
Françoise (ou l'Irrésolu), IV, 275,
296, 297, 300, 519.
G
Gabriel-Gabrielle, I, 194; II, 14,
108, 119, 138-139, 143, 452 ; 111,96,
98, 231 ; IV, 262, 263, 264.
Garibaldi, IV, 369.
Garnier, I, 384, 447, 448.
GĂ©ant Yeous (le). (Contes d'une
grand'mĂšre), III, 678 ; IV, 531.
Giovanni Freppa et les MaĂŻoliques
florentines, IV, 357.
Gnome (le) des huĂźtres, IV, 531.
GĆthe, Byron et Mickiewicz, III,
81, 178, 186-188, 217, 230, 234.
Gribouille (histoire du véritable), III,
369; IV, 532.
Guerre (la), IV, 370,
H
Hamlet (article sur), IV, 449.
Henri De Latouche (Notice sur), I,
437, 439 ; III, 668.
Histoire de dix ans (article sur 1'),
III, 388, 394, 510.
Histoire de France..; Ă©crite sous la
dictée de Biaise Bonnin (P), III,
294, 678; IV, 30, 41, 53-55, 56,
57,60.
Histoire de la RĂ©volution par Louis
Blanc (articles sur), III, 394, 510 ;
IV, 440-441.
Histoire de ma vie, 1,42, 56-58, 62-63,
66-67, 73, 75, 77, 81-82, 83, 89,
91, 93-94, 95, 96, 102-103, 107,
108, 109. 116, 122, 125, 132, 159,
164, 174, 181, 183, 189, 191, 196,
201, 202, 216, 220, 222, 223, 230,
231, 232, 235, 238, 242, 244, 248,
254, 255, 258, 259, 261, 264. 267,
268, 277, 280, 281, 286, 289, 290,
291, 292, 293, 295, 296, 300, 302,
307, 310, 312, 321, 324, 325, 326,
332-333, 341, 349, 361, 384, 385,
394, 395, 396, 414, 415, 421, 437,
438, 439; II, 12, 46, 55, 61, 74,
77, 83, 84, 85, 92, 95, 156, 166,
177, 183, 184, 186, 188, 189, 210,
211, 250, 262, 295, 299, 315, 322,
378, 394, 395, 428, 430, 432 ; III,
13, 28, 34, 55, 58. 77, 82, 86-88,
90-91, 92, 95, 102-103, 105-106,
111, 112, 125, 146, 223-225, 281,
413, 418, 449, 457, 465, 469, 476,
477, 481, 497, 510-511, 512-513,
514, 515, 520, 527. 528-529, 531,
534, 543, 582, 588, 589, 593, 594,
599, 618, 620-621, 624, 643, 656,
678, 690, 692; TV, 4, 5, 10-11,
16, 18, 89, 148, 236, 302, 312,
321, 322, 324, 327, 328, 329, 331,
332, 333, 334-339, 350, 401, 610,
511, 519, 535, 573, 584, 589.
Histoire du grillon, I, 294.
Homme (P) de neige, IV, 271, 301-
304, 305, 306-309 310, 311, 339,
380, 382, 384, 387, 451, 453, 458,
461, 470, 518, 584, 591.
Horace, 1, 27, 28 ; III, avant-propos i,
17, 125, 128, 256, 265, 267, 268,
271-292, 321, 322, 332. 368, 369,
635 ; W, 142.
Impressions et souvenirs, I, 73, 169,
297, 415; II, 48-49; III, 105,
±01-208, 215, 281, 469, 524; IV,
82, 210, 246, 247, 249, 250, 429,
251, 532, 534, 546, 548, 549, 660,
551, 552-560.
Indiana, I, 27, 265, 303, 309, 340,
341, 344, 359-360, 362, 371, 372-
INDEX DES ĆUVRES CITĂES
707
374, 377, 388, 393, 407, 416, 436,
441 ; II, 17, 39, 123, 404 ; III, 166,
268, 288, 333 ; IV, 263, 321, 326.
Ingres et Calamatta, II, 398, 399.
Introduction Ă la Cause du peuple,
IV, 61.
Isidora, II, 250 ; III, 268, 369, 397,
461-465,500; IV, 321.
Jacques, I, 27, 265, 377 ; II, 62, 81,
119, 146, 166, 317, 404, 413 ; IV,
390, 391.
Jardins (les) en Italie, IV, 357, 359.
Jean de la Roche, 1, 143, 338 ; II, 71,
108, 113 ; IV, 312, 355, 356, 384,
389-390, 399, 583.
Jean Ziska, 1, 169 ; III, 17, 268, 363,
369, 445; IV, 647.
Jeanne, 1, 127 ; II, 309 ; III, 17, 369,
402, 404, 476, 478. 488, 509, 635-
648, 651, 653, 661, 662, 671, 677 ;
IV, 237.
Joconde (la), gravée par Calamatta
(article sur), II, 399 ; IV, 384.
Journal d'un voyageur pendant la
guerre, I, 73 ; IV, 545, 546, 548,
549, 550, 551.
Journal de 1848 et Journal du coup
d'Ătat de 1851, IV, 17, 18, 35, 48,
89, 91-93, 96, 168-174, 384.
Journal du docteur Piffoël, II, 249,
269, 324, 356; III, 1, 127, 128,
200-204, 215, 231-233, 278, 279,
280-283, 284. 359-361, 454, 461 ;
IV, 287, 321, 327, 334.
Journal intime et }ournal Ă Musset,
III, 33, 124 126.
Journée du 16 avril, IV, 61, 91.
Journée du 20 avril, IV, 61, 91.
K
Kourroglou, III, 268, 369.
LaitiĂšre (la) et le pot au lait, IV,
315, 591.
Lamartine utopiste (article sur), III,
267, 295.
Laura ou Voyage dans le cristal,
I, 362 ; IV, 417, 649.
Laure et Adriani. V. Adriani.
Lavinia, I, 256, 262, 384, 445-446 ;
II, 34 ; IV, 582.
LĂ©gendes rustiques, 1, 137 ; III, 377,
665.
LĂ©lia, I, 27, 112, 156, 169, 336, 344,
371, 377, 384, 386, 398, 403, 417,
421 et suiv., 449; II, 13, 17, 39,
125 ,152, 168, 183, 255. 309-311,
353, 404, 413 ; III, 1, 13, 80, 81,
84-85, 121, 166, 210, 217-218, 224,
231, 234 ; IV, 264, 321, 323, 327,
331, 580.
Leone Leoni, II, 62, 108, 119, 146'
213.
Lettre Ă Henri Arrault (premier
promoteur de la Croix-Rouge),
IV, 454.
Lettre Ă la classe moyenne, IV, 22,
23, 30, 32, 33, 53.
Lettre Ă Lamartine, III, 268, 386.
Lettre Ă Lamennais, IV, 101, 102.
Lettres Ă Marcie, II, 262, 398, 401-
413.
Lettres Ă M. de Lerminier, II, 395 ;
III, 220 ; IV, 322.
Lettre à Théopliile Silvestre, III,
125.
Lettre à Théophile Thoré (sur la
mise en accusation de LouisBlanc),
IV, 124.
Lettre Ă Victor Hugo sur la re-
prise de LucrĂšce Borgia, IV, 75,
451.
Lettre au pape (de Mazzini) traduite
par George Sand, IV, 11, 12, 15,
16, 145.
Lettre au rédacteur de la Réforme
(contenant une prétendue « Lettre
de mon village »), III, 394.
Lettre au rédacteur de la Réforme
[datée du 21 mars 1848], IV, 36-
39.
708
GEORGE SAND
Lettre au rédacteur de la Vraie Ré-
publique du 8 avril 1848, IV, 82.
Lettre aux modérés, IV, 145.
Lettre aux rédacteurs de VEclaireur
de F Indre, III, 386-387, 388, 389.
Lettre aux riches, III, 671 ; IV, 3,
30, 31, 33, 42.
Lettre d'Antoine G. et réponse de
Gabrielle G. Ă son mari Antoine G,
ouvrier carrossier Ă Paris. (Feuil-
letons populaires), IV, 109, 121.
Lettre d'introduction aux fonda-
teurs de VEclaireur de V Indre, III,
388.
Lettre d'un boulanger Ă sa femme,
III, 678.
Lettre d'un oncle, IV, 322.
Lettre d'un pavsan de la Vallée
Noire, III, 294, 388, 390-391, 643,
652, 678 ; IV, 30.
Lettre d'un vovageur (Ă Manceau,
en 1864), IV," 446-448, 549.
Lettre d'un vovageur (de 1865), IV,
501-503.
Lettre de Biaise Bonnin Ă Claude
Germain. (V. Lettre d'un paysan
de la Vallée Noire et Fanchette.)
Lettre Ă©crite de Fontainebleau en
1837, IV, 566.
Lettre sur Emile Aucante, IV, 342.
Lettres au peuple, 2, 23, 24, 25, 26,
29, 36, 42, 58, 60, 61.
Lettres d'un vovageur, I, 54, 73;
II, 14, 62, 69," 84, 109, 118, 152.
159, 161, 173, 189-210, 252, 269,
324, 335, 390 ; III, 121, 209, 278 ;
IV, 16, 287, 321, 322. 334, 481.
482, 501, 602.
Lis (le) du Japon (tiré d'Antonia),
IV, 315, 357.
Loges (les) de Raphaël, IV, 357.
Louis Blanc au Luxembourg, IV,
124.
Lucie, IV, 275, 296, 298, 519.
Lucrezia Floriani, I, 62, 359 ; II, 262 ;
III, 134, 470, 501, 504, 515-537,
543, 554, 559, 567, 570, 574, 582,
653 ; IV, 321.
Lupo Liverani, IV, 299, 315.
M
Ma sĆur Jeanne, 580, 584, 591, 592.
Mademoiselle La Quintinie, I, 21,
143 ; IV, 315, 401, 425, 427, 429,
430, 439, 440, 464, 630.
Mademoiselle La Quintinie [piĂšce],
IV, 315, 429, 431-434, 520, 591.
Mademoiselle Merquem, 1, 143, 338 ;
III, 545, 566-567, 583; IV, 580.
Maison (la) déserte, II, 250 ; IV, 288,
372.
MaĂźtre Favilla, III, 140, 159; IV,
272, 287, 288, 289, 291, 292, 296,
297, 300, 316, 317, 318, 519.
MaĂźtres mosaĂŻstes (les), II, 108, 119,
152, 159, 354, 399, 422.
MaĂźtres sonneurs (les), II, 424;
III, 672, 680-687 ; IV, 275, 354,
583.
Malgrétout, IV, 240-241, 243, 244,
246, 544, 580.
Mare au diable (la), I, 139, 374;
III, 410, 488, 504, 549, 636, 637,
638, 661-664, 668, 669, 671, 672
677, 680, 687 ; IV, 6, 17, 129, 237,
638.
Marguerite de Sainte-Gemme, IV,
300, 314, 384, 519.
Mariage (le) de Victorine, IV, 168,
170, 171, 173, 274, 275, 276, 278,
279, 282.
Marianne Chevreuse, IV, 580, 582,
583.
Marie Dorval, I, 394-396; IV, 75,
313, 335.
Marielle (v. Théùtre de Nohant), IV,
271, 275, 287.
Marionnettes de Nohant (les), III,
509, 546 ; IV, 301, 536.
Marquis de Villemer (le), I, 124;
II, 146; IV, 315, 384, 392-394,
429, 517, 584.
Marquis de Villemer (le) [piĂšce], IV,
297, 315, 394-396, 405-407, 426,
431, 435, 471, 474, 496, 517, 519,
590.
INDEX DES ĆUVRES CITĂES
709
Marquise (la), I, 124, 309, 341, 344,
346, 349, 359, 416 ; II, 34.
Marraine (la), I, 294, 303, 343.
Mars et Dorval, IV, 75.
Marteau (le) rouge, IV, 531.
Mattea, II, 14, 62, 108, 119, 152,
154, 159, IV, 321.
Mauprat, I, 27, 124, 338; II, 263-
264, 354, 362, 413, 422, 424-427.
Mauprat (piĂšce), IV, 144, 170, 275,
284, 285, 286, 287, 297, 433, 434.
MĂ©langes et fragments philosophi-
ques de Renan (article sur les),
IV, 661.
Melchior, I, 341, 344, 359, 379.
MĂšres de famille dans le grand
monde (les), III, 369, 370, 465-
467.
Meunier d'Angibault (le), I, 374 ;
III, 17, 394, 404, 452, 488, 635,
637, 639, 648-658, 661, 677.
Mississipiens (les), I, 124 ; III, 161 ;
IV, 263, 264.
MĆurs et coutumes du Berrv,
III, 665, 678.
MoliĂšre, III, 627 ; IV, 168, 270, 271,
275, 276, 287.
Molinara (la), I, 309, 330.
Mon grand-oncle, I, 73 ; IV, 336.
Monsieur Jacques, IV, 440, 441,
442.
Monsieur Maillard et ses travaux sur
l'Ăźle de la RĂ©union, IV, 404.
Monsieur Rousset, I, 127 ; III, 510,
637.
Monsieur Sylvestre, II, 166 ; IV, 453,
479-484, 505, 506.
Mont-RevĂȘche, IV, 280-281.
Mouny Robin, I, 127; II, 377;
III, 636, 637.
N
Nanon, II, 424 ; III, 510 ; IV, 545,
680.
Narcisse, IV, 272, 311, 312, 384,
683.
Nello le violoniste (v. MaĂźtre Favilla),
IV, 274, 275, 284, 286, 287.
Noce de campagne (la) ou les Noces
de campagne, III, 636, 664, 665-
669, 670.
Nouvelle (la) lettre de Junius, IV,
548.
Nouvelles lettres d'un voyageur,
I, 73 ; II ; III, 397 ; IV, 238, 367,
446, 447, 449, 450, 472, 485, 601,
525, 549, 550, 667, 571, 619.
Nuage rose (le). (Contes d'une
grand'mĂšre), III, 678 ; ĂV, 531.
Nuit (la) de Noël, imitée d'Hoff-
mann, IV, 315, 316.
Nuit d'hiver (la), I, 73 ; IV, 336.
Ćuvres complĂštes, III, 369, 386,610 ;
IV, 661.
Orco (1'), II, 14, 108, 119, 152, 158,
159; III, 231.
Orgue (1') du Titan, IV, 531.
Ouvriers boulangers de Paris (les),
III, 388-390.
Paroles de Biaise Bonnin aux bons
citoyens, III, 294, 678 ; IV, 2, 30,
69.
Pauline, I, 314, 344, 350, 358,359;
III, 231 ; IV, 681.
Pauline Garcia et le théùtre italien,
(article), III, 215.
Pavé (le), IV, 315, 384, 619.
Péché de M. Antoine (le), I, 124,
336, 338, 374 ; III, 17, 476, 635,
637, 639, 658-661, 677, 678.
Pensées d'un maßtre d'école, IV, 632-
534.
PĂšre (le) Communisme, IV, 107, 113-
114.
PĂšre-Va-tout-seul (le), III, 636, 678,
Petite Fadette (la), I, 137, 374;
III, 637, 638, 672, 676-678, 680;
IV, 45, 302, 660.
7io
GEORGE SAND
Petite Fadette (la) [piĂšce], III, 678-
679.
PĂ©tition pour l'organisation du tra-
vail (article sur la), III, 388, 391-
392, 393, 394, 396.
Peuple (le) et le président (V. A
propos de l'Ă©lection de Louis-
Napoléon).
Piccinino (le), III, 609-510, 559,
687, 690-696 ; IV, 8, 16, 53, 132.
Pierre Bonnin, III, 636, 678 ; IV,
549.
Pierre qui roule (v. Le beau Lau-
rence), IV, 271, 272, 311, 518.
Plutus, IV, 316, 316, 317.
PoĂšme de Myrza (le), II, 285 ; IV,
321.
Politiques et socialistes, III, 388,
394-396.
Pourquoi les femmes à l'Académie,
IV, 437.
Pourquoi nous sommes revenus Ă
nos moutons (préface de la Petite
Fadette), premier titre de : A propos
de la Petite Fadette, IV, 45, 127-
129.
Préface aux Conteurs ouvriers, III,
297, 321-326.
Préface aux Masques et Bouffons de
Maurice Sand, IV, 271, 343, 384.
Préface aux Poésies de Magu. III,
297, 317-319.
Préface aux Six mille lieues à toute
vapeur de Maurice Sand, IV, 258,
359.
Préface VObermann, I, 384, 398,
447, 448 ; II, 400.
Préface de Werther, traduit par Le-
roux, III, 178, 369.
Préface des Chansoyis de chaque mé-
tier de Poney, III, 297, 308.
PrĂ©face des Ćuvres complĂštes (pour
l'Ă©dition Perrotin, 1843), III, 268.
Préface des Travailleurs et Proprié-
taires, de Victor Borie, I, 16 ; III,
550 ; IV, 3, 4, 146.
Préface du Bouquet de marguerites
de Poney, III, 297.
Préface du Chantier de Poney, III,
297, 305, 307, 308.
Pressoir (le), III, 678, 679; IV, 275,
284, 285, 297.
PriĂšre, II, 314.
Prima Donna (la), I, 331, 344-345,
359.
Princesse Anna Czartorvska (la),
III, 199 ; IV, 550.
Proclamation de la RĂ©publique Ă
Nouant- Vie. (V. La Lettre au ré-
dacteur de la Réforme datée du
21 mars 1848).
Procope le Grand, I, 169; III, 17,
268, 363-365, 369, 445,
Promenades autour d'un village
(v. Courrier de village), I, 63;
III, 476, 665 ; IV, 373. 374, 375,
377, 378, 384, 396, 507.
Question (la) de demain, IV, 107.
Question (la) sociale, IV, 99, 100,
101, 104.
Questions d'art et de littérature,
II, 46 ; III, 318 ; IV, 5, 75, 375,
404, 426, 449, 507, 550.
Questions politiques et sociales,
III, 386, 394 ; IV, 3, 5, 99, 101,
548, 549, 550.
RĂ©alisme (le), IV, 375, 507.
RĂ©ception de Sainte-Beuve Ă l'Aca-
démie (article sur la), III, 394.
Réflexions sûr J.-J. Rousseau, I,
361 ; III, 196, 370-373.
Reine Coax (la), IV, 531.
Reine Mab (la), I, 309, 341, 344, 383 ;
II, 120.
Relation d'un voyage chez les sau-
vages de Paris, I, 362 ; III, 369,
370, B73-374.
RĂ©ponse Ă diverses objections s
(V. La poUtique et le socialisme),
III, 388, 395-396.
INDEX DES ĆUVRES CITĂES
711
Réponse à un ami et réponse à une
amie, IV, 557, 562.
Reprise de LucrĂšce Borgia. (V. Lettre
Ă Victor Hugo).
République et royauté en Italie de
Mazzini (préface et traduction de),
IV, 145.
RĂȘves et souvenirs. (Premier titre
d'Impressions et souvenirs).
Revue politique et morale de la se-
maine, IV, 83, 105.
Roi (le) attend, IV, 62, 75, 77, 168,
269, 270, 519.
Roi (le) des neiges, conte Ă©crit
en 1839 et resté inédit, IV, 532.
Rose et Blanche, I, 336-340, 344,
346, 359 ; III, 288-289 ; IV, 312,
581.
Rues (les) de Paris, IV, 61, 71, 107.
Ruisseau (le), II, 375, 442.
S
SalammbĂŽ (article sur), IV, 507.
Secrétaire intime (le), II, 14, 62,
108, 119, 149, 152, 450, IV, 287.
Sept cordes de la Lyre (les), II, 48,
125, 324, 378-390, 392: III, 17,
188, 230, 234 ; IV, 263, 391, 449.
Simon, I, 362; II, 249, 366, 369,
413, 416 ; III, 130, 234, 278, 285,
610.
Sketches and Hints, I, 420, 429.
Socialisme, IV, 3, 51, 60, 62, 63-64,
65, 66, 67, 68, 72, 104.
Sonnet sur Chatterton d'Alfred de
Vigny, II, 120.
Souvenirs de 1848, I, 73, 362, 439 ;
IV, 5, 107, 121, 124, 469.
Souvenirs de Mme Merlin (article
sur les), IV, 156.
Souvenirs et idées, III, 547, 548,
617 ; IV, 3, 18, 82, 89, 169-173,
348.
Spiridion, I, 169, 377; II, 458;
III, 12, 17, 18, 66, 67, 80, 81, 86,
137, 187, 217-230, 237, 242, 244 ;
IV, 321, 421, 430, 556, 557, 580.
Sur le drame fantastique (V. Goethe,
Byron et Mickiewicz), III, 186-
187, 217.
Sur le général Cavaignac. (Voir le
Peuple et le Président et A propos
de l'élection de Louis-Napoléon
à la présidence de la République.)
Sur les poĂštes populaires, III, 267,
292, 293-295.
Tamaris, I, 143 ; IV, 398.
Tapisseries du chĂąteau de Bonssac
(article sur les), III, 476, 636.
Théùtre de Nouant, IV, 398.
Teverino, I, 359 ; II, 62 ; III, 687-
690. IV, 275, 286.
Toast (le), I, 309, 341, 344, 359, 379 ;
IV, 321.
Tour (la) de Percemont, IV, 580,
583, 584, 594.
U
Un bienfait n'est jamais perdu, IV,
315, 591.
Un coin de la Marche et du Berry,
III, 476.
Un cyclone Ă l'Ăźle de la RĂ©union,
IV,* 404.
Un été dans le Sahara, de Fromentin
(article sur), IV, 384, 453.
Un hiver Ă Majorque, I, 57, 58 ;
III, 55, 56, 59, 60, 64, 69, 70, 72,
73-76, 77, 80, 82-86, 87, 125.
Un voyage chez M. Biaise, IV, 121,
336.
Un voyage en Auvergne et en
Espagne, I, 73, 92, 197, 279, 294,
297, 338, 343 ; IV, 323-333.
Une année dans le Sahel, de Fro-
mentin (article sur), IV, 384, 453.
Une lettre Ă©crite de Fontainebleau
en 1837, II, 48-49, 432 ; IV, 566.
Une visite aux Catacombes, II, 398,
400.
7»3
GEORGE SAND
Uscoque (1'), I, 33, 362 ; II, 14, 108,
119, 152, 157, 159, 422; III,
avant-propos iv, 231.
Utilité d'une école normale d'équi-
tation, III, 397 ; IV, 550.
Vacances (les) de Pandolphe ; IV,
271, 274, 275, 279, 280, 282.
Valentine, I, 27, 124, 201, 309, 341,
344, 359, 373-374, 377, 388,
416, 441 ; II, 17, 404 ; III, 676,
âŹ77 ; IV, 321, 581. 582, 584.
Vallée noire (la), III, 476, 636.
ValvĂšdre, II, 424 ; IV, 256, 356, 384,
390-392, 399.
Veillées du chanvreur (les), III, 638,
662, 666, 687 ; IV, 129.
Victor Hugo par un témoin de sa vie
(article sur le livre de Mme Hugo),
IV, 449.
Vierge (la) à la chaise, gravée par
Calamatta, II, 399.
Villa (la) Pamphili, IV, 357, 359.
Ville noire (la), III, 311 ; IV, 384,
399.
Vision (la), I, 309, 330.
Visions de nuit Ă la campagne, I,
137 ; III, 636, 665, 678 ; IV, 378,
384.
Voyage au Mont Dore. (V. Voyage
en Auvergne et en Espagne.)
INDEX DES NOMS CITĂS
A
Abbatucci (Jacques - Pierre - Charles
d'), IV, 157, 172, 194, 218, 219,
220.
AbrantĂšs (la duchesse d'), IV, 465,
517.
Accolas, avoué, I, 276, 287, 292;
II, 291.
Accursi (M.), IV, 10, 16.
Achille, III, 284.
Adam (Edmond), IV, 523, 526, 527-
529, 537, 538, 618.
Adam (Mme), IV, 419, 427, 523,
524, 525, 526-529, 536-540, 541,
542-544, 551, 553, 557.
AĂąrienne, par De Latouche. III,
654.
Affaire (F) Clemenceau, par Dumas
fils, IV, 406.
Affaires de Rome, de Lamennais,
II, 228.
Ageorges (Joseph), III, 388.
AgnĂšs Sorel et Charles VII, IV, 351.
AgnĂšs de MĂ©ranie. de Ponsard, III,
552.
Agoult (Marie de Flavignv, com-
tesse d') = Daniel Stem, I, 70, 72,
403 ; II, 49-50, 105, 108, 146, 152,
161, 209-211, 213, 239-241, 243-
244, 246-248, 251-253, 256-257,
259, 263, 264, 266-267, 295, 298-
299, 310-311, 324-326, 328, 329-
330, 333, 337, 339, 344-347, 349-
350, 353, 362; II, 367-369, 371,
715
373, 378, 395, 399-416, 420, 427,
428, 433, 442, 457; III, 14, 16,
11, 22, 28, 36, 95, 127, 128, 164,
275, 182, 183, 184, 186, 191, 202,
236, 259, 265, 269, 278-286, 291,
449, 465; IV, 2, 31, 42, 52, 73,
76, 81, 85-87, 93, 98, 99, 287,
313, 482.
Agrestes (les), de De Latouche, III,
652.
Aguado (Alexandre-Marie), III, 366,
368.
Ajasson de Grandsaigne ou de
Grandsagne (Stéphane), I, 196-
197, 286, 289, 361 ; II, 148 ; IV,
325, 351.
Albert (Mme), artiste dramatique,
IV, 170.
Albert (Paul), IV, 522.
Albert, membre du gouvernement
provisoire, IV, 49, 92.
Albin (SĂ©bastien) â Mme Hortense
Cornu, III, 178 ; IV, 163.
Albrecht, III, 65
Alcan, III, 119.
Alexandra Nicolaiewna, grande-du-
chesse, IV, 549-550.
Alexandre I", IV, 165, 335, 623.
Alicia (mĂšre), I, 160, 178, 180.
Allan (Mme), artiste dramatique, IV,
170.
Allart (Mme Hortense), I, 244;
II, 346; III. 120, 128, 280, 281,
282, 461, 465 ; IV, 549.
714
GEORGE SAND
Almanach du Bonhomme Richard,
II, 174.
Almanach populaire de la France
. pour 1849, IV, 158.
Alton-Shée (comte d1), II, 55.
Ambert (Jean-Jacques), I, 227-228.
Ame (V) de la plante, par M. Bos-
cowicz, IV, 571.
Amel (Mme), de la Comédie-Fran-
çaise, IV, 648.
Amélie, princesse de Prusse, III,
346, 351.
Ami (V) du peuple, journal de Cabet.
IV, 98, 99.
Amie (Henri), I, préface, 2, 70, 76,
113, 311, 315, 388 ; II, 60, 147 ;
III, Avant-propos, IV, 262, 356,
404, 504, 505, 522, 523, 524, 536,
544, 609, 614, 621, 625, 626.
Amour de Veau, par Victor Hugo,
IV, 449.
Amouroux (J.-A.). IV, 230.
AmpĂšre (Jean-Jacques), III, 192.
Amshaspands et Darvands, de La-
mennais, II, 229, 395.
Ancelot (Jacques), III, 164.
Ancessy, IV, 467.
Andersen (Hans-Christian), 111,338 ;
IV, 279, 534,
André, petit groom d'Aurore Du-
pin, I, 192, 193, 208 ; IV, 329.
Andrezel (d'), I, 122.
Angélus (/'), de Millet, IV, 644.
Anna Iwanowna, impératrice de
Russie, I, 81.
Anna Karénine, de Tolstoï, I, 377 ;
II, 158, 230 ; III, 496.
Année (V) terriile, IV, 451, 549.
Années de pÚlerinage, de Liszt, II,
253.
Annenkow (P. W.), I, 30 ; III, 267,
IV, 129,
Antoine et Cléopùtre, I, 395 ; IV, 351.
Antonini (Mme), II, 88.
Apollon, III, 131.
Apollonius de Tyane, III, 8, 203.
A qui la faute, roman de Herzen,
II, 82.
Arago (Emmanuel), I, 72 ; II, 184,
188, 243, 339, 351 ; III, 79, 103,
108, 120, 122, 130, 131, 271-272,
288, 328, 454. 500, 501. 509, 510,
549, 585. 586. 695; IV, 12, 16,
45, 50, 171, 265, 266.
Arago (Etienne), III, 272, 328, 392,
398 ; IV, 2, 42, 44, 45, 80, 86, 94,
141, 237.
Arago (François), III, 120, 292, 293,
294, 328, 392, 398 ; IV, 2, 93.
Arago (Lovely), IV, 172.
Aragon (Charles d'), II, 338; III,
609, 619, 620.
Arimane, III, 11.
Aristophane, IV, 316, 317.
Aristote, I, 188 ; III, 11, 239 ; IV,
481.
Arles (l'archevĂȘque d'), I, 198-200,
Arpentigny (capitaine d'), III, 500,
501, 549 ; IV, 112.
Arnaud, de l'AriĂšge, IV, 618.
Arnault, imprimeur, III, 380.
Arnold (M.) = Pierre Leroux, III,
416 ; IV, 221.
Amould-Plessy (Mme Sylvanie), I,
12; IV, 255-258, 269, 296, 356,
417, 429, 453, 497-499, 504.
Arrault (Henri), IV, 454.
Arséniew (Constantin), I, 26, 27 ;
III, 645.
Art (V), III, 646.
Artiste (V), I, 330; II, 399, 445;
IV, 76.
Ashurst (Mrs), IV, 6, 9.
Askenazy (Szimon), III, 186.
Assas (d'), III, 426.
Association (V), journal de Nevers,
II, 434.
Astrée (V), par Durfé, IV, 296.
Astres (les), par Schubert, III, 97.
Atelier (V), journal, III, 320, 491.
Athanase (saint), III, 11.
Auberge (V) du crime, piĂšce impro-
visée, III, 533, 555, 589.
INDEX DES NOMS CITES
715
Aubertin, III, 549.
Aubon (docteur), IV, 411.
Aucante (Emile), I, 50, 70 ; II, 17,
71, 116-118; III, avant-propos, i,
328, 398, 405, 406, 407, 416 ; IV.
139, 143, 150, 151, 174, 185, 186,
191, 196, 209, 218, 221, 229, 230,
237, 308, 340, 342, 344, 363, 368,
376. 379, 380, 382, 383, 385, 387,
438, 455, 485, 522, 609, 614, 621,
624-627.
Audley (Mme), II, 379.
Auersperg (comte Alexandre-An-
toine) [en littérature : Anastasius
Grun], III, 136, 146, 147, 151,
153, 154, 155, 156, 157.
Augras, président de la société des
Gas du Berry, IV, 650, 658, 659.
Augsourger allgemeine Zeitung (Ga-
zette universelle d'Augsbourg), II,
313.
Auguste II, roi de Pologne, Ă©lecteur
de Saxe, I, 78, 80-81, 89, 91.
Auguste III, roi de Pologne, I, 80^
Augustin (saint), I, 13, 161.
Augustin (saint), par Leroux, III,
11.
Aulard (Alfred), IV, 38.
Aulard (M.), maire de Nohant-Vic,
IV, 38, 184 185-186, 229, 235.
Aure (comte d'), III, 397-398; IV,
369, 550.
Auteurs dramatiques, d'Emile Zola,
IV, 319.
Aux Femmes, par TolstoĂŻ, II, 407.
Avenir (V), II, 226.
Avenir national (V), journal, III,
394 ; IV, 440, 449, 454, 619.
AventuriĂšre (V), par E. Augier, IV,
75.
Babou (Hippolyte), II, 13.
Bacon, I, 188.
Bach (Jean-SĂ©bastien), III, 34, 73,
104, 212.
Bahuet, habitant de La ChĂątre. IV,
476.
Baillot, II, 208.
Bakounine (Michel), I, 72 ; III, 398 ;
IV, 19, 129-140, 144.
Balakirew (Mili), III, 35.
Balbo (comte de), I, 195.
Ballade (la lre) de Chopin, III, 24,
487.
Ballade (la 2e) de Chopin, III, 66,
89.
Ballades et chants populaires anciens
et modernes de V Allemagne, pal
SĂ©bastien Albin, IV, 163.
Ballanche, I, 440 ; II, 186-187, 219,
345, 355.
Balzac (Honoré de), I, 1, 4, 25, 43,
98, 180, 311, 322, 336-337, 339'
437, 448; II, 15, 145, 151, 369,
445-447, 451-454; III, 116-117,
120, 129, 133, 170, 173, 177, 220,
234, 283, 291, 292, 420, 422, 426-
427, 449, 480, 646, 653 ; IV, 262,
263, 302, 581.
Baptiste, IV, 39.
Baraguay d' libers (général comte
Achille), 194, 204, 205, 206, 216,
217, 220.
Barbançois [Brabançoisr], III, 383;
BarbeguiĂšre (Arnaud Germain), I,
228.
Barbes (Armand), I, 20, 71 ; III, 398 ;
IV, 46, 86, 87, 90, 91, 98, 122,
123, 124-129, 180, 415, 516, 519,
522, 523.
Barbey d'Aurevilly (Jules), II, 13,
Barbier de SĂ©ville (le), IV, 277, 590,
Barbiera (Rafaello), 176 ; II, 68, 78,
96.
Barcarolle (la) de Chopin, III, 487|
Barchon de Penhoën (baron Auguste-
Théodore-Hilaire), II, 332, 345.
Baretta (Mme Worms), IV, 646.
Barine (ArvĂšde), I, 45, 51-52, 70-72 ;
II, 13, 15, 16, 37, 39, 49-51, 53,
65, 72, 78, 80-81, 83, 90, 93, 96,
97, 102, 106, 120, 132-133; III,
124.
Barré (Léopold), IV, 289.
Barrot (Odilon), II, 186 ; IV, 12, 19,
/i6
GEORGE SAND
Barth. docteur, IV, 606, 608.
Barza Breiz (les), III, 665.
Bascans (Mme), II, 441; III, 118,
431, 451, 452. 456.
Bascans (M.). III, 118. 452, 456,
457, 462, 563, 591, 597, 602 ; IV,
422.
Basile, auteur dramatique, III, 659,
Bassompierre, II, 33, 43.
Bastide, IV, 46.
Baudelaire (Charles), IV. 292. 293-
295.
Bauernfeld, III, 140, 141.
Bayreuth (la margrave de), III, 348.
Bazard (Armand), II, 225 ; III, 5.
Bazouin (Mlles Jane, Aimée et Ché-
rie), I, 12, 180, 250. 253-254, 259,
294, 303, 316 ; IV, 326.
Beaufort (de), directeur de l'Odéon,
IV, 453, 455.
Beaumarchais, IV, 78, 590.
Beauplan (de), IV, 277.
Beaumont (abbé de), I, 122, 216,
223.
Beaune (la famille), III, 398.
Beauvallet, de la Comédie-Fran-
çaise, IV, 48.
Beauvau (la princesse de), III, 120.
Beauvau (hĂŽtel de), III, 94.
Bedeau (général). IV. 272.
Beethoven. II. 163. 214, 358 : III, 34,
35, 105, 207. 408, 420. 478, 517,
529 ; IV, 401.
BĂ©jard, charbonnier Ă La ChĂątre,
ĂV. 476.
Belcikowski, III, 182.
Belgiojoso (princesse Christine de),
I, 53 ; II, 188 ; III, 129, 283.
Bellerophon, III, 258.
Bellini (Vincent), III, 41.
Bénédictins (les), III, 221.
BenoĂźt (saint), III, 11.
Bentzon (Mme Th.), III, 397.
Beolco, IV, 271.
BĂ©ranger (Mme de), I, 122 ; II, 401.
BĂ©langer (P. J.). III, 138, 259, 260,
295, 299, 305, 306-308, 314-315,
316 ; IV, 466.
BĂ©rangĂšre, IV, 269. 289, 372, 373,
376, 379.
Bereer (M.), préfet du Cher. IV, 185,
198, 235.
Berlioz (Hector), 1, 121 ; 11,204-205 ;
III, 33, 105, 421 ; IV. 321.
Bernard (saint), III, 329.
Bernardin (N.-M.'.i. IV, 632.
Bernhardt (Sarah), IV, 262. 315,
590, 634.
Berquin, I, 104.
Berr (Georges), IV, 640.
Berry (duc de), I. 177.
Berryer, II, 106, 347.
Bertall, I, 1.
Berthé (M.), III, 596.
Berthelot, III, 221.
Bertholdi (Mme Augustine de)«
V. Brault (Augustine).
Bertholdi (M.)., III, 588, 600. 601f
605, 614, 619 ; IV, 17, 631.
Bertholdi (Georges de), IV, 631.
Bertholdi (Jeanne de), IV, 631.
Bertin. III, 653.
Berton (Charles-Francisque), IV,
242, 297, 311, 433, 434, 452. 455,
457. 458. 463, 406. 618.
Berton (Pierre). IV, 242.
Bethmann (la famille), II, 239;
III, 279, 283.
Bethmont, membre du gouverne-
ment provisoire, IV, 42, 93.
Bettiiia (Elisabeth Brentano, com-
tesse Arnim, dite la), III, 177-
178.
Beucher-Defant, IV. 230.
Beuzeville (poĂšte populaire), III,
293, 295, 317.
Beyle (Henry) [Stendhal], I, 52.
Biaud, IV. 40.
Bibliophile Isaac, pseudonyme du
vicomte Charles de Spoelberch de
Lovenjoul.
INDEX DES NOMS CITĂS
717
Bidault, II, 18G.
Bidou (H.), III, 80.
Bielinski (V. G.).. I, 23-26, 31, 177 ;
IV, 129.
Bien de MĂącon (le), journal, III, 385,
386.
Bien (le) public, III, 491 ; IV, 626.
Biergel (Alexandre), III, 198.
Bignon, IV, 170.
Bignon (M. et Mme Albert), IV, 269.
Billaut (Me Adam), III, 293, 296,
297.
Birch-Pfeiffer (Mme), III, 678.
BjĂŽrnson, I, 443; II, 422.
Blanc (FĂ©lix), IV, 216.
Blanc (Louis), I, 26, 31, 72 ; II, 176 ;
III, 102, 328, 391, 392, 393, 394,
396, 404. 409, 501, 509, 510, 537,
645, 653, 658, 695. 696 ; IV, 2, 12,
20, 42, 43, 85, 86, 91, 92, 93, 110,
114, 123, 124, 126, 127, 141, 156,
157, 174, 251, 559.
Blanchard, Ă©diteur, III, 113; IV,
40.
Blanqui, IV, 85, 87, 91, 122.
Blavoyer, II, 326, 377.
Blaze de Bury (Henri), I, 81.
Blessington (lady), IV, 232.
Bocage, II, 355, 451 ; III, 120, 122,
137, 161, 190, 191. 197, 269, 274,
275, 276, 284, 286, 291, 317, 451,
652.
Boerne (Ludwig), III, 147.
Boissy (M. de), III, 122.
Boldakow (Innocent), I, préface 2.
Bonaparte. V. Napoléon Ier.
Bonaparte (Louis). F. Napoléon III,
III, 398.
Bonaparte (la famille), IV, 250.
Bonhomme (François), IV, 119.
Bonnaire, Ă©diteur, II, 374 ; III, 369.
Bonnechose (M. de), III, 79, 120,
122, 551.
Bomiechose (Mme de), III, 551.
Bonnin (Biaise ou Gustave) = pseu-
donyme de George Sand.
Bonnin (Pierre), menuisier Ă Nohant,
IV, 374, 530, 549.
Borie (Victor), I, 16 ; III, 386, 388,
398, 688, 590 ; IV, 14, 16, 19, 29,
33, 34, 41, 47, 50, 103, 132, 140,
146. 147, 174, 237, 266, 340, 349,
390, 453, 485, 491, 522, 610, 624.
Born (Max), III, 687.
Bossuet, I, 188 ; III, 239.
Botkine (Basile), I, 30 ; IV, 129.
Boubée (Simon), I, 13.
Bouchard (M.), IV, 653.
Boucoiran (Jules), I, 50, 52, 72, 284,
300, 303-305, 307, 312, 314, 315,
325, 329, 369, 384, 443; II, 45,
61-62 64-65, 77-78, 83, 94-95, 97-
98, 100-103, 295, 296 ; III, 56, 57,
59, 62, 65, 173, 269, 448, 598 ; IV,
410, 411, 416, 420, 430, 472, 485,
522, 523, 532.
Boudin, candidat dans l'Indre, IV,
46.
Bouffé, III, 78 ; IV, 286.
Bougeriot, IV, 476.
Bouilhet (Louis), IV, 451.
Bouilloud (Mlle de), I, 195.
Boulgarine, I, 14, 15.
Boullé, éditeur, IV, 640, 654.
Bourdet, III, 612 ; IV, 170,
Bourdet (Mme), III, 612 ; IV, 170.
Bourgeat (Fernand), IV, 518.
Bourgeois (Anicet), III, 678.
Bourgoing (Rozanne), devenue
Mme de Curton, II, 291, 296 ; IV,
171, 235, 337.
Boursault (le docteur), III, 374, 382,
Boutet (André), II, 280.
Boutet (Mme), II, 280.
Bouyer (le commissaire), III, 382.
Bouzemont, III, 603, 604.
Bovet, III, 602, 603.
Boyer (poĂšte populaire), III, 293,
296.
Brandes (Georges), I, 59, 202, 403 ;
II, 13, 38, 124-125, 129.
Brault (AdĂšle), III, 505, 506.
7i8
GEORGE SAND
Brault (Augustine), V. Bertholdi
(Mme de), III, 118, 397. 418, 459,
495, 496, 500, 501, 504, 505, 508,
509, 510, 512, 546, 550, 553, 554,
558, 559, 568, 572, 576, 577, 578,
581, 582, 583. 588, 592, 597, 600,
601, 613. 614, 618, 619, 620, 621,
622, 626 ; IV, 10, 20, 28, 37, 50,
87, 88, 140, 257, 266, 272, 273,
276, 298, 349, 474, 533, 631
Brault (pĂšre), III, 505-507, 619,
620, 621.
Brentano (Clément), III, 178.
Blinde au, IV, 462.
Brisson (Adelphe), II, 13.
Broadwood, III, 37.
Broca (Paul), III, 365.
Brohan (Madeleine), IV, 48, 75.
Brothier, ingénieur à Montluçon, IV,
399. .
Browning-Barrett (Mrs Elisabeth),
III, 428-429.
Browning (Robert), poĂšte anglais,
III, 428.
Bruckmann (Friedrich), III, 130.
Bruneau, cordonnier Ă La ChĂątre,
IV, 476.
Bruno (saint), III, 72.
Bulletins de la République (préface
aux), IV, 52.
Bulow (Mme Cosima von), plus tard
Mme Richard Wagner, II, 371.
Buloz (François), I, 443 ; II, 38, 67,
61-62, 64, 66-67, 101-103, 124,
136, 213, 249, 263, 264, 352-353,
374; III, avant-propos, 40, 65,
66, 68, 95, 98, 123, 130, 161, 162,
165, 170, 174, 175, 176, 217, 218,
230-234, 235, 244, 256-258, 266,
267, 648, 659; IV, 294, 322, 387,
399, 430, 436, 437, 439, 453, 477,
497, 498.
Bulwer (Edward), III, 281,
Buononcini, III, 348.
Burgaud des Marets, III, 188.
Byron, 1, 11, 46, 189, 240, 317 ; II, 9,
30-31, 136, 157, 169, 163, 330;
III, 122, 186, 193, 310, 524, 691 ;
IV, 170, 232.
Cabanes (docteur), I, 11 ; II, 2, 13,
15, 68-69, 118.
Cabarus, IV, 232, 265.
Cabet, I, 26; IV, 33, 71, 72, 91, 92,
93, 94. 98. 99, 105.
Cadol (Edouard), IV, 315, 316, 416,
452, 453, 460, 485, 530, 538, 624.
Caffariello (le sopraniste), III, 348.
Cagliostro, III, 351.
Caillaud (Marie), IV, 386, 387, 460,
464, 472, 473, 478, 492, 628.
Calamatta (Anne-Joséphine), née
Raoul-Rochette, IV, 421,455, 466,
460.
Calamatta(Cajroline-Marceline), Lina,
plus tard Mme Maurice Sand.
Calamatta (Luigi), II, 153, 338,
398-399 ; III, 117, 122, 123, 166,
599 ; IV, 205, 207, 301, 365, 411,
412, 415, 421, 427, 499, 645.
Calas (Jean), III, 374.
Caldéron, III, 295.
Caïïirhoé, par Maurice Sand, IV,
464.
Calmette (Fernand), IV, 673.
Calvin, IV, 470.
Camus, fermier de Nohant, IV, 150.
Canning (Mme), I, 174-175, 176.
Canonge (Jules), III, 299.
Canova, III, 655.
Canrobert (maréchal), IV, 209, 211*
Canuet, av. lie, IV, 230.
Capinera (la), I, 171.
Capo de Feuillide, I, 12, 442-443;
II, 80, 121,
Caponi (Gino), III, 281.
Caribert, II, 280.
Cardozzo de Mello (Francisco), 1, 18,
19.
Carissimi (Giacomo), III, 212.
INDEX DES NOMS CITĂS
719
Carlier (Pierre), IV, 176, 194, 204,
276.
Carlo-Alberto, III, 620 ; IV, 8.
Carnat (le pĂšre), sonneur-fossoyeur
de Nohant, IV, 529, 628.
Carné (M.), III, 257.
Carnot (Hippolyte), IV, 2, 35, 42,
93.
Carnot (Mme), IV, 172.
Caro (Elme), I, 10, 11, 13, 14, 41,
43 ; III, 250, 251 ; IV, 263, 264.
Caron (M.), I, 72, 217, 235-237, 241,
243, 260, 279, 281, 282, 285, 288,
293,296,338, III, 296.
Carpentier (Mme Marie Pape), III,
292, 293, 294, 307.
Carraud (Mme Zulma), II, 448.
Carrel (Armand), IV, 335.
Carrier-Belleuse, IV, 645.
Carteret, IV, 86.
Caseau (Virginie), IV, 336.
Cassiodore, III, 102.
Cassandie, IV, 71.
Castagnary, IV, 513.
Castellane (maréchal de), IV, 112.
Catalani (la), III, 27.
Catherine II, I, 66 ; III, 112 ; IV,
165, 623.
Catherine de MĂ©dicis, III, 427.
CaussidiĂšre, IV, 86, 91, 92, 95, 120,
133.
CauviĂšres ou CauviĂšre (Le dr), III,
93, 94, 96, 218, 244, 264, 266.
Cavaignac (Godef roy), 1, 19 ; II, 434 ;
III, 392.
Cavaignac (gé aérai) (Louis-EugÚne),
IV, 50, 144, 167, 172.
Cavet, secrétaire du ministre de
l'Intérieur, IV, 184, 194, 216.
Cazamajou [« Cajou »], III, 110.
Cazamajou (Caroline, sĆur d'Aurore
Dupin), I, 88, 93, 97, 115, 120-122,
128-129, 235; II, 322; III, 107,
110-118, 616, 677 ; IV, 415, 490,
491, 631.
Cazamajou (Oscar), III, 118 ; IV,
217, 469, 474, 488, 490, 491, 533,
602, 608. 609. 612, 614, 617, 619.
622, 625, 627, 631.
Cazamajou (Mme Oscar) [Hermiuie],
I, préface 2 ; IV, 490, 631.
Celliez (l'avocat Henri), III, 323.
Century (The), journal, III, 397.
Chabenat (Marc), docteur Ă La
ChĂątre, IV. 595-598, 603-609, 614,
616, 652.
Chaix d'Est-Ange, II, 322 ; III, 605,
507, 619, 620 ; IV, 17.
Chambolles (M.), IV, 12..
Chamisso, I, 246.
Chansons des rues et des bois, de
Victor Hugo, IV, 419, 501.
Chant (Le) du DĂ©part, de MĂ©hul, IV,
75.
Charavav (Etienne), IV, 673, 678,
693.
Charavav (EugĂšne), II, 445, 693.
Charavay (Gabriel), IV, 693.
Charavay (Noël), IV, 425.
Charles I«, I, 153.
Charles VII, III, 503.
Charles X, 1, 125, 148 ; II, 247 ; III,
695.
Charles Edmond . V. ChoĂŻecki.
Charpentier (peintre), II, 457 ; IV,
645.
Charpentier (l'Ă©diteur), III, 319,
369.
Charton (Edouard), IV, 35, 290,318,
347, 349.
Chartres (duc de), II, 27.
Chateaubriand, I, 12, 185-187, 189 ;
II, 217 ; III, 281 ; IV, 331.
Chùtelain, républicain, IV, 230.
Chatiron (Hippolyte), I, 72-73, 86,
95, 102, 103, 110, 112, 128, 130-
131, 136, 146, 181, 196, 216, 246,
251, 252, 271-272, 282, 286-287,
306, 311, 319, 333, 404 ; II, 63, 65,
178, 183, 267, 288, 292-293, 295,
303, 305, 323 ; III, 102-103, 144,
154, 161, 162, 166, 167-169, 170,
211, 212, 440-441, 444, 445, 476,
720
GEORGE SAND
477, 478, 489, 490, 494, 545, 618,
626 ; IV, 121, 150, 332, 339, S50,
521, 522, 589.
Chatiron (Emilie), I, 282, 283, 303,
307-308, 404; II, 288; IV, 105,
622, 540.
Chatiron (LĂ©ontine), fille d'Hippo-
lyte, I, 283, 332 ; III, 455, 489,
490, 491, 584, 619. V. plus bas Ă
Simonnet (Mme LĂ©ontine).
Chauvet (Jean), chanteur et maçon,
III, 685, 686 ; IV, 139.
Chauvet (Mme), III, 375, 376.
Chaworth (miss Mary), II, 30.
Chénier (André), I, 320, 436.
Chérémeteß (la comtesse Anna), III,
120.
Chéri (Rose), IV, 170, 172.
Chevreuil (Mme), III, 278.
Chewtchenvko, I, 65.
Chézy (Mme de), III, 178.
Chilly, IV, 315.
Chodzko (Alexandre), III, 193, 194,
195, 197, 198.
Chodzko (Ignace), III, 193.
Chodzko (LĂ©onard), III, 193.
ChoĂŻecki (Charles Edmond), III, 40 ;
IV 249, 257, 258, 304, 305, 308,
309, 310, 363, 365, 368, 379, 380,
382, 432, 433, 434, 522, 523, 534,
567, 628.
Choisnard (colonel Paul), IV, 649.
Chopin (Ărnilie), III, 26, 76.
Chopin (Isabelle) = Mme Bar-
cinska, III, 26, 472, 623.
Chopin (Justine), III. 26, 471, 472,
473, 623.
Chopin (Louise) = Mme JedrzeĂŻe-
wicz, III, 26, 472, 473, 474, 475,
480 486, 487, 489, 497, 498, 499.
505, 508, 511, 512, 539, 540, 550,
559, 576, 594, 623, 625, 629, 637,
Chopin (Nicolas), III, 26, 420, 470,
496.
Chopin (Frédéric), I, 12, 42-44, 47-
48, 55-57, 62, 71-72, 113, 127, 293,
444 ; II, 6, 13, 60, 72, 87, 124, 143,
145, 212, 216-217, 247, 323, 344-
346, 348, 355, 369, 370, 375, 377,
387, 392, 458 ; III, avant-propos,
p. n, m, 16, 23, 24-32, 34, 35, 36-
43, 44-53, 54, 56, 57, 68, 61-68,
69, 71, 73, 75-80, 81, 82, 86-92,
93, 94, 95, 96-100, 101, 102- 107,
108-113, 116, 117, 119-120, 121,
122, 123, 126, 127, 131, 133, 134,
136, 137, 138, 139, 140, 141, 144,
145, 159. 163, 167, 169, 171, 172,
173, 174, 181, 184, 185, 187, 188,
189, 190, 198, 199, 200, 201, 204,
205-208, 211, 212, 219, 235, 244,
255, 262, 263, 264, 267, 270, 281,
325, 333, 334, 336-337, 374, 400,
404, 408, 418-443, 446, 447, 454-
460, 465-468, 475-478, 480, 481-
495, 496-501, 504, 506-508, 511,
512, 513-537, 539, 640-546, 548,
549, 551-553, 556-561, 565, 568-
576, 578-582, 584-599, 602, 604,"
605, 621, 622-628, 633. 640, "652,
664, 696 ; IV, 7, 11, 130, 264, 265,
333, 339, 350, 391, 473, 549.
Chopin (le poĂšte Charles-Auguste),
III, 314, 315, 316, 317, 384, 385.
Christian (Margrave de Bayreuth),
I, 80.
Chronique de Paris, II, 256.
Cid (le), IV, 248, 273.
Clairon (Mlle), IV, 634.
Claretie (Jules), III, 19, 653 ; IV, 646.
Clarisse (Mlle), actrice, IV, 287.
Clary (vicomte), IV, 194, 197, 209,
220,
Claudine ou les Avantages de Vincon-
duite, par Giraudin et de Beau-
plan, IV, 277.
Claudius, v. Ajasson de Grandsagne»
Clavelot, IV, 230.
Clément d'Alexandrie, III, 102.
Clerh, acteur, IV, 269, 316, 463.
Clermont-Tonnerre (Mme de), II,
254.
Clésinger ( Auguste- Jean-Baptiste ) ,
III, 556, 557-565, 567, 569, 570,
573, 574, 575, 577, 578-581, 583,
584, 590, 591, 593, 598, 599, 600,
602, 603, 606, 607, 608, 611, 614,
INDEX DES NOMS CITES
721
615, 617 ; IV, 7, 11, 17, 76, 170,
171, 231, 233, 631.
ClĂ©singer (Jeanne) â Nini, IV, 171,
304, 308, 339, 340, 347, 348, 350,
533, 613, 614.
Clésinger (Solange). V. Dudevant
(Solange),
détienne, éditeur, III, 188.
Clotilde (piincesse), IV, 398, 454,
462, 464, 465, 517.
Clouard (Maurice), I, 51 ; II, 2, 13,
39, 73-77, 101, 111, 118, 122.
Cluveau, habitant de La ChĂątre, IV,
476.
Codemo (Mme Luigia), II, 68.
Coëssin, II, 181.
Colet (Mme Louise), I, 53, 54 ; II, 13,
60, 133 ; III, 129.
Collet, drapier Ă La ChĂątre, IV, 476.
Collier, III, 255 ; IV, 290, 351.
Collin, III, 605.
Colomb (Christophe), III, 413 ; IV,
522.
Combes, III, 592 ; IV, 20.
Commedia delVarte, I, 176, 177.
Comédie (la) Française, IV, 48, 275,
277, 278, 295, 297, 298, 453, 477,
490, 523, 633.
Comédie infernale (la), de Krasinski,
III, 190-195.
Comédie italienne (personnages de
la), 71, 271, 279.
Comme il vous plaira, I, 202 ; IV,
295-298.
Comment faire, roman de Tcherni-
chewski, II, 82.
Commune (la) de Paris, journal de
Cahaigne et Sobrier, IV, 98, 99.
Condé (princesse de), I, 254.
Condillac, I, 188, 311.
Confédérés de Bar (les), III, 182-186,
190-191.
Confoulant (docteur), IV, 230.
Conneau (docteur), IV, 215.
Considérant (Victor), I, 402; IV,
101, 103.
Constantin (le grand-duc), III, 27.
Constitutionnelle), II, 46; III, 404,
640, 641, 642, 643, 646, 651, 653,
655, 656, 685 ; IV, 14.
Constructeur (Solness le), II, 387.
Contades (comte de), IV, 170.
Contades (comtesse de), IV, 369.
Contemplations (les), IV, 451.
Contes de la mer Baltique, de
E. Meyer, IV, 304.
Contrat social (le), III, 13, 240 ; IV,
440.
Cooper (Fenimore), III, 691.
Coq (le) aux cheveux d'or, par Maurice
Sand, IV, 498.
Coquelin, IV, 634.
Coquerel (Athanase), pasteur, IV,
424, 457, 460, 469, 472.
Corbin, II, 319.
Cormenin (Louis de), IV, 90.
Corneille, I, 347.
Corner (ambassadeur vĂ©nitien Ă
Vienne), III, 340, 348.
Cornette, ébéniste à La Chùtre, IV,
476.
Cornu (Mme Hortense), née Lacroix,
IV, 163, 164, 240, 241, 242.
Cornu (SĂ©bastien-Melchior), IV, 163.
Correspondance de Heine, III, 133*
Corsaire (le), IV, 44.
Cortez (Femand\ III, 413.
Cotta (M. de), III, 365.
Courdonau, IV, 411.
Courrier (le) français, III, 488, 515,
640, 653 ; IV, 373, 375, 379.
Courvoisier (Mme Louise), II, 157.
Cousin (Victor), I, 442.
Couture (Thomas), peintre, II, 34;
IV, 171, 346, 507, 558, 630.
Cozmian ou Kozmian (André), III,
37, 186.
Cramer (Jean-Baptiste), III, 421.
Cramer (Sophie), II, 266-267.
Crédit (le), IV, 45, 127.
Crémieux (Adolphe), II, 219, IV,
42.
Crepet (EugĂšne), IV, 294.
46
722
GEORGE SAND
Crishni (sobriquet de Dessauer),
III, 141, 142, 144.
Cristal (Maurice) = Maurice Germa,
1,144.
Crombach (Mlle), I, 12; III, 293,
430.
Cromwell (de V. Hugo), III, 410.
Cruchon (« la mÚre »), III, 376.
Culmbach (la princesse de), III, 348.
Curie (docteur), II, 283.
Custine (marquis de), II, 348, 350,
372 ; III, 27.
Cuvillier-Fleury, I, 78.
Czartorvska (la princesse Anna),
III, 120, 199, 488, 568, 570, 571,
594; IV, 650.
Czartoryska (la princesse Marce-
line), III, 119, 622.
Czartorvski (le prince Adam), III,
120, i99, 200, 552.
CzartorysM (le prince Alexandre),
III, 488, 622.-
Czartoryski (le prince et la prin-
cesse), III, 501, 558.
Czerniszeff (la comtesse), III, 120.
Czerniszeff (Mlle Elisabeth de), III,
120.
Czosnowska (comtesse Laure), III,
501, 538-541.
Daiguzon, II, 296.
Daiguzon, fils du précédent, IV,
235.
Damas-Hinard, IV, 239, 240, 369.
Danse Macabre de Liszt, II, 341.
Dantan (Antoine), 111,422, 423, 434,
435.
Danton, III, 426.
Dante, I. 188, 267; II, 187, 238,
338, 370 ; III, 203, 389.
Daphnis et ChloĂȘ, IV, 352.
Da Ponte, III, 553.
DarantiĂšre, Ă©diteur, III, 165.
Darchy (docteur). IV, 470, 595, 598,
601, 603, 606-609.
Darmesteter, III, 686
Darnand (M.), 111,253.
Darwin (Charles), IV, 351, 413, 530.
Daubigny, I, 1.
Daubrun (Marie), IV, 291, 292, 294,
295.
Daud. habitant de La ChĂątre, IV
476.
Daudet (Alphonse), IV, 535.
David, I, 317.
David (l'avocat), III, 323.
Davydow, I, 32.
Dayot (Armand), IV, 175.
Deburau, II, 46, 75.
Deceriz (docteui), I, 235, 284.
Decerfz (Laure), I, 149, 306.
Decori (FĂ©lix), IV, 649.
Defressine (J.-B.), [ou Israël], IV
215, 230.
Degeorges (Frédéric), II, 184 ; III,
398 ; IV, 157, 158.
Delaborde (Sophie). Voir Dupin
(Sophie- Antoinette- Victoire).
Delaborde (Marie Lucie). V. Maié-
chal (Marie Lucie).
Delacroix (EugĂšne), I, 43, 71, 447 ;
II, 121, 208, 398, 441 ; III, 117,
118, 119, 123-126, 145, 173, 174,
201-208, 274, 280, 419, 428, 443,
469, 480, 488, 501, 609, 549 ; IV,
171, 284, 297, 318, 341, 461-463,
470, 549.
Delangle, IV, 238.
Delauche-PĂ©juge. IV. 185.
Delaunay, II, 445.
Delaveau (Charles), maire de La
ChĂątre, II, 226; III, 376, 377,
378, 382, IV, 49, 112, 113, 150.
Delavigne (Ă©diteur), III, 19.
Delaville, IV, 532.
De V esclavage moderne, par Lamen-
nais, IL 229.
De la religion, par Lamennais, II,
228, 230.
INDEX DES NOMS CITĂS
723
Delgaben (Charles), I, 80.
Delvair (Mme), IV, 640, 642.
Demai (M.), III, 666.
DĂ©mon (le), II, 140-141.
DembowsM (l'astronome?), III, 79.
Denis (Ferdinand), III, 296.
Depardieu (Etienne, chanvreur), I,
137 ; III, 666, 672, 681.
Depuiset, naturaliste, IV. 372, 373,
377.
Dernier Sauvage (le), de Mallefille,
II, 445,
Desages (M,), III, 405, 406 ; IV, 218,
219.
Desages (Luc), III, 263, 328, 398,
405, 406, 407, 415 ; IV, 174, 193,
200, 203, 204, 216, 218, 219, 221.
Deschartres, I, 84, 86, 103, 114, 119,
130, 138, 139, 147, 180-182, 185,
190, 192-195, 198, 202, 204, 206,
209-211, 234-235, 250, 405; II,
148 ; IV, 332, 337.
Descosses, restaurateur Ă La ChĂątre,
IV, 656, 657.
Desgrang-s, I, 275-276, 287, 389.
Desmoulins (Auguste), [gendre de
Pierre Leroux], III, 415.
Desmousseaux, républicain de Chù-
teauroux, IV, 192.
Des Préaulx (Femand), III, 539,
545, 552, 556, 557, 566 ; IV, 6,
266,
Despruneaux, habitant de La ChĂątre,
IV, 476.
Desroys (le cocher), III, 375, 376,
Dessauer (Joseph), I, 72 ; III, 119,
123, 135-161, 178 ; IV, 287, 316.,
Deux SĆurs (les), piĂšce de l'OdĂ©on,
IV, 498.
Devieur (sieur) = Robelin, III, 322-
323.
Diable (le), III, 491.
Diables (les) noirs, IV, 458.
Diane aux Bois, IV, 453.
Dickens (Charles), III, 353; IV,
298.
Diderot, II, 319; III, 5; IV, 354.
Didier (Charles) = [Herbert), II, 185,
255, 269, 324, 345, 351 ; III, 107,
128, 280; IV, 321, 322.
Didier (Mme Charles), III, 128,
280,
Didon (le PĂšre), I, 13.
Dieulafoy (Mme), I, 318.
Dilloye (libraire), III, 312.
Doche (Mlle), actrice, IV, 498.
Dodecaton (le), II, 123,
Dohler (Herr), III, 592.
Doinet (Alexis), II, 13.
Donizetti, III, 686.
Don Juan, de MoliĂšre, III, 553, 554,
679,
Don Juan, opéra de Mozart, III, 140,
212.
Don Quichotte, IV, 254.
Doré (Gustave), IV, 453.
Dorval (Marie), I, 72, 310, 393-396,
398, 401, 424; II, 12, 78, 116,
119, 451 ; III, 52, 103, 120, 161,
162, 164, 166, 280 ; IV, 239, 459,
634.
DostoĂŻevski, I, 14, 27, 31, 34, 35,
37, 307, 432 ; II, 162, 426 ; III,
avant-propos, iv.
Doucet (Camille), 453, 454.
Drouginine, I, 29 ; II, 82.
Droit (le) au vol, de Nadar, IV,
469.
Du Camp (Maxime), I, 349 ; II, 13,
37, 63, 97, 116, 180.
Duchauffour, soldat, IV, 199.
Dudevant (Jean-François, baron),
I, 217, 227, 228, 276-277 ; IV, 259,
485.
Dudevant (Augustine, baronne), née
Soûls, I, 227, 278; II, 51, 179,
305 ; IV, 400.
Dudevant (Casimir), I, 43, 52, 71-
73, 108, 205, 217, 220-228, 230-
233, 235-242, 244-247, 251-253,
257, 262, 270-271, 278-292, 304-
308, 333, 338, 369, 386, 390, 406,
408 ; II, 46, 51, 57, 59, 84, 92, 94,
180, 250, 288-296, 313, 315-324,
350, 430, 432-433, 442; III, 36,
724
GEORGE SAXD
42, 116, 126, 130, 173, 448, 449,
460, 453, 489, 490, 500, 561, 564,
566, 568, 572, 573, 575. 584, 588,
619, 695; IV, 235, 259-260, 340,
349, 376, 442, 472, 484.
Dudevant (Maurice), I, 72, 115, 177,
235, 236, 241, 248-249, 252, 279,
282-283, 293, 305, 306, 332, 386,
428, 440 ; II, 48, 51, 65, 101, 152,
266, 281, 288-289, 292, 294, 297,
320-323, 329, 350, 352, 355, 364,
365, 371, 430-431, 440-441, 457;
III, 16, 21, 23, 42, 53, 54, 60, 63,
67, 68, 69, 75, 78, 80, 87, 101, 102,
111, 112, 117, 118, 122, 125, 126,
144, 145. 167, 169, 171, 172, 173-
174, 206, 219, 244, 245, 249, 262,
263, 264. 267, 298, 325, 330, 382,
383, 384, 385, 386, 408-409, 419,
420, 428, 434, 439, 443-448, 449,
450, 455, 457, 458, 467, 477, 478-
480, 483-491, 493, 494-496, 500,
501, 504, 507-509, 512, 513, 515,
525, 528, 529. 533, 534, 539, 542,
554, 555, 558-563, 568, 569, 576,
578, 580, 581, 583, 584, 588,
589, 591, 593, 598, 606, 607-609,
612-615, 620-622, 626, 636, 640,
654. 665, 675, 686, 695 ; IV, 16-
19, 26, 29, 34. 36-40, 49, 51. 52,
73, 74, 76, 87, 88, 92, 95. 97, 111,
113, 121, 132, 139, 140. 144, 150,
151, 186, 255, 258, 265, 266-269,
271-273, 284, 286, 289, 301, 303,
307-309, 311, 315, 318, 326, 332,
337, 340, 341-347, 348, 349, 352,
356-360, 372, 373, 376, 377-381,
383-385. 390, 397, 398, 404, 406,
408, 41Ă-418, 420. 421, 424, 427,
430, 442, 451-467, 458, 459, 460-
463, 467, 469, 470-473, 478, 485,
489, 490, 491-493, 495-498, 507,
515, 516, 518, 522, 523, 526-530,
532, 536-541, 543-545, 549, 564,
598, 599, 601, 602-604, 606, 609,
611, 613-615, 619, 621-625, 627,
629, 631, 632, 637.
Dudevant (Solange) = Mme Clé-
singer, I, 123, 283, 287-288, 296,
299, 306, 311, 332, 385 ; II, 34, 51,
266, 281, 290-295, 297, 320-324,
329, 352, 355, 364, 430, 432-433,
440-441, 450, 457 ; III, 60, 63, 67,
69, 78, 80. 101, 102, 104. 107, 111,
117, 118, 119, 145, 167. 169, 172,
173, 174, 175, 209, 232-233, 262,
264, 298, 325, 397, 419. 420, 430,
434, 437, 448-461, 465, 475, 478,
479, 482, 484, 488, 490, 491, 495,
496, 500-502, 504, 506-510, 512,
528, 529, ÂŁ37, 538, 539, 542, 544-
546, 556, 557, 559-603, 608-609,
619, 621, 625, 626, 632, 633, 654,
658, 696 ; IV, 6, 7, 10, 11, 17, 76,
150, 170, 171, 190, 231, 233, 255,
266, 273, 280, 281, 313, 337, 340,
346, 348, 356, 360, 382, 383, 421-
423, 485, 517, 532, 540-543, 603,
609, 611-623, 625, 627, 631, 632,
DufaĂź (Alexandre), II, 13.
Dufraisse (Abel), IV, 222.
Dufraisse (Marc), III, 328, 398, 600,
601 ; IV, 49, 174, 193, 195, 196,
197, 199, 203, 207, 222-229, 231,
237.
Dumas (Alexandre) pĂšre, I, 71, 72,
322, 395, 399 ; II, 37, 117, 453 ;
III, 627, 628, 629, 630, 632, 641,
646 ; IV, 297, 618.
Dumas fils (Alexandre), III, 460,
604, 627-633 ; IV, 255, 300, 315,
341, 346, 391, 394, 401, 404-409,
430, 439, 442, 454, 455, 467, 479,
485, 488, 491, 497, 498, 504, 515,
517, 518, 522, 523, 530, 540, 602,
618, 623, 624-626, 629, 647.
Dumesnil (Alfred), III, 192.
Dunant, IV, 454.
Dupanloup (Mgr), IV, 334.
Dupin (Amcmdine- Lucie- Aurore) =
George Sand = Mme Dudevant.
Dupin de Francueil, I, 83, 90, 117-
118, 195.
Dupin de Francueil (Marie-Aurore
de Saxe, en premier mariage com-
tesse de Horn), I, 80-83, 84-89, 90,
102, 103, 107, 109, 112, 114, 118,
119, 125-128, 146, 148, 152-153,
181-183, 185, 195, 198-200, 205-
206, 236, 326, 379 ; III, 334, 448,
531 ; IV, 263, 328, 329, 336, 393,
400, 613, 614, 628, 659.
INDEX DES NOMS CITĂS
725
Dupin (Maurice-François), I, 76, 80,
84-88, 90, 93, 99, 103, 110, 114,
174, 216, 227 ; II, 290 ; III, 489 ;
IV, 18.
Dupin (Sophie-Antoinette-Victoire)
[femme du précédent et mÚre de
George Sand]. V. Delaborde (So-
phie-Antoinette-Victoire), I, 72.
76, 85, 93, 96, 99, 102, 103, 105-
108, 112, 114-124, 126 et suiv.,
177, 179, 188, 205-207, 211, 213,
215-216, 218, 224-228, 277, 279,
334, 338; II, 51, 156, 305, 429-
430 ; III, 162, 448, 450, 489, 504,
505 ; IV, 308, 324, 325, 328, 329,
628.
Duplan, II, 436-437.
Duplessis (James Roetiers du Plessis
ou), I, 216, 219-220, 240, 242,
243, 247 277, 369 ; III, 57 ; IV,
325.
Duplessis (Mme AngĂšle), I, 216, 219-
221, 279 ; III, 57.
Duplomb (Adolphe), surnommé
HydrogĂšne, IV, 121, 336.
Duplomb (Charles), IV, 121.
Dupont (général), I, 85.
Dupont (Pierre), chansonnier, IV,
48, 76, 648.
Dupont-White, III, 17.
Dupuy, Ă©diteur, II, 62-63, 66 ; III,
65 ; IV, 49.
Duquesnel (FĂ©lix), IV, 432-434, 452,
517-520, 628.
Durand (poĂšte-menuisier), III, 293,
312, 313, 317.
Durante, III, 212.
Duris-Dufresne, I, 280, 284, 320,
324-326; II, 178.
Durmont, III, 640.
Du Roure (Scipion), II, 263, 264,
346, 353.
Duse (ĂlĂ©onore), I, 395.
Dutheil (Adolphe), III, 555; IV,
325.
Dutheil ou Duteil (Alexis Pouradier),
I, 72, 281, 284, 286, 306; II, 101,
183, 267, 293-295, 303-304, 309,
313, 315, 353, 428, 436 ; III, 87,
163, 167, 262, 381, 383, 384, 555;
IV, 265.
Dutheil (Mme Agasta), II, 267, 294,
297-298, 300.
Dutheil (Edouard), III, 555.
Duvernet (Mlle Berthe), IV, 265.
Duvernet (Chailes), I, 12, 149, 174,
176, 284, 311, 312-314, 319, 325,
327, 330-332, 334. 405, 419 ; II, 94,
447 ; III, 13, 102, 163, 239, 267,
270, 271, 288, 379-380, 381, 383,
384, 385, 386, 419. 501, 555, 584,
593, 600-602, 605, 606, 618, 619,
639, 685 ; IV, 17, 33, 34, 36, 88,
139, 140, 143, 176-178, 183, 195,
197, 258, 265, 269, 273, 308, 348,
403, 410, 411, 471, 474, 477, 521,
522, 621.
Duvernet (Mme Eugénie), I, 326,
327, 328; III, 501, 584, 592, 593,
600, 601 605, 685; IV, 17, 20,
87, 88, 197, 265, 269, 273, 298,
602.
Dziady (les) de Mickiewicz, III, 81,
186, 187, 188, 203.
Eckstein (baron d'), II, 346.
Eclaireur deV Indre (V), III, 241, 294,
381-394, 396, 397, 398, 408, 652,
695 ; IV, 2, 157, 185.
Education sentimentale, de Flaubert,
IV, 243, 507.
Egger (agent de la Société des gens
de lettres), III, 316.
El Condenado por disconfiado, IV, 299.
El Contraoandista, rondo de Liszt,
II, 339-341.
Elena e Malvina, opéra de Soliva,
IV, 550.
Elisabeth (sainte) de Hongrie, IV,
261.
Elisabeth Pétrowna, impératrice de
Russie, I, 81.
El-Mallorquin, paquebot majorquin,
III, 59-60, 92, 93.
726
GEORGE SAND
Elsner (Joseph), III, 27.
Emile, 1, 108, 136.
Encyclopédie (V) [de Leroux et Rey-
naud], III, 102, 223.
Engelhardt (Mme), née Valentine
Fleury, IV, 532.
Engelson (M.), III, 6.
Engelson (Mme Alexandra), femme
du précédent, III, 6.
Enault (Louis), II, 349 ; III, 468.
Enfantin (le PĂšre), II, 225, 279.
Entractes, de Dumas fils, IV, 498.
Epinay (Mme d'), I, 198.
Epoque (V), III, 488, 659, 662.
Erdan (Alexandre), IV, 216.
Eschyle, IV, 78, 451.
Esquisse d'une philosophie, II, 230-
236, 258.
Essai sur Vindifßérence, de Lamen-
nais, II, 228.
Essai sur la tolérance, de Schaeffer,
IV, 425.
Estafette (V), IV, 233, 234.
Esterhazy (prince), II, 214.
EtĂšve, IV, 40.
Eugénie (impératrice), née comtesse
de Montijo, IV, 238, 241-244, 248,
258, 369, 418 (« Euphémie »), 436,
464, 467, 468, 506, 535.
Euripide, IV, 78.
Evénement (F) IV, 145, 269, 487.
Everard, II, 135; III, 660. Voir
Michel de Bourges.
Extinction du paupérisme (Sur V), I,
20; IV, 254.
Fabas, III, 243, 260.
Faguet (Emile), I, 41, 42,
Falempin (homme d'affaires de
G. S.), III, 267, 404, 485, 590, 631,
632, 640 ; IV, 290.
Fallier, II, 85.
Fanchette (l'orpheline), III, 374-
383, 467,
Faujoux, IV, 177.
Faure (Emile), IV, 513.
Faust, III, 186 ; IV, 126, 137.
Faute (la) de Vallé Mouret, I, 428;
Favre (docteur), IV, 595, 597, 598,
601, 606, 607-610, 612, 619, 622-
627, 629.
Favre (Jules), IV, 42-45, 80, 86, 94,
115, 117, 335, 519, 552.
FĂ©mina, IV, 646.
Femmes (les) à l'Académie, par S.,
IV, 437.
FĂ©nelon, III, 320, IV, 630.
Fenoux, IV, 646.
Fenoyl (comte de), I, 294.
Fernand (Mlle), artiste dramatique,
IV, 170.
Ferri-Pisani (général), R7, 465, 517.
FerriĂšres (Mme de), I, 122.
Feuillet (Octave), ĂŻ, 1 ; IV, 430, 439,
440.
Fidao (M.) ,111, 17»
Fieltsch, III, 119.
Figaro (le), I, 319, 325, 330, 331,
336, 341; II, 230; IV, 43, 141,
296, 323, 532, 622, 626, 629.
Filon (Augustin), I, 399-400.
Fils (le) naturel, d'Al. Dumas fils,
IV, 479.
Flaubert (Gustave), I, 71 ; II, 60 ;
IV, 240-243, 278, 279, 300, 302,
413, 418, 427, 429, 432, 434, 451,
465, 500, 501, 503-509, 615, 617,
522, 523, 525, 530, 539, 540, 544,
545, 551, 552, 553-556, 657-563,
593, 618, 624, 626, 629.
Flaubert (Mme), IV, 600, 507.
Flaugergues (Mlle Pauline), I, 439.
Flavigny (Mme de), III, 282.
Flavigny (M. de), III, 283.
Flayner (la famille), III, 218.
Fleury (Alphonse) = [le Gaulois],
I, 284. 312-315, 319, 327, 405;
II, 94, 210, 315; III, 102, 163,
380, 381, 383, 384, 603, 639 ; IV,
39, 40, 41, 44. 49, 140, 174, 183,
185, 186, 189, 191, 195, 197, 215,
521, 536.
INDEX DES NOMS CITES
727
Fleury (Laure) née Decwf z, II, 267 ;
IV, 221, 454, 522, 550.
Fleury (Nancy), IV, 427, 454, 474.
Fleury (Valentine). V. Mme En-
gelhardt.
Flocon (Ferdinand), III, 392 ; IV, 2,
42, 91, 92, 133.
Flotow (von), II, 349.
Foë (Daniel de), II, 409.
Fontana (Jules), III, 54, 58, 61, 62,
73, 77, 79, 89, 108, 109, 119, 171,
181, 434-437, 438, 522, 622-624.
Forçats (les) pour la foi, par Atha-
nase Coquerel, IV, 472.
Fortoul, IV, 194.
Foucher (Paul), II, 28-29 ; IV, 274.
Fourier, I, 26 ; III, 115, 241.
Fournie! (docteur), I, 141,
Fournier (Marc), IV, 274,
Foy (général), I, 254.
Français, 1, 1.
France (Anatole), I, 141,
Franchomme (le violoncelliste), II,
349 ; III, 119, 488, 492, 558, 624.
François (Ferdinand), III, 197, 369,
383, 384, 401, 402, 403, 406 ; IV,
216.
Frankfurter Zeitung (Gazette de
Francfort), III, 135, 136.
Franklin (Benjamin), I, 159, 412;
II, 174 ; III, 7.
Frankl (Auguste), III, 146, 147.
Frankl-Hochwart (docteur Bruno),
III, 147, 152, 154, 155, 156-157.
Franzos (Charles-Emile), III, 157.
Frédéric- Adolphe, roi de SuÚde, IV,
305.
FrĂ©dĂ©ric-Guillaume (le grand Ălec-
teur), I, 80.
Frédéric-Guillaume II, I, 80.
Frédéric-Guillaume III, I, 80.
Frédéric-Guillaume IV, IV, 138.
Frédéric I" (roi de Prusse), I, 80.
Frédéric II, III, 132, 346, 350, 351,
352 ; IV, 304.
Frédéric, habitant de La Chùtre, IV,
476.
Frédérique - Sophie, princesse de
Prusse, IV, 304.
FreiziĂšre (M.), [gendre de Pierre Le-
roux], III, 414.
Frémann, acteur, IV, 455.
Fromenteau (C), républicain d'L>
soudun, IV, 215, 230.
Fromentin (EugĂšne), 415, 453.
Fromentin (Mme), IV, 469.
Fruits (les) de la science, par TolstoĂŻ,
IV, 648.
Fumée (la), par Tourguéniew, IV,
547.
Gaëtana, par About, IV, 465.
Gaillard, I, 251,
Gaßté (théùtre de la), IV, 168, 275,
292, 458.
Galitzine (les princes), I, 195*
Galitzine (princesse), III, 562, 565.
Gall, II, 250 ; III, 210,
Galle ( Julien), II, 280 ; IV, 485,
Gambetta, IV, 523,
Garcia (Manuel), II, 339, 343.
Garcia (Mme), femme du précédent,
mĂšre de Mmes Malibran et Viardot,
III, 213-214, 491,
Garcia (Maria) = la Malibran8
Garcia (Pauline), v. Mme Viardot
(Pauline),
GarczynsM, III, 195, 197.
Garibaldi (Guiseppe), III, 222 ; IV,
369.
Garibaldi-Locatelli, II, 68, 74, 78,
86, 88, 92,
Garnier-PagĂšs (Ătienne-Joseph-
Louis), III, 394 ; IV, 42, 93.
Garrik, IV, 326.
Gaubert (le D'), III, 95,
Gaubert (le Dr) [jeune], III, 163.
Gautier (Judith), IV, 648.
Gautier (Théophile), I, 1; II, 15;
IV, 454, 524.
728
GEORGE SAN'D
Gavarni, 1, 1.
Gay (Delphine) [v. Mme de Girar-
din).
Gay (Mary), III, 281.
Gay (Sophie), III, 281.
Gayard, I, 131.
Gaymaxd, III, 300.
Gazette de Saint-PĂ©terslourg (la),
III, 211.
Gazette Oderoise, IV, 136.
Gazette Rhénane (Nouvelle), IV, 133,
134, 135, 136.
Gazonneau (la dame), III, 375, 376.
Général (le) Dourakine, de Mme de
SĂ©gur, IV, 547.
GeneviĂšve (sainte), III, 592.
GĂ©nie du Christianisme (le), I, 184,
187.
Genlis (Mme de), I, 105, 175.
Geoffroy, acteur, III, 592 ; IV, 171.
Georges (Mlle), IV, 634
Georges - Guillaume (Ă©lecteur de
Brandebourg), I, 80.
Geraldi, chanteur, IV, 333.
Gerbet (abbé), II, 226.
Germaine (la), par Ed. Cadol, IV,
416.
Gerson, 1, 186-187, 428.
Gessler, IV, 630.
GĂ©vaudan (Gustave de), II, 267,
325, 355, 364, 367.
Gilland (JĂ©rĂŽme-Pierre), I, 72 ; III,
102, 293, 297, 298, 309, 314, 316,
319-331 ; IV, 35, 49, 88, 89, 103.
Gilland (FĂ©licie). V. Magu (FĂ©licie).
Girardin (Emile de), I, 78 ; II, 372 ;
III, 283 ; IV, 10, 243, 255, 290,
498, 618.
Girardin (Mme Delphine de), I, 326 ;
II, 372 ; III, 128, 129, 280, 281,
612 ; IV, 437.
Giraud, dessinateur, III, 503.
Girault (docteur), IV, 230.
Girerd (Frédéric), II, 184, 186, 265,
267, 431, 434-437 ; III, 110, 323 ;
IV, 21, 26, 27, 51, 58, 60, 80,
116, 118, 124.
Girerd (Cyprien), fils du précédent,
II, 435.
Giroux, I, 294.
Glazounow (Alexandre), III, 35.
Glinka (Michel), I, 63.
Glole (le), II, 179.
Gluck (Christophe Willibald), III,
212, 215.
Glûmmer (Mme Charlotte), III, 146.
Gobert (prix), IV, 435.
Godefroy, III, 686.
Godoy, prince de la Paix, I, 101.
Goethe, I, 46, 65, 134. 403, 429 ; II,
9-10, 22, 163, 452 ; III, 178, 186,
187, 631.
Goethe et Bettina, par SĂ©bastien
Albin, IV, 163.
Goetz de Berlichingen, II, 141 ; III,
186, 187.
Gogault, I, 130.
Gogol, I, 27, 352; IV, 547.
Golovine (ambassadeur russe Ă Ber-
lin), III, 351.
Golovine, révolutionnaire, IV, 133.
Gomez (senor), III, 60, 69.
Goncourt (Edmond et Jules de), I,
71, 349 ; IV, 346, 539.
Goniec polski, journal polonais, IV,
276.
Gorki (Maxime), III, 389, 684.
Gossot (Emile), III, 307.
Gouin, IV, 44, 411.
Gounod (Charles), IV, 274
Gozlan (LĂ©on), I, 1.
Grammont (Mlle de), IV, 393.
Grandeffe (M. de), III, 564
Grandsaigne (v. Ajasson de Grand-
saigne).
Grenier (Edouard), I, 51, 389, 410 ;
II, 15, 16, 93, 97, 116 ; III, 121-
122, 466; IV, 391.
Greppo, IV, 174, 193, 196, 197, 199,
203.
Gresset, I, 311.
Grévy (Jules), II, 110.
GriboĂŻedow (Alexandre), I, 271.
INDEX DES NOMS CITĂS
729
Grigorowitch (Dmitri Wassiliéwitch)
I, 27 ; III, 335, 636.
Grimm, IV, 523.
Groiselliez (Mme de), II, 28, 30, 33.
Gros (Antoine-Jean), III, 320.
Grûn (Auastasius) = [le comte
Alexandre d'Auersperg, dit].
Grzymala (Albert), I, 72 ; II, 346,
355, 387, 392 ; III, 43-53, 58, 62,
79, 93, 103, 108, 116, 117, 119, 181,
184, 185-186, 188, 191, 198, 199,
488, 493, 507, 518, 549, 550, 558,
569, 570, 571, 594, 622 ; IV, 618.
Grzyniala (François), II, 387 ; III,
181, 188.
Gnerazzi, II, 89.
Guerre (la) et la Paix, par TolstoĂŻ],
1,174; IV, 393.
Guiccioli (la comtesse de), III, 122.
Guérin (Georges-Maurice de), II. 400.
Guéroult (Adolphe), I, 72 ; II, 122,
179, 180, 183, 243, 278, 280, 283,
298.
Guibert (la famille de), 1, 195.
Guilbert (Anaxagore), III, 619.
Guillaume I", I, 80.
Guillaume Tell, IV, 630.
Guillemat, habitant de La ChĂątre,
474, 476, 477.
Guillemin, soldat, IV, 199.
Guillon (ou Guillot), III, 241-242,
386,402.
Guizot, I, 26 ; III, 179 ; IV, 9, 19,
20.
Gurowski (M.), III, 116.
Gustave III, IV, 306.
Gutmann (Adolphe), II, 349 ; III, 89,
117, 119 ; 593, 594, 625.
Gutzkow (Karl), I, 349, 441; III,
113-115, 174-180, 420.
Guy, pasteur Ă Bourges, IV, 424,
457, 469, 472.
Gymnase (théùtre du), IV, 168, 170,
171, 275, 284, 297, 523.
Gyp (comtesse de Martel, née Mira-
beau = en littérature), I, 321 ;
IV, 389.
Haas (Ferdinand), IV, 540.
Hachette (l'Ă©diteur), III, 307.
Haendel (Georges Frédéric), III, 212,
IV, 288.
Hahn-Hahn (comtesse), I, 441.
Halévy, III, 160.
HalpĂ©rine-Kaminsky (Ălie), III, 40.
Hanslick (Edouard), III, 35.
Eamlet, III, 534; IV, 75.
Hanska (Mme Eve) [V EtrangĂšre],
II, 131, 370, 447, 452 ; III, 116-
117, 283, 426, 427.
Harmand, directeur des théùtres,
IV, 461, 464, 467, 470.
Harrisse (Henry), I, préface 2 ; III,
575; IV, 3, 512, 522, 596, 597,
604, 606, 610-613, 616, 620, 623-
629, 630.
Hasse, III, 335.
Hatin (EugĂšne), IV, 88.
HatrfekL III, 686.
Hausmann (baron), II, 432.
Haussonville (vicomte d'), I, 14, 43
262-295 ; II, 161, 378 ; III, 672,
673.
Hautpoul (le général), IV, 216.
Havin, directeur du SiĂšcle, IV, 363,
364.
Haydn (Joseph), II, 214 ; III, 212,
334, 335, 346-350.
Hays (miss), IV, 6, 15.
HĂ©douin = Yorich, II, 95, 104 .
Hegel, I, 24, 25 ; II, 332 ; III, 222.
Heine (Henri), I, 4, 11, 46, 71, 246,
349, 427; II, 34, 132, 142, 188.
211, 213, 315-346, 350, 441 ; III,
avant-propos, 1, 28, 104, 119, 123,
126-158, 163-164, 165, 178, 280,
283, 284, 285 ; IV, 107. 153, 264,
452, 519.
Heine (Gustave), III, 135, 148, 149-
152, 153, 156, 157.
Heine (Maximilien), III, 134.
Héloïse et Abélard, IV, 351, 355.
73»
GEORGE SAND
Hennicke, accordeur de Chopin, III,
623.
Hennequin, II, 267.
Henri-Auguste (prince de Prusse),
1,80.
Henri V, IV, 210.
Henri (prince de Prusse), IIL 351.
Henselt (Adolphe), III, 421.
Herbert [voir Didier].
Herbet, III, 624.
Hermann et Dorothée, IV, 583.
Hernani, I, 100.
HĂ©roĂŻde funĂšbre de Liszt, II, 222,
388-390, 393.
Heneau (Mme), III, 751.
Herwegh (Georg), III, 178 ; IV, 132,
133, 135, 141-143.
Herzen (Alexandre), I, 30, II, 44,
82 ; III, avant-propos, i, 6 ; IV,
15, 129, 130, 133, 135, 140, 141-
144, 397, 532.
Herzen (Mme Nathalie), IV, 141.
Herzen (Nicolas), III, 6.
Hetzel (Jules) [P. J. Stahl], I, 1, 3,
4; II, 48, 445 ; III, 369-370, 596;
IV, 171, 174, 201, 202, 203-205,
274, 287, 314, 532, 628.
Heylli (Georges d'). V. Poinsot
(Edmond).
Hiller (Ferdinand), III, 28.
Histoire d'Italie, IV, 173.
Histoire d'un crime, IV, 155.
Histoire de dix ans, II, 176; III,
394, 510, 695.
Histoire d'un cheval de TolstoĂŻ, I,
61.
Histoire de Jules CĂ©sar, I, 20 ; IV,
254.
Histoire de la RĂ©volution, par Louis
Blanc, III, 394, 510.
Histoire de la RĂ©volution de 1848,
par Daniel Stern, II, 241 ; IV, 2,
31, 42, 81, 85, 86, 93, 98.
Hoche, IV, 508.
Hoditz (le comte), ni, 346, 348,
349, 350.
Hoesick (Ferdinand), III, 28, 32,
40, 41, 54, 62, 171, 186, 336, 434-
435, 520, 523, 622.
Hoffmann (A.-Th.), II, 150, 355, 358,
360,391; 111,178; IV, 139, 287-
290, 315. 316.
Hoffmann et Kampe, III, 138*
Holbein, HI, 663 ; IV, 638.
Hotebauer(le compositeur), 111^347,
348.
Homme {un) daffaires, de Balzac,
IV, 480.
Horace, le poĂšte, IV, 449, 501,
Horace (les), IV, 75.
Horn (comte de), I, 81-82 ; IV, 336,
Hortense de Cerny, IV: 171.
Hostein (Jules- Jean-Baptiste-Hippo-
lyte), IV, 293.
HĂŽtel de Beauvau, ITI, 94.
Houdon, IV, 412.
Houssaye (ArsĂšne), I, 1, 309-310,
337 ; III, 288, 565.
Hubert (saint), IV, 225.
Hue (Stanislas), I, 216, 221.
Hugo (Victor), I, 71, 100, 313, 320,
322, 332, 375 ; II, 140, 162, 355 ;
III, 138, 283, 414 ; IV, 241, 253,
264, 446-451, 501, 503, 549, 552,
602, 629, 647.
Humboldt (Alexandre de), III, 365.
Huss (Jean), II, 221, 227 ; III, 364,
Huteau (comtesse Fanny d'), née de
La MarliĂšre, IV, 336.
IUcus (les grues d), 376.
Ibsen, I, 443 ; II, 387.
Icarie (V), par Cabet, IV, 71.
Idées (les) napoléoniennes, IV, 156,
254.
Iliade (V), I, 133.
Illustration (V), III, 476, 665; IV,
343, 345.
Impromptu (V) de Versailles, IV, 77,
INDEX DES NOMS CITĂS
73»
Impromptu en la bémol de Chopin,
II, 387.
Indépendance (V) belge, IV, 233, 234,
317.
Ingres, II, 207 ; III, 205, 283.
Invitation Ă la valse (V) [de Weber],
III, 423-424, 440.
Jaccoud (docteur), IV, 608, 608.
Jacqueminot, II, 303.
Jamet, républicain d'Issoudun, IV,
215, 230.
Janin (Clément), III, 165.
Janin (Jules), II, 258, 263, 340, 353,
397, 399, IV, 291, 317, 489.
Januszkiewicz, III, 200.
Janzé (vicomtesse de), I, 46, 47 ; II,
13, 19, 77.
Jasmin (poĂšte), III, 293.
Jaubert (Mme Caroline), I, 52, 73 ;
II, 108.
Jaubert (comte), III, 686, 687.
Jean (saint), I, 168-169; III, 203,
228, 229, 243 ; IV, 148 ; 556, 557,
Jean Chrysostome, III, 243,
Jean de Parme, III, 228.
Jean, domestique de Chopin, III,
493, 508, 541.
Jean-Georges (Ă©lecteur de Brande-
bourg), I, 80.
Jean-Georges III (Ă©lecteur de Saxe),
1,80.
Jean-Sigismond (Ă©lecteur de Bran-
debourg), I, 80.
Jeanne d'Arc, III, 203, 476, 635,
644, 646, 662 ; IV, 261.
Jedrzeiewiz (Joseph Kalasante), III,
473, 474, 486, 487, 508, 540.
Jedrzeiewiz (Mme). V. Chopin
(Louise).
JĂ©rĂŽme de Prague, III, 364.
Jérusalem délivrée (la), I, 133.
Jewsbury (miss), IV, 6.
Joachim de Flore, III, 228,
Joachim-Frédéric (électeur de Bran-
debourg), I, 80.
Jocelyn, II, 255, 258.
Johannot (Tony), I, 428; II, 48;
III, 249.
Joly (Anténor), III, 488, 640, 653.
Jomelli ou Jommelli (Nicolas), III,
212.
Josquin de Pré, III, 212.
Josse (Ursule), I, 104, 140; II, 329;
III, 209.
Joukovsky (W. A.), II, 452.
Journal de la Cour, IV, 233, 235,
236.
Journal des DĂ©bats, II, 179, 397,
399 ; III, 398, 637, 670 ; IV, 16-
21.
Journal des Goncourt, IV, 259, 524,
539.
Journal du Cher, IV, 233.
Journal du Loiret (supplément du),
IV, 14, 30.
Judicis, auteur dramatique, IV, 458.
Juif (le) errant, par Edouard Gre-
nier, IV, 391.
Juif (le) errant, par EugĂšne Sue, III,
641, 646, 647-649.
Jules CĂ©sar de Shakespeare, II, 141,
Julot (Pierre), sabotier Ă La ChĂątre,
IV, 476.
K
Kalergis (Mme), I, 53.
Kampe (Jules), III, 138, 150, 157,
Kant (Emmanuel), III, 222.
Karasowski (Maurice), II, 349 ; III,
27, 28, 54, 62, 78, 171, 471, 594,
622.
Karlowicz (Meczislas), III, 26, 28,
419. 472, 474, 480, 497, 498, 499,
505, 522, 581, 584, 621, 625.
Karpeles (Gustave), III, avant-pro-
pos, il, 133, 137.
Karr (Alphonse), 1, 1.
Kaunitz (le comte), III, 348.
Keepseake (le), IV, 375.
732
GEORGE SAND
Keinpis [A] (Thomas), I, 13.
KĂ©ratry (comte de), I, 309, 324.
KĂ©ratrv (comte Em. de), [fils du
précédent], I, 325.
Kertbeny, II, 13, 107.
Kinkei, IV, 142.
Kirpitchnikow (le professr A.-L), I,
188.
Kisselew (comte), IV, 130.
Kjerkegaard (SĂŽren), I, 59, 60, 63,
Kiiigge (l'Illuminé), III, 357.
Koch (le Dr), III, 69.
KĆnigsmark (Aurore, comtesse de),
I, 80-81, IV, 303.
Kollar (Jan), III, 195.
Kologrivoff (Mlle VĂ©ra de), III, 119.
Komar (Mine la comtesse de), III
120.
Koni (Anatole Th.), III, 459.
Kosciuszko (Thadée), III, 181.
Kossuth, IV, 145.
Kotzébue, I, 341.
Kourroglou, III, 268.
Krasinski (Sigismond), III, 181,
190, 191, 195, 197.
Kreyssig, I, 43.
Krzyzanowska (Justine), V. Chopin
(Justine).
Kury&r Warszawski, III, 594, 625,
LabruyĂšre, I, 188.
La Chapelle, Ă©diteur, III, 640, 648.
Lacordaire (le PĂšre), II, 226.
Lacouture (Mme), II, 122,
Lacoux (de), I, 181.
Lacroix (Albert), I, préface, 2 ; III,
avant-propos, i ; IV, 498.
Lacroix (Clarisse), I, 242.
Ladmirault (général), IV, 432, 434.
Ladvocat (l'Ă©diteur), III, 413 ; IV,
330.
Laffore (de Bourousse de), IV, 532,
534.
La Fontaine (Jean de), III, 311,
317 ; IV, 335.
Lafontaine, artiste dramatique, IV,
284, 433.
LaiorĂȘt, IV, 78.
La Forge (Anatole de), IV, 363, 364,
365, 369, 370.
Lagrange (comtesse de), II, 109.
LahautiĂšre (M.), III, 386.
Laisné (Alfred), III, 384.
Laisnel de la Salle, III, 665.
Lalauze, III, 451.
La-Mara (Mme), I, 11 ; II, 211, 242,
349, 373, 375.
La MarliĂšre (Mme de), 1, 122.
Lamartine (Alphonse de), I, 317 ;
II, 219, 255, 258, 347; III, 13,
240, 267, 268. 295, 310, 369, 385,
386, 413 ; IV, 20, 42, 72, 74, 93,
108, 336.
Lamber (Juliette). V. Adam (Mme).
Lambert (Alexandre), III, 328, 386,
398; IV, 49, 88, 174, 192, 195,
196, 209, 215, 221, 230, 235, 236.
Lambert (EugĂšne-Louis), III, 419,
478, 501, 509, 512, 546, 589, 590,
592, 681 ; IV, 46, 88, 89, 96, 140,
150, 186, 231, 232, 266, 267, 268,
273, 287, 340, 358, 360, 485, 504,
522, 538, 540, 624.
Lambert (Marie) [femme d'Al. Lam-
bert], IV, 221.
Lambert (Marie), actrice, IV, 269,
405.
Lamberto, II, 88.
Lamennais (Félicité de), 1, 41, 43, 71,
166, 168, 169, 417, 434; II, 161,
175, 181, 186-187, 212, 216, 219,
225, 227, 228, 230-231, 232-234, 235,
236-240, 243, 250, 309, 345, 346,
350, 370, 394-395, 397, 399, 401,
405, 417, 451, 455 ; III, 2, 7, 14,
31, 81, 95, 104, 120, 123, 129, 137,
219-222,234, 235, 236-237, 238,
242, 257, 268, 306, 333, 337, 368,
369 ; IV, 362.
La Messine (Alice), dite Topaze, de-
venue Mme Paul Segond, IV, 419,
526, 527, 528, 536, 537, 544.
INDEX DES NOMS CITĂS
733
La Messine (M.), IV, 523.
LamoriciÚre (général), IV, 172.
Lancosme BrĂšves (le comte Savary-
de), III, 501, 503.
Landrin, IV, 86.
Landolphe, III, 237,
Langhans (docteur W.), I, 54.
Lapaire (Hugues), IV, 524, 652, 655,
659.
Laperrine (L.), IV, 230.
Lapointe (Savinien), III, 268, 292,
295, 297, 317.
Laprade (Victor de), III, 262, 263,
501, 502-504, 538, 539; IV, 621.
Laprade (Mlle de), III, 504.
Lardin de Musset (Mme Hermmie),
I, 50 ; II, 212.
La RiviĂšre (docteur de), I, 81, 82.
Laroche (Hermarm), III, 35.
La Roche-Aymon (la famille de), I,
195.
La Rochefoucauld (François de), IV,
547.
La Rochefoucauld (SosthĂšnes de),
II, 57, 188, 254 ; III, 137.
La Rochejaquelein (Laurence de),
IV, 510, 511.
La Rochejacquelein (Louise de), IV,
395, 510, 511.
La Rochejacquelein (marquise de),
IV, 510, 511.
La Rochejacquelein (M. de), IV,
511.
La Rounat, IV, 453, 460, 462, 468,
470, 491.
Lasnier, II, 186.
Lassalle (graveur), II, 34.
Lasso (Orlando), III, 212.
Latouche (Alexandre - Hyacinthe
Thabaud, dit Henri de), 1, 72, 194,
309, 319, 320, 324-329, 330, 333,
339-341, 384, 393, 435-439, 440,
447; II, 13, 17, 165; III, 102,
268, 280, 281, 369, 386, 404, 452,
454, 492, 501, 537, 538, 639, 640,
641, 642, 650, 651, 652-655, 660,
663, 668, 670 ; IV, 521, 581.
Latour, I, 349.
La Tour d'Auvergne-Lauraguais( de),
archevĂȘque de Bourges, IV, 623,
627.
La Treyche (abbé de), I, 441-442.
Latte (Bernard), IV, 243.
Laube (Henri), II, 213; III, 129,
132, 133, 134, 137, 138, 153, 420.
Laur (Francis), IV, 304, 356, 403,
404, 423, 491, 497, 522, 533.
Laurent (Marie), IV, 289, 295, 415.
Lauth (Mme Aurore) [V. Sand (Au-
rore)], I, préface, 3, 349 ; III, avant-
propos, i.
Lauzun, II, 33, 43.
Lavallée, I, 1.
Lavater, IL 250 ; III, 210 ; IV, 321,
322.
Laville-au-Roy, IV, 215.
La Villemarqué (M. de), III, 665.
Law (JohnĂŻ, IV, 263.
Lebarbier de Tinan (Mme), IV, 522.
Lebeau, habitant de La ChĂątre, IV,
476.
Lebert, notaire, républicain, IV, 174,
186, 191, 230.
Leblois (Louis), pasteur, IV, 420,
424, 469, 470, 596, 621, 630, 631.
Leblond (Marius-Ary), IV, 3.
LĂšbre (M.), III, 197.
Lebreton (poĂšte), III, 293, 312, 313,
317.
Lecomte (Jules), IV, 281, 282, 283,
284, 317.
Leconte (Marie), IV, 635, 636.
Leconte de Lisle, IV, 451.
Lecordier, I, 228.
Lecou, Ă©diteur, IV, 661.
Lecouvreur (Adrienne), I, 81, 149 ;
IV, 634.
LĂ©cuyer (Raymond), IV, 663.
Ledieux (F.), III, 503.
Ledru-Rolnn (Alexandre), I, 15 ;
III, 328. 391, 392, 396 ; IV, 2, 26,
35, 40, 42, 43, 44, 46, 47, 50, 63,
74, 76, 80, 86, 89, 90, 91, 92, 114,
734
GEORGE SAND
115, 116, 118, 119, 141, 145, 167,
174, 519.
Legouvé (Ernest), IV, 81.
Leibnitz, 1, 188, 190, 240, 249 ; III, 2,
10, 11, 178, 456 ; IV, 350.
Leleux (Adolphe), peintre, IV, 269.
LeliĂšvre (Edouard), habitant de La
ChĂątre, 230, 476.
Lemaßtre (Frédéric), I, 322 ; IV, 284,
286.
Lenau (Nicolas von Strélénau, dil),
11, 343 ; III, 139.
Leneveux, IV, 35.
Lenz (Wilhelm von), I, 349 ; III. 171,
420-427, 522.
LĂ©o (Auguste), III, 65, 66, 120, 150.
LĂ©on X, IV, 366.
LĂ©on XIII, II, 229.
LĂ©opold Ier, roi des Belges, IV, 223.
Leprévost, actrice, IV, 453, 463.
Lerminier, I, 169 ; II, 46, 395 ; III,
210, 220, 237, 293, 312, 313.
Lermontow (Michel), I, 46, 54, 256 ;
II, 9. 134, 140, 164.
Leroux (Achille), III, 322, 323, 324,
325.
Leroux (Pierre). I, 14, 22, 72, 166,
168, 169, 417, 434; II, 124, 163,
346, 374, 392, 440, 442-444, 457,
458 ; III, avant-propos, n, in ;
III, 2-23, 68, 80, 81. 86, 95, 96,
102, 120, 123, 136, 138, 181, 182,
187, 189, 196, 202, 217-221, 226,
230, 231, 235, 236-245, 255, 256-
272. 293, 297, 322, 323, 324, 325,
329, 332, 333, 337, 357, 358, 359,
361, 362, 366, 367, 368, 369, 370,
386, 396, 398-417, 426, 428. 456.
470, 475, 478, 482, 492, 521, 538,
624, 626, 645, 649, 663, 671 ; IV,
14, 33, 81, 90, 91, 93, 107, 111,
132, 174, 197, 200, 216, 217, 360,
522, 617. -
Leroux (Jules), III, 260, 409, 412,
413, 414.
Leroux (Charles), III, 414; IV
174.
Leroy (Zoé), I, 72, 205, 254-255,
258, 269, 273-274, 277, 279, 294,
296-298, 300, 310, 344, 404-406,
407 ; II, 315 ; IV, 323, 325, 326,
Leroy (le préfet de l'Indre), III, 387,
Leroyer de Chantepie (Mlle), II, 311 ;
III, 240 ; IV, 349, 427, 428.
Lescure (de), II, 13 ; IV, 510.
Lessing, I, 169; III, 9, 221, 223,
226.
Lettres d'un Bachelier Ăšs-Musique, II,
244, 245, 251, 266, 367, 393.
Lettres républicaines de Daniel Stem,
II, 241.
Lettres sur l'Espagne de Charles Di-
dier, II, 185.
LĂ©vy (Calmann), I, 42, 189 ; IV, 624,
625.
LĂ©vy (Michel). IV, 339.
Levallois (Jules), I, 410 ; II, 38.
Lewald (Auguste), III, 28, 127, 131.
Lewald (Fanny), IV, 693.
Lhomond (H.), IV, 336.
Liberté (la), journal, IV, 243, 507,
513, 514.
Ligier. delà Coniédie-Française, IV,
48.
Liniayrac (Paulin), IV, 351, 354.
Lindau (Paul), I, 7, 41, 46, 48, 51,
53-55, 59; II, 6, 13, 20, 25, 26,
29-30, 40-45, 52-53. 58. 68-69,
71-72, 77, 93, 96, 107, 117, 120,
125, 128-129, 130, 132-134, 137-
138.
Liotard, curé, IV, 174, 215.
Liprandi, I, 32.
Liszt (Franz), I, 12, 43, 70, 72, 169,
321, 403, 434, 444; II, 124, 135,
146, 152, 161, 175, 184, 186-188,
209-211, 216-227, 230, 236-260,
263, 266, 267, 300, 309, 324 et
suiv. Ă 346, 349-353, 356.360, 362-
363, 367-369, 370, 372-378, 388,
390-393, 394-395, 401, 427, 451 ;
III, 2, 6, 28, 29, 32. 33, 36, 37. 38,
39, 89, 96, 137, 138, 139, 143, 164,
184, 202, 204, 269, 278, 282, 283,
291, 333, 421, 422, 423, 424, 425,
âą 441, 442, 449, 513, 520, 522, 524 ;
IV, 232, 287, 321, 322, 337.
INDEX DES NOMS CITĂS
735
Liszt (Mme), IL 188 ; III, 282.
Livre (le) de V Humanité, par Pierre
Leroux, III, 7-10, Il ; IV, 423.
Livre (le) du peuple, par Lamennais,
II, 229, 395.
Locke, I, 188-190, 240.
Lockroy (Paul), IV, 46.
Lointier, II, 38.
Lombroso (CĂ©sar), IV, 15.
Loménie (Charles de), I, 180, 411.
Loménie (Louis de), I, 41, 42, 245,
249, 261, 288 ; H, 170 ; III, 115-
116, 208-211, 420.
London Telegraph (the), IV, 240.
Loti (Pierre), IV, 547.
Louis XIII, I, 175; IV, 355.
Louis XIV, IV, 560.
Louis XV, I, 81-82.
Louis XVI, I, 253 ; IV, 57.
Louis XVIII, I, 125, 146, 148.
Louis-Philippe, I, 26 ; II, 226, 303 ;
III, 389, 693 ; IV, 33, 54, 156,
166, 253, 558.
Louise Tardy, par Louis Ulbach, IV,
499.
Lowicz (Jeanne, comtesse de), III,
27.
Loyson (le PĂšre Hyacinthe), III,
443 ; IV, 256, 257, 429, 467.
Lucas (Hippolyte), III, 192.
Lucas (Jean-CĂ©sar), soldat, IV, 199.
Luce, jeune Berrichonne, III, 600,
558, 559, 641.
LucrĂšce de Ponsard, III, 552.
Ludre-Gabillaud (Antoine), IV, 477.
Ludre-Gabillaud, avoué à La Chùtre,
IV, 411, 477, 497, 605, 609, 626.
Ludre-Gabillaud (Mme), IV, 470,
477.
Luguet (famille), IV, 239.
Luguet (Mme), II, 116.
Luguet, IV, 469.
Lumet (J.-B.), vigneron d'Issoudun,
III, 328, 398 ; IV, 174, 192, 209,
230, 231, 235, 238, 652.
Lumet (H. ou L), IV, 652.
Lumet (Mme), IV, 221, 222,
Luneau (François), dit Michaud, II,
121.
Luther, III, 239.
Lyell, célÚbre géologue, IV, 413.
Lyon, piĂšce de Liszt, II, 239.
Mably, 1, 188, 190, 311.
Machiavel, IV, 547.
Macready (W.-L.), III, 555; IV,
298, 299.
Madame Bovary, IV, 242, 278, 375,
507.
Madame Sans- GĂȘne, I, 111.
Madeleine-Sybille (Ă©lectrice de Saxe),
I, 80.
Madonna délia sedia, III, 693.
Maderolle, républicain de Chùteau»
roux, IV, 215.
Magasin pittoresque, IV, 288, 357,
372.
Magen (Hippolyte), IV, 486.
Magendie, I, 254.
Magnitsky, I, 32.
Magny, restaurateur, IV, 497, 504,
508, 522, 539.
Magu, I, 72 ; III, 102, 293, 296, 297,
298, 305, 308-319, 320, 321, 326,
330, 652 ; IV, 239, 3S9.
Magu (FĂ©licie, dame Gilland), III,
309, 314, 321, 322, 329, 330.
Magu (« la mÚre »), III, 308, 309, 314,
320.
Mahomet II, III, 476.
Maillard (Louis), II, 117 ; IV, 403,
404, 417, 423, 460, 478, 485, 486,
488, 492, 494, 501, 507, 522, 660,
617.
Maillard (Mme), IV, 423, 486.
Maillaud, peintre, IV, 653.
MaĂŻnow (Wladimir), III, 364-365,
Maistre (Joseph de), IV, 167, 295,
MaĂźtre Floh, par Hoffmann, IVf
316.
73<5
GEORGE SAND
Majorque (l'Ăźle), III, 55-100.
Malade (le) imaginaire, I, 174; IV,
75.
Maleteste (de), I, 122.
Malibran (Mme), I, 321; II, 339;
III, 139, 176 ; IV, 299.
Mallefille (FĂ©licien), II, 267, 355,
369, 431, 432, 438, 442-445, 447,
457 ; III, 43, 45, 48, 50, 51, 53,
182, 184, 245, 287,
Malus (baron), I, 247.
Manceau (Alexandre-Damien), II,
34, 353; III, 630, 686; IV, 89,
140, 149, 150, 151. 171, 172, 186,
232, 233, 255, 273, 289, 290, 30/,
308, 316, 340, 341-347, 349, 356,
360, 371-373, 375-380, 385-387,
397-399, 403-408, 411, 420, 431,
442-443, 446, 447, 452, 453-460,
462, 467, 468, 470-473, 478, 485,
486, 488, 489, 490-504, 532, 549,
567, 568, 571, 572, 574, 617, 620.
Manceau (Laure). IV, 491, 495, 496,
497.
Manceau (pĂšre), IV, 495, 496.
Manfred, II, 141 ; III, 186.
Manin, IV, 363, 364, 365, 366, 368.
Manon Lescaut, II, 196.
Manzo, II, 31.
Manzoni (Alexandre), III, 222.
Mara (Ălisabeth-Gertrude), III, 333.
Marat, IV, 94, 508.
Marc-AurĂšle, III, 320.
Marceau, III, 427, 557.
Marcel (Henry). IV, 646.
Marceline, voir Une journée à Dresde.
Marcello (Benedetto), III, 212, 335.
Marchai (Charles), I, 72, IV, 405,
406, 454, 464, 491, 628.
MarcJiand (le) de Venise, II, 426.
Marche funĂšbre, de Chopin, III, 35,
90; IV, 286.
Maréchal (Armand-Jean-Louis), I,
76, 93, 209, 223, 228.
Maréchal(Mme Marie-Lucie), née De-
laborde, I, 76, 223, 250; IV,
350. [Voir Delaborde.]
Maréchal (Clotilde), fille de la précé-
dente, I, 94, 97. 99, 250; IV. 169,
171.
Margollé (les), IV, 411.
Maria-Antonia, ménagÚre à Ma-
jorque, III, 74, 84.
Mariage (le) de Figaro, de Beaumar-
chais, IV, 277.
Marie, avocat, membre du gouver-
nement provisoire, III, 323, 324,
325 ; IV, 42.
Marie-Amélie, reine de France, III,
313.
Marie-Antoinette, reine de France,
I, 84 ; II, 307. 319, IV, 660.
Maiie-Josepha de Saxe, la Dau-
phine, I, 80.
Marie Stuart et Rizzio, IV, 357.
Marie-ThérÚse, impératrice d'Au-
triche, III, 348.
Mariéton (Paul), I, 47, 51, 70, 72 ;
II, 2, 13, 16, 68, 74, 88, 97, 102,
118, 122-123, 125, 136.
Marion de Lorme, III, 464,
Marivaux, IV, 78.
Marliani (Mme Charlotte), II, 346-
370-371, 432, 438, 457; III, 16,
21 22 23, 42, 53, 58, 60, 62, 78,
79', 80, 93, 94, 95, 96, 97, 101, 102,
103, 104, 107, 109. 120, 121, 122,
163, 172, 211, 217, 218, 219, 230,
231, 233-234, 235, 236, 237, 238,
243 244, 245, 259, 260, 261, 262,
263, 265, 282, 325, 361, 381, 405,
408, 418, 419, 420, 422, 423, 425,
426, 430, 455, 466, 467, 475, 477,
478-481, 483-487. 489, 490, 492,
493, 494, 498, 499, 501. 507, 529,
537, 544, 545, 549, 551, 552, 563,
567, 585. 591-593, 600, 625 ; IV,
19, 82, 112, 113, 313.
Marliani (Manoel), III, 56, 63, 67,
79, 482, 484, 490, 492.
Marliani (Enrico), III, 56, 79, 483,
485, 490, 492.
Marinier, IV, 306.
Marmontel (Antoine-François), III,
522.
INDEX DES NOMS CITĂS
737
Marrast, IV, 93, 108.
Mars (Mlle), I, 394; III, 1G2. IV,
634.
Mars (M. de), III, 158.
Marseillaise (la Nouvelle) ou La
Jeune RĂ©publique. IV. 76.
Martin (Alexis), II, 166.
Martin, d'EugĂšne Sue, III, 503.
Martin (Fulbert), III, 328, 398 ; IV,
139, 150, 174, 191, 197, 204. 215,
218, 221, 235, 340, 344, 486, 487,
488, 617.
Martin (de Strasbourg), IV, 197.
Martin (Henri), III, 328, 398, 445,
635 ; IV, 32, 363, 364, 367.
Martin (avoué), II, 323.
Martin V (le pape), III, 363, 365.
Martin ou Martins (les demoiselles).
III, 118, 449.
Martine (Mme), ouvreuse, IV, 624.
Martineau-Deschenez (Auguste), II,
339, 347, 439.
Martini (padre), III, 212.
Martinowiez (L'illuminé), III, 357.
Martins (M.), III, 491.
Marx (Karl), IV, 133, 135.
Masséna, I, 85.
Mathé (Mme), IV, 197.
Mathilde (princesse). IV. 255, 346,
435, 437, 464, 465, 522.
Matron, cocher, IV, 461.
Matron (Mme), IV, 197.
Matuszinski (le Dr Jean), III, 58,
62, 64, 65, 66, 111, 119, 181, 470,
497, 623.
Maugras (Gaston), I, 83.
Maupas (Alexandre), IV, 177, 186,
235.
Maupassant (Guy de), I, 142, 180,
433 ; II, 3, 461 ; IV, 504-505.
Maurice de Saxe, I, 80-81, 89, 90,
149 ; III, 454 ; IV, 112, 335, 336.
Maury, IV, 243.
Mayeux (le), bateau, IV, 151.
Mazade (Charles de), 1, 12 ; IV, 322,
337.
Mazgana (l'Ă©diteur), III, 369, 40?i
Mazzini (Giuseppe), III, 398, 410,
573; IV, 6, 7, 8, 9-16, 20, 112,
132, 141, 142, 145.
Mazurka (la) en mi mineur, de Cho-
pin, III, 89.
Mazurkas op. 41 de Chopin, III, 104.
Mazurkas (Trois) de Chopin, op.
63, III, 501.
Meck (Mme N. de), III, 204.
MĂ©dard (saint), III, 203.
Meillant, fermiers de Nohant, III,
383, 487.
Meillant (Françoise), III, 478, 507,
508, 609, 559.
Méléagre (le), navire français, III,
93.
MĂ©lingue, IV, 453, 455.
MĂ©moires de Duquesnel, IV, 406.
517-520.
MĂ©moires de Herzen, IV, 135, 140.
Mendelssohn (FĂ©lix), III, 37.
Mendizabal, III, 57, 65, 480.
Ménélas, III, 284.
Mercadet, de Balzac, IV, 263.
Mercier, II, 339, 441.
Mercier, habitant de La ChĂątre, IV,
476.
MercĆur (Ălisa), III, 293.
Mercuri, II, 153, 399.
Mérimée (Prosper), I, 384, 397, 399-
403, 410 ; II, 41, 169, 387 ; IV, 101,
102, 103, 111, 435, 540, 541.
MĂ©ritens (Louis de), III, 281.
MĂ©ritens (Mme Horteuse Allart de)
[v. Ă ce nom], III, 281.
Merlin (comtesse), III, 129 ; IV, 156,
Merruau, III, 659.
MĂ©ry (Joseph), I, 1.
Messager de VEurope, IV, 170.
MĂ©tastase ou Metastasio (Pierre-Bo-
naventure), III, 334, 335, 348.
Meure, procureur Ă Clamecv. IV,
336.
Meurice (Paul), IV, 315, 318, 504,
509; 602, 624, 629, 646.
47
733
GEORGE SAND
Meyerbeer (Giaconio), I, 72 ; II, 135,
252, 339, 350, 390; III, 33, 39,
119, 135, 140, 143, 157, 421, 592 ;
IV, 321, 322.
Meyrueis (l'Ă©diteur), III, 306.
Michaux (procureur Ă Fontaine-
bleau), III, 313.
Michel-Ange, III, 205, 524, 688.
Michel de Bourges, I, 44, 71, 72, 166,
168, 223, 226, 233, 251, 264-265,
276, 361, 417, 434 ; II, 124, 161,
175-210, 242, 243, 246, 249-250,
260-267 et suiv., 295, 305-309,
315-320, 345, 353-355, 367, 379,
392, 395, 417, 419, 420, 431, 433,
435-439 ; III, 2, 14, 15, 245 ; IV,
27, 28, 51, 321, 322, 519.
Michelet (Jules), III, 192.
Michiels (Alfred), II, 365.
MicMewicz (Adam), I, 169 ; II, 164,
345-346, 350 ; III, avant-propos, i,
81, 119, 181-204, 208, 268, 333,
371, 425, 469 ; IV, 463, 578.
MicMewicz (Mme CĂ©line), III, 185.
Mickiewicz (Ladislas), III, avant-
propos, ii, 182, 183, 190, 191, 192,
202 ; IV, 276.
Mignet, I, 402 ; IV, 101.
Mignon, aux Variétés, IV, 171.
1870 [Mil huit cent soixante-dix,
piÚce du théùtre des marionnettes
de Maurice Sand], IV, 418.
Mill (John Stuart), III, 5, 6.
Mille (Pierre), III, 441-442.
Millet (Aimé), IV, 632, 645, 667.
Millet (Jean-François), IV, 585, 644.
Milton, I, 188-189.
Minoret, II, 76.
Miou-hu-shi-Kaou (chef des Joways),
III, 373-374.
Mirabeau, II, 318.
Mir Bogy, revue russe, IV, 633.
Mirecourt (EugĂšne Jacquot, dit Eu-
gĂšne de), I, 41, 42, 47, 390 ; II, 13,
107 ; III, 31, 238, 255 ; IV, 6.
Mirés (Jules-Isaac), banquier, IV,
290.
Misanthrope (le), I, 202.
Mode {la), I, 330, 331.
MoĂŻse, III, 9, 203, 239.
MoĂŻse, de Rossini, I, 322.
Moissonneurs (les), tableau par LĂ©o-
pold Robert, IV, 654.
MoliĂšre, I, 174-176, 189, 342 ; III,
105, 553, 554, 679 ; IV, 78, 266,
269, 270, 271, 448, 634.
Mollier (FĂ©licie), I, 283,-
Mondange, soldat, IV, 199.
Monde (le), II, 185, 397, 398.
Monde (le) illustré, IV, 355.
Mongolfier (Mme), III, 59, 269.-
Monin (Hippolyte), IV, 4, 5, 6, 18,
30, 31, 36-38, 42, 43, 45, 51, 52,
56, 71, 74, 75, 79, 80, 81, 82, 84,
93, 99, 102, 104, 107, 109, 120.
Monkton Milnes (lord Hougton), I,
402 ; IV, 101, 103, 111, 124,
Montaigne, 1, 188, 248 ; II, 219 ; IV,
88.
Montalembert (comte Charles de),
II, 226 ; III, 192 ; IV, 13,
Montaud (Théophile de), IV, 194,
195, 196, 218, 220,
Montégut (Emile), II, 120.
Montesquieu, I, 188, 269, 270 ; III,
239, 266 ; IV, 332.
Monthyon (prix), III, 691 ; IV, 435.
Montigny, IV, 170, 173, 318, 407.
Montijo (comtesse de), I, 402 ; IV,
102,
Montmorency-Fosseux (famille de),
IV, 396, 397.
Monvel, IV, 170.
Mooser, II, 335-336, 338,
Moreau, conseiller de préfecture,
IV, 185.
Moreau, habitant de La ChĂątre, IV,
176.
Moreau (Eliza), III, 293.
Moreau (Hégésippe), III, 293.
Moreau de Neuvy-Pailloux (Ma-
thieu), IV, 215, 230.
Moreau du Pin, IV , 373, 377, 378.
INDEX DES NOMS CITES
739
Moreni (Ercole), I, préface, n ; II, 68,
74-75, 77, 84.
Morgan (John Minter), IV, 9.
Momy (comte, puis duc de), IV,
165, 166, 464.
Mort (la) d'Iseult, IV, 286.
Moscheles (Ignace), III, 37, 65, 119.
Moulin (Charles), notaire, III, 590,
604 ; IV, 470, 596, 605, 609, 621,
622, 626.
Mounet (Paul), IV, 642.
Mozart, II, 163, 336 ; III, 33, 34, 35,
36, 40, 105, 131, 140, 207, 212,
553,554; IV, 401.
Muette (la) de Portici, IV, 75, 77.
Mugnier (abbé), I, 156 ; IV, 649.
Muller (Mlle), III, 119.
Muller-Strubing (docteur Hermann),
I, 72 ; III, 178, 685 ; IV, 132, 133,
138-141, 142, 143, 144, 174.
MurĂąt, I, 85, 93, 97, 99-102, 193.
Musset (Mme Edmée de) [mÚre d'Al-
fred], II, 64, 77, 87.
Musset (Alfred de), 1, 1, 4, 7, 12, 41,
44-45, 47-55, 70-72, 73, 127, 189,
233, 390, 397, 400, 403-404, 411,
434-435, 443, 449; II, 1, 6, 12,
14 et suiv., 152, 154, 164, 166,
168-170, 175, 211-214, 242, 283,
289-290, 433, 439, 449; III,
avant-propos, iv-v, 29, 35, 65, 96,
123, 124, 126, 127, 138, 213, 238,
255, 275, 428 ; IV, 175, 264, 321,
322, 333, 355, 357, 403, 435, 436,
442.
Musset (Paul de), I, 7, 45, 48, 73,
389 ; II. 13, 18-20, 21, 23, 25, 28,
31-33, 38-39, 45-47, 52, 70-73,
74, 77, 87, 93, 102, 104, 106, 108-
110, 113, 118, 122-123, 132-133 ;
IV, 355.
M
Nadar, IV, 378, 467, 468, 409, 470,
471.
Nadaud (Gustave), III, 328.
âą Nain (le) jaune, IV, 513.
Nakwaska (Mme), III, 436.
Napoléon, I, 93, 97, 98, 122, 125,
126, 133 ; II, 27, 226 ; III, 196,
230, 259, 260, 261, 372, 645 ; IV,
21, 54, 201. 251. 259, 261, 341,
344, 448, 508.
Napoléon, par Al. Dumas, I, 322.
Napoléon III, I, 20, 166 ; III, avant-
propos, i, 398 ; IV, 145, 155-167,
170, 172, 175, 177, 178-185, 188,
189, 191-194, 196, 198-201, 204-
205, 208-210, 214, 215, 219, 220,
222, 226, 227, 231-234, 236, 238,
241, 247-249, 250-254, 259, 261,
418 (« Isidore »), 435, 436, 437,
464, 465, 467, 548, 557, 558, 566,
572.
Napoléon le Petit, IV, 155.
Napoléon (prince JérÎme), IV, 170,
183, 189. 190, 199, 232, 249-250,
255. 257, 258, 300, 304, 348, 380,
398, 420, 427, 435, 437, 454-456,
461, 462, 464, 465, 468, 471, 491,
492, 517, 518, 522, 523, 602, 626,
628, 629.
Narbonne (hĂŽtel de), II, 292, 322;
III, 108; IV, 17.
Narischkine (Mme) devenue Mme A.
Dumas, IV, 405, 454, 624.
Narischkine (Olga), IV, 405, 454.
Narrey (Charles), IV, 292, 293.
Naufrage de la Méduse (le), mélo-
drame, III, 173.
Nauroy (Charles), I, 87.
Nelida, par Daniel Stern, II, 241,
248.
Nefftzer, IV, 368, 618,
NĂ©raud (Jules) [Malgache], I, 72,
284, 289, 361, 379, 408 ; II, 94-95,
135, 174, 296, 315, 367 ; III, 102,
128, 280, 370, 373, 381, 383, 384,
388, 397 ; IV, 150, 321, 322, 350,
358, 482, 521, 522, 599, 602,
NĂ©raud (pĂšre), IV, 549.
Nerval (GĂ©rard de), I, 1.
Nettement (Alfred), I, 12, 43.
Neue freie Presse (la), III, 133 ; IV,
130.
New York Evening Post, IV, 243.-
740
GEORGE SAND
Niboyet (Mme), IV, 81, 82.
Nicolas Ier, empereur de Russie, I,
22, 31 ; III, 186, 424, 426.
Nicolas (Auguste), I, 273.
Kiecks (Frédéric), I, 42, 48, 55-57,
64 ; II, 13, 72, 344, 349 ; III, 28,
29, 32, 33, 34, 35, 37, 38, 40, 41,
58, 89, 90, 468, 469, 471, 493,
522, 551, 622, 628.
Nemcewicz (Julien Ursyn), II, 350 ;
III, 119, 181.
NiMtenko (Alexandre), I, 25.
Nigond (Gabriel) ; IV, 524, 652.
Nisard (Désiré), 1, 345, 483 ; II, 135 ;
IV, 321, 322, 436.
Noailles (Mlle de), III, 120.
Nocturne (en sol mineur) de Chopin,
III, 104.
Nodier (Charles), I, 1, 440.
Norblin, III, 624.
Nourrice (la) d'Aurore, IV, 605,
606, 634.
Nourrit (Adolphe), le célÚbre chan-
teur, II, 186-187, 345-347, 391-
392 ; III 97, 339 ; IV, 314.
Nowakowski (Joseph), III, 119,
Nufiez (banquier), III, 68.
Obermann, I, 398 ; IV, 572.
Odéon (théùtre de 1') ; III, 551, 679 ;
IV, 168, 275, 287, 290, 292, 293,
434, 452-454, 458, 460, 462, 464-
467, 468-471, 498, 523, 590, 632,
633.
Offrande (V), IV, 548.
Ogarew (Mme), IV, 532.
Ogarew (N.-R), IV, 129.
Oliveira, I, 18, 19.
Olivier (Juste), III, 128.
Olivier (Mme Juste), III, 128, 188-
190, 192.
Ollivier (Emile), IV. 232.
Ollivier (Mme Blandine, née Liszt),
II, 371.
O'Meara (Mlle), III, 119.
Onslow (George), III, 422.
Opinion (V) des femmes, IV, 81.
Opinion (V) nationale, II, 180, 185 ;
IV, 454.
Ordre (F) républicain, IV, 629.
Oribeau (Mme d'), III, 59, 118, 493
Orléans (square d'), III, 418-425.
426, 427.
Ormuzde, III, 11.
Orsay (comte Gédéon-Gaspard-Al-
fred d'), III, 591, 592, bl2 ; IV,
169, 170, 171, 189, 190, 191, 20:3.
231, 232, 233, 255, 280, 281, 34.
Orsini, IV, 238.
Orthez (d'), III, 427.
Ortolan (M.), III, 299.
Ostrowski (Christian), III, 192.
Othello, I, 61, III, 295.
Othello, de Rossini, I, 322.
Ourousof (prince Alexandre). III.
674.
Ovide, III, 8, 185.
Ozenne (Mme Marie, née Meurice),
III, avant-propos, n.
Paesiello (Giovanni), III, 212.
Paganini, II, 497 ; III, 164.
Pagello (Pietro), I, 52, 71 ; II, 1, 16.
67-69, 71, 73-79, 80, 81, 83-9r.,
131, 147, 152, 154, 290, 439 ; IV,
403.
Pailleron (Marie-Louise), IV, 382.
Pajot (Ferdinand), IV, 550.
Palazzi (Roméo), IV, 632.
Palestrina (Giovanni Pierluigi, dit)
III, 212.
PanaĂŻew (J. J.), I, 24.
Panckouke, Ă©diteur, IV, 330.
PanoptÚs, critique de la Liberté, IV.
244.
Papet (Gustave), I, 72, 284, 312.
390, 405; II, 94, 109-110, 122.
183, 295-296, 315, 431, 436 ; III,
INDEX DES NOMS CITĂS
741
101, 102, 108, 110, 130, 161, 162,
170, 212, 380, 381, 450, 498, 544,
605, 618 ; IV, 269, 325, 521. 522,
595, 598, 599, 601, 604-609, 610,
614, 620, 623, 627.
Pardaillan ((Mme de), I, 122, 349.
Parfait (Noël), II, 117.
Parfums (les) de Borne, par L. Veuil-
lot, IV, 431.
Paris, III, 284.
Paroles d'un croyant, II, 226. 227,
229, 230.
Parrain (le), IV, 500.
Pascal, I, 188. 272 ; III, 239, IV,
544.
Passaglia (le PĂšre), IV, 431.
Pasta (la), III, 176 ; IV, 333.
Patureau-FrancĆur, III, 328, 398;
W, 174, 184, 192, 209. 215, 219,
221, 231, 238, 255, 550, 617, 619.
Paul (saint), II, 411 ; III, 8 ; IV,
496.
Paulin-Meuier, IV, 287.
Paul et Virginie, III, 631, 632.
Pauline Sax, par Drouginine, II, 82.
Pauvres Gens, de DostoĂŻevski, I, 27.
Pays (le) et le Gouvernement, II, 229,
Pays (le), IV, 280.
Paysans (les), par H. de Balzac, TV,
375.
PĂ©an (docteur), IV, 595, 608, 607,
608.
Pecht (Frédéric), III, 129, 130.
Pelée, III, 284.
PĂ©lissier (L. G.), III, 124.
Pelletan (EugÚne-Pierre-Clément),
II, 267, 354, 364-365, 399, 439;
III, 287, 443, 449 ; IV, 379.
Penarvan, ou La Maison de Pe-
narvan, IV, 417, 453.
Pensées S Août : Monsieur Jean, par
Sainte-Beuve, IV, 441.
Pensées, maximes et réflexions, de
Daniel Stern, II, 241.
PeopWs Journal, IV, 7.
Pepe (général), IV, 112.
Perdiguier (Agricol), I, 72 ; III, 102,
245-255, 256, 293, 298, 314 ; D7,
351.
Perdiguier (Lise), III, 245, 253, 321 ;
IV, 198, 221.
PÚres et enfants, par Tourguéniew;
I, 63 ; TV, 547.
PĂ©rigny, I, 281, 322.
PĂ©rigois (Ernest), III, 328, 398 ; IV,
174, 185, 186. 191, 196, 205, 209,
215, 221, 230, 237, 238, 255, 350,
378, 382, 494, 522, 599, 602, 622,
629.
Périgois (Mme AngÚle), née Néraud,
IV, 350, 378, 494.
Pernet (Emile), III, 369.
Pernet (Jules), III, 367, 384, 402.
Perrault, I, 104.
Perrens (F.-T.), IV, 369.
Perret, II, 446.
Perrichet, III, 603.
Perrotin (l'Ă©diteur), III, 170, 174,
244, 256, 268, 313, 315, 316, 317,
369, 402, 403, 626.
Persigny (comte, puis duc Jean-Gil-
bert Fialin de), IV, 165, 169, 183,
184, 186, 187-191, 194, 197, 198,
216, 220, 233-237, 338.
PĂ©rugin (le), II, 163.
Peschoux (pasteur), IV, 472.
Pestel (docteur), IV, 529, 530, 695-
598, 601, 604, 605-617, 619-621,
623, 625-627, 629.
PĂ©tano (G.), IV, 489.
Pététin (Anselme), III, 79, 328, 367,
398, 454, 490 ; IV, 82, 103.
Petiet (baron), IV, 336.
Petiet (général), IV, 336.
Petit (le) Courrier des Dames, I, 282.
Petite (la) Tonkinoise, IV, 286.
PĂ©trarque, III, 57.
Peuple (le), journal de Proudhon, IV,
233.
Peyrat (Alphonse), IV, 239.
Peyrat (Napoléon), II, 401, III, 306.
Phénicien (le), navire, III, 59, 93.
742
GEORGE SAND
Philosophe (le) sans le savoir, par
Sedaine, IV, 277, 278.
Piaron de Serennes, I, 84.
Pibot, sabotier Ă La ChĂątre, IV, 476.
Pictet (Adolphe), II, 326, 329-331,
333, 339, 355, 392 ; III, 23, 278.
Pied (le) sanglant, piÚce au théùtre
deNohant, IV,' 507, 508.
Pierre (baron de), IV, 369.
Pierre, domestique français de Cho-
pin, III. 500, 549, 550.
Pierre, vieux jardinier Ă Nohant,
III, 508, 509.
Pierre (saint), 1, 168; II, 444; III,
620; IV, 557.
Pierret (Louis Mammes), I, 93, 97»
223, 228 ; II, 421 ; III, 161, 489 ;
IV, 336.
Pietri (J.), IV, 194.
Pietri (Pierre-Marie), IV, 194, 204,
238.
Pigalle (rue), III, 108, 110, 111, 112,
113-119, 418.
Pilules (les) du dialle, IV, 272.
Pinson, restaurateur, IV, 36, 37, 40,
171.
Planche (Gustave), I, 311, 320, 370,
384, 410, 437-439, 440-441, 443;
II, 17, 38, 80, 120, 121. 165, 169,
369; III, 671, 679, 680, 686; IV,
277, 282, 648.
Planet (Gabriel), I, 284, 312; II,
184, 204, 295, 315 ; III, 13, 102,
381, 383, 384, 386, 388, 410, 639 ;
IV, 17, 44, 222, 350, 521, 549.
Planet (Maxime), IV, 522, 526, 527,
528, 538, 540, 543.
Plater (comte), 111,201.
Plater (comtesse Emilie), III, 120,
199.
Platon, III, 7, 8,12, 219, 239; IV,
481.
Plauchut (Edmond), I, préface, 2,
16-19, 385 ; II, 60-63. ; III, avant-
propos, i, iv, 40, 100, 251, 398 ; IV,
300, 398, 434, 522, 524, 526-529,
531, 536-538, 540, 543, 544, 609,
614, 616-618, 621, 622, 624-627.
Plaute, IV, 78.
Plestchéïew (Alexis Nicolaïewitch),
I, 21.
Pleyel (Camille), III, 37, 62, 65, 74,
107, 119, 492, 550.
Pleyel (salle), III, 211.
Plutarque, II, 310.
Plutus, d'Aristophane, IV, 316, 317.
Podiebrad (la famille royale des),
III, 380.
Poinsot (Edmond), III, 118, 451,
456, 563, 565, 572, 597, 607.
Poinsot (Mme), née Bascans, III,
451.
Poléjaiew (Nicolas), I, 65.
Politique (la) des femmes, IV, 81.
Politique (la) nouvelle, III, 510.
Polonaises (les) en la et en ut mi-
neur, III, 89.
Pompadour (Mme de), IV, 660.
Pompéry (Edouard de), IV, 82, 103.
Poney (Charles), I, 283; III, 241,
249, 292, 293, 294, 295, 297, 298-
305, 315, 316, 317, 326, 478, 479,
507, 541, 544, 546, 556, 561, 562,
573, 582, 583, 687, 598 ; IV, 10,
14, 21, 29, 34, 35, 43, 58, 60, 109,
110, 239, 240, 368, 371, 387, 411,
419, 472, 493, 495, 528,
Poney pésirée), III, 298, 573, 582,
587.
Poney (Solange), III, 298.
Poniatowski (Joseph), III, 186.
Ponsard (Francis), III, 651, 552;
IV, 171, 274.
Pontcarré (Pauline de), I, 178, 181.
Pontmartin (Armand de), II, 13 ; IV,
156.
Ponty (poĂšte populaire), III, 293.
Pope, I, 188.
Poquelin, IV, 636.
Porpora (Nicolo), III, 212, 334, 335,
337-340, 346-347, 348-349, 350.
Portalis, IV, 86, 94.
Porte Saint-Martin (théùtre de la),
IV, 168, 275, 286, 287, 292, 456,
458, 508, 509, 637.
INDEX DES NOMS CITĂS
743
Potocka(comtesse Claudine), III, 199.
Potocka (comtesse Delphine), née
Komar, III, 120, 469, 558, 624.
Potter (l'Ă©diteur), III, 369, 411, 485.
Pouchkine (Alexandre), I, 46, 65'
66, 74, 245, 253, 256 ; II, 135-136*
164, 452 ; III, 78, 106, 193 ; IV>
503, 547, 568.
Pradon, II, 338.
Prairie (la) Bégine (ou Biégine Long)
de Tourguéniew, I, 136.
Préludes (les), de Chopin, III, 62)
64, 66, 87-89.
Prémord (l'abbé), I, 162, 170-173,
178, 187-188.
Presse (la), II, 179 ; III, 329, 413»
415 ; IV, 234, 239, 243, 271, 275,
282, 304, 306, 307, 342, 354, 357.
362, 363, 369, 374, 380, 382, 426*
453, 507.
Prévost, homme de loi, IV, 497.
Prévost (Marcel), IV, 389, 439, 646,
649, 653.
Prévost (M. et Mme Marcel), IV, 649.
Prévost-Paradol, IV, 618.
Priam, III, 284.
Procope le Grand, III, 228, 363.
Prométhée, III, 416.
Proth (Mario), IV, 464.
Proudhon (Pierre-Joseph), 142, 220,
233.
Puget (Lolsa), I, 216, 241.
Puisaye (de).
Puissance (la) des ténÚbres, par
TolstoĂŻ, IV, 648.
Puzzi (Hermann Cohen, dit), II,
256, 259, 328-329, 394.
Pyat (FĂ©lix), I, 309-310, 312, 319,
328.
Pypine (Alexandre), I, 24.
Pythagore, III, 8, 12, 239.
Quarré (Antoinette), III, 293, 307.
Quelques années de ma vie, par
Mme Octave Feuillet, IV, 440.
Quinet (Edgar), II, 374; IV, 237,
556.
Quiquisolles (le PĂšre), IV, 239, 240.
R
Raabe (Hedwighe), célÚbre actrice
allemande, III, 679.
Rabbe (Alfred), I, 440 ; III, 193.
Rabelais, III, 189, 234, 588, 652,
672 ; IV, 16.
Rachel (Elisa FĂ©lix, dite Mlle), I, 53 ;
IIĂ, 166, 213 ; IV, 46, 48, 75, 76,
77, 78, 255.
Raoine, I, 347 ; IV, 634.
Racot (Adolphe), I, 438.
Radcliffe (Anna), III, 284.
Radetzki, maréchal, III, 620.
Radziwill (prince Antoine de), III,
26, 27.
Rafin, I, 20.
Ramann (Lina), II, 216, 220-221,
240, 241, 247, 253, 339-340, 343-
344, 364, 366-368, 377; III, 32-
33.
Ramelli, actrice, IV, 463, 466.
Ranc, rédacteur du Soleil, IV, 513.
Raousset (le comte de), III, 413, 415.
Raphaël, I, 318, 322 ; II, 163, 207,
399 ; III, 131, 210, 688.
Rappel (le), IV, 548.
Rapsodies (les) de Liszt, II, 253.
Raspail, IV, 83, 91, 98, 99.
Ratisbonne (Louis), II, 120; IV,
618.
Rebizzo (docteur), II, 75, 85.
Reboul (poĂšte-boulanger), III, 293*
RĂ©camier (Mme), I, 326.
Récits d'un chasseur, de Tourgué-
niew, I, 27 ; III, 636 ; IV, 547.
RĂ©flexions sur F Ă©tat de F Ăglise, de
Lamennais, II, 228.
RĂ©forme (la), journal, III, 391-394,
396, 653, 658 ; IV, 2, 13, 36, 37,
40, 41, 46, 51, 82, 83, 134, 166,
744
GEORGE SAND
RĂ©fraclaires (les), par Jules VallĂšs,
I, 438.
RĂ©geni (le) Mustel.lll, 631.
Regnault (Elias), IV, 115, 116, 117,
119.
Regnault (Emile), I, 70, 315, 316,
384, 389 ; II, 315 ; III, 289.
Reichel (Adolphe), IV, 131. 134.
135.
Reignier (Th.), IV, 215, 230.
Reigoier (Mme), III, 605.
Reisebilder de Heine, III, 131, 132.
Relais (les), IV, 453.
Remisa (M.), III, 68.
Renaissance (théùtre de la), III,
640.
Renan (Ernest), II, 162 ; III, 220-
222: IV, 1, 413, 421, 530. 62 5.
629.
Renard, habitant de La ChĂątre, IV,
476.
Renduel (Ă©diteur), III, 138.
René, I, 189, 202.
Renouard (Ă©diteur), III, 129.
RĂ©publique (la), II, 179.
RĂ©publique (1er) des femmes, IV, 81.
Requiem (le), de Mozart, III, 140.
RĂ©viseur (le), de Gogol, I, 352.
Revue des Deux Mondes, I, 388, 4M,
447 ; II, 113. 118, 185. 316, 34ĂŽ!
372, 374 ; III, 130, 244, 256, 257,
267, 290, 312, 313, 370, 456, 573,
610, 737; IV, 190, 241, 300, 306,
317, 321, 322, 355, 375, 382, 399,
404, 439, 507, 509, 519, 525, 545.
582, 583, 591, 593, 594.
Revue de Paris. I, 52, 327, 328, 330,
331, 388, 397, 422, 437 ; IV, 109.
287, 317, 322, 341, 349. 404.
Revue hebdomadaire, III, 670.
Revue indépendante, I. 439 ; III,
avant-propos, i, 235-271, 293, 305,
306, 329, 366-384, 398, 639, 640,
652 ; IV, 2.
Revue musicale, II, 245. 251 ; III,
474.
Revue 'nouvelle, IV, 604.
Revue sociale (la), III, 410, 637,
661 ; IV, 14.
RestiĂź de La Bretonne (Nicoks-
Edme), III, 236.
Rey (Achille), III. 255.
Rey, acteur de l'Odéon, IV, 463.
Rey (colonel), IV, 126.
Rey (Alexandre). II, 355 ; III, 96,
173, 245, 252, 449.
Rey (Maria), IV, 284.
Reybaud (Louis), I, 32.
Reynaud (Jean), III. 2, 5, 13, 81,
219, 243-244, 260, 635; IV, 35,
40, 350, 351.
Riallo (Pierre), IV, 510, 511.
Ribes, IV, 463, 466.
Richard (David), II, 338.
Richardot (Mme), I, 247.
Rinteau (Marie) [dite Mlle de Ver-
riĂšres], I, 80, 81, 83, 89, 149,174;
IV, 266.
Ris (Clément de), IV. 269.
Ritter (Gottlieb), IV, G02, 603.
La RiviĂšre, I, 81-82.
Robelin (M.). V. Devieur, III, 323.
Robert (Cyprien), III, 193.
Robert (le peintre LĂ©opold), IV,
333, 654.
Robert (agent de la Société des gens
de lettres), III, 316.
Robespierre (Maxirnilien), III, 228 ;
IV, 108, 508.
Robin des Bois, IV, 471.
Robin-Levert. habitant de La
ChĂątie, IV. 476.
Robin-Petit, habitant de La ChĂątre,
IV, 476.
Robinson Crusoé, II, 255.
Robinson (le graveur), II, 34.
Rocheblave (Samuel), I, préface, 2,
41. 70, 72, 228, 260, 314 ; II, 2,
13, 78, 102, 118, 125, 164, 243-
246, 299; III, 456-458, 460,557,
561, 570, 573, 575, 604, 607, 628-
630, 633.
Rocheblave (M. et Mme), IV, 649.
INDEX DES NOMS CITĂS
745
Rochemurc (Mme de), II, 347 ; III,
464-465.
Rochery, journaliste, IV, 172, 344,
345. "
Rochet (abbé), I, 71 ; II, 300-301,
454-456 ; III, 53.
Rochette (Raoul), IV, 412.
Rochoux (le procureur), III, 377-
379, 382, 384.
Rodrigues (Edouard), IV, 317, 391,
401-404, 417, 431, 455, 483, 522.
Rodrigues (Olinde), III, 292.
Rogat, soldat, IV, 199.
Roger, de l'Opéra, IV, 76.
Roguet (général-comte Christophe-
Michel), IV, 194, 199, 201. 208,
210, 213, 214, 215, 220.
Roguet (François), IV, 201.
Roland (républicain berrichon), III,
398.
Roland (Mme Pauline), femme du
précédent, III, 398 ; IV, 82, 174,
197, 204, 216, 217, 231.
Rollinat (Charles, dit le Bengali),
III, 38, 39, 40, 102 ; IV, 547.
Rollinat (François), I, 72, 284, 361,
384, 387, 417-419, 423, 429, 432 ;
II, 92, 101, 110, 135, 173, 175, 210,
267, 295, 300-301, 315, 355, 415,
443-444 ; III, 55, 81, 84, 92, 102,
104, 163, 173, 235, 381, 450, 461.
603, 662, 669, 671, 682 ; IV, 127,
209, 321, 322, 481, 482, 521, 549,
566, 567.
Rollinat (Mlle Marie- Louise =
« Mlle TempĂȘte »), IL 355 ; III,
81.
Rollinat (Maurice), III, 40.
Rollinat (pĂšre), III, 102.
Roly (poĂšte populaire), III, 293.
Roman (le) d'un jeune homme pauvre,
par O. Feuillet, IV, 440.
Rome au siĂšcle d'Auguste IV, IV,
357.
Rome souterraine, II, 185.
Roméo et Juliette, II, 104 ; IV, 355.
Ronchaud (Louis de), II, 266, 345,
365.
Roret (Alfred).
Rosalie (Mme), IV, 376.
Rossignol, républicain du Blanc, IV,
215, 230,
Rossini II, 212.
Rothschild, baron, III, 487.
Rothschild (les), III, 120.
Roudine. par Tourguéniew, II, 439 ;
IV, 547.
Rouget (poĂšte-tailleur), III, 293.
Rouget de Lisle, III, 330.
Rougon-Macquart (les), I, 91.
Rouher (EugĂšne), IV, 165.
Rcusseau (Jean-Jacques), I, 5, 64,
83, 84, 107, 108, 166, 189, 190-191,
202, 240, 249, 311, 362, 436 ; II,
219, 256, 330, 423 ; III, 196, 239.
258, 320, 330, 370, 371, 373, 395,
422, 692 ; IV, 78, 147, 247, 335,
338, 440, 442. 549.
Rousseau, fils de Jean- Jacques, par
Sainte-Beuve, IV, 441.
Rousseau (Théodore), III, 576, 583.
Rousset (Alexis), III, 180.
Rousskaya Mysl, IV, 275, 633.
RouviĂšre. III, 159; rV, 284, 287,
289, 2S0, 292. 295, 2ÂŁ6.
Rover, IV, 293.
Roz (Firmin), IV, 524, 652.
RoziĂšres (Mlle de), II, 323 ; III, 119.
430-441, 450, 478, 484, 486, 488,
490, 491, 493, 500, 506, 508, 512,
525, 526, 531, 540, 541, 542, 545,
546, 550, 558, 568, 569, 573, 577,
578, 580, 581, 582, 589, 590, 591,
594, 613.
Rubens (P. P.), III, 172, 524.
Rubio (Mme). V. Kologrivoff (VĂ©ra
de).
Rubinstein (Antoine), III, 90.
Ruge (Arnold), IV, 130.
Rumf ort (Mme), I, 254.
Ruysdaël, IV, 585.
Ryszczewska (Mme), III, 558.
Rzewuski (Adam), III, 116.
GEORGE SAND
746
Rzewuski (LĂ©once), III, 116.
Rzewuski (Vitold), III, 116.
Sachs, III, 286, 287.
Sachs (Hans), III, 245.
Sack (Edouard), III, 135, 136, 143,
149, 152, 155.
Sagnier (Charles), IV, 602, 603, 604,
605, 608.
Saint-Agnan, I, 70, 293.
Saint-Agnan (FĂ©licie de), I, 216,
241, 242, 293 ; II, 295.
Saint-Agnan ou Saint -Aignan
(Mme Gondoin de), I, 216, 219,
238, 260, 283, 285, 293, 294 ; II,
178, 298.
Sainte-Beuve (Charles-Augustin de),
I, 43, 50, 52, 70, 71, 189, 244, 313,
320, 339, 384, 397-399, 401, 404,
410-411, 422, 437-439, 440-441,
443, 446-447, 449 ; II, 13, 15-17,
37-39, 40, 50-51, 71, 98, 109, 116-
117, 120, 149-150, 161, 166, 167-
170, 175, 183, 187, 200, 219, 255,
258, 268 ; III, 6, 13, 17, 128, 165,
189, 192, 281 ; IV, 434, 435, 438-
441, 453, 479, 483, 488, 504, 522,
523, 617, 618, 648.
Saint-Criq (Caroline de), II, 217"
220.
Saint-Germain (le comte de), III,
351.
Saint-Graal (les chevaliers du), III,
352.
Saint-Hilaire (Geoffroy), I, 72, 411;
II, 167.
Saint-Just, IV, 503, 508.
Saint-LĂ©on (Charles-Victor-Arthur,
Michel, dit), chorégraphe et musi-
cien, IV, 453, 455.
Saint-Martin (Norbert de), I, 216*
Saint-RenĂȘ-Taillandier, III, 158,
Saint-Saëns, III, 35.
Saint-Simon, I, 26; II, 179-180, 220»
391 ; III, 12, 292.
Saint-Simoniens, I, 319, 322, 335,
391 ; II, 181, 216, 223-225 ; III, 5,
337.
Saint-Simonisme, III, 7.
Saint- Victor (Paul de), IV, 379.
Salle (Lucas). IV, 230.
Salmigondis {le), I, 445.
Salmon, banquier, II, 65.
Salmon, habitant de La ChĂątre, IV,
476.
Saltvkow (M. E.), = Stchédrine, I,
26, 27.
Salvandy (Achille, comte de), III,
192.
Saman L'Esbatx (Prudence) =
Mme Allart de MĂ©ritens. [Y. Ă ce
nom.]
Samson, de la Comédie-Française,
IV, 48, 75.
Sand (Aurore), fille de Maurice Sand,
= Lauth (Mme Aurore), I, pré-
face, m, 349 ; III, avant-propos, 1 ;
IV, 258, 418, 427, 498, 516, 523,
531, 533, 541, 544, 545, 564, 565,
603, 609-612, 614, 622, 626, 630-
632, 656, 660.
Sand (Gabrielle), I, préface, ra ; III,
avant-propos, 1 ; IV, 427, 498, 523,
531, 533, 544, 545, 564, 565, 609,
610, 611, 612, 614, 622, 626, 630,
631, 632, &51, 656, 660.
Sand (Mme Maurice), née Lin a
Calamatta. I, préface, 2; II,
324; III, avant-propos, 1, n, 39-
40, 159; IV. 17, 168, 316, 411,
412-414, 416,' 417-421, 451, 452,
454, 455, 456, 458, 459, 460, 462,
463, 467, 470, 471, 472, 473, 473,
485, 490, 492, 493, 494, 495, 497,
498, 504, 505, 515, 516, 528, 530,
638, 540, 541, 542, 543, 545, 596,
597, 600, 601, 602, 606, 607, 609,
611, 612, 613, 615, 616, 619, 622,
625, 627-629, 631, 632.
Sand (Marc-Antoine), IV, 417, 418,
420, 426, 451, 452, 453, 455, 456,
459, 460, 462, 467, 470, 473, 478,
485, 501, 542, 614.
Sand (Maurice), V. Dudevant Mau-
rice.
INDEX DES NOMS CITĂS
747
Sand (Karl), I, 341.
Sandeau (Jules-LĂ©onard-Sylvain-Ju-
lien), I, 44, 293, 309-316, 319, 327,
330, 332, 333, 335-337, 340-341,
343, 384-390, 393-394, 396, 402-
405, 409-410 ; II, 41, 59, 123, 165,
289, 315, 446-447, 449 ; III, 255,
273, 277, 287, 288, 289, 535 ; IV,
434, 435, 453.
Sandeau (FĂ©licie), I, 72, 390.
Sandre (EugĂšne), I, 217.
Sandre (Gustave), III, 411.
Santini (docteur), II, 75.
Sapieha (princesse), III, 501,
Saphir (G.), III, 136, 147, 148, 149,
150, 151, 153, 154, 156, 157.
Sardanapale, IV, 247.
Sartoris (Mme Adélaïde), née Kern -
ble. IV, 299.
Saulat (Jacques), grenadier, IV, 39.
ScÚnes de la vie dalécarlienne, par
Frédérique Brémer, IV, 304.
Schaeffer, pasteur, IV, 424.
Scheffer (Ary), III, 558; IV, 363-
366, 368.
Scheffer (les frĂšres), IV, 299.
Schelling, I, 24.
Scherzo (le 3e), de Chopin, III, 89.
Schiavoni (Felice), II, 85.
Schiller, I, 24, 29 ; II, 355, 452 ; III,
150, 177, 178, 624, 644.
Schlesinger (Maurice), Ă©diteur de
musique, III, 150.
Schmidt (Julien), 1, 10, 12, 32, 442 ;
III, 3, 220, 687.
Schcelcher (Victor), II, 345-346.
Schottlander, III, 132.
Schubert (Franz), II, 360 ; III, 139.
Schulhoff (Jules), III, 522.
Schumann (Robert), III, 89, 522.
Schwindt (Moritz), III, 140.
Sciences (les) et les arts, par TolstoĂŻ,
IV, 560.
Scott (Walter), I, 359 ; II, 150 ; IV,
503.
Scribe (EugĂšne), III, 161, 164, 176,
177.
Scudéry (Mlle de), IV, 354.
Séché (Léon), III, 189.
Sedaine, IV, 277-279.
Segond-Weber (Mme), actrice, IV
647.
SĂ©gur (de), 1, 195.
Semet, III, 679.
Senancour, I, 447 ; IV, 572.
Senilia, de Tourgueniew, IV, 668.
Senkovsky, I, 14, 34; III, 166; IV,
264.
Sept infants (les) de Lara, de Mal-
lefille, II, 355.
Servet, IV, 470.
SĂ©verine (Mme), IV, 420, 646, 647,
649, 653, 654, 656,
Sévigné (Mme de), III, 627.-
Seynes (Théodore de), III, 59, 269.
SÚze (Aurélien de), I, 71, 72, 113,
205, 253, 260, 262-265, 269-274,
293, 295-297, 299-300, 333, 343-
344, 360, 391, 405-406, 409, 446 ;
II, 165, 178, 289, 316, 433 ; IV,
323, 325, 326, 332.
SĂšze (Romain- Raymond de), 111,253,
Shakesoeare, 1, 60, 188-189, 202, 372,
395 ; H, 120, 140, 254, 355, 426;
III, 177, 184, 524; IV, 78, 275,
295, 296, 298, 446, 447, 448, 449,
522,
Sheppard (Mme, née de Brissac), III,
549.
Sheppard (M.), IV, 171.
Sibylle, par Octave Feuillet, IV,
430, 439, 440.
Sicard, sculpteur, IV, 633, 645.
SiĂšcle (le), journal, I, 437 ; III, 394 ;
IV, 12, 13, 14, 314, 363, 364, 365,
367, 369.
SiĂšge (le) de Florence, II, 89.
Sigismond, roi de Pologne, III, 363,
365.
Silvestre (Théophile), III, 125.
Siméon le Stylite, I, 161,
Simon (Jules), IV, 432, 433, 434.
Simonnet (Albert), IV, 522, 633,
614, 615, 617, 622, 625, 631.
74s
GEORGE SAND
Simonnet (Edme), IV, 427, 522, 533,
614, 625, 626, 631.
Simonnet (La famille), IV, 627.
Simonnet (Henri), mari de LĂ©ontine
Chatiron), III, 584, 604, 618, 619.
Simonnet (Léontine), née Chatiron,
[Voir Ă ce nom], IV, 403, 424, 522,
541, 609, 614, 625, 631.
Simonnet (René), IV, 424, 522, 533,
âŹ02, 608, 609, 612, 614, 619, 620,
621, 625, 626, 631.
Simulachres (les) de la Mort, de
Holbein, III, 662 ; IV, 638.
Siraudin (Paul), IV, 277.
Sirven, III, 374.
Six mille lieues Ă toute vapeur, de
Maurice Sand, IV, 258.
SkabitchewsM, (A.) I, 27, 250, 377,
422 ; III, 220, 250.
Skalkovski, II, 153.
Skarbek (comte Frédéric), III, 26.
Slowacki (Jules), III, 32, 181, 195,
200, 201.
SobansM, III, 623.
Sobolstchikow (Mme), III, 551.
Sobrier, IV, 98, 99.
Société de la Sainte Colombe, IV,
486.
Société des gens de lettres, III,
5S0 ; IV, 17, 625.
Socrate, III, 8, 12, 203, 220, 426.
Soirées (les) littéraires de Paris, I,
379.
Solange. V. Dudevant (Solange) et
Clésmger (Mme).
Soleil (le). IV, 513.
Soliva (Carlo). III, 119.
Son Excellence EugĂšne Bougon, par
Zola, IV, 278.
Sonate Ă Kreutzer, de TolstoĂŻ, I, 61,
445 ; II, 40o.
Sonate (la), en si bémol mineur, de
Chopin, III, 90, 104.
Sonate pour violoncelle, de Chopiu,
III, 488.
Sophocle, IV, 78.
Souchois (Mlle), IV, 272.
Soulié (Frédéric). I, 1 ; III, 653.
Soumet (Gabrielle), IV, 83.
Soumtsow (le professeur), I, 27.
Scuvestre (Emile). III, 177.
Souvorine (Alexis), I, 29 ; III, 267.
SowinsM, III, 624.
Spassowicz (Wladiniir), III, 182, 193.
Spectateur (le) républicain, IV, 127.
Spoelberch de Lovenjoul (le vi-
comte Charles de), I. préface, i.
1, 51, 70-72, 156, 189, 270,
303, 323-325, 331, 337. 345, 397,
398, 400, 402, 411, 435, 440 ; II, 2,
13, 15-16, 37, 51, 71, 84, 100-102,
106, 111, 118, 123, 137, 139, 168,
178, 445 ; III, avant-propos, i,
124, 131. 570, 646, 653 ; IV, 5,
112, 435, 442, 488. [Voir aussi
Bibliophile Isaac]
Spurzheim, II, 250, 359 ; III, 285.
Staël (Mme de), I, 441 ; II, 45, 430 ;
LV, 179, 226, 261, 437.
Stassow (Wiadimir), III. 105, 551.
Stassow (Dmitri), I. DĂ©dicace.
Statler (Adalbert ou Wovciech), III,
200.
Stavenow (Bernard). III, 117.
Stéfane-Pol, IL 314 ; IV, 652.
Sterne (Laurence). III, 128.
Stern (Daniel) = pseudonyme de la
comtesse d'Agoult.
Stock ou Stoss, III, 132.
Stockhausen (baron de), III, 120,
487.
Stockhausen (Mme la baronne de),
111,487.
Stradella (Alessandro), III, 41.
Strauss (David), III, 222.
Struensé, par E. Meyer; IV, 304.
Subervie (général) ; IV, 50.
Sue (EugĂšne), I, 19; II, 346; III.
641, 646, 652 ; IV, 232.
et NorvĂšge, par Le Bas, IV,
304.
Suez (Mie), III, 450.
Suin (le procureur), III, 326.
Sully-LĂ©vy, IV, 140, 269, 347, 649.
INDEX DES NOMS CITĂS
749
Supplice (le) d'une femme, par A. Da-
mas et E. de Girardin,' IV, 498.
Sur Veau, de Maupassant, I, 433.
Sur l'extinction du paupérisme, I,
20 ; IV, 156, 165.
Sur le service militaire, de TolstoĂŻ,
II, 229.
Surville (Mme Laure), II, 447, 452,
Suzanne, III, 500, 508.
Swedenborg (Emmanuel), III, 203.
Sylvain, IV, 647.
Sylvain, cocher, III, 659 ; IV, 309,
383, 406, 412, 447, 467, 472, 564,
G01, 652.
Symphonie (la) pastorale, de Bee-
.thoven, III, 207.
Symphonie (la) fantastique, de
Berlioz, II, 204.
Symphonie (la) révolutionnaire, de
Lizst, II, 221-222.
Szimanowska (Mlle CĂ©line), III, 185.
Szimanowska (Mme Marie), III, 185.
Szulc, II, 355 ; III, 37.
Taborites (les), III, 363-365.
Tacite, IV, 547.
Taine (Hippolyte), II, 21 ; IV, 618.
l'aima, IV, 526, 634.
Talma (capitaine), IV, 526, 627, 528.
Talleyrand-PĂ©rigord (de), IV, 322.
Tallmeyer, III, 353.
Taming of the shrew de Shakespeare,
III, 676.
Tardieu (Ă©diteur), III, 299.
Tarnow (Fanny), III, 178.
Tasse (le), II, 31.
Tastu (M.), III, 84.
Tastu (Mme Amable), III, 292, 293,
294.
Tattet (Alexandre), I, 52, 71 ; II, 56,
77, 98-99.
Tausig (Karl), III, 421.
TchaĂŻkowski (Modeste), III, 204.
TchaĂŻkowski (Pierre Ilitch). III, oĂŽ.
204, IV, 315.
Tchernichevski (Nicolas Gavri-
lowitch), II, 82.
Templiers (les), III, 445,
Temps (le). II, 49, 61, 179 ; III, 665 ;
IV, 82, 246, 249, 300, 304, 429,
448, 548, 553, 628, 629.
Tennyson, II, 21.
Tentation (la) de saint Antoine.
IV, 540.
Térage (Aimée), III, 322-323.
TĂ©rence, IV, 78.
Terre (la), par Zola, I, 141 ; IV, 375.
Terre et ciel, par Jean Reynaud, IV,
350, 351.
Terre (la) promise, IV, 357.
Tesi (la cantatrice), III, 348, 349.
Testa (la) di bronzo, IV, 550.
Testament Johannis, I, 169.
Texier, I, 403.
Thabaud (Mme), femme de Henri
Delatouche, III, 652, 654,
Thackeray, III, 676.
Théùtre artistique de Moscou, IV,
260.
Théùtre des arts à Bruxelles. IV,
315,
Théùtre (le) italien, IV, 271.
ThérÚse (sainte), III, 264.
Theuriet (André), IV, 649, 653,
Thiéblin, chef de cabinet du préfet
de police, IV, 194, 218.
Thiers (Adolphe), III, 179, 310 ; IV,
19, 435, 562, 565.
Thies (Alexandre), III, 498.
Thio-Varennes, II, 315-317, 319.
Thiron, IV, 269.
Thomas (« la mÚre »), III, 374, 376.
Thomas (miss Bertha), I, 39, 40, 42,
44, 307 ; II, 13.
Thomas (FĂ©lix), III, 5, 19, 259, 412,
416.
Thomas, restaurateur, IV, 172.
Thomas (la), nourrice de Gabrielle
Sand, IV, 606, 611.
75°
GEORGE SAND
Thoré (Théophile), ni. 199, 200,
236. 328, 428; IV, 98, 99, 108,
109, 110, 113, 114, 123, 124, 503.
Thucydide, III, 78.
ThuiĂier (Mlle), actrice, IV, 463,
466.
Tintoret (le), II, 363.
Tirso de Molina, IV, 299.
Titien, 1, 161 ; II, 363.
Tocqneville (Alexis de), I. 402 ; IV,
101, 102-105, 112.
Toliverow (Mme), IV, 531.
TolstoĂŻ (le comte LĂ©on). I, 61, 141,
142.174.372. 377. 443; II, 158,
229-230, 406 ; III, 292, 332, 663,
672 ; IV, 488, 547, 560.
Tosti (le PĂšre), III, 222.
Touchet. républicain de La Chùtre,
IV, 49.
Touraugin (Mme FĂ©lix), II, 267, 313.
Tourguéniew. I. 27-29, 63, 65, 66,
TlTlSG. 141. 142 ; IL 439 ; III, 38,
40, «336, 670, 671, 678, 679, 686,
693; IV, 13, 138, 139, 144, 300,
547, 549.
Tourneux (Maurice), III, avant-pro-
pos, i.
TowiansM (André), III, 195. 196.
198.
Travailleur (le), III, 550.
Trélat, II, 176; IV, 618.
Tremblay, ouvrier typographe, IV,
231.
Trenk (baron de). III, 346, 348, 350,
351, 352.
Trenk(lepandourbaronde), 111,348.
Tronchet (rue), III, 108.
Trémoville (de), I, 181.
Trotignon, avocat hé. à La Chùtre ;
FC476,
Trucy (Mme et M.), IV, 411.
Tsébrikow (Mme), I, 11, 23.
U
Ulbach (Louis ). I, 42 ; II, 63 ; IV,
339, 499.
Ulloa (général), IV, 363, 364, 365,
366.
Ulriqne, reine de SuĂšde, IV, 304,
305,
Un Amour du Midi, par Georges
PĂ©tanc, IV, 489,
Une journée à Dresde, par Manceau,
IV, 451, 453, 454, 455, 456,
Une nichée de gentilshommes, IV,
547.
Une nuit Ă Florence, piĂšce impro-
visée, IV, 266.
Une vie, de Maupassant, I, ISO,
Une voix de prison, II, 229.
Unger-Sabatier (Mme), III, 139.
Upsala, journal suédois, IV, 303.
Urhan, II, 208.
Vaez (Gustave), IV, 289, 292, 29a
Vaillant, IV, 49.
ValchĂšre (Mme Caroline), III, 180.
Valdemosa (M.), un ami do la famille
Marliani, III, 56, 60, 63,
Valdemosa de couvent de), III, 62-
92.
Valentino (la salle). III, 373.
Valette d'Issoudun, IV, 215.
VallĂšs (Jules), I, 438, 443 ; III, 416.
Vallet. habitant de La ChĂątre, IV,
435.
Vallet de Villeneuve. I. 195.
Vallette, charpentier, Ă La ChĂątre,
IV, 192.
« Valse (la) du petit chien », de Cho-
pin, III, 469,
Variétés (théùtre des), IV, 286, 287,
Varnhagen (Charles-AugusteĂŻ, III,
133.
Vasson (Mme de), mĂšre, IV, 600,
Vasson (M. de), IV, 522, 600, 621,
Vasson (Xannecv de), IV, 522, 595,
599, 600-602, 614, 616, 622, 630.
INDEX DES NOMS CITĂS
751
Vasson (Paulin de), IV, 522, 595,
596, 599-607, 609, 614, 615, 616,
620-622, 627, 630.
Veille (la), de Touigueniew, I, 63*
Véléda la dniidesse, III, 662.
Verbet, IV, 435.
Verga, I, 171.
Vergne (docteur), II, 305 ; IV, 386,
407.
Vernet (Horace), III, 320.
VĂ©ron (le docteur Louis), I, 327,
328; III, 369, 404, 489, 640-642,
646-653, 656,658; IV, 16,
VĂ©ron, peintre, IV, 405, 406.
VerriĂšres (Mlle de), 1, 83. [Voir Rin-
teau.]
Veuve (la) joyeuse, IV, 286.
Vevey, ami d'Em. Arago, IV, 45.
Veyret (Charles), III, 398-405.
Viardot (Louis), II, 432; III, 14,
97, 120, 122, 128, 140, 141, 142'
211, 212, 214, 258, 260, 263, 265,
266, 267, 268, 343, 362-363, 366,
367, 368, 408, 480, 501, 595-597,
621, 670, 679 ; IV, 46, 143, 144,
274, 418,516, 547.
Viardot (les), III, 489, 626,
Viardot (Mnie Pauline, née Garcia),
I, 53, 72; II, 17-18, 391; III,
avant-propos, n, 32, 33, 37, 38, 39,
81, 102, 117, 119, 122, 123, 139,
140 141, 142, 170, 171, 172, 211-
216, 333-336, 339, 340, 348, 357,
362, 363, 384, 397, 408, 419, 422,
423, 424, 453, 469, 478, 480, 482,
501, 507, 538, 549, 561, 566, 595,
596, 697, 599, 621, 626, 670, 679 ;
IV, 13, 36, 37, 41, 46, 48, 76, 132,
138, 139, 143, 144, 171, 273, 278,
299.
Victor Hugo par un témoin de sa vie.
IV, 449.
Victor (prince), IV, 462,
Vieillard (N.-H.), IV, 220, 236,
Viel-Castel (comte de), I, 260, 273.
Vigny (Alfred de). I, 394 ; II, 120,
206 ; III, 182, 191.
VillĂšle (Monseigneur de), I, 338.
Villemont (abbé de), curé de Nohant,
IV, 616, 627,
Villeneuve (comte René de), I, 70,
146, 184, 195, 196, 206-208, 210-
212, 220, 294, 342, 562 ; IV, 43,
174, 178, 235, 393,
Villeneuve (comtesse Apolline de),
IV, 175, 177, 184.
Villeneuve (Auguste de), 1, 195, 212.
Villeneuve (Emma de), I, 195, 210.
Villeneuve (Septime de), IV, 589.
Villeneuve (LĂ©once de), IV, 589.
Villetard (Camille), IV, 631,
Villetard (Clotilde), née Maréchal,
IV, 169, 171. 328, 631.
Villevieille (LĂ©on), dit le Paloignon,
IV, 273,
Villon (François), III, 245.
Villot (Frédéric), IV, 238.
Villot (Lucien), IV, 397, 398, 406,
436, 522.
Villot (Pauline), IV, 378, 379, 397,
435, 436, 465, 522.
Vinçard (le chansonnier), II, 105-
106, 280 ; III, 293.
Vincent de Paul (saint), III, 320,
Vinci (Leonardo de), II, 399,
Virgile, 1, 188 ; III, 8, IV, 479,
Vitrolles (de), III, 31, 235, 368,
Voix (h) des femmes, IV, 81!
Volcan (le), W, 81.
Voltaire, I, 74, 84, 105-161, 178,
188 ; II, 219 ; III, 130, 239, 370,
374, 404 ; IV, 78, 247, 448.
Vote universel (le), III, 326,
Voyage dans les mers du Nord, par
Charles Edmond, IV, 304.
Vraie (la) RĂ©publique, IV, 2, 83, 97,
98, 99, 105, 106, 109, 110, 113,
115, 121, 123, 124, 125.
W
Wagner (Mme Cosima), I, préface, 2,
Wagner, actrice, IV, 455.
75»
GEORGE SAN'D
Wagnien (Ferdinand), III, 296.
Waldau (Max), I, 441.
Waldo (Pierre), chef des Vaudois,
IV, 305.
Walsh (le comte Théobald), 1, 12.
Watteau, IV, 660.
Weber (Charles-Marie), I, 101 ; III,
34, 104, 105, 140, 423.
Weber (David), II, 85.
Weisshaupt (Adam), III, 357.
Werther, III, 631, 632 ; IV, 583.
Wilhelm Meister. de Goethe, I, 44,
317, 429 ; III, 554,
William Sliakespeare, par Victor
Hugo, IV, 446-449.
Wills, IV, 299.
Wittgenstein (princesse Caroline de
Seyn), II, 240.
Wismes (Mlle Emilie de), I, 72, 180.
Witwicki (Etienne), III, 181, 188,
576, 623.
Wodzinska (Marie, comtesse), II,
217 ; III, 31, 32, 43, 201, 435, 438.
WodzinsM (les comtes), II, 349, 355 ;
III, 27, 31, 37, 435.
WodzinsM (Antoine, comte), III,
119, 431, 432, 433, 434-436, 437,
438, 439, 623.
Wodzinski (comte), auteur des Trois
romans de Chopin, III, 439-441.
Wojciechowski (Titus), III, 623.
Wolff (EugĂšne), III, 132, 133, 134.
153.
Worcel, TV, 142.
World {the), III, 628.
Wurtemberg (la princesse de), III,
558.
X... (le PĂšre), III, 242, 243-244.
Y. Y., III, 135.
Zajaczek (le général), III, 186.
Zajaczek (Mme), III, 116, 117, 180.
Zalade Lour, habitant de La ChĂątre.
IV, 476.
Zaleski (Bohdan), III, 195.
Zirardini, III, 443.
Ziskaou Ziszka (Jean), 111,228, 351,
363.
Ziwny (Adalbert), III, 26.
Zizime, fils de Mahomet II, III, 476.
Zola (Emile), 1, 12, 13, 77, 141 ; III.
650 ; IV, 278, 279, 318, 319, 535,
648,
Zûroastre, III, 239.
Zur Stellung der Kunstler (A propos
de la position des artistes), article
de Liszt, II, 238.
TABLE GĂNĂRALE DES ILLUSTRATIONS
TOME PREMIER
Aurore Dupin enfant (pastel) Frontispice.
Aurore Dupin dessinĂ©e par elle-mĂȘme (1831) 304
TOME II
George Sand, d'aprĂšs le dessin de L. Calamatta (1837) Frontispice.
George Sand, par Charpentier, d'aprĂšs la gravure de Robinson (1838). 224
Fac-similé d'une page du Journal de Piffoël 368
TOME III
George Sand, par Isabey Frontispice.
Portrait de Chopin, par George Sand 205
Fac-similé du programme manuscrit de UOberge du Querime 588
TOME IV
George Sand, par Marchai Frontispice.
George Sand en Pielro Colonna 266
Fac-similé de la derniÚre page de Ce que dit le ruisseau 446
IV. â 753 4S
TABLE DES MATIERES
CHAPITRE VIII
LA RĂVOLUTION DE 1848
La veille. Mazzini. â Enchantemente de la premiĂšre heure. â Lettres au
Peuple, Bulletins de la RĂ©publique, Paroles de Biaise Bonnin et La Cause
du Peuple. â Le 15 mai. â Ledru-Rollin, la Commission d'enquĂȘte,
Jules Favre et Etienne Arago. â ThĂ©ophile ThorĂ© et La Vraie RĂ©pu-
blique. â Louis Blanc et Barbes. â Herzen et Bakounine. â Le Diable
aux champs 1
CHAPITRE IX
GEORGE SAND ET NAPOLĂON ni
Le prisonnier de Ham. â Lettre sur VĂ©lection de Louis-NapolĂ©on Ă la prĂ©si-
dence de la RĂ©publique. â Le coup d'Ătat de 1851. â Les dĂ©marches de
George Sand pour les victimes. â Les relations de George Sand avec les
malheureux et leurs familles. â Les rĂ©publicains intransigeants. â L'im-
pĂ©ratrice EugĂ©nie et NapolĂ©on III jugĂ©s par George Sand. â Le prince
NapolĂ©on. â Mme Arnould-Plessy. â MalgrĂ©tout. â Impressions et Sou-
venirs et article sur V Histoire de Jules CĂ©sar. â Une lettre vaudevillesque.
â La consolatrice des malheureux 155
CHAPITRE X
LE THĂAT.BE DE GEORGE SAND
Gabriel. â Les Mississipiens. â Cosima. â François le Champi, â La
Commedia dell'arte et les Marionnettes Ă Nohant. â Le ChĂąteau des DĂ©sertes.
â L'Homme de Neige et Narcisse. â Le Roi attend. â MoliĂšre et Mariette, â
Claudie. â Le Pressoir. â L'Ă©poque thĂ©Ăątrale Ă Nohant (1850-1856). â
MaĂźtre Favilla et deux lettres de Charles Baudelaire. â Le Mariage de Victo-
rine. â Les Vacances de Pandolphe. â Mont-RevĂȘche et le DĂ©mon du foyer, â
Françoise. â Comme il vous plaira et RouviĂšre. â Lucie. â PiĂšces tirĂ©es
de romans : Mauprat, Flaminio, Les Beaux Messieurs de Bois-DorĂ©. â Le
755
756 GEORGE SAND
PavĂ©. â Le Drac. â La Nuit de NoĂ«l. â Marguerite de Sainte- Gemme.
â La LaitiĂšre et le pot au lait. â Un bienfait n'est jamais perdu. â
L'Autre 262
CHAPITRE XI
1855-1862
Ćuvres autobiographiques de George Sand. â Le plan primitif des Lettres
d'un voyageur. â Le Journal de PiffoĂ«l. â La Lettre d'un oncle. â Un
Voyage au Mont-Dore et l'Histoire de ma vi°. â Existence Ă Nouant de
1849 Ă 1855. â Alexandre Manceau. â Noni ClĂ©singer. â Terre et Ciel
de Jean Reynaud et Evenor et Leucippe. â Voyage en Italie en 1855.
â Impressions italiennes et la Daniella. â Charles Edmond et la Presse.
â Les Beaux Messieurs de Bois-DorĂ©, les Daines vertes. â Gargilesse et
La Villa Algira. â Labeur sans trĂȘve. â Entomologie, botanique et minĂ©-
ralogie. â Jean de la Boclie. â Maladie et voyage Ă Tamaris en 1861.
â ValvĂšdre, FJavie, Antonia et M. Rodrigues. â M. Francis Laur et Louis
Maillard. â Le Marquis de Villemer. â Tamaris et Edmond Plauchut. â
Autour de la table et Promenades autour d'un village. â La Famille de
Germandre. â Alexandre Dumas 320
CHAPITRE XII
1862-1866
Mariage de Maurice, â Lina Sand. â Protestantisme. â Mademoiselle La
Quintinie. â Le Marquis de Villemer au thĂ©Ăątre. â Palaiseau. â Mort
de Manceau. â Monsieur Sylvestre. â Le Dernier amour. â Sainte-Beuve.
â L'AcadĂ©mie. â Flaubert. â Cadio. â RĂ©installation Ă Nohant. . . 410
CHAPITRE XIII
1867-1876
Vieillesse sereine. â Les amis. â Les petites- filles. â La vie Ă Nohant entre
1867 et 1876. â Les marionnettes. â Les contes d'une grand'mĂšre. â Les
articles pĂ©dagogiques. â 1870. â La guerre et la Commune. â Le Journal
d'un voyageur pendant la guerre. â Francia. â Nanon. â Nouvelles lettres
d'un voyageur. â Impressions et souvenirs. â SynthĂšse philosophique et
religieuse. â Les derniers romans : CĂ©sarine Dietrich, Marianne Chevreuse.
â La sĂ©rie des histoire d'un enfant : la Filleule, la Confession d'une jeune
fille, l'Autre, Ma sĆur Jeanne, Flamarande et les Deux FrĂšres, la Tour de
Percemont, Albine. â La maladie et la mort. â Les obsĂšques 621
CHAPITRE XIV
LE CENTENAIRE DE GEORGE SAND
Quelques pages de souvenirs personnels (30 juin, l"r et 10 juillet 1904) :
l'exposition et les galas à l'Odéon et au Théùtre-Français, l'inauguration
TABLE DES MATIĂRES 757
de la statue au Jardin du Luxembourg ; les fĂȘtes Ă Nohant et Ă La
ChĂątre 632
APPENDICES
Les Ă©ditions des Ćuvres complĂštes et la Correspondance de George Sand. 661
Iconographie de George Sand 663
Bibliographie 669
Index des Ćuvres de George Sand citĂ©es 703
Index des noms cités 713
Table des illustrations 753
Table des matiĂšres 755
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Prix : 60 fr.
La BibliothĂšque
Université d'Ottawa
Echéance
The Library
University of Ottawa
Date due
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